Chapitre premier — Première campagne (an 58 avant Jésus-Christ)
I. César. — II. Guerre des Helvétiens. — III. Guerre d’Arioviste. — IV.
Observations.
I. César est né l’an 100 avant
Jésus-Christ ; il est mort l’an 44 ; il a vécut cinquante-six ans.
Il n’était âgé que de seize ans lorsqu’il fut en butte aux persécutions de
Sylla. Il fit ses premières armes sous le préteur Thermus, mérita la couronne
civique à la prise de Mitylène, passa en Cilicie, séjourna à la cour du roi
Nicomède en Bithynie, fut quarante jours prisonnier des pirates, retourna à
Rome après la mort de Sylla, accusa Dolabella, personnage consulaire, échoua
dans sa poursuite, se retira alors à Rhodes, étudia l’éloquence à cette
célèbre école.
A son retour, le peuple le nomma successivement tribun des
soldats, questeur, édite, pontife. Il prononça l’oraison funèbre de sa tante
Julie, sœur de son père et femme de Marius. Au milieu des images des Jules,
le peuple romain vit avec plaisir celle de Marius ; depuis, il plaça au
Capitole la statue de ce célèbre vainqueur des Cimbres, ce qui lui attira
l’animadversion du sénat. Il rappela Cinna, son beau-frère, proscrit avec
Sertorius. Il condamna à mort les sicaires de Sylla, assassins des proscrits.
Le peuple, qui le chérissait, le nomma préteur l’an 62. Sa
magistrature fut orageuse. Le Sénat se déclara contre lui. Il gouverna la Cisalpine, et, l’année
d’après l’Espagne, comme propréteur. Il réunit trente cohortes en Portugal.
Son armée le proclama imperator. De
retour à Rome, il sollicita à la fois le triomphe et le consulat. Il conclut
avec Pompée et Crassus le premier triumvirat, et donna sa fille Julie à
Pompée, qui en devint éperdument amoureux.
Nommé consul l’an 59, il se comporta comme un tribun,
publia des lois agraires, distribua des terres aux pauvres, déclara Ptolémée,
roi d’Égypte, et Arioviste, roi des Suèves, amis du peuple romain. Le sénat
lui fut constamment opposé. Il marcha à la tête du parti de Marius.
Il fut nommé, l’an 58, gouverneur de l’Illyrie et de la Cisalpine, pour cinq
ans : on lui donna trois légions. Peu de semaines après, il joignit à ces
gouvernements celui de la
Gaule narbonnaise, avec une quatrième légion ; il en
leva deux nouvelles ; celle nommée l’Alouette, composée de
Gaulois, se distingua. Il commença la guerre des Gaules avec six
légions ; dans le courant de la guerre, le nombre en fut porté à douze.
César a fait huit campagnes, dans les Gaules, pendant
lesquelles deux invasions en Angleterre et deux incursions sur la rive droite
du Rhin. En Allemagne, il a livré neuf grandes batailles et fait trois grands
siéges, a réduit en provinces romaines 200 lieues de pays, qui ont enrichi le
trésor de 8 millions de contributions ordinaires. César, pendant la guerre
civile, a combattu en Italie, en Espagne, en Illyrie, en Égypte, en Asie, en
Afrique, dans les années 49, 48, 47, 46, 45 ; il a livré six grandes
batailles, dont quatre contre les légions romaines du parti de Pompée et deux
contre les barbares. Dans ces treize campagnes il a été vaincu trois fois, à
Dyrrachium, à Alexandrie, en Afrique ; mais ces échecs n’ont eu aucun
effet sur l’issue de ses guerres. Ses lieutenants ont essuyé de grandes
défaites, qu’il a réparties par se présence.
II. Les Gaules
étaient divisées est quatre parties : les Gaules belgique, celtique,
aquitanique, et enfin la
Province romaine. La Belgique était comprise entre la Seine, le Rhin et la
mer ; la Celtique,
entre la Seine,
le Rhône, la Garonne
et l’Océan ; l’Aquitanique, entre la Garonne et les Pyrénées ; la Gaule narbonnaise ou
romaine comprenait le Dauphiné, la
Savoie, le Lyonnais, la Provence et une partie du bas Languedoc située
sur les côtes de la Méditerranée.
Le gouvernement de César s’étendait sur la Gaule narbonnaise et sur la Gaule cisalpine : celle-ci
comprenait totale la vallée du Pô ; elle était bordée à l’est par le
Rubicon, dans la Romagne,
et à l’ouest parla Magra, près du golfe de la Spezia. Ainsi il
avait sous ses ordres la défense de toutes les frontières d’Italie du côté de
terre, toute la ceinture des Alpes et les provinces illyriennes.
Les Gaules étaient composées de petits états, qui se
gouvernaient en forme de républiques confédérées pour leurs intérêts communs.
Les assemblées de la nation se tenaient dans le pays chartrain. Les Gaulois
passèrent les Alpes et envahirent l’Italie septentrionale six ou sept siècles
avant l’ère chrétienne : ils y fondèrent les villes de Milan, Mantoue,
Vérone, etc. ; ce pays prit le nom de Gaule cisalpine. Les
Romains entrèrent en Gaule pour la première fois l’an 209 avant Jésus-Christ.
Appelés par les Marseillais, ils passèrent le Var, suivant la Corniche pour éviter
les Alpes. L’an 123 avant Jésus-Christ, le consul Sextius bâtit Aix, en
Provence. Les peuples d’Autun, l’année suivante, appelèrent le consul
Domitius à leur secours contre les peuples d’Auvergne, qui étaient alliés aux
Allobroges ou Dauphinois. Les armées se rencontrèrent près d’Avignon ;
les Romains furent victorieux. L’année suivante une nouvelle bataille eut
lieu à l’embouchure de l’Isère dans le Rhône ; les Gaulois furent battus
et noyés dans cette rivière. Le Dauphiné et la Provence furent alors
réduits en province romaine. Quelques années après, Rome fonda une colonie à
Narbonne ; ce qui étendit sa domination dans le Languedoc.
Les Helvétiens ou Suisses et les peuples du Brisgau
prirent cette année 58, la résolution de quitter leur pays pour se porter en
Saintonge, près des côtes de l’Océan. Ils brûlèrent douze de leurs villes et
quatre cents de leurs villages, s’approvisionnèrent de farine pour trois
mois, et se misent en marche avec leurs chariots, leurs effets, au nombre de
368,000, dont 30.000 en état de combattre. César, qui venait d’être investi
du gouvernement des Gaules, accourut en toute diligence, arriva le huitième jour
à Genève, fit couper le pont du Rhône. Il n’y avait dans la province qu’une
seule légion ; il manda les trois vieilles légions qui étaient en
Illyrie et les deux nouvelles qu’il avait levées, fit construire un
retranchement de 16 pieds
de haut et de 6 lieues[1]
de longueur, du Rhône au Jura. Pendant qu’il était occupé de ces préparatifs
de défense, les Helvétiens lui envoyèrent demander le passage au travers de
la province romaine : il leur fit une réponse négative le 13 avril (23
janvier). Ceux-ci, désespérant de forcer ses retranchements, eurent recours
aux Francs-Comtois, qui furent plus traitables. Ils traversèrent le Jura et
arrivèrent sur la Saône. César avait de sa personne, pendant ce
temps, repassé les Alpes pour activer la marche de ses légions. Il entra à
leur tête dans Lyon, arriva à Châlon-sur-Saône, surprit les peuples de
Zurich, qui étaient campés sur la rive gauche de celle rivière, les détruisit
entièrement, se mit à la poursuite du reste des Helvétiens, les suivit
pendant quinze jours avec six légions et un corps de cavalerie de la ville
d’Autun. Arrivé une marche de cette
ville, les Helvétiens l’attaquèrent à l’improviste : c’étaient des
peuples intrépides. Il n’eut que le temps de placer ses quatre vieilles
légions en bataille sur trois lignes, au milieu d’une colline, et les deux
nouvelles, avec les bagages, au sommet. Après un combat fort opiniâtre, les
Helvétiens furent battus ; ils décampèrent dans la nuit même, et
arrivèrent en quatre jours près de Langres, suivis par César, qui leur fit
grâce, les obligea à retourner dans leur patrie et à rebâtir leurs villes.
Ces peuples étaient réduits à moins d’un tiers (130.000).
III. Arioviste, roi
des Suèves, avait été déclaré allié du peuple romain. Appelé en Gaule par les
Auvergnats et les Francs-Comtois, il battit les Autunois et leurs alliés dans
une bataille près de Pontarlier, soumit toutes les petites républiques à lui
payer tribut et à lui livrer des otages. Plus tard il appesantit son joug sur
les Francs-Comtois eux-mêmes, et s’approprie le tiers de leurs terres, qu’il
distribua à 120.000 Allemands. Un plus grand nombre, attires par cet appât,
se préparaient à passer le Rhin ; 24.000 étaient partis de Constance, et
les cent cantons des Suèves étaient déjà arrivés sur les bords de ce fleuve :
la Gaule
allait être ébranlée dans ses fondements, elle eut recours aux Romains.
César fit demander une entrevue à Arioviste. En avant reçu
une réponse peu satisfaisante, il passe la Saône et surprit Besançon. Après quelques jours
de repos, il continua sa marche dans la direction du Main. Le septième jour,
ayant fait un détour pour éviter les montagnes, les deux armées se trouvèrent
en présence. César et Arioviste eurent une entrevue qui n’eut aucun résultat.
Les Allemands étaient d’une haute taille, forts, braves. Après plusieurs
manœuvres, les deux armées en vinrent aux mains, sur un champ de bataille
éloigné de seize lieue du Rhin, Arioviste fut battu, son armée poursuivie
jusqu’à ce fleuve, que ce prince passa sur un petit bateau. Ce désastre consterna
les Germains et sauva les Gaules. César passa les Alpes de sa personne,
laissant son armée dans les quartiers sous le commandement de Labienus.
Ainsi, dans cette première campagne, il livra deux grandes
batailles contre les Helvétiens et les Suèves d’Arioviste, auxquels étaient
mêlés les peuples de Constance, de Bohême, de Strasbourg, de Mayence.
IV. OBSERVATIONS.
— Première
observation. — César mit huit jours pour se rendre de Rome à
Genève ; il pourrait aujourd’hui faire ce trajet eu quatre jours.
Deuxième observation.
— Les retranchements ordinaires des Romains étaient compostés d’un fossé de 12 pieds de large sur 9 pieds de profondeur, en
cul-de-lampe ; avec les déblais ils faisaient un coffre de 4 pieds de hauteur et 19 pieds de largeur, sur
lequel ils élevaient un parapet de 4 pieds de haut, en y plantant leurs
palissades et les fichant de 2
pieds en terre ; ce qui donnait à la crête du
parapet 17 pieds
de commandement sur le fossé du fossé. La toise courante de ce retranchement,
cubant 324 pieds
(une toise et demie),
était faite par un homme en trente-deux heures ou trois jours de travail, et
par douze hommes en deux ou trois heures. La légion qui était en service a pu
faire ses six lieues de retranchement, qui cubaient 21.000 toises, en cent
vingt heures ou dix à quinze jours de travail.
Troisième observation.
— C’est au mois d’avril que les Helvétiens essayèrent de passer le Rhône (le calendrier romain était
alors dans un grand désordre ; il avançait de quatre-vingts jours :
ainsi le 13 avril répondait au 23 janvier). Depuis ce moment les
légions d’Illyrie eurent le temps d’arriver à Lyon et sur la Haute Saône :
cela a exigé cinquante jours. C’est vingt jours après son passage de la Saône que César a
vaincu les Helvétiens en bataille rangée : cette bataille a donc eu lieu du 1er
au 15 mai, qui correspondait à la mi-août du calendrier romain.
Quatrième observation.
— Il fallait que les Helvétiens fussent intrépides pour avoir soutenu
l’attaque aussi longtemps contre une armée de ligue romaine aussi nombreuse
que la leur. Il est dit qui ils ont mis vingt jours à passer, la Saône, ce qui
donnerait une étrange idée de leur mauvaise organisation ; mais cela est
peu croyable.
Cinquième observation.
— De ce que les Helvétiens étaient 130.000 à leur retour en Suisse, il ne
faudrait pas en conclure qu’ils aient perdu 230.000 hommes, parce que
beaucoup se réfugièrent dans les villes gauloises et s’y établirent, et qu’un
grand nombre d’autres rentrèrent depuis dans leur patrie. Le nombre de leurs
combattants était de 90.000 : ils étaient donc, par rapport à la population,
comme un à quatre ; ce qui parait très fort. Une trentaine de mille du
canton de Zurich avaient été tués ou pris au passage de la Saône : ils
avaient donc 60.000 combattants au plus à la bataille. César, qui avait six
légions et beaucoup d’auxiliaires, avait une armé plus nombreuse.
Sixième observation.
— L’armée d’Arioviste n’était pas plus nombreuse que celle de César ; le
nombre des Allemands établis dans la Franche-Comté était de 120.000 hommes ;
mais quelle différence ne devait-il pas exister entre des armées formées de
milices, c’est-à-dire de tous les hommes d’une
nation capable de porter les armes, avec une armée romaine composée de
troupes de ligne, d’hommes la plupart non mariés et soldats de
profession ! Les Helvétiens, les Suèves, étaient braves sans
doute : mais que peut la bravoure contre une armée disciplinée et
constitué comme l’armée romaine ? Il n’y a donc rien d’extraordinaire
dans les succès qu’a obtenus César dans cette campagne : ce qui ne
diminue pas cependant la gloire qu’il mérite.
Septième observation.
— La bataille contre Arioviste a été donnée dans le mois de septembre et du
côté de Belfort.
Chapitre II — Deuxième campagne (an 57 avant Jésus-Christ)
I. Guerre des Belges. Combat sur l’Aisne. — II. Défaite des Belges du
Hainaut. Bataille de la
Sambre. — III. Destruction des Belges sous Namur. Siège de
Falais. — IV. Observations.
