L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE V. — DEPUIS LA RÉUNION DÉFINITIVE DE TOURNAI ET DU TOURNAISIS AUX PAYS-BAS JUSQU'À LA PAIX DITE DES DAMES OU DE CAMBRAI.

 

 

Charles-Quint revenait d'Audenarde, où il avait résidé pendant le siège de Tournai ; il s'était livré, durant quelques jours, au plaisir de la chasse dans le domaine de Winnendale, lorsqu'il apprit, en arrivant à Gand le 16 décembre 1521, la mort imprévue du pape Léon X. Ce pontife, dont le nom est resté celui de son siècle[1], avait à peine achevé sa quarante-sixième année ; il avait régné huit ans, huit mois et dix-neuf jours. Si l'on considère tout ce qui se fit sous son pontificat, dans l'ordre religieux, politique, littéraire, on est tenté de croire qu'il durât bien plus longtemps. Deux grands desseins préoccupèrent sa pensée du moment où il fut monté sur le siège apostolique : armer les princes chrétiens contre les Turcs, qui se montraient, sous Sélim II, plus redoutables que jamais ; terminer la construction de l'église de Saint-Pierre à Rome. Fidèle aux traditions de ses prédécesseurs, il tendit toujours au double but de la politique pontificale, la délivrance de l'Italie du joug de l'étranger, et la consolidation de la puissance temporelle du Saint-Siège, garantie indispensable de son indépendance spirituelle. La liberté du commerce, la protection accordée aux lettres et aux beaux arts, la sagesse de l'administration, la sécurité de la police ajoutèrent à la prospérité générale, et rendirent le pontificat de Léon X à jamais mémorable. Ce qu'on peut lui reprocher à juste titre, c'est un luxe un peu mondain et un amour exagéré des lettres anciennes, même dans ce qu'elles eurent de plus frivole. Il nous reste, dit un historien protestant[2], les témoignages les plus satisfaisants sur la pureté de mœurs qui distingua ce pape, tant dans sa première jeunesse que lorsqu'il fut parvenu au souverain pontificat. Nous souscrivons au jugement qu'en a porté un écrivain allemand[3] : Au tribunal impartial de l'histoire, Léon apparaîtra toujours comme un prince doué des meilleures intentions, instruit, éclairé, malheureusement trop superficiel au point de vue chrétien et trop passionné pour les lettres et la science purement humaines. Du reste, son caractère demeure hors de toute atteinte, et sa vie privée fut aussi pure que digne d'un chef de l'Église.

Le conclave formé après la mort de Léon X commença le 27 décembre 1521. Charles-Quint avait promis depuis longtemps son appui éventuel au cardinal Wolsey, qui aspirait à la tiare, et, le jour même de son arrivée à Gand, il écrivait à l'évêque de Badajoz, son envoyé à Londres, d'assurer le cardinal qu'il était prêt à s'acquitter de toutes ses promesses, et qu'il n'attendait, pour agir, que d'être informé des intentions définitives de celui-ci[4]. Peu de jours après, il adressait à don Juan Manuel, son ambassadeur à Rome, la lettre suivante : Nous avons écrit à tout le sacré collée, et aux divers cardinaux en particulier, pour les exhorter à donner à la république chrétienne le pontife qui paraîtra lui convenir le mieux, et à placer le gouvernail de la barque de Saint-Pierre, depuis longtemps ballottée sur les flots de la haute mer, entre les mains d'un pilote qui, par sa vertu, sa foi, son art et son adresse, sût la tirer du milieu des tempêtes et la conduire enfin au port du salut. A notre jugement, le cardinal d'York est l'homme le plus digne du grand office pastoral. Outre sa singulière prudence et la longue habileté qu'il a acquise dans la conduite des affaires, il se recommande par les nombreuses vertus dont il est orné. Faites donc diligemment et avec dextérité, en notre nom, avec l'ambassadeur du sérénissime roi d'Angleterre notre oncle, tout ce qu'il faudra, soit auprès du conclave, soit auprès de chaque cardinal, pour que nous arrivions à cette fin désirée[5].

Henri VIII avait résolu d'envoyer un ambassadeur extraordinaire au conclave afin de lui recommander l'élection du cardinal d'York, et il avait fait choix, pour cette mission délicate, de Richard Pace, son premier secrétaire, dont l'habileté et le dévouement lui inspiraient une entière confiance. Pace, avant de se rendre en Italie, vint trouver l'empereur à Gand, pour lui communiquer ses dépêches et se concerter avec lui. L'empereur lui remit une lettre pour son ambassadeur à Rome, où il lui recommandait, de la manière la plus pressante, les intérêts de Wolsey. C'est celle que nous venons de citer. Pace lui avait apporté des lettres du cardinal d'York et du roi ; il y répondit de sa main : Vous pouvez estre sûr, manda-t-il au cardinal, qu'il ne sera rien espargné pour parvenir à l'effet désiré, et ne m'a point semblé convenable d'escripre en faveur d'autre que vous, car toute mon affection est à vous[6]. Quand Pace arriva à Rome, le conclave était fini. Le cardinal Wolsey n'avait réuni que neuf voix. Un nouveau pape était élu, et c'était l'ancien précepteur de Charles V. Racontons en peu de mots comment la chose s'était faite.

Les cardinaux étaient très divisés. Jules de Médicis, proche parent de Léon X, disposait d'un assez grand nombre de voix, mais ce nombre était insuffisant pour l'élection. Il avait proposé successivement plusieurs cardinaux, qui tous avaient été repoussés. Après quinze jours d'infructueuses tentatives, toutes les combinaisons étaient épuisées, et on commençait à désespérer dans le conclave de trouver un pape. Cependant l'Italie tendait à s'agiter, et l'état de l'Église était à l'abandon. Jules de Médicis désirait sortir de cette situation dangereuse, quand deux des plus vieux cardinaux, del Monte, évêque d'Albano, et Thomas de Vio, de l'ordre des dominicains, célèbres le premier comme profond canoniste, le second comme savant théologien, le conjurèrent de rendre la liberté à ses amis, en leur permettant de nommer un pape dont l'âge, les mœurs, la doctrine convinssent aux intérêts du Saint-Siège et aux besoins de la chrétienté. Le cardinal Jules déclara qu'il était prêt à le faire. Il dit qu'il montrerait son zèle pour l'Église en choisissant un personnage bien propre à. la servir et â l'honorer. En effet il persuada aux siens de porter leurs votes sur un cardinal que recommandaient également son savoir étendu, sa solide piété, sa ferme orthodoxie et son attachement à la cause impériale. Ce candidat c'était le Néerlandais Adrien Boeyens, qui avait été précepteur de Charles, que Léon X avait fait évêque de Tortose, puis cardinal, et qui administrait péniblement depuis environ deux années le royaume troublé d'Espagne en qualité de régent. Il n'était jamais venu en Italie, il ne connaissait pas Rome, et bien qu'il exerçât l'autorité royale par délégation, ce n'était pas proprement un homme politique. Ce qui l'aurait peut-être fait exclure en un autre temps le fit agréer alors. Le cardinal de Saint-Sixte, Thomas de Vio, loua sa science profonde, la douceur de ses sentiments, la sainteté de sa vie. On fut vite d'accord. Les cardinaux français eux-mêmes, croyant que c'était le moins mauvais choix pour le roi très chrétien, suivirent les cardinaux espagnols, qui le regardèrent comme le meilleur pour le roi catholique. En peu d'instants Adrien obtint vingt-six voix. Aussitôt on s'écria : habemus papam, nous avons un pape. Et tous les cardinaux, moins un seul, adhérèrent à cette nomination par accès[7].

Adrien était à Vittoria, dans la province d'Alava, lorsqu'il apprit sa nomination, dont la nouvelle lui fut apportée par un camérier du vieux cardinal espagnol Carvagal, doyen du sacré collège. Cette nouvelle agita son âme et la jeta dans l'indécision. Il se retira quelque temps dans le couvent des franciscains. L'expérience qu'il venait de faire en Espagne ne le disposait point à se charger du gouvernement non moins troublé et bien plus difficile du monde chrétien. A la fin néanmoins il s'y décida, et reçut avec calme la notification du conclave, qui lui fut apportée par trois cardinaux désignés à cet effet[8]. Tout en se résignant à porter la triple couronne, Adrien VI, car c'est par ce nom qu'on désigna le nouveau pape, en sentait d'avance l'accablement, et il répondait aux félicitations d'un de ses anciens amis : Ce qui vous réjouit m'attriste. Je frémis du fardeau que j'ai à porter. Que ne puis-je, sans offenser Dieu, le rejeter de mes épaules débiles sur des épaules plus fermes ! Que celui qui me l'a imposé me donne des forces pour le soutenir[9].

Charles-Quint s'empressa de dépêcher un gentilhomme de sa chambre au nouveau pontife pour lui exprimer toute la satisfaction qu'il éprouvait de voir son ancien maitre assis sur le siège de saint Pierre. Le collège des cardinaux, écrivait-il à Adrien[10], a répondu à don Jehan Manuel, mon ambassadeur, qu'à ma contemplation fut faite l'élection de votre sainteté. Adrien répondit noblement qu'il n'admettait point être pape par la grâce de l'empereur[11], et mêlant l'affection à l'indépendance, il lui disait : Je savais que vous ne pouviez solliciter pour moi, et je suis bien joyeux de n'être point parvenu à l'élection par vos prières à cause de la pureté et sincérité que les droits divins et humains requièrent en semblables affaires. Je vous en sais meilleur gré que si j'eusse obtenu le pontificat par votre influence.

François Ier écrivit aussi à Adrien, et lui exprima la confiance qu'il avait en lui. Nous croyons, lui disait-il[12], que vous n'oublierez point quel lieu vous occupez, que vous penserez souvent au salut de votre âme, et que cela, avec la bonne vie que vous avez toujours eue, vous gardera d'être partial et entretiendra au chemin de vérité sans acception de personne, et que serez père commun des princes chrétiens, ayant toujours devant les yeux droit, équité, justice.

Cependant Charles-Quint, qu'appelaient en Espagne les vœux de la nation et la nécessité d'y restaurer l'autorité royale ébranlée par le soulèvement des communeros, s'était embarqué à Calais le 26 mai. Le même jour il descendit à Douvres, où le reçut le cardinal Wolsey, accompagné de plusieurs grands personnages d'Angleterre. Le roi en personne vint l'y trouver le lendemain, et le conduisit successivement à Cantorbéry, à Rochester, à Greenwich. Le 6 juin, ils firent ensemble leur entrée à Londres, non-seulement en estat de frères conjoints en un même vouloir, mais habillés tous deux d'une parure, et avec toutes les cérémonies accoustumées comme si l'empereur deust estre receu roy d'Angleterre[13]. Le 17 juillet, Charles-Quint reprit la mer à Southampton, et, après dix jours d'une navigation heureuse, il débarqua à Santander.

Adrien VI était encore en Espagne. Le jour même où l'empereur y abordait, le pape faisait son entrée à Tarragone. Charles lui écrivit pour lui exprimer son désir de le voir avant qu'il quittât l'Espagne, et l'intention de se transporter auprès de lui, s'il pouvait différer de quelques jours son départ. Adrien n'accepta point la proposition Nous aurions vivement désiré, lui écrivit-il, nous entretenir avec Votre Majesté, mais les dépêches que nous recevons de Rome, de Gènes et des autres parties de l'Italie nous effraient tellement, en affirmant que toutes les choses vont à leur ruine, et qu'il n'est pas possible d'y remédier sans notre présence, que nous n'avons point osé retarder notre départ[14]. La conduite du pape fut interprétée de différentes façons ; les Français y virent un signe favorable et un présage d'impartialité[15]. Quoiqu'il en soit, Adrien mit à la voile le 7 août de Tarragone, et aborda, le 17, à Gênes, où une réception magnifique l'attendait. Pendant son voyage, il donna plusieurs fois de ses nouvelles à l'empereur. Celui-ci fit dire des prières dans toute l'Espagne pour l'heureux succès de la navigation du Saint-Père, et dès qu'il connut son arrivée à Rome le 29 au milieu des acclamations et de la joie universelle, il prescrivit des actions de grâces solennelles.

Pour nous rendre compte de la situation oh Charles-Quint avait retrouvé l'Espagne, nous devons d'abord jeter un regard en arrière, et nous rappeler la vaste insurrection qui avait éclaté dans le pays après le départ de l'empereur. Informé de ce qui se passait, celui-ci avait prescrit des mesures de douceur, et associé à la régence d'Adrien le connétable de Castille don Inigo de Velasco et l'amiral don Fadrique Henriquez. Le connétable et l'amiral signifièrent aux villes les pouvoirs dont ils étaient investis, levèrent des troupes, appelèrent auprès d'eux les grands et les caballeros, fixèrent dans Medina del Rio-Seco, qui appartenait à don Fadrique Henriquez, et qui n'était pas située loin de Valladolid, le siège du gouvernement royal et le rendez-vous de leur armée. Cette armée se grossit peu à peu des contingents qu'y amenèrent les chefs des grandes familles castillanes ; elle fut bientôt en état de tenir la campagne contre l'armée, longtemps plus forte, des communeros. Avant de poursuivre la guerre avec vigueur, le connétable et l'amiral avaient essayé des négociations. Ils avaient d'abord cherché à détacher de la communidad, par des traités rassurants et avantageux, les deux importantes villes de Burgos et de Valladolid, mais ils n'y avaient réussi qu'à moitié. Ils avaient été moins heureux encore dans les négociations engagées avec la junte insurrectionnelle. Les régents offraient, outre une complète amnistie, d'adopter eux-mêmes et de faire accepter par le roi la plupart des articles qu'avait votés l'assemblée des communinades, en leur enlevant toutefois ce qu'ils avaient d'excessif dans les dispositions et de trop impérieux dans la forme. Tels qu'ils les agréaient, ils auraient suffi à affermir, en les accroissant, les vieilles libertés de la Castille. Ils auraient rendu les impôts arbitraires impossibles, la convocation des cariés régulière, l'autorité royale limitée par les lois, la justice à ses divers degrés circonspecte et équitable. Cet utile accord fut malheureusement repoussé par la junte des communeros, qui, dans sa passion et ses exigences, ne voulut rien céder, et finit par tout perdre.

La guerre recommença et se poursuivit pendant quatre mois avec des vicissitudes diverses et sans résultat définitif. Les communeros et les caballeros, dont les armées grossissaient et diminuaient selon l'arrivée ou le départ des contingents mobiles qui leur venaient du côté des villes ou des rangs de la noblesse, s'attaquaient et se défendaient tour à tour. Les caballeros avaient surpris Tordesillas, enlevé aux insurgés la personne de la reine, contraint la junte fugitive de se renfermer dans Valladolid. Au mois de mars 1521, ils occupaient une ligne de châteaux qui s'étendait de Simancas à Medina del Rio-Seco par Tordesillas et Torrelobaton, et leurs garnisons, bloquant en quelque sorte Valladolid du côté de l'ouest, l'inquiétaient en faisant des sorties continuelles. Les communeros voulurent briser cette barrière menaçante, et ils s'avancèrent contre Torrelobaton sous la conduite de Juan de Padilla, nommé leur capitaine général. Par une éclatante revanche, après quelques jours de siège, ils prirent la ville et sa citadelle d'assaut, et les mirent à sac. Ce succès même causa leur ruine.

Leur armée, chargée du pillage de Torrelobaton, se fondit en grande partie. Chacun courut mettre à couvert le butin qu'il avait fait. Les caballeros au contraire sentirent, après cet échec, la nécessité de se renforcer. Ils réunirent leurs forces dispersées, auxquelles se joignirent des renforts venus de la Navarre, et résolurent d'attaquer les communeros, affaiblis et immobiles à Torrelobaton. Le comte de Haro, leur capitaine général, était prêt à livrer une bataille décisive, quand Juan de Padilla lui mit, pour ainsi dire, lui-même la victoire entre les mains.

Ce vaillant mais infortuné capitaine des communeros comprit, qu'il était trop resté à Torrelobaton, et qu'il y demeurait trop exposé. Il se décida donc à quitter cette dangereuse position, et le 21 avril au matin il en partit en assez bon ordre. Il se dirigea vers Tore, où il espérait être joint par les troupes de Léon, de Zamora et de Salamanque. La marche ne pouvait pas être bien rapide, et il avait douze lieues à faire pour arriver à Toro. Dès que les caballeros surent qu'il s'était mis en mouvement, ils s'ébranlèrent aussi, le joignirent et l'attaquèrent dans la plaine de Villalar. La petite armée des communeros, assaillie par un ennemi plus nombreux et surtout supérieur en cavalerie dans ces champs que la pluie détrempait depuis le matin, ne tint pas longtemps. Elle prit la fuite en rompant les croix rouges, signes de la communidad, et en laissant au pouvoir des caballeros victorieux ses chefs, qui avaient bravement, mais inutilement combattu. Le capitaine général Juan de Padilla, Jean Bravo, capitaine de Ségovie, Francisco Maldonado, capitaine de Salamanque, faits prisonniers à Villalar, furent décapités le lendemain de la bataille, dans le château de Villalva. Ils moururent aussi bravement qu'ils s'étaient battus ; mais leur supplice et la défaite de leur armée jetèrent le découragement et l'épouvante parmi les communeros. La junte, qui naguère se montrait si absolue dans ses exigences, ne demanda plus rien et se dispersa ; les villes éperdues se soumirent sans conditions, et du champ de bataille de Villalar, où fut ensevelie l'indépendance de la Castille, s'éleva et s'étendit la puissance absolue de Charles-Quint. Tolède seule, où s'était jeté le belliqueux évêque de Zamora, et où Marie de Pacheco, veuve de Juan de Padilla, exalta les courages et entretint la rébellion, ne fléchit point. A la fin cependant il fallut céder, et lorsque l'empereur débarqua à Santander, l'autorité royale était rétablie dans la plus grande partie du royaume, et la fin complète de la sédition suivit de près son arrivée. A partir de ce n'ornent et pendant tout le règne de Charles-Quint, l'Espagne fut un des pays les plus paisibles de l'Europe. Dans la relation adressée au sénat de Venise en 1525 par Gaspard Contarini, cet ambassadeur fait remarquer que jamais roi de Castille n'avait joui d'autant d'autorité[16].

L'Espagne pacifiée, la guerre allait recommencer avec la France. Le nouveau pape s'était efforcé en vain de l'éloigner. Adrien souhaitait vivement le rétablissement de la paix entre les princes occidentaux. Cette paix semblait d'autant plus nécessaire que la chrétienté était menacée par les armes victorieuses des musulmans. Ces ennemis redoutables venaient d'entamer la frontière orientale des pays chrétiens, y avaient pris Belgrade, l'un de leurs boulevards, et, y renversant la croix du Christ, avaient planté le croissant à quelques lieues de Vienne. Ils avaient ensuite assiégé Rhodes avec deux cent mille hommes, et ils s'étendaient dans la Méditerranée, comme ils s'étaient avancés dans la Hongrie, épouvantant l'Europe de tous les côtés. Les esprits étaient émus. On tremblait que Rhodes, ce poste avancé de la république chrétienne dans les mers du Levant, ce dernier reste des anciennes conquêtes des croisés, ne tombât entre les mains de l'irrésistible Soliman II, fils de Sélim, malgré l'héroïsme des chevaliers de Saint-Jean qui le défendaient. Adrien VI éprouvait ce sentiment en chrétien et en pontife. Léon X avant lui avait rétabli une trêve générale qui devait durer cinq ans et réunir l'occident tout entier dans une croisade contre Sélim, père du sultan régnant. Les événements avaient empêché l'exécution d'un si salutaire projet, mais Adrien le renouvela au moment du siège de Rhodes.

François Ier ne refusa point de s'y associer. Il offrit d'être un soldat dévoué du Saint-Siège et le défenseur le plus zélé de la république chrétienne, si le pape reconnaissait ses droits en Italie et les faisait admettre par Charles-Quint. L'empereur de son côté pressait Adrien de s'unir à lui. Cette situation embarrassait fort le souverain pontife, éminent dans la doctrine, mais peu au fait des habiletés de la politique, dit M. Mignet. Adrien ne se montrait pas d'abord défavorable à François Ier. mais des lettres d'un des confidents du monarque français, où on l'engageait à ne rien céder, furent mises sous ses yeux, il se crut trahi et se porta tout du côté opposé. Les Turcs s'étaient rendus maîtres de Rhodes à la fin de 1522, malgré l'opiniâtre et glorieuse défense des chevaliers[17]. La nécessité de résister à Soliman se montrait de plus en plus évidente : le pape voulut réunir contre lui tous les rois chrétiens, et pour cela forcer les deux principaux d'entre eux à accepter une Crève.

Cette trêve aurait maintenu l'état territorial tel qu'il existait alors, mais elle ne pouvait convenir à François Ier, dont elle aurait consacré par là même la dépossession. Aussi Adrien VI songeait-il à la lui imposer, en le menaçant, s'il s'y refusait, de le frapper des censures ecclésiastiques. Cette menace d'une excommunication révolta le roi de France. II écrivit au souverain pontife en invoquant les privilèges de sa couronne. Rappelant ce qui s'était passé entre le Saint-Siège et le royaume de France au commencement du XIVe siècle, il s'exprimait en termes menaçants : Pape Boniface l'entreprit contre Philippe le Bel, dont se trouva mal. Vous y penserez par votre prudence. Il ajoutait ensuite : Si vous prions par vostre bonté et équité avoir esgard et considération à ce que dessus, et ne faictes choses que un bon et prudent pasteur ne doibve faire car où par telz moiens cuideriez mettre paix en la chrestienté, y mettriez plus grand trouble que jamais[18].

Adrien cessa de poursuivre une trêve impossible, et s'abstint de fulminer une excommunication, mais il entra dans la grande confédération formée contre la France, et contracta une alliance offensive avec les ennemis de François Ier, le 3 août 1523. Cette confédération se composait de presque tous les états italiens et des principales puissances de l'Europe. Le royaume de Naples, le Saint-Siège, les républiques de Florence, de Sienne, de Venise, de Gênes, le duc de Milan Sforza, l'archiduc d'Autriche Ferdinand, le roi d'Angleterre, le roi d'Espagne, y étaient entrés, les uns pour empêcher François Ier d'occuper de nouveau la haute Italie, les autres pour envahir son propre royaume.

Une si redoutable coalition ne fut cependant pas capable d'intimider François Ier et de l'arrêter dans la poursuite de ses desseins. Il avait dit naguère au Parlement de Paris avec une confiance excessive : Toute l'Europe se ligue contre moi : eh bien ! je ferai face à toute l'Europe. Joignant l'action aux paroles, il réunit des troupes au pied des Alpes, et se disposa à fondre à leur tête sur l'Italie. Déjà l'amiral Bonnivet avait passé les monts avec un corps considérable. Douze mille Suisses étaient en marche pour le joindre, sous la conduite du maréchal de Montmorency. Les hommes d'armes de France s'acheminaient par compagnies vers Lyon, d'où François Ier devait descendre en Lombardie avec une puissante armée. Mais avant d'arriver en cette ville, il fut arrêté par une nouvelle alarmante. C'est dans sa route de Paris à Lyon que fut révélée au roi la conspiration du connétable de Bourbon, le second prince du sang et le dernier grand représentant territorial de la France féodale[19].

Charles de Bourbon, monté au trône ducal sous le nom de Charles III, y était parvenu et comme représentant mâle de la dernière ligne de la maison de Bourbon, et comme mari de l'héritière directe de la première ligne restée sans descendance masculine. Il appartenait à la branche cadette des Bourbon-Montpensier, et il avait épousé Suzanne de Bourbon, fille unique du duc Pierre II et d'Anne de France, en qui avait pris fin la branche aînée jusque-là régnante, et qu'avaient accompagné près de dix-sept cents officiers de sa maison jusqu'à la célèbre nécropole bénédictine située à deux lieues des tours de Bourbon-l'Archambault. Il avait obtenu toutes les possessions de la maison de Bourbon en réunissant les droits des deux branches. A l'office de grand-chambrier de France, héréditaire dans la maison de Bourbon, il avait joint l'office de connétable, dont l'épée, mise aux mains de plusieurs des ducs ses prédécesseurs, avait été confiée aux siennes par François Ier, l'année même de son avènement à la couronne.

Le connétable de Bourbon, dit l'historien français déjà cité, était aussi dangereux qu'il était puissant. Il avait de fortes qualités. D'un esprit ferme, d'une âme ardente, d'un caractère résolu, il pouvait ou bien servir ou beaucoup nuire. Très actif, fort appliqué, non moins audacieux que persévérant, il était capable de concourir avec habileté aux plus patriotiques desseins et de s'engager avec orgueil dans les plus détestables rébellions. C'était un vaillant capitaine et un politique hasardeux. Il avait une douceur froide à travers laquelle perçait une intraitable fierté, et sous les apparences les plus tranquilles il cachait la plus ambitieuse agitation. Il est tout entier dans ce portrait saisissant qu'a tracé de lui la main de Titien, lorsque dépouillé de ses états, réduit à combattre son roi et prêt à envahir son pays, le connétable fugitif avait changé la vieille et prophétique devise de sa maison, l'Espérance, qu'un Bourbon devait réaliser avant la fin du siècle, dans ce qu'elle avait de plus haut, en cette devise terrible et extrême : omnis spes in ferro est, toute mon espérance est dans le fer. Sur ce front hautain, dans ce regard pénétrant et sombre, aux mouvements décidés de cette bouche ferme, sous les traits hardis de ce visage passionné, on reconnait l'humeur altière, on aperçoit les profondeurs dangereuses, on surprend les déterminations violentes du personnage désespéré qui aurait pu être un grand prince, et qui fut réduit à devenir un grand aventurier. C'est bien là le vassal orgueilleux et vindicatif auquel on avait entendu dire que sa fidélité résisterait à l'offre d'un royaume, mais ne résisterait pas à un affront[20]. C'est bien là le serviteur d'abord glorieux de son Pays qu'une offense et une injustice en rendirent l'ennemi funeste, qui répondit à l'injure par la trahison, à la spoliation Par la guerre. C'est bien là le célèbre révolté et le fougueux capitaine qui vainquit François Ier à Pavie, assiégea Clément VII dans Rome, et finit sa tragique destinée les armes à la main en montant à l'assaut de la ville éternelle.

De bonne heure Charles de Bourbon était devenu un chevalier accompli. A peine âgé de dix-neuf ans, il avait commandé, en 1508, à la bataille d'Agnadel, un corps important, et avait contribué au gain de cette célèbre journée, où avait été renversée en quelques heures la puissance que les Vénitiens avaient si lentement acquise dans la Lombardie orientale. Lorsque la défaite de Novare, la perte de l'Italie, l'invasion de la Bourgogne par les Suisses eurent attristé de revers nombreux le règne de Louis XII, le duc Charles de Bourbon avait été chargé, en 1514, de couvrir la frontière menacée de l'est et de repousser les périls auxquels était exposé le territoire même de la France. Il avait fait vite et bien. Investi peu après de l'office de connétable par François Ier, il avait combattu pendant deux jours, en capitaine et en homme d'armes, à la rude bataille de Marignan. Reconnu pour l'un des principaux auteurs de cette brillante victoire, il avait été laissé par François Ier comme son lieutenant général au delà des monts, et il sut conserver le Milanais contre les agressions de l'empereur Maximilien descendu en Italie à la tête d'une armée formidable.

Mais chose étrange et inexpliquée jusqu'aujourd'hui, les grands services qu'il avait ainsi rendus à la couronne furent presque aussitôt suivis de sa disgrâce. Huit mois après la victoire de Marignan, deux mois après l'évacuation de la Lombardie par l'empereur Maximilien, François Ier rappela le connétable de Bourbon, qui avait sauvé le duché de Milan, et il mit à sa place le maréchal de Lautrec, qui devait le perdre. Dès ce moment, soit par une ingrate légèreté de François Ier, soit par une défiance prématurée de sa part, le connétable, tombé dans la défaveur, avait été relégué dans ses états, dépouillé de toute autorité, et n'avait pas même été remboursé de ce qu'il avait dépensé pour l'utilité du roi en Italie, ni payé de ses pensions comme grand chambrier de France, comme gouverneur du Languedoc et comme connétable. D'autres affronts furent ajoutés à. ceux là. Bientôt à la continuité de la disgrâce s'ajouta la menace de la spoliation, et après l'avoir offensé, François Ier le désespéra. De concert avec Louise de Savoie, sa mère, il revendiqua les biens de la maison de Bourbon. Ces biens le connétable les tenaient de son chef ou du chef de sa femme. Ce qui pouvait être considéré comme transmissible aux femmes lui était dévolu par la donation et le testament de la duchesse Suzanne, et le droit féodal aussi bien que la constitution monarchique des apanages lui assuraient ce qui était réservé aux males. Cette revendication, si peu opportune politiquement, n'était donc pas même fondée en justice[21].

Le connétable était ainsi menacé de perdre tout ce qui, dans l'héritage des Bourbons étant féminin serait dévolu à Louise de Savoie, mère du roi, et cousine germaine de la duchesse Suzanne rapprochée ainsi d'un degré de plus de l'héritage que le connétable, et tout ce qui étant masculin serait annexé à la couronne. La mauvaise volonté et la puissance de ses deux adversaires lui firent craindre une spoliation complète. La ruine allait s'ajouter à la disgrâce, et cette imminente iniquité mettre le comble à toutes les anciennes offenses. Son cœur altier se révolta à cette pensée. N'y tenant plus, et voulant tout à la fois soutenir ses droits et préparer ses vengeances, il se tourna vers Charles-Quint.

Celui-ci mettait autant de soin à acquérir de nouveaux amis que François Ier mettait de négligence à conserver ses anciens serviteurs. Il n'oublia rien, quelques mois après la mort de Suzanne de Bourgogne, pour gagner le connétable, qu'il savait être disgracié, et lui fit faire des avances par le prévôt d'Utrecht, Philibert Naturelli, son ambassadeur à la cour de France[22]. Le connétable, sans repousser ces avances, ne prit alors aucun engagement, et remercia l'empereur. Charles-Quint avait dès lors fait luire à ses yeux l'espoir d'un mariage avec une de ses sœurs. Un peu plus tard, sur le conseil de sa belle-mère, Anne de France, fille de Louis XI, qui avait gouverné le royaume de France pendant la jeunesse de Charles VIII, il se décida à ouvrir sur ce sujet une négociation secrète, dont le principal instrument fut Adrien de Croy, seigneur de Beauraing, un des plus fidèles serviteurs de Charles-Quint, avec lequel l'empereur avait été élevé, et l'une des plus grandes figures de notre histoire à cette époque. L'empereur fut informé par cet intermédiaire de l'intention qu'avait le connétable d'accepter les anciennes offres qui lui avaient été faites. Victime de l'injustice royale, il se présentait comme le futur libérateur de la France. Il s'élevait contre le gouvernement désordonné, arbitraire, onéreux, d'un prince plongé dans les plaisirs, livré aux emportements de ses passions, et se disait résolu à réformer l'état en redressant l'insolente conduite d'un roi qui accablait le royaume et le mettait sur le penchant de sa ruine. Si l'empereur lui donnait une de ses sœurs en mariage, il était disposé, disait-il, à se soulever dans l'intérieur de la France et à joindre ses forces aux forces espagnoles et anglaises, unies alors contre François Ier. Il y mettrait en mouvement cinq cents hommes d'armes et huit ou dix mille hommes de pied, au moment où les troupes de Charles-Quint et d'Henri VIII paraîtraient sur les frontières du royaume.

La double négociation du traité avec le duc de Bourbon et de l'expédition en France, après s'être poursuivie quelque temps à Valladolid, où résidait Charles-Quint, fut continuée à Londres, où les plénipotentiaires de ce dernier et d'Henri VIII convinrent en mai 1523 des moyens et de l'époque de la grande agression, et où Beauraing arriva le 19 juin pour régler tout ce qui pouvait faciliter la rébellion et la prise d'armes du duc de Bourbon[23]. Cela fait, il se dirigea vers la ville de Bourg en Bresse, où il arriva au commencement de juillet, et, en attendant l'arrivée du connétable qui devait l'y rejoindre, s'enferma dans l'abbaye de Brou, où le mettait à l'abri de toute indiscrétion l'autorité de la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche.

Le connétable ne parut point. Avant de se résoudre définitivement, il voulut faire une dernière démarche auprès du roi et de sa mère. S'ils avaient renoncé à le dépouiller, il aurait cessé, semble-t-il, de s'entendre avec leurs ennemis. Repoussé brusquement et avec aigreur par François Ier, il se rendit dans la partie la plus montagneuse de ses états, sous le prétexte d'un pèlerinage à Notre-Dame du Puy, et s'établit à Montbrison, capitale du Haut-Forez avec toute sa maison. C'est là qu'il fit venir l'ambassadeur de Charles-Quint. Deux de ses gentilshommes conduisirent le sire de Beauraing à travers la principauté de Dombes, le Beaujolais, le Forez, jusqu'à Montbrison, où il entra le soir du 47 juillet. Il fut enfermé pendant deux jours dans une pièce voisine de la chambre du connétable, et il n'en sortait que la nuit pour traiter mystérieusement avec lui.

Amené auprès du connétable le samedi 48 juillet, vers onze heures du soir, l'ambassadeur de Charles-Quint remit au duc de Bourbon les lettres de créance de son maître. Il lui communiqua ensuite les instructions qu'il avait reçues de l'empereur, les articles qu'il était chargé de proposer à son acceptation de la part de Charles-Quint comme de la part de Henri VIII, et, de concert avec lui, il dressa un traité de mariage et de confédération. Il fut stipulé que le duc de Bourbon épouserait ou la reine Eléonore, veuve du roi de Portugal, ou l'infante Catherine avec une dot de deux cent mille écus, et qu'il s'unirait à l'empereur envers et contre tous, sans excepter personne. En ce qui concernait le roi d'Angleterre, on s'en remettait à ce que déciderait l'empereur. L'objet de la ligue comprenait une invasion par le dehors et un soulèvement à l'intérieur. Il était convenu que l'empereur pénétrerait en France par le quartier de Narbonne avec dix-huit mille Espagnols, dix mille lansquenets allemands, deux mille hommes d'armes, quatre mille hommes de cavalerie légère ; que le roi d'Angleterre descendrait en même temps sur les côtes occidentales du royaume avec quinze mille Anglais et quinze cents chevaux, auxquels se joindraient trois mille hommes de pied et. trois mille hommes d'armes levés dans les Pays-Bas ; que cette invasion simultanée, s'exécuterait aussitôt que le roi François Ier aurait quitté Lyon, où il devait se rendre vers le milieu d'août pour passer en Italie et y commander son armée ; que dix jours après l'agression de l'empereur et du roi d'Angleterre, le duc de Bourbon se déclarerait et se mettrait aux champs avec les troupes qu'il tiendrait prêtes et dix mille lansquenets qu'on enrôlerait pour lui en Allemagne et qui descendraient en Franche-Comté, d'où il les dirigerait sur le point le plus favorable. Ces auxiliaires seraient payés au moyen de deux cent mille écus fournis au connétable par Charles-Quint et par Henri VIII.

La nécessité du secret et l'évidence du péril n'avaient pas permis d'appeler des gens de robe et de donner à un pareil traité des formes solennelles. Il fut rédigé sous des formes simples par Château, secrétaire du sire de Beauraing, et transcrit à deux exemplaires, dont l'un devait être porté à Charles-Quint et l'autre rester entre les mains de Bourbon. Le connétable et Beauraing le revêtirent de leurs seings privés et en jurèrent sur les évangiles la fidèle observation, le connétable en son nom, Beauraing au nom de l'empereur[24]. Dans la nuit même, une ou deux heures avant le jour, l'ambassadeur de Charles-Quint partit pour Gênes, où il devait s'embarquer. Arrivé en Bresse, il écrivit en chiffre plusieurs dépêches, qu'il adressa avec une copie du traité, à l'archiduc Ferdinand, frère de l'empereur, par le capitaine Loquingham qui l'accompagnait ; à Henri VIII par son secrétaire Château. Il invita le frère de l'empereur à faire lever immédiatement les dix mille lansquenets à la tête desquels devait se mettre le duc de Bourbon, et il proposa au roi d'Angleterre de ratifier ce traité en ce qui le concernait, ou d'en conclure promptement un semblable. Il se rendit ensuite le plus vite qu'il put à Gênes pour gagner de là l'Espagne, y rendre compte à l'empereur de ce qu'il avait conclu en son nom, et hâter les préparatifs de l'invasion convenue[25].

De son côté François Ier avait achevé les grands et coûteux préparatifs de l'expédition en Italie qu'il devait cette fois conduire lui-même. Il avait tiré de l'argent de partout, fait des emprunts à l'hôtel de ville de Paris, aliéné les biens de la couronne, pris l'or et l'argent qu'il avait trouvés dans les églises, mis sur le peuple de plus pesantes charges, mécontenté les gens de justice et de finances en multipliant et vendant les créations d'offices. Avant son départ, il alla, le 23 juillet 1523, suivi de la reine Claude, sa femme, de la duchesse d'Angoulême, sa mère, et de toute sa noblesse, à Saint-Denis invoquer pour ses armes l'appui du patron de la France. Il se prosterna pieusement devant la châsse du saint exposée sur l'autel de la vieille basilique, comme aux jours des grands dangers et des solennités patriotiques. Le lendemain, revenu à Paris, il se rendit processionnellement du palais des Tournelles à la Sainte-Chapelle, pour y faire ses dévotions et vénérer les reliques qu'y avait apportées d'Orient le plus religieux et le plus vénéré de ses prédécesseurs. Il partit ensuite pour se rendre à Lyon, connaissant vaguement les pratiques du connétable avec les ennemis du royaume. Il s'arrêta quelques temps à Fontainebleau, et le 15 août, avant-veille du jour où il devait entrer à Moulins, il reçut, à Saint-Pierre-le-Moustier, une lettre du grand sénéchal de Normandie, qui le prévenait de l'invasion qu'avaient préparée ses ennemis, et que devait seconder un des plus gros personnages de son royaume et de son sang. Après lui avoir indiqué et les dangers que courait son état, et ceux dont était menacée sa personne, le sénéchal ajoutait : Sire, il est besoin de vous garder, car il a esté parole de vous essayer à prendre entre cy et Lyon, et de vous mener en une bonne place forte qui est dedans le pays du Bourbonnois ou à l'entrée de l'Auvergne.

Le roi s'entoura des précautions qu'exigeait le péril dont la révélation lui arrivait si à propos. Ayant fait battre les champs par une grosse troupe, il s'avança, au milieu de ses gardes, vers Moulins, la capitale des états du connétable. En y arrivant, il se logea au château, dont il prit les clefs, s'y garda avec une vigilance défiante et fit surveiller la ville par le guet, qui fut relevé trois fois dans la nuit. Le connétable était malade, et il affectait de l'être encore plus qu'il ne l'était. François Ier eut avec lui un entretien dans lequel il ne lui cacha point ce qu'il avait appris de ses criminelles relations avec les ennemis de l'État et les siens. Sans les nier le connétable les atténua. Il prétendit que l'empereur l'avait fait rechercher en lui envoyant un de ses serviteurs. Le roi se contenta de ce désaveu, soit qu'il craignît l'effet que produirait l'emprisonnement du second prince du sang arrêté comme un conspirateur et comme un traître, soit plutôt, qu'il espérât le ramener en lui témoignant de la confiance et en le traitant avec cordialité. Il lui promit la restitution de ses biens, si le parlement saisi de l'affaire lui était défavorable dans son arrêt, et lui offrit, en l'emmenant de l'autre côté des Alpes, de partager avec lui le commandement de l'armée, dont chacun conduirait une moitié. Après cela il partit de Moulins, comptant que le connétable, qui se montra soumis et reconnaissant, le suivrait bientôt à Lyon.

Mais celui-ci se sentait, d'une part, trop engagé avec l'empereur pour rompre avec lui ; d'autre part, il se croyait trop compromis dans l'esprit du roi pour espérer rentrer sincèrement en grâce, et il ne se fiait pas à des promesses qu'il croyait arrachées par la nécessité et variables comme elle. Il s'obstina donc dans son entreprise, et évita de se rendre auprès de François Ier, tout en se montrant disposé à le suivre, dans l'espérance que le monarque se déciderait à passer les Alpes sans qu'il l'eût rejoint. Il différa ainsi près de deux semaines son départ pour Lyon, où le roi persévérait prudemment à l'attendre. Lassé et inquiet de si longs retards, François Ier lui dépêcha en poste un gentilhomme de la chambre pour presser sa venue. Le connétable reçut l'envoyé dans son lit, et le chargea de remercier le roi, et de lui dire que, se sentant un peu mieux, il délogerait dans trois jours au plus tard, et servirait le roi partout où celui-ci voudrait le mettre. Comme François Ier exprimait l'ardent désir de se trouver en Lombardie, où, pour cent mille écus, faisait-il dire au connétable, il voudrait être déjà, Bourbon lui donna le conseil indirect de s'y transporter au plus vite, en soutenant que sur toutes choses il avait besoin de diligence.

Malgré cette insinuation et sa propre envie, le roi ne bougea pas de Lyon. N'y voyant pas arriver le connétable, il dépêcha de nouveau vers lui Perot de Warthy, un de ses gentilshommes, le mardi 1er septembre. Cette fois Warthy rencontra le connétable en route. Il avait ordre de ne plus le quitter, et de le prévenir que le roi n'attendait plus que lui pour passer en Italie. Bourbon voyageait en litière et fort lentement. Il arriva à La Palice le jeudi matin 3 septembre, mais, dans la nuit suivante, le mal du connétable s'étant aggravé, il ne sortit pas de La Palice. Ce fut bien pis le lendemain. Warthy fut prévenu par les médecins que le malade, beaucoup plus souffrant et en proie à la fièvre, ne pouvait pas se mettre en route sans un véritable danger. Le connétable, l'ayant fait appeler près de son lit, lui confirma la chose et ajouta : Je me sens la personne la plus malheureuse du monde de ne pas pouvoir servir le roi. Mais les médecins, si je passais outre, ne répondraient pas de ma vie, et je suis encore plus mal que ne le croient les médecins. Je retourne donc vers mon air natal, et, si je retrouve un jour la santé, j'irai vers le roi[26].

Warthy lui exprima sa surprise et le mécontentement qu'éprouverait le roi à cette nouvelle. Il en sera, dit-il, terriblement marri. Warthy courut aussitôt en informer le monarque, auprès duquel il se rendit à franc étrier, et arriva le soir vers minuit. Dans la nuit même, François Ier fit arrêter quelques personnages qui étaient de la conjuration. Le 6 septembre, au matin, il dépêcha une troisième fois Warthy vers le connétable, avec charge de lui dire combien il trouvait étrange qu'il eût assez de force pour retourner à Moulins, tandis qu'il en manquait pour se rendre à Lyon ; que jusqu'alors il n'avait pas voulu croire aux projets qu'on lui attribuait, et dont maintenant il commençait à ne plus douter ; qu'il ne lui avait déclaré à Moulins que la moitié de ce qu'il savait parce qu'il ne supposait pas le reste vrai, car sans cela il l'aurait fait arrêter, comme il en avait le moyen. Il l'engageait à songer à son honneur et son bien, et le pressait de se justifier. Le roi ajoutait que, s'il y parvenait, personne en son royaume n'en serait plus aise que lui, et s'il restait quelque chose à sa charge, il userait plus, en son endroit, de miséricorde que de justice.

Bien que ses desseins fussent découverts, Bourbon n'y avait pas renoncé. Il avait ordonné des levées dans ses états ; il avait convoqué la noblesse à Riom pour l'arrière-ban. Pendant la nuit du 6 septembre, lorsqu'il revenait sur ses pas, il avait reçu secrètement à Gayete sir John Russel, parti d'Angleterre avec le secrétaire Château et le capitaine Loquingham ; cet envoyé était muni des pouvoirs de Henri VIII. Dans cette nuit du 6 au 7 septembre, une ligue offensive et défensive, semblable à celle qui avait été arrêtée à Montbrison entre Charles-Quint et le duc de Bourbon, fut conclue entre le duc de Bourbon et le roi d'Angleterre. Il fut convenu que celui-ci ferait descendre son armée en Picardie, comme l'empereur conduirait la sienne en Languedoc ; qu'il fournirait les cent mille écus destinés au paiement partiel des lansquenets du connétable, qui de son côté aiderait le roi d'Angleterre et l'empereur dans leur invasion de la France et attaquerait François Ier, avec lequel il ne s'accorderait pas plus sans eux qu'eux ne feraient la paix sans lui[27].

Cependant François Ier avait fait marcher vers le Bourbonnais son oncle, le bâtard de Savoie, grand maitre de France, et le maréchal de la Palice, Jacques de Chabannes, à la tête de quelques mille hommes de pied et de quatre ou cinq cents chevaux pour s'emparer du connétable, s'il n'obéissait point. Bourbon, averti de leur approche, se mit en marche pour Chantrelle, qu'il croyait et qu'autour de lui on regardait comme aussi difficile à prendre que l'inexpugnable château de Milan. Sorti de Gayete dans sa litière, il demanda un cheval pour aller plus vite, passa l'Allier au bac de Varennes, fit six lieues d'une seule traite et ne s'arrêta que lorsqu'il fut entré dans Chantrelle, où il arriva à une heure après-midi. Le danger avait dissipé son mal ou le lui avait fait surmonter.

Warthy, qui le suivait de près, ne tarda pas à le rejoindre. Le connétable tint conseil avec les siens, hors de la présence de l'envoyé de François Ier, pour savoir s'il s'enfermerait dans Chantrelle et s'y défendrait. La place ayant été trouvée moins forte qu'on ne l'avait cru d'abord, quoiqu'il y eût quinze ou seize pièces d'artillerie, il ne fut pas jugé prudent d'y rester. Afin de donner le change sur ses intentions, Bourbon fit venir Warthy, lui remit une lettre pour le roi et le chargea de deux autres lettres pour le grand maitre et le maréchal de Chabannes. Cela fait, le mardi 8 septembre vers une heure du matin, le connétable, monté sur sa mule et suivi de tous les siens, prit le chemin des montagnes. Il emportait de vingt-cinq à trente mille écus d'or placé dans des sacoches, dont chacune était confiée à un homme de sa suite. Il s'arrêta un moment pour entendre la messe à Montaigut en Combrailles, après avoir fait sept lieues de pays. S'étant ensuite remis en route, il passa par le château de Lafayette, où il prit son vin, et dont le seigneur eut un long entretien avec lui et l'accompagna pendant quelque temps. Il parcourut, non sans effort, dix-huit lieues dans cette première journée, et, abattu par le mal il se fit déposer deux fois sous des arbres, presque évanoui[28]. Il alla coucher au château d'Herment, où l'avaient précédé deux de ses fourriers, qui avaient averti le châtelain et, les consuls de la ville de préparer les logis pour le connétable et cent vingt chevaux de sa suite ; il y arriva à la nuit tombante.

Les gentilshommes qui lui avaient fait cortège et qui étaient présents le soir à son repas, se trouvaient à cheval, le lendemain, à deux heures après minuit, pour l'accompagner à. Carlat, comme il avait été réglé la veille. Ils ne furent pas peu surpris, lorsqu'un de ses valets de chambre vint leur dire que le connétable était parti en petite compagnie. La troupe se dispersa, non sans avoir exhalé son mécontentement. Cependant Bourbon n'avait pas encore quitté le château d'Herment. Il s'était enfermé dans sa chambre avec ceux qui devaient être les compagnons peu nombreux de sa fuite. A l'aube du jour, il se mit en route précédé du châtelain Henri Arnauld, qui dut lui servir de guide. n avait laissé la robe de velours qu'il portait à son arrivée, et il s'était vêtu d'une robe courte de laine noire appartenant à l'un de ses gens. Deux gentilshommes de ses plus affidés le suivaient seuls avec son médecin et deux de ses valets de chambre, ayant chacun un aubergeon rempli d'or, et mettant tour à tour sur la croupe de leur cheval une petite malle qui pesait beaucoup pour son volume, et dans laquelle étaient probablement les pierreries et les joyaux du connétable. Le châtelain d'Herment avait reçu défense de le désigner, même involontairement par ses respects, et pour qu'on ne le cherchât point sous le déguisement qu'il avait pris, Bourbon ne se distinguait d'aucun des siens. Ils mangeaient tous à la même table, et quittaient chaque matin, avant le jour, le gîte où ils s'étaient arrêtés la veille[29].

Dans la première journée, les fugitifs arrivèrent à Condat. Henri Arnauld ne connaissait plus la route. Le connétable prit alors pour guide un cordonnier du pays qui le mena jusqu'à Tarrières ; mais là ni le châtelain ni le cordonnier ne savoient plus ni chemin ni voie. Cependant il les garda encore l'un et l'autre pour panser les chevaux, et peut-être aussi afin qu'ils ne missent personne sur ses traces, s'il les laissait partir. Il avait traversé ce jour-là les montagnes du Cantal, et, se dirigeant tant bien que mal vers l'est, il alla coucher à Ruynes, au-dessous de Saint-Flour. A deux lieues de cette ville, il rencontra sur la route même une compagnie de sept ou huit cents hommes de pied du pays de Gascogne, qui de Lyon se dirigeaient du côté de Bayonne, sans doute afin de s'y joindre à Lautrec et de l'aider à repousser l'invasion prévue de Charles-Quint. Le connétable les vit passer sans se cacher d'eux et sans en être reconnu. De Ruynes il fut conduit le lendemain au château de La Garde par Pomperant, qui en était seigneur. Il demeura quatre jours pleins dans ce château, où il garda son déguisement, et s'assit pendant les repas au-dessous de Pomperant, qui tenait le haut bout de la table. Après avoir attendu là, du vendredi 11 au mardi 15 septembre, des nouvelles qu'il avait envoyé prendre par son valet de chambre Bartholmé, et qui vraisemblablement ne le satisfirent pas, il congédia ses guides et se remit en route.

François Ier venait de faire publier la trahison du connétable à son de trompe et il promettait dix mille écus d'or à qui le prendrait ou le livrerait[30]. C'est peut-être ce qui le décida à se diriger vers l'Espagne. Du 15 septembre au 3 octobre, on ne sait pendant près de trois semaines ce qu'il fit ni ce qu'il devint. II est à croire seulement qu'il gagna, à travers les régions montagneuses du centre, la frontière orientale du Languedoc, pour se réunir à l'empereur, dont les troupes auraient dû se trouver en Roussillon[31]. Mais la frontière était gardée par le maréchal de Foix, et l'armée de Charles-Quint n'avait point paru. Le connétable rebroussa chemin, remonta vers Lyon, passa le Rhône à deux reprises, non sans difficulté et surtout sans péril, en allant du Vivarais dans le Viennois et le Dauphiné, et du Dauphiné dans la Franche-Comté. Après de dangereuses rencontres[32], ayant plusieurs fois traversé ou côtoyé des bandes de soldats qui se rendaient au camp de Lyon ou s'acheminaient vers l'Italie, après avoir failli tomber entre les mains de ceux qui le cherchaient, il arriva à Saint-Claude et s'y trouva enfin en sûreté. Le cardinal de Labaume, évêque souverain de Genève et zélé partisan de l'empereur, lui donna une forte escorte de cavalerie, et bientôt il fut joint par la plupart de ceux qui l'avaient quitté à Herment.

François Ier auquel avait échappé Bourbon, dont il avait ordonné de saisir les états, fit plusieurs tentatives encore pour enlever aux ennemis du royaume ce dangereux auxiliaire. Il offrit au redoutable fugitif la restitution immédiate de ses biens, le remboursement sur le trésor royal de ce qui lui était dû, le rétablissement de ses pensions et l'assurance qu'elles seraient payées avec exactitude. Le connétable refusa tout. Il est trop tard, répondit-il. L'envoyé de François Ier lui demanda alors de rendre l'épée de connétable et le collier de l'ordre de Saint-Michel. Vous direz au roi, repartit Bourbon, qu'il m'a ôté l'épée de connétable le jour où il m'ôta le commandement de l'avant-garde pour le donner à M. d'Alençon[33]. Quant au collier de son ordre, vous le trouverez à Chantrelle sous le chevet de mon lit[34].

Selon le plan convenu, les troupes de la coalition devaient attaquer la France sur plusieurs points. Prospero Colonna, qui commandait en Italie l'armée impériale, avait reçu de Charles-Quint l'ordre de pénétrer en Provence, lorsqu'il aurait repoussé l'armée française, conduite dans la Lombardie par l'amiral Bonnivet[35]. Sur la frontière du nord-ouest, l'invasion avait déjà commencé de la part des Anglais et des Flamands. Henri VIII n'avait pas attendu l'issue de la négociation dont il avait chargé sir John Russel auprès du duc de Bourbon pour entrer en campagne. Il avait embarqué, sous les ordres de son beau-frère le duc de Suffolk, quinze mille hommes de pied et environ mille chevaux. Cette armée avait pris terre à Calais avant la fin du mois d'août. Dès les premiers jours de septembre, le comte de Buren s'était réuni à elle avec trois mille hommes de cavalerie des Pays-Bas, trois ou quatre mille lansquenets et deux mille deux cents chariots pour transporter les munitions et les bagages des troupes combinées. Dans le même temps que les Anglo-Flamands marchaient en Picardie, les dix mille Allemands levés par les comtes de Furstenberg et de Werdenberg avaient paru vers la Bresse, prêts à pénétrer en France par la frontière de l'est. Au sud les Espagnols, renforcés par les lansquenets que Charles-Quint avait fait venir de Zélande, traversaient les Pyrénées dans l'intention de se porter sur Bayonne et sur un autre point important de la Guienne, dont l'empereur croyait se rendre maitre facilement à l'aide des intelligences qu'il s'y était ménagées[36].

François Ier semblait pris au dépourvu. Il était à Lyon plein d'alarmes. Il fallut se décider aux derniers efforts pour préserver le royaume. Sa capitale même étant menacée, il donna l'ordre au grand sénéchal de Brezé de lever six mille hommes de pied, de réunir tous les gentilshommes de Normandie et de les conduire sur ce point avec les cent lances de la compagnie de Lude. Il avait prescrit de mener en Picardie les quatre cents hommes d'armes qui étaient en Bretagne et de transporter d'Orléans à Paris vingt cinq grosses pièces d'artillerie sur roues. Il avait en même temps chargé le comte de Guise et le comte d'Orval, ses lieutenants en Bourgogne et en Champagne, de veiller à la défense de leur province, d'y entraver la marche des lansquenets avec des troupes qu'ils avaient sous la main, et qu'il renforça des compagnies d'hommes d'armes des ducs d'Alençon et de Vendôme. Ils devaient retirer les vivres du plat pays, rompre les fers des moulins, abattre les fours, empêcher ainsi les Allemands de subsister sur leur route et les assaillir, quand ils pourraient le faire avec assez de monde et de succès. En toutes choses, écrivait le roi[37], sera si bien pourvu de tous costez que j'espère, moyennant l'aide de Dieu, les contraindre à se retirer à leur grosse honte, perte et dommage.

François Ier n'était pas non plus sans crainte sur l'état intérieur du royaume. Il craignait que Bourbon n'eût beaucoup d'adhérents secrets prêts à se soulever en sa faveur. Il avait fait transporter au château de Loches tous ceux qui avaient été, arrêtés comme suspects de complicité avec le connétable, et avait désigné pour les entendre et les juger le premier président du parlement de Paris de Selve, le président des enquêtes de Loynes, le maitre des requêtes Salat et le conseiller Papillon. Il pressa ces commissaires de laisser de côté tout ménagement, et de pénétrer, sans se laisser arrêter par des scrupules de régularité, jusqu'au fond de la conjuration. Messire Charles de Bourbon, leur écrivait-il[38], est avec un gros nombre d'Allemands entré en armes dans la Bourgogne ; les rois d'Espagne et d'Angleterre sont aussi en armes contre nous et nostre royaulme à grosse puissance, sur le fondement de cette conjuration, prétendant y avoir des intelligences qui se déclareront quand ils seront dans le pays. Il est donc besoin que vacquiez à cette affaire avec la plus grande diligence et que tiriez la vérité de ceux que vous avez entre les mains, par torture ou autrement, toutes choses cessantes. L'affaire en soi est privilégiée, et il n'est requis d'y garder los solennitez que l'on fait en aultres cas. Peu satisfait des lenteurs des commissaires, il leur adressa dix jours après une lettre plus vive : La conspiration, déloyauté, parjurement et trahison de Charles de Bourbon, leur disait-il, est plus que notoire, puisqu'il est en armes contre nous et nostre royaulme avec nos ennemis ; mais ce qui est nécessaire à scavoir et où gist le fondement de l'affaire pour la conservation de nous, de nos sujets, estat et royaulme, est d'entendre quels sont ceux qui tiennent la main à ladite conspiration.... Afin que nous sachions à qui nous devons nous fier et de qui nous devons nous défier, il est besoin de connoitre ceux qui tiennent le parti dudit Bourbon... Advisez de mettre prompte fin en cette affaire, qui est de l'importance et conséquence que chacun connoit. Il ne faut y procéder froidement, mais virilement et vertueusement, et n'épargner ceux qui ont été si méchants, déloyaux, parjures et traitres que de scavoir, sans la révéler, la menée qui se faisoit, et que nos ennemis exécutent pour ruiner entièrement nous, nos enfants, sujets et royaume[39].

