Les derniers évènements avaient révélé certaines lacunes dans le gouvernement des Pays-Bas et quelque défaut d'harmonie dans les conseils de la régente. Charles-Quint ne voulut point quitter nos provinces sans avoir pourvu aux exigences de cette situation. Un grand mal subsistait toujours, le peu d'ordre dans les dépenses et la pénurie des finances. Les soldats mal payés s'abandonnaient à la licence. Les villes obérées étaient obligées de recourir sans cesse à des emprunts et à de nouveaux impôts. Le domaine, aliéné en grande partie, surchargé de rentes de toute espèce, ne produisait plus que d'insignifiants revenus, et l'état était accablé de grosses dettes qu'il était urgent de liquider. Au mois de mai 1540, l'empereur réunit en sa présence, à Anvers, les états de Brabant et leur demanda, par l'organe du chancelier de ce duché, une aide de douze cent mille livres, payable en six ans, pour solder l'arriéré des dépenses des dernières guerres. Cette aide fut accordée le 14 juin suivant[1] et, le 6 juillet, les états de Flandre en votèrent une de deux cent mille écus de quarante-huit gros, payable durant six ans[2]. L'exemple de ces deux provinces fut suivi par les autres, mais non sans opposition de la part de quelques-unes. La Hollande, à qui il était demandé six cent mille florins, résista longtemps[3], et ce fut le 20 décembre seulement, après des convocations réitérées, que les états de Namur se résignèrent à payer quarante-huit mille livres en six ans[4]. Le Hainaut réduisit de quatre-vingt mille à soixante-huit mille livres le subside pétitionné pour la solde des garnisons et pour l'achèvement des fortifications de ses places-frontières ; il y mit pour condition qu'un tiers de cette somme serait fourni par le clergé[5]. Ces subsides étaient insuffisants pour rétablir l'ordre
dans les finances, mais ils permirent de remédier à une des plus tristes
plaies du régime précédent. Un grand nombre de soldats débandés infestaient
les campagnes. On lit dans les comptes du temps des détails significatifs sur
ce point. Ainsi journellement advenoient lors à Sa
Majesté de divers côtés plusieurs plaintes des homicides, détroussemens de
gens par les chemins[6], et il fallait
user de moyens de répression extraordinaires. Le prévôt des maréchaux,
Thierri de Herlaer, se transporta, avec dix-huit
compaignons de pied, par tout le pays de Brabant, où il savoit et appercevoit
aucuns coquins et vagabonds foulant et détruisant les pauvres sujets[7]. Dans le Hainaut,
un placard du 6 février 1540 avait ordonné à tous
officiers, justiciers et gens de la loi d'appréhender tous et quelconques
bouttefeux, pilleurs, détrousseurs de chemin et autres gens oiseux et
vagabonds, que l'on disoit hanter en ce pays, mengeant le pauvre peuple, et
d'en faire la justice telle que de raison[8]. Par lettres du
15 du mime mois, la régente autorisa le souverain bailli de Flandre, Gérard
Stragiers, à lever quatre compaignons de cheval, à
dix carolus d'or chacun par mois, et huit de pied, à quatre sols de deux gros
le sol par jour, pour subvenir aux outraiges, foulles, oppressions que
faisoient journellement plusieurs vagabonds et autres mauvais garnements aux
subjects de l'empereur, au plat païs[9]. Les soldats indisciplinés n'étaient pas seuls coupables de tous ces méfaits. Après la guerre, quatre mois de sécheresse avaient détruit les récoltes et engendré ensuite des fièvres mortelles[10]. La misère était extrême ; les paysans ruinés, chassés de leurs champs par la guerre ou par le fisc se livraient au vagabondage ; des bandes parcouraient le pays, désolaient les campagnes et pénétraient jusque dans les villes. Il fallut avoir recours à des mesures d'une sévérité extrême. Un édit du 11 avril 1540 porta les peines les plus rigoureuses contre les gens mal conditionnés, armés et embastonnés qui hantoient le pays, où ils commettoient pilleries, foulles et excès, menaçans de brusler les maisons. Il fut permis à un chascun d'appréhender oiseux et vagabonds, prescrit aux agents de la force publique de les traquer partout, au son de la cloche ou autrement, et, en cas de résistance, de les exterminer sans quartier[11]. Cet édit fut impitoyablement exécuté, comme le prouve le nombre considérable d'exécutions relatées dans les comptes des officiers de justice. Pendant que ses ministres avisaient à ces nécessités temporaires, Charles-Quint arrêtait des mesures d'une importance plus durable. Ainsi il ordonna des travaux destinés à mettre les côtes de la Flandre à l'abri des inondations qui, en novembre 1538 encore, y avaient causé beaucoup de ravages, et la ville de Nieuport obtint un second subside de trois mille livres pour l'entretien du port et du havre, ainsi que de la digue gisant en mer au bout du havre[12]. D'autres mesures récemment prises reçurent une sanction définitive. Tel fut l'édit du 27 août 1539 défendant de vendre, sans l'assentiment du souverain, terres, seigneuries ou fiefs situés sur les frontières, à des princes ou seigneurs étrangers, ou à d'autres personnes ne résidant pas dans le pays, sous peine de forfaiture, d'une amende égale au prix de la vente, et de punition arbitraire, selon l'exigence du cas[13] ; telle encore l'ordonnance enjoignant de substituer le français au latin dans les actes de justice du Hainaut. Un édit du 4 juillet 1540 régla la juridiction de certaines communes d'Outre-Meuse et du Brabant, où s'était maintenu l'usage d'appel aux tribunaux d'Aix-la-Chapelle ou de Liège[14]. Cet édit, fait observer M. Henne, était le prélude de lois nouvelles qui constateront les progrès de la législation et les grandes vues du souverain. Le progrès de la législation est un des traits caractéristiques du règne de notre grand empereur, et c'est avec lui, comme on l'a remarqué à juste titre, que commence, pour les Pays-Bas, l'empire des lois générales[15]. C'est ici le lieu de rappeler ces mémorables paroles du président de Neny : Charles-Quint fut le père et le législateur des Pays-Bas. Né et élevé dans ces provinces, il possédait parfaitement les langues du pays... Jamais personne ne connut mieux que lui le caractère, le génie et les mœurs des peuples des Pays-Bas. De là vinrent ces lois admirables qu'il leur donna sur toutes les parties de la police ecclésiastique et civile, sur la punition des crimes et des contrats nuisibles à la société, sur le commerce et la navigation ; lois que la plupart des nations éclairées ont cherché à imiter ou à adapter à leurs usages[16]. Les états généraux avaient été convoqués à Bruxelles, le 26 septembre, pour entendre ce qu'il plairait à l'empereur de leur faire exposer en sa présence, ensemble l'ordre qu'il avoit délibéré mettre en ses pays, au bien, repos et tranquillité d'iceux[17]. La session s'ouvrit le 4 octobre, dans la grande salle du palais. Charles-Quint assista à la séance, accompagné de sa sœur, des conseils du gouvernement et des gentilshommes de sa maison. Par l'organe de Louis Van Schore, il remercia les états du bon, grand, loyal debvoir et office que les pays de par deçà, chascun en son endroit, et les sujets de tous les états avoient fait, pendant son absence, tant vers la royne, que pour tous autres affaires passés, tant hors guerres que ès guerres, et des grandes aides tant ordinaires qu'extraordinaires que lesdits pays avoient accordées, payées et supportées. Faisant allusion aux évènements de Gand, secondement, dit l'orateur, Sa Majesté est venue par deçà pour remédier à aucunes indues violences et désobéissances, afin que, sous ombre d'icelles, ses autres bons et loyaux vassaulx et subjects ne tombassent en inconvénient. A quoi Sa Majesté, avec grande clémence, a mis l'ordre que chascun scet, non pour innover quelque chose quant aux autres[18], mais seulement pour éviter l'inconvénient que autrement y poist advenir, en tenant et, ayant seul regard à l'assurance et tranquillité de la généralité de ses pays de par deçà, et comme il a cogneu et trouvé qu'il estoit plus que nécessaire et requis, après tant d'autres exemples passés. Il annonça ensuite aux états la publication de nouveaux édits, ordonnés pour le bien du pays, touchant l'hérésie, les homicides, la procédure judiciaire, les monnaies, les banqueroutes et les monopoles. Il leur notifia aussi que l'empereur, obligé de présider la diète de l'empire, avait confirmé la reine dans ses fonctions de régente, en lui donnant de plus amples pouvoirs, selon l'entière confiance qu'il avait en elle comme dans un autre lui-même. Enfin il leur recommanda de vivre en bonne paix, amitié et affection les uns envers les autres ; il les assura que Sa Majesté les auroit toujours en très favorable et singulière recommandation et bonne souvenance ; qu'elle ne manqueroit pas d'employer sa personne et tout le surplus pour ses très fidèles, très obéissans et bons pays, vassaulx et subjects, comme un bon prince estoit obligé de le faire, et comme leurs grands et loyables services le méritoient[19]. Le pensionnaire de Bruxelles remercia l'empereur, au nom de l'assemblée, et la session fut close après celte unique séance. Les mesures annoncées aux états furent publiées le même jour sous forme d'édit général. Elles consacraient d'importantes dispositions dont chacune réclame un examen attentif et particulier. Avant de nous y livrer, citons un mandement du 8 octobre, qui interdisait aux personnes dont l'aptitude n'avait pas été reconnue la pratique médicale et la vente des médicaments[20]. Ce mandement promettait un règlement complet sur la matière, promesse qui resta sans effet, mais à laquelle les villes suppléèrent par des mesures locales[21]. Un grand fait, qui se rattache étroitement à notre sujet, assigne au règne de Charles-Quint l'un des premiers rangs dans l'histoire de la législation : c'est la rédaction des coutumes. Ces coutumes, qui variaient selon les localités, étaient sorties de l'espèce de chaos qui s'était emparé de la société à, la ruine de la dynastie carlovingienne. Elles étaient en nombre infini, et portaient à la fois l'empreinte des lois germaniques, du droit romain, des capitulaires des rois francs et du droit canonique, tout cela mêlé, altéré, offrant le spectacle d'une confusion inextricable. Cette législation ne reposait que sur la tradition ; il lui manquait ce caractère de certitude que les jurisconsultes envisagent comme la première condition du droit véritable. Toute la science consistait dans la mémoire des précédents, des rétroactes dans les cas identiques ; et, à défaut de règles fixes, quand il y avait doute sur les précédents, on recourait à des enquêtes désignées sous le nom d'enquêtes tourbières ou par turbes[22]. Charles-Quint jugea que le plus sûr moyen de remédier aux funestes conséquences d'un pareil état de choses sur l'administration de la justice, était de prescrire la rédaction des coutumes par écrit. Ce projet semble l'avoir préoccupé dès le commencement de son règne. La première tentative d'exécution eut lieu à Termonde, où les coutumes et les manières de procéder furent recueillies par écrit vers 1521[23]. Le 6 mai de l'année suivante, il fut enjoint aux gens de justice du Hainaut et autres des plus connoissans de se trouver en la ville de Mons, vers le bailly et messieurs du conseil, avec leurs lois et coustumes sur le fait de la justice, dont ils usoient, pour, sur chaque point, bailler bon ordre et les policer selon qu'il conviendroit, afin que, après qu'elles auroient été ainsi modérées, elles pussent être envoyées à l'empereur, avant la Pentecôte prochaine[24]. Les états de ce comté furent convoqués à Mons, par lettres du 3 juin suivant, pour mettre provision et remède à toutes les coustumes et manières de procéder des villes de ce pays du Hainaut quant au fait de justice[25]. Ce travail, entravé par les évènements politiques, fut repris en 1527 ; puis, suspendu de nouveau par suite des guerres qui appelèrent aux armées la plupart des nobles du comté, il fallut le remettre à des temps meilleurs. La ville de Malines, qui ne rencontra point d'empêchements de cette nature, fit, dès 1528, réunir et rédiger toutes ses lois et coutumes par le greffier Jean Van Ophem[26]. En commençant par les villes plus directement soumises à
son autorité, par les provinces wallonnes, où il rencontrait moins de
privilèges contraires à ses vues, Charles-Quint, remarque M. Henne, voulait
sans doute préparer les esprits. Une ordonnance du 22 août 1531, adressée au
conseil de Flandre, prescrivit la rédaction des coutumes de cette province, pour encore mieux abréger les procès et sublever les
povres parties de gros despens en sorte incertaine, et accélérer l'expédition
de la justice[27]. Cette mesure ne
tarda pas à être généralisée. Afin d'obvier aux abus résultant de la
diversité des coutumes qui, n'étant pas écrites, donnaient lieu à une foule
d'interprétations opposées, un édit du 7 octobre suivant ordonna de les
mettre toutes par écrit dans les six mois, et de les envoyer, soit à
l'empereur, soit à la gouvernante générale, à l'effet d'être examinées par
les conseils provinciaux et autres que besoin
seroit, et être mises en ordre pour en faciliter l'observance et pour le bien
des sujets[28]. Le délai fixé par cet édit était évidemment trop court. Rechercher, examiner, transcrire cette innombrable quantité de coutumes, dont beaucoup de dispositions étaient incertaines, contradictoires ou obscures, constituait, on l'a observé avec raison, un travail immense. Il fallait compulser les registres échevinaux, pour en extraire, comme points de droit admis, les décisions les plus fréquemment conformes des magistrats sur les questions analogues soumises à leur tribunal ; mais la mauvaise volonté des communes, dans l'appréhension de nouvelles atteintes à leurs privilèges, suscitait de nombreux obstacles à cette opération. En 1540, il n'y avait encore que sept coutumes rédigées : celles de Mons, de Lille, de Ravenstein, les chartes du Hainaut, homologuées en 1533 ; la coutume de Valenciennes, homologuée en 1534 ; et celles de Malines et de la châtellenie d'Ypres, homologuées en 1535. Mais les résistances ne firent qu'imprimer à la volonté de Charles-Quint un caractère plus énergique. L'édit de 1531, afin de ménager les esprits, s'était borné à statuer que les coutumes seraient rédigées par écrit, envoyées à l'empereur et soumises à l'avis des conseils provinciaux, afin qu'il fût ordonné ensuite ce qui seroit trouvé le plus convenable au bien public, l'édit du 4 octobre 1540 déclara nettement qu'elles seraient envoyées à l'empereur pour être décrétées[29]. Ce dernier édit réservait à la régente de déterminer l'époque où chaque coutume devrait lui être remise, et lui permettait ainsi d'avoir égard à l'importance et aux difficultés du travail. Si formelle que fût la volonté de l'empereur, si sage que fût la mesure adoptée, les communes ne se pressèrent pas d'obéir. Les seules villes de Tournai, de Renaix et de Cuyck adressèrent leurs cahiers à la reine, et quoique Charles-Quint, ait poursuivi la réalisation de sa pensée jusqu'à la fin de son règne, comme le prouve l'ordre donné, le 20 novembre 1551, aux bailliages du comté de Namur, d'envoyer au conseil provincial leurs coutumes générales et locales[30], peu de coutumes furent rédigées à cette époque ; plusieurs même ne le furent jamais[31]. La mesure prise par Charles-Quint n'en exerça pas moins une influence considérable tant sur l'administration de la justice que sur la législation et la jurisprudence des Pays-Bas. La décision des procès s'accéléra ; l'étude du droit se développa ; les édits des souverains acquirent plus de force par la facilité avec laquelle plusieurs de leurs dispositions pénétrèrent dans les coutumes. Ainsi, pour citer quelques exemples, la jurisprudence de l'édit du 20 février 1528, défendant de constituer des rentes sans rachat, ne tarda pas à s'introduire dans le Hainaut[32], et l'on rencontre le même principe dans l'ancienne coutume de Valenciennes, homologuée le 3 mars 1540[33]. Enfin, si en soumettant les coutumes à son homologation, Charles-Quint maintint l'autorité du droit coutumier, il assura en même temps au droit romain celle que l'usage lui avait attribuée, comme droit supplétif. Déjà l'ordonnance du 10 mars 1523 sur les dîmes, avait prescrit de recourir au droit écrit, pour tous les cas qu'elle n'avait pas résolus[34], et ce principe fut définitivement confirmé, en 1535, par l'acte de décrètement des coutumes de Malines et de la châtellenie d'Ypres, qui donna force de loi au droit romain dans le silence de ces coutumes. La même disposition fut reproduite dans la plupart des autres actes de décrètement. En ce qui concerne la législation civile, Charles-Quint s'attacha spécialement dans son édit du 4 octobre 1540, à protéger les enfants mineurs contre leur inexpérience et le danger des séductions. Par une première disposition, il déclara nulles et de nulle valeur toute donation de biens immeubles faite entre vifs ou pour cause de mort, par des mineurs de vingt-cinq ans, au profit de leurs curateurs, gardiens ou autres administrateurs ou des enfants de ceux-ci, de même qu'en faveur de leurs parâtres ou marâtres — beaux-pères et belles-mères — ou de femmes de mauvaise vie[35]. Cette prohibition fut étendue, sous Albert et Isabelle, aux biens meubles par une ordonnance du 28 novembre 1611[36]. Une autre disposition de l'édit de 1540 a également pour objet de protéger l'intérêt des mineurs, tout en assurant le respect de l'autorité des parents[37]. Considérant, dit l'édit, les inconvénients qui résultent journellement des mariages clandestins contractés entre jeunes gens, sans l'avis, le conseil et l'assentiment des parens et amis des deux parties, mariages qui, selon la disposition du droit écrit, ne correspondent à honnêteté et bonne obéissance, et communément ont difficile fin, il est défendu aux enfants mineurs de contracter mariage sans le consentement de leurs pères ou mères[38], et, à défaut de ceux-ci, des plus proches parents, des amis ou de la justice. Les époux qui auraient contracté un semblable mariage ne pourront jamais avoir, sur les biens de leur conjoint, aucun douaire ou autre avantage, soit en vertu de contrat anténuptial, donation, testament ou de toute autre manière, quand même ils obtiendraient le consentement voulu après le mariage consommé. Des peines sont en outre prononcées contre ceux qui auraient favorisé ces mariages, ainsi que contre les notaires qui auraient reçu des contrats y ayant rapport. La Caroline de Gand renferme des dispositions encore plus sévères sur le même objet. Elle statue que toute fille mineure au dessous de dix-huit ans qui se mariera sans le consentement de son père ou de sa mère, pourra être exhérédée par le survivant[39]. Cette disposition, dit M. del Marmol, semble avoir préparé de loin l'édit du 10 novembre 1623, qui en fit passer les principes dans la législation générale de la Belgique. L'édit du 4 octobre 1540 introduisit un point important en matière de prescription. Il en fixa à deux ans le terme pour les salaires des avocats, procureurs, secrétaires, médecins, chirurgiens, pharmaciens, notaires, laboureurs, domestiques, etc., ainsi que pour le payement des marchandises vendues en détail[40]. Mais le règlement relatif aux notaires mérite surtout de fixer l'attention, et l'on peut dire avec raison que c'est ce règlement qui a organisé le notariat en Belgique. Déjà, par ordonnance du 7 octobre 1531, Charles-Quint avait statué que l'on n'admettrait dorénavant à ces fonctions que des gens bien famés et qui auraient été reconnus posséder les qualités nécessaires par examen des conseils provinciaux[41]. L'édit du 4 octobre 1540 imposa aux notaires l'obligation de tenir un registre de leurs actes ; il leur défendit de recevoir des contrats de personnes inconnues, et leur prescrivit d'insérer dans leurs écritures le domicile des particuliers qui passeraient des actes devant eux. Il leur avait en outre interdit, ainsi qu'aux autres fonctionnaires ayant offices sans gages, de vendre leur charge, sous peine de perdre la somme qu'ils auraient reçue à cet effet, et d'être corrigés arbitrairement[42]. Notre législation commerciale a de grandes obligations à Charles-Quint. On verra par l'exposé que nous allons en faire, combien, selon l'expression de M. del Marmol, la prospérité commerciale de la Belgique inspira de sollicitude à l'illustre empereur. Ses différentes lois, continue le même écrivain, nous prouvent la connaissance approfondie qu'il possédait des sources de la richesse publique. Activer la circulation des capitaux, préserver le commerce de toute perturbation, relever le crédit, donner à l'industrie une impulsion nouvelle, fut le but qu'il se proposa, et ses efforts furent couronnés do succès. Les manufactures des Pays-Bas fleurirent sous son règne ; la navigation transporta leurs produits sur tous les points du globe ; et la ville d'Anvers, qui vit à cette époque son enceinte s'agrandir et s'élever le beau monument de sa bourse, devint l'entrepôt général du commerce des Pays-Bas[43]. Quelques développements sont ici nécessaires ; ils se rattachent intimement à notre sujet, sur lequel ils vont jeter une lumière nouvelle. La grande révolution produite, dans les relations des peuples, par les découvertes de Vasco de Gama et de Colomb, avait radicalement changé la situation commerciale de ces régions. Comme nous l'avons vu partiellement déjà dans le cours de cet ouvrage, la position de nos contrées, le génie industrieux de leurs habitants, les garanties assurées aux marchands étrangers par les lois libérales de la Flandre et du Brabant, y avaient fait prospérer le commerce et le travail. Chaque année, une flotte de Venise, appelée la flotte de Flandre, venait échanger les marchandises et les denrées du Levant et de l'Afrique contre les produits de l'industrie belge, qu'elle allait répandre dans toutes les parties du monde explorées par la puissante république. Les marchands des Pays-Bas expédiaient aussi de nombreux navires à Venise[44]. Cependant les difficultés d'une longue navigation avaient fini par faire généralement préférer la voie de terre, et il en était résulté la nécessité d'établir des entrepôts entre le nord et le midi de l'Europe. La Belgique en était le centre, et Bruges, le plus important de ces entrepôts, était devenue le grand emporium, le magasin général des produits de l'industrie des Pays-Bas, des laines d'Angleterre, des importations des régions du Nord et de l'Italie, et des substances précieuses qui nous arrivaient, brutes ou travaillées, de l'Orient. Malheureusement pour la cité flamande, toute cette splendeur s'évanouit au commencement du XVIe siècle, et la découverte de l'Amérique, en déterminant la décadence de Venise, transporta à Anvers le centre du commerce européen. Ce fut là l'origine de la prospérité de notre métropole commerciale. En 1503, des Portugais déchargèrent à Anvers une cargaison de denrées orientales, qu'on recevait auparavant par l'intermédiaire de l'Égypte, sous le monopole des Vénitiens[45]. La commune anversoise, saisissant toute l'importance de la chose, s'empressa de traiter avec les Portugais et accueillit chez elle un facteur, représentant de leur souverain. Cinq ans plus tard, deux vaisseaux zélandais, venant des îles Canaries, vinrent également déposer leur cargaison à Anvers. Le sucre, qu'ils portaient, ne trouva pas, disent les chroniqueurs, d'acheteurs à deux patards la livre ; après l'avoir gardé six mois, il fallut le laisser à moins de trois gros, car l'usage alors n'en était pas habituel. Un marchand, nommé Nicolas Rechtergen, eut l'idée de transporter l'article eu Allemagne, où on le crut d'abord sophistiqué, parce qu'il n'y arrivait pas par la voie ordinaire de Venise. Il devait paraitre étrange en effet aux Allemands que le sucre leur arrivât ainsi des Pays-Bas, où ils avaient l'habitude de le transporter eux-mêmes, après l'avoir reçu de l'Adriatique. Mais il fallut se rendre à l'évidence. Le chemin était ouvert, les Portugais et les Espagnols le suivirent à l'envi ; Anvers devint le rendez-vous général. Les Italiens, qui, au siècle précédent, y avaient déjà des magasins considérables de soieries, y formèrent de nouveaux comptoirs ; les Anglais les imitèrent et, à l'exemple des Fugger, des Welser, des Osteter, fameux en Allemagne par leur opulence, des Gualterotti de Florence, des Bonvisi de Lucques, des Spinola de Gênes, la plupart des marchands étrangers abandonnèrent Bruges pour son heureuse rivale. On assigne pour date approximative à cette grande migration commerciale l'année 1516[46]. L'empereur Maximilien, voulant se venger des affronts reçus des Brugeois, avait, dès les dernières années du XVe siècle, garanti des avantages précieux aux marchands italiens qui abandonneraient Bruges pour s'établir à Anvers[47]. La Venise du Nord, comme on appela longtemps la vieille cité flamande, était restée en possession du comptoir hanséatique ; elle défendit avec acharnement ce dernier débris de sa splendeur. Des hanséates, à la suite d'une rixe, avaient été maltraités à Bruges. A cette date remonte la première tentative de transfert du comptoir à Anvers, où beaucoup de marchands appartenant à la hanse s'étaient retirés. La diète hanséatique hésita longtemps ; elle craignait de s'aliéner les Flamands, dont elle avait besoin dans la lutte commerciale qu'elle soutenait, pour sauver son monopole, contre les Hollandais. Les Brugeois profitèrent de cette irrésolution et députèrent, en 1530, deux de leurs magistrats à Lubeck. Ces envoyés étaient chargés d'offrir à la diète toutes les satisfactions possibles et d'y joindre l'engagement de tous les tonlieux pesant sur les bières et les vins importés en Flandre. Peine perdue. Après des discussions répétées dans les diètes du Lunebourg (1535) et de Lubeck (1540), la hanse résolut de transférer son comptoir à Anvers, si on lui assurait dans le Brabant les avantages que la Flandre lui avait offerts jusque là. Par une convention du 9 février 1545, les hanséates et la ville d'Anvers se promirent réciproquement, avec la garantie de l'empereur consulté à ce sujet, liberté du commerce, liberté d'association et de juridiction, affranchissement de toute entrave et de toute taxe pouvant gêner les transactions marchandes[48]. Ce traité scella la ruine commerciale de Bruges. Anvers alors devint rapidement l'emporium général de l'Europe[49], la ville commune de toutes les nations. L'Escaut se couvrit de flottes innombrables, et l'on vit les navires attendre deux ou trois semaines à l'ancre avant de pouvoir aborder aux quais de déchargement[50]. Vers le milieu du siècle, il y avait souvent sur ce beau fleuve jusqu'à deux mille cinq cents vaisseaux chargés de toutes sortes de marchandises, et le mouvement d'entrée et de sortie s'élevait presque chaque jour à cinq cents bâtiments. La bourse était journellement fréquentée par plus de cinq mille négociants en correspondance avec toutes les parties du globe. On y traitait plus d'affaires en un mois qu'il ne s'en négociait en deux années à Venise, alors pourtant encore l'une des premières places commerciales du monde. Aussi l'ambassadeur de cette république, Marino Cavalli, s'écriait-il avec douleur : Je fus étonné et émerveillé lorsque je vis Anvers, car je voyais Venise dépassée[51]. Anvers, disait un autre Vénitien[52], est la plus grande place commerciale de l'univers. Suivant des estimations recueillies par M. de Reiffenberg, le montant de la vente et de l'achat des marchandises s'élevait, année commune, au dessus d'un milliard et demi de florins[53], non compris la négociation des effets de change. Tous les gouvernements y avaient leurs consuls ou facteurs, et l'on y comptait plus de mille maisons étrangères. Les Danois et les hanséates réunis, les Espagnols, les Italiens, les Anglais les Portugais et les Allemands formaient les six nations qui s'y étaient fixées. En temps de paix, les Français y affluaient aussi, mais les guerres incessantes entre la France et les Pays-Bas ne leur permirent point d'y établir un comptoir. La plupart des marchands y acquirent des fortunes colossales[54], et Anvers fut la place où se négocièrent non seulement tous les emprunts du gouvernement et des provinces[55], mais encore ceux de la plupart des souverains étrangers[56]. La richesse publique à Anvers crût naturellement avec sa prospérité. Guicciardin évalue ses revenus à deux cent cinquante mille écus par an ; l'impôt sur le vin rapportait soixante mille ducats, celui sur la bière quatre-vingt mille. L'état comparatif de ses recettes présente des progressions établissant à la fois l'accroissement de ses revenus et l'accroissement des impôts. En 1530-1531, elles sont de vingt-quatre mille six cent neuf livres de gros da Brabant ; en 1542-1543, de quarante-deux mille deux cent septante-sept livres ; en 1549-1550, de cent quatre mille huit cent nonante-six ou quatre cent dix-neuf mille florins carolus. En 1555, le produit des accises donna deux cent septante-sept mille deux cent nonante-neuf livres[57]. On attribue à la ville, de 1549 à 1561, une population de deux cent mille habitants. D'après un recensement par quartiers, wycken, ordonné en 168, cette population s'élevait alors à quatre-vingt neuf mille neuf cent nonante-six citoyens et quatorze mille neuf cent quatre-vingt cinq étrangers domiciliés, auxquels il faut ajouter les matelots, les étrangers de passage, les habitants des faubourgs au nombre de plus de cinquante mille[58]. La prospérité commerciale d'Anvers exerça une heureuse influence sur les autres villes du Brabant. Louvain seul ne se releva point de la décadence où l'avaient entraîné les mouvements populaires qui signalèrent l'administration du duc Wenceslas de Luxembourg. Suivant un acte de 1523, la cité louvaniste était dans une telle détresse qu'il lui était impossible de supporter les charges publiques et d'entretenir ses monuments[59]. Pour remédier à cette situation, Charles-Quint, reprenant un projet formé sous le duc Jean IV, autorisa les habitants à canaliser la Dyle, mais cet octroi resta à l'état de projet. L'empereur leur accorda un peu plus tard (1535) l'étape des vins étrangers, et, en 1542, pour favoriser les brasseries établies à Louvain, il défendit de fabriquer de la bière dans un rayon de deux lieues[60]. Le Hainaut semble avoir repris à cette époque une nouvelle vie industrielle et commerciale. Le nombre des manufactures de draps et de serge était si considérable à Mons, dans les premières années du règne de Philippe II, qu'à l'heure dé la sortie des ouvriers la cloche du beffroi arrêtait la circulation des voitures[61]. La Flandre était moins heureuse. Bruges était cependant restée l'entrepôt des laines d'Espagne et de Portugal, et elle en recevait chaque année quarante mille ballots, dont le moindre valait vingt ducats d'or[62]. Cette ville était aussi l'entrepôt du Nord pour les vins de France ; on y trouvait, encore quelques puissantes maisons[63], et beaucoup de marchands espagnols y avaient conservé leurs établissements. Néanmoins la ruine de la Venise du Nord s'achevait lentement, et l'émigration des ouvriers avait suivi celle des marchands. On en était venu pour les retenir à offrir une prime d'un ducat à quiconque y fabriquerait une pièce de drap. On avait cherché vainement aussi à y introduire l'industrie séricole : quoique les rues fussent remplies de mendiants, les manufactures de soie, au rapport de Vivès, manquaient de bras[64]. Par un octroi du 8 août 1544, Charles-Quint statua que les gens de métier, en s'établissant dans cette ville, y acquerraient le droit de bourgeoisie, et seraient admis à y exercer leur industrie, moyennant un versement de cinq sols pour tous frais de réception ou d'admission[65]. Les autres villes de la Flandre n'étaient guère dans une meilleure situation. Le transit des laines pour l'Italie avait cessé ; les laines anglaises n'arrivaient plus qu'en petite quantité ; les relations maritimes, que l'ensablement du Zwyn rendait difficiles, avaient diminué notablement. En vain rétablit-on, en 1510, les digues du Zwartegat, et fit-on sonder les eaux du Zwyn pour dissiper les craintes des pilotes étrangers[66]. Cela n'empêcha pas, vers 1512, les Écossais qui commerçaient avec la Flandre, de rompre leurs relations avec elle pour les établir en Zélande[67]. Les Flamands, bientôt surpassés par les Hollandais dans la construction des grands navires, perdirent leur réputation de navigateurs en même temps que leur supériorité commerciale. Il ne leur resta plus que l'industrie linière, qui continua longtemps à enrichir les campagnes, tandis que les villes expiaient leur égoïsme par la perte de l'industrie des étoffes de laine, dont elles s'étaient arbitrairement réservé le monopole. D'après Guicciardin, les Pays-Bas, vers le milieu du XVIe siècle, recevaient : d'Ancône, camelots à ondes et sans ondes, épiceries, drogueries, soieries, coton, feutres, tapis, maroquins, couleurs et autres productions du Levant ; de Bologne, draps de soie, d'or et d'argent, bonnets, crêpes ; de Venise, clous de girofle, cannelle, noix muscades, gingembre, rhubarbe, aloès, casse, agaric minéral, sang de dragon, feuilles de séné, coloquinte, scammonée, mithridate, thériaque, draps de soie, soieries, camelots à gros grains et sans ondes, tapis, écarlate, ébène, merceries de toute espèce, azur et autres couleurs ; de Naples, draps de soie, soies filées et à filer, pelleteries, safran d'Aquila, manne ; de Sicile, noix de galle, oranges, coton, soieries, vins ; du Milanais, beaucoup d'or et d'argent filé, futaines, basin, écarlates, fines étoffes de laine, riz, armures fines et, damasquinées, merceries fines, fromage de Parmesan ; de Florence, draps d'or et d'argent frisés et non frisés, brocarts et autres draps de soie, or et argent filés, draps dits Russia, — renommés pour leur longue durée —, filoselles, peaux fines, martres, fins ouvrages de fantaisie ; de Gênes, velours, satin et autres étoffes de soie, corail, mithridate de première qualité, thériaque ; de Mantoue, draps de soie, soieries, bonnets, diverses denrées ; de Lucques, draps d'or et d'argent, draps de soie — de qualité inférieure à ceux des autres villes — ; du reste de l'Italie, aluns de Civita-Vecchia dont la fabrication des draps faisait une grande consommation, huiles, noix de galle, gommes, cotons, séné, souffre, opiment et autres drogueries ; de l'Allemagne, argent en barre et en lingots, mercure, cuivre brut et ratiné, laines fines de Hesse, verreries, futaines, pastel, garance, safran, matières tinctoriales, nitre, merceries, meubles de ménage et de luxe, métaux de toute espèce, armes offensives et défensives, vins ; du Danemark, de la Livonie, de la Norvège, dé la Suède, de la Pologne et des autres contrées du Nord, grains — en immense quantité —, cuivre, salpêtre, vitriol, garance, laines d'Autriche, lins, miel, poix, cire, soufre, cendrées, peaux fines, pelleteries, bois de construction, bières, viandes salées, poissons salés et séchés, ambre jaune, etc. ; de la France, sel de Brouage, pastel dé Toulouse, canevas et autres grosses toiles de Normandie et de Bretagne, vins blancs et clairets, huiles, safran, garance de Provence, poix, papier à écrire, verroteries, pruneaux, bois de brésil — que les Français allaient chercher en Amérique —, belles dorures, draps fins de Paris et de Rouen, cramoisis de Tours, bouras de Champagne, fils de Lyon, chanvre, merceries, etc. ; d'Angleterre, grande quantité de draps fins et gros, de laines fines, franges, safran, étain, plomb, peaux de moutons et de lapins, pelleteries, cuirs, bières, fromages, denrées de diverses espèces, vins de Malvoisie et de Candie ; d'Écosse, peaux de moutons et de lapins, pelleteries — entre autres les plus belles martres —, cuirs, laines, draps grossièrement fabriqués, belles et grosses perles ; d'Irlande, grande quantité de cuirs crus et secs, pelleteries ; d'Espagne, pierreries, perles des Indes et de l'Amérique, or et argent pur, massif et en lingots, cochenille, salsepareille, gaïac, safran, drogueries, écarlate, soies crues et non filées, draps de soie, velours de Tolède, taffetas, sel, alun de Mazzeron, orseille des Canaries, laines, fers de Cordoue, vins, huiles douces, huiles grasses — employées par les drapiers —, vinaigre, miel, mélasse, gommes d'Arabie, savons, fruits frais et secs — oranges, limons, citrons, grenades, olives, melons, câpres, dattes, figues, raisins, amandes —, vins, sucre des Canaries ; de Portugal, pierreries et perles orientales, or pur, massif et battu, épiceries, drogueries, musc, civette, ivoire, rhubarbe, aloès, racines de Chine et autres denrées précieuses dont l'Europe se fournissait à Anvers, sucre, bois de Brésil, productions diverses de la Guinée, vins de Madère, sel, vin, huile, pastel, graines, orseille, fruits frais, secs, confits et en conserve[68] ; de la Barbarie, sucre, azur, gommes, coloquinte, cuirs, pelleteries, plumes d'autruche et autres. Le même auteur estime à trois millions d'écus d'or la valeur des importations annuelles de l'Italie dans nos provinces. L'Allemagne nous envoyait pour plus de six cent mille écus de futaines et pour quinze cent mille écus d'or de vins. Le Nord y importait annuellement soixante mille lasts de grains, principalement de seigle, représentant une valeur de seize cent quatre-vingt mille écus d'or ; la France, environ quarante mille tonneaux de vin, à vingt-cinq écus le tonneau, quarante mille balles de pastel, à sept écus et demi la balle, six cent mille tonneaux de sel de Brouage, valant cent quatre-vingt mille écus ; l'Espagne, vingt-cinq mille sacs de laine, à vingt-cinq écus le sac ; le Portugal, pour plus d'un million d'écus d'épiceries ; l'Angleterre, pour plus de deux cent cinquante mille écus de laines et pour plus de cinq millions d'écus de draps. Les Anglais prenant en échange des marchandises des Pays-Bas, on évaluait à. plus de douze millions d'écus le commerce qu'ils faisaient avec nos provinces. Mettons en regard des produits importés dans le pays le tableau de ceux, qu'à la même époque, il exportait chez nos voisins et dans d'autres régions plus éloignées. La Belgique envoyait : à Rome, des draps, des tapisseries, des sayes[69], des ostades[70], des demi-ostades, des toiles ; à Ancône, des draps du pays et des draps anglais, des sayes, des ostades, quelques tapisseries teintes à l'aide de la cochenille d'Espagne ; à Bologne, des sayes, des demi-ostades, des tapisseries, des toiles, des draps, des merceries ; à Venise, des joyaux et des perles, des draps (principalement des draps du pays), des laines, des sayes de Ilondschoote, Lille, Arras, Valenciennes et Mons, des ostades, des demi-ostades, des toiles, des tapisseries cramoisies, des merceries, du sucre, du poivre, des ustensiles de ménage ; à Naples, des draps du pays et des draps anglais, une grande quantité de toiles, des sayes, des ostades, des demi-ostades, des tapisseries, des merceries, des métaux ; à la Sicile, des draps, des toiles, des tapisseries, des merceries, des métaux ; au Milanais, du poivre, du sucre, des joyaux, du musc et des parfums, des draps du pays et des draps anglais, des sayes, des demi-ostades, des toiles, des tapisseries, des laines d'Espagne et d'Angleterre ; à Florence, des sayes, des demi-ostades, des toiles, du lin, des frises, des laines d'Angleterre, des éventoirs ; à Gènes, à Mantoue, à Lucques, à Vérone, à Brescia, à Vicence, à Modène, des draps du pays et. des draps anglais, des serges, des demi-ostades, des tapisseries, des merceries, des ustensiles de ménage, des meubles ; au reste de 'Italie, de l'étain, du plomb, de la garance, du brésil, de la cire, des cuirs, des lins, du suif, des poisons salés, des bois d'ébénisterie ; quelquefois du froment, du seigle, des fèves et d'autres légumes ; à l'Allemagne, des pierreries, des perles, des épiceries, des drogueries, du safran, du sucre, des draps du pays et des draps anglais, des sayes, des ostades, des demi-ostades, des tapisseries, des toiles, des merceries ; au Danemark et autres contrées du Nord, des épiceries, des drogueries, du safran, du sucre, du sel, des draps du pays et des draps anglais, des sayes, des ostades, des demi-ostades, des futaines, des toiles, des pierreries, des draps de soie et d'or, des camelots, quelques tapisseries, des vins — principalement des vins d'Espagne —, de l'alun, du brésil, des merceries, beaucoup de meubles et de grosseries[71] ; à la France, des pierres précieuses, des perles, de l'argent massif et en lingots, du mercure, du cuivre, du bronze, du laiton travaillé et non travaillé, du plomb, de l'étain, du vermillon, des couleurs, du soufre, du salpêtre, du vitriol, des camelots, des graines, des draps d'Angleterre, des frises, des sayes, beaucoup de draps du pays frisés et à friser, des toiles fines, des ostades, des demi-os tades, des tapisseries, des laines d'Autriche, des cuirs, de la cire, des pelleteries, de la garance, du houblon, du suif, des viandes séchées, du poisson salé ; à l'Angleterre, des joyaux, des pierreries, de l'argent en barre, du mercure, des draps d'or, d'argent et de soie, de l'or et de l'argent filé, des graines, des épiceries, des drogueries, du sucre, du coton, du cumin, des noix de galle, des toiles, des sayes, des demi-ostades, des tapisseries, de la garance, du houblon — en très grande quantité —, des verres, du poisson salé, des merceries, des métaux, des armes, des munitions de guerre, des meubles, des ustensiles de ménage ; à l'Écosse et à l'Irlande, quelques épiceries, du sucre, de la garance, des draps de soie, des camelots, des sayes, des toiles, des merceries ; à l'Espagne, du mercure[72], du cuivre, du bronze, du laiton, du plomb, des draps du pays — principalement de la Flandre — et quelques draps d'Angleterre, des sayes, des ostades, des demi-ostades, des tapisseries, des toiles, des camelots, des lins, des fils, de la cire, de la poix, de la garance, du suif, du soufre, des blés, des viandes et des poissons salés, du beurre, du fromage, des merceries de métal, de soie, de filoselle, etc. — pour des sommes énormes —, de l'argent, de l'argenterie, des armes offensives et défensives, des munitions de guerre, des meubles, des ustensiles de ménage[73] ; au Portugal, de l'argent massif, du mercure, du vermillon, du cuivre, du bronze, du laiton, du plomb, de l'étain, des armes, de l'artillerie, des munitions de guerre, de l'or et de l'argent filé, en général tous les autres produits que recevait l'Espagne ; à la Barbarie, des draps, des toiles, des sayes, des merceries de toute espèce en très grande quantité. A ces détails donnés par Guicciardin ajoutons quelques renseignements empruntés à des sources contemporaines. Les marchandises, disait l'ambassadeur vénitien Cavalli en 1551, ont dans ces provinces leurs localités reconnues. Pour les draps, c'est Lille, Commines, Courtrai et autres lieux environnants ; pour les tapisseries, Bruxelles, Audenarde et Enghien ; pour les toiles, le fromage et le beurre, la Hollande ; pour les poissons salés, la Zélande ; pour les ostades et les camelots, Valenciennes et Lille. C'est à Bruges que sont apportées toutes les laines d'Espagne, et à Menin que se fabriquent les nappes et les serviettes. Toutes ces marchandises, après avoir enrichi les villes précitées, sont menées à Anvers comme au centre du commerce. Il y a partout une circulation d'argent et un débit de toutes choses si abondants, qu'il n'est pas d'individu si bas placé et si indolent qu'il soit, qu'il ne faille considérer comme riche dans sa position relative. Anvers reçoit d'Espagne des raisins secs, des oranges, des olives, des vins, des teintures, des soieries pour plus de cinq cent mille ducats ; de Portugal, des épices, des sucres et des joyaux pour cinq cent mille ducats ; d'Angleterre, de l'étain, des laines et des draps pour trois cent mille ducats et plus ; d'Allemagne et de France, des vins et des métaux, pour au delà de huit cent mille ducats ; de l'Oostland, des bois, du lin et des grains pour deux cent cinquante mille ducats ; d'Italie, des velours, des draps de soie, de l'or, des camelots et quelques espèces de futaines et de soie, pour une somme énorme, qui excède un million d'or. Il s'exporte de la même ville — Anvers —, continue l'envoyé vénitien, pour plus de cinq cent mille ducats de tapisseries de laine, où la main d'œuvre entre pour les deux tiers de la valeur. L'Allemagne et la France en tirent, pour cent cinquante mille ducats par an de fromage et de poisson salé ; la France et d'autres pays pour cinquante mille ducats de chevaux, pour quatre cent mille ducats de tissus de laine, et pour deux cent mille ducats de toile. A l'Allemagne elle fournit pour cent mille ducats, et à l'Oostland pour cinq cent mille ducats d'épices, de fruits secs, viandes salées et autres marchandises ; à l'Angleterre, pour cinq cent mille ducats de draps de soie, épices, etc. Tout ce trafic vaut au pays, outre le gain des artisans, plus d'un million de ducats de bénéfice[74]. En s'appuyant sur ces données, on ne trouve rien d'exagéré dans l'assertion d'un de nos historiens les plus sérieux, qui évalue les exportations annuelles de la draperie flamande, sans y comprendre les draps de qualité inférieure, à huit millions de florins, représentant aujourd'hui cinquante millions de francs[75]. Les comptes de recette d'un droit, d'un centième établi en 1543 sur toutes les marchandises exportées, fournissent aussi, remarque M. Henne, de précieux renseignements sur le mouvement du commerce et de l'industrie. Les recettes produisirent, du 10 février 1543 au 10 février 1544, soixante mille neuf cent soixante-trois livres de gros de Flandre, un sou, trois deniers, soit trois cent soixante-cinq mille sept cent septante-huit livres de 40 gros ou florins carolus, sept sous, six deniers, représentant la centième partie de la valeur des marchandises exportées. Cette valeur s'était donc élevée à trente-six millions, cinq cent septante-sept mille, huit cent trente-sept florins carolus, dix sous, soit sept cent septante-un millions, sept cent nonante-deux mille, trois cent soixante francs de notre monnaie actuelle. Les comptes énumèrent les marchandises diverses. Nous allons reproduire ces indications curieuses et instructives ; nous ajouterons en noie quelques chiffres de nature à faciliter l'appréciation du prix spécial de chacune de ces marchandises. Notre commerce d'exportation consistait donc en draps de différentes qualités[76], draps de Malines, de Lierre, de Duffel, de Louvain, de Bruxelles, de Flandre, d'Ypres, d'Armentières, draps de village, petits draps, gros draps d'Angleterre, ostades[77], ostades frangées et non frangées, demi-ostades[78], futaines, camelots, frises, sayes, sayettes, serges, canevas de Brabant, soieries, draps de soie, satins, satins de Bruges, de Valenciennes, du Quesnoy ; velours, rubans, rubans de ceinture, toiles de Flandre, de Brabant, de Hainaut, de Hollande, nappes, serviettes, dentelles, tapisseries, lin, fils de lin et de coton, bonneterie, chausseterie, couvertures de lit, merceries, chapelets, aiguillettes, jeux de cartes, miroirs, épingles, masques, papiers de toute espèce, plumes à écrire, armes, cottes de maille, arbalètes, dagues, lances, hacquebutes, fers de pique, fers de trait d'arbalète, canons, boulets, sellerie, selles de chevaux, brides, harnais, habillements de toute espèce, chapeaux de feutre, de soie, de paille ; gants, souliers, pelleteries, cuirs de Malines et autres, peaux tannées et autres, savons, huiles, chandelles, cire, charbons, sel, sirops, fromages de Flandre, de Hollande et autres, beurre, fruits, poissons secs, salés et autres ; viandes sèches et salées ; vins, bière, cidre, verjus, houblon, meubles, œuvres d'art, tableaux, sculptures, vitraux peints, imagerie, instruments de musique, épinettes, tambourins, Rates et autres ; outils de drapier et autres ; pierreries, bijouterie, livres, métaux travaillés et bruts, fer, acier, plomb, étain, cuivre, fer-blanc, laiton, vif-argent, chaudronnerie, coutellerie, bois de construction, briques[79], chaux, pierres, ardoises, cordes, goudron, verres et verres à vitre, poteries, figurines de terre cuite, teintures et couleurs, azur, vermillon, pastel, garance, drogueries, alun, potasse, arsenic, noix de galle, colles, mithridate, ambre, épiceries, écorces, cendrées, etc. Il nous reste à ajouter quelques indications sur la situation, au moment où nous sommes, des principales industries de la, Belgique. Contre la nature de leur pays, dit Guicciardin, les Belges tissent la soie, mais en petite quantité. Ils affinent avec art les métaux, travaillent la cire, raffinent le sucre, et fabriquent sous le nom de cinabre le meilleur vermillon connu. C'est en Belgique et surtout à Bruxelles que se fabriquaient les plus beaux camelots et bourracans de l'Europe[80]. En 1551, des marchands milanais introduisirent à Gand la fabrication des étoffes dites estammettes[81]. Les Belges, selon l'écrivain anglais Shaw, fournissaient d'étoffes de laine et de soie non seulement la majeure partie de l'Europe, mais encore les pays nouvellement découverts en Asie et en Amérique. Les écrivains étrangers ne parlent qu'avec enthousiasme de nos riches broderies, de nos fabriques de velours, de satin et de damas. Et cependant, malgré de nombreuses mesures prohibitives[82], notre principale industrie, celle de la draperie, marchait vers sa décadence. Après s'être longtemps bornés au rôle de bergers de la Flandre et du Brabant, selon l'expression d'un de leurs compatriotes, les Anglais s'étaient mis à travailler eux-mêmes leurs laines et, depuis le XVe siècle, ils rivalisaient avec la Belgique dans la fabrication des draps de qualité inférieure. Bientôt même, comme ce genre de fabrication ne leur offrait plus que de faibles bénéfices, les draperies belges y renoncèrent et se contentèrent de fabriquer les étoffes fines et de couleurs éclatantes. Au xvte siècle, nos marchands allaient acheter à Londres tous les gros tissus pour les revendre aux autres peuples et même à leurs propres concitoyens. D'imprudentes mesures, telle que l'ordonnance du 28 mars 1528, qui frappa d'un fort droit d'entrée les laines anglaises[83], avaient favorisé cette concurrence, et elle était devenue si redoutable, qu'en 1531 les étais sollicitèrent la prohibition des draps étrangers. Charles-Quint n'y consentit pas ; il se contenta d'encourager ce qu'on appelait la nouvelle draperie, c'est à dire la draperie fabriquée avec les laines d'Espagne, que Philippe le Bon avait déjà cherché à développer. Cette tentative ne réussit pas mieux cette fois-ci que la première. Lorsqu'en 1534, l'empereur, brouillé avec Henri VIII, voulut imposer les laines espagnoles aux drapiers belges, on lui objecta que ces laines ne pourraient s'importer en quantité suffisante, et qu'elles seraient dès lors d'un prix trop élevé ; qu'il était impossible de les friser ; que les Espagnols eux-mêmes ne voulaient pas porter des draps fabriqués avec leurs laines, et qu'ils refusaient de les recevoir en payement. La sayetterie qui occupait aussi un grand nombre d'ouvriers, reçut de graves atteintes des mesures prohibitives de la France qui, pour favoriser les fabriques établies à Amiens, ferma ses frontières aux produits du Brabant, de la Flandre et de l'Artois[84]. Nos tapisseries de haute lisse, déjà renommées au ?dite siècle, conservaient leur grande réputation[85]. Les manufactures de Louvain, de Bruxelles, d'Anvers, de Bruges, d'Audenarde, d'Alost, d'Enghien, de Binche, d'Ath, de Lille, de Tournai, d'Ypres, de Saint-Trond étaient toujours en honneur. Marguerite d'Autriche favorisa beaucoup cette industrie, à laquelle l'art tenait de si près. Sous son administration, on répara toutes les tapisseries qui ornaient le palais de Bruxelles : la tapisserie de Gédéon, sept pièces de la destruction de Troyes, six pièces de l'histoire d'Annibal, cinq pièces de la bataille de Roosebeke, sept pièces de l'histoire du roi Clovys, deux pièces, à or, des douze pairs de France ; une pièce, à or, de la nativité de Notre Seigneur ; une pièce, à or, de la fontaine de Jouvence ; une pièce, à or, de l'histoire d'Octavius ; une pièce, à or, du trespas de Notre Dame ; deux pièces, à or, de Godefroy de Bouillon ; une autre pièce, à or, de Charlemagne ; deux pièces des neuf preux ; cinq grandes pièces de l'Apocalypse, deux pièces, à or, des sept péchiés mortels (capitaux), et un grand nombre d'autres. Elle acheta aussi beaucoup de pièces nouvelles. Les tapisseries étaient alors les présents les plus estimés parmi ceux qui s'échangeaient entre les cours et les souverains. Les nôtres avaient fait l'admiration de la cour de Charles VIII[86]. Celles que François Ier offrit au pape sortaient des manufactures de la Flandre[87]. Ce prince en acheta d'autres pour lui-même, et fit exécuter à Bruxelles, en vingt-deux pièces, les Batailles de Scipion d'après Jules Romain[88]. On sait aussi que les magnifiques tapisseries, qui ornent à Rome l'église de Saint-Pierre aux grandes solennités, sortirent des manufactures de la même ville[89]. On ne peut qu'approuver les mesures rigoureuses prises par l'administration, sous Charles-Quint, pour maintenir la réputation de probité commerciale de la Belgique, et réprimer les fraudes qui essayaient de se glisser dans nos principales fabrications. Des peines furent portées contre quelques drapiers qui s'étaient montrés peu scrupuleux sur ce chapitre[90]. Un édit du 16 mai 1544[91], relatif à la fabrication de la tapisserie, est précédé d'un considérant remarquable. Vu que, dit cet édit, depuis certaines années, les tapissiers et marchands de tapisseries, cherchant plus leur singulier profit et commodité que la perfection de l'ouvrage, se sont avancés, sous ombre de lui donner lustre, d'y colorer et peindre choses non faites ou duement ouvrées au fond de ladite tapisserie, et comme icelle œuvre de tapisserie est une des plus renommées et principales industries des Pays-Bas, en laquelle, non plus qu'en aucune autre, il faut user de fraude ou déception, nous avons arrêté les dispositions suivantes. L'arrêt rappelle d'abord les règlements antérieurs interdisant la fabrication des tapisseries à tous maîtres, ouvriers ou autres qui ne seraient pas établis dans une des villes privilégiées à cet effet, n'y seraient pas légalement inscrits, ou n'y auraient pas la qualité de bourgeois, par naissance ou par achat. Après cela le nouveau règlement impose aux ouvriers voulant entrer dans le métier un apprentissage de trois ans ; aux apprentis, un terme d'essai de six semaines. Il détermine minutieusement les devoirs et les charges réciproques des maîtres, des ouvriers et des apprentis ; le genre de travail spécial à chacun ; les matières à employer ; la manière d'exécuter les têtes, nez, yeux, bouches des personnages, et semblables se profilant et ouvrant au fond de la tapisserie. L'entrepôt des tapisseries fut établi à Anvers et à Berg-op-Zoom, sous la direction de courtiers assermentés. Il fut prescrit aux doyens et jurés du métier de visiter les maisons des ouvriers et des apprentis, ainsi que les fabriques dont les chefs seraient soupçonnés de contrevenir aux règlements, avec injonction de saisir les objets frauduleusement confectionnés. Enfin chaque maître dut estampiller d'une marque distinctive les produits de ses ateliers. Mais ces estampilles furent plus tard imitées par des contrefacteurs étrangers, afin, porte un édit des archiducs Albert et Isabelle, de vendre leurs tapisseries, comme si elles avoient été des meilleures et des plus coûteuses[92]. La teinturerie avait éprouvé le contre-coup de la décadence de la draperie ; elle déclinait rapidement malgré les efforts faits pour la soutenir. Ainsi on avait vu, en 1527, le magistrat de Malines s'engager à payer cent couronnes d'or à un teinturier d'écarlate venu d'Italie, pour qu'il enseignât son art à un maitre de cette ville, nommé Jean De Cuyper[93]. En 1537, il ne restait plus à Bruxelles de teinturiers en bleu, et il fallut, afin d'en ravoir un, qu'à la demande des nations, le magistrat lui assurât un subside annuel de six cents florins. De plus il fut défendu, l'année suivante, de teindre hors de la ville les étoffes qui y étaient manufacturées. D'autres mesures de ce genre se succédèrent sans relever l'industrie languissante[94]. L'industrie linière, au contraire, avait gardé toute son activité. Liée intimement au sol qu'elle fertilisait, dit M. Kervyn, elle puisait dans l'agriculture, et l'agriculture puisait en elle un mutuel et réciproque appui. Le même toit abritait la charrue et le métier du cultivateur devenu tisserand. Pendant les longues veillées de l'hiver, la moisson de l'été se métamorphosait, sous les mains qui l'avaient recueillie, en trésors mercantiles. La femme n'érine, assise à son rouet, concourait, par son adresse, à assurer la richesse, la paix et l'abondance dans le foyer domestique[95]. La Flandre sera riche, disait Charles-Quint, tant que l'on n'aura pas coupé le pouce de ses femmes. Cependant c'était la Hollande qui était alors particulièrement renommée pour les toiles extrêmement fines et belles qui s'y faisaient abondamment[96]. Les batistes, les cambrais, les linons, dont la fabrication introduite à Nivelles vers le commencement du XIIIe siècle, s'était étendue dans les autres villes du Brabant et dans la Flandre ; les toiles damassées portées à un haut degré de finesse et de perfection, toutes ces industries d'un luxe si recherché et si délicat, en enrichissant leurs fabricants, occupaient des milliers d'ouvriers dans les villes et dans les campagnes[97]. La ville de Bruxelles était renommée pour ses coutils, et cette branche d'industrie employa un très grand nombre d'ouvriers jusqu'en 1529. A cette date, une mesure intempestive lui porta un coup regrettable. Les tisserands en lin obtinrent une ordonnance excluant des ateliers les artisans étrangers à la commune. Cette interdiction réduisit de moitié le nombre des ouvriers et diminua la fabrication dans la même proportion. Néanmoins il constate d'une réclamation des fabricants de coutils eux-mêmes, qu'en 1541 ils avaient fourni de l'ouvrage à deux mille cinq cents personnes, tant maîtres et ouvriers du métier, que blanchisseurs, séranceurs, teinturiers, etc., et que leurs produits s'exportaient encore en divers pays. Le fin lin de la Belgique fournissait le fil délicat employé à la confection de ces dentelles si célèbres sous le nom de Bruxelles, de Malines, de Valenciennes. A. partir de la fin du XVe siècle nos manufactures de dentelles prirent une extension considérable, et, vers le milieu du XVIe, elles figurent, pour une part notable, dans l'ensemble de nos exportations. Une autre fabrication, dont le berceau parait devoir être placé à Malines, fut longtemps une des grandes sources de la richesse nationale : nous parlons des cuirs dorés et à figures, généralement appelés cuirs d'Espagne. Ces cuirs, fort recherchés à l'étranger, servaient à la fois comme riches tentures dans les appartements et comme garniture pour les meubles précieux. On voit, dans les comptes du temps, Charles-Quint en faire don à la mère de François Ier[98]. L'art de la tannerie fut surtout redevable de ses progrès à la ville de Namur. Ses laborieux habitants fournissaient des cuirs à toutes nos provinces, à la France et à divers autres pays[99]. Quelques villes des Pays-Bas, entre autres Courtrai, Tournai, Lille[100], exportaient beaucoup de merceries. Il est bon de savoir que les merciers avaient le privilège de vendre des denrées et une foule d'objets confectionnés, notamment des épiceries, des vins doux tels que l'hypocras et le Malvoisie, des poteries, des armes, des arcs, des coffres, des chapeaux, des boutons, des couleurs, des ouvrages d'osier, des objets façonnés au tour, du papier, des verroteries, des jouets, toutes choses qui rentrent aujourd'hui dans le domaine d'autres spécialités commerciales. Une ordonnance du 10 octobre 1530 montre que les Pays-Bas étaient encore, à cette date, dans une certaine mesure, tributaires de l'étranger pour le papier à écrire. C'était le moment où cet article commença à remplacer dans les actes publics le parchemin, qu'il avait déjà supplanté pour la correspondance et les usages privés. Des marchands, dit cette ordonnance, importent grande quantité de papier blanc qu'ils disent bon et léal pour escrire à un et à deux costés, et la plupart desdits papiers sont faulx et contrefaits portant marques des papiers qui précédemment estoient trouvés bons, et sont tels qu'on ne peut bonnement escrire à deux costés lettre lisible. Pour remédier au mal, elle interdit, au grand intérêt de la chose publique, l'entrée des papiers dont les deux faces ne prendraient pas bien l'écriture. En outre elle enjoint de retirer du commerce, dans les six semaines, tout papier semblable, sous peine d'un réal d'or d'amende par rame, et de privation perpétuelle de la faculté de vendre du papier bon ou mauvais. Cependant on fabriquait aussi du papier dans le pays. On trouve, entre autres, une papeterie établie à Linkenbeek, dans les environs de Bruxelles[101], et le papier figure en grande quantité dans le tableau de nos exportations. Le témoignage de Guicciardin, appuyé par nos nombreuses exportations d'instruments de musique, prouve que les Belges excellaient dès lors dans ce genre d'industrie. Parmi les fabricants d'instruments de cette époque, nous citerons, après M. Henne : Marc Moers, organiste à Lierre, à qui fut acheté, en 1508, pour le prix de trente-une livres cinq sous, un manicor pour le déduit et passe-temps de monseigneur l'archiduc ; Antoine Moers, d'Anvers, qui fournit à ce prince, en 1514, une paire d'orgues pour s'en servir à son très noble plaisir en sa chapelle, et un petit positif, aussi pour mettre en sadite chapelle ; Jean Crinon, de Mons, qui se rendit à Bruxelles, en 1536, pour montrer à la cour plusieurs instrumens d'orghes, répara, en 1538, les orgues du palais, et exécuta celles de Sainte-Waudru, placées en 1545 ; Étienne Lethman, qui livra à Charles-Quint, en 1539 un grand et un petit positifs ; Nicolas Vanderryt, raccoutreur des orgues de Marie de Hongrie. A partir de Charles le Téméraire, la fabrication des armes prit en Belgique une extension considérable. Les armuriers de Bruxelles étaient renommés : leurs cuirasses passaient pour être à l'épreuve des flèches ; leurs brigandines, leurs cottes de maille, leurs épées, s'exportaient en telle quantité que ce métier possédait plusieurs moulins à eau dits slypmolen, employés uniquement à aiguiser les armes qu'il fabriquait[102]. La fonderie de canons de Malines opérait dans de grandes proportions, comme le montrent les nombreuses commandes de l'étranger, particulièrement de l'Angleterre et du Portugal. Nous avons eu l'occasion déjà de dire un mot des importantes modifications apportées dans l'artillerie sous le règne de Charles-Quint. C'est de la fonderie de Malines que ce prince tira la plupart de ses engins de guerre. Les ustensiles de cuivre jaune fabriqués à Dinant et qui en avaient reçu le nom de dinanderies, aussi bien que les objets similaires provenant de Bouvignes et faisant concurrence aux premiers, constituaient alors d'importantes matières d'exportation. L'établissement des forges dans le comté de Namur était fort ancien, et les maîtres des forges ou ferrons avaient obtenu de nombreux privilèges des premiers souverains du pays. Ils avaient une cour particulière composée d'un mayeur et de plusieurs jurés pris dans leur corps. Cette cour connaissait de toutes les difficultés relatives à cette industrie, et des contestations entre les maîtres et les ouvriers. Les bois des vastes forêts dont cette partie du pays était couverte alimentaient les forges, et une grande activité régnait dans les fabriques de fer, auxquelles la Meuse ouvrait une facile communication avec la France et les provinces du nord. Les forges de Liège étaient regardées, à cette époque, comme les premières du monde, et un proverbe cité par M. Moke disait que les Liégeois avaient trois choses uniques, du pain meilleur que le pain, du fer plus dur que le fer, et du feu plus ardent que le feu[103]. Le Limbourg avait trouvé une source de richesse dans la