I. Les Belges étaient de race barbare ; leurs pères
avaient passé le Rhin, attirés par la beauté du pays, ils en avaient chassé
les premiers habitants et s’y étaient établis. Ils étaient considérés comme
les plus braves d’entre les Gaulois ; les Teutons et les Cimbres
craignirent de les indisposer, et les respectèrent. La défaite des Helvétiens,
celle d’Arioviste et la présence de l’armée romaine, qui, contre l’usage,
hivernait dans la Celtique,
éveillèrent leur jalousie ; ils craignirent pour leur indépendance. Ils
passèrent tout l’hiver en préparatifs, et ils mirent en campagne, au
printemps, une armée de 300.000 hommes, commandée par Galba, roi de Soissons,
dont le contingent était de 50.000 hommes ; les peuples de Beauvais en
avaient fourni autant ; ceux du Hainaut, 50.000 ; de l’Artois,
15.000 ; d’Amiens, 10.000 ; de Saint-Omer, 25.000 ; de Brabant,
9.000 ; du pays de Caux, 10.000 ; du Vexin, 10.000 ; de Namur,
30.000 ; et enfin 40.000 Allemands de Cologne, de Liége, de Luxembourg.
Ces nouvelles arrivèrent au delà des monts, où se trouvait César, qui leva
deux nouvelles légions. Il arrive avec elles à Sens dans le courant de mai (février de notre
calendrier).
Les peuples de la Celtique lui restèrent fidèles ; ceux
d’Autun, de Reims, de Sens, lui fournirent une armée qu’il mit sous les
ordres de Divitiacus, qu’ll destina à ravager le territoire de Beauvais, et
il se campa avec ses huit légions à Pontavert, sur l’Aisne, territoire de
Reims. Il fit établir une tête de pont sur la rive gauche, environna son camp
par un rempart de 12
pieds de haut, ayant en avant un fossé de 18 pieds de largeur.
L’armée belge ne tarda pas à paraître ; elle investit la petite ville de
Bièvre, à huit milles du camp romain. Celle ville avait une garnison
rémoise ; elle reçut un renfort dans la nuit ; ce qui décida le
lendemain Galba à marcher droit sur Pontavert. Mais, trouvant le camp
parfaitement retranché, il prit position à deux milles. Il occupait trois
lieues de terrain. Après quelques jours d’escarmouches, César sortit avec six
légions, en laissant les deux nouvelles pour la garde du camp ; mais, de
peur d’être tourné, il fit élever deux retranchements de 3 à 400 toises de
longueur, perpendiculaires à ses deux flancs ; il les fit garnir de
tours et de machines. Galba désirait tout terminer par une bataille ;
mais il était arrêté par le marais qui séparait les deux camps. Il espérait
que les Romains le passeraient, mais ils s’en donnèrent bien de garde. Chacun
rentra le soir dans son camp. Alors Galba passa l’Aisne ; pendant la
nuit il attaqua les ouvrages de la rive gauche, se mit à ravager le
territoire rémois ; mais César le battit avec sa cavalerie et ses
troupes légères, et le chassa de la rive gauche de l’Aisne. Peu de jours
après, les Beauvaisins apprirent que les Autunois étaient sur leurs
frontières et menaçaient leur capitale. Ils levèrent sur-le-champ leur camp et
allèrent au secours de leur patrie. Le signal de la défection, une fois
donné, fut imité ; chacun se retira dans son pays, le surlendemain les
Romains firent une marche de dix lieues, donnèrent l’assaut à Soissons : ils
furent repoussés ; mais le lendemain les habitants se soumirent par la
médiation des Rémois ; ils donnèrent des otages. Alors César marcha sur
Beauvais, accorda la paix à ses habitants, à la recommandation des Autunois,
se contentant de prendre six cents otages. Amiens et plusieurs villes de la Picardie se soumirent
également.
II. Les peuples du
Hainaut, les plus belliqueux et les plus sauvages des Belges, s’étaient
réunis aux Artésiens et aux Vermandois. Ils étaient campés sur la rive droite
de la Sambre,
à Maubeuge, couverts par une colline et au milieu d’une forêt. César marcha à
eux avec huit légions. Arrivé sur les bords de la Sambre, il fit tracer son
camp sur une belle colline. La cavalerie et les troupes légères passèrent la
rivière et s’emparèrent d’un monticule qui domine le pays de la rive gauche,
mais plus bas que celui sur lequel voulait camper l’armée romaine. Les six
légions qui étaient arrivées se distribuèrent autour de l’enceinte du camp
pour le fortifier, lorsque tout d’un coup l’armée ennemie déboucha de la
forêt, culbuta la cavalerie et les troupes légères, se précipita à leur suite
dans la Sambre,
déborda sur l’armée romaine, qu’elle attaqua en tous sens : généraux,
officiers soldats, tous furent surpris ; chacun pris son épée sans se
donner le temps de se couvrir de ses armes défensives. Les 9e et
10e légions étaient placées sur la gauche du camp ; la 8e
et la 11e, sur le côté qui faisait front à l’ennemi, formant à peu
près le centre ; la 7e et la 14e, sur le côté
opposé, à la droite. L’armée romaine ne formait pas une ligne, elle occupait
une circonférence ; les légions étaient isolées, sans ordre ; la
cavalerie et les hommes armés à la légère fuyaient épouvantés dans la plaine.
Labienus rallia les 9e et 10e légions, attaqua la
droite de l’ennemi, qui était formée par les Artésiens, les culbuta dans la Sambre, s’empara de la
colline et de leur camp sur la rive gauche. Les légions du centre, après
diverses vicissitudes, repoussèrent les Vermandois, les poursuivirent au delà
de la rivière ; mais la 7e et la 12e légions avaient
été débordées et étaient attaquées par toute l’armé du Hainaut, qui formait
la principale force des Gaulois : elles furent accablées. Les barbares,
ayant tourné les légions, s’emparèrent du camp. Ces deux légions,
environnées, étaient sur le point d’être entièrement défaites lorsque les
deux légions qui escortaient les bagages arrivèrent, et que, d’un autre côté,
Labienus détacha la 10e légion sur les derrières de
l’ennemi : le sort changea : toute la gauche des Belges, qui avait
passé la Sambre,
couvrit le champ de bataille de ses morts. Les Belges du Hainaut furent
anéantis, au point que, quelques jours après, les vieillards et les femmes
étant sortis des marais pour implorer la grâce du vainqueur, il se trouva que
cette nation belliqueuse était réduite de six cents sénateurs à trois, et de
60.000 hommes en état de porter les armes à 500. Pendant une partie de la
journée les affaires des Romains furent tellement désespérées, qu’un corps de
cavalerie de Trèves les abandonna, s’en retourna dans son pays, publiant
partout la destruction de l’armée romaine.
III. Les peuples de
Namur étaient en marche pour se joindre à ceux du Hainaut : lorsqu’ils
apprirent leur catastrophe, ils se jetèrent dans la place de Falais, que la
nature avait pris plaisir à fortifier : elle est sur les bords de la Mehaigne, à 6.000
toises de la Meuse,
à 15.000 de Namur et à 15.000 de Liége.
Les peuples de Namur descendaient des Cimbres et des
Teutons.
César marcha è eux en toute diligence, cerna Falais, fit
construire une ligne de contrevallation de 15 milles de tour et de i15 pieds
de haut, commença le siège en règle. Lorsque les barbares virent ces énormes
tours des Romains s’approcher de leurs mitrailles avec facilité, le contraste
de la puissance morale de leur ennemi avec leur faiblesse physique les saisit
d’étonnement et d’épouvante : ils eurent recours à sa clémence, jetèrent
leurs armes pardessus leurs murailles et offrirent des otages. César les
accueillit avec bonté ; mais à minuit
ces barbares coururent de nouveau aux armes, fondirent à l’improviste sur le
camp romain et y portèrent l’alarme et le désordre. Ils furent repoussées,
perdirent 4.000 hommes. Le lendemain le vainqueur entra dans la place et fit
vendre à l’encan tous les habitants : il y en avait 54.000.
Ainsi se termina la seconde campagne de César. Il mit ses
troupes en quartiers d’hiver et repassa de sa personne dans la Cisalpine. Il
livré dans cette campagne une grande bataille, celle de la Sambre, plusieurs combats
sur l’Aisne, et fait un siège. La nouvelle de si grands succès, remplit de
joie la ville de Rome. Le Sénat ordonna des prières publiques pendant quinze
jours : ce qui avait été jusque-là sans exemple.
IV. OBSERVATIONS. — Première
observation. — César, dans cette campagne, avait huit
légions ; et, outre les auxiliaires attachés à chaque légion, il avait
un grand nombre de Gaulois à pied et à cheval, un grand nombre de troupes
légères des îles Baléares, de Crète et d’Afrique, qui lui formaient une armée
très nombreuse. Les 300.000 hommes que les Belges lui opposèrent étaient
composés de nations diverses, sans discipline et sans consistance.
Deuxième observation.
— Les commentateurs ont supposé que la ville de Fisme ou de Laon était celle
que les Belges avaient voulu surprendre avant de se porter sur le camp de
César : c’est une erreur, cette ville est Bièvre : le camp de César
était au-dessous de Pontavert ; il était campé, la droite appuyée au
coude de l’Aisne, entre Pontavert et le village de Chaudardes, la gauche à un
petit ruisseau ; vis-à-vis de lui étaient les marais qu’on y voit
encore. Galba avait sa droite du côté de Craonne, sa gauche au ruisseau de la Miette, et le marais sur
son front. Le camp de César à Pontavert se trouvait éloigné de 8.000 toises
de Brièvre, de 14.000 de Reims, de 22.000 de Soissons, de 16.000 de
Laon ; ce qui satisfait à toutes les conditions du texte des Commentaires,
Les combats sur l’Aisne ont eu lieu au commencement de juillet.
Troisième observation.
— La bataille de la Sambre
a eu lieu à la fin de juillet, aux environs de Maubeuge.
Quatrième observation.
— La position de Falais remplit les conditions des Commentaires. César
dit que lia contrevallation qu’il fit établir autour de la ville était de 12 pieds de haut, ayant
un fossé de 18 pieds
de profondeur : cela paraît être une erreur : il faut lire 18 pieds de largeur, car
18 pieds
de profondeur supposeraient une largeur de 6 toises : le fossé était en
cul-de-lampe, ce qui donne ligie excavation de 9 toises tubes. Il est
probable que ce retranchement avait un fossé de 16 pieds de largeur sur 9 pieds de profondeur,
cubant 486 pieds
par toise courante ; avec ces déblais il avait élevé une muraille et un
parapet dont la crête avait 18
pieds sur le fond du fossé.
Il est difficile de faire des observations purement
militaires sur un texte aussi bref et sur des armées de nature aussi
différente. Comment comparer une armée de ligne romaine, levée et choisie
dans toute l’Italie et dans les provinces romaines, avec les armées barbares,
composées de levées en masse, braves, féroces, mais qui avaient si peu de
notions de la guerre, qui ne connaissaient pas l’art de jeter un pont, de
construire promptement un retranchement ni de bâtir une tour, qui étaient
tout étonnées de voir des tours s’approcher de leurs remparts ?
Cinquième observation.
— On a cependant, avec raison, reproché à César de s’être laissé surprendre à
la bataille de la Sambre,
ayant tant de cavalerie et de troupes légères. Il est vrai que la cavalerie
et ses troupes légères avaient passé la Sambre : mais, du lieu où il était, il
s’apercevait qu’elles étaient arrêtées à 150 toises de lui, à la lisière de
la forêt : il devait donc ou tenir une partie de ses troupes sous les
armes, ou attendre que ses coureurs eussent traversé la forêt et éclairé le
pays. Il se justifie en disant que les bords de la Sambre étaient si
escarpé, qu’il se croyait en sûreté dans la position où il voulait camper.
Chapitre III — Troisième campagne (an 56 avant Jésus-Christ)
I. Guerre du Valais. — II. Guerre de Bretagne. - III. Guerre de la basse
Normandie. — IV. Guerre d’Aquitaine. — V. Observations.
I. César, voulut
s’assurer une route directe de Milan dans la Gaule par le Simplon et le Saint-Bernard et la
vallée du Rhétie, détacha Galba[2]
avec la 12e légion dans le Valais ; celui-ci, à peine entré dans
ce pays, reçut des députés des divers cantons, qui lui demandaient la paix et
lui offraient des otages. I1 établit ses quartiers d’hiver dans le bourg de
Martigny, qu’il fit fortifier d’un fossé et d’un retranchement. Cependant les
naturels n’étaient rien moins que soumis ; ils concertèrent leur
soulèvement, et accoururent de toutes parts investir et attaquer les légions
romaines. Le combat fut chaud et meurtrier ; le succès paraissait
favorable aux naturels, lorsque Galba fit une sortie par toutes les portes du
camp, fondit sur eux, les mit en déroute et leur tua plus de 10.000 hommes.
Malgré ce grand succès, les Romains ne se crurent pas en sûreté dans un pays
si difficile, et le lendemain ils se mirent en marche pour repasser le lac de
Genève et prendre leurs quartiers dans la Province.
II. A la fin de la
campagne précédente. César avait détaché le jeune Crassus, qui depuis périt
avec son père contre les Parthes, avec une légion, pour soumettre la Bretagne. Il
s’était en effet porté sur Vannes, avait parcouru les principales villes de
cette grande province, avait partout reçu la soumission des peuples, et des
otages. Il avait pris ses quartiers d’hiver en Anjou, près de Nantes.
Cependant les Bretons, revenus de leur première stupeur, s’insurgèrent. Vannes,
qui était leur principale ville, donna le signal, ils arrêtèrent partout les
officiers romains qui, pour diverses missions, étaient répandus dans la
province. La ville de Vannes était grande et riche par le commerce de
l’Angleterre ; ses côtes étaient pleines de ports ; le Morbihan,
espèce de mer intérieure, assurait sa défense ; il était couvert de ses
bâtiments. Les confédérés, ayant jeté le masque, firent connaître à Crassus
qu’il eut à leur renvoyer leurs otages, qu’ils lui renverraient ses
officiers ; mais qu’ils étaient résolus à garder leur liberté et à ne
pas se soumettre de gaieté de cœur à l’esclavage de Rome. César, au
printemps, arriva à Nantes. Il envoya Labienus avec un corps de cavalerie à
Trèves pour contenir les Belges, et détacha Crassus, avec douze cohortes et
un gros corps de cavalerie, pour entrer dans l’Aquitaine et empêcher que les
habitants de cette province n’envoyassent des secours aux Bretons. Il détacha
Sabinus avec trois légions dans le Cotentin, donna le commandement de sa flotte
à Domitius Brutus : il avait fait venir des vaisseaux de la Saintonge et du
Poitou, et fit construire des galères à Nantes ; il tira des matelots
des côtes de la Méditerranée. Mais les vaisseaux des peuples de
Vannes étaient plus gros et montés par de plus habiles matelots ; leurs
ancres étaient tenues par des chaînes de fer, leurs voiles étaient de peaux
molles ; l’éperon des galères romaines ne pouvait rien contre des
bâtiments si solidement construits ; enfin les bords étaient très élevés,
ce qui leur donnait un commandement non seulement sur le tillac des galères
romaines, mais même sur les tours qu’il était quelquefois dans l’usage d’y
élever ; les javelots des Romains, lancés de bas en haut, étaient sans
effet, et les leurs, lancés de haut en bas, faisaient beaucoup de ravages.