Le péril se dissipa plus vite que le roi n'en osé l'espérer. L'armée anglo-flamande, interrompant sa marche vers Paris, avait voulu opérer sa jonction avec les lansquenets du duc de Bourbon, au-devant desquels elle était allée vers les confins de la Picardie et de la Champagne. Ceux-ci, après avoir attendu 'quelque temps le connétable que sa fuite au sud de la France avait empêché de se mettre à leur tête, s'étaient dirigés du côté de l'ouest avec la même pensée de rallier leurs alliés. Conduits par les comtes Guillaume de Furstenberg et Félix de Werdenberg, ils avaient assiégé et pris la place de Coiffy, à six lieues de Langres. Passant ensuite la Meuse au-dessus de Neufchâteau, ils avaient tourné vers la partie occidentale de la Champagne, et s'étaient emparés du château de Monteclair, près de la Marne, entre Chaumont et Joinville ; mais là ils rencontrèrent des obstacles qu'ils ne purent surmonter. Le comte de Guise, avec sa compagnie d'hommes d'armes et les compagnies de Vendôme et d'Alençon, s'était joint au comte d'Orval à Chaumont. Il côtoya les lansquenets, les empêcha de fourrager, et les harcela à tel point qu'il les réduisit à mourir de faim ou à battre en retraite. Les lansquenets prirent ce dernier parti. Sans attendre le connétable, qui levait de la cavalerie en Franche-Comté, ils retournèrent sur leurs pas, repassèrent la Meuse à Neufchâteau, et perdirent beaucoup de monde au passage de cette rivière, ou le comte de Guise les devança, les surprit et les culbuta.

Privée de ce renfort, l'armée anglo-flamande n'osa pas s'avancer davantage. Bien que Henri VIII eût préparé l'envoi de six mille hommes de plus sur le continent, la guerre que les confédérés étaient convenus de ne pas même suspendre pendant l'hiver[40], devint impossible à continuer. La gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche, déclara que toutes ses ressources étaient épuisées, qu'elle n'avait plus d'argent, qu'elle ne pouvait pas solder plus longtemps les troupes flamandes Commandées par le comte de Buren. Si les Anglais voulaient conserver ce corps auxiliaire, elle offrait de le leur laisser, pourvu qu'ils le payassent[41]. Henri VIII, très mécontent, se plaignit vivement du départ trop prompt des lansquenets, qui s'étaient éloignés sans avoir rien fait ; des lenteurs du duc de Bourbon, qui n'avait su ni soulever. ses états, ni rejoindre à temps la troupe levée pour lui ; de l'abandon où la gouvernante des Pays-Bas laissait les Anglais en Picardie. Il refusa de garder au prix qu'on y mettait les troupes flamandes, lesquelles, faute de payement, se replièrent sur Valenciennes. L'armée anglaise à son tour fut obligée de repasser la Somme. N'ayant plus de cavalerie, réduite chaque jour en nombre par le mauvais temps et les maladies, elle abandonna Montdidier, Roye, Bray, qu'elle pilla, et le duc de Suffolk la reconduisit à Calais, où elle rentra vers la fin de novembre.

Les plans des confédérés n'eurent pas une meilleure issue au midi. L'empereur devait franchir les Pyrénées avec vingt-cinq mille fantassins, trois mille hommes d'armes et trois mille chevau-légers. Mais il avait annoncé plus qu'il ne pouvait tenir et, l'argent manquant, il avait réuni beaucoup moins de troupes qu'il n'en avait attendu, et ces troupes n'étaient ni bien zélées, ni même assez obéissantes. Il leur avait fait passer les Pyrénées en septembre, non du côté de Perpignan, comme on était d'abord convenu, mais du côté de Bayonne, où il s'était ménagé des intelligences. Son armée, qui comptait presque autant d'Allemands que d'Espagnols, se porta sur la ville, qu'elle espérait surprendre et enlever. Lautrec, chargé de la garde de cette frontière, se montra plus prévoyant et plus résolu qu'il ne l'avait été en Italie : il se jeta dans Bayonne et s'y défendit vaillamment. Il parvint ainsi à repousser les attaques de l'armée ennemie, que devaient seconder, du côté de la mer, les efforts d'une flotte dont les vents empêchèrent l'approche. Après cette infructueuse tentative sur Bayonne, les Espagnols évacuèrent le sud-ouest de la France.

Tels furent les résultats de projets si vastes et rendus si vains en si peu de temps. Bourbon fugitif et impuissant s'achemina vers Gènes, d'où il se proposait d'aller en Espagne demander la sœur de Charles-Quint. Celui-ci cependant ne se décourageait point. De Pampelune, où il s'était établi et où il avait transporté toute son artillerie, il faisait lever des troupes en Aragon, et se préparait à entreprendre une campagne d'hiver. Il envoyait en même temps Beauraing à la rencontre du duc de Bourbon[42], pour le charger d'être son lieutenant général en Italie et d'y représenter sa personne.

François Ier, malgré l'invasion dont était menacé son propre royaume, avait donné suite à l'expédition d'Italie. Retenu à Lyon par la nécessité de pourvoir à la sûreté de sa couronne et à la défense du royaume, il ne rappela néanmoins aucune des troupes qui avaient passé les Alpes. Il les laissa toutes sous le commandement de l'amiral Bonnivet, qui, de concert avec le maréchal Anne de Montmorency, fut chargé de reprendre le duché de Milan. L'armée envoyée à cette conquête était très forte pour le temps : elle se composait d'environ quinze cents hommes d'armes et vingt-cinq mille hommes de pied tirés des cantons suisses, du duché de Lorraine, du duché de Gueldre, des provinces les plus belliqueuses de la France et de quelques petits états d'Italie[43]. Les chefs des divers corps étaient célèbres par leur expérience comme par leur bravoure. Parmi eux se trouvaient Bayard, devenu un homme de guerre consommé ; l'intrépide Jean de Chabannes, qui était le digne compagnon de Bayard et partageait son héroïsme ; le capitaine de Lorges, excellent conducteur de bandes, et plusieurs capitaines renommés et pleins d'expérience, suisses et italiens. Malheureusement le commandant en chef était plus courageux que capable, et plus présomptueux que résolu. Il descendit avec son armée, à travers le Piémont, et parut le 14 septembre sur les bords du Tessin, après s'être aisément rendu maitre de toute la partie du duché de Milan située à la droite de ce fleuve.

Prospero Colonna commandait toujours les troupes impériales, qu'il avait jusque-là rendues victorieuses. Seulement ses troupes étaient réduites en nombre, et lui-même, vieux et affaibli, ressentait les atteintes de la maladie à laquelle il succomba trois mois après. Il n'avait plus à côté de lui le hardi Ferdinand Davalos, marquis de Pescara, dont l'ascendant était sans bornes sur les soldats de sa nation. Le fier Espagnol n'avait pu s'entendre avec l'impérieux Italien. Mais il restait à celui-ci deux Espagnols qui avaient autant de valeur et d'opiniâtreté qu'il avait lui-même de capacité et de science militaire, Alarcon et Antonio de Leiva, ainsi qu'un chef de bandes italien, Jean de Médicis, qui, sans égaler Pescara, se rapprochait beaucoup de lui par la fertilité des expédients et l'heureuse audace des entreprises.

La Lombardie n'était pas dans un état très respectable de défense. Le général de Charles-Quint et de la ligue italienne, ne se sentant point en mesure de disputer à l'armée française la partie du Milanais qui s'étendait à droite du Tessin, l'avait fait évacuer par les troupes qui occupaient Asti, Alexandrie et. Novare ; il s'était posté, avec son artillerie et une douzaine de mille hommes, sur les bords de cette rivière dans le dessein d'en empêcher le passage et de couvrir le reste de la Lombardie. Il croyait pouvoir garder la rive gauche contre les Français, qui n'avaient ni ville ni pont pour y aborder. Mais depuis deux mois et demi il n'avait pas plu : le fleuve, ordinairement large et profond, n'avait presque pas d'eau, et se trouvait guéable sur plusieurs points. Arrivés à Vigevano, les Français commencèrent à le traverser, et Prospero Colonna, comprenant qu'il ne pourrait pas arrêter leur marche, se replia en toute hâte sur Milan, où il rentra avec sa petite armée, que ce mouvement de retraite avait affaiblie presque autant qu'une défaite.

La capitale du duché ne semblait pas pouvoir être défendue. Cette grande ville était ouverte sur plusieurs points ; les ouvrages en terre qui y avaient été faits précédemment n'avaient point été entretenus. Prospero Colonna était disposé à l'évacuer, et Francesco Sforza se préparait à en sortir. On avait déjà chargé les bagages, et les habitants se lamentaient de perdre leur duo national et de retomber sous la domination française, lorsqu'on apprit que Bonnivet, que l'on se représentait comme s'avançant à marches forcées avec une armée supérieure et irrésistible, s'était arrêté sur le Tessin, où il resta plusieurs jours immobile. Prospero Colonna et Sforza profitèrent de ce délai pour se raffermir dans Milan, qu'ils mirent à l'abri d'une attaque. On travailla jour et nuit à relever les parties abattues des remparts, à fermer les brèches, à rétablir les bastions. La population de la ville se montra prête à faire tous les sacrifices, à affronter tous les périls, pour ne pas retomber sous la main des étrangers. Lorsque le général français parut un peu trop tardivement sous ses murailles, Milan était en mesure comme en disposition de se défendre.

Bonnivet se contenta de serrer étroitement la ville. Il intercepta toutes les communications avec la place, et rendit ce blocus plus rigoureux en détournant les eaux qui entraient dans la ville et en détruisant tous les moulins qui s'élevaient aux environs. Bientôt il se crut sur le point de réussir. La détresse de Milan, où l'on fut plusieurs jours sans pain ; la tiédeur des Vénitiens, qui ne donnaient aucune assistance à leurs confédérés, malgré les engagements pris avec eux ; la lassitude des Florentins, des Siennois, des Lucquois, qui ne fournissaient plus le contingent pécuniaire auquel ils étaient tenus pour la défense de la commune ; enfin le trépas d'Adrien VI, chef récent de la ligue italienne contre la France, plaçaient les Impériaux dans une situation fort difficile.

Adrien VI était mort le 14 septembre, le jour même où Bonnivet avait passé le Tessin. Il était tombé malade le 5 août, en célébrant la grande alliance de la péninsule pour se soustraire à la domination de l'étranger. Il assista à cette fatigante cérémonie dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, au milieu d'une accablante chaleur. Il en sortit comme épuisé ; une inflammation des plus dangereuses, accompagnée d'une forte fièvre, l'empêcha pendant plusieurs jours d'avaler et presque de respirer. Cette inflammation se porta successivement sur diverses parties du corps, et amena une décomposition irrémédiable, à laquelle il succomba après de cruelles souffrances. Le père commun des chrétiens périt en quelque sorte, dit M. Mignet, de la difficile résolution qu'il avait prise en se voyant contraint de rompre la paix avec le roi très chrétien. Les longues agitations qu'il avait éprouvées avant de s'y décider le livrèrent ébranlé, et comme sans résistance, à la maladie qui fondit sur lui le jour même où il fit sa déclaration solennelle. L'ancien professeur de Louvain n'était pas un politique, ajoute l'historien français ; il avait porté une simplicité extrême, une piété profonde au milieu de ces astucieux politiques italiens, accoutumés à ne se diriger qu'en vue d'un intérêt particulier et par des maximes d'état. M. Mignet mêle bien quelques restrictions d'un ordre purement humain à ce jugement, mais il le termine en appelant Adrien un savant théologien, de mœurs irréprochables, d'une austérité chrétienne rare même dans les monastères, animé des intentions les plus droites comme des sentiments les plus purs.

Le conclave se réunit immédiatement, mais deux mois se passèrent avant que les cardinaux pussent se mettre d'accord sur le choix du nouveau pontife. Enfin le 19 octobre un scrutin solennel termina l'élection, et l'unanimité des voix fut accordée au cardinal Jules de Médicis, qui devint pape sous le nom de Clément VII. Immédiatement après son élection, le nouveau pape promit de s'unir aux confédérés. Il leur envoya une partie du contingent pécuniaire que le Saint-Siège, Florence, Lucques et Sienne devaient fournir pour l'entretien des troupes de la ligue et la poursuite de la guerre, qui se continuait en Lombardie, et où Bonnivet était arrivé bien vite au terme de ses succès. Milan avait été réduit pendant une semaine à manger de l'avoine et de l'orge, mais le courage des habitants n'avait point faibli. On fabriqua des moulins à bras pour moudre le blé qui restait dans la ville et l'on fit de fréquentes sorties. Bientôt même les manœuvres menaçantes des confédérés et les rigueurs inaccoutumées d'un hiver qui couvrit de neige les campagnes de la Lombardie, ne permirent plus à Bonnivet de se maintenir autour de Milan. Les troupes souffraient beaucoup des rigueurs de cette température exceptionnelle. Le général, sans espérance de réduire désormais, en l'affamant, la ville à moitié débloquée, prit le parti de se retirer complètement, et se replia sur le Tessin, dont il occupa les deux rives et où il demeura en force. Dès ce moment toutefois le but de la campagne était manqué, et la conquête du Milanais devenue impossible.

L'armée impériale, d'abord faible et prise au dépourvu, s'était peu à peu renforcée et raffermie. Le vieux capitaine italien qui la commandait avait succombé le 26 décembre ; mais avant de mourir il avait vu le succès de ses savantes dispositions et de ses fermes mesures. Charles-Quint avait donné l'ordre à Lannoy, vice-roi de Naples, d'aller remplacer à Milan ce chef renommé, dont la maladie faisait présager la mort prochaine ; il dépêchait en même temps, nous l'avons dit, Beauraing au connétable de Bourbon, qui était à Gênes, pour qu'il devint en Lombardie son lieutenant-général, représentant sa personne, et qu'il commandât à tout le monde, même au vice-roi de Naples[44]. Lannoy avait remonté la péninsule avec quatre cents hommes d'armes et quatre mille hommes de pied, qu'il devait joindre à l'armée de la ligue, déjà grossie sous Prospero Colonna des troupes italiennes conduites par Jean de Médicis et des levées faites par Francesco Sforza. Il amenait le marquis de Pescara, qui consentait à servir avec le vice-roi de Naples, dont il reconnaissait l'autorité politique et ne craignait pas la rivalité militaire. Lannoy, qui apportait de sa vice-royauté une somme d'argent[45] à laquelle s'ajoutèrent 65.000 ducats fournis par l'Italie centrale, et 90.000 tirés du Milanais, appela d'Allemagne six mille lansquenets de plus. Il s'était arrêté à Pavie, d'où il ne se rendit à Milan qu'après la mort de Prospero Colonna. Par une délicatesse toute chevaleresque, il ne voulut pas entrer dans cette ville et y prendre le commandement des troupes confédérées tant que respirerait encore le capitaine à l'habileté duquel l'empereur son maître était si redevable. Lorsque l'armée à la tête de laquelle il se plaça, en attendant, le duc de Bourbon, eut reçu le renfort des six mille lansquenets, elle compta dix mille Allemands, sept mille Espagnols, quatre mille Italiens, huit cents lances et huit cents chevau-légers, outre les cinq mille hommes de pied, italiens et espagnols, les cinq cents lances et les six cents chevau-légers qui étaient dans Pavie sous Antonio de Leiva et le marquis de Mantoue.

La guerre alors changea de face. Les Impériaux se mirent en mouvement pour expulser les Français de la partie du territoire lombard que ceux-ci occupaient, et, au moyen d'adroites manœuvres, ainsi que par de hardis coups de main, ils poussèrent Bonnivet hors de l'Italie. L'empereur, de son côté, n'avait rien négligé pour remettre son armée sur pied. Dès qu'elle fut en état d'entrer en campagne, elle franchit de nouveau les Pyrénées au cœur de l'hiver. Il s'était transporté lui-même de Valladolid à Pampelune et de Pampelune à Vittoria ; il songeait à reprendre la ville de Fontarabie, que les Français occupaient depuis plusieurs années et qui leur donnait accès en Espagne. Vers le commencement de février, son armée, commandée par le connétable de Castille, parut devant cette place, qui fut également investie par mer. Une artillerie des plus formidables, composée de soixante pièces de gros calibre, la foudroya, et fit bien vite taire ses canons et tomber ses défenses. La garnison capitula ; elle rendit la ville, d'où elle sortit, vie et bagages sauves, mais en laissant l'artillerie et les munitions au pouvoir de Charles-Quint.

Pendant que son armée était en danger et battait en retraite dans la haute Italie, pendant que l'extrémité méridionale de son royaume avait été ravagée par les troupes impériales, qui reprenaient ensuite possession de Fontarabie, François Ier était à Blois, plus livré à ses passe-temps[46] et à ses plaisirs qu'occupé de ses affaires. Seulement il était toujours très préoccupé du procès des complices du connétable, et il en pressait l'achèvement avec une ardeur chagrine et impatiente. Il blâmait l'indulgence et la lenteur des juges, et il vint à Paris pour s'en plaindre. Il fit entendre des paroles hautaines et impérieuses au parlement, qu'il trouvait trop disposé à l'indépendance, et qu'il accusait d'entraver les actes de l'administration royale et de ne pas pourvoir avec assez de zèle aux plus pressants intérêts de sa couronne et de sa propre sûreté.

C'est lors de ce voyage à Paris que le roi apprit la position critique de l'amiral Bonnivet en Italie. Le croyant cerné et gravement menacé sur ses flancs et sur ses derrières, il ordonna une procession générale[47], qu'il suivit à pied, pour demander à Dieu de dégager son armée de la situation dangereuse où elle se trouvait. Il obtint de l'Hôtel-de-Ville de Paris un prêt opportun de 300.000 écus, demanda à son ambassadeur auprès des cantons huit mille Suisses de plus, et donna l'ordre à quatre cents hommes d'armes de se réunir sous le duc de Longueville pour aller recevoir ces huit mille Suisses à Ivrée, à la descente des Alpes, et les conduire jusqu'au camp de Bonnivet. En attendant les secours qu'il avait demandés, l'amiral avait quitté la rive gauche du Tessin, et depuis lors il reculait sans cesse devant les incessantes et heureuses attaques du duc de Bourbon et du marquis de Pescara. Arrivé à Novare, il s'y établit, croyant qu'il y serait bientôt joint par les hommes de pied et les hommes d'armes qui descendaient des vallées des Grisons, des cantons suisses et du royaume de France. Les Grisons conduits par Dietingen de Salis avaient débouché vers le Bergamasque. Mais Jean de Médicis inquiéta leurs flancs, arrêta leur marche, et les contraignit enfin à rebrousser chemin et à rentrer dans leur pays.

Bonnivet ne pouvait pas demeurer plus longtemps à Novare. Il n'avait plus d'espérance que dans les huit mille Suisses qui s'étaient mis en route le 12 avril, et qui comptaient trouver au pied méridional des Alpes les quatre cents hommes d'armes qui devaient les escorter jusqu'à l'armée française. Il quitta cette ville, d'où le maréchal de Montmorency, presque moribond, sortit le premier en litière, et il se dirigea vers le haut de la Sesia pour effectuer sa jonction avec les troupes des cantons et les hommes d'armes de France. Il remonta jusqu'à Romagnana[48], toujours suivi par les Impériaux, qui voulaient le jeter hors de l'Italie. Au même moment arrivaient à Gattinara[49] les huit mille Suisses, sans avoir été joints à Ivrée par la cavalerie du duc de Longueville, qui, demeuré en arrière, n'avait pas encore atteint les Alpes. Ils avaient continué leur marche, fort mécontents, et ils étaient de l'autre côté de la Sesia, grossie par les pluies, qu'ils ne voulaient pas franchir[50]. Ne pouvant les y décider, Bonnivet fut réduit à la traverser lui-même avec l'armée fugitive. Il le fit de nuit non sans quelque désordre et en perdant beaucoup de monde. La Sesia franchie, il se mit en pleine retraite, poursuivi par les plus avancés des Impériaux, sous Bourbon et Pescara. Blessé grièvement au bras d'un coup d'arquebuse, il abandonna le commandement de l'armée, le laissant au comte de Saint-Paul et au chevalier Bayard, chargés de diriger cette difficile retraite.

Bayard, aussi expérimenté capitaine que vaillant chevalier, se mit à l'arrière-garde avec quelques compagnies d'hommes d'armes et quelques bandes suisses que commandait Jean de Diesbach. Il couvrait la marche de l'armée française, qui se retirait à grands pas. Lorsque les plus hardis des confédérés s'approchaient trop, il les chargeait à la tête de ses hommes et les faisait reculer. C'est à la suite d'une de ces charges que l'un de ses plus valeureux compagnons, le seigneur de Vandenesse, frère du maréchal de la Palice, reçut une blessure à laquelle il succomba peu de temps après, et que lui-même fut mortellement atteint d'un coup d'arquebuse. La balle lui fracassa les reins. Il se fit descendre de cheval et placer sous un arbre en face de l'ennemi. Il supplia tous ceux qui étaient autour de lui de pourvoir à leur sûreté ; puis, baisant la croix de son épée, après avoir adressé au connétable de Bourbon, qui le consolait, les plus nobles paroles, à Dieu les plus touchantes prières, il mourut en humble chrétien après avoir combattu toute sa vie en héros. La mort de l'incomparable preux par lequel François Ier avait voulu être armé chevalier sur le champ de bataille à la suite de sa première victoire, jeta la consternation dans l'armée et répandit le deuil parmi ses ennemis mêmes[51]. Dès ce moment la retraite s'opéra rapidement sans être beaucoup inquiétée, les confédérés cherchant plus à pousser hors de l'Italie les débris de l'armée fugitive qu'à l'anéantir. Les Suisses se retirèrent par le val d'Aoste, et les Français rentrèrent dans leur pays par Suze et Briançon, où : ils trouvèrent, mais trop tard, les quatre cents hommes d'armes qu'amenait le duc de Longueville.

Le Milanais était perdu une seconde fois pour la France. Dans le moment où les deux armées étaient encore à peu de distance l'une de l'autre surale sol de la Lombardie, des négociations s'étaient engagées par l'entremise de Clément VII. La politique du nouveau pape était tout à la fois d'un souverain pontife et d'un prince italien. Pape, il aurait voulu pacifier les rois chrétiens pour arrêter les Turcs, qui, s'avançant vers l'Europe orientale, envahissaient la Hongrie, et pour comprimer l'hérésie de Luther, qui se répandait sans obstacle en Allemagne. Chef territorial de l'Italie centrale, il redoutait dans la péninsule la prépondérance d'un des dangereux contendants qui se la disputaient. Il eût désiré les y contenir tous deux sous la médiation pontificale et sous la surveillance des états italiens confédérés. Il voulait, en empêchant que l'entière défaite de l'un n'y établît la domination absolue de l'autre, maintenir la paix en Europe et l'équilibre de l'Italie. Dans cette vue, il s'établit en médiateur pacifique entre les belligérants, et fit partir de Rome pour se rendre d'abord en France, puis en Espagne et en Angleterre, Nicolas Schomberg, archevêque de Capoue, avec la mission d'y négocier une trêve qui serait un acheminement à la paix. Le prélat arriva à Blois le 27 mars, y resta dix jours et proposa à François Ier une trêve d'une année. Pendant la durée de la trêve, chacun devait garder ce qu'il possédait en Italie. On devait évacuer l'état de Milan après la trêve, dans laquelle seraient compris les adhérents et confédérés des princes qui l'auraient conclue ; elle se prolongerait au delà d'un an, si elle n'était point dénoncée trois mois avant l'expiration. On lèverait l'argent pour la défense de la Hongrie dès l'admission de cette trêve, dont le pape serait le protecteur et le conservateur.

Mais loin de réussir dans sa mission, l'archevêque de Capoue rencontra des difficultés insurmontables, et il fut obligé d'écrire au pape qu'aucune des propositions destinées à réconcilier les parties contendantes n'avaient été acceptées par elles, et qu'il semblait devoir en sortir de nouvelles guerres ; je vous tiens averty, écrivait Charles-Quint le 21 mai 1524, à son allié Henri VIII[52], de la bonne opportunité qu'il plaît à Dieu nous donner de pouvoir avoyr l'entière raison de notre commun ennemi... Je vous prie de mettre à effet de vostre costé ce que vous et moi avons dès longtemps désiré, en quoi de ma part je m'efforceray de tout mon pouvoir. Henri VIII fut du même avis, et le 25 mai les deux rois conclurent un nouveau traité contre François Ier. Il fut convenu que le duc de Bourbon franchirait les Alpes à la tête de l'armée victorieuse, dont l'empereur et le roi d'Angleterre fourniraient la solde ; que le roi d'Angleterre conduirait ou enverrait en Picardie des troupes auxquelles se joindraient trois mille chevaux et mille hommes de pied des Pays-Bas ; que l'empereur de son côté pénétrerait en France par le Roussillon.

C'était donc l'envahissement de la France par toutes ses frontières qui se préparait en ce moment. Le besoin d'argent avait retenu Bourbon près de deux mois au pied des Alpes avec l'armée victorieuse. Avant de toucher deux traites de 100.000 ducats chacune, que l'empereur lui avait envoyées sur Gênes pour payer la solde arriérée de ses troupes, et de pouvoir mettre celles-ci en mouvement, il avait demandé que l'invasion de la France s'exécutât en même temps par la Provence, le Languedoc et la Picardie, afin que François Ier fût obligé de diviser le peu de forces qui lui restaient. Il traversa les Alpes dans les derniers jours du mois de juin, et pénétra sur le territoire français le 1er juillet. Son armée, fort aguerrie, se composait de vieux soldats espagnols, allemands, italiens, qui n'avaient pas quitté le drapeau depuis longtemps. De vaillants chefs étaient à leur tête. Le marquis de Pescara avait accepté le titre de capitaine général de l'armée, dont Bourbon conservait la suprême direction. Le marquis del Vasto, neveu chéri de Pescara et formé à l'école de son oncle, avait été nommé capitaine général des Espagnols. Les lansquenets étaient sous les ordres de deux hommes de guerre éprouvés, les comtes de Hohenzollern et de Lodron. Des victoires récentes et successives avaient rendu supérieurs aux bataillons suisses ces corps de lansquenets, dont l'obéissance était néanmoins subordonné à l'acquittement régulier de leur solde.

Dès qu'il eut traversé le Var, le duc de Bourbon s'établit au camp de Saint-Laurent, vers les bords de la mer, pour y recevoir son artillerie qu'il avait fait transporter par des navires espagnols et génois. Le château de Monaco, qui dominait un port favorable à des débarquements de vivres et de canons, et que sa position rendait imprenable, lui avait été ouvert par Augustin Grimaldi, évêque de Grasse et tuteur du jeune Honoré Grimaldi, à qui en appartenait la seigneurie. Ce port abrité devait lui être d'autant plus utile que la flotte française tenait la mer. L'entreprenant Gênois André Doria[53], dont les galères étaient la patrie depuis qu'il avait perdu la sienne, avait réuni sa petite flotte à celle que commandait le seigneur Lafayette. Plus forte que la flotte impériale, placée sous les ordres de Ugo de Moncada, elle attendait dans ces parages les navires ennemis, qui longeaient la côte, et qui devaient porter à l'armée d'invasion des canons, des munitions et des vivres.

Au moment donc où la flotte espagnole approchait du lieu où Bourbon avait dressé son camp, la flotte française fondit sur elle, et y jeta le désordre et l'effroi. La plupart des navires espagnols prirent le large et retournèrent vers Monaco, où ils débarquèrent l'artillerie ; mais trois galères se jetèrent à la côte et furent abandonnées avec les pièces qu'elles portaient par ceux qui auraient dû les manœuvrer et les défendre, et qui s'enfuirent vers la montagne. Elles allaient être prises à la vue même de l'armée, ce qui lui aurait été à la fois un détriment et une honte. Le duc de Bourbon, par une résolution soudaine et avec une rare intrépidité, s'y précipita, au risque d'être tué ou pris. Suivi de quelques arquebusiers espagnols, il monta dans la plus exposée des trois galères, et dit à Pescara et à Beauraing d'en faire autant pour les deux autres. Sauvons, cria-t-il fort haut, l'honneur du camp et de l'empereur ! Tous les trois s'y jetèrent et combattirent vaillamment. Pendant le reste de la journée, ils essuyèrent le feu de la flotte française, que les arquebusiers espagnols tinrent à distance, et qui n'eut pas la hardiesse d'aborder les trois galères, ni l'habileté de les couler à fond[54].

Bourbon alors, après s'être arrêté près de vingt jours au camp de St-Laurent, s'avança dans l'intérieur de la Provence, où il ne rencontra de résistance sérieuse nulle part. Vence, Antibes, Cannes, Grasse, Fréjus se rendirent successivement. Lorsqu'il fut à deux lieues d'Aix, les consuls vinrent lui en porter les clefs et faire leur soumission. Bourbon entra dans cette capitale du pays le 9 août, y reçut le serment des magistrats, et prit -dès ce moment le titre de comte de Provence. Sur toute sa route, il ne cessa de presser l'empereur, par les-lettres qu'il lui écrivit ou les messagers qu'il lui dépêcha, de mettre en mouvement l'armée de Catalogne, qui devait se réunir à la sienne sur les bords du Rhône. Bourbon comptait également sur les promesses du roi d'Angleterre, qui lui avait annoncé la très prochaine arrivée de sir John Russell avec l'argent qu'il devait lui fournir, et lui avait fait dire en même temps qu'une armée était prête à descendre sur la côte de France. Il s'était avancé sur la foi du double engagement de Charles-Quint et de Henri VIII, mais, parvenu à Aix, il n'eut aucune nouvelle ni de l'armée espagnole ni de l'armée anglaise.

Dans cette situation, il eût été téméraire de se diriger vers Lyon. Un conseil fut assemblé, et décida qu'en attendant que les troupes de Henri VIII opérassent au nord-ouest de la France, on irait mettre le siège devant Marseille. Outre la nécessité de ne pas rester dans l'inaction, on voyait dans cette mesure l'utilité dont serait pour l'empereur la possession d'une ville qui le rendrait maître de ce golfe de la Méditerranée, et lui ouvrirait le passage de Barcelone à Gênes ; l'affermissement par l'occupation d'une place aussi importante de toutes les conquêtes faites en Provence ; la certitude de laisser soumis les derrières de l'armée d'invasion et d'assurer ses substances ; enfin l'obligation où serait François Ier, s'il voulait secourir Marseille, d'offrir la bataille, qui serait acceptée, et l'impossibilité, s'il était vaincu comme Bourbon l'espérait, de couvrir son royaume sans défense. Dans la nuit du 14 août, Bourbon, avec Pescara et deux mille Espagnols, alla reconnaître lui-même l'assiette et les défenses de Marseille. Il en parcourut et visita les dehors avec le plus grand soin, et, malgré les évidentes difficultés de l'entreprise, il n'hésita point à s'y engager. Le 19 août, il parut devant la place, que cerna l'armée impériale.

Marseille se dressait alors sur un coteau assez spacieux et d'un accès difficile. Au sud elle descendait jusqu'au port, dont elle couvrait tout le bord septentrional, sans s'être jetée encore vers le bord méridional, où s'élevait l'antique abbaye de Saint-Victor. A l'ouest, elle longeait le rivage de la mer, dont les flots la baignaient en plusieurs endroits. Au nord, elle remontait en amphithéâtre au sommet de la colline, que couronnaient ses tours et ses murailles, à douze ou quinze cents pieds desquelles étaient construites la chapelle et la léproserie de Saint-Lazare. Elle formait du côté de l'est une ligne sinueuse qui, de la porte d'Aix, aboutissait en se courbant à l'extrémité intérieure du port. Ni le cours, extension de cette ligne, ni la Cannebière, suite du port, n'existaient encore. Ainsi resserrée, se déployant en étages sur un terrain montueux que la mer protégeait de deux côtés, et qu'entouraient des deux autres des murailles flanquées de bastions, garnies de tours, la ville pouvait soutenir un long siège, pour peu qu'on lui donnât le moyen et qu'elle eût la volonté de résister.

Or rien ne manquait à la défense ; tous les préparatifs en avaient été faits de bonne heure. Dès le mois de juin, François Ier avait envoyé à Marseille le commissaire Mirandel pour la mettre dans le meilleur état de résistance. Mirandel avait fait abattre plusieurs églises et deux couvents ; il avait fait raser et niveler les faubourgs, les maisons de plaisance et les jardins qui s'élevaient à un tir d'arquebuse des deux côtés de l'est et du nord, par où seulement la place pouvait être abordée et assaillie. Les Marseillais, avec un patriotique dévouement, avaient travaillé de leurs propres mains à ces démolitions. Ils déterrèrent les morts ensevelis dans les églises et les portèrent processionnellement avec les objets du culte et les images de leurs saints dans l'enceinte de la ville et sous la protection de ses murailles. Il n'y avoit ni petit ni grand, dit un témoin de ce triste et religieux spectacle, qui ne pleurât[55]. Vers la fin de juin, la garnison sortie de Lodi et beaucoup d'enseignes de gens de pied étaient entrées dans Marseille sous le commandement de Renzo da Geri, et Chabot de Brion y avait été dépêché par François Ier avec deux ou trois cents hommes d'armes. Outre cette troupe régulière, qui s'élevait à environ quatre mille soldats d'infanterie et de cavalerie, les habitants avaient été organisés en milices par leurs viguiers et consuls. Renzo da Ceri, versé dans l'art des fortifications, aussi ingénieux que brave, et d'une constance à toute épreuve, avait le commandement principal et devait diriger la défense de la place.

A son arrivée devant Marseille, le duc de Bourbon occupa les hauteurs qui entouraient la ville de l'est à l'ouest : il y dressa son camp ; les lansquenets furent placés non loin de la mer ; les Espagnols eurent leurs quartiers vers la plaine Saint-Michel, et les Italiens se postèrent entre les lansquenets et les Espagnols. Une batterie placée sur une hauteur obligea la flotte française, venue vers la plage d'Arene pour inquiéter le flanc droit de l'armée impériale à reprendre le large. Bourbon s'avança ensuite de plus en plus, et au bout de quatre jours il se crut assez près de la ville pour la battre en brèche. Le 23, ses canons tirèrent sur les murailles du côté où se trouvait le couvent de l'Observance ; dans la journée même ils les entamèrent et y firent une ouverture qui, à la partie supérieure, avait une trentaine de pieds d'étendue, mais n'en offrait pas au delà de six à la base. Les troupes demandèrent à monter l'assaut. On s'y attendait dans la ville, et l'on s'y tenait prêt à recevoir vigoureusement les Impériaux. Ceux-ci trouvèrent la brèche insuffisante, et n'attaquèrent point. Peut-être en montant à l'assaut avec une impétuosité hardie, eussent-ils brisé toute résistance et emporté la ville. Le lendemain il n'était plus temps. Dans la nuit du 23 au 24, le vigilant Renzo da Ceri avait fermé la brèche à l'intérieur et élevé un arrière-rempart à la place où l'ancienne muraille avait été ouverte.

Bourbon et Pescara, croyant leurs canons trop petits ou leur poudre trop faible pour faire de loin une brèche à travers laquelle ils pussent pénétrer dans Marseille, résolurent de s'en approcher davantage. Par des tranchées obliques ils s'avancèrent vers la ville avec l'intention d'en saper les murailles et de les renverser par la mine. En même temps, Bourbon envoya Beauraing devant la tour de Toulon, où étaient des pièces d'un plus fort calibre et un grand amas de poudre et de boulets. Beauraing par terre et Ugo de Moncada par mer devaient assiéger cette forteresse que ne pouvait défendre la flotte française chargée de protéger Marseille à l'ouest et de maintenir libre l'accès du port.

Les Marseillais, avertis du nouveau danger auquel ils étaient exposés, prirent aussitôt les mesures les plus propres à y faire face. L'antique et vénérée église de Saint Cannat touchait à la partie des murailles vers laquelle marchaient souterrainement, les Impériaux ; elle fut démolie sans hésitation. Au dedans comme au dehors, Renzo da Ceri pratiqua des tranchées longitudinales très profondes qui devaient arrêter les travaux des assiégés. En même temps il ouvrit dans cette direction des contre-mines. Tout le monde mit la main aux nouvelles tranchées, et les femmes elles mêmes y travaillèrent avec une ardeur patriotique. Tout en se livrant à ces travaux, les assiégés, par de vives et fréquentes sorties, troublaient les impériaux dans leurs manœuvres et allaient les inquiéter jusque dans leur camp. Jour et nuit, ils veillaient à la garde de la ville, dont les rues étaient éclairées par des torches et des lanternes qu'on allumait aux fenêtres des maisons, de peur de surprise.

Le duc de Bourbon ne se découragea point ; mais la confiance qu'il avait d'abord inspirée autour de lui ne tarda pas à fléchir, et bientôt les chefs de ses troupes doutèrent de la reddition ou de la prise d'une ville qui opposait une résistance aussi opiniâtre. Le duc avait reçu pour la solde de son armée cent mille ducats que lui avaient apportés sir John Russel de la part d'Henri VIII. Il fut rejoint par une partie de troupes qu'il avait laissées en Piémont. Trois fortes pièces d'artillerie et six canons moyens lui furent amenés avec une grande quantité de munitions de la Tour de Toulon, qu'avaient prise le 2 septembre Beauraing et Ugo de Moncada. Avant de mettre en batterie ses gros canons, Bourbon proposa une conférence à Renzo da Ceri et Chabot. Mais ceux-ci refusèrent de s'aboucher avec lui, et répondirent qu'ils n'entendaient traiter qu'à coups d'arquebuse et de canon. Malgré l'opiniâtreté heureuse de leur défense, les Marseillais n'étaient pas sans inquiétude ; ils craignaient d'être forcés à la longue, s'ils n'étaient pas secourus. Ils résolurent donc d'envoyer une députation auprès du roi. Embarqués dans le port, les deux ambassadeurs de la ville assiégée prirent terre un peu avant l'embouchure du Rhône et s'acheminèrent vers François Ier, qu'ils trouvèrent au milieu de son camp, à Caderousse, un peu au-dessus d'Avignon.

Après des retards inévitables, et non sans de grandes difficultés, François Ier était parvenu à refaire une armée. Cette armée, réunie dans la vallée du Rhône, était considérable. Il avait obtenu des Suisses une levée de plus de six mille hommes. Deux corps de lansquenets venus des bords de la Moselle et du pays de Gueldre avaient fortifié son infanterie, à laquelle se joignirent plusieurs troupes d'aventuriers français. C'est dans ce camp que le roi reçut les députés de Marseille. Il les accueillit avec grand honneur ; loua leur courage comme leur fidélité, et les exhorta à défendre leurs murailles jusqu'à ce qu'il parût devant elles pour en chasser l'ennemi. Il promit de délivrer bientôt leur ville, où fut alors introduit un secours de quinze cents hommes, venus par la mer du côté d'Arles et de Martigues, avec toute une notifie de bateaux chargés de farine, de vins, de bestiaux. Il remit aux députés pour leurs compatriotes une lettre propre à les entretenir dans leur courageuse résistance. Animés par les éloges et les remercîments du roi, confiants dans ses assurances, les Marseillais s'animèrent de plus en plus à soutenir l'effort de l'ennemi et à repousser l'assaut dont ils étaient menacés.

Bourbon s'était rapproché de la ville par ses tranchées, et il avait mis en batterie les grosses pièces venues de Toulon. Cette artillerie avait tiré avec furie et sans interruption du côté de l'ancienne brèche, et, après plus de huit cents coups de canon, avait abattu le rempart sur une étendue d'environ cinquante pieds vers le haut, mais de beaucoup moins vers le bas. Bourbon, l'ayant trouvée plus que suffisante, fit taire ses canons et mettre son armée en bataille pour monter à l'assaut. Il s'avança hardiment contre cette ville protégée par des tranchées qu'il fallait franchir, couverte d'ouvrages qu'il l'allait enlever, hérissée de défenseurs qu'il fallait vaincre ; mais ses soldats étaient moins résolus que lui. Le feu qu'ils essuyèrent, à leur approche, les arrêta. Ayant su que derrière la brèche étaient des fossés remplis de poudre, de résine, de pétards, de pointes de fer, et par-delà les fossés un nouveau rempart, ils ne voulurent pas poursuivre l'attaque. Les lansquenets, désignés les premiers pour tenter l'escalade de la brèche, s'y refusèrent. Les Espagnols, pressés par Bourbon, n'y consentirent pas davantage : Pescara, qui croyait l'entreprise plus quo téméraire, les en détourna lui-même. Sollicités à leur tour, les Italiens refusèrent comme les Espagnols et les Allemands. Bourbon, désespéré et désobéi, dut ramener l'armée dans ses quartiers en renonçant 4 : emporter la ville de vive force ce jour-là.

Bourbon n'était plus maitre de ses troupes découragées ; il était presque abandonné en pays ennemi sans avoir les forces suffisantes pour s'y avancer et même pour s'y soutenir : une portion de l'infanterie et de la cavalerie qu'il attendait lui avait manqué pendant toute la campagne. Il tint conseil avec les chefs de ses troupes. Ceux-ci trouvèrent qu'il serait peu sage et fort dangereux de rester plus longtemps devant une ville que le roi de France, venait délivrer à la tête d'une puissante armée. Le duc aurait voulu, tout en abandonnant Marseille, marcher à la rencontre du roi, lui livrer bataille, et rétablir par une victoire l'honneur de l'armée qu'il commandait, et les affaires des souverains qu'il représentait ; mais il rencontra pour la bataille la même opposition que pour l'assaut. Entraîné malgré lui par les résistances et les dispositions des soldats, il se décida, à. la retraite. Pendant deux jours, il en fit les préparatifs avec lenteur et comme à regret. Il jeta, dans la mer des amas de boulets qu'il ne pouvait pas emporter, enterra quatre gros canons, et envoya, traînées par des chevaux, d'autres pièces à Toulon, d'où elles devaient être embarquées pour Gènes. Les petits canons de campagne furent placés sur des mulets, et, le 29 septembre, l'armée leva le camp en se dirigeant vers les Alpes maritimes.

La retraite des Impériaux se fit sans désordre. Leur armée s'achemina vers le Piémont, en marchant de nuit et de jour. Pescara en dirigeait l'arrière-garde, qui remplaçait dans les 'Iléales logements l'avant-garde, aussitôt que celle-ci avait achevé sa halte et pris un peu de repos. Ce chef vigilant tenait, à ne laisser tomber personne des siens entre les mains des paysans, ameutés déjà sur les flancs de, l'armée impériale. Une fois il ne put pas réveiller du sommeil dans lequel ils étaient. plongés quelques lansquenets qui avaient trop bu du vin du pays. Les chevau-légers du roi de France paraissaient à l'horizon, et les gens de la campagne n'attendaient que son départ pour égorger les Allemands endormis. Il les fit brûler dans la grange d'où il ne parvenait pas à les faire sortir, et il continua sa retraite avec une inexorable régularité. Les soldats avaient leurs vêtements en lambeaux et manquaient de souliers. Aussi, lorsqu'on tuait des bœufs ou des moutons pour leur nourriture, ils en prenaient plus avidement encore la peau que la chair, pour la couper en lanières et s'en faire des chaussures.

L'invasion de la France avait donc échoué deux fois, la première fois au nord, la deuxième au sud. Chaque fois les confédérés avaient été arrêtés par l'insuffisance de leurs moyens d'attaque et leur défaut de concert, tout comme par la vigueur de la résistance qu'ils avaient rencontrée et qu'ils n'avaient pas prévue. Le royaume était de nouveau délivré, et de nouveau encore le théâtre de la guerre allait être transporté en Lombardie. François Ier, au moment où sa situation était des plus dangereuses, avait chargé un camérier de Clément VII, qui traversait la France en revenant d'Espagne, de dire au pape qu'à la tête de trente mille hommes il passerait en personne les Alpes à l'automne[56]. Il put exécuter, au mois d'octobre, ce projet qui semblait si chimérique lorsqu'il l'annonçait au mois de juin.

D'Aix, où il s'arrêta quatre jours, le roi se dirigea en toute hâte vers l'Italie. Il remonta la vallée de la Durance jusqu'à Briançon, d'où il était impatient de déboucher dans la plaine du Piémont. Il était plein d'espérance et d'ardeur, mais on montrait moins de confiance autour de lui, et ses capitaines les plus expérimentés, trouvant la saison trop avancée, n'étaient pas d'avis d'entreprendre une campagne d'hiver. Il cherchait à animer les siens de ses sentiments belliqueux. Soldats et amis, leur disait-il, puisque la fortune nous a conduits en ce lieu, secondons ses volontés par une honnête résolution. Que la hauteur de ces grandes montagnes ne vous effraye ni rebuté ! Je vous assure sur ma foi que, si nous sommes les premiers en Italie, la guerre est terminée sans combat. Courage donc. Sachons nous commander par vertu, oublions plaisirs et maisons, et au prix d'un peu de fatigue affermissons à jamais le repos de la France[57].

Il mena rapidement son armée et son artillerie jusqu'au sommet des Alpes, sans rencontrer les obstacles ordinaires de la saison. Les rivières étaient guéables et les passages libres ; François Ier les franchit heureusement, et arriva avec ses troupes à Verceil le jour même où l'armée impériale, partie de Finale, avait traversé les Alpes maritimes en se portant à Alba, comme pour défendre l'accès du Piémont Mais réduite en nombre, épuisée de fatigue, ayant laissé une partie de ses bagages et de son artillerie dans les âpres chemins qu'elle avait parcourus et où. elle avait été poursuivie, cette armée était hors d'état d'empêcher l'invasion de la Lombardie, après avoir échoué elle-même dans l'invasion de la France. Le vice-roi de Naples, Lannoy, avait espéré qu'en réunissant les forces dont il disposait avec les débris de l'armée impériale qui revenait de Provence, il pourrait arrêter la marche des Français et empêcher leur entrée dans le Milanais, mais il renonça à cet espoir quand il eut conféré avec le duc de Bourbon et le marquis de Pescara.

Les chefs impériaux renoncèrent même à garder la ligne du Tessin. Ils comprirent qu'ils devaient se borner à occuper les points qui pouvaient être défendus. En un jour, Pescara fit plus de trente milles, et alla, par Voghera, jeter une garnison de cinq mille Allemands, cinq cents Espagnols et trois cents hommes d'armes dans Pavie. La défense de cette ville, la seconde du duché de Milan, fut confiée à Antonio de Leiva, soldat de fortune formé dans les guerres d'Italie, que désignaient à un commandement aussi important et aussi difficile la plus rare énergie et la vigilance la plus attentive. Le reste de l'armée remonta vers Milan, avec l'espérance d'y entrer avant les Français, et de s'y soutenir en attendant l'arrivée de dix mille lansquenets que le vice-roi fit lever en Allemagne.

Mais cette ville venait d'être ravagée par la peste ; ouverte sur plusieurs points, elle n'avait pas le moyen de se défendre. Elle s'était décidée à prévenir sa ruine par sa soumission, et une députation avait porté les clefs au roi, qui était arrivé dans le voisinage, à Abbate-Grasso, après avoir franchi le Tessin. Néanmoins le lendemain le capitaine Alarcon, à la tête de deux cents chevaux, ayant pénétré dans Milan, y annonça la venue du duc de Bourbon, du vice-roi de Naples et du marquis de Pescara, qui approchaient avec le reste des troupes. Ils y entrèrent en effet au milieu des transports de joie ides Milanais qui, revenus à leurs sentiments naturels, criaient : Vive le duc ! Vive l'empire !

A cette nouvelle, François Ier se mit en marche pendant la nuit avec toute l'armée, afin de se rendre maitre de Milan de vive force ; mais les Impériaux ne l'y attendirent point. Ayant promptement vu que la ville était dans un trop pauvre état de défense pour qu'il fat prudent de s'y enfermer, Bourbon, Lannoy et Pescara en sortirent par la porte de Corne et par la porte de Rome, au moment où les Français y entraient par celle de Verceil. Ils se retirèrent vers Lodi et allèrent s'établir sur l'Adda. François Ier prit possession de la ville et en confia la garde au seigneur de la Trémoille, qu'il y laissa avec trois cents hommes d'armes et huit mille hommes de pied. Il se transporta ensuite devant Pavie avec le reste de l'armée, espérant qu'une fois maitre de cette place importante il le serait du Milanais tout entier et pourrait même entreprendre l'invasion de Naples.

Le 26 octobre, les Français parurent en vue de Pavie. Ils l'investirent aussitôt, en attendant la grosse artillerie qui devait servir à battre ses murailles. La ville grande et riche, célèbre par son université comme par son histoire, était couverte d'églises et de monuments. Elle avait une vaste enceinte de murailles, garnies de tours, précédées de fossés, flanquées de bastions, défendues du côté qui faisait face à Milan par une citadelle, et l'on n'y pénétrait que par des portes fortifiées. Le Tessin, rapide rivière sortie du lac Majeur, changeant de direction à une lieue de ses murailles, la baignait au sud et tombait un peu plus bas dans le Pô. Vers le point où il coulait au sud, le Tessin se divisait en deux bras, qui, en se rejoignant, formaient une ile où se trouvait le faubourg Saint-Antoine, uni à Pavie par un pont de pierre couvert d'une galerie et défendu par une tour. Au nord de la place, s'étendait le parc de Mirabello, dont le nom même indiquait le site et l'agrément. Ce parc, embrassant un espace de plusieurs milles carrés, entouré d'une épaisse muraille qui le fermait des quatre côtés et dans laquelle étaient pratiquées des portes à ponts-levis, descendait presque jusqu'à Pavie. C'était un magnifique lieu où les anciens ducs de Milan allaient demeurer pendant la belle saison et prendre les plaisirs de la chasse. La résidence ducale de Mirabello était ornée comme un palais et fortifiée comme un château. Antonio de Leiva avait pourvu à la défense de la ville, en relevant les murailles là où des pierres en étaient tombées, en remparant ce qui menaçait de fléchir, en creusant des tranchées sur les points les plus exposés. Il avait distribué les quartiers à ceux qui devaient les garder, et, après avoir réglé la subsistance comme la défense de la place, il se tenait prêt à repousser l'attaque de l'armée française.

François Ier s'établit avec la plus grande partie de ses troupes vers l'abbaye de San-Lanfranco et l'église de San-Salvator, à l'ouest de Pavie. Le maréchal de la Palice se porta avec l'avant-garde, dont son ancienneté lui donnait le commandement, sur les hauteurs qui longeaient la ville du côté de l'est. Le duc d'Alençon occupa le parc de Mirabello à la tête d'un corps considérable, et le maréchal de Montmorency, suivi de trois mille lansquenets, de deux mille Italiens, de mille Corses et de deux cents hommes d'armes, se logea de force dans Vile que formaient au sud les deux bras du Tessin. Après avoir pris la tour qui fermait l'entrée du pont de pierre conduisant de l'île dans Pavie, et en avoir fait pendre tous les défenseurs pour avoir osé résister, disait-il, à une armée du roi dans un tel poulaillier[58], il se trouva en face de la ville. Antonio de Leiva ordonna aussitôt de rompre le pont de communication, et le maréchal de Montmorency, qu'il menaça de meurtrières représailles, se vit arrêté aux bords du Tessin. Les troupes françaises cernèrent alors la placé de tous les côtés.

Dès qu'il eut reçu ses gros canons, François Ier ouvrit des tranchées pour approcher de la ville. Les batteries furent assises le 6 novembre, et le feu commença. Après trois jours de feu non interrompu, les murailles écroulées offrirent des brèches suffisantes, et l'assaut fut décidé. Les troupes escaladèrent les brèches en laissant sur la route beaucoup d'hommes abattus par les coups d'arquebuse des assiégés ; mais arrivées au sommet, elles trouvèrent la résistance la plus vigoureuse et la plus opiniâtre. Après une heure d'impétueuse agression et de ferme résistance, les assaillants, dont le feu de la place avait éclairci les rangs, se retirèrent, ayant perdu beaucoup de monde. François Ier voulut recommencer le lendemain ; mais, ayant appris que par-delà les murailles se trouvaient des tranchées profondes et que des arquebusiers étaient postés dans les maisons crénelées du voisinage, il renonça à une nouvelle attaque qui aurait été plus meurtrière sans être plus heureuse.

Ne pouvant pas pénétrer dans Pavie par les côtés trop bien défendus de l'est et. de l'ouest, François Ier espéra s'en rendre maître du côté du sud, où la ville, que protégeaient les eaux du Tessin, était beaucoup moins forte. Il tenta une œuvre des plus hasardeuses, celle de détourner le bras principal du fleuve. Les assiégés ne furent pas sans crainte en voyant les Français travaillant à creuser un autre lit au Tessin et à barrer l'ancien avec des arbres, des pierres et des terres. Mais la crainte ne tarda pas à disparaître. D'abondantes pluies grossirent soudainement les eaux du fleuve, qui devenu plus impétueux et rendu plus profond, emporta les machines des Français et détruisit leurs travaux.

François Ier n'était pas mieux parvenu à surprendre la ville par le sud qu'à l'enlever par l'est et par l'ouest. Comptant sur le temps, il disposa tout pour réduire Pavie à capituler, et changea le siège en blocus. Se retranchant dans les positions qu'il occupait, il accrut son armée qui était déjà très nombreuse. Il demanda aux cantons suisses de nouvelles troupes, fit venir cinq mille Grisons, et prit à sa solde le valeureux condottiere Jean de Médicis, qui avait sous ses ordres trois mille soldats aguerris. Les diverses parties du camp français communiquaient entre elles pour s'entendre et au besoin s'assister. Des ponts jetés sur le Tessin en dessus et en dessous (le Pavie conduisaient de l'île où était Montmorency, au quartier du roi à San-Lanfranco et à celui de la Palice à San-Giacomo. Par delà le Tessin, l'armée en relation avec le comte d'Asti et la .Lomelline, recevait les vivres qui lui venaient des riches plaines du Piémont. Il y avait un immense marché et une foire perpétuelle dans le parc de Mirabello. Les troupes du roi avaient tout en abondance. Logées dans des églises et des abbayes, établies sous des tentes, occupant des huttes souterraines, livrées à un mouvement animé pendant le jour, éclairant la plaine de leurs feux durant la nuit, elles semblaient former une ville qui en ceignait, circulairement une autre.

Cependant le pape avait repris les négociations vainement entamées naguère pour rétablir la paix ou ménager une suspension d'armes entre les deux souverains. II confia cette mission si conforme à sa charge spirituelle et aux véritables intérêts de l'Italie, au dataire Giovan Mattheo Giberto, qui avait toute sa confiance. Celui-ci se rendit d'abord à Soncino, où se trouvait le vice-roi de Naples, un peu au-delà de l'Adda, dans la Lombardie vénitienne. Les propositions du saint père furent repoussées avec hauteur par Lannoy, lequel déclara qu'il ne traiterait pas avec le roi de France tant que la France conserverait une palme de terre en Italie. François Ier ne les trouva pas acceptables non plus. Le dataire, qui passa plusieurs fois d'un camp dans l'autre, l'avait trouvé non moins exigeant qu'altier. J'ai bon espoir, disait-il[59], d'occuper bientôt Pavie. Toutes mes mesures sont prises, mes provisions sont faites, et mes gens de guerre payés : je ne veux rien de moins que tout l'état de Milan et le royaume de Naples. Le pape n'ayant pu convertir les deux adversaires à ses projets, tâcha de les ménager l'un et l'autre. Il fit remettre secrètement six mille ducats au vice-roi de Naples[60], et conclut avec François Ier un traité de neutralité, très secret aussi, dans lequel furent compris les Florentins et les Vénitiens.

Dans l'intervalle les choses avaient changé de face en Italie. Bourbon était maintenant à même de poursuivre vigoureusement la guerre sur le Tessin. L'armée impériale, renforcée d'au moins douze mille Allemands, était presque aussi nombreuse que l'armée française ; elle l'égalait en infanterie, mais lui était inférieure en cavalerie et en artillerie. Cette armée était dans la nécessité de combattre, parce que les généraux qui la commandaient ne pouvaient pas la tenir longtemps réunie. Ils n'avaient pas d'argent ; il était dû aux troupes des sommes considérables, et il fallait 130.000 ducats par mois. Dans cette situation, le duc de Bourbon et le marquis de Pescara furent d'avis de marcher au plus tôt vers le Tessin, afin d'y attaquer le roi de France s'il acceptait la bataille, ou de délivrer Pavie s'il la refusait.

Cette ville était toujours étroitement bloquée. Rien n'y pénétrait, et la pénurie était fort grande. On était au mois de janvier, et dès le mois de novembre, on n'y avait plus mangé de viande de bœuf, de mouton, et les bouchers avaient été réduits à abattre les chevaux, les mulets, les ânes, dont ils vendaient la chair sur leurs étaux. Le bois manquait ainsi que le pain, et, dans les rigueurs d'un hiver fort rude, on démolissait les maisons et les églises afin de se chauffer avec les poutres, les planches et les boiseries qu'on en tirait. L'argent n'y était pas moins rare, et les lansquenets demandaient incessamment leur solde. Antonio de Leiva avait fait monnayer les vases des églises et les flambeaux d'argent de l'université ; il avait levé à plusieurs reprises des emprunts sur les nobles et sur les marchands de la ville ; il avait même fondu une magnifique chaîne d'or qu'il avait au cou ; enfin il s'était servi d'une somme de trois mille ducats que deux Espagnols venus du camp impérial avaient introduite à grand'peine et à l'aide d'un stratagème dans Pavie, pour distribuer de temps en temps aux troupes une partie de ce qui leur était dû. Il continuait avec ses infatigables soldats à défendre la ville assiégée contre les Français, dont il repoussait les attaques par de continuelles sorties, mais il était exposé à succomber d'un moment à l'autre, faute de vivres et même de munitions, lorsque parurent du côté du nord les enseignes des Impériaux.