calamine[104], que ses industrieux habitants mettaient en œuvre avec une grande habileté. Dans le vie siècle, dit Shaw, les ouvriers de ce duché occupés à tirer le métal de la mine et à le raffiner, étaient si nombreux et si bien disciplinés, il y avait un tel ordre dans leurs ouvrages, que les environs de la montagne offraient l'image d'une république régulière et bien gouvernée[105]. Les arts industriels avaient subi l'influence des arts libéraux. Le sentiment du beau qui se révèle, à cette époque, dans les constructions privées comme dans les monuments publics, se manifeste aussi dans les ameublements. L'art pénétrait partout, dans ces dressoirs, ces buffets, ces prie-Dieu, ces bahuts, que nous recherchons aujourd'hui sans arriver à les égaler. On voit, par l'inspection des comptes[106], que l'étranger se fournissait en Belgique, pour des sommes considérables, de lits, d'armoires, de garde-robes, de comptoirs, etc. Un fait à noter c'est qu'au XVIe siècle les ateliers d'horlogerie n'étaient pas encore très communs en Belgique, et que l'on n'y trouvait pas même d'horlogers capables dans toutes les grandes villes[107]. Les matériaux le plus généralement employés dans les constructions à cette époque étaient les grès de Béthune, de Mons, de Douai ; les pierres blanches de Lille, de Valenciennes, de Lezenne ; les pierres bleues d'Écaussines et de Merville ; les grandes pierres dites vaulsoirs de Lille ; les moellons, la chaux et la cendrée de Tournai ; les orduins taillés et les schorres de Flandre ; les briques qu'on fabriquait en divers lieux. Ce fut Marie de Hongrie, dit-on, qui trouva le secret de polir les pierres bleues des riches carrières d'Arquennes et de Feluy[108]. La pèche formait encore une branche importante du commerce de la Flandre. On n'a pas oublié que ce fut un Flamand, Guillaume Beuckels de Biervliet, qui inventa, vers 1416, l'art de conserver les harengs. Les Hollandais s'emparèrent vite de cette découverte, et dès le commencement du XVIe siècle, ils fournissaient à la Flandre des harengs. Le traité de 1495 qui avait mis un terme aux vexations des Anglais et donné aux pêcheurs des Pays-Bas le droit d'exercer librement leur industrie partout, avait développé singulièrement chez eux l'esprit d'entreprise, et l'on vit bientôt six à sept cents navires de pêche faire jusqu'à trois voyages par an et rapporter chaque fois de riches cargaisons, dont on estimait, selon M. Henne, la valeur totale à un million quatre cent septante mille florins d'or, ou environ trente millions huit cent septante mille francs. Les villes des Pays-Bas ne reculaient devant aucun sacrifice pour protéger leurs pêcheurs, et, en 1547, la seule ville d'Enckhuysen, où s'étaient fixés les plus habiles apprêteurs de harengs, arma huit vaisseaux pour escorter ses bateaux de pêche. Six ans plus tard, la même ville comptait vingt bâtiments de guerre, dont les frais d'armement étaient prélevés sur le produit de la pêche, et qui avaient mission de protéger les cent quarante barques envoyées à la poursuite du hareng[109]. Une convention conclue le 8 février 1519 entre le magistrat d'Anvers et celui de Malines nous apprend que ces deux villes avaient leurs bateaux de pêche qui approvisionnaient le Brabant de poisson salé[110]. Aux termes de l'ordonnance du 29 janvier 1549, les bateaux de pèche devaient être armés : la buse d'une demi couleuvrine, d'un, deux ou trois petits canons à mitraille, de cinq à six harpons, de piques ou d'arquebuses, et les autres bateaux d'un double canon, de quatre arquebuses et de huit piques[111]. Charles-Quint protégea et encouragea spécialement la pèche, dont les produits approvisionnaient la France, l'Espagne, l'Allemagne, et même l'Angleterre et l'Italie de-poisson salé, harengs et saumon[112]. A Damme, à l'Écluse, à Ostende, à Nieuport, le caquage occupait. un grand nombre de tonneliers, à en juger par les comptes de la recette du brandgheldt, droit qui se percevait sur chaque last de douze tonneaux à harengs fabriqués par eux[113]. Jusqu'au XVIe siècle, la Belgique resta tributaire de l'étranger pour les bières de bonne qualité : ces bières nous venaient principalement d'Irlande, de Hambourg, de Lubeck, de Brême et des autres villes de la Baltique ; l'Allemagne et l'Angleterre nous en fournissaient aussi. On ne fabriquait dans le pays que de petites bières : la crainte de manquer de grains portait souvent les magistrats des villes et quelquefois même le gouvernement à interdire la fabrication des bières fortes[114]. En 1535, lors de la rupture avec le Danemark, Corneille de Scheppere écrivait à l'évêque de Culm : ce qui nous afflige, c'est que, par suite de la fermeture de la mer, nous serons privés de vos excellentes bières[115]. Mais les démêlés des Pays-Bas avec les villes de la Hanse et les fréquentes interruptions du commerce avec le Nord changèrent cet état de choses. Le nombre des brasseries s'accrut notablement, et leurs produits s'améliorèrent dans la même mesure. Dès 1543, on vit la Belgique exporter ses bières en grande quantité dans les pays rhénans, en France, en Portugal, en Espagne. Charles-Quint, qui aimait beaucoup cette boisson, semble avoir voulu en introduire la fabrication dans ce dernier pays, car il y fit transporter du houblon et des ustensiles de brasserie[116]. Les villes s'empressèrent de favoriser, par tous leurs moyens, une industrie destinée à devenir l'une des sources les plus fécondes de leurs revenus. Elles triplèrent les droits sur les bières étrangères, et la plupart défendirent l'établissement de cabarets et de brasseries dans un rayon d'une lieue ou d'une demi-lieue au moins de leurs murs. L'amélioration des bières du pays en augmenta la consommation à l'intérieur ; la cour même renonça aux bières étrangères. Vers le milieu du siècle, on trouve surtout citées avec éloges les bières de Malines, de Hougaerde, de Léau (Zout-Leeuw) et de Londerzeel, la keulte de Tournai, la cervoise de Bruxelles, qu'affectionnait Marguerite d'Autriche[117] ; la clauwaert de Gand. On trouve encore mentionnées dans les comptes la knol, la double knol, la kuyte, l'hoochsel et le poorters hoochsel, fortes bières d'Anvers ; la waeghebaers, la bière de mars, la bière double et la brugsche keyte de Bruges. Le prix de ces bières variait à l'infini. A la même époque, la production et le commerce des vins avaient une grande importance et constituaient une source féconde de revenus pour le souverain[118]. Les vignobles étaient nombreux dans nos provinces. On trouve dans les villes et dans les villages des Pays-Bas[119], dit Guicciardin, des vignes de diverses espèces, mais peu dans les champs. Le climat ne leur est guère favorable. Cependant aux environs de Louvain et de Namur, dans quelques parties du Luxembourg et du pays de Liège, on les cultive avec succès. Le vin qu'elles produisent est rude et verdelet. Toute l'Europe connaissait le vignoble de Louvain, où les vignerons étaient si nombreux que, sous le règne de Maximilien, on les accuse d'avoir allumé mainte sédition[120]. Il semble qu'à la date où écrivait Guicciardin, la température, à Louvain, était déjà moins propice à cette culture. Au XVe siècle, au témoignage d'un de nos écrivains les plus instruits et les plus laborieux, les ducs de Bourgogne avaient aux environs de cette ville un vignoble, dont le produit était servi sur leur table avec celui des crus de Bruxelles et d'Arschot. Ce n'est pas pourtant, ajoute cet écrivain, que ces souverains ne pussent se procurer d'autres vins, car Bruges avait alors l'entrepôt de ceux de France pour le Nord ; d'ailleurs les ducs de Bourgogne possédaient encore d'autres vignobles que ceux de Louvain ; seulement cette circonstance montre combien on estimait alors ces derniers[121]. La vendange, dans la franchise de Louvain, donna, en 1552, environ deux mille aimes ; en 1553, elle fut plus considérable encore, et, en 1554, elle produisit un peu plus de quinze cents aimes[122]. Indépendamment du vignoble cultivé pour les besoins de sa table, le souverain en avait d'autres à Louvain, qui étaient donnés à ferme[123]. Il en possédait aussi à Namur[124] et jusque dans le parc de Bruxelles, où se trouvait un clos fournissant du vin préparé à la mode de ceux de Bourgogne[125]. Cette dernière ville et ses faubourgs, notamment Saint-Josse-ten-Noode, avaient des vignobles assez renommés ; on voit figurer dans les revenus de l'hôpital Saint-Pierre le montant de la vente de ces produits[126]. Parmi les vins estimés du pays, on cite encore le vin de Buley, récolté sur la montagne de ce nom, près de la porte de la Plante à Namur[127], et le vin de Saint-Brice à Tournai[128]. Le vin blanc des vignobles d'Arschot était aussi fort estimé ; la vendange, dans ces vignobles, était souvent fort abondante[129]. Dans le village de Langdorp et ses environs, l'abbaye de Sainte-Gertrude à Louvain recueillait quelquefois en une seule année dix-huit cents aimes de vin[130]. Ces vins du pays servaient à la consommation intérieure ; on n'en exportait guère que dans le Nord[131]. Chose triste à dire, la fraude s'était glissée de bonne heure dans le commerce qui s'en faisait, et déjà, à la fin du XIVe siècle, il avait fallu comminer des peines terribles contre les marchands qui frelataient le vin en y mêlant des substances nuisibles, telles que la couperose[132], le mercure, la calamine : le coupable était brûlé vif sur le tonneau renfermant la liqueur[133]. Les vins étrangers étaient vendus au marché par des facteurs jurés ou courtiers nommés par les magistrats municipaux et surveillés par des inspecteurs ad hoc. Ces inspecteurs dégustaient les vins et en ordonnaient la confiscation, s'ils n'étaient pas de la qualité indiquée par le vendeur. Les règlements interdisaient au marchand de mettre dans la même cave des vins d'espèces différentes, et aux facteurs de vendre à la fois du vin de France et du vin du Rhin ou d'Espagne. L'Allemagne fournissait beaucoup de vins à la Belgique, et nous avons vu plus d'une fois, dans le cours de cette histoire, le vin du Rhin offert, comme objet de luxe, dans les solennités publiques, aux souverains et aux grands personnages. Ce fut seulement vers le milieu du règne de Charles-Quint que l'usage des crus d'Espagne et de Portugal se répandit en Belgique. Ils paraissent y avoir remplacé la consommation de l'hydromel et de l'hippocras, espèce de liqueur qu'on fabriquait avec du vin ordinaire, du miel, des épiceries et des aromates. Le prix de ces différents vins offre, dans les comptes, des variations considérables[134]. L'établissement des bourses de commerce prit à la même
époque de grands développements. En 1531, s'éleva la Bourse d'Anvers, qui
servit de modèle aux autres nations[135]. C'estoit, dit Guicciardin, la
plus belle de l'Europe, avec t'es quatre grandes portes, ses galeries
remplies de boutiques où se vendoient les riches merceries et où les peintres
exposoient leurs tableaux[136]. Après son
achèvement, les affaires de banque ne se traitèrent plus que là à Anvers. Les
Anglais seuls continuèrent, pendant quelque temps, à se réunir à la Bourse
anglaise, bâtiment qu'ils avaient fait construire, en 1515, pour leur usage
particulier. Tous les autres négociants s'y assemblaient le matin à onze
heures, l'après-diner à six ; les Hanséates s'y rendaient en cortège, musique
en tête. La Bourse d'Anvers, selon le mot d'un étranger, était un petit
monde, où étaient représentées toutes les contrées de la terre. Le transit avait nécessité de bonne heure la construction de grandes voies de communication, et la Belgique en était sillonnée. La principale était l'ancienne chaussée romaine de Bavai à Tongres qui, sous le nom de grande chaussée, partait des frontières de France et se dirigeait par Maëstricht jusqu'à Aix-la-Chapelle et Cologne, à travers les provinces de Hainaut, de Brabant, de Namur, et la principauté de Liège. Un édit de 1527 prescrivit d'entretenir les chemins en bon état, afin que les marchands avec leurs marchandises pussent commodément passer sans péril, et que les tonlieux de l'empereur ne fussent pas perdus. Les dispositions de cet édit furent renouvelées et étendues par deux ordonnances des 18 mai 1536 et 15 juin 1555[137]. L'Escaut fut canalisé à Tournai et la Haine le fut jusqu'à ce fleuve. En 1515, Charles-Quint répartit dix mille sept cent cinquante-quatre livres entre les métiers de Bourbourg, Bergues, Furnes, Cassel, pour la réparation de leurs dunes et de leurs digues. A Ostende, dont le port était déjà menacé d'envasement, on construisit, en 1517, à l'extrémité-est du chenal, une écluse de chasse pour le curer en retenant les eaux à la marée haute et en les lâchant à la marée basse[138]. Les édits du 29 janvier 1549 et du 19 juillet 1551 nous montrent les assurances maritimes existant depuis un certain nombre d'années. Ces édits cherchent à réprimer les fraudes des marchands, qui faisaient de fausses déclarations pour obtenir de grosses assurances sur des navires destinés à être livrés ensuite aux pirates ou à l'ennemi. Par une mesure qui fut depuis imitée par Cromwell, l'article dix-huit de l'édit de 1549 défendit, sous peine de confiscation et d'amende arbitraire, aux sujets et habitants des Pays-Bas, de charger des biens ou des marchandises, pour l'importation ou pour l'exportation, sur des navires étrangers ; il n'était permis de recourir à ces navires qu'en cas d'impossibilité constatée de se pourvoir de bâtiments nationaux. L'existence des compagnies d'assurance sur la vie est également attestée par une requête adressée, en 1568, au duc d'Albe. Cette requête, émanant de marchands espagnols fixés à Anvers, parle de ces compagnies comme existant depuis un temps notable[139]. La tendance marquée du gouvernement de Charles-Quint fut de transformer en lois écrites les usages principaux du commerce. Ces usages en général étaient empreints d'un esprit sagement libéral. Ainsi ils permettaient l'importation de toutes les marchandises étrangères, à la seule condition de n'user ni de fraude ni de tromperie. Il n'y avait d'entraves à l'exportation que pour les chevaux de cavalerie, les céréales, les armes, les munitions de guerre, les métaux, dont les guerres faisaient assez fréquemment prohiber la sortie. Toutes les industries, tous les débits de marchandises du reste étaient soumis à des redevances en nature ou autres, qui n'étaient pas sans quelque analogie avec nos patentes[140]. Les capitaux, dit avec raison M. del Marmol, forment la base de toute opération commerciale : en faciliter la circulation, c'est donc aider à la prospérité du commerce. Mais il y a quelque confusion dans ce qu'il ajoute ensuite sur le prêt à intérêt, que permettait, selon lui, le droit romain, en se conformant au taux réglé par la loi ; mais que le droit canonique défendit comme contraire à l'Écriture. Les dispositions de ce dernier droit sur cette matière, dit toujours le même écrivain, furent suivies en Belgique. Cependant les besoins du commerce obligèrent souvent, les souverains d'accorder la permission de tenir des tables de prêt. Ces autorisations étaient déjà connues dans les temps les plus reculés, au rapport de Zypaeus : fuerunt jam ante plura secula in his ditionibus qui mensas fœnebres exercerent, quas edictum 10 aprilis 1510 sustulerat, sed publica necessitas rursus indixerat[141]. Les princes sans doute donnaient ou retiraient ces permissions, selon qu'ils avaient à ménager le commerce ou la puissance ecclésiastique[142]. L'opposition signalée par M. del Marmol existait sans doute, non pas entre les besoins du commerce et la puissance ecclésiastique, mais entre les exigences du commerce honnête et les ravages d'un fléau qui n'est pas inconnu à notre époque, mais qui sévit cruellement au moyen âge surtout et jusqu'au moment où nous sommes parvenus dans cette histoire. Ce fléau c'est l'usure et ceux qui la pratiquaient étaient désignés alors sous le nom de lombards. L'intérêt demandé par les lombards était si exorbitant que, malgré le témoignage des historiens, on peut difficilement y croire, dit M. Henne, toujours prompt cependant à incriminer le clergé, et que sa droiture naturelle met ici, comme cela lui est arrivé ailleurs, en désaccord avec lui-même[143]. On avait mainte fois, continue-t-il, cherché à combattre ce fléau de l'usure, mais la science économique n'aboutissait alors qu'à des mesures répressives, désastreuses pour le commerce, souvent pires que le mal. Ainsi un édit du 9 avril 1511 supprima les lombards, révoquant tous les privilèges octroyés à aulcuns marchands piémontois ou aultres pour tenir comptoirs et tables publiques à l'effet de prêter à usure[144]. Mais cet édit souleva de telles réclamations que, quoique renouvelé l'année suivante, il ne fut pas exécuté. Cependant si d'énormes bénéfices compensaient pour le marchand l'énormité des intérêts payés ; s'il n'y avait pas à s'occuper du noble cherchant de l'argent pour satisfaire sa vanité, son orgueil, ses plaisirs, ses caprices, il n'en était pas de même de l'ouvrier, obligé, dans ces temps de fréquents chômages, à emprunter pour se procurer du pain. Depuis longtemps les principaux états de l'Europe, dit toujours M. Henne, avaient compris la nécessité de remédier à cet état de choses, quand l'initiative d'un moine italien créa les monts-de-piété dans son pays. Nous inscrivons avec bonheur cet hommage rendu par une plume sincère, mais peu sympathique, à l'influence sociale du sacerdoce catholique. Les monts-de-piété ne s'établirent d'une façon stable en Belgique que plusieurs années plus tard. Des efforts furent tentés sans grand succès pour concilier, dans la mesure du possible, les intérêts de la morale et ceux du commerce. M. Henne, après M. De Decker, nous a donné des détails assez circonstanciés sur l'un de ces essais, que nous allons exposer à notre tour, en nous servant des indications recueillies par eux. En 1537, un certain Parenti di Pogio ayant sollicité l'octroi de la table de prêt à Gand, Marie de Hongrie consulta le magistrat de cette ville sur l'opportunité d'y rétablir les lombards. Celui-ci s'adressa aux docteurs de Louvain, pour sçavoir si, par raison et conscience, il pouvoit conseiller de bailler ledit octroi. Les théologiens louvanistes, dans deux consultations motivées, émirent l'avis que la chose pouvait être tolérée, quasi conniventibus oculis. En conséquence l'octroi sollicité par Parenti di Pogio et ses associés leur fut accordé, le 13 août 1538, pour un ternie de douze ans. En vertu de cet octroi, l'intérêt fut réduit de trois à deux gros, par semaine et par livre de deux cent quarante gros. En revanche, Charles-Quint, abolissant et mettant à néant les droits et profits annuels qui pris estoient du temps passé, renonça à la perception de l'impôt qui avait été prélevé antérieurement sur les usuriers[145]. Mais, dans l'intervalle, la municipalité fut changée, et le nouveau magistrat, déterminé, parait-il, par l'opposition faite, dans les chaires chrétiennes, aux usures et tables de prest, adressa, le 10 octobre 1538, à la régente une demande pour en obtenir le retrait de l'octroi. Marie de Hongrie n'accueillit pas cette réclamation. Elle
s'appuya sur l'avis des théologiens de Louvain et sur le rétablissement des
tables de prêt dans d'autres villes, notamment à Bruxelles, Anvers, Louvain
et Bois-le-Duc. Selon elle, l'octroi tendait surtout à prévenir les secrètes usures occasionnant de plus grands frais et
despens aux povres gens. Quant à l'opposition faite par les
prédicateurs dans les églises de Gand, elle s'en exprima dans des termes qui
n'étaient que trop en harmonie avec la roideur hautaine de son caractère : Pour ce qui est de révoquer l'octroi sous ombre des
preschemens desdits prescheurs de Gand, nous le trouvons estrange et chose
scandaleuse, plus propre à produire indus murmures contre les officiers de
mon seignour et frère et de vous, que le soulagement des povres subjets. Ne
se doit tolérer, souffrir ni permettre auxdits prescheurs de se mesler en
leurs sermons publics des lettres et despéches des princes, pour eslever les
simples subjets à murmures et commotions ; mais si leurs supérieurs veulent
remonstrer à nous et aux lois des villes, où telles et semblables tables de
prest se tiennent, les raisons pour lesquelles leur peut sembler qu'on les
doit abolir, il leur sera fait entendre les causes qui ont meu l'accord
d'icelles tables de prest. En attendant, elle décidait que les
échevins devaient commencer par faire grosse
punition et correction des secrets usuriers, que l'on dit estre partout en
grand et gros nombre préjudiciables à la chose publique[146]. Ce qui prouve que les plaintes des prêcheurs, comme les appelait Marie de Hongrie, n'étaient pas sans fondement, c'est que plus tard les quatre membres de Flandre se plaignirent eux-mêmes des abus qui s'étaient produits dans l'établissement de Parenti di Pogio, et en demandèrent la suppression à l'expiration du terme fixé par l'octroi de 1538. Une enquête, qui eut lieu alors, constata la réalité des abus signalés et la nécessité d'y pourvoir par des mesures légales. C'est que, comme le remarque M. Henne, s'il était difficile de protéger les lombards, il l'était bien plus encore de réprimer l'usure. Et, à ce propos, il flétrit le révoltant abus fait par les marchands d'Anvers d'une opération financière appelée dépôt, et qui eût été avantageuse, dit-il, si les prêteurs s'étaient contentés d'un gain honnête, comme de six ou six un quart, selon la permission octroyée aux gentilshommes et aux rentiers, mais qui devint désastreuse par l'énormité, de l'usure. Beaucoup de marchands, c'est ainsi que continue M. Henne[147], dans un langage dont nous ne saurions approuver ni l'âpreté ni ce qu'il a d'injuste et d'odieux pour toute une classe de la société, beaucoup de marchands y trouvant plus de bénéfices que dans les hasards du négoce, cessèrent de consacrer leurs capitaux au commerce ; une foule de nobles, éludant au moyen de prête-noms, les lois exceptionnelles imposées à leur caste, firent aussi fructifier de la sorte l'argent autrefois employé à l'amélioration de leurs terres. Dès ce moment l'agriculture fut négligée ; le commerce diminua ses achats ; les denrées et les marchandises étrangères devinrent plus rares, par conséquent plus chères, au grand détriment du pays, mais surtout du pauvre peuple qui, en plusieurs manières, ajoute Guicciardin, est toujours mangé et rançonné par les riches. Charles-Quint comprit la nécessité d'arrêter ces abus dans
la mesure où la chose était possible et sans compromettre les intérêts
légitimes du commerce. Dans le préambule de l'édit du 10 avril 1540, il
s'exprime en ces termes : Pour ce que aucuns
marchands, hantans et fréquentans nos pays, postposant leur honneur et salut,
se avancent pour nourrir leur avarice à faire seulement marchandise d'argent,
et en le donnant à gagner frais excessifs, sans faire distinction entre
intérest qui est permis aux bons marchands, selon le gain qu'ils pourroient
raisonnablement faire, et usure deffendue à tout chrétien, à très grand préjudice
de la chose publique ; de sorte que, sans y pourvoir, avec succession de
temps, tout le fait des marchandises se convertiroit en usure, qui causeroit
la perdition des âmes et énorme préjudice à la chose publique, signamment ès
pays de par deçà : nous en ce voulans pourvoir tant pour le salut des âmes,
conservation de notre foy chrétienne, que pour éviter lesdits inconvéniens,
avons ordonné[148], etc. Par cet
édit, le prêt à intérêt est autorisé aux conditions suivantes. Il faut 1° que
le prêteur et l'emprunteur soient marchands, ou que le premier soit associé à
un marchand ; 2° que le taux de l'intérêt ne dépasse pas douze pour cent ; 3°
que l'argent ne soit placé à intérêt que pour un an seulement. Toutes
stipulations contraires sont déclarées usuraires, et leurs auteurs
punissables comme usuriers[149]. Si la circulation des capitaux est nécessaire au commerce, il faut aussi, dit avec raison M. del Marmol, le préserver de toute perturbation, en déterminant le taux des monnaies d'une manière fixe, ne donnant pas lieu de redouter de subites variations[150]. Dans la seconde moitié du xv siècle, les guerres civiles, les guerres étrangères et les énormes subsides exigés par l'entretien des armées, avaient causé une grande pénurie de numéraire et fait hausser considérablement la valeur des monnaies[151]. D'un autre côté, le prix des denrées et de tous les objets de première nécessité s'était élevé. De cette déplorable anomalie étaient. résultés les plus tristes inconvénients, et la misère était devenue extrême. Pour remédier au mal, Maximilien crut devoir adopter une mesure qui a été l'objet de blâmes sévères[152], et qui pourtant découlait d'un principe honnête. Contrairement à l'avis des états, il décréta, le 14 décembre 1489, une réduction de plus d'un tiers sur la valeur irrégulière qu'avaient acquise les monnaies. Cet édit fut repoussé par la plupart des villes du Brabant et de la Flandre, et cette opposition fit naître des crises financières dans les provinces où l'édit avait été accepté. La spéculation se hâta d'apporter sur les marchés de ces provinces des denrées et des marchandises qui étaient payées en espèces ayant plus d'un tiers de hausse dans les villes opposantes. Maximilien maintint toutefois son édit et parvint à le faire recevoir même dans ces villes. Les difficultés ne s'en accrurent pas moins, et, au mois d'avril 1491, les états généraux adressèrent au souverain des remontrances sur l'impossibilité de persévérer dans ce système. Maximilien céda à la toute-puissance des faits, et consentit à une augmentation. Le florin à la croix de Saint-André fut porté en valeur de vingt à vingt-quatre sous, et le taux des autres monnaies s'éleva dans la même proportion. Cette concession ne fit pas disparaître les difficultés. Les monnaies étaient devenues l'objet d'un agiotage effréné, auquel cherchèrent en vain à mettre une borne toute une série d'édits portés coup sur. coup et se contredisant les uns les autres. Ainsi la valeur du ducat de Hongrie, fixée par l'ordonnance du 26 août 1493 à trente et un sous, monta à trente-six sous par suite d'une ordonnance du 12 novembre de la même année. Réduite à trente-cinq sous et demi en janvier 1495, elle fut reportée à trente-six sous le 1er mars 1497, et élevée à trente-neuf sous le 14 septembre 1499. Au contraire le florin, porté à vingt-huit sous en 1493, se maintint à ce prix, et une ordonnance du 24 décembre 1499 lui conserva cette valeur. Ces regrettables fluctuations durèrent jusqu'à l'avènement de Charles-Quint, mais le gouvernement de ce prince comprit la faute commise par ses prédécesseurs, et toutes ses mesures tendirent à maintenir, autant que possible, les monnaies au même taux. Les obstacles nés des évènements politiques, les émeutes locales, ne le firent pas dévier de cette ligne de conduite. Durant tout ce règne, il n'y eut que de légères variations dans le cours des monnaies, et cette circonstance exerça sans aucun doute une heureuse influence sur les transactions commerciales aussi bien que sur les affaires privées. Les états généraux furent souvent consultés sur cette importante question ; elle fut l'objet de nombreux travaux de la part des conseils du gouvernement, et pourtant celui-ci ne se départit jamais de son principe fondamental. Un édit du 2 janvier 1516, déterminant le taux des amendes et des impositions, maintint, à de légères modifications près, la valeur des monnaies telle qu'elle avait été fixée en 1499. Deux ordonnances de 1519 contiennent des dispositions dans le même sens ; reproduites dans une ordonnance du 4 février 1520, elles furent définitivement consacrées par un édit du 22 novembre de la même année. Marguerite d'Autriche crut devoir, il est vrai, faire quelques concessions aux exigences populaires, mais à peine le traité de Madrid fut-il conclu, qu'elle revint, autant qu'il était en elle, au système adopté par le gouvernement. Son mandement provisionnel du 10 décembre 1526 ; sans avoir tous les effets qu'elle en espérait, ne fut pas sans efficacité contre la hausse des monnaies d'or tolérée par une ordonnance du 4 mars 1523. Un édit du 7 octobre imposa définitivement le cours établi en 1526. Mais la disposition la plus importante de cet édit fut de fixer invariablement pour l'avenir l'unité monétaire dans nos provinces. Jusqu'alors il n'y avait d'autre unité de ce genre que la livre, dont la valeur était différente non seulement dans chaque province, mais dans les localités diverses d'une même province. Ainsi la livre de gros de Brabant valait quatre florins de Brabant ou carolus d'or ; la livre de gros de Flandre en valait six ; la livre d'Artois ou parisis n'en valait qu'un ; la livre de Hainaut valait dix sous, celle de Hollande quinze ; la livre de Malines valait onze florins, la livre de Louvain deux florins sept sous six deniers. L'édit du 7 octobre 1531 prescrivit de prendre désormais le florin carolus d'or de vingt patards[153] pour unité métallique, dans tous les contrats de vente, de location, de marché ; pour les gages des serviteurs ; pour les traitements, les pensions et les amendes. Il fut stipulé que, pour tous contrats conclus antérieurement, six florins carolus vaudraient une livre de gros de Flandre ; quatre florins carolus, une livre de gros de Brabant. Depuis lors le florin carolus fut substitué, dans les actes et dans la comptabilité administrative, à la livre de gros devenue une monnaie de convention. Toutes les mesures qui réprimaient les infractions à cet édit, furent rendues exécutoires nonobstant opposition ou appel quelconque, et il fut enjoint d'en renouveler la publication tous les six mois, avec la plus grande publicité possible[154]. Un autre fléau, non moins redoutable pour le commerce que les mutations subites dans la valeur du numéraire, était né des banqueroutes. Charles-Quint en fit, l'objet de nombreuses dispositions législatives, tant civiles que criminelles. Un édit du 7 octobre 1531 réglementait la matière dans ses moindres détails. Aux termes de cet édit, tout banqueroutier était considéré comme larron public. lien était de même des complices et des recéleurs. Était réputé complice quiconque ne révélait pas l'asile du banqueroutier, gérait ses affaires en son absence, se simulait, son créancier, usait à son profit de cession ou transport, quiconque, en un mot, le favorisait d'une manière directe ou indirecte. Le banqueroutier était exclu du droit d'asile dans les lieux privilégiés. Aussi tôt arrêté, il devait être puni pour l'exemple d'autrui, sans aucune rémission, comme larron et violateur de la chose publique ; ses biens, mis sous séquestre, devaient servir à satisfaire ses créanciers. Si la femme d'un banqueroutier avait pris part à ses opérations commerciales, par vente ou par achat, elle répondait des dettes contractées pendant le mariage. Tout marchand ou marchande qui quittait le pays pour échapper à ses créanciers, devait être sommé, par cri public, d'y revenir dans les quarante jours, sous peine de bannissement perpétuel. Les contrats entachés de conventions simulées ou de fraude étaient déclarés nuls ; les biens du banqueroutier et de ses complices étaient partagés au marc la livre, sans préférence aucune, entre les créanciers, nonobstant tout arrêt ou saisie antérieur à la banqueroute[155]. Ces mesures n'ayant pas atteint complètement le but, l'ordonnance du 4 octobre 1540 édicta des peines plus rigoureuses encore. En confirmant toutes les dispositions de l'édit de 1531, elle défendit de leur donner aucune interprétation favorable aux banqueroutiers. Tenus et réputés comme guetteurs des chemins et ennemis du bien public, ils doivent être punis du dernier supplice par la corde. Les favoriser ou se mêler de leurs affaires, c'est devenir leur complice, et le complice payera leurs dettes, ou, en cas d'insolvabilité, sera châtié : le laïque, par la fustigation ; l'homme d'église, par la saisie de son temporel, outre la punition arbitraire à déterminer suivant l'exigence du cas. Tout acte passé avec un banqueroutier, s'il est de nature à. préjudicier à ses créanciers, est nul et de nulle valeur ; il ne peut être confirmé par serment ni d'aucune autre manière, pas même par lettres du souverain. La circonstance que le banqueroutier a satisfait ses créanciers, ne le sauve pas de la corde. Il n'y a pour lui ni lieu d'asile, ni sauf-conduit, ni franchise. Il sera arrêté partout ou on le trouvera, à la première réquisition des officiers de justice. Les juges qui ne lui appliqueront pas les peines édictées par la loi ou qui épargneront ses complices, seront responsables, sur leurs biens, de la totalité de ses dettes. Les femmes des marchands ne peuvent rien prétendre sur les biens de leurs maris avant les autres créanciers, auxquels l'édit assure la priorité du payement. Seulement elles conservent la faculté de réclamer leurs biens dotaux et ceux qu'elles ont acquis personnellement par donation ou par héritage durant leur mariage[156]. Ces dispositions d'une sévérité draconienne semblent à peine avoir pu s'appliquer clans toute leur rigueur, mais les faits constatent leur inflexible mise à exécution[157]. Pour éviter les banqueroutes, l'usage s'était introduit d'accorder des répits aux débiteurs, mais la facilité de les obtenir en avait fait un moyen de leurrer les créanciers. Un édit du 20 octobre 1541 pourvut à cet abus, en prescrivant de n'accorder des lettres de répit ou atermoiement[158] que si les pertes de l'impétrant étaient suffisamment prouvées et provenaient de circonstances tout à fait fortuites. Il fut enjoint en outre au débiteur, à peine de nullité, de convoquer ses créanciers, dans le délai d'un mois, au conseil provincial, pour y présenter sa caution et ses lettres de répit. Les créanciers étaient autorisés à débattre la caution ; aucun d'eux n'était obligé de souscrire l'accord conclu entre le débiteur et ses autres créanciers, si cet accord stipulait renonciation à une partie de la dette ou à la caution. Le même édit statua que les cessions de biens introduites par le droit romain ne s'accorderaient qu'en vertu d'une autorisation spéciale du souverain ; de plus généralisant une règle déjà adoptée par quelques grandes communes[159], il entoura cet acte de cérémonies humiliantes propres à faire redouter aux débiteurs de se trouver dans une semblable situation. Ils furent tenus de présenter en jugement leurs lettres de cession dans le mois de l'impétration, et d'y joindre l'état de tous leurs biens, qui étaient entièrement abandonnés aux créanciers. L'exactitude de cet état devait être affirmée par serment, et c'était pieds et tête nus, deschiauts et à teste nue, en personne et non par procureur, que les impétrants venaient requérir l'entérinement de leurs lettres de cession. Les biens acquis ultérieurement étaient aussi consignés au profit des créanciers ; on ne laissait au débiteur qu'un lit et un meuble de chaque espèce, lesquels ne devaient pas être de grande valeur. Enfin ces lettres n'étaient pas admises pour les dettes reconnues sous le sceau de l'empereur, des conseils ou des magistrats des villes privilégiées[160]. Ces dispositions furent confirmées par un édit du 17 août 1546, qui imposa aux personnes acceptant un héritage sous bénéfice d'inventaire, l'obligation de solliciter à cet effet un octroi du prince. Après l'impétration de cet octroi, elles étaient astreintes à dresser, dans les quarante jours, l'inventaire de tous les biens constituant l'héritage, à les faire estimer par des experts assermentés, à fournir caution pour leur bonne garde, enfin à satisfaire les créanciers. A défaut de remplir ces conditions, les impétrants étaient considérés comme héritiers simples. Le payement des dettes liquides de la succession n'était point retardé par les dettes ou charges sujettes à contestation. Seulement les créanciers payés avant la décision du procès-soulevé par celles-ci, fournissaient des cautions garantissant la restitution des sommes qu'ils auraient revues en trop, à raison de leurs créances[161]. Bien que l'usage des traites fût encore assez restreint, puisque le gouvernement lui-même était obligé de faire prendre à grands frais l'argent versé chez les receveurs provinciaux, les faux en écriture n'en avaient pas moins rendu nécessaire une énergique répression. On avait vu, en 1520, décapiter, sur la place du Sablon à Bruxelles, un secrétaire du conseil de Brabant, maitre Jean De Witte, convaincu de plusieurs excès, entre autres du crime de faux, et tous ses biens avaient été confisqués au profit du domaine. L'édit du 15 janvier 1546 punit du dernier supplice par la corde tout faussaire, au cas que le faux eût été commis en lettres privilégiées ou autres contrats, instrumens ou cédules obligatoires[162]. Une des mesures les plus utiles et les plus importantes prises à cette époque fut la répression des monopoles. On en a attribué à tort l'initiative à l'Angleterre ; c'est à Charles-Quint qu'en revient tout l'honneur. Nés au moyen-âge, dit M. Henne après M. Tielemans, les monopoles avaient favorisé le développement du travail agricole et industriel ; mais leur utilité avait cessé avec les circonstances qui en avaient provoqué l'établissement, et depuis longtemps, devenus des entraves, ils appelaient des réformes[163]. Ces réformes prirent naissance avec l'édit du 7 octobre 1531. Pour obvier aux monopoles des marchands et des gens de métier, ainsi qu'aux contrats illicites dont ils usoient fréquemment, l'article 5 de cet édit défendit à perpétuité à tout collège de marchands des Pays-Bas ou des pays étrangers ; à toute société ou bourse ; à tous consuls ou à leurs suppôts ; à tous marchands et gens de métier, d'avoir statut, ordonnance ou convention établissant un monopole quelconque, pactes ou contrats illicites, secrètes intelligences tendant à l'acquisition de toute une espèce de marchandises, pour l'accaparer et placer ainsi les autres dans la nécessité de l'acheter à un prix excessif, sous peine de confiscation, de bannissement et de correction arbitraire. Il fut enjoint aux juges et aux officiers publics de rechercher tous les règlements et statuts ayant apparence de monopole, de les casser, de les déclarer nuls et de nulle valeur. Parmi les ordonnances de Charles-Quint qui tendirent à favoriser le commerce et l'industrie, nous avons encore à citer, après M. del Marmol, celles qui ont trait au développement de la pêche, cette branche si importante des revenus de la Flandre[164] ; celles qui, dans le but de préserver le commerce maritime des dangers de la navigation, prescrivent des règles très étendues sur la construction des navires, le nombre d'hommes qui doivent les monter, la quantité de marchandises et de munitions de guerre qui doivent se trouver à bord, l'instruction des marins, etc.[165] ; enfin celles qui ont pour objet de réglementer le métier des orfèvres[166] et celui des ouvriers en tapisserie, dont les œuvres jouissaient, à cette époque, nous l'avons vu, d'une si grande réputation[167]. Nous ne devons pas omettre non plus les ordonnances qui frappèrent d'un droit d'entrée les laines anglaises[168], ni surtout celles qui prescrivirent l'entretien et la réparation des chemins, en vue de faciliter les communications à l'intérieur du pays[169]. On sait assez combien la chose est importante dans l'intérêt de l'agriculture et de la vente avantageuse de ses produits. C'est ici le lieu d'entrer dans quelques détails sur la situation de cette industrie-mère, qui a toujours été considérée à juste titre comme la principale source de la richesse nationale. On nous permettra d'y joindre quelques indications historiques concernant plus spécialement l'horticulture, l'arboriculture et quelques autres branches de la grande science agronomique. Au XVIe siècle, les Belges et surtout les Flamands étaient considérés comme les plus habiles agriculteurs du monde ; aucune autre contrée n'offrait une culture comparable à celle de la Flandre et du Brabant. Le pays devait à ses cultivateurs une heureuse abondance des choses nécessaires à la vie, lorsque la guerre n'y répandait pas la ruine et la dévastation. On attribue aux Belges l'origine du pacage des troupeaux et la découverte de sept ou huit espèces d'engrais ou d'amendements. De temps immémorial, ils semaient sur les terres arables plusieurs variétés de végétaux destinés à les améliorer en s'y décomposant, lorsque la charrue avait retourné la surface du sol[170]. Les étrangers qui à cette époque visitèrent notre Belgique, ne se lassaient point d'admirer ses campagnes couvertes d'abondantes récoltes ; ses prairies où paissaient de nombreux troupeaux ; ses fermes propres et commodes, tantôt isolées, tantôt formant des hameaux, des villages pleins d'habitants, environnés d'arbres, séparés l'un de l'autre par de courts intervalles[171]. Lors du mariage d'Isabelle d'Autriche avec Christiern II, ce prince appela en Danemark des paysans et des jardiniers flamands, pour cultiver les plantes potagères et préparer le laitage selon le mode usité dans leur pays. Cette colonie, placée dans la petite île d'Amack, en face de Copenhague, changea cette lande stérile en un jardin fertile et délicieux[172]. On dit que Catherine d'Aragon ne put avoir de salade à son dîner, qu'après que Henri VIII eut fait venir en Angleterre un jardinier des Pays-Bas. En 1540, les Flamands introduisirent les cerisiers dans ce royaume, alors fort arriéré en fait d'agriculture et d'arboriculture[173]. C'est au religieux franciscain Josse De Rycke, de Gand, que le Pérou doit la culture du froment. Ce missionnaire en fit des semis à Quito, où l'on conserve précieusement le premier froment récolté dans un vase de terre portant cette inscription en flamand : Que celui qui me vide n'oublie pas le Seigneur. Que n'a-t-on conservé partout dans le nouveau continent, s'écrie un savant illustre[174], le nom de ceux qui, au lieu de le ravager, l'ont enrichi les premiers des présents de Cérès ! Les peuples des Pays-Bas, dit Guicciardin, s'adonnent mieux que jamais à. l'agriculture, et n'y
épargnent pas les frais. Ils n'usent que de froment, de seigle, d'épeautre,
d'orge et d'avoine. Ils cultivent aussi une espèce de semence ou légume
nommée hoccoie — boeckweyde, sarrasin —,
qui en couleur et en grandeur ressemble aux pois chiches, mais est de forme
triangulaire et de meilleure substance. On la sème en grande quantité pour la
nourriture des bestiaux et de la volaille ; elle sert même pour la
fabrication du pain et de la bière, et la farine en est si blanche qu'on la
mêle souvent avec du bon blé. Les salades et les plantes légumineuses sont
aussi belles et peut-être plus belles qu'en Italie ; on y trouve des
citrouilles, des artichauts, des cardons, des asperges, des melons. Cependant
on n'y cultive généralement que des pois, des fèves et des vesces. Quant au
millet, aux panais, aux pois chiches, etc., on y a renoncé, parce que les
vents les abattaient et en ruinaient les récoltes. La garance y croît en
telle quantité qu'on en expédie dans la plupart des contrées de l'Europe. Le
lin et le chanvre y abondent. Il y croit aussi, mais en petite quantité,
d'excellent pastel. Une ordonnance du 29 janvier 1549 signale les
exportations d'ail, d'oignons, de lin, de houblon[175], et un écrivain
du XVIIIe siècle[176] parle du colza,
dont Guicciardin ne fait pas mention. La Belgique, continue ce dernier auteur, produit de bons fruits, notamment des poires, des pommes, des prunes, des cerises[177], des mûres, des pèches, des abricots, des noix, des noisettes, des nèfles, des raisins, et, en quelques endroits, des châtaignes. L'ordonnance de 1549 et les comptes de recettes des droits établis en 1543 constatent qu'il s'exportait de grandes quantités de fruits à pépin et à noyaux. Les relations commerciales avaient introduit aussi plusieurs espèces nouvelles de fruits et de légumes[178]. Ce fut, dit-on, le célèbre botaniste d'Arras, Charles de l'Écluse, qui fit connaître la pomme de terre aux Pays-Bas, dans le courant du XVIe siècle. Il est certain toutefois que la culture de ce précieux tubercule ne devint commune dans nos provinces que deux siècles plus tard au moins. Un diplomate savant, Auger de Busbecq, passe pour avoir
conquis sur l'Orient la tulipe, le lilas, le glaïeul et le marronnier d'Inde.
Charles-Quint rapporta de Tunis l'œillet d'Afrique[179], et on lui
attribue l'introduction de la rhubarbe dans nos contrées[180]. Les Pays-Bas, dit encore Guicciardin, ne produisent pas de safran qui soit à estimer, ni de
drogueries. Les herbes médicinales et leurs racines n'y ont ni la substance
ni les propriétés des régions plus tempérées. Cependant les plantes vénéneuses
y poussent en grande quantité[181], et il est prouvé qu'on pourroit y cultiver d'autres
plantes médicinales. Pour appuyer son dire sur ce dernier point,
l'auteur italien cite l'apothicaire Pierre Coudenberg[182], qui, dans son
jardin de Borgerhout, à la porte d'Anvers, cultivait, outre les plantes
ordinaires, plus de quatre cents espèces de végétaux tirés des pays éloignés. On signale, à la fin du règne de Charles-Quint, une hausse considérable dans le prix des céréales[183]. A dater de cette époque, ces prix élevés ne se maintinrent pas seulement, mais ils s'accrurent sans cesse par une conséquence nécessaire de la multiplication du numéraire. L'exploitation exubérante des mines du Pérou devait amener définitivement la dépréciation des espèces monnayées. Il résulte d'instructions données, le 11 mai 1554, aux officiers chargés de cette spécialité[184] en Flandre — watergrave, moermeester —, que la valeur des terres avait également augmenté, et, chose intéressante à noter, que le nombre des terrains vagues et des moeres diminuait. On voit aussi, dans les documents contemporains, que les dunes de la Flandre occidentale étaient mises en ferme, et que le fermier devait, entre autres redevances, fournir annuellement à l'empereur douze couples de lapins. Dans certains quartiers, le souverain prélevait six pour cent sur le prix d'achat des terres. L'insuffisance des documents ne permet pas d'ailleurs d'établir d'une façon un peu certaine la valeur réelle des biens fonds à cette époque[185]. Guicciardin vante les beaux et grands bœufs de la Frise et de la Hollande ; il cite un bœuf de la Frise qui fut offert par la ville de Malines au comte d'Hoogstraeten, et qui pesait deux mille cinq cent vingt-huit livres. Les prix des bœufs ordinaires variaient de 13 à 38 florins ; celui d'une vache de 8 à 14 florins, mais il en est qui sont payées 38 et 45 florins. Un veau contait un florin 13 sous ; un mouton, 2 à 3 florins ; une brebis, un agneau, environ 30 gros ; un porc de 2 à 7 florins 10 sous, et l'on en trouve jusqu'au prix de 22 florins 10 sous[186]. La Hollande, la Frise, la Gueldre, la Flandre produisaient abondamment des chevaux vigoureux, propres à tous les services, surtout à la guerre. Ils sont si forts, dit Guicciardin, que dans une rencontre à la lance peu d'autres peuvent tenir contre eux ; mais, excepté ceux de la Flandre, ils sont lourds et pesants, surtout de la tête, durs et difficiles à conduire. La Flandre en élevait beaucoup, car les vols de chevaux sont signalés en grand nombre dans les comptes des officiers de justice de ce comté. D'autres provinces étaient également renommées pour l'élève du cheval. Il y avait des chevaux à l'état sauvage dans la forêt de Mormal, et le domaine y entretenait des haras du produit des ventes annuelles[187]. Des foires aux chevaux se tenaient à Bruxelles, à Anvers, à Namur, à Gand et dans d'autres villes. Suivant les comptes du domaine, les droits prélevés à la sortie des chevaux s'élevaient annuellement, en moyenne, à quatorze cents livres de quarante gros[188]. Aux foires d'Anvers qui se tenaient deux fois par an — aux Quatre-Temps après la Pentecôte et à la fête de Notre-Dame de septembre —, on amenait beaucoup de chevaux du Danemark, et c'était là généralement, au rapport de Guicciardin, que se faisait le commerce des chevaux de luxe. Ce commerce des chevaux eut beaucoup à souffrir des défenses réitérées d'exportation qu'amenait chaque apparence de guerre. Ainsi une ordonnance du 23 juillet 1522 défendit cette exportation sous peine, pour les contrevenants, de confiscation et de peine arbitraire la première fois, et, en cas de récidive d'estre tenus, réputés et punis pour rebelles et désobéissans[189]. Cette défense étant tombée en désuétude après la paix de Madrid, Marguerite soumit plusieurs fois aux gouverneurs des provinces la question de savoir s'il n'y avait pas lieu d'établir une prohibition absolue en cette matière. Tous furent opposés à cette mesure dans l'intérêt des éleveurs et par conséquent de la chose publique. Charles-Quint eut d'abord égard à ces considérations. Pour retenir le commerce des chevaux dans les Pays-Bas, l'édit du 7 octobre 1531 se borna à interdire à tous, sujets et étrangers, d'exporter des juments, sous peine de confiscation et d'une amende égale à la valeur de la jument confisquée. Il défendit aussi d'acheter ou de vendre des chevaux au plat pays, hors les franches foires, sous peine de confiscation, pour le vendeur, et d'une amende égale au prix donné, pour l'acheteur. Cette dernière disposition n'était applicable ni aux officiers de l'empereur, ni aux hommes d'armes des ordonnances. Des édits postérieurs étendirent ces prohibitions. Celui du 14 avril 1540 défendit de laisser sortir du pays tout cheval au dessous de quatre ans, et exigea une autorisation spéciale pour en exporter de plus âgés. D'autres édits prescrivirent de conduire les chevaux aux foires entre deux soleils et par les grands chemins ; prononcèrent une amende de cent carolus d'or contre quiconque ne dénoncerait pas les infractions dont il aurait connaissance ; enjoignirent aux officiers de justice de procéder sommairement contre les transgresseurs, et de leur infliger sans miséricorde des peines rigoureuses, y compris celles des verges et du bannissement[190]. Ces peines n'étaient pas de vaines menaces, et des documents authentiques prouvent qu'elles furent plus d'une fois mises à exécution[191]. Les prix des chevaux variaient d'après leur race et leurs qualités. On voit payer, dit M. Henne, deux cents livres de quarante gros, monnaie de Flandre, un coursier de Naples, donné par Marguerite d'Autriche au brave Jean de Wassenaar[192] ; cinq cents livres le cheval offert par cette princesse au duc de Suffolk[193] ; cinquante et soixante livres des blanches haquenées ; quarante, cinquante et soixante livres les puissans chevaux grisons tirant les chariots branlants ; cent livres un cheval de luxe, présent de la ville de Poperinghe au comte du Rœulx[194]. Une autre branche de l'industrie agricole, l'apiculture donnait des produits dignes de mention. Les comptes du domaine constatent les revenus importants que le fisc en tirait, et Guicciardin atteste que les Belges étaient fort renommés pour la préparation de la cire. La Belgique conservait encore à cette époque de vastes restes des forêts qui l'avaient couverte jadis. Ces forêts nouvelles, débris de l'ancienne, étaient celle des Ardennes, qui s'étendait de Thionville jusque près de Liège, sur un espace de trente lieues ; celle de Mormal, du Quesnoy à la frontière du Vermandois, laquelle contenait encore, vers la fin du XVIIe siècle, au delà de dix-sept mille arpents[195] ; le bois de Saint-Amand, du village de ce nom à Valenciennes ; celui de Fagne, d'Avesnes à Mézières ; la forêt de Soigne, d'un circuit de plus de sept lieues, au témoignage de Guicciardin. La plupart appartenaient au domaine. Une ordonnance du 12 octobre 1545 fixa la coupe réglée du bois de Soigne à cent bonniers par an. Suivant le préambule de cette ordonnance, on y comptait, d'après le dernier mesurage, huit mille deux cent cinquante-sept bonniers, dont deux mille sept cent cinquante-deux non peuplés de haute futaie, y compris les chemins et places vides[196]. Le produit de chaque coupe rapportait environ cinquante mille florins, chaque coupe étant évaluée à quatre mille mesures de vingt pieds romains. Le bornage de cette forêt fut exécuté dans l'espace compris entre les années 1547 à 1551, par une commission nommée par l'empereur le 1er septembre 1546, et composée de Guillaume Pensart, président de la chambre des comptes, Pierre Van Waelhem et Nicolas Oudart, conseillers, maitre Jérôme Vanhamme et Jean Boote, secrétaire du conseil de Brabant[197]. Parmi les bois de moindre importance, nous citerons ceux de Nieppe, de Wynendaele, de Vicogne, de Brocqueroie, de Grœtenhout, au dessus de Turnhout, où Marie de Hongrie se livra fréquemment au plaisir de la chasse ; de Linthout, près de Bruxelles ; de Neygene, de Liedekerke, d'Overalphen, de Crevai, de Buggenbout qui, bordant la Dendre, semblaient marquer la limite entre le Brabant et la Flandre ; la grande forêt de Waverwald, qui couvrait tout le triangle compris entre la Dyle et la Nèthe[198]. Des règlements du 12 mars 1520 et du 16 avril 1535, cités par M. Henne, indiquent les principes qui dirigeaient alors l'administration forestière. Ces ordonnances prescrivent de déposer à la chambre des comptes de Lille les marteaux, trefs, employés pour marquer les arbres à abattre ; l'opération avait lieu au mois de mai, en présence d'un conseiller de cette branche, accompagné des officiers du lieu. Sous peine d'amendes proportionnées aux délits et de peines corporelles, il était défendu d'abattre ou de déplanter les arbres non marqués ; de faire pâturer des animaux dans la forêt ; d'y faucher l'herbe ; d'y recueillir des glands ou des feuilles mortes ; d'y travailler avant ou après le coucher du soleil, ou pendant les jours de fête ; de s'écarter des chemins tracés ; d'en emporter du bois. Seulement il était permis aux habitants de la forêt d'y prendre chaque jour un fagot de bois sec, mais avec défense de le vendre. Les parents étaient responsables des délits commis par leurs enfants. Les marchands de bois riverains étaient tenus de prouver que leur marchandise provenait de personnes autorisées à la vendre. Il était interdit de tenir taverne dans le rayon d'une demi-lieue de la forêt. Les déclarations des sergents commis à la surveillance étaient admises sous serment ; il leur était formellement interdit de recevoir aucun présent[199]. Quant aux arbres à bastir et
mettre en besogne, dit Guicciardin par la bouche de son vieux
traducteur Belle-Forest, il s'en trouve ici de
toutes sortes, de très hauts, gros et bons ; comme encore pour le chauffage,
mais il n'y a point de lauriers, ni cyprès, ni pins, ni sapins. En eschange
desquels il y a grande abondance d'une certaine sorte d'arbres, que ceux-ci
appellent linden, et les Latins Mire (en françois tell ou tileul), qui sont
fort ressemblants en forme et feuillage à l'ormeau. Mais le tileul est plus
haut, et croist plus tost et plus hastivement que l'orme : car en seize ou
dix-huit ans il parvient à telle grosseur, qu'il est aussi gros qu'un homme.
Et porte test arbre certaines fleurs blanches en fort grande quantité,
lesquelles rendent pour quelque temps une odeur très suave ; mais il ne porte
fruict quelconque : bien s'en aide-t-on du bois pour bastir commodément, et à
faire du charbon pour la composition de la poudre à canon, qui est meilleur
beaucoup que le charbon de saule ou de peuplier. Davantage le tilleul a entre
son escorce et le bois certaine sorte de laine semblable au chanvre, de
laquelle on fait des liens et des cordes, mais la feuille, tant soit elle
tendre et molle, ne plaist ou agrée à beste quelle qu'elle soit pour sa
nourriture. Le pays belgique encore abonde, et surtout en la forest des
Ardennes, en tasses, arbres que les François nomment if, comme on en
trouve encore entre Namur et Huy : et est cet arbre semblable au sapin[200], voire en est une espèce : et de cestuy fait-on de beaux
arcs, et arbalestes fort bonnes ; mais de son jus et liqueur on fait du
poison, duquel — ainsi que tesmoigne César en ses Commentaires —, le roi
Cativulcus se tua meu de désespoir, et maudissant Ambiorix, et ses desseins
et entreprises. Mais oyons ce que dit Virgile du tilleul et de l'if en ses
Géorgiques : At
myrtus validis hostilibus, et bona bello Cornus ; Ituræos taxi torquentur
in arcus. Nec
tiliæ leves, aut torno rasile buxum, Non formam accipiunt, ferroque cavantur acuto. Ils ont encore par deçà une sorte d'arbre particulier, duquel — peut-estre — on n'en voit point ailleurs, qu'ils appellent au nombre pluriel en leur langue abeelen et semble que ce soit une espèce de peuplier blanc, et duquel le Brabant abonde grandement, et surtout s'en servent en beaucoup de leurs ouvrages à Bruxelles[201]. Le lecteur nous permettra, en considération de la
connexité des matières, de joindre à ces détails quelques indications sur la
réglementation de la chasse au XVIe siècle dans notre pays. Les princes se
sont toujours montrés extrêmement sévères sur cet article, et de nombreux
édits témoignent de leur vigilance jalouse sur ce point. Par celui du 5
octobre 1514, Charles-Quint considérant que, par le
grand dégast qui s'estoit fait du gibier, son pays de Flandre en estoit
tellement desnué et despeuplé que rien n'y demeurait pour son déduit et
passe-temps, au grand mesprisement de son autorité, renouvela les
restrictions déjà apportées à l'exercice de la chasse par son père. Une
amende de cinquante lions d'or, pour chaque cas, était prononcée contre
quiconque, sinon les gentilshommes ou autres gens de
bien, ayant faculté et accoustumés de le faire en leurs terres et garennes,
chasserait aux bestes rouges et noires, aux lièvres
ou lapins, les tirerait ou prendroit par instrument ou autrement, au vol, au
filet, à la tonnelle ; se servirait d'arc à main, d'arbalète, de couleuvrine
ou autres armes pour abattre perdrix, faisans, hérons, butors, oiseaux de
rivière ou autres volailles et sauvagines ; tiendroit lévriers, levrettes ou
autres chiens pour chasser. Il était interdit même aux campagnards de
tenir des chiens mâtins, sans leur pendre au col un
baston de bois de trois pieds de long, sous peine d'une amende de dix
livres[202]. Les Brabançons qui jouissaient, en vertu des stipulations de leur pacte constitutionnel, du privilège de chasser dans toute l'étendue du duché, poil par poil, plume par plume[203], protestèrent, mais en vain, contre ces restrictions apportées à leurs privilèges. Des placards du 28 août 1515 et du 14 août 1517 aggravèrent les dispositions de l'édit de 1514, et prononcèrent contre les délinquants, en cas de seconde récidive, la peine du bannissement criminel et sans appel. L'amende, pour les insolvables, était convertie en peine corporelle, telle que la flagellation, et les armes du braconnier étaient confisquées[204]. Ces pénalités furent rendues plus rigoureuses encore par l'édit du 7 août 1528, qui porta l'amende à cent florins d'or en cas de première récidive, et maintint le bannissement à perpétuité pour la seconde[205]. Marie de Hongrie, passionnée pour la chasse, fit exécuter ces édits avec une rigueur impitoyable[206]. Pour plus de garantie de la stricte exécution des édits, le jugement des délinquants avait été déféré à des tribunaux spéciaux. Dans le Brabant, de temps immémorial, le tribunal était composé d'un certain nombre de vassaux du duché, appelés les vassaux de la Trompe, lesquels étaient tenus de siéger, à la réquisition du souverain ou du gruyer qui le représentait pour les délits de chasse. Sur le refus fréquent des juges appelés, Charles-Quint décida, le 3 juillet 1518, que le consistoire de la chasse, consistorie van den horen, serait désormais composé de sept membres nommés à vie et choisis parmi les vassaux de la Trompe[207]. Ce tribunal siégea d'abord à Boitsfort, à la Jaggershuys ou Maison des Chasseurs ; il fut ensuite transféré à Bruxelles, à la Maison du Roi. Des tribunaux semblables furent érigés à Louvain et à Anvers. Le consistoire de la Trompe était présidé par le grand veneur ; cet officier en nommait les juges[208] et se faisait généralement suppléer par le maître des garennes, warantmeester, plus connu sous le nom de gruyer. Le souverain avait également des véneries dans les autres provinces. En Flandre, la conservation de la chasse était confiée à un grand veneur et à un grand fauconnier, mais ces fonctions étaient fréquemment exercées par la même personne. Dans le Hainaut, les fonctions de grand veneur, unies à celles de maréchal du comté, étaient héréditaires[209]. Au comté de Namur, les attributions du gouverneur comprenaient celles de grand veneur ; en cette qualité, il avait connoissance et judicature tant du fait de la chasse, vénerie, volerie, louveterie, que des faits et amendes, ensemble des pateciers, cabaretiers, taverniers, hôtelains et tous autres, en quelque lien que ce fût, sous le ressort toutefois du conseil privé, et nuls autres juges[210]. Les véneries étaient indépendantes les unes des autres, mais le séjour de la cour à Bruxelles, ses fréquentes parties de chasse dans la forêt de Soigne, valurent naturellement le premier rang à la vénerie de Boitsfort. Après la mort du sire de Molembais, qui avait succédé à Jean de Berghes dans les fonctions de grand veneur, Marie de Hongrie prit elle-même la direction des meutes de son frère. Elle les augmenta considérablement, et l'on attribue à cette princesse l'introduction en Belgique de la chasse aux toiles usitée en Allemagne[211]. Les loups étaient alors encore fort répandus en Belgique, et de fortes primes étaient allouées pour leur extermination[212]. Les chroniques racontent les ravages exercés en 1512 par un loup, dans les environs de Bruxelles, où beaucoup d'hommes, de femmes et d'enfants moururent des suites des blessures de cet animal féroce[213]. Guicciardin fait honneur de l'art de la fauconnerie aux Belges, qui le répandirent dans les autres contrées de l'Europe. Tous les ans, au mois de juillet, ils allaient en grand nombre chercher des oiseaux de proie en Norvège : les fauconniers belges dressaient ces oiseaux, qui devenaient un présent fort estimé de souverain à souverain. Les Belges n'étaient pas moins habiles à dresser les chiens de chasse, et Charles-Quint, qui savait, dit M. Henne, estimer les produits comme les hommes de sa patrie, tira de la Belgique la plupart de ses meutes[214]. La législation criminelle
se montra, sous le règne de Charles-Quint, beaucoup plus féconde que la
législation civile. Cette multiplicité de lois pénales s'explique aisément,
remarque M. del Marmol, par les progrès que faisait alors la secte de Luther.
La tolérance religieuse n'était pas encore connue, et en voyant tout à coup
surgir un schisme qui, par ses progrès rapides, menaçait la puissance si
solidement établie du catholicisme, les princes durent craindre pour leur
propre autorité[215]. Avant d'entrer
dans les détails, nous laisserons parler un savant belge, qui a traité ce
grave sujet avec toute l'attention qu'il comporte, jointe à la plus complète
connaissance des sources historiques et juridiques sur la matière[216]. Les institutions criminelles du Brabant, à l'avènement de
Charles-Quint, dit M. Pouillet — et ceci s'applique évidemment aux
autres provinces — étaient en grande partie le
produit d'une puissante végétation sociale qui avait des racines profondes
dans le monde carlovingien et féodal. L'organisation judiciaire du duché, au
commencement du XVIe siècle, se rattachait pas des liens intimes à
l'organisation judiciaire de la période franque et de la période
lotharingienne. Les officiers criminels des villes et des villages, les maïeurs,
ammans, écoutètes, baillis, étaient les mêmes officiers que les siècles
passés avaient connus ; seulement les civilisations avaient modifié leur
action ou étendu leurs pouvoirs. Les lois, les coutumes criminelles, la
procédure dérivaient notoirement des lois barbares, des capitulaires, de la
paix de Liège, des constitutions impériales... Cependant des éléments exclusivement propres au duché — et aux autres
provinces — étaient venus se placer à côté des éléments traditionnels... Une législation
nationale avait, à un manient donné, modifié et rajeuni ce qui était resté en
vigueur des anciennes institutions criminelles carlovingiennes et féodales.