Mais les navires romains étaient armés de faux tranchantes emmanchées au bout
d’une longue perche, avec lesquelles ils coupèrent les cordages, les haubans,
et firent tomber les vergues et les mâts. Ces gros vaisseaux désemparés,
devenus immobiles, furent le théâtre d’un combat de pied ferme. Le calme
étant survenu sur ces entrefaites, toute la flotte de Vannes tomba au pouvoir
des Romains. Dans cette extrémité, le peuple de Vannes se rendit à
discrétion. César fit mourir les sénateurs et vendit tous les habitants à
l’encan.
III. Sabinus arriva
dans le Cotentin, choisit un camp commode et avantageux, l’employa avec
activité de se retrancher. Viridovix, général des peuples de Coutances, avait
grossi son armée de tout ce qu’il avait pu attirer de gens sans aveu de
toutes les Gaules. Les peuples du Mans, d’Évreux, de Lisieux, après avoir
égorgé leurs sénats, qui s’opposaient à la guerre, avaient fermé leurs portes
aux Romains et joint leurs troupes à celles de Viridovix, qui se trouvait
ainsi à la tête d’une armée nombreuse. Il se campa à deux milles du camp
romain, qu’il ne cessa de provoquer au combat. Sabinus se servit d’un
stratagème pour accroître l’audace des barbares : il leur dépêcha un
faux espion qui leur dit que les Romains étaient prêts à décamper la nuit
pour marcher au secours de César. A cette nouvelle, les Gaulois se
précipitèrent sur le camp : les Romains, qui les attendaient, sortirent
par deux portes à leur rencontre, les attaquèrent et les mirent en fuite, après
de vains efforts pour se rallier. Leur déroute fut complète. Tous les peuples
de le basse Normandie se soumirent.
IV. Crassus ne fut
pas moins heureux en Aquitaine. Renforcé par des troupes auxiliaires de
cavalerie et par de nombreuses cohortes levées par Toulouse, Carcassonne,
Narbonne et plusieurs autres villes de la Province romaine, il passa la Garonne. Les
habitants allèrent à sa rencontre avec de nombreux corps de cavalerie :
c’était leur principale arme. Crassus fut vainqueur et mit le siège devant
Lectoure, leur capitale. Cette ville se défendit longtemps ; ses
habitants, ayant une très grande quantité de mines, étaient très habiles dans
la guerre souterraine. De là Crassus marcha contre les peuples de Bazas.
Ceux-ci avaient attiré à eux un grand nombre de soldats et d’officiers qui
avaient servi sous Sertorius et un bon nombre d’Espagnols. Contre l’usage des
barbares, ceux-ci se tenaient tranquilles dans leur camp, qui était retranché
à la romaine, attendant que la faim obligeât les Romains à quitter leur
pays ; mais Crassus y marcha, l’attaqua, ils se défendirent
vaillamment ; ils avaient mal fortifié les derrières ; Crassus les
força par là. Les trois quarts y furent égorgés ; ils étaient 50.000.
Les peuples de Bayonne, du Berry, d’Armagnac, du Bordeaux, de Dax, épouvantés
par cette victoire, se soumirent.
Les peuples de Thérouanne, de la Gueldre, du Brabant, du
Boulonnais n’avaient fait faire aucune soumission à César ; défendus par
leurs forêts, ils étaient jaloux de leur liberté. Quoique la saison fût fort
avancée, César, qui avait déjà le projet de passer l’Océan la campagne
suivante, marcha sur Thérouanne et se campa à l’entrée des forêts ; il y
fut mal accueilli par les naturels et ne parvint à les soumettre qu’en
abattant et brûlant les bois. Après cette course, qui n’eut pas de succès
complet, il mit ses troupes en quartiers d’hiver, et de sa personne se rendit
en Cisalpine. Ainsi se termina la troisième campagne des Gaules.
V. OBSERVATIONS. — Première
observation. — L’on ne peut que détester la conduite que tint
César contre le sénat de Vannes. Ces peuples ne s’étaient point
révoltés ; ils avaient fournis des otages, avaient promis de vivre
tranquilles : mais ils étaient en possession de toute leur liberté et de
tous leurs droits. Ils avaient donné lieu à César de leur faire la guerre
sans doute, mais non de violer le droit des gens à leur égard et d’abuser de
la victoire d’une manière aussi atroce. Cette conduite n’était pas
juste : elle était encore moins politique. Ces moyens ne remplissent
jamais leur but : ils exaspèrent et révoltent les nations. La punition
de quelques chefs est tout ce que la justice et la politique
permettent ; c’est une règle importante de bien traiter les prisonniers.
Les Anglais ont violé cette règle de politique et de morale
en mettant les prisonniers français sur des pontons ; ce qui les a
rendus odieux sur tout le continent.
Deuxième observation.
— La Bretagne,
cette province si grande et si difficile, se soumit sans faire des efforts
proportionnés à sa puissance. Il en est de même de l’Aquitaine et de la Basse Normandie.
Cela tient à des causes qu’il n’est pas possible d’apprécier ou de déterminer
exactement, quoiqu’il soit facile de voir que la principale était dans
l’esprit d’isolement et de localité qui caractérisait les peuples des Gaules.
A cette époque ils n’avaient aucun esprit national ni même de province ;
ils étaient dominés par un esprit de ville. C’est le même esprit qui depuis a
forgé les fers de l’Italie. Rien n’est plus opposé à l’esprit national, aux
idées générales de liberté, que l’esprit particulier de famille ou de
bourgade. De ce morcellement il résultait aussi que les Gaulois n’avaient
aucune armée de ligne entretenue, exercée, et dès lors aucun art ni aucune
science militaire. Aussi, si la gloire de César n’était fondée que sur la
conquête des Gaules, elle serait problématique.
Toute nation qui perdrait de vue l’importance d’une armée
de ligne perpétuellement sur pied, et qui se confierait à des levées ou des
armées nationales, éprouverait le sort des Gaules, mais sans même avoir la
gloire d’opposer la même résistance, qui a été l’effet de la barbarie d’alors
et du terrain, couvert de forêts, de marais, de fondrières, sans
chemins : ce qui le rendait difficile pour les conquêtes et facile pour la
défense.
Chapitre IV — Quatrième campagne (an 55 avant Jésus-Christ)
I. Incursion des Allemands en Belgique. — II. César passe le Rhin. — III.
Descente en Angleterre. — IV. Observations.
I. La nation suève
était la plus puissante de l’Allemagne ; divisée en cent cantons, chacun
fournissait 1.000 hommes armés, qui faisaient la guerre pendant une campagne
et qui étaient relevés tous les uns par d’autres. Elle était errante, ne
demeurait jamais plus d’un an dans la même contrée, aimait à s’environner de
déserts, vivait du lait, de la chair de ses troupeaux et de sa chasse. Les
hommes étaient robustes et d’une taille élevée, ils s’habillaient de peaux et
avaient encore, toutes les moeurs des tribus nées dans le grand désert.
Depuis trois ans cette nation s’était emparée du
territoire des peuples de Berg et de Zutphen, qui, vaincus, erraient dans
diverses contrées, lorsqu’ils prirent le parti de passer le Rhin à son
embouchure, au nombre de 450.000 âmes. Ils s’emparèrent des terres de la Gueldre et du Brabant,
et finirent par s’y établir dans l’hiver de l’année 54. La renommée exagéra
leur force et leur hombre, et déjà plusieurs peuples gaulois comptaient sur
leur assistance pour secouer le joug des Romains. César passa les monts de
bonne heure pour marcher à eux, reçut les députés qu’ils lui envoyèrent comme
il approchait de leur pays. Ils ne voulaient point faire la guerre ;
chassés de leur pays par d’injustes agresseurs, ils demandaient des terres
pour pouvoir s’y établir tranquillement et y vivre en paix. César leur refusa
leur demande et continua à marcher sur eux. Un corps de 5.000 hommes de
cavalerie gauloise s’étant approché de leur camp fut attaqué par 800 de ces
barbares, qui le défirent entièrement. Après cet exploit, qui ne pouvait
laisser aucun doute sur leur courage, les chefs et les vieillards se
portèrent au camp romain en suppliants. César les fit arrêter, fit prendre
les armes à son armée, marcha à l’heure même, attaqua et prit leur camp, Les
débris de ces malheureux peuples repassèrent le Rhin, spécialement une grande
partie de leur cavalerie, qui ne s’était pas trouvée à la bataille.
II. César demanda
aux peuples de la rive droite du Rhin qu’ils lui remissent cette cavalerie,
qui lui appartenait comme ayant fait partie d’une armée qu’il avait
défaite ; il éprouva un refus ; cela lui servit de prétexte : il
jeta un pont sur pilotis à Cologne, et passa le Rhin. Ses ingénieurs firent
enfoncer deux pilotis en amont, à 2 pieds[3]
l’un de l’autre, et deux en aval, à 40 pieds des premiers ; ces pilotis
avaient un pied et demi d’équarrissage ; ils les choisirent par une
poutre qui formait le chapeau et qui avait 2 pieds d’équarrissage.
Ils firent autant de piles que l’exigeait la largeur de la rivière. Des
madriers, des fascines formèrent le tablier du pont, qui fut construit en dix
jours, à compter du moment où les matériaux arrivèrent à pied d’œuvre. César
fut accueilli sur la rive droite du Rhin par les peuples de Cologne ;
mais les Suèves coururent aux armes, se réussirent en assemblée générale, et
se montrèrent très hostiles ; ce qui le décida à repasser le Rhin et à
brûler son pont, après avoir séjourné dix-huit jours sur la rive droite et
n’y avoir rien fait.
III. Du Rhin, César se rendit au port de
Boulogne : la floue de Vannes y était arrivée. Il embarqua, sur quatre-vingts
transports et quelques galères, la 7e et la 10e légion,
réunit sa cavalerie au port d’Étaples et en chargea dix-huit gros vaisseaux
de charge. Il osa s’assurer de la fidélité des Gaulois, se saisit d’un grand
nombre d’otages, et laissa Sabinus pour commander son armée. Il leva l’ancre
à dix heures du matin ; il mouilla sur le rivage d’Angleterre, mais devant
les côtes fort élevées, il rallia tout son convoi, et, à trois heures
après-midi, au moment où la marée devenait favorable, il leva l’ancre et se
porta à trois lieues de là, où il opéra sa descente sur une plage plate et
unie. Les habitants défendirent le débarquement avec opiniâtreté, mais ils
furent battus. Commius, roi d’Arras, qui avait précédé l’armée romaine pour
préparer les esprits, fut d’abord arrêté et mit en prison ; mais, depuis, les
barbares, épouvantés, le relâchèrent et le mirent à la tête des députés
qu’ils envoyèrent à César, qui leur accorda la paix moyennant qu’ils lui
donneraient des otages. Quatre jours après, les dix-huit bâtiments qui
portaient la cavalerie arrivèrent est vue des côtes ; mais, accueillie
par une furieuse tempête, ils devinrent les jouets de l’Océan. A la pleine
lune, de grandes marées inondèrent son camp, surtout sur la plage où étaient
échoués ses bâtiments, qui éprouvèrent beaucoup de dégâts. Ces deux accidents
malheureux, et surtout la vue du petit nombre de troupes dont était composée
l’armée romaine, encouragèrent les habitants, qui, revenus de leur première
surprise, ayant eu le temps de se concerter, coururent aux armes, surprirent
la 7e légion pendant qu’elle était au fourrage, et
l’enveloppèrent. La 10e légion arriva à temps pour la dégager. A
quelques jours de là les barbares attaquèrent avec force, mais vainement, le
camp des Romains, ils furent repoussés. César s’embarquai avec son armée et
arriva heureusement dans les Gaules quelques jours avant l’équinoxe. Le
mauvais succès de cette expédition, ainsi que celle sur la rive droite du
Rhin, fut l’objet des sarcasmes de ses ennemis et des jaloux qu’il avait à
Rome. Cependant le sénat ordonna vingt jours de prières publiques.
IV. OBSERVATIONS. — Première
observation. — Les deux incursions que tenta César dans cette
campagne étaient toutes les deux prématurées et ne réussirent ni l’une ni
l’autre. Sa conduite envers les peuples de Berg et de Zutphen est contre le
droit des gens. C’est en vain qu’il cherche dans ses Mémoires à colorer
l’injustice de sa conduite : aussi Caton le lui reproche-t-il hautement.
Cette victoire contre les peuples de Zutphen a été du reste peu
glorieuse ; car, quand même ceux-ci eussent passé le Rhin effectivement
au nombre 450.000 âmes, cela ne leur donnerait pas plus de 80.000
combattants, incapables de tenir telle à huit légions soutenues par les
troupes auxiliaires et gauloises, qui avaient tant d’intérêt à défendre leur
territoire.
Deuxième observation.
— Plutarque vante son pont du Rhin, qui lui paraît un prodige ; c’est un
ouvrage qui n’a rien d’extraordinaire et que toute armée moderne eût pu faire
aussi facilement. Il ne voulut pas passer sur un pont de bateaux, parce qu’il
craignait la perfidie des Gaulois et que ce pont ne vint à se rompre. Il en
construisit un sur pilotis en dix jours ; il le pouvait faire en peu de
temps : le Rhin, à Cologne, à 300 toises[4] ;
c’était dans la saison de l’année où il est le plus bas ; probablement
qu’il n’en avait pas plus de 250. Ce pont pouvait avoir cinquante travées,
qui, à cinq pilots par travée, font deux cent cinquante pilots : avec
six sonnettes il a pu les enfoncer en six jours, c’est l’opération la plus
difficile ; le placement des chapeaux et la construction du tablier sont
des ouvrages qui se font en même temps : ils sont d’une nature bien plus
facile. Au lieu de mettre ces cinq pilots comme il les à placer, il eût été préférable
de les planter tous les cinq à la suite les uns des autres, à 3 pieds de distance, en
les couronnant tous par un chapeau de 18 à 22 pieds de long. Cette
manière à l’avantage que, si un des pilots est emporté, les quatre autres
résistent et soutiennent les travées.