L'année de Charles-Quint avait quitté Lodi le 24 janvier 1525[61]. Elle se composait d'un peu plus de vingt mille fantassins, d'environ sept cents hommes d'armes et de cinq cents chevau-légers commandés par Castrioto, marquis de Civita-Sant' Angelo, qui tirait son origine de Scanderberg. Elle n'avait que quelques pièces de canon. Sa force était dans les agiles arquebusiers espagnols et dans les masses serrées de ses intrépides lansquenets, placés sous la conduite de George Frundsberg et de Marc Sith. L'armée s'était mise en marche, suivie de chariots nombreux portant ses tentes, ses bagages, ses munitions et même ses vivres. Elle s'était emparée, sur le Labro, de la ville de Sant' Angelo. Des bords du Labro, les Impériaux avaient paru se diriger du côté de Milan, comme pour enlever la capitale du duché aux Français et les contraindre, par cette menace, d'aller à son secours en quittant Pavie ; mais François Ier ne bougea point. Aussi les Impériaux, arrivés à Marignan, changèrent de route ; ils descendirent vers Belgiojoso et s'avancèrent du côté de Pavie avec le dessein d'en faire lever le siège ou de livrer bataille.

François Ier dont les forces restaient supérieures, n'était pas disposé à refuser le combat. Il envoya l'amiral Bonnivet, le maréchal de la Palice et Chabot de Brion avec quatre cents hommes d'armes jusqu'à Belgiojoso, afin de surveiller les mouvements des Impériaux. Se portant lui-même de San-Lanfranco à Mirabello, il ne laissa devant Pavie que ses lansquenets et mit le reste de son armée en bataille, prêt à combattre l'ennemi, s'il s'avançait vers la chartreuse à l'extrémité septentrionale du parc. Il passa sous les armes le 1er et le 2 février, mais l'ennemi, tournant vers sa gauche, côtoya l'Olona, et alla dresser son camp à l'est de Pavie. C'était en effet le côté par où il semblait le plus facile de secourir la ville et d'en rompre le blocus. François Ier, par un mouvement habile, se plaça en face des arrivants. Distribuées sur des monticules, adossées vers le nord aux murailles du parc, touchant au bas Tessin vers le sud, ses troupes, au milieu desquelles il dressa son quartier, eurent ainsi une position inabordable, qu'il rendit plus forte encore en l'entourant de fossés et en la flanquant de bastions garnis de pièces d'artillerie. Placé entre Pavie, qu'il serrait de près, et l'armée impériale, à laquelle il barrait le chemin, il empêchait l'une d'être secourue, l'autre de l'attaquer lui-même.

Les Impériaux, ne pouvant essayer de forcer le passage sans s'exposer à une défaite, s'approchèrent à un demi-mille de l'armée française, et campèrent à l'abri d'un terrain qui les protégeait contre l'artillerie des bastions. On était si près les uns des autres que les cris des sentinelles s'entendaient des deux parts, lorsqu'on les plaçait ou les relevait. Les artilleurs français et les couleuvriniers espagnols échangeaient des coups de feu des points les plus élevés de leur camp. Les deux armées restèrent dans cette position durant trois semaines. Les Français attendaient à chaque instant la reddition de la place. Pavie s'en va perdue, écrivait déjà François Ier au commencement de février[62], s'ils ne la réconfortent de quelque chose, et ils tournent autour pour la faire tenir jusqu'au dernier soupir, qui, je crois, ne sera pas long, car il y a plus d'un mois que ceux du dedans ne beurent vin, ne mangèrent chair ni fromage. Il fallait donc que l'armée impériale secourût promptement la place pour l'empêcher de succomber et battit l'armée française pour ne pas se dissoudre elle-même. Elle avait épuisé ses vivres et n'avait plus d'autre ressource que de joindre et de vaincre l'ennemi. Les Impériaux s'y préparèrent de longue main et préludèrent à la grande bataille par une suite d'attaques hardies et d'entreprises heureuses.

Ils parvinrent à faire pénétrer quelques secours dans la place par le côté de l'ouest, un peu dégarni depuis que François Ier l'avait quitté avec la masse de son armée. Antonio de Leiva avait surtout besoin de poudre. Le vice-roi, qu'il avertit de son état de détresse, fit partir, dans la nuit du 7 au 8 février, quarante cavaliers dont chacun portait un sac de poudre, et qui, après avoir tourné le parc, traversèrent des bois et parvinrent sans en être empêchés dans la place. Dès lors Antonio de Leiva multiplia ses sorties, qu'il rendit très meurtrières pour les assiégeants. Il en fit une que les circonstances favorisèrent et qui permit d'introduire des provisions et des bestiaux dans Pavie. Les Grisons campaient devant la ville bloquée, du côté de l'ouest. Ils apprirent qu'un partisan de Charles-Quint s'était emparé par stratagème de la forteresse de Chiavenna, clef de leur vallée sur le lac de Como. Rappelés à la défense de leur pays menacé par les chefs de la ligue grise, ils partirent sans se laisser arrêter par aucune représentation, sans écouter aucune prière, et laissèrent l'armée du roi affaiblie à la veille d'une bataille. Le jour même où ils quittèrent les retranchements français pour regagner leurs montagnes, Antonio de Leiva sortit de Pavie avec une forte partie de la garnison, les attaqua vivement sur leurs derrières, et rentra dans la place avec un butin considérable. Ce ne fut pas le seul affaiblissement qu'éprouva François Ier. Un corps de troupes qui descendait des Alpes pour se rendre à son camp, s'étant arrêté sans précaution sur la Bormida, y fut surpris par les Impériaux enfermés dans Alexandrie, battu, dispersé, détruit. Enfin, pour comble de malheur, Jean de Médicis, après avoir attiré la garnison dans une embuscade où elle eut beaucoup à souffrir, y eut la jambe brisée et fut contraint de quitter le camp. Sa blessure laissa sans chef la troupe qu'il commandait, et priva l'armée de l'homme de guerre qui ressemblait le plus à Pescara et qui pouvait le mieux lui être opposé.

Les Impériaux sentaient de plus en plus la nécessité de combattre. Lannoy écrivait à Charles-Quint que livrer bataille, c'était s'exposer à compromettre sa réputation, si son armée était battue, et à perdre l'Italie, mais il ajoutait que la dissolution inévitable et prochaine de son armée, si elle ne combattait pas, l'exposerait plus sûrement encore et à la ruine de sa réputation et à la perte de l'Italie. Il valait donc mieux courir la chance du combat, puisqu'il y avait possibilité de la victoire. Mais comment forcer François Ier à combattre, s'il ne le voulait pas ? Dans un conseil tenu à ce sujet, les vieux capitaines et les plus sages furent d'avis de ne pas livrer bataille, mais l'amiral Bonnivet et le maréchal de Montmorency furent d'une opinion contraire. Bonnivet exprima la sienne avec une confiance hautaine, et son discours[63] entraîna le roi. François Ier, que sa propre ardeur disposait à livrer bataille, se décida à l'accepter lorsqu'elle lui serait offerte.

Les chefs de l'armée impériale avaient tenu conseil de leur côté le 23 février. Il n'y avait plus de vivres dans leur camp. Il fallait vaincre ou se disperser. Le marquis de Pescara fut d'avis de ne pas différer davantage un engagement devenu indispensable. Il proposa d'attaquer la nuit les Français, non du côté qui faisait face au camp impérial et que rendaient inabordables les retranchements dont il était couvert et les bastions qui le défendaient, mais en tournant au nord vers le parc, où l'on pénétrerait par une brèche pratiquée à la muraille sur un point qui ne serait pas gardé. On obligerait ainsi le roi de France à descendre de ses hauteurs fortifiées dans la plaine du parc et à y recevoir la bataille. Le duc de Bourbon appuya vivement l'avis de Pescara, et l'attaque fut décidée pour la nuit du 24 février, fête de saint Mathias et jour anniversaire de la naissance de Charles-Quint.

Antonio de Leiva, instruit le soir même du 23 février de la résolution prise, fut invité à mettre ses cinq mille hommes sous les armes, et lorsqu'il entendrait deux coups de canon, à faire une sortie qui placerait les Français entre deux feux. On se disposa à décamper pour être dans la nuit même à l'une des extrémités du parc, où l'on espérait ouvrir une brèche avant le jour. Les soldats reçurent l'ordre de mettre des chemises blanches ou des morceaux de toile par-dessus leurs armures, afin de se reconnaître en combattant dans l'obscurité d'une nuit de février. Pescara, qui comptait principalement sur l'audace et la solidité des Espagnols pour le succès de sa manœuvre, et qui avait coutume de les instruire de ses projets pour les animer de ses sentiments, y manqua moins que jamais. Il les assembla, leur dit ce qu'il attendait d'eux et ajouta : Mes enfants, la fortune nous a placés dans une telle extrémité que, sur la terre d'Italie, vous n'avez pour vous que ce qui est sous vos pieds ; tout le reste vous est contraire. La puissance entière de l'empereur ne parviendrait pas à vous donner demain dans la matinée un seul morceau de pain. Nous ne savons où en prendre, sinon dans le camp français qui est sous vos yeux. Là toute abonde, le pain, le vin, la viande. Ainsi, mes enfants, si vous tenez à manger demain, marchons au camp des Français[64]. Les soldats espagnols exprimèrent leur assentiment par leurs acclamations. Frundsberg harangua aussi les lansquenets, et les disposa à combattre vaillamment pour l'honneur de l'empire et la délivrance de leurs cinq mille compatriotes enfermés dans Pavie.

L'armée se mit en mouvement dans l'ordre prescrit, et se dirigea vers la partie du parc, où plusieurs compagnies de soldats et de pionniers l'avaient devancée, et travaillaient avec des solives, des pics et des pelles à en ébranler et à en abattre la muraille. Celle-ci résista longtemps, et l'aube paraissait lorsque le passage devint sur trois points praticable à des bataillons entiers, qui purent le traverser au milieu des décombres par une brèche de quarante ou de cinquante toises. Pescara fit avancer aussitôt le marquis del Vasto avec quinze cents lansquenets et quinze cents arquebusiers espagnols vers le château de Mirabello, afin qu'il s'en rendît maître sur les Français et qu'il se rapprochât de Pavie.

En apprenant que les Impériaux s'étaient mis en marche et qu'ils abattaient la muraille du parc pour s'ouvrir un chemin jusqu'à lui, François Ier avait quitté ses retranchements, et il s'était porté à leur rencontre avec son armée. Descendu de son camp fortifié sur la bruyère du parc, il rangea en bataille ses troupes qui semblaient animées de la même ardeur que lui. Sans être inférieur aux Impériaux en infanterie, M'emportait sur eux par le nombre des ses hommes d'armes et de ses canons. Il avait huit mille Suisses, cinq mille lansquenets, sept mille hommes de pied français et six mille Italiens[65]. Il plaça dans une position dominante et sur la droite, d'où n'était pas éloignée l'ouverture pratiquée dans la muraille du parc, ses pièces bien attelées, sous le commandement du sénéchal d'Armagnac, Galiot de Genouillac, grand maître de l'artillerie, qui devait prendre ainsi l'ennemi en écharpe et le foudroyer. Non loin de l'artillerie étaient rangés, en masses compactes, les lansquenets des bandes noires, à la tête desquels étaient François de Lorraine et le duc de Suffolk, Richard de la Poole. A la gauche des lansquenets, un peu en arrière, se trouvaient les bataillons serrés des Suisses, composant le gros de son infanterie. Les compagnies d'hommes d'armes étaient sur les ailes de ces divers corps et les dépassaient un peu, selon la manière de combattre du temps. Le maréchal de Montmorency conduisait l'arrière-garde composée de soldats italiens et d'aventuriers français ; l'avant-garde était confiée au plus ancien des maréchaux, la Palice, qui avait près de lui le duc d'Alençon ; François Ier conduisait lui-même le corps de bataille. Entouré des grands officiers de sa couronne et des gentilshommes de sa maison, il attendait, l'esprit confiant, le cœur joyeux, la lance au poing, en capitaine qui croyait avoir bien pris ses dispositions, et en chevalier qui brûlait du désir de combattre, dit M. Mignet, le moment de fondre sur l'ennemi.

L'attaque commença par une vive canonnade. Les Impériaux, en entrant dans le parc, se dirigeaient par une marche de flanc du côté de Mirabello, où devait aussi se porter, au signal convenu, la garnison de Pavie. Cette marche était impossible à continuer en présence d'une armée prête à les attaquer, et dont l'artillerie les balayait à leur passage. Le marquis del Vasto seul s'était élancé vers Mirabello avec ses trois mille Espagnols et lansquenets, qui n'y rencontrèrent aucune résistance. Le maréchal d'Armagnac, tirant à coups pressés sur les corps espagnols et allemands qui avaient franchi la muraille et s'avançaient dans le parc, jetait le désordre dans leurs rangs et y faisait des brèches considérables. Vous n'eussiez vu, dit un témoin de la bataille, que bras et testes voler[66]. Embarrassés par quelques pièces d'artillerie qu'ils traînaient avec peine à travers les décombres, sans pouvoir s'en servir, les Impériaux se jetèrent à la file, et presque en fuyant, dans un vallon qui les abrita contre le canon des Français. Deux compagnies d'hommes d'armes du duc d'Alençon chargèrent leurs soldats débandés et les poursuivirent jusque sur le terrain où ils se mettaient à couvert.

L'affaire prenait une mauvaise tournure pour les Impériaux. L'occupation de Mirabello devenait superflue ; la jonction avec la garnison de Pavie n'était plus possible ; non seulement les Français acceptaient la bataille, mais ils l'engageaient ; ils étaient sur le point de battre ceux qui croyaient les surprendre. L'habile et ferme Pescara saisit d'un coup-d'œil ce qu'il y avait à faire en cette conjoncture difficile : il fallait réunir toutes les forces impériales, opposer à l'impétuosité française l'opiniâtreté espagnole, attaquer leurs pesants hommes d'armes par d'agiles arquebusiers, jeter les lansquenets sur les Suisses. Il rappela soudainement de Mirabello le marquis del Vasto avec ses trois mille hommes ; prévint le vice-roi, qui était à l'avant-garde, que le moment était venu de marcher et de combattre ; il pressa le duc de Bourbon, qui commandait le corps de bataille, d'arriver en toute hâte. Lannoy fit froidement le signe de la croix, puis, se tournant vers les siens, il leur dit : Il n'y a plus d'espérance qu'en Dieu ; qu'on me suive, et que chacun fasse comme moi. Il donna en même temps de l'éperon à son cheval, et, précédé du marquis de Civita-Sant' Angelo, qui conduisait la cavalerie légère, il se 'mit en mouvement avec toute son avant-garde.

François Ier s'avançait aussi, suivi de toute son armée. A la tête de la vaillante troupe des seigneurs de sa cour, des gentilshommes de sa maison et de deux compagnies de ses ordonnances, il fondit sur l'avant-garde ennemie. Rien ne résista au choc de ses cavaliers pesamment armés. Le roi abattit et tua d'un coup de lance le marquis de Civita-Sant' Angelo[67], dont il dispersa les chevau-légers ; avec son escadron victorieux il repoussa les hommes d'armes de Lannoy et rompit une troupe de piquiers et d'arquebusiers qu'il rencontra sur son passage. Dans son allégresse confiante, il se tourna vers le maréchal de Foix, qui était à ses côtés, et lui dit : Monsieur de Lescuz, c'est maintenant que je veux m'appeler duc de Milan. Il poursuivit encore un peu les fuyards, puis il arrêta sa troupe pour faire souffler ses chevaux.

La victoire en ce moment semblait se déclarer en sa faveur, mais bientôt tout changea de face. Les ennemis, ébranlés au premier choc mais non découragés, recommencèrent la lutte avec un nouveau courage. L'adroit et indomptable marquis de Pescara continuait à les diriger. Les trois mille combattants qu'il avait rappelés de Mirabelle entrèrent en ligne sous del Vasto. Ils attaquèrent la gauche de l'armée française, en même temps que la cavalerie impériale, ralliée et renforcée, revint à la charge, appuyée de quinze cents arquebusiers que Pescara répandit autour d'elle pour abattre l'effort de la cavalerie française. De leur côté, les lansquenets de Marc Sith et de George Frundsberg, quittant le vallon où ils s'étaient abrités, avaient marché au combat. Leurs bandes reçurent les décharges de l'artillerie française, sans pouvoir y répondre, mais cette fois sans en être arrêtées. D'ailleurs les batteries du sénéchal d'Armagnac étaient déjà masquées en partie par les Allemands des enseignes noires, que François de Lorraine et Richard de Poole conduisaient intrépidement à l'ennemi. Ces Allemands, qui formaient l'aile droite de l'armée de François Ier, rencontrèrent d'abord les lansquenets impériaux, qui les assaillirent avec le plus furieux acharnement. Sith, à qui s'unirent les Espagnols, se jeta sur un de leurs flancs, et bientôt Frundsberg, qui venait un peu après, les attaqua sur l'autre. Les lansquenets des bandes noires se battirent bien : aucun d'eux ne recula ; mais ils furent enfoncés malgré leur vive résistance, et périrent presque tous. Leurs deux intrépides chefs, le duc de Suffolk et François de Lorraine, perdirent la vie en combattant à leur tête.

Tandis que l'aile droite de l'armée française succombait ainsi sous le choc, des Impériaux, le centre éprouvait un sort pareil. Les arquebusiers espagnols y avaient fait de grands ravages parmi la grosse cavalerie des compagnies d'ordonnance. Leurs coups de feu pressés et sûrs perçaient les armures, abattaient les grands chevaux de ces pesants hommes d'armes, qui ne pouvaient pas les joindre et ne surent pas les repousser. Le désordre se mit dans leurs rangs ; ils se rejetèrent en arrière et rompirent l'ordonnance des Suisses, contre lesquels s'avancèrent et tirèrent alors les arquebusiers espagnols. Ces célèbres bataillons helvétiques perdirent à Pavie la renommée de bravoure et de solidité, qu'ils avaient laissé entamer déjà à Marignan. Ebranlés par le mouvement de retraite des hommes d'armes, assaillis de front par les troupes enhardies de Pescara et Vasto, menacés à leur droite par les lansquenets de Sith et de Frundsberg, qui s'avançaient après avoir battu les bandes noires, ils ne résistèrent pas longtemps et lâchèrent pied presque sans combattre.

François Ier, après avoir fait reprendre haleine aux siens, s'était de nouveau jeté dans la mêlée. Sa lance, qui avait frappé tant d'ennemis, était brisée, et il avait tiré sa grande épée de bataille, dont il se servait vaillamment. Au moment où il croyait poursuivre sa victoire, il vit l'ébranlement et la déroute des Suisses. Mon Dieu, qu'est-ce ? s'écria-t-il, et il se dirigea vers eux pour les arrêter et les ramener au combat, mais ses efforts, pas plus que les instances de Jean de Diesbach et du seigneur de Fleurange, qui les commandaient, ne parvinrent à leur faire tourner de nouveau leurs enseignes contre les Impériaux. Se plaçant alors à la tête d'une troupe d'hommes d'armes qu'il rallia, François Ier se précipita en désespéré sur la cavalerie ennemie et les arquebusiers qui la soutenaient. Il aurait pu se sauver, il aima mieux être tué ou pris que d'encourir le déshonneur de la fuite. Il y eut en ce moment une mêlée confuse et meurtrière. Tandis que Pescara, qui y reçut trois blessures, avançait toujours, Antonio de Leiva, sorti de Pavie avec ses cinq mille hommes de pied, ses trois cents lances et ses chevau-légers, venait à sa rencontre. Les Français en désordre étaient pressés entre la garnison encouragée et l'armée victorieuse. Pendant quelque temps on combattit au hasard et sans merci. Parmi la grande noblesse française, qui se comporta héroïquement dans cette journée, beaucoup avaient déjà péri, beaucoup plus alors tombèrent morts ou blessés. Le vieux la Trémoille, qui depuis la fin du dernier siècle, avait fait toutes les guerres, resta sur le champ de bataille. Le premier des maréchaux de France, la Palice, y perdit glorieusement la vie. Son collègue, le maréchal de Foix, reçut aux côtés du roi une blessure qui l'abattit et qui devait être mortelle. Le bâtard de Savoie, grand maître de France, et le grand écuyer San-Severino, chef du parti français au royaume de Naples, eurent, vers la fin de la bataille, le sort qu'avaient eu dans les commencements le duc de Suffolk et François de Lorraine, morts à la tête des lansquenets. L'amiral Bonnivet alla se faire tuer au milieu des rangs ennemis pour ne pas voir l'armée détruite, le roi prisonnier, et ne pas assister à un désastre dont il était en partie la cause.

François Ier combattait toujours. Quoique blessé à la l'ace et à la main, il était retenu par son fier courage au milieu des ennemis qu'il frappait de sa longue épée, mais son cheval, déjà atteint, ayant été percé d'un coup de lance, par le comte Nicolas de Salm, il tomba sous lui et fut entouré d'Espagnols et d'Allemands qui le pressaient de se rendre. La rivalité de ceux qui se disputaient sa capture et cherchaient à s'emparer de ses armes mettait sa vie en péril, quand le vice-roi de Naples, averti, accourut vers le lieu où il était renversé, descendit de cheval, le dégagea, le releva, et, en s'inclinant devant lui, le reçut prisonnier de l'empereur. Objet d'admiration pour sa bravoure, de respect pour son infortune, François 1er fut conduit, selon son désir, dans le monastère de Saint-Paul, placé au milieu du camp d'où la veille il dominait l'Italie, maintenant perdue.

En moins de deux heures, une belle armée, ayant à sa tête un vaillant prince et les généraux les plus braves, avait été battue et presque anéantie. Plus de dix mille hommes avaient péri sur le champ de bataille, ou s'étaient, en fuyant, noyés dans le Tessin. Les prisonniers furent nombreux et des plus considérables. Le roi de Navarre, le comte de Saint-Paul de la maison de Vendôme, le sire de Fleurange, de la maison de la Marck, le prince de Talmont, héritier de la Trémoille, le maréchal de Montmorency et Chabot de Brion partagèrent la captivité de François Ier. Le premier prince du sang, le duc d'Alençon, beau-frère du roi, y échappa seul, mais peu glorieusement. Il avait quitté précipitamment le champ de bataille. Avec lui se sauvèrent quelques centaines d'hommes d'armes et quelques milliers de fantassins, qui parvinrent à franchir le parc et remontèrent en désordre vers Milan. Sous le coup de ce grand désastre, la France était sans roi, sans capitaine, sans armée, et tout était à craindre pour elle, si l'ennemi se montrait aussi habile qu'il avait été heureux.

Le lendemain de leur victoire, les chefs des troupes impériales annoncèrent à Charles-Quint cet éclatant succès de ses armes. Le vice-roi de Naples fit partir le commandeur Peñalosa, qui avait pris part à la bataille, afin d'en rendre compte à l'empereur. Il obtint de François Ier que cet envoyé traversât la France avec un sauf-conduit pour arriver plus vite en Espagne. Le roi le chargea d'une lettre pour la régente sa mère : Madame, lui disait-il, pour vous faire savoir comment se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie, qui est saulve. Il la conjurait d'user de prudence et lui recommandait ses petits enfants. Il la priait d'accorder libre passage au commandeur Peñalosa, qui va, disait-il[68], devers l'empereur pour savoir comment il voudra que je sois traité.

C'est à Madrid que Charles-Quint reçut, le 10 mars 1525, les dépêches de son vice-roi de Naples, Charles de Lannoy, lui annonçant la grande victoire remportée par son armée d'Italie et la prise du roi de France. Atteint à Valladolid, sur la fin de l'été de 1524, d'une fièvre opiniâtre, ses médecins lui avaient donné le conseil de venir respirer l'air vif et pur de cette première ville[69]. Charles était loin de s'attendre à un succès aussi éclatant ; son esprit, au contraire, était rempli de trouble et d'inquiétude. Nous venons de voir quelle était la situation en Italie, combien les dernières nouvelles de Lannoy étaient inquiétantes. On se figure aisément l'impression qu'en de telles conjonctures l'empereur dut éprouver en apprenant la victoire de Pavie. Et cependant rien n'en parut sur son visage ni dans ses paroles[70]. Il passa incontinent dans son oratoire, s'y agenouilla, et y resta une heure en prière. L'heureuse nouvelle s'était répandue rapidement dans Madrid. Bientôt le palais se remplit des grands de la nation, des officiers de la couronne, des envoyés des puissances étrangères. Charles reçut leurs félicitations avec le même calme, la même retenue. Il rapportait modestement le succès à Dieu, l'arbitre des victoires et des châtiments humains[71]. Le lendemain, il se rendit, avec toute sa cour, à l'ermitage de Santa Maria de Atocha, situé à quelque distance de la ville ; il y entendit la messe et un sermon prêché par fray Juan de Hempudia, de l'ordre des frères-prêcheurs. Il ne voulut pas permettre que dans sa résidence, ni en aucun autre endroit de ses états, on se livrât à des réjouissances publiques. Dans ses lettres comme dans ses discours, il n'attribua sa victoire qu'à la justice de sa cause.

En même temps que les dépêches de Lannoy et la lettre de François Ier, mentionnée plus haut, Peñalosa avait remis à l'empereur une lettre de Louise de Savoie, mère du roi de France, que son fils avait déclarée régente du royaume, en partant pour l'expédition d'Italie. Cette princesse appelait Charles monsieur mon bon fils, comme au temps où les relations les plus étroites existaient entre les deux cours, et où la fille du roi très chrétien était sur le point d'être unie au roi catholique. Elle louait Dieu de ce que, dans le malheur arrivé à son fils, il était tombé aux mains du prince qu'elle aimoit le mieux ; elle exprimait l'espoir que la grandeur de l'empereur ne lui ferait point oublier la prochaineté de sang et de lignage qu'il y avait entre lui et le roi ; elle le suppliait de penser au grand bien qui pourrait résulter, pour toute la chrétienté, de l'amitié des deux monarques d'Espagne et de France ; enfin elle lui demandait de faire traiter son prisonnier comme l'honnêteté de l'un et de l'autre le requérait, et de permettre qu'elle eût souvent des nouvelles de son fils[72].

L'empereur avait à prendre une suprême détermination. Allait-il, comme plusieurs de ses ministres[73] l'y engageaient, profiter de la consternation et de l'abattement oui la France était plongée pour profiter de la victoire, faire rentrer son armée d'Italie en Provence, envahir le Languedoc au moyen des forces qu'il avait dans le Roussillon, faire pénétrer en Picardie ses troupes des Pays-Bas ? C'était aussi l'avis de son frère Ferdinand, qui était venu jusqu'à Insprück, afin de seconder les mouvements de l'armée impériale, et qui le pressait de marcher en avant, afin qu'il ne lui arrivât point ce qui était arrivé à Annibal, après la bataille de Cannes. Mais Charles-Quint, dit M. Gachard, était d'un caractère pacifique ; depuis l'origine de ses querelles avec François Ier, il n'avait cessé de désirer qu'un arrangement fondé sur le respect du droit et de la justice vint y mettre fin. Le langage qu'il tenait, à cette époque même, aux ambassadeurs de Venise dévoile parfaitement les sentiments qui régnaient dans son cœur : Sachez, leur disait-il, que si je le voulais, rien ne me serait plus facile que de troubler la chrétienté ; mais la seule gloire à laquelle j'aspire est qu'on dise que, de mon temps, elle a joui de la tranquillité et, de la paix. Cette paix je désire tellement l'affermir qu'elle subsiste après moi, et que nos armes se tournent contre les infidèles[74]. Ajoutons que des raisons politiques d'un ordre supérieur lui conseillaient de traiter avec le roi de France. Il lui importait de pouvoir passer sûrement en Italie pour s'y faire couronner ; en Allemagne, sa présence devenait de jour en jour plus nécessaire, car son autorité y avait souffert de graves atteintes, et les progrès de la secte luthérienne y multipliaient l'agitation et les désordres. Un autre sujet l'inquiétait, c'était les motifs de défiance que commençait à lui donner le roi d'Angleterre, c'est-à-dire, l'allié sur lequel il semblait qu'il avait le plus le droit de compter[75].

Il se décida donc pour la paix. Il chargea Adrien de Croy, seigneur de Beauraing, souvent employé par lui, nous l'avons vu, dans les affaires les plus délicates, et l'un des principaux personnages de sa cour, de se rendre de sa part auprès de François Ier. Il manda au duc de Bourbon et au vice-roi de Naples de suspendre les hostilités. Il lui semblait honnête, ce sont ses propres expressions, de ne pas les continuer pendant que le roi était entre ses mains. Il donna des ordres analogues aux Pays-Bas et sur les frontières d'Espagne. Il recommanda à Lannoy de faire bonne garde de son prisonnier, mais aussi d'avoir pour lui les plus grands égards et de permettre qu'il fût servi par ceux de ses officiers qui lui étaient le plus agréables. Enfin il exprima, dans une instruction commune à Beauraing, à Bourbon et à Lannoy, les conditions auxquelles il était prêt à rendre la liberté au monarque français. Beauraing devait les communiquer, en passant par Lyon, à la régente, à laquelle il était chargé de remettre en même temps la réponse de l'empereur. Cette réponse était pleine de courtoisie. Charles témoignait sa joie d'avoir appris que le roi était en bonne santé ; il assurait la régente qu'il le traiterait comme il voudrait être traité lui-même ; il lui annonçait qu'il avait donné des ordres pour qu'elle pût avoir des nouvelles de son fils aussi souvent qu'elle le désirerait. Il terminait en disant que, nonobstant la victoire qu'il avait plu à Dieu de lui envoyer, il ne voulait pas prolonger la guerre, avant d'avoir tenté tous les moyens de conclure une bonne paix. J'ay, à ceste cause, disait-il, faict mettre tant en mon nom comme de mes alliez, ma résolution par escrit de ce qu'est mon intention d'avoir et recouvrer, comme chose qui justement m'appartient... J'espère que vous penserez, et ne me refuserez chose tant juste et raisonnable pour le bien et repos de l'universelle chrétienneté[76].

La garde du roi prisonnier avait été confiée à don Fernando de Alarcon, l'un des plus anciens et des plus estimés capitaines des troupes espagnoles. A Pavie, il commandait l'une des trois divisions de cavalerie ; c'était lui qui avait chargé et mis en déroute l'escadron au milieu duquel était François Ier. Alarcon s'était transporté avec le roi dans la forteresse de Pizzighettone, près de Crémone, où il le gardait avec l'aide de deux cents hommes d'armes et de douze cents fantassins. Le projet de traité dont Beauraing était porteur devait être présenté au roi prisonnier par le duc de Bourbon et le vice-roi de Naples. L'empereur prévoyait bien que ce projet, dont l'une des principales conditions était la restitution du duché de Bourgogne, exciterait une vive répugnance dans l'esprit de François Ier. Déjà la régente avait déclaré que si l'empereur voulait traiter de la rançon du roi, elle prêterait l'oreille à ses propositions, mais que, quant à céder un pied de terre, la France n'était pas assez bas pour le faire, et que le royaume était prêt à se défendre, quoique le roi fût prisonnier. L'empereur avait donc expressément recommandé à Bourbon et à Lannoy d'employer, pour faire ces communications au roi, les paroles les plus honnêtes et les plus douces, de manière à ne l'irriter ni le désespérer.

Quelles étaient donc ces propositions que la régente venait de rejeter sans hésiter et avec des paroles altières qui convenaient si peu à la situation ? Charles-Quint déclarait tout d'abord qu'il se contenterait de reprendre pour lui-même les possessions récemment soustraites à la maison de Bourgogne, quoiqu'il fût en droit, disait-il, de revendiquer sinon tout le royaume de France, au moins plusieurs de ses provinces. Il demandait donc que le roi de France rendit le duché de Bourgogne, accordé par le roi Jean à Philippe le Hardi et à toute sa postérité ; les comtés d'Auxerre, de Mâcon, la vicomté d'Auxonne et les autres terres cédées à ses bisaïeuls, à lui Charles-Quint, les ducs Philippe et Charles, par les traités d'Arras, de Conflans et de Péronne ; abandonnât la ville de Térouanne avec la ville et le château de Hesdin ; perdit ses droits de suzeraineté sur la Flandre et sur l'Artois ; renonçât à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples, les duchés de Milan, le comté d'Asti, la seigneurie de Gênes ; cédât la Provence au duc de Bourbon, qui la réunirait à ses anciens états pour en former un royaume indépendant ; restituât au roi d'Angleterre tout ce qui lui revenait en France ; enfin rétablit le prince d'Orange dans sa principauté confisquée[77]. François Ier devait, avant de sortir de prison, faire ratifier ce traité par les états de son royaume, qui en jureraient la perpétuelle observation, et le sanctionner de nouveau quand il serait devenu libre.

Le duc de Bourbon et le vice-roi de Naples accompagnèrent Beauraing à Pizzighettone pour communiquer ces propositions au roi et connaitre sa réponse. Elles lui parurent exorbitantes. Le seigneur roi, écrivirent Bourbon et Lannoy à Charles-Quint[78], les a trouvées bien difficiles. Cependant il déclara s'en remettre à la régente, à laquelle il donnait tous ses pouvoirs. Il écrivit le jour même à l'empereur. J'ai mandé à Madame ma mère la résolution de ce qu'il me semble qu'elle doit faire pour ma délivrance, vous suppliant la vouloir recevoir et juger en cœur d'empereur qui désire plutôt se faire honneur que me faire honte[79]. François Ier avait déjà écrit à Charles-Quint une première lettre, bien humble, remarque M. Gachard, dans laquelle il exprimait l'espoir que l'empereur userait généreusement de sa victoire et ne voudrait le contraindre à rien qui ne se dût. Je vous supplie, disait-il, de juger en votre propre cœur ce qu'il vous plaira faire de moi, étant sûr que la volonté d'un prince tel que vous êtes ne peut être accompagnée que d'honneur et de magnanimité. Il lui demandait de fixer avec une miséricordieuse convenance ce qu'il fallait pour la libération d'un roi de France, en voulant le gagner comme ami et non le désespérer. Il lui proposait de l'acquérir ainsi entièrement, et il ajoutait dans un langage que M. Mignet lui-même ne peut s'empêcher de trouver trop soumis : Vous pouvez être sûr, au lieu d'un prisonnier inutile, de rendre un roi à jamais votre esclave[80].

Aux grands et aux compagnies souveraines de son royaume François Ier tenait un plus fier et plus digne langage. Entre tant d'infélicités, leur disait-il, je n'ai reçu nul plus grand plaisir que scavoir l'obéissance que portez à Madame en vous montrant loyaux sujets et bons François, la vous recommandant toujours et mes petits enfants, qui sont les vôtres et de la chose publique. Il ajoutait qu'en continuant ainsi ils donneraient à ses ennemis beaucoup plus l'envie de le délivrer que de lui faire la guerre. Il finissait cette lettre à ses sujets, par des déclarations que M. Mignet appelle à juste titre admirables de sentiment et de langage : Comme pour mon honneur et celui de ma nation, leur disait-il, j'ai plutôt élu l'honnête prison que la honteuse fuite, soyez sûrs qu'il ne sera jamais dit que, si je n'ai été si heureux de faire le bien à mon royaume, pour envie d'être délivré, j'y fasse mal. Il affirmait qu'il aimerait mieux rester toute sa vie en prison que de causer un détriment à son pays[81]. Nobles paroles, dit à son tour M. Gachard, que l'histoire devrait graver en lettres d'or sur ses tablettes, si la conduite ultérieure de François Ier ne les avait pas démenties.

A la persuasion du vice-roi de Naples, qu'il appela auprès de lui, le royal captif offrit bientôt des concessions qui ne s'éloignaient pas beaucoup des exigences de l'empereur. Comme il avait perdu la reine Claude sa femme, il proposa d'épouser la princesse Eléonore, veuve du roi de Portugal et sœur de Charles-Quint. Il demanda que le différend relatif au duché de Bourgogne fût soumis à la décision de la justice. Si le duché était reconnu appartenir à l'empereur, on le lui restituerait ; sinon, il serait donné en dot à la reine de Portugal, et les enfants mâles que le roi aurait de son mariage en hériteraient. Il renonçait pleinement au duché de Milan, à l'état de Gênes, au royaume de Naples, à la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois ; il adhérait à la restitution de Hesdin et abandonnait toute prétention sur Tournai. Lorsque l'empereur irait se faire couronner en Italie, ou lorsqu'il exécuterait quelque entreprise en Allemagne, François Ier consentait à fournir la moitié de l'armée et à payer la moitié de la dépense. Si l'entreprise était dirigée contre les Turcs, il y prendrait part avec le même contingent de troupes, qu'il entretiendrait de ses deniers et qu'il conduirait en personne. Se substituant à l'empereur dans les engagements que celui-ci avait pris envers le roi d'Angleterre, il payerait à Henri VIII tout ce qui lui était dei. Il rendrait au duc de Bourbon ses états, ses pensions, ses offices, c'est-à-dire, de vastes provinces, des sommes considérables, les grandes charges de chambrier et de connétable, et de plus le gouvernement du Languedoc. Comme il demandait pour lui-même la sœur de Charles-Quint, promise au duc de Bourbon, il offrait de donner en mariage à ce dernier la princesse Renée, fille de Louis XII. Il lui permettait même de poursuivre en justice le droit qu'il prétendait avoir sur le comté de Provence, et il annonçait le dessein de le reconnaître comme son lieutenant-général, en le plaçant à. la tête de l'armée qu'il enverrait au secours de l'empereur, s'il ne la commandait pas en personne[82]. Ecrites sous la dictée de François Ier, en présence du vice-roi de Naples[83], ces propositions devaient être portées à Charles-Quint par don Ugo de Moncada, qui commandait la flotte espagnole avant la bataille de Pavie, avait été fait prisonnier et venait d'être échangé avec le maréchal de Montmorency. En les transmettant à l'empereur, Lannoy le suppliait de conclure une paix qui attacherait pour toujours à lui le roi de France[84]. Il lui rappelait le danger où avaient été ses affaires, la peine qu'il avait eue tant avec ses sujets qu'avec ses ennemis, et il l'engageait à saisir l'occasion d'imposer la loi à ceux qui voulaient la lui donner. Mais les offres portées par Ugo de Moncada, que la régente de France et son conseil repoussèrent comme excessives[85], l'empereur les regarda comme insuffisantes[86].

Déjà, sur le refus de ses propositions, Charles-Quint se préparait à reprendre la guerre. Il envoya le commandeur Peñalosa en Angleterre pour resserrer l'union un peu relâchée avec Henri VIII, et obtenir de lui l'argent sans lequel ses troupes ne pouvaient être mises en mouvement. Cet argent l'empereur le cherchait partout et le demandait à tout le monde. Peñalosa eut donc l'ordre de demander au roi d'Angleterre que la princesse Marie sa fille lui fût remise avec sa dot de 600.000 ducats, dont 200.000 seraient immédiatement comptés et 400.000 le seraient de mois en mois. A l'aide de cet argent, l'empereur se proposait d'entrer en France par les Pyrénées et d'y faire entrer par les Alpes l'armée d'Italie. Henri VIII était requis en même temps, aux termes du traité de Windsor, d'opérer par Calais une descente avec ses troupes, auxquelles se joindraient trois mille hommes de cavalerie et mille hommes de pied des Pays-Bas. En cas que le roi d'Angleterre ne voulût pas envoyer encore en Espagne la princesse sa fille trop jeune pour être mariée, le commandeur devait réclamer tout au moins en prêt la somme de 400.000 ducats, sans laquelle il serait impossible d'effectuer l'invasion de la France.

L'orgueilleux Henri VIII repoussa ces propositions avec hauteur. Dégageant l'empereur de la promesse qu'il avait faite d'épouser sa fille, il lui refusa tout argent pour continuer la guerre. Il répondit qu'il en avait trop fourni pour des entreprises qui avaient été profitables à l'empereur seul, tandis que lui n'avait reçu aucun des dédommagements qui lui avaient été promis. Le monarque anglais se montrait ainsi complètement éloigné de s'unir à Charles-Quint pour envahir les états de François Ier en reprenant la guerre[87]. Ce refroidissement de l'Angleterre et le mécontentement des états italiens, auxquels ses généraux avaient imposé des contributions de guerre considérables en châtiment de leur abandon ou de leur infidélité, changèrent les dispositions de l'empereur et le décidèrent à s'engager dans de nouvelles négociations pacifiques.

Dans l'intervalle, un changement s'était produit dans la situation du roi prisonnier. François Ier avait été enfermé près de trois mois dans Pizzighetone, quand ceux qui étaient chargés de le garder songèrent à le placer dans un lieu encore plus sûr. Ils jugèrent qu'il ne serait nulle part plus sûrement que dans le Château-Neuf de Naples, construit sur une bande de terre s'avançant au milieu de la mer, et ils prévinrent l'empereur de cette résolution. Le 18 mai, Lannoy alla chercher le roi à Pizzighettone. Sous l'escorte d'Alarcon et d'environ deux mille hommes, il le conduisit par le haut du Milanais, en évitant les villes, jusqu'à Gênes. Après six jours de marche il pénétra dans la citadelle avec son prisonnier, et, le 31 mai, la flotte espagnole étant prête à quitter le port, il fit descendre de grand matin, du château au môle, François Ier, qui, toujours suivi d'Alarcon et de ses arquebusiers, monta sur la galère capitane de Castille. Les seize navires composant la flotte se dirigèrent vers Porto-Fino, oh les retint le temps contraire.

Le roi éprouvait un grand déplaisir de cette translation. Il redoutait le climat de Naples, et disait que le mener au bord de la mer, c'était vouloir le faire mourir. Il crut d'abord pouvoir recouvrer sa liberté dans le passage de Gênes à Naples. Dès le 12 mai il était parvenu à donner secrètement des informations à la régente, et lui avait écrit qu'on n'aurait à combattre que quatorze galères et dix-huit cents arquebusiers espagnols. Les préparatifs pour le délivrer s'étaient poursuivis avec promptitude. Une partie de la flotte française devait se rendre le 31 mai dans les eaux de Gênes, Où la joindraient successivement les autres navires qu'on armait. Le maréchal de Montmorency, après avoir vu la régente à Lyon, avait rejoint le roi à Gênes presque à la veille de son embarquement. Il était investi du commandement général des armées de mer. Mais François Ier avait renoncé à une entreprise non moins incertaine que périlleuse, en obtenant que Lannoy le menât en Espagne auprès de Charles-Quint. Il désirait ardemment une entrevue avec l'empereur, et Lannoy lui-même souhaitait faciliter un arrangement, qu'il croyait praticable de près, impossible de loin[88]. Le vice-roi, qui redoutait d'ailleurs le climat de Naples pour son prisonnier pendant les mois d'été, se rendit donc aisément au vœu du roi, et, sans consulter les autres chefs impériaux, sans prévenir même l'empereur, il changea tout seul ce qui avait été arrêté en commun. Le 8 juin 1525, il conclut à Porto-Fino, avec le maréchal de Montmorency, un accord en vertu duquel six galères françaises se joindraient aux galères espagnoles et l'aideraient à transporter sans risque François Ier à Barcelone. Lannoy plaça des soldats espagnols sur les vaisseaux français, et, un peu avant de mettre à la voile, il écrivit du port de Villefranche à l'empereur[89] : Sire, nous avons vingt galères bien armées et suis bien asseuré du reste de l'armée de mer de France, qui ne nous fera aucun empêchement. Je vous amène le roi, ce qui, j'en suis certain, vous sera chose agréable, car il ne tiendra qu'à Votre Majesté de promptement achever ses affaires. Il monta lui-même sur le navire qui avait été préparé avec soin pour recevoir et transporter François Ier.

Le 10 juin, on fit voile vers l'Espagne. Le roi, entré dans le port de Palama le 17, arriva le 49 à Barcelone, où il fut reçu avec les plus grands honneurs. Le jour suivant, il se rendit à l'église principale de la ville pour y entendre la messe. Il traversa la ville entouré des hallebardiers du vice-roi et suivi d'une compagnie de soldats armés de piques et d'escopettes. L'église, resplendissante de lumières, avait été ornée de riches tentures ; un dais était dressé près du grand autel. Le roi ne voulut pas y prendre place, mais il s'agenouilla à côté, et se tint dans cette attitude pendant la plus grande partie de l'office, ayant derrière lui le vice-roi, Alarcon et quelques grands seigneurs. Le lendemain on remit à la voile se dirigeant vers Valence, où François Ier trouva le même accueil. De là il fut conduit dans les montagnes des Morisques, à Benisano, dont le château appartenait au gouverneur de Valence. C'était un lieu fort agréable, propre à la chasse, dont il prit le divertissement, toujours en compagnie d'Alarcon, et où il resta quelques temps.

Lannoy, accompagné du maréchal de Montmorency, était allé rendre compte à l'empereur de ce qui s'était passé et demander ses ordres pour la suite. Charles-Quint était en ce moment à Tolède, où il tenait les cortes de Castille. Il se montra étonné de l'arrivée du roi en Espagne ; il jura Dieu et l'ordre de la Toison d'or qu'il n'avait eu aucune connaissance des projets du vice-roi, ce qui frappa tout le monde car il ne lui arrivait jamais de jurer. A la surprise qu'il en éprouvait se joignait le vif mécontentement de ses généraux d'Italie, qui ressentaient comme un affront le changement de résolution du vice-roi, et lui reprochaient de l'avoir décidé tout seul et sans même les en prévenir. Bourbon et Pescara s'en étaient plaints à l'empereur dans les termes les plus violents et les plus amers. Mais le vice-roi jouissait d'une grande confiance auprès de Charles-Quint ; il parvint à le faire entrer dans ses sentiments, en lui remontrant qu'il disposerait plus complètement de son prisonnier en Espagne qu'en Italie, et qu'en le rapprochant de lui il arriverait bien mieux à ses fins par un traité auquel le roi de France se montrait enclin que par une guerre que rendaient périlleuse le refroidissement de l'Angleterre et l'animosité de l'Italie. Le maréchal de Montmorency accompagnait Lannoy ; il avait été chargé par le roi de demander trois choses à l'empereur : une entrevue qui permettrait d'aplanir en quelques instants toutes les difficultés ; une trêve, pendant laquelle l'archevêque d'Embrun, et Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, munis des pouvoirs de la régente sa mère, auraient le temps de traiter régulièrement des conditions de la paix ; enfin un sauf-conduit pour la duchesse d'Alençon[90], sa sœur, dont la présence seconderait la prompte conclusion d'un accord. Charles-Quint consentit à la trêve qui devait durer six mois, et il accorda le sauf-conduit pour la duchesse d'Alençon, en ayant soin d'avertir que si elle n'arrivait pas avec le pouvoir de céder le duché de Bourgogne, il était inutile qu'elle vînt. L'empereur se tut sur l'entrevue demandée par François Ier.

Il prit alors le parti d'établir François Ier dans le voisinage de Tolède, afin qu'il fùt plus à sa portée, et que les négociateurs de la régente pussent aisément communiquer avec lui. Il ordonna donc de le conduire au château de Madrid, située à huit lieues de Tolède. Le roi quitta assez joyeux Benisano le 20 juillet. Le gouverneur de Valence, beaucoup de seigneurs et de caballeros l'accompagnèrent jusqu'à Requena, où il trouva l'évêque d'Avila envoyé par l'empereur pour le complimenter de sa part. A Santorcaz, il revit le vice-roi de Naples aussi dépêché par l'empereur vers lui. Pendant trois semaines qu'il mit à traverser l'Espagne, de Benisano à Madrid, son voyage fut celui d'un roi et non d'un prisonnier. A Guadalajara, il reçut du duc de l'Infantado les plus magnifiques fêtes. Trois jours durant, ce grand seigneur le fit assister à des courses de taureaux, lui donna le spectacle de joutes et de tournois, lui offrit tous les divertissements qu'on ne trouvait qu'à la cour des princes. De Guadalajara, François Ier vint à Alcala de Henares. Toute la ville, ayant à sa tête la célèbre université d'Alcala, qui comptait onze mille étudiants immatriculés, se porta à sa rencontre et lui fit une réception solennelle[91]. Il arriva enfin le 17 août à Madrid, où l'attendait une plus longue et plus pénible captivité.

François Ier fut conduit et établi à l'alcazar de cette ville. Le donjon était haut, étroit et sombre. Il s'élevait non loin du Manzanares presque à sec dans cette saison, et avait vue sur la campagne aride du vaste plateau de Madrid. La chambre disposée pour le roi prisonnier n'était pas très spacieuse. Un lit pour le roi, des coffres pour les objets de son service, quelques tables et des sièges pour ceux qui étaient admis à lui tenir compagnie, composaient l'ameublement de cette chambre, dont les murailles se couvrirent bientôt de tentures à fleurs de lis apportées de France. Alarcon, placé dans le voisinage avec sa troupe d'arquebusiers, qui occupait surtout la partie inférieure de la tour, continuait à veiller sur le royal prisonnier confié à sa garde.

Les ambassadeurs de la régente, François de Tournon, archevêque d'Embrun, et Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, étaient arrivés à Tolède dès le 15 juillet, et avaient eu le 17 leur audience de l'empereur. Leurs instructions leur défendaient de consentir à aucune cession du territoire français, et ils devaient se borner à proposer une rançon en argent, ainsi que le double mariage du roi avec la reine Eléonore, sœur de Charles-Quint, et du dauphin avec sa nièce, la fille de la reine Eléonore. Ils pouvaient renoncer successivement au royaume de Naples, au duché de Milan, à la seigneurie de Gênes, au comté d'Asti, à la ville de Hesdin, à celle de Tournai, à la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois. Là se bornaient les pouvoirs de ces envoyés. L'empereur les renvoya aux gens de son conseil. C'étaient le grand chancelier, l'habile et opiniâtre Mercurin de Gattinara ; le grand chambellan, comte Henri de Nassau ; le vice-roi de Naples, le gouverneur de Bresse, Gorrevod, son mayordomo mayor ; le grand commandeur de Santiago, Hernando de Vega, un des fidèles serviteurs de son aïeul Ferdinand le catholique ; le seigneur de Rœulx Beauraing et le secrétaire d'état Jean Allemand.

Les conseillers impériaux et les négociateurs français débattirent les intérêts et maintinrent les prétentions des deux parties avec une ardeur et une opiniâtreté égales dans des conférences qui se prolongèrent en s'animant[92]. D'aucun côté on n'entendait rien céder. L'empereur réclamait avant tout la Bourgogne ; et les ambassadeurs de la régente, nous venons de le dire, avaient pour instructions formelles de ne pas y renoncer. François Ier lui-même venait de le leur défendre expressément. Le moins que vous pourriez offrir de cela, leur avait il écrit[93], seroit trop pour mon vouloir. Les conférences devenant plus agitées et restant tout à fait inutiles, se rompirent. De Selve et l'archevêque d'Embrun en adressèrent la relation au roi prisonnier. Celui-ci, ayant pris connaissance des exigences du conseil de l'empereur, dicta une protestation, dans laquelle il disait qu'il aimoit mieux tolérer longue prison que faire chose à lui honteuse et dommageable à son royaume[94]. Toutefois, ne se croyant sans doute pas sûr de lui-même, il déclara d'avance nulle et sans valeur la cession de la Bourgogne faite par contrainte, et annonça que, redevenu libre, il en poursuivrait le recouvrement avec toutes les forces de son royaume contre celui qui la lui aurait ainsi arrachée[95].

Après que les négociations eurent été suspendues, François Ier, voyant que Charles-Quint se refusait à une entrevue, sentant que l'espoir de sa délivrance s'éloignait de plus en plus, tomba dans une mélancolique tristesse. Jusque là sa santé était restée parfaite. Les soins les plus empressés, au reste, lui avaient été prodigués, les attentions les plus respectueuses l'avaient toujours entouré. Les ambassadeurs de France mandaient eux-mêmes au parlement de Paris qu'il estoit tant et si humainement traité et honoré qu'il n'estoit possible de plus, hormis la liberté[96]. A Madrid, les égards avaient redoublé : il avait la faculté d'aller dans les champs, de se promener sur sa mule, de chasser quand cela lui faisait plaisir[97]. Malgré tout cela, la fièvre le saisit ; et cette fièvre, se continuant avec des redoublements, fut le signe d'une maladie des plus graves. En vain les médecins, y compris celui de l'empereur que Charles s'était empressé de lui envoyer, épuisèrent toutes leurs ressources, rien n'y fit, et le malade resta insensible aux consolations que lui apporta Lannoy de la part de l'empereur. Un abcès profond s'était formé vers le haut de la tête, et cet abcès, en se développant, avait amené un accablement qui semblait mortel. Le lundi 18 septembre, après plus de vingt jours de maladie, François Ier était sans mouvement et presque sans connaissance.

Alarcon dépêcha un courrier à l'empereur pour l'informer de cette situation, et lui dire que s'il voulait voir encore le roi et chercher à le relever par sa présence et ses paroles, il avait besoin de se hâter. L'empereur était allé à la chasse du côté de Ségovie ; il avait écrit à François Ier qu'apprenant la durée de sa maladie, et regrettant d'avoir passé naguère près du lieu où il était alors bien portant sans le voir, il n'y passerait pas cette fois sans le visiter, et qu'il serait auprès de lui le mardi. Le mardi était le 19 septembre. Charles-Quint arriva des environs de Ségovie à San-Agustin le lundi 18, quelques heures avant la fin du jour. Il comptait y coucher lorsqu'il reçut la dépêche d'Alarcon. Sans attendre le lendemain, il résolut d'aller visiter François Ier pour lui donner la satisfaction que ce dernier avait ardemment désirée et essayer de le ramener à la vie par l'espérance de sa prochaine liberté. Il dit à ceux qui l'accompagnaient qu'ils eussent à se préparer, s'ils voulaient le suivre. Il monta à cheval avec les ducs de Calabre, de Bejar et de Najara, qui ne le quittèrent point, et il parcourut à toute bride en deux heures et demie les six grandes lieues qui le séparaient de Madrid. Il y arriva entre huit et neuf heures du soir, et se rendit sur le champ à l'Alcazar. Laissant à la porte de la chambre du roi les ducs qui lui faisaient cortège, de peur de fatiguer le malade, il y entra avec le seul vice-roi de Naples, éclairé par le maréchal de Montmorency, qui portait devant lui un flambeau.

En voyant l'empereur, François Ier se releva avec effort sur son lit et s'inclina. Charles-Quint se jeta dans ses bras, et ils se tinrent pendant quelques temps étroitement embrassés sans proférer une parole. Le roi rompit le premier le silence, et dit : Seigneur, vous voyez devant vous votre prisonnier et votre esclave. — Non, répondit affectueusement l'empereur, mais mon bon frère et véritable ami que je tiens pour libre. — Votre esclave, ajouta le roi. — Mon bon frère et ami qui deviendra libre, repartit avec insistance l'empereur ; je ne désire rien plus que votre santé, ne pensez qu'à elle ; tout le reste se fera, seigneur, comme vous pouvez le souhaiter. — Il en sera ce que vous ordonnerez, continua le roi ; mais, seigneur, je vous en supplie, qu'il n'y ait pas d'intermédiaire entre vous et moi[98]. François Ier retomba fatigué, et lorsque l'empereur sortit, après avoir passé quelques instants encore à ses côtés, le roi ne put pas donner la main aux ducs de Calabre, de Bejar, de Najara, qui entrèrent pour lui faire la révérence.

Le lendemain, l'empereur retourna auprès du roi. Il n'oublia rien pour lui rendre la confiance ; mais le royal prisonnier parla à l'empereur comme s'il n'espérait pas survivre à son mal. Il le supplia, s'il succombait, d'avoir ses fils pour recommandés, de les prendre sous sa protection et de les défendre contre ceux qui les attaqueraient. Charles-Quint le rassura, et, au moment même, on annonça que la duchesse d'Alençon était arrivée et qu'elle approchait de l'Alcazar. Cette princesse était partie de France au milieu des plus grandes chaleurs de l'été pour venir au fond de l'Espagne travailler à la délivrance de son frère. Sa mère l'avait investie de tous les pouvoirs nécessaires pour cette délicate négociation, avec l'espérance que les charmes de sa personne et les ressources de son dévouement la conduiraient à bonne fin. Montée le 27 août sur la flotte qui devait la transporter en Espagne, elle avait pris terre à Barcelone, où l'empereur avait envoyé don Ugo de Moncada à sa rencontre, Sur la route de Barcelone à Madrid, elle avait appris la grave maladie du roi son frère, et, remplie d'anxiété, elle avait mis encore plus de hâte à parcourir l'espace qui la séparait de lui. Le cardinal-légat Salviati, que Clément VII avait dépêché vers l'empereur, et qu'elle rencontra et dépassa en route, dit qu'elle se rendait en volant à Madrid. Elle y arriva le 20 septembre 1525, le lendemain de la première visite que l'empereur avait faite à François Ier. L'empereur descendit jusqu'au bas de l'escalier de l'Alcazar pour la recevoir. Elle était vêtue tout en blanc, à cause de la mort récente de son mari, le duc d'Alençon, et elle avait le visage en pleurs. L'empereur lui fit le meilleur accueil, y ajouta quelques paroles de consolation et la conduisit auprès du roi son frère. Après quelques instants passés avec eux, il les laissa et le même jour il repartit pour Tolède.