Cette législation qui, malgré des emprunts évidents au droit romain, était
restée tout à fait germanique dans son esprit, n'était pas demeurée longtemps
immuable... Sans l'intervention du législateur, uniquement par la puissance
de la propagande intellectuelle et par l'action continue des jurisconsultes,
l'interprétation romaniste des anciens textes germanico-brabançons — ou
germanico-belges — avait commencé à prévaloir sur la vieille interprétation
germanique. On avait vu s'implanter en Brabant — en Belgique — avec une
certaine peine à la vérité — des pratiques judiciaires qui s'emparaient à la
même époque de l'Europe entière : la torture[217], la poursuite d'office et la procédure d'enquête... De
toutes ces sources était sorti cet ensemble de faits, de principes, de
pratiques, acceptés par la coutume, fondé plutôt sur la tradition et sur le
respect des précédents que sur la lettre de la loi, qui constitue les
institutions criminelles brabançonnes — belges du XVIe siècle[218]. Les prédécesseurs de Charles-Quint, dit plus loin M. Poullet, n'intervenaient que très rarement, par voie législative, dans le règlement des matières qui touchent au droit criminel ; l'empereur, pendant son long règne, publia une foule d'édits relatifs aux homicides, aux vols, aux banqueroutes, au vagabondage, à l'hérésie. Quand, par suite de circonstances extraordinaires, les anciens souverains prenaient. des mesures pénales, ils publiaient des édits spéciaux, soit pour le Brabant, soit pour la Flandre, soit pour le Namurois. Charles-Quint rompit définitivement avec ces errements. Le premier il prétendit que toutes ses ordonnances criminelles fussent uniformément appliquées dans toute l'étendue des Pays-Bas. Toute loi pénale nouvelle, émanée de lui, devint donc loi des Pays-Bas, et non plus loi brabançonne ou flamande. Son règne fait époque dans l'histoire du droit pénal, par la substitution de l'unité et de la généralisation au particularisme relativement, à toutes les mesures nouvelles prises en matière criminelle[219]. Au sujet des édits destinés à empêcher la propagation des hérésies dans les Pays-Bas, le même auteur s'exprime en ces termes : Les lois pénales ne doivent jamais être séparées du milieu social auquel elles sont destinées ; elle n'en sont que la conséquence... L'organisation politique de l'Occident au moyen âge, et en particulier l'organisation de nos principautés des pays de par deçà, était basée sur l'union intime de l'Église catholique, apostolique et romaine, et de l'État. L'unité du culte et des croyances était le dogme politique fondamental de la société. Partout l'hérésie obstinée était un crime punissable, non pas seulement dans le for ecclésiastique, mais encore devant les tribunaux séculiers. Le prince était tenu de prêter à l'Église l'appui de son pouvoir temporel, pour maintenir la pureté et l'intégrité de la doctrine. Philippe d'Alsace, comte de Flandre, commençait un de ses diplômes en disant : Moi Philippe, comte de Flandre, qui porte le glaive de Dieu, je dois défendre son Église et maintenir ses droits[220]. Tous les ducs de Brabant, à leur avènement au trône, prêtaient le serment de défendre les privilèges et les libertés de l'Église avant même de jurer le maintien de la Joyeuse-Entrée[221]. En un mot, comme le dit M. Groen van Prinsterer, le maintien de la religion romaine était un des privilèges les mieux établis des anciennes provinces belgiques[222]. Le prince, en se montrant le sévère protecteur de l'orthodoxie, ne faisait pas seulement une œuvre religieuse, mais une œuvre politique. Il veillait au maintien de la forme existante, séculaire, acceptée, de la société temporelle elle-même. Toucher alors à l'Église romaine, c'était, qu'on le voulût ou non, toucher à l'organisation de l'État. Les institutions catholiques et les institutions séculières étaient mêlées et enchevêtrées au point de ne former qu'un seul tout. L'Église seule réglait l'état civil des familles, elle jugeait les questions de filiation et de mariage, et l'État acceptait ses décisions. L'Église, à titre de ses possessions foncières, était suzeraine et vassale ; elle avait sa part reconnue dans la répartition de la puissance politique. En Brabant, notamment, les abbés des grands monastères formaient un ordre particulier dans les états de la province, capable de servir de modérateur entre la noblesse et les villes en cas de dissentiments. L'Église avait la haute main sur l'instruction publique et sur la bienfaisance. Elle avait des relations intimes avec les classes ouvrières : la confrérie et la corporation se confondaient dans une certaine mesure... Tel était l'état des choses en
Belgique, quand les hérésies du XVIe siècle commencèrent à y pénétrer. Qu'on
ajoute aux faits que nous venons de citer, les idées des réformateurs
eux-mêmes par rapport à l'union de l'Église et de l'État : tous appelaient le
bras séculier des princes ou des magistrats qu'ils avaient gagnés, à faire
taire leurs contradicteurs[223] ; l'esprit d'un temps où les doctrines spéculatives les
plus étranges, pourvu qu'elles fussent présentées comme des inspirations de
l'Esprit saint, séduisaient et passionnaient les masses, et se voyaient
instantanément traduites en voies de fait ; le mode violent et séditieux par
lequel se produisaient presque partout les doctrines nouvelles ; les excès
des iconoclastes en Saxe, des paysans fanatiques de la Souabe et de la
Thuringe, des anabaptistes en Westphalie et aux Pays-Bas ; l'impossibilité
absolue où se trouvaient les pouvoirs civils de l'époque de faire vivre en
paix, côte à côte, le catholicisme et la réforme : témoins, les guerres de
religion en France ; l'exemple des gouvernements réformés de Henri VIII,
d'Édouard VI, d'Élisabeth, se servant de la justice criminelle pour forcer
les âmes à accepter leurs doctrines officielles ; l'exemple des princes
allemands luthériens arrachant à l'empire, à la diète d'Augsbourg, l'absurde jus
reformandi qui livrait les consciences de leurs sujets à leurs caprices
individuels ; l'exemple des calvinistes des Pays-Bas proscrivant complètement
l'exercice du culte catholique, là où ils étaient les plus forts ; et alors,
tout en reconnaissant que ce n'est pas par le glaive que l'on fait passer la
conviction dans les âmes ; tout en déplorant les rudesses, les excès, les
absurdités d'un droit criminel que déjà nous avons appris à connaître, on
comprendra comment Charles-Quint et, plus tard, Philippe II ont été obligés
de sévir contre les fauteurs et les propagateurs des hérésies du XVIe siècle
dans leurs territoires[224]. En voilà assez pour les esprits sages et droits. Il nous reste à analyser rapidement les principaux édits de Charles-Quint sur la matière. Le premier en date est l'édit du 22 mars 1520, vieux style. Cet édit prescrivait, on l'a vu déjà, en conformité de la bulle du pape Léon X et des déclarations des facultés de théologie de Louvain et de Cologne, de brûler tous les livres et écrits provenant de la secte hérétique d'un nommé Martin Luther, religieux de l'ordre de Saint Augustin, et d'en interdire l'impression, la vente, l'achat, la conservation, la lecture, sous peine de confiscation et autre punition arbitraire[225]. L'édit du 8 mai 1521, daté de Worms et adressé à la gouvernante des Pays-Bas, avec ordre de le publier et de le faire lire mot à mot, faisait l'histoire de toute la lutte entre la papauté et le moine révolté. Il décrétait la confiscation des biens contre ses adhérents, en tant qu'ils se montrassent obstinés, heu toenende obstinaet ; défendait l'impression, la vente, l'achat, la conservation des œuvres de l'hérésiarque ou de ses disciples, et de toute image, tout écrit outrageant pour l'Église, le pape, les universités, les prélats, les personnes constituées en dignité séculière ou ecclésiastique ; ordonnait de brûler indistinctement toutes les œuvres de cette nature et de punir les délinquants conformément au droit romain et au droit canonique ; prescrivait l'institution d'une double censure préalable, ecclésiastique et séculière ; assimilait les contrevenants aux criminels de lèse-majesté ; commettait les juges locaux, conseils de justice, ou autres qu'il appartiendrait, pour juger ces derniers ; enjoignait enfin aux procureurs généraux de se joindre à tout accusateur, duel qu'il fût, et, au besoin, de procéder par enquête, d'office, by inquisitie[226]. Ces deux ordonnances contenaient en germe, comme l'a remarqué M. Poullet, tout le système à la fois répressif et préventif adopté par l'empereur. Ce système se résume dans cette phrase d'une ordonnance postérieure afin que, à ce moyen, les simples gens laiz et aultres se puyssent garder desdits erreurs et abuz, et que les principaux aucteurs et sectateurs fussent corrigez et punis à l'exemple de tous aultres[227]. Ces premiers édits étaient trop vagues dans leurs textes pour servir, dans tous les cas, de règles aux tribunaux chargés de les appliquer ; d'autres vinrent, dans la suite, expliquer ce qu'ils avaient d'obscur et en combler les lacunes. L'édit du 17 juillet 1b26, rendu de l'avis de plusieurs théologiens et des membres du conseil privé, détermina avec soin un certain nombre d'actes défendus, et commina contre les délinquants des peines dont les plus graves étaient la confiscation de la moitié des biens et le bannissement perpétuel[228]. Cette ordonnance ne produisit pas les résultats qu'on en attendait. Le 24 octobre 1529, elle fut remplacée par un placard nouveau, beaucoup plus sévère, émané de l'avis des chefs consaulx des Pays-Bas, du conseil privé de la régente et des chevaliers de la Toison d'or[229]. L'édit du 7 octobre 1531, décrété avec la participation des mêmes autorités et avec le concours des états généraux, de même que celui du 22 septembre 1540, complétèrent et aggravèrent encore le précédent[230]. Enfin l'édit du 17 décembre 1544 et celui du 30 juin 1546 rendu de l'avis de la gouvernante, du conseil d'état et du conseil privé, organisèrent le régime de l'imprimerie, en menaçant des peines les plus sévères ceux qui y contreviendraient[231]. Dans l'intervalle le gouvernement avait publié, le 10 juin 1535, un placard spécial contre les anabaptistes[232], et, le 17 février de la même année, un autre contre les apostats[233]. On appelait apostats les religieux des deux sexes qui avaient renoncé à leur état sans dispense. L'édit ordonnait de ramener manu militari les fugitifs dans leurs couvents, et défendait de les secourir ou de les favoriser. Toutes ces ordonnances avaient été impuissantes contre la violence du mal. Avant de partir pour l'Allemagne, en 1550, Charles-Quint tenta un dernier effort. De l'avis de la gouvernante, du conseil privé et des chevaliers de la Toison d'or, il publia un nouveau placard daté du 28 avril[234]. Ce placard reproduisait les précédents, sans y ajouter des pénalités nouvelles, mais il y était fait mention plusieurs fois des inquisiteurs, et, pour la première fois, des certificats d'orthodoxie. Il y eut alors quelque opposition de la part du conseil de Brabant, et le magistrat d'Anvers adressa à ce collège une requête où il exposait que l'exécution de l'ordonnance entraineroit la ruine du pays, et spécialement de cette ville entièrement fondée sur le faict et train de marchandise, hantise, fréquentation et négociation. Marie de Hongrie en référa à l'empereur, et le résultat de toutes ces démarches fut le placard du 25 septembre 1550. Ce placard ne parla plus d'inquisiteurs, mais uniquement de juges ecclésiastiques ; il fit droit aux réclamations soulevées par rapport aux marchands étrangers, et adoucit plusieurs articles de l'édit précédent. Quoiqu'ils eussent obtenu l'objet spécial de leurs réclamations, dit à ce propos M. Gachard, les bourgmestre et échevins d'Anvers ne se soumirent pas encore sans résistance à la volonté du prince. L'article dernier de la nouvelle ordonnance statuait qu'elle serait exécutée nonobstant opposition ou appellation faite ou à faire, ni aussi quelconques privilèges, ordonnances, statuts, coutumes ou usances à ce contraires. Ils exigèrent, avant de la publier, qu'il leur fût délivré un acte, sous le grand sceau de Brabant, qui servît de sauvegarde à leurs libertés ; en outre, par la même résolution (en date du 5 novembre) qui autorisait l'écoutète à faire la publication de l'édit, ils déclarèrent que l'article cité ci-dessus ne pourrait porter aucun préjudice à leurs privilèges, ordonnances, statuts et coutumes[235]. Nous n'ajouterons qu'un mot sur l'exécution des édits. Ces édits, dit M. Poullet, vouaient,
en principe, à la mort par le feu, le glaive ou la fosse, les hérétiques
obstinés quels qu'ils fussent. Mais, en pratique, on ne se montrait
ordinairement rigoureux qu'à l'égard des anabaptistes et des sacramentaires.
Ceux-ci étaient, en règle générale, envoyés au bûcher. Les autres étaient
souvent eschavotés — exposés sur l'échafaud —, fouettés, marqués, bannis, au lieu d'être mis à mort.
C'est ce qui résulte des nombreux exemples de condamnation, en matière
d'hérésie, recueillis par M. Henne[236]. Quelques indications aussi sont nécessaires sur l'inquisition et les inquisiteurs dont il est parlé dans quelques édits. Nous résumons aussi brièvement qu'il nous est possible les détails donnés longuement par M. Poullet. Les autorités existantes auraient peut-être été capables, selon lui, de soutenir la lutte contre l'hérésie, dans les circonstances où elle se présentait. Les tribunaux séculiers, les officiers criminels étaient nombreux et presque partout catholiques, car l'immense majorité du pays restait attachée à la foi de ses pères. L'insuffisance ne risquait de se produire que du côté des juridictions ecclésiastiques. Les évêques diocésains étaient trop peu nombreux, c'est un fait incontestable ; le gouvernement redoutait singulièrement leur indépendance, presque tous résidant hors des frontières du pays. Un moment Charles-Quint songea à introduire dans ses principautés des Pays-Bas le Saint Office, qui fonctionnait en Espagne. Il recula devant l'animadversion hautement manifestée de toutes les sommités du pays[237]. L'inquisition apostolique et l'inquisition épiscopale besognèrent seules aux Pays-Bas. Le premier commissaire, chargé de l'exécution des édits contre les hérétiques, fut François Van der Hulst, membre du conseil de Brabant. Par lettres patentes du 23 août 1522, il fut commis par Charles-Quint pour rechercher tous ceux qui seroient infectés du venin de l'hérésie, et les châtier ainsi que lui-même — l'empereur — pourroit le faire. Des lettres pontificales, datées des calendes de juin 1523, régularisèrent et complétèrent les pouvoirs de Van der Hulst. Adrien VI le nomma, quoique laïque et par dérogation spéciale au droit canonique, inquisiteur universel et général dans le duché de Brabant et dans tous les lieux de la Basse Allemagne de la domination de l'empereur. Néanmoins le pape avait déclaré que la commission d'inquisiteur apostolique délivrée à Van der Hulst ne porterait aucun préjudice au droit des évêques d'exercer l'inquisition dans leurs diocèses contre l'hérésie, et de fait il y a de nombreux exemples de procès d'hérésie portés devant les officiaux de l'évêque de Cambrai en Brabant, auxquels intervenaient, à l'occasion, les échevinages ou le magistrat des villes[238]. Malheureusement Van der Hulst, envoyé en Hollande par la gouvernante, se montra inhabile et violent dans l'exercice de ses fonctions. On l'accusa même d'avoir commis, dans un différend avec les états de Hollande, une falsification de pièces[239]. La gouvernante indignée le suspendit de son emploi. L'empereur alors voulut en revenir à l'ancien système : rendre exclusivement aux juges épiscopaux et aux conseils de justice la connaissance des infractions en matière d'hérésie. Ce qui lui paraissait, disait-il, aussi bon, voire plus honorable que le premier expédient d'un exprès inquisiteur, qui estoit une chose nouvelle[240]. La gouvernante Marguerite, toujours peu favorablement disposée envers les prélats[241], se roidit contre les vues de l'empereur. Celui-ci céda. La gouvernante écrivit au pape Clément VII pour lui demander de déléguer d'autres inquisiteurs apostoliques en remplacement de Van der Hulst. Les pouvoirs nécessaires furent accordés par le cardinal de Sainte-Anastase, légat du pape en Allemagne, à trois ecclésiastiques désignés par Marguerite. Le pape, bien qu'il eût nommé le cardinal de la Marck, prince-évêque de Liège, inquisiteur général dans les Pays-Bas, et que le gouvernement n'eût pas agréé cette nomination, n'en témoigna aucun ressentiment et confirma les actes du légat. Le bref de Clément VII étendit les droits des inquisiteurs. Il les autorisa à procéder avec ou sans le concours des ordinaires. Il soumit à leur juridiction les évêques eux-mêmes, en leur permettant de les faire arrêter et emprisonner, sauf à envoyer les pièces des procès au Saint-Siège, qui se réservait le droit de les juger. Le pape Paul III confirma ces dispositions de son prédécesseur. Les édits de 1529 et de 1531 nous apprennent quels étaient les magistrats séculiers chargés de concourir à la répression du crime d'hérésie obstinée et d'appliquer les placards. Ils ordonnent à chaque conseil de justice de désigner dans son sein deux conseillers, avec autorité et mandement spécial de cognoistre desdits cas, sans longue figure de procès, et si sommairement que brièvement en raison et équité faire pourront. En cas de difficulté, les délégués devaient recourir aux lumières du corps auquel ils appartenaient. Le gouvernement ne négligea rien pour mettre les inquisiteurs sous sa dépendance. Le dernier février 1546, l'empereur donna à Maëstricht une instruction nouvelle destinée aux inquisiteurs apostoliques, où il leur traçait, de son autorité propre, des règles pour l'accomplissement de leur mission. Cette instruction se terminait par ces recommandations : Les inquisiteurs se conduiront de manière à ne pas rendre impossible une œuvre aussi sainte qu'elle est difficile ; ils ne se montreront pas trop exigeants, mais avant tout ils s'appliqueront à redresser les abus qui ne pourroient être tolérés .sans péril pour la religion, ou sans inconvénient pour la chose publique. Ils s'efforceront aussi de persuader à tout le monde que ce n'est pas leur profit, mais celui du Christ qu'ils cherchent, s'attachant seulement à purger les Pays-Bas de toute erreur, et à les préserver d'hérésie[242]. Le 31 mai 1550, cette instruction fut modifiée en quelques articles ; on permit notamment de transférer les ecclésiastiques arrêtés dans les prisons de l'évêque diocésain aussi bien que dans celles du conseil provincial. Quatre ans plus tard, le 31 janvier, l'empereur, rappelant ce qu'il avait ordonné antérieurement, statua que les conseils de justice et les officiers royaux, municipaux et autres, ne permettroient aux hérétiques détenus dans leurs prisons, à la poursuite des inquisiteurs, de parler ou communiquer avec qui que ce fût, sans le consentement de ces derniers ; que les mêmes conseils et officiers auraient à déférer à la réquisition des inquisiteurs, lorsque ceux-ci réclameroient leur présence pour le prononcé des jugements rendus par eux, ou les inviteroient à faire annoter et inventorier les biens des personnes infectées ou suspectes d'hérésie qui se seraient absentées par crainte de la justice ; enfin qu'ils veilleroient à ce que les meubles ou immeubles des individus incarcérés, ou en état de prévention pour le fait de l'hérésie, ne fussent transportés ou vendus à d'autres[243]. Le 27 janvier 1555, Charles-Quint adressa aux évêques une lettre par laquelle il les invitait à se faire informer, par leurs archidiacres, doyens et curés, de ceux qui étaient suspects d'hérésie, et de les signaler aux inquisiteurs[244]. Le 2 février suivant, il enjoignit à tous huissiers et sergents d'armes de mettre à exécution les citations, ajournements, intimations, actes ou ordonnances, quels qu'ils fussent, émanés des inquisiteurs ou de leurs subdélégués[245]. Terminons ici cette longue et sèche analyse, que nous
avons crue nécessaire pour la complète intelligence du récit, et reposons un
instant l'esprit fatigué du lecteur par quelques réflexions lumineuses empruntées
à un de nos meilleurs historiens. Aujourd'hui,
dit M. Moke, que la tolérance religieuse a passé de
nos mœurs dans nos lois, les efforts du monarque pour étouffer par les armes
une doctrine nouvelle ont cessé d'être en harmonie avec nos opinions ; mais
la vieille société européenne, que Charlemagne avait organisée et dont
Charles-Quint fut le dernier appui, avait eu la religion pour élément
constitutif et n'avait point séparé l'État de l'Église. La croyance servait
de base à l'ordre moral, l'ordre moral à l'autorité : au lieu de s'appuyer
comme de nos jours sur la force des choses, le pouvoir remontait à Dieu comme
à son principe. Les protestants aussi admettaient cet ordre d'idées, et ne se
faisaient pas faute de l'appliquer, en appuyant leurs innovations sur la
force toutes les fois qu'ils la possédaient. Déjà chaque jour faisait mieux
voir combien la situation générale était devenue alarmante. Les prédications
de Martin Luther et de ses adhérents avaient allumé l'incendie en Allemagne,
et les princes qui embrassaient son parti paraissaient disposés à le soutenir
par les armes. Le roi d'Angleterre venait aussi de se séparer brusquement de
l'Église, et cherchait dans l'adoption des doctrines nouvelles un moyen de
satisfaire les coupables fantaisies de sa passion. Sur les bords du Rhin, en
Hollande et en Westphalie, il s'était formé une secte étrange qui prétendait
purifier ses partisans par un second baptême et les rendre incapables de
faire le mal. On ne saurait croire avec quelle rapidité les anabaptistes
s'étaient multipliés parmi la classe la plus obscure et la plus ignorante.
Plus leur croyance était insensée, et plus elle offrait d'appât aux
imaginations grossières. De tous côtés se répandaient l'agitation et le
désordre, et la société entière était menacée de bouleversement. Le caractère même de l'époque contribuait à faire de cette résistance au protestantisme une nécessité européenne. L'ère de la civilisation moderne allait commencer, et alors, comme à toutes les périodes de crise sociale, les esprits étaient tourmentés d'un besoin de mouvement et d'expansion qui entraînait les masses vers les choses jeunes et les bannières neuves. C'était un élan impétueux et désordonné : Charles eût pu voir crouler sous lui son trône et l'empire, s'il n'avait posé une digue au torrent. C'est sous ce point de vue que
doit être jugée la conduite du souverain belge. Tous les actes de sa vie, qui
paraissent incohérents et pour ainsi dire accidentels quand on se méprend à
leur sens véritable, se rattachèrent plus ou moins directement à cette idée
profonde de conservation, et aux mesures d'ordre qu'elle paraissait réclamer.
Voilà pourquoi, malgré des succès douteux, des projets imparfaitement
accomplis et une politique diversement jugée, l'instinct des peuples, plus sûr
que la raison des historiens, l'a toujours proclamé grand[246]. Il nous reste à énumérer rapidement les autres lois pénales émanées de Charles-Quint ; plusieurs, du reste, ont déjà été mentionnées dans le cours de notre travail. Nous citerons d'abord celles qui se rapportent aux lettres de grâce, dont on avait singulièrement abusé avant lui. Les premières mesures prises contre ces abus remontent au duc Charles. Après lui Philippe le Beau interdit à tous officiers d'accorder aucune lettre de grâce ou de rémission, pour quelque crime que ce fût, sans avoir pris l'avis du conseil de Flandre, et avant que les malfaiteurs eussent satisfait les parties intéressées. Un terme de trois années était fixé pour l'entérinement des lettres de grâce, sous peine de nullité[247]. Charles-Quint, par une première ordonnance, interdit au conseil de Flandre d'accorder aucune composition pour crimes graves, tels que les homicides de propos délibéré ou par guet-apens, le faux témoignage, la fausse monnaie, le viol, la sédition, etc.[248] Une seconde ordonnance y ajouta l'homicide commis par ivrognerie[249]. Une troisième défendit d'accorder de rémission durant l'année de l'homicide commis, et ordonna aux impétrants après cette année de se présenter personnellement pour requérir l'entérinement[250]. Enfin l'édit du 30 janvier 1535 prescrivit de ne point accorder de lettres de rémission pour homicide commis le jour de la kermesse du lieu ou dans les trois jours suivants[251]. Parmi les lois pénales du règne de Charles-Quint, il en est deux encore qui méritent une mention spéciale, c'est d'abord celle qui punit du dernier supplice le crime de faux si nuisible au commerce[252], ensuite celle qui établit contre les blasphémateurs des peines ainsi graduées l'amende pour une première faute ; le pilori et la langue percée pour une seconde ; la fustigation et le bannissement perpétuel pour la troisième[253]. Rappelons enfin les mesures rigoureuses nécessitées par les besoins de l'époque contre le vagabondage[254], les monopoles[255] et les abus du paupérisme. Le fléau du paupérisme, remarque à ce sujet M. del Marmol, semble avoir été inconnu chez les peuples de l'antiquité. Le système de l'esclavage en vigueur chez eux dut y empêcher la formation de cette plaie sociale. La constitution du servage chez les nations modernes les préserva longtemps aussi des inconvénients du paupérisme. Mais lorsque les institutions féodales tombèrent en ruines, et que les affranchissements eurent fait disparaitre presque complètement les serfs, on vit naitre une classe de gens qui dépendaient de la charité publique pour vivre, et l'on fut obligé de prendre des mesures pour empêcher leur nombre, qui s'accroissait chaque jour, de devenir nuisible à la société. — C'est à Charles-Quint qu'appartient cette honorable initiative. Il défendit, sous peine d'emprisonnement, de mendier ou de laisser mendier les enfants et prescrivit les dispositions suivantes pour subvenir aux besoins des malades et des indigents qui ne peuvent gagner leur vie : les tables des pauvres, hôpitaux, confréries, etc., se feront une bourse commune pour en faire des distributions aux pauvres ; l'on établira des troncs dans les églises pour y déposer les aumônes, et l'on y fera des quêtes ainsi que dans les maisons ; pour régler les charités, les magistrats nommeront des commissaires qui tiendront compte des aumônes et auront un registre du nom, état et qualité des pauvres et de leurs ressources ; les enfants trouvés et les orphelins prendront part aux distributions ; enfin les enfants des pauvres seront mis aux écoles et on leur apprendra un métier[256]. Tout cela est excellent sans cloute, en principe au moins. Nous avons eu l'occasion déjà d'en dire un mot à propos des projets de Vivès, qui font honneur sans doute à la beauté de son âme, mais qui trahissent une certaine absence d'expérience et de connaissance pratique de l'humanité. Toutes ces lois, tous ces règlements, toutes ces théories, tous ces plans, tous ces expédients sont parfaits en eux-mêmes, mais pour atteindre le but pratique, il y manque une chose, une seule chose, il est vrai, mais indispensable, il y manque la charité, les mœurs chrétiennes. Quid vanœ, sine moribus, leges
proficiunt ? Quoiqu'il en soit, il est juste de reconnaître, avec M. del Marmol, que la législation pénale de Charles-Quint introduisit des dispositions utiles, corrigea des abus, et surtout que par l'influence d'un recueil publié par lui dans l'empire[257] le grand empereur fit sortir le droit pénal du chaos où il était plongé et lui ouvrit la voie des améliorations[258]. M. del Marmol consacre une section de son travail sur
l'influence exercée par Charles-Quint sur l'amélioration de nos lois à ce
qu'il appelle la législation ecclésiastique, et que nous croyons plus exact
d'appeler la législation civile-ecclésiastique.
Aux temps de Charles-Quint, dit-il, les puissances temporelle et spirituelle, longtemps
confondues, commencent à se séparer. Dès lors le premier de ces pouvoirs
cherche à contenir le second dans les limites qu'il lui assigne. — Une des causes qui contribuaient surtout à rendre
puissante l'autorité du clergé, se rencontre dans la grande quantité de
propriétés foncières qu'il possédait. Ces richesses, dues en grande partie
aux libéralités des premiers empereurs chrétiens, ainsi qu'à celles des
fidèles, finirent par devenir si considérables que l'on sentit la nécessité
d'y mettre des bornes. — Déjà en 1294, nous
voyons le comte Guy publier dans la Flandre une ordonnance qui défend aux
religieux d'acquérir des héritages, rentes, fiefs, etc., sans son
autorisation, et une semblable disposition se retrouve en Brabant dès l'an
1312 dans la joyeuse entrée de Jean II. — On
conçoit combien une pareille prohibition dut soulever d'opposition : aussi
quoiqu'elle eût été renouvelée par Philippe-le-Bel, et plus tard par
Charles-Quint lui-même, elle n'était point encore exécutée en Belgique[259]. Ceci a besoin d'explication ; il importe surtout d'examiner si c'est au pouvoir temporel à assigner au pouvoir spirituel les limites dans lesquelles il cherche à contenir celui-ci. La doctrine catholique trace une ligne de démarcation nette et tranchée entre la société spirituelle et temporelle, elle assigne aux deux pouvoirs placés respectivement à la tête de ces deux sociétés une personnalité propre et si bien caractérisée, que toute confusion devient impossible, et que le mélange de la politique avec la religion ne peut jamais être ni long, ni complet. Les deux pouvoirs se distinguent l'un de l'autre par leur essence même, par leur constitution, par leur étendue et par leur objet. Tous deux ont une origine divine, mais le pouvoir civil vient de Dieu comme auteur de la nature ; il est de droit divin-naturel ; le pouvoir spirituel vient de Dieu comme auteur de la révélation et de la grâce ; il est de droit divin-surnaturel. Dieu a personnellement constitué le pouvoir spirituel ; il a lui-même déterminé sa forme, ses limites et le mode suivant lequel il doit s'exercer dans l'Église ; dans la société civile, au contraire, la forme du gouvernement et les conditions de l'exercice de la souveraineté sont à la libre détermination des hommes, elles sont de droit humain. Dieu a lui-même désigné les premiers dépositaires du pouvoir spirituel, et fixé les règles fondamentales de la succession ; les règles sur le choix des princes et le mode de transmission du pouvoir dépendent de la volonté des hommes. Enfin ce qui caractérise particulièrement et essentiellement les deux pouvoirs, c'est leur fin respective, ce sont les moyens dont ils se servent pour l'atteindre. Le pouvoir religieux, chargé de continuer dans le monde l'œuvre de la Rédemption, a pour but le bien spirituel et surnaturel, la sanctification et l'éternelle félicité du genre humain ; les moyens dont il se sert pour atteindre cette fin sont également surnaturels, ils consistent clans la foi et les sacrements. Le pouvoir civil poursuit directement le bien naturel et temporel des hommes, la conservation et le développement, dans l'ordre naturel, des facultés physiques, intellectuelles et morales de ceux qui lui sont soumis ; ses moyens d'action sont en rapport avec sa fin[260]. L'Église et l'État constituant deux sociétés réellement et parfaitement distinctes, les deux pouvoirs qui y président sont respectivement souverains. Par souveraineté on entend la liberté réciproque, c'est à dire la non-sujétion, la non-subordination d'un pouvoir à. l'autre dans toutes les matières qui constituent leur ordre propre, leur sphère individuelle. L'Église est indépendante de l'État dans les matières spirituelles, c'est à dire dans tout ce qui touche directement à la foi et à la morale, aux sacrements, au culte, à. la discipline et à l'administration de la société religieuse. L'État, de son côté, est libre vis-à-vis de l'Église dans tous les actes qui lui sont propres et qui se rapportent directement à l'accomplissement de sa mission, dans les affaires purement politiques et temporelles, c'est à dire dans les questions relatives à la forme du gouvernement, aux relations mutuelles du souverain et des sujets, à l'organisation des pouvoirs publics, à l'assiette et à la levée des impôts, à la paix, à la guerre, à l'industrie, au commerce, aux intérêts matériels, aux relations internationales. Toutefois il y a deux réserves à faire ici. Dans les choses spirituelles, le souverain, s'il est chrétien, est soumis à l'Église comme ses sujets ; dans les choses qui sont de sa compétence propre, il ne peut rien faire qui porte atteinte à la moralité de ses sujets, à leurs devoirs envers Dieu et envers l'Église[261]. On appelle matières ecclésiastiques toutes celles qui par leur nature ou leur destination rentrent dans la sphère du pouvoir spirituel, matières civiles celles qui rentrent dans la compétence du pouvoir séculier. Mais il est des matières qui nous apparaissent comme sous une double face, partagées entre l'Église et l'État. Ainsi outre les choses exclusivement ecclésiastiques et les choses exclusivement civiles, il faut reconnaître des choses qui ne présentent pas ce caractère exclusif, des choses qui se rapportent en même temps à l'ordre spirituel et à l'ordre temporel : ce sont les matières mixtes. Ces matières réclament le concours des deux pouvoirs[262]. L'Église a le droit d'acquérir et de posséder en pleine liberté tous les biens nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; ce droit repose à la fois sur la loi naturelle, sur la loi divine positive et sur la législation de tous les peuples chrétiens. Les biens ecclésiastiques proviennent tous de la même source, les dons ou offrandes des fidèles. Ces biens, de l'aveu de tout le monde, l'Église les possède depuis dix-huit siècles, non en vertu d'un droit que la loi civile lui aurait conféré, mais en nom propre et par une faculté qui lui est inhérente. L'État ne peut mettre des restrictions au droit de propriété des établissements ecclésiastiques sans le consentement exprès ou tacite de l'Église[263]. Il ne s'ensuit pas de ces principes que l'État doive se désintéresser complètement sur la question de la propriété ecclésiastique. L'existence des mainmortes[264] touche aux plus graves intérêts de la société civile et aux conditions essentielles de l'ordre public. Les économistes sont d'accord pour reconnaître qu'au point de vue social et politique, la mainmorte illimitée présente de graves inconvénients et de grands dangers. D'un côté, disent-ils, il n'est point contestable que la possession de la terre par les masses ne soit un des plus puissants éléments de stabilité et de moralité ; de l'autre, si les personnes morales, qui ne souffrent aucun morcellement ni aucun partage, s'agrandissaient ou se multipliaient indéfiniment, il ne resterait plus dans la circulation une quantité suffisante de biens pour stimuler le commerce et le travail ; l'essor de la population elle-même en serait ralenti. Mais il faut se garder de l'excès en toutes choses, et surtout de l'abus des théories. La constitution des personnes morales, quand elle est restreinte à de justes limites, loin de présenter des dangers, est une condition d'ordre et de prospérité publique. La grande propriété foncière est indispensable au progrès social ; c'est un des plus puissants moyens de conservation et une des bases les plus solides de la sécurité générale. Il faut qu'il y ait dans la société des existences fortes et permanentes, qui soient toujours à même de faire les sacrifices qu'un avenir incertain peut à chaque instant exiger. Un économiste éminent l'a remarqué. Le bien-être et la richesse publique ne demandent pas que l'on multiplie indéfiniment le nombre des petits propriétaires, et que l'on fasse courir les biens de mains en mains sans relâche. Une trop grande circulation et un morcellement trop considérable ruineraient entièrement l'agriculture. L'utilité générale de la propriété immobilière consiste surtout à rendre les terres aussi productives que possible, et à en appliquer ensuite les revenus et les fruits aux divers besoins de la société et de ses membres. Or l'incommutabilité et l'indivision des biens sont, dans une certaine mesure, nécessaires à la culture, parce qu'elles donnent la richesse et l'esprit de suite nécessaires pour réaliser la conservation, l'amélioration et le progrès. Le morcellement du sol, au contraire, peut avoir pour effet, en portant les capitaux vers la propriété, de les détourner de la culture, un des vices principaux de l'économie rurale de la France[265]. A quelles propriétés s'appliquent mieux ces réflexions qu'à celles de ces anciens monastères, de ces abbayes, dont les membres constants et laborieux avaient défriché, pour une grande part, ce sol devenu leur propriété, où ils avaient trouvé des forêts incultes, des landes, des marais insalubres, et qu'ils avaient transformé en de magnifiques et fertiles campagnes ! Quand la France, oublieuse et ingrate, se préparait à spolier ces pieux cénobites, un orateur éloquent put s'écrier, le 30 octobre 1789, à la tribune de l'assemblée nationale, sans être contredit par personne : On prétend favoriser l'agriculture. Est-il des terres mieux cultivées que les nôtres ? Comparez les provinces où l'Église possède des biens, vous verrez qu'elles sont les plus riches ; comparez celles où les ecclésiastiques ont peu de propriétés, vous verrez que la terre s'ouvre à regret pour récompenser les bras languissants de ceux qui les cultivent sans amour[266]. Il est donc vrai de dire que les vues de beaucoup d'économistes qui ont traité de la propriété ecclésiastique sont fausses ou incomplètes. Ils n'envisagent d'ordinaire le problème que sous une seule de ses faces, dans un seul de ses éléments, l'élément purement matériel. Ils semblent ne se soucier en aucune façon des intérêts moraux et de la destination finale de l'humanité. Mais, quoi qu'il en soit, la mainmorte intéresse directement la société civile, et. pour cette raison les questions qu'elle soulève doivent être résolues d'un commun accord par les deux puissances. L'histoire témoigne combien l'Église s'est toujours montrée conciliante et facile, quand le bien général a exigé une entente entre elle et le pouvoir civil agissant de bonne foi. Tout en maintenant avec fermeté les principes, elle a toujours su tenir compte de l'état de la législation, des mœurs et des exigences du temps. Le gouvernement de nos provinces, au XVIe siècle, ne parait pas avoir fait état de ces considérations, il agit aussi arbitrairement dans l'ordre ecclésiastique que dans l'ordre civil, n'attachant aucune importance à la possession et aux faits historiques, et c'est pour cela que nous ne croyons pas qu'au point de vue du droit et de la liberté sainement entendue, ses édits puissent trouver grâce devant la haute impartialité de l'histoire. Nous allons du reste en faire connaître les principales dispositions par une analyse succincte. L'édit du 19 octobre 1520 défendit aux cloitres, couvents, collèges, hôpitaux, gens d'église et mains-mortes d'acquérir aucuns biens immeubles ou rentes par achat, donation, échange, testament, ou ab intestat, sans le consentement du souverain, et celui des vassaux ou des magistrats des villes sous lesquelles ces biens seraient situés ; déclarant nul tout ce qui se ferait contrairement à cette défense, et punissables d'amendes les officiers qui dresseraient de semblables actes[267]. Cette ordonnance faisait aussi défense d'ériger ou doter à l'avenir aucune nouvelle église, abbaye ou chapelle, sous peine d'amende et de démolition des ouvrages qui auraient été exécutés. Il semble, dit M. del Marmol,
que cette loi fut la première qui reçut une
exécution sérieuse, relativement aux acquisitions d'immeubles par les gens de
mainmorte ; mais elle présentait une lacune qu'il fallait combler. Ici
Charles-Quint se couvrit habilement d'une demande faite par le pays de
Flandre, et, statuant sur cette demande, enleva aux monastères la faculté qu'ils
avaient, d'après le droit commun, d'acquérir au nom de leurs religieux, les
successions ab intestat auxquelles ceux-ci étaient appelés[268]. Les questions relatives aux dîmes, dit toujours M. del Marmol, étaient un autre point qu'il importait au pouvoir civil de régler d'une manière convenable. Ce fut le but de l'édit du 1er octobre 1520, qui prescrivit que nuls gens d'église ou laïques, possédant des dîmes, ne pourraient à l'avenir en lever de nouvelles, de quelque nature qu'elles fussent, mais devraient se contenter de celles dont ils auraient joui depuis l'espace de quarante ans. Charles-Quint n'avait pour but d'empêcher le prélèvement de la dîme que sur les fruits que l'on aurait eu coutume d'en excepter dans un lieu depuis plus de quarante ans, et dont les décimateurs auraient négligé d'exiger la dîme depuis ce laps da temps. Il ne voulait pas appliquer ces principes aux nouvelles espèces de fruits que l'on commençait à cultiver, et une interprétation du 10 mars 1523 déclara que, dans ce cas, il fallait avoir recours au droit écrit[269]. Citons encore, après M. del Marmol, la disposition de cet édit du 1er octobre 1520, qui enleva aux juges ecclésiastiques la connaissance des questions relatives aux nouvelles dîmes, pour l'attribuer aux conseils ordinaires de justice. Il y est même statué que les gens d'église ou autres, qui contreviendraient à cette ordonnance, seraient contraints à l'observer par saisie et main mise sur leur temporel aussi longtemps que les infractions dureraient. Toutes ces 'matières sur lesquelles l'empereur édictait avec cette liberté d'allure étaient incontestablement des matières mixtes. C'était donc violer à la fois le droit canonique et le droit constitutionnel que d'entreprendre de les décider sans la participation du pouvoir spirituel. C'étaient bien là toujours ces tendances absolutistes, qui caractérisent le gouvernement de Charles-Quint et plus particulièrement encore celui de sa tante Marguerite. Et cependant, comme toujours, la papauté était loin de se montrer difficile dans les arrangements à prendre sur les choses de cette nature. M. del Marmol reconnaît lui-même les concessions importantes obtenues sur divers points du souverain pontife. Déjà, comme nous l'avons vu, dit-il, le pape avait accordé à Charles-Quint une bulle portant que les Belges ne pourraient être attraits en première instance hors de leur pays, pour des causes tant spirituelles que civiles ou mixtes[270]. Par une autre bulle, le pape défendit aux ecclésiastiques de se mêler de choses séculières incompatibles avec leurs fonctions, sous peine d'être privés du privilège clérical et d'être punis comme les laïques par les juges séculiers[271]. Enfin le chef de l'Église s'interdit la nomination à la plupart des dignités monastiques sans avoir eu l'assentiment du souverain[272]. M. Henne rapporte par le menu, et dans le style
déclamatoire qui lui est ordinaire quand il parle du clergé catholique, tous
les coups portés par Charles-Quint aux immunités ecclésiastiques. Il cite de
longs passages de la correspondance de Marguerite toujours si hostile aux
prélats et souvent si violente dans son langage. Mais toujours ingénieux
aussi à se réfuter lui-même, tant sa sincérité est grande, M. Henne termine
ainsi sa longue diatribe : De tous les princes qui
ont régné sur les Pays-Bas, nul ne réforma plus d'abus ecclésiastiques, nul
ne restreignit plus les privilèges du clergé que le champion de l'église
romaine contre la réforme. Immunités sanctionnées par les siècles, droits
acquis, il foula tout aux pieds sans scrupule, dès que l'action de son gouvernement
se trouva gênée, et ce système domine dans tous ses actes. Si, par exemple,
le droit d'asile dans les églises est respecté dans des circonstances sans
importance politique, on n'hésite pas à le violer dès que l'autorité
souveraine est en cause[273]. Reprenons notre récit. Peu de temps après avoir pris congé des états généraux le 27 octobre 1540, l'empereur tint à Bruxelles une assemblée de l'ordre de la Toison d'or. Il alla visiter ensuite les châtellenies de Lille, Douai et Orchies, ainsi que les comtés d'Artois et de Hainaut. Dans la prévision d'une prochaine reprise des hostilités avec la France, il voulait s'assurer par lui-même de l'état des travaux ordonnés dans les places frontières. La dernière invasion des Français avait montré la nécessité de multiplier les endroits fortifiés sur ce point si important à la défense du pays. Gravelines, Bourbourg, Aire, Saint-Omer, la plupart des villes de la Flandre et de l'Artois virent s'élever de nouvelles fortifications exécutées sous la direction du comte du Rœulx, et il en fut de même dans le Hainaut, où les travaux furent dirigés par l'ingénieur Thomas de Bonny[274]. Enfin, le 21 décembre, ordre fut donné au gouverneur de Namur de tenir quarante chariots à la disposition de l'empereur pour le lendemain de Noël ; puis, après en avoir demandé encore d'autres en grande quantité, on mit en réquisition tous les chevaux de trait de la province. Les nobles du comté avaient été convoqués pour souhaiter la bienvenue au souverain à son arrivée à Namur, et l'on avait envoyé des hommes d'armes sur tous les passaiges des Ardennes, notamment vers Bouillon, Noir-Fontaine et advenues de France, pour sçavoir s'il y avoit aucuns François de pied ou de cheval eux tenants sur le passaige là où Sa Majesté debvoit lors passer pour tirer à Luxembourg[275]. Le clergé, les nobles, les membres des états et les officiers du Luxembourg se réunirent au chef-lieu du duché le 28, et les gentilshommes, montés et armés[276], partirent le soir même pour aller au devant de l'empereur. Charles-Quint arriva à Luxembourg dans les premiers jours de janvier 1541, et, le jour de l'Épiphanie, selon sa coutume d'envoyer trois coupes d'or à trois maisons religieuses du lieu de son séjour, il envoya ces présents à l'abbaye de Munster, aux dominicains et aux religieuses du Saint-Esprit[277]. Le 9, il prit congé de Marie de Hongrie, et se dirigea vers l'Allemagne, où il devait présider la diète de Ratisbonne. Cette diète vivement désirée fut ouverte le 5 avril 1541, par l'empereur arrivé à Ratisbonne depuis le 23 février. La plupart des électeurs et des princes s'étaient fait attendre ; le cardinal Gaspard Contarini, légat du saint père, y était parvenu dans le courant du mois de mars. Dans une communication rédigée en langue allemande, Charles-Quint exposait que l'objet essentiel dont les représentants de l'Allemagne avaient à s'occuper était de mettre un terme aux dissensions religieuses ; il offrait de s'y employer avec tout le zèle d'un bon chrétien, et exhortait les états à faire de même. Il ajoutait que si l'on ne trouvait pas de meilleur moyen pour atteindre ce but, il était prêt à députer des personnages savants, pieux, amis de la paix, qui examineraient les points en litige et s'appliqueraient à amener un accord entre les partis. Il priait aussi les électeurs, les princes et les villes de considérer ce qu'exigeait la défense de la chrétienté contre les Turcs. Le cardinal-électeur de Mayence répondit au nom de l'assemblée. Il assura l'empereur des dispositions de la diète à seconder ses efforts, et le pria, en son nom, de faire lui-même le choix de la députation dont il avait parlé[278]. Le 31 mai, les députés présentèrent à l'empereur un rapport sur les articles qu'ils avaient adoptés et sur ceux au sujet desquels ils n'étaient pas parvenus à se mettre d'accord. Charles-Quint communiqua ce rapport à la diète avec les écrits dont il était accompagné. Les évêques, qui faisaient partie de l'assemblée, se montrèrent peu satisfaits des actes du colloque, et le légat exprima l'avis qu'il y avait lieu de renvoyer le tout au saint siège. Ces dissentiments contrariaient de plus en plus l'empereur, qui avait hâte de partir pour l'Italie. Le 12 juillet, il réunit l'assemblée et la requit d'accélérer ses délibérations, car, ajoutait-il, il comptait se mettre en route le 22 ou le 24. Le recès toutefois ne put être arrêté et publié que le 29 ; il contenait un grand nombre de dispositions, dont nous ne rapporterons que les principales. Les états remettaient les avis des théologiens au futur concile général que le pape, par son légat, avait offert de convoquer, ou, au défaut de celui-ci, à un concile national, et si ni l'un ni l'autre ne se célébrait, à une diète qui se tiendrait dans dix-huit mois. L'empereur était prié de faire des démarches auprès du pape pour que le concile général fia convoqué dans une ville de la Germanie. Les protestants observeraient les points auxquels leurs théologiens avaient adhéré ; ils ne chercheraient à attirer personne à eux, et ne recevraient en leur protection aucuns de ceux de la religion catholique. Les prélats entendraient à la réformation de leur clergé, Les ecclésiastiques catholiques jouiraient des biens qu'ils avaient dans les pays des protestants, et les églises y demeureraient en leur entier. Les états accordaient la levée et la solde, pendant quatre mois, de dix mille hommes de pied et deux mille chevaux, pour secourir le roi des Romains en Hongrie ; ils accordaient en outre, pendant trois ans, une aide de vingt mille hommes de pied et quatre mille chevaux qui seraient employés contre les Turcs, sous tel capitaine qu'il plairait à l'empereur de désigner. Défense était faite à tous gens de guerre d'aller servir hors de la Germanie sans la permission de l'empereur ; était défendue aussi l'impression de tous libelles injurieux. Le recès exprimait le grand contentement qu'éprouvaient les états de la sollicitude avec laquelle l'empereur avait dirigé les travaux de la diète, et constatait qu'il laissait l'Allemagne et tous les états d'icelle en grande dévotion envers lui et bonne intelligence avec tous. Quoiqu'on tint pour assuré que la paix serait observée de tous, d'après les déclarations faites à la diète par l'un aussi bien que par l'autre parti, une ligue était conclue entre le pape, l'empereur, le roi des Romains, le cardinal de Mayence, l'archevêque de Salzbourg, les ducs de Bavière et de Brunswick, d'autres prélats, princes et membres des états, pour la défense de la foi catholique contre quiconque y voudrait dorénavant attenter. Les protestants n'avaient pas adhéré sans difficulté à ce recès : une déclaration de l'empereur, faite, selon plusieurs historiens[279], à l'insu des états catholiques, adoucit la rigueur des articles dont ils croyaient avoir à se plaindre. Ces ménagements de l'empereur pour les protestants peuvent paraitre extraordinaires ; ils s'expliquent cependant, au jugement de M. Gachard, par la situation où étaient ses affaires et celles du roi des Romains : les Turcs s'avançaient de plus en plus en Hongrie, et il était à prévoir qu'un long temps ne s'écoulerait pas sans que la trêve de Nice fût rompue par la France[280]. Le jour même de la clôture de la diète, Charles-Quint quitta Ratisbonne. Une entrevue entre lui et le pape devait avoir lieu à Lucques. L'empereur prit son chemin par Munich, Insprück, Trente, Peschiera, Crémone, Milan, Pavie, Alexandrie, Gènes, où il arriva le 3 septembre. Dans ce trajet il vit venir au devant de lui le duc de Camerino, mari de sa fille Marguerite, le duc de Ferrare, le duc de Mantoue, des ambassadeurs de la seigneurie de Venise. A Milan, où il resta sept jours, il reçut la visite du duc d'Urbin. A Gènes, le duc de Florence, le prince de Piémont, le prince Doria accoururent pour lui présenter leurs hommages. Il s'embarqua le 10 septembre, et descendit le 12 au port de Via-Reggio, d'où il se dirigea vers Lucques. Il trouva, à mi-chemin, les cardinaux Santiquatrio et Farnèse envoyés par le pape, et à la porte de la ville tout le sacré collège. Paul III était à la cathédrale : Charles-Quint s'y rendit ; il baisa les pieds du souverain pontife et s'entretint quelques instants avec lui ; il fut conduit ensuite au palais de la république destiné à son logement. Les cinq jours suivants, il eut des conférences de plusieurs heures, et sans témoins, avec le chef de l'Église. Ces conférences se tinrent dans les appartements du pape, à l'exception de la troisième, pour laquelle le saint père se transporta lui-même chez l'empereur. Il y fut surtout question de ce qui avait été traité à Ratisbonne, ainsi que du lieu et de l'époque à fixer pour la réunion du futur concile. Il y fut parlé aussi des plaintes que François Ier faisait répandre dans les cours de l'Europe, en accusant l'empereur d'avoir violé la trêve de Nice, dont Paul III avait été le médiateur[281]. Charles-Quint donna à ce sujet les explications les plus satisfaisantes. Le 18 septembre, il prit congé du pape et partit pour la Spezzia, où il s'embarqua dix jours après. Une tempête l'assaillit à la sortie du port, et le força de chercher un refuge en Corse d'abord et ensuite en Sardaigne ; il n'arriva à Majorque, où il était attendu, que le 13 octobre. Nous avons vu plus haut qu'après son expédition de 1535, Charles-Quint ne s'était éloigné qu'avec regret des rives africaines sans avoir porté ses armes dans l'Algérie. Il prévoyait qu'Alger allait devenir le réceptacle des pirates chassés par lui de Tunis, mais il n'avait pas renoncé, pour l'avenir, à une entreprise qui devait achever de délivrer ses peuples d'Espagne et d'Italie des maux que leur infligeaient les brigandages des barbaresques. La guerre avec la France qui suivit son passage en Italie l'obligea de différer l'exécution de son dessein. Mais à peine avait-il signé à Nice la trêve de dix ans qu'il entama des négociations secrètes avec Barberousse. Ces négociations tendaient à obtenir du corsaire couronné l'engagement de faire cesser toutes pirateries dans la Méditerranée, et de lui laisser à cette condition la possession de l'Algérie. Ces négociations se poursuivirent assez longtemps sans amener de résultat, et elles avaient cessé au mois de septembre 1540[282]. L'empereur reprit alors son dessein, et, voulant le mettre à exécution après avoir tenu la diète de l'empire, il envoya en Espagne et en Italie l'ordre de former une armée expéditionnaire, à laquelle il assigna plus tard le port de Majorque pour lieu commun de rendez-vous. Là étaient rassemblés, quand il y arriva, deux cent cinquante à trois cents navires, dont une cinquantaine de galères, portant vingt et quelques mille hommes d'infanterie, cavalerie et artillerie, espagnols, italiens et allemands. Les Espagnols avaient pour chef don Ferrante Gonzaga, vice-roi de Sicile ; les Allemands, George Frousperp ; ; les Italiens, Camillo Colonna. Toute la flotte était sous le commandement du grand amiral André Doria. Seize galères, soixante navires équipés dans les ports d'Espagne et qui amenaient une foule de gentilshommes appartenant aux principales familles de la Péninsule, avec de l'artillerie, des munitions et des vivres, étaient retenus dans l'île d'Ivica par les vents contraires. Charles-Quint fixa au l8 octobre le départ de l'expédition. Ce jour-là il s'embarqua au soleil levant, après avoir fait savoir à don Bernardino de Mendoza, général des galères demeurées à Ivica, qu'il eût à se diriger directement vers Alger. Plusieurs historiens rapportent que Doria et del Vasto supplièrent l'empereur d'abandonner son entreprise par le motif surtout qu'on faisait courir des risques certains à la flotte en l'envoyant dans une saison aussi avancée sur les côtes dangereuses de l'Afrique. Mais des sommes considérables avaient été dépensées ; tous les préparatifs étaient faits ; toutes les populations chrétiennes qui habitaient ces parages, toutes les nations dont les vaisseaux parcouraient cette mer, étaient dans l'attente. Ces considérations déterminèrent l'empereur à persister dans sa résolution. Un temps favorable signala les premiers jours et sembla donner raison à Charles-Quint. L'armée expéditionnaire arriva sans encombre le 20 octobre devant Alger, et l'on jeta l'ancre avec toutes les galères à une portée de canon de la ville. Mais le lendemain le temps changea tout à coup : le vent était si fort, la mer si haute, que, redoutant une tempête, l'empereur jugea prudent de se retirer à Metafus[283], à une quinzaine de milles d'Alger. Le vent se calma dans la nuit du 22 au 23, et les troupes reçurent l'ordre de débarquer au lever de l'aurore. Charles-Quint lui-même descendit à terre. Le 24, l'armée était à un ou deux milles d'Alger ; les troupes prirent position autour de la ville ; l'empereur, avec sa suite, s'établit dans un vignoble au milieu du quartier des Allemands. Une affreuse tempête s'éleva dans la soirée ; la pluie, la grêle, une obscurité profonde, tout contribuait à la rendre plus effrayante. Les soldats n'avaient ni vêtements de rechange, ni tentes pour s'abriter, tant le débarquement s'était fait à la hâte. Les hommes furent trempés jusqu'aux os, et les campements entièrement inondés. Alger avait pour gouverneur l'eunuque Hassein Aga, renégat sarde, qui, par son audace et sa férocité, s'était rendu plus redoutable que Barberousse lui-même ; cet odieux personnage disposait, pour la défense de la ville, de huit cents Turcs et de cinq mille Mores. Profitant de la détresse où la tourmente jetait l'armée chrétienne, Hassein fit une sortie, le 25, avec une partie de ses forces divisée en deux corps. Le premier se porta sur les Espagnols, qui occupaient une position solide et élevée ; il fut obligé de battre en retraite non sans d'assez grandes pertes. Le second se jeta sur les Italiens campés tout près de la ville et les dispersa sans rencontrer de résistance. Averti de ce qui se passait, l'empereur accourut l'épée à la main. Animant les uns, blâmant les autres, les haranguant tous, il finit par rallier les fuyards, et, secondé par les gens de sa maison et quelques compagnies allemandes, il força les Mores de rentrer dans la place. Cette journée coûta à l'armée impériale trois cents hommes tués et deux cents blessés. Charles-Quint, dans cette rencontre, ne se montra pas seulement un chef valeureux, à la tête de ses soldats, mais un père plein de sollicitude pour ses enfants. Quoique l'eau ruisselât de tout son corps et qu'il fût excédé de fatigue, il ne voulut regagner sa tente qu'après s'être convaincu de ses yeux que les blessés avaient reçu tous les soins que réclamait leur état[284]. Cependant la tempête semblait redoubler de fureur. Les vaisseaux, arrachés de leurs ancres, se brisaient les uns contre les autres, ou, jetés à la côte, se fracassaient contre les rochers ; plusieurs furent abîmés dans les flots. En quelques heures, quatorze galères et plus de cent bâtiments de transport, grands et petits, avaient péri[285]. Tout ce qu'ils contenaient fut perdu, une grande partie des hommes qui étaient à bord furent noyés ou massacrés par l'ennemi. La situation de l'armée était des plus critiques : au bout de deux jours elle manquait de vivres, et aucune communication n'était possible avec les navires qui avaient résisté à la tourmente. Dans cette extrémité il n'y avait qu'un parti à prendre. L'empereur ordonna la retraite sur Metafus. Cette retraite, qui dura trois jours, présenta un spectacle lamentable. Les blessés et les malades avaient été placés au centre, mais parmi les valides plusieurs pouvaient à peine soutenir le poids de leurs armes, et tombaient d'épuisement dans les chemins profonds et marécageux qu'il fallait traverser ; d'autres mouraient d'inanition, car, pour toute subsistance, l'armée n'avait que les fruits des palmiers qu'on trouvait dans les champs et la chair des chevaux que l'empereur faisait abattre. Il y en eut beaucoup de soldats tués par les Mores d'Alger et les Arabes des montagnes qui ne cessèrent, pendant toute la marche de harceler l'armée le jour et la nuit, et, pour surcroît de misère, il fallut traverser deux rivières où les hommes avaient de l'eau jusqu'aux épaules. Dans cet horrible enchainement de malheurs, Charles, dit l'historien Robertson, que nous citons après M. Gachard, fit admirer sa fermeté, sa constance, sa grandeur d'âme, son courage et son humanité. Il supportait les plus grandes fatigues comme le dernier soldat de son armée ; il exposait sa personne partout où le danger était le plus menaçant ; il ranimait le courage de ceux qui se laissaient abattre ; il visitait les malades et les blessés, les encourageant tous par ses discours et par son exemple[286]. Enfin, le 28 octobre, on atteignit Metafus, où l'armée put se refaire quelque peu de ses fatigues. Doria avait rassemblé dans ce port tous les bâtiments qui avaient échappé aux désastres des jours précédents. Quoique quelques-uns de ses officiers, espagnols la plupart, fussent d'avis de tenter une nouvelle expédition contre Alger, l'empereur n'écouta pas ces conseils qu'il trouvait imprudents, et, le 1er novembre, il monta à bord avec sa maison, non sans avoir pourvu à l'embarquement de ses troupes. Le surlendemain, il donna l'ordre de départ, après avoir réglé la destination de tous les corps de l'armée et des différentes divisions de la flotte. Les galères d'Espagne, celles d'André Doria, de Naples, de Monaco, devaient l'accompagner jusqu'à Carthagène[287]. Ce jour-là, la tempête, qui paraissait apaisée, gronda de nouveau, et l'empereur eut beaucoup de peine à gagner le port de Bougie. Le ciel ne s'éclaircissant pas, il fit faire, le 11, le 12 et le 13 novembre, pour implorer la miséricorde divine, des processions générales, auxquelles il assista. La tempête continuait toujours, et il fit en vain deux tentatives pour sortir du port. Enfin, le 23 novembre, il parvint, à force de rames, à gagner la haute mer ; le 26, il mouilla devant Majorque, et aborda à Carthagène le 1er décembre. Les bruits les plus alarmants couraient dans la Péninsule sur le sort de l'armée expéditionnaire : aussi les Espagnols firent-ils éclater leur joie en revoyant leur souverain. Charles-Quint quitta Carthagène le 5 décembre, et se dirigea vers la Castille, en passant par Murcie. Il trouva à Ocana les infantes ses filles, et le prince Philippe vint l'y rejoindre avec le cardinal Tavera. Le 23 janvier 1542, il était à Tordesillas, et il y passa trois jours auprès de la reine sa mère. De là il se rendit à Valladolid, et y fit l'ouverture des cortès de Castille le 10 février. Les représentants de la nation lui exprimèrent de nouveau le vœu de le conserver en Espagne, où ses absences causaient de trop vives inquiétudes. L'empereur répondit qu'il ne demandait pas mieux, et que son âge l'invitait bien plus au repos qu'à des entreprises guerrières ou à des voyages lointains[288]. Il était fort tourmenté de la goutte en ce moment, et ses souffrances ne l'abandonnèrent point pendant tout le temps qu'il passa à Valladolid. Les cortès terminèrent leur session, le 4 avril, par le vote d'un service[289] de douze cent mille ducats. Le 22 mai, l'empereur partit avec son fils pour la Navarre et l'Aragon. Un mois après, jour pour jour, il arriva à Mouzon, et y ouvrit le lendemain la session des cortès d'Aragon, de Valence et de Catalogne. La session se prolongea jusqu'à la fin d'août ; pendant cet intervalle, des nouvelles de la plus haute gravité parvinrent à Charles-Quint de la France, des Pays-Bas et de l'Italie. Ici nous sommes obligé de reprendre les choses d'un peu plus haut. A la suite de l'entrevue d'Aigues-mortes, des négociations en vue d'alliances matrimoniales avaient été entamées entre les cours de France et d'Espagne. Par un écrit du 22 décembre 1538, ratifié le 1er février 7539, Charles-Quint avait promis, dit M. Gachard, aux ambassadeurs de François Ier, de ne traiter du mariage du prince son fils qu'avec madame Marguerite, fille du roi de France, et de donner sa fille aînée ou la seconde fille du roi des Romains au duc d'Orléans, deuxième fils du roi. Ce dernier mariage devait s'accomplir quand les époux auraient atteint l'âge voulu, et alors l'empereur aurait disposé du duché de Milan en leur faveur. Mais il songea bientôt, ajoute le même historien, à une autre combinaison, sur laquelle il se proposait de consulter la reine Marie et le roi des Romains, lorsqu'il serait aux Pays-Bas. Il ne nous semble pas que les choses se soient passées tout-à-fait ainsi. Nous croyons M. Henne plus près de la vérité, quand il dit que Charles-Quint agréa les offres des ambassadeurs français d'une manière ambiguë. Il ne s'était agi jusque là, croyons-nous, que de ces avances diplomatiques qui n'obligent pas plus ceux qui les font que ceux qui les reçoivent. La suite montre assez que rien n'était arrêté définitivement[290]. Quoiqu'il en soit, l'empereur était à peine arrivé dans nos provinces qu'il y fut suivi par un nouvel ambassadeur de François Ier, Georges de Selve, évêque de Lavaur. Le prélat était chargé de continuer les négociations commencées en Espagne. Ce fut alors que Charles-Quint mit en avant la combinaison dont M. Gachard parle plus haut, et qu'il nous reste à faire connaître au lecteur. Il avait reconnu, depuis quelque temps déjà, que ses sujets des Pays-Bas étaient mécontents, et avec raison, de se voir si souvent privés de la présence de leur prince naturel ; que de là étaient nés les divisions, les troubles, les mutineries qui s'étaient produits dans ces provinces. Il avait résolu, en conséquence, pour assurer leur tranquillité et leur indépendance, de les donner en dot, ainsi que les comtés de Bourgogne et de Charolais, à sa fille aînée, l'infante Marie, en vue de son mariage avec le duc d'Orléans. C'était offrir au roi de France beaucoup plus que le duché de Milan ne valait, car, après la réunion aux Pays-Bas de la Gueldre et du comté de Zutphen, on aurait pu faire du tout un royaume qui aurait été l'un des meilleurs de toute la chrétienté. Charles-Quint était persuadé que le roi de France accepterait cette offre avec empressement et gratitude. Donc, à la veille de traverser la France, il crut devoir
modifier le testament par lequel, le dernier jour de février 1535, il avait
légué ses pays de Brabant, Flandre, Hollande, Zélande, Limbourg, Luxembourg,
Hainaut, Namur, Bourgogne et autres seigneuries des Pays-Bas à son second
fils, si Dieu lui en donnait un et permettait qu'il vécût, et, à défaut de ce
fils, à sa fille aînée, ou, si celle-ci mourait, à sa seconde fille, à la
condition d'épouser le fils du roi des Romains. Dans un codicille du 5
novembre 1539, n'ayant plus d'espoir d'avoir ce second fils, et considérant que l'amitié et l'union étoient rétablies avec
le monarque françois et pouvoient être rendues stables et perpétuelles par
une alliance des deux familles, il déclara que tout ce qu'il avoit disposé dans ledit testament en faveur de ses
filles, seroit pris et entendu par son fils en forme de conseil et avis, et
remis à son arbitre et bonne volonté de le suivre et l'observer, si bon lui
sembloit et non autrement. Il prenait cette résolution, disait-il, dans la confiance que le prince Philippe partageroit
l'affection de son père pour le bien de la chrétienté et la bonne provision
des Pays-Bas et de la Bourgogne, qui avoient toujours si bien et si
loyalement servi leur souverain et qui avoient tant souffert des guerres
passées, et préféreroit toujours leur avantage au sien propre[291]. Dans des instructions données le même jour au prince Philippe, l'empereur lui exposa les vues politiques qui avaient dicté ces résolutions : Ayant résolu, dit-il, de nous rendre dans les Pays-Bas, où notre présence est réclamée par les intérêts et la défense de notre sainte foi, par nos préparatifs contre les Turcs, par d'autres affaires concernant le bien public de la chrétienté, telle que la conclusion d'une paix perpétuelle entre notre maison et celle de France ; enfin par la nécessité de rétablir l'ordre et la tranquillité dans ces provinces, nous laissons cette instruction à notre fils, afin que, si nous venions à être retiré de ce monde avant l'accomplissement de nos desseins, il connoisse notre volonté et la suive, autant que possible, pour vivre et régner en paix. En présence des dangers de la chrétienté menacée par les protestants et par les Turcs ; de la fâcheuse situation des états de notre frère et des nôtres ; des troubles des Pays-Bas ; des extrêmes perplexités où nous sommes de toutes parts, nous avons résolu de traverser la France, dans le but de gagner davantage le cœur et la bonne volonté de son roi, et d'obtenir son concours pour remédier au mauvais état de la chose publique. Ce voyage aventureux et plein d'inconvénients nous l'entreprenons, mû par l'extrême péril de la chrétienté et de nos pays, et il importe à notre fils d'être au courant de nos relations avec ce royaume. En vue d'établir une paix définitive et une amitié sincère avec le roi François, et d'écarter tout sujet de querelle et toute discussion d'intérêt, nous avions consenti à traiter du mariage du duc d'Orléans avec notre fille aînée, et à disposer, en faveur de ce mariage, du duché de Milan. Nous vidions de la sorte nos différends relatifs à l'Italie, et rétablissions la paix entre le roi et le duc de Savoie. Nous avions aussi traité du mariage de notre fils avec la fille du roi, Marguerite de France, afin de resserrer plus étroitement l'union de nos deux familles. Mais nous avons reconnu que placer notre fille en l'état de Milan ne reviendroit bien, ni ne correspondroit à l'espérance et faveur que nos royaumes de par deçà et pays d'embas ont toujours attendue de son alliance. D'un autre côté, l'Italie auroit à redouter de l'avènement d'un prince françois choses nouvelles, grands changements et troubles ; la Germanie pourroit entrer en jalousie et suspicion, et il en résulteroit embarras et peines pour notre fille, ainsi que pour le prince notre fils. Ces motifs nous ont décidé à suspendre toute résolution à l'égard de ces mariages jusqu'à notre arrivée dans les Pays-Bas. Là nous examinerons avec notre frère, la reine de Hongrie et d'autres bons personnages, la question de savoir si ces pays peuvent être conservés à notre fils, ou s'il convient de les donner à notre fille aînée en faveur de son mariage avec le duc d'Orléans. Nous avions été portés, l'impératrice et moi, à léguer les Pays-Bas à l'infante Marie à défaut d'un second fils, par l'expérience qui a prouvé leur besoin d'être gouvernés par un souverain particulier, et par leurs vœux incessants à ce sujet. L'absence de leur prince les mécontente, les rend irritables et difficiles à conduire, y provoque des divisions, des mutineries, des troubles. Ils montrent contempt, mesprisement et mécontentement d'être gouvernés par qui que ce soit, et les choses en sont même arrivées au point de faire redouter les phis grands inconvénients. Ces pays ont plusieurs voisins, il s'y est établi plusieurs sectes fondées sous couleur de liberté et nouvel et volontaire gouvernement, et il pourroit en résulter non seulement leur entière perte et soustraction de notre maison et lignage, mais encore leur aliénation de notre sainte foi et religion. Que notre fils toutefois en soit bien assuré, nous examinerons avec soin les moyens de lui conserver ces pays, et si nous en disposons en faveur de notre fille, ce sera dans le seul but de prévenir de graves complications, pour son bien, pour celui de la chrétienté, pour le bonheur et la tranquillité des états dont il héritera. A cet effet nous donnerons au roi de France des raisons et satisfactions de nature à prouver que les changements apportés à notre testament sont inspirés par le seul intérêt des affaires publiques, tant des siennes que des nôtres. Dans le cas où le mariage de notre fille et du duc d'Orléans ne s'accompliroit pas, il nous semble convenable de donner à ce prince la main de la seconde fille du roi des Romains, avec l'investiture du duché de Milan, à moins que, pour obtenir les Pays-Bas, le roi de France ne fasse à son fils de si grands avantages, que nous et notre frère y trouvions notre profit et celui du bien public. La disproportion d'âge n'a pas encore permis d'arrêter le mariage de notre fils avec Marguerite de France, et il est préférable, à nos yeux, qu'il épouse la fille unique du seigneur d'Albret : cette alliance mettrait un terme à de longs différends et réunirait définitivement aux Espagnes le royaume de Navarre. Alors et dans la supposition d'une cession des Pays-Bas à notre fille aînée, on pourroit traiter du mariage de la princesse de France avec le second fils de notre frère[292], qui recevroit le duché de Milan. Cette dernière combinaison ayant peu de chance de réussite, vu la disproportion d'âge des intéressés, et parce qu'on nous prêtera l'intention de vouloir retenir ce duché d'une manière détournée, si elle échoue, il convient de proposer l'union de madame Marguerite avec don Louis de Portugal[293], qui obtiendroit le Milanois, immédiatement après son mariage. Enfin nous avons projeté l'alliance du fils allié de notre frère avec l'infante de Portugal, alliance qui a déjà l'assentiment des deux familles, et celle de notre seconde fille avec l'héritier de ce royaume, afin de resserrer nos liens avec ce pays et de le maintenir en bonnes relations avec l'Espagne. Si le roi de France n'admet pas
le mariage de sa fille avec don Louis, celui-ci pourra briguer la main de la
princesse Marie d'Angleterre. Nous nous sommes aussi occupé de notre nièce la
douairière de Milan, qui est recherchée par le duc de Clèves,. le marquis du
Pont, héritier de Lorraine, et l'héritier de Vendôme ; mais nous avons
subordonné toute résolution à l'adoption de mesures propres à recouvrer le Danemark
et à assurer la tranquillité des Pays-Bas du côté de la Gueldre. Seulement,
si Dieu rappelle à lui le palatin Frédéric, qui est vieux et cassé, il faudra
traiter du mariage de sa veuve avec l'un de ces princes. Dans toutes les
négociations relatives à ces diverses alliances, il importe de ne jamais
perdre de vue les intérêts de la chrétienté tant contre les protestans que
contre les Turcs, l'extinction des querelles et des prétentions de nature à
rallumer la guerre, la neutralité absolue de la France dans les affaires de
la Hongrie et de la Gueldre, et la restitution des états du duc de Savoie[294]. La cession des Pays-Bas, que Charles-Quint craignait de
perdre un jour par la révolte ou par la guerre, formait le nœud de ce vaste
plan politique. Ses entretiens avec le roi des Romains et Marie de Hongrie le
confirmèrent dans ses pensées, et, le 24 mars 1540, il chargea son
ambassadeur Bonvalot de communiquer ses propositions à François Ier. Après
s'être justifié du retard apporté à sa réponse par la nécessité d'examiner
mûrement des questions d'un si haut intérêt pour chacune des parties : Le roi, disait-il dans les instructions données à
l'ambassadeur, sera convaincu de nos bonnes
intentions, puisque ; déjà satisfait de notre promesse de donner le Milanais
pour dot à la princesse qu'épousera le duc d'Orléans, il saura que, pour lui
fournir une preuve plus éclatante de notre amitié et de notre sincère désir
d'apaiser nos différends, noue avons résolu de disposer, en faveur du mariage
de ce prince avec notre fille, de la succession des Pays-Bas, en y joignant
les comtés de Bourgogne et de Charolois, avec toutes leurs dépendances et
appendantes. L'importance de ce projet ne permettoit pas de l'adopter sans
l'avis de notre frère et de notre sœur la reine de Hongrie. Tous deux,
sacrifiant leurs propres avantages au désir de voir se resserrer notre
alliance avec le roi, y ont donné leur assentiment. Ce prince et son conseil
apprécieront notre conduite et la valeur de cette concession ; de leur côté,
ils n'hésiteront pas sans doute à seconder désormais nos efforts pour la
défense de la foi et de la chrétienté. Il n'y a point, en effet, de
comparaison possible entre le duché de Milan et les Pays-Bas qui, joints à la
Bourgogne, constitueront un apanage ne laissant rien à envier aux princes
voisins. Lors de l'incorporation à ces provinces du duché de Gueldre et du
comté de Zutphen, sur lesquels nous avons des droits incontestables, il y
aura lieu d'aviser s'il ne convient pas d'ériger ces pays en royaume : ce
seroit certes un des meilleurs de la chrétienté. Cette souveraineté sera non
moins profitable au royaume de France qu'au roi et au dauphin, à qui le duc
d'Orléans rendra obéissance, devoir et service de bon fils et de bon frère ;
et ainsi cesseront tous les démêlés de la France avec les Pays-Bas. Pour
démontrer notre bonne foi et notre loyauté, nous permettrons à ces provinces
de reconnoitre immédiatement, comme nos successeurs le duc d'Orléans et notre
fille, ainsi que leurs descendans. Nous désirons même voir ces princes y
résider et les gouverner en notre nom ; de la sorte ils seront connus
d'avance des peuples appelés à devenir un jour leurs sujets. Afin d'éviter toute difficulté par la suite, il importe de bien préciser les conditions mises à cette concession. Si notre fille meurt sans postérité, les Pays-Bas, en raison et justice, reviendront à nous et aux nôtres. Renonçant, en faveur de ce mariage, à nos droits sur le duché de Bourgogne, nous attendons du roi qu'il renonce à ses prétentions sur le duché de Milan. Il donnera au duc d'Orléans un apanage tel qu'on doit l'attendre de son affection paternelle et que le comporte la position faite à ce prince. Le roi nous aidera à recouvrer la Gueldre et à la réunir aux Pays-Bas. Il nous restituera les comtés de Charolois et de Saint-Pol, ainsi que le bailliage de Hesdin. Des conventions particulières régleront les cas où notre fille, par suite du décès de son frère, seroit appelée à l'héritage des Espagnes, et où le duc d'Orléans monteroit sur le trône de France. Toutes les difficultés existantes entre les Pays-Bas et la couronne de France du chef de réclamations de souveraineté ; toutes les contestations relatives aux limites de l'Espagne, seront définitivement aplanies. Les traités de Madrid et de Cambrai seront confirmés et ratifiés avec les modifications que le présent projet y apporte. Quant aux points restés en litige, ils seront réglés de manière à prévenir de nouveaux dissentiments, tant entre nous qu'entre nos alliés. Nous conclurons avec le roi une
paix perpétuelle et une ligue offensive et défensive envers et contre tous,
dans laquelle entreront notre frère Ferdinand, nos enfans, hoirs et successeurs,
pour tous leurs étals et les nôtres. Afin de dédommager le roi des Romains,
dont le fils devoit épouser notre fille et obtenir la souveraineté des
Pays-Bas, transportée aujourd'hui au duc d'Orléans, nous proposons d'unir ce
jeune prince à madame Marguerite de France. Le roi verra ainsi sa fille
assurée de devenir reine de très grands et riches royaumes ; il ne manquera
pas dès lors de lui donner une dot proportionnée à la grandeur de l'alliance,
et il assistera notre frère dans toutes ses affaires, notamment dans la
soumission de la Hongrie. Quant au prince d'Espagne, nous nous proposons de
traiter de son mariage avec la fille du seigneur d'Albret[295] et de terminer de la sorte tous les débats relatifs à la
Navarre. Enfin nous prions le roi de renoncer au projet dont il a été
question lors de notre passage par la France et de nous excuser : nous
n'avons plus l'intention de nous remarier ; nous sommes trop âgé du reste
pour madame Marguerite. Beauvalot était chargé en outre de négocier, dans le plus grand secret, si les circonstances s'y prêtaient, un traité de paix universelle et d'union catholique, dans lequel entreraient le pape, l'empire, les rois de Portugal, de Pologne, d'Angleterre, d'Écosse ; les souverains d'Italie et les ligues suisses. Au moment où l'ambassadeur de Charles-Quint donna connaissance de ces instructions au roi de France, celui-ci se préparait à rendre sa visite à Charles-Quint. Aussitôt il s'éloigna de la frontière, et, le 14 avril 1540, il ordonna à ses ambassadeurs de notifier son refus à l'empereur. Il consentait toutefois à ne faire pour le présent aucune réclamation au sujet du duché de Milan, mais à la condition que le duc d'Orléans fût impatronisé de l'héritage de Bourgogne, de manière à en avoir pleine et entière jouissance immédiatement après son mariage. Dans le cas où son fils mourrait avant la princesse d'Autriche, qu'il y eût ou qu'il n'y eût pas d'enfants, il rentrerait dans tous ses droits sur le Milanais ; si la princesse mourait avant son mari, celui-ci, et non leurs enfants, devait rester en possession des états de Bourgogne jusqu'à restitution du duché de Milan. Le roi n'admettait la suspension de l'hommage de la Flandre et de l'Artois que pendant la durée de ce mariage, et refusait de ratifier les traités de Madrid et de Cambrai qu'il réputait non avenus. Il ne voulait prendre aucun engagement à l'égard des autres alliances proposées ; il refusait de se dessaisir des états du duc de Savoie, mais promettait de donner à ce prince des compensations en France. La réponse de François Ier produisit un tel effet, que ses
ambassadeurs effrayés l'engagèrent à user de ménagements, s'il ne voulait
provoquer une rupture immédiate. Charles-Quint ne cacha pas son
mécontentement. Il déclara que s'il venait à se dessaisir du duché de Milan,
il était fermement décidé à ne le céder qu'au duc d'Orléans et à ses
descendants, mais jamais au roi de France, ni à ses successeurs. S'il
accordait au duc les Pays-Bas, il ne permettrait en aucune façon au roi
d'avoir pied en Italie, ni de se maintenir dans les états du duc de Savoie. A
cette déclaration François Ier répondit qu'il entendait recevoir le Milanais
dans les termes de l'investiture accordée naguère à Louis XII, et que, dans
l'intérêt de son royaume, il ne renoncerait ni au Piémont ni à la Savoie.