Troisième observation.
— C’est ainsi que l’ingénieur comte Bertrand l’a fait en 1809 sur le Danube,
à deux lieues au-dessous de Vienne, vis-à-vis de l’île Lobau. Le Danube est
une tout autre rivière que le Rhin. Ce premier fleuve de l’Europe a là 500
toises de large, 28 pieds
de profondeur. Le Rhin à Cologne, dans le moment où César le passa, n’avait
pas 13 pieds
de profondeur. L’ingénieur français construisit trois ponts sur pilotis,
enfonça 2.400 pilotis en vingt jours. Le Danube, vis-à-vis de l’île Lobau,
est séparé par une petite île : le premier bras avait 175 toises, l’île
50, et le deuxième bras 175 toises : total, 500 toises. Le grand courant
était dans le petit bras, qui allait sur la rive gauche. Il fit sur le grand
bras quarante-cinq travées, éloignées chacune de 6 toises : chaque
travée, supportée par six pilots couronnés par un chapeau, avait 20 pieds de longueur.
Les pilots étaient enfoncés de 10 pieds en terre et sortaient de 6 pieds au-dessus de
l’eau ; ils avaient 30 à 36 pieds de longueur. Quatre petites
sonnettes[5]
suffirent pour faire cet ouvrage en dix jours ; chaque sonnette était
portée sur un bateau ; le mouton pesait 600 livres. Les
chapeaux étaient assemblés par des boulons de fer de 18 pouces avec des
crampons. Les traverses et les croix de Saint-André étaient entaillées et
boulonnées. Il y eut plus de difficultés pour le petit bras : le courant
était extrêmement rapide ; il arrachait un pilot en une heure s’il
restait abandonné à lui-même ; il fallut l’attacher au bateau de la
sonnette aussitôt qu’il était enfoncé, en attendant le deuxième pilot et
qu’on les eût liés ensemble. On éprouvait aussi beaucoup de peine à faire
arriver le pilot au fond de l’eau : aussitôt qu’il touchait terre et qu’on
commençait à le battre, il était agité avec une telle violence qu’il mettait
le feu au bateau. Il eût été impossible de battre les pilots au milieu du
petit bras avec une sonnette ordinaire, l’ingénieur prit à Vienne des
sonnettes soutenues sur deux bateaux qui servaient au grand pont de cette
ville. Si l’on se fût servi de ces sonnettes tout d’abord, il eût achevé le
pont du petit bras en même temps que celui du grand bras, en dix jours. Le
tablier du pont fut chargé de grosses poutres pour diminuer l’oscillation
produite par la force du courant. Au moment où l’on construisait ce pont on
était en juin : la fonte des neiges avait fait croître le cours du Danube de
10 à 12 pieds ; un mois plus tard la construction du pont eût été plus
facile. Les pilotis avaient jusqu’à 50 pieds de long.
Pendant ces mêmes vingt jours, le général Bertrand fit, à
30 toises au-dessus, une estacade[6]
qu’il couronna ensuite par des chapeaux, sur lesquels il établit un tablier ;
ce qui forma un second pont de 8 pieds de large, pour l’infanterie et la
cavalerie. Les piles étaient composées seulement de trois pilots.
Enfin, à 600 toises plus haut, il établit une estacade
formée par un double rang de pilots, sur une longueur de 800 toises, qui
protégeait les deux ponts. Il construisit en outre deux ponts sur pilotis, de
50 toises, sur un petit bras qui traverse l’île Lobau, et un de 60 toises,
entre l’île et la rive gauche du fleuve. L’île Lobau avait 1.800 toises de
large. Le travail sur ces ponts équivaut à dix fois au moins celai de César :
il fut cependant fait en vingt jours, du moment où il fut ordonné ; avec
quelques sonnettes de plus, il aurait pu être fait en moins de dix jours.
Celui de César a été fait en dix jours, il compter du moment où les matériaux
étaient arrivés à pied d’œuvre. On a employé à ces ponts du Danube 900
poutres de 40 à 50 pieds
de long sur 2 pieds
d’équarrissage, et 1.500 poutres de 35 à 40 pieds sur 15 à 18 pouces[7]
d’équarrissage, 9.000 madriers de 36 pieds de long sur 9 pouces de largeur et 9
d’épaisseur.
Quatrième observation.
— Napoléon fit construire, en outre, un pont de bateaux de 80 toises d’une
seule pièce. Les pontonniers d’artillerie y employèrent vingt-deux pontons :
ils se servirent d’un bras de la rivière qui était couper par une île. Ils
lièrent ces vingt-deux pontons entre eux par des poutrelles : ils
construisirent le tablier, et la nuit de l’attaque ce pont descendit le long
de la rive française, fut amarré pur un de ses bouts et opéra sa conversion.
En très peu de minutes il fut amarré à la rive opposée. Les colonnes
d’infanterie défilèrent sur-le-champ au pas de charge, au grand étonnement et
à la grande surprise de l’ennemi, qui avait calculé avoir deux heures devant
lui.
Les ponts d’une seule pièce doivent être perfectionnés. Il
n’est pas nécessaire d’avoir un des bras de la rivière ; à la nuit
tombante les baquets peuvent arriver au bord de la rivière, y débarger les
pontons sur un terrain à plan incliné : en deux heures une compagnie de
pontonniers peut construire le pont sans employer ni clous ni marteaux, seulement
avec des vis. Le pont doit être alors jeté à l’eau par l’effort simultané de
4 ou 500 hommes ; il faut le faire aussitôt converger jusqu’à la rive
opposée, et à l’instant même la colonne d’infanterie débouchera en masse.
Peut-on jeter un pont d’une seule pièce sur des rivières
comme le grand bras du Rhin et le grand bras du Danube, avec des pontons
pesant 150 livres ? Si cela est possible, comme on est fondé à le
penser, il faudrait alors construire le pont dans l’eau le long de la rive,
aussi pendant la nuit, parce que, la rivière ayant plus de 200 toises de
largeur, l’ennemi placé sur la rive opposée ne pourra pas en apercevoir.
L’expérience fera connaître qu’il est nécessaire de soutenir le mouvement de
ce pont par trois ou quatre bateaux ancrés au milieu du courant, pour éviter
qu’il ne se rompe au moment où, par sa conversion, il touche la rive
opposée ; ou, si l’on pense que cela n’est pas nécessaire et que le
système d’assemblage étant bien entendu, il aura assez de force pour soutenir
ce choc, sauf plus tard à jeter quelques ancres pour diminuer l’effort du
courant sur le centre, en peu d’heures, de huit heures du soir à minuit, le passage de la rivière
sera effectué. Quel résultat !
Les bateaux peuvent contenir des tirailleurs qui, aussitôt
que le pont a commencé à converger, fassent feu en amont et en aval ; on
peut même y placer des pièces de 4 sur chandeliers et un tablier ou
pont-levis sur le devant.
Cinquième observation.
— Les gros bateaux de navigation sont plus propres que toute autre chose à la
construction des ponts provisoires sur les grandes rivières, sur les
derrières d’une armée, parce que les bateaux pris dans le pays sont en
général très grands et d’un excellent service ; mais les pontons sont
bien délicats pour servir aux ponts que l’on jette sur une rivière devant
l’ennemi : ils sont bien exposés à des accidents ; ils font de
l’eau. soit par l’effet de la sécheresse, soit par celui de la mitraille où
du boulet, et ils sont submergés si le poids qui passe dessus est trop
considérable, soit par un mouvement précipité d’infanterie, soit par la
réunion de plusieurs grosses pièces sur un point : enfin ils sont
transportés sur des haquets[8],
qui sont de toutes les voitures d’artillerie les plus incommodes, les plus
lourdes, puisque la moindre à 18 pieds de long et que le ponton ordinaire
en a jusqu’à 30 ; ce qui a l’inconvénient, 1° qu’ils n’en échappent
jamais aux regards des espions et des observateurs, et c’est cependant de
toutes les voitures de l’artillerie celles qu’il importerait le plus de
cacher à la connaissance de l’ennemi ; 2° qu’étant obligées d’approcher
les bords de la rivière avec beaucoup de silence pour ne pas donner l’éveil à
l’ennemi placé sur la rive opposée, elles ne le peuvent faire qu’avec les
plus grandes difficultés, parce qu’aux approches des fleuves il se trouve
souvent des marais, des flaques d’eau ou des digues.
Sixième observation.
- Il paraîtrait donc convenable, pour obvier à tous ces inconvénients, de
diviser le ponton en quatre bouées, chacune de 8 ou 9 pieds de long, ayant à
elles quatre la capacité d’un ponton propre à passer de grandes rivières, que
l’on réunirait entre elles par des crochets ; ce qui aurait l’avantage,
1° que ces bouées ne pèseraient pas plus de 5 ou 600 livres et seraient
dès lors très maniables ; 2° qu’elles pourraient être portées sur toutes
espèces de voitures, que l’observateur ne saurait les distinguer des autres
voitures d’artillerie ; 3° que la pile, se trouvant alors composée de
deux, trois ou quatre bouées, on peut, sans faire souffrir le service, en
retirer une pour la raccommoder. On pourrait ne composer les piles que de
deux ou trois bouées, lorsque l’on n’en aurait pas un assez grand nombre pour
compléter la pile à quatre bouées.
Septième observation.
— Ces bouées pourront s’enfoncer de quelques pouces dans l’eau sans que le
pont coure aucun danger. Ces quatre bouées, qui équivalent donc à un ponton,
n’auraient que la moitié de la rainent dia ponton; car, star t i pieds robes
que déplore tan ponton. 7ti Pieds par ponton vont pour la partie du ponton
qui est hors de l’eau, et qui ne doit jamais être submergée qu’en cas
imprévu, afin d’être à l’abri de tout. Ainsi quatre bouées de cuivre où de
bois, chacune de la capacité de 20 pieds cubes,
feront un meilleur service que le ponton actuel de 155 pieds cubes.
Huitième observation.
— Le liége pèse 16
livres par pied cube, l’eau 70 livres ; chaque
pied cube de liège peut porter 54 livres. Un ponton qui serait de liège et
tout plein pèserait 1.600
livres, déplacerait 100 pieds cubes
et pourrait porter 5.400 livres ; en ôtant 1.000 livres pour le
poids du tablier, fait de madriers ou de poutrelles, il resterait 4.400 livres, ce qui
est suffisant pour le passage des voitures de campagne. En partageant ce
ponton de liège en 4 bouées, chacune étant de 25 pieds cubes,
elles pèseraient 400
livres et porteraient 1.350 livres. Que
d’avantages n’aurait pas un pont fait ainsi ! Le choc des corps
étrangers, les différences de l’atmosphère, le feu du canon, ne le feraient
jamais submerger ; il aurait le vrai caractère d’une machine de guerre :
dureté, solidité, simplicité. Un pont ainsi composé, on pourrait, selon les
circonstances, le former d’une, deux, trois, quatre, cinq ou même six bouées
par pile, selon le nombre qu’on en aurait, la largeur de la rivière et le
besoin du service. Les voitures qui porteraient ces bouées ne seraient plus
obligées d’approcher de la rivière ; ces bouées pourraient être
facilement transportées à bras d’homme pendant l’espace de 100 ou 200 toises.
Neuvième observation.
— Les Orientaux se servent de peaux de bouc pour passer les rivières. Une
outre se compose de 9
pieds cubes et a une surface de 36 pieds carrés
de peaux, qui pèsent 18 livres ; dix de ces outres pèsent 180 livres, forment
une pile égale à un ponton de cuivre. Ainsi une voiture seule pourrait en
porter de quoi faire dix piles ou de quoi jeter un pont sur une rivière de 30
toises. On peut objecter la délicatesse de ces outres, qui peuvent si
facilement crever : mais la réponse est dans la composition de la pile,
qui, étant formée de dix outres, laisse peu de craintes à avoir.
12
livres de liège forment une ceinture qui s’attache
sous les aisselles et suffisent pour faire surnager un homme de manière qu’il
puisse faire usage de son fusil. Quelques-unes de ces ceintures, avec un
nombre égal de souliers de liège et de pantalons de toile imperméable,
seraient nécessaires dans chaque compagnie de pontonniers, tant pour leur
permettre de prendre les bateaux que pour leur donner plus d’assurance en
travaillant dans l’eau à la construction des ponts.
Dixième observation.
— Une ceinture de peau de bouc, composée de six parties contenant ensemble un
pied cube d’air, attachée sous les aisselles, fait surnager l’homme et ne
pèse qu’une demi-livre. La division en six compartiments à l’avantage que si
un, deux ou même trois viennent à crever, les trois autres suffisent pour
faire surnager l’homme. De pareilles ceintures, qui ne donnent aucun embarras
et n’ont aucun poids, seraient, ainsi que des souliers de liège et des pantalons
de toile imperméable, d’un fort bon usage pour être délivrés, selon les
circonstances, à de bons tirailleurs, pour manœuvrer sur des étangs, des bras
de rivière, des fossés, et il devrait en être délivré un certain nombre à
chaque compagnie d’infanterie. Il est surtout nécessaire d’avoir un grand
nombre de très bons nageurs dans chaque compagnie de cavalerie et
d’infanterie.
Onzième observation.
— César échoua sans son incursion en Allemagne, puisqu’il n’obtint pas que la
cavalerie de l’armée vaincue lui fut remise, pas plus qu’aucun acte de
soumission des Suèves, qui, au contraire, le bravèrent. Il échoua également
dans son incursion en Angleterre. Deux légions n’étaient pas
suffisantes ; il en eut fallu au moins quatre, et il n’avait pas de cavalerie,
arme qui était indispensable dans un pays comme l’Angleterre. Il n’avait pas
fait assez de préparatifs pour une expédition de cette importance ; elle
tourna à la confusion, et l’on considère comme un effet de sa bonne fortune
qu’il s’en était retiré sans perte.
Chapitre V — Cinquième campagne (an 54 avant Jésus-Christ)
I. Seconde descente en Angleterre. — II. La légion de Sabinus est égorgée
par les peuples de Liège. — III. Cicéron est assiégé dans son camp par les
peuples du Hainaut. — IV. Indutiomare, chef des peuples de Trèves, est tué. —
V. Observations.
I. Pendant l’hiver
César se rendit en Illyrie. Les Pirustes en ravageaient les frontières ;
mais, à son approche, ces peuples lui envoyèrent des ambassadeurs, payèrent
tous les dommages qu’ils avaient faits et fournirent des otages.