La visite de l'empereur et l'arrivée de sa sœur parurent ranimer le malade ; un mieux momentané se déclara, mais trois jours après, son état empira de nouveau. La fièvre devint plus forte et l'accablement du malade excessif. Le jour suivant, 24 septembre, il tomba dans une insensibilité complète, et les médecins de l'empereur comme les siens déclarèrent qu'il était perdu. Il resta plusieurs heures sans parler et sans entendre, ne voyant rien et ne reconnaissant personne. Le bruit de sa mort se répandit dans la ville, et de là dans toute l'Espagne et jusqu'à Paris. La duchesse d'Alençon, ne comptant plus sur aucun remède humain, fit dresser un autel dans la chambre du roi ; l'archevêque d'Embrun y dit la messe, à laquelle assistèrent, en priant et en pleurant, les gentilshommes de son frère et les dames de sa suite. Au moment de l'élévation, le célébrant, s'adressant au roi, qui depuis quelque temps ne donnait plus aucun signe de vie, l'exhorta à regarder le Saint-Sacrement. Le roi ouvrit les yeux et leva les mains. A la fin de la messe, on présenta au roi la sainte hostie pour qu'il l'adorât. C'est mon Dieu, dit-il, qui me guérira l'âme et le corps, je vous prie que je le reçoive. On craignait qu'il ne pût avaler l'aliment sacré : Si, répliqua-t-il, je le ferai. Alors l'hostie ayant été partagée en deux à la demande de la duchesse, le roi en reçut la moitié avec la plus grande dévotion, et sa sœur, communiant avec lui, reçut l'autre moitié au milieu de toute l'assistance qui fondait en larmes[99]. Une crise salutaire se produisit à partir de ce moment même. L'abcès que le roi avait dans la tête s'ouvrit en dehors ; c'est ce qui le sauva[100]. Il fut ainsi rendu à la vie, mais demeura dans une grande faiblesse.

L'empereur avait ordonné qu'on fit des prières publiques à l'intention du roi prisonnier ; il apprit avec une vive satisfaction son rétablissement inespéré. Bientôt Marguerite de Valois put quitter son frère convalescent pour aller suivre auprès de Charles-Quint la grande négociation qui l'avait conduite en Espagne. Elle arriva le mardi 3 octobre à Tolède. L'empereur avait envoyé au devant d'elle le duc de Médina-Cœli à une lieue de la ville. Il sortit lui-même de son palais pour la recevoir, accompagné du duc de Calabre, de l'archevêque de Tolède, et de beaucoup de seigneurs et de caballeros. Il la rencontra sur la place de Zocodover, ayant à ses côtés l'archevêque d'Embrun avec quelques grands personnages de France, et suivie de ses femmes à cheval comme elle. Du plus loin qu'il la vit, l'empereur ôta son bonnet et s'approcha d'elle avec la plus grande courtoisie. L'ayant placée à sa droite, il la conduisit lui-même au palais de don Diego de Mendoza, comte de Mélito, où son logis avait été préparé. A la porte, il prit congé de la duchesse, le béret à la main, et retourna à son palais.

Le lendemain Marguerite vint l'entretenir du projet de paix avec la France et discuter les conditions auxquelles pourrait être délivré le roi son frère. Charles-Quint demeura pendant deux heures en conférence avec elle. Il n'avait avec lui aucun des membres de son conseil ni des grands officiers de sa cour, et il avait voulu, par une aimable déférence, que la porte de la chambre dans laquelle il conférait avec la duchesse fût gardée par une de ses femmes[101]. Mais tout en se montrant courtois, il ne se relâcha en rien de ses exigences sur ce qui lui appartenait. La duchesse d'Alençon proposa, en même temps que la renonciation aux souverainetés de l'Italie et à la suzeraineté sur une partie des Pays-Bas, le mariage du roi son frère avec la reine Eléonore, qui recevrait de l'empereur le duché de Bourgogne en dot. Charles-Quint n'adhéra point à cette proposition, qui le privait de la possession effective du duché, tout en le lui concédant, et il répondit que sa sœur était promise au duc de Bourbon. La duchesse offrit ensuite la somme qui conviendrait à l'empereur pour la rançon de son prisonnier. Charles assura qu'il ne voulait point de rançon et qu'il ne demandait pas autre chose que ce qui lui était dû. La duchesse offrit alors la mise en possession du duché de Bourgogne aussitôt que le roi serait rentré dans son royaume, mais à une double condition : 10 que le droit au duché serait jugé par le parlement de Paris garni de pairs ; 20 que l'empereur donnerait des otages de la restitution du duché, si le jugement n'était pas en sa faveur. Charles-Quint refusa encore. Il n'admettait point que le parlement de Paris et les pairs du royaume de France pussent être des juges impartiaux et équitables. Il consentit toutefois à faire décider le différend par des arbitres nommés de part et d'autre. La duchesse d'Alençon ne rejeta point cette proposition, et, elle la communiqua aux commissaires français, qui ne furent pas d'avis de l'accepter. Ils décidèrent la duchesse à retirer son adhésion, au grand contentement de l'empereur, qui, de son côté, était fâché d'avoir donné la sienne[102]. Enfin, pour accorder à Charles-Quint, sinon le pays qu'il revendiquait, du moins le titre auquel il semblait tenir, la duchesse lui offrit la vicomté d'Auxonne, qui serait réunie à la comté de Bourgogne, érigée en duché ; mais l'empereur rejeta bien loin une offre qu'il traita de dérisoire[103].

Lorsque François Ier eut connaissance du maintien des exigences de l'empereur, il renouvela le consentement donné par lui à ce qui avait été offert en son nom, et rejeta fièrement le reste, en accompagnant ses refus d'observations amères ou ironiques. Il écrivit ensuite cette lettre à Charles-Quint. Monsieur mon frère, j'ai entendu par l'archevêque d'Embrun et mon premier président de Paris la résolution que leur avez dite sur le fait de ma délivrance, et me déplaît de quoy ce que vous demandez n'est en mon possible : car vous cognoistriez qu'il ne tiendroit à moi que je fusse et démeurasse votre amy. Mais cognoissant que plus honnestement vous ne pouvez dire que vous me voulez toujours tenir prisonnier que de me demander chose impossible de ma part, je me suis résolu prendre la prison en gré, estant sûr que Dieu, qui sçait que je ne l'ay méritée longue, estant prisonnier de bonne guerre, me donnera la force de la pouvoir porter patiemment, et n'ay regret sinon que le fruit de vos honnestes paroles qu'il vous pleust me tenir en ma maladie n'ait sorti son effect, ayant peur que le bien de la chrétienté ne soit doresnavant si bien conduit au service de Dieu qu'il eust été, moy demeurant par sang et mariage vostre bon frère et amy François[104]. La duchesse d'Alençon, n'ayant plus rien à attendre, prit congé de l'empereur, et quitta Tolède, le 13 octobre, pour se rendre à Madrid auprès du roi son frère.

La négociation sembla complètement abandonnée pendant un mois. Mais François Ier se lassa le premier de ce silence. Il prit occasion de l'arrivée de Gabriel de Gramont, évêque de Tarbes[105], accrédité comme ambassadeur de France auprès de Charles-Quint, pour faire encore une tentative. L'évêque de Tarbes demanda que les plénipotentiaires français fussent admis à présenter des propositions nouvelles au nom du roi leur maitre. Charles-Quint y consentit. Les commissaires français lui offrirent trois millions d'écus d'or, en revenant toujours sur le mariage de la reine Eléonore, qui recevrait le duché de Bourgogne en dot[106]. Cette somme eût été pour l'empereur une ressource inappréciable ; elle l'aurait mis à même, non seulement de payer ses troupes, dont la solde était depuis longtemps arriérée, mais encore de pourvoir à d'autres nécessités publiques. Charles-Quint n'en répondit pas moins qu'il ne voulait pas prendre de rançon du roi, qu'il voulait rentrer seulement dans les domaines héréditaires enlevés à son aïeule par un des prédécesseurs du roi actuel. Cette reprise des pourparlers, dans laquelle l'empereur se montra plus que jamais résolu et posa comme condition absolue de la paix sa mise en possession de la Bourgogne préalablement à la délivrance du roi, qui serait garantie par des Stages, n'eut pas plus de suite et dura encore moins que les précédentes. Elle cessa au bout de quelques jours par la visible impossibilité de s'entendre.

François Ier n'avait pu rien obtenir de l'inexorable Charles-Quint, que n'avaient ébranlé ni l'abandon du roi d'Angleterre, ni l'attitude menaçante de l'Italie, ni les prières du royal captif, ni l'offre d'une immense rançon Il essaya si la crainte de perdre tous les avantages que l'empereur pouvait retirer de sa délivrance ne le rendrait pas moins inflexible dans ses résolutions. Il parut résigné à une captivité durable et prêt à donner un autre roi à la France en cessant de l'être lui-même. Il ne laissait plus dès lors qu'un prisonnier ordinaire entre les mains de l'empereur[107]. En présence de l'archevêque d'Embrun, du maréchal de Montmorency, du premier président de Selve, de La Barre, prévôt de Paris, il abdiqua en faveur du dauphin son fils. Dans les lettres patentes destinées au couronnement de son successeur[108], qu'il signa devant eux et qu'il fit contresigner par le secrétaire Robertet, il disait : Qu'il avait plu à Dieu de lui sauver la vie et l'honneur à la bataille de Pavie ; que, mis entre les mains de l'empereur, il en avait espéré humanité, clémence et honnêteté comme d'un prince chrétien et d'un proche parent ; que, gravement malade pendant sa prison et dans un état désespéré, cette maladie extrême n'avait pas ému le cœur de l'empereur et ne l'avait pas porté à le délivrer ; que, pour obtenir sa délivrance et conclure une paix profitable à toute la chrétienté, il avait fait les offres les plus considérables ; que les ambassadeurs de la régente sa mère et sa sœur, la duchesse d'Alençon, venue à travers la mer et la terre, n'avaient rien omis de ce qui pouvait disposer l'empereur à faire acte d'honneur et d'humanité, tout en recevant la plus grande rançon qui pût se donner pour le plus grand prince du monde et en établissant une étroite alliance au moyen d'un double mariage de sa sœur avec lui et de sa nièce avec le dauphin ; que l'empereur s'y était refusé et n'avait pas voulu le délivrer jusqu'à ce qu'il fût mis en possession du duché de Bourgogne, des comtés de Mâcon et d'Auxerre, de Bar-sur-Seine, outre d'autres demandes non moins dommageables et déraisonnables qu'il avait rejetées. Nous avons plus tôt résolu, disait-il dans un langage ému, endurer telle et si longue prison qu'il plaira à Dieu que nous portions. Nous la lui offrons avec nostre liberté, pour le bien, union, paix, conservation de nos subjets et royaulme, pour lesquels vouldrions employer non seulement nostre vie, mais celle de nos très chers enfants, qui sont nés, non pour nous, mais pour le bien de nostre royaulme, et vrays enfants de la chose publique de France.

Il prescrivait en même temps que le dauphin, son fils et son successeur, fût couronné et sacré avec les solennités accoutumées et fût dès à présent tenu pour roi très chrétien par ses sujets. Il désignait la duchesse d'Angoulême, sa mère, pour exercer la régence pendant la minorité de son fils, lui substituait en cas de mort la duchesse d'Alençon, sa sœur, les invitait à prendre dans les actes du nouveau règne le conseil des princes, des prélats, du chancelier, du président, des autres officiers du royaume. S'il était délivré plus tard, il se réservait de remonter sur le trône, ce qui, sans annuler le couronnement de son fils, en suspendrait les effets jusqu'à son trépas. Afin de compléter cet arrangement et pour faire croire, dit M. Mignet, à la sincérité de ses sentiments comme à la réalité de ses mesures, il parut vouloir s'établir d'une manière commode dans une prison qui ne devait plus s'ouvrir. Il envoya le maréchal de Montmorency demander à l'empereur soixante personnes qui resteraient attachées à son service pendant sa captivité. C'étaient entre autres un maitre d'hôtel, un secrétaire, des cuisiniers, des sommeliers, un aumônier, le médecin Burganey, un apothicaire, un chirurgien, des officiers pour les différents services, et, afin de le distraire et de le divertir, quatre pages qui savaient chanter, avec ses trois joueurs de luth, d'espinette et de viscontin[109] ; c'était toute une maison enfin destinée à adoucir ou faciliter une captivité perpétuelle.

En ce moment-là même, Charles-Quint recevait des conseils contradictoires. Pescara lui écrivait pour le conjurer de délivrer le roi son prisonnier, sans exiger la Bourgogne, pourvu que le roi lui cédât l'Italie. En paix avec la France, il soumettrait à jamais la péninsule italienne, tandis qu'il s'exposait par leur mécontentement commun et par leur union à recommencer la guerre avec l'une et l'autre[110]. Louis de Bruges, sieur de Praet, en lui annonçant le projet d'abdication de François Ier et en avouant que retenir ce prince en prison c'était paralyser pour toujours sa puissance, insinuait néanmoins que peut-être il valait mieux se montrer généreux à son égard que trop exigeant, et ne pas lui imposer des conditions dures et humiliantes auxquelles il ne se soumettrait qu'avec l'intention de s'y soustraire. Il assurait que cela serait facile à François Ier une fois rentré dans son royaume, qui, tout épuisé qu'il était, le seconderait avec une adhésion ardente et une fidélité dévouée. Il concluait à le garder toujours prisonnier ou à le renvoyer pleinement satisfait, à l'annuler par la captivité comme ennemi, ou à le gagner par la magnanimité comme ami[111].

Charles-Quint ne fut ébranlé ni par ces conseils, ni par ces insinuations. Avec cette fixité dans les résolutions une fois prises qui tenait autant à son esprit qu'à son caractère, il ne céda à aucune considération de sûreté ou d'utilité. Suivant donc ses propres dispositions autant que les avis du chancelier Gattinara, il résolut de ne jamais délivrer le roi, si le roi ne lui restituait pas la Bourgogne. Le projet d'abdication de François Ier ne l'ébranla point, soit qu'il le considérât comme réel, soit qu'il n'y vit qu'un subterfuge, mais il se montra prêt à lui rendre plus commode le séjour d'une prison sans terme.

Dans l'intervalle, François Ier chercha à se rendre libre au moyen d'une évasion. Un esclave nègre qui était chargé d'entretenir le feu dans sa chambre, fut facilement gagné. Le roi, après s'être teint en noir le visage et les mains, devait prendre les vêtements tin nègre, en profitant pour s'évader de l'obscurité du soir. Le secret fut livré par trahison. Charles-Quint ne voulait pas y croire, tant un pareil déguisement lui semblait indigne d'un grand prince comme le roi très chrétien[112]. Cependant il s'apprêta à confiner son prisonnier dans un lieu où il pût être placé avec encore plus de sécurité et confié à la garde d'un personnel plus sûr et moins nombreux.

C'est alors que la régente Louise de Savoie fit partir pour l'Espagne Chabot de Brion, chargé de ses dernières instructions pour ses ambassadeurs à Tolède. Ces instructions les autorisaient à conclure la paix en cédant à l'empereur tout ce qu'il demandait. Elle leur disait que la délivrance du roi était d'un prix inestimable pour le royaume ; que la longue captivité du roi aurait les inconvénients les plus graves[113], que le dauphin ne serait de longtemps en âge et en état de gouverner, qu'elle même ne saurait porter toujours un si grand faix ; que le royaume pourrait tomber dans la confusion et souffrir des maux irréparables ; que chacun regretterait alors de n'avoir pas racheté le roi ; qu'on avait cédé bien davantage par le traité d'Arras afin de séparer le duc de Bourgogne du roi d'Angleterre ; que le roi Jean, fait prisonnier à la bataille de Poitiers, avait été racheté par bien plus de terres et d'argent, quoiqu'il eût un fils en mesure de gouverner ; qu'en croyant sauver un duché on exposerait le royaume à se perdre, le roi à rester prisonnier, ses enfants à être détruits[114].

François Ier fit dire, de son côté, à l'empereur par Charles de Lannoy, que s'il voulait désigner de nouveau des plénipotentiaires, la paix cette fois serait bientôt faite. Charles-Quint n'en nomma que trois, et il les choisit parmi ceux qui étaient les plus favorables au roi : c'étaient le vice-roi de Naples, le prieur de Messine, celui de Moncada, et le premier secrétaire d'état Jean Lallemand. François Ier donna aux négociateurs français des instructions semblables à celles qu'ils venaient de recevoir de sa mère. Non seulement il les chargeait de renouveler de sa part toutes les concessions précédemment faites, mais il les autorisait à restituer le duché de Bourgogne et ses dépendances, avec exemption de droit de ressort à la couronne de France. Il ne se bornait pas à les y inviter, il le leur commandait, les déchargeant de toute responsabilité s'ils lui obéissaient, et les menaçant de son animadversion, s'ils s'y refusaient. Par là vous rendrez à nous et à notre royaume un service qui jamais ne sera oublié ; si vous différiez au contraire de faire ce que nous vous commandons, vous nous feriez desservice, dommage et desplaisir irréparable[115]. Mais comme cette cession ne paraissait exécutable que si le roi était présent dans son royaume, François Ier offrait de donner ses deux fils aînés pour Mages de la cession promise, promettant de retourner en captivité s'il ne parvenait point à détacher le duché de Bourgogne de la couronne de France, et il persistait à demander d'épouser la sœur de Charles-Quint.

Cette fois Charles ne pouvait pas s'opposer à un mariage qui était une condition de la paix et le moyen de rentrer en possession de ce qu'il avait si opiniâtrement réclamé ; mais pour donner à François Ier la reine de Portugal, il fallait la refuser au duc de Bourbon. L'engagement envers celui-ci était ancien, formel, et le chancelier Gattinara en déclarait la rupture impossible. L'empereur, placé entre sa parole et sa politique, était fort embarrassé. Il consulta la volonté de sa sœur. Lorsque la duchesse d'Alençon l'avait demandée la première fois en mariage pour François Ier, la reine Eléonore avait annoncé que la volonté de son frère serait la sienne. Mais à cette seconde demande, influencée, paraît-il, par Lannoy ennemi déclaré de Bourbon et en ce moment en lutte ouverte avec lui, elle se prononça sans hésitation et déclara sa préférence pour François Ier[116]. Bourbon, instruit de tout, dégagea l'empereur de sa promesse, et celui-ci, pour l'en récompenser, lui donna le duché de Milan.

En vue de ce mariage, Charles-Quint abandonnait les comtés de Mâcon et d'Auxerre, ainsi que la seigneurie de Bar-sur-Seine, annexes du duché de Bourgogne, qu'il laissait en dot à sa sœur. Mais pouvait-il consentir à délivrer d'abord le roi sous la promesse de recouvrer ensuite le duché ? Il consulta son conseil à ce sujet, Lannoy surtout fut de cet avis. Il soutint qu'une pareille cession de territoire ne pourrait être arrachée à la France que par l'active volonté du roi, dont la présente dès lors devenait indispensable. Il faisait valoir les avantages d'une paix, dont la délivrance préalable du roi était le seul moyen. L'empereur, disait-il, pourrait arranger sans obstacle et sans dépense ses affaires d'Italie, où il consoliderait sa domination après s'y être fait couronner ; mettre à l'abri de tout péril et de toute sujétion les Pays-Bas agrandis et indépendants ; poursuivre les desseins qu'il avait de repousser les Turcs de la Hongrie, de rétablir en Allemagne la foi religieuse ébranlée, et de se rendre ainsi, comme il en avait la pensée, le défenseur de la chrétienté et le restaurateur du catholicisme, sans être troublé par l'opposition de personne, et en étant secondé par les forces de son ancien adversaire, devenu son nouvel allié[117].

Le chancelier Gattinara fut d'une opinion contraire. Il affirmait que si l'empereur n'exigeait pas la restitution immédiate du duché, il ne l'obtiendrait jamais ; que le roi de France ne tiendrait pas plus l'engagement qu'il offrait de prendre aujourd'hui, qu'il n'avait tenu les promesses qu'il avait faites précédemment ; que la guerre recommencerait et que tout serait remis en question ; que les fils du roi donnés en étages de sa parole seraient laissés en captivité, sans profit pour l'empereur et sans détriment pour le roi. Il dit résolument qu'il fallait rendre le roi libre sans lui imposer de conditions ou le retenir toujours prisonnier. Il refusa même de dresser, en sa qualité de chancelier, un traité qu'il regardait comme devant compromettre et peut-être faire perdre entièrement les fruits de la dernière victoire[118].

L'avis du vice-roi, dont le crédit était grand sur l'esprit de Charles-Quint[119], l'emporta. Les avantages concédés furent acceptés sous les conditions où ils étaient offerts. Prenant envers François Ier les sûretés les plus variées, l'empereur tint à l'engager comme père, comme roi, comme gentilhomme. Le père dut livrer ses deux fils aînés pour otages ; le roi se lier par son serment et sa signature, le gentilhomme donner sa parole sous la foi de chevalier. Le traité fut dressé, le 10 décembre, conformément à toutes les conditions convenues. François Ier promettait de le ratifier six semaines après être redevenu libre, de le faire accepter par les états et les parlements du royaume en moins de quatre mois, et, s'il ne parvenait pas à effectuer les restitutions stipulées, il s'engageait à rentrer dans sa prison et à y reprendre la place du dauphin son fils aîné et du duc d'Orléans son second fils, qui, au moment de sa délivrance, seraient remis à l'empereur comme otages de sa fidélité[120].

Le 14 janvier 1526, le traité devait être apporté à François Ier dans l'Alcazar et recevoir sa solennelle adhésion. La veille du jour où le roi, en apparence résigné, était appelé à signer et à jurer cet engagement, il réunit dans sa chambre le président de Selve, l'archevêque d'Embrun, le maréchal de Montmorency, Chabot de Brion, le prévôt de Paris La Barre, le secrétaire Bayard, et, après avoir pris leur serment de tenir secret tout ce qui allait se faire, il protesta[121] contre le traité auquel il était contraint de se soumettre, et il annula lui-même les obligations qu'il était sur le point de contracter, comme attentatoires aux droits de sa couronne, dommageables à la France, injurieuses à son honneur. Il rappela qu'il avait plusieurs fois annoncé, soit en Italie, soit en Espagne, à Lannoy comme à Alarcon, que, si on le forçait de les prendre, il ne se croirait pas tenu de les observer. Il fit l'historique de sa captivité ; il raconta les promesses de l'empereur pendant sa maladie et l'inexécution de ces promesses après son rétablissement ; il énuméra les tentatives multipliées de négociations pour sa délivrance, les offres si considérables et les raisons si fortes faites et données avec tant d'humilité par les ambassadeurs de la régente sa mère et la duchesse d'Alençon sa sœur, et il condamna les exigences de l'empereur comme iniques en soi, impossibles pour lui, inacceptables pour son royaume. C'est pourquoi, dit-il, l'empereur lui faisant promettre choses exhorbitantes qu'il ne peut tenir en son honneur et qui mettroient la France en servitude, il déclare devant Dieu et en présence des dessus nommés... qu'il cède par contrainte et longueur de prison et pour éviter les maux qui pourroient en advenir, à ce que l'empereur lui impose ; mais il proteste que tout ce qui est convenu au traité sera de nul effet, et qu'il est délibéré de garder les droits de la couronne de France.

Ainsi donc, ne peut s'empêcher de remarquer l'historien français auquel nous empruntons la plupart de ces détails, ainsi donc il se dégage de ses promesses comme roi, parce qu'il les trouve injustes, et il projette même de manquer à sa parole de chevalier, parce qu'elle ne lui est pas demandée avec confiance et qu'il ne la donnera pas en liberté. Il assure qu'il aimerait mieux mourir que de l'enfreindre s'il la donnait en étant libre, mais que, l'empereur l'exigeant d'un prisonnier qu'il surveille, il n'est pas tenu, d'après les lois de la chevalerie, de la lui garder. Tout en avançant ces maximes sur la violation légitime des engagements onéreux et sur lé manquement régulier aux paroles contraintes, il est saisi de certains scrupules, et il déclare qu'il ne veut pas frustrer l'empereur de ce qu'il doit pour la liberté qu'il va prendre. Seulement, ce qu'il doit, il se reconnaît le pouvoir de le déterminer lui-même. Il dit que pour mettre Dieu et la justice de son côté, il entend faire envers l'empereur tout ce qu'un roi prisonnier de bonne guerre peut et doit raisonnablement faire. La rançon qu'il offrira rendra manifeste à chacun qu'il veut faire justice de lui-même et se mettre en son devoir. Après s'être attribué subtilement le droit d'enfreindre plus tard, selon sa convenance et par sa seule volonté, le traité qu'il allait conclure, il commande de nouveau à ses trois ambassadeurs de signer le lendemain l'engagement qu'il rompait d'avance la veille, les rendant ainsi confidents et complices de son futur manque de foi[122].

Le 14 janvier 1526, un autel fut dressé dans la chambre du roi. L'archevêque d'Embrun y célébra la messe. Le traité fut ensuite lu d'un bout à l'autre ; puis le roi, et après lui les plénipotentiaires de France et d'Espagne firent serment sur l'Evangile de l'observer dans toutes ses dispositions. Cette première cérémonie terminée, une autre d'un caractère non moins solennel lui succéda. Au même moment, on vit se lever François Ier et Charles de Lannoy. Celui-ci rappela respectueusement au roi ce qui lui restait à faire comme chevalier. Alors François Ier lui répondit : Monsieur le vice-roi, mon cousin, je vous promets que j'avois assez juré ma foi par ce que maintenant j'ai juré et signé, et qu'avons tous ouï lire : car l'empereur ni vous, ni homme au monde ne trouvera jamais faulte en cela. Toutefois pour ce qu'il est vrai que je lui offris semblablement de lui donner ma foi en la manière que vous me requérez, c'est raison, puisque je veulx accomplir bien et loyalement ce que j'ai promis, que je n'en sçaurois donner trop de seureté. Mon cousin, je vous tiens pour gentilhomme de nom et d'armes connues, et puisque je scais que l'empereur vous a habilité de son costé, je veulx davantage que soyez habilité du mien, et dès maintenant vous habilite et vous tiens pour habileté par lui et par moi, pour prendre et recevoir ma foi en son nom. Puis, après qu'on fut convenu des termes dans lesquels l'engagement allait être pris, le roi se découvrant et mettant sa main droite dans celle du vice-roi, prononça à haute voix les paroles suivantes : je, François, roi de France, gentilhomme, donne ma foi à l'empereur Charles, roi catholique, gentilhomme, en la personne de vous, Charles de Lannoy, commis et habilité par lui et par moi pour la recevoir, que, en cas que, dedans six semaines après le jour que l'empereur m'aura fait délivrer et effectivement mis en liberté dans mon royaulme de France, au lieu et selon que par le traité de paix est dict, je ne lui accomplisse la restitution du duché de Bourgogne et aultres pièces déclarées par icelui traité, que j'ai maintenant juré et signé, et selon la forme d'icelui, et pareillement en cas que les ratifications et aultres seurtés mentionnées audict traité, selon qu'en icelui est contenu et promis, ne fussent délivrées dedans quatre mois, en chacun des dicts cas, je retournerai au pouvoir de l'empereur, et viendrai incontinent, passé ledict temps, par devers lui, quelque part qu'il soit, et me rendrai son prisonnier de guerre, comme suis de présent, pour tenir prison là où il plaira audict empereur me ordonner, tant et si longuement que le contenu audict traité soit entièrement fourni et accompli. Lannoy accepta cette déclaration, et tous deux, leurs mains droites toujours jointes ensemble, demandèrent acte de ce qui venait d'être dit. Cet acte fut dressé à l'instant par le secrétaire d'état Lallemand, en sa qualité de notaire public et impérial[123].

Aussitôt après la signature du traité, François Ier écrivit à l'empereur, pour lui en témoigner sa satisfaction, et lui exprimer le désir de le voir. Charles-Quint lui répondit que ce désir était aussi le sien, et qu'il se rendrait à Madrid dès qu'il aurait expédié les affaires les plus urgentes par lesquelles il était retenu à Tolède. En attendant, il lui envoya le comte d'Egmont, pour le visiter de sa part[124]. L'empereur écrivit en même temps à la régente de France dans des termes empreints des sentiments d'une extrême confiance et d'une vive tendresse. Cette fois il l'appelait sa mère. Puisque j'ai recouvré dans le roi votre fils un bon frère, lui disait-il[125], et que je vous baille la reine ma sœur pour fille, il m'a semblé que je devois reprendre le nom dont autrefois j'avois usé et vous tenir pour bonne mère. Et puisque pour telle vous tiens, je vous prie que vers la reine ma sœur et aussi vers moi en veuillez faire les œuvres.

Charles-Quint s'était hâté d'affermir les liens de cette nouvelle amitié en les resserrant par l'union convenue de François Ier et de la reine Eléonore. Lannoy avait reçu de cette princesse les pouvoirs nécessaires pour conclure son mariage avec le roi très chrétien. Il se rendit auprès du roi houssé et éperonné[126], prêt à partir pour Tolède afin d'y rendre compte à l'empereur de l'accomplissement de cette dernière formalité. Il trouva François Ier couché et repris de la fièvre depuis la veille. Ce fut du lit que le monarque prononça les paroles des fiançailles, que le vice-roi de Naples répéta au nom de la reine Eléonore. Dès que François Ier eut connu l'intention de l'empereur sur le titre qu'il devait donner à sa fiancée, il écrivit à la reine Eléonore, que Charles-Quint voulut qu'il appelât désormais sa femme, une lettre qu'il lui fit porter par le sieur de Bryon, et à laquelle elle s'empressa de répondre[127].

Le traité de Madrid n'entraînait pas un changement immédiat dans la situation de François Ier : c'était seulement le 10 mars que l'empereur s'était engagé à le rendre libre. On se relâcha toutefois des mesures de surveillance observées jusque-là à son égard. Le 29 janvier, il alla en litière à. Notre-Dame d'Atocha entendre les vêpres, et revint sur la mule qu'il montait habituellement ; le lendemain, il assista à la messe dans un des couvents de la ville, où il passa toute la journée. Lorsqu'il sortait, la curiosité du public était vivement excitée ; les personnes qui souffraient des écrouelles ne manquaient pas de se présenter sur son passage, pour être touchées par lui. A cette époque, il avait recouvré toute sa santé, et se portait si bien qu'il se sentait capable, disait-il à ses serviteurs, de courir le cerf[128].

Charles-Quint quitta Tolède le 12 février ; il avait, ce jour-là même, malgré les remontrances réitérées de son grand chancelier, donné sa ratification au traité de Madrid. François Ier alla au-devant de lui, le lendemain, jusque près du pont construit sur le Manzanares ; il avait un manteau de drap frisé et une épée à l'espagnole ; il était monté sur sa mule richement harnachée ; à sa droite marchait le grand maitre de Rhodes, Villiers de l'Ile-Adam, et le capitaine Alarcon à sa gauche ; des caballeros nombreux formaient l'escorte. Charles-Quint, vêtu de velours noir, était à cheval ; il était accompagné de ses principaux officiers et d'environ deux cent cinquante hommes d'armes[129]. Lorsque les deux monarques se furent joints, ils s'embrassèrent avec de grandes démonstrations d'amitié[130]. Il s'agissait de savoir qui aurait la droite ; l'un et l'autre s'en défendaient avec la même vivacité ; après bien des compliments, l'empereur céda. Ils arrivèrent ainsi à l'Alcazar, où ils prirent part, à la même table, à un souper somptueux ; ils restèrent seuls ensuite pendant un très long temps[131].

François Ier demanda à Charles-Quint deux choses auxquelles il attachait une grande importance : la première était de voir le plus tôt possible la reine, sa fiancée ; l'autre de l'emmener en France avec lui. L'empereur y consentit volontiers. Il fut convenu que la reine le suivrait à quatre ou cinq journées de distance, de façon à se trouver à Bayonne au moment même où le roi aurait à ratifier le traité. Charles-Quint, de son côté, pria le roi d'accorder au duc de Bourbon une pension de vingt mille livres, jusqu'à ce que le procès pendant au sujet du comté de Provence fût décidé, ce que François Ier promit sans hésiter.

Le 16 février, les deux monarques partirent à. cheval de Madrid pour aller voir la reine Eléonore, venue de Tolède à Ilescas, l'une des possessions de l'archevêque primat des Espagnes. Ils s'arrêtèrent ce jour-là à Torrejon de Velasco, et se rendirent le lendemain à Illescas, qui n'en était éloigné que de deux lieues. La reine Eléonore attendait dans une galerie, avec la reine Germaine de Foix, veuve en premières noces de Ferdinand le catholique et en secondes du margrave de Brandebourg, ainsi que les dames de sa suite. Après les révérences d'usage, Eléonore voulut prendre la main du roi pour la baiser, mais celui-ci l'embrassa ; il embrassa aussi Germaine de Foix, et donna aux autres dames sa main à baiser. Prenant ensuite sous le bras la reine sa fiancée tandis que l'empereur conduisait de la même manière la veuve de son aïeul, ils entrèrent dans une salle où une fête leur avait été préparée. Les deux monarques assistèrent à cette fête pendant deux heures et retournèrent fort avant dans la nuit coucher à Torrejon. Le lendemain, ils revinrent à Illescas dans la même litière, et ils visitèrent de nouveau la nouvelle reine de France, qui leur donna, avec la marquise de Zenette, femme du comte de Nassau, grand chambellan de l'empereur, le spectacle d'une danse espagnole[132].

Après sept jours passés dans la plus grande intimité[133], le 19 février, les deux monarques partirent ensemble de Torrejon à cheval, l'un pour se rendre à Madrid et de là en France, l'autre pour aller se marier à Séville avec l'infante Isabelle de Portugal, cette épouse si aimée et si vite perdue. Charles-Quint accompagna François Ier jusqu'à un jet d'arc de Torrejon. Arrivés à un chemin qui se bifurquait et où ils devaient se séparer, l'empereur, se rappelant les défiances du chancelier Gattinara et ne pouvant se défendre lui-même de quelque inquiétude sur l'exécution du traité, tira le roi à part et lui dit : Mon frère, vous souvenez-vous des engagements que vous avez pris avec moi ?Sans doute, répondit François Ier, et je puis vous répéter tous les articles du traité que nous avons conclu. — Assurez-moi que vous les exécuterez fidèlement de votre côté comme je vais les exécuter du mien ; celui de nous deux qui manquerait à l'autre serait réputé justement un méchant homme et un lâcheJe les accomplirai exactement dès que je serai dans mon royaume, répliqua François Ier ; rien ne saurait m'en empêcher. — Dans la longue guerre que nous avons eue ensemble, continua Charles-Quint, je ne vous ai jamais haï ; mais si vous me trompiez, en ce qui touche surtout la reine votre femme et ma sœur, je le prendrais à si grande injure que j'aurais votre personne en haine, et chercherais tous les moyens d'en tirer vengeance et de vous faire le plus de mal que je pourrais. — Je vous jure, dit en finissant François Ier, que je veux maintenir tout ce que j'ai promis[134]. Après ces mots, ils se saluèrent en se recommandant l'un et l'autre à la garde de Dieu.

Le 21 février, François Ier quitta avec joie et définitivement ce triste château de Madrid, où il avait été enfermé six mois, et où, dit M. Mignet, après avoir fièrement préféré une prison perpétuelle à une paix honteuse, il avait fini par sacrifier sa parole à sa liberté et promis sous un double serment ce qu'il était décidé à ne pas tenir. Il partit sous la conduite du vice-roi de Naples[135] et sous l'escorte d'Alarcon. Arrivé à Aranda, sur le Douero, étant encore éloigné de cinquante lieues du royaume de France, Lannoy régla, le 26 février, d'accord avec le roi, comment il serait procédé à sa délivrance. Dix jours avant et dix jours après, il ne devait y avoir, à vingt lieues de distance de la frontière, ni réunion d'hommes de guerre, ni assemblée de gens du pays. Douze personnes envoyées par le vice-roi, au nom de l'empereur, visiteraient préalablement la frontière dans toute son étendue et lui rendraient un compte exact de ce qu'ils y auraient vu. Le jour de l'échange, entre Fontarabie et Andaye, au milieu de la Bidassoa, d'où toutes les barques seraient éloignées et de l'embouchure de laquelle, dans le golfe de Biscaye, n'approchaient plus les navires français et espagnols, aucun gentilhomme de la maison du roi, aucun archer de sa garde, aucun cavalier de son royaume ne pourrait dépasser Saint-Jean-de-Luz[136].

Le 4 mars, François Ier atteignit Vittoria, non loin du revers méridional des Pyrénées, dans la plaine de l'Alava. Comme on n'avait reçu aucune nouvelle de la régente, vers laquelle avaient été dépêchés Chabot de Brion et le commandeur Peñalosa, le vice-roi n'avança pas davantage. La régente n'avait cependant pas perdu de temps. Le maréchal de Montmorency avait apporté à Lyon, le 29 janvier 1526, le traité de Madrid. Louise de Savoie avait quitté la résidence qu'elle y occupait, et le 1er février elle s'était mise en route pour se rendre à Bayonne. Elle était suivie d'une partie de la cour et accompagnée du docteur Taylor et de Louis de Praet, ambassadeurs de Henri VIII et de Charles-Quint. De la route elle annonça cette paix au royaume, sans en faire connaître les conditions. Elle se bornait à montrer les heureux résultats qu'aurait la délivrance du roi, et elle demandait une levée de deniers pour faire face aux engagements contractés envers le roi d'Angleterre. Arrivée à Roanne, elle s'embarqua sur la Loire, grossie par des pluies extraordinaires, et se rendit, non sans lenteur et sans péril, d'abord à Blois, puis à Amboise, où étaient les enfants de France. Dans l'alternative laissée par le traité de Madrid de livrer comme otages le dauphin et douze des principaux personnages du royaume, ou bien de remettre les deux fils ainés du roi, elle choisit, d'accord avec son conseil, ce dernier parti. Quoiqu'il en contât à son affection, elle se décida à donner en otage un de ses petit-fils de plus et à conserver en France ceux qui restaient les derniers soutiens de l'État. Prenant avec elle le dauphin, âgé de huit ans et demi, et le duc d'Orléans, qui allait atteindre sa septième année, elle s'achemina vers Bayonne, où elle parvint le 15 mars au soir. Apprenant son approche, le vice-roi était parti le 7 de Vittoria, et avait conduit le roi dans la forte place de Saint-Sébastien, à trois lieues de l'embouchure de la Bidassoa. Il fut réglé que le 17, à sept heures du matin, se ferait l'échange de François Ier et de ses deux fils sur la rivière qui sépare le royaume de France des terres d'Espagne[137].

Ce jour-là, à l'heure fixée, arrivèrent, aux bords déserts de la Bidassoa, le vice-roi accompagnant François Ier, Lautrec conduisant le dauphin et le duc d'Orléans. Au milieu de la rivière, entre Fontarabie et Andaye, avait été placé un ponton en forme d'estrade que des ancres retenaient immobile à une égale distance des deux rives. Deux barques d'égale dimension, montées par un pareil nombre de rameurs, étaient préparées sur chaque rive. A l'heure marquée, Lannoy entra dans l'une avec François Ier, et Lautrec dans l'autre avec le dauphin et le duc d'Orléans. Chacun d'eux était escorté de dix gentilshommes. Les barques, parties ensemble, s'avancèrent d'un mouvement égal vers le ponton, où elles arrivèrent au même moment. Lannoy, que suivit Alarcon, monta sur l'estrade avec François Ier, pendant que Lautrec y paraissait tenant par la main les enfants de France. Le dauphin et le duc d'Orléans, s'approchant de leur père, dont ils allaient prendre la place, lui baisèrent la main, et le vice-roi dit alors à François Ier : Sire, maintenant Votre Altesse est libre ; qu'elle accomplisse ce qu'elle a promis. — Tout sera fait, répondit le roi. Il embrassa ses enfants, et, descendant dans la barque qui les avait conduits, il fut ramené au rivage. En abordant la terre de France, il ne put contenir sa joie, et, s'élançant à cheval, il s'écria : Maintenant je suis roi ! je suis roi encore ! Puis il se rendit à Saint-Jean-de Luz, où les seigneurs de la cour, le chancelier Du Prat et l'ambassadeur d'Angleterre étaient venus à sa rencontre. Il arriva le même jour à Bayonne, et, mettant pied à terre, il alla à la grande église de cette ville rendre grâce à Dieu de sa délivrance et offrir les vifs témoignages de sa reconnaissance à sa mère, qui venait de montrer tant d'actif dévouement et une habileté si remarquable dans le gouvernement d'un royaume si éprouvé.

Maintenant qu'il était libre et rentré dans ses états, François Ier avait à se décider entre l'accomplissement et le rejet du traité de Madrid. Il faut bien le dire, on ne s'attendait pas à l'y voir rester fidèle. Le nonce du pape écrivait de Tolède après la conclusion : les accords faits par la crainte ne se maintiennent pas[138]. Le peu scrupuleux Henri VIII chargeait même ses ambassadeurs auprès de François Ier, d'insinuer à ce prince qu'il ne devait pas exécuter une convention aussi exorbitante, dont l'observation exposerait la couronne de France aux plus grands dommages et ouvrirait le chemin qui mènerait l'empereur, comme il disait, à la monarchie de la chrétienté[139]. François Ier, au reste, n'avait pas besoin qu'on l'y exhortât, il était bien résolu à le faire, mais il hésitait à le dire. Dès son arrivée à Bayonne, l'ambassadeur de Charles-Quint, Louis de Praet lui ayant demandé la ratification qu'il devait donner dans la première ville de son royaume, il ajourna cette ratification sous un prétexte plausible. Il en fut de même à Mont-de-Marsan, où le commandeur Peñalosa, envoyé par Lannoy, se joignit à Louis de Praet pour le presser de ne pas la retarder davantage. Il allégua cette fois que le traité, rendu public par l'empereur, avait causé un grand déplaisir à ses sujets et excité de grands murmures dans son royaume ; que les principaux personnages de l'état, dont il aurait voulu s'aider pour le faire admettre, lui écrivaient de ne pas le ratifier ; que de la Bourgogne on lui annonçait que la cession de cette province unie et incorporée inséparablement à la couronne ne pouvait pas être opérée sans le consentement des états du pays, qui ne le donneraient jamais, et qu'il n'obtiendrait pas davantage l'adhésion des états généraux du royaume et l'enregistrement des cours du parlement, non moins nécessaire à une pareille aliénation[140].

Aussitôt que Charles-Quint connut les réponses évasives de François Ier, il prescrivit à Lannoy, qui était resté à Vittoria avec la reine Eléonore, de se rendre auprès du roi très chrétien afin de l'inviter à remplir tous les engagements du traité de Madrid, dont il avait contribué par ses conseils à faire adoucir les clauses et diminuer les précautions. Lannoy partit en toute hâte, et il arriva le 8 mai 1526 à Cognac, en Saintonge, où François Ier s'était arrêté. Le vice-roi de Naples, après lui avoir parlé de l'empereur son maître, le conjura lui-même dans l'intérêt de leurs états et pour le maintien de leur alliance, de ne pas manquer à ce qu'il avait si solennellement promis. Il n'admit point qu'un prince d'autant de puissance que lui rencontrât à cet égard la moindre résistance dans son royaume. Chacun sait, lui dit-il, qu'avec l'autorité que Votre Majesté a dans ses pays et l'obéissance que ses sujets lui portent, elle obtiendra tout ce qu'elle demandera et fera tout ce qu'elle voudra[141].

Deux jours après, le vice-roi de Naples et l'ambassadeur Louis de Praet furent appelés devant le conseil du roi pour y recevoir la réponse qui devait être faite en son nom. Le chancelier Du Prat leur déclara que le roi ne pouvait pas détacher la Bourgogne du royaume de France. Il ajouta que si les sujets du roi étaient obéissants et disposés à lui accorder tout ce qu'il leur demanderait pour le fait de ses guerres, ils ne consentiraient jamais à une diminution notable du patrimoine royal. François Ier lui-même s'expliqua nettement alors, et sans recourir plus longtemps à des délais ou à des prétextes, il dit qu'il n'avait pas pu donner sa foi et qu'il n'était pas lié par son serment, parce qu'on avait exigé l'une et qu'il avait prêté l'autre pendant qu'il était en prison et demeurait étroitement gardé[142]. D'après le droit de la guerre, selon lui, les promesses faites sans qu'on fût en liberté n'obligeaient pas. Il assura néanmoins qu'il souhaitait conserver l'union établie entre l'empereur et lui et se montra prêt à accomplir du traité tout ce qui était possible, en demandant que le reste fût réduit à raison et honnesteté. Lannoy ayant désiré savoir ce que le roi trouvait impossible et ce qu'il regardait comme raisonnable, afin d'en instruire l'empereur seul en mesure de faire une nouvelle capitulation, il lui fut répondu que ce qui ne pouvait pas s'exécuter, c'était la cession de la Bourgogne ; ce qu'il était convenable d'offrir et d'accepter c'était une forte rançon en argent. En rendant compte de sa mission à Charles-Quint, Lannoy lui dit[143] : Je ne vois apparence que l'on vous donne la Bourgogne. Persuadé en même temps que le fier et loyal empereur ne consentirait pas à traiter sur d'autres bases et à recevoir en échange de cette province la somme tant de fois refusée de deux millions d'écus d'or, il sollicita son prompt renvoi en Italie, où il prévoyait que la lutte allait recommencer plus animée et plus terrible que jamais.

En effet, tout se préparait, dans la péninsule, pour une alliance générale contre Charles-Quint. Les Italiens, livrés aux déprédations de son armée et aux exactions de ses généraux, voyaient en lui dans le moment un oppresseur de leur pays et dans l'avenir le maître redouté de toute la péninsule. Bien que sa puissance fût très grande, la crainte l'exagérait encore, et, on lui supposait le dessein d'aspirer à la monarchie universelle. Ce dessein, que Charles-Quint, selon la remarque de M. Mignet, ne pouvait pas plus concevoir que réaliser, causait une inquiétude générale. Il excitait la jalousie soupçonneuse du roi d'Angleterre, l'inimitié intéressée du roi de France, et provoquait la coalition prévoyante des potentats alarmés de l'Italie.

Pour soustraire la péninsule au joug des Impériaux et la rétablir dans son indépendance, Clément VII reprit alors un plan de confédération, projeté deux fois déjà entre les états italiens et la régente de France. De concert avec la république de Venise, disposant des forces de la république de Florence[144], assuré de l'assentiment du duc Francesco Sforza, toujours assiégé dans la citadelle de Milan, le pape négocia avec François Ici une ligue protectrice de l'Italie. La république chrétienne, était-il dit dans le préambule du traité qui déterminait le but et les moyens de la confédération[145], est livrée depuis tant d'années à des guerres continuelles et en est à tel point bouleversée et affaiblie, que si Dieu ne met pas un terme à ces guerres cruelles et n'aide pas la république pacifiée à respirer un peu, elle est visiblement bien près de sa fin. Ce mortel danger est d'autant plus à craindre que d'une guerre ancienne sortent toujours des guerres nouvelles et qu'au moment où la matière de l'incendie semble consumée, la flamme reparaît en s'accroissant encore ; ce que voyant et retournant en son esprit notre très-saint seigneur Clément VII, pontife suprême et pasteur très-vigilant, il a résolu de tout tenter afin de pourvoir au salut et à la sécurité de la république chrétienne et d'établir entre les princes chrétiens une paix vraie et stable.

François Ier accueillit avec joie les propositions qui lui furent transmises par le nonce du pape, chevalier Caprimo de Capo, et l'envoyé du doge de Venise, André Roberto, secrétaire de la république. Il était encore à Cognac, où il tint longtemps sa cour, avec les princes du sang, les grands officiers de la couronne, les membres de son conseil et beaucoup de grands seigneurs du royaume. Il adhéra bien vite aux propositions des négociateurs italiens, et régla avec eux les stipulations du traité de Cognac. Ce traité fut signé le 22 mai 1526, et reçut le nom de sainte ligue. Il était conclu entre le souverain pontife Clément VII, le roi très chrétien François Ier, la république de Venise, la république de Florence, le duc de Milan Francesco Sforza, à l'instigation du roi d'Angleterre, qui en était déclaré le protecteur et donnait à espérer qu'il en ferait partie ; on y avait laissé place pour l'empereur et les autres princes de la chrétienté.

Il était spécifié dans le traité de Cognac : 1° que le duc Sforza recouvrerait la pleine et libre possession du duché de Milan et que les états de l'Italie seraient replacés dans la position où ils se trouvaient avant la guerre ; 2° que les enfants du roi de France donnés en otages à l'empereur seraient délivrés moyennant une rançon raisonnable en argent ; 3° que l'empereur n'irait se faire couronner en Italie qu'avec la suite qui conviendrait au pape et aux Vénitiens, et qui serait fixée en vue de la sécurité commune ; 4° que, trois mois après la conclusion du traité, il payerait toutes les sommes qu'il devait au roi d'Angleterre. Comme il était certain que Charles-Quint ne souscrirait point à des conditions si contraires à sa puissance et à sa dignité, dans la prévoyance de ce refus, les confédérés décidèrent la formation d'une armée capable de soustraire l'Italie à sa dépendance et de lui arracher la délivrance des enfants de François Ier.

Chacun des confédérés devait y contribuer dans des proportions déterminées. Le pape et les Florentins mettraient en campagne huit cents hommes d'armes, sept cents chevau-légers et huit mille fantassins ; les Vénitiens huit cents hommes d'armes, mille chevau-légers et quatre mille fantassins ; le duc de Milan quatre cents hommes d'armes, trois cents chevau-légers et quatre mille fantassins. En attendant que Francesco Sforza fût débloqué, le pape et les Vénitiens se chargeaient de fournir son contingent à sa place. Le roi très chrétien devait faire passer immédiatement cinq cents lances françaises au delà des Alpes, payer chaque mois au pape et aux Vénitiens quarante mille écus, avec lesquels serait levé et soldé un corps considérable de Suisses. Il ferait en même temps la guerre à l'empereur au delà des Pyrénées, avec une armée de deux mille lances et de dix mille hommes de pied pourvue d'une artillerie convenable[146]. Il était convenu, en outre, que toutes ces forces seraient aidées par douze galères qu'équiperait le roi de France, treize qu'armeraient les Vénitiens, et trois galères pontificales auxquelles se joindraient les galères du célèbre marin de ce temps, André Doria, que Clément VII prenait à sa solde.

Dans l'arrangement futur de l'Italie enlevée à Charles-Quint, François Ier devait obtenir bien au delà de ce qu'il aurait naguère osé prétendre. Le duc Sforza, à qui serait donnée en mariage une princesse du sang royal de France, lui ferait tenir annuellement cinquante mille ducats en compensation de ses anciens droits. Il lui céderait de plus le comté d'Asti, comme bien dotal de Valentine Visconti, dont il descendait. François Ier recouvrerait aussi la seigneurie de Gènes, qui resterait toutefois administrée par un doge. Enfin celui que le pape investirait du royaume de Naples, payerait au roi de France une pension annuelle qui ne serait pas moindre de soixante-quinze mille ducats.

Charles-Quint était bien loin de s'attendre à la nouvelle guerre, que rendait inévitable le traité de Cognac. En se séparant de François Ier sur le chemin de Torrejon à Tolède, il était parti pour Séville, où il devait épouser l'infante Isabelle de Portugal. Cette princesse, qu'il aima d'une affection si tendre tant qu'elle vécut et qui lui laissa des regrets si durables, lorsqu'il la perdit, lui apportait en dot un million de ducats dont une bonne partie avait déjà été dépensée[147]. L'empereur fit son entrée à Séville au milieu des témoignages d'un enthousiasme indescriptible. Huit arcs de triomphe, érigés en son honneur, étaient consacrés à sa prudence, à sa force, à sa clémence, à la paix qu'il venait de donner au monde, à la justice qui le rendait l'image de Dieu sur la terre, à la gloire qui signalait toutes ses actions, à la Fortune qui lui soumettait l'univers. Sur l'un de ces arcs de triomphe, il était représenté ayant un globe à ses pieds, tenant l'épée d'une main, le sceptre de l'autre, et dominant les divers peuples de ses états qui s'écriaient avec satisfaction : il est victorieux, il règne, il commande[148]. A l'arc de triomphe où était figurée la Fortune lui livrant l'empire de la terre, se lisait cette fastueuse et malhabile inscription : le très grand Charles règne maintenant sur l'univers et c'est à bon droit que lui est soumise toute la machine du monde[149].

La paix faite avec François Ier et le mariage avec l'infante Isabelle accompli, Charles-Quint avait le projet d'aller en Italie et de passer ensuite en Allemagne pour s'y opposer tout à la fois aux progrès des Luthériens et aux agressions des Turcs. Le duc Henri de Brunswich était venu lui faire connaître à Séville, de la part des princes catholiques armés, la situation de l'empire, que les doctrines de Luther bouleversaient au dedans et que les armées de Soliman menaçaient du dehors. Empereur élu en 1519, Charles-Quint était hors de l'Allemagne depuis 1521. Pendant les cinq années de son absence, l'empire où il avait laissé comme son lieutenant l'archiduc Ferdinand, qui n'y avait pas assez d'autorité, était tombé de plus en plus dans le trouble. L'édit que Charles-Quint avait porté en 1521 dans la diète de Worms contre Luther, qu'il avait mis au ban de l'empire, était resté inexécuté après son départ. Le hardi novateur, sorti de son asile de la Wartbourg, où l'électeur Frédéric de Saxe l'avait tenu quelque temps caché, était revenu à Wittemberg, où il prêchait avec plus d'audace que jamais sa nouvelle doctrine devenue une religion. De la Saxe électorale elle avait gagné la Hesse, et s'était étendue dans presque toute l'Allemagne du nord et de l'ouest. Les princes qui l'avait embrassée allaient s'aboucher à Torgau, et les plus décidés d'entre eux, entre lesquels il faut nommer l'électeur de Saxe Jean Frédéric et le landgrave de Hesse Philippe le Magnanime, devaient s'unir à Magdebourg dans une sorte de confédération pour résister aux princes demeurés fidèles à l'ancienne foi et soutenus par l'empereur dont ces princes avaient invoqué l'assistance.

Charles-Quint était en effet décidé à leur venir en aide. Il avait renvoyé le duc Henri de Brunswick en Allemagne avec des instructions secrètes adressées au prince-évêque de Strasbourg et au duc Eric de Brunswick, chargés, l'un dans les cercles du midi, l'autre dans les cercles du nord-ouest de l'Empire, d'unir fortement ensemble tous les états demeurés catholiques, afin d'arrêter, disait-il, la doctrine séductrice et damnée de Luther, qui s'étendait de jour en jour dans le saint-empire, et dont il avait l'intention de prévenir les suites dangereuses[150]. Il écrivait en même temps à son frère l'archiduc Ferdinand, qui devait présider, comme son lieutenant, la prochaine diète de Spire qu'il ferait son possible pour partir à la Saint-Jean (le 24 juin) de cette année[151].

Mais bien avant le 24 juin l'empereur apprit que son prisonnier, devenu libre, ajournait d'abord, puis refusait la pleine exécution du traité de Madrid. Il en fut bouleversé. Il est silencieux et retiré, écrivait au milieu du mois d'avril l'ambassadeur d'Angleterre Lee au roi Henri VIII ; il passe bien souvent trois ou quatre heures de suite seul et livré à ses réflexions. Il n'a depuis son mariage ni plaisir ni contentement[152]. Il comprit alors la faute qu'il avait faite en ne délivrant pas François Ier sans exiger de lui au préalable la Bourgogne. Tous ses plans étaient renversés. Au lieu d'aller prendre la couronne au delà des Alpes, au lieu de courir au secours de la vieille foi ébranlée au delà du Rhin, de l'Allemagne menacée dans la vallée du Danube par les Turcs prêts à gagner la meurtrière bataille de Mohacz, il fallait rester au fond de l'Espagne et envoyer en Italie tout ce qui pourrait y faciliter la victoire et rétablir sa domination

Sur ces entrefaites, l'ambassadeur de François Ier, Jean de Calvimont, second président du parlement de Bordeaux, le comte Balthazar Castiglione, nonce de Clément VII, et André Navagero, ambassadeur de la république de Venise, vinrent l'informer officiellement de la ligue conclue à Cognac et lui demander d'y adhérer. Le Président de Bordeaux, qui était un personnage tout d'une pièce[153], comme l'appelle M. Mignet, prenant le premier la parole, dit donc à Charles-Quint que, conformément à un article de la ligue conclue entre sa sainteté le pape, le roi son maître et les seigneurs vénitiens, il priait et sommait Sa Majesté[154], par le commandement du roi très chrétien, que son plaisir fût, laissant toute dissimulation de côté et ne songeant qu'au bien commun de la chrétienté, de conclure une bonne paix avec lui et de lui rendre ses enfants en touchant pour leur rançon une forte somme de deniers, qu'il raffermirait ainsi le lien de leur amitié, et que, recevant de lui un tel bienfait, le roi de France ne l'oublierait jamais. Il ajouta que les confédérés, dans cette sainte ligue, conclue pour le bien universel, lui adressaient la même requête. Le nonce, avec plus de discrétion et en peu de mots, lui demanda la même chose.