Cette réponse suspendit les négociations, qui ne tardèrent pas à être
définitivement rompues. Le 20 mai 1540, le roi de France chargea ses
ambassadeurs de notifier à l'empereur qu'il lui était impossible de se
rallier à ses propositions, et partant que les choses devaient rester dans
l'état où elles se trouvaient. Il ne restait donc entre les deux souverains
que la trêve de Nice, et ce lien fragile allait bientôt se briser à son tour[296]. François Ier, dit un historien illustre, ne voulait pas renoncer sérieusement à ses conquêtes
italiennes, et Charles-Quint ne voulait pas les lui livrer effectivement. Le
Milanais était toujours, en Italie, le principal objet de leur ambition
mutuelle. La Navarre, dans le sud-ouest de la France, les Pays-Bas, dans le
nord, donnaient lieu à des contestations sans cesse renouvelées. Les deux
souverains cherchaient des combinaisons pour se faire l'un à l'autre les
concessions désirées en conservant toujours des prétextes et des chances pour
les reprendre. Divers projets de mariage entre leurs enfants ou leurs proches
parents furent mis en avant à cet effet ; aucun n'aboutit ; et après deux ans
et demi de négociations avortées, une nouvelle grande guerre, la quatrième,
éclata entre François Ier et Charles-Quint, toujours pour les mêmes causes et
avec les mêmes arrière-pensées[297]. Mais
n'anticipons point sur les évènements. La conduite du roi avait causé à Charles-Quint autant de regret que d'étonnement : il attachait le plus grand prix à l'établissement d'une paix et d'une amitié solide entre sa maison et celle de France[298] ; il s'était flatté que ses dernières propositions auraient ce résultat, et non seulement le roi les repoussait, mais encore, on le voit, il voulait revenir sur les traités de Madrid et de Cambrai ; il remettait en question l'abandon qu'il avait fait de la suzeraineté sur la Flanche et l'Artois, la cession de Tournai et du Tournaisis, etc. Il était impossible à l'empereur de souscrire à de telles exigences. Il attendit cependant encore plusieurs mois avant de prendre une dernière résolution. Alors enfin il s'arrêta à une détermination qui devait faire grand bruit en Europe, selon l'expression de M. Gachard. Le 11 octobre 1540, il investit du duché de Milan son propre fils le prince Philippe, pour l'avoir et tenir selon la nature en fief et sous la supériorité et autorité de l'empire. Dans son codicille du 28 octobre suivant, il justifia cette détermination par le motif que si le duché, qu'il n'était parvenu à replacer sous l'autorité de l'empire qu'au prix des plus grands sacrifices, tombait en des mains suspectes ou incapables de le garder et de le défendre, il en pourrait résulter un inconvénient irrémédiable à la chrétienté en général, et en particulier au prince son fils, à ses royaumes, pays et sujets, ainsi qu'au roi son frère et aux siens. Il prenait Dieu à témoin que nulle convoitise ni ambition d'agrandir son fils ni sa maison au préjudice d'autrui ne lui avoit fait faire ladite investiture, et ains seulement le seul respect d'obvier à l'inconvénient qui autrement en pourroit advenir[299]. Dans le même codicille, l'empereur s'exprimait ainsi au
sujet de nos provinces : Le roi de France n'ayant
cherché que les moyens de porter le trouble et la guerre dans la chrétienté
et dans mes états, j'ai résolu, après avoir le tout pesé et consulté mûrement
avec les seigneurs et principaux personnages des Pays-Bas, et considérant
l'importance desdits pays et les grands respects — relations, rapports
avec d'autres points tenus en vue — qui s'y doivent
tenir, d'en différer la disposition, afin d'en pouvoir mieux par nous, ou,
s'il plaisoit à Dieu plus tost nous appeler, par nostre fils, ordonner ce que
nous trouverons ci-après mieux convenir[300]. —L'expérience
lui ayant fait reconnaître que l'organisation des conseils collatéraux — conseil
d'état, conseil privé et conseil des finances —, telle qu'il l'avait réglée
en 1531, laissait à désirer, il l'avait modifiée par de nouvelles
instructions adressées à ces conseils le 10 octobre[301]. François Ier, avide de vengeance, ne songeait qu'à recommencer la guerre dès qu'il croirait pouvoir le faire avec avantage. Dans cette intention, dit M. Gachard, il s'était attaché le duc Guillaume de Clèves, en lui donnant la main de l'héritière de Navarre (15 juillet 1540) ; il avait éloigné de ses conseils, au commencement de l'année suivante, le connétable de Montmorency, qui s'était toujours appliqué à conserver ou à rétablir la concorde entre les deux monarques ; il avait continué ses relations avec Soliman, quoiqu'il se fût engagé à les rompre ; il avait cherché des alliances jusque dans la Scandinavie, qui semblait devoir rester étrangère à la politique du midi de l'Europe. Le désastre d'Alger vint lui fournir l'occasion qu'il épiait, et le meurtre de Rincon et Fragoso un prétexte plausible pour en profiter. L'hiver de 1541 à 1542 fut employé par lui à lever des troupes dans toute l'étendue de son royaume et à se créer des appuis au dehors. Il conclut des traités avec les rois de Danemark et de Suède ; il fit passer de l'argent au duc de Clèves ; il renforça son armée en Piémont ; il sollicita Soliman d'envoyer à Marseille, pour s'y réunir à la flotte française et agir de concert avec elle, une flotte conduite par Barberousse. Au mois de juin 1542, avant toute déclaration de guerre[302], le duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, envahit l'Artois et la Basse-Flandre ; le duc d'Orléans entra dans le Luxembourg ; Martin Van Rossem, maréchal de Gueldre, pénétra en Brabant. En même temps, le dauphin assemblait dans le midi une armée de quarante mille hommes d'infanterie, deux mille hommes d'armes et deux mille chevau-légers, avec laquelle il se proposait de faire le siège de Perpignan, et, après avoir pris cette ville, de pousser jusqu'en Castille. Charles-Quint, continue toujours M. Gachard, était loin de supposer qu'un pareil dessein pût entrer dans la tête des Français. Lorsqu'il en fut averti par le marquis del Vasto, que ses espions en avaient instruit, il se hâta d'envoyer le duc d'Albe à Perpignan, pour mettre cette place en état de défense, et réclama l'assistance de ses vassaux d'Aragon et de Castille. Les grands, la noblesse, les villes répondirent avec enthousiasme à son appel : toute l'Espagne, dit Sandoval[303], prit les armes, comme s'il se fût agi de conquérir la France. En marchant avec plus de célérité, le dauphin eût vraisemblablement réussi dans son entreprise[304] ; mais ce fut seulement le 26 août qu'il se présenta devant Perpignan, et alors le duc d'Albe avait eu le temps d'en réparer et augmenter les fortifications, et d'y faire entrer une nombreuse garnison, commandée par des chefs d'une valeur et d'une expérience éprouvées. Toutes les tentatives des Français pour s'en emparer échouèrent. François Ier s'était avancé jusqu'à douze lieues de là : découragé par le peu de progrès que faisait le siège, il envoya au dauphin l'ordre de le lever : cette armée française, la plus belle et la plus nombreuse qu'on eût vue de tout le règne, effectua sa retraite le 4 octobre[305] François Ier n'avait guère plus à se louer du succès de ses armes dans les autres pays où il avait porté la guerre. En Piémont, les exploits du seigneur de Langey, son lieutenant, s'étaient réduits à la prise de quelques places de peu d'importance. Dans nos provinces, théâtre obligé de toutes ces guerres, les résultats n'avaient pas été plus heureux pour la France. Notre sujet exige que nous entrions ici dans quelques détails. L'un des alliés du roi de France dans cette nouvelle guerre était, nous venons de le dire, le duc Guillaume de Clèves. Nous avons à faire connaître ce prince et sa situation au lecteur. Charles d'Egmont, l'irréconciliable ennemi de la maison d'Autriche, ne pouvant plus compter, depuis les derniers traités, sur l'appui de la France, avait voulu laisser après lui du moins un éclatant témoignage de sa haine. Au mois d'octobre 1537, il avait annoncé aux états de la Gueldre l'intention d'assurer sa succession à un prince riche et puissant, disait-il, capable de les défendre envers et contre tous. Ce successeur, dans sa pensée, n'était autre que le roi de France. Il voulait même leur faire reconnaître sur le champ François let pour prince et seigneur, en lui prêtant serment de fidélité. Cette résolution alarma les états : ils craignaient pour leurs libertés, pour leur indépendance ; il était clair d'ailleurs qu'elle entraînerait le pays dans une guerre acharnée, car l'intérêt de la conservation des Pays-Bas engagerait l'empereur à la soutenir jusqu'à la dernière extrémité. Ils demandèrent donc un délai de quinze jours à l'effet de consulter leurs commettants. Mais à peine les députés étaient-ils rentrés dans leurs foyers que toutes les villes se soulevèrent. Nimègue, Zutphen, Ruremonde, Venloo surprirent et détruisirent les châteaux qui les tenaient en respect, et des deux côtés ou courut aux armes[306]. Le maréchal de Gueldre Martin Van Rossem les principaux chefs gueldrois s'étaient prononcés pour la France. Les villes armèrent leurs milices, et les troupes ducales, repoussées avec perte dans des attaques sur Nimègue et sur Zutphen, se jetèrent sur les campagnes, qu'elles livrèrent au pillage et à l'incendie. Le duc, manquant d'argent, entra en négociation et convoqua les états à Arnhem. On ne s'entendit point, et les hostilités recommencèrent de plus belle. Enfin, la médiation de quelques seigneurs voisins ayant arrêté la lutte, une nouvelle assemblée des états s'ouvrit a Nimègue, au mois de décembre 1537, pour régler tout à la fois la pacification et l'ordre de successibilité au duché. L'héritier légitime du duc était son neveu Antoine, fils de René, duc de Lorraine, et de Philippine d'Egmont. Il avait été reconnu en cette qualité par un acte de 1527, stipulant que François, fils d'Antoine, épouserait Anne de Clèves, et cet. acte avait été renouvelé en 1534. Dans l'assemblée de Nimègue, il fut résolu de donner suite à ce mariage, ou bien à celui de Guillaume, fils du duc de Clèves Jean le Pacifique, avec Anne, fille d'Antoine de Lorraine. Les états de Gueldre préféraient cette dernière combinaison, d'une part parce qu'ils redoutaient la faiblesse du prince lorrain et son attachement à Charles-Quint ; d'autre part parce que leur pays était trop éloigné des états de ce prince, et qu'ils préféraient être :alliés aux duchés de Clèves, de Juliers et autres seigneuries voisines. Moyennant une indemnité proposée aux princes lorrains, ce plan prévalut, et dans une assemblée générale tenue à Nimègue, le 27 janvier 1538, il fut décidé que si le duc mourait sans enfants légitimes, ses états passeraient à Guillaume, duc de Clèves et de Juliers. Ce prince et son père furent immédiatement reconnus en qualité de protecteurs du pays. Une pension viagère, avec d'autres avantages pécuniaires, fut assignée à Charles d'Egmont, qui dès ce moment fut privé de toute autorité. Le vieux duc, vaincu dans la lutte, abandonné par la
France pour laquelle il avait si longtemps combattu, ne put survivre à ces
désastres et à la ruine de son pouvoir. Il mourut à Arnhem, le 30 juin 1538,
après un règne de près de cinquante ans, durant lequel son indomptable
énergie, favorisée par la politique de la France, avait tenu en échec un des
plus grands potentats du monde. Il eut l'art de rendre nationale sa lutte
personnelle, et ce fut en y rattachant les idées de liberté et d'indépendance
de son peuple, qu'il en obtint les plus grands sacrifices, qu'il en reçut
d'éclatantes preuves d'affection et de dévouement[307]. Ce prince, que les uns ont comparé à Annibal, et d'autres
à Mithridate, eut cela de commun avec ces grands hommes, que sa haine servit
mieux que n'eût fait son alliance la puissance de son ennemi. Ce fut par lui,
on l'a vu, que la Frise, Utrecht, l'Overyssel, la Drenthe, Groningue, les
Ommelandes passèrent à la maison d'Autriche[308]. A peine Marie de Hongrie fut-elle informée de la mort du duc, qu'elle engagea Charles-Quint à faire occuper la Gueldre, car, lui écrivait-elle, abandonner ce pays, vous seroit grande desréputation[309]. Elle exhorta les villes gueldroises à exécuter les traités conclus avec les maisons de Bourgogne et d'Autriche, somma Guillaume de Clèves de renoncer à une entreprise qui lui aliéneroit l'empereur, envoya des députés à la chambre impériale et aux princes électeurs, pour leur remontrer le droit de son frère sur les états du feu duc. L'empereur crut bon de temporiser. Il répondit à sa sœur que la saison était avancée pour prendre guerre avec Gueldre, et qu'il s'occuperoit de cette affaire l'année suivante, si les Turcs lui en laissoient le loisir[310]. Marie de Hongrie ne comprit rien à cette réponse, et insista auprès de Charles, en prétendant qu'il était plus urgent de venir rétablir l'ordre dans les Pays-Bas que d'aller combattre les Musulmans[311]. Guillaume de Clèves avait répondu d'une manière ambigüe à la reine de Hongrie. Il n'avoit pratiqué, disait-il, et ne pratiqueroit rien de préjudiciable h l'empereur ; il étoit prêt à justifier sa conduite devant ce prince, les électeurs et les états de l'empire. La mort de son père, arrivée le 6 février 1539, lui permit de jeter le masque. Les duchés de Gueldre, de Berg, de Clèves et de Juliers étaient réunis dans ses mains, et Von vit alors les haines de Charles d'Egmont revivre dans son héritier. Bientôt Charles-Quint fut prévenu que le roi de France, au mépris de ses promesses, engageait les souverains dont il recherchait l'alliance à se liguer avec le duc de Clèves[312]. Celui-ci, au même moment, entretenait de funestes intelligences dans les Pays-Bas, et ses incitations ne furent point étrangères, parait-il, aux troubles de Maëstricht, ni aux tentatives d'insurrections qui, en 1540, éclatèrent dans la Frise. Jusque là cependant il n'y avait pas de rupture ouverte. Guillaume de Clèves ne cessait même de protester de son dévouement à l'empereur, et Marie de Hongrie n'avait pas renoncé à toute espèce de ménagements à son égard. Il y eut un moment où des deux côtés on semblait disposé à vider le différend par les formes légales. Le litige fut porté devant le tribunal des princes de l'empire, et la régente chargea de la cause de son frère un des plus habiles jurisconsultes de l'empire, Viglius de Zuichem ab Aytta, alors assesseur à la chambre impériale de Spire. Celui-ci démontra, en s'appuyant sur les traités de Gorcum et de Grave, que les acquisitions faites par Charles le Téméraire n'avaient soulevé aucune réclamation de la part de la famille de Berg depuis soixante ans, et, qu'à défaut d'autres titres, quoiqu'il n'en manquât point, la prescription était acquise à l'empereur[313]. Guillaume, pressentant une sentence défavorable, voulut traiter directement avec Charles-Quint. Sur la foi d'un sauf conduit, il vint le trouver à Gand, et lui demanda l'investiture du duché de Gueldre. Accueilli froidement par l'empereur, il s'effraya des suites de sa démarche et quitta Gand furtivement. A son retour dans ses états, il lança un manifeste pour soutenir ses droits à l'héritage de Charles d'Egmont, et se jeta ouvertement dans les bras de la France redevenue hostile. Il en était là, quand François Ier déclara la guerre à l'empereur. Guillaume de Clèves avait reçu du roi de France un subside de quatre cent mille écus. Au moyen de cette somme, le maréchal de Gueldre, Martin Van Rossem, se hâta de terminer les préparatifs de l'invasion méditée depuis longtemps. Ses troupes avaient été renforcées de quatre à cinq cents gendarmes danois ; le seigneur de Longueval, Nicolas de Boussu, lui avait amené six cents chevaux[314], et plusieurs gentilshommes français étaient accourus se ranger sous sa bannière. Son armée présentait un effectif d'environ seize mille combattants, dont sept à huit mille fournis par le duc de Clèves ; le reste était composé de Français, de Gueldrois, de Danois, de Suédois, de transfuges et de proscrits. Nul plus que leur chef, dit M. Henne, n'était propre aux entreprises audacieuses. Né en 1478, à Zalt-Bormel, Martin Van Rossem ou Van Rossum, seigneur de Poederoeyen, s'était signalé de bonne heure par son audace, et l'âge n'avait point altéré sa farouche énergie. Ne s'arrêtant devant aucun danger, ne reculant devant aucun moyen, méprisant les lois de la guerre comme celles de l'humanité, il avait vu le succès couronner ses courses aventureuses. Le meurtre et l'incendie signalaient toujours son passage. L'incendie est le magnificat de la guerre, disait-il, et, suivant des légendes inspirées par la terreur, sa soif de carnage était si ardente que, dans le combat, ses moustaches se hérissaient, semblables au poil des bêtes fauves, dont il avait les sanglants instincts. Pourtant cet homme, que son allié lui-même appelait le plus grand larron qu'il connût jamais[315], ne doit pas être confondu avec la tourbe des condottieri ne sachant que se battre et piller. Il avait les talents d'un grand capitaine, et, dans ses rapports pleins d'observations et d'une remarquable perspicacité, on est frappé de rencontrer les idées les plus élevées[316]. Ce contraste ne rend-il pas ses brigandages plus blâmables encore[317] ? Van Rossem comptait sur les intrigues nouées à Gand, comme en plusieurs autres villes de nos provinces. De concert avec le seigneur de Longueval, il avait résolu de marcher sur cette place pour y opérer sa jonction avec les ducs d'Orléans et de Vendôme. Dans les premiers jours de juin 1542, il pénétra brusquement dans la mairie de Bois-le-Duc et pilla quelques villages, mais ne poursuivit, pas plus loin cette expédition. Les complots de Gand et d'Anvers étaient découverts ; les bateaux affrétés pour le passage de l'Escaut faisaient défaut ; quinze cents hommes accouraient d'Anvers au secours de Bois-le-Duc, qui avait déjà six enseignes de piétons sous les ordres de Philippe d'Orley, et le duc d'Orléans, abandonnant à Vendôme l'attaque de la Flandre, tournait ses efforts contre le Luxembourg. Le Gueldrois battit aussitôt en retraite, et le prince d'Orange, René de Nassau, accouru pour le combattre, crut le danger si éloigné qu'il retourna à La Haye présider les états de Hollande[318]. Van Rossera et Longueval voulurent alors se porter sur Liège. Leur plan était d'aller à la rencontre du duc d'Orléans, qui arrivait par les Ardennes, et d'assaillir ensemble le Brabant. Marie de Hongrie eut vent de l'affaire. Elle munit de troupes les pays d'Outre-Meuse, et avertit du danger le prince-évêque Corneille de Berghes. Celui-ci arrêta le départ de cent quatre-vingt chevaux et de quatre à cinq cents hommes de pied qu'il envoyait à l'armée de Hongrie. Combattre les Français en ce moment, c'était aussi combattre les Turcs, disait le prélat se justifiant vis-à-vis de l'empire Il appela ensuite aux armes toutes les milices de la principauté, et les trouva disposées à défendre à outrance le passage de la Meuse[319]. On craignait beaucoup pour Maëstricht, dont les vieilles fortifications n'étaient pas en état d'arrêter l'ennemi. Le magistrat prit à sa solde un corps de troupes étrangères ; Marie de Hongrie y envoya une enseigne de fantassins et quelques cavaliers ; Corneille de Berghes disposa d'une centaine d'hommes. Henri de Mérode, seigneur de Petersheim, Conrad de Gaveren, sire d'Esloo, et Guillaume de Hoensbroeck vinrent prendre le commandement de ces forces. C'était la première fois que Maëstricht recevait une garnison, et ce ne fut pas sans inquiétude que les bourgeois virent entrer dans leurs murs les soldats de l'empereur et de l'évêque. Pour les rassurer il fallut subordonner l'autorité des chefs à celle des magistrats, et laisser à ceux-ci les principaux postes avec les clefs de la ville. Ces mesures sauvèrent la principauté. Van Rossem, qui avait remonté la Meuse et traversé le pays de Fauquemont, trouva la contrée bien gardée et n'osa pas tenter le passage par la force. Sur le refus prévu de l'évêque de Liège de lui permettre de traverser ses états, il revint sur ses pas, redescendit la Meuse jusque près de Grave, et franchit le fleuve sur deux points, entre Kessel et Kuik. Trouvant cette fois la mairie de Ms-le-Duc dégarnie de troupes, il brûla, pilla ou rançonna Saint-Œdenrode, Oirschot, Beers, Hilvarenbeek, Baarle, Boxtel, jeta en passant la terreur dans Bréda, et somma Bois-le-Duc. Cette ville, où la régente venait d'envoyer les gens d'armes de la garnison de Grave, répondit à la sommation par des coups de canon. Obligé de s'éloigner, Van Rossem investit le château d'Hoogstraeten, où s'était réfugiée une foule de femmes et d'enfants il promit de respecter leur vie et leurs biens, et tint sa promesse. Il trouva dans la place quelques pièces d'artillerie de siège dont il s'empara, se dirigea sur Turnhout à qui il imposa une contribution de guerre[320], et marcha de là en ligne droite sur Anvers. Les anciens remparts de cette ville avaient été démolis, et les fortifications commencées en 1487 étaient loin d'être achevées. En 1540, Charles-Quint avait ordonné au magistrat d'établir une nouvelle enceinte, mais cet ordre avait rencontré une si vive opposition qu'il avait été impossible de l'exécuter. Dans cette situation, Anvers, pour résister à un coup de main, n'avait à compter que sur le courage de ses habitants et lé dévouement de ses magistrats. Dès la première tentative de Van Rossem, la plupart des marchands étrangers s'étaient montrés disposés à quitter la ville avec leurs richesses, mais un gentilhomme de Crémone, Jean-Charles d'Affaytadi, établi à Anvers depuis 1499, assembla, dit-on, une troupe d'hommes déterminés, les arma, et engagea les autres marchands à suivre son exemple[321]. De son côté le magistrat ne resta pas inactif, et fit fortifier à la hâte les abords de la place. Il avait été question d'abord de rompre les digues et d'inonder les polders, mais on résolut de ne recourir à cette mesure qu'en cas d'extrême danger. Les remparts inachevés furent armés, et l'on y établit, entre autres, une batterie de sept canons appelés les sept planètes, et ayant chacun vingt-deux pieds de longueur. On fabriqua de la poudre ; on fondit des boulets ; tous les armuriers furent mis en réquisition pour la réparation des vieilles armes, lances, haches, épées, casques, etc. La reine de Hongrie et le magistrat se trouvèrent d'accord pour confier la direction des opérations militaires à l'échevin Corneille, sire de Spangen et Ter List, qui avait l'expérience des choses de la guerre. Tous ses collègues lui prêtèrent un actif concours. Malgré l'ardeur montrée par les gardes bourgeoises et leurs auxiliaires étrangers, les magistrats ne voulurent point s'en remettre exclusivement à leur courage, et pressèrent le prince d'Orange, alors encore à La Haye, de venir défendre la ville, dont il était margrave. Marie de Hongrie approuva cette invitation, et prescrivit au prince de se rendre à Berg-op-Zoom, où il trouverait des bateaux pour le transporter à sa destination. Mais, par conseil malavisé de ceux qui l'entouroient[322], il ne suivit point cet itinéraire. Ayant trouvé à Bréda quatre à cinq cents chevaux levés dans le Brabant et huit enseignes d'infanterie, il prit la route de terre et se dirigea à marches forcées sur Anvers. Van Rossem eut bientôt connaissance de l'approche des Impériaux. Il était parvenu à la bruyère de Brasschaet, près d'Eeckeren, sans rencontrer de résistance ; il attendit le prince à la jonction des routes de Bréda et d'Hoogstraeten. L'entreprenant Gueldrois était à la tête de quatorze mille hommes d e pied, de deux mille chevaux et de dix-huit pièces d'artillerie de campagne ; quatre cents reîtres danois, rangés sur deux lignes, masquaient son infanterie, qui se tenait couchée à plat ventre et mèche allumée ; le reste de la cavalerie, commandé par Longueval, était placée en réserve derrière le vieux château de Brasschaet. Le prince, qui ne se doutait de rien, atteignit cette localité le 24 juillet, et, à la vue des cavaliers qui lui barraient le passage, ordonna à son lieutenant Lubert Turck de les charger. La charge fut exécutée avec une telle vigueur que les reîtres furent enfoncés au premier choc. Mais l'infanterie impériale, assaillie par une vive fusillade, se vit cernée en un instant et mise en pleine déroute. Le prince se sauva à force de sang-froid et de courage ; il entra à Anvers vers sept heures du soir, avec quelques gendarmes et un millier de piétons. Des rapports exagérés annoncèrent que quatorze cents hommes avaient été tués ou faits prisonniers, et que les autres s'étaient réfugiés à Lierre. Mais une dépêche de Marie de Hongrie rétablit la vérité : peu de fantassins avaient succombé, et un assez grand nombre parvinrent à gagner Anvers[323]. On avait cru perdu le brave Lubert Turck, mais il arriva quelques heures après le prince, ramenant avec lui la plupart de ses hommes d'armes. Malgré toute sa prévoyance, Marie de Hongrie avait vu ses mesures légèrement entravées. Sachant que le roi de France attendait les Gueldrois, elle avait dirigé presque toutes ses forces vers les frontières du midi, et avait ordonné au sire de Boussu de prendre position à Gembloux ou à Namur, selon les circonstances. Les milices féodales[324] devaient se réunir le 6 Juillet à Bruxelles, pour être placées sous tel capitaine et être employées à tel service qu'il conviendroit, mais elles avaient tardé à le faire, et la reine, surprise par l'entrée de l'ennemi dans la mairie de Bois-le-Duc, s'était hâtée de rappeler Boussu et l'avait envoyé à Diest et à Weert. Ce fut dans la nuit du 24 au 25 Juillet que la diligente princesse reçut à Malines la nouvelle de la défaite du prince d'Orange. Elle écrivit sur le champ au comte de Buren : Vous pouvez facilement estimer quel estonnement ceste fortune donne au peuple et subjets de ce quartier, lesquels certainement s'en trouvent tout troublés et espouvantés, que c'est chose incroyable. Par quoy, mon cousin, je vous prie et requiers de rechief bien affectueusement que, quelqu'il soit, ne veuillez faillir de baster vostre venue vers moi, en si bonne diligence que faire le pourrez, menant avec vous les piétons de Groningue et tous autres que déjà pouvez avoir prests, ayant bon regard à vostre passage et à la seureté de vostre personne. Vous priant encoires, mon cousin, de en ce que dessus ne vouloir faire faute, attendu que vous-mesme pouvez assez supposer combien l'extrême péril le requiert[325]. Au sire de Boussu elle écrivait en même temps : Ay mon entier espoir en Dieu et en vous ; et elle ajoutait : Si on eust cru mon conseil, on ne seroit pas en ceste extrémité[326]. Le jour même de sa victoire, Van Rossem parut devant Anvers. Il établit son quartier général au château de Vorderstein près de Merxem ; son corps principal campait entre ce village et Brasscbaet ; l'avant-garde occupait le Pothoek entre Dambrugge et Borgerhout, à quelques centaines de pas de l'église de Saint-Willibrord. Ces positions annonçaient le dessein de diriger les premières opérations contre la Kipdorp et la Porte Rouge, et l'on renforça la garde sur ce point par des auxiliaires anglais, italiens, portugais et allemands. Au premier effroi produit par la nouvelle de la défaite du prince d'Orange avait succédé une grande animation. Pendant que les hommes veillaient aux remparts, les femmes se tenaient aux portes des maisons entretenant la lumière des lanternes allumées par l'ordre du magistrat. Il avait été défendu de circuler dans les rues, et les clochers des églises étaient occupés pour prévenir' toute surprise et toute trahison. Le 25, au point du jour, on aperçut toute la campagne entre Borgerhout et Dambrugge couverte par les eaux : Van Rossem avait rompu les digues, pour se garantir contre une attaque de ce côté. Bientôt son avant-garde se porta vers l'église de Saint-Willebrord, ce que voyant les assiégés se hâtèrent de la démolir. On croyait à un assaut et l'on multipliait avec ardeur les moyens de défense sur ce point. Les femmes, se mêlant aux travailleurs, apportaient des bêches, des paniers, des caisses à sucre, des tonneaux, des balles de laine. En très peu de temps et comme par enchantement, le rempart inachevé fut muni d'un revêtement de terre qui mettait ses défenseurs à couvert. Des voies de communication furent ouvertes entre les différents corps de défense et permirent de transporter plus rapidement l'artillerie et les munitions ; les femmes enlevèrent les pavés des rues et les portèrent aux remparts, où l'on accumula aussi des tonneaux goudronnés pour les lancer tout enflammés sur les assaillants ; enfin on fit disparaître toutes les maisons de plaisance, qui pouvaient gêner le feu des batteries ou favoriser l'approche de l'ennemi[327]. Le maréchal de Gueldre se borna à une reconnaissance ce jour-là, et, rentré dans ses positions, il fit sommer la place au nom des rois de France et de Danemark. Le magistrat répondit qu'il ne connaissait d'autre souverain que l'empereur. Le messager répliqua, dit-on, que l'empereur était mangé depuis longtemps par les poissons. Il ressuscitera le troisième jour comme Jonas, dirent alors les Anversois, et ils congédièrent l'envoyé de Van Rossem, après lui avoir signifié que son maitre n'était qu'un chef de brigands, et que lui même, s'il se représentait à Anvers, n'y rentrerait, que pour être pendu[328]. Toute la journée du 25 se passa à s'observer de part et d'autre. Dans la soirée du 26, Van Rossem fit une démonstration du côté de la Porte Rouge ; il fut repoussé avec perte, et cette perte, jointe à celle qu'il avait essuyée dans la reconnaissance précédente, lui firent prendre le parti de la retraite. Les Anversois faisaient bonne garde et bonne contenance. Plusieurs individus avaient été surpris brisant et limant les chaînes des puits : ils firent mis à mort. Deux bourgeois, arrêtés pour avoir dit, qu'il fallait se rendre, subirent le même sort : ils furent pendus sur le grand marché, et leurs têtes restèrent longtemps exposées aux portes de la ville. Les renforts que la place recevait incessamment[329] rendaient de plus en plus le succès d'une attaque problématique. Les Gueldrois manquaient d'artillerie, et Spangen, pour multiplier les moyens de défense, avait fait mettre le feu à un grand nombre de maisons du faubourg, à un couvent de femmes situé sur les bords du canal de Herenthals, à la chartreuse et au béguinage trop exposés aux coups de l'ennemi. Le 27 juillet au matin, Van Rossem leva son camp. Au moment où ses chariots et ses canons se mettaient en marche, il y eut une alarme dans la ville, et l'on crut à un assaut. Le tocsin retentit aussitôt ; l'artillerie des remparts mit en jeu ses batteries ; les serments accoururent au marché, prêts à se porter sur les points menacés. La crainte était augmentée par le faux bruit de la prise d'une des portes de la ville. Mais bientôt à cette perspective du danger succéda la douleur provoquée par le spectacle que présentaient les alentours de la ville. C'était comme une mer de flammes. Toutes les maisons de campagne, tous les moulins à vent, Dambrugge, Merxem, Deurne, Borgerhout, Berchem étaient en feu. Martin le Noir avait fait chanter le coq rouge avant son départ[330]. Ravageant tout sur son passage, il prit la route de Lierre, mais le sire de Boussu y était accouru avec quelques cavaliers, une enseigne namuroise et cinq à six cents Bruxellois. L'ennemi alors, rebouté par plusieurs bons coups d'artillerie, se dirigea vers Duffel. Par ordre de la reine de Hongrie, les gens d'armes de la bande du seigneur d'Aimeries avaient détruit le pont de cette localité, et des chevaucheurs avaient couru avertir les paysans d'emporter leurs blés et leurs denrées, de retirer les pontons et les barques, de couler bas tout ce qui ne pouvait être enlevé. Après deux jours d'infructueux efforts pour jeter un pont sur la Nèthe, les envahisseurs imaginèrent de tendre d'une rive à l'autre les cordes des cloches des églises, et de faire passer leur infanterie dans des cuves. Les chevaux gagnèrent l'autre bord à la nage ; les chariots furent démontés et transportés avec leurs pièces d'artillerie de campagne et le butin sur l'unique bateau qu'ils étaient parvenus à surprendre. Les gros canons enlevés à Hoogstraeten furent jetés dans la rivière. Des beaux villages de Duffel et de Waelhem[331] il ne resta qu'un monceau de cendres. Van Rossem prit ensuite la direction de Malines, et dévasta en passant la riche abbaye de Roosendael[332]. Par ordre de la régente, le capitaine Ramelot s'était jeté dans la ville avec son enseigne de Namurois. Peu rassurés par ce faible renfort, les Malinois inondèrent au loin les environs de cette cité[333]. Bruxelles, qui s'attendait à une attaque de l'ennemi, s'était préparé à le bien recevoir. Une revue des bourgeois en état de porter les armes, effectuée le 2 août, constata la présence de plus de cinq mille combattants. Mais ce projet de tentative sur la capitale n'était pas entré dans l'esprit de Van Rossem qui n'avait plus pour objectif, comme nous disons aujourd'hui, que de rejoindre les Français entrés dans le Luxembourg, tout en causant à, nos contrées le plus de mal possible. Marie de Hongrie avait été prévenue que le terrible Gueldrois comptait surprendre Louvain, Diest ou Tirlemont[334]. Van Rossem en effet avait appris que la peur régnait dans la première de ces villes, si grande et si mal peuplée qu'aucun capitaine ne vouloit se charger de sa défense ; car, sans un grand nombre de gens de guerre, elle n'étoit tenable[335]. Il se dirigea donc droit sur la cité académique, marquant ses haltes par le pillage de Schrick, Keerbergen, Werchter, Wespelaer, Thildonck, Rotselaer, et par l'incendie de Herent et Winxele. Une de ses divisions s'avança jusque sous les murs de Diest, mais y trouvant le sire de Molembais avec quelques hommes d'armes, et l'enseigne namuroise du capitaine Montaigle, elle battit promptement en retraite[336]. Louvain, investi le 2 août, avait pour toute garnison cinq cents piétons avec un faible détachement de gens d'armes du sieur d'Aimeries. A la première sommation, le magistrat demanda à capituler. Van Rossem exigea d'abord trente mille couronnes d'or, la remise de l'artillerie et de toutes les armes, le libre passage de son armée, qui se reposerait dans la ville et y serait entretenue durant trois jours. Après de longs pourparlers, il se contenta d'une contribution de guerre de dix-sept mille couronnes, de quarante pièces de vin et de quelques centaines de tonnes de bière. La convention était à peine conclue que ses soldats s'avancèrent vers la porte de Bruxelles. On crut qu'ils allaient pénétrer dans la ville au mépris de la capitulation. Soudain les étudiants[337] assistés de quelques bourgeois arrêtèrent les charrettes qui déjà transportaient le vin au camp ennemi, coururent aux remparts et engagèrent le combat. L'exemple de ces braves jeunes gens releva les courages, les femmes se prirent d'un enthousiasme patriotique et ramenèrent la population virile à la lutte et à des sentiments plus généreux. La résistance paraissait cependant si inégale, que les magistrats de Louvain s'effrayèrent des conséquences de la chose. Le mayeur de Louvain, Adrien de Blehen, seigneur de Schallebrouck, se rendit auprès de Van Rossem avec le chef des étudiants, Damien de Goés, portugais, pour lui présenter des excuses. Moins pusillanimes, les partisans de la résistance persistèrent dans leur courageuse entreprise et les boulets de la place coupèrent court aux négociations. Van Rossem accusa les députés de trahison et les retint prisonniers, mais, en présence d'aussi énergiques démonstrations, il n'osa courir les risques d'un échec. Les villes se garnissaient de troupes ; les milices accouraient de toutes les parties du pays, et, s'il tardait, la route du Luxembourg allait lui être fermée. Il partit donc, et l'incendie de Corbeek-Loo fut le signal de sa retraite. Il l'effectua en poursuivant ses ravages, brûlant Neeryssche, Chapelle Saint-Laurent, Sart-lez-Walhain, et mettant Wavre à sac. Quatre-vingts paysans qui essayèrent de défendre le château de Corroy furent massacrés ; Gembloux et Argenton se rachetèrent de l'incendie au prix d'une composition de guerre de dix-sept cents florins, que la régente leur défendit ensuite de payer. Marie de Hongrie envoya à Louvain le président Louis Van Schore, pour complimenter les magistrats sur leur belle conduite, mais le bourgmestre, Jean Van der Tommen, rendant hommage à la vérité, répondit que cet honneur revenait aux étudiants, et, pour conserver la mémoire de l'évènement, on institua une procession solennelle, à laquelle assistaient le corps municipal et l'université[338]. On craignait un retour offensif de l'ennemi sur la ville universitaire, et la régente avait ordonné d'y envoyer toutes les troupes disponibles. Mais les archers de Louis d'Yves, qui avaient suivi Van Rossem jusqu'à Perwez, vinrent démentir les premiers rapports. Le sire de Boussu avait rassemblé la plupart des corps de cavalerie jetés dans les villes du Brabant, et s'était mis à la poursuite du Gueldrois. Le 6 août, il atteignit son arrière-garde, lui tua trente à quarante hommes, et en prit une vingtaine[339]. Mais Van Rossem, précipitant sa marche, non sans laisser de nombreux prisonniers aux mains des Namurois, réussit à passer la Sambre à Châtelet, malgré la résistance des braves paysans de ce quartier[340], et rejoignit le duc d'Orléans devant Yvoy. Des seize mille hommes qu'il comptait au début de l'expédition, il ne lui en restait que dix à douze mille[341]. Au moment où le maréchal de Gueldre vint rejoindre l'armée du duc d'Orléans, cette armée était forte d'au moins trente mille combattants. Le duc de Guise, nommé capitaine général lui avait amené de nouvelles forces[342], et l'arrivée successive de la maison du roi, de divers corps de lansquenets, de chevau-légers et d'Italiens, du ban et de l'arrière-ban l'avait grossie considérablement. Le roi lui-même se tenait à peu de distance de la frontière : il venait, disait-on, attendre l'empereur dedans son pays, soixante jours, pour lui livrer bataille[343]. Il se borna toutefois à passer la revue de l'armée, dont il laissa le commandement à son fils. Les hostilités avaient commencé, nous l'avons dit, dans les premiers jours de juillet. Précédé par ses coureurs, qui brûlèrent les villages de Saint-Arnoul et de Saint-Clément en avant de Metz, le principal corps d'armée passa la Meuse à Commercy, et, après avoir menacé Thionville, investit Damvillers. Ce n'était qu'une bicoque, qui, suivant les Français eux-mêmes, n'était pas tenable. Aussi, dès les premiers coups de canon, la garnison battit la chamade, et, pendant que l'on discutait les articles de la capitulation, les assiégeants, pénétrant dans la place, la livrèrent au pillage. Pour couronner l'œuvre, à la demande du seigneur de Jamets, dont le château était inquiété par ce voisinage, le duc d'Orléans ordonna de raser la ville après l'avoir brûlée[344]. La destruction de Damvillers avait répandu la terreur dans le pays. Le duc d'Orléans se disposait à marcher sur Luxembourg, quand il apprit qu'un pan de mur s'était écroulé à Yvoy. Le siège de cette ville fut aussitôt résolu. Les nouvelles fortifications qu'y élevait Jean Franckaert, dit de Tasseigne[345], étaient loin d'être achevées, et cet accident en compromettait gravement la défense. D'un autre côté, on n'osait trop compter sur les Bas-Allemands de la garnison, qui, peu de jours avant l'apparition de l'ennemi, en étaient venus aux mains avec les habitants. Néanmoins le gouverneur d'Yvoy, Gilles De Levant, qui, encore que ce fust un forgeron et contadin, avoit esté eslevé en cet honneur par sa valeur et hardiesse[346], ne désespéra pas du salut de la place, et ses lieutenants se montrèrent dignes de leur chef. La garnison, forte d'environ deux mille hommes, retarda les approches avec beaucoup de vigueur. Les Français avaient compté sur un coup de main ; ils éprouvèrent de cruels mécomptes. La place enfin investie, ils dressèrent, près du fossé, une batterie de trois canons ; dès la nuit suivante, les assiégés l'emportèrent, après avoir massacré les soldats chargés de la garder. La pesanteur des canons ne permettant pas de les enlever, ils en brûlèrent les essieux. Il fallut alors en venir à un siège régulier, ouvrir la tranchée, demander des renforts d'artillerie à Sedan, à Monzon et autres places frontières[347]. Dans la nuit du 3 août, les Impériaux faisant une galante sortie et montrant qu'ils étoient gens de guerre, enlevèrent une formidable batterie à peine établie, emmenèrent une partie des canons, jetèrent dans le fossé ou enclouèrent les autres. Déjà plus de trente mille boulets avaient été tirés contre la place, un grand nombre d'assaillants avaient péri, le duc de Guise et plusieurs autres capitaines étaient blessés ; loin de faiblir, les assiégés, se raillant de l'ennemi, lui adressaient, par-dessus les murailles, mille outrages[348], quand arriva Martin Van Rossem. Cet important renfort ranima les assiégeants, qui reçurent, dans le même temps, de l'artillerie et des munitions. Ils dressèrent alors deux nouvelles batteries, l'une du côté des Ardennes, l'autre du côté de Jamets, sur une colline qui dominait la ville. Le capitaine Guelphe ayant inventé et luy-mesme forgé une quantité de mortiers qui deschargeroient de ceste montagne divers gros boulets, une brèche fut ouverte, et après vingt jours d'une glorieuse résistance, les assiégés reconnurent l'impossibilité de la prolonger. En vertu de la capitulation signée par le duc de Guise, ils sortirent de la place, le 16 août, avec les honneurs de la guerre, emportant leurs armes, leurs bagages, six fauconneaux et des munitions pour tirer six coups[349]. Ivoy, par sa position, menaçait tout à la fois Mézières, Sedan, Mouzon, Stenay : aussi les Français s'empressèrent-ils de fermer les brèches de la place et d'y établir une forte garnison. Ils s'emparèrent ensuite de quelques autres localités sans importance, telles qu'Arlon, ville à peu près ouverte, qui fut brûlée quoiqu'elle eût capitulé, et Virton, dont les remparts étaient en si mauvais état qu'on en avait retiré la garnison. Dans l'intervalle le duc d'Orléans avait repris son premier projet, et l'armée royale se porta sur Luxembourg. Les fortifications de cette dernière ville étaient fort délabrées ; elle était dépourvue de munitions et de vivres[350]. Toutefois avec une garnison de trois mille hommes de pied et de quatre cents chevaux, commandés par deux braves capitaines, Georges de la Roche et Philippe de Sirck, elle eût pu au moins arrêter quelque temps l'ennemi, si le cœur de ses défenseurs n'avoit défailli[351]. Le 30 août, seize enseignes d'infanterie et six cents cavaliers investirent la place ; le reste de l'armée occupa Bertrange, Meell, Hollerich, Gasperich, Tessingen, Bonnevoie. Dans la soirée du même jour, les assiégeants ouvrirent la tranchée, malgré un feu très vif qui leur tua beaucoup de monde. Dès le lendemain matin, ils eurent deux batteries en position : l'une du côté de la tour de Saint-dosse, qui fut traversée de part en part par le premier boulet, l'autre du côté du cloître du Saint-Esprit, qui était le plus faible quartier de la ville. Les assiégés ripostèrent d'abord avec une certaine vigueur, qui ne tarda pas à se ralentir, car, à deux heures de l'après-dîner, contraints, dit-on, par les habitants, ils demandèrent à capituler. La capitulation fut cette fois respectée, et la prise de possession s'effectua avec ordre ; les bourgeois durent prêter serment ail duc d'Orléans. Il y laissa une garnison de cinq à six mille lansquenets et se dirigea ensuite vers Mont-Saint-Jean, précédé par quinze cents chevaucheurs gueldrois. On s'attendait à une attaque sur Thionville, quand on le vit prendre brusquement le chemin de Montmédy. Cette ville lui ouvrit ses portes, et son exemple fut suivi par les places voisines. Deux mois avaient suffi pour la conquête du Luxembourg, où l'empereur ne conservait plus guère que Thionville[352]. Il semblait que ce facile succès dût porter l'ennemi à. poursuivre ses avantages : il en fut autrement. La difficulté d'argent ou plutôt la jeunesse de monsieur d'Orléans et les piques de ses gouverneurs, malgré le sieur de Tavannes, dit celui-ci lui-même[353], l'emportèrent à rejoindre le roi, sur le bruit d'une bataille qui devoit se donner en Languedoc. Il perdit ainsi l'occasion de faire de beaux effets et causa la perte de partie de la conquête, où il mit ordre précipitamment. On a dit aussi, pour expliquer cette retraite inattendue, que les états d'Allemagne lui avaient fait signifier que Thionville était une cité impériale[354]. Quoi qu'il en soit, il se retira, non sans quelque désordre, au moment où les Impériaux, ayant réuni leurs forces, reprenaient l'offensive. Il laissa une dizaine d'enseignes de lansquenets au duc de Guise, chargé de garder le Luxembourg et de couvrir la Champagne, déjà menacée par les généraux des Pays-Bas. Quelques bandes de Van Rossem se dispersèrent, se plaignant beaucoup de la France, et furent exterminées en traversant les Ardennes pour regagner le pays de Juliers. Leur chef, avec ses meilleures troupes, resta dans le Luxembourg, et les autres allèrent rejoindre le duc de Vendôme dans la Picardie, où elles arrivèrent exténuées par la dysenterie[355]. La situation était changée, et la tempête allait sévir sur les lieux mêmes où elle s'était formée. La régente, active et dévouée, avait rencontré un concours généreux et sympathique dans nos provinces. Le Brabant, menacé par les bandes de Van Rossem, avait accordé, le 8 juillet, cent vingt mille livres pour payer les gens de guerre, et, en considération du grand péril où se trouvoit le pays, les états avaient autorisé la reine à lever le capital d'une rente de deux mille florins à constituer sur le bois de Soigne[356]. Le 15 juillet, les états de Namur avaient voté une aide extraordinaire de quatre mille livres, et tous les autres n'avaient pas tardé à suivre l'exemple de ces deux provinces. Ces ressources s'étaient vite épuisées, il est vrai, et il avait fallu recourir aux emprunts. Toutes les bourses s'ouvrirent avec un empressement patriotique : marchands, seigneurs, généraux, fonctionnaires, magistrats, villes, abbayes, églises, simples bourgeois concoururent avec ardeur, et d'un même cœur, aux exigences de la défense commune. Les marchands d'Anvers prêtèrent cent mille livres ; l'abbaye des Dunes, à elle seule, dix mille livres[357]. Ces sacrifices généreux permettaient de songer aux représailles, et d'éclatantes revanches se préparaient. Boussu, suivant de près le maréchal de Gueldre, avait établi son quartier général à Nivelles, où le rejoignirent bientôt la plupart des bandes d'ordonnances et divers corps d'infanterie[358]. Pierre de Werchin, accouru pour défendre Namur contre une attaque éventuelle de Van Rossem, avait relié ses forces à celles de Boussu et rendu ainsi tout retour offensif de l'ennemi impossible. Quand celui-ci eut passé la Sambre et pris le chemin du Luxembourg, Boussu porta son quartier général à Gembloux, où le rejoignirent les troupes qui se retiraient, celles qu'on avait récemment levées dans le Brabant et le pays d'Outre-Meuse, avec de l'artillerie et de nombreux convois de munitions. Pendant que les Français perdaient un temps précieux dans le Luxembourg, le moral des troupes impériales se relevait, et l'ardeur du soldat présageait de prochains succès. Au nord, Buren, rassuré sur la Frise et l'Over-Yssel, avait envoyé au prince d'Orange la plupart des forces levées pour la défense de ces provinces. Dans les premiers jours du mois d'août, le prince envahit le quartier de Ruremonde avec vingt mille hommes de pied et quatre mille chevaux. Les états de Guillaume de Clèves expièrent les ravages de Van Rossem. Les Impériaux incendièrent, ruinèrent tout sur leur passage ; les églises mêmes ne furent pas épargnées[359]. Après ces vengeances, le prince d'Orange rejoignit Boussu, à qui le sire de Buren amena, de son côté, les renforts destinés d'abord à l'Artois. Toutes ces forces réunies entrèrent dans le Luxembourg au moment même où le duc d'Orléans en sortait, et les Français perdirent leur conquête en moins de temps encore qu'ils n'avaient mis à la faire. Ils évacuèrent la ville de Luxembourg le 9 septembre, et Marie de Hongrie y envoya sur le champ Pierre de Werchin, avec le comte d'Isembourg son lieutenant, pour recevoir des habitants un nouveau serment de fidélité[360]. Montmédy retomba sans résistance au pouvoir des Impériaux, et, tandis que le gros de l'armée campait à Marche, des détachements chassèrent les Français de toutes les places voisines. Il ne leur resta plus qu'Yvoy et Damvillers, occupés en grande partie par les vieilles bandes de Van Rossem. Le 13 septembre, Pierre de Werchin, le prince d'Orange, Buren et Boussu partirent de Marche avec l'intention d'attaquer Yvoy, mais les chemins étaient excessivement mauvais, le débordement :des rivières et la rupture des ponts arrêtaient la marche de l'armée, quarante à cinquante chevaux pouvaient à peine traîner, un canon, et il fallut laisser les grosses pièces à Grandchamps. Les soldats affoiblis et pleins de maladie[361] succombèrent en grand nombre. A Neufchâteau, le terrain était plus sec ; l'armée s'arrêta pour se reposer et se refaire. Le 18, Buren se remit en marche avec la gendarmerie, quelques enseignes de piétons, six demi-serpentines et d'autres pièces d'artillerie légère ; le reste de l'armée suivit le lendemain. Le 21, on était à Chiny, d'où les capitaines allèrent reconnaître Yvoy. A leur retour, ils se réunirent en conseil de guerre, et sembla à la plus saine et commune opinion qu'eu égard que le terroir, en temps de pluie, estoit tant mol et gras, il n'estoit possible y asseoir artillerie et encore moins, en cas d'échec, l'en retirer[362]. La retraite fut donc décidée[363], et commença le 23. A Marche, on licencia une partie des piétons ; quatre mille lansquenets furent cantonnés entre cette ville et Chiny. Pour ne leur donner aucun prétexte de pillage, le gouvernement veilla à ce qu'on leur fournît des vivres. Comme le pays était déjà infesté de soldats débandés et se livrant à tous les excès, il fut ordonné aux officiers de justice de leur courir sus, et de les exterminer par le fer et la corde[364]. Marie de Hongrie, qui s'était rendue à Namur pour suivre les opérations des troupes impériales, jugea le moment, favorable pour mettre à exécution un dessein qui lui tenait fort à cœur. Elle ordonna au prince d'Orange, à Boussu et à Buren de faire irruption dans les états de Guillaume de Clèves. Le prince d'Orange devait pénétrer dans la Gueldre par le Brabant ; Boussu et Buren, partant de Marche, avaient pour instructions de se diriger sur Aix-la-Chapelle, base future de leurs mouvements. Les archevêques de Trèves et de Cologne furent prévenus de la marche de l'armée impériale qui avait à franchir quelques portions de leurs territoires, et invités de la façon la plus pressante à ne prêter aucun secours au duc de Clèves. Boussu devait opérer dans le duché de Juliers. La régente lui prescrivit de hâter sa marche, afin de surprendre l'ennemi avant qu'il eût le temps de réunir ses forces. Obéissant à ces ordres, l'infatigable capitaine envahit le duché au mois d'octobre, saccageant tout sur son passage, tandis que le prince d'Orange traversait le quartier de Ruremonde et investissait. Sittard. La garnison de cette place se rendit après une résistance de courte durée ; Juliers, Heinsberg, Susteren, Duren ne tinrent pas davantage. L'hiver vint arrêter ces succès. A la suite d'un conseil de guerre, et avec l'approbation de la régente, on résolut de conserver Duren et Heinsberg, mais de démanteler Sittard, Juliers, Susteren, Vucht, Gangelt, Nideck, Grevenbrœck, Caster, Berchem, Bruggen et Opitter[365]. Une partie de l'armée fut ensuite envoyée en congé, et le reste divisé en deux corps. Le premier, sous le commandement de Boussu, se dirigea vers Aix-la-Chapelle ; le second, aux ordres du comte d'Hoogstraeten, Philippe de Lalaing, prit ses cantonnements dans le quartier de Ruremonde et à Maëstricht. Le prince d'Orange et le comte de Buren retournèrent dans leurs gouvernements. Les Impériaux avaient à peine évacué le pays de Juliers, quand Guillaume de Clèves., à son tour, entra en campagne. Les états de Gueldre lui avaient accordé cent quarante et un mille florins d'or ; il lui était arrivé plusieurs enseignes de lansquenets levés en Saxe, et une nombreuse gendarmerie s'était groupée autour de lui. Plein de confiance en ces auxiliaires, il reprit Duren à la faveur d'un épais brouillard[366], — on était au mois de novembre — et s'empressa d'y élever de puissants travaux de défense. Ce succès animant de plus en plus ses partisans, ils réunirent quatorze enseignes d'infanterie et quatorze cents chevaux, pénétrèrent dans le camp du seigneur de Boussu, qui était arrivé à Weyde, à une lieue d'Aix-la-Chapelle, et y jetèrent le désordre avec un commencement de déroute. Mais bientôt revenus de leur surprise, les Impériaux repoussèrent les assaillants, qui laissèrent entre leurs mains quelques centaines d'hommes avec le chef de leur avant-garde[367]. Dans cette rencontre, il y eut, de part et d'autre, environ trois cents hommes tués. Boussu voulait marcher immédiatement sur Duren et reprendre cette ville ; de son côté, Marie de Hongrie avait ordonné à tous les gens de guerre ayant été du voyage de Juliers de se rendre immédiatement à Maëstricht, toute excuse cessante, et d'Arschot accourait avec quelques bandes de gendarmerie. Boussu comptait se mettre en marche le 19 novembre, mais il fut obligé de s'arrêter devant les difficultés de l'entreprise. Les pluies rendaient de plus en plus les chemins peu praticables ; toutes les positions étaient fortement occupées ; des cavaliers ennemis battaient la campagne, troublant les campements, enlevant les fourrageurs et les traînards ; enfin on recevait des rapports alarmants sur les dispositions de Liège et de Maëstricht. Dans ces circonstances, tous les capitaines jugèrent prudent d'ajourner l'expédition et de rentrer dans les cantonnements[368]. Un dernier fait de guerre termina la campagne à l'avantage des armes impériales. Un détachement formé de cent vingt chevaux et de cinq enseignes de piétons s'empara de Herpen et captura un grand nombre de bateaux gueldrois sur la Meuse[369]. Ainsi finit cette année 1542, qui causa aux Pays-Bas et aux états du duc de Clèves d'incalculables dommages, après avoir coûté à la France de ruineux et si stériles efforts. Revenons maintenant à notre grand empereur, que ces longs détails nous ont un peu fait perdre de vue. Charles avait dû attendre, à Mouzon, la fin de la session des cortes. Deux points faisaient le principal objet des demandes soumises à leurs délibérations : le vote d'un subside et la reconnaissance du prince Philippe pour héritier présomptif des couronnes d'Aragon, de Valence et de Catalogne. Ces deux demandes furent accueillies sans difficulté. Philippe fut proclamé futur souverain, à Mouzon, en présence de l'empereur son père, le 14 septembre 1542, par les cortès de Catalogne ; le 23, par les cortès de Valence, et, le 6 octobre, par celles d'Aragon. Un subside de cinq cent mille ducats avait été voté par l'assemblée générale. Quelques mois auparavant, le pape Paul III avait publié la
bulle de convocation d'un concile général dans la ville de Trente en Tyrol[370]. Dans cette
bulle le saint père rappelait les démarches qu'il avait faites, les peines
qu'il s'était données afin d'amener la conclusion d'une paix générale et
définitive entre l'empereur et le roi de France ; il exprimait le regret de
n'y avoir pas réussi, sans imputer l'insuccès de ses efforts à l'un plutôt
qu'à l'autre de ces deux souverains. Au moment où Charles-Quint reçut la
bulle des mains du nonce résidant à sa cour, il venait d'apprendre que les
Français avaient commencé les hostilités aux Pays-Bas et dans le Roussillon.