Les peuples de Trêves étaient partagés en deux factions
sous Indutiomare et Cingetorix : ce dernier était dévoué aux Romains. A
l’approche de César à la tête de six légions, ces peuples se soumirent et lui
donnèrent deux cents otages.
Vingt-huit galères et six cents bâtiments de transport
étaient prêts sur les côtes du Pas-de-Calais ; quarante, qui des ports
de la Belgique
se rendaient au point de réunion, furent assaillis par de gros temps et
dispersés dans la mer du Nord. César embarqua cinq légions et 2.000 chevaux,
laissant Labienus avec trois légions et 2.000 chevaux pour garder les côtes
et surveiller les Gaulois en son absence.
Il leva l’ancre au coucher du soleil, par un vent
sud-ouest qui manqua à minuit ; il aborda sur la même plage où il avait
abordé l’année précédente. Les barbares, intimidés à la vue d’une flottille
si nombreuse, ne défendirent pas le débarquement ; ils étaient campés à
quatre lieues dans l’intérieur des terres. César marcha à eux, les força, et,
comme il se préparait à suivre ses succès, il fut rappelé à son embarcadère
pour réparer le mal qu’une tempête avait fait éprouver à sa flottille :
quarante bâtiments avaient coulé bas ; presque tous étaient plus ou
moins endommagés. Il profita des dix jours qu’il lui fallut afin de remettre
ses bâtiments en état pour environner son camp d’un bon retranchement ;
il tira à terre tous ses bâtiments.
Cependant Cassivellannus, qui régnait sur la rive gauche
de la Tamise,
avait été nommé par les naturels du pays commandant de leur armée. Il
s’approcha du camp des Romains, ce qui donna lieu à divers combats où il fut
battu, rejeté au delà de la
Tamise, et fut poursuivi. César passa cette rivière de vive
force, s’empara de la capitale de Cassivellannus ; ce n’était qu’un bois
retranché. Il y avait loin de cette capitale à Londres ! Il fit
reconnaître Maudubratins pour roi des peuples des comtés d’Essex et de
Middlesex. Ce jeune homme était venu le trouver en Gaule, implorer sa
protection contre les ennemis de sa maison, qui avaient fait mourir son père.
Pendant ce temps les peuples du comté de Kent attaquèrent le camp romain, où
était renfermée la flottille, mais ils furent repoussés. Cependant l’équinoxe
d’automne s’approchait ; ce qui décida les Romains à s’embarquer et à
rentrer est Gaule.
César dit que les maisons de ces insulaires sont bâties
comme celles des Gaulois ; qu’ils ont quantité de bétail, que leur
monnaie est de cuivre ou de morceaux de fer ; qu’il y a des mines
d’étain dans l’intérieur, des mines de fer sur les côtes, mais peu
abondantes : qu’il n’y vient ni sapins ni hêtres ; qu’il leur est
défendu de manger des poules, des lièvres et des oies ; que le climat y
est plus tempéré que celui de la
Gaule ; qu’ils n’ensemencent pas leurs terres ;
qu’ils vivent du lait et de la chair de leurs troupeaux ; qu’ils se
peignent le corps avec des pastels, ce qui les rend comme du vert de
mer ; qu’ils laissent croître leurs cheveux et se rasent tout le corps,
excepté la tête et la lèvre supérieure ; qu’une femme y est commune à
dix ou douze frères ou parents.
II. La récolte
ayant été mauvaise, les vivres furent rares dans les Gaules, ce qui décida
César à étendre ses quartiers d’hiver : il plaça une légion dans le pays de
Thérouanne, une dans le Hainaut, sous les ordres de Cicéron, une en
Normandie, une dans le Rémois, trois sous les ordres de Labienus dans la Belgique ; la 8e
et cinq autres cohortes dans le pays de Liége, près de Tongres, entre la Meuse et le Rhin, sous les
ordres de Sabinus. L’esprit des Gaulois étant en fermentation, il jugea
nécessaire d’hiverner lui-même dans la Province. Un
seigneur chartrain descendant des souverains de ce pays, et que César avait
établi pour récompenser son attachement aux Romains, fut publiquement
assassina par ses compatriotes. Les Gaulois n’aimaient pas les rois imposés
par les étrangers. Il y avait seize jours que Sabinus avait retranché son
camp, lorsque Ambiorix et Cativolcus, chefs des pays de Liège, se
présentèrent pour l’insulter. Ayant été repoussé, Ambiorix parvint à persuader
à Sabinus que tous les Gaulois étaient révoltés et attaquaient à l’heure même
les divers quartiers d’hiver des Romains ; que, dans deux jours, les
Allemands arriveraient en grand nombre ; qu’il n’avait donc pas un
instant il perdre pour se retirer. Sabinus y ajouta foi, leva son camp à la
pointe du jour ; bientôt il fut enveloppé par les barbares ; ses
quinze cohortes furent entièrement égorgées, rien n’en échappa. Au dernier
moment, les soldats romains se tuèrent entre eux pour n’être pas victimes des
cruautés de leurs ennemis.
III. Après ce coup
de main, Ambiorix se rendit à Namur avec son armée, de là chez les peuples du
Hainaut, soulevant les Gaulois sur son passage. Partout on prit les armes :
bientôt, il eut une armée que grossirent les soldats de Courtray, de Bruges,
de Louvain, de Tournay, de Gand : il attaqua alors le camp de Cicéron.
Quelques soldats qui étaient hors du camp pour faire des fascines et du bois
furent massacrés, les autres coururent aux armes, repoussèrent l’assaut des
barbares. Cicéron employa toute la nuit à construire 120 tours avec le bois
qu’il avait dans le camp ; les ennemis donnèrent un nouvel assaut le
lendemain, comblèrent le fossé, mais ils furent encore repoussés ; ce
qui se renouvela pendant sept jours. Alors les Gaulois formèrent une
contrevallation, élevant un rempart de 11 pieds de haut, et
creusèrent un fossé de 15
pieds de profondeur. Ils n’avaient point
d’outils ; ils coupaient les gazons avec leurs épées, portaient la terre
dans leurs mains ou avec leurs habits ; ces lignes, qui avaient 5 lieues
de tour, furent achevées en trois heures. Les jours suivants ils élevèrent
des tours, préparèrent des faux, des tortues, imitant en tout l’art des
romains. Un grand vent s’étant élevé, ils lancèrent dans le camp des pots à
feu, des javelots avec des matières incendiaires, ils réussirent à mettre le
feu au camp. Ils profitèrent de ce moment pour donner au nouvel assaut, mais
sans succès ; ils approchèrent alors une tour des remparts, mais Cicéron
la leur brûla. Enfin un esclave gaulois parvint jusqu’à César avec une
lettre ; celui-ci était alors à Amiens ; il réunit deux légions et
vola au secours de son lieutenant. Un cavalier gaulois attacha une lettre de
César à son javelot et le lança dans le camp de Cicéron : le javelot
s’attacha à une tour, y demeura deux jours, et le troisième seulement il fut
découvert. Aussitôt que les assiégeants furent instruits de la marche des
Romains, ils levèrent le siége, et, au nombre de 60.000, marchèrent à leur
rencontre. César, n’ayant que 8.000 hommes, jugea prudent de camper, de se
retrancher et de se tenir renfermé dans son camp. Les barbares s’enhardirent,
insultèrent les Romains, qui alors sortirent par toutes les portes, tombèrent
sur eux et les mirent en déroute, et le même jour il rejoignit Cicéron. A la
revue de la légion, les neufs dixièmes se trouvèrent blessés. De là César se
reporta à Amiens pour y passer son quartier d’hiver. Toutes les Gaules
étaient en fermentation. Les habitants de Sens, mécontents d’un roi que leur
avait donné César, voulurent le faire mourir et déclinèrent la juridiction de
César. Les peuples d’Autun et de Reims seuls restèrent fidèles.
IV. Indutiomare, de
Trèves, sollicitait, les peupler d’Allemagne de passer le Rhin ; il leur
disait que les meilleures troupes de l’armée romaine étaient détruites ;
qu’il fallait qu’ils vinssent soutenir les Gaulois. Assuré des peuples de
Namur, du Hainaut. de Chartres, de Liège, il se mit en campagne et assaillit
la légion de Labienus, qui campait dans une position avantageuse. Labienus se
laissa insulter plusieurs jours par les barbares ; mais, lorsqu’il eut
reçu la cavalerie que lui envoyaient les alliés fidèles, il fit une sortie,
défit les ennemis, tua Indutiomare ; ce qui remit un peu de tranquillité
dans les Gaules.
V. OBSERVATIONS — Première
observation. — La seconde expédition de César en Angleterre
n’a pas eu une issue plus heureuse que la première, puisqu’il n’y a laissé
aucune garnison ni aucun établissement, et que les Romains n’en ont pas été
plus maîtres après qu’avant.
Deuxième observation.
- Le massacre des légions de Sabinus est le premier échec considérable que
César ait reçu en Gaule.
Troisième observation.
- Cicéron a défendu pendant plus d’un mois avec 5.000 hommes, contre une
armée dix fois plus forte, un camp retranché qu’il occupait depuis quinze
jours : serait-il possible aujourd’hui d’obtenir un pareil résultat ?
Les bras de nos soldats ont autant de force et de vigueur
que ceux des anciens Romains ; nos outils de pionnier sont les mêmes,
nous avons un agent de plus, la poudre ; nous pouvons donc élever des
remparts, creuser des fossés, couper des bois, bâtir des tours en aussi peu
de temps et aussi bien qu’eux. Mais les armes offensives des modernes ont une
tout autre puissance, et agissent d’une manière tout autre que les armes
offensives des anciens.
Les Romains doivent la constance de leur sûreté à la
méthode, dont ils ne se sont jamais départis, de camper tous les soirs dans
un camp fortifié, de ne jamais donner bataille sauf avoir derrière eux un
camp retranché pour leur servir de retraite et renfermer leurs magasins,
leurs bagages et leurs blessés. La nature des armes dans ces siècles était
telle, que, dans ces camps, ils étaient non seulement à l’abri des insultes
d’une armée égale, mais même d’une armée supérieure ; ils étaient les
maîtres de combattre ou d’attendre une occasion favorable. Marius est
assailli par une nuée de Cimbres et de Teutons : il s’enferme dans son
camp, y demeure jusqu’au jour où l’occasion se présente favorable ; il
sort alors, précédé par la victoire. César arrive près du camp de
Cicéron ; les Gaulois abandonnent celui-ci et marchent à la rencontre du
premier ; ils sont quatre fois plus nombreux : César prend position, en
peu d’heures retranche son camp, y essuie patiemment les insultes et les
provocations d’un ennemi qu’il ne veut pas combattre encore. Mais l’occasion
ne tardé pas à se présenter belle ; il sort alors par toutes les portes
: les Gaulois sont vaincus.
Pourquoi donc une règle si sage, si féconde en grands résultats,
a-t-elle été abandonnée par les généraux modernes ? Parce que les armes
offensives ont changé de nature, les armes de main étaient les armes
principales des anciens : est avec sa courte épée que le légionnaire a vaincu
le monde; C’est avec la pique macédonienne qu’Alexandre a conquis l’Asie.
L’arme principale des armées modernes est l’arme de jet, le fusil, cette arme
supérieure à tout ce que les hommes ont jamais inventé : aucune arme
défensive ne peut en parer l’effet. Les cottes de mailles, les cuirasses, les
boucliers, devenus impuissants, ont été abandonnés. Avec cette redoutable
machine, un soldat peut, en un quart d’heure, blesser ou tuer 60
hommes ; il ne manque jamais de cartouches, parce qu’elles ne pèsent que
six gros ; la balle atteint à 500 toises ; elle est dangereuse à
190 toises, très meurtrière à 90 toises.
De ce que l’arme principale des anciens était l’épée ou la
pique, leur formation habituelle a été l’ordre profond. La légion et la
phalange, dans quelque situation où elles fussent attaquées, soit de front,
soit par le flanc droit ou par le flanc gauche, faisaient face partout sans
aucun désavantage : elles ont pu camper sur des surfaces de peu d’étendue,
afin d’avoir moins de peine à en fortifier les pourtours et pouvoir se garder
avec le plus petit détachement. Une armée consulaire, renforcée par des
troupes légères et des auxiliaires, forte de 24.000 hommes d’infanterie, de
1.800 chevaux, en tout près de 30.000 hommes, campait dans un carré de 330
toises de côte, ayant 1.344 toises de pourtour, ou 21 hommes par toise ;
chaque homme portant trois pieux, ou soixante-trois pieux par toise courante.
La surface du camp était de 12.000 toises carrées, trois toises et demie par
homme ; en ne comptant que les deux tiers des hommes, parce qu’au
travail cela donnait quatorze travailleurs par toise courante : en
travaillant chacun trente minutes au plus, ils fortifiaient leur camp et le
mettaient hors d’insulte.
De ce que l’arme principale des modernes est l’arme de
jet, leur ordre habituel à dû être l’ordre mince, qui seul leur permet de
mettre en jeu toutes leurs machines de jet, ces armes atteignant à des
distances très grandes, les modernes tirent leur principal avantage de la
position qu’ils occupent ; s’ils dominent, s’ils enfilent, s’ils prolongent
l’armée ennemie, elles font d’autant plus d’effet. Une armée moderne doit
donc éviter d’être débordée, enveloppée, cernée ; elle doit occuper un
camp ayant un front aussi étendu que sa ligne de bataille elle-même ; si
elle occupait une surface carrée et un front insuffisant à son déploiement,
elle serait cernée par une armée de force égale, et exposée à tout le feu de
ses machines de jet, qui convergeraient sur elle et atteindraient sur tous
les points du camp, sans qu’elle pût répondre à un feu si redoutable qu’avec
une petite partie du sien. Dans cette position, elle serait insultée, malgré
ses retranchements, par une armée égale en force, même par une armée
inférieure. Le camp moderne ne peut dire défendu que par l’armée elle-même,
et, en l’absence de celle-ci, il ne saurait dire gardé par un simple
détachement.