L'empereur contint un moment l'indignation qu'il ressentait et qu'avait surtout excitée le mot de sommé[155], dont venait de se servir l'envoyé français. Il répondit tout d'abord au nonce Qu'il avait toujours été très disposé à la paix universelle, que ce n'était pas pour une autre cause qu'il avait délivré le roi très chrétien ; qu'il ne jugeait pas convenable d'entrer dans cette ligue, parce que, faite en apparence sous la couleur du bien public, elle l'était en réalité contre lui. Il ajouta que sa sainteté lui avait adressé un bref où lui étaient imputés des torts et adressé des blâmes à son avis sans fondement, qu'il lui serait aisé de s'en disculper, et qu'il souhaitait pour cela un concile général dans lequel on les discuterait et qui en serait juge. Trouvé coupable, il se soumettrait à la raison. Sa sainteté voulait-elle l'accepter pour fils, il serait un fils aussi bon, aussi humble, aussi obéissant que pape en eut jamais. Voulait-on sincèrement une paix universelle, il en établirait les conditions de façon à faire voir clairement à chacun qu'il était plus disposé à donner du sien qu'à prendre celui d'autrui. Il finit en disant : Mais rendre au roi de France ses enfants est hors de propos... Je suis comme la monture de Balaam, plus on l'éperonnait pour la pousser en avant, plus elle se rejetait en arrière[156].

Se tournant alors vers l'ambassadeur de François Ier, il lui dit : Si votre roi avait tenu ce qu'il m'avait promis, il ne serait pas nécessaire de proposer aujourd'hui de nouveaux arrangements. Il ne me convient pas de lui rendre ses enfants pour de l'argent. Je n'ai pas voulu d'argent pour le délivrer. Il m'a trompé : je ne me fierai jamais plus à lui, sans avoir de gage de sa parole. Aujourd'hui il me semble en avoir de bons entre les mains. S'il compte les avoir par force, je l'assure qu'il n'y parviendra pas tant qu'il restera pierre sur pierre dans un de mes royaumes, fussé-je forcé de reculer jusqu'à Grenade. J'ai usé envers lui de libéralité et de magnanimité, et lui a usé envers moi de pusillanimité et de perfidie. Il n'a point agi en vrai chevalier, ni en vrai gentilhomme, mais méchamment et faussement. Je vous demande, comme à son ambassadeur, que le roi très chrétien me garde la foi qu'il m'a donnée de redevenir mon prisonnier, s'il ne satisfaisait pas à ses promesses. Plût à Dieu que ce différend eût à se débattre entre nous deux, de sa personne à la mienne, sans exposer tant de chrétiens à la mort I Je crois que Dieu montrerait sa justice[157]. Cela dit avec véhémence, l'empereur congédia les ambassadeurs de la ligue.

Charles-Quint avait voulu faire un dernier effort pour enlever l'appui de l'Italie au roi de France par un arrangement direct avec le pape et avec Francesco-Sforza. Il fit partir, au mois de juin, d'Espagne pour l'Italie le prieur de Messine don Ugo de Moncada, qu'il chargea de cette mission. Celui-ci, des Alpes à Rome, passa, comme il le disait lui-même, entre les piques et les escopettes, au cri de meurent les Espagnols[158]. A Milan, Sforza refusa de s'entendre tout seul avec l'empereur, en déclarant qu'il ne pouvait ni ne voulait se séparer des confédérés qui lui venaient en aide. Le pape fut un moment ébranlé, mais les choses étaient trop avancées, les engagements trop nombreux, les préparatifs trop considérables pour qu'il pût reculer. D'ailleurs le désir de délivrer l'Italie des Impériaux, cette vieille et si légitime politique pontificale, était plus forte dans l'esprit de Clément VII que les dangers dont il se voyait visiblement menacé, et dont Ugo de Moncada ne lui avait pas épargné les sinistres présages. Dans une dernière audience, il dit à Moncada et au duc de Sessa que décidément et après y avoir bien pensé, il ne trouvait aucun moyen de rompre ce qu'il avait conclu depuis si peu de temps, et que pour rien au monde il n'entacherait son honneur et ne manquerait à sa parole[159]. Les ambassadeurs de Charles-Quint se retirèrent, non sans avoir répliqué : Votre sainteté nous met la guerre entre les mains ; elle nous aura donc pour excusés, si nous prenons les armes pour la défense des états de l'empereur, puisqu'elle nous y contraint[160].

En ce moment là même, la guerre était recommencée dans la haute Italie. Sans attendre les troupes que devait leur envoyer François Ier sans être joints par les Suisses qu'on levait pour eux avec l'argent de la France, les confédérés s'avancèrent vers le Milanais. Ils avaient des intelligences dans plusieurs des villes principales, fatiguées de la domination de l'étranger. A l'aide de ces intelligences, un corps de troupes vénitiennes pénétra dans Lodi, d'où le marquis del Vasto, accouru de Milan, ne parvint pas à les déloger. La prise de cette forte place, située sur l'Adda à deux marches de Milan, produisit un effet immense en Italie. L'armée vénitienne, franchissant l'Adda, parut dans la Lombardie milanaise. L'armée pontificale se mit alors en mouvement, passa le Pô à Plaisance et opéra sa jonction avec l'armée vénitienne.

Les deux armées réunies étaient assez considérables pour entreprendre d'attaquer les Impériaux dans Milan, oui ils s'étaient concentrés. Ils y étaient au nombre de sept à huit mille, tant Espagnols que lansquenets. Depuis six mois ils avaient accablé cette malheureuse ville de leurs incessantes déprédations. Pescara les y avait conduits, et avait occupé les principaux points de la ville, et particulièrement le domo, empêchant qu'on ne sonnât la grosse cloche à aucune heure ni pour aucune raison, de peur qu'elle ne devînt le signal d'un soulèvement populaire[161]. Tant qu'il avait vécu, il avait contenu la ville, tout en faisant subsister son armée à ses dépens. Après sa mort, le commandement avaient été partagé entre Antonio de Leiva, l'énergique défenseur de Pavie, et le marquis del Vasto, l'un des capitaines qui avaient le plus contribué à la dernière victoire, sans que ces deux chefs éminents montrassent jamais ni rivalité ni désaccord. Ils continuèrent à serrer de près le château pour empêcher le ravitaillement ; mais ils se trouvèrent bientôt dans le plus grand embarras à l'égard de leurs troupes. Ils ne recevaient point d'argent de l'empereur, et leur petite armée était depuis longtemps sans solde. Laissant alors les lansquenets auprès du château, ils dispersèrent les Espagnols autour de Milan, afin de les mettre les uns et les autres à la charge de la ville et de son territoire. Pendant que les Espagnols rançonnaient les campagnes, Antonio de Leiva et le marquis del Vasto taxaient les habitants de la ville en envoyant des bulletins aux marchands, avec injonction de payer, les uns mille écus, les autres cinq cents, qui plus, qui moins. Les Milanais prirent alors une résolution désespérée. Ils fermèrent les boutiques dans la ville morte et désolée, et trois jours de suite, ils firent des processions solennelles pour invoquer l'assistance divine et y puiser la force de résister à l'oppression étrangère.

Le troisième jour, 24 avril, les soldats se présentèrent chez l'un de ceux qui avaient été taxés à la contribution de cinq cents écus. Il se barricada dans sa maison, et les chassa à coup de pierre. Ils revinrent bientôt en plus grand nombre ; mais, aidé de ses voisins et des gens de sa rue, le Milanais les repoussa de nouveau. Tous ensembles, ils poursuivirent les soldats en criant aux armes, aux armes ! et donnèrent le signal de l'insurrection au reste de la ville. Antonio de Leiva, qui occupait la Corte, palais où se rendait la justice, alarmé de ce mouvement populaire, se retira précipitamment au milieu des lansquenets placés autour du château. Les habitants soulevés s'arment de piques, de mousquets, de haches, de tous les instruments qui se trouvent sous leurs mains[162]. Au bruit de toutes les cloches des églises, ils parcourent en armes les rues de Milan, s'emparent de la Corte, prennent le clocher du domo, dont ils mettent en branle la grosse cloche. A ce signal, les assiégés de la citadelle font une sortie contre les lansquenets, qui ne sachant à qui faire tête, abandonnent leur position. Il fallait en trouver une autre. Pour cela ils passèrent le pont, et s'étant concentrés derrière San Jacobo, s'y fortifièrent du mieux qu'ils purent avec des charrettes, des tonneaux, des ouvrages en terre et des bastions élevés à la hâte.

Vers le milieu de juin, lorsque les troupes pontificales se rapprochaient du côté de Plaisance et les troupes vénitiennes à peu de distance de Brescia, le marquis del Vasto et Antonio de Leiva comprirent qu'ils ne pouvaient pas laisser les Milanais en armes pendant qu'ils étaient eux-mêmes exposés à une agression imminente. Ils reprirent l'investissement du château et résolurent de désarmer la ville avant que les soldats de la ligue s'approchassent de ses murailles. Le 17 juin, les Espagnols appelés du dehors se joignirent aux lansquenets sortis de leur camp retranché, et tous ensemble tuèrent ou désarmèrent ceux qui tentaient de leur résister, de telle façon qu'au bout de deux jours ils occupèrent de nouveau Milan. Ils s'y établirent comme dans une ville conquise, et y vécurent à discrétion.

Milan était dans cet état d'oppression lorsque les troupes vénitiennes, après avoir pris Lodi, franchirent l'Adda et opérèrent leur jonction avec les troupes pontificales. Les Impériaux, beaucoup plus faibles que les confédérés, s'attendaient à être attaqués d'un moment à l'autre. Les confédérés étaient placés sous les ordres de Jean-Marie de la Rovere, duc d'Urbin, général expérimenté, mais trop circonspect. Ne voulant rien donner au hasard, il avait résolu de ne rien entreprendre avant d'avoir reçu les solides bataillons de l'infanterie suisse, qu'il attendait et qui n'arrivaient pas. Il s'avança à leur rencontre, mais à pas comptés, faisant à peine deux milles par jour. Le 30 juin il était encore à Marignan. Il s'achemina enfin vers Milan, et le 3 juillet il atteignit San-Donato non loin de cette ville. Pressé par les capitaines confédérés plus hardis que lui, il consentit à faire une tentative sur la ville. Il en était encore à trois mille de distance le 5 juillet, jour où il fut joint par une modique bande de Suisses, lorsque le duc de Bourbon, qui s'avançait en toute hâte, y pénétra avec une petite troupe de renfort.

Charles-Quint, qui lui avait réservé le duché de Milan, envoyait celui-ci en Italie comme son lieutenant et comme capitaine général de son armée. Parti sans bruit de Barcelone, le 24 juin, avec six navires espagnols, sur lesquels étaient huit cents soldats, Bourbon était entré sans obstacle dans Gênes, dont le port n'était pas plus bloqué que la mer n'était gardée. Il avait retiré des banquiers génois cent mille ducats en payement des lettres de change qu'il avait reçues de l'empereur, et s'était rendu sans perdre une heure à Milan, où il entra le 5 juillet au soir. Le lendemain il prit le commandement de la petite armée impériale, distribua aux soldats une partie de la solde qui leur était due, et les disposa ainsi à résister aux confédérés et à prendre bientôt sans crainte avec lui une offensive où son audace ne lui laissait pas voir de péril.

Le duc de Bourbon avait sous ses ordres de huit à neuf mille hommes, soit espagnols, soit allemands, lorsque le 7 juillet parut à une portée de fauconneau des faubourgs de Milan, du côté du sud-est, entre la porte Romaine et la porte Tosa, l'armée des confédérés, forte d'environ vingt mille hommes de pied, et de plus de trois mille chevaux. La ville n'était pas bien fortifiée, et les faubourgs l'étaient encore moins. Si les confédérés avaient attaqué avec vigueur, les Impériaux, placés entre l'armée italienne maîtresse des faubourgs, le château d'où Francesco Sforza pouvait tirer sur eux, et au milieu d'une ville dont la population les abhorrait et n'aurait pas manqué de se soulever, auraient été réduits à battre en retraite du côté de Pavie, et se seraient trouvés à ta grâce -de Dieu, comme l'écrivait Antonio de Leiva. Mais le duc d'Urbin, qui tentait cette entreprise par condescendance, au lieu d'un assaut se borna à une faible escarmouche. Il fit braquer trois canons et envoya quelques soldats vers les fossés. Ceux-ci y rencontrèrent les arquebusiers espagnols, qui tuèrent quelques-uns d'entre eux. C'en fut assez. Le soir même, malgré les représentations les plus vives du lieutenant du pape et du provéditeur de la république de Venise, il ordonna subitement la retraite, et reprit sans délai la route de Marignan avec ses troupes mécontentes et disant de lui : Veni, vidi, fugi, je suis venu, j'ai vu, j'ai fui[163]. L'intrépide Jean de Médicis, qui commandait l'infanterie pontificale, attendit qu'il fit grand jour pour se retirer, et se dirigea lentement vers Milan, sans essuyer une décharge d'artillerie et sans perdre un seul homme. Les Impériaux, charmés autant que surpris de cette retraite, se gardèrent bien d'attaquer ceux qui renonçaient ainsi à les assaillir.

Cette tentative infructueuse fut très nuisible à la cause des confédérés. Leur généralissime ne fut pas plus heureux dans une tentative qu'il fit dix jours après pour ravitailler le château de Milan, et où il se montra aussi timide qu'il l'avait été devant la ville. Francesco Sforza, n'espérant plus désormais qu'on lui vint en aide et ayant épuisé tous ses moyens de subsistance, capitula le 25 juillet et livra cette forte citadelle au duc de Bourbon. La puissance impériale se maintint ainsi avec avantage dans la péninsule, en grande partie, remarque l'historien français souvent cité, par la faute du roi de France, qui n'avait pas fait encore ce qu'il avait promis. Plus intéressé cependant que qui ce fût aux succès de la ligue, François Ier n'avait ni expédié les galères destinées au blocus de Gênes, ni fait passer les Alpes aux cinq cents lances et aux quatre mille hommes de pied qui sous le marquis de Saluces devaient renforcer les confédérés, ni facilité, par l'envoi des sommes nécessaires, la prompte levée des Suisses sur lesquels comptaient les Italiens.

Le long retard que le roi apportait ainsi dans l'exécution de ses engagements désolait le pape et ses alliés ; on s'en effrayait en Italie, et l'on s'en plaignait avec douleur. Si les Français ne nous aident pas autrement, disait-on[164], nous succomberons et ils resteront seuls ; ils sont aveugles, s'ils ne le voient pas. L'évêque de Bayeux, ambassadeur de François Ier à Venise, lui écrivait : Les lenteurs de Votre Majesté, qui inspirent tant de défiance aux confédérés d'Italie, feront perdre courage au pape et à cette sérénissime république. Ils se repentiront de s'être autant avancés en voyant qu'il n'est rien tenu de ce qu'il leur a été promis. Il leur parait étrange que, la ligue étant conclue depuis deux mois, il ne se fasse rien en France pour cette entreprise, tandis que le pape et cette seigneurie se sont à ce point découverts et se trouvent sous le coup de si grandes dépenses. Tout gît dans les commencements. Ce n'est point là, sire, le chemin à suivre pour abaisser l'empereur, mais bien pour le faire beaucoup plus grand qu'il n'est[165].

Cependant l'armée de la ligue, malgré les deux échecs qu'elle avait essuyés, tenait toujours la campagne dans la haute Italie. Elle fut renforcée vers la fin de juillet de six à sept mille Suisses, qu'avait fait lever le pape et que devait solder le roi. Dans les commencements d'août, le duc d'Urbin, laissant les troupes pontificales à Marignan pour contenir les Impériaux dans Milan, se porta sur Crémone avec les troupes vénitiennes. Cette forte place, située sur l'Adda à sa jonction avec le Pô, était défendue par une garnison considérable. Si elle était prise, elle était destinée à former avec Lodi une ligne de défense qui couvrirait les états vénitiens de terre ferme. Le duc d'Urbin l'investit et l'attaqua régulièrement.

Pendant que se poursuivait ce siège, qui devait durer près de deux mois, il se passa à Rome des événements d'une gravité extraordinaire et d'une conséquence dangereuse pour la confédération. Ugo de Moncada, en quittant Clément VII, s'était abouché à Marino avec les chefs de là puissante famille des Colonna, alors brouillée ouvertement avec le pape. Après cette conférence mystérieuse, les Colonna s'étaient mis en armes dans le sud des états pontificaux où se trouvaient la plupart de leurs possessions, et de là inquiétaient le saint Père jusque dans Rome. La guerre coûteuse et pleine de périls où le pape était engagé contre le parti impérial était au dessus de ses ressources, et il ne pouvait pas la continuer sur tous les points. Il se prêta donc avec une excessive facilité à un arrangement que lui proposèrent les Colonna, et une paix fut conclue à Rome, au nom de toute la famille, le 22 août. Sur la foi de cet accord, Clément VII licencia les troupes qu'il entretenait pour sa défense ; il se croyait en sûreté, et c'était précisément ce qu'avaient voulu les Colonna et don Ugo.

Moins d'un mois après cette paix trompeuse, les Colonna réunirent leurs forces, et, marchant sans s'arrêter, arrivèrent à l'improviste sous les murailles de Rome dans la nuit du 20 septembre. Ils s'emparèrent de la porte de Saint-Jean-de-Latran et pénétrèrent dans la ville de ce côté. Informé de leur entrée dans Rome et de leur marche imminente vers le Borgo, où se trouvaient le palais du Vatican et l'église de Saint-Pierre, le pape assembla précipitamment les cardinaux pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire dans un cas si inattendu et un péril si pressant. N'attendant d'aide de personne et ayant tout à. redouter de la part des Colonna, qui semblaient prêts à toutes les violences, Clément VII se résigna à quitter le palais pontifical avec la plupart des cardinaux, et à se retirer dans le château Saint-Ange, qui lui permettait de se défendre, mais ne contenait pas les approvisionnements nécessaires pour lui permettre de s'y maintenir longtemps.

Lorsqu'il y arriva, les troupes des Colonna avaient déjà forcé la porte de Santo-Spirito, qui ouvrait au-delà du Tibre le Borgo et le quartier de Saint-Pierre. Elles se précipitèrent dans le palais pontifical, qui fut pillé, et mirent à sac les demeures de plusieurs cardinaux. Le pillage dura tout le reste du jour. Le lendemain, le commandeur espagnol Aguilar se présenta devant Clément VII et lui signifia, de la part de ses ennemis, qu'il fallait rendre le château. Clément VII lui répondit qu'il était pape et voulait mourir en pape. Mais dès le second jour, Ugo de Moncada lui-même entra en pourparlers avec le souverain pontife assiégé et outragé. Ayant reçu pour otages deux neveux du pape, les cardinaux Cibo et Rudolfi, il alla négocier une trêve dans le château Saint-Ange. Cette trêve conclue entre le pape et l'empereur devait durer quatre mois et n'être rompue ensuite que deux mois après avoir été dénoncée. Tous les vassaux du saint siège y étaient compris. Le pape s'obligeait à retirer les troupes qu'il avait auprès de Milan, les galères qu'il entretenait devant Gènes, à pardonner aux Colonna, qui de leur côté retireraient leurs gens de Rome et des états ecclésiastiques et les renverraient dans le royaume de Naples.

Après avoir atteint son but, Ugo de Moncada annonça à Charles-Quint tout ce qui s'était fait dans Rome, et l'engagea à ne pas dissimuler son indignation et sa douleur. L'empereur n'y manqua point. Il venait de répondre avec vivacité au bref que le pape lui avait adressé. Après avoir justifié, avec une hardiesse trop peu respectueuse, tout ce qu'il avait fait en Italie, il avait terminé cette réponse assez menaçante par des paroles plus dignes d'un prince catholique, et avait invité le saint Père à finir la guerre, promettant d'en faire autant. Puisque Dieu nous a établis, disait-il, comme deux grands luminaires, travaillons ensemble à éclairer la terre, et évitons que par suite de nos différents il y ait une éclipse. Songeons au bien de la république universelle, à l'expulsion des barbares, à la compression des sectes et des erreurs. Quand don Francesco de Mendoça apporta en Espagne la nouvelle du sac de Rome et de la trêve qui en avait été la suite, si l'empereur se félicita de la trêve, il marqua le plus vif déplaisir du sac. Il dit, que jamais aucune nation barbare n'avait osé faire une si grande injure au siège apostolique et accabler d'un tel opprobre cette sainte Église qui était la capitale de la chrétienté. Il jura qu'il n'avait jamais donné une pareille commission, et que ce qui s'était fait à Rome lui pesait sur l'âme. Il avoua seulement que, voyant le monde entier contre lui et la guerre allumée non par sa faute, il avait accepté, sans avoir pu la refuser l'assistance de ceux qui s'offraient à le servir[166].

Les engagements qui avaient été arrachés au pape, l'avaient été par la violence et la perfidie. Tout en les exécutant, au moins en partie, Clément VII s'était hâté de dépêcher auprès du roi de France Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, que ce prince avait envoyé naguère auprès de lui. Il retira une partie de ses troupes de la Lombardie et rappela ses galères de devant Gênes, mais il laissa à la ligue Jean de Médicis avec environ quatre mille hommes de pied, qu'il prétendit être au service du roi de France. Il paya de plus treize mille ducats par mois aux Suisses des confédérés, entretint des forces assez considérables dans Plaisance, et fit venir dans Rome, pour sa propre sûreté, les cinq mille hommes qu'il avait tirés de la Lombardie.

François Ier, que le seigneur de Langey avait trouvé sur les bords de la Loire, s'était pressé de le faire repartir avec des instructions, où il engageait le saint Père à se venger de la honte qui lui avait été faite[167]. Après le retour de Langey, Clément VII procéda en plein consistoire contre les Colonna. Le cardinal Pompeio, l'un d'eux, fut rayé du sacré collège, et toutes les terres de cette maison aussi redoutée que haïe furent confisquées. Le pape autorisa aussi le roi à tirer de l'église de France des décimes, sur lesquels cent mille écus seraient réservés pour le Saint-Siège. Il forma en même temps une petite armée qu'il dirigea vers le sud des états pontificaux afin de contenir ou de combattre les Colonna, qui, de leur côté, levaient des troupes dans le royaume de Naples.

Il était ainsi remédié au grand revers causé par la prise de Rome, dont l'effet d'ailleurs avait été effacé en partie par la prise de Crémone, survenue deux jours après. Cette forte place s'était rendue le 13 septembre au duc d'Urbin, qui en avait fait le siège durant sept semaines. Après la reddition de la place, le généralissime de la ligue aurait pu, avec son armée victorieuse, aller attaquer dans Milan les Impériaux, que les maladies décimaient en ce moment. Le duc de Bourbon ne faisait que se plaindre de l'impuissance où le réduisait l'affaiblissement de son armée dépourvue de tout, qu'il était obligé de nourrir dans cette ville épuisée et dont la mort réduisait chaque jour le nombre. Il écrivait sans cesse à Charles-Quint, pour lui dépeindre la détresse de ses soldats, et il pressait aussi par ses lettres Georges Frundsberg de venir au plus tôt se joindre à lui avec les lansquenets qu'il levait en Allemagne.

Le duc d'Urbin laissa pendant trois semaines l'armée de la ligue dans l'inaction. Lorsqu'il la mit en mouvement après la mi-octobre, ce ne fut pas pour assaillir dans Milan les Impériaux affaiblis et peu en état de lui résister. Il espéra, en postant ses troupes sur les points fortifiés de Marignan au sud-est, d'Abbiato-Grasso au sud-ouest, de Monza au nord de Milan, empêcher les vivres d'y arriver, et réduire les Espagnols à partir ou à se rendre. L'arrivée prochaine des lansquenets de Frundsberg allait déjouer ce plan et permettre aux Impériaux de prendre l'offensive dans le haut comme dans le bas de la péninsule italique.

Charles-Quint, dit à ce propos M.. Mignet, était très appliqué à ses affaires et les conduisait en politique attentif, quoique un peu lent. D'un esprit plus réfléchi que prompt, il méditait beaucoup avant de se décider pour longtemps. Moins fécond que ferme dans ses vues, il avait, bien jeune encore, cette puissance de volonté qui fait une grande partie de l'habileté humaine et décide si souvent de la fortune, de la fortune soumise aux persévérants encore plus qu'aux audacieux, car si les audacieux la surprennent quelquefois, les persévérants finissent presque toujours par la contraindre et lui commander. L'ambassadeur vénitien Gaspar Contarini, qui avait précédé en Espagne André Navagero, revenant d'auprès de Charles-Quint entre la bataille de Pavie et le traité de Madrid, le dépeint ainsi dans la relation de son ambassade qu'il adressa, le 16 novembre 1525, au sénat de Venise : L'empereur accomplira sa vingt-sixième année le 24 du mois de février (1526), jour de saint Matthias, où il obtint la victoire sur l'armée française et où fut pris le roi très chrétien. Il est de stature ordinaire, ni grand ni petit ; son teint est blanc, et plutôt pâle que coloré. Il a le nez un peu aquilin, les yeux gris, le menton trop avancé, l'aspect grave, sans être dur ni sévère. Son corps est bien proportionné, sa jambe très belle, son bras fort, et, dans les joutes d'armes comme dans les courses de bagues, il est aussi adroit que quelque cavalier de sa cour que ce soit[168].

Après avoir dit que le jeune et grave empereur était d'une complexion et d'un caractère mélancoliques, très religieux, fort juste, étranger aux plaisirs qui entraînent les hommes de son âge, se donnant quelquefois, mais rarement, la distraction de la chasse, peu affable, plutôt avare que libéral, ne parlant guère, ne s'exaltant pas dans la prospérité, ne se laissant point abattre par l'adversité et ressentant plus la tristesse que la joie, Contarini le montre sans cesse occupé du gouvernement de ses pays et de la conduite de ses affaires. Il se plaît dit-il, à négocier et à siéger dans ses conseils. Il y est fort assidu et il y passe une grande partie de son temps[169]. — C'est par cette application soutenue qu'il pourvut aux nécessités et qu'il surmonta les périls de sa situation en Italie. Mettant tous ses soins à s'y fortifier non moins qu'à y affaiblir ses adversaires, il n'oublia rien de ce qui pouvait préparer la défaite ou hâter la désunion de la sainte ligue. Il chercha tout à la fois à la vaincre par les armes, à la dissoudre par les négociations[170]. Ainsi parle M. Mignet, et la sagesse humaine ne peut pas mieux dire. Seulement il ne faut pas oublier la part de la Providence, de l'homme qui s'agite, et de Dieu qui le mène.

Charles- Quint, en effet, ne négligeait rien en ce moment pour remettre sur pied ses affaires en Italie. Il équipa sur les côtes d'Espagne une flotte de quelques navires de guerre et de beaucoup de vaisseaux de transport, que montaient environ dix mille soldats espagnols et allemands commandés par Lannoy et Alarcon. Il ordonna de lever en Allemagne une troupe considérable de lansquenets, qu'il pressa son frère l'archiduc Ferdinand d'envoyer au plus tôt en Lombardie sous la conduite du vaillant et dévoué George Frundsberg. Il s'attacha, par des offres aussi habiles qu'opportunes, un souverain italien fort puissant, placé entre les possessions continentales de la république de Venise et les états du pape, le changeant et intéressé Alphonse d'Este, duc de Ferrare. Il recevait en même temps un envoyé de la cour de France chargé de lui faire de pacifiques, mais peu sincères ouvertures[171]. Il voyait là un moyen de rendre François Ier suspect à ses confédérés, et il donnait pour instruction à Lannoy de mettre tout en œuvre pour détacher Clément VII de l'alliance de ce prince[172].

L'empereur s'empressa aussi de faire connaître ses préparatifs et ses desseins au duc de Bourbon, qui réclamait sans cesse de l'argent et des soldats. Dans la lettre qu'il lui adressait le 8 octobre 1526, il calmait d'abord les orgueilleuses défiances de son lieutenant au sujet du duc de Ferrare, chez lequel Bourbon craignait de trouver un rival et un compétiteur de son autorité. Il l'assurait que son honneur était bien gardé, et ajoutait : Vous adviserez de bien entretenir le duc de Ferrare en nostre service comme scaurez faire par vostre grande prudence selon que le temps le requerra. — C'est, continuait-il, l'un des secours qui vous peult ayder en cette guerre ; l'autre secours sera de l'armée que mène notre vice-roy de Naples ; le troisième secours est de l'argent que j'appareille pour vous envoyer, et le quatrième est celuy d'Allemagne, pour lequel j'escrits à nostre frère l'archiduc.

Les vues de l'empereur se réalisèrent aussi complètement qu'il pouvait l'espérer. La flotte destinée à la défense du royaume de Naples, fut équipée, approvisionnée, réunie et prête à mettre à la voile le 24 octobre 1526. Partie de Carthagène ce jour-là, elle fut rencontrée, entre la Corse et les côtes d'Italie, par André Doria, qui l'assaillit avec ses galères et lui fit essuyer quelques pertes. Un moment dispersée, elle alla relâcher au port de San Stephano en Toscane, et gagna de là le port de Gaète, où le 1er décembre elle débarqua, sans être inquiétée, les troupes qu'elle portait. L'armée allemande qui devait renforcer les Impériaux dans la haute Italie fut prête vers le même temps. Frundsberg avait sous ses enseignes de douze à treize mille vaillants lansquenets. Il se mit en marche vers la fin d'octobre et arriva dans les Alpes au commencement de novembre. Il se fraya un pénible passage à travers les Alpes, descendit par le Val-di-Sabbio, longea la partie occidentale du lac de Garda, et parvint, le 20 novembre, dans les états du marquis de Mantoue, qui gardait la neutralité entre le saint siège, dont il était le gonfalonier, et l'empire, dont il était le feudataire. Il lui restait encore un long espace à franchir et de nombreuses rivières peu commodes à traverser, avant de pouvoir rejoindre le duc de Bourbon, auquel il avait l'ordre comme l'intention de se réunir.

Il s'agissait pour le duc d'Urbin d'empêcher la jonction de ces deux chefs, dont les troupes réunies allaient former une armée redoutable par le nombre comme par la force. Il abandonna donc le blocus de Milan vers la mi-novembre et se porta avec toute son armée à Vauri, sur l'Adda. Il y jeta un pont, et, après avoir fortifié la position, il y laissa le marquis de Saluces avec ses quatre mille fantassins, les Suisses, les Grisons et les hommes d'armes français ; puis le 19 novembre, suivi de Jean de Médicis avec les quatre mille soldats des bandes noires, de huit ou neuf mille piétons vénitiens, de six cents hommes d'armes et d'une nombreuse cavalerie légère, il alla au devant des lansquenets. Arrivé le 21 novembre à Sonzino sur l'Oglio, le duc d'Urbin s'avança vers les terres du Mantouan, où les bandes de Frundsberg se trouvaient déjà engagées. Les lansquenets, prévenus le 22 à Rivolta, près du Mincio, s'étaient dirigés du côté de Borgo-forte pour se rapprocher du. Pô. Ils étaient encore le 24 dans ce lieu, où ils reçurent par le fleuve quatre fauconneaux que le duc de Ferrare leur avait envoyés. Le duc d'Urbin joignit à Borgo-forte la queue des lansquenets, dont la tête cheminait le long du Pô, et Jean de Médicis l'attaqua hardiment avec ses chevau-légers. Pendant cette escarmouche, un coup de fauconneau atteignit Jean de Médicis et, lui cassa la jambe un peu au-dessus de la cheville. Il fut transporté à Mantoue, où la jambe lui fut coupée, et où succomba bientôt cet intrépide capitaine, qui faisait l'honneur et l'admiration de son pays. Sa mort parut aux Italiens comme la ruine de l'Italie[173].

Dès ce moment, le duc d'Urbin ne suivit même plus les lansquenets. Ceux-ci passèrent tranquillement le Pô à Ostia et se dirigèrent du côté de Plaisance. Sans rencontrer d'autre obstacle que des torrents grossis par les pluies, ils traversèrent l'Italie dans une partie de sa largeur, franchirent la Secchia, l'Enza, la Parma, le Taro, qui tombent dans le Pô, et vers la mi-décembre ils arrivèrent non loin de Plaisance, à Borgo-San-Domino et à Firenzola, où ils s'établirent. Frundsberg avait fait connaître son approche au duc de Bourbon, mais celui-ci, qui attendait les lansquenets avec tant d'impatience, ne pouvait se mouvoir faute d'argent. Les deux cent mille ducats qu'il avait reçus de l'empereur n'avaient pas suffi à la solde fort arriérée de ses gens et à leur entretien pendant cinq mois. Il ne lui restait pas un ducat, et sa petite armée refusait d'entrer en campagne avant qu'on lui eût donné ce qui lui était dû. Pour se procurer de l'argent, Bourbon tira, comme il le dit, jusqu'au sang de la ville de Milan ; il lui arracha trente mille écus de plus. Il contraignit Morone, chancelier du duc Sforza, enfermé dans la forteresse de Trezzo pour avoir conspiré en faveur de l'indépendance italienne, à payer vingt mille ducats comme prix de son pardon, en le menaçant, s'il n'acquittait pas cette taxe, de le faire décapiter. Enfin, n'ayant plus d'autre moyen de compléter la somme exigée pour payer aux troupes les payes qu'elles exigeaient, le duc de Bourbon, le marquis del Vasto, Antonio de Leiva et d'autres capitaines engagèrent leurs joyaux, leurs bagues, leurs chaînes d'or. De cette manière, écrivit le duc à l'empereur[174], nous avons trouvé vingt mille écus, avec lesquels nous avons eu le supplément pour les deux payes.

Le duc de Bourbon ne sortit de Milan que le 2 janvier 1527. Il laissa le commandement de la ville à Antonio de Leiva, qui garda, pour la contenir et la défendre, Gaspard de Frundsberg, fils de George, avec deux mille lansquenets, et le comte Ludovico de Belgiojoso, entré depuis peu au service de Charles-Quint avec quinze cents Italiens. La jonction des Espagnols et des italiens se fit avec beaucoup de lenteur. Le 9 février, Bourbon passa la Trebbia et se réunit ensuite à Frundsberg. Avant de mettre en mouvement ses bandes résolues et nécessiteuses, il écrivit à l'empereur pour l'instruire de leurs valeureuses dispositions en même temps que de leurs impérieux besoins. Il lui disait que les chevau-légers n'avaient reçu aucune paye, que les treize mille lansquenets de Frundsberg n'en avaient touché qu'une seule, et qu'ils avaient à réclamer plus de cent mille écus. II le suppliait de fournir au plus tôt à l'armée maintenant en campagne ce qui lui était dû, parce qu'elle serait sans cela exposée à mourir de faim. Nous autres, ajoutait-il[175], ne pouvons plus faire autre chose que mettre notre vie à votre service.

Il se mit donc en marche avec le dessin d'attaquer l'Italie centrale ; rien ne pouvait l'arrêter désormais si ce n'est le besoin d'argent. Il avait donné la direction de l'avant-garde au prince d'Orange, avec le commandement des chevau-légers et des hommes d'armes. Le marquis del Vasto conduisait l'infanterie espagnole ; George de Frundsberg était à la tête de ses rudes lansquenets, et le jeune Fernand de Gonzague, qui devint plus tard un des bons généraux de Charles-Quint, avait sous ses ordres un corps de soldats italiens. Bourbon s'achemina ainsi vers les états pontificaux sans être inquiété par les troupes divisées de la confédération. Le marquis de Saluces ne put que se jeter dans les villes menacées et préserver tour à tour Plaisance et Bologne. Le duc d'Urbin, toujours en arrière, surveilla de loin, avec les troupes vénitiennes, l'armée impériale, dont il ne s'approcha jamais. Lorsque le duc de Bourbon arriva à San-Giovanni, entre Bologne et Ferrare, le duc d'Urbin se posta à Casal-Maggiore, décidé à n'en pas bouger tant que le duc de Bourbon demeurait à San-Giovanni. Celui-ci y resta campé pendant quelque temps, afin de s'aboucher avec le duc de Ferrare, qui devait lui donner des vivres, des munitions, des charrois, des pionniers, de l'argent, et qui l'engagea ou l'entretint dans le projet de se jeter sur Florence et sur Rome.

Le saint Père, en ce moment, était plein d'alarmes ; il tremblait pour les possessions pontificales et pour l'état de Florence. Il commença par demander de nouveaux subsides à Henri VIII, qui l'avait excité à entrer dans la ligue, et il réclama de François Ier une assistance plus efficace, si l'on tenait à ce qu'il n'en sortît point. Le nonce Acciajuoli adressa par écrit au roi de France une éloquente requête. Si Votre Majesté, lui disait-il, ne tourne pas cette fois toute la puissance de la France au salut commun et n'y emploie pas son esprit et son courage, l'Italie sera en peu de temps assujettie à la domination de l'empereur, vos fils resteront en prison toute leur vie, ou, pour les recouvrer, il faudra donner une si grande somme d'argent que le royaume de France en sera appauvri pour de longues années. On a tenu trop peu de compte des forces de l'empereur et l'on s'est trop confié dans les nôtres. Aujourd'hui l'Italie est réduite à un tel état, qu'elle ne peut plus toute seule résister à une si grande attaque. La venue des lansquenets au-delà du Pô, la mort du seigneur Jean de Médicis, l'arrivée du vice-roi avec les Espagnols, sont des coups mortels pour le pape et les Florentins[176]. Il suppliait le roi de mettre incessamment des hommes et de l'argent à la disposition de sa sainteté, et, si la paix ne se concluait pas, de passer lui-même en Italie avec les forces dont il avait souvent parlé. Le salut de l'Italie et du monde, ajoutait-il, est entre les mains de Votre Majesté. Si nous restons libres, l'honneur, la gloire et l'avantage en resteront à Votre Majesté. Sinon, nous plierons nos cols sous le joug de l'empereur, au grand déshonneur et au détriment de Votre Majesté[177].

François Ier fit les plus grandes promesses ; il jugeait fort bien sa situation et celle de l'Italie. Il annonça le prochain envoi de sommes considérables et une entreprise sur le royaume de Nappes par les Abruzzes et conjointement avec la flotte déjà prête ; il assura que l'ordre avait été donné de lever dix mille Suisses dans les cantons, et que les gentilshommes de sa maison étaient déjà partis pour aller l'attendre à Lyon. Enfin il fit prévenir le pape que le roi d'Angleterre lui adresserait une forte somme d'argent par sire John Russell, et l'engagea à se montrer calme et à tenir ferme. Ici laissons la parole à M. Mignet : Ce prince — François Ier — parlait à merveille et agissait moins bien. Il avait un prompt coup d'œil, mais il manquait d'application. Il s'occupait un moment et avec beaucoup d'intelligence des plus importantes affaires, puis il se dérobait pendant huit jours pour aller s'amuser dans une de ses maisons de plaisance, ou prendre avec fureur son plaisir favori de la chasse. Il évitait la peine, recherchait les distractions, promettait beaucoup, tenait moins, exagérait avec vanité ses forces, multipliait sans hésitation ses engagements, et semblait croire que tout ce qu'il avait dit était comme fait. Les choses agréables, écrivait le nonne, effacent de son esprit les pensées les plus graves ; de sorte que le plus souvent les paroles restent à nous, et les effets vont au plaisir[178].

Les faits ne confirment que trop le jugement de l'historien français. A peine se terminaient ces entretiens sur les besoins de l'Italie et du pape, que François Ier allait chasser pendant quinze jours en Champagne, emmenant avec lui les principaux seigneurs de sa cour et de son conseil. Presque rien de ce qu'il annonçait ne s'exécutait. Le pape alors tomba dans un extrême découragement. Il avait appris la jonction des lansquenets avec les Espagnols. Ses inquiétudes, toujours plus grandes du côté de la Haute Italie, n'étaient pas moins vives du côté de l'Italie inférieure. Les Colonna venaient de prendre Ceperano et Pontecorvo sur les terres méridionales de l'Eglise, où le vice-roi de Naples avait pénétré à la tête d'une petite armée et assiégeait Frosinone.

Clément VII, n'oubliant point sa qualité de père commun, était resté en relation avec l'empereur, tout en participant, au nom des intérêts de l'Italie, à la guerre qui lui était faite. L'empereur, de son côté, avait dépêché en Italie le général des franciscains et son grand écuyer César Feramosca pour négocier avec le pape et arriver à une commune pacification. Dans son effroi le pape accéda à tout ce que voulait Charles-Quint. Par l'accord proposé, les clauses du traité de Madrid restaient les mêmes, et le pape, tenu avec les Florentins de donner deux cent mille ducats pour renvoyer les lansquenets d'Italie, devait remettre en gage à Charles-Quint Parme, Plaisance et Civita-Vecchia. Malgré l'avis des cardinaux[179], Clément VII l'accepta et conclut, le 31 janvier 1527, une trêve de huit jours pour présenter ce projet aux Vénitiens, qui le repoussèrent sans hésitation. François Ier, informé par eux, s'en montra très irrité à son tour, et fit entendre de dures et menaçantes paroles au nonce Acciajuoli. Par une coïncidence imprévue, le jour même où il concluait cette trêve onéreuse et humiliante, les troupes pontificales remportaient une victoire marquée sur les troupes impériales dans le midi de l'Italie. L'armée espagnole battue devant Frosinone, dont elle faisait le siège, était contrainte d'évacuer les états de l'Eglise et de rentrer, non sans désordre, dans le royaume de Naples. Ce succès détermina le pape à renoncer au traité du 31 janvier et à faire reprendre les hostilités. François Ier éprouva une grande joie de la chose, et s'empressa de dire au nonce : Revivez à notre saint père le pape que, pour l'amour de Dieu, il se remette l'esprit, ne délaisse pas cette compagnie et ne songe plus ni à des trêves ni à des négociations. Je veux aider sa sainteté de toute manière. Je dépêche Langey avec vingt-mille écus que je n'entends pas être comptés au nombre de ceux que j'ai promis. J'ai ordonné d'en envoyer vingt-mille au comte Pierre de Navarre, afin qu'il mette de cinq à six mille hommes de pied sur la flotte, qu'il aille à Civita-Vecchia et fasse tout ce que lui dira notre seigneur le pape. Je vous donnerai tout de suite, à vous, l'assignation des cinquante mille écus des décimes qui reviennent à sa sainteté, afin qu'elle puisse s'en servir. Vous pourrez tirer cette somme sur qui vous voudrez. Soyez assuré que, le mariage fait avec la princesse d'Angleterre[180], le roi son père et moi nous entreprendrons la guerre de bonne sorte. Le roi d'Angleterre et le duc de Gueldre attaqueront la Flandre ; moi, par le chemin de la Navarre, je passerai en Espagne avec vingt cinq mille hommes de pied et quinze cents ou deux mille lances, et, si le pape ne se trouble pas l'imagination, nous imposerons la paix à l'empereur comme nous le voudrons et nous le ferons le pape le plus glorieux qui ait jamais été[181].

Si François Ier avait exécuté tout ce qu'il annonçait, les choses auraient pu se passer comme il le prévoyait. Mais il ne fit point remettre à Clément VII les sommes dont il avait annoncé l'envoi au nonce Acciajuoli ; il n'expédia pas non plus assez vite sur ses gros navires les troupes de débarquement nécessaires à l'invasion du royaume de Naples. Cette invasion, qui rencontra fort peu de résistance de la part des Espagnols et beaucoup d'assentiment de la part des populations lassées de leur joug, aurait réussi, si elle avait été tentée avec un peu de vigueur et d'ensemble. Mais, malgré les premiers succès obtenus, les progrès de la conquête furent arrêtés par l'insuffisance des moyens fournis pour l'exécuter. Faute d'argent et de vivres, l'armée pontificale elle-même, peu de temps après l'avantage obtenu devant Frosinone, ne voulut pas rester sur pied et se débanda. Lannoy, reprenant l'offensive, franchit la frontière du royaume de Naples et se porta de nouveau dans les états du saint siège. D'autre part, le duc de Bourbon était prêt à quitter son camp de San Giovanni et menaçait d'envahir avec ses terribles bandes l'Italie centrale.

Clément VII était aux abois. Il avait épuisé le trésor pontifical et ne pouvait plus rien demander à la république de Florence, dont il avait tiré depuis le commencement de la guerre près de huit cent mille ducats[182]. Dans cet état de détresse, il entra derechef en pourparlers avec les Impériaux. Lannoy envoya â Rome l'écuyer de l'empereur Cesare Feramosca et son secrétaire Serénon. Les conditions qu'ils portaient étaient cette fois moins défavorables, parce que Charles-Quint tenait pardessus tout à s'accorder avec le pape. Feramosca arriva à Rome en même temps qu'y arrivait Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, avec les instances de François Ier pour la continuation de la guerre. Le messager français apportait à Clément VII très peu d'argent et beaucoup de promesses. Le pape, dépourvu de ressources, traita de nouveau avec les envoyés de Charles-Quint. La trêve fut conclue le 15 mars 1527[183]. Au lieu de deux cent mille ducats, il n'en était demandé que soixante mille à Clément VII, qui n'était plus obligé de remettre en garantie du traité les citadelles d'Ostie et Civita-Vecchia. La république de Venise et le roi de France pouvaient être compris dans cet arrangement. S'ils l'acceptaient, les lansquenets sortiraient de la Haute-Italie ; s'ils n'y adhéraient pas, l'armée impériale se retirerait seulement des terres de l'Église.

Ce traité, il fallait maintenant le faire accepter par une armée aussi indisciplinée qu'avide, depuis longtemps sans solde et à la disposition de laquelle était mise seulement la somme modique de soixante mille ducats. Feramosca, qui venait de le conclure à Rome, se rendit en toute hâte au camp impérial pour le signifier au duc de Bourbon et faire rétrograder ses troupes. L'armée manquait de tout. Bourbon, ayant épuisé les provisions qu'il avait tout d'abord reçues du duc de Ferrare, ne savait plus ni comment la faire vivre, ni comment la faire avancer. Il tombait des pluies torrentielles. Mal vêtus, peu nourris, sans souliers, sans argent, les Espagnols et les lansquenets, arrivés au comble de l'exaspération, s'étaient mutinés avec fureur, le 15 mars, l'avant-veille du jour où la trêve se signait à Rome. Les Espagnols avaient donné le signal du soulèvement. Ils s'étaient portés en tumulte devant la tente du duc de Bourbon, demandant leur solde, et ils auraient tué le duc, dont ils pillèrent la demeure, s'il ne s'était, dérobé par la fuite à leurs violences[184]. Il était allé chercher un asile dans le quartier des lansquenets, auprès de George Frundsberg ; mais les Allemands eux-mêmes n'avaient pas tardé à suivre l'exemple des Espagnols, et ils s'étaient soulevés à leur tour en criant : Lanz ! lanz ! de l'argent ! de l'argent ! Frundsberg s'efforça en vain de les apaiser. Il les appela ses enfants, les supplia de continuer à servir l'empereur avec fidélité, et d'attendre patiemment que leur solde, qu'ils recevraient bientôt, pût être payée. Sa voix, jusque-là si obéie, ne fut pas écoutée, et le vieux capitaine, ému jusqu'au fond de l'âme de cette résistance inaccoutumée de ses fidèles lansquenets, fut frappé d'apoplexie en les haranguant. La parole lui manqua tout d'un coup, et il tomba affaissé sur un tambour[185]. Ses Allemands consternés le transportèrent dans son logis, d'où il fut conduit à Ferrare afin d'y recevoir des soins qui ne le sauvèrent pas.

Pour apaiser cette sédition, il fallut contenter les soldats et composer avec eux. A l'aide d'un petit emprunt fait au duc de Ferrare, il leur fut donné un ducat par homme, et le duc de Bourbon laissa espérer à l'armée le riche pillage de Florence ou de Rome comme complément de solde[186]. Le tumulte semblait apaisé ; douze élus venaient d'être nommés par les bandes impériales pour veiller à leurs intérêts, lorsque Feramosca arriva au milieu d'elles. Il apportait la trêve destinée à arrêter leur marche et l'annonce de soixante mille ducats qui ne pouvaient ni suffire à leurs besoins ni correspondre à leurs exigences. Aussi des murmures s'élevèrent tout d'abord contre lui dans le camp irrité[187]. Le duc de Bourbon lui-même, à qui l'envoyé de Lannoy montra des lettres de l'empereur qui prescrivait d'exécuter ce qui serait conclu entre le pape et le vice-roi de Naples, ne cacha pas son orgueilleux mécontentement. Il s'emporta, déclara qu'il renoncerait au commandement d'une armée qu'on entravait à. ce point, et finit par dire à Feramosca que s'il voulait faire observer cet accord, il eût à persuader les soldats de la nécessité de s'y soumettre.

Feramosca l'essaya. Il parla à tous les capitaines réunis de l'utilité de la trêve, des obstacles que rencontreraient les troupes, des dangers et des revers auxquels elles s'exposeraient en persistant, sans vivres, sans argent, avec peu de canons, dans l'entreprise commencée, et leur demanda de faire adopter par leurs compagnons une paix avantageuse et qui d'ailleurs leur était imposée par la volonté de l'empereur. Gomme l'avait prévu le duc de Bourbon, l'armée ne se laissa point gagner et ne souscrivit point à la paix. Elle voulait marcher, se battre, piller. Les soldats, furieux contre Feramosca, le cherchèrent pour le tuer, et si, averti à temps du péril, il ne s'était pas enfui sur un cheval que lui donna Fernand de Gonzague, il aurait péri sous leurs coups[188]. Alors Bourbon, tenant moins compte des desseins de l'empereur que des passions de l'armée, interrogea les Espagnols sur ce qu'ils voulaient faire. Nous désirons, répondirent-ils, aller en avant. — Et moi, ajouta-t-il, j'irai avec vous. Il fut décidé que l'armée se mettrait en mouvement le lendemain. Le marquis del Vasto, qui avait tout fait pour l'arrêter, se refusa à la suivre. A Bourbon qui le pressait de rester en lui rappelant l'ordre de l'empereur d'obéir à ce qu'il lui prescrirait, Je ne l'ai pas oublié, répondit-il, mais comme je sais que vous n'accomplissez pas ce que l'empereur vous ordonne, je ne dois pas non plus vous obéir. Et se démettant de son commandement, il se retira à Ferrare.

Le 30 mars 1527, l'armée impériale, ayant reçu du duc de Ferrare des munitions, des chariots, des pionniers et quelques vivres, se mit en route conduite par le duc de Bourbon, assisté des douze élus. Elle prit d'abord le chemin de la Romagne, fut, arrêtée quelque temps par les rivières que les pluies avaient grossies, parut sous Imola, où était allé de Bologne le vigilant marquis de Saluces avec les troupes soldées par la France, poussa jusqu'à Forli, et se dirigea, exposée aux plus dures souffrances et aux plus extrêmes privations, vers la partie la plus haute et la plus âpre des Apennins. Elle comptait en descendre pour se jeter sur la riche proie de Florence ou de Rome. Bourbon, qui la menait à ce grand pillage, semblait en éprouver un remords anticipé, et écrivait, que, si le pape fournissait à l'armée assez d'argent pour la satisfaire, il la déciderait à rétrograder.

En apprenant ces choses, Clément VII, tout à la fois indigné et effrayé, avait sommé le vice-roi de Naples de faire accepter au plus tôt par l'armée impériale, l'arrangement conclu avec l'empereur. Lannoy ne refusa point de s'entremettre auprès du duc de Bourbon, mais en demandant que les soixante mille ducats fussent portés à cent cinquante mille. Comme cette somme ne pouvait pas être trouvée tout de suite à Rome, le vice-roi se rendit avec un maître d'hôtel du pape à Florence, également intéressée au maintien d'un accord qui l'arrachait au péril dont elle était menacée. Lannoy assura qu'à ce prix il ferait rétrograder l'armée, et il s'engagea, si Bourbon ne s'y montrait pas disposé, à détacher tout au moins les Espagnols et les hommes d'armes.

Pendant dix jours, le vice-roi négocia la levée des cent cinquante mille ducats avec les Florentins, qui promirent de les fournir et vendirent les vases de leurs églises pour les trouver. Cet accord nouveau eut l'assentiment de deux gentilshommes que le duc de Bourbon avait envoyés à Florence avec son aumônier, afin d'assurer qu'une somme plus forte lui permettrait de ramener en Lombardie l'armée qu'il avait désiré arrêter sans le pouvoir. Ses commissaires retournèrent auprès de lui pour le prévenir que les cent cinquante mille ducats seraient comptés en deux fois aux soldats impériaux. Ils furent suivis de près par le vice-roi et par les délégués florentins porteurs des cent mille ducats du premier payement. Tout semblait définitif. Clément VII, après avoir conclu la trêve du 15 mars à Rome, avait licencié la plus grande partie des troupes qui lui restaient encore, et n'avait conservé que deux mille hommes des bandes noires, cinq cents chevaux et un petit nombre de Suisses. En apprenant ce qui avait été convenu à Florence, pleinement rassuré, il renvoya le peu de soldats qu'il avait gardés, et demeura entièrement désarmé dans Rome.

On eût dit que c'était ce que voulait le duc de Bourbon. Après avoir été retenu longtemps en Romagne par la nécessité de faire des vivres et par le débordement des rivières, laissant ses canons pour aller plus vite, il s'était dirigé vers le Val-di-Bagno, seule route qui ne lui fût pas fermée pour passer des états de l'Église sur le territoire florentin[189]. Il avait pris Meldona, que ses troupes avaient saccagée, et remontant les revers orientaux des Apennins, où ses soldats, au milieu des neiges amoncelées et des torrents grossis, avaient eu beaucoup de peine à ne pas mourir de faim et de froid, il touchait aux cimes les plus élevées des montagnes qu'il 'voulait franchir, au moment où le vice-roi de Naples, le maitre d'hôtel de Clément VII et les porteurs des ducats florentins s'avançaient par le revers opposé pour le joindre et l'arrêter. Il leur donna rendez-vous sous l'Apennin, qu'il tenait surtout à passer, et ne cessa d'écrire, soit à Lannoy, soit au lieutenant du pape Francesco Guicciardini, qu'il était toujours dans les plus pacifiques dispositions. Le 21 avril, jour de Pâques, il vit à la Piena, entre Arezzo et Montevarchi, le vice-roi, envers qui il se montra beaucoup plus exigeant qu'il ne l'avait été jusqu'à ce moment. Déclarant insuffisants les cent cinquante mille ducats acceptés en son nom à Florence, il en réclama deux cent quarante mille. Lannoy fit connaître cette nouvelle exigence à Clément VII, et alla attendre à Sienne la réponse facile à prévoir du souverain pontife. Bourbon continua de suivre le val d'Arno, et le 26 avril il arriva avec ses soldats, pressés par le besoin et avides de pillage, à San-Giovanni de Toscane, qu'une distance de vingt milles séparait de Florence, très peu défendue du côté de l'est.

Heureusement pour cette grande et opulente cité, le même jour, l'armée française, conduite par le diligent marquis de Saluces, et l'armée vénitienne, commandée par le duc d'Urbin, cette fois moins tardif, arrivaient à quelques milles du côté du nord. Les Florentins, alarmés de l'approche du duc de Bourbon, avaient demandé la prompte assistance des troupes de la ligue. Le lieutenant du pape Francesco Guicciardini joignit ses instances à celles de l'ambassadeur vénitien Foscari auprès du duc d'Urbin et à celles de l'envoyé de François Ier, Guillaume du Bellay, auprès du marquis de Saluces pour qu'ils accourussent au secours de Florence[190]. Cédant à ces pressantes sollicitations, les deux généraux confédérés s'y acheminèrent sans retard par deux directions différentes. Ils parvinrent à la portée de la ville le 22 avril en même temps que Bourbon pénétrait jusqu'à San-Giovanni avec l'armée impériale.

Ce jour là même, le cardinal de Cortone, délégué de Clément VII, et Hippolyte de Médicis, neveu du pape, étant allés au devant du duc d'Urbin, leur sortie fut considérée comme une fuite, et il éclata un mouvement populaire contre la famille qui gouvernait en mal tresse la république. Les jeunes gens de la première noblesse, suivis d'une foule considérable, parurent en armes dans les rues, soulevèrent la ville aux cris de popolo ! popolo ! libertà, libertà ! occupèrent le palais du gouvernement et s'y établirent. Ce soulèvement, prélude de la révolution qui renversa bientôt après la domination des Médicis dans Florence, n'eut pas alors de durée parce qu'il était prématuré. Le cardinal de Cortone rentra dans la ville avec les troupes confédérées, et l'on décida sans peine les chefs du mouvement à évacuer de leur gré le palais public, qu'on ne leur eût arraché de force qu'au prix de beaucoup de sang[191]. Le lendemain. Florence rompit l'accord dans lequel Clément VII l'avait comprise, et elle rentra dans la ligue.

Deux jours auparavant, le pape lui-même, soupçonnant ce qu'il y avait d'artificieux dans la conduite du duc de Bourbon et de trompeur dans ses assurances, était revenu à la ligue tant de fois quittée, et, le 25 avril, de nouveaux articles avaient été signés en son nom en présence des ambassadeurs du roi d'Angleterre John Russell et Gregorio Casale. Notre très saint seigneur, était-il dit dans les préambules du traité, voyant les ennemis abuser de sa bonté, agir en tout avec fourberie, ne méditer autre chose que l'oppression de tout le monde, ce qui est rendu manifeste par leur marche en avant, de sorte qu'il ne reste pas d'autre espérance que dans les armes, a résolu de renouer l'alliance avec les princes confédérés[192]. Le nouveau traité ainsi conclu, il fit partir de Rome messer Lorenzo Toscana pour la France, sir John Russel pour l'Angleterre, avec le traité et une demande de prompts secours qu'il adressa également aux Vénitiens[193]. En attendant ce secours, qui ne pouvait être que tardif, il ne prit aucune mesure pour se défendre contre le péril.