Il s'affligea de voir le souverain pontife ne faire aucune différence entre
deux princes, dont l'un s'était tant employé pour la pacification et le bien
de la chrétienté, pour sa défense contre les Turcs, pour la célébration d'un
concile qui pût mettre fin aux dissensions religieuses de l'Allemagne, tandis
que l'autre avait agi en tout précisément dans le sens opposé. Il s'en
plaignit au pape lui-même, disant que son devoir de pontife exigeait une déclaration
nette contre le roi[371]. Paul III ayant
envoyé alors des légats aux deux princes belligérants pour les exhorter à
poser les armes, l'empereur ne reçut qu'avec difficulté le cardinal de Viseu
député vers lui, et le congédia presque immédiatement. Il écrivit de nouveau
au pape lui disant que toute tentative de paix était fort inutile auprès de
celui qui ne se povoit soûler de guerroyer et
continuellement conciter et nourrir trouble en la chrétienté, et qu'il
ne restait qu'à procéder en toute rigueur contre le violateur de la trêve de
Nice et l'allié des plus mortels ennemis de la chrétienté[372]. Cette lettre
fit, une grande impression à Rome, et même dans le sacré collège. Mais Paul
III résista à toutes les suggestions, et maintint scrupuleusement le système
de neutralité qu'il avait adopté entre les deux souverains, et que lui
prescrivait son caractère de père commun. Charles-Quint, mécontent du pape, prêta l'oreille aux ouvertures qui lui étaient faites en ce moment par le roi d'Angleterre. Depuis quelque temps déjà ses relations avec Henri VIII s'étaient améliorées ; il avait même été convenu entre l'évêque de Winchester et le seigneur de Granvelle que, dans le terme de six mois, il serait avisé aux moyens de former entre leurs maîtres une plus étroite alliance[373]. Le 26 mars 1542, un envoyé du roi d'Angleterre, l'évêque de Londres, était arrivé à Valladolid avec la mission de rappeler cette convention de Ratisbonne. L'ambassadeur impérial à Londres reçut l'ordre de pressentir le roi et ses ministres sur les conditions de l'alliance proposée ; ces conditions furent apportées à Monzon, le 23 juillet, par l'évêque de Westminster[374]. A la suite de cette communication, des négociations s'engagèrent à Londres et se terminèrent le 24 février 1543. Par le traité conclu ce jour-là, les deux monarques se promettaient réciproquement l'oubli des anciennes offenses et une amitié véritable ; ils s'engageaient à faire sommer François Ier de renoncer à l'alliance du Turc, de rendre la Bourgogne à l'empereur, de cesser immédiatement toute hostilité contre lui, et de payer sans délai au roi d'Angleterre les sommes dont il lui était redevable. Si le roi de France n'acceptait pas ces conditions dans l'espace de quarante jours, les deux contractants prenaient l'engagement d'entrer en France, chacun avec une armée de vingt mille hommes de pied et de cinq mille chevaux, et de ne point déposer les armes avant d'avoir recouvré, l'un la Bourgogne et les villes de la Somme, l'autre la Normandie et la Guyenne, ou même toute la France. A la demande de Henri VIII, ce traité resta secret pendant quelque temps[375]. L'empereur attachait une extrême importance à cette alliance avec l'Angleterre, dans un moment surtout où les affaires de l'Allemagne sollicitaient toutes ses préoccupations. Au mois de février 1542, la diète de Spire avait voté la levée de quarante mille hommes d'infanterie et de huit mille chevaux destinés à arrêter les progrès des Turcs répandus dans toute la Hongrie. Ces troupes commandées par le marquis Joachim de Brandebourg et auxquelles le roi des Romains avait joint les siennes, s'étaient dispersées à la fin de la campagne sans avoir réalisé aucune des espérances qu'on avait fondées sur elles. Une nouvelle diète était indiquée à Nuremberg pour le mois de janvier 1543, et de nouveaux secours contre les Turcs allaient être demandés à l'empire. Dans cette situation Ferdinand pressait vivement son frère de passer en Allemagne. La présence de l'empereur, disait-il, était seule capable de rétablir les affaires ; elle -tait surtout nécessaire pour inspirer quelque respect aux protestants, dont les prétentions croissaient chaque fois qu'on avait besoin d'eux. Désireux au suprême degré de remplir les obligations que lui imposait sa dignité de chef de l'empire, se croyant certain, d'autre part, que les efforts réunis des Français et du duc de Clèves allaient être dirigés contre les Pays-Bas, Charles-Quint se résolut à acquiescer aux instances du roi des Romains. Il était loin cependant de se dissimuler toute la gravité de cette résolution[376], dans les circonstances où l'on était. Le 25 décembre 1542, à Alcala, il déclara le mariage arrêté entre son fils et la princesse Marie, fille du roi Jean III de Portugal, ainsi que celui de l'infante doña Juanna, la plus jeune de ses deux filles, avec le prince don Juan, frère de la princesse de Portugal. Le 15 janvier, à Madrid, il fit signifier à tous les gentilshommes de sa maison qu'ils eussent à se trouver à Barcelone pour la fin de mars, complètement armés et équipés ; il manda en même temps à l'amiral Doria de s'y rendre à la même date avec ses galères. Le Ier mars 1543, après avoir confié le gouvernement de l'Espagne au prince Philippe, avec l'assistance du cardinal Tavera et du grand commandeur Covos, après avoir nommé le duc d'Albe capitaine général de ses royaumes de Castille et d'Aragon, sans négliger de donner des instructions précises à tous ses conseils, il quitta Madrid et arriva le 11 avril à Barcelone. Doria lui avait amené quarante-quatre galères, et il put s'embarquer le 1er mai. Il prit terre à Palamos d'abord, à Rosas ensuite, pour attendre le rassemblement de toute son armée navale. navale. C'est à Palamos, où il s'arrêta dix jours, qu'il dicta pour son fils des instructions, monuments, dit M. Gachard, de sagesse, de prévoyance, d'une expérience consommée dans l'art de gouverner, d'une connaissance profonde des hommes et des choses, qui seuls suffiraient pour placer Charles-Quint au premier rang des politiques de son siècle[377]. Le 17 mai, l'empereur appareilla avec toute sa flotte, composée de cent cinquante voiles, dont cinquante-sept galères, portant huit mille hommes de vieille infanterie espagnole et sept cents chevaux. Il aborda à Gènes le 25, et parvint, le .15 juin, à Crémone. Paul III désirait beaucoup s'aboucher avec lui ; il s'était dans cette vue avancé jusqu'à Bologne, accompagné de tout le sacré collège. Dès qu'il eut connaissance de son débarquement à Gènes, il lui dépêcha le cardinal Farnèse. Charles-Quint convint avec ce prince de l'Église qu'une entrevue aurait lieu entre les deux majestés à Busseto, petite ville de l'état de Parme, entre Crémone et Plaisance. Le 25 juin, il partit pour Busseto, où le pape l'avait précédé, et fut reçu par quatorze cardinaux venus à sa rencontre. L'empereur eut avec le Saint-Père de longues conférences le jour de son arrivée et les deux jours suivants. Un ton amical régna constamment entre les deux augustes interlocuteurs, et ils se séparèrent, sinon entièrement satisfaits l'un de l'autre, du moins en Me témoignant un bon vouloir réciproque. L'empereur avait pris à tâche de convaincre le souverain pontife que son désir était de vivre avec lui en la meilleure intelligence, de protéger sa maison, de correspondre à tout ce qui intéressait son autorité et celle du Saint-Siège ainsi que le bien public de la chrétienté, enfin de lui montrer une confiance sans réserve[378]. Le 25 juin, Charles-Quint avait fait ses adieux au pape ; le 29, il était à Peschiera, le 3 juillet, à Trente, le 9, à Insprück, le 23, à Stuttgart, et le 25, il arrivait à Spire. On l'avait cru mort à son retour d'Alger, et beaucoup de gens accoururent dans la ville impériale pour s'assurer du contraire. Les protestants se refusaient à contribuer avec les catholiques dans les dépenses de la guerre contre les Turcs. L'empereur adjura leurs ambassadeurs de considérer la situation de l'Allemagne et d'engager les princes qui les avaient envoyés à ne pas persister dans leur refus de secours contre les ennemis communs de la chrétienté. Quant à lui, ajouta-t-il, il se voyait forcé de marcher avec toutes ses forces contre les alliés des Turcs, le roi de France et le duc de Clèves, unis pour attaquer ses états. L'archevêque de Cologne et le comte palatin ayant voulu lui parler en faveur du duc, Charles leur déclara qu'il n'entrerait en aucun arrangement avec celui-ci, aussi longtemps qu'il n'aurait pas renoncé à ses prétentions sur le duché de Gueldre et le comté de Zutphen. Pendant que nous suivions l'empereur dans ses actes et ses pérégrinations, des faits graves s'étaient produits dans nos provinces du nord, et nous astreignent, pour ne pas rompre le fil souvent compliqué de ce récit, à revenir quelque peu sur les derniers mois de l'année précédente et les premiers de cette année. Marie de Hongrie attendait avec impatience l'heure des
représailles, et ne négligeait rien pour la préparer. Exaspérée par les
brigandages de Van Rossem, elle se laissa aller à un acte de vengeance, de
très peu d'importance en lui-même, mais que nous rapportons comme un trait
des mœurs du temps, et à cause d'un détail qui fait le plus grand honneur à
un membre de la haute noblesse de nos provinces. Le maréchal de Gueldre avait
une nièce, qui était chanoinesse de Sainte-Waudru à Mons. La régente ordonna
au duc d'Arschot de la chasser et de la renvoyer dans son pays. Le duc,
honteux d'une telle mission, essaya de détourner Marie de Hongrie d'une telle
résolution, et lui écrivit à ce sujet une lettre qui mérite de prendre place
dans cette histoire. Madame, lui disait-il, j'avois hier matin reçu lettres de Votre Majesté contenant
que, pour les hostilités que Martin Van Rossem a fait à Sa Majesté, je fisse
partir sa niepce, demoiselle à Mons, et la fisse retirer vers son pays.
Madame, sous votre bon plaisir, il sembleroit que la vindication seroit petite
de s'en prendre à cette demoiselle, laquelle, dès son jeune âge, a esté
nourrie ici en ceste église comme sont toutes autres semblables demoiselles,
et ne crois pas que le semblable se soit vu ; car encore en la ville de
Maubeuge y en a de France, dont par les guerres ne sont esté privées de
demeure. Et si entendez que ladite demoiselle est très honneste fille et de
bonne condition, et pourroit sembler que, pour les causes ci-dessus, n'y
auroit propos. A quoy Votre Majesté prendra, s'il lui plaist, regard et
commandera au reste selon son bon plaisir. Je ne suis amy de Rossem, ains ay
cause de le hayr et le souhaite mon prisonnier ; mais, Madame, en toute chose
faut avoir regard à la raison[379]. La régente ne
tint nul compte de ces représentations si dignes et présentées avec tant de
retenue et de convenance ; elle exigea impérieusement le renvoi de la pauvre
et innocente demoiselle[380]. Comme toujours il fallait de l'argent, beaucoup d'argent. Les généraux, le comte du Rœulx surtout, avaient insisté pour que les bandes d'ordonnances ne fussent pas autorisées à rentrer dans leurs foyers, car on avait eu beaucoup de peine à les réunir, et la plupart s'étaient trouvées en fort mauvais état. La reine, qui avait songé d'abord à les licencier, se rendit à leurs observations et eut ainsi à pourvoir à l'entretien de ces troupes. L'empereur avait obtenu de Paul III une bulle qui l'autorisait à lever un subside de la moitié du revenu des dignités ecclésiastiques, bénéfices ou offices, supérieur à vingt-trois ducats de trente-deux sols, et de deux décimes sur les cures et bénéfices, d'un revenu de vingt-quatre ducats au moins. Ce subside était payable en deux termes : à la Noël 1542 et à la Noël 1543, mais la régente ayant besoin de deniers comptants pour la solde des gens de guerre, pria les évêques de Cambrai et de Liège d'engager leur clergé à acquitter cette contribution en quatre termes : le premier immédiatement ; le second à la Noël 1542 ; le troisième à la Saint-Jean ; le quatrième à la Noël 1543. La demande de la reine, bien accueillie par les évêques, rencontra de vives résistances dans le reste du clergé[381]. Le 10 décembre, Marie de Hongrie, qui venait d'obtenir cent cinquante carolus du Brabant, invita toutes les provinces à lui envoyer des députés. L'assemblée générale se tint à Gand, où la reine s'était rendue pour surveiller les mouvements qui agitaient de nouveau la Flandre. A Audenarde, la commune s'étoit trouvée en armes, et George d'Esplechin, chargé de faire une enquête à ce sujet, y eut à peine apaisé les esprits qu'il dût se rendre, avec le comte de Lalaing, à Courtrai, à Ypres et dans d'autres châtellenies également troublées[382] (décembre 1542). Un rapport de la régente fit connaître aux états la situation résultant des derniers évènements. Les dépenses nécessitées par ces évènements s'élevaient, d'après ce rapport, à plus de quinze cent mille livres de quarante gros. Les aides et les revenus du domaine étant épuisés, il fallait créer de nouvelles ressources. De l'avis des chevaliers de l'ordre et des principaux capitaines, la solde des garnisons exigerait au moins trois cent mille livres pour les mois de décembre, janvier et février ; à la reprise des hostilités, l'armée coûterait mensuellement plus de trois cent mille livres. Pour subvenir à cette dépense, la reine proposait d'établir un impôt d'un pour cent sur toutes les marchandises exportées par terre, par mer ou par eaux douces vers quelque pays que ce fût ; et de lever le dixième du revenu de tous les biens immeubles, ainsi que du revenu des marchands ayant pour le moins en marchandises et en denrées une valeur de mille florins. La reine reconnaissait que c'était là une demande étrange et nouvelle, mais, disait-elle, l'extrême nécessité la justifie. Louis Van Schore, chargé de soutenir la proposition, fit valoir deux considérations. D'abord il est besoin aujourd'hui de prouver votre constante affection pour Sa Majesté impériale, votre prince naturel et souverain seigneur, de montrer que pour chose du monde vous ne voudriez être soustraits à son obéissance, que vous choisiriez d'endurer tous les maux du monde plutôt que de tomber sous la domination de François ; secondement, ce que Sa Majesté vous demande n'est ni pour l'empereur, ni pour elle, mais pour vous, afin de vous garder et de vous défendre, de vous maintenir en vos droits, libertés et franchises, sous l'obéissance de Sa Majesté impériale, qui vous a toujours été si bon et benin prince. De ce la reine n'a nul doute, et vous devez ne rien épargner pour être bien défendus ; car il vaut mieux mettre le tout pour le tout, vert et sec, et donner votre bien à ceux qui vous défendront que de le laisser prendre par les ennemis, qui facilement feroient trouver davantage qu'on ne vous demande[383]. La proposition parut exorbitante ; elle causa une grande rumeur dans les provinces, et il fallut fatiguer les états par de nombreuses réunions pour en obtenir un consentement plus ou moins volontaire[384]. La Hollande s'opposa même de la manière la plus formelle à l'établissement de l'impôt sur les marchandises. Marie de Hongrie, sans tenir compte de cette opposition, ordonna l'exécution de l'édit de recouvrement, et l'acte de consentement fut dressé malgré le refus de plusieurs villes[385]. Un autre édit imposa un droit de six pour cent sur toutes les marchandises et denrées exportées avec sauf- conduit en France, en Danemark, en Norvège, dans les pays de Gueldre, Berg, Clèves, Juliers et Holstein, ou importées de ces lieux de provenance dans les Pays-Bas[386]. La régente ne borna pas là ces mesures de rigueur. Le 29 juin, elle avait prohibé tout commerce d'exportation avec la France[387], et, le 12 juillet, prononcé la confiscation de tous meubles, marchandises, dettes et autres biens appartenans à des François[388]. Une ordonnance du 3 septembre défendit de conserver des relations d'aucun genre avec la France, sous peine de confiscation, d'amende et de correction arbitraire[389]. En revanche, le commerce avec l'Angleterre, interdit depuis 1540, avait été dégagé de toute entrave[390]. A l'intérieur, Marie de Hongrie n'avait rien négligé pour mettre le pays à même de se défendre contre une nouvelle invasion. Considérant que les nobles qu'elle avait appelés aux armes, tout en montrant une très bonne volonté de servir l'empereur et de défendre leurs maisons, leurs femmes et leurs enfants, ne s'étaient point trouvés prêts assez tôt, et que leurs services étaient très onéreux pour eux et pour l'état, elle résolut de substituer à ces milices féodales quatre mille chevaux ménagers[391]. Ce corps fut réparti en trente compagnies de cent, cent cinquante, deux cents combattants, formées d'hommes d'armes, de chevau-légers et d'arquebusiers cheval, lesquelles furent placées sous le commandement des principaux seigneurs et des plus braves capitaines[392]. Des ordres réitérés enjoignirent aux habitants des campagnes de battre leurs grains et de les transporter dans les villes ou dans les forts ; aux gouverneurs et aux officiers de réparer ou d'augmenter les fortifications des places les plus exposées. C'est alors que fut décidée la construction de Marienbourg et qu'eut lieu la première acquisition de terrain pour l'érection de cette forteresse. Les villes du Brabant, instruites par les dangers qu'elles avaient courus, songèrent à se couvrir avec plus de soin qu'auparavant. Anvers résolut d'exécuter sa nouvelle enceinte projetée depuis 1540[393]. Un mandement de l'empereur ordonna aux campagnards demeurant dans un rayon de deux lieues de Louvain d'aller travailler aux remparts de cette ville[394]. Bruxelles, que sa situation au centre de la Belgique avait semblé jusqu'alors mettre à l'abri de toute surprise, dit M. Henne, arma ses murailles de gros canons et établit de nouveaux moyens de défense. Toutes les sections de la ville, les couvents même durent fournir des travailleurs ; les chevaux et les chariots des abbayes et des villages de la banlieue furent mis en réquisition ; le magistrat taxa arbitrairement les habitants qui n'avaient pas contribué aux frais de ces travaux par des dons volontaires, et. créa pour mille florins de rentes viagères[395]. Malgré toutes les précautions, toute la prévoyance de la régente, Martin Van Rossem était parvenu, avant la fin du mois de janvier 1543, à gagner le pays de Juliers avec une partie de ses vieilles bandes. Il y fut rejoint par Meynaert Van Ham, et se vit en peu de temps à la tête de dix-huit mille hommes de pied et de deux mille chevaux[396]. Avec ces forces et pendant que l'hiver retenait les Impériaux dans leurs garnisons, il mit le siège devant Heerlen, près de Maëstricht. Il échoua dans cette entreprise, mais il parvint à débloquer Ravenstein, cerné par l'ennemi depuis la fin de la campagne précédente[397]. On redoutait une nouvelle invasion du Brabant, et la régente dirigea en toute hale sur Bois-le-Duc les bandes d'ordonnances des sires d'Yves et de Lalaing. Malines augmenta ses fortifications[398], Louvain pressa l'achèvement des siennes, sans trop s'effrayer pourtant et en déclarant à Marie de Hongrie qu'il lui suffisait de deux enseignes pour garantir la sûreté de la ville. Une circonstance déplorable ajoutait à l'inquiétude causée par ces rumeurs. Les troupes qui avaient évacué Duren, traversant le pays de Liège, étaient venues s'établir entre Tirlemont et Louvain, et y mengeoient les povres laboureurs. L'énergique mayeur de cette dernière ville notifia aux chefs de ces maraudeurs, que ce n'estoit point la coutume de venir menger le bon homme entre les villes du Brabant, et qu'il alloit faire sonner les cloches dedans Louvain et tout à. l'entour pour en faire justice comme on trouveroit de raison. Joignant l'action aux paroles, il les poursuivit à outrance de concert avec le prévôt Thierri de Herlaer et les autres officiers du quartier avec un tel succès qu'il en purgea le pays[399]. Au mois de février 1543, des bandes sorties du pays de Clèves désolèrent les environs de Fauquemont. Quoique battues par la garnison de cette ville, elles revinrent, peu de jours après, rançonner les villages voisins ; mais par les habitans d'iceux villages, elles furent si vaillamment reboutées que par force elles furent contraintes de déguerpir[400]. Marie de Hongrie avait appelé le duc d'Arschot au commandement général de l'armée. Mais le duc avait été retenu par les réclamations de sa province de Hainaut menacée d'une invasion française. Les habitants du comté se plaignaient qu'on en eût retiré beaucoup de troupes pour les diriger vers le Brabant, et qu'on les laissât sans défense devant l'ennemi. La reine persista néanmoins dans sa résolution, et pour suppléer aux forces envoyées à l'armée de Juliers, elle ordonna de nouvelles levées dans le Hainaut et le comté de Namur. Le duc alors, remettant la défense de cette partie des frontières au comte du Rœulx, qui n'était pas moins menacé dans l'Artois, partit pour Maëstricht, où devait se réunir l'armée qu'il avait à commander. Mais le mauvais temps avait rendu cette réunion très difficile, et toute entreprise militaire était impossible pour le moment[401]. En attendant il étudia un plan de campagne avec ses capitaines. Il fut résolu de commencer par une attaque sur Sittard, où il n'y avait qu'une assez faible garnison, dont la solde était arriérée de trois mois et le mécontentement extrême[402]. Le succès devait entraîner la prise de Montfort et de Ruremonde placées dans de plus mauvaises conditions encore. La dernière de ces villes surtout mal peuplée, de grosse garde, bien approchable, mal remparée avec des fossés secs et sans fond de rivière, était d'autant plus incapable de résister que les bourgeois mécontens des piétons, avoient refusé de les recevoir et n'avoient pour garnison que des gens de cheval[403]. Le duc d'Arschot, dans la campagne qu'il allait entreprendre, ne comptait pas seulement sur la valeur de ses troupes. Quinze enseignes fournies par le duc de Saxe à son cousin de Clèves semblaient disposées à se laisser acheter, et d'Arschot était entré en marché avec elles. C'est, disait-il, une petite bataille gagnée à celui qui peut oster à son ennemi la force de ses gens. Mais Marie de Hongrie, manquant d'argent pour payer ses propres troupes, ne put fournir la somme exigée par les lansquenets, et l'affaire échoua[404]. Tandis que le mauvais temps, aussi bien que la pénurie d'argent et de vivres, condamnaient les Impériaux à l'inaction, Guillaume de Clèves, soutenu par l'attachement que portaient ses populations à leur sol et à leur prince, faisait ses préparatifs de campagne. Le mois de mars était à peine à moitié, quand il fit sonner la cloche par ses pays et publier que tous sujets en état de porter les armes se trouvassent aux champs avec quatre ou cinq jours de vivres[405]. Bientôt il eut quinze cents chevaux à Ruremonde, cinq cents à Juliers et à Duren, cinq cents dans les environs de ces villes, et deux mille cinq cents à Harderwyk, tous gendarmes des meilleurs d'Allemagne. De son côté Van Rossem rassemblait ses contingents et les garnisons de la Gueldre, pendant qu'à Glabbach se concentraient des forces destinées à bloquer Heinsberg. En présence de ces apprêts menaçants, d'Arschot comprit qu'il ne pouvait rester plus longtemps dans l'inaction. La reine elle-même avait reçu du sire de Sassegnies, commandant de Heinsberg, des lettres pressantes où il lui disait que si la place n'était bientôt ravitaillée, il serait forcé de capituler. Marie de Hongrie envoya alors au duc toute la cavalerie dont elle pouvait disposer, car c'était la partie faible de l'armée, et il fut enjoint au comte d'Over-Embden de tirer cinq mille hommes des garnisons d'Outre-Meuse pour renforcer les troupes actives. Le prince d'Orange, en vue d'opérer une diversion, jeta un pont sur la Meuse et envoya sept à huit cents chevaux donner une forte alarme à l'ennemi[406]. Ce mouvement jeta du trouble dans les opérations de ce dernier, et favorisa la marche en avant du duc d'Arschot. Celui-ci quitta Maëstricht le 20 mars, plein de confiance dans le succès de son expédition[407] ; son départ, disait un témoin oculaire[408], fut triomphant et en bel ordre. D'Hoogstraeten, de Praet, le bailli d'Avesnes, Baudouin de Blois, Louis d'Yves et d'autres gentilshommes étaient accourus pour partager avec d'Arschot les dangers et l'honneur de l'entreprise, entreprise périlleuse en effet. Un convoi de quinze cents chariots s'avançant par des chemins défoncés, où, à chaque pas, s'embourbaient véhicules et canons, embarrassait la marche au milieu d'un pays couvert d'ennemis décidés, si l'on en croyait la renommée, à empêcher à tout prix l'arrivée de ce secours. D'un autre côté, la contrée n'offrait plus aucune ressource, et l'armée eut à peine atteint Heerlen qu'elle fut en proie à la disette ; quand on voulut lui envoyer des vivres, il ne se trouva plus de chariots pour les transporter. Néanmoins, et quoiqu'elle eût un mauvais passage à franchir[409], elle quitta Heerlen le 21, et arriva le lendemain à deux heures du matin en vue de Heinsberg, n'ayant perdu qu'un seul homme, un noble du pays de Fauquemont qui s'était trop témérairement avancé. L'ennemi n'avait pas exécuté ses menaces : les troupes chargées du blocus s'étaient retirées à l'approche des Impériaux. Ces derniers toutefois ne se laissèrent pas aveugler par un excès de confiance : ils passèrent le reste de la nuit rangés en bataille, malgré la neige qui tombait à gros flocons et un froid si vif que plusieurs soldats en moururent. Les gens d'armes surtout, qui restèrent vingt-sept heures à cheval, eurent beaucoup à souffrir[410]. L'introduction du convoi dans Heinsberg dura jusqu'au lendemain à midi, et la place reçut, en outre, quatre gros canons pris, l'année précédente, à Juliers[411]. Son but atteint, d'Arschot croyait pouvoir attendre le retour du beau temps dans le pays ennemi, et il s'était arrêté dans cette vue à une lieue de Heinsberg, quand son camp à peine tracé fut attaqué par trois cents cavaliers du duc de Clèves. Quoique cette attaque eût été promptement dissipée par les gens d'armes de Louis d'Yves, il comprit le peu de sûreté d'un pareil campement, et reprenant le projet adopté dans les premiers conseils de guerre, il marcha sur Sittard. Bien que harcelés par la cavalerie ennemie, les Impériaux arrivèrent le 23 devant cette ville, où leur avant-garde refoula un petit corps de gendarmerie sorti pour les reconnaître[412]. La garnison avait été considérablement renforcée dans la prévision d'un siège ; elle comptait environ trois mille combattants d'excellentes troupes décidés à tenir jusqu'au dernier homme, et Guillaume de Clèves, établi à Glabach avec des forces importantes, lui avait promis que, pour faire lever le siège, il mettroit sa personne en hasard pour ses pays et armée[413]. Au premier bruit de la marche des Impériaux, Meynaert Van Ham avait reçu un nouveau renfort de huit enseignes d'infanterie, et tout avait été brûlé dans un rayon d'un quart de lieue afin d'empêcher l'ennemi de s'y loger. D'Arschot s'étant approché des remparts pour faire une reconnaissance, ceux-ci se garnirent en un instant de nombreux défenseurs, et une troupe d'entre eux osa même assaillir son escorte. Mal lui en prit toutefois ; elle fut repoussée, l'épée dans les reins, jusqu'aux barrières. Cet échec ne déconcerta point les assiégés, et l'incendie des faubourgs confirma leur détermination de se défendre jusqu'à la dernière extrémité[414]. Le duc aurait voulu investir la place sur le champ, mais il fut obligé de s'arrêter dans un village éloigné d'une demi-lieue, parce que ses piétons refusaient d'avancer et de camper en pleins champs. Si avancée que fût la saison, il gelait très fort et la terre était recouverte d'une énorme quantité de neige. Le 24, d'Arschot fit une nouvelle reconnaissance avec ses capitaines. La rareté des vivres et des fourrages, l'âpreté du temps ne permettaient pas d'entreprendre un siège régulier ; on n'avait d'autre ressource qu'une brusque attaque. Au moment où il venait de tourner la ville, un engagement se produisit entre les troupes de son escorte et une partie de la garnison renforcée de quelques gens d'armes venus de Ruremonde et des places voisines. L'escarmouche fut très vive ; les Impériaux, menacés d'être coupés, se retirèrent en bon ordre sur leur camp. Un engagement plus sérieux était imminent. Presque aussitôt les Impériaux virent se déployer les forces ennemies sur une colline à l'opposite de leur camp. Il y avait environ trois mille chevaux, dix-huit à vingt enseignes d'infanterie, et quatre ou cinq canons, qui ouvrirent immédiatement leur feu, mais sans causer aucun dommage. La bataille était offerte, elle fut acceptée par le duc d'Arschot sans hésitation. Il fit avancer son artillerie ; les ennemis firent un mouvement de leur côté, et les deux armées se rencontrèrent dans une plaine peu éloignée de Sittard, ayant chacune leurs fantassins à la gauche de la cavalerie. Par une coïncidence regrettable les Impériaux venaient d'envoyer leur cavalerie légère à la recherche de fourrages frais, dont les chevaux, épuisés de fatigue, avaient le plus grand besoin, et ils ne purent mettre en ligne que seize à dix-sept cents gens d'armes. Meynaert Van Ham s'aperçut de la chose, et, profitant d'un pli de terrain qui dérobait ce mouvement à l'ennemi, il fit passer tous ses cavaliers à la gauche de son infanterie. Puis les formant en deux divisions, dont l'une attaquait de face, tandis que l'autre s'efforçait de déborder l'ennemi, il chargea avec impétuosité. Heureusement d'Arschot s'était aperçu de la manœuvre, et il la déjoua en élargissant le front et en rétrécissant les derniers rangs de sa gendarmerie. Le choc fut terrible, et pendant un quart d'heure l'avantage demeura indécis. Enfin la première division des gens de Clèves fut rompue, et se réfugia sous le canon de Sittard, jonchant le sol de cadavres d'hommes et de chevaux. La secondé division, après avoir essuyé quelques coups de canon, voyant fuir la première, se débanda de même et s'éloigna à bride abattue. Une réserve d'infanterie qui voulut arrêter l'élan de la gendarmerie des Pays-Bas fut dispersée et rejetée dans les marais voisins, perdant toute son artillerie, avec un grand nombre d'hommes tués et quelques-uns faits prisonniers[415]. Les fuyards, coupés de Sittard, coururent se réfugier dans Ruremonde, poursuivis à outrance par les vainqueurs. Mais pendant qu'une partie de l'armée impériale remportait ainsi une victoire éclatante, l'infanterie essuyait une défaite complète. Cette infanterie, un peu plus nombreuse que celle de Clèves, comptait vingt-quatre enseignes, dont deux de Namurois et dix de Hauts-Allemands, les plus belles qu'on eût vu partir d'Allemagne et tous soldats exercés ; mais le reste était composé de recrues hollandaises, mal équipées et mal armées. L'ennemi au contraire avait toutes vieilles bandes en excellent ordre et parfaitement armées depuis le premier jusqu'au dernier rang. Après une courte fusillade, les Impériaux marchaient, pique baissée, à l'attaque, quand tout à coup, trahison ou panique, dit M. Henne, les lansquenets[416] et les Bas-Allemands se débandèrent, s'emparèrent des chevaux de l'artillerie et des chariots pour s'échapper plus vite, et coururent jusqu'à Maëstricht sans qu'il fût possible de les arrêter ni de les rallier[417]. La cavalerie légère qui revenait du fourrage fut entraînée dans la déroute, malgré les efforts du comte d'Hoogstraeten, et courut répandre dans cette ville le bruit de la défaite de l'armée. Tout était fini lorsque d'Arschot, entraîné au loin par une imprudente ardeur, revint sur le théâtre du combat. Fondant aussi sur les gens de Clèves déjà maîtres de son artillerie, il l'eut bientôt reprise ; mais tous les chevaux avaient été tués ou enlevés, par les fuyards ; et, après une heure d'inutiles tentatives pour emmener ses canons, menacé par toute l'infanterie ennemie, renforcée de trois à quatre cents chevaux, il dut enfin ordonner la retraite. Ses gens d'armes se retirèrent en bon ordre, désespérés de se voir ravir la victoire par la faute de méchans piétons. En effet si l'infanterie avoit tenu quelque peu de temps, le duc avec sa troupe venant donner sur le derrière de l'ennemi, il s'en fût peu sauvé[418]. La honte de la défaite retombait tout entière sur les lansquenets et sur les Hollandais, nouvelles levées qui ne méritaient guère confiance, dit Marie de Hongrie, et qui avaient donné en cette circonstance meilleure occasion à l'empereur de suivre l'avis du roi des Romains et de monseigneur de Granvelle, d'avoir bonne et grosse force avec les Hollandais, car loyauté ou hardiesse n'estait si grande qu'elle soloit en eux. Les ordonnances et les piétons namurois, les seuls qui tinrent, s'étaient admirablement conduits[419]. Les pertes en hommes ne furent point considérables. La déroute de l'infanterie avait été si prompte et la fuite si rapide, qu'elle eut fort peu de morts ; les gens d'armes n'en perdirent que vingt-sept, la plupart varlets, tués, quatre-vingt prisonniers et soixante-dix chevaux. Mais toute l'artillerie, tous les bagages étaient tombés aux mains de l'ennemi. En revanche, celui-ci avait perdu énormément de monde. Si l'on en croit des rapports, qui semblent un peu exagérés, le commandant et les principaux chefs de sa gendarmerie avaient péri, et quinze cents chevaux étaient restés sur le carreau. On amena à Ruremonde vingt-cinq chariots de blessés ; soixante-dix autres chargés de morts et d'autres blessés furent dirigés sur Juliers ; on transporta dans divers quartiers les personnages de qualité qui avaient été atteints dans la bataille[420]. Van Rossem n'assistait point au combat, non plus que Guillaume de Clèves. Ce dernier, qui ne brillait point par la valeur[421], était à moins de deux lieues du champ de bataille, abrité dans un couvent à cause du froid. Cette dernière circonstance faisait dire malicieusement à Marie de Hongrie : En été il s'y trouvera ; mais je tiens que s'il y eust été, le froid ne l'eust empesché, car il y avoit matière assez pour se bien eschauffer. D'Arschot au contraire s'étoit conduit hardiment et suivant conseil, ainsi que tous les bons personnages estant à l'armée. On ne pouvait leur reprocher que d'avoir mis trop d'ardeur à poursuivre l'ennemi. Arrivé à Fauquemont, le duc écrivit le même soir à la
régente : Madame, les Clévois nous sont venus offrir
la bataille et se sont dressés les gens de chevaux vers les nôtres bravement
; toutefois voyant que nous les approchions et venions droit à eux, firent
arrêt, et lors donnâmes dedans autant furieusement et en gens de bien qu'il
est possible et peut-on souhaiter. Ils furent chassés et repoussés une
demi-lieue et dissipés tous, réservés trois cents chevaux et moins, oultre —
au-delà — un marais tirant à Ruremonde. Et comme
nous retornions en victoire, trouvâmes l'artillerie et son équipage toute
seule, et avoient prins les lansquenets hauts et bas la fuite. Nous en tînmes
le camp longtemps pensant qu'ils se rallieraient, mais jamais n'en fut
nouvelles. Qui les eût pu recouvrer, eût certainement recouvré leur honneur,
et nous fût l'artillerie demeurée. Madame, l'empereur a une gendarmerie aussi
vaillante, seigneurs et hommes, que j'en ai jamais vu ni ouï parler. Ils sont
bien esprouvés, et ont honneur de ce qui leur a pu toucher, comme assez en
sera Votre Majesté advertie. Ici ai eu et ai du regret très grand, mais l'on
ne m'en sauroit charger ni les seigneurs estans avec moi. Votre Majesté a
perdu l'artillerie et tout son équipage, mais point dix hommes d'armes et archers,
et de piétons peu : plût à Dieu qu'ils y fussent tous demeurés, la perte n'en
seroit pas grande ! Je vous prie, madame, n'en prendre regret, car c'est
métal qui se recouvre. Bien est vrai que cela vient mal à propos. La faute ne
peut être attribuée aux bandes, car elles ont eu la victoire de leurs ennemis
; si les autres eussent eu le cœur autant vertueux, ils en eussent plus
honorablement usé. Je sais bien que l'on désignifiera ceci d'autre sorte
qu'il n'est, niais j'en veux répondre pour ma vie à la garde de mon honneur
et de ceux estans mes gens, amis et autres gens de cheval de la troupe[422]. Mon cousin, lui répondit
Marie de Hongrie, j'ai reçu votre lettre et par
icelle appris l'issue de la bataille. Je rends grâces à Dieu qui vous a
préservé avec les gens de bien, et m'a esté grande consolation d'entendre que
notre gendarmerie s'est si bravement conduite. Je mettrai ce matin la matière
en conseil et vous manderai ma résolution. Si n'y a meilleure opinion que la
mienne, nous ne laisserons la chose ainsi. Par quoi, pour y pouvoir mieux
statuer, je vous prie de m'envoyer le plustôt possible M. d'Yves ou le bailli
d'Avesnes, bien instruit de tout ce qui s'est passé ; s'il y avoit quelqu'un
qui ait esté avec les piétons, pour me rendre compte de leur conduite, seroit
autant mieux. Regardez cependant de remettre vos gens ensemble, et me
advertissez le plustôt que pourrez de ce que en avez. S'il est possible,
informez-vous de la mauvaise conduite de nos piétons : est-ce à faute
d'ordre, de cœur, ou s'il y a eu trahison, intelligence avec nos ennemis. Le
maître de l'artillerie est-il échappé ? Répondez-moi en toute diligence[423]. Le rapport verbal du bailli d'Avesnes fut l'objet d'un sévère examen de la part du conseil d'état, et la régente, suffisamment éclairée, fut d'avis qu'il étoit convenable de se remettre aux champs. Il faut, disait-elle, poursuivre la fortune pour recouvrer réputation, pour donner à entendre à tout le monde que les ennemis n'ont rien gagné, mais plutôt ont perdu la bataille, pour garder l'honneur de tous ceux qui si vertueusement ont rebouté la gendarmerie des Clévois. Se tenir sur la défensive, c'est rendre l'audace à l'ennemi qui reçoit chaque jour de nouveaux renforts, et qui assaillera nos positions les moins fortifiées. Il se prévaudra de la prise de notre artillerie, pour publier partout qu'il nous a entièrement défaits ; il ajoutera d'autres bourdes, en ayant soin de cacher l'énormité de ses pertes, et lorsque l'empereur arrivera en Germanie, sa réputation pourra souffrir de ces vanteries[424]. Mais avant de reprendre l'offensive, il fallait constater l'état de l'armée, combler ses vides, organiser un nouveau parc d'artillerie et se pourvoir de munitions. Le duc d'Arschot se rendit à Maëstricht et y passa l'inspection des Hauts et des Bas Allemands. Il cassa tous ceux qui avaient perdu leurs armes, et en garda seulement quatre à cinq mille des meilleurs, qu'il envoya dans les pays de Daelhem et de Fauquemont. N'ayant plus d'artillerie, il ne conserva que quelques canonniers, congédia les pionniers et renvoya les chevaux du train. Il pria la reine de publier un mandement ordonnant de poursuivre dans toutes les provinces les soldats déserteurs, de les arrêter et de les exécuter sur le champ. Bientôt pourtant informé des armements considérables de Guillaume de Clèves, il se montra plus accommodant, rengagea la plupart des lansquenets cassés, et demanda à la régente de lui envoyer en toute hâte des armes pour les mettre en état de reprendre la campagne ; il la pressa en même temps d'en lever d'autres, en ayant soin de les bien choisir et surtout de les bien armer, car l'évènement, disait-il, a montré le danger qu'on court avec des soldats mal armés[425]. La situation devenait critique. Guillaume de Clèves s'était renforcé de deux mille reîtres et de cinq à six mille lansquenets. On s'attendait à le voir utiliser l'artillerie prise à Sittard dans quelque importante expédition, et l'on craignait pour Heinsberg. Dans cette prévision, deux enseignes de piétons, traversant une contrée semée d'ennemis, coururent se jeter dans la place menacée. Le comte d'Hoogstraeten ordonna au seigneur de Sassegnies de brûler la petite ville de Susteren, pour empêcher ceux de Clèves de s'y établir. Mais quand le vaillant commandant voulut exécuter cet ordre, il trouva la position occupée par l'ennemi, et, le 26 mars, à six heures du soir, il fut sommé de rendre Heinsberg par un trompette de Guillaume de Clèves[426]. Toutefois avant que la place fût investie, d'Hoogstraeten parvint à y introduire encore un de ses meilleurs capitaines avec quelques piétons. On craignait aussi pour la Hollande. Heureusement Guillaume de Clèves n'avait ni énergie ni grande activité. Privé de l'élite de sa gendarmerie, il n'osa point s'aventurer hors de son pays, et bientôt même il renonça au siège de Heinsberg. Cependant la pénurie du trésor était extrême dans nos provinces ; une agitation sourde régnait sur plusieurs points et se manifestait de temps à autre par des excès[427] ; l'ennemi continuait à entretenir des intelligences au nord et au midi, sur les frontières de l'Artois et de la Flandre comme sur celles de la Gueldre et du pays de Juliers. Une situation aussi déplorable jeta de l'inquiétude dans l'esprit de Marie de Hongrie. Revenant sur ses premières dispositions, elle ordonna à ses généraux de se tenir sur la défensive et de ne point exposer les forces qu'elles voulait garder intactes jusqu'à l'arrivée prochaine de l'empereur. Obéissant à ses instructions, le comte d'Hoogstraeten occupa Maëstricht avec sa bande d'ordonnances et une autre compagnie de cent cinquante chevaux ; il établit à Fauquemont celle du comte d'Over-Embden, forte de deux cents chevaux, et mit à Maesyck, malgré l'opposition des Liégeois, une autre bande de cent cinquante chevaux ; huit enseignes de Bas Allemands couvrirent les frontières du pays d'Outre-Meuse. Le prince d'Orange se tint à Bois-le-Duc avec ses vieilles ordonnances ; d'autres compagnies, avec sept enseignes de piétons, furent distribuées sur les confins de ce quartier, et deux cornettes de chevaucheurs, commandés par le seigneur de Breedene avec six enseignes de piétons, furent échelonnées aux confins du pays d'Utrecht et de la Hollande. Le duc d'Arschot, renvoyé dans le Hainaut avec sa vieille bande et celles du comte de Lalaing, des seigneurs de Ligne, de Rogendorff, d'Aimeries, du bailli d'Avesnes, de Jean d'Yves, y joignit les compagnies de Chimai, de Bermerain, de Glajon et de Wyngene. La défense de la Flandre et de l'Artois resta confiée au comte du Rœulx, qui avait aussi sa vieille bande et les bandes d'Egmont, d'Épinoy, de Bugnicourt, de Wismaert, de Deyne, de Daix, de Marle présentant un ensemble de quinze cents chevaux, et deux enseignes de Hauts Allemands. Une réserve, formée des bandes de Praet, de Molembais, de Beersel, de Hallewyn, fut placée à Diest et à Tirlemont, pour se porter, selon l'occurrence, vers Bois-le-Duc, Maëstricht, Namur ou le Hainaut. Guillaume de Clèves n'était pas non plus sans inquiétudes. Sa gendarmerie se remontait avec difficulté ; le prince d'Orange avait barré le passage à un corps de reîtres et de lansquenets qui lui venaient de la Westphalie ; Martin Van Rosselli qui les attendait sur les frontières de l'Over-Yssel avec quatre cents chevaux, et une nombreuse infanterie n'avait rien osé tenter contre les Impériaux et s'était résigné à la retraite[428]. Soit crainte de l'issue de la lutte, soit désir de gagner du temps, Guillaume demanda une conférence à l'évêque de Liège, Corneille de Berghes. On était au mois de mai. Le prélat accepta, et proposa Maesyck pour le lieu de l'entrevue. Les députés du duc jugèrent que leur maître n'y serait pas en sûreté, et les deux princes convinrent de se rencontrer à Hornes ou dans un autre endroit entre cette ville et Ruremonde. Mais, au premier avis de ces ouvertures, Marie de Hongrie invita l'évêque à ne s'engager dans aucun rapport avec les ennemis de l'empereur, et force lui fut de s'excuser auprès du duc, en alléguant la nécessité de consulter les états, et en offrant toutefois sa médiation. La reine avait vu avec d'autant plus de déplaisir s'entamer cette négociation qu'on venait de découvrir à Bruxelles une conspiration dans laquelle étaient impliqués plusieurs Liégeois. Des agents français étaient mêlés à la chose, et leurs complices, mis à la torture, avaient dévoilé tous les secrets de l'entreprise[429]. On devait livrer Liège à Martin Van Rossem, qui en aurait pris possession au nom du roi de France. Après une minutieuse instruction qui dura jusqu'au mois d'août, huit des coupables furent décapités et écartelés ; les autres n'échappèrent au supplice que par la fuite[430]. Marie de Hongrie avait cru trouver dans cet évènement l'occasion de renouveler les anciennes alliances et d'obtenir de l'évêque des mesures interdisant le passage par la principauté aux ennemis de l'empereur, mais Corneille de Berghes se borna à promettre de saisir les états de cette proposition. Guillaume de Clèves de son côté déclina les offres de médiation du prélat[431], et la décision de la querelle resta soumise à la fortune des armes. Dans l'intervalle, Martin Van Rossem s'était jeté sur les pays d'Outre-Meuse, brûlant, saccageant tout sur son passage, et enlevant un grand nombre d'habitants. Le comte d'Hoogstraeten n'avait pu l'arrêter avec une infanterie réduite à neuf enseignes et cent arquebusiers. Cette invasion, coïncidant avec la découverte du complot formé à Liège, avait répandu la terreur dans cette ville, où l'on prit aussitôt des mesures de défense. L'inquiétude n'était pas moins grande dans le Brabant, et on s'y attendait à une nouvelle irruption des bandes de Martin le Noir. Mais celui-ci avait d'autres desseins, et, rebroussant chemin tout à coup, il investit Heinsberg le 10 mai[432]. Deux camps formés, l'un de quatorze, l'autre de neuf enseignes, furent établis à une certaine distance de la ville, et protégés contre les surprises par douze cornettes de chevaucheurs. Une forte réserve placée à Ruremonde, huit cents noirs harnais et dix-huit enseignes de piétons, cantonnées à Aldenbourg, couvraient les opérations du siège. Dès son arrivée devant la place, Van Rossem avait cherché à couper les conduits qui y amenaient l'eau, mais n'avait pas réussi et avait été repoussé. Cet échec devint l'occasion d'une mutinerie parmi ses troupes, auxquelles on venait de distribuer du drap à défaut d'argent. Les Frisons, qui étaient nombreux, voulaient l'abandonner, et il fallut en pendre cinq pour mettre les autres à la raison[433]. Le maréchal de Gueldre aurait voulu brusquer l'attaque, mais n'osant courir les chances d'un assaut avec des soldats si mal disposés, il résolut de brûler la place, et fit à Ruremonde grands apprets de traits à feu pour tirer dedans[434]. Le siège durait depuis douze jours, quand d'Hoogstraeten envoya sa cavalerie donner l'alarme aux assiégeans. L'alerte fut vive, mais n'aboutit qu'à faire tuer quelques hommes, et à ramener quelques prisonniers avec très peu de butin. On ne jugea pas à propos de renouveler cette expédition. C'estoit chose incertaine et dangereuse de faire saillie hors de Maastricht, à cause de la multitude de Liégeois et d'autres gens dont beaucoup servoient d'espions aux Clévois. Cependant la place était menacée de très près. Une seconde tentative de Van Rossem pour couper les conduits d'eau avait été couronnée de succès, et son artillerie battait le rempart à un endroit où il n'avait qu'un pied d'épaisseur. Tout paraissait se disposer pour l'assaut : le maréchal avait fait venir de Ruremonde un grand nombre d'échelles, et appelé à lui la division laissée dans cette ville. Mais les assiégés étaient résolus à périr sur la brèche. Comme les ennemis s'estoient vantés de porter feu dedans Heinsberg, ceux du dedans descouvrirent les maisons[435], et attendirent fièrement les assaillants. Cependant, à la nouvelle de l'invasion du Limbourg, le prince d'Orange, fidèle au plan de défense adopté par Marie de Hongrie, était accouru au secours de cette province, et y avait été rejoint par les bandes d'ordonnances placées en réserve à Diest et à Tirlemont. Van Rossem ne l'avait pas attendu ; il avait disparu laissant d'horribles vestiges de son passage. Le prince, investi du commandement général, s'établit d'abord dans le quartier de Maëstricht, et y organisa son armée successivement renforcée par vingt enseignes de Bas Allemands et par cinq enseignes frisonnes du comte de Buren[436]. Alors, après un court délai que lui avait valu la courageuse résistance des héroïques défenseurs de Heinsberg, assiégés depuis six semaines, il prit l'offensive le 22 juin, et vengea l'affront de Sittard en faisant essuyer aux assiégeants une défaite complète, où, à. son tour, il leur prit toute leur artillerie. Mais au moment où il allait poursuivre son succès, il fut appelé au secours de Hainaut envahi par les Français, tandis que Van Rossem, reparaissant sur un autre point, mettait, à contribution Culembourg, Vianen, Heusden, et menaçait même Dordrecht. Avant de raconter les incidents de l'invasion française dans le Hainaut, achevons d'exposer ceux qui se produisaient au même moment dans nos provinces du nord, ou qui en étaient le résultat. Pendant que le Gueldrois portait le fer et le feu dans les campagnes de la Hollande, nos côtes septentrionales étaient écumées par une foule de corsaires. Ces ravages toutefois ne restèrent pas sans représailles. Les marins des Pays-Bas de leur côté ruinèrent les côtes de la Norvège, et l'un d'eux enleva un vaisseau qui portait à Christiern III le produit des impôts de ce royaume[437]. Maximilien de Bourgogne se dirigeant sur un autre point, alla croiser dans le golfe de Gascogne et causa un tort considérable au commerce français. Le vice-amiral Gérard de Merckere, à la tête de neuf vaisseaux, attaqua, à l'embouchure de la Gironde, une flotte marchande, et prit ou coula à fond tous ses bâtiments Les vainqueurs firent ensuite une descente en Guyenne, y pillèrent plusieurs villages, et, emportant comme trophées les cloches des églises, revinrent en Zélande avec dix-sept navires chargés de vin et de pastel. L'intrépide Flamand se remit bientôt en mer avec dix vaisseaux montés par les seigneurs de Hamme, de Capelle, de Hamstede et d'autres gentilshommes, pilla de nouveau le territoire ennemi, captura quatre bâtiments revenant de Terre-Neuve chargés de poisson, et reprit aux Français un galion d'Espagne[438]. Au midi, François Ier avait repris l'offensive depuis quelque temps. Il avait obtenu des villes de son royaume les fonds nécessaires à l'entretien de cinquante mille combattants pendant quatre mois, et immédiatement ordonné la levée de dix à douze mille lansquenets. Par son ordre, Vendôme réunit en Picardie trois à quatre mille Allemands, six mille légionnaires, six cents hommes d'armes et huit cents chevau-légers. A la tête de tout ce monde, il prit et brûla la petite ville de Lillers[439], puis se dirigea, le 1er mai, sur Hesdin en proie à la disette, incendiant sur son passage églises, fermes, maisons de plaisance. Le comte du Rœulx, trop faible pour se porter à la rencontre de l'ennemi, se jeta avec deux cents piétons dans Bapaume menacée d'un siège. La garnison comptait, ainsi un millier d'hommes, abondamment fournis de vivres et de munitions. Bien qu'il leur fût dû trois mois de solde, le comte avait confiance en eux et se tenait pour assuré que si les Français l'attaquaient, avec l'aide de Dieu, il les en feroit se repentir[440]. Le duc d'Arschot, concentrant les troupes du Hainaut à Valenciennes, se mettait en mesure de secourir son collègue. Mais cette incursion n'était que le prélude d'opérations plus sérieuses. Le duc de Vendôme renvoya une partie de ses forces dans leurs garnisons dès le 9 mai, et se retira avec le reste à Fervens, sur la Gauche, pour y attendre le roi qui rassemblait son armée à Villers-Cotterêts[441]. François Ier avait enfin achevé ses préparatifs, et à la mi-juin il envahit le Hainaut mal préparé à le recevoir. Toutes les garnisons étaient affaiblies par l'envoi d'une partie de leur effectif à l'armée de Juliers[442]. L'amiral d'Annebault, précédant le roi, investit brusquement Avesnes, qui sans doute eût succombé, car elle estoit dégarnie d'hommes, à cause que la garnison estoit à la guerre contre le duc de Clèves. Mais, changeant tout à coup de dessein, l'amiral se porta sur Landrecies. La place n'était pas tenable, et, comme ils l'avaient fait déjà en 1521, les habitants et la garnison, après y avoir mis le feu, se retirèrent par la forêt de Mormal sans être inquiétés. Dans le même temps, le roi traversait le Cambrésis, et, arrivé à Châtillon, il fut rejoint par Vendôme. Celui-ci, en passant par le Haut-Artois, s'était emparé de Bapaume. Dedans le chasteau, qui n'estoit qu'une roquette, dit Martin du Bellay, se retira le sieur d'Auchimont avec les soldats et les habitans, en si grand nombre qu'attendu qu'il n'y avoit qu'un puits, en deux jours il fut tari. Aussi estoient-ils prêts de se rendre à miséricorde, quand le duc forcé d'obéir aux ordres réitérés de son maitre, leva son camp, à la grande joye des assiégés et à son grand regret. L'armée royale comptait seize à dix-huit cents gens d'armes, dix-huit cents chevau-légers, douze mille légionnaires de Picardie, de Champagne et de Normandie ; douze mille lansquenets avec quarante canons et demi-canons et six longues couleuvrines. C'étaient là des forces suffisantes pour opérer sans crainte en face d'un ennemi trop faible pour tenir la campagne, mais les chefs n'avaient point de plan arrêté. On proposa successive ment d'assiéger Valenciennes, où, disait-on, deux bastions restaient inachevés ; d'enlever Maubeuge incapable de résistance ; de revenir sur Bapaume, où l'on espérait pouvoir se faire livrer le château par trahison ; enfin de reprendre le siège d'Avesnes. Le roi s'arrêta à ce dernier parti, mais il voulut d'abord répandre la terreur dans la contrée en semant au loin la dévastation et l'incendie. Ses troupes furent divisées en deux corps, dont l'un, sous ses ordres, devait se porter dans la direction de Valenciennes ; l'autre, sous le dauphin, avait charge de détruire les châteaux de Glajon, de Trélon, de Chimai, et de revenir ensuite, par Beaumont et Maubeuge, rejoindre l'armée royale. Les deux divisions étaient à peine en marche que de fortes pluies effondrèrent les chemins, rendirent impossible la marche de l'artillerie et des convois, obligèrent enfin le roi de s'arrêter à Maroilles et le dauphin de revenir sur ses pas. Bientôt l'armée eut à souffrir de la disette de vivres et de fourrages ; les chevaux, sans abri, enfoncés dans la boue jusqu'aux jarrets, périssaient en grand nombre. François Ier, vite déconcerté parce que ses résolutions manquaient le plus souvent de maturité, voulait se retirer dans le Cambrésis. Ce dessein fut vivement combattu par l'amiral d'Annebault et les sires de Vervins et de Longueval, qui proposèrent, afin que ne fût dit estre là et perdre le temps, de fortifier Landrecies. L'idée parut bonne : on pensait faire de cette place un boulevard contre les invasions du nord, et l'on se mit sur le champ à l'œuvre avec ardeur[443]. Le roi resta pour protéger les travaux, et, dès que le temps le permit, le dauphin se remit en marche. Si Von en croit un rapport du temps, il avait été décidé que, pour donner plus de terreur à ceux qui tiendroient forts et châteaux, si en estoient prins aucuns, par appointement ils seroient incontinent pendus, et que l'on bouteroit le feu partout en se retirant. Le château d'Aimeries, sur la Sambre, mal pourvu d'hommes, parce que le seigneur d'icellui estoit à la guerre en Gueldre, se rendit à la première sommation. On résolut de le garder, et Martin du Bellay y resta avec un fort détachement pour en augmenter les moyens de défense. Le dauphin, après avoir surpris le château de Berlaimont situé à peu de distance de celui d'Aimeries, continua à longer la rive gauche de la Sambre. Sa cavalerie légère courut jusqu'aux portes de Mons et de Binche ; le dauphin en personne investit Maubeuge, qui, laissée sans défense, ne tarda pas à lui ouvrir ses portes. Il y mit garnison, et donna quelques jours de repos à ses troupes. Dans l'intervalle, Martin du Bellay ayant appris que Binche servait de lieu d'étape aux gens de guerre revenant du pays de Juliers par petits détachements, imagina un coup de main qui eut un plein succès. Pendant que, pour détourner l'attention des Impériaux, ses coureurs brûlaient des maisons et butinaient dans les environs de Mons, une grosse troupe de cavalerie, voyageant la nuit, enleva une centaine de cavaliers ennemis logés dans les faubourgs de Binche, et pilla les villages voisins, mesme une abbaye ou se trouva grand butin[444]. L'expédition de Martin du Bellay avait fait connaître que dedans Binche n'y avoient aucuns gens de guerre, au moins bien peu. Le roi ordonna au dauphin d'attaquer sur le champ cette ville et lui envoya l'amiral d'Annebault avec une partie de ses forces, ne conservant que les troupes nécessaires pour protéger les travaux de Landrecies contre les entreprises des garnisons voisines. Mais Marie de Hongrie avait pris l'éveil, et le prévôt de son hôtel, Arnoul de Somberge, eut le temps d'introduire à Binche quatre enseignes de lansquenets. Lorsque les Français parurent, ils furent bien recueillis. Et en eut de morts et de blessés. Entre autres y mourut le jeune sieur d'Allègre, qui avoit jà fait honneste preuve de sa personne, et. fut blessé le jeune seigneur de Chastillon, Gaspard de Colligny, qui eut une arquebusade à la gorge. Au même moment, François Ier venait aussi d'échouer dans une tentative sur Avesnes. Informé de la concentration des troupes impériales à Mons et au Quesnoy, il craignit que quelque nuit elles ne vinssent lui donner une camisade, et ordonna à son fils de le rejoindre et de retirer la garnison laissée à Maubeuge, après avoir brûlé la ville. Cela fait, sous prétexte de secourir son allié Guillaume de Clèves, il se prépara à la retraite. Mais auparavant il envoya le sire de Bonneval avec deux compagnies d'hommes d'armes, un régiment de lansquenets, deux mille légionnaires de Normandie et quatre canons, attaquer les châteaux de Trélon et de Glajon, auxquels coustumièrement y avoient gens de guerre, qui portoient grand dommage à ses frontières de Thiérache et de Champagne. Les petites garnisons de ces places, croyant avoir affaire à toute l'armée royale, capitulèrent, et les châteaux furent livrés aux flammes. Puis le roi, après avoir fait brûler également le château d'Aimeries, qu'il était difficile de ravitailler, et laissé une forte garnison à Landrecies, deslogea son armée à la fin de juillet, et alla pour quelque temps se rafreschir aux chasses, le long de la montagne de Rheims[445]. Autant François Ter montra de légèreté et d'irrésolution dans cette campagne, autant Marie de Hongrie montra de fermeté et de persévérance active. La reine fut héroïque, dit M. Henne. On avait craint une attaque directe sur Bruxelles, d'où les Français pouvaient tendre la main au duc de Clèves ; Marie accourut dans la capitale du Brabant, et, par une proclamation du 23 juin, elle déclara aux habitants qu'elle voulait vivre et mourir avec eux. Par ses ordres, on amena de Malines de gros canons et des munitions ; on abattit le sommet des portes et des tours des remparts ; de nouvelles fortifications s'élevèrent avec rapidité[446]. Au moment de l'invasion, se trouvant à Gand, où l'avaient appelée de nouvelles apparences de troubles, elle avait fait faire criées et publications pour expressément commander que tous ceux qui estoient puissans d'avoir et porter bastons et armes, depuis rage de vingt ans jusqu'à. cinquante, eussent à se tenir prêts à marcher au son de la cloche, à la deffense et garde du pays[447]. En même temps elle avait ordonné processions et prières publiques afin d'implorer l'intervention divine[448]. Quand, après la levée du siège de Binche, le danger parut éloigné, elle dirigea sur Mons et le Quesnoy la plupart des forces réunies pour la défense du Brabant, ainsi que trois enseignes de piétons récemment levées dans le comté de Namur. Mais, informée de la prochaine arrivée de l'empereur, elle prescrivit à ses généraux de se tenir sur la défensive, et la retraite des Français ne fut pas inquiétée. Seulement, toujours prévoyante, afin de prémunir Avesnes contre de nouvelles attaques, le duc d'Arschot fut chargé par elle d'en augmenter les fortifications, et quatre mille livres prises sur l'aide du Hainaut furent employées à cet usage. Un grand nombre de chariots et de chevaux de trait furent mis en réquisition pour transporter de l'artillerie dans les villes frontières[449], et l'on recruta dans tout le pays de nombreux corps de gens de cheval, de piétons et de pionniers[450]. L'invasion du Hainaut, en sauvant Guillaume de Clèves, avait permis à Van Rossem de recommencer ses courses désastreuses. A la tête de vingt-cinq enseignes d'infanterie et de douze cents chevaux, Martin le Noir se jeta sur le pays d'Utrecht, où il pilla Heusden et Sœst. Amersfoort, mal défendu par une garnison insuffisante, se racheta du pillage au prix de quatre-vingt mille florins. Mais à peine l'ennemi était-il dans la place, qu'au mépris de la capitulation il se fit livrer or et argent, vaisselle et joyaux, jusqu'aux bagues, ceintures et anneaux des femmes, qui, malgré tous ces sacrifices, ne furent pas respectées. Obligé à la retraite par la présence du prince d'Orange accouru à Utrecht, Van Rossem se rejeta sur la mairie de Bois-le-Duc. Les milices d'Oosterwyk, Haren, Bokt, Vugt, tentèrent vainement de lui disputer le passage ; elles furent taillées en pièces ou tombèrent au pouvoir des envahisseurs. Parcourant alors la campagne sans rencontrer d'autre résistance, le farouche Gueldrois réduisit en cendres le grand village de Vugt, pilla Eindhoven, et regagna Ruremonde chargé de butin et traînant à sa suite de nombreux otages qui lui garantissaient le payement des sommes stipulées par les malheureux campagnards pour se racheter du feu — brandschaten —. Heureusement ce fut son dernier succès[451]. Charles-Quint arrivait en effet. Nous l'avons laissé à Spire négociant avec les protestants, et tâchant d'obtenir leur coopération pour repousser les dangers imminents qui menaçaient l'empire et la chrétienté. Il y avait amené avec lui quatre mille hommes d'infanterie espagnole, quatre mille gens de pied d'Italie, huit cents chevau-légers italiens aussi ; il avait fait lever en Allemagne seize mille lansquenets et quatre mille cavaliers. Avec toutes ces troupes réunies, l'empereur quitta Spire le 5 août. Il s'embarqua, le 12, sur le Rhin à Mayence, et arriva à Bonn le 17. Après avoir passé la revue de son armée, il nomma don Fernand de Gonzague son lieutenant général, et Stéphane Colonna maître de camp général de l'armée. Le 20, il se remit en route, et, deux jours plus tard, il était devant Duren[452], au pays de Juliers ; il y fut rejoint par le prince d'Orange venant des Pays-Bas à la tête de neuf mille hommes d'infanterie, de deux mille chevaux et d'une artillerie nombreuse. Le jour suivant, le héraut d'armes Liévin Algoet, dit Flandres, se présenta aux portes de la ville, et déclara aux habitants que s'ils se rendaient, leurs franchises leur seraient conservées sous l'autorité du Saint Empire ; sinon qu'ils seraient châtiés dans leurs personnes et dans leurs biens pour servir d'exemple aux autres[453]. Duren avait été fortifié avec soin par Guillaume de Clèves, qui y avait accumulé les moyens de défense. Deux fossés profonds et remplis d'eau entouraient une enceinte munie de remparts élevés et armés d'une artillerie considérable. La garnison était forte de cinq enseignes présentant un effectif de deux mille hommes de pied et huit cents cavaliers, outre les gens de la ville, dont la défense fut très vive ; elle était commandée par Renaud de Mérode, seigneur de Vlatten et de Froidzheim, échanson héréditaire du duché de Juliers. Ce brave capitaine refusa d'écouter le héraut de l'empereur, et répondit laconiquement : Nous ne sçavons lire ; retournez d'où vous êtes venu ; nous sommes qui nous sommes[454]. La place fut investie le même jour. Douze cents pionniers levés dans le comté de Namur, le Limbourg et le pays de Liège, se mirent sur le champ à l'œuvre, et, dès le lendemain matin, quarante canons, entamant ces murs réputés inexpugnables, ouvrirent une large brèche. Une colonne, formée en majeure partie d'Espagnols plus aptes par leur agilité à ce genre d'attaque, courut à l'assaut, mais arrêtée par le feu meurtrier d'une grosse tour et par la profondeur des fossés, elle se vit repoussée avec perte. Les boulets de toutes les batteries furent lancés alors contre cette tour qui s'écroula bientôt, écrasant dans sa chute Renaud de Mérode avec plusieurs de ses officiers. A l'instant, sans attendre le signal, les Espagnols et les Italiens se précipitent vers la brèche. Animés d'une généreuse émulation, tous faisant à l'envi, sous une furieuse arquebusade ; à travers les obstacles de toute espèce, après plus de deux heures d'une lutte sanglante, ils s'emparent d'un fort élevé devant la porte attaquée. Puis, encouragés par ce premier avantage, ils franchissent les deux fossés pleins d'eau, non sans grand'peine, péril et perte de morts et de blessés. Enfin, escaladant la muraille, ils pénètrent dans la place au prix de mille nouvelles difficultés. Tout fuit : les assiégés poursuivis avec impétuosité jusqu'à l'autre extrémité de la ville, périssent en grande partie avant d'y arriver, ou vont trouver la mort en se jetant du haut des remparts dans les fossés. Le petit nombre de ceux qui parvinrent à s'échapper de la place, furent pris ou massacrés par les troupes du prince d'Orange campées aux alentours, de manière que des soldats aussi bien que des gens de la ville peu se sauvèrent[455]. Charles-Quint était présent à l'assaut et à la prise de
l'infortunée cité. Il animait les soldats qui combattaient sous ses yeux, étant fort près, dit Brantôme, et comparoissant en personne, armé de toutes pièces, avec
une casaque de drap d'or, tant pour exciter ses soldats que pour l'envie
qu'il portoit à cette place, et à la vengeance qu'il vouloit avoir. Cette
vengeance fut terrible en effet. Six à sept cents hommes périrent noyés ou
égorgés par les vainqueurs ; parmi les prisonniers, on exécuta sur le champ ceux qui furent trouvés les plus coupables, spécialement
les vassaux des seigneuries des Pays-Bas, dont il se trouvoit un grand nombre
à la solde du duc de Clèves. Le remplaçant de Renaud de Mérode,
conduit au château de Vilvorde, y fut pendu l'année suivante à une potence
portant un écriteau avec ces mots : dit es de
capitain van de muytmakers[456]. La place fut livrée
au pillage et saccagée, en punition de sa révolte et de son obstination.