L’armée de Miltiade à Marathon, ni celle d’Alexandre à
Arbelles, ni celle de César à Pharsale, ne pourraient maintenir leur champ de
bataille contre une armée moderne d’égale force : celle-ci, ayant un ordre de
bataille étendu, déborderait les deux ailes de l’armée grecque ou
romaine ; ses fusiliers porteraient à la fois la mort sur son front et
sur ses deux flancs ; car les armés à la légère, sentant l’insuffisance
de leurs flèches et de leurs frondes, abandonneraient la partie pour se
réfugier derrière les pesamment armés, qui alors, l’épée ou la pique à la
main, s’avanceraient au pas de charge pour se prendre corps à corps avec les
fusiliers ; mais, arrivés à 120 toises, ils seraient accueillis, par
trois côtés, par un feu de ligne qui porterait le désordre et affaiblirait
tellement ces braves et intrépides légionnaires, qu’ils ne soutiendraient pas
la charge de quelques bataillons en colonne serrée qui marcheraient alors à
eux la baïonnette au bout du fusil. Si, sur le champ de bataille, il se
trouve un bois, une montagne, comment la légion ou la phalange pourra-t-elle
résister à cette nuée de fusiliers qui s’y seront placés ? Dans les
plaines rases même, il y a des villages, des maisons, des fermes, des
cimetières, des murs, des fosses, des haies ; et, s’il n’y en a pas, il
ne faudra pas un grand effort de génie pour créer des obstacles et arrêter la
légion ou les phalanges sous le feu meurtrier qui ne tarde point à la détruire.
On n’a point fait mention des soixante ou quatre-vingts bouches à feu qui
composent l’artillerie de l’armée moderne, qui prolongeront les légions ou
phalanges de la droite à la gauche, de la gauche à la droite, du front à la
queue, vomiront la mort à 500 toises de distance, les soldats d’Alexandre, de
César, les héros de la liberté d’Athènes et de Rome, fuiront en désordre,
abandonnant leur champ de bataille à ses demi-dieux armés de la foudre de
Jupiter. Si les Romains furent presque constamment battus par les Parthes,
c’est que les Parthes étaient tous armés d’une arme de jet supérieure à celle
des armes à la légère de l’armée romaine, de sorte que les boucliers des
légions ne la pouvaient parer. Les légionnaires, armés de leur courte épée,
succombaient sous une grêle de traits, à laquelle ils ne pouvaient rien
opposer, puisqu’ils n’étaient armés que de javelots (ou pilum).
Aussi, depuis ces expériences funestes, les Romains donnèrent cinq javelots (ou hasta), traits de trois pieds de long, à
chaque légionnaire, qui les plaçait dans le creux de son bouclier.
Une armée consulaire renfermée dans son camp, attaquée par
une armée moderne d’égale force, en serait chassée sans assaut et sans en
venir à l’arme blanche ; il ne serait pas nécessaire de combler ses
fossés, d’escalader ses remparts : environné de tous côtés par l’armée
assaillante, prolongé, enveloppé, enfilé par les feux, le camp serait l’égout
de tous les coups, de toutes les balles, de tous les boulets ;
l’incendie, la dévastation et la mort ouvriraient les portes et feraient
tomber les retranchements. Une armée moderne, face dans un camp romain,
pourrait d’abord, sans doute, faire jouer toute son artillerie ; mais,
quoique égale à l’artillerie de l’assiégeant, elle serait prise en rouage et
promptement réduite au silence ; une partie seule de l’infanterie
pourrait se servir de ses fusils ; mais elle tirerait sur une ligne
moins étendue, et serait bien loin de produire son effet équivalent au mal
qu’elle recevrait. Le feu du centre à la circonférence est nul : celui de la
circonférence au centre est irrésistible.
Une armée moderne, de force égale à une armée consulaire,
aurait vingt-six bataillons de 840 hommes, formant 22.840 hommes
d’infanterie ; quarante-deux escadrons de cavalerie, formant 5.040
hommes ; quatre-vingt-dix pièces d’artillerie servies par 2.500 hommes.
L’ordre de bataille moderne, étant plus étendu, exige une plus grande
quantité de cavalerie pour appuyer les ailes, éclairer le front. Cette armée
en bataille, rangée sur trois lignes, dont la première serait égale aux deux
autres réunies, occuperait un front de 1.500 toises sur 500 toises de
profondeur, le camp aurait un pourtour de 4.500 toises, c’est-à-dire triple
de l’armée consulaire ; il n’aurait que 7 hommes par toise d’enceinte,
mais il aurait 25 toises carrées par homme : l’armée tout entière serait
nécessaire pour le garder. Une étendue aussi considérable se trouvera
difficilement sans qu’elle soit dominée à portée de canon par une
hauteur : la réunion de la plus grande partie de l’artillerie de l’armée
assiégeante sur ce point d’attaque détruirait promptement les ouvrages de
campagne qui forment le camp. Toutes ces considérations ont décidé les
généraux modernes à renoncer au système des camps retranchés, pour y suppléer
par celui des positions naturelles bien choisies. A-t-on eu tort ?
A-t-on eu raison ?
Un camp romain était placé indépendamment des localités :
toutes étaient bonnes pour des armées dont toute la force consistait dans les
armes blanches ; il ne fallait donc ni coup d’œil ni génie militaire
pour bien se camper ; au lieu que le choix des positions, la manière de
les occuper et de placer les différentes armes, en profitant des
circonstances du terrain, est un art qui fait une partie du génie du
capitaine moderne.
La tactique des armées modernes est fondée sur deux
principes : 1° qu’elles doivent occuper un front qui leur permette de mettre
en action avec avantage toutes leurs armes de jet ; 2° qu’elles doivent
profiter avant tout l’avantage d’occuper des positions qui dominent,
prolongent, enfilent les lignes ennemies, à l’avantage d’être couvertes par
un fossé, un parapet ou toute autre pièce de la fortification de campagne.
La nature des armes décide de la composition des armées,
des plans de campagne, des marches, des positions, du campement, des ordres
de bataille, du tracé et des profils des places fortes ; ce qui met une
opposition constante entre le système de guerre des anciens et celui des
modernes. Les armes anciennes voulaient l’ordre profond ; les modernes,
l’ordre mince ; les unes, des places fortes saillantes, ayant des tours
et des murailles élevées ; les autres, des places rasantes, couvertes
par des glacis de terre, qui masquent la maçonnerie ; les premières, des
camps resserrés, où les hommes, les animaux et les magasins étaient réunis
comme dans une ville ; les autres, des positions étendues.
Si l’on disait aujourd’hui à un général : Vous aurez,
comme Cicéron, sous vos ordres 5.000 hommes, seize pièces de canon, 5.000
outils de pionniers, 5.000 sacs à terre : vous serez à portée d’une
forêt, dans un terrain ordinaire ; dans quinze jours vous serez attaqué
par une armée de 60.000 hommes, ayant cent vingt pièces de canon ; vous
ne serez secouru que quatre-vingts ou quatre-vingt-treize heures après avoir
été attaqué. Quels sont les ouvrages, quels sont les tracés, quels sont les
profils que l’art lui prescrit ? L’art de l’ingénieur a-t-il des secrets
qui puissent satisfaire à ce problème ?
Chapitre VI — Sixième campagne (an 53 avant Jésus-Christ)
I. Guerres contre Sens, Chartres, Trèves et Liège. — II. Second passage
du Rhin. — III. César poursuit vivement Ambiorix. — IV. Observations.
I. César leva deux
nouvelles légions en Italie, Pompée lui en donna une ; ce qui répara ses
pertes, et même accrut son armée, qui se trouve forte de dix légions.
La mort d’Indutiomare n’avait pas mis fin à son
parti ; il dominait dans Trèves. Ces peuples, ligués avec les peuples du
Hainaut, de Namur, de la
Gueldre, de Sens, de Chartres, et assurés de plusieurs
peuples allemands qui devaient passer le Rhin, s’insurgèrent ; mais,
sans attendre la fin de l’hiver, César se porta avec quatre légions dans le
Hainaut : il obligea les habitants à lui donner des otages, convoqua les
états des Gaules à Paris au lieu de Sens ; les confédérés n’y parurent
pas. Il marcha contre les peuples de Sens, et après contre ceux de
Chartres ; les uns et les autres implorèrent sa clémence et lui remirent
des otages. Il entra en Gueldre et dans le pays de Trèves avec six légions,
qu’il partagea en trois corps, ravagea et brûla tout le pays. Les peuples se
soumirent. Labienus, étant dans le pays de Trèves avec trois légions, feignit
d’être épouvanté, leva son camp, se laissa poursuivre avec vivacité par les
habitants, mais fit volte-face dans une position avantageuse, les mit dans
une déroute totale. Tout le pays de Trèves fut remis à Cingetorix, partisan
des Romains. Les Allemands, qui avaient déjà passé le Rhin, se retirèrent
chez eux, au bruit de la défaite de leurs alliés des Gaules.
II. César les
suivit, jeta un pont sur le Rhin près de Cologne, un peu au-dessus du lieu où
il l’avait jeté précédemment. Les Suèves, à son approche, se retirèrent au
milieu des marais et des forêts au delà des montagnes de la Thuringe ; les
Romains n’eurent garde de s’enfoncer dans les contrées aussi reculées ;
après quelques jours, ils repassèrent sur la rire gauche. Ils établirent une
tour à quatre étages, mais sur la rive gauche, avec douze cohortes de
garnison, pour imposer à ces barbares. Ils coupèrent 30 toises du pont sur la
rive droite, tant ils redoutaient le courage de ces peuples. Il paraît que
dans ce siècle une transmigration de peuples eut lieu des grands déserts en
Allemagne, César dit : Jadis les Gaulois étaient plus braves que les Allemands et
avaient l’habitude de passer le Rhin pour établir des colonies sur la rive
droite ; mais, depuis qu’ils se sont amollis, les Allemands sont
tellement plus braves, qu’on ne peut plus établir de comparaison. Les
Allemands n’ont ni druides ni sacrifices humains ; leurs dieux sont le
Soleil et la Lune ;
ils passent leur vie à la chasse ou à la guerre ; ils estiment les
hommes qui n’ont de la barbe que tort tard ; ils ne vivent avec les
femmes qu’après l’âge de vingt ans ; ils n’ont pas de terres
fixes ; c’est un honneur pour eux d’être environnés de déserts, ce qu’ils
regardent comme un témoignage de leur valeur. Chaque année, chaque peuple
élit son chef. Le droit de l’hospitalité et sacré chez eux. La forêt Noire a
neuf marches de longueur ; elle tend de Spire à la frontière de la Suisse ; il y a des
Allemands qui disent avoir marché soixante jours sans pouvoir découvrir où
elle finit ; elle nourrit des bêtes qu’on ne voit pas ailleurs.
Il dit aussi : Il
n’y a que deux sortes de personnes dans les Gaules qui aient de la
considération, les druides et les nobles. Le peuple est comme esclave ;
il n’entre jamais au conseil ; il est accablé d’impôts et opprimé par
les grands. Les druides font les sacrifices, élèvent la jeunesse, jugent au
civil et au criminel ; ils excluent de la participation à leurs
sacrifices (c’était une
espèce d’excommunication fort redoutée). Ils
n’ont qu’un chef, qui est élu par une assemblée tenue dans le pays chartrain.
Les druides ne vont pas à la guerre, ne payent pas d’impôts, sont exemptés de
toute charge. Ils font apprendre par cœur une grande quantité de vers qu’ils
ne permettent pas qu’on écrive ; ils croient à l’immortalité de l’âme et
à la métempsycose. Les Gaulois sont superstitieux. Les druides font des
sacrifices humains pour apaiser les dieux ; ils préfèrent les voleurs,
mais, à leur défaut, tout leur est bon ; ils adorent Jupiter, Apollon,
Mercure, Mars, Minerve. Les enfants ne paraissent jamais devant leur père
avant qu’ils aient porté les armes. La considération des nobles s’établit par
le nombre d’hommes armés qu’ils ont à leur suite ; ils sont tous
militaires.
III. Après avoir
repassé le Rhin, César traversa la forêt des Ardennes, û la poursuite
d’Ambiorix ; mais celui-ci lui échappa. Cativolcus, le collègue d’Ambiorix,
qui avait tant contribué aux désastres de Sabinus, étant d’un âge fort
avancé, s’empoisonna avec de l’if, ne voulant ni tomber entre les mains des
Romains, ni s’exposer aux fatigues d’une vie errante. César réunit tous ses
bagages dans le château de Tongres, dans le lieu même où avait eu lieu,
l’année précédente, la catastrophe de Sabinus ; les restes de son camp
existaient encore. Il y laissa la 14e légion et 600 chevaux sous
les ordres de Cicéron ; il envoya trois légions dans le pays de Namur,
trois dans le Brabant, et se mit avec le reste à la poursuite d’Ambiorix, qui
s’était réfugié à l’extrémité de la forêt des Ardennes. Cependant, voulant
assouvir sa vengeance sur les peuples de Liége, il invita tous les peuples
voisins à en venir piller le territoire. Plusieurs milliers d’Allemands
accoururent, attirés par l’appât du pillage : mais, ayant appris, comme
ils s’en retournaient chez eux, que Cicéron gardait les trésors de l’armée
avec une seule légion, ils marchèrent à son camp pour l’attaquer. Ils y
arrivèrent au moment ou cinq cohortes étaient au fourrage, à trois mille du
camp ; elles furent coupées ; la moitié seulement put se faire jour
et y rentrer ; le reste fut tué. Le camp de Cicéron était exposé, et il
eût été forcé si la cavalerie de César ne fût arrivée le lendemain, de retour
de la poursuite d’Ambiorix. Les Allemands repassèrent le Rhin. Quelques
efforts que fit encore César pendant plusieurs mois et à quelque extrémité
qu’il se portât contre ces peuples, sa haine fut impuissante, et Ambiorix
échappa à ses recherches. Enfin, après avoir mis son armée en quartiers
d’hiver à Trèves, à Langres et à Sens, il quitta les Gaules et se rendit en
Lombardie.
IV. OBSERVATIONS. — Le second passage du Rhin
qu’effectua César n’a pas eu plus de résultat que le premier ; il ne
laissa aucune trace en Allemagne ; il n’osa pas même établir une
forteresse en forme de tête de pont. Tout ce qu’il raconte de ces pays, les
idées obscures qu’il en a, font connaître à quel degré de barbarie était
encore alors réduite cette partie du monde, aujourd’hui si civilisée. Il n’a
également sur l’Angleterre que des notions fort obscures.