Le duc de Bourbon, n'ayant pu se jeter sur Florence, n'avait plus songé qu'à s'emparer de Rome. Quittant tout d'un coup sa position de San-Giovanni, il sortit du val d'Arno, prit à gauche par le val d'Ambra, se dirigea vers le territoire de Sienne, oui des vivres avaient été offerts à l'armée impériale, et, suivant la route la plus directe, il s'avança à marches forcées du côté de la ville pontificale. Il comptait sur la rapidité de ses mouvements et l'audace de son attaque pour la surprendre et s'en emparer. Le 1er mai, il passa des confins du Siennois sur les terres de l'Église, faisant de quinze à vingt milles par jour. Arrivé sur les bords de la Paglia, il fallut passer à gué cette rivière, qui lui barrait le chemin et dont les eaux rapides avaient été extrêmement grossies par les pluies. II en rompit le courant à l'aide de sa cavalerie, et la fit traverser un peu plus bas à l'infanterie, rangée par files de trente à quarante hommes de profondeur, tenant leurs bras entrelacés pour opposer une masse plus forte à l'impétuosité de la rivière[194]. Les gens de pied, ayant de l'eau jusqu'à la bouche et, battus par le courant qui en entraîna quelques-uns, passèrent ainsi sur l'autre bord. Laissant derrière lui Aquapendente, Bourbon parut sous Viterbe, saccagea Montefiascone et Ronciglione qui lui avaient refusé le passage et des vivres, et le dimanche 5 mai il arriva sur le Monte-Maria, en face de Rome, qui se déployait aux yeux de son armée sur les deux rives du Tibre.

Clément VII était renfermé dans le palais du Vatican. Il croyait l'armée impériale assez éloignée encore, lorsqu'il apprit le 2 mai qu'elle était à Aquapendente et que les chevau-légers de son avant-garde, conduits par Sciarra Colonna, s'étaient montrés à Viterbe demandant le passage et des vivres. Cette nouvelle le troubla au dernier point[195]. Il se décida bien tard a faire lever des troupes par Renzo da Ceri, qu'avait rendu célèbre la défense de Marseille contre Bourbon, et auquel il confia le commandement militaire et la défense de Rome. Comme il manquait d'argent, l'ambassadeur d'Angleterre, Gregorio Casale, témoin de ses anxiétés[196], engagea le jour même sa vaisselle et ses joyaux pour fournir aux dépenses des premiers enrôlements[197]. Renzo da Ceri leva en toute hâte de trois à quatre mille hommes, les uns pris parmi les soldats naguère licenciés, les autres tirés des boutiques de Rome et des écuries des cardinaux. La plupart étaient des artisans et des domestiques peu aguerris et nullement disciplinés. Ils étaient déjà cependant sur les murailles du Borgo et du Transtevere, que Renzo da Ceri avait fait remparer précipitamment sur quelques points où elles croulaient de vétusté, lorsque les Impériaux descendirent le 5 mai, vers le soir, du Monte-Marie pour s'approcher, à travers les prairies, des collines du Vatican et du Janicule, où s'élevaient le Borgo et le quartier du Transtevere[198].

Mais Rome n'était pas d'un accès facile. Traversée par le Tibre du nord-est au sud-ouest, elle se composait de trois parties fort inégales et pour ainsi dire indépendantes entre elles. De la rive droite du fleuve jusqu'aux pentes extérieures du Vatican et du Janicule s'étendaient en face de l'armée impériale le Borgo et le Transtevere, formant comme deux cités séparées que protégeaient des enceintes continues, dont il fallait forcer successivement les murailles. Le Borgo, qu'on nommait aussi la Cité Léonine, placé à la gauche des Impériaux et dans lequel s'élevaient le palais pontifical et la grande église de Saint-Pierre, était flanqué d'un côté par le château Saint-Ange et fermé de l'autre par les portes assez bien défendues de Torrione et de Santo-Spirito. L'enlever dans un assaut heureux ne suffisait pas. Il était nécessaire d'escalader ensuite les remparts du Transtevere, que les Impériaux avaient à leur droite et dont ils ne pouvaient abattre sans canons les deux portes Settimiana et Saint-Pancrace, l'une tournée vers le Borgo et l'autre s'ouvrant sur la campagne. Enfin, le Borgo et le Transtevere pris, restait à pénétrer dans la vaste et vieille cité du Forum, du Capitole, du Palatin, du Quirinal, qui, entourée de remparts et de tours, s'étendait sur la rive gauche du Tibre, large et profond en cet endroit. Il y avait donc trois attaques successives à livrer, et comme trois sièges à faire pour s'emparer de Rome.

Le soir même du dimanche où il parut sous ses murs, l'impétueux duc de Bourbon voulait monter à l'assaut. Il réunit ses capitaines, et leur rappelant la situation extrême où l'armée se trouvait réduite, sans vivres pour subsister deux jours, sans munitions même pour combattre longtemps, il leur dit qu'il ne restait qu'à enlever Rome par une agression hardie, et qui avait besoin pour réussir d'être brusquée[199]. Il ne parvint pas cependant à les y décider tout de suite. Ses bandes fatiguées demandèrent un peu de repos. Elles dressèrent leur camp de la porte Saint-Pancrace à la porte Santo-Spirito, et l'escalade de Rome fut renvoyée au lendemain. On passa la nuit à préparer les échelles, à mettre les arquebuses en bon état, à disposer les piques et les glaives.

Le lundi de grand matin, les troupes se mirent en mouvement et se dirigèrent vers le Borgo, dont les remparts placés sur les pentes du mont Vatican, étaient moins hauts et semblaient plus accessibles. C'était là que devait se porter le premier et le plus grand effort des lansquenets comme des Espagnols. Le duc de Bourbon à cheval, la mine altière, respirant l'audace et la communiquant, s'avançait à la tête des bandes qui le reconnaissaient à la casaque blanche jetée sur sa cuirasse et le suivaient avec élan. Le feu s'ouvrit d'abord et continua pendant quelques temps entre les arquebusiers pontificaux qui tiraient du haut des remparts pour en tenir éloignées les troupes impériales, et les arquebusiers espagnols qui cherchaient à les en déloger pour y appliquer plus aisément leurs échelles[200]. L'artillerie du château Saint-Ange mêlait ses détonations au bruit des arquebusiers, et quelques boulets venaient, en plongeant, atteindre de loin en loin les rangs impériaux[201]. Bientôt le soleil souleva de la plaine humide un brouillard épais qui couvrit d'obscurité l'espace entre les combattants et les empêcha de se voir à peu de distance. Ce brouillard, favorable aux Impériaux, leur permit d'approcher des remparts pour les escalader. Bourbon, donnant l'exemple aux siens, descendit alors de cheval, prit une échelle, et, faisant signe aux Espagnols de 16 suivre, s'avança hardiment vers la muraille occidentale du Borgo entre la porte Torrione et la porte Santo-Spirito. A peine s'en approchait-il selon les uns, l'avait-il escaladée selon les autres, qu'une balle d'arquebuse l'atteignit à l'aine droite[202] et le renversa. S'il faut en croire une relation du temps, il ne fut pas tué du coup. Il recommanda de continuer l'attaque sans se décourager, et fut transporté dans une petite chapelle du voisinage, d'où plus tard, lorsque le Borgo fut pris, il fut conduit au Campo-santo, reçut les derniers sacrements, chargea son confesseur de ses recommandations pour Charles-Quint, et expira en criant dans le délire de son agonie : A Rome ! à Rome ![203]

Les bandes impériales, dont le prince avait pris le commandement, étaient déjà entrées dans le Borgo ; la blessure mortelle du duc de Bourbon, loin de les abattre, les avait excitées jusqu'à la fureur. Elles perdirent beaucoup de monde au pied des murailles, et les quatre premières qui parvinrent à les franchir furent prises par Renzo da Ceri. Mais elles s'y précipitèrent de tant de côtés que les défenseurs du Borgo ne purent plus leur faire face ; beaucoup d'entre eux furent égorgés pendant leur fuite. Les Impériaux se répandant au cri de España ! España ! amazza ! arnazza ! travers le Borgo rempli d'épouvante et de sang, les poursuivirent jusqu'à la grande forteresse, dont on eut à peine le temps de leur fermer Ventrée en faisant tomber la herse.

Clément VII venait de s'y réfugier. Au plus fort de l'attaque du Borgo, il s'était rendu dans la chapelle pontificale, et, prosterné au pied de l'autel, il avait prié Dieu de protéger la ville éternelle, à la défense de laquelle il se voyait dans l'impossibilité de pourvoir lui-même. Au moment où les Impériaux s'étaient jetés dans le Borgo, le pape avait quitté précipitamment le palais, et avait gagné le château Saint-Ange par une galerie extérieure. Le prélat Paul Jove le suivait, et lorsque le pontife passa sur le pont découvert qui menait dans la forteresse, il couvrit de son manteau violet la tête et les épaules de Clément VII, de peur que le rochet blanc de celui-ci n'en fit un point de mire et ne l'exposa à recevoir un coup d'arquebuse de quelque soldat luthérien[204].

Ce fut dans la matinée que le Borgo fut pris et que le pape s'enferma au château Saint-Ange ; la plupart des cardinaux, l'ambassadeur de François Ier, beaucoup de prélats s'y réfugièrent avec lui. Clément VII n'avait guère conservé d'espérance, mais Renzo da Ceri et Guillaume du Bellay, qui étaient à la tête d'une petite et vaillante troupe de gentilshommes français, crurent que l'on pourrait empêcher les Impériaux non seulement de franchir la rive droite du Tibre, mais aussi de se rendre maitres du Transtevere, et donner par une résistance prolongée à l'armée de la ligue, déjà en marche, le temps d'approcher. Ils se rendirent au capitole, où les Romains étaient assemblés[205], et Renzo leur proposa de mettre la ville à l'abri d'une invasion en empêchant les Colonna, qui venaient du sud, d'y entrer par la porte de Saint-Jean de Latran, qu'il avait fait barricader, et en coupant les deux ponts Sixto et Capi. Mais les Romains ne consentirent point à repousser les Colonna, qui, disaient-ils, étaient leurs concitoyens, et ils refusèrent de sacrifier leurs ponts, trop beaux, selon eux, pour être rompus[206]. Seulement les milices urbaines, sous leurs caporioni, se joignirent aux débris des troupes de Renzo da Ceri dans le Transtevere menacé.

Le jour était assez avancé lorsque l'armée impériale l'investit et l'attaqua[207]. Elle se posta sur les pentes du Janicule, plantées d'arbustes serrés et entrelacés de vignes[208], et assaillit la partie du mur qui s'étend de la porte Saint-Pancrace ‘à la porte Settimiana. Ceux qui la défendaient ne firent pas une longue résistance[209], et laissèrent pénétrer dans le Transtevere les Impériaux confondus d'une si facile victoire. Craignant que ce prompt abandon ne cachât quelque piège, ils marchèrent en compagnies serrées vers le pont de Sixte IV. Les portes en chêne et très solides qui s'élevaient à son extrémité n'étaient pas même fermées, et il n'y avait personne pour la garder et empêcher le passage. Les assaillants traversèrent le Tibre avec précaution, au bruit des tambours et des trompettes. Ils allèrent camper cette nuit dans le Champ-de-Flore et sur la place Navone. C'est de là que le lendemain malin ils se répandirent dans la ville épouvantée. La plupart des habitants étaient restés tremblants dans leurs maisons fermées ; beaucoup s'étaient entassés avec ce qu'ils avaient de plus cher, leurs femmes, leurs enfants, leurs richesses, dans des églises qui ne devaient pas être respectées ; quelques-uns avaient cherché un refuge dans des palais qui allaient être envahis[210].

Rome, livrée aux Impériaux, fut mise à sac pendant huit jours[211]. Tous les excès qu'une soldatesque sans retenue comme sans obéissance peut imaginer dans son ivresse et commettre dans ses emportements accablèrent la grande cité catholique, ou les Espagnols et les Allemands, également déchaînés, mêlèrent la violence à la spoliation, l'incendie au pillage, la cruauté à la débauche, la moquerie à la profanation. Leurs bandes déprédatrices portèrent le ravage dans tous les quartiers et n'épargnèrent aucun lieu. Pendant les premiers jours de cette lamentable dévastation, Rome offrait l'aspect le plus désolé. Les portes des maisons étaient enfoncées, les rues désertes ou traversées par des fugitifs qui cherchaient un asile dans les lieux les plus écartés et que poursuivaient les soldats. On n'entendait que de douloureux gémissements et des cris de fureur. Les églises qui avaient servi d'inutiles refuges à des populations épouvantées, étaient assaillies par les lansquenets, presque tous luthériens, qui s'emparaient des vases précieux et des riches ornements. Les statues y étaient abattues, les crucifix rompus à coups d'arquebuse, les châsses des saints brisés, les objets les plus vénérables de la piété catholique jetés en bas des autels dépouillés et répandus sur les dalles souillées. Les basiliques de Saint Pierre et de Saint Paul, la chapelle du pape, servaient d'écuries aux chevaux.

Tirons le voile sur ces horreurs qui n'épargnèrent personne, et qui atteignirent plus particulièrement les cardinaux et les prélats qui n'avaient pas eu la prudence de se retirer dans le château Saint-Ange. Plusieurs furent promenés avec leurs habits ecclésiastiques sur des ânes par les luthériens allemands, qui s'affublaient eux-mêmes de chapes et de chasubles prises dans les sacristies, et, à la grande indignation des Espagnols, contrefaisaient, en se moquant, les cérémonies du culte catholique. Arrivés devant Rome les vêtements en lambeaux, sans chaussures, dénués de tout, les pillards étaient couverts d'étoffes de brocart, de pièces de soie, portaient autour de leur cou et sur leur poitrine des chaînes d'or, s'en allaient par les rues montés sur les mules du pape et des cardinaux et passaient à boire et à manger tout le temps qu'ils ne mettaient pas à piller.

Dans l'attaque et dans le sac de Rome, il avait péri près de quatre mille personnes. Les blessés, sans assistance, succombaient dans les rues, où les morts gisaient sans être ensevelis et infectaient l'air. La disette suivit bientôt le pillage, la peste elle-même ne tarda pas à sortir de la disette et du meurtre, et elle ne fit pas plus grâce aux Impériaux qu'aux Romains. Un témoin oculaire qui s'était réfugié chez un évêque espagnol de ses amis, décrit ainsi l'état dans lequel huit jours de ravages avaient mis Rome : Je sortis, dit-il[212], quand il fut possible de le faire presque en sûreté. A mesure que je m'avançai vers le Forum, l'horreur, le silence, la solitude, l'infection, les cadavres çà et là étendus et fétides me glacèrent d'épouvante. Les maisons étaient ouvertes, les portes abattues, les boutiques vides, et dans les rues désertes on ne voyait courir que quelques farouches soldats.

Pendant tout ce temps, Clément VII restait enfermé dans le château Saint-Ange avec la plupart des cardinaux, beaucoup de prélats, les ambassadeurs des états confédérés, un grand nombre de nobles romains, de marchands et même de femmes. Il y attendait d'être secouru par les troupes de la ligue, mais son attente fut vaine. Le duc d'Urbin n'arriva à Nepi que le 22 mai, seize jours après la prise de Rome. Le pape, désespérant alors d'être secouru, était entré en négociation avec les Impériaux, qui avaient fait creuser des tranchées autour du château et le gardaient avec une extrême vigilance. Le duc d'Urbin, arrivé si tard, avait reçu du doge et de la seigneurie de Venise l'ordre de secourir le pape. Il prétendit que les tranchées faites et les défenses élevées autour du château étaient trop fortes pour être affrontées avec ce qu'il avait de monde, et donna à l'armée de la ligue le signal de la retraite. Clément VII, ainsi abandonné, capitula[213]. Il s'obligea à payer aux impériaux quatre cent mille ducats, dont cent mille tout de suite, cinquante mille dans vingt jours, et deux cent cinquante mille dans deux mois. Il fut tenu de leur donner comme garanties pour la sûreté de ses engagements, les forteresses d'Ostie, de Civita-Vecchia, de Civita-Castellana, ainsi que les villes de Plaisance, de Parme et de Modène. L'armée exigea de plus qu'on lui remit en otage les archevêques de Siponte et de Pise, les évêques de Pistole et de Vérone, et plusieurs personnages considérables de Florence et de la parenté du pape. Celui-ci dut lui-même rester prisonnier avec les treize cardinaux enfermés dans la citadelle jusqu'au payement des cent cinquante mille premiers ducats. N'ayant pu payer au jour marqué, il fut. retenu dans une assez étroite captivité, malgré d'apparents respects, et ses otages, au milieu d'une armée cupide et furieuse, n'échappèrent pas à d'indignes traitements et coururent même des dangers de mort.

Charles-Quint était à Valladolid, où il tenait les cortès de Castille pour se procurer de l'argent, lorsqu'il reçut la grave nouvelle de la prise de Rome. Il n'en fut pas étonné. En apprenant que le duc de Bourbon n'avait point adhéré, comme il lui avait recommandé de le faire, à la trêve de huit mois conclue entre Clément VII et le vice-roi de Naples, et que, entraîné autant par ses soldats que par sa passion, il avait franchi l'Apennin avec l'armée impériale, Charles-Quint s'était attendu à ce qui était arrivé. Le 6 juin, ne doutant pas que Bourbon n'eût pénétré dans Rome, et ignorant encore[214] que son aventureux lieutenant avait été tué sous les murs de la ville, il lui écrivait[215] : Mon bon cousin, je ne sçay au vray ce que vous aurez t'aie !, avec le pape depuis votre entrée à Rome... Mais ce que je désire le plus, ce seroit une bonne paix, et espère que vous garderez bien d'être trompé et tiendrez main, si faire se peult, avec bonne assurance, que le pape prenne la peyne de venir jusques icy pour entendre au falot de la paix universelle... Car de cela pourroient ensuivre beaucoup de bonnes choses pour le service de Dieu, le bien de toute la chrestienté et bonne adresse de mes affaires qui sont les vostres.

L'empereur n'avait pas tardé. à connaître la fin tragique du duc de Bourbon. Il lui donna des regrets publics, et pendant cinq jours il prescrivit à sa mémoire des services religieux auxquels il assista lui-même[216]. Il avait appris ensuite le pillage sanglant de Rome, la capitulation contrainte de Clément VII dans le château Saint-Ange et sa captivité prolongée. Ces événements inouïs avaient répandu beaucoup d'affliction parmi les catholiques espagnols. Il s'en montra très attristé[217]. Il fit suspendre les fêtes alors célébrées pour l'heureuse naissance du fils qui fut son successeur, Philippe II. Redoutant l'effet produit dans le monde par cet attentat sacrilège, il s'en justifia dans une lettre adressée aux princes chrétiens. Il disait, dans cette lettre, qu'il n'avait pas cessé d'être favorable à l'Église romaine jusqu'à la partialité ; qu'il avait mieux aimé, lorsqu'il était en Allemagne, s'exposer au déplaisir des Allemands, qui lui soumettaient leurs justes 'doléances en le suppliant d'y porter remède, que d'affaiblir l'autorité des souverains pontifes ; que plus récemment, pour la paix et le bien universel de la république chrétienne, il avait délivré le roi de France sans se venger de ses injures, et sans recouvrer tout ce qui avait été usurpé sur lui ; que le très saint père Clément VII, se laissant tromper par quelques méchants personnages qui étaient autour de lui, au lieu de conserver la paix en bon pasteur, avait suscité une nouvelle guerre dans la chrétienté ; qu'obligé de défendre ses états et ses sujets, il avait envoyé au secours de ses troupes en Italie une nouvelle armée, qui avait marché sur Rome et s'en était emparé, on savait comment, après avoir perdu son capitaine général. Il déplorait cette catastrophe, bien que, à dire le vrai, continuait-il, nous ne croyions pas qu'elle soit aussi grande que nos ennemis l'ont publié de tous côtés, et encore que nous voyions que cela est arrivé par le juste jugement de Dieu plutôt que par la force et la volonté des hommes, sans qu'il soit intervenu pour cela aucun consentement de notre part. Nous avons ressenti une si grande peine et une si grande douleur des outrages faits au siège apostolique, que nous aurions mieux aimé ne pas vaincre que de remporter une pareille victoire. Il prétendait toutefois que Dieu, ayant coutume dans sa bonté de tirer le bien du mal, il convenait de lui savoir grâce pour ce qu'il faisait et permettait, et il terminait en disant : Efforçons nous, chacun de notre côté, de dresser des remèdes aux maux que de toutes parts souffre la chrétienté, prêts que nous sommes à y employer notre vie et à y répandre notre sang[218].

Malgré ces protestations, le pape resta longtemps prisonnier. Il était resserré dans le château Saint-Ange, soumis à la surveillance intéressée de six compagnies d'Espagnols et d'Allemands entrés dans la forteresse pontificale. Sa captivité était un obstacle à l'acquittement des engagements qu'il avait pris. Comment se procurer les sommes nécessaires à sa libération ? Presque sans autorité et surtout sans crédit, il avait payé à grand'peine, le 21 juin, quatre-vingt mille ducats sur les cent cinquante mille qu'il était tenu de payer tout d'abord[219], et qu'il ne parvint à réunir que longtemps après le terme fixé ; mais il fut hors d'état de compter aux soldats de Charles-Quint les deux cent cinquante mille ducats qu'il s'était engagé à leur remettre deux mois après la capitulation du 6 juin, et il resta exposé aux menaces d'une armée qui n'obéissait plus à personne. Le prince d'Orange avait été obligé d'en abandonner le commandement. Les chefs espagnols s'étaient concertés pour le lui enlever et le placer aux mains du vice-roi de Naples Lannoy. Il s'était retiré furieux à Sienne, et s'y faisait guérir d'un coup d'arquebuse reçu devant le château Saint-Ange et qui lui avait traversé le visage[220]. Lannoy, rentré dans Rome, s'était mis, sans pouvoir y rester, à la tête de l'armée, dont l'accueil menaçant et les volontés hostiles l'avaient contraint de partir assez vite pour le royaume de Naples. En s'y rendant, il s'était arrêté à Aversa, où il succomba le 23 septembre à la maladie pestilentielle qui régnait dans Rome et qu'il en avait rapportée.

Cette terrible maladie avait réduit l'armée de près de moitié. Sortant de la ville dévastée et empestée, les Espagnols et les Allemands s'étaient répandus dans les lieux environnants, qu'ils avaient ravagés. Ils étaient ensuite revenus dans Rome, et ils avaient réclamé plus impérieusement que jamais l'argent qui leur était dû. A la suite d'une de leurs délibérations les plus tumultueuses, ils avaient tiré du château Saint-Ange les otages pontificaux, à la grande désolation de Clément VII, qui ne les avait pas vus partir sans éprouver de grandes craintes et sans verser des larmes[221]. Les soldats les avaient conduits dans le Campo di Flore, où ils les avaient enchaînés deux à deux, les menaçant de mort, s'ils ne leur comptaient pas, comme ils avaient été forcés de le promettre, cinquante mille ducats dans cinq jours[222].

Témoin de ce qui se passait dans Rome livrée à cette soldatesque violente et indisciplinée, Alarcon, gardien vigilant du pape captif, comme il l'avait été de François Ier, mais catholique sincère et alarmé, écrivit à ce sujet avec une douloureuse inquiétude à Ugo de Moncada, qui remplaçait Lannoy comme vice-roi de Naples. Dans cette lettre, Alarcon assurait que tout était en l'air, que l'armée en était arrivée à un tel degré de licence et de désordre, qu'on ne pourrait jamais la ramener à l'obéissance et à la discipline sans la payer et sans lui donner un chef qui la tînt en crainte ; que le prince d'Orange était celui qu'il convenait le mieux de mettre à sa tête ; qu'il fallait délivrer le souverain pontife, si l'on voulait que Dieu dirigeât les affaires de l'empereur comme il l'avait toujours fait ; que c'était une chose bien violente que de tenir si longtemps en prison un pape et treize cardinaux. Avec le mauvais renom, disait-il, qu'en retire Sa Majesté, les pierres de la chrétienté se lèvent contre lui, et le monde s'unit par terre et par mer[223].

La prise de Rome, le sac prolongé de la capitale du monde chrétien, la captivité du souverain pontife avaient en effet rempli l'Europe de stupeur. François Ier et Henri VIII n'avaient pas même attendu ce triomphe violent des armes de Charles-Quint pour nouer entre eux de plus étroites alliances. Dès la fin du mois d'avril 1527, pendant que le duc de Bourbon s'avan4. :ait vers le centre de l'Italie, ils s'étaient unis par de nouveaux traités que devaient consacrer les liens d'un mariage, et qui stipulaient une action commune d'après un plan concerté[224]. Quand la prise et la dévastation de Rome arrivèrent aux oreilles des deux rois, Henri VIII donna immédiatement au cardinal Wolsey les pouvoirs nécessaires pour aller sur le continent s'entendre avec le roi de France et les Vénitiens en vue de venir en aide au pape. François Ier n'avait pas attendu l'arrivée du cardinal d'York et s'était hâté d'intervenir puissamment en Italie. Par son ordre, le maréchal de Lautrec., son lieutenant, général, s'était acheminé à la fin du mois de juin vers les Alpes avec la gendarmerie des ordonnances et était allé se mettre à la tête des troupes qui, de tous côtés, descendaient dans le Piémont. Son armée devait se composer de neuf cents hommes d'armes, de dix mille Suisses, de six mille Gascons sous le comte Pedro Navarro, de quatre mille aventuriers français, et d'une artillerie nombreuse. Elle devait être encore renforcée plus tard par un corps d'Italiens aguerris, et le roi d'Angleterre y envoyait sir Robert Jarningham comme son commissaire pour en suivre les opérations et lui compter les trente-deux mille couronnes qu'il s'était engagé à lui fournir chaque mois[225].

L'entreprise de Lautrec cette fois réussit complètement. La Lombardie fut enlevée presque tout entière aux Impériaux. Le roi de France tenait le comté d'Asti, vieux patrimoine de la maison d'Orléans, la ville de Savone, la seigneurie de Gènes et la côte de la Ligurie. Le duc Francesco Sforza était rentré en possession de la plus grande partie de son duché de Milan. Maitre des fortes places de Lodi et de Crémone depuis la précédente campagne, il avait reçu Alexandrie, Novare, Vigevano, Abbiate-Grasso, Pavie des mains de Lautrec, qui les lui avait restituées après les avoir conquises. Il ne restait pour ainsi dire, plus que Milan au pouvoir des Impériaux. Après ces succès en Lombardie, Lautrec s'était mis en mouvement vers le sud, avait passé le Pô à Plaisance avec son armée, et, pénétrant dans les états Je l'Église, marchait au secours du souverain pontife.

Charles-Quint avait compris, depuis longtemps, qu'il lui importait de rendre le pape à la liberté, mais il craignait son inimitié, car il voulait, disait-il, une paix durable et qui lui permit de s'avancer avec toutes ses forces et sans inquiétude au dedans contre les ennemis du dehors, les Turcs toujours menaçants. Il envoya donc auprès de Clément VII son ancien confesseur fray Francisco de los Angeles, général des observantins, et il fit partir en même temps son chambellan Pierre de Veyre, baron de Saint-Vincent, avec des instructions adressées à son vice-roi de Naples pour conduire la négociation conformément aux intérêts de sa politique. Il voulait que le saint Père fût rétabli dans l'exercice spirituel de sa charge, mais il exigeait des assurances pour ne pas être trompé dans toutes les choses qui se feront humainement et avec le pouvoir temporel. Il voulait donc que Clément VII, pour sortir de captivité, donnât des gages de sa future amitié et fournit les sommes réclamées par l'armée impériale. Ces conditions très difficiles à remplir retardèrent longtemps la libération du pape[226].

François Ier, de son côté, avait écrit au saint Père, dans le courant du mois d'août, une lettre qu'il avait mis tout son esprit, dit M. Mignet, à rendre persuasive. Il conjurait le pape captif de ne pas se soumettre aux volontés de Charles-Quint et de prendre en gré son infortune, qui tournerait à sa gloire et à la confusion de ses ennemis. Il l'assurait que Dieu ne laisserait pas impunis ceux qui avaient ainsi traité son vicaire et commis tant d'exécrables inhumanités dans la cité où les successeurs de saint Pierre avaient leur siège. Nous vous prions, très saint Père, le roi d'Angleterre et moi, lui disait-il, quelque chose que l'on vous propose ou dont on vous menace, de ne condescendre à octroyer ou faire acte indécent à la dignité dans laquelle vous êtes constitué. Il lui annonçait que le roi d'Angleterre et lui avaient déjà en Italie une forte armée et une flotte qui seraient employées à son service ; que si leurs troupes rencontraient les ennemis, elles leur livreraient bataille et auraient sur eux la victoire. Il ajoutait : Mon très cher frère le roi d'Angleterre et moi avons envoyé par devers l'empereur pour votre délivrance. Si nous ne pouvons l'obtenir par la douceur, nous inciterons contre lui les autres princes chrétiens et les électeurs de l'empire. Le clergé, tant de France que d'Angleterre, incitera aussi le reste du clergé de la chrétienté à poursuivre votre liberté, en sorte que nous ferons connaitre à l'empereur qu'il ne devait souffrir qu'un si condamnable attentat fût commis en son nom et sous sa bannière[227].

Les deux rois en effet avaient envoyé en Espagne des ambassadeurs extraordinaires pour demander à l'empereur de délivrer les jeunes princes français moyennant la rançon offerte, et de rendre Clément VII à la liberté comme à l'exercice du souverain pontificat. Sir François Poyntz et Gabriel de Gramont, évêque de Tarbes, chargés de cette mission, s'étaient présentés devant Charles-Quint le 4 juillet, dans un moment où ce prince croyait l'Italie entièrement à sa discrétion. Il ne s'était pas refusé à un arrangement, il avait même semblé s'y prêter en cédant sur le duché de Bourgogne[228]. Mais il fit traîner en longueur la négociation qui, ouverte à Valladolid, fut continuée à Palencia et à Burgos, et se montra moins traitable encore quand il apprit les progrès menaçants de Lautrec en Italie.

Au milieu de ces allées et venues et de ces lenteurs, les soldats espagnols et allemands étaient devenus plus impérieux et plus exigeants que jamais. Les lansquenets menaçaient de brûler Rome et de quitter le service de l'empereur, si on ne les satisfaisait pas tout de suite. Les otages pontificaux qu'ils avaient enchaînés deux à deux, le dataire Giberto, évêque de Vérone, avec A. Pucci, évêque de Pistoie, l'archevêque de Siponte Jean-Marie de Sansovino avec l'archevêque de Pise Onofrio Bartholino, Jacobo Salviati, père du cardinal de ce nom, avec Laurent Ridolfi, furent soumis aux plus ignominieux traitements pour leur arracher les sommes de jour en jour grossies qu'ils étaient dans l'impossibilité de fournir[229].

Le cardinal Pompeio Colonna, dans le palais duquel les otages étaient enfermés quand on ne les tramait point sur le Campo di Fiore, s'entremit bien des fois auprès des lansquenets, qui l'avaient en grande faveur, et qu'il s'efforça d'apaiser. Ennemi longtemps implacable de Clément VII, Pompeio Colonna, après avoir participé au premier sac du Vatican et du Borgo, après avoir assisté deux fois à l'humiliation du pape et à la désolation de Rome, était revenu à d'autres sentiments. A la vue de l'abaissement si profond du souverain pontife, au spectacle des maux qui accablaient Rome, où sa famille tenait depuis tant de siècles une si grande place, il se trouva trop vengé. Il alla au château Saint-Ange se jeter aux pieds du pape et les baiser. Clément VII le releva et l'embrassa[230]. Ils pleurèrent ensemble sur les malheurs de Rome et du saint siège, et leur réconciliation s'acheva dans les témoignages de cette commune douleur. Pompeio Colonna travailla désormais de son mieux à faciliter la délivrance de Clément VII. Les malheureux otages, avaient été conduits une dernière fois, le 28 novembre, au Campo di Fiore, et placés sous des fourches patibulaires. Ils ne furent détachés du gibet qu'après avoir promis de payer le lendemain à l'armée ce qu'elle leur demandait sous peine de mort. Ramenés au palais Colonna, ils parvinrent à s'en évader pendant la nuit à l'aide du cardinal Pompeio.

Deux jours avant cette scène menaçante et cette heureuse évasion, l'accord avait été conclu entre le pape et l'empereur, après bien des tentatives inutiles de la part des envoyés de Charles-Quint et de douloureuses hésitations de la part de Clément VII. Les articles en furent arrêtés dans la nuit du 26 novembre, signés par le souverain pontife, les treize cardinaux prisonniers, le marquis del Vasto, les délégués de l'armée impériale, et ratifiés par le vice-roi de Naples. Il était convenu que le pape donnerait immédiatement une partie de la somme de trois cent soixante huit mille cent cinquante trois écus et serait mis en liberté, et que le reste serait payé dans les trois mois suivants. Il était tenu, en outre, de concéder à l'empereur, dont il ne serait jamais plus l'adversaire en Italie, la levée d'une cruzade en Espagne, et l'octroi dans le royaume de Naples de décimes ecclésiastiques évalués à cinq cent mille ducats, sur lesquels deux cent cinquante mille reviendraient à Clément VII et serviraient à son acquittement[231]. Ostie, Civita-Vecchia, Civita-Castellana devaient être laissés entre les mains des Impériaux, comme gages de l'observation de ces engagements, et les cinq cardinaux Trivulzi, Pisani, Gaddi, Ursino, Gesi, gardés comme otages de la fidélité du saint Père à les remplir. Le 7 du mois de décembre était le jour fixé pour sa sortie du château Saint-Ange ; il ne l'attendit point. Le 6, vers minuit, il quitta sa prison sans être vu, revêtu d'un costume de marchand et suivi d'un seul serviteur. Un cheval était tenu prêt à une fausse porte du jardin du palais du Vatican. Clément VII, la tête couverte d'un chapeau à larges bords qui descendait sur ses yeux, le visage à moitié caché par les plis du manteau dans lequel il était enveloppé, se jeta sur ce cheval, et l'éperonnant comme s'il devait être poursuivi, il alla sans s'arrêter jusqu'à Capranica. Après une courte halte, il courut s'enfermer dans Orvieto, place entourée de fortes murailles, et là seulement il se crut libre et en sûreté[232].

Il écrivit aussitôt à Lautrec, qu'il remercia d'avoir contribué par son approche à lui faire rendre la liberté. Il se justifia ensuite, dans une lettre adressée à François Ier, du traité qu'il venait de conclure avec l'empereur, et que la nécessité seule lui avait arraché. Il rendit grâces à ce prince d'avoir pris les armes pour sa délivrance, devenue ainsi plus facile et moins onéreuse ; mais le souvenir de ses longues traverses, l'effroi encore plus que le ressentiment de ses affronts et de ses adversités, une captivité humiliante et désastreuse, Rome saccagée, Florence perdue[233], Reggio, Rubiera et Modène prises par le duc de Ferrare, Cervia et Ravenne usurpées par les Vénitiens, trois forteresses de l'Église livrées aux Impériaux, lui ôtaient toute envie de rentrer dans la ligue ; il n'était plus disposé à rompre derechef avec Charles Quint. La paix qu'il voulait garder, il engageait François Ier à la faire. Maintenant mon très cher fils, lui disait-il[234], nous te prions, par cette affection qui nous a toujours liés l'un à l'autre, de bien tout examiner afin de guérir les blessures de la malheureuse chrétienté, de rétablir la paix universelle et d'obtenir la délivrance de tes enfants.

Le conseil que Clément VII donnait à François Ier était donné à Charles-Quint par son frère Ferdinand et par ses plus dévoués serviteurs. Son chambellan Pierre de Veyre, qu'il avait chargé de ses instructions en Italie, après avoir vu l'état de ce pays et en avoir compris les périls, lui écrivait en le suppliant de s'entendre avec François Ier. Je ne vois pas de moyen, lui disait-il, de porter secours à vos affaires, si l'on ne fait pas de paix avec les Français, car je les crains merveilleusement[235]. Les dispositions personnelles des deux monarques les portaient d'ailleurs à un rapprochement dont ils sentaient également, quoique par des raisons diverses, la pressante nécessité. François Ier le désirait surtout pour recouvrer ses enfants, Charles-Quint, afin d'exécuter ses desseins sur l'Allemagne qu'il voulait ramener à l'unité religieuse et défendre contre les Turcs. Mais il y avait de grands obstacles à cette paix, dont la négociation se continuait à Burgos. Charles-Quint, n'espérant plus arracher la Bourgogne au roi de France, consentait à recevoir en échange deux millions d'écus d'or, mais il était d'une exigeante absolue à l'égard de l'Italie, dont il voulait que François Ier retirât immédiatement son armée, en abandonnant tout ce qu'il y avait pris et tout ce qu'il y occupait. Cette condition il voulait qu'elle fût remplie avant que les deux fils du roi lui fussent remis. François Ier, de son côté, craignait, que s'il se désarmait et se dépouillait en Italie, de nouvelles difficultés ne vinssent à surgir et empêcher ses enfants de lui être rendus. Des deux parts on avait peur d'être trompé, et ainsi d'un côté l'évacuation de l'Italie exigée avant la délivrance des jeunes princes, de l'autre leur délivrance réclamée comme condition préalable de l'abandon de la péninsule, semblaient rendre pour le moment encore tout accord impossible.

François Ier pressa alors Henri VIII d'agir de concert avec lui conformément aux traités récemment conclus, pour contraindre l'empereur à la paix par la force, s'il ne s'y décidait pas par raison. Il demanda que les ambassadeurs de France et d'Angleterre en Espagne, ne se laissant plus prendre, comme il disait, au piège des dissimulations prolongées, reçussent les mêmes instructions, fissent entendre le même langage, sommassent l'empereur d'accepter de justes arrangements, et, en cas de refus de sa part, lui déclarassent solennellement la guerre[236]. C'est ce qui fut en effet décidé par les deux rois. Des dépêches semblables furent adressées à l'évêque de Tarbes[237], au président de Calvimont, à l'évêque de Worcester et à sir Francis Poyncz, qui eurent ordre de se présenter à l'audience de l'empereur, de lui signifier les conditions de la paix, et, s'il n'y accédait pas, de se servir des hérauts d'armes qu'ils avaient auprès d'eux pour lui intimer la guerre.

Donc, au commencement de janvier 1528, les ambassadeurs de François Ier et de Henri VIII, signifièrent à Charles-Quint les propositions péremptoires des rois leurs maîtres. Ils réclamaient le rétablissement immédiat du duc Francesco Sforza dans le duché de Milan, et la liberté du dauphin et du duc d'Orléans moyennant la rançon de deux millions d'écus d'or. Ils déclaraient en même temps qu'avant cela l'armée française ne quitterait pas l'Italie et que le roi de France n'abandonnerait rien de ce qu'il y tenait[238]. L'empereur refusa nettement ces propositions et dit qu'il ne se départait pas du traité de Madrid et des dernières offres qu'il avait faites. C'était mettre fin à toute négociation et proclamer la guerre ouverte.

Le 22 janvier la guerre fut solennellement déclarée à l'empereur par les deux rois d'armes de France et d'Angleterre, Guyenne et Clarence. Charles-Quint voulut recevoir cette déclaration et y répondre en présence de toute sa cour. Assis sur son trône. environné de ses grands officiers, des principaux seigneurs d'Espagne et des gens de son conseil, il fit introduire les deux rois d'armes. Ceux-ci s'avancèrent du bout de la salle, firent trois révérences en mettant genou en terre, et, lorsqu'ils furent au bas des marches du trône, ils se revêtirent de leurs cottes aux armes de France et d'Angleterre, qu'ils portaient sur le bras gauche. Ils demandèrent la permission de déclarer ce qu'ils avaient à dire de la part de leurs maîtres, suppliant l'empereur de respecter les privilèges de leurs fonctions et de pourvoir à leur sûreté dans ses états, en attendant de leur communiquer sa réponse[239]. L'empereur leur répondit : Dites ce dont les rois vos maîtres vous ont donné charge ; vos privilèges vous seront gardés, et il ne vous sera fait nul déplaisir dans mes royaumes.

Là dessus le héraut Guyenne lut un écrit signé de sa main et commençant par ces mots : Sire, le roi très-chrétien, mon naturel et souverain seigneur, m'a commandé de vous dire qu'il a un merveilleux regret et déplaisir de ce que, au lieu de l'amitié qu'il a tant désiré avoir avec vous, il faut que l'inimitié précédente demeure et se maintienne encore. Il était ajouté dans cet écrit que la guerre n'était pas près de finir entre l'empereur et le roi, parce que l'empereur refusait de délivrer les enfants du roi moyennant la rançon qui lui était offerte et de donner la paix à la chrétienté ; parce que ses troupes avaient assailli et forcé la ville de Rome, outragé le saint siège apostolique, profané les églises et les reliques, pris le pape, qui placé sur la chaire de Saint-Pierre comme vicaire de Dieu en terre, avait été retenu captif sous la garde d'un des principaux capitaines dont l'empereur s'était toujours servi dans ses guerres d'Italie. Les progrès des Turcs en Europe lui étaient imputés, et il était accusé de faire couler le sang en Italie, d'avoir mis par ses procédés tyranniques comme par ses injustes refus le roi d'Angleterre, les Vénitiens, les Florentins, le duc Sforza dans le parti du roi très-chrétien qui l'attaquera et le grèvera en son pays, terres et sujets, jusqu'à ce qu'il lui ait rendu ses enfants, qu'il ait délivré le pape, acquitté ce qu'il doit au roi d'Angleterre, et laissé ses confédérés en repos.

L'empereur répondit : Je m'ébahis que le roi votre maître me défie, car, étant mon prisonnier de juste guerre et ayant sa foi, il ne le peut faire par raison. Ce m'est chose nouvelle d'être défié par lui, vu qu'il y a six ou sept ans qu'il me fait la guerre sans m'avoir défié. Et puisque par la grâce de Dieu je me suis défendu, comme chacun sait, sans qu'il m'en ait averti, j'espère, à cette heure que m'en avertissez, que d'autant plus je me défendrai, de sorte que le roi votre maître ne me fera rien, car, puisqu'il me défie, je suis à demi assuré. Quand à ce que vous dites du pape, nul n'en a plus de regret que moi. Ce qui s'est fait l'a été sans mon sçu ni mon commandement, par gens désordonnés et sans obéissance à nuls de mes capitaines, et je vous avertis que le pape est mis en sa liberté ; hier j'en eus les nouvelles certaines[240].

Le roi d'armes Clarence fit alors son office, et à son tour il défia l'empereur au nom du roi d'Angleterre. Henri VIII fondait sa déclaration de guerre sur le progrès du Grand-Turc, qui avait pris l'île de Rhodes, l'un des principaux boulevards de la chrétienté, s'était emparé de Belgrade, et avait envahi une partie de la Hongrie ; sur le sac de Rome, où, était-il dit à l'empereur, la personne de notre saint père le pape a été retenue prisonnière par votre armée, les cardinaux pris et mis à rançon, les églises pillées, les évêques, prêtres et gens de religion mis à l'épée, et tant de maux faits, de cruautés et inhumanités commises que l'air et la terre en restaient infectés ; sur les instances inutiles qu'il lui avait adressées pour qu'il s'accordât avec le roi très chrétien et délivrât ses fils en acceptant les offres raisonnables qu'il avait reçues ; sur la violation des engagements qu'il avait contractés envers lui, à qui d'ailleurs il ne payait pas ce qu'il devait. Aussi, était-il ajouté, le roi veut mettre peine de vous contraindre par force et puissance d'armes de délivrer notre saint père, pareillement les enfants de France, en vous payant raisonnable rançon, et satisfaire à vos dettes envers lui.

Charles-Quint montra plus de ménagement pour Henri VIII qu'il n'en avait eu dans ses paroles pour François Ier. Il répondit que le roi d'Angleterre était mal instruit de ce qui s'était passé ; que jamais il n'avait consenti à la détention du pape, aujourd'hui redevenu libre ; qu'il avait déplaisir des maux commis sans qu'il y fût pour rien ; qu'il avait été prêt à entendre aux moyens pour la délivrance des enfants du roi de France, et qu'il n'avait pas tenu à lui que la paix ne se conclût. Mais, ajouta-t-il du ton le plus digne et le plus ferme, à cette heure que vous me dites que le roi votre maitre me forcera à les rendre, je répondrai autrement que je ne l'ai fait jusqu'ici, et j'espère les garder de telle sorte que par force je ne les rendrai point, car je n'ai point accoutumé d'être forcé aux choses que je fais. Il déclara qu'il n'avait jamais nié la dette que réclamait le roi d'Angleterre, qu'il était prêt à la payer et qu'il ne croyait pas que le roi d'Angleterre voulût lui faire la guerre pour exiger de lui ce qu'il ne refusait pas. Si cependant il veut me la faire, dit-il, il me déplaira et il faudra que je me défende. Je prie Dieu que le roi votre maitre ne me donne pas plus l'occasion de la lui faire que je ne pense la lui avoir donnée[241].

Après qu'il eut répondu à Clarence, l'empereur rappela le héraut Guyenne, et il ajouta : Je crois que le roi votre maître n'a pas été averti d'une chose que j'ai dite, à Grenade, à son ambassadeur le président de Bordeaux, et qui le touche fort. Je le tiens si gentil prince, qu'il m'eût répondu, s'il l'eût sçue. Il fera bien de l'apprendre de son ambassadeur, et je vous prie que le disiez ainsi au roi et gardez-vous bien d'y faillir. Ces paroles, dont l'empereur s'était servi contre François Ier, le président de Calvimont avait paru ne pas les ouïr, et avait eu la prudence de ne pas les transmettre. Sommé de le faire alors, Jean de Calvimont répondit qu'il n'en avait pas conservé la mémoire. Cette réponse lui valut la lettre suivante de l'empereur[242] : Vous ne voulez avoir souvenance de ce que je vous ai ditz pour en avertir le roi votre maître. Je vous dis que le roi votre maître avoit fait lâchement et méchamment de n'avoir gardé la foi que j'ai de lui selon le traité de Madrid, et que s'il voulait dire le contraire, je le lui maintiendrois de ma personne à la sienne. Ce sont les mêmes paroles que je ditz au roi votre maître à Madrid, que je le tiendrois pour lâche et méchant, s'il me failloit de sa foi que j'ai de lui. En les redisant, je lui garde mieux ce que je lui ai promis qu'il ne fait à moi. Je le vous ai écrit, signé de ma main, afin que d'ici en avant, vous ni aultres n'en fassiez doute.

François Ier se hâta de repousser l'affront qui lui était fait par le démenti le plus blessant et de répondre à la provocation par un cartel. Assis sur son trône, entouré des princes du sang, des cardinaux, des prélats, des seigneurs de son royaume, des officiers de sa couronne et des gens de son conseil, il donna audience de congé à l'ambassadeur de Charles-Quint, Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle[243]. L'empereur, dit-il à l'ambassadeur, s'est montré surpris que je l'ai défié, et a prétendu que je ne pouvois ni ne devois le faire, étant son prisonnier de juste guerre et ayant ma foi. Sans doute, si j'étois son prisonnier et qu'il eut ma foi, ce seroit vrai ; mais je ne sache point que l'empereur ait jamais eu ma foi. D'abord, en quelque guerre que j'aie été, je ne l'ai jamais vu ni rencontré. Quand j'ai été prisonnier, gardé malade dans le lit par quatre ou cinq arquebusiers, et à la mort, il n'eût pas été malaisé de m'y contraindre, mais peu honorable à celui qui l'eût fait. Depuis que j'ai été de retour en France, je ne connois personne qui ait eu le pouvoir de me la faire bailler. De ma libre volonté, c'est une chose que j'estime trop pour m'y obliger si légèrement. Encore que je sache bien, et aucun homme de guerre ne l'ignore, qu'un prisonnier gardé n'a nulle foi à donner et ne se peut obliger à rien, comme je ne veux pas que mon honneur demeure en dispute, j'envoie à votre maître cet écrit signé de ma main, que je vous prie de lire, monsieur l'ambassadeur, et de me promettre de bailler[244].

Cet écrit, qui renfermait, dit M. Mignet, avec sa propre et subtile justification, les déclarations les plus blessantes contre l'empereur, Granvelle, alléguant que sa mission était terminée et qu'il n'avait plus qu'à prendre congé, s'excusa de le lire et refusa de le porter. François Ier commanda alors à Jean Robertet, l'un de ses secrétaires d'état, de donner lecture de ce cartel violent, où, après avoir dit que l'empereur, pour s'excuser lui-même de ne pas faire la paix, l'avait accusé de manquer à une promesse qu'il n'était pas obligé de tenir et d'avoir faussé sa foi qu'il ne pouvait pas donner, il ajoutait : Si vous nous avez voulu charger d'avoir fait chose qu'un gentilhomme aimant son honneur ne doit faire, nous disons que vous avez menti par la gorge, et autant de fois que le direz vous mentirez, étant délibéré de défendre notre honneur jusqu'au bout de notre vie. Par quoi assurez-nous le camp et nous vous porterons les armes, protestant que si, après cette déclaration, vous écrivez ou dites paroles qui soient contre notre honneur, la honte du délai de combat en sera vôtre, vu que, venant au dit combat c'est la fin de toutes les écritures.

François Ier, remarque avec raison M. Mignet, en appelant son adversaire en champs clos, entendait soutenir contre lui les armes à la main qu'il avait raison, sans lui permettre de dire désormais un seul mot pour prouver qu'il avait tort. Mais, tout en interdisant à Charles-Quint de l'accuser de nouveau avant de se battre, il se livrait lui-même à une discussion publique de leurs actes respectifs. Si, disait-il, détenir mes enfants, ne vouloir pas entendre raison pour traiter, exiger que j'abandonne mes amis avant que mes enfants me soient rendus, avoir pris un pape, lieutenant de Dieu sur la terre, avoir ruiné toutes les choses sacrées, ne vouloir remédier ni à la venue du Turc ni aux hérésies qui pullulent dans la chrétienté, ce qui est office d'un empereur : étant père et portant le titre de roi très chrétien, si toutes ces choses ne pouvoient m'émouvoir à la guerre, je ne sais quelles autres injures ou raisons eussent été suffisantes à m'y provoquer[245]. En finissant, il dit à Granvelle qui prit congé de lui : Qu'il estimoit l'empereur si gentil prince que ce seroit en gentilhomme que celui-ci lui répondroit et non en avocat, dans un champ clos et non par écrit.

Le héraut d'armes qui porta le cartel de François Ier à Charles-Quint accomplit sa mission sans rencontrer ni obstacle ni retard. Il fut reçu à Fontarabie par le gouverneur don Gonzalo de Montalvo, qui l'accompagna jusqu'à la ville de Mouzon, où Charles-Quint tenait les cortès d'Aragon, de Catalogne et de Valence, sollicitant des subsides pour ses guerres. Le lendemain de son arrivée, il fit demander audience à l'empereur, et l'obtint le jour même. Le 8 juin, à quatre heures après midi, Charles-Quint, entouré de beaucoup de prélats, de grands et de caballeros qu'il voulait avoir pour témoins des termes du défi et des termes de l'acceptation, admit en sa présence le héraut de François Ier. Revêtu de sa cotte d'armes, le héraut Guyenne, fendant la noblesse qui remplissait la salle et qui s'était ouverte pour le laisser passer, s'avança vers le trône en faisant cinq révérences successives. Lorsqu'il fut près de l'empereur, il mit un genou en terre, et dans cette attitude il dit : Sire, je supplie votre très sacrée majesté de me donner licence de remplir mon office, et qu'après je puisse retourner sûrement comme je suis venu. — Héraut, lui répondit l'empereur, dites ce que vous avez en charge ; je veux que vous soyez toujours bien traité.

Alors Guyenne se leva, et, debout, il dit : Le roi mon maitre et souverain seigneur ayant entendu par moi les paroles que vous m'avez commandé de lui rapporter et ce que vous avez proféré contre son honneur, voulant le rendre net, pur, et le mettre hors de suspicion devant le monde, m'a ordonné de vous présenter pour réponse cet écrit signé de sa propre main, lequel, Sire, il vous plaira voir, car vous connoîtrez par là qu'il vous satisfait entièrement. L'empereur, avant de prendre le papier, dit : Héraut, avez-vous commission du roi votre maitre de lire cet écrit que vous apportez ?Sire, répondit Guyenne, le roi mon maitre ne m'a pas donné cette charge. — Héraut, continua l'empereur, j'ai entendu ce que vous m'avez dit, je verrai l'écrit que vous m'apportez, j'y satisferai et garderai mon honneur. Le roi votre maitre aura fort à faire d'agir de même, et lui seroit chose quasi impossible. Il ajouta qu'il pourrait bien tenir le roi pour inhabile à faire un tel acte contre lui, mais que, afin d'éviter une plus grande effusion de sang et de mettre un terme à des guerres que le roi n'avait pas voulu finir par un autre moyen, il voulait le tenir pour habile, en ce cas ci seulement[246].

Il prit le cartel des mains du héraut d'armes, et pendant qu'il le gardait plié sans le lire, le héraut lui dit : Sire, si la réponse que vous ferez au roi mon maitre est la sûreté du camp et qu'il plaise à Votre Majesté me commander de la porter, j'ai ordre exprès de le faire ; mais si c'étoit autre chose, je n'ai aucune commission de la rapporter. Il ne faut à mon maitre que la sûreté du camp, car il ne manquera pas de s'y rendre avec les armes dont il a l'intention de se servir pour se défendre. — Ce n'est pas à votre maitre, répliqua Charles-Quint, à me donner la loi par laquelle je dois me conduire. J'agirai comme j'ai dit.

Après que le héraut d'armes fut sorti de la salle, l'empereur donna l'ordre à Jean Lallemand, son premier secrétaire d'état, de lui lire en présence de cette grande assemblée le cartel de François Ier. Il l'écouta avec calme, et, entendant les mots du démenti, il dit dédaigneusement que celui qui avait fait et signé ce cartel était le menteur. Il dressa ensuite son propre cartel, y repoussa les reproches, y contredit les raisonnements de François Ier et il ajouta : Vos paroles ne suffisent pas pour satisfaire à votre honneur, car j'ai dit et je dirai sans mentir que vous avez fait lâchement et méchamment de ne m'avoir pas gardé la foi et promesse que j'ai de vous, selon le traité de Madrid, et en le disant je ne vous charge pas de choses secrètes et non possibles à prouver, puisque cela appert d'écritures signées de votre main dont vous ne pouvez pas vous excuser et que vous ne pouvez pas nier[247]. Il déclarait que pour éviter l'effusion du sang et pour mettre fin à la guerre, voulant défendre sa querelle de sa personne à celle du roi, il acceptait de lui livrer le camp et lui proposait le camp sur la rivière de la Bidassoa, qui séparait les deux pays entre Fontarabie et Andaye. Il demandait que des gentilshommes fussent dépêchés de part et d'autre sur les lieux pour établir l'égale sûreté du camp et faire le choix des armes. Il finissait en invitant François Ier à ne pas ajouter lui-même la honte de retarder le combat au tort de n'avoir pas accompli les engagements pris à Madrid[248].

Charles-Quint envoya le héraut d'armes Bourgogne porter ce rude cartel à François Ier. D'après les strictes instructions qui lui furent données, le héraut d'armes eut charge de le lire au roi de France avant de le lui remettre. Il portait en même temps une déclaration qui était une réponse, point par point, à la déclaration dont François Ier avait fait accompagner son cartel. Il y était particulièrement soutenu que, durant la maladie du roi, il ne lui avait été rien demandé dont pût avoir regret l'empereur, qui avait usé envers lui de tout honneur et courtoisie ; que le traité de Madrid, signé de sa main et de celle de ses ambassadeurs, n'avait été fait que sur sa demande expresse et sur la leur ; qu'il avait juré sa foi au vice-roi de Naples, qui l'avait reçue, et que sa foi ainsi donnée durait en sa force et l'astreignait comme un captif ; que prétendre que tout homme gardé ne donnait pas sa foi et ne pouvait s'obliger à rien, c'était allégation de clerc mal appris et plein de chicane, et non de roi, de chevalier ni de gentilhomme[249].

Le héraut d'armes Bourgogne eut quelque peine à pénétrer en France et à se faire admettre auprès du roi. Il attendit plus d'un mois et demi à Fontarabie le sauf conduit qui avait été demandé pour qu'il vint remplir son office. Après de longs retards, et lorsqu'il eut affirmé à plusieurs reprises qu'il portait l'assurance du camp, ce sauf-conduit lui fut envoyé de Fontainebleau le 1er août, mais le gouverneur de Bayonne, Saint-Bonnet, le retint encore jusqu'au 19, et le 20 seulement le héraut d'armes de Charles-Quint, escorté par le capitaine du château vieux de cette ville, put se mettre en route pour se rendre auprès de François Ier[250]. Arrivé à Étampes le 2 septembre, il attendit encore bien des jours le roi, qui chassait le cerf dans les forêts voisines. Il n'entra dans Paris que le 9 septembre, escorté par deux gentilshommes qui ne lui permirent pas de se revêtir de sa cotte d'armes et le logèrent au cloître Notre-Dame, où ils le mirent sous la garde de deux archers ayant l'ordre de ne le laisser parler à personne. Enfin, le 10 septembre, François Io !' s'étant rendu dans la grande salle du palais, accompagné des princes du sang, des seigneurs de sa cour, des gens de son conseil et de beaucoup de gentilshommes, le roi d'armes de Charles-Quint fut solennellement admis devant lui[251].