Seulement, ajoute Charles-Quint lui-même, on eut
grand soin d'empêcher qu'il ne fût fait injure aux femmes, aux jeunes filles
et aux enfants, qu'on ne leur fit essuyer mauvais traitement, non plus qu'aux
églises, ni à ce qui s'y trouvoit. Le surlendemain, on ne sait ni par qui ni
comment, le feu prit à quelques maisons et gagna tellement que, quoi qu'on
pût faire pour l'arrêter, et l'on se donna beaucoup de peine pour cela, une grande
partie de la ville fut brûlée avec l'église principale. Dieu est témoin, dit
toujours l'empereur, que j'ai ressenti ce malheur jusqu'au fond de l'âme, et
faute de pouvoir y remédier, nous avons ordonné d'apporter la plus grande
diligence à sauver et à préserver les reliques des saints, les vases et les
autres objets que renfermoit l'église, de faire sortir de la place incendiée
les femmes et les enfants pour leur sauver la vie. D'après le
témoignage impérial, on eut à regretter la perte de quarante à cinquante
soldats espagnols et italiens, et l'on compta plus de deux cents blessés[457]. Charles-Quint leva son camp le 27, et s'arrêta le même jour à mi-chemin de Juliers, capitale du duché. Quoique cette ville fût bien fortifiée, bien pourvue de munitions et défendue par une nombreuse garnison, elle n'osa affronter le choc de l'armée impériale. La garnison l'ayant évacuée, les habitants s'empressèrent d'ouvrir leurs portes au vainqueur, qui vint lui-même, avec cinq cents arquebusiers espagnols et quelques cavaliers, recevoir leurs serments d'hommage et de fidélité. La plupart des autres villes, effrayées du sort de Duren, suivirent l'exemple de la capitale. Pendant que le gros de l'armée se dirigeait vers la Gueldre, le comte d'Hoogstraeten, avec dix enseignes d'infanterie et cinq cents chevaux, soumit le reste du pays de Juliers ainsi que le duché de Clèves, sans rencontrer de résistance. Charles-Quint n'en éprouva pas davantage. Van Rossem, qui, à la tête de quinze cents à deux mille chevaux, avait d'abord semblé vouloir inquiéter les mouvements des Impériaux, s'était retiré dans l'intérieur du pays. Le 30, l'armée parut devant Ruremonde. Cette ville se rendit à la première sommation, et l'empereur y entra le 1er septembre, ayant pour toute escorte les gentilshommes de sa maison. Les habitants lui prêtèrent serment en qualité de duc de Gueldre, et il les maintint dans la possession de leurs privilèges[458]. L'armée s'arrêta deux jours à Ruremonde. Durant cette halte, Charles-Quint eut une entrevue avec sa sœur Marie de Hongrie, qui s'était rendue à Weert, pour conférer de divers objets, notamment de l'entretien de l'armée du côté de la France et de l'alliance avec le roi d'Angleterre[459]. Le 3 septembre, descendant la Meuse, il vint camper à une demi-lieue de Venloo, la plus forte place du duché de Gueldre. La garnison comptait trois mille hommes, alors que deux mille eussent suffi pour la défendre, et était préparée à une longue résistance. Aussi, malgré la vive opposition des habitants, elle repoussa fièrement la sommation de l'empereur, qui, voulant brusquer l'attaque[460], ordonna d'amener immédiatement les barques saisies sur la Meuse pour établir un pont de bateaux. Les choses en étaient là, quand Guillaume de Clèves, ne voyant aucun espoir d'être secouru, résolut de recourir à la soumission. Pour mettre à exécution ce parti une fois pris, il recourut à l'intermédiaire du coadjuteur de Cologne, le comte Adolphe de Holstein-Lauenbourg, d'un député de cette ville, le comte de Nieuwenaer et de Meurs, et du duc Henri de Brunswick. Ces médiateurs lui obtinrent un sauf-conduit pour lui permettre de venir se jeter aux pieds de l'empereur, le supplier de lui faire grâce et remettre son sort à la décision du César germanique. Le 6 septembre, Henri de Brunswick amena au camp impérial le duc accompagné du coadjuteur et du député de Cologne. L'empereur les reçut le 7, entouré des principaux personnages de sa cour et de son conseil. Tous quatre s'agenouillèrent, et le duc de Brunswick prenant la parole en langue allemande[461], appela la clémence de Charles sur le prince suppliant, invoquant sa grande jeunesse, rejetant ses fautes sur de mauvais conseils, et implorant son pardon, en promettant qu'il serait à l'avenir fidèle et obéissant. Le député de la ville de Cologne appuya cette humble demande. Alors l'empereur, qui avait jusque là montré dans la contenance et dans le regard toute la sévérité d'un mécontentement mérité, sembla s'adoucir et fit répondre, par la bouche du vice-chancelier de Nave, que le duc l'avait en effet grandement offensé et qu'il pourrait en raison et en justice le traiter avec rigueur, mais que, voyant son repentir, il acceptait sa soumission. Il l'acceptait, ajouta-t-il, pour l'honneur de Dieu, pour le respect du roi des Romains, son frère, qui l'en avait supplié, pour l'affection qu'il avait toujours à la commune paix et au bien de l'Allemagne, en considération des princes et des états de l'empire, et pour éviter aux pays du duc, ainsi qu'au duché de Gueldre et au comté de Zutphen, les maux qu'entraînerait la continuation de la guerre. Après cette réponse faite en son nom par le vice-chancelier, l'empereur fit signe au duc et à ses trois intercesseurs de se relever, et, se levant lui-même, il tendit d'un air gracieux la main à Guillaume en l'accompagnant de quelques bonnes paroles. Les conditions de la paix furent bientôt arrêtées ; elles avaient, du reste, été discutées à l'avance dans des pourparlers entre Granvelle et les personnages dont le duc avait réclamé l'intervention. Celui-ci s'engageait à maintenir en la religion catholique et en l'obéissance à l'Église ses états héréditaires et à en extirper l'hérésie, si elle s'y était introduite ; à être fidèle et obéissant à l'empereur, au roi des Romains et au Saint Empire ; à rompre toutes alliances et confédérations avec leurs ennemis, notamment avec le roi de France, le duc de Holstein se disant roi de Danemark, et l'intrus de Suède[462] ; il cédait et transportait à l'empereur tous les droits et actions qu'il avait au duché de Gueldre et au comté de Zutphen, déliant le peuple et les gens de guerre de ces deux pays des serments que ceux-ci lui avaient prêtés. De son côté, l'empereur lui rendait ses bonnes grâces, promettait de le traiter en bon prince de l'empire et de le prendre sous sa protection, ainsi que ses terres et ses vassaux ; il lui rendait tout ce qu'il occupait des territoires de Juliers et de Clèves, se réservant seulement la possession temporaire des villes de Heinsberg et de Sittard, comme garantie de l'exécution du traité[463]. Le 11 septembre, Charles-Quint fit son entrée dans Venloo, d'où les troupes du duc de Clèves étaient sorties, et reçut, comme dans les villes précédemment occupées, le serment de fidélité des habitants. Les députés des barons, de la noblesse inférieure et des villes formant les états des pays de Gueldre et de Zutphen arrivèrent le même jour au camp impérial. Le maréchal de Gueldre était avec eux ; le duc de Brunswick le présenta à l'empereur, qui lui fit un bienveillant accueil. Van Rossem, à genoux, sollicita son pardon, protestant qu'il servirait son nouveau maître avec la fidélité et le zèle qu'il avait montrés à ses deux précédents souverains, et il tint parole[464]. Les députés des états attendaient, à genoux, l'empereur dans une salle voisine. Le duc de Brunswick déclara, en leur nom, qu'ils étaient venus là pour lui faire leur soumission, le supplier d'excuser leur conduite passée, et lui prêter serment comme à leur vrai et légitime seigneur. Le président du conseil privé, Van Schore, donna lecture de lettres par lesquelles l'empereur confirmait les privilèges du pays et lui en accordait de nouveaux[465], dans les termes concertés entre les ministres impériaux et les députés. Guillaume de Clèves, qui était présent, déclara qu'il les déliait de leur serment ; l'empereur reçut celui qu'ils étaient venus lui prêter, et jura ensuite lui-même d'observer leurs privilèges. La cérémonie terminée, le prince d'Orange, René de Chaloir, nommé stadhouder — gouverneur — de la Gueldre, partit avec quatre à cinq mille hommes d'infanterie et six cents chevaux pour prendre possession du duché. Ceci se passait le 12 septembre. Deux jours après, le duc Guillaume fit, conformément au droit féodal, le relief solennel des pays de Juliers et de Clèves entre les mains de l'empereur. Ce prince, qui avait été l'un des plus ardents ennemis de la maison d'Autriche, en devint un allié fidèle. Il épousa, en 1546, l'archiduchesse Marie, fille du roi des Romains ; son mariage précédent avec Jeanne d'Albret avait été déclaré invalide par le saint siège. La conquête de la Gueldre, dit M. Gachard, était un évènement aussi heureux pour les Pays-Bas que glorieux pour Charles-Quint. Elle complétait la réunion des dix-sept provinces[466] ; elle leur procurait, au nord, une frontière défendue par des forteresses imposantes ; elle délivrait la Hollande, le pays d'Utrecht, l'Overyssel, le Brabant des incursions et des ravages auxquels, depuis la mort du dernier duc de Bourgogne, ils avaient été en proie. Charles se trouvait par là en position de pouvoir tourner ses armes contre les Français, qui avaient pris Landrecies et qui étaient maîtres de la plus grande partie du Luxembourg. Ils avaient pénétré dans cette province, au commencement
de septembre, sous le commandement du duc d'Orléans, et s'étaient portés
directement sur Arlon, où ils étaient entrés sans coup férir. Les voyant prendre leur train vers Luxembourg, le comte
d'Isenbourg, au nom du gouverneur, et par l'advis des comtes, seigneurs,
nobles et aultres estans en ladite ville de Luxembourg, députa le docteur
Hans Hecke et Herman Bristgyn vers la majesté de l'empereur au camp devant
Venloo, afin de remonstrer à icelle comment le roy de France, avec une grosse
et puissante armée, estoit dedans le pays, ayant desjà gaignié et prins la
ville d'Arion, et avoit intencion de marcher oultre devant la capitale du
duché. En conséquence ils suppliaient très humblement Sa Majesté que, pour
obvier et résister aux emprinses desdits ennemys, il luy plût envoyer gens
tant à cheval comme à pied, et aultres choses en tel cas requises[467]. Mais l'ennemi
marcha plus vite que ces députés. Le duc d'Orléans, ne trouvant de résistance
nulle part, parut le 10 septembre devant Luxembourg. Il y avait dans Luxembourg trois à quatre mille piétons et cinq cents cavaliers, mais les fortifications étaient forts délabrées et ne permettaient pas de soutenir un siège. Après Quelques escarmouches, la place capitula[468]. La garnison sortit avec armes et bagages, mais l'artillerie et les munitions restèrent à l'ennemi. Sommés de prêter serment de fidélité au roi de France dans le délai de quinze jours, plus de la moitié des bourgeois de Luxembourg s'expatrièrent[469]. Après ce que ladite ville par les ennemys françois avoit été prise, messieurs le président et gens du conseil de l'empereur se retirèrent en divers lieux, comme Echternach, Trèves et aultres, pour dresser les affaires journellement[470]. Dans une lettre adressée le 10 septembre 1543 au landgrave de Hesse, pour engager les protestants à embrasser sa querelle, François Ier dit que, par sa jonction prochaine avec le duc d'Orléans, il se trouvera à la tête de dix-huit mille chevaux, de trente mille hommes de pied français, de douze mille lansquenets, de treize mille Suisses et de cinq mille Italiens[471]. Ces chiffres sont visiblement exagérés, mais, quel que fût le nombre réel des soldats ennemis, il était impossible aux Impériaux de les arrêter. Aussi, à l'exception de Thionville, toutes les villes du duché et du comté de Chiny ouvrirent leurs portes aux envahisseurs. La plupart des capitaines français étaient d'avis de démanteler Luxembourg trop difficile à conserver à cause de son éloignement, et de fortifier Arlon très propre à devenir une place d'armes importante. Le roi en jugea autrement ; il tenait à occuper la capitale du duché pour prendre le titre de duc de Luxembourg, qu'avait porté Charles-Quint. Il résolut donc d'en rétablir les fortifications à quelque prix que ce fût. Le 28 septembre, il y fit une entrée solennelle, accompagné du dauphin et suivi d'un nombreux cortège ; il y célébra avec pompe la fête de Saint-Michel. L'examen de l'assiette de la place, de ses tours, de ses remparts, le confirma dans son opinion ; il ordonna de commencer sur le champ les travaux, et en confia la direction à des ingénieurs italiens. Le gouvernement du duché fut donné au duc de Guise ; celui de la ville de Luxembourg au seigneur de Longueval et au colonel comte de Piquelin[472]. La guerre de Juliers terminée, l'empereur s'était hâté de diriger son armée vers le Hainaut. Lui-même quitta Venloo le 14 septembre, pour se rendre à Bruxelles, où les états généraux avaient été convoqués ; mais arrivé à Diest le 17, il se sentit si tourmenté de la goutte, dont il avait déjà souffert à Venloo, qu'il dût suspendre son voyage, et, pressé d'obtenir des aides absolument nécessaires, il appela à Diest les députés de la nation. La régente avait épuisé toutes ses ressources. Le 7 mars, les états de Brabant l'avaient autorisée à vendre des rentes jusqu'à concurrence de deux mille carolus sur la forêt de Soigne[473]. Le domaine d'Anvers, déjà chargé de deux cent mille florins carolus, servit encore d'hypothèque pour quatre mille florins de rente[474] ; les marchands de cette ville prêtèrent cent mille livres, grâce à l'intervention du chancelier de l'ordre de la Toison et du seigneur de Wyngene[475]. On s'adressa en outre à un grand nombre de gens d'église, nobles, bourgeois, manans[476]. Tout cela était insuffisant : il fallut de nouveau solliciter les états. La Flandre, les châtellenies de Douai, Lille, Orchies, peu éprouvées par la dernière guerre, accueillirent sans difficulté les propositions de la régente[477], mais, dans les autres provinces, il fut impossible de rien obtenir jusqu'au moment de l'invasion du Hainaut. Alors l'opposition cessa, et, en attendant la réunion des états généraux, Namur accorda six mille carolus d'or le 5 juillet 1543[478] ; le Hainaut, cent mille livres[479] ; le Brabant, trois cent mille livres payables en trois mois[480]. Mais de tout cela plus un denier ne restait, et l'empereur était réduit à demander de nouveaux sacrifices. L'assemblée des états se tint, le 22 septembre, dans une salle de la maison où l'empereur avait pris son logement. Il s'y fit porter ; la reine Marie prit place à côté de lui. Ce fut le président Van Schore qui parla en son nom aux états. Après les avoir assurés qu'il avait tout fait pour conserver à ses peuples les bienfaits de la paix rompue sans raison par le roi de France, il dit qu'il serait accouru sans retard au secours de nos provinces, si au même moment les Français n'avaient attaqué ses royaumes d'Espagne ; qu'aussitôt après les avoir chassés du Roussillon, il avait fait ses dispositions pour passer en Italie et de là en Allemagne, mais que des causes involontaires avaient retardé ce voyage. Il parla ensuite de la soumission du duché de Juliers et de la Gueldre, ainsi que du traité conclu avec le duc de Clèves. Il reconnut que, depuis le commencement de la guerre, ses états des Pays-Bas avaient accordé à son gouvernement de bien grands subsides ; il les en remercia, les invitant à considérer aussi que pour venir les défendre, non seulement il avait laissé là ses enfants et ses possessions d'Espagne et, d'Italie, mis sa personne en plus d'un danger, mais qu'il avait levé, aux dépens de ses autres états, trente mille .hommes de pied et quatre mille chevaux. Il leur montra enfin que, vu la force des troupes françaises qui occupaient le Luxembourg, les levées d'hommes que le roi faisait de tous côtés ; les garnisons qu'il convenait d'entretenir en ces commencements dans le pays de Gueldre, il ne serait pas prudent de réduire l'armée. Il les requérait donc de pourvoir à la solde des gens de guerre du pays, suivant la répartition qui leur serait communiquée, se chargeant lui-même de payer ceux qu'il avait amenés. Le chancelier de Brabant, Engelbert Van den Daele, répondit au nom de l'assemblée. Les états généraux, dit-il, rendaient grâces à Dieu, qui avait conservé l'empereur en tant de divers, lointains et périlleux voyages ; ils se réjouissaient de le revoir, surtout après une conquête comme celle qui avait signalé son retour, car elle avait abattu un de leurs principaux ennemis ; ils lui témoignaient leur reconnaissance de ce qu'il n'avait pas hésité à quitter ses autres royaumes et ses propres enfants pour venir à leur secours ; ils le suppliaient de prendre en bonne part le petit service qu'ils avaient été heureux de lui rendre pendant son absence, et de croire qu'il les trouverait toujours prêts à le servir de tout leur pouvoir. L'empereur prit alors lui-même la parole, stigmatisa la conduite déloyale et artificieuse du roi de France, loua avec effusion les mesures prises par sa sœur pour la défense du pays, et remercia de nouveau les états de l'assistance qu'ils avaient prêtée à lui et à sa sœur[481]. Dans les dispositions où tout le monde était, l'on ne pouvait que se montrer généreux. Le Brabant accorda quatre cent mille florins carolus[482] ; la Flandre, quatre cent mille écus[483] ; Namur, huit mille livres[484], et les autres provinces en proportion. Cependant le comte du Rœulx, à la tête des bandes d'ordonnances de la Flandre et de l'Artois, de deux mille fantassins artésiens et flamands, de trois mille Espagnols récemment arrivés sous la conduite de don Pedro de Gusmare, avait opéré à Bouchain sa jonction avec le duc d'Arschot. Celui-ci avait amené les troupes du Hainaut, avec de nombreux pionniers levés dans cette province et dans le comté de Namur. Les deux corps réunis ne tardèrent pas à investir Landrecies. Cette ville, grâce à ses nouvelles fortifications, était plus que jamais la clef du Hainaut et de la Picardie ; Charles-Quint avait compté la prendre pour base de ses opérations. Bientôt Fernand de Gonzague arriva avec de nouvelles forces, si bien que les troupes impériales réunies devant Landrecies s'élevèrent alors au chiffre de quatorze mille lansquenets, neuf mille Espagnols et Italiens, six mille Wallons, dix à douze mille Bas Allemands, Flamands, Brabançons ; treize mille chevaux des ordonnances, et clévois ou Hauts Allemands. Il y avait cinquante pièces d'artillerie[485]. Mais Landrecies était en état de résister à des forces aussi considérables ; les travaux qui y avaient été exécutés en avaient fait une forteresse de premier ordre. Les Français avaient abandonné la ville basse dominée par une montagne voisine, et du côté de la Sambre, peu large encore mais profonde et coulant entre des bords escarpés, ils avaient élevé un retranchement formidable appelé par eux la Courtine du roi. Ce vaste ouvrage comprenait trois solides bastions nommés Dauphin, Orléans, Vendôme, et le vieux château, espèce de roquette qu'on avait rempli de terre et transformé en plate-forme. Vendôme y avait accumulé des approvisionnements, et la garnison renforcée avait été placée sous le commandement de deux des plus braves capitaines de la France, Lalande et le seigneur d'Essée[486]. Le 25 septembre, l'empereur, -se sentant mieux, avait quitté Diest pour aller rejoindre son armée. Un nouvel accès de goutte le retint à Binche une quinzaine de jours. A peine rétabli il se remit en chemin et arriva au Quesnoy le 49 octobre. Après avoir conféré avec ses généraux sur les opérations militaires, il alla le jour suivant visiter ses troupes devant Landrecies. Apprenant que François Ier a rassemblé ses forces, qu'il en a pris le commandement et qu'il marche vers lui, Charles annonce hautement l'intention de livrer en personne bataille au roi. Un de ses plus anciens, de ses plus ardents désirs allait s'accomplir : combattre son rival en rase campagne[487]. En vain Granvelle lui fait les remontrances les plus pathétiques pour l'en détourner[488] ; en vain la reine Marie le conjure, au nom de sa famille, de ses sujets, de toute la chrétienté, de ne pas exposer sa personne aux risques d'un combat acharné[489]. Les prières de sa sœur ne l'ébranlent pas plus que l'éloquence alarmée de son ministre : l'occasion est là, il ne la laissera pas échapper. Le 28 octobre, il se confesse, il communie ; le 2 novembre, il met son armée en mouvement, pour aller chercher les Français qui se sont avancés jusqu'à Cateau-Cambrésis. La bataille semblait inévitable : François Ier avait fait publier partout qu'il la recherchait. Mais quand, le 3 novembre, Charles-Quint se présenta selon le langage pittoresque d'un contemporain, à la barbe du roi de France[490], les Français s'enfermèrent dans leurs retranchements. Le 4, il se rapprocha encore davantage de leur camp : ils ne bougèrent pas. Mais le même jour, à onze heures de nuit, raconte le même écrivain, ledit roy de France, estant dedans la ville de Chasteau-Cambrésy, monta à cheval et fit entendre qu'il alloit donner la bataille, mais sans sonner trompettes ni tambourins, faisant oster à tous les mulets leurs sonnettes, print le chemin et la fuite vers Guise, avec toute son armée. Les Espagnols, rapporte Brantôme, se moquèrent fort du roi, qui n'avoit voulu s'amuser au combat, et disaient tout haut que les François craignaient la touche de Pavie. Charles-Quint n'apprit cette brusque retraite que le 5, à huit heures du matin[491]. Il lança une partie de sa cavalerie sur les traces de l'ennemi, et la suivit de près en ordre de bataille, ne croyant pas qu'après ses bravades, le roi se retireroit ainsi. Mais les Français avaient fait une telle diligence qu'ils avaient déjà une avance de cinq lieues. La cavalerie impériale ramassa néanmoins un grand nombre de prisonniers, et poursuivant sa course, sans s'amuser à recueillir les tentes, les armes, l'artillerie dont les chemins étaient jonchés, elle atteignit l'arrière-garde, passé les bois de Bouchain, qui sont en France trois grandes lieues. Un combat assez vif s'engagea, où les Français perdirent, entre autres capitaines, le sire d'Audouin, favori du dauphin, et laissèrent aux mains des Impériaux une grande quantité de munitions. Charles-Quint, averti que François Ier avait passé l'Oise, revint loger dedans le Chasteau-Cambrésis, au mesme logis dont le roy estoit parti la nuit précédente[492]. L'empereur entra le 10 à Cambrai. Il avait des griefs contre l'évêque et les habitants de cette cité impériale, qui avaient refusé de recevoir ses troupes dans leurs murs. Pour les punir, il mit une garnison dans leur ville et ordonna qu'il y fût érigé une citadelle. La campagne était finie. Elle n'avait pas eu,. remarque M. Gachard, les résultats que s'en était promis l'empereur : car, s'il pouvait se glorifier d'avoir fait reculer devant lui le roi de France, Landrecies restait au pouvoir de ses ennemis, et, dans le Luxembourg, le comte Guillaume de Furstenberg, général des troupes impériales, n'était parvenu à recouvrer aucune des places dont les Français s'étaient emparés. Après avoir licencié une partie de ses troupes et assigné des quartiers d'hiver à celles qu'il conservait, Charles-Quint partit le 15 novembre pour Bruxelles. A Valenciennes, il eut la visite du duc de Lorraine, Antoine le Bon, et de son fils le duc de Bar. Le duc Antoine, tout en protestant qu'il agissait. de son propre mouvement, lui offrit d'aller trouver le roi de France pour le disposer à la paix. L'empereur fit à ce prince l'accueil le plus distingué, mais ne se cachant pas que cette démarche était inspirée par la France[493], il lui donna une réponse évasive, alléguant qu'il ne pouvait traiter de la paix sans s'être concerté avec ses alliés. L'empereur ne resta pas inactif pendant le peu de temps qu'il passa à Bruxelles. Préoccupé de sa prochaine campagne contre la France, il envoya à Henri VIII Fernand de Gonzague pour réclamer du monarque anglais une coopération efficace. Il avait convoqué dans le même but une diète à Spire pour le mois de novembre ; il fut obligé d'en remettre l'ouverture au commencement de l'année suivante. Le 23 décembre, il réunit dans son palais les états généraux, ayant, comme toujours, sa sœur à côté de lui. Cette fois encore ce fut le président du conseil privé Van Schore qui porta la parole en son nom et informa les députés du prochain départ de l'empereur pour l'Allemagne. Il exprima l'espoir qu'avec l'aide de Dieu ce voyage serait utile à la cause de la religion et au bien commun de la chrétienté, particulièrement aussi à l'avantage des Pays-Bas, desquels, disait-il, et de tout ce qui les concerne Sa Majesté tiendra continuellement le soin qu'un bon prince doit avoir et que méritent la parfaite loyauté, la fidélité et les grands et perpétuels services des sujets de ces pays. De nouveaux subsides devant être demandés aux états, il fit appel à leur patriotisme et au dévouement dont ils avaient donné tant de preuves à leur souverain, pour arriver, par un puissant effort, à ranger une bonne fois les Français à la raison et à garantir pour toujours le pays de leurs entreprises[494]. Charles ajouta quelques mots dans le même sens aux paroles de l'orateur, et le pensionnaire des états répondant en leur nom, répéta la promesse faite à Diest par le chancelier de Brabant qu'ils seraient toujours prêts à le servir de leurs corps et de leurs biens. Le 2 janvier 1544, l'empereur prit le chemin de Spire. En passant à Cologne il apprit l'apostasie de l'archevêque, Herman de Wied, et loua hautement les membres du chapitre qui avaient repoussé avec énergie les tentatives de séduction de l'indigne prélat. A Creuznach, le 20 janvier, il reçut le cardinal Farnèse venant de France, où le pape Paul HI l'avait envoyé pour exhorter le roi à la paix, et qui était chargé de la même mission auprès de lui. Charles répondit qu'il avait, par le passé, fait au roi les propositions les plus avantageuses ; que celui-ci les avait toujours repoussées ; qu'il n'avait plus d'offre à faire ; que quand le roi mettrait en avant des projets d'arrangement, on le trouverait disposé à y entendre, si ces projets étaient justes. Le 30 janvier, l'empereur fit son entrée à Spire, mais la diète ne put s'ouvrir que le 20 février, à cause des nombreuses absences des princes et même des électeurs. Après de courtes délibérations, elle se prononça pour la guerre contre la France. L'alliance de François Ier avec les Turcs avait excité l'indignation de toute l'Allemagne ; on reprochait aussi au roi d'avoir dit qu'il ne désirait rien tant que de faire boire à son cheval de l'eau du Rhin : l'entraînement contre lui était général. Le 13 mars, une députation de six membres du collège électoral et de six membres du collège des princes alla porter à l'empereur la résolution de la diète. Charles-Quint en ressentit une joie indicible. Ç'a été, par ma foi, une grande chose, disait à cette occasion Granvelle aux ambassadeurs de Venise[495], et même une chose inespérée de Sa Majesté, que l'Allemagne, où le roi de France se vantoit d'avoir tant d'amis, se soit tout entière déclarée comme elle l'a fait. Autant il avait été facile de s'entendre sur ce point, autant il se présenta de difficultés pour mettre d'accord les catholiques et les protestants au sujet de la paix publique de l'Allemagne et de l'organisation de la chambre impériale. La position de Charles-Quint était délicate. Si d'un côté il était plein de zèle pour la religion catholique, de l'autre le besoin qu'il avait des protestants le forçait de les ménager dans l'intérêt même de la cause religieuse. Enfin, après bien des pourparlers, un recez put être arrêté et publié le 10 juin. Ce recez portait que les états accordaient, pour six mois, à l'empereur les fonds nécessaires à l'entretien de vingt mille hommes de pied et de quatre mille chevaux destinés à combattre le roi de France et les Turcs ; qu'une capitation dont le produit servirait aussi à la guerre contre les Turcs serait levée par toute l'Allemagne sans exemption aucune ; que les autres affaires dont la diète avait eu à s'occuper n'ayant pas permis de résoudre la question religieuse, cette question était renvoyée à une diète postérieure ; qu'en attendant le décret d'Augsbourg et les autres décrets rendus contre les protestants seraient suspendus ; que les juges de la chambre impériale continueraient à remplir leurs fonctions jusqu'à l'expiration du terme fixé pour l'entretien de cette chambre[496]. Pendant que la diète se livrait à l'examen de ces questions épineuses, plusieurs incidents, que nous ne pouvons omettre de mentionner, vinrent occuper les loisirs de l'empereur. Vers la fin d'avril, on apprit à Spire la défaite essuyée par les troupes impériales à Cérisoles[497]. Les électeurs, la plupart des princes de l'empire, les ambassadeurs allèrent exprimer à Charles-Quint le déplaisir qu'ils en éprouvaient. Une seule chose m'afflige, répondit l'empereur, c'est la perte des pauvres gens qui sont morts pour mon service. Le 5 mai, eut lieu une imposante cérémonie. Charles-Quint, en grand costume impérial, entouré des archiducs et de la haute noblesse, donna, en la maison de ville, à Wolfsgang Schutzbar l'investiture de la grande maîtrise de l'ordre teutonique, qu'avait laissée vacante quelques années auparavant l'apostasie d'Albert de Brandebourg. Une autre cérémonie, suivie de fêtes brillantes, occupa ensuite la cour impériale : ce fut le mariage du comte Lamoral d'Egmont avec la princesse Sabine de Bavière. Enfin, le 23 mai, l'empereur, plus attentif aux intérêts de ses sujets qu'à ceux de sa famille, signa avec le roi Christi ern III de Danemark un traité de paix héréditaire et perpétuelle. Cette paix de Spire terminait une lutte de vingt ans, non moins funeste aux Pays-Bas qu'à leurs ennemis ; elle consacra le principe de la liberté du commerce entre les sujets des parties contractantes. Charles, abandonnant complètement la cause de son malheureux beau-frère, reconnaissait Christiern III comme roi de Danemark ; celui-ci, en compensation, promettait d'adoucir la captivité du prisonnier de Sonderbourg[498]. La paix, publiée sur le champ dans les Pays-Bas, y fit reprendre un vif essor aux transactions commerciales[499]. A peine le recez eut-il été publié que Charles-Quint, impatient d'entrer en campagne, quitta Spire et se dirigea vers Metz, où il arriva le 16 juin. Il était tellement pressé de partir qu'il était monté à cheval sans se donner le temps de signer l'acte de la diète, laissant ce soin au roi des Romains[500]. L'armée impériale, dont il allait prendre le commandement, était composée de treize enseignes de lansquenets formant un effectif de six mille six cents combattants commandés par le prince d'Orange, René de Chaton ; de trois mille sept cents Espagnols ; des escadrons du duc Maurice de Saxe, du marquis Albert de Brandebourg, du grand maître de l'ordre teutonique et de quelques autres princes allemands ; enfin des gens de sa maison et de sa garde. Ces dernières troupes réunies comptaient deux mille trois cents chevaux environ, avec mille pionniers et une artillerie de campagne remarquable par sa légèreté, la meilleure et la plus belle, dit un envoyé vénitien, que l'empereur eût encore eue[501]. Fernand de Gonzague, envoyé en avant, s'empara non sans peine de Luxembourg, de Commercy, que défendaient deux châteaux dont la Meuse baignait les murailles, et de Ligny, où s'estoient mis le comte de Brienne, seigneur du lieu, et plusieurs autres capitaines, avec quinze cents hommes de pied et environ cent hommes armés. Le 8 juillet, l'armée impériale parut devant Saint-Dizier[502]. Cette ville était défendue par le comte de Sancerre et Lalande, l'ancien commandant de Landrecies. Au premier avis de la marche des Impériaux, ces deux chefs avaient occupé de force les abords de la place et rompu les digues des étangs voisins ; ils empêchèrent ainsi, pour quelque temps, l'empereur de s'approcher de ce côté. François Ier, fort attentif à ce qui se passait, avait rassemblé des forces considérables. Le dauphin, accompagné du duc d'Orléans et de l'amiral d'Annebault, vint prendre position à Jallon, entre Épernay et Châlons, à la tête de dix mille Suisses, de plusieurs milliers de Grisons et de lansquenets, d'autres fantassins français, et de deux mille hommes d'armes, sans compter deux mille chevau-légers. Vitry[503] fut occupé par le seigneur de Brissac et des détachements de gens de cheval et de pied. On était au cœur de l'été, et cependant il pleuvait
continuellement ; les chemins étaient affreux. L'empereur, dit M. Gachard, ne
négligea aucune des précautions qu'on pouvait se promettre d'un prudent et
valeureux capitaine, ordonnant lui-même chaque chose et voulant être
constamment au milieu de son armée. Il arriva de sa personne, le 13 juillet[504], au camp devant
Saint-Dizier ; il était brisé de fatigue, cependant il voulut, le jour même,
aller reconnaître la place[505]. Fernand de
Gonzague, chargé de diriger l'attaque, s'était établi dans une vallée entre
la Marne et la ville assiégée. Ayant ouvert ses
tranchées droit la pointe du boullevart de la Victoire, il y dressa deux
fortes batteries, l'une qui battoit depuis ledit boullevart jusques à la
porte qui descend aux moulins ; l'autre qui battait en flanc. Pour
contenir les sorties des assiégés, le prince d'Orange, avec une partie de ses
Bas-Allemands et six couleuvrines, prit position vis-à-vis
du chasteau, près du pont estant sur la Marne. Il était parvenu à détourner
les eaux du fossé, et avoit mis ainsi les assiégés
en nécessité d'eaue, car ils n'avoient plus que trois puits, qui mal aisément
pouvoient fournir aux gens de guerre[506]. Tandis que l'empereur se disposait à pousser avec vigueur les opérations du siège, un coup fatal vint le priver d'un de ses meilleurs généraux. Le 14 juillet, dans l'après-midi, le prince d'Orange, désireux de connaître l'état de la batterie, descendit dans la tranchée. Gonzague s'y trouvait : pour faire honneur au prince, il lui offrit la chaise sur laquelle il était assis, et se rassit à terre en face de lui[507]. Au même instant une balle lancée par un mousquet du haut des remparts atteignit le prince au côté droit de la poitrine, à la conjonction de l'épaule et du bras. On le transporta presque mort au logis de l'empereur ; il y expira le lendemain dans la soirée[508]. René de Chalon avait épousé Anne de Lorraine, dont il n'eut point d'enfants. Sa succession passa à Guillaume de Nassau, si célèbre dans notre Histoire sous le nom du Taciturne ; Guillaume était le fils aîné d'un oncle paternel de René de Chalon[509]. La mort de ce jeune et brave général excita dans l'armée un regret universel, mais personne n'en fut aussi affecté que Charles-Quint[510]. Navagero trace du prince d'Orange le portrait suivant[511] : Ce prince avait le commandement de huit mille gens de pied, des meilleurs qui servissent sa majesté impériale ; il faisait la guerre par amour de la gloire, et par affection et dévouement pour l'empereur. Il était cher, non seulement à ses soldats, mais encore aux Espagnols et à tous les autres. Son affabilité, sa libéralité, sa noblesse, sa valeur le faisaient aimer de chacun. Il ne comptait que vingt-six ans ; il avait une figure agréable. Ses revenus étaient de soixante à septante mille ducats, et ils se seraient élevés à cent dix mille, si le roi de France et le landgrave de Hesse ne se fussent emparés d'une partie de ses possessions. Par une coïncidence digne de remarque, le jour même où fut frappé René de Chalon, un coup de canon tuait dans Saint-Dizier le capitaine Lalande. Les troupes espagnoles étaient justement renommées pour leur valeur, dit M. Gachard, mais elles n'étaient pas aussi recommandables par leur discipline. Le 15 juillet, elles s'avisèrent, sans ordre de l'empereur ni de son lieutenant général, de donner l'assaut à la place assiégée ; elles furent repoussées après avoir perdu assez de monde. Navagero attribue surtout cet échec au peu de bravoure déployé par les Allemands[512]. Les Français qui occupaient Vitry interceptaient les convois dirigés vers le camp impérial, et espéraient, à la faveur de quelque occasion propice, jeter du renfort dans Saint-Dizier. Charles-Quint tint conseil avec ses principaux officiers, le 23 juillet, et résolut de les attaquer. L'expédition, conduite par Maurice de Saxe, Albert de Brandebourg, François d'Este et Guillaume de Furstemberg, eut un plein succès. Les Français évacuèrent Vitry, et perdirent clans leur retraite au delà de quinze cents hommes tués ou blessés[513]. Le comte de Sancerre, qui commandait à Saint-Dizier, ayant perdu l'espoir d'être secouru, demanda à parlementer le 8 août. Après vingt-quatre heures de négociations, il fut convenu que la ville serait rendue, si, dans les huit jours, le roi de France ne forçait pas l'armée impériale d'en lever le siège[514]. Le délai expiré, la garnison sortit le 17. Tous les habitants, sans distinction d'âge ni de sexe, voulurent la suivre, emportant avec eux le corps du brave Lalande, enterré depuis un mois. L'empereur assista en personne à. cette sortie. Il avait appris que les Allemands se proposaient de venger, sur les soldats français, la mort du prince d'Orange : il ordonna la veille qu'ils abandonnassent, leurs logements, par où les assiégés devaient passer ; il prescrivit aux généraux de veiller à ce qu'il ne se commit aucun désordre ; il fit placer des échelles et des cordes auprès des fourches destinées à ceux qui se rendraient coupables de quelque délit, et commit plusieurs officiers de justice pour les faire pendre sur le champ, si le cas se présentait. Grâce à ces mesures énergiques, la garnison n'essuya pas la moindre insulte. Le comte de Sancerre quitta un instant sa troupe pour venir saluer l'empereur, qui l'accueillit avec distinction[515]. L'ingénieur vénitien Mario Savorgano fut chargé de rétablir les fortifications de la ville. Cependant Henri VIII, qui devait entrer en France avant le 20 juin, était arrivé à Calais le 15 juillet seulement. Ce fut ce long retard qui compromit le succès complet de la campagne. Après avoir ainsi retardé l'ouverture des hostilités, en ce qui le concernait, au lieu de réunir ses forces à celles de l'empereur, il s'opiniâtra à prendre Boulogne et Montreuil ; bien plus on ne tarda pas à le voir négocier avec l'ennemi. Le comte de Buren avait amené au duc de Norfolk, qui commandait les forces anglaises, deux mille hommes de pied et deux mille chevaux des Pays-Bas. L'apathie des troupes de Henri VIII, attardées au siège de Montreuil, n'était pas sans produire chez nos soldats un vif mécontentement et d'odieux soupçons[516]. Ces soupçons Marie de Hongrie les partageait, et elles les communiqua à l'empereur. Certaine que le prince anglais ne cherchait qu'une occasion de rupture, elle évita avec le soin le plus attentif de la lui fournir ; au contraire, elle lui procura des pionniers et des chevaux de trait pour le transport de son artillerie[517], lui envoya des renforts, entre autres trois cents Flamands commandés par le capitaine Taphoorn et cent artilleurs espagnols, veilla à ce que les vivres ne manquassent pas à son armée ; elle autorisa aussi les sujets des Pays-Bas à prendre du service dans l'armée anglaise. Charles-Quint averti que des négociations étaient entamées entre les deux rois de France et d'Angleterre, dissimula quelque temps et feignit même de vouloir prendre part à ces négociations. Mais il était bien résolu à poursuivre ses succès. Son honneur était engagé ; il voulait marcher en avant et contraindre François Ier à accepter enfin la bataille ou à souscrire à ses conditions. L'empereur, après avoir mis garnison dans Saint-Dizier, leva donc son camp le 25 août pour se porter en avant., Son armée avait reçu, le 11, un renfort d'infanterie allemande commandé par Christophe de Landenberg[518]. Un convoi de sept cents chariots de vivres et un secours de trois cent mille ducats venaient de lui parvenir aussi[519]. En ce moment Charles-Quint, avait sous ses drapeaux vingt-sept mille fantassins, dont cinq mille Espagnols, et la cavalerie qu'il avait amenée d'Allemagne, augmentée de quelques escadrons. Au rapport de Navagero, l'infanterie était en majeure partie excellente, et la cavalerie superbe, à l'exception des chevau-légers. L'artillerie consistait en soixante pièces parfaitement montées, quarante de batterie et vingt de campagne[520]. L'empereur coucha le 26 à Vitry, le 28 à Saint-Pierre, le 30 à la Chassée. Le 31 août, il était à une petite distance de Châlons. Il dépassa cette ville sans l'attaquer. Une troupe de gens de cheval, conduite par quelques gentilshommes qui s'étaient enfermés dans cette place avec le duc de Nevers, vint se heurter étourdiment contre la cavalerie impériale ; la plupart de ceux qui en faisaient partie furent pris ou tués[521]. Du côté des Impériaux, le comte Guillaume de Furstemberg, en reconnaissant un gué, tomba au pouvoir des Français, qui le traitèrent fort mal et l'envoyèrent à la Bastille[522]. Charles-Quint espérait forcer l'ennemi à accepter la bataille, mais le dauphin avait ordre d'éviter un engagement à tout prix, et reculait toujours. Continuant alors à descendre la rive droite de la Marne, il prit successivement Aï et Épernay, que les Français avaient abandonnés. En ces deux villes furent butinés beaucoup de biens et de vivres ; entre autres de grandes richesses dedans les basteaux que les villes et pays avoient chargés pour mener à Paris furent saccagées. L'empereur marcha ensuite sur Château-Thierry, qui fut semblablement prins et saccagé, avec tous les lieux forts et foibles sur son passage[523]. Les grands approvisionnements de vivres trouvés dans ces places ramenèrent l'abondance dans l'armée. Tous les maux qu'elle avait soufferts en traversant la Champagne furent oubliés, et son chef, dit M. Henne, encouragé par ces rapides conquêtes, rompit sur le champ les négociations entamées[524]. La prise de Château-Thierry, qui n'était qu'à deux jours de chemin de Paris, jeta la terreur dans cette capitale. On vit une foule de riches bourgeois charger leurs effets les plus précieux sur la Seine, ou les envoyer par terre à Orléans et dans les villes sur la Loire ; chacun fuyait, songeant moins à se défendre qu'à se mettre en sûreté[525]. Le dauphin envoya sept à huit mille hommes sous le seigneur de Lorges occuper Lagny et Meaux ; lui-même se jeta dans La Ferté-sous-Jouarre, pendant que François Ier accourait, non pour garder les Parisiens d'avoir peur, disait-il, mais pour les garder d'avoir mal. Le 12 septembre, l'armée impériale était devant Soissons, qui lui ouvrit ses portes à la première sommation[526]. Malgré ces nouveaux succès et tout son désir de combattre, l'empereur commençait en ce moment à incliner vers la paix. Si les Anglais l'avaient secondé, comme il avait le droit de l'espérer, en commandant le passage de la Marne et le cours de quelques autres rivières voisines, lui-même, appuyé sur des places importantes, eût pris à revers l'armée du dauphin et aurait eu probablement en ses mains le sort de la France. Mais Henri VIII ne cachait plus son manque de parole, et traitait ouvertement avec l'ennemi[527]. Dans cette situation, il eût été plus que téméraire de laisser les Français en force derrière soi, et de marcher sur Paris avec des troupes peu disciplinées, chargées de butin et d'un nombreux bagage, alors qu'on -commençait à éprouver de nouveau l'empêchement de vivres et la difficulté de se procurer l'argent destiné à la solde. François Ier, d'autre part, multipliait les tentatives directes et indirectes en vue de décider l'empereur à accueillir des propositions de paix. La dernière de ces tentatives réussit enfin. Il y avait, à cette époque, à Paris, un religieux espagnol de l'ordre de Saint Dominique, qui s'appelait fray Gabriël Guzman, et qui était confesseur de la reine Éléonore. Celle-ci l'envoya au confesseur de sa sœur Marie de Hongrie, sachant toute l'influence que la régente exerçait sur l'empereur. Fray Gabriël fit plusieurs voyages au camp impérial, et, sur ses instances, un sauf-conduit lui fut remis pour le secrétaire d'état Claude de l'Aubespine. Ce dernier eut, le 21 et le 22 août, de longues conférences avec Granvelle et Fernand de Gonzague. A la suite de ces conférences, Charles-Quint consentit à donner un nouveau sauf-conduit à l'amiral d'Annebault. Le 29 août, l'amiral, accompagné d'un président au parlement de Paris et du secrétaire Bayard, se rendit à Saint-Amand, à une demi-lieue du camp impérial ; il y trouva Granvelle, son fils l'évêque d'Arras, qui commençait à jouer un rôle marquant sur la scène politique ; Gonzague[528] et le secrétaire espagnol Alonso de Idiaquez. Une conférence, qui dura cinq heures, se tint entre eux dans une église du lieu ; fray Gabriël de Guzman y intervint. Cette conférence n'aboutit à aucun résultat : ce qui fit dire à Navagero, écrivant au conseil des Dix, que tous étaient sortis de l'église moins contents qu'ils n'y étaient entrés[529]. L'amiral repartit immédiatement pour aller rendre compte de ce qui s'était passé à son souverain. Il revint le 1er septembre avec le conseiller de Neuilly, et une nouvelle conférence eut lieu dans une maison de campagne de l'évêque de Châlons, tout près de cette ville. Le 4, arrivèrent au camp le secrétaire Bayard et un gentilhomme que la reine Éléonore envoyait à son frère. Le bailli de Dijon s'y présenta le lendemain, et fut toute la nuit en pourparlers avec les ministres de l'empereur. Toutes ces allées et ces venues prouvaient assez le grand désir que François Ier avait de faire la paix. De son côté, Charles-Quint, nous l'avons dit, sentit fléchir sa résolution de poursuivre la guerre. Le concours que le roi d'Angleterre s'était engagé à prêter à ses armes lui faisait de plus en plus défaut. Le service des approvisionnements était fort mal réglé dans les armées de l'époque ; plus on s'éloignait des frontières des Pays-Bas, plus on souffrait de la disette[530]. L'abondance dont on avait joui pendant quelques jours rendait plus sensibles encore les privations auxquelles on était soumis. L'argent commençait à manquer aussi, et les troupes n'étant pas régulièrement payées[531], il était malaisé de les contenir dans le devoir[532]. Enfin la saison s'avançait, et il était à craindre que bientôt les chemins ne fussent impraticables pour l'artillerie et les convois de vivres et de munitions. Ces considérations, auxquelles il faut ajouter les soucis que donnaient à Charles-Quint les affaires religieuses de l'Allemagne et les progrès des Turcs en Hongrie, finirent par disposer l'empereur à accepter les propositions de la France. Toutefois, avant de se résoudre, il voulut avoir une explication catégorique de la part de Henri VIII, et lui dépêcha, le 7 septembre, l'évêque d'Arras chargé de demander au monarque anglais si, dans le cas où il continuerait sa marche sur Paris, les troupes anglaises se mettraient en mouvement pour lui prêter la main. Henri VIII déclara nettement qu'il ne pouvait rien faire pour seconder les opérations militaires de Charles-Quint, et que d'ailleurs le temps, pendant lequel les deux souverains étaient convenus de tenir leurs troupes sur pied, était sur le point d'expirer[533]. L'évêque d'Arras était de retour auprès de l'empereur le
18 septembre. Dès l'avant-veille Charles-Quint avait autorisé Granvelle et
Gonzague à conclure avec les plénipotentiaires français. Tout étant terminé,
l'amiral d'Annebault vint, le 17, à l'abbaye de Saint-Marceau, près de
Soissons, présenter ses hommages à l'empereur. Le lendemain, sans être
attendu, le duc d'Orléans arriva en personne à Crespy, où Charles venait de
transporter son quartier. général. Voici, si l'on en croit l'envoyé vénitien
souvent cité, les paroles adressées par François Ier à son fils en l'envoyant
vers l'empereur[534] : Mon fils, vous avez vingt-deux ans. Vous avez pu voir que
toutes les guerres que j'ai faites, tous les périls auxquels je me suis
exposé, ont été à cause de vous, et pour l'amour que je vous porte. Dieu et
la fortune ont voulu que toutes ces guerres aient eu le résultat dont vous
êtes témoin. Je me suis résolu à vous donner à l'empereur pour fils et pour
serviteur : honorez le comme votre père et obéissez lui comme à votre
souverain. Je vous bénis, en vous exhortant à raison de mon âge et vous
commandant comme père, si l'empereur venait à vous charger de prendre les
armes, fût-ce contre moi et contre mon royaume, de le faire sans aucun
scrupule. L'amiral, en présentant le duc à l'empereur, lui dit : Voici un prisonnier que le roi mon seigneur envoie à Votre
Majesté[535]. Ce n'est point un prisonnier, c'est un fils que je reçois,
répondit l'empereur, accompagnant cette réponse d'un doux sourire et
d'embrassements paternels[536]. L'ambassadeur
vénitien, qui était présent, fait un portrait flatteur de Charles de Valois, prince, dit-il, qui se
montre plein d'amabilité et de vivacité, aussi courtois que modeste[537]. Le traité de paix fut donc signé, comme nous venons de le dire, le 18 septembre 1544, à Crespy-en-Laonnais[538]. Par ce traité, qui assura définitivement, dit M. Henne, la prédominance de Charles-Quint sur son rival, les deux monarques convinrent d'une bonne et perpétuelle paix entre eux et leurs sujets, avec complète liberté de relations et de commerce. Ils renoncèrent à toutes prétentions, François Ier, sur les royaumes d'Aragon et de Naples, sur les comtés de Flandre, d'Artois et leurs dépendances, sur le duché de Gueldre et le comté de Zutphen ; Charles-Quint, sur la Bourgogne et ses dépendances, ainsi que sur les villes et seigneuries de la Somme, possédées jadis par Philippe le Bon. Ils se restituaient toutes les villes conquises depuis la prise de Nice : l'un Yvoy, Montmédy et Landrecies ; l'autre, Commercy, Ligny et Saint-Dizier. Les deux souverains convenaient de travailler de concert à la réunion de l'Église et à la défense de la chrétienté contre les Turcs. A cet effet, François Ier promettait de fournir, six semaines après en avoir été requis, six cents hommes d'armes à sa solde et dix mille fantassins. Afin de cimenter l'amitié entre les maisons d'Autriche et de France, le traité arrêtait le mariage du duc d'Orléans, soit avec la fille aînée de l'empereur, qui lui apporterait en dot tout l'héritage de l'ancienne maison de Bourgogne dans les Pays-Bas et la Franche-Comté, soit avec la seconde fille du roi des Romains, qui lui transmettrait le Milanais. Dans la première de ces éventualités, la souveraineté des Pays-Bas restait à Charles-Quint sa vie durant ; seulement le duc et la duchesse d'Orléans seraient mis en possession de ces provinces en qualité de gouverneurs, et, à cette condition, François Ier renoncerait à tous ses droits sur Milan et sur Asti, avec la réserve de les reprendre si des enfants habiles à succéder ne naissaient de cette union et ne lui survivaient. L'empereur, qui, en ce cas, rentrait aussi dans ses droits sur la Bourgogne, avait un délai de quatre mois pour opter entre ces deux projets de mariage. Le roi s'engageait formellement en outre à donner pour apanage à son fils les duchés d'Orléans, de Bourbon, d'Angoulême, de Châtelleraut, et même le duché d'Alençon, au cas que les quatre premiers fussent insuffisants à lui constituer un revenu de cent mille livres quittes de toute charge[539]. La paix de Crespy, dit M. Henne, ne fut point accueillie dans les Pays-Bas avec la joie que cause naturellement aux peuples la fin des guerres, dont seuls ils supportent les charges et les horreurs[540]. Si Charles-Quint dictait la loi à son rival, gardait ses conquêtes en Italie, obligeait François Ier à renoncer à ses prétentions sur Naples et sur l'Artois et voyait ses possessions accrues dans les Pays-Bas, le monarque français conservait le duché de Bourgogne, et la France restait telle que Louis XI l'avait constituée aux dépens de la fille de Charles le Téméraire[541]. La nation n'obtenait aucun dédommagement des énormes sacrifices qui lui avaient été imposés, des calamités qui l'avaient frappée, et dont elle eut à souffrir longtemps. Aussi parlait-on diversement de ce traité dans les Pays-Bas et ailleurs. On disait que ces grands armements n'avaient pas servi à grand chose, et ce sentiment était partagé par les meilleurs serviteurs de Charles. On les entendait s'exprimer avec liberté sur le compte de ceux qui avaient négocié la paix, aussi bien que de ceux qui l'avaient conseillée[542]. Le mécontentement fut tel que les ministres de l'empereur sentirent le besoin d'expliquer les causes qui l'avaient porté à traiter, alors qu'il semblait près d'écraser l'éternelle ennemie du repos et de la prospérité des Pays-Bas[543]. Le traité ne fut pas mieux accueilli en France. La paix de Crespy fut jugée si mauvaise que le dauphin se crut obligé de protester, d'abord secrètement par devant notaires, puis à Fontainebleau, le 12 décembre, en présence de trois princes de la maison royale. Ce sentiment fut si général que plusieurs grands corps, entre autres le parlement de Toulouse (26 janvier 1545), suivirent l'exemple du dauphin[544]. |
[1] Archives de l'Audience. — Comptes de Jean Moys et de Nicolas Nicolaï, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[2] Compte de Jean Van Rooden, receveur général des aides en Flandre, aux archives du royaume. Citation de M. Henne.
[3] Wagenaar.
[4] Comptes de Henri de Lespinée, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[5] Compte de Jean de la Croix, receveur général des aides du Hainaut. Citation de M. Henne.
[6] Compte de la recette générale. Citation de M. Henne.
[7] Compte de la recette générale. Citation de M. Henne.
[8] Compte du duc d'Arschot.
[9] Compte de P. de Greboval.
[10] Step. Hanewinkel. Citation de M. Henne.
[11] Placards de Flandre, I, 18-20.
[12] Le premier lui avait été accordé par lettres patentes du 24 décembre 1538. Compte de P. de Greboval, de 1541, f° 339. Citation de M. Henne.
[13] Édits de Luxembourg, 56.
[14] Manuscrit de la bibliothèque de Liège, cité par M. Gachet. Bulletins de la Commission d'histoire, 1re série, LX, 91.
[15] Eugène del Marmol, De l'influence du règne de Charles-Quint sur la législation et sur les institutions politiques de la Belgique. Mémoire couronné par l'Académie, introduction, page 12.
[16] Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, t. I, ch. I, art. 5.
[17] Lettre de l'empereur au grand bailli du Hainaut, du 18 septembre 1540. M. Gachard, Des Assemblées nationales de la Belgique, 46.
[18] Il y a, dit M. Gachard, aux Archives du royaume, cieux minutes du conseiller Van Schore, toutes deux de sa main. Dans la première, le passage que nous donnons en italique était ainsi conçu : non pour assujétir ou asservir ses sujets plus qu'ils n'ont esté du passé, ce que S. M. ne pensit oncques ne voudroit pour rien faire. Ce passage avait été reproduit dans la seconde minute ; mais Van Schore l'effaça, pour y substituer celui dont il fut donné lecture aux états. Il est à croire que l'empereur lui-même ne fut pas étranger à ce changement. Biographie nationale.