Chapitre VII — Septième campagne (an 52 avant Jésus-Christ)
I. Révolte générale des Gaules. — II. Siège de Bourges. — III. Siége de
Clermont. — IV. Soulèvement d’Autun. — V. Siége d’Alise. Vercingétorix est
fait prisonnier. — VI. Observations.
I. Les Romains ne
dissimulaient plus leur projet de réduire les Gaules en provinces ; ils
avaient dans chaque ville un parti qu’ils cherchaient par tous les moyens à
rendre dominant. Les Gaulois frémissaient à la vue des dangers que courait
leur liberté. Dans les années précédentes, César s’était aperçu de leur
extrême fermentation : il avait pris un grand nombre d’otages, moyen peu
efficace ; le besoin du service attirait toujours beaucoup d’officiers
des légions romaines dans les villes, lesquels, au moment de l’insurrection,
répondaient des otages. Au commencement de l’an 52, l’insurrection éclata de
tous côtés. Les Chartrains donnèrent le signal : ils entrèrent dans Orléans,
massacrèrent les chevaliers romains, entre autres l’intendant des vivres de
l’armée, qui était rendu coupable d’exactions. Les Auvergnats l’apprirent le
même jour par les cris des hommes placés de distance en distance sur la
route. Vercingétorix, jeune seigneur de Clermont, se montra à la tète des
insurgés. Il fut d’abord chassé de la ville comme un jeune insensé qui
compromettait le salut de tous ; mais bientôt après il se créa une
armée, rentra de vive force dans Clermont et fut proclamé roi. Les peuples de
Paris, de l’Anjou et de la
Touraine se rangèrent sous ses drapeaux. Il passa alors la Loire, insurgea le Berry :
il y était secrètement appelé par les habitants, qui firent semblant de
demander des secours aux Autunois, leurs alliés. Ceux-ci envoyèrent un corps
de cavalerie ; mais l’officier qui le commandait, arrivé sur les bords
de la Loire,
instruit des sentiments secrets des habitants, rétrograda. César accourut en
toute hâte de la Cisalpine;
il se rendit d’abord à Narbonne. C’était au cœur de l’hiver. Il traversa les
Cévennes et le Vivarais, entra dans l’Auvergne. Vercingétorix accourut à la
défense de sa patrie. Mais déjà César s’était rendu à Vienne et à Langres, où
étaient ses légions. Il se mit à leur tête, entra dans le Bourbonnais, se
présenta devant Orléans, passa la
Loire, cerna la ville, la prit, la brûla, en égorgea les
habitants, entra dans le Berry, assiégea et prit Neuvy, et mit le siégé
devant Bourges, la capitale.
II. La saison était
peu avancée ; le temps était humide. Bourges était environné de marais.
Vercingétorix, désespérant de résister de vive force. fit mettre le feu à
toutes les villes et villages, métairies et moissons de la province, afin
d’affamer l’armée romaine. Dans un seul jour, douze villes furent la proie
des flammes. Cependant les habitants de Bourges, ville riche, grande et
populeuse, se refusèrent à incendier leur ville, mais ils se chargèrent de la
défendre. César l’investit, couvrit son camp d’une double ligne de
circonvallation et de contrevallation dans la partie de la ville non couverte
par les marais, et commença les opérations du siège. Vercingétorix, avec une
armée nombreuse, se campa à cinq lieues, inquiétant tous ses convois et sa
circonvallation. Les Romains élevèrent en vingt-cinq jours une terrasse de
320 toises de base sur 80 de haut. qui dominait les murailles de la ville.
Vercingétorix y jeta par les marais un renfort de 10.000 hommes et s’avança
avec sa cavalerie pour seconder la sortie des assiégés. César crut l’occasion
favorable pour forcer le camp des Gaulois ; il s’y porta. Les soldats
demandèrent le signal de l’attaque, mais il était trop bien fortifié par la
nature et par l’art. César retourna dans ses lignes sans avoir rien fait.
Cependant les assiégés, secondés par Vercingétorix, firent une sortie ;
ils se battirent avec fureur, mais furent repoussés. Peu après César donna
l’assaut, entra dans la place, brûla, pilla et égorgea 40.000 hommes ;
800 seulement se sauvèrent. Ce succès paraissait devoir entraîner la perte du
parti gaulois ; il en fut autrement : il exalta les esprits ; la
partie était trop bien liée. Le chef des Agénois, alliés du peuple romain,
les abandonna, rejoignit lui-même avec un corps considérable le camp Gaulois.
Vercingétorix fut accusé, dans le conseil de la nation, de trahison ; il
se défendit avec succès. Il répondit qu’il avait été d’avis de brûler
Bourges, parce qu’il était convaincu de l’impossibilité de résister à l’art
qu’avaient les Romains de faire les siéges. Il sortit de cette accusation
plus puissant et plus accrédité que jamais. L’armée romaine avait souffert,
pendant le siège de Bourges, de la disette ; elle avait été privée de
pain et obligée de se nourrir de viande. Mais elle trouva dans Bourges des
magasins considérables. Le printemps commençait ; le retour de la bonne
saison favorisa la chasse que César donna aux naturels, qui étaient réfugiés
au milieu de leurs marais et de leurs bois.
III. Après le siège
de Bourges, César envoya Labienus avec quatre légions sur la Seine, et se porta à la
tête des six autres en Auvergne, passa l’Allier en présence de Vercingétorix,
campa devant Clermont ; l’armée gauloise l’avait prévenu et occupait les
hauteurs. Cependant l’armée des Autunois, sous Litavicus, s’était déclarée
contre les Romains et marchait au secours de Clermont. César alla avec quatre
légions à sa rencontre, le trouva à huit lieues de son camp, eut recours aux
négociations et parvint à décider cette armée à s’en retourner à Autun.
Litavicus et ses principaux officiers se jetèrent dans Clermont. Cependant
les Autunois, aussitôt qu’ils avaient appris l’insurrection de Litavicus,
avaient fait main basse sur tous les Romains qui se trouvaient dans leur
territoire, et s’étaient emparés de tous les magasins des négociants
romains ; mais ils se soumirent lorsqu’ils apprirent ce qui était arrivé
à Litavicus, et s’excusèrent de leur mieux. Sur ces entrefaites, une attaque
des Romains sur Clermont manqua ; les troupes s’engagèrent plus que leur
général ne le voulait. Elles éprouvèrent une perte sensible ; ce qui
décida César à lever le siège.
IV. A cette
nouvelle, les Autunois prirent leur parti : Il
est honteux pour nous, disaient-ils, de
ne pas faire cause commune avec le reste des Gaulois, qui combattent pour
leur liberté. Nevers était une de leurs villes où étaient les
otages de la Gaule,
ses magasins, ses trésors, ses bagages et les remontes de l’armée
romaine ; ils s’emparèrent de tout, transportèrent les otages à Autun,
où Litavicus entra en triomphe. Le sénat conclut un traité avec
Vercingétorix. Tous les marchands romains furent arrêtés ; les Autunois
brûlèrent toutes celles de leurs villes qu’ils ne crurent pas pouvoir garder,
entre autres Nevers.
Il ne restait que deux partis à César, payer d’audace ou
retourner dans la Province
romaine : le deuxième parti eût tout perdu ; mais le premier était fort
hasardeux. Après plusieurs jours de marches forcées, il passa la Loire à gué et se dirigea
sur Sens. Labienus avait marché sur Paris ; les Parisiens avaient levé
une armée sous le commandement de Camulogène, Gaulois du Maine, qui, quoique
fort âgé, avait une grande réputation militaire. Il s’était campé derrière le
marais qui couvrait Paris. Labienus voulut traverser le marais. Mais il y
trouva tant de difficultés qu’il y renonça. Il décampa et se porta à Melun :
cette ville est située dans une île de la Seine ; il y trouva cinquante
bateaux ; il fit passer la rivière à ses troupes et retourna sur Paris
en suivant la rive droite. Alors les Gaulois mirent le feu à Paris, rompirent
les ponts et campèrent sur l’autre rive, vis-à-vis de Labienus. Ils savaient
que César avait échoué à Clermont, que les Autunois s’étaient insurgés, que
la cause sainte de la Gaule
triomphait enfin. Labienus songea alors à se joindre à César ; il fit
descendre les cinquante bateaux, dont il s’était emparé, à une lieue sous
Paris, près d’Auteuil, passa la
Seine et se campa sur la hauteur de Vaugirard. Cependant
l’armée parisienne descendit la rive gauche et se trouva en présence de
l’armée romaine ; on en vint aux mains : la 7e légion enfonça
une aile des Parisiens. Camulogène fit tout ce qu’il fallait pour donner la
victoire à son parti, mais il ne put résister à l’impétuosité romaine ;
il fut glorieusement tué. Cette victoire ouvrit à Labienus le chemin de Sens,
où il joignit César.
Les Autunois, fiers de leur puissance, prétendaient avoir
la direction de la guerre et le commandement supérieur ; mais le conseil
général des Gaulois fut contraire à leurs désirs : le commandement fut
confirmé à Vercingétorix, qui leva 15.000 hommes de cavalerie et réitéré
l’ordre de tout brûler afin d’affamer les Romains. Il envoya 10.000 hommes et
800 chevaux pour attaquer la
Savoie et le Dauphiné, pays annexé à la Province romaine, et
une armée composée d’Auvergnats et de Languedociens pour ravager la frontière
de la Province
romaine du côté du Languedoc : vingt-deux cohortes romaines les défendaient.
Dans ce temps César reçut un renfort de cavalerie allemande, peu nombreux,
mais composé d’intrépides soldats. Il se porta sur la frontière du pays de
Langres pour se trouver à portée de la Province romaine, attaquée de tous côtés.
Vercingétorix le suivit avec une armée nombreuse et attaqua César en
marche ; mais, quoique celui-ci n’eût eu que le temps de placer les
bagages entre les légions et de se ranger en bataille, Vercingétorix fût
battu et obligé de rentrer dans son camp. Craignant d’y être forcé, il se
retira à Alise, place forte située en Bourgogne, dans l’Auxois, près de
Montbard, lieu devenu célèbre : c’est là que s’est décidée la destinée des
Gaules.
V. César le suivit,
investit la ville et l’armée gauloise par une circonvallation de 11.000
toises. Alise est située sur un mamelon escarpé, il y avait au pied une
plaine d’une lieue et demie de longueur ; tous les environs étaient
coupés par des collines. La contrevallation des Romains fut fortifiée par
vingt-trois forts. Divers combats de cavalerie eurent lieu pendant le travail
des lignes, qui furent presque tous au détriment des Gaulois. Lorsque
Vercingétorix s’aperçut que les lignes étaient sur le point d’être achevées,
il congédia sa cavalerie, qu’il ne pouvait plus nourrir, ordonna à chaque
homme de retourner dans son pays pour engager ses compatriotes à prendre les
armes pour venir sauver Alise et leur général ; il entra ensuite dans la
ville avec son infanterie, forte de 80.000 hommes. César, ayant achevé la
contrevallation, fit travailler sur-le-champ aux lignes de circonvallation.
Il fit creuser trois fossés, un à fond de cuve, de 20 pieds de large et
d’autant de profondeur ; les deux autres de 15 pieds sur 15 pieds, et fit remplir
le fossé intérieur, qui était au pied des hauteurs, par les eaux de la
rivière ; il fit élever un rempart de 12 pieds, garni d’un
parapet à créneaux, ayant au pied une fraise formée de troncs d’arbres
fourchus, flanquée par des tours placées à 80 pieds l’une de
l’autre. Il continua, pendant toute la durée du siége, de travailler à ces
lignes, et y entassa toutes espèces d’ouvrages, des trous de loup, des abatis
de bois, etc., auxquels les soldats de son armée donnèrent des noms divers.
Il paraît donc que ces ouvrages étaient nouveaux pour eux. La ligne de
circonvallation avait cinq lieues d’étendue.
Cependant le conseil des Gaulois avait décrété la levée
d’une armée de 200.000 hommes pour secourir Alise. Les Autunois fournirent
35.000 hommes ; le marquisat de Suse faisait partie du domaine de cette
nation ; le Gévaudan et le Velay, dépendant de l’Auvergne, fournirent
également 35.000 hommes ; les peuples de Franche-Comté, de la Saintonge, le
Rouergue, Chartres, fournirent 12.000 hommes ; le Beauvaisis,
10.000 ; Paris et Soissons, 8.000 hommes chacun, etc. Les Beauvaisins
seuls refusèrent leur contingent, parce que,
disaient-ils, ils faisaient eux seuls la guerre
aux Romains. Commius d’Arras fut nommé au commandement eu chef de
cette grande armée ; il avait été un des favoris de César, mais il avait
cédé à l’esprit gaulois. Les mêmes sentiments avaient prévalu chez les autres
amis de César ; les Rémois seuls lui restèrent fidèles.
Le temps désigné pour secourir la ville était écoulé, les
vivres commençaient à devenir rares ; le découragement était extrême
dans Alise : un parti voulut se rendre, un autre percer par une
vigoureuse sortie avant que la famine les eût affaiblis. Ce fit alors que
Critognatus, homme considéré et brave, prit la parole : Se rendre, c’est aller au-devant de l’esclavage ;
chercher à se faire jour au travers de l’armée romaine, c’est préférer la
mort aux souffrances : c’est encore une lâcheté, car nous perdrons la vie,
mais nous aurons abandonné la cause des Gaules ; la grande armée ne peut
pas tarder à s’approcher, elle n’aura plus de chance de victoire si elle nous
trouve morte. Nous n’avons pas de nouvelles de notre armée ! mais César
ne vous en donne-t-il pas toue les jours ? S’il ne la sentait pas
approcher, entasserait-il ouvrages sur ouvrages à sa ligne de
circonvallation ? Que firent nos ancêtres lors de l’incursion des
Cimbres et des Teutons ? Ils firent mourir tous ceux que leur âge n’appelait
pas à la guerre ; ils se nourrirent de leurs cadavres. Voilà l’exemple
qu’il nous faut imiter. Les vieillards, les femmes, les enfants,
furent renvoyés de la ville ; les assiégeants les repoussèrent. Peu de
jours après Commius parut enfin sur les hauteurs, à cinq cents pas du camp
romain ; sa cavalerie inonda la plaine. Mille cris de joie que
troussèrent les assiégés retentirent jusqu’au ciel. Ils sortirent de leurs
murs, comblèrent avec des fascines et des claies les fossés et les trous,
attaquèrent vivement la contrevallation. Cependant la cavalerie gauloise fut
défaite après un combat des plus opiniâtres : cette victoire fut dut, au
courage de la cavalerie allemande. La consternation succéda dans la ville aux
premiers élans de joie. Le lendemain l’infanterie gauloise attaqua la ligne
de circonvallation. Vercingétorix, à ce signal, sortit de la ville ;
mais tous les efforts combinés furent inutiles ; la force des ligues de
César, le grand nombre de ses tours et de ses machines, la discipline et
l’intrépidité romaine l’emportèrent. Vercingétorix avait déjà comblé les
fossés de la ligne de contrevallation ; mais il y perdait trop de temps,
et à peine avait-il achevé qu’il s’aperçut que l’armée était repoussée.