Après que le héraut Bourgogne eut fait les révérences d'usage, François Ier, sans lui donner le temps de parler, lui dit : Roi d'armes, m'apportes-tu l'assurance du camp, comme je l'ai écrit dans mon cartel à l'empereur ton maître, réponds-moi ?Oui, sire, répondit le roi d'armes ; plaise à Votre Majesté que je fasse mon office et que je dise ce qui m'a été commandé par l'empereur mon maître. — Non, ajouta le roi, si tu ne donnes pas, signée de ta main, la patente contenant l'assurance du camp, et rien autre, comme tu sais bien que l'indique ton sauf-conduit. Le héraut cherchant à remplir son office ainsi qu'il en avait l'ordre, dit alors : — Sire, la sacrée majesté de l'empereur... mais il fut interrompu par le roi, qui ajouta brusquement : — Je te dis de ne me parler d'aucune chose ; je n'ai rien à faire avec toi, je n'ai à faire qu'avec ton maître. Quand tu m'auras donné son cartel et que le camp sera bien assuré, je te donnerai permission de dire ce que tu demanderas, mais pas autrement. — Sire, il m'a été recommandé de le lire moi-même, puis de vous le remettre, s'il vous plaît de m'accorder licence de le faire, et, après l'avoir remis, de remplir le reste de ma charge. A ces mots, le roi se leva de son siège et s'écria avec courroux : — Comment ! ton maître veut établir de nouvelles coutumes dans mon royaume ! Je n'entends pas qu'il use envers moi de ces hypocrites détours. — Sire, je suis certain, répondit le héraut, que l'empereur fera toujours ce qu'un prince vertueux doit faire pour son honneur. — Je le tiens pour si vertueux prince, ajouta le roi en revenant sur les paroles auxquelles il s'était laissé emporter, que je crois qu'il fera ainsi. Mais il dit en même temps et avec vivacité au maréchal de Montmorency, grand maître de sa maison, qui le priait sans doute tout bas de laisser parler le roi d'armes : Non, non, je ne le lui permettrai pas, à moins que je ne tienne l'assurance du camp, sans laquelle tu peux, reprit-il en s'adressant au héraut Bourgogne, t'en retourner comme tu es venu, et n'ajoute rien. — Sire, repartit le héraut, je ne saurois faire mon office et vous donner le cartel de l'empereur sans votre autorisation, que je vous demande de nouveau, et si vous ne voulez pas me la donner, qu'il vous plaise de me certifier par écrit que vous me la refusez, en me gardant votre sauf-conduit pour m'en retourner. Le roi, impatienté de cette imperturbable ténacité, se leva de son siège et dit brusquement : J'entends qu'il lui soit donné[252].

Ainsi finit cette étrange scène. Le héraut d'armes partit après avoir vainement demandé, par l'entremise du grand maitre de France, une nouvelle audience qui ne lui fut pas accordée. Il partit en protestant qu'il ferait son rapport à l'empereur, et en annonçant que sa majesté impériale publierait partout que son cartel en réponse au cartel du roi contenait la sûreté du camp et qu'il n'y avait pas de sa faute, s'il n'avait pas été reçu. En effet, Charles-Quint, au retour du roi d'armes, prit connaissance de sa relation, qu'il communiqua au conseil de Castille avec toutes les pièces de cette querelle singulière entre les deux souverains. Ce suprême tribunal de la monarchie espagnole décida que, selon la raison naturelle, le droit des gens, les antiques lois concernant, les faits de guerre et de duel, l'empereur avait répondu au défi adressé au roi de France, satisfait à l'honneur de son impériale et royale personne et aux obligations d'un caballero, tandis que le roi de France n'avait pas accompli ce qu'il devait comme gentilhomme en ne voulant pas entendre le héraut d'armes, et en ne lui permettant point de remplir sa charge, d'où il ressortait clairement qu'il avait refusé le champ et le combat. Le conseil de Castille ajoutait que l'empereur n'était plus obligé à aucun acte et à aucune protestation, mais qu'il devait seulement faire savoir ce qui s'était passé aux grands de ses royaumes, aux capitaines de ses armées, et aux autres personnes qu'il conviendrait d'en instruire[253].

Charles-Quint le fit dans un récit qu'il adressa à tous ses sujets, et où furent insérés les avis unanimes des prélats, des grands d'Espagne, des conseils d'état et de guerre qu'il avait consultés, tout comme le conseil de Castille. C'était à la fois une apologie et un manifeste. Il y disait que le roi de France et le roi d'Angleterre lui déclaraient la guerre à feu et à sang, qu'il ne serait point cause des maux qui en résulteraient et qu'il espérait que Dieu, qui connaissait ses intentions, lui donnerait la victoire. Il associait ses peuples à ses sentiments et à ses actes en leur demandant d'invoquer dans les églises et par des prières l'assistance de celui qui donnait les succès aux causes justes. François Ier dit en terminant ce récit dramatique M. Mignet, François Ier, se tut. Son silence, en cette rencontre, vint de la fausseté de sa position. Tout vaillant qu'il était, il ne sortit pas de ce débat particulier plus heureusement qu'il n'était sorti de la guerre générale[254]. Le double cartel en demeura là, et les deux adversaires, plus animés que jamais l'un contre l'autre, poursuivirent avec acharnement la guerre qu'ils se faisaient depuis sept années.

Cette guerre l'Italie en était toujours le théâtre ; c'était là que devait se vider une querelle qu'envenimait l'irritation des outrages ajoutée au désaccord des intérêts, François Ier l'avait emporté d'abord. L'armée victorieuse que commandait le maréchal de Lautrec, s'avançait vers le centre et le sud de l'Italie. Après avoir reconquis presque toute la Lombardie milanaise et l'avoir remise au duc Francesco Sforza, après avoir reçu dans la ligue contre Charles-Quint le duc de Ferrare et le marquis de Mantoue, Lautrec s'était porté sur Bologne. C'est là qu'il avait appris la délivrance du pape. Continuant à s'avancer à travers la Romagne, les Légations et les Marches, il prit les villes d'Imola et de Rimini, qu'il remit au saint siège, dont elles avaient secoué l'autorité durant la captivité de Clément VII. Le pape s'en montra fort reconnaissant. Il seconda du mieux qu'il put[255], mais secrètement toutefois, les opérations de l'armée française, sans céder aux instances de Lautrec, qui le pressait de rentrer dans la ligue.

L'expédition de Lautrec n'avait plus qu'un objet, la conquête du royaume de Naples. Le général français, longeant les côtes de l'Adriatique, passa par Pesaro, Sinigaglia, Ancône, Recanati, franchit la frontière pontificale et pénétra dans les Abruzzes. Il les occupa sans rencontrer de résistance. Épuisé par les Espagnols et fatigué de leur pesante domination, le royaume tout entier où le parti angevin était encore fort puissant, était prêt à recevoir les Français comme des libérateurs. Après s'être rendu maître des Abruzzes, Lautrec descendit en Pouille. Il y perçut les cent mille ducats que rendait chaque année la grande douane des bestiaux, de passage alors dans cette province, et il se servit fort à propos de cet argent pour le payement arriéré de son armée. Il prit ensuite les trois villes de San-Severo, de Lucera et de Foggia, qui se donnèrent à la France avec le même empressement que les villes des Abruzzes.

Lautrec s'étendait ainsi dans la partie orientale du royaume, lorsque l'armée impériale, quittant Rome avec précipitation, alla au devant de lui comme pour s'opposer à sa marche et lui disputer la possession du pays dont elle n'avait pas pu lui fermer l'entrée. Ce n'est pas sans peine qu'elle avait été tirée de Rome. Les lansquenets qui en formaient la partie la plus considérable, avaient été sur le point de passer du service de l'empereur au service du roi de France. Ils en avaient menacé le prince d'Orange, leur nouveau général, s'ils n'étaient pas payés. Celui-ci était allé en toute hâte, accompagné de dix de leurs élus, chercher quelque argent au royaume de Naples, après avoir décidé les lansquenets à se contenter pour le moment de deux payes montant à. soixante-dix mille écus, avec la promesse de deux autres payes dans les deux mois suivants. Il avait à grand'peine arraché cette somme au vice-roi don Ugo de Moncada, qui comprenant l'intérêt qu'avait l'empereur de conserver les soldats dont dépendait le maintien de sa puissance en Italie, se l'était procurée par tous les moyens ; puis, courant à Rome, il était parvenu à mettre l'armée en mouvement. Réduite au moins de moitié par les excès et les maladies, cette armée comptait de dix à onze mille hommes, peu disciplinés, mais fort aguerris. Elle s'était dirigée vers la Pouille, en traversant le bas des états romains, et, n'ayant pu prévenir l'invasion du nord-est du royaume de Naples, elle s'était postée à. Troja pour empêcher l'invasion du sud-ouest. De cette forte position elle barrait le chemin de Naples.

Le prince d'Orange occupait Troja depuis quinze jours avec ses onze mille hommes sans canons, lorsque Lautrec, ayant concentré ses troupes, s'avança contre lui. Le succès de son entreprise dépendait visiblement de la défaite ou de la dispersion de ce grand débris de l'armée impériale. Lautrec parut décidé à l'attaquer. Le 16 mars 1528, avec vingt-huit mille hommes d'infanterie allemande, suisse, gasconne et italienne, neuf cents hommes d'armes et vingt-quatre pièces d'artillerie, il marcha à l'ennemi. Il avait le casque en tête et l'épée au poing. Les Suisses avaient baisé la terre, comme ils avaient coutume de le faire avant de combattre, et toutes les autres troupes, animées d'une belliqueuse ardeur, criaient : Bataille ! Bataille ! Au lieu de céder à cet élan, Lautrec, après avoir fait tirer quelques coups de canon sur le camp ennemi, arrêta le mouvement de son armée, qu'il surprit beaucoup en lui donnant le signal de la retraite. Il prit ce parti contre le sentiment de ses capitaines, mais, altier et absolu, ne consultant personne, il manqua, comme il l'avait fait dans d'autres rencontres, de résolution et d'à-propos. Il se proposait, disait-il, pour se justifier, d'attaquer dès qu'il aurait été joint par treize enseignes des bandes noires que la république de Florence lui envoyait. Mais, aussitôt que cette excellente troupe d'environ quatre mille hommes fut arrivée au camp français, le prince d'Orange quitta sa position de Troja. Il délogea dans la nuit même et se mit en retraite vers Naples sans être beaucoup inquiété.

Le lieutenant de François Ier se dirigea alors avec presque toutes ses troupes vers cette capitale, qui était maintenant le point le plus important à prendre. Le prince d'Orange, arrivé un peu avant la fin d'avril devant cette ville, qui était la tête et le dernier boulevard d'un royaume plus qu'à moitié perdu pour l'empereur, sentit qu'il fallait conserver Naples à tout prix. La crainte d'un soulèvement de la part des habitants, las du joug espagnol comme le reste du pays, qui, avait-il écrit à l'empereur, est meilleur françois que je ne suis bon chrétien[256], le décida, non à couvrir la ville en gardant les hauteurs, comme il l'avait projeté d'abord, mais à y entrer pour la contenir autant que pour la défendre. Sachant qu'il aurait à soutenir un siège inévitablement long, il fit remparer Naples sur tous les points, et s'enquit de ce qu'il y avait de vivres et surtout de vin, dont ses Allemands ne pouvaient se passer, et qui, plus encore que la solde, était une condition de leur fidélité. Il en trouva pour tout le mois de mai et pour le commencement du mois de juin[257]. Il rendit compte à l'empereur par la voie de mer de sa situation, et le supplia de lui envoyer sur une flotte espagnole des renforts de troupes et de l'argent comptant.

Lautrec arriva près de Naples au moment où les Impériaux venaient d'éprouver un grand revers. En ce moment, la guerre se poursuivait avec des moyens et des efforts divers contre toutes les possessions de Charles-Quint. André Doria, monté avec Renzo da Ceri et des troupes de débarquement sur une flotte considérable, était parti pour faire une descente en Sicile. Poussé par les vents contraires en Sardaigne, il avait débarqué ses troupes dans l'île, où elles avaient d'abord tout emporté, mais leurs succès avaient été arrêtés par le manque de vivres et par les maladies qui les avaient contraintes d'évacuer l'île à moitié conquise. A la suite de cette tentative infructueuse, le neveu du grand marin génois, Philippine Doria, tout à fait digne par son habileté comme par sa valeur de cette parenté glorieuse, était allé avec huit galères, quelques brigantins et plusieurs navires de moindre dimension croiser dans les environs de Naples. Il s'était posté à Capo-d'Orso, du côté de Salerne. De là sans fermer le port de Naples dont il surveillait le golfe, il empêchait d'y pénétrer les barques qui apportaient du blé et des vivres de la Sicile. Afin de rendre la mer libre, le vice-roi Ugo de Moncada conçut le projet de surprendre et de détruire la flotte génoise qui interceptait le passage. Il arma six galères, quelques fustes, trois brigantins et tout ce qu'il avait de navires légers dans le port de Naples. Il y mit six cents arquebusiers espagnols[258] choisis parmi les tireurs les plus expérimentés. Ancien amiral de Charles-Quint, Ugo de Moncada prit le commandement de cette flotte, sur laquelle montèrent avec lui le marquis del Vasto, le grand écuyer Feramosca, le connétable du royaume Ascanio Colonna et beaucoup d'autres gentilshommes d'élite. Il s'avança ainsi vers la pointe du golfe de Salerne, où il espérait assaillir à l'improviste Philippino Doria et l'accabler.

Mais l'habile Gênois ne devait pas être pris au dépourvu. Instruit de l'armement de Moncada et de son projet d'attaque, il s'était mis en mesure de le bien recevoir. Ses galères étaient pourvues d'une artillerie plus forte que celle des galères espagnoles ; elles étaient mieux manœuvrées, et il y avait placé trois cents bons arquebusiers que lui avait envoyés Lautrec[259]. Le combat s'engagea vers quatre heures après midi, avec une vigueur extrême de part et d'autre, le 28 avril. Il dura jusqu'à la nuit. L'acharnement y fut égal, et l'issue en resta assez de temps incertaine. Les deux galères capitanes, sur lesquelles étaient Ugo de Moncada et Philippine Doria, s'approchèrent et se combattirent à outrance. Un gros canon appelé le Basilic, placé sur le pont de la galère génoise, fit de grands ravages sur la galère napolitaine, où les coups d'une artillerie bien servie et bien pointée abattirent beaucoup de monde. Cependant les navires, chargés de canonniers et d'arquebusiers qui se foudroyaient des deux côtés, étaient toujours aux prises après plusieurs heures et de grandes pertes sans que la victoire se fût encore déclarée, lorsque trois galères génoises, qui s'étaient d'abord éloignées de la bataille, vinrent y prendre part. Sur l'ordre de Philippino Doria, ces trois galères détachées des huit avaient pris le large pour s'y tenir comme en réserve ; puis, au moment décisif, elles s'étaient jetées sur les derrières de la flotte napolitaine, qui, assaillie de deux côtés, ne résista plus. La défaite des Espagnols fut complète. Ils tirent de grandes pertes : de leurs six galères, deux seulement parvinrent à s'échapper par la fuite ; les quatre autres furent coulées ou prises, ainsi que la plupart de leurs brigantins et de leurs petits navires. Le vice-roi Ugo de Moncada et le grand écuyer Feramosca furent tués. Avec eux périrent quatre capitaines des vieilles troupes espagnoles et plusieurs centaines de leurs meilleurs arquebusiers. Le marquis del Vasto, le connétable, le commandeur Icardo, frère du châtelain de Naples, des seigneurs italiens, flamands, espagnols, restèrent prisonniers. A la suite de cette défaite, Naples ne put plus rien recevoir de la Sicile et des îles voisines. Le golfe, où les Français occupèrent d'un côté Castellamare, et de l'autre Puozzolo, fut sévèrement gardé par la flotte génoise, à laquelle se réunit bientôt la flotte vénitienne, après avoir pris les villes maritimes qui convenaient à l'ambitieuse république, sur les côtes de la Pouille et de la Calabre.

Tandis que la mer cessait d'être ouverte, la terre était aussi fermée aux Impériaux, acculés et affaiblis dans Naples. Trois jours après la bataille navale, l'armée française s'était établie devant la ville que Lautrec ne songea point à prendre de vive force, espérant avant peu l'obliger à se rendre. Il assit son camp sur les hauteurs qui font face à la ville et s'y retrancha. Ses canons battaient jusqu'aux portes de San-Gennaro et de Capoue. Une large tranchée, destinée à. s'étendre du camp à la mer, se creusait par les soins du comte Pedro Navarro, homme entreprenant et très versé dans l'art des sièges, afin d'interdire toute communication aux Impériaux avec l'intérieur du pays.

Ces derniers sans être entièrement bloqués, furent vivement Pressés durant tout le mois de mai et la plus grande partie du mois de juin. Ils étaient soumis à de dures privations et dénués de toute solde. Le 14 juin 1528, après un mois et demi de siège, le prince d'Orange écrivit à Charles-Quint pour l'instruire du triste état où son armée était réduite dans Naples, et pour réclamer de lui une prompte assistance. Il y a dix jours, lui disait-il, que nous sommes au pain et à l'eau ; la chair, le vin et le payement pour tous vos gens est venu à faillir depuis longtemps[260]. Sire, ajoutait-il, ni eux ni moi ne pourrions plus faire que le possible, et quand nous aurons passé ce mois, nous serons bien près du bout. Il affirmait toutefois que le besoin d'être secouru ne le disposait pas le moins du monde à se rendre, car, ainsi terminait-il, je vous assure que je n'aurai bu ni mangé de trois jours avant que je dise le mot.

Tout d'ailleurs semblait de plus en plus devenir contraire aux Impériaux. Les tentatives de sortie, essayées en vue de faire entrer des subsistances dans la ville, n'eurent guère de succès. Le duc Henri de Brunswick, qui avait charge de se réunir à Antonio de Leiva pour dégager les assiégés, s'était montré dans l'Italie supérieure avec dix mille lansquenets, six cents chevaux et quatre cents mousquetaires. Quand la jonction se fut opérée, l'entreprenant Espagnol persuada à l'indécis Allemand de l'aider à reprendre le duché de Milan avant de marcher au secours du royaume de Naples. Le 20 juin, ils mirent ensemble le siège devant Lodi, dont la prise aurait mis les Impériaux en possession de la frontière du Milanais sur l'Adda. Mais la garnison opposa une vigoureuse résistance à un assaut qui ne dura pas moins de trois heures. L'attaque ouverte se tourna en blocus ; mais la disette se fit bientôt sentir aux assiégeants, et la peste pénétra au milieu d'eux. Les lansquenets du duc de Brunswick, privés de solde, manquant de vivres, se lassèrent vite d'une entreprise qui ne leur rendait rien et les exposait beaucoup. Ils refusèrent de livrer à Lodi un second assaut qui devait être donné le 13 juillet. Ce jour-là même, ils se retirèrent, et, sauf deux mille d'entre eux qui restèrent avec Antonio de Leiva, tous les autres prirent le chemin des Alpes et regagnèrent l'Allemagne par le pays des Grisons.

Pendant que se fondait et disparaissait ainsi l'armée du duc de Brunswick, une nouvelle armée française se réunissait à Asti, sous François de Bourbon, comte de Saint-Paul. En même temps une flotte nombreuse commandée par le seigneur de Barbezieux, venu des mers de Bretagne, longeait les côtes de la Méditerranée et portait à l'armée de siège devant Naples des renforts et de l'argent. François Ier qui relevait de maladie et passait les jours de sa convalescence à chasser dans les belles forêts de Fontainebleau, s'attendait au triomphe prochain de ses armes, et croyait toucher au moment heureux où il dicterait la paix. Il écrivait au grand maitre Anne de Montmorency : Les lansquenets venus dernièrement d'Allemagne pour l'empereur, demandent à ceux de la ligue grise de pouvoir se retirer par là. Le reste desdits lansquenets, sentant approcher mon cousin de Saint-Paul avec sa force, se retirera pareillement après les autres. Ceux qui sont dans Naples perdront toute espérance d'être secourus. Ils rendront à mon cousin de Lautrec le reste de son entreprise très facile à exécuter, de sorte que j'espère avec l'ayde de Dieu, que, avant qu'il soit bien peu de jours, nous aurons bonnes nouvelles de ce cousté-là. Grâces au Seigneur, mes affaires sont en très bon chemin de bien, et 'avec sa bonne ayde je n'en doibs espérer que mieulx[261].

Au moment où François Ier se réjouissait ainsi du progrès de ses armes, ses affaires entraient en déclin dans le sud de l'Italie. Malgré leurs privations, les soldats de Charles-Quint avaient soutenu le siège avec une constance qui ne s'était pas ébranlée. Les mois de mai et de juin avaient été traversés par eux péniblement, mais sans que leur volonté fléchît et sans que se ralentissent leurs tentatives de ravitaillement. Ces tentatives leur rapportaient quelques vivres qui les aidaient à se maintenir. Ils étaient au commencement de juillet dans une position difficile qui les aurait à la longue obligés de mettre bas les armes, lorsque le blocus se relâcha tout d'un coup, Le 4 juillet, Philippine Doria abandonna le golfe de Naples par le commandement d'André Doria, son oncle, auprès duquel il se rendit dans le golfe de la Spezzia avec les galères génoises. Cette retraite fut désastreuse ; elle commença la ruine de l'expédition française, en permettant d'introduire des vivres dans la ville assiégée.

Le départ de la flotte génoise eut pour cause une rupture survenue entre François Ier et André Doria. André Doria était un condottiere de mer et un grand patriote génois. Tout en se mettant à la solde avec les galères qui lui appartenaient, il portait un filial attachement à la république que plusieurs de ses ancêtres avaient illustrée par leurs victoires navales, et que lui-même devait bientôt rendre indépendante au dehors et libre au dedans sous une forme de gouvernement destinée à durer prés de trois siècles. Serviteur fidèle de la France, il avait à se plaindre de l'inobservation des engagements pris à son égard par François Ier, qui de plus avait offensé ses fières susceptibilités. Mais le plus fort de ses griefs vint de son patriotisme. François Ier avait inquiété la seigneurie de Gênes sur ses intérêts commerciaux et sur sa puissance maritime, dont elle était plus jalouse encore que de sa liberté. Il voulut faire de Savone une rivale de Gênes. Il y éleva des fortifications, y appela le commerce, y attira les navires de la Méditerranée, y établit enfin le marché du sel qui se consommait en Lombardie et qui jusque-là s'achetait à Gênes. Ce dernier point seulement était une perte annuelle de cinquante mille écus pour la vieille république, qui se crut exposée à une ruine prochaine.

André Doria prit vivement en main la cause de sa patrie ; il réclama auprès de François Ier la restauration indispensable des commerces et des gabelles dans Gênes, comme il l'écrivait dans une lettre éloquente et altière au roi[262] ; il ne fut pas écouté ; il devint même importun et suspect. Loin de faire droit à ses plaintes, François Ier l'irrita et l'écarta. Il donna le commandement de ses navires dans la Méditerranée au seigneur de Barbezieux, et se décida même à faire arrêter à Gènes André Doria. Mais Barbezieux, chargé de s'assurer de lui, ne put pas le prendre. Le prudent Gênois retiré avec sa petite flotte et ses prisonniers dans le port et sous le château fortifié de Lerici, au golfe de la Spezzia. Il attendit là que le terme prochain de son service fût arrivé.

François Ier, qui n'avait pas su le retenir, fit alors de son mieux pour le ramener. Il multiplia les offres et eut recours à l'entremise de Clément VII, mais André Doria, redevenu libre, se refusa aux offres du roi et aux invitations du pape. Il avait déjà fait porter ses propositions en Espagne. Il demandait que l'empereur le reçût à son service avec douze galères qu'il commandait, moyennant une solde de soixante mille écus par an, qu'il consentit à ce que la république de Gênes se gouvernât dans une entière liberté aussitôt qu'elle aurait été soustraite à la domination des Français, et que, placée dans l'alliance de l'empereur, elle remit comme autrefois Savone sous sa domination. Avant que ces propositions fussent acceptées et que Charles-Quint contractât des engagements qu'il eut l'habileté de prendre et de tenir, André Doria avait cessé d'être au service de François Ier.

C'est au commencement de juillet que Philippine Doria, rappelé par son oncle, était sorti du golfe de Naples. Dès ce moulent, des navires envoyés de Sicile et des fies voisines avaient porté des subsistances à l'armée impériale et rendu beaucoup plus douteuse l'issue d'un siège si opiniâtrement poursuivi. La détresse des assiégés et les forces des assiégeants diminuèrent en même temps. Pendant que des vivres entraient dans Naples, une maladie pestilentielle avait envahi le camp français. Cette peste, qui avait parcouru l'Italie, se développa au milieu des entassements d'une armée dans des tranchées malsaines, et s'accrut par les exhalaisons meurtrières qui s'élevaient des plaines marécageuses où l'on avait fait couler imprudemment l'eau des aqueducs rompus de Poggio-Reale. Les chaleurs en étendirent les ravages. Les chefs comme les soldats en furent bientôt atteints. Il y avait eu déjà beaucoup de morts et il y avait -beaucoup plus de malades, lorsque le 17 juillet parut dans le golfe de Naples la flotte française que commandait Barbezieux. Il amenait à Lautrec huit cents hommes, à la tête desquels était le prince de Navarre, frère du roi Henri accompagné de plusieurs jeunes seigneurs, qui venaient au camp, comme on disait alors, pour y acquérir de l'honneur, et qui y trouvèrent la mort.

Cet insuffisant renfort et les faibles sommes apportées par la flotte n'arrivèrent pas sans peine et sans avoir essuyé une attaque très impétueuse des assiégés, au camp déjà affaibli et un peu découragé. Lautrec, qui avait dirigé jusque-là tout seul et la campagne et le siège, se décida alors à tenir un conseil de guerre. Renzo da Ceri, plus audacieux cependant que circonspect et qui avait poussé bien des fois la confiance jusqu'à la témérité, ouvrit l'avis fort sage de quitter le camp infecté et de se concentrer dans les villes de Somma, de Nola, d'Aversa, de Capoue, qui formaient comme une ceinture autour de Naples. Il soutint que de là on contiendrait avec plus de sûreté les Impériaux, qui ne seraient pas moins resserrés par terre et par mer, et qu'après y avoir rafraîchi l'armée et reçu des renforts on pourrait en un moment plus favorable les attaquer dans Naples, où ils seraient affaiblis. Cet avis, que d'autres partageaient, fut repoussé par l'opiniâtre et superbe Lautrec, qui, ayant annoncé qu'il aurait les Impériaux la corde au cou, ne supportait pas l'idée d'une retraite et l'apparence d'un échec.

Il chercha cependant à augmenter ses forces, et envoya Renzo da Ceri dans les Abruzzes pour en ramener quelques milliers d'hommes de pied ou de cavalerie légère, dont on n'avait pas suffisamment pour tenir tête aux Impériaux. Il fit presser tous les amis de la France, dans les états pontificaux, de venir au plus tôt le joindre dans Naples. En attendant ces renforts, il demeurait immobile dans son camp dévasté par la maladie. Du 18 juillet au 6 août, la peste enleva une partie de l'armée française et paralysa les efforts du reste. Les morts s'accumulaient, et on les enterrait dans les tranchées. Les capitaines demeurés debout autour de Lautrec se ressentaient de la maladie dont il fut atteint plus dangereusement lui-même, et qui abattit ses forces sans faire fléchir son opiniâtreté. Ce chef malheureux d'une armée en dissolution s'obstinait à rester dans un camp que la mort rendait de plus en plus désert, et où d'assiégeant il était devenu assiégé[263]. Les Impériaux, instruits de sa détresse, faisaient des sorties qui n'étaient plus repoussées ni même entravées. Ils poussaient leurs courses jusqu'aux villes que les Français occupaient autour de Naples, et coupaient les routes par lesquelles les vivres pouvaient arriver au camp. Accablé par le mal, Lautrec succomba enfin dans la nuit du 16 au 17 août.

Après sa mort, le marquis de Saluces prit le commandement de l'armée réduite des trois quarts. Il y restait à peine sept mille hommes de pied, dont quatre seulement en état de combattre, et les hommes d'armes étaient réduits à moins de deux cents[264]. Le prince d'Orange assiégea ces tristes débris dans leur camp, et les inquiéta de jour et de nuit par d'incessantes agressions. Après les avoir accablés de privations et de fatigues, il se disposait à leur donner l'assaut ; mais les Français ne l'attendirent point. Les compagnies italiennes et gasconnes, qui occupaient un petit camp rapproché du mont San-Martino, voulurent se replier sur le grand camp, qui couronnait les hauteurs et ne le purent point. N'ayant ni mangé ni bu depuis plusieurs jours, elles furent obligées de se rendre au pi Ince d'Orange, qui s'était placé entre les deux camps et leur fermait le passage.

Dans la nuit du 28 août, les troupes du grand camp se mirent en marche pour se retirer à Aversa. Les Français laissèrent dans le camp abandonné leur artillerie, leurs munitions, leurs bagages, leurs malades, pour opérer pins vite une retraite qui se fit avec la précipitation d'une fuite. Quoiqu'ils eussent de l'avance, ils furent atteints par les Impériaux, qui attaquèrent leur arrière-garde, et la prirent presque tout entière. Le vieux comte Pedro Navarro et le jeune prince de Navarre tombèrent entre leurs mains. Le marquis de Saluces arriva à Aversa, où il s'enferma avec le peu de soldats qui avaient pu traverser le siège, survivre à la peste, échapper à la déroute. Sans perdre de temps, le prince d'Orange vint l'y assiéger. Le marquis de Saluces, après avoir eu le genou brisé d'un coup de feu, ne pouvait plus se défendre dans une ville ouverte et avec des soldats abattus : il fut réduit à capituler. Par cette capitulation, il resta prisonnier, et ses troupes désarmées durent retourner dans leur pays, avec promesse de ne plus servir contre l'empereur. Le marquis, blessé et captif, après avoir combattu près de trois ans pour la France avec un généreux courage, fut conduit en litière à Naples où il succomba bientôt.

Ainsi cette puissante armée avec laquelle Lautrec était descendu un an auparavant en Italie et qui avait semblé sur le point de se rendre maîtresse du sud de l'Italie, venait de se fondre devant Naples et d'être achevée dans Aversa ! Il n'en restait plus rien, et Charles-Quint triomphait de nouveau par l'habileté heureuse de ses généraux et la vigueur quelquefois indocile, mais toujours inébranlable de ses soldats. Sire, lui écrivait le prince d'Orange le 9 septembre[265], les choses de la guerre de ce côté peuvent se dire véritablement terminées. Le peu d'ennemis qui restent dans les Abruzzes et dans la Pouille doit être dispersé à cette heure ou le sera bientôt. Les galères des ennemis ont quitté ces parages et ont mis à la voile, celles des Français pour se rendre à Marseille, et celles des Vénitiens pour retourner dans l'Adriatique. J'ai ordonné à André Doria d'aller attaquer là où il pensera le faire avec plus d'avantage. Il est parti diligemment et dans les meilleures dispositions, de sorte que par mer et par terre ce royaume sera entièrement délivré. Que Dieu garde la royale vie et l'impériale puissance de Votre Majesté, les rende prospères et les exalte comme il se désire ici.

A la ruine d'une armée et à la perte de toute espérance dans le sud de l'Italie s'ajouta bientôt, pour François Ier, un grand revers au nord de la péninsule. André Doria était venu attendre à Gaëte la ratification du traité qu'il avait conclu avec l'empereur. Dès que cette ratification fut arrivée, il se mit au service de Charles-Quint, qui le fit bientôt prince de Mein, et il se dirigea des côtes de Naples vers la ville de Gênes. Tout était prêt pour une révolution dans cette ville, instruite du traité conclu avec l'empereur et disposée à seconder l'entreprise qui devait la rendre libre. Lorsque André Doria entra dans le port le 12 septembre 1528, il avait arboré le pavillon de l'empereur, celui-là même que son neveu avait glorieusement enlevé à Moncada dans le golfe de Salerne. Ses troupes, débarquées sur les quais et formant deux petits corps sous la conduite de Philippino Doria et de Christophe Pallavicino, s'avancèrent aux cris de Saint Georges et Liberté, dans la ville, soulevée à leur approche, et marchèrent au palais du gouvernement, qu'elles prirent sans rencontrer de résistance. Étonnés de cette brusque attaque qu'appuyait un mouvement général du peuple, les Français se retirèrent dans le castelletto, d'où le maréchal. Trivulzi envoya demander au comte de Saint-Paul, alors devant Pavie, d'accourir à son secours avec assez de forces pour reprendre Gènes.

Dans l'intervalle, André Doria s'était rendu sur la place de Saint-Mathieu, où était la demeure de ses ancêtres. La foule l'y avait accompagné de ses acclamations ; les magistrats et les principaux de la ville étaient venus l'y saluer comme le libérateur de l'état, et lui avaient donné le beau nom de père de la patrie. Ce nom glorieux et touchant, il le mérita encore mieux, dit M. Mignet, en constituant avec une généreuse sagesse la république de Gènes qu'en l'affranchissant. Le lendemain du jour où Gènes était devenue indépendante, elle acquit un régime libre, régulier, durable. Grâce à André Doria, le gouvernement cessa d'appartenir à la multitude turbulente et inconstante qui, depuis deux siècles, l'avait placé sous des seigneuries si diverses et si passagères ; dévolu à l'élite agrandie des citoyens, qui se composa désormais des deux noblesses, ancienne et récente, dans les cadres ingénieusement élargis desquelles entrèrent tous les notables de la ville et les principaux du peuple, il devint complètement électif et fut pondéré habilement.

Le comte de Saint-Paul, que François Ier avait envoyé en Italie avec huit mille lansquenets, deux mille aventuriers français et quatre cents hommes d'armes, était descendu d'Asti et d'Alexandrie dans les plaines du Milanais, quelque temps après qu'en étaient partis les Allemands du duc de Brunswick. Il avait d'abord repris, à la droite du Tessin, tout ce qui était retombé entre les mains d'Antonio de Leiva depuis l'éloignement de Lautrec. Traversant ensuite ce fleuve ; il s'était avancé vers l'Adda, et avait opéré sa jonction avec le duc d'Urbin et le duc Francesco Sforza. Leurs troupes combinées s'étaient alors portées devant Pavie pour en faire le siège. Elles étaient autour de cette place, quand la nouvelle de l'entreprise heureuse d'André Doria sur Gènes et la demande de secours du maréchal Trivulzi arrivèrent au comte de Saint-Paul. Avant d'aller à son secours, le comte de Saint-Paul tint à reprendre Pavie. Serrée de près et battue en brèche, la ville fut enlevée d'assaut sans qu'Antonio de Leiva, qui se sentait trop faible, osât s'avancer pour la défendre. Pavie prise, le comte de Saint-Paul marcha vers les montagnes qui entourent Gènes avec deux mille hommes de pied et cent hommes d'armes. Parvenu sans vivres et sans artillerie à Chiavari, dans le commencement d'octobre, il trouva les passages de l'Apennin si bien gardés qu'il ne pût pas même introduire de secours dans le castelletto. Il put seulement envoyer trois cents hommes de renfort à Savone, et il retourna en Lombardie avec le reste.

Les Gênois, délivrés de cette crainte, allèrent attaquer Savone. André Doria se présenta avec ses galères devant le port de cette malheureuse ville, qu'assaillirent du côté de la terre les troupes de Gênes, qui l'avait redoutée comme une rivale et qui la détestait comme une rebelle. Le commandeur Morette, qui François Ier en avait donné le gouvernement, y résista mal et peu de temps. Malgré les supplications des habitants, qui demandaient à se défendre, sachant bien quel sort leur était réservé s'ils tombaient au pouvoir de leurs anciens dominateurs, Morette capitula le 2t octobre. Peu de temps après être redevenus maîtres de Savone, dont ils démantelèrent les fortifications, les Gênois prirent aussi possession du castelletto, où le maréchal Trivulzi, ayant perdu tout espoir d'être secouru et manquant de vivres, capitula à son tour le 28 octobre. Tous les honneurs de la guerre furent accordés au maréchal et à sa troupe par les Gênois, trop heureux d'éloigner des ennemis inquiétants et de reprendre une citadelle qui pouvait redevenir menaçante. Dès ce jour fut consommée la révolution qui arracha pour toujours l'état de Gênes à la domination de François Ier et le mit dans l'alliance définitive de Charles-Quint.

L'évacuation du royaume de Naples, la perte du littoral de la Ligurie, furent suivis d'un dernier revers en Lombardie. Lorsqu'on rentra en campagne au printemps de 1529, les Impériaux, malgré un renfort de deux mille Espagnols arrivés par Gênes à Antonio de Leiva, n'entreprirent rien et se tinrent renfermés dans Milan. Cette ville avec Como était tout ce qui leur restait. Les trois chefs des troupes confédérées, le comte de Saint-Paul, le duc d'Urbin et le duc Francesco Sforza, mirent alors en délibération s'ils attaqueraient Milan de vive force. Après y avoir paru d'abord résolus, ils finirent par décider qu'on serrerait de près cette ville, dont le territoire n'avait pas été ensemencé, où les vivres manquaient, et qu'on y affamerait les Impériaux comme Lautrec avait espéré les affamer dans Naples. Il fut convenu que les Vénitiens s'établiraient à Cassano et à Monza, que le duc Sforza se posterait à Pavie et à Vigevano, et que le comte de Saint-Paul, placé à Abbate-Grasso, garderait tout le haut Tessin.

Ce plan dont les effets ne pouvaient être que très lents, ne fut pas même suivi avec persévérance. Le comte de Saint-Paul, brave mais inconsidéré, se laissa emporter à une autre entreprise. Ayant appris qu'André Doria était allé avec ses galères vers les côtes de la Catalogne pour y chercher l'empereur et le conduire en Italie, il crut l'occasion favorable, et, mettant ses troupes en mouvement, il descendit vers le Pô, qu'il voulait passer un peu au dessous de Pavie, afin de marcher ensuite du côté de Gênes. Arrivé le 20 juin 1529 à Landriano, il y fut retenu par un grand orage qui avait démesurément grossi les cours d'eau qu'il avait à traverser. Lorsqu'il se remit en marche le lendemain, après avoir envoyé devant lui son artillerie et ses bagages, il fut attaqué à l'improviste sur ses derrières par Antonio de Leiva, qui, sorti de Milan pendant la nuit, l'avait suivi sans être découvert jusqu'auprès de Landriano. L'éparpillement des troupes françaises, retardées par des terrains détrempés dans des passages difficiles, facilita le succès de cette attaque impétueuse et inattendue. Privé de sa cavalerie, qui était en avant, le comte de Saint-Paul mit pied à terre et combattit longtemps et vaillamment avec les lansquenets et les Italiens qu'il avait autour de lui ; mais à la fin ceux-ci, culbutés, tournèrent le dos et prirent la fuite. Le comte de Saint-Paul, remonté à cheval pour échapper à la poursuite des Impériaux, voulut franchir un canal, y tomba et fut fait prisonnier avec plusieurs de ses capitaines. Le reste de sa petite armée se dispersa : les Italiens se retirèrent à Lodi et à Pavie, les Français et les Allemands regagnèrent à grand'peine leur pays. Le sort de la guerre était enfin décidé, et la Lombardie resta à la merci des Impériaux.

Quoique François Ier, avec une ténacité entretenue par le calcul autant que par la passion, semblât prêt à disputer encore la péninsule à son heureux rival, il n'en chercha pas moins à renouer les négociations si violemment rompues à Burgos. La chose était difficile après les outrages et les défis qu'on s'était lancés des deux parts. Une trêve conclue à l'automne de 1528 entre la France et l'Angleterre d'une part et nos provinces de l'autre, dans l'intérêt du commerce des trois pays et sur leurs réclamations, devint l'occasion de pourparlers nouveaux. Guillaume des Barres, secrétaire d'état de l'archiduchesse Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, étant venu faire ratifier la trêve en France, Louise de Savoie lui demanda s'il n'était chargé de rien par l'archiduchesse. Elle se plaignit alors de la lettre offensante pour l'honneur de son fils, que l'empereur avait écrite à l'ambassadeur Jean de Calvimont ; prétendit avoir fait de son mieux pour empêcher le cartel que François Ier avait été contraint, après cette offense, d'envoyer à Charles-Quint ; déplora la durée de la guerre que ces procédés violents perpétuaient en l'envenimant ; dit qu'elle presserait son fils de délaisser ses rancunes pour arriver à la paix, et elle requit des Barres d'inviter l'archiduchesse à en faire autant auprès de l'empereur. Non contente de cette ouverture, qui ne conduisit d'abord à rien, Louise de Savoie envoya coup sur coup le secrétaire d'état Bayart à Malines, la première fois pour demander formellement à l'archiduchesse son intervention pacifique, la seconde fois pour lui adresser les conditions mêmes d'un arrangement. Débattues par l'archiduchesse et son conseil, les propositions présentées au nom de la régente ne parurent pas suffisantes pour que l'empereur les acceptât. Des changements y furent introduits, et Marguerite d'Autriche chargea le sire de Rosimbos, chef de ses finances, de les porter ainsi modifiées en Espagne, après s'être assurée d'une complète adhésion en France[266]. Ce ne fut pas sans peine que les bases de la négociation arrêtées en Belgique furent admises par la régente. Mais comme il fallait s'y soumettre ou renoncer à toute tentative d'accord, après une conférence secrète à laquelle assista François Ier, les conditions furent acceptées, et le soir même, Louise de Savoie, ayant appelé fort secrètement dans sa chambre Rosimbos et des Barres, elle les entretint du désir ardent qu'elle avait de réconcilier les deux princes et les pressa d'aller au plus vite remplir leur mission auprès de l'empereur.

Les envoyés de Marguerite partirent aussitôt pour l'Espagne. En même temps qu'ils portaient à Charles-Quint les propositions convenues des deux parts, l'archiduchesse sa tante l'engageait vivement à les adopter. Elle lui disait qu'il mettrait ainsi la paix dans la chrétienté, qu'il assurerait contre le Turc les états menacés du roi Ferdinand son frère, qu'il recevrait fort à propos les deux cent mille écus d'or pour son voyage d'Italie, où il serait escorté par les navires mêmes de Fran cois Ier et où il aurait les Vénitiens, les Florentins, le duc Sforza et le pape Clément VII à sa discrétion ; qu'il lui serait aisé, ayant mis l'Italie sous sa main, de réprimer l'hérésie en Allemagne, d'y ramener l'Église et l'Empire à leur premier état ; enfin que, recherché et prié par son ancien ennemi affaibli après en avoir été menacé et injurié, il le priverait de tous les alliés qui l'avaient jusque-là servi et avec lesquels il traiterait lui-même à son gré.

Charles-Quint se livrait en ce moment et avec une ardeur souvent contrariée[267] au voyage que dès longtemps il projetait de faire en Italie ; d'empereur élu il aspirait à devenir empereur couronné. Afin d'achever en Italie l'œuvre si avancée de sa domination, il devait s'y transporter avec une flotte que joindraient les galères d'André Doria, et sur laquelle il embarquait une armée de douze mille hommes, tandis qu'une autre armée levée par ses ordres en Allemagne, et que commandait le comte Félix de Werdenberg, y descendait du côté du Tyrol. Ces deux armées, unies aux troupes victorieuses du prince d'Orange et d'Antonio de Leiva, contraindraient à se soumettre tous ceux qui resteraient encore en armes dans le sud et le nord de la péninsule, dont il disposerait en maitre. Il se nourrissait de ces entreprenantes pensées et hâtait de son mieux une expédition à laquelle le manque d'argent et l'opposition de ses alentours apportaient d'inévitables retards, lorsque Rosimbos et des Barres vinrent lui remettre le projet d'arrangement qu'avait agréé et que lui recommandait l'archiduchesse sa tante.

Un moment, Charles-Quint sembla revenir à l'entière exécution du traité de Madrid. Si le roy de France ne veut l'accomplir, disait-il[268], il y auroit de la difficulté à m'accorder avec luy. Comment pourrois-je me dédire de ce que j'ay dit ou souffrir qu'il ne se dédie de ce qu'il m'a démenti ? Il consentit pourtant à traiter. Afin d'exécuter plus aisément ses desseins en Italie et en Allemagne, il lui convenait de s'accorder avec son belliqueux adversaire, qui lui ferait l'abandon entier de l'une et dont l'argent l'aiderait à aller défendre l'autre. Voulant toutefois tirer parti de la position où l'avait mis le succès de ses armes pour faire la paix le plus qu'il pourrait à son avantage, il envoya à l'archiduchesse Marguerite plusieurs projets qui descendaient des dispositions les plus rigoureuses du traité de Madrid jusqu'aux arrangements moins durs du Burgos[269]. Dans le projet le plus favorable il exigeait toujours l'évacuation complète de l'Italie par François Ier préalablement à la délivrance de ses deux fils, et il l'obligeait non seulement à y abandonner tous ses alliés, mais encore à y contraindre par la force les Vénitiens à rendre les villes qu'ils occupaient sur les côtes de la Pouille et de la Calabre, s'ils ne les quittaient pas de plein gré.

L'archiduchesse Marguerite, ayant reçu les pleins pouvoirs de l'empereur, en informa la régente Louise de Savoie. Elle lui proposa de se trouver dans la ville libre de Cambrai[270], qui confinait à la France et aux Pays-Bas, et où tant de traités avaient été conclus depuis le commencement de ce siècle. Les conférences devaient s'y ouvrir à la fin du mois de juin, mais elles ne commencèrent qu'au mois de juillet suivant entre les deux princesses chargées de cette grande négociation. Ce fut le 5 de ce mois que Louise de Savoie et Marguerite d'Autriche, accompagnées, la première du chancelier Du Prat et du grand-maître Anne de Montmorency, la seconde de ses conseillers belges les plus habiles, arrivèrent à Cambrai où elles s'établirent l'une à l'hôtel Saint-Paul, l'autre à l'abbaye de Saint-Aubert. Elles n'étaient séparées que par une rue au-dessus de laquelle on avait pratiqué une galerie afin qu'elles pussent communiquer aisément ensemble et parvenir plus vite à l'accord, dont la conclusion ne fut cependant ni facile ni prompte.

Les divers projets envoyés par l'empereur à la gouvernante des Pays-Bas furent débattus dans leurs conditions successives par la régente de France, qui en repoussa les exigences les plus rigoureuses. Ces négociations laborieuses se poursuivirent pendant quelque temps au milieu des anxiétés croissantes des ambassadeurs italiens, accourus à Cambrai afin d'y connaître le sort réservé à leur pays. Elles étaient au moment de se rompre, lorsque les deux représentants de la république de Florence, Carducci et Cavalcanti, allèrent trouver le roi, qui chassait dans les forêts du voisinage en attendant d'apprendre s'il avait paix avec l'empereur ou s'il fallait recommencer plus vivement que jamais la guerre contre lui. Cavalcanti arrivait de Florence. Il dit au roi que, depuis la déroute du comte de Saint-Paul à Landriano, il n'y avait plus de forces françaises en Italie, où se trouverait bientôt Charles-Quint et où la cité de Florence aurait à se défendre d'un pape et d'un empereur très puissants. François Ier le rassura. Si la guerre se continue, répondit-il, tous les moyens sont prêts. J'ai déjà dix mille lansquenets à Lyon. J'ai de plus fait rassembler dix mille aventuriers français et huit mille Suisses, les hommes d'armes et tout ce qui est nécessaire, avec ordre d'être dans cette ville le 8 du mois d'août. Ces assurances données avec quelque exagération François Ier les confirma au grand-maître Anne de Montmorency, qui l'avait instruit des difficultés soulevées à Cambrai. Il lui écrivit de Couci qu'il fallait mettre un terme à toutes ces longueurs[271], et manda en même temps à sa mère : Puisque l'empereur estime si peu mon amitié, et a tant d'envie de me ruiner, j'ai l'espérance, avec l'aide de Dieu, avant qu'il soit peu, de lui faire connoitre que je suis autant digne d'être désiré ami que désespéré ennemi. Par quoy, je vous supplie de ne vous donner point peine et croire que Dieu fait tout pour le mieux, et vous en venir bientôt, car jamais je n'eus tant d'envie de vous voir qu'à cette heure[272].

Louise de Savoie avait donné l'ordre du départ de Cambrai, et, le 24 juillet, ses équipages commençaient à sortir de la ville. Les négociations paraissaient rompues mais elles furent reprises, et quelques condescendances habiles de l'archiduchesse les firent aboutir enfin à la paix. Cette paix entre les deux princes se conclut aux conditions que François Ier avait primitivement offertes à Madrid en 1525, et que Charles-Quint avait, en 1527, mais sous certaines clauses, admises à Burgos. Par le traité signé le 3 août et célébré dans la cathédrale de Cambrai, le roi de France abandonnait complètement l'Italie, rendait Asti, Alexandrie, Barlette, ne gardait pas un morceau de terre dans la péninsule, n'y conservait pas un allié, s'obligeait même à presser les Vénitiens de restituer les places qu'ils tenaient encore sur le littoral du royaume de Naples, et, s'ils n'y consentaient pas, à les y contraindre en fournissant trente mille écus par mois à l'empereur pour leur faire la guerre. François Ier s'engageait de plus à remettre pour la délivrance de ses enfants les deux millions d'or qu'il avait toujours offerts et selon le mode de payement qu'il avait toujours proposé[273]. Il n'avait plus à fournir des troupes qui fissent cortège à son heureux rival en Italie, et les cent mille écus d'or que le traité de Madrid l'obligeait à payer pour le voyage triomphal de l'empereur en Italie, l'empereur les ajoutait à la dot de sa sœur la reine Éléonore, dont le mariage, déjà convenu et à moitié célébré en 1526, semblait destiné à assurer en 1530 son union avec François Ier[274]. Ces prévisions malheureusement ne se réalisèrent point. Le traité de Cambrai, dit M. Mignet, accorda François Ier et Charles-Quint sans les unir ; ce traité, plus connu sous le nom de paix des dames, suspendit par une réconciliation apparente le cours de leurs naturelles inimitiés, et au fond il fut moins une paix qu'une trêve entre ces deux grands rivaux.

 

 

 



[1] On dit le siècle de Léon X comme on dit le siècle d'Auguste et le siècle de Louis XIV. Il y a peu d'époques appelées à posséder la beauté pure de la forme ; les plus heureuses et les plus favorisées seules la produisent. La fin du XVe siècle et le commencement du XVIe furent une de ces époques privilégiées. On peut dire hardiment que les plus grandes beautés qui ont été produites en architecture, en statuaire et en peinture dans les temps modernes, sont de cette courte époque. L. Ranke, Histoire de la papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles, liv. Ier, ch. 2.

[2] W. Roscoe, Vie et Pontificat de Léon X.

[3] Encyclopédie de la théologie catholique et des sciences subsidiaires de Wetzer et Welte.

[4] Lettre du 16 décembre, dans les Actenstücke und Briefe zur Geschichte Kaisers Karls V, page 501. Note de M. Gachard.

[5] Lettre latine de Charles V à son ambassadeur à Rome du 30 décembre 1524. — Copie adressée à Wolsey, et déposée au Musée britannique ; Vitellius B., IV, fol. 222. Note de M. Mignet.

[6] Lettre du 27 décembre, dans les Actenstücke, p. 527. Note de M. Gachard.

[7] L'accès ou accession a lieu dans le cas où, au scrutin la majorité inclinant vers un candidat déterminé, les cardinaux, qui jusqu'alors ont voté pour un autre cardinal, s'associent à cette majorité. Ils écrivent sur leur bulletin non pas : eligo in summum Pontificem reverendiss. D. meum cardinalem, mais : accedo reverendiss. D. meo D. cardinali.

[8] Voir les Instructions données par le sacré collège aux cardinaux Colonne, des Ursins et Cesarini, députés vers le cardinal d'Utrecht alors en Espagne, pour lui notifier son élection au Saint-Siège. Ces instructions, en latin, sont datées de Rome, 19 janvier 1522. Papiers d'état du cardinal de Granvelle, tome I, pages 243-250.

[9] Lettre à Pierre Martyr, lib. XXXV, p. 435. Note de M. Mignet.

[10] Lettre de Charles V à Adrien VI du 7 mars 1522. Correspondanz des Kaisers Karl V, publiée par K. Lanz, Leipzig, 1844, tome Ier, p. 59.

[11] Je savois qu'il ne convenoit ni à vos affaires, ni à la république chrestienne, que sollicitissiés pour moy, pour ce que eussiés solut et enfraint l'amitié avec cestuy qui de tous estoit le plus nécessaire aux choses de l'Italie. Lettre du 3 mai d'Adrien VI à Charles V, Correspondanz des Kaisers Karl V, t. I, p. 161.

[12] Lettre de François Ier au pape, mss. Béthune, vol. 8527, fol. 3, sqq. Note de M. Mignet.

[13] Lettre de Charles-Quint au seigneur de la Chaulx, son envoyé auprès d'Adrien VI, du 9 juin 1522, dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, t. IX, p. 127.

[14] Correspondance de Charles-Quint et d'Adrien VI, publiée pour la première fois par M. Gachard, Bruxelles, 1859, page 104.

[15] Lettre de Girolamo Negro à Marcantonio Micheli, écrite de Rome, le 21 août 1522, dans les Lettere di principi, tom. Ier, fol. 90.

[16] Relazioni degli ambasciatori Venele al Senato, sér. 1, vol. II, p. 47.

[17] Ils l'occupaient depuis 1310, après l'avoir ravie aux empereurs grecs. En vain Mahomet Il avait voulu les en chasser en 1479. Au moment où elle fut investie par Soliman II, Rhodes renfermait six cents chevaliers et quatre mille cinq cents soldats. C'est avec cette faible garnison que le quarante-troisième grand maître de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Philippe de Villiers de l'Isle-Adam, soutint contre toutes les forces de Soliman un siège devenu, par la courageuse résistance des assiégés, l'un des plus mémorables de l'histoire. Toutes les fortifications de Rhodes avaient été détruites par le canon ; le plus grand nombre de ses défenseurs avait péri sur la brèche ; la poudre manquait ; il ne restait de vivres que pour quelques jours ; et l'Isle-Adam ne songeait point à capituler. Cependant touché du sort qui menaçait les habitants si la ville était prise d'assaut, il consentit à écouter les propositions du sultan. Par un traité signé le 20 décembre 1522, les chevaliers obtinrent de sortir de Rhodes avec leurs armes, en emportant les reliques, les vases sacrés et tous les objets relatifs au culte. Adrien VI accueillit le grand maître à Rome avec tous les honneurs dus à son courage et à ses épreuves.

[18] Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, chap. IV. Paris, 1876. Nous allons continuer à prendre pour guide, en l'abrégeant et en le modifiant au besoin, ce remarquable ouvrage, écrit sur les sources, dans un style magistral, quoique parfois un peu trop compassé et légèrement affecté.

[19] Le connétable possédait, à titre de fief ou d'apanage, des provinces entières. Le duché de Bourbonnais, le duché et le dauphiné d'Auvergne, le comté de Montpensier, le comté de Forez, le comté de la Marche, auxquels se rattachaient vers le sud les vicomtés de Carlat et de Murat, les seigneuries de Combrailles, de la Roche-en-Regniers et d'Annonay le rendaient maitre d'un territoire presque aussi compacte qu'étendu dans le centre même du royaume. Ce vaste territoire se prolongeait du côté de l'est jusqu'à la Bresse par l'importante seigneurie du Beaujolais, qui longeait la rive droite de la Saône, et par la principauté de Dombes, assise sur la rive gauche. Outre la domination qu'il exerçait ainsi de Bellac à Trévoux, de Moulins à Annonay, le connétable de Bourbon avait en Poitou le duché de Châtellerault, dotation primitive du sixième fils de saint Louis, dont il tirait son origine.

Des dynasties provinciales issues de la dynastie centrale des Capétiens, dit M. Mignet, celle des Bourbons demeurait la seule ; les maisons apanagées de Bourgogne et de Bretagne, qui avaient suscité tant de guerres intestines, appuyé tant d'invasions étrangères, avaient pris fin récemment. Avec Charles le Téméraire s'était éteinte la postérité masculine de ces ducs de Bourgogne, qui détachés les derniers de la tige royale, avaient fondé la plus formidable puissance au nord de la France, possédé presque tous les pays depuis les cimes du Jura jusqu'aux bords du Zuyderzée, disposé longtemps de Paris, soulevé plusieurs fois le royaume, fait asseoir sur le trône aux fleurs-de-lis le roi d'Angleterre et tenu en échec Louis XI lui-même. Le mariage de la duchesse de Bretagne Anne, d'abord avec Charles VIII, ensuite avec Louis XII, et l'union de Claude, sa fille et son héritière, avec François Ier, avaient amené l'annexion définitive au royaume de cette vaste et indépendante province.

[20] Borbonius... in ore habebat Aquitani ejus scitum responsum qui rogatus a Carolo septimo, quo tandem praemio impelli posset, ut fidem sibi tot magnis rebus perspectam falleret : non tuo, inquit, here, regno, non orbis imperio adduci possim, contumelia tamen et stomachosa injuria possim. Ferronius, de Rebus gestis Gallorum. Citation de M. Mignet.

[21] Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, chapitre V.

[22] Philibert Preudhomme, dit Naturel ou Naturelli, de la famille des seigneurs de la Plaine, en Bourgogne. entra en 1434 dans le conseil privé des Pays-Bas, fut mêlé aux affaires les plus importantes de ces provinces, et figura dans les négociations les plus délicates. Ses lettres, insérées dans les Négociations diplomatiques entre la France et l'Autriche, sont pleines d'intérêt et révèlent un observateur attentif. L'ordre de la Toison d'or le choisit pour son chancelier, en remplacement de Henri de Berghes, évêque de Cambrai, mort en 1502. Il mourut le 22 juillet 1529 à Malines, et reçut la sépulture à l'abbaye de Villers. On lisait sur son tombeau l'épitaphe suivante : Dormit sub hoc lapide dominus Philibertus Naturelli, burgundus, genere nobilis, utriusque juris doctor, qui varias pulchre obivit legationes, ecclesiae Ultrajectinae praepositus, et curiae Romanae protonotarius. Obiit Mechliniae anno 1529, 22 julii.