[19] M. Gachard, Biographie nationale.
[20] Placards de Brabant, III, 261.
[21] Voir, entre autres, Azevedo et l'Histoire de Bruxelles, II, 628-629.
[22] L'enquête par turbes consistait dans la déclaration délibérée et faite en commun, par des gens de loi ou des praticiens versés dans la connaissance des coutumes et réunis au nombre de dix à quinze. Defacqz, ouvrage cité, 165.
[23] Au lieutenant de ce bailly pour, ensuivant lettres closes du bailly de Tenremonde, avoir recueilli par escript, ensuivant l'ordonnance de l'empereur, les coustumes dudit lieu et les manières des procédures que l'on y tient, et le tout avoir porté à Tenremonde devers ledit bailly. Compte de Gauthier Van Eetvelde, bailli de Wetteren, de 1521, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[24] Lettre de l'empereur au bailli du Hainaut, du 6 mai 1522. Compte de Jacques de Gavre. Citation de M. Henne
[25] Compte de Jacques de Gavre. Citation de M. Henne.
[26] Azevedo, ad annum 1528.
[27] Placards de Flandre, I, 279.
[28] Édits de Luxembourg, page 29.
[29] Édits de Luxembourg, page 55, art. 6.
[30] Compte de J. B. de Werchin. Citation de M. Henne.
[31] M. Defacqz, sur les Coutumes.
[32] Édit du 20 février 1526, Placards de Flandre, I, 747, et article 1er du chapitre XCVI des Chartes générales du Hainaut.
[33] Article 66 de cette coutume.
[34] Édit à la suite des Coutumes de Namur, 184.
[35] Ordonnance du 4 octobre 1540, art. 8.
[36] Placards de Brabant, IV, 519.
[37] Ordonnance, art. 2.
[38] Deux éditions des coutumes et ordonnances de Namur que nous avons sous les yeux, dit M. del Marmol, portent dans notre édit les mots père et mère, au lieu de père ou mère. Nous avons cependant préféré la particule ou qui se retrouve également dans le texte flamand, rendu par le mot ofte (Placards de Flandre, I, 774). Ce qui nous confirme dans notre opinion, c'est que, dans la seconde partie de l'article, les éditions de Namur citées ci-dessus parlent du consentement du père ou de la mère. Mémoire cité, page 36, en note.
[39] Article 48 de la Caroline. Cet article est ainsi conçu : La fille ayant père et mère, se mariant sans consentement d'iceulx au dessoubs de dix-huit ans, pourra estre exhérédée par le survivant, et, si elle estait orpheline de père et de mère et que, sans le consentement de ses tuteurs ou prochains pareils, fust séduite ou se mariast dessoubs l'eaige que dessus, elle forfera le tiers de tous ses biens, qui s'applicquera à nostre prouffit, et sera tel séducteur et mary banny à tousjours hors de nostre ville de Gand, pays et comté de Flandre, et la moitié de ses biens confisquiez. Les Carolines de Courtrai et d'Audenarde contiennent des dispositions analogues.
[40] Article 10 de l'édit.
[41] Édits de Luxembourg, page 30, art. 4.
[42] Ordonnance du 20 septembre 1539. Placards de Flandre, I, 217.
[43] Édits de Luxembourg, page 45.
[44] Daru, Histoire de Venise, IV.
[45] Ferreoli Locrii, Chronicon Belgicum, 572.
[46] Le baron de Reiffenberg, Coup d'œil sur les relations qui ont existé jadis entre la Belgique et le Portugal, page 39.
[47] Octrois des 30 juin et 11 juillet 1488.
[48] Altmeyer, Des causes de la décadence du comptoir hanséatique de Bruges.
[49] Ut emporium non solum Belgicœ sed etiam Europæ, imo totius universi fuerit celeberrimum, quando externi mercatores fluido refluidoquè Schaldis alveo ad eam commeare et peregrinas merces apportare, illicque fixas sedes hahere solebant. Document communiqué à la Commission d'histoire par M. de Ram. Bulletins, 2e série, VIII, 296.
Les poètes, remarque M. Henne, lui faisaient dire :
Lugdunum omnigenum est, operosa Lutetia, Roma
Ingens, res Venetum vasta, Tolosa potens,
Omnimodœ merces, artes priscæque novæque,
Quorum insunt aliis singula, cuncta mihi.
[50] L. Guicciardin. — Shaw, Essai sur les Pays-Bas autrichiens, Londres, 1788.
[51] Monuments de la diplomatie vénitienne, 105.
[52] Frederigo Badoaro.
[53] 1.662.500.000 florins, Mémoire sur le commerce des Pays-Bas au XVe et au XVIe siècle.
[54] On cite, entre autres, Antoine Fugger, qui fut tour à tour le banquier de Maximilien, de Philippe le Beau, de Charles-Quint. Il laissa à ses héritiers plus de six millions d'écus d'or, sans compter ses autres biens, dit Guicciardin. — Il habitait dans la rue Rempart des tailleurs de pierre une maison qui a conservé le nom de Fokkershuis par altération de Fuggershuis. A Anvers, ajoute M. Henne, pour désigner un homme extrêmement riche, on dit encore : c'est un ryke Fokker.
[55] M. Kreglinger a inséré la liste des emprunts contractés à Anvers pour compte du souverain et des états du Brabant, durant le règne de Charles-Quint, dans sa Notice historique sur les impôts communaux de la ville d'Anvers.
[56] Les négociants anversois prêtèrent un jour 152.000 liv. st. (3,800.000 fr.) à Henri VIII, et une autre fois 129.000 carolus à Édouard VI. Les emprunts contractés à Anvers par Marie Tudor et par Élisabeth furent plus considérables encore. On trouve que sir Thomas Gresham, agent de l'Angleterre en cette ville, avait à y rembourser, de mai 1560 à février 1561, 279.565 liv. st. (environ 70 militions de francs). Cet agent dit dans ses notes y avoir emprunté du 17 novembre 1558 au 30 avril 1562, une somme totale de 487,502 liv. 7 sch., ce qui, d'après la valeur de la livre sterling à cette époque, faisait environ 121.750.000 fr., et avoir remboursé 378.289 liv. 14 sch. En juillet 1562, il fut envoyé en toute hâte à Anvers pour y régler le payement de 240,523 liv. 10 sch. 2 deniers, que la reine d'Angleterre devait à plusieurs négociants anversois, à l'échéance du mois d'août, avec ordre de prolonger de six mois le délai de remboursement pour une partie de ce capital, au taux de l'ancien intérêt. Le facteur du roi de Portugal contracta un jour à la bourse, pour compte de son souverain, un emprunt de trois millions d'écus d'or, qui fut couvert en une seule bourse. Les établissements de langue à Anvers au XVIe siècle. Note de M. Henne.
[57] M. Kreglinger.
[58] Caron Scribanii, Origines Antverpiensium, Anvers in-4°, 1610. M. Henne cite tout au long le texte et les chiffres de cet écrivain.
[59] Acte de 1523 aux archives de Louvain, cité par M. Piot, Histoire de Louvain, I, 280, note 3.
[60] Acte de 1523 aux archives de Louvain, cité par M. Piot, Histoire de Louvain, I, 280, note 3.
[61] M. Henne, ouvrage cité, V, 270.
[62] Damien Goes, De magnitudine hispani imperii, 1541. — Dans sa relation, écrite en 1551, l'ambassadeur vénitien Marino Cavalli dit que Bruges tirait annuellement d'Espagne pour plus de trois cent cinquante mille ducats de ces laines.
[63] Dans un rapport concernant les dettes laissées par l'empereur Maximilien, il est dit que aucuns officiers et marchands avoient, par leurs testaments, déchargé l'empereur de grosses sommes qui leur étoient dues. On cite, entre autres, Pierre Lanchals de Bruges. Staatspapiere, 10. Citation de M. Henne.
[64] L. Vivès, De subventione pauperum, II, 28.
[65] En 1523, Marguerite avait demandé à Charles-Quint d'établir à Bruges l'étape de l'épicerie. — Je serois bien enclin, répondit l'empereur, faire aux Brugeois tout le bien et ressource possible, mais à cause que cette marchandise a esté premièrement trouvée aux despens de ce royaume (d'Espagne), je lui ai par raison accordé de tenir l'estaple au port de la Corogne en Galice, et j'y ai déjà fait establir maisons et facteurs avec liberté à toutes les nations d'y avoir accès. Toutefois vous pouvez faire examiner si de quelque autre façon je puis avantager ceux de Bruges, et, dans ce cas, je le ferai très volontiers. Lettre du 16 mars 1523. Reg. Correspondance, f° 90. Citation de M. Henne.
[66] M. Kervyn de Lettenhove, VI, 80-82.
[67] Le Petit, VII, 7. — Bruges, disait Gaspard Contarini en 1525, est d'une médiocre étendue, mais elle est belle, populeuse, et sillonnée de nombreux canaux mêlés d'eau salée, communiquant avec un canal qui va à la mer, où est le port de l'Écluse (il porto della Scheida), tellement qu'elle offre en certains endroits de la ressemblance avec Venise. Elle était autrefois le siège d'un commerce considérable ; mais maintenant, à cause du mauvais état où se trouve le port de l'Écluse, ce commerce a presque entièrement passé à Anvers. Relations, p. 63.
[68] M. de Reiffenberg, Relations avec le Portugal. — En 1550, on importa du Portugal à Anvers pour trois cent mille ducats de pierres précieuses, d'épiceries et de sucre. Le même, Addition au mémoire sur les anciennes relations de la Belgique et du Portugal, dans les Bulletins de l'Académie, XIV.
[69] Sorte de serge ou étoffe croisée très-légère, toute de laine, qui se fabriquait en Flandre et en Artois. — La sayette était une petite serge de soie ou de laine venant d'Italie. Il y a aussi, dit le Dictionnaire de Trévoux, des sayettes ou revêches de Flandre ou d'Angleterre, qui sont des espèces de ratine.
[70] Je trouve sur ce mot la notice suivante dans le Dictionnaire de Trévoux, édition de 1771, tome VI : Ostade, espèce d'étoffe ancienne toute de laine, dont l'usage s'est entièrement perdu. Henri Étienne appelle des manches de deux paroisses, qui sont moitié d'ostade et moitié de velours, pourpoint de trois paroisses, si le corps est de demi-ostade, le bout des manches de cuir et le bas de velours. Il cite ce vers de Villon, ès repues franches : Robe fourrée, pourpoint d'ostade, et une ordonnance de Henri III pour les tissutiers-rubaniers : Se pourront faire toutes sortes de camelots, ostade, demi-ostade, serge, burail et étamine.
[71] Les Pays-Bas faisaient un commerce considérable avec la Livonie ; les draps de Flandre y arrivaient en masse pour être expédiés en Russie. Un grand nombre de Belges et de Hollandais étaient établis à Revel, à Riga, à Dorpat, à Wolmar. Ils y faisaient des fortunes colossales et rapides. Altmeyer, Histoire des Relations commerciales, 371.
[72] L'Espagne fournissait d'abord du mercure à la Belgique, mais elle avait épuisé ses mines en les exploitant avec un excès imprévoyant.
[73] L'Espagnol, ajoute Guicciardin, ennemi du travail et de l'industrie, au moins dans son pays, prend tout des Pays-Bas.
[74] Monuments de la diplomatie vénitienne, pp. 103-104.
[75] M. Moke, Histoire de la Belgique, I, 119.
[76] Compte de la veuve de Daniel de Stoppelaere, bailli du Vieux Bourg, de 1539-1530, aux Archives du royaume.— Compte de Georges Rockotfing, ibid. (Toutes ces citations sont empruntées à M. Henne.)
[77] Les ostades de Valenciennes étaient, paraît-il, fort recherchées à l'étranger. Compte du 100e denier. Cet article est fréquemment répété.
[78] Compte du 100e denier pour ce qui suit.
[79] Vinchant, Annales du Hainaut, V, 24, pour ce qui suit.
[80] Histoire de Bruxelles et Relation de Marius Cavalli.
[81] M. Gachard, Notice sur les archives de la ville de Gand.
[82] En 1494, Philippe le Beau avait défendu l'importation des étoffes étrangères, et, pour favoriser la draperie flamande, il avait prohibé, le 10 octobre 1497, l'usage des habits de damas, de satin ou de velours (M. Kervyn de Lettenhove, VI, 85). La même année, à la demande des magistrats et des chefs de la gilde de la draperie bruxelloise, ce prince publia un règlement où fourmillent les dispositions les plus restrictives. Mais ces mesures restèrent sans effet. Il en fut de même de l'ordonnance du 8 avril 1502, réglant la vente en détail du drap, et de l'édit du 4 mai 1503, provoqué par une démarche des apprêteurs, teinturiers, foulons et tisserands, qui étaient venus en corps exposer leurs griefs au prince (Histoire de Bruxelles). Les états aussi s'occupèrent fréquemment de mesures destinées à soutenir cette importante industrie, et, clans l'assemblée tenue à Malines, le 24 juin 1506, ils adoptèrent diverses mesures restrictives, qui furent tout aussi inefficaces que celles du gouvernement (Azevedo).
[83] Placards de Flandre, I, 593.
[84] Lettre des maïeur et échevins d'Arras à Marie de Hongrie, du 23 novembre 1537. M. Gachard, Analectes historiques, VII, 139.
[85] Nous avons cité précédemment le passage de la relation de Vincent Quirini, où cet ambassadeur parle avec admiration des magnifiques tapisseries avec figures qu'on fabrique en Brabant : tappezerie bellissime in figure in Brabante. — Monuments de la diplomatie vénitienne, 61.
[86] Description d'une tapisserie faite à Bruges, par M. Lenoir, Paris, 1819. Citation de M. Kervyn.
[87] A Melchior Baillif, marchant de Bruxelles, pour son paiement de cinq pièces de tapisserie à or et sotie, esquelles sont figurés cinq sages du monde, contenant ensemble quatre-vingt huit aulnes trois quarts, que le roi a lui-même acheptées dudit Baillif et d'icelle fait pris et marché à XXV solz l'aulne, 1775 livres. Extraits des comptes des dépenses de François Ier. Archives curieuses de la France, 4re série, III, 96.
[88] M. Arthur Dinaux, Tapisseries de Flandre, dans les Archives historiques du nord de la Flandre et du midi de la Belgique.
[89] Vasari. Voir, au sujet de ces tapisseries, les Artistes étrangers en Belgique, par M. Pinchart, Revue universelle des arts, VII, 387. Comme nous l'avons déjà fait ailleurs, nous avons emprunté presque toutes nos citations, pour cette partie, à M. Henne, V, 283 et suivantes. L'infatigable écrivain a compulsé avec un soin infini ces comptes anciens enfouis dans nos archives, où se révèlent chaque jour à de patients et courageux investigateurs les détails les plus précieux pour la science.
[90] On lit ce qui suit au compte d'Étienne de Liedekerke en 1526 : (Reçu) de Corneille Van Ghinterdaele, à cause que luy estant un des gouverneurs de la draperie, avoit transgressé les statuts et heures faits sur le fait de ladite draperie en vuellant vendre ung drap qui s'appelle ung rouge fil pour un drap qui se appelle unî, noir fil, dont ceulx qui l'y eussent acheté eussent esté trompez et abusez, et pour ce que ledit Corneille estoit aultrement renomé homme de bien, icelluy prins en grâce, à la requeste des gens de bien, et composé, avant jugement, à la somme de LX livres. — De Jehan Cammaert, drappier, à cause qu'il n'avoit point baillé à ung drap de laine la largeur qu'il devoit avoir, icelluy prins en grâce et composé à la somme de xxxvj livres.
[91] Placards de Flandre, I, 610-625.
[92] Histoire de Bruxelles, II, 580-581.
[93] Azevedo, ad hunc annum.
[94] Histoire de Bruxelles, II, 577.
[95] Histoire de Flandre, VI, 87.
[96] Relations de V. Quirini et de M. Cavalli, citées par M. Henne. — A Henry Van den Bossche, demourant à Bruxelles, pour L aulnes de fine toile de Hollande, pour en faire chemises à l'empereur, à XXV sols l'aulne. Revenus et Dépenses de Charles-Quint, 1520-1530. Citation du même.
[97] Menin surtout, au rapport de Marino Cavalli, était renommé pour la fabrication des nappes et des serviettes. — Revenus et dépenses de Charles-Quint, 1520-1530. — Compte de J. Micault de 1529. — Compte de J. de Marnix.
[98] Revenus et dépenses de Charles-Quint. — Compte du 100e denier.
[99] D'après M. Henne, qui cite les comptes de l'hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles, en 1520-1521, une peau de bœuf coûtait environ deux florins de Brabant, et un sac d'écorces 15 sous 6 deniers.
[100] Comptes du 100e denier.
[101] M. Wauters, Histoire des environs de Bruxelles, III, 339. — En se fondant sur les comptes de l'hôpital Saint-Pierre et sur ceux du centième denier, M. Henne évalue aux taux suivants le prix des divers papiers : le papier à écrire se vendait 1 sou 6 deniers la main, 15 à 24 sous la rame ; le papier gris environ 2 sous 6 deniers la rame. Pour les dessins et les plans on se servait de papier lombard, coûtant 11 sous la main, et plus généralement encore de parchemin. Les plumes d'oie qui se préparaient, parait-il, en Hollande, coûtaient un florin seize sous le millier.
[102] Histoire de Bruxelles, I, 163.
[103] Ce dernier trait se rapporte à la qualité du charbon. Histoire de la Belgique, II, 119.
[104] On donnait alors ce nom et celui de pierre calaminaire à l'oxyde de zinc natif, dont on se servait pour la fabrication du cuivre jaune ou laiton.
[105] Ouvrage cité, 63.
[106] Compte du 100e denier.
[107] Compte de Nicaise Hanneron, de 1506. Citation de M. Henne.
[108] Marc Van Waernewyck, Historie van Belgie, 1574.
[109] A. de Quatrefages, Les Animaux utiles.
[110] Azevedo, ad ann. 1519.
[111] Placards de Flandre, I, 360-374.
[112] L'empereur se faisait envoyer en Espagne des harengs et d'autres poissons des Pays-Bas. — Compte de J. Micault, de 1524. Citation de M. Henne.
[113] Ce droit était de deux escalins parisis. — M. Henne a extrait des comptes reposant aux Archives du royaume les chiffres suivants : du 5 avril 1528 à la Saint-Jean-Baptiste 1529, ce droit produisit à Ostende 204 livres 4 sous 11 deniers gros de Flandre ; à Nieuport, le droit de 6 deniers gros de Flandre qui se prélevait sur chaque last de douze tonneaux de harengs importés, donna 49 livres 9 sous de gros en 1543 ; 51 livres 11 sous 6 deniers en 1514 ; 99 livres 16 sous 10 deniers en 1545 ; 114 livres 5 sous 6 deniers en 1546 ; et le brandghelt 45 sous 4 deniers en 1544 ; 42 sous 10 deniers en 1515 ; 66 sous en 1546.
[114] Ordonnances des 19 août 1522, 23 septembre 1531, 20 mai 1546. Placards de Flandre, I, 633, 639, 618.
[115] Lettre du 6 décembre 1535. Altmeyer, Histoire des relations commerciales avec le Nord, 336, 337.
[116] Revenus et dépenses de Charles-Quint.
[117] Compte de J. de Marnix. — Cet article est répété dans tous les comptes, dit M. Henne.
[118] Les comptes de P. de Greboval et de G. de Ronck mentionnent les recettes suivantes : De deux deniers parisis que l'empereur a droit de prendre sur chacun lot de vin, vendu à broche durant la franche feste de Courtrai ; — des courtiers de vin de Rin au Dam, pour une pipe de vin qu'ils doibvent chacun an à l'empereur, à cause du courtage illecq ; — de deux deniers parisis que l'empereur a droit de prendre sur chacun lot de vin vendu durant la franche feste d'Audenaerde, qui est chacun an à la Saint-Remi, trois jours devant la feste, trois jours la feste durant, et trois jours après ; — de deux deniers parisis que l'empereur prent sur chacun lot de vin vendu à la franche feste de Nieufport, durant ès cinq jours d'icelle.
[119] Dans son Histoire des environs de Bruxelles, M. Wauters fait remarquer que dans la plupart des villages il existe ou il a existé des lieux appelés den Wyngaert.
[120] M. V. Deham, Notice sur les anciens impôts de la ville de Louvain.
[121] Schayes, Messager des sciences historiques, année 1833, p. 185.
[122] M. Henne reproduit les quittances de l'impôt payé au profit de l'empereur, d'après le Registre aux dépêches et mandements des finances, aux Archives du royaume.
[123] Quittance de XLV livres xvij sols vj deniers, pour les fermiers des vignobles de l'empereur à Louvain, à quoy montent les trois quars de leur ferme. 28 janvier 1543. Ibid.
[124] Quittance pour Martin le Bidart, de la somme de iiijc mailles de xvj sols pièce, et en tant moins qu'il doibt de reste, à cause de la ferme des vignobles de l'empereur à Namur. 15 février 1551. Ibid.
[125] A ung Bourguignon, serviteur de maistre Pierre Boisot, maistre de la chambre des comptes à Bruxelles, la somme de six livres, dont madame luy a fait don en faveur de la peine qu'il a prins à avoir fait les vins du vinoble du parc estant derrière l'hostel de l'empereur audit Bruxelles, à la mode de ceux de Bourgoigne. Compte de J. de Marnix, de 1525.
[126] Comptes de 1520-1521. Citation de M. Henne.
[127] M. Dandoy, Notice sur les anciens octrois de la ville de Namur.
[128] M. Hennebert, Notice sur l'octroi communal de la ville de Tournai.
[129] En 1539, la vendange fut si abondante, dit M. Henne, qu'on vendait la chopine de vin un liard. La récolte de l'année suivante présenta des résultats non moins heureux ; mais en 1512, 1543 et 1544, un journal de terre produisit à peine une chopine, dont le prix monta à deux sous et demi.
[130] Messager des sciences historiques, ann. 1843, p. 397.
[131] Comptes du 100e denier.
[132] Nom donné par les anciens chimistes à différents sulfates métalliques. Couperose verte, sulfate de fer ; couperose blanche, sulfate de zinc ; couperose blette, sulfate de cuivre.
[133] Ordonnance du 17 juin 1384. Histoire de Bruxelles, I, 164.
[134] Citons, comme exemples, ces chiffres donnés par M. Henne. On en trouve, dit-il, à 32, 36, 48 florins l'aime ; à 22 florins la pièce ; à 16, 30, 40, 60 florins la pipe. Le vin d'Arschot nommé Landolium valait 8 florins l'aime ; le vin doux, 30 florins ; le vin rouge, 72 florins le muid ; le vin de Bourgogne, rarement mentionné, 144 florins la pièce ; le vin de Romagne, qui était fort en vogue, 240 florins la pièce ; le vin du Rhin, 6 et 7 sous la gelte, 18 florins l'aime, 78 et 84 florins le muid ; le vin d'Espagne, 11 florins le baril, 74 florins la pipe, 72 et 90 florins le muid.
[135] Elle donna à Thomas Gresham, chef des marchands anglais établis en cette ville, où il passa une grande partie de sa vie, l'idée de l'Exchange de Londres, nommée originairement Britain's Bourse, qu'il éleva à ses frais en 1566, et qui fut détruite par un incendie un siècle plus tard.
[136] Ce beau monument, qu'un incendie a détruit aussi, dans la nuit du 3 au 4 août 1858, fut bâti, dit-on, près d'une vieille maison décorée des armoiries d'une famille noble, ayant pour supports trois bourses et nommée les Bourses, d'où vint la dénomination du bâtiment consacré aux affaires de commerce et de banque (Guicciardin). — Un écrivain allemand, Busch, rapporte cette circonstance en l'attribuant à tort à la bourse d'Amsterdam, bâtie de 1608 à 1613. — Suivant quelques auteurs, le nom de bourse vient de celui d'une famille noble de Bruges, Van den Beurse, dont la maison servait, en 1530, aux réunions des négociants. L'existence antérieure de la Bourse anglaise renverse ces diverses suppositions. Note de M. Henne.
[137] Placards de Flandre, I, 575, 360-374 et 375-385.
[138] M. Belpaire, Notice historique sur la ville et le port d'Ostende.
[139] M. Gachard, Analectes belgiques, I, 476. — Règlement du 20 janvier 1571 sur les assurances, Placards de Flandre, II, 337.
[140] Les comptes de N. Rifflart et de P. De Greboval mentionnent des recettes, dont la provenance est ainsi indiquée : Des merciers de la ville de Namur, qui doibvent fournir chacun an une livre de poivre à mondit seigneur ; — des eschoppes des merchiers à Courtray, qui doivent chacun an audit seigneur empereur une livre de poivre au terme de la Saint-Jehan ; — des pescheurs de la Lys à Courtray, qui doibvent chacun à l'empereur iij sols iiij deniers, à payer à la Saint-Martin d'hiver ; — des chaudronniers de la ville de Courtray, qui doibvent chacun an audit seigneur empereur ung bassin, au terme de Pasques. Citations de M. Henne.
[141] Zypaeus, Notitia jur. belg., lib. IV : De usuris et nautico fœnore, p. 58, § 3. Note de M. del Marmol.
[142] Mémoire cité, p. 38-39. — Rétablissons, autant que le permet la nature de ce travail, la claire intelligence et les notions vraies de la matière. Fixons bien d'abord la notion du prêt et des différentes espèces de prêt. Le prêt, en général, est un contrat par lequel on livre une chose à quelqu'un, à la charge par celui-ci, ou de rendre individuellement la même chose, ou d'en rendre l'équivalent, après un certain laps de temps. — On distingue deux sortes de prêts : le prêt à usage ou commodat, commodatum, et le prêt de consommation ou simple prêt, mutuum. — Le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre individuellement la même, après s'en être servi. Ce contrat n'a pour objet que les choses dont on peut user sans les détruire, sans les aliéner. Ce qui se consomme par l'usage qu'on en fait, ne peut servir de matière à ce contrat : non potest commodari quod usu consumitur, dit le droit romain. Lorsque le prêteur exige quoi que ce soit pour prix du service qu'il rend à l'emprunteur par le prêt à usage, ce contrat qui est essentiellement gratuit, perd sa nature et son nom : il devient un contrat de louage, c'est à dire, un contrat par lequel une des parties livre à l'autre l'usage d'une chose non consomptible ; moyennant un certain prix que celle-ci promet de lui payer. — Le prêt de consommation, le simple prêt ou mutuum a pour objet les choses qui se consomment par l'usage qu'on en fait ; tels sont le blé, le vin, l'huile, l'argent monnayé, pecunia numerata. Car il y a deux sortes de consommations : l'une naturelle ou physique, l'autre civile ou morale. Il y a consommation- morale, lorsque la chose, sans être détruite, est aliénée et cesse d'appartenir au premier propriétaire. C'est ainsi que nous consommons l'argent monnayé, qui, passant de nos mains dans celles d'un autre, périt en quelque sorte par rapport à nous : ipso usu, assidua permutatione quodammodo extinguitur, disent les Institutes. — Qu'est-ce maintenant que le prêt à intérêt ? C'est un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre certaines choses qui se consomment par l'usage, à la charge par l'emprunteur d'en rendre autant de même espèce et qualité, après un certain terme, et en outre de payer un excédant qu'on appelle intérêt ou usure. On distingue deux sortes d'intérêts : l'intérêt compensatoire et l'intérêt lucratif. L'intérêt compensatoire est celui qu'on perçoit en dédommagement de la perte causée par le prêt, en indemnité des bénéfices que le prêteur aurait tirés de son argent ou de toute autre chose prêtée, s'il s'en était réservé l'usage. Cet intérêt n'est donc point un profit, c'est une indemnité. L'intérêt lucratif est celui qu'on exige comme une récompense, comme le prix du prêt. C'est cet intérêt qu'on appelle proprement usure ; c'est celui qu'en conformité à la parole si claire de l'Évangile : mutuum date, nihil inde sperantes, condamnent invariablement les conciles, les papes et les docteurs de l'Église. L'usure proprement dite doit donc se définir : tout intérêt, tout profit au delà du sort principal exigé de l'emprunteur précisément en vertu du prêt de consommation, ou, comme s'exprime Bossuet, le surplus, ce qui se donne au dessus du prêt, ce qui excède ce qui est donné, ce qui est au dessus du principal. Par son principal on entend la somme d'argent ou les autres choses consomptibles, qui font l'objet ou la matière du prêt. — Ces notions bien comprises suffisent pour éviter toute confusion. Il y a usure lorsque l'intérêt ne peut être considéré comme un juste dédommagement de la perte ou de la privation de profit que l'on souffre en se dépouillant de son argent en faveur d'un autre. Car on peut certainement tirer des intérêts ou plutôt une indemnité lorsqu'il y a pour le prêteur profit cessant, lucrum cessans, ou dommage naissant, damnum emergens, ou tout autre titre extrinsèque au prêt, qui n'entre point dans la nature du prêt, mais qui en est véritablement séparable.
[143] Beyerlinck (Magnum Theatrum vitæ humanæ, 1631, V, 602) dit que cet intérêt s'éleva d'abord à 80 %, et descendit à 60, puis à 40 %. Hoxhorn (Dissertatio de trapezitis, 1640, 32) le fait monter à 60 %. D'après d'autres auteurs, les lombards demandèrent d'abord 60 04, et ils furent successivement réduits à 55 et à 44 %. (Déduction du présent estat et disposition des affaires des monts-de-piété de par deçà, en l'an 1649, 2) ; ou bien, d'après un autre écrivain (Kerkelyke historie en outheden der zeven vereenigden provincien, III, 15), les premiers lombards prêtaient à 80, puis longtemps à 65 %. Jean Boucher (L'usure ensevelie, 1628, t. II, c. 4) donne le tableau suivant des intérêts perçus par les lombards en Belgique : de 1499 à 1515, 130 % ; de 1515 à 1549, 68 % ; de 1519 à 1574, 43 ¹/₃ % ; de 1575 à 1593, 32 ½ %. Le taux de ces premiers intérêts perçus par les lombards doit être regardé comme exagéré ; en tout cas, l'époque est évidemment mal indiquée ; car en supposant que les usuriers aient jamais exigé des intérêts aussi exorbitants, c'était à une époque beaucoup plus reculée, et non au XVIe siècle, où le taux de l'intérêt des rentes hypothéquées était généralement de 10 %. (Nous ne savons si cette conclusion a bien toute la valeur logique que M. Henne veut lui attribuer). — Mais il est essentiel de remarquer que la charge de ces intérêts à payer, était aggravée encore par la manière déloyale dont les lombards établissaient leur compte. Ils ne prêtaient plus que par semaine, et lorsqu'un pauvre négligeait de venir dégager un objet le samedi avant midi, et ne se présentait que l'après-diner, le lombard exigeait l'intérêt de la semaine suivante ; ou bien un pauvre déposait-il le samedi un objet qu'il dégageait le lundi, le lombard lui faisait payer l'intérêt de deux semaines. Dans les deux cas, c'étaient des comptes de semaines rompues. (M. De Decker, Études sur les monts-de-piété de la Belgique — introduction — XXVII et XXVIII). — Note de M. Henne.
[144] Placards de Flandre, I, 529.
[145] M. Henne a extrait des comptes un grand nombre de textes constatant l'existence de cette source de revenus pour le domaine.
[146] Dépêche du 17 décembre 1538.
[147] M. Henne, ouvrage cité, V, 330.
[148] Édits de Luxembourg, 64.
[149] M. del Marmol, Mémoire cité, p. 39-40.
[150] M. del Marmol, Mémoire cité, p. 39-40.
[151] Comme par le grand désordre, qui puis aulcun temps a esté comme encore est ès monnoies d'or et d'argent ayans cours en nos pays et seigneuries, qui est tel que le denier qui y fut forgé pour vingt pattars, s'alloue et est mis pour soixante pattars, et à l'advenant tous aultres deniers... Préambule de l'édit du 14 décembre 1489. Placards de Flandre, II, 443.
[152] D. Groebe, Beantwoording der prijsvraag over de munten, en hetgeen daartoe belrekking heeft, sedert 1500 tot den jare 1021 ingesloten. Mémoires couronnés de l'Académie, tome X.
[153] Ce florin carolus, devenu l'unité métallique, était à 10 deniers de fin, pesant 22,816 et contenant de fin 19,013. Sa valeur intrinsèque, sous le règne de Charles-Quint, fut successivement réduite de 4 fr. 64c. (de 1499 à 1520) à 4 fr. 22 c. (de 1520 à 1552), et à 4 fr. 2 c. (de 1552 à 1559). Note de M. Henne.
[154] Placards de Flandre, I, 480-488. — Voici, d'après M. Henne, l'énumération des monnaies frappées en Belgique sous Charles-Quint : or, le noble ; le demi-noble ; la toison ; le réal, le demi-réal ; le florin philippus ; le florin carolus ; le double-carolus ; la couronne (valant 3 carolus), la demi-couronne ; d'autres couronnes ou écus de 24 patards. (A dater de 1521, on ne frappa plus en or que des réaux et des carolus) ; argent, la toison ; le réal, le demi-réal ; le carolus, le demi-carolus ; les pièces de 6, de 4, de 3, de 2 sous ; le sou, le demi-sou ; la pièce de 4 patards, le double patard ; la pièce de 3 gros, le gros ou demi-sou, le demi-gros, le quart de gros ; le gigot de 6 mites ; la courte de 2 mites ; la pièce de 6 mites de Flandre, dite negen manneken ; le denier de 4 gros ; alliage, la courte ; le blanc denier ou blanche courte de 2 mites ; les pièces de 2, 4, 6 mites de Brabant ; cuivre, la courte noire de 3 mites de Brabant, la maille de Namur (72 pour un patard).
[155] M. Henne, ouvrage cité, V, 349-350.
[156] Édits de Luxembourg, 60.
[157] Arendt Taest, natif de auprès de Gandt, pour ce qu'il avoir commis banqueroute et par ainsy emporté les biens de ses créditeurs, et ensuyvant le mandement de l'empereur a esté condempné par messieurs les eschevins de la ville d'Andenaerde d'estre pendu au gibet et estranglé par le col. — Audit exécuteur, pour avoir pendu et estranglé ledit Arendt Taest, X livres parisis. Compte de Philippe de Lalaing, comte d'Hoogstraeten, bailli d'Audenarde, de 1543-1544, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[158] L'atermoiement est proprement l'accommodement d'un débiteur avec ses créanciers, qui lui accordent des délais pour se libérer, et souvent même la remise d'une partie de ses dettes.
[159] Le magistrat de Bruxelles entre autres avait adopté ce système. Den regule die men voirtaen zal observeren in den solempniteyten van cessien, dans Het geel correctie boeck, aux archives communales de Bruxelles. Citation de M. Henne.
[160] Placards de Flandre, I, 780.
[161] Édits du Luxembourg.
[162] Édits du Luxembourg, 73.
[163] M. Tielemans, De la propriété industrielle, dans la Revue trimestrielle, 1854, III.
[164] Ordonnances du 9 août 1531, 26 juillet 1535, 19 mars 1539, dernier septembre 1545. Placards de Flandre, I, 30 et suivantes.
[165] Édits du 29 janvier 15-i9 et du 19 juillet 1551, Placards de Flandre, I, 360 et 375.
[166] Ordonnance du 13 avril 1551, Placards de Flandre, I, 802.
[167] Ordonnance du 16 mai 1544, Placards de Flandre, I, 610.
[168] Ordonnance du 28 mars 1528, Placards de Flandre, I, 593.
[169] Ordonnance du 18 mai 1536 et du 15 juin 1555, Placards de Flandre, I, 431 et 435.
[170] M. Joung, dans l'Encyclopédie des gens du monde, art, agriculture, I, 284.
[171] M. Henne, VI, 356.
[172] Malte-Brun, Géographie universelle.
[173] Reiffenberg, Histoire de la Toison d'or, 273 en note.
[174] Humboldt, Tableaux de la nature.
[175] Voir aussi les comptes du ce denier, dit M. Henne.
[176] L'abbé Ghesquière, Vraie notion des dimes.
[177] Pour avoir chargé certaine quantité de cerises et aultres fruits, valissant X livres de gros. Compte du 100e denier. — On trouve dans ce compte et dans les suivants beaucoup d'articles de l'espèce. On exportait surtout une grande quantité de pommes. Note de M. Henne.
[178] Ordonnance du 27 juin 1544. Placards de Brabant, I, 79.
[179] Cette conquête de l'œillet d'Afrique par Charles-Quint a été célébrée par le Père Rapin, dans ces beaux vers de son poème des jardins
Hunc primus pœno quondam de littere florem,
Dum premeret dura obsidione Tunisum,
Carolus Austriades terræ transmisit Iberæ.
[180] Bulletins de l'Académie, XIX, 185.
[181] Guicciardin cite comme exemples le lycocton, appelé vulgairement chappe au moine, la flammula venant ès près, le solan mortel, la cigüe. Description des Pays-Bas, traduite en français par F. de Belle-Forest, Amsterdam, 1609, p. 10.
[182] Pierre Coudenberg naquit selon toute probabilité à Anvers en 1520, et y mourut en 1594. Il ouvrit une officine, en cette ville, à l'enseigne de la Cloche, ad campanœ symbolum, située, paraît-il, au marché Saint-Jacques. Les plus grands botanistes de l'époque ne citent jamais son nom sans y ajouter l'expression de leur estime et de leur affection. Coudenberg publia, en 1568, un commentaire du dispensaire pharmaceutique de Valerius Cordus, qui servait alors de Codex pour l'exercice de cette profession. Ce livre devint, selon l'expression du temps, le guidon des apothicaires d'Anvers jusqu'à la publication d'une pharmacopée officielle, en 1661, par Michel Boudewyns. On connaît quinze éditions de la publication de Coudenberg, dont la dernière est de 1662 ; il en parut des traductions flamandes, hollandaises et françaises. L'auteur écrivait le latin avec facilité et correction. La société de pharmacie d'Anvers lui a érigé, avec le concours de la ville et du gouvernement, une statue due au ciseau de Joseph De Cuyper, et inaugurée en 1861. — Coudenberg consacrait ses loisirs à l'horticulture. Il créa, aux environs d'Anvers, un jardin qui devint célèbre ; les plantes jusqu'alors inconnues qu'il renfermait servirent plusieurs fois de modèles aux gravures dont sont enrichis les ouvrages contemporains de botanique. Conrad Gesner signale avec éloge ce jardin dans son livre De Hortis Germaniœ, publié à Zurich en 1561, et Lobel n'en parle qu'avec admiration : hortus stirpium ditissimus ; stirpium exoticarum ditissimum viretum. Le catalogue que le pharmacien d'Anvers envoya à Gesner, mentionnait déjà quatre cents espèces. Parmi les plantes exotiques cultivées par lui on distingue le gatilier, le dragonnier, l'agave d'Amérique. M. Broeckx et M. Pasquier ont consacré à Coudenberg des notices détaillées dans le Journal de pharmacie d'Anvers. Ed. Morren, Biographie nationale.
[183] Voir le tableau dressé par M. Henne, années 1500-1560, des variations du prix des céréales à Bruxelles ; la mesure usitée était la rasière. — Quetelet, Annuaire de l'observatoire de Bruxelles pour l'an 1834.
[184] Le watergrave et moermeester, qui figure parmi les anciens employés des comtes de Flandre, jouissait dans son district d'une grande autorité et de beaucoup de prérogatives. Il avait le droit de donner, en arrentement ou à cens, les bruyères et autres terrains vagues ; il octroyait l'érection des moulins, les garennes de cygnes sauvages, moyennant des reconnaissances au profit du souverain. Il avait la surveillance des plantations des chemins royaux et la surintendance sur les moeres ou tourbières. M. Gachard, Inventaire des Archives de la Belgique, II, 182, en note.
[185] Nous donnerons seulement, à titre d'exemples, quelques chiffres tirés de pièces authentiques et des comptes par l'infatigable M. Henne. Suivant une lettre de Marguerite d'Autriche, le revenu de cent bonniers de terre, au quartier de Louvain, s'élevait à environ 166 florins carolus. Une pièce de terre de 37 verges était louée, en 1537, au prix de 8 livres ; un journal à Dilbeek, en 1540, loué à raison de 5 quarterons de pois ; un bonnier à Wesembeek loué, en 1510, moyennant 6 rasières de seigle ; 14 bonniers de pré (mauvaise terre, quaeyen gront) à Melsbrœck, en 1513, au prix de 25 florins carolus l'an ; 9 bonniers 64 verges de terres arables à Sterrebeek, eu 1543, moyennant 7 muids (le muid contenait. six rasières ou 108 gales), 3 rasières de seigle et une rasière de pois ; 3 bonniers à Everberg, en 1543, moyennant 3 muids de seigle ; plusieurs parcelles de terre sous Huldenberg, formant ensemble 8 bonniers 1 journal 41 verges, en 1545, à raison de 2 3/4 rasières le bonnier pour les quatre premières années du bail et de 3 12 rasières pour les huit dernières ; 3 bonniers 87 verges, à Huldenberg, en 1515, à raison de 3 rasières de seigle pour les quatre premières années, et de 4 rasières pour les huit dernières ; 3 bonniers 1 journal 57 verges de terres arables à Meesenbeek, en 1545, pour 4 muids de seigle ; 2 bonniers 2 journaux 58 verges à Anderlecht. en 1546, pour 34 florins carolus à 5 gros de Brabant la pièce ; 4 bonniers 3 journaux 75 verges à Leeuw Saint-Pierre, en 1516, moyennant 8 muids 3 setiers 2 quarterons de seigle et 1 setier de pois par an ; 3 bonniers 2 journaux 35 verges sous Campenhout et Bergen, en 1516, moyennant 3 muids de seigle, un setier de pois et 47 ½ sous par an ; 2 journaux 50 verges de pré à Campenhout, en 1516, à 36 sous de cens ; 2 bonniers 2 journaux de terres arables dans le même village, en 9546, à 10 florins carolus, plus 4 deniers nouveaux et une oie de cens ; 3 bonniers 1 journal 50 verges, également à Campenhout, en 1516, à 11 florins carolus ; 4 bonniers 2 journaux 28 verges, sous Erps et Cortemberg, en 1546, moyennant 7 muids de seigle et 2 rasières de pois ; 5 bonniers à Woluwe-Saint-Étienne, en 1516, moyennant 5 muids de seigle et une rasière de pois ; 6 bonniers à Saventhem, en 1546, moyennant 6 muids de seigle ; 11 bonniers 2 journaux 82 verges sous Sterrebeek et Wesembeek, en 1517, moyennant 11 muids de seigle et 6 quarts de muid ; 1 journal 26 verges à Grimbergen, en1547, à 14 florins carolus l'an ; 2 bonnier's de bois, plus les cens s'élevant ensemble à 60 sous l'an ; 2 bonniers 26 verges sous Erps, en 1519, moyennant 5 florins carolus l'an ; 2 journaux de terres arables entre Itterbeek et Anderlecht, dans la franchise de Bruxelles, en 1549, à raison de l8 sous, le sou à 3 plecken de Brabant. Une ferme à Alsemberg, avec ses bâtiments, écuries, jardin potager, verger, 28 bonniers un journal et 79 verges de terres arables et de prairies, situées dans cette paroisse et dans celle de Beersel, était louée, en 1547, au prix de 66 florins carolus à 5 escalins de gros de Brabant, par an, à condition que les terres arables seraient cultivées et ensemencées comme les terres voisines, et fumées deux fois pendant la durée du bail fixée à douze ans. C'était la durée ordinaire des baux ; on en trouve, mais rarement, de neuf ans. — Tous les chiffres que nous venons de donner sont extraits, sauf le premier, du registre des locations de la table des pauvres de Sainte Gudule, aux archives des hospices de Bruxelles.
[186] Presque tous ces chiffres sont donnés par les comptes de l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles.
[187] Les comptes particuliers des domaines du Hainaut existent aux Archives du royaume.
[188] L'impost qui se lève sur les chevaulx wydans le pays de par decha, puelt monter chascun an par extimacion à xiiij livres de XL gros, monnoie de Flandre. Revenus et dépenses de Charles-Quint, 1531-1536. Citation de M. Henne.
[189] Placards de Flandre, I, 698.
[190] Édits des 10 juin 1542, 6 mai 1545, 18 septembre 1549, 3 décembre 1550, 14 mars et 19 septembre 1551, 27 octobre 1553. Tous ces édits sont relatés au tome I des Placards de Flandre.
[191] ... Pour avoir eschavoté Jacques et Guyot de Gouy, estrangiers, et banny dix ans sur le hart, pour avoir contrevenu aux mandemens de Sa Majesté sur le mener des chevaulx hors de ses pays... Compte de J. Despars, 1550-1552. Citation de M. Henne.
Audit maistre Pierre, à cause d'avoir, le xxe de juillet Liiij, sur un eschaffault fustigié de verges Jehan Hoymont, avec le hart au col, lequel en après fut banny hors le pays et comté de Flandre cincquante ans sur le hart, à cause de achat et transport de chevaulx et juments contre les placarts. Compte de Philippe d'Ongnies, bailli de la ville et du franc de Bruges, 1554. Ibid.
[192] A messire Jehan Vander Aa pour la somme de 200 livres du prix de 40 gros, monnoie de Flandre, laquelle somme madame, par ses lettres patentes du xiije jour d'avril 1521, luy a ordonné prendre et avoir à elle, et ce pour et en paiement d'ung cheval coursier de Naples qu'elle a faict prendre et acheter de luy, pour ledit prix duquel elle a fait don au seigneur de Wassenaere. Compte de J. de Marnix.
[193] Pour uns cheval que fut acheté par le maistre d'hostel Mousqueron, de Pierre Mousqueron à Bruges, pour le présenter au duc de Suffolck, capitaine général de l'armée du roy d'Angleterre, Vc livres de 40 gros, monnoie de Flandre. Revenus et dépenses de Charles-Quint, 1520-1530.
[194] M. Altmeyer, Notices historiques sur la ville de Poperinghe.
[195] M. Lacroix, Mémoire historique concernant l'ancienne législation du Hainaut, donne le chiffre de 17.563 arpents, rapportant, année commune, 80.000 livres. — L'arpent, ancienne mesure agraire, variait, selon les provinces, de trente à cinquante et un ares.
[196] Note des bois vendus à la forêt de Soigne en 1546 ; Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[197] Note des bois vendus à la forêt de Soigne en 1546 ; Archives du royaume.
[198] M. Wauters, Histoire des environs de Bruxelles.
[199] Placards de Flandre, I, 669, 673.
[200] On voit combien est peu fondée la supposition de M. Henne, se demandant s'il ne s'agit pas là plutôt du frêne.
[201] Description des Pays-Bas, p. 10.
[202] Placards de Flandre, I, 406-407 ; Placards de Brabant, III, 500.
[203] Art. 33, 34 et 35 de la Joyeuse Entrée, Placards de Brabant, V, 496. — Il n'y avait d'exception que pour la forêt de Soigne et quelques autres bois et franches garennes antérieures à 1367. — Le droit d'avoir une warande ou garenne, c'est à dire une chasse gardée, était restreint dans de certaines limites, même pour les souverains. Ceux-ci ne pouvaient en établir d'autres que celles de Soigne, du Saventer-Loo, des bois de Meerdael, de Grootheyst et de Grootenhoute. Les particuliers n'en obtenaient qu'en vertu de lettres patentes en due forme. M. Wauters. Histoire des environs de Bruxelles, III, 307.
[204] Placards de Flandre, I, 407.
[205] Placards de Flandre, I, 411.
[206] Pour ce que Antoine Lepoirier et Thiery Malcorps, dit Teste de Brebys, furent prins et appréhendis prisonniers, à cause qu'ilz tiroient journellement avecq leurs halquebutes bestes sauvaiges ès foretz de l'empereur au contempnement des ordonnances de Sa Majesté, pour lesquels mesuz ils furent condempnés à estre eschaffaudés et avoir l'oreille senestre copée. Compte de Pierre de Werchin, souverain bailli du comté de Namur, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
Pour avoir porté lettres du souverain bailly à la Majesté Réginale, sur le faict des tireurs de venaison détenus prisonniers, advertissant sadite Majesté comment les bailly et hommes de fiefs, de loy, de lignaige, du chastel de Namur ne luy vouloient adjuger ses conclusions. — Pour avoir rapporté response de Sa Majesté, en date du Ve de juillet 1550, contenant de faire condempner iceulx tireurs aux gallères. Compte de Pierre Ernest de Mansfelt. Id.
[207] Placards de Brabant, III, 505. — L'empereur donna à ce tribunal, dont on appelait au conseil de Brabant, un sceau portant une trompe surmontée des armes du duché, avec la légende : Sigillum hominum feudalium de cornu ducatus Brabantiœ.
[208] Cette prérogative lui fut enlevée en 1774 et attribuée au gouvernement.
[209] Une déclaration de Marie de Hongrie, du 23 décembre 1544, oblige cet officier à fournir annuellement quatre cerfs au sénéchal du Hainaut. M. Gachard, Analectes historiques, V, 334.
[210] M. Defacqz, ouvrage cité, I, 104.
[211] Toiles, en termes de chasse, s'entend des pièces de toile avec lesquelles on fait une enceinte en forme de parc pour prendre les sangliers ; on s'en sert aussi pour désigner de grands filets que l'on tend pour prendre des cerfs, des biches, des chevreuils, etc. — Voir, pour tous ces détails, M. Wauters, Histoire des environs de Bruxelles, III, 362-366.
[212] A Pierre George, lieutenant de louvetier de Haynnau, la somme de vingt livres dix sols tournoys, et ce pour au durant de l'année de ce présent compte fini le dernier jour de septembre xvc et vingt-deux, avoir prins le nombre de dix loups, aux prix de xx s. t. pièce, qui font dix livres tournoys ; item, pour sept louves, au prix de xxx s. t. pièce, qui font dix livres dix sols ; et quant aux louveaux, n'en a nul prins durant ladite année. Compte de J. de la Croix. Citation de M. Henne.
L'article 119 de la coutume d'Ypres alloue 10 livres par louve pleine, 5 livres par loup, et 40 escalins par louveteau. — A Poperinghe, une ordonnance du 5 septembre 1541 promit une récompense de trois livres parisis par loup, et de six livres par louve, pris dans la keure de cette ville. M. Altmeyer, Notices historiques sur la ville de Poperinghe.
[213] M. Wauters, Histoire de Bruxelles, II, 311.
[214] A Symon de Hallewin, bastard de Maldeghem, en prest, tant pour son voyage pour mener trente couples de chiens courrans, et six de levriers en Espagne, comme pour recouvrer les veneurs qui alloient avec luy. Revenus et dépenses de Charles-Quint. — Pour l'avitaillement fait pour xxv couples de chiens courrans et xviij levriers que l'empereur envoyoit en Espagne en l'an xxij, XL livres. — A Gilles de Lessaux, clerc du seigneur de Ravestain, pours despens faits pour xxx couples de chiens de chasse que Guillaume Ghys menoit à l'empereur. Ibid. — Au bastard de Maldeghem, en prest pour mener en Espaigne à-l'empereur trente coupples de chiens courrans. Compte de Jean Micault, de 1526. Citations de M. Henne.
[215] Mémoire cité, p. 15.
[216] M. Edmond Poullet, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, ouvrage couronné par l'Académie royale de Belgique, et faisant suite au mémoire, couronné en 1867, traitant du droit pénal brabançon depuis ses origines jusqu'au XVIe siècle. Bruxelles, 1870, in-4°.
[217] Une des institutions capitales de la procédure du XVe et du XVIe siècle, la torture, d'où avait-elle été tirée, se demande ailleurs M. Poullet. Et il répond : ce n'était pas des anciennes lois germaniques, ce n'était pas du droit canon, c'était du droit romain. Les législateurs nationaux ne l'avaient pas ressuscitée. Ils n'avaient pas réglé son emploi ; c'était la jurisprudence seule qui l'avait exhumée des vieux textes du droit romain. Travail cité, p. 42-43.
[218] Introduction.
[219] Ibid., p. 51-52.
[220] Warnkœnig, Histoire de la Flandre, t. I, p. 198.
[221] Piot, Histoire de Louvain, au règne d'Albert et d'Isabelle.
[222] Archives de la maison d'Orange-Nassau. Édition de 1841, t. I. p. 166.
[223] Laurent, Études sur l'histoire de l'humanité, t. VIII, p. 489. Les réformateurs allemands pas plus que le réformateur royal d'Angleterre n'admettaient la liberté religieuse, p. 492. — T. IX, p. 44 : Théodore de Beze dit que la liberté de conscience est un dogme diabolique.
[224] M. Poullet, ouvrage cité, p. 53-56.
[225] M. Henne, Histoire de Charles-Quint, V, 301.
[226] Placards de Flandre, I, 88.
[227] Édit de 1535 contre les anabaptistes.
[228] Placards de Flandre, I, p. 103.
[229] Placards de Flandre, I, p. 107.
[230] Placards de Flandre, I, p. 113 et 122.
[231] Placards de Flandre, I, p. 129, 134.— Cet édit statue aussi, sous peine d'amende pour la première fois et du bannissement du lieu de la résidence pour la seconde, que personne ne peut tenir école publique sans autorisation des magistrats ainsi que du curé de l'endroit, et que cette autorisation ne doit s'accorder qu'à des gens de bonne renommée. Les matières à enseigner et les livres à employer y sont spécifiés.
[232] Anabaptistes, c. à d., qui baptisent une seconde fois. Cette secte religieuse avait pris naissance chez les protestants d'Allemagne. Dès 1523, Thomas Münzer, pasteur d'Alstedt en Thuringe, dépassa Luther en prêchant l'indépendance absolue en matière religieuse, le danger des pratiques religieuses, l'inutilité du gouvernement civil et bientôt la communauté des biens. Ses partisans furent tous rebaptisés, à l'âge de raison, par de simples membres de la secte. Les paysans de la Franconie s'étant révoltés contre leurs seigneurs, Münzer courut les exciter par ses prédications, et il fallut qu'une armée vînt les tailler en pièces (1525). Cette réforme prétendue s'introduisit à Munster en Wesphalie, en 1532. Bochold, ou Jean de Leyde, garçon tailleur, reconnu comme prophète, y fut nommé roi (1534) ; la prise de la ville par les troupes de l'évêque, qu'il en avait chassé, mit seule fin à ses crimes et à ses débauches (24 juin 1535). Mais les doctrines anabaptistes se répandirent dans le Holstein, la Frise, l'Alsace, la Suisse et la Souabe, et partout elles furent une occasion de révolte ouverte ou cachée contre les gouvernements et l'Église.
[233] Placards de Flandre, I, 118, 119.
[234] Placards de Flandre, I, 157.
[235] M. Gachard, Correspondance de Philippe II, introduction, p. CXXIV et CXXV.
[236] M. Poullet, ouvrage cité, p. 68.
[237] M. Poullet, ouvrage cité, p. 82, 83.
[238] M. Henne, ouvrage cité, V, 329.
[239] M. Gachard, ubi supra, p. CXI.
[240] M. Gachard, ubi supra, p. CXII.
[241] Les diocésains, disait-elle, étant si après et extraordinaires à usurper et du tout énerver la juridiction du souverain, et en outre à faire composition à leur profit plus qu'à punition. Il faut bien reconnaître, après tout ce que nous savons, que si l'on était enclin à usurper et besogneux d'argent, ce n'était pas précisément du côté des prélats.
[242] M. Poullet, d'après M. Gachard, ouvrage cité, p. CXV et suivantes. M. Gachard a résumé ainsi les règles établies par l'empereur : 1° Les inquisiteurs et leurs délégués devaient visiter la province, qui leur était primitivement assignée, accompagnés d'un notaire connu pour son intégrité et son aptitude ; ils devaient s'y enquérir des hérétiques, de ceux qui étaient véhémentement ou probablement suspects d'hérésie, de ceux qui avaient ou laissaient des livres condamnés, de ceux enfin qui tenaient des conventicules où l'on disputerait sur la religion catholique. Ces informations devaient être rédigées en forme authentique parle notaire et gardées avec soin, pour y avoir recours toutes les fois qu'on le trouverait nécessaire. 2° Les témoins entendus prêteraient serment de dire la vérité, sans haine ni faveur : Ils seraient interrogés sur la source des renseignements fournis par eux, et elle serait mentionnée dans la procédure, afin que les honnêtes gens ne fussent pas scandalisés. 3° Une dénonciation dont l'auteur demanderait à rester inconnu ne pourrait servir de base à une procédure. 4° Si les inquisiteurs et leurs subdélégués trouvaient que, par envie ou par d'autres motifs, on eût accusé injustement quelqu'un, ils signaleraient l'accusateur au magistrat du lieu ou au conseil provincial pour en faire justice. 5° Les inquisiteurs et leurs subdélégués pouvaient appeler devant eux et interroger tous sujets de l'empereur, quelles que fussent leur qualité, leur condition ou leur charge, même les bourgmestres et échevins des villes, et les conseillers et présidents des conseils de justice. Ceux-ci étaient tenus de déposer sous peine d'être réputés fauteurs des hérétiques, et punis comme tels, s'ils étaient laïques ; s'ils étaient gens d'église, les inquisiteurs procéderaient contre eux selon qu'ils le trouveraient juste et équitable. 6° Les inquisiteurs feraient appréhender et détenir sous bonne garde, par le juge du lieu, ou par d'autres qu'ils choisiraient, ceux qui, ensuite des informations prises et d'après la déposition de deux témoins ou d'autres preuves légitimes, auraient été reconnus hérétiques ou contrevenants aux édits impériaux sur l'extirpation de l'hérésie. 7° Si l'accusé était ecclésiastique, ils le feraient transférer dans les prisons du conseil provincial. Là ils instruiraient sa cause sommairement et sans forme de procès, selon la teneur de leur commission. ils s'adjoindraient ensuite un ou plusieurs des membres du conseil, ou bien en référeraient au conseil lui-même, pour rendre la sentence de condamnation ou d'absolution. En cas de refus de la part du conseil ou de quelqu'un de ses membres, les inquisiteurs en rendraient compte à la reine ou au conseil privé qui y pourvoirait. 8° Quand les inquisiteurs, de l'avis d'un des membres da conseil provincial, prononceraient la dégradation contre un ecclésiastique et sa remise au bras séculier, le conseil, après qu'il aurait été procédé à la dégradation conformément à la commission que les inquisiteurs avaient du saint siège, serait tenu de faire exécuter immédiatement la sentence. 9° Si les inquisiteurs trouvaient, par leurs informations, que quelque laïque eut contrevenu aux édits impériaux, ils communiqueraient celles-ci à l'un des membres du conseil de la province, sur le rapport duquel ce conseil ferait arrêter le coupable et le châtierait. 10° S'il résultait des mêmes informations que quelque laïque fut suspect d'hérésie, et qu'on ne put prouver qu'il eût contrevenu aux édits, alors les inquisiteurs procéderaient contre lui, selon le droit, jusqu'à sentence définitive qu'ils rendraient avec le concours d'un membre du conseil de la province. 11° L'empereur défendait à tous ses conseils, sous peine de son indignation, d'entraver, en quelque manière que ce fût, les inquisiteurs dans l'exercice de leur juridiction. Toute difficulté qui s'élèverait à cet égard devait être soumise à la reine. 12° Il faisait la même défense aux évêques et à leurs officiaux. Il voulait toutefois que ceux-ci ne pussent être troublés par les inquisiteurs dans la procédure qu'ils auraient commencée.
[243] M. Gachard, CXXI.
[244] M. Gachard, CXXI.
[245] M. Gachard, CXXI.
[246] M. Moke, Histoire de la Belgique, t. II, p. 89, 90.
[247] Ordonnance du 3 mai 1500, Placards de Flandre, I, 40.
[248] Ordonnance du 9 mai 1522, Placards de Flandre, I, 256.
[249] Édit du 7 octobre 1531, Placards de Flandre, I, 751.
[250] Ordonnance du 20 octobre 1541, Placards de Flandre, I, 776.
[251] Édits de Luxembourg, page 476, art. 13
[252] Ordonnance du 30 janvier 1545, Édits de Luxembourg, p. 73, art. 2.
[253] Placard du dernier novembre 1517, Placards de Flandre, I, 37.
[254] Voir, entre autres, les ordonnances du 22 décembre 1515 et du 28 novembre 1517, Placards de Flandre, I, p. 5 et 7.
[255] Édit du 7 octobre 1531, Édits du Luxembourg, p. 31 et 32, art. 5 et 6. — La loi ordonne aux magistrats des villes de taxer toute espèce de vivres à un prix raisonnable : de là, remarque M. del Marmol, les mercuriales qui, de nos jours encore, subsistent en partie.
[256] Placard du 7 octobre 1531, Édits de Luxembourg, p. 35, art. 9 et 10.
[257] C'est à Ratisbonne, en 1532, que parut le code connu sous le nom de Constitution caroline. Il ne faisait pas partie du droit écrit de la Belgique, car Charles-Quint l'avait publié comme chef de l'empire, et non comme souverain des Pays-Bas. Mais cette constitution, pour n'avoir point pris place dans la législation de notre patrie, n'en exerça pas moins sur elle une grande influence, dit M. del Marmol. Les travaux des nombreux jurisconsultes qui la commentèrent en répandirent les principes ; et lorsque, dans la suite, Philippe II entreprit de donner des règles nouvelles à la législation criminelle, c'est à cette source qu'il puisa une grande partie des dispositions qu'il prescrivit.
[258] Édits du Luxembourg, p. 59-60.
[259] Édits du Luxembourg, p. 45-46.
[260] F. Moulart, L'Église et l'État, ou les deux puissances, Louvain, 1877, p. 127-128.
[261] F. Moulart, L'Église et l'État, ou les deux puissances, 131.
[262] F. Moulart, L'Église et l'État, ou les deux puissances, 372.
[263] F. Moulart, L'Église et l'État, ou les deux puissances, 499-517.
[264] Mainmortes, corps et communautés qui, nonobstant les diverses manières dont les individus s'y succèdent, sont considérés comme perpétuels et formant toujours la même corporation.
[265] Léonce de Lavergne, Économie rurale de la France depuis 1789. Citation de M. Moulart.
[266] L'abbé Maury, Moniteur, n° 81. Citation de M. Moulart.
[267] Placards de Brabant, I, 80.
[268] C'est là, parait-il, dit M. del Marmol en note, p. 46, la seule portée de cet article, et tes monastères purent toujours acquérir par testament, pour autant qu'il n'était pas question d'immeubles ; il cite, à l'appui de cette opinion, Zypæus et Stockmans. — Édit du 20 février 1528, Placards de Flandre, I, 749.
[269] Recueil d'édits à la suite des coutumes de Namur, p. 184. Cette interprétation se trouve dans les Placards de Brabant sous la date du 10 janvier 1528 (t. I, p. 98). — Ghesquière, La vraie notion des dimes, § 9, p. 163. On y cite pour exemple le colza dont on peut exiger la dîme. Note de M. del Marmol.
[270] Bulle du 3 des nones de juillet 1515 ; Placards de Flandre, I, 56 et 57.
[271] Bulle du 2 des ides de juin 1515 ; Placards de Flandre, I, 37.
[272] Bulle des ides de juin 1515, Placards de Brabant, I, 111.
[273] M. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. VII, p. 253, 254.
[274] A Thomas de Bonny, ingéniaire, en récompense des peines et travaux qu'il avoit soustenus et endurés au voiage que, par ordre de Sa Majesté, il avoit fait en toutes les villes frontières de Ilainnaut, pour visiter les ouvrages d'icelles et adviser ce qu'il estoit bes hn et nécessaire de réparer pour la fortification, deffense et seureté du pais de Hainnaut. Décembre 1541. Comptes de la recette générale. Citation de M. Henne.
[275] Comptes d'A. de Berghes. Citation de M. Henne.
[276] Compte du gouverneur. Citation de M. Henne.
[277] Berthollet, VIII, 18.
[278] L'empereur composa cette députation de Jean Eck, Jules Pflug et Jean Gropper, pour les catholiques ; de Philippe Mélancton, Martin Bucer et Jean Pistorius, pour les protestants.