Quelques jours après, les Gaulois attaquèrent avec 50.000 hommes la montée du
nord, où la circonvallation était dominée. Ça combat fut opiniâtre ; les
assiégés sortirent pour seconder cette attaque, le combat fut général sur la
double ligne. Mais le nombre, la fureur, l’intrépidité, tout fut
inutile ; les Romains, avec leur courte épée, l’emportèrent sur tout
d’efforts : les dieux combattirent pour eux. Soixante et quatorze drapeaux
furent les trophées de César. La plus grande partie de l’armée de secours fut
détruite ; les débris levèrent leur camp la nuit et se sauvèrent en
toute hâte. Vercingétorix capitula ; il implora la clémence du
vainqueur : il ne reçut que des fers. Ainsi finit cet intrépide et
généreux défenseur des Gaules. César fit 80.000 prisonniers ; il donna
un Gaulois à chacun de ses soldats ; mais, voulant gagner les Autunois
et les Auvergnats, il leur rendit 20.000 prisonniers. Il mit son armée en
quartiers d’hiver : Labienus avec deux légions en Franche-Comté, deux
légions en Nivernais, deux en Berry, deux en Rouergue, une à
Chalon-sur-Saône, une à Mâcon, et de sa personne se rendit à Autun. Le sénat
romain ordonna vingt jours de prières publiques. La liberté des Gaules périt
avec Vercingétorix : cette vaste contrée fut réduite en provinces
romaines.
VI. OBSERVATIONS. — Première
observation. — Dans cette campagne, César a donné plusieurs
batailles et fait trois grands siéges, dont deux lui ont réussi ; c’est
la première fois qu’il a eu à combattre les Gaulois réunis. Leur résolution,
le talent de leur général Vercingétorix, la force de leur armée, tout rend
cette campagne glorieuse pour les Romains. Ils avaient dix légions ; et
qui, avec la cavalerie, les auxiliaires, les Allemand, les troupes légères,
devait faire une armée de 80.000 hommes. La conduite des habitants de
Bourges, celle de l’armée de secours, la conduite des Clermontois, celle des
habitants d’Alise, font connaître à la fois la résolution, le courage des
Gaulois, et leur impuissance par le manque d’ordre, de discipline et de
conduite militaire.
Deuxième observation.
— Mais est-il vrai que Vercingétorix s’était renfermé avec 80.000 hommes dans
la ville, qui était d’une médiocre étendue ? Lorsqu’il renvoie sa cavalerie,
pourquoi ne pas renvoyer les trois quarts de son infanterie ? 20.000
hommes étaient plus que suffisants pour renforcer la garnison d’Alise, qui
est un mamelon élevé avant 3.000 toises de pourtour, et qui contenait
d’ailleurs une population nombreuse et aguerrie. Il n’y avait dans la place
des vivres que pour trente jours ; comment donc enfermer tant d’hommes
inutiles à la défense, mais qui devaient hâter la reddition ? Alise
était une place forte par sa position ; elle n’avait à craindre que la
famine. Si, au lieu de 80.000 hommes, Vercingétorix n’eût eu que 20.000
hommes, il eût eu pour cent vingt jours de vivres ; tandis que 60.000
hommes tenant la campagne eussent inquiété les assiégeants. Il fallait plus
de cinquante jours pour réunir une nouvelle armée gauloise et pour qu’elle
pût arriver au secours de la place. Enfin, si Vercingétorix eût eu 80.000
hommes, peut-on croire qu’il se fût enfermé dans les murs de la ville :
il eût tenu les dehors à mi-côté, et fût resté campé, se couvrant de
retranchements, prêt à déboucher et à attaquer César. L’armée de secours était, dit César, de 240.000 hommes. Elle ne campe pas, ne
manœuvre pas comme une armée si supérieure à celle de l’ennemi, mais comme une
armée égale. Après deux attaques, elle détache 60.000 hommes pour attaquer la
hauteur du nord : ce détachement échoue ; ce qui ne devait pas obliger
l’armée à se retirer en désordre.
Troisième observation.
— Les ouvrages de César étaient considérables : l’armée eut quarante
jours pour les construire, et les armes offensives des Gaulois étaient
impuissantes pour détruire de pareils obstacles, un pareil problème
pourrait-il être résolu aujourd’hui ? 100.000 hommes pourraient-ils bloquer
une place par des lignes de contrevallation, et se mettre en sûreté contre
les attaques de 100.000 hommes derrière la circonvallation ?
Chapitre VIII — Huitième campagne (50 avant Jésus-Christ)
I. Opérations militaires pendant l’hiver. — II. Guerre contre les Belges
de Beauvais. — III. Siège de Cahors. — IV. Mouvements des troupes pendant
l’an 50. — V. Observations.
I. Le sort des
Gaules était décidé, mais les Gaulois frémissaient : la plus vive
fermentation agitait tous les esprits ; c’était celle des vagues de
l’océan dans la tempête. César s’était établi à Autun pour les
surveiller : il partit en décembre, se rendit au fond du Berry avec deux
légions, en surprit les habitants, qui avaient refusé des otages, en tua bon
nombre, fit des prisonniers, soumit le pays et retourna à Autun, quarante
jours après qu’il en était parti. De là il marcha sur Chartres avec deux
légions ; les Chartrains abandonnèrent leur ville et se réfugièrent dans
les marais et les bois ; il envoya sa cavalerie et ses troupes légères à
leur poursuite, et se cantonna dans la ville d’Orléans. Les malheureux
Chartrains, traqués de tous côtés, abandonnèrent leur patrie et se
réfugièrent chez leurs voisins.
II. Les Beauvaisins
étaient les peuples les plus puissants de la Belgique. Ils
avaient levé une armée qu’ils avaient mise sous les ordres de Correus,
seigneur de Beauvais, et de Commius, seigneur d’Arras, sous prétexte de faire
la guerre aux peuples de Soissons. César réussit quatre légions et se campa
sur le territoire des Beauvaisins. Ceux-ci avaient appelé à leur secours ceux
d’Amiens, de Rouen, du pays de Caux, d’Arras, et les peuples du Maine ;
ils s’étaient campés sur une montagne environnée de tous côtés de
marais ; ils avaient déposé leurs femmes, leurs vieillards, leurs
enfants, leurs bestiaux, leurs effets les plus précieux, au milieu d’une
vaste forêt. Toutes les manoeuvres de César pour les décider à quitter leur
position furent inutiles. Cette conduite sage et prudente, qui contrastait
avec le caractère bouillant et la vivacité gauloise, faisait assez connaître
les progrès que ces peuples avaient faits dans l’art de la guerre. César
passa les marais et se campa à une portée de trait de la forte position des
Gaulois ; il se couvrit de deux fossés en fond de cuve de 15 pieds de profondeur,
et d’un rempart de 12
pieds de haut, surmonté d’un parapet et couvert d’un
grand nombre de tours à trois étages ; deux tours très hautes
flanquaient les portes du camp. Sur ces entrefaites, 500 cavaliers allemands
entrèrent dans le camp gaulois.
Les escarmouches qui avaient lieu tous les jours entre les
deux armées ne décidaient rien. La cavalerie rémoise fut défaite par la
cavalerie des Beauvaisins ; elle y périt presque entièrement. Enfin les
trois légions de renfort que César avait demandées arrivèrent du fond du Berry,
sous les ordres de Trebonius ; les Gaulois craignirent alors le sort du
siège d’Alise, ils évacuèrent leur position et en prirent une plus éloignée.
Les deux armées restèrent en présence, et, quoique l’armée romaine fût de
sept légions, elle agissait avec circonspection. Correus, général des
Beauvaisins, avec 7.000 hommes d’élite, tendit une embuscade aux fourrageurs
romains ; il fut trahi, battu : lui et tous les siens y périrent.
Sans donner le temps aux ennemis de revenir de leur consternation, César
marcha à eux. Ils implorèrent sa clémence, se soumirent et fournirent des
otages ; les autres peuples alliés imitèrent leur exemple. Les Belges
furent vaincus une seconde fois ; les Gaules subirent le joug. Un grand
nombre de familles quittèrent une patrie qui désormais n’était plus libre, et
cherchèrent un refuge sur la rive droite du Rhin et au delà des mers.
Ambiorix régnait encore sur les peuples de Liége ; César marcha contre
lui, mit tout son pays à feu et à sang, fit un grand nombre de prisonniers,
mais sans pouvoir se saisir de la personne de cet implacable ennemi du nom
romain.
III. Un grand
nombre de Gaulois, impatients du joug, quittèrent leurs villes et se
réunirent sur la rive gauche de la
Loire ; ils se joignirent à Dumnacus, général angevin,
qui porta le siège devant Poitiers, pour y forcer Duratius, allié des
Romains. Le lieutenant de César, Caninius, marcha au secours de Poitiers et
se campa à la vue de la ville. Dumnacus attaqua le camp romain : il fut
repoussé. Quelques jours après, Fabius renforça l’armée romaine de deux
Légions ; ce qui décida le général angevin à lever le siège et à se
mettre en marche pour passer sur la rive droite de la Loire ; mais, atteint
en route par Fabius, il fut battu et perdit 12.000 hommes et tous ses bagages.
Les débris de ces armées, sous les ordres de Drappès et de Lucterius,
marchèrent pour porter la guerre et le ravage dans la Province romaine et y
assouvir leur vengeance ; mais, atteints par Caninius, ils se
réfugièrent dans la place forte de Cahors, ville située sur une haute
colline, environnée de tous côtés par la rivière du Lot ; ils s’y
approvisionnèrent de vivres pour longtemps. Drappès fut fait prisonnier dans
une rencontre. Le général romain construisit sa contrevallation. César, du
pays chartrain, se rendit en diligence au camp devant Cahors : la place était
forte et détendue par des hommes désespérés ; ils avaient des vivres
pour longtemps. Les Romains imaginèrent de les priver d’eau ; les
habitants ne pouvaient descendre à la rivière qu’à découvert et par des
rampes fort escarpées : les archers romains les privèrent bientôt de
cette ressource ; mais il restait une fontaine très abondante qui
coulait au pied de leurs murailles. Les assiégeants élevèrent une terrasse de
60 pieds
de haut, sur laquelle ils dressèrent une tour de dix étages qui dominait la
fontaine, quoiqu’elle fut dominée par les murailles de la ville. Les
habitants ne pouvaient plus faire de l’eau qu’en s’exposant aux plus grands
dangers : ils en furent entièrement privés lorsqu’un rameau de mine
tarit la source. La ville fut contrainte de capituler. César fit couper la
main à toute la garnison. Dumnacus, abandonne des siens, en butte à la
proscription romaine, vécut caché et mourut misérablement ; Drappès se
laissa mourir de faim, et Lucterius, trahi par un seigneur auvergnat, fut
livré aux Romains : ainsi périrent les derniers des Gaulois. Cet événement
termina la guerre des Gaules. Depuis, les Gaulois restèrent
tranquilles : ils s’accoutumèrent à la domination des Romains.
Après la reddition de Cahors, César passa la Garonne, parcourut
l’Aquitaine, et fut reçu partout sans éprouver d’obstacles ; il se
rendit à Narbonne et ordonna les quartiers d’hiver pour son armée. Quatre
légions cantonnèrent en Belgique, deux chez les Autunois, deux dans la Touraine, sur la Loire, deux dans le
Limousin, et de sa personne il se porta à Arras.
IV. Pendant cette
année César fut tranquille ; il n’eut aucune guerre à soutenir. Au
printemps il fit un voyage en Lombardie, et il y fut reçu en triomphe. Les
intrigues de Rome l’occupaient uniquement. Sous le prétexte de faire la
guerre aux Parthes, le Sénat lui retira deux légions qu’il donna à Pompée.
Labienus commanda dans la
Cisalpine ; peu après il se rangea du parti de Pompée.
Dans le courant de l’été, César retourna à Arras et passa en revue toutes ses
légions à Trèves. A la fin d’octobre il les mit en quartiers d’hiver, quatre
légions dans la Belgique,
quatre dans le pays d’Autun, et partit peu après pour repasser les monts.
Dans les derniers jours de l’année 50 et les premiers de 49, il commença la
guerre civile. De tous les généraux qui avaient conduit les Gaulois pendant
ces huit campagnes et les avaient commandés dans la défense de leur liberté,
deux seulement survécurent à la guerre : Commius, seigneur d’Arras, d’abord
allié et intime ami de César, qui seconda tous ses projets en Gaule et en
Angleterre, et qui devint un implacable ennemi lorsqu’il fut convaincu que
les Romains est voulaient à la liberté de son pays ; mais, désarmé, il
continua à vivre éloigné de la vue de tout Romain ; le second est
Ambiorix, chef du pays de Liège, qui avait commandé les Belges, massacré les
légions de Sabinus, assiégé le camp de Cicéron, et depuis soutenu constamment
la guerre : il mourut ignoré, mais libre.
V. OBSERVATIONS. — Première
observation. — Dans cette campagne, César n’éprouva de
résistance que de la part des Beauvaisins ; c’est qu’effectivement ces
peuples n’avaient pas eu ou n’avaient pris que peu de part à la guerre de
Vercingétorix ; ils n’eurent que 2.000 hommes devant Alise : ils
opposèrent plus de résistance, parce qu’ils mirent plus d’habileté et de
prudence que n’avaient encore fait les Gaulois ; mais les autres Gaulois
n’en ont fait aucune, en Berry comme à Chartres, tous sont frappés de terreur
et cèdent.
Deuxième observation.
— La garnison de Cahors était formée du reste des armées gauloises. Le parti
que prit César de faire couper la main à tous les soldats était bien atroce.
Il fut clément dans la guerre civile envers les siens, mais cruel et souvent
féroce contre les Gaulois.
FIN DE LA GUERRE DES
GAULES
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