[279] Hess, Histoire de l'empire, t. II, p. 491. — Schmidt, Histoire des Allemands, t. VII, p. 100.
[280] Biographie nationale, art. Charles-Quint.
[281] Une des particularités les moins honorables du règne de François Ter consiste, on le sait, dans ses tentatives pour contracter des alliances avec les implacables ennemis de la chrétienté Soliman et les Turcs, si faibles aujourd'hui, si redoutés alors. Le fait dont se plaignait le monarque français, se relie à ces tentatives. Un certain Antonio Rincon. transfuge espagnol, avait été plusieurs fois employé par le roi à Constantinople, où il s'était acquis quelque crédit auprès du divan. Dans l'été de 1511, François Ier résolut de l'y renvoyer ; il lui fit prendre le chemin de Venise, afin de faire de sa part une communication confidentielle au sénat. Le 2 juillet, Rincon s'embarqua sur le Tésin en compagnie du capitaine César Fragoso, génois, comme lui au service de la France. Le lendemain, au moment où ils allaient franchir l'embouchure du Tésin pour entrer dans le Pô, des gens masqués qui les y attendaient attaquèrent leur barque, les mirent à mort avec tous ceux qui s'y trouvaient et jetèrent les cadavres dans des lieux écartés. Le marquis del Vasto, gouverneur du Milanais, accusé d'avoir trempé dans cet attentat en vue de s'emparer des dépêches dont Rincon était porteur, s'en défendit vivement. Le conseiller belge Boisait, envoyé par l'empereur à Milan pour informer sur le fait, disculpa le marquis dans une lettre détaillée écrite à la reine de Hongrie, le 12 août 1541. Au moment des conférences, on ignorait encore ce qu'étaient devenues les victimes du guet-apens, et François Ier avait fait partir pour Lucques un gentilhomme de la chambre du dauphin, chargé de demander à l'empereur que ses envoyés lui fussent rendus, et de réclamer à cet effet l'intervention du pape. Charles-Quint répondit au mandataire du roi qu'il ignorait où pouvaient être Fragoso et Rincon ; que s'ils étaient en un lieu quelconque de ses états, il était prêt à les restituer et à donner de nouveaux ordres pour qu'on les recherchât ; qu'il s'en rapportait du reste au jugement du souverain pontife. C'est ce qu'il écrit lui-même à la reine Marie, dans une lettre du 26 septembre 1541 (Lanz, II, 326).
[282] Ces négociations étaient restées ignorées jusqu'à ces derniers temps. C'est, dit M. Gachard, M. Lafuente qui les a révélées d'après des documents recueillis aux archives de Simancas. Voir Historia general di España, t. XI, p. 180 et suivantes.
[283] Metafus ou Temendfust, petite ville avec un bon port.
[284] Sandoval, liv. XXV.
[285] Voici une note de M. Gachard, notre guide sûr en tout ceci. sur ce chiffre : Sandoval et, d'après lui, Robertson, M. Lafuente et presque tous les historiens portent à quatorze ou quinze galères et à cent cinquante navires, grands et petits, le chiffre des pertes de la flotte. Dans sa lettre du 3 novembre au cardinal Tavera (Documentos ineditos, t. I, p. 454), l'empereur fixe positivement à quatorze le nombre des galères, mais il ne fait pas connaître celui des vaisseaux de transport qui ont péri, se bornant à dire que tous les petits bâtiments et quelques-uns des grands ont échoué sur la côte. Herbais, copié par Vandenesse, ne parle que de cent vaisseaux perdus (Papiers d'état de Granvelle, t. II, p. 614). Dans une relation inédite de l'expédition d'Alger qui est conservée à la bibliothèque de Tournai, et dont l'auteur faisait partie de la suite de Charles-Quint, on lit que cent et trente vaisseaux périrent, y compris quatorze galères. Biographie nationale.
[286] Robertson, liv. VI.
[287]
Lettre de Charles-Quint au cardinal Tavera du 3 novembre. Documentos ineditos, t. I, p. 234.
[288] Journal de Vandenesse.
[289] Service était l'expression usitée en Castille, comme aide et subside aux Pays-Bas.
[290] Voici comment M. Henne explique la chose : Peu de temps après le retour de Charles-Quint en Espagne, l'évêque de Tarbes et le seigneur de Brissac étaient venus lui offrir de nouvelles garanties de l'amitié du roi, par l'engagement de concourir à ses entreprises contre les Turcs. En même temps ces envoyés lui proposèrent le mariage de don Philippe avec l'infante de Portugal, Marie, fille d'Éléonore et d'Emmanuel, et celui du duc d'Orléans avec l'infante de Castille, ou la seconde fille du roi des Romains, qui apporterait à son mari le duché de Milan. Charles-Quint agréa ces offres d'une manière ambigüe. Par une déclaration du 22 décembre 1538, il consentit à traiter sur ces bases, en substituant la fille de François Ter, Marguerite, à sa nièce, et à donner toutes les garanties désirables, mais à la condition que le duc de Savoie serait remis en possession de ses états. Puis, le 1er février 1539, il promit que les deux mariages s'accompliroient en même année, lorsque les parties seroient en âge à ce requis... et qu'il disposeroit du duché et état de Milan, réellement en faveur et contemplation du mariage du duc d'Orléans, tellement que ledit sieur roi en devroit être bien content. — Ces promesses défrayaient la diplomatie française, quand la mort de l'impératrice fit naître une nouvelle source de combinaisons. Le marquis del Guasto ayant entretenu le gouverneur français du Piémont de la convenance d'un mariage entre Charles-Quint et la fille du roi, cet entretien fut considéré comme une avance, et François Ier chargea Brissac de proposer cette union à l'empereur. Celui-ci évita de se prononcer, mais François Ier n'en poursuivit pas moins son idée, et, au mois d'août 1539, sous prétexte de rendre compte à Charles-Quint des négociations entamées pour désarmer les Turcs, Anne de Montmorency lui envoya de nouveaux ambassadeurs, chargés d'exprimer le vif désir de leur souverain de voir se former cette alliance. Le roi est si sûr et si ferme en l'amitié qu'il porte au seigneur empereur, son meilleur frère, disaient les instructions données à ces ambassadeurs, que le duché de Milan et autres choses particulières ne lui pourroient faire changer d'opinion. — C'est au milieu de ces pourparlers que Charles-Quint fut amené à traverser la France. Avant d'accepter les propositions du roi, il avait demandé l'assurance que, durant son séjour dans le royaume, on ne l'entretiendrait d'un second mariage, ni d'un traité quelconque. M. Henne, VII, 283-285. — On voit qu'il n'y a pas lieu, en cette circonstance, d'accuser Charles-Quint de versatilité, et moins encore d'infidélité à sa parole.
[291] Papiers d'état de Granvelle, II, 542. — Nous reproduisons cette pièce et les suivantes d'après la version de M. Henne, qui en a conservé le fond en l'abrégeant et en modifiant le style, changement que nous ne pouvons qu'approuver ; nous devons ajouter cependant que nous avons cru devoir, à notre tour, introduire quelques variantes dans son texte.
[292] L'archiduc Ferdinand, âgé alors de dix ans.
[293] Louis, duc de Béja, né en 1506, frère du roi de Portugal.
[294] Papiers d'état de Granvelle, loto citato.
[295] Jeanne d'Albret, née en 1532, fille de Henri II, roi de Navarre, unie plus tard à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme.
[296] M. Henne, ouvrage cité, t. VII, page 298.
[297] Guizot, L'Histoire de France racontée à mes petits-enfants, t. III, p. 119.
[298] S'il n'y avait là dessus, remarque M. Gachard, que les déclarations officielles de Charles-Quint, on pourrait ne pas y croire ; mais le doute n'est pas permis en présence des recommandations faites au prince son fils dans les instructions du 5 novembre 1539.
[299] M. Gachard, Biographie nationale.
[300] M. Henne, t. VII, p. 300.
[301] M. Gachard, ouvrage cité.
[302] La déclaration de guerre fut publiée en France seulement le 12 juillet : François Ier en donnait pour motif l'assassinat de ses ambassadeurs Rincon et Fragoso (Papiers d'état de Granvelle, t. II, p. 628). — Elle ne fut pas notifiée à l'empereur, et il n'en eut connaissance que le 21 août (Journal de Vandenesse). — Note de M. Gachard.
[303] Sandoval, liv. XXV.
[304] Charles en convient dans sa lettre du 9 octobre à son frère : Le roy de France n'avoit pensé faillir de me surprendre, faisant son compte que tout seroit le sien sans y pouvoir résister, et mesmes qu'il prendroit Perpignan d'arrache-pied, et passeroit outre jusqu'à Valladolid. Et à la vérité, si son armée eût marché au temps qu'il avoit délibéré, il m'eût mis en grand désaroy, pour non pouvoir penser estre ceste emprinse vraisemblable. — Note de M. Gachard.
[305] Sismondi cité par M. Gachard.
[306] M. Henne, t. VII, p. 263-264.
[307] Steph. Hannewinkel. — Citation de M. Henne.
[308] M. Henne, ubi supra, p 267-268.
[309] Lettre de juillet 1538. Correspondenz, II, 683.
[310] Lettre du 28 juillet 1538, Correspondenz, II, 683.
[311] Lettre du 10 août 1538. Correspondenz, II, 681. — Des lettres du 17 janvier 1539 prescrivirent le rétablissement des titres de duc de Gueldre et comte de Zutphen dans les mandements et autres actes dépêchés au nom de l'empereur. M. Gachard, Documents concernant l'histoire de la Belgique, I, 303.
[312] Lettre du 10 janvier 1539. Correspondenz, II, 303.
[313] Assertio juris Caroli V in Geldriœ el Zutphaniœ comitatus, auctore Viglio ab Aytta, Zuichemio. Editio cum subjectis scholiis, 1543, in-4°.
[314] Martin du Bellay.
[315] Le m'y dit que il ne cognut jamais plus grant larron que Martin de Roschem, car il dit qu'il lui a rogné iijc mil francs à ce veaige de Luxembourg. Rapport d'un agent de Marie de Hongrie, du 30 janvier 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 20. Citation de M. Henne.
[316] Voir sa correspondance avec Marie de Hongrie dans les Lettres des seigneurs, et, entre autres, le mémoire au seigneur de Glazon. Lettres des seigneurs, III, f° 312. Citation de M. Henne.
[317] M. J. D. W. Pape a écrit l'histoire de ce chef célèbre sous ce titre : De levensgeschiedenis van Maarten van Rossem, Bois-le-Duc, 1847.
[318] Pontanus. — Wagenaar.
[319] Fisen, I, XVI, 340. —
Chapeauville, III, 343.
[320] En garantie de la contribution, Van Rossem prit des otages qui furent conduits à Mézières. Bulletins de la commission d'histoire, 1re série, XI, 233
[321] M. Henne, VII, 368. — Cet historien ajoute en note : Par un diplôme du 23 mai 1563, l'empereur Ferdinand Ier créa le fils de ce négociant prince de Hilst, en considération des services rendus par son père à la maison d'Autriche. Les historiens d'Anvers prétendent que la bonne foi de l'empereur avait été surprise et que d'Affaytadi se vanta d'un service qu'il n'avait pas rendu ; mais ils ne justifient pas cette assertion. Geschiedenis van Antwerpen, IV, 82. — Jean Charles d'Affaytadi, qui, en mainte circonstance, prêta de l'argent à Charles-Quint, avait acheté, en 1535, la seigneurie de Selzaete au village de Wommelghem, dans la mairie de Santhoven. En 1545, il acquit la terre et seigneurie de Ghistelles, qui avait été confisquée sur Antoine de Luxembourg et sur Marguerite de Savoie sa femme, pour félonie. Il mourut le 24 décembre 1555, et fut enterré dans le chœur de l'église de Ghistelles. M. Goethals, Dictionnaire généalogique et héraldique. Le Roy, Théâtre sacré. — Sanderus.
[322] Mon cousin, écrivait le 26 juillet Marie de Hongrie au comte de Buren, ceste nuyt ay eu nouvelles que nos piétons ayant esté du costé de Bois-le-Duc, ainsi qu'ilz venoient de Breda vers Anvers, sont esté ruez jus. Ce qu'est advenu parce qu'ilz ont choisy le chemin tout au contraire de ce que leur avions mandé et expressément ordonné, car en lieu qu'ilz debvoient tirer par Berghes et ainsi venir par bateaulx, de quoy les avoys desjà fait pourveoir, pour eulx esloingner des ennemis estans beaucop plus fortz qu'eulx, campez auprès de Hoogstraete, ont prins leur chemin tout droit sur Anvers, parmi les bruyères de la Campine, bien près des ennemis. Et, selon que l'on dit, ilz sont comme entièrement deffaitz, tant nosdits piétons que les gens de cheval, selon le nombre qu'il y en avoit. Mais le seul bien, c'est que mon cousin le prince d'Orange, lequel, par conseil mal advisé de ceulx qui estaient autour de luy, s'estait mis entre les chevaulcheurs pour la conduite desdits piétons, est saulvé et eschappé avec les chiefs principaulx, et ny est demouré personne d'estoffe que je sache jusques à ceste heure, sinon le seigneur de Hemert, que l'on dit estre prins. Lettres des seigneurs, I, f° 208. — Citation de M. Henne.
[323] Il n'y a guère de nos piétons ruez jus. Ils sont la plus part eschappez et entrez en Anvers. Lettre de Marie de Hongrie, du 27 juillet 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 210.
[324] Les fieffés et arrière-fieffés, comme on disait alors.
[325] Lettre du 26 juillet, dans les Lettres des seigneurs, I, f° 209. Citation de M. Henne.
[326] Lettre du 26 juillet, dans les Lettres des seigneurs, I, f° 209. Citation de M. Henne.
[327] Geschiedenis van Antwerpen
[328] Geschiedenis van Antwerpen. — J. Servilius. — Azevedo. — Le Petit.
[329]
Il était arrivé, le 26, entre autres, douze cents hommes du pays de Waes,
taillés comme des géants, lieden van eene reuzige
gestalte, disent les chroniques, mais sans armes et sans habitude de la
guerre ; on leur distribua des piques et des mousquets. Geschiedenis van Antwerpen.
[330] Van Rossem had daer voor zyn vertrek den roeden haan latere kraeyen. Geschiedenis van Antwerpen.
[331] Il fallut bien des années à Waelhem pour se remettre de ce désastre, ainsi que le prouvent l'exemption complète des impôts que cette localité obtint le 18 juillet 1544, et la remise de 180 florins sur le montant de sa cote, qui lui fut accordée le 5 mars 1550. — A la demande des états de Brabant, pour éviter les accidents résultant du passage en ponton, on résolut en 15M d'y établir un pont fixe, qui fut commencé au mois de juin de cette année. M. Wauters, Histoire des environs de Bruxelles, II, 654.
[332] Maison de femmes de l'ordre de Saint-Benoît, sur la Nèthe, entre Waelhem et Duffel, fondée, selon toute probabilité, par l'un des Berthoud vers la fin du XIIe siècle.
[333] Compte de P. de Werchin. Citation de M. Henne.
[334] Lettre du 29 juillet dans les Lettres des seigneurs, I, f° 211. Citation de M. Henne.
[335] Rapport de de Praet à Charles-Quint, du 21 septembre 1542. Correspondenz, II, 364 et suivantes.
[336] Rapport de de Praet à Charles-Quint, du 21 septembre 1542. Correspondenz, II, 364 et suivantes.
[337] On cite comme s'étant particulièrement distingués Hugo Van Hiltyl, de Groningue ; Severin de Feita, Christophe Phlegel, allemand ; Damien de Goës, portugais ; Pedro Lupo, espagnol. Gramaye, Anquitates belgicæ.
[338] Cette procession, dit M. Piot, fut remplacée par celle de Notre-Dame-du-Siège, après le siège que Louvain soutint en 1635. Sous l'empire français, celle-ci fut remplacée à son tour par la klap-processie (procession parlante). Histoire de Louvain.
[339] Monsieur le Seneschal, j'ay ce jourd'huy eu nouvelles du seigneur de Boussu, estant à Nivelles, comment nos gens ont hier rué jus quelques piétons des ennemys, dont furent tuez de XXX à LX, et une vingtaine de prins, entre lesquels est un chevaucheur de ceulx du seigneur de Longueval, duquel on a appris que toute la trouppe desdits ennemis estoit partye de Chastellet pour loger la nuit passée à Florinnes, en intention de eulx joindre avec le duc d'Orléans estant devant Yvoy, tirans le meisme chemin par où passèrent l'autre fois les Gheldrois vers France. Sur quoy ay respondu au seigneur de Boussu, que avec vous il advise quant et où vous pourrez joindre ensemble pour donner le plus d'ennuy et empeschement auxdits ennemis. Lettre de Marie de Hongrie au sire de Werchin, du 7 août 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 233. Citation de M. Henne.
[340] Monsieur de Boussu, j'ay veu vos lettres que m'avez escript le jour d'hier à xj heures avant midy, et suis joyeuse que les païsans du quartier de Chastelet ont si bon courage. Lettre de la reine, du 9 août. Lettres des seigneurs, I, f° 239.
[341] Martin du Bellay. — Nous avons emprunté les détails de ce récit intéressant à M. Henne, VII, 361-385.
[342] Le duc de Guise est ordonné capitaine général de toute l'armée avecq six gros canons, autres six, et puis douze, accompagnez de arn landsknetz, vint avanturiers, iiijc hommes d'armes. Rapport adressé à la reine de Hongrie, le 14 juin 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 123. Citation de M. Henne.
[343] Premièrement il maintient estre ensemble en iceluy camp deux mille hommes d'armes, et que la maison du roy en tait environ viijc ; chevaulx legiers, que Italiens et aultres nations, trois mille ; piétons légionnaires, trente-deux mille ; Allemans vieux et nouveaux, xLiiij enseignes. Et disent qu'il leur vient xij mille Suisses. Item gros nombre de Italiens à pied. Et puis les bantz et arrière bantz de xL, mille ; et si une bataille se donne, qu'il mettera en la première avant-garde xij mine d'iceulx tout armez à pied comme soy confiant en eulx. Pour laquelle bataille donner le roy doibt avoir dit qu'il attendra l'empereur dedans son pays soissante jours. On estime qu'ils ont présentement audit camp iiijxx pièces d'artillerie grosse, pour laquelle conduire avec aultres hardes, ont bien dix mille chevaulx. Rapport du hérault Arschot du camp des Franchois, au plus prochain de la vérité que peult, après y avoir esté détenu xvj jours. Lettres des seigneurs, I, f° 184.
[344] F. Rabutin et Martin du Bellay.
[345] A Jehan Franckaert, dit de Tasseigne, pour les fortifications de la ville d'Yvoy au pays de Luxembourg, auparavant la guerre. Compte de Henri Sterck.
[346] F. Rabutin, III, 538.
[347] Martin du Bellay.
[348] Rapport de l'agent secret déjà cité.
[349] F. Rabutin.
[350] Quant à la ville de Luxembourg, puisqu'elle n'est en assiette ni fortifiée pour soubstenir un effort, et que y mettant gens d'honneur et d'estoffe pour la deffendre ils ne pourroient recevoir que honte et dommaige, je me remets à vous d'en user selon que verrez pour le mieulx. Lettre de la reine, du 18 juillet 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 204. — Ceste ville est une des villes aussy mal pourveue de munition de guerre que nulle autre du pays. Craignons, s'il n'y est mis ordre et provisions par nostredit gouverneur, qu'elle seroit en danger, si les ennemis y venoient devant icelle. Lettre du conseil de Luxembourg à la reine, du 13 juin 1542. Ibid., f° 113.
[351] Rapport du seigneur de Praet.
[352] Martin du Bellay.
[353] Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, né à Dijon en 1509, fut fait prisonnier à Pavie avec François Ier. Ce fut lui qui détermina la prise d'Yvoy en 15t2. Il fut récompensé de ses services en 1570 par le bâton de maréchal de France. Très habile homme de guerre, prudent, ferme, désintéressé, il a laissé un écrit remarquable intitulé Quatre avis au Roi, et des Mémoires rédigés par son fils Jean, où il intéresse par les particularités qu'il raconte.
[354] Je ne puis sçavoir ou entendre qui a meu ledit duc de se retirer à tel désordre et diligence. On m'escript que pour sauver l'honneur de la retraite de l'armée l'on a fait publier au camp des lantsknetz qu'il estoit venu ung hérault de l'empire qui avoit intimé à monseigneur d'Orléans que Thionville estoit ville d'empire, et pour ce n'y alloit. Rapport adressé à la reine, le 9 septembre 1542. Lettres des seigneurs, I, 291.
[355] Rapport de de Praet.
[356] Registre n° 446, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[357] Comptes de la recette générale de cette année. Citation de M. Henne.
[358] Je vous advertis que le sieur de Boussu, avec la plus grande partie de toute la gendarmerie et quelque nombre de gens de pied, se tient à Nivelles, et ferez bien de avoir bonne intelligence avec luy en lui donnant part de vos nouvelles, comme je luy escrips de vous faire le réciproque, affin que puissiez assister l'un l'autre. Lettre de la reine à de Werchin, du 6 août 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 228. Citation de M. Henne.
[359] Wagenaar. — Le Petit. — Fisen.
[360] Bertholet, VIII, 19-20.
[361] Lettre de P. de Werchin, du 18 septembre. Lettres des seigneurs, I, f° 323.
[362] Lettre du même, du 19 septembre. Lettres des seigneurs, I, f° 325.
[363] Marie de Hongrie avait prévu ce résultat. Voici un passage d'une de ses lettres, éclatant témoignage de son habileté dans ces matières militaires : Les François défendront Yvoy à outrance, considéré que c'est la première conqueste du duc d'Orléans, et qu'ils ont eu grand peine devant de l'emporter. De plus la saison est trop avancée pour une telle entreprise, et bien grief sera aux piétons de coucher aux champs, mesme s'ils trouvent paille pour faire leurs gistes.
[364] Lettre du 21 octobre 1542. Compte du gouverneur, f° xxij. Citation de M. Henne.
[365] Slichtenhorst, cité par M. Henne.
[366] Brumœ tempore asperrimo dux Clivensis Duram circumsidet ac recipit, dit l'historien Sleidan.
[367] Lettre du sire de Boussu, du 17 novembre 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 403. Citation de M. Henne.
[368] Lettre du comte d'Hoogstraeten à la reine, du 5 décembre. Lettres des seigneurs, I, f° 410.
[369] Rapport du 7 décembre 1542. Lettres des seigneurs, I, f° 412.
[370] Cette bulle était datée du 11 des calendes de juin.
[371] Lettre de Charles-Quint à Paul III, du 28 août 1542. Papiers d'état de Granvelle, t. II, p. 633.
[372] Lettre du 29 septembre. Papiers d'état de Granvelle, t. II, p. 645.
[373] Lettre de Charles-Quint à Eustache Chapuys, son ambassadeur en Angleterre, du 3 mai 1542. Citation de M. Gachard.
[374] Lettre de Charles à Chapuys, du 12 août.
[375] Lettre du même au même, du 12 avril 1543.
[376] Il faut lire, écrit M. Gachard, ce qu'il dit à ce sujet au prince Philippe dans l'instruction secrète du 6 mai, et notamment ce passage : Je fais ce voyage, lequel est le plus périlleux possible pour mon honneur et ma réputation, pour ma vie et mes biens... afin de conserver par tous les moyens qui seront en mon pouvoir, ce que Dieu m'a donné, et de ne pas vous laisser pauvre et sans autorité dans le inonde, ce qui vous donnerait plus tard un juste motif de vous plaindre de moi. Biographie nationale.
[377] Ces instructions ont été publiées, une première fois, dans El semanario erudito, collection de documents en trente et quelques volumes, qui a paru à Madrid vers la fin du siècle dernier. Elles l'ont été, une seconde fois, d'une façon malheureusement peu correcte, par le docteur Lanz. d'après un manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles, dans le volume intitulé Staatspapiere zur Gescichte des kaisers Karl V, Stuttgart, 1845, in-8°, pp. 359-379. — Elles sont au nombre de deux, l'une et l'autre en espagnol : la première, ostensible, est datée du 4 mai ; la seconde, secrète, est datée du 6. Charles-Quint recommandait à son fils de ne laisser voir celle-ci à personne, pas même à sa femme. — Une recommandation particulière était contenue dans l'instruction du 4 mai, c'était celle d'avoir grand soin du service et du bon traitement de la reine doña Juanna : Que tengays cuydado del servicio y buen tratamiento de la reyna mi senora. Si nous en faisons la remarque, c'est que, dans ces derniers temps, on a essayé de faire croire que Charles n'avait ni respect ni attentions pour sa mère. Note de M. Gachard.
[378] Les historiens espagnols, Sandoval, Ferreras, M. Lafuente, etc., prétendent, dit M. Gachard, que Charles, mécontent du pape, se refusa d'abord catégoriquement à une entrevue avec lui, et qu'il ne finit par y consentir que sur les instances réitérées du cardinal Farnèse. C'est une erreur : dès le mois de janvier, Charles avait écrit à son ambassadeur à Rome, le marquis d'Aguilar, qu'il était très content de voir le pape, si S.S. en témoignait le désir, pourvu que ce fut à Gênes ou à Mantoue, de façon que leur entrevue ne l'obligeât pas à s'écarter de son chemin et ne lui fit point perdre de temps. (Lettre de Charles au roi Ferdinand, du 23 janvier 1543.) — M. Gachard donne de nombreux détails sur l'entrevue de Busseto. Ces détails, ajoute-t-il, sont empruntés à des notes historiques du comte de Wynants, directeur général des archives des Pays-Bas sous Marie Thérèse, Joseph II, Léopold II et François II. Les correspondances de Charles-Quint avec le roi Ferdinand et la reine Marie, qui existent aujourd'hui aux archives impériales, à Vienne, étaient conservées alors dans les archives de Bruxelles ; M. de Wynants en avait fait l'objet spécial de ses études, et il en avait tiré de nombreux extraits qui nous ont été du plus grand secours pour la rédaction de cette biographie.
[379] Lettre du 3 octobre 1542, dans les Lettres des seigneurs, I, f° 373. Citation de M. Henne.
[380] A la requête de la suppliante elle mit elle-même cette apostille : Fiat ung passeport pour la fille de Jehan Van Rossem pour se retirer vers Gueldres. Louvain, le 13 octobre 1542. Archives de l'Audience, liasse 1145. Id.
[381] Compte de N. Nicolaï, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne. — J'ai cherché en vain la bulle de Paul III dans le Bullarium romanum et dans les Opera diplomatica de Mirœus ; je n'ai trouvé nulle trace non plus de cette levée extraordinaire sur les biens ecclésiastiques dans les Placards de Brabant et de Flandre. Je n'ai à invoquer que le témoignage de M. Henne.
[382] Compte de la recette générale. Id.
[383] M. Gachard, Des anciennes Assemblées nationales.
[384] Compte de P. de Werchin. — Boeck des tyden. — Comptes du 100e denier. Citations de M. Henne.
[385] Wagenaar.
[386] Voir le compte n° 2307 et les deux suivants, aux Archives du royaume. Citation de M. Henne.
[387] Dépêches de guerre. Id.
[388] Dépêches de guerre. Id., et Archives de l'Audience, liasse 1145.
[389] Placards de Flandre, I, 715.
[390] Compte de la recette générale.
[391] Ce n'était point une création nouvelle. Les chevaux ménagers. appelés en thiois geruste ruyteren te peerde, avaient déjà figuré dans l'organisation militaire des ducs de Bourgogne. — Ménagers, c'est à dire estant au mesnage, estant en leurs maisons.
[392] Christophe de Rogendorff, le comte d'Egmont, Jean de Lannoy, Louis d'Yves, le comte d'Over-Embden, le seigneur de Beersel, le seigneur de Bermeraing, Jean d'Yves, les seigneurs de Moncheaux, d'Aimeries, de Wynezelles ; le comte de Lalaing, le seigneur de Praet, le comte de Fauquemberghe, les seigneurs de Heze, de Wismes, de Ilallewin, de E3usancy, de Mérode ; le comte d'Épinay, le jeune comte de Manderscheit, le seigneur de Frentz, le prince de Chimai, le seigneur de Petershem, le seigneur de Glayon, Georges de la Roche, Bernard Veltbruggen. amman de Vianden et Saint-Vit ; le comte de Mansfelt, les seigneurs de Happenbrouck, d'Arques, de Sombreffe, de Beauraing, d'Arnemuyden, de Mastang, de Vaux ; Jean de Lyere reçurent le commandement de cent cinquante chevaux ; Louis d'Yves eut dès le principe une compagnie de deux cents. Le sénéchal de Hainaut en eut deux de cinquante chevaux chacune ; Adrien de Blois, François de Grancharnp, Guillaume de Boullant commandaient chacun cent chevaux. Voir leurs commissions datées du 22 novembre 1542. Dépêches de guerre, n° 367, f° XLIX et suivants. Citation de M. Henne.
[393] De ce chef la ville fit, en 1542, un premier emprunt de 300.000 florins. Cette somme fut insuffisante, et il fallut emprunter encore, en 1545, une autre somme de 300.000 florins. Ces dépenses ayant épuisé les ressources, on décréta, en 1548, un troisième emprunt de 600.000 florins ; et, comme on ne put réaliser cette somme, on établit, en 1549, une loterie de rentes perpétuelles au denier 16, et de rentes viagères au denier 8, jusqu'à concurrence de 350.000 florins. Ce moyen ne réussit pas davantage : il ne produisit que 148.000 florins, et l'on créa des rentes pour le reste de ce capital. En 1562, on fit encore un emprunt de 320.000 florins pour l'achèvement des travaux. M. Kreglinger, Notice sur la dette constituée d'Anvers.
[394] La pénurie des finances interrompit les travaux, même avant qu'on eût réparé les anciens remparts. M. Piot, Histoire de Louvain, 280.
[395] Histoire de Bruxelles.
[396] Rapport du mayeur de Louvain, F. De Mol, 26 janvier 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 13. Citation de M. Henne.
[397] Lettre du duc d'Arschot, du 27 janvier 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 15.
[398] Archives de l'Audience, liasse 1259.
[399] Rapport cité du mayeur De Mol.
[400] Lettres de d'Arenberg, des 6 et 11 février. Lettres des seigneurs, II, f° 36.
[401] Pour les neiges qui sont le jour d'hier et ceste nuit tombées en ce quartier, et pour celles qui ne sont encore fondues, il est impossible que nos hauts Allemans puissent faire quelque exploit sur Montjoye ou sur le haut quartier de Juliers, par quoy faut délaisser cette entreprise pour une autre saison plus propice. Lettre de Corneille de Scheppere, du 27 février 1513. Lettres des seigneurs, II, f° 64.
[402] Le messagier de monsieur le comte de Hoogstraeten ayant cejourd'huy xvije de mars couché dedans Sittard, dict que ung bourgmestre, nommé Dries Scut, luy auroit dit que les huyt enseignes qui sont là dedans ne reviennent point à plus hault de cinq furnies comme appartient, et que quant à sa personne il voudroit qu'il luy fust cousté son vaillant et qu'il feuissent hors de là ou que tous les piétons feuissent à tous les diables. Rapport du 17 mars 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 96.
[403] Lettre citée de Corneille de Scheppere.
[404] Lettre du duc d'Arschot, du 13 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 82.
[405] Lettre du même, du 20 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 116.
[406] Lettre du prince d'Orange, du 20 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 110.
[407] Je n'ai crainte que de vivres pour les chevaulx ; en nostre endroit la bonne fortune gist en la main de Dieu pour la donner où il luy plaira. Sy ne tiendra il de faire tous les debvoirs possible, et avec la bonne querelle je me confie de victoire. Lettre du duc d'Arschot à la reine, du 20 mars 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 116.
[408] Madame, par la lettre que monseigneur le duc d'Arschot a escript à Votre Majesté de ceste ville, aurez entendu son partement, lequel fut triomphant et en bel ordre. Lettre de Pierre Boisot, du 21 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 120.
[409] Madame, je me pars à ceste heure avecq toute la troupe, pour aller cejourd'huy passer quelque mauvais passage, et quand serons oultre icelluy, nous verrons ce que aurons à faire. Le charroy qu'est si grand nous donne du retardement et de l'empeschement beaulcop. Lettre de d'Arschot, du 21 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 123.
[410] Lettre du même, du 29 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 138.
[411] Lettre de Louis d'Yves, du 27 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 135.
[412] Lettres citées du duc d'Arschot et de Louis d'Yves.
[413] L'on dit que ceulx de Sittard sont en nombre de iijm hommes, ont tenu gemeyne (conseil, réunion) et délibéré en icelle et conclud attendre le siège s'il le vient et tenir jusques au dernier homme, se fondant sur le secours que monseigneur de Clèves leur a promis faire pour lever le siège ou y mettre sa personne en hazart pour ses pays et armée. Et ont là entour environ un quart de lieue tout bruslé, afin que nous n'eussions la commodité de nous logier. — Et par le rapport d'aultres personnes, sommes adverty de iiij grosses pièces d'artillerie, qui sont en la ville. Aussy toutes les forces de monseigneur de Clèves s'assemblent vers Glabak. Nouvelles venues le xviije mars. Lettres des seigneurs, II, f° 96.
[414] Lettres de Louis d'Yves.
[415] La tuison fut plus grande que la prise, disent les rapports.
[416] On dit que les Hauts Allemands se sont un peu mieux conduits que les Bas Allemands ; ils firent eux-mêmes justice des lâches qui avaient commencé la déroute. Deux ou trois cents hommes seulement tinrent ferme et essayèrent de défendre l'artillerie, mais, accablés par le nombre, ils se réunirent sur une colline où ils furent cernés, tués ou pris jusqu'au dernier. M. Henne, d'après les mêmes rapports. — Les colonels des piétons voulurent effacer par leur bravoure la honte de leurs soldats : celui des Hauts Allemands abattit le chef de l'infanterie ennemie, qui fut achevé par un arquebusier ; celui des Bas Allemands, le seigneur de Frentz, fut blessé à mort et pris.
[417] A l'abordée des piétons ennemis tirans la hacquebuserie, sans peu de coups de piques, le tout se mit en désordre et prirent le chemin de Maëstricht sans jamais eux rallier, et pour se plus haster prenoient les chevaux de l'artillerie et charroi nécessaire pour courir tant plus tost, de sorte que ladite artillerie y demeura avec toutes les munitions et le charroi. Rapport de de Praet.
[418] Est icy arrivé le comte de Hoogstraeten, lequel a ramené une grande partie de nos gens de cheval, et dit que tous les autres seigneurs se portent bien et ont gaillardement combattu et fait leur debvoir, et si les piétons allemans eussent fait le leur, il n'eschappoit personne des ennemys. Rapport adressé de Maëstricht à Marie de Hongrie, le 24 mars 1513, à onze heures du soir. Lettres des seigneurs, II, f° 141.
[419] N'eut oncques gens plus d'honneur ; je vous assure que oncques gendarmerie ne feist mieulx ni plus hardiment que la nostre, et n'avons perdu cent hommes. Rapport de de Praet.
[420] Reg. Collect. de docum. histor., VII, f° 135 v°. Citation de M. Henne. Les rapports de de Praet et du duc d'Arschot ne contredisent point ces détails.
[421] En tant que touche sa personne, il n'a monstré tant de valeur jusques ores que l'on en doibve si grande estime. Lettre de de Praet à Marie de Hongrie, du 7 août 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 350.
[422] Lettres des seigneurs, II, f° 135.
[423] Lettre datée du 26, à deux heures du matin. Lettres des seigneurs, II, f° 143,
[424] Lettres des seigneurs, II, f° 168.
[425] Lettre du duc d'Arschot, du 27 mars. Lettres des seigneurs, II, f° 160-165.
[426] Lettre du seigneur de Sassegnies à d'Hoogstraeten, du 26 mars 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 155.
[427] Pierre Boisot fut envoyé à Gand par la reine avec un corps de lansquenets. George d'Esplechin, chargé d'informer sur le fait des troubles, somma ceux de ceste ville de Gand de payer en dedans sept jours grosse amende. Compte de la recette générale de 1543. Citation de M. Henne.
[428] Lettre du prince d'Orange, du 29 avril 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 212.
[429] On nomme comme chefs de la conspiration Raes de Lamine, Pierre de Ora, Jacquemin Allard, maitre Jean le chirurgien, maitre Gabriel Tholosan, Jean Noël, Louis Chabot, prêtre, et un certain Ottelet.
[430] Fisen, l. XVI, 342. — Chapeauville, III, 347-348.
[431] Lettre du comte du Rœulx, du 13 mai 1513. Lettres des seigneurs, II, f° 255.
[432] Lettres du prince d'Orange, des 10 et 18 mai 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 219 et 253.
[433] Lettre du comte d'Hoogstraeten, du 20 mai 1543. Lettres des seigneurs, II, f° 282.
[434] Lettre du même, du 22 mai. Lettres des seigneurs, II, f° 303.
[435] Rapport d'ung prisonnier venu cejourd'huy XXVe de may de Remunde. Lettres des seigneurs, II, f° 317.
[436] Reg. aux dép. et mand. des finances (n° 20736). Citation de M. Henne.
[437] Altmeyer, Histoire des relations commerciales avec le Nord.
[438] Le Petit, l. VII, p. 134 et 138. — Wagenaar.
[439] Lettre de Louis d'Yves, du 2 mai 1513. Lettres des seigneurs, II, f° 219.
[440] Lettre du comte du Rœulx, du 3 mai. Lettres des seigneurs, II, f° 225.
[441] Lettres du comte du Rœulx, du 9 mai, et de Louis d'Yves, du 10. Lettres des seigneurs, II, f° 245 et 250. — Martin du Bellay.
[442] Malgré les incessantes réclamations du duc d'Arschot et d'autres capitaines. Lettres des seigneurs, II, passim.
[443] Ils font à toute diligence fortifier Landechies, y employant journellement vi mille pionniers, et avec propos de n'en partir qu'elle ne soit imprenable. Rapport du hérault Aerschot, du camp des Franchois, 9 juillet 1543. Lettres des seigneurs, I, f° 184. (Ce rapport, dit M. Henne, figure erronément dans ce volume à la date de 1512).
[444] Martin du Bellay.
[445] Martin du Bellay.
[446] On établit à cet effet un impôt d'un dixième sur les maisons. Histoire de Bruxelles.
[447] Archives de l'Audience, reg. 97, f° 93. Citation de M. Henne.
[448] Compte de P. de Werchin.
[449] Compte de P. de Werchin. — La seule mairie de Jodoigne fournit cent quarante-quatre chariots attelés chacun de cinq chevaux. Compte de P. d'Orley (n° 12814), f° xj. Note de M. Henne.
[450] Archives de l'Audience, liasse 1259. — Voir aussi les comptes de P. de Werchin, de J. B. de Werchin et de P. d'Orley. Note de M. Henne.
[451] Le Petit. — Wagenaar.
[452] Ville forte sur la Roër, au S. E. de Juliers. — M. David, en cet endroit, cite le jeu de mot flamand passé en proverbe au sujet de cette ville : Duren is eene schoone stad, maer blyven Buren is nog schooner.
[453] Lettre de Charles-Quint à Don Philippe, du 25 septembre 1543, dans Gachard, Anal. histor., VII, 154.
[454] Lettre de Charles-Quint à Don Philippe, du 25 septembre 1543. — A côté de ce récit officiel, la tradition rapporte que les assiégés se déclarèrent fort rassurés contre les menaces d'un prince mangé depuis longtemps, disaient-ils, par les poissons. Sleidan cité par M. Henne.
[455] Lettres de Charles-Quint des 25 août et 25 septembre.
[456] Celui-ci est le capitaine des rebelles.
[457] Lettres citées de Charles-Quint.
[458] Lettre citée du 25 septembre.
[459] Lettre citée du 25 septembre. — Autre lettre de Charles-Quint, du 4 du même mois. M. Gachard, Analect. histor., XI, 224.
[460] Lettre du 25 septembre.
[461] D'après le journal de Vandenesse, ce serait le chancelier de Gueldre qui aurait parlé ; mais la lettre de Charles-Quint au prince Philippe, du 25 septembre 1543, est précise sur ce point. Sandoval désigne aussi le duc de Brunswick. Note de M. Gachard, dans la Biographie nationale.
[462] C'était Gustave Wasa, qui monta sur le trône de Suède après la rupture définitive de l'union de Calmar provoquée par les excès de Christiern II.
[463] Papiers d'état de Granvelle, t. II, p. 666.
[464] Charles-Quint ne tarda pas à admettre à son service Martin Van Rossera, et dans la suite de son règne il l'appela à remplir des charges importantes. Van Rossem justifia toujours la confiance que l'empereur avait placée en lui. Note de M. Gachard.
[465] Par ces lettres, en date du 12 septembre, auxquelles on donna le nom de traité de Venloo, l'empereur s'obligeait à maintenir les privilèges et coutumes du pays, à y instituer pour stadhouder quelqu'un qui en connût la langue, à y ériger une chancellerie et un conseil où seraient traitées toutes les causes des habitants, à ne laisser évoquer aucun procès à la chambre impériale, à ne nommer aux fonctions publiques que des naturels du pays capables de les exercer par eux-mêmes, à n'établir ni laisser établir aucune imposition que les barons, chevaliers et villes n'auraient pas consentie, etc. (Dumont, Corps diplomatique, t. IV, 2e partie, p. 266.) Ces lettres formaient la charte des libertés de la Gueldre. Note de M. Gachard.
[466] Ces dix-sept provinces étaient : les duchés de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de Gueldre ; les comtés de Flandre, d'Artois, de Hainaut, de Namur, de Hollande, de Zélande et de Zutphen ; les seigneuries de Malines, d'Utrecht, de Frise, d'Overyssel, de Groningue avec les Ommelandes (territoires environnants) ; enfin le marquisat d'Anvers ou du Saint-Empire. — Le 29 juin 1544, l'empereur, usant de la faculté de réméré qu'il s'était réservée, chargea Adolphe de Joigny et Jérôme Van Hamme, maitre des comptes en Brabant, de négocier le rachat des ville, terre et seigneurie de Bolduc, engagées aux ducs de Clèves et de Juliers depuis cent vingt ans. En vertu d'un traité conclu à Maëstricht par ces commissaires, Charles-Quint s'engagea à payer deux mille florins par an jusqu'à remboursement total, et rentra en possession le 5 septembre suivant. C'est de cette époque, paraît-il, que date la réunion complète en une seule province du Limbourg, du comté de Daelhem, des seigneuries de Fauquemont et de Bolduc, et qu'eut lieu la convocation de leurs députés particuliers en un seul corps d'états provinciaux. Ernst, Histoire du Limbourg, I, 11.
[467] Compte de N. le Gouverneur, f° xxj v°. Citation de M. Henne.
[468] Martin du Bellay.
[469] Bertholet.
[470] Compte de N. le Gouverneur, f° xxij.
[471] Correspondenz, II, 645.
[472] Martin du Bellay.
[473] Acten van de dry staeten, f° CXII. Citation de M. Henne.
[474] Reg. n° 446, f° 30. Citation de M. Henne.
[475] Reg. aux dép. et mand. des finances (n° 20736). Citation de M. Henne.
[476] Compte de la recette générale.
[477] Compte de la recette générale.
[478] Compte de H. de l'Espinée (n° 16677). Citation de M. Henne.
[479] Reg. aux dép. et mand. des finances (n° 20736).
[480] Acten van de dry staeten, f° cxxij.
[481] M. Gachard, Des anciennes assemblées nationales, et Biographie nationale.
[482] Acten van de dry staeten.
[483] Archives de Gand. M. Gachard, Lettre aux questeurs.
[484] Compte de H. de l'Espinée (n° 16677). Citation de M. Henne.
[485] Une partie de ces bouches à feu avait été réunie par Matthieu Strick, secrétaire de l'empereur ; c'étaient des canons pris à Malines, à Diest et à Liège. La poudre avait été achetée à Anvers. Compte de la recette générale et compte de J. B. de Werchin, f° XLVij et suivantes. Citation de M. Henne.
[486] Martin du Bellay.
[487] Lettre de Charles-Quint, du 29 octobre. Correspondenz, II, 403.
[488] Lettre de Granvelle à Marie de Hongrie, du même jour. M. Gachard, Anal. histor., XI, 228 : — En vain, dit M. Henne, Granvelle lui représenta-t-il qu'il aimeroit mieux mourir de cent mille morts que de consentir à telle délibération, attendu la disposition de santé de son maitre, qui ne sembloit estre pour aller aux champs, surtout en ce temps de diverse saison, et pour ce que le lieu où il vouloit aller estoit si marécageux que les gens sains auroient peine d'y vivre ; en vain lui dit-il que cecy touchoit à sa conscience, que c'estoit tenter Dieu, qu'aucun théologien ni confesseur ne l'approuverait ; en vain l'engagea-t-il à consulter ses médecins, certain qu'aucun ne seroit de cet avis, car on disoit communément que les deux rechutes que l'empereur avoit eues depuis son départ de Diest, estoient succédées par sa faute et qu'il n'estoit maintenant prince pour faire ces entreprises de jeunes gens ; en vain le chancelier lui exposa-t-il le peu d'importance de l'entreprise qu'il convenait mieux de laisser à ses généraux ; Charles-Quint répondit : Je veois que vous avez raison de non en bailler opinion, et aussi je vous en descharge ; mais je demeure délibéré de partir, en cas que le roi de France marche plus en cà de Cambrai.
[489] Voir la lettre de cette princesse ; Correspondenz, II, 403.
[490] Journal de Vandenesse.
[491]
Lettre de Charles-Quint, du 6 novembre. M. Gachard, Anal. histor., IX, 140.
[492] Journal de Vandenesse.
[493] Granvelle écrivait de Cambrai, le 12 novembre, à la reine Marie que le duc arrivé depuis quelques jours à Chimai, venoit à la grande instance des François, et qu'il se conduisoit pour plus françois que chrétien. Note de M. Gachard.
[494] Recueil manuscrit des propositions faites aux états généraux. Note de M. Gachard.
[495] M. Gachard, Trois années de l'histoire de Charles-Quint.
[496] M. Gachard, Biographie nationale.
[497] Cérisoles, ville des états sardes, à sept km. E. de Carmagnole. Les Français y remportèrent une victoire éclatante le 14 avril 1544 ; les Impériaux, commandés par le marquis del Guasto, y perdirent quinze mille hommes.
[498] Christiern II mourut en prison en 1559. — Voir le traité dans Dumont, Corps diplomatique, t. IV, 2e partie, p. 271.
[499] M. Henne, ouvrage cité, t. VIII, p. 164.
[500] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 18 juin. Citation de M. Gachard.
[501] Relation de B. Navagero.
[502] Aujourd'hui chef-lieu de canton (Haute-Marne), à 20 km. N. de Vassy, sur la Marne.
[503] Vitry-le-Brulé ou Vitry en Perthois, sur la Saule. François Ier, après la ruine de cette ville détruite par Charles-Quint, en fit bâtir une autre à 5 km. N. O. de la première pour en recevoir les habitants : c'est la ville actuelle de Vitry-le-François, ou mieux le François, du nom de son fondateur, chef-lieu d'arrondissement du département de la Marne, à 32 km. S. O. de Châlons-sur-Marne.
[504] C'est la date adoptée par M. Gachard, qui est rarement d'accord, en ce récit avec M. Henne. Ce dernier s'appuie principalement sur les détails donnés par les écrivains français Martin du Bellay et Féry de Guyon. M. Gachard a rédigé son récit sur les dépêches de l'envoyé vénitien B. Navagero, qui accompagnait l'empereur dans cette expédition. Voir dans les Bulletins de l'Académie royale, 2e série, t. XIX, p. 250, 313, 430 trois articles intitulés : Trois années de l'histoire de Charles-Quint (1543-1546), d'après les dépêches de l'ambassadeur vénitien Bernardo Navagero. M. Gachard a reproduit ce travail, en l'abrégeant, dans la Biographie nationale.
[505] Il s'approcha même de si près des remparts, et tant à découvert, dit l'ambassadeur vénitien, qu'il fut généralement blâmé de s'exposer ainsi.
[506] Martin du Bellay.
[507] Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, du 14 juillet, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Note de M. Gachard.
[508] Dépêche de Navagero, du 26 juillet.
[509] Le testament de René, daté du 20 juin, avait été confirmé par Charles-Quint, le 14 juillet. — Dans son Apologie, Guillaume de Nassau rapporte que lorsqu'il fut appelé à la succession de son cousin, son père alla prier Charles V de le mettre en possession des parties de ce bel héritage, situées dans le Brabant, la Flandre et le Luxembourg, et appelées ordinairement de Breda, parce que c'était le lieu principal des seigneuries. Le conseil privé, chargé de l'examen de cette affaire, se montra favorable à Guillaume, nonobstant l'avis de son président, Van Schore, qui dit que le fils d'un hérétique ne devait point succéder. On sait que le père de Guillaume avait établi la réforme dans ses terres en Allemagne. — Comme Guillaume n'était pas encore en âge de disposer de ses biens, Charles-Quint lui donna pour tuteurs et mambours : messire Jean, seigneur de Mérode, et Claude de Bouton, seigneur de Corbaron, grand écuyer de la reine régente. Compte de la recette générale. Note de M. Henne.
[510] L'empereur terminait ainsi une lettre écrite à la reine Marie le 15 juillet. Vous croyez bien, madame ma bonne sœur, le déplésir que ce m'est d'avoir perdu un tel personnage, et mesmes pour avoir esté blessé d'un si grand malheur. Il me fera grande faute : car il estoit tel que vous sçavez. Or ce sont fruits de ce mestier, et il se faut contenter de ce que Dieu fait. — Dans sa réponse du 22 juillet, la reine fait un grand éloge du prince d'Orange, qui, dit-elle, était aimé et estimé de tout le monde aux Pays-Bas, et dont l'influence dans les états de Brabant était utile à l'empereur. (Manuscrits du comte de Wynants.) Note de M. Gachard.
Les Espagnols et Italiens, dit Brantôme, racontent que l'empereur l'alla voir en son lit, le consola de tout ce qu'il put, et lui disant adieu le baisa en la joue, et se retira la larme à l'œil.
[511] Dépêche de Navagero, du 26 juillet.
[512] Dépêche du 16 juillet, du camp devant Saint-Dizier. On peut supposer à bon droit que le coup qui venait de frapper leur général ne fut pas sans influence sur leur conduite, d'autant plus que les Espagnols avaient engagé l'affaire de leur propre mouvement et avec une téméraire légèreté.
[513] Dépêches des 24, 25 et 26 juillet, du camp devant Saint-Dizier. M. Gachard a publié la relation de la prise de Vitry dans ses Analectes historiques. Elle est aux Archives du royaume, Reg. intitulé Collection de documents historiques, VII, f° 139. Voir Bulletins de la Commission royale d'histoire, VII, 2e série, 165.
[514] D'autant, dit Brantôme, que j'ai trouvé ladite composition et capitulation dans quelques vieux papiers de notre maison, je l'ai voulu ici mettre par écriture, me semblant être très digne d'être lue et vue. Nous reproduisons cette capitulation signée le 9 août par Sancerre et Gonzague : Le comte de Sancerre baillera et livrera réellement et de fait la ville de Saint-Dizier en la main de l'empereur ou à qui Sa Majesté ordonnera, de dimanche en huit jours, qui sera le dix-septième du présent mois d'août, et obligera sa foi de ce faire, si ce n'est que, dans ledit temps, le roi leur envoie secours d'une armée pour donner bataille, ou qui soit si puissante qu'elle contraigne celle de l'empereur se retirer par force deux lieues en arrière. Le vice-roi de Sicile (Gonzague) baillera sauf-conduit à deux personnes que icellui comte entend envoyer vers le roi son maître pour lui faire savoir le besoing de lui et de ses gens. Le dimanche dessus dit, à soleil levant, ledit comte et ses gens seront prêts à sortir et sortiront de ladite ville, y laissant l'artillerie, munitions et victuailles, non degastant et consommant icelles en aucune manière, fors seulement pour leur usage et nécessité, ainsi qu'ils en ont usé jusqu'à présent ; ils ne pourront non plus brûler la poudre, munitions, ni enclouer l'artillerie, ce dont ledit sieur comte oblige sa foi. Ledit sieur comte et ses gens pourront sortir de la ville librement, et avec la suite de leurs vies, armes, bagues sauves et tout ce qu'ils peuvent charger et porter sur leurs bagages, avec leurs enseignes déployées et sonnants tambours et fifres, à condition toutefois qu'ils n'amèneront ni artillerie, ni munitions, ni victuailles, réservé deux pièces d'artillerie sur roues, avec boulets et poudre pour tirer dix coups de chaque pièce. Durant les huit jours, ceux de la ville ne pourront remparer ni élever nouveaux ouvrages quelconques pour leur défense ; ils recevront un gentilhomme du vice-roi pour y avoir le regard, auquel ils feront voir deux fois le jour si aucune de ces choses n'a été faite. En revanche ledit vice-roi promet, sur sa foi, que nulles tranchées, cavalliers (élévation de terre sur laquelle on met de l'artillerie, soit pour l'attaque, soit pour la défense d'une place), plates-formes, ni autres choses offensives à ladite ville ne seront poussées plus avant. Tous les travaux d'attaque demeureront en l'état où ils se trouvent, sauf les tranchées qu'il jugera nécessaires à la sûreté du camp impérial et au blocus de la ville. Durant ledit temps, il ne sera tiré ni artillerie, ni arquebuserie, ni autres choses l'un contre l'autre, fors qu'il y eust quelqu'un s'approchant cent pas près de ladite ville, auquel on pourra tirer sans rompre le traité, non compris les tranchées, plates-formes déjà faites, ès quelles l'on pourra tenir le guet et gardes accoutumées. Si aucuns s'avancent d'approcher de la ville ou d'en sortir au delà du rayon de cent pas, il sera permis de leur tirer et de les reboutter. Le jour où ledit comte évacuera la ville, tous les prisonniers de guerre des assiégés et des assiégeants seront relâchés. Ledit sieur vice-roi accorde aux habitants de la ville la faculté de se retirer librement en France ou ailleurs, et promet toute sûreté et bons traitements à ceux qui voudront y rester, à la condition toutes fois de faire à Sa Majesté impériale service de bons et loyaux sujets. Lors de leur départ, ledit sieur comte et ses gens auront bonne et sûre escorte, pour les préserver de toute insulte. Le comte de son côté promet sur son honneur qu'il ne sera fait aucun déplaisir à ladite escorte, par ses gens ni en manière quelconque. Pour garantie de l'exécution de ces engagements ledit sieur comte baillera en otages six gentilshommes, au choix du vice-roi. — Navagero, traduit par M. Gachard, raconte ce qui suit au sujet de la reddition de Saint-Dizier : M. de Guise envoyait chaque jour des hommes du pays, vêtus tantôt en villageois, tantôt d'une autre manière, une fois à cheval, une autre fois à pied, pour secourir de poudre Saint-Dizier, et encourager, par des lettres et de bonnes paroles, les capitaines qui y commandaient. Plusieurs de ces hommes furent pris, et un, entre autres, qui avait une lettre toute en chiffres. Elle contenait que le roi se reconnaissait très obligé à ceux qui défendaient la place, et qu'il ferait, pour les secourir, tout ce qui serait en son pouvoir. On résolut d'écrire la même chose dans les mêmes chiffres, mais on y ajouta que le roi, désirant la conservation de ceux qui le servaient si bien, était content qu'ils se rendissent, plutôt que de se faire tailler en pièces, lorsqu'ils croiraient ne pouvoir tenir plus longtemps. Pour ce stratagème, il fallait contrefaire le sceau de M. de Guise, et retrouver un de ses hommes qui, portât la lettre dans la place. M. d'Arras (Granvelle) se servit, pour le sceau, de l'empreinte de celui qui était appliqué à la lettre interceptée ; don Fernand Gonzaga procura l'homme dont on avait besoin. A la lecture de cette lettre, les défenseurs de Saint-Didier entamèrent des négociations, et tout succéda selon les désirs de l'empereur. Lorsque la place eut été rendue, les capitaines qui avaient capitulé apprirent que l'ordre reçu n'émanait pas du roi ; ils produisirent, pour se justifier, la lettre de M. de Guise. Celui-ci ne pouvait nier qu'il l'eût écrite et envoyée ; mais il affirma ne leur avoir jamais ordonné de se rendre. Le roi fut néanmoins très indisposé contre lui à cette occasion, jusqu'à ce que la paix ayant été conclue, la vérité lui eût été dévoilée. Les Monuments de la diplomatie vénitienne, p. 95.
[515] Molto humano et allegramente, dit Navagero dans une dépêche du 23 août, à laquelle nous avons emprunté les autres détails que nous donnons sur l'évacuation de la ville. M. Gachard.
[516] En avertissant la reine qu'un seigneur français, muni d'un sauf-conduit de Henri VIII, s'était rendu au camp anglais, le comte du Rœulx ajoutait : Aucuns Anglets tiennent des propos qui ne me plaisent guères, et font si très petite diligence devant Monstrœil, qu'il semble qu'ils ne la veullent point avoir. Je leur ay fait du service beaucoup, de sorte que sans moy et aulcuns villaiges du bailliaige de Hesdin, tant des miens que aultres, ils eussent eu faim beaucoup, et pour récompense ils les ont pilliez, ce pendant que les povres gens estoient en leur camp où ils avoient porté des vivres. Lettre du 1er août, 1544. Lettres des seigneurs, II, f° 417. Citation de M. Henne.
[517] Le seul comté de Namur fournit à l'armée anglaise mille pionniers et huit cents chevaux. Comptes de P. de Werchin et de J. B. de Werchin. Lettres des seigneurs, II, f° 417.
[518] Journal de Vandenesse.
[519] Dépêche du 24 août, du camp devant Saint-Dizier.
[520] Dépêche du 31 août, du camp in Villa sesse.
[521] Martin du Bellay.
[522] Martin du Bellay.
[523] Féry de Guyon. — Château-Thierry, aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement du département de l'Aisne, sur la Marne, à 58 km. S. 0. de Laon.
[524] M. Henne, ouvrage cité, t. VIII, p. 190-191.
[525] Sleidan cité par M. Henne.
[526] En cet endroit, dit M. Gachard traduisant Navagero, Charles fit un exemple qui produisit une vive sensation. Un huissier de sa chambre, pour lequel il avait de l'affection, vola, dans une abbaye près de la ville, un ciboire (tabernacolo, selon le texte) d'argent où reposait le corps do Jésus-Christ ; il le sut : sans hésiter il ordonna que le coupable fût attaché à la potence. L'exécution eut lieu incontinent ; mais la corde se rompit, et le patient tomba à terre, encore plein de vie. Regardant ce fait comme un coup de la Providence, Charles commanda qu'on examinât de nouveau le voleur, afin de s'assurer s'il n'avait pas de complice ; et comme il fut trouvé qu'il en avait un en effet dans la personne d'un des hallebardiers de sa garde, il voulut que tous deux fussent pendus, quoique le hallebardier fût également au nombre de ses favoris, recommandant d'employer à leur supplice des cordes telles qu'on n'eût pas à craindre qu'elles vinssent à se rompre. L'un et l'autre de ces malheureux étaient allemands.
[527] Charles-Quint pouvait donc sans jactance écrire le 20 septembre à ses ambassadeurs en Angleterre : Certes s'il fust esté possible à nostre très chier et bon frère le roy d'Angleterre faire marcher son armée, ou une bonne partie d'icelle pour correspondre à la nostre, et que ce fust esté prestement, l'on eust peu faire très grande conqueste, avec la très grande crainte et frayeur de ceulx de ce coustel. (Archives du royaume). Note de M. Gachard.
[528] L'autorité de Gonzague n'était pas moindre auprès de l'empereur que celle de Granvelle. Dépêche du 24 août. — Dans une autre dépêche du 23 septembre, datée de Cateau-Cambrésis, il ajoute que même depuis plusieurs années, personne n'avait eu un tel crédit sur ce monarque, qui se servait de lui dans le conseil comme à la guerre.
[529] Dépêche du 31 août.
[530] Dès le début de la campagne, dit M. Gachard, la rareté des vivres se fit sentir dans le camp impérial. Navagero écrivait au doge le 6 juillet : Ici un pain noir, grand comme ceux qu'on achète ordinairement un marchetto à Venise, coûte une plaque, qui est à peu près comme quatre marchetti de Votre Sérénité. Le vin et l'avoine sont à un prix inestimable.— La plaque (plecke) était une monnaie brabançonne équivalente à un tiers de sou ou 24 mittes (myten). — En 1515, la rasière (hectolitre) de blé, qui, les dix années précédentes, à Bruxelles, avait valu, en moyenne, 45 à 16 sous, s'éleva au prix de 1 florin 3 sous (le florin valait 20 s.). Nous n'avons trouvé nulle part, ajoute M. Gachard, ce que valait, à Venise, le marchetto. — Navagero mandait, le 16, que le jour de l'arrivée de l'empereur devant Saint-Dizier, l'armée avait manqué de pain, et que ce n'était pas la première fois. Deux jours après, c'était la viande qui faisait défaut (Dépêche du 23 juillet). Moi et ma maison, écrivait le 31 août l'ambassadeur de Venise, nous aurions été maintefois sans pain, si je n'avais fait quelque provision de biscuit.
[531] D'après une lettre de l'empereur à ses ambassadeurs en Angleterre du 20 octobre, il devait un mois de solde à ses troupes, lorsqu'il avait conclu la paix. (Archives du royaume). Note de M. Gachard.
[532] C'est un tableau lamentable, dit encore M. Gachard, que celui que font les dépêches de Navagero des saccagements, pillages, incendies, commis par l'armée impériale. Les Allemands se signalaient entre tous dans ces actes de sauvagerie. A Vitry, où l'empereur aurait voulu établir des magasins, il avait fallu y renoncer, parce qu'ils avaient brûlé la ville. Dépêches des 30 juillet, 6 et 14 septembre.
[533] Lettre de l'empereur à la reine de Hongrie, du 19 septembre, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Citation de M. Gachard.
[534] Navagero les tenait, dit-il, du comte Giovanni della Sommaria, homme qui n'a aucune espèce de vanité, et qui peut connaître ces paroles par son étroite amitié avec les seigneurs français. Voir le texte italien des paroles mises dans la bouche de François Ier, Dépêche du 19 septembre, de Crespy.
[535] Dépêche du 19 septembre, de Crespy
[536] Dépêche du 19 septembre, de Crespy
[537] Dépêche du 19 septembre, de Crespy
[538] Aujourd'hui petite ville du département de l'Aisne, à 9 km. N. O. de Laon.
[539] Placards de Brabant, III, 684.
[540] Ouvrage cité, VIII, 197.
[541] Henri VIII lui-même, dit M. Gachard, quand l'évêque d'Arras lui avait fait part du projet de traité, avait répondu assez crûment que ce serait une grande honte pour l'empereur d'accepter les offres des Français ; et, avait-il ajouté, ores que S. M. fût prisonnière entre les mains desdits François, ils ne luy sçauroient offrir plus préjudiciables ni ignominieuses conditions. Lettre écrite à la reine de Hongrie, le 16 septembre 1544, par les ambassadeurs de l'empereur à la cour d'Angleterre.
[542] Relation de Navagero. Celui-ci raconte que Gonzague lui ayant demandé si le garde des sceaux (Granvelle) lui avait communiqué les articles de la paix, il (Navagero) répondit que non, et qu'alors Gonzague lui répartit : Le pauvre seigneur doit en être excusé : car je puis vous dire que lui et moi nous sommes en butte aux attaques de ces seigneurs flamands et d'autres, et la reine Marie, qui avait pour moi tant de bienveillance, maintenant me parle à peine. Je n'en crois pas moins avoir fait une des meilleures choses et dont il pût résulter un plus grand bien, et je suis prêt à en rendre compte à qui y contredirait ; mais M. de Granvelle perd la carte facilement, et sa manière à lui est de se chagriner. Dépêche du 9 octobre, de Bruxelles.
[543] Mémoire justificatif de Granvelle au sujet du traité de paix de Crespy. Papiers d'état, III, 26.
[544] M. Guizot, l'Histoire de France racontée à mes petits-enfants, t. III, p. 125.