[23] Dépêche d'Adrien de Croy et de Louis de Praet à l'empereur, du 21 juin. — Louis de Flandre, seigneur de Praet, ambassadeur de l'empereur auprès de Henri VIII, descendait des maisons de Flandre et de Bourgogne par une ligne indirecte et illégitime. Conseiller habile et prudent, capitaine intrépide et expérimenté, il prit une large part à tous les événements dont les Pays-Bas furent le théâtre sous Charles-Quint.

[24] Et jura le dict Bourbon pour sa part, et le dict de Beaurain de la vostre sur les saincts Evangilles, l'effect et les articles qui s'en suivent, lesquelx furent mis en escrit en deux billets de la main du dict de Beaurain, et signés des seings manuels des deux sieurs, dont l'ung demeure auprès du dict de Bourbon et l'autre, empourta le dict de Beaurain pour le montrer à Vostre Majesté. Dépêche de Louis de Praet à Charles-Quint du 9 août.

[25] Mignet, Chap. V.

[26] Tous ces détails sont extraits de la déposition de Warthy, lui-même dans le procès qui ne tarda pas à s'ouvrir devant le parlement sur le complot du connétable. Le volume 484 de la collection Dupuy, aux mss. de la Bibliothèque nationale, contient toutes les pièces de ce procès criminel du connétable de Bourbon.

[27] Les articles du traité en français tirés des Miscell. Letters Henri VIII, 3e série, vol. VIII, n° 20, et sur lesquels Henri VIII a écrit de sa propre main : Tharticles passyd wit the duke off Burbon, sont publiés p. 174 et 175 du sixième volume des State Papers published under the autority of Her Majesty's commission.

[28] Le connétable se trouva fort las, tellement que par deux fois il descendit soubs quelques arbres fort esvanoy, et portant très mauvais visage embeguiné d'un couvre-chef. — Déposition de Desguières.

[29] Tous ces détails et la désignation de tous les lieux par où passa le connétable dans sa fuite sont contraires au récit de Du Bellay, qui a servi de fondement à l'histoire : ils sont tirés de la déposition d'Henri Arnauld, qui accompagna le connétable du château d'Herment au château de Pomperant, non loin de Saint-Flour. — Note de M. Mignet.

[30] Voulons estre publié à son de trompe que s'il y en a aucun qui nous livre et mette entre les mains la personne du dit connestable, que nous luy donnerons la somme de dix mille escus d'or soleil, et luy ferons d'autres biens et honneurs tant qu'il en sera mémoire perpétuelle du service qu'il aura faict à la couronne et chose publique de France. — Proclamation de François Ier, de Lyon, septembre. Mss. Clairambault à la Bibliothèque nationale.

[31] Dépêche de Louis de Praet à l'empereur, du 9 novembre.

[32] D'après le récit de Du Bellay.

[33] Mandé à l'armée de Picardie, Bourbon y était venu avec six mille hommes de pied et trois cents hommes d'armes levés dans ses états. L'office de connétable donnait droit au commandement de l'avant-garde. Ce commandement dont il s'était si bien acquitté en 1515, lui fut alors ôté ; François Ier en chargea le duc d'Alençon, qui le servit mollement vers Valenciennes, et qui plus tard l'abandonna lâchement sur le champ de bataille de Pavie. Le connétable fut profondément blessé de cette offense, dont il ne se plaignit point, mais qu'il n'oublia jamais.

[34] Mignet, chapitre V. Nous avons suivi pas à pas le célèbre historien, dont nous ne faisons guères qu'abréger le récit.

[35] Lettre de Charles V au duc de Sessa, du 13 juillet, dans La Correspondance de Charles-Quint avec Adrien VI et le duc de Sessa, publiée par M. Gachard, Bruxelles, 1850, p. 193.

[36] Lettre de Charles-Quint au duc de Sessa, du 4 octobre. Correspondance, p. 198.

[37] Lettre de François Ier, du 27 octobre, à l'amiral Bonnivet et au maréchal de Montmorency. Mss. Baluze, cités par M. Mignet.

[38] Lettre de François Ier, écrite de Lyon, le 20 octobre, dans les Mss. Dupuy, à la Bibliothèque nationale.

[39] Lettre de François Ier, écrite le 1er novembre, aux commissaires délégués pour instruire le procès. Mss. Dupuy, à la Bibliothèque nationale.

[40] Dépêche de Louis de Praet à l'empereur, du 9 novembre, et lettre de Wolsey à Sampson et à Jernigam, ambassadeurs d'Henri VIII auprès de Charles-Quint, du 8 novembre. State Papers, vol. VI.

[41] State Papers, vol. VI. Dépêches du 19 novembre et du 9 décembre.

[42] Dépêche du 18 décembre, écrite de Pampelune par Sampson et Jernigam à Wolsey. — State Papers, t. VI.

[43] Mémoires de Martin du Bellay. Guichardin la présente comme un peu plus forte. L'armée de Bonnivet se composait, selon lui, de mille ottocento lance, trimila Suizzeri, duo mile Grigioni trimile fanti tedeschi, dodicimile Franzesi, e tremile Italiani, Guicciardini, lib. XV.

[44] Sire, tant à Mons. de Bourbon, écrivait Lannoy à Charles-Quint le 26 janvier 1524, je ly obeiray en la sorte que Beaurain m'a dit et ly feray tout le service qui me sera possible. — Charles de Lannoy, seigneur de Senzeilles, conseiller et grand écuyer sous Charles-Quint, chevalier de la Toison d'or, s'était distingué de bonne heure au service de l'empereur. C'était un brillant chevalier ; il avait remporté le prix du tournoi à Mons en 1515, et celui de la lance à Bruxelles en 1517. Il avait représenté Charles V au couronnement d'Adrien VI.

[45] La povreté de cette armée estoit de telle sorte, que si ne fut argent que appourtay de Naples, la dite armée fust desjà rompue. Lettre de Lannoy à l'empereur du 20 février.

[46] Un de ses gentilhomme écrivait de Blois, le far février 1524, au maréchal de Montmorency : Le roy revint hier de la chasse de Saint-Laurens-des-Eaux, là ou il a couru le cerf deux jours ; du passe-temps je vous laisse à penser quel il a esté, car pour demourer jusquez à dix heures du soir sans revenir au logis, il n'y a gens qui l'ayent mieux fait que nous et bien mouillez. Mss. Clairambault, Mélanges, vol. 36.

[47] Le jeudi dixième de mars, le roy, estant à Paris venu de Bloy s, eut nouvelles par la poste que, le quatrième du dict moys, l'armée qui estoit devant Milan estoit enclose des ennemis... Lors le roy, oyant ces nouvelles, fist faire une belle procession générale à Paris en grande solennité, où il se trouva en personne à pied avec toute la noblesse, etc. Journal d'un Bourgeois de Paris.

[48] Sur la rive gauche de la Sesia, à l'endroit même où cette rivière sort des montagnes et entre dans la plaine du Piémont.

[49] Un peu au delà, sur la rive droite.

[50] Tout les détails de cette fin de campagne se trouvent dans les lettres inédites du duc de Bourbon, de Charles de Lannoy et de Beauraing à l'empereur, aux Archives impér. et roy. de Vienne, et chez Martin du Bellay, Guicciardini, Hottinger, Histoire de la Confédération Suisse, vol. X, liv. VII, chap. V de la traduction de M. Vuillemin.

[51] Mignet, chapitre VI. — Voici ce que Beauraing écrivait à Charles-Quint : Le capitaine Bayart retourna avec aucuns chevaucheurs françois et quatre ou cinq enseignes des gens de pied, si rebouta nos gens et rescouit les pièces d'artillerie que mieulx luy eut valu laisser perdre, car ainsi qu'il se cuidoit retourner, il eut ung cop de hacquebute duquel il mourut le jour mesme.... Sire, combien que ledict sr Bayart fust serviteur de votre ennemy, si a ce esté dommaige de sa mort, car c'étoit un gentil chevalier bien aymé d'ung chacung, et qui avoit aussi bien vescu que fit jamais homme de son estat, et fi la vérité il a bien monstre à sa fin, car ce a esté la plus belle dont je ouys oncques parler. La perte n'est point petite pour les François, et aussi s'en trouvèrent-il bien estonnez, de tant plus que tous ou la plus part de leurs capitaines sont malades ou blessés. Lettre du 5 mai 1524, aux Archives imp. et roy. de Vienne.

[52] Lettre autographe, Mus. brit. Vespas.

[53] André, Doria, d'une des familles les plus anciennes et les plus illustres de Gênes, l'un des plus grands hommes de mer du XVIe siècle, naquit à Oneille en 1468. La république de Gênes venait de perdre son indépendance (1464), et n'était plus qu'une dépendance du duché de Milan. A dix-neuf ans, Doria entra au service du pape Innocent VIII, qu'il abandonna bientôt pour celui de Frédéric, duc d'Urbin, et des rois de Naples, Ferdinand l'Ancien et Alphonse II. Après un voyage en Terre-Sainte, il s'attacha à Jean de Bavière, un des lieutenants de Charles VIII dans le royaume de Naples, et défendit glorieusement Ricca-Guillelma contre Gonzalve de Cordoue. Puis, sa vocation se révélant, il équipa huit galères à ses frais, et poursuivit les corsaires turcs et africains, qu'il défit à Pianosa. Dans la guerre entre François Ier et Charles-Quint, il accepta le commandement des galères françaises. Plus tard, les calomnies dont il était l'objet à la cour de France, le firent passer du côté de Charles-Quint. Il délivra Gênes de la domination française, mit un terme aux querelles des Adorni et des Tregosi, rendit biennale la dignité de doge, de perpétuelle qu'elle était, et refusa, du reste, de l'accepter. Il mourut en 1560. Les Gênois lui élevèrent une statue avec cette inscription : Au père de la patrie.

[54] Dans sa lettre du 10 juillet, Bourbon raconte à l'empereur ce qu'il a fait, très simplement : Nos ennemis ont contraynt trois de vos galères de se séparer des autres et vindrent geter en terre vers nous, et ne peurent tant fayre noz dits ennemis que maugué eulx n'ayons sauvé tout ce qui estoit dans les dites galères, combien qu'ils nous saluassent à coups de canon... Arch. impér. et roy. de Vienne. — Mais Beauraing, dans sa lettre à Charles-Quint du même jour, disait : Si vous eussiez veu mons. de Bourbon, vous l'eussiez estimé ung des hardis gentilshommes qui soient sur la terre, et voyant toutes les galleres de France qui venoient pour prendre les trois vostres, commanda au marquis et à moy d'en garder chacun une, et qu'il garderoit l'autre, et pour ce faire nous monstra le chemin, etc. Ibid.

[55] Journal de Valbelle et Histoire mémorable des choses advenues au pays de Provence à l'armée de Monsieur Charles de Montpensier, auparavant connétable de France, en l'an 1524, avec le discours véritable de tout ce qui se passa durant le siège mis devant la fameuse cité de Marseille. Récit ms. à la bibliothèque d'Aix.

[56] C'est ce qu'écrivait de Rome l'évêque de Bath au cardinal Wolsey, d'après le récit du camérier Bernardino de la Barba. — Lettre du 12 juillet 1524, State Papers, t. VI.

[57] Textuellement tiré de l'Épistre du roy traitant de son parlement de France en Italie et de sa prise devant Pavie, dans Captivité du roi François Ier, Documents inédits, p. 117.

[58] Du Bellay.

[59] Lettre de Lannoy à Charles-Quint du 19 novembre, d'après ce qu'a écrit le dataire Giberto à Bernardino de la Barba, qui l'a montré au vice-roi. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[60] En exécution, évidemment, des engagements pris antérieurement comme membre de la confédération italienne. Jusques à ceste heure, ne s'en est pu tirer autre chose synon six mille ducats qu'il nous a envoyés secrètement. Lettre de Lannoy à l'empereur, du 25 novembre, ubi supra.

[61] Et voyant l'estat des affaires et la grosse dépense qu'il faut porter pour soutenir cette armée et le bon vouloyr en quoy sont les gens de guerre espagnols et allemands, avons conclu par ensemble de partir le xxi ou xxii de ce moys, et nous mettre aux champs pour donner la bataille au roy de France. — Lettre de Lannoy à la gouvernante Marguerite du 17 janvier 1525. — Ils ne partirent que le 24.

[62] Lettre de François Ier à la régente sa mère, du 3 février 1525.

[63] Le discours de Bonnivet est dans Brantôme, Vie des grands capitaines.

[64] Relacion de Juan de Osnayo, au tome IX de la Colleccion de documentos ineditos para la historia de Espagna.

[65] Le roy m'a dit qu'il avoit VII mille Suisses, V mille Allemans, cette (sept) mille piétons françois, et VI mille Italiens. Lettre de Lannoy à Marguerite d'Autriche, du 25 février 1525, imprimée dans le Bulletin de la société de l'histoire de France, 2e part., tom. I.

[66] Du Bellay et récit de Pescara ; Colleccion, t. IX.

[67] Lettera del Mro Paulo Luzascho, citée par Ranke, Histoire d'Allemagne, t. VI.

[68] Lettre de François Ier à la régente sa mère. — Captivité de François Ier par M. Aimé Champollion-Figeac, dans les Documents inédits.

[69] Discours de M. Gachard à la séance publique de l'Académie, du 11 mai 1860, dans les Bulletins, XXIXe année, 2e série, tome IX. — Je me propose, disait le vénérable historien, au début de son discours, de vous entretenir d'un événement qui occupe une place considérable dans l'histoire de notre grand empereur Charles-Quint, j'ai entrepris de vous retracer la captivité de François Ier et les négociations qui y mirent un terme. Ce n'est pas que les récits nous manquent sur cet épisode dramatique de la longue rivalité de deux souverains ; mais que d'inexactitudes, de lacunes, de faits controuvés ou travestis dans les uns ! que de partialité dans les autres !... Mon but, dans cette étude, est de restituer ses droits à la vérité. Depuis une quinzaine d'années, de nombreux et précieux documents, exhumés des archives belges et françaises, ont jeté de vives lumières sur le sujet. Je les ai examinés et comparés avec une scrupuleuse attention ; je les ai mis en regard des relations contemporaines, des relations espagnoles surtout, dont les auteurs ont été naturellement les mieux informés ; j'ai eu aussi cette bonne fortune de pouvoir puiser à des sources qui n'ont pas été jusqu'ici à la portée des historiens. Je m'efforcerai d'être un narrateur fidèle, et je n'aurai pas moins à cœur d'être un juge impartial.

[70] Nous avons là-dessus le témoignage non suspect d'un témoin oculaire, l'ambassadeur vénitien Gasparo Contarini. Relation faite au sénat de Venise le 16 novembre 1525, dans les Monuments de la diplomatie vénitienne, publiés par M. Gachard lui-même. — Voir aussi Sandoval, Historia de Carlos V, t. I, l. XIII. — Le même ambassadeur rend à la modestie et à la fermeté de caractère de Charles-Quint ce témoignage éclatant : Cesare è di natura molto modesta ; non si eleva molto nelle cose prospere, nè si deprime nelle avverse.

[71] Sandoval, loco citato.

[72] Papiers d'état de Granvelle, I, 259.

[73] Lettre de Charles-Quint à l'archiduc Ferdinand, du 25 mars 1525. (Manuscrits historiques du comte de Wynants). Le comte de Wynants, dit M. Gachard, directeur général des archives des Pays-Bas sous les règnes de Marie-Thérèse, Joseph II, Léopold II et François II, avait extrait la plupart des correspondances de Charles-Quint qui se trouvaient alors dans le dépôt confié à sa garde, et qui sont aujourd'hui aux archives impériales, à Vienne. Ses manuscrits, que M. le chevalier Gustave de Lieux, son petit-fils par alliance, a bien voulu mettre à la disposition de la commission royale d'histoire, ajoute M. Gachard, nous ont été d'un grand secours.

[74] Lettre des ambassadeurs Contarini, Priuli et Navagero au sénat de Venise, du 28 juillet 1525, dans M. Cicogna, Della vita et delle opere di Andrea Navagero.

[75] Lettre de Charles-Quint à Lannoy, du 15 juin 1525, dans les mss. historiques du comte de Wynants.

[76] Papiers d'état du cardinal Granvelle, I, 263. — M. Mignet dit à propos de cette lettre : Beaurain apportait à la duchesse d'Angoulême une lettre froide et sèche de l'empereur en réponse à de touchantes supplications et de maternelles instances qu'elle lui avait adressées par le commandeur Peñalosa. En note il ajoute : Charles-Quint ne lui donna point le titre de mère ; il l'appela avec une dignité froide madame. Cette critique ne nous paraît pas fondée. La conduite toute récente de la régente envers le connétable de Bourbon n'avait pas été de nature à lui concilier les sympathies de l'empereur. Voici, du reste, le jugement porté sur cette princesse par un historien autorisé : Orgueilleuse, ambitieuse, audacieuse ou souple, selon le besoin, d'un esprit capable et ferme, de mœurs violentes et corrompues, avide de plaisir et d'argent, comme de pouvoir, Louise ne donna à son fils ni principes ni exemples moraux : pour lui, la royauté souveraine ; pour elle-même, le rang, l'influence et la richesse de reine-mère, et pour tous deux la grandeur servant à la satisfaction de leurs passions, C'était là toute la préoccupation et tout le travail de sa vie maternelle. L'Histoire de France racontée à mes petits enfants, par M. Guizot, t. III.

[77] La principauté d'Orange, partie du Bas-Dauphiné, était enclavée de tous côtés dans le comtat Venaissin. Elle avait appartenu depuis la fin du XIVe siècle jusqu'en 1530 à la maison de Châlons. Philibert de Châlons, grand capitaine du XVIe siècle, ayant refusé de reconnaître la suzeraineté de la France, François Ier lui confisqua sa principauté. Il se retira auprès de Charles-Quint, qui lui donna le comté de Saint-Pol.

[78] Lettre du 26 avril 1525, aux Archives imp. et roy. de Vienne.

[79] Aux Archives des affaires étrangères de France, correspondance d'Espagne, 1525-1529.

[80] Papiers d'état du cardinal de Granvelle, I, 266.

[81] Lettre de François Ier à ses sujets. L'original est dans Béthune, mss. vol. 8505, f. I. Citation de M. Mignet.

[82] Captivité de François Ier, p. 170-173, et State Papers, t. VI, p. 446-448.

[83] D'après la lettre des ambassadeurs anglais du 16 juin, elles furent écrites par Moncada en castillan, en présence de Lannoy, sur les offres de François Ier. State Papers, t. VI.

[84] Le roy de France... desire fort la pes et que ce soit de sorte que peut demorai votre à jamais. Lettre de Lannoy à l'empereur, du 27 avril. Archives imp. et roy. de Vienne.

[85] ... Pour estre telles, les aucunes d'icelles qu'elle ne se pouvoient bonnement accorder, consentir ni permettre. Instructions de Pierre de Warty, envoyées à Marguerite d'Autriche. Négociations entre la France et l'Autriche, t. II.

[86] Elles furent soumises à un conseil dont faisaient partie le chancelier Gattinara et le comte de Nassau ; elles furent aussi communiquées aux ambassadeurs d'Angleterre. State Papers, t. VI.

[87] State Papers, t. VI, et History of the reign of Henry the Eighth, par Sharon Turner, t. I.

[88] Il écrivait à l'audiencier Du Blioul, le 26 avril : Dieu nous doint une bonne paix, car il seroit temps de vuider la guerre, si l'empereur peult avoir ce que de raison il peult demander ; et à l'empereur lui-même, le 6 mai : Bien vous ose supplier que ce que porez avoir par la paix, à vostre honneur, ne veuillez refuser. Négociations entre la France et l'Autriche, II, 600, 603.

[89] Lettre de Lannoy à l'empereur, du 10 juin 1525, Lanz, t. I, p. 164.

[90] Marguerite de Valois, sœur de François Ier, née en 1492, morte en 1549, avait épousé, en 1509, le duc d'Alençon. Devenue veuve, elle se remaria en 1527 au roi de Navarre, Henri d'Albret, dont elle eut Jeanne d'Albret, mère d'Henri IV. François Ier aimait beaucoup sa sœur, et la surnommait la Marguerite des Marguerites. Elle favorisa les lettres, tout en montrant du penchant pour la réforme. On lui doit l'Heptaméron ou nouvelles de la reine de Navarre (imprimé en 1559), recueil de contes imités de Boccace, où l'on trouve, avec de l'esprit, toute la licence des écrits de son temps.

[91] On a tous les détails de ce voyage du roi dans les Commentarios de los hechos del señor Alarcon, par don Antonio Suarez de Alarcon, in-fol., Madrid, 1665.

[92] Gattinara, qui portait la parole au nom des délégués de l'empereur, revendiquait les possessions récemment arrachées à la maison de Bourgogne par le roi Louis XI et injustement détenues par ses successeurs les rois Charles VIII, Louis XII et François Ier ; le duché de Bourgogne, qui était, selon lui, un fief héréditaire et non un apanage ; les comtés, villes, terres et seigneuries accordés aux ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire par les traités d'Arras en 1435, de Conflans en 1465, de Péronne en 1468 ; enfin la cessation des droits de suzeraineté sur la Flandre et l'Artois, cessation convenue par le roi Louis XI dans le traité de Péronne et par Louis XII dans le traité de mariage de l'archiduc Charles, aujourd'hui empereur, avec sa fille Claude, si les stipulations d'Arras ne s'exécutaient pas et si le mariage était rompu. Le président de Selve répondait, au nom des plénipotentiaires de la régente, que la France faisait l'abandon de sa suzeraineté sur les comtés de Flandre et de l'Artois, mais qu'elle ne pouvait pas rendre les villes sur la Somme cédées par le traité d'Arras au duc Philippe le Bon, mais rachetables moyennant 400.000 écus qu'avait payés le roi Louis XI ; qu'elle ne pouvait pas davantage délaisser le duché de Bourgogne, qui était un apanage de même nature que le royaume, et dès lors non réversible aux femmes, et qui, rentré dans le domaine de la couronne parce que la fille du dernier duc de Bourgogne avait été incapable d'en hériter, ne saurait plus en être détaché.

[93] Lettre de François Ier à l'archevêque d'Embrun, du 5 août, dans Captivité de François Ier, p. 294.

[94] Protestation du 16 août, Captivité de François Ier, p. 302.

[95] Captivité de François Ier, p. 302, 303.

[96] Lettre des ambassadeurs au parlement de Paris, du 18 juillet, Captivité de François Ier, p. 253.

[97] Sandoval.

[98] Della vita e delle opere di Andrea Navagero. — Ce récit de la visite de Charles-Quint est conforme, dit M. Mignet, à la relation inédite qu'en fait Gonzalo Hernandez de Oviedo, qui l'avait appris le soir du retour de Charles-Quint à Tolède, de la bouche même du duc Ferdinand de Calabre. Cette relation est conservée à la bibliothèque de Madrid. Nous avons reproduit, dans notre texte, la version de M. Mignet. On remarquera qu'elle est moins accentuée que le récit italien, et surtout qu'elle omet ces franches paroles de Charles-Quint, disant que ne voulant que ce qui lui est dû, et étant convaincu que le roi ne veut non plus que ce qui est dû, il dovere, rien ne s'opposera à sa liberté prochaine.

[99] M. Mignet, d'après la lettre du président De Selve, du 1er octobre, au parlement de Paris.

[100] Lettre du cardinal Salviati, dans Molini, Docum. stor., t. I, p. 191. — Navagero le dit également dans ses dépêches.

[101] Lettre de Marguerite à François Ier, dans Captivité, etc. — Dans la même lettre elle engageait le roi à paraître plus faible qu'il n'était. Vous supplyant, monseigneur, fere contenance foible et ennuyée, car vostre débilité me fortifiera et advancera ma dépêche. — On ne peut s'empêcher de signaler le contraste entre ces habiletés françaises et les procédés droits et francs de Charles-Quint.

[102] Ainsi s'exprime M. Mignet, avec lequel M. Gachard n'est pas d'accord. Elle (la duchesse) proposa, dit celui-ci, de choisir des arbitres ; il (l'empereur) y consentit pour lui complaire, bien qu'il s'y fût précédemment refusé. M. Gachard ajoute en note : Dans sa lettre du 5 octobre, la duchesse ne dit pas que ce fut elle qui proposa l'arbitrage ; mais Nicolas Perrenot l'affirme, comme le tenant d'elle-même. (Voyez sa lettre du 19 octobre à l'archiduchesse Marguerite, dans les Négociations entre la France et l'Autriche, II, 622).

[103] C'est plus tost moquerie que aultre chose.

[104] Cette lettre est en original dans le vol. VI de la Correspondance d'Espagne aux archives des affaires étrangères de France, Documents relatifs aux traités de Madrid et de Cambrai. Note de M. Mignet.

[105] Louis de Bruges, sieur de Praet, avait été de même accrédité par l'empereur auprès de la régente.

[106] Lettre de Nicolas Perrenot, écrite le 13 novembre à l'archiduchesse Marguerite ; dans les Négociations entre la France et l'Autriche, II, 642, et lettre de Charles-Quint à L. de Praet, du 20 novembre, dans Lanz, I, 188.

[107] M. Mignet. Si cet acte eut été spontané et sérieux, dit M. Gachard, l'histoire ne saurait y donner assez d'éloges. Mais ce qui autorise à concevoir des doutes sur la sincérité de cette abdication, et à la ranger au nombre des expédients que le roi ne dédaigna pas d'employer pour agir sur l'esprit de l'empereur, ce n'est pas seulement qu'elle ne reçut aucune sorte de publicité en France, c'est encore qu'elle avait été concertée à Lyon entre la régente et le sieur de Bryon, tout nouvellement arrivé à Madrid. L'ambassadeur de l'empereur, le sieur de Praet, en avait été averti, pour ne pas dire menacé.

[108] Captivité, etc., d'après l'original en parchemin.

[109] Archives des affaires étrangères, Correspondance d'Espagne, vol V. Note de M. Mignet.

[110] Della vita e delle opere di Andrea Navagero.

[111] Lettre de Louis de Praet à l'empereur, du 14 novembre, dans Lanz, I, 182.

[112] No se podia persuadir que un principe como el rey de Francia quisiesse intentar cosa tan fea. Sandoval. — Voir aussi la lettre de Nicolas Perrenot à l'archiduchesse Marguerite, écrite le 18 novembre de Tolède, dans Négociations entre la France et l'Autriche, II, 644.

[113] Si la délivrance du roy ne se peut recouvrer sans le duché de Bourgogne, aux conditions qu'ils demandent ; si aucune chose n'estoit rabattue, la personne dudit seigneur est tant à estimer, avec les commoditez qui viendront de sa délivrance, et pour ne tomber aux inconvénients qui pourroient survenir de si longue prison, vaut trop mieulx, et non seulement délivrer Bourgogne, mais trop plus grand chose, que de le laisser à l'estat où il est.

[114] Dernières instructions de la régente à ses ambassadeurs, de la fin de novembre. Captivité de François Ier, p. 413, 414. — M. Gachard dit à propos de cette pièce : Ces instructions renfermaient-elles la véritable pensée de la régente ? ou bien étaient-elles destinées à être communiquées aux plénipotentiaires de l'empereur, et à leur faire prendre le change ? En d'autres termes, Louise de Savoie avait-elle concerté avec son fils le plan qu'il exécuta, et qui consistait à souscrire aux conditions que l'empereur mettait à sa délivrance, avec l'intention de ne pas les accomplir ? Les éléments nous manquent pour résoudre cette question.

[115] Instructions dernières du roi à ses ambassadeurs de France, décembre. Ibid. p. 426-430.

[116] Malgré, remarque M. Gachard, tout ce qu'on avait pu lui dire de l'inconstance de ce prince, des infidélités qu'il avait faites à sa première femme, dont on lui imputait même d'avoir causé la mort, et enfin du caractère impérieux de la duchesse d'Angoulême. — M. Gachard ajoute en note l'analyse d'une dépêche très significative sur ce point de l'ambassadeur vénitien Andrea Navagero.

[117] Lettre de Lannoy à l'empereur, du 7 avril 1529, dans les Négociations entre la France et l'Autriche, t. II, p. 658, où il exprime ses regrets de l'avis qu'il a donné alors.

[118] Sandoval, l. XIV.

[119] Andrea Navagero écrivait au doge de Venise, au mois de juillet 1526 : Il vicere è il primo uomo di questa corte ; ognuno vuoi farselo amico.

[120] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, 1re partie, p. 400 et suivantes.

[121] Sa protestation du 13 janvier est dans Captivité de François Ier, p. 467-476.

[122] M. Mignet.

[123] Ce procès-verbal est en copie aux Archives du royaume de Belgique, Collection de documents historiques, t. III, fol. 172.

[124] Charles d'Egmont, frère aîné de Lamoral, qui périt sur l'échafaud à Bruxelles. Charles avait été attaché de bonne heure au service de l'empereur ; il mourut le 7 décembre 1541, au retour de l'expédition d'Alger.

[125] Lettre de Charles-Quint à Louise de Savoie, dans les Négociations entre la France et l'Autriche, t. II, p. 655.

[126] On a fait entendre, dit M. Gachard, qu'en se présentant devant le roi tout houssé et esperonné, Lannoy avait manqué aux égards dus au royal prisonnier. Il ne paraît pas que François Ier en ait jugé ainsi, puisqu'il écrivait, peu de temps après, à la régente sa mère : Croyés, madame, que mon cousin le vice-roy y va honnestement et de bon pied, et toujours dez le commencement ainsy l'a fait. (Captivité, p. 503).

[127] Ces deux lettres ne nous ont pas été conservées.

[128] Lettre du bailli de la Barre à la duchesse d'Alençon, du 1er février 1526, dans Captivité de François Ier, p. 487.

[129] Relacion de lo succedido en la prision de Francisco I.

[130] Relacion de lo succedido en la prision de Francisco I.

[131] Relacion de lo succedido en la prision de Francisco I.

[132] Nous devons à M. Gachard quelques détails de plus sur la reine Eléonore : Cette princesse, âgée de quinze mois de plus que Charles-Quint, était veuve, depuis quatre ans, d'Emmanuel le Fortuné, roi de Portugal. Elle n'était ni jolie ni laide ; son abord était froid, son regard sérieux, quoique expressif. Elle avait les cheveux d'un blond ardent, les yeux petits, les lèvres saillantes, signe caractéristique des Habsbourg. En un mot, rien ne rappelait en elle le sang espagnol ; tout au contraire, selon l'expression d'un ambassadeur vénitien qui résidait, à cette époque, à la cour impériale, montrait qu'elle était flamande Ce qui la distinguait, c'était une grande bonté, une douceur admirable, et une soumission sans réserve aux volontés de son frère. On aurait pu appliquer à toute sa vie ce que le commandeur don Louis d'Avilla disait d'elle, lors de sa mort, qu'elle était une sainte innocente, et n'avait pas plus de malice qu'une colombe. Voici le passage de l'ambassadeur vénitien, Gasparo Contarini, sur lequel s'appuie M. Gachard : Madama Leonora... non è brutta nè bella ; non ha per alcun modo di quelle grandesse, ma è vera flamminga.

[133] Entre autres gracieusetés faites par Charles-Quint à François Ier, on cite celle-ci. Le roi de France, à la bataille de Pavie, portait la toison d'or que l'empereur lui avait envoyée lors de la conclusion du traité de Noyon. Dans le feu de l'action, il la perdit ; elle fut trouvée par un soldat espagnol, auquel Charles la racheta au prix de 400 ducats. A Torrejon, il la replaça de sa propre main au cou du roi.

[134] M. Mignet, d'après Sandoval, l. XIV.

[135] L'empereur m'a commandé de mener le roi, prendre M. le dauphin et M. d'Orléans, ou le dauphin et les douze autres prisonniers qui se doivent bailler pour la seureté du traité de paix, et bailler lesdits seigneurs au connétable, lequel a charge de les garder. Lettre de Lannoy, du 15 février 1526, à l'archiduchesse Marguerite. — Négociations entre la France et l'Autriche, t. II, p. 553. — Ce fut pendant son séjour à Illescas, et en présence du roi que Charles-Quint, voulant récompenser les services rendus par Lannoy, lui donna la principauté de Sulmone, avec seize mille ducats de revenu. Il ne borna pas là ses bienfaits, mais il y ajouta le comté d'Asti et la charge de grand maître de sa maison, devenue vacante par la nomination de Laurent de Gorrevod au gouvernement de Bourgogne ; il l'avait créé, quelques jours auparavant, comte de Lannoy et du saint empire romain.

[136] Cérémonial réglé pour la délivrance du seigneur roy. — Captivité, p. 510, 511.

[137] Lettre de Lannoy à l'archiduchesse Marguerite, du 29 mars 1526. — Archives des affaires étrangères, Espagne, vol. V, fol. 250-252. Note de M. Mignet.

[138] Lettere di negozi del conte Baldessar Castiglione, nunzio apostolico, all' imperatore Carlo Quinto, t. II, p. 38. Padova, 1759, in-4°.

[139] Instructions de mars 1526, signées par Henri VIII. — Ms. Calig. D. 7, p. 164-170, et dans Turner, t. II, p. 7. Note de M. Mignet.

[140] Procès-verbal de ce qui s'est passé et a esté dit le vendredy Xe de may mil cinq cent vingt et six à Congnac au conseil du roy, etc. — Archives, t. V, f. 9 à 16. Note de M. Mignet.

[141] Archives, t. V, f. 9 à 16.

[142] Or, par le droit de la guerre et usance en tel cas gardée, ajoutait-il, telles promesses ne obligent aucunement, sy celluy qui les fait n'est mis entièrement en sa liberté. Procès verbal, etc.

[143] Lettre de Lannoy à Charles-Quint. — Lanz, t. I, p. 269.

[144] En sa qualité de chef de la maison de Médicis.

[145] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, 1re partie, p. 451.

[146] Traité de Cognac, dans Dumont, Corps diplomatique, t. IV, le part., p. 451-454.

[147] Sandoval, t. I, lib. XVI. — Au compte même de Sandoval, remarque M. Mignet, il y avait un million de ducats.

[148] Sandoval, I, XIV.

[149] Sandoval, I, XIV.

[150] Instruction secrète de l'empereur Charles V pour l'extermination de la secte luthérienne, tirée des archives de Cassel et publiée dans Rommel : Geschichte Philipps des Grossmüthigen, met einen Urkondeubuche, t. III, p. 13. — Note de M. Mignet.

[151] Lettre du 26 mars 1526.

[152] Lettre citée à la page 535 du tome VI des State Papers. Ibid.

[153] Lettre du nonce Castiglione à l'archevêque de Capoue, écrite de Grenade le 8 septembre 1526.

[154] Lettre du nonce Castiglione à l'archevêque de Capoue, écrite de Grenade le 8 septembre 1526.

[155] Navagero, dépêche du 8 septembre 1526.

[156] Lettre de Castiglione.

[157] Castiglione et Navagero racontent cette scène dans des termes identiques.

[158] Dépêche du duc de Sessa et de Moncada à l'empereur, écrite de Rome le 24 juin. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[159] Dépêche du duc de Sessa et de Moncada à l'empereur, écrite de Rome le 24 juin. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[160] Dépêche du duc de Sessa et de Moncada à l'empereur, écrite de Rome le 24 juin. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[161] Storia de Burigozzo, dans Archivo storico italiano, t. III, p. 449. Note de M. Mignet.

[162] Storia di Burigozzo. Cet écrivain était présent à tous les événements qu'il raconte.

[163] Guicciardini, lib. XVII.

[164] Lettre du dataire Giberto à l'évêque de Bayeux, du 1er août 1526. — Lettere di principi, t. II.

[165] Nè questa è, sire, la via di metter l'imperatore in necessità, come è in poter vostro di metterio, ma si bene di farlo assai più grande che non è. — Lettre du 22 juillet de l'évêque de Bayeux à François Ier. — Lettere di principi. — Dans sa lettre du 23 à la mère du roi, il ajoutait : In luogo d'abassar l'imperatore, lo faremo più grande et vi perderete gli animi d'Italia per sempre. Ibid.

[166] Lettre du nonce Bald. Castiglione, écrite de Grenade le 11 novembre à l'archevêque de Capoue.

[167] Nous renvoyons ledit seigneur de Langey devers nostre sainct père, afin de dire à icelle sa saincteté de nostre part, tout ce qu'il nous semble doibt feire maintenant pour s'y venger de la honte qui luy a esté faicte. Lettre de François Ier aux Florentins, de Beaugency, le 5 octobre 1526. — Négociations de la France et de la Toscane, t. II, p. 842.

[168] Relazione di Gasparo Contarini ritornato ambasciatore da Carlo V lette in senato a di 16 novembre 1525, dans Relazioni degli ambasciadori veneti al senato, da Engenio Alberi, ser. I, vol. II, p. 60. Note de M. Mignet.

[169] Relazioni degli ambasciadori veneti al senato, Engenio Alberi, ser. I, vol. II, p. 62.

[170] Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, chap. III.

[171] De France ils envoient icy monsieur Danjay pour parler d'appointement. Je suis bien adverty que ce ne sont que de belles paroles et je leur rendray le semblable. J'ay consenti que le sieur Danjay vienne vers moy, quand ce ne serait synon pour, par cela, donner suspeçons aux Italiens, pape et Vénitiens, et leur bailler jalousie de se deslyer. Lettre de l'empereur au duc de Bourbon, de Grenade, le 8 octobre 1526. — Arch. impér. et roy. de Vienne.

[172] J'ay donné pouvoir au vice-roi de Naples non seulement du secours de Naples, mais de fere paix avec pape et Vénitiens, s'ils vouloient venir à raison et qu'ils me promettent la ligue défensive pour vous maintenir et deffendre en l'estat de Milan. Ibid.

[173] Lettre du dataire Giberto au protonotaire Gambara, nonce du pape en Angleterre, du 7 décembre. — Lettere di principi, t. II.

[174] Charles de Bourbon à l'empereur, lettre du 8 février 1527. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[175] Lettre du 8 février 1527. — Archives de Vienne.

[176] Robert Acciajuoli au roi très chrétien, dans les Négociations diplomatiques de la France et de la Toscane, t. II, p. 864.

[177] Négociations diplomatiques de la France et de la Toscane, t. II, p. 866.

[178] Lettre du 5 janvier 1527. Négociations diplomatiques de la France et de la Toscane, t. II, p. 893.

[179] Les cardinaux votèrent que le pape ne saurait accepter ces articles, et qu'il fallait plustost vendre et engaiger croix, calices et reliquaires et jusques à vendre et engager leurs propres personnes que de consentir à telle iniquité.  Nic Raince au roi, lettre du 30 janvier 1527. — Mss. Béthune, v. 8309, fol. 131. Note de M. Mignet.

[180] Ce mariage, qui se négociait alors, devait avoir lieu plus tard entre la jeune Marie et François Ier ou l'un de ses fils. François Ier dit au nonce qu'il cherchait à gagner le printemps, per fare a tempo nuovo quelle sforzo di quà che io vi ho piu volte detto, e per ridurre a conclusione il mariaggo con Inghilterra. Lettre du nonce des 18 et 19 février 1527, Négociations, etc., t. II, p. 907.

[181] Lettre du nonce des 18 et 19 février 1527, Négociations, etc., t. II, p. 908 et 909.

[182] Relatione di Firenze del clarissimo Marco Foscari, tornato ambasciatore da quella republica l'anno 1527. — Alberi, ser. 1, vol. I, p. 33-31. Note de M. Mignet.

[183] Le dataire Giberto au cardinal-légat Trivulzio, 15 mars 1527. — Lettere di principi, t. II, p. 62.

[184] J'y fus et le trouvai au camp de Saint-Jean, où ils étaient restés quelques jours faute de vivres, de grandes pluyes et neiges qui étaient tombées, et à deffaut d'argent, à cause de quoi les gens s'étaient mutinés et avaient entouré la maison de Bourbon, lequel s'absentait une nuit hors du camp. Lettre de Feramosca à l'empereur, du 4 avril 1527. Lanz, t. I, p. 231. — Lettre du 21 mars, du dataire Giberto au cardinal Trivulzio. Lettere di principi, t. II, p. 66.

[185] Adam Reissner, Historie der Frundsberge, bl. 98. — George von Frundsberg oder dar deutsche kriegshandwert zur zeit Reformation, par le Dr F. W. Barthold, in-8°, Hambourg, 1833, p. 411-415. — Note de M. Mignet.

[186] On composa en donnant un écu par homme et en leur promettant la loi de Mahomet. Lettre de Feramosca, du 4 avril. — Lanz, t. I, p. 231.

[187] Comme j'arrivai avec la paix, ils parurent furieux comme des lions. Lettre de Feramosca, du 4 avril. — Lanz, t. I, p. 231.

[188] Ils me conseillèrent de sortir de San-Juan... Je pris un cheval de Fernando de Gonzaga et je partis d'abord ; après mon départ, ils vinrent en troupe, me cherchant par toute la maison de Bourbon. Lettre de Feramosca, du 4 avril. — Lanz, t. I, p. 231.

[189] Marco Foscari, dans Alberi, ser. 11, t. I, p. 15. Note de M. Mignet.

[190] Marco Foscari, dans Alberi, p. 49-54. — Guicciardini, lib. XVIII. — Mémoires de Martin du Bellay, frère de Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, p. 16 du tome XVIII de la collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, par Petitot.

[191] Guicciardini, lib. XVIII. — Marco Foscari, dans Alberi, p. 50.

[192] Musée Brit., Vitellius, B. IX, et dans Mss. Bréquigny, vol. 92. f. 95. Note de M. Mignet.

[193] Lettre de John Russel à Henri VIII, écrite de Savone, le 11 mai. State Papers, t. VI, p. 577.

[194] Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 153-154 de l'édition in-32, Parigi, M. D CLXIV.

[195] Ceste nuyt sont venues lettres par un villain à pied que le seigneur Seciaria Colonne avec 60 chevau-légiers, vint jusqu'à la muraille de Viterbe à demander les seigneurs de la ville affin de leur donner vivres et passages, et le dict Seciara dist que le reste du camp estoit à Aquapendente et Montflascon, laquelle chose a fort estonné la sainteté de nostre seigneur. Lettre de Gregorio Casale, écrite de Rome le 2 mai 1527. Bibl. Cott. Vitellius, B IX ; et dans Mss. Bréquigny, vol. 92, fol. 105. Note de M. Mignet.

[196] J'ay esté à ce matin a Sa Sainteté une bonne heure... C'est une chose quasi inexprimable de la peur que le pape avoit ; mais je vous promets que j'ay faict ce qu'il a été possible pour luy donner cœur. Lettre de Gregorio Casale.

[197] Vollant le seigneur Rance envoyer à lever mil hommes de pied, il n'a esté possible de trover mil escuz pour luy donner... J'ay envoyé engager toute la vesselle, anaulx, joyaulx, bagues qui estoyent à la maison. Lettre de Gregorio Casale.

[198] ... Le dimanche Ve de may, Bourbon vint loger son camp devers la porte Saint-Pancrace, tyrant jusques au Bourg, en déliberation de bailler l'assault incontinent sans bapterie et par eschielles. Toutefois lurent pour ce soir si bien servis de mener artillerie qu'ils n'approchèrent la muraille. — Lettre olographe et inédite de Guillaume du Bellay, qui, revenu de Rome, dont il avait vu et cherché à empêcher la prise, l'écrivit le 8 juillet 1527 à l'amiral Chabot de Brion. — Dans les Mss. Fontette, portefeuille XXIII, f. 37-38. Note de M. Mignet.

[199] Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 158-159.

[200] Et dura la hapterie de harquebuses d'une part et d'aultre près d'une heure. Lettre de Guillaume du Bellay.

[201] Le prince d'Orange et son cheval estourdis et abbatuz de la terre du bond d'ung boulet de canon. Lettre de Guillaume du Bellay.

[202] Cependant qu'ils dressèrent leurs eschelles, à quoy leur ayda fort ung très Brant brouillard qui se leva devant le jour et furent en grand bransle de n'en vouloir point taster ; mais Bourbon saillit en pieds pour leur donner courage, lequel, avant qu'il arrivast à l'eschielle, eut ung coup de arquebuse au-dessus de l'aynne. Lettre de Guillaume du Bellay.

[203] Dans une relation concernant la prise de Rome, écrite le 3 juin 1527 et déposée au British Museum, Vitellius, B. IX, où elle a été copiée et insérée dans le 92e vol., Mss. de Bréquigny, f. 111, il est dit : Estant encoires sur la muraille, monseigneur de Bourbon fust tellement blesché et constraint de l'aider à descendre et feust porté à une chapelle estant assez près de la ville, où il fust regardé quelque espace de temps et jusques que la dite porte de Thurion fut gaignée et que les gens de guerre y peurent entrer, que lors ledit sieur fust porté dedans l'église de Campo Saint... M. de Bourbon termina de vie par mort, mais avant icelle fist, le debvoir de bon chrétien, car il se confessa et rechut son créateur, requist qu'il fust porté en Milan, et dit-on qu'il avoit en son entendement Rome, pour ce qu'il disoit toujours : A Rome ! à Rome !Ce qui ne laisse pas ce récit sans vraisemblance, remarque M. Mignet, c'est ce qu'écrit en juin 1527 le confesseur du duc de Bourbon à l'empereur... Mémoyre playse avoir vostre impériale majesté de ce que vostre bon et fidelle serviteur feu monseigneur le duc de Bourbon a commandé à son confesseur dire de par luy à voustre dite majesté. Dans ses suprêmes recommandations, le trépassé désignait le prince d'Orange comme le plus propre à recevoir le gouvernement de la duché de Milan. Touchant ce qui est survenu à Rome a esté contre son vouloir, car y protesta devant moy son confesseur que ne prétendoit sinon bien servir Voustre Majesté et faire ouverture pour la coronation d'icelle, et si quelque désordre survenoit après sa mort des-chargeant sa conscience prioit Voustre Majesté à tout et hientost remédier de peur de l'ire de Dieu, et quant au pape ne luy vouloit nulle faire irrévérence ny aulx cardinaulx, et les retirer et mettre hors de la ligue faulcement nommée saincte qui est occasion de la ruine et trouble de la christienté. Archives imp. et roy. de Vienne.

[204] La vita de Pompeio Colonna cardinale, di mons. Paulo Giovio, dans les Vite di decianove huomini illustri, descrita da mons. Giovio. In Venetia, MDLXI. Note de M. Mignet.

[205] Le seigneur Rence alla au capitole, où s'assemble le conseil, et me mena avecques luy. Lettre de Guillaume du Bellay.

[206] Il leur sembla trop gros dommage de rompre si beaux pons ; de reffuser la porte aux Colonnois citadins romains ne leur sembla chose honneste.

[207] Historia expugnata et direptœ urbis Romœ per exercitum Caroli V imp., Cœsare Groliero Lugdunensi auctore ; Parisiis, 1637, in-4°, p. 70. Grolier était dans Rome au moment du siège et du sac. Note de M. Mignet.

[208] Grolier, p. 64.

[209] Les nostres, qui desja estoient partie fuyr, partie escoulez... jettèrent picques et sarquebuttes et prindrent la course près le Tèvre (Tibre)... le seigneur Rence à peine se sauva au château, auquel lieu je le suivy avecques vingt-cinq gentilshommes françois, qui allasmes toujours serrez. Lettre de Guillaume du Bellay. — Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 189.

[210] Grolier, p. 72 et suivantes. — Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 198-202. — Sacco di Roma, par Jacopo Buonaparte, qui en a été témoin et dont le récit a été imprimé pour la première fois à Cologne en 1756, et de nouveau à Paris en 1809 ; édition de Paris, in-8°, p. 178-190. Note de M. Mignet.

[211] Grolier, p. 80.

[212] Grolier, p. 89.

[213] Voici comment Guillaume du Bellay, qui était enfermé dans le château Saint-Ange depuis le soir du 6 mai, parle de cette capitulation et des agitations qui la précédèrent : Le pape incontinent fut pressé de son conseil d'envoyer une trompette pour se rendre, ce que le seigneur Rence pour ce soir (6 mai) empescha ; mais le lendemain matin il la envoya et commença pratiques de composition en despit de tout le monde. Les menées de plusieurs jours seroient longues à réciter : aujourd'hui paix, demain guerre, aujourd'hui tirer, demain estre des-tendu. La fin, ça esté que le XXXIIIe jour il accepta captivité pour lui et treize cardinaux estant avecques luy. Et à ce qu'on ne le reffusast, leur accorda d'avantage le château, Ostie, Civita-Veche, Parme, Plaisance, Modane... avecques ecce mil escuz, et laissa sept ostagiers : le seigneur Rence, le comte de Carpy et tous aultres serviteurs du roy, sortans francs, et partismes le jour de Pentecoste. Lettre olographe de Guillaume du Bellay.

[214] Il ne le savait même pas encore avec exactitude le 16 juin. A cette date, le docteur Lee écrit de Valladolid en Angleterre : Some say the duke of Bourbon is dead. John Almayne saith the emperor knoweth nothing that is deat. Mss. Vespasien, c. 4, p. 154, et dans Turner, Henri VIII, t. II, p. 119, not. 44. Note de M. Mignet.

[215] Lettre de l'empereur au duc de Bourbon, du 6 juin 157. Arch. imp. et roy. de Vienne.

[216] Della vita et delle opere di Andrea Novagero, par Cicogna d'après ses dépêches, p. 197. — Sandoval, l. XVI.

[217] Cicogna.

[218] Lettere di principi, t. II, f. 77.

[219] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, du 21 juin 1527. — Arch. impér. et roy. de Vienne.

[220] Un colpo de schioppo che in li di passati recevai in la facie che mi passo la testa de l'un canto a l'altro, intorno le trincee del castello. Lettre du prince d'Orange à l'empereur, du 21 juin 1527. — Arch. impér. et roy. de Vienne. — Le 22 juillet suivant, il lui écrivait de Nepi : Sire, vous veus bien escripre cestes pour vous fere savoir le mauvais et infame trestement que l'on m'a faict. — Ibid.

[221] Dépêche de Perez à l'empereur, écrite de Rome le 12 octobre 1527. — Mss. Béthune, vol. 8547, f. 21. Note de M. Mignet.

[222] Mss. Béthune, vol. 8547, f. 24.

[223] Lettre d'Alarcon à don Ugo de Moncada, du 30 septembre 1527. — Dans Comentarios de los hechos del señor Alarcon, fol. 334 à 339. Note de M. Mignet.

[224] Traité du 30 avril 1527. — Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. 1re, p. 477 et 478, et Rymer, Fœdera, t. XIV, p. 218.

[225] When this army was assembled, the cardinal delivered the Kyng of Englandes money that he had brought of England in barrels, with which money was this armye payed two monethes before hand, and the remnand was delivered to sir Robert Jarnyngham wich was called treasorer of the warres... This armye was called in latin exercitus Angliœ et Galliœ regum pro pontifice congregatus, Hall' Chronicle, the XIX yere of king Henry the VIII, p. 973. Note de M. Mignet.

[226] Instruction de l'empereur à Pierre de Veyre, baron de Saint-Vincent, envoyé auprès du pape et du vice-roi, d'après les conseils duquel il doit agir en toutes choses. Juillet 1527. Dans Bucholtz, vol. III, p. 97.

[227] Lettre de François Ier à Clément VII, d'août 1527, à Amiens. — Mss. Dupuy, vol. 452.

[228] Dépêche de sir F. Poyntz. — Mss. Vespas., C. IV, p. 146 et 147, et dans Turner, t. II, p. 115 et 116. Note de M. Mignet.

[229] Dépêche de Perez à l'empereur, écrite de Rome le 12 octobre. Mss. Béthune, vol. 8547, fol. 30. Note de M. Mignet.

[230] Dépêche de Perez à l'empereur, écrite de Rome le 12 octobre, et Paolo Giovio, Vita di Pompeio Colonna.

[231] Dépêche de Perez à l'empereur, du 30 novembre 1527.

[232] Dépêche de Perez à l'empereur du 6 décembre 1527.

[233] La captivité du pape, chef de la maison de Médicis, avait occasionné la ruine de l'autorité de cette maison dans Florence. Le cardinal de Cortone, qui y commandait pour lui, avait pris la fuite à la nouvelle du désastre de Rome. Florence avait reconquis encore une fois son ancienne liberté. Elle avait expulsé les deux neveux du pape, Alexandre et Hippolyte de Médicis, et rétabli le vieux régime républicain. Nicolo Capponi, nommé gonfalonier de justice, avait été mis à la tête de l'état, appelé de nouveau à se régir sous la forme la plus démocratique.

[234] Lettre de Clément VII à François Ier, du 14 décembre 1527. — Dans Molini, Documenti di storià italiana, t. I, p. 280. Note de M. Mignet.

[235] Lettre de Pierre de Veyre à l'empereur, écrite de Naples le 30 septembre 1527. — Dans Lanz, t. I, p. 248 à 251.

[236] Lettre de François Ier à ses ambassadeurs en Angleterre, le grand maitre Arme de Montmorency, l'évêque de Bayonne, J. du Bellay et M. d'Humières, écrite de Paris le 7 novembre 1527. — Mss. Béthune, vol. 8541, fol. 40. Note de M. Mignet.

[237] Secondes instructions à l'évêque de Tarbes, Gabriel de Gramont, ambassadeur extraordinaire de France auprès de l'empereur, du 11 novembre 1527. — Arch. imp., carton J. 666/7bis. — Mss. Dupuy, vol. 495, fol. 20. Note de M. Mignet.

[238] Sandoval, lib. XIV.

[239] Papiers d'état du cardinal Granvelle, dans la grande collection des Documents inédits sur l'histoire de France, t. I, p. 310 et 311.

[240] Papiers d'état, etc., t. I, p. 314 et 315.

[241] Papiers d'état, etc., t. I, p. 319 et 320.

[242] Lettre de l'empereur à messire Jean de Calvimont, ambassadeur de France, du 18 mars 1528. Papiers d'état, etc., p. 349 et 350.

[243] Papiers d'état, etc., p. 350 et 351.

[244] Papiers d'état, etc., p. 352 et 353.

[245] Papiers d'état, etc., p. 355 et 356.

[246] Papiers d'état, etc., p. 365 et 366.

[247] Réponse de Charles-Quint à la déclaration faite par le roi de France le 28 mars 1528. Papiers d'état, etc., p. 395 à 405.

[248] Cartel de l'empereur Charles-Quint envoyé au roi François Ier, Papiers d'état, etc., p. 405 à 408.

[249] Instructions de l'empereur à Bourgogne, son héraut d'armes. Papiers d'état, etc., p. 409 à 412.

[250] Voir les diverses lettres d'Anne de Montmorency, de Clermont, gouverneur de Languedoc ; de Saint-Bonnet, gouverneur de Bayonne ; du héraut d'armes Bourgogne et de François Ier, Papiers d'état, etc., p. 417 à 424.

[251] Relation faite à l'empereur par le héraut d'armes Bourgogne, dans Sandoval, Historia del emperador Carlos V, t. I, lib. XVI.

[252] Relation faite à l'empereur par le héraut d'armes, p. 888.

[253] Dans Sandoval, t. I, lib. XVI.

[254] Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, chap. XI.

[255] Sa volonté croist de ayder ceste entreprise. Il a commandé à tous les officiers de la Marche que à mon passée avecques cette armée, ils me obéyssent non moins qu'à sa propre personne et me pourvoient de vivres et logis tout ainsi qu'ils feroient à l'armée propre de sa sainteté. Lettre de Lautrec à François Ier, écrite d'Ancône le 29 janvier 1528. Mss. Bréquigny, vol. 92, fol. 261. Note de M. Mignet.

[256] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, du 30 mars 1528. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[257] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, du 30 mars 1528. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[258] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, du 30 avril 1528. — Arch. imp. et roy. de Vienne.

[259] ... J'avois envoyé Le Crocq avec trois cens harquebusiers pour se mettre en vos galleres et y arrivèrent si bien à point que VIII heure après qu'ils furent embarqués les ennemys vindrent pour les assaillir avec six galleres, quatre fustes, quatre brigantins et davantage avoient dix-huit ou vingt frégates et autres petits vaisseaux tous chargez qui battoient vos galleres par flanc... et vous advise que la fleur de leurs harquebusiers y estoient... Le combat, sire, dura quatre grosses heures. — Lettre de Lautrec au roi, du 30 avril 1528, écrite au camp devant Naples. — Mss. français vol. 29J3, fol. 115. Note de M. Mignet.

[260] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, Arch. imp. et roy. de Vienne, et dans Lanz, Correspondance de l'empereur Charles V, vol I, p. 270.

[261] Lettre de François Ier au grand maître Anne de Montmorency, du 28 juillet 1528. — Mss. de Béthune, vol. 8526, fol. 15. — Note de M. Mignet.

[262] Lettre d'André Doria, du 13 avril 1528. — Mss. français, v. 3005, fol. 32 et suivants. — Note de M. Mignet.

[263] Erano piu obsessi nel campo loro che non erano stati noi in Napoli. Lettre du prince d'Orange à Charles-Quint, du 9 septembre 1528. — Archives imp. et roy. de Vienne.

[264] Environ la fin de juillet, la mortalité se renforça tellement dans notre camp devant Naples, qu'en moins de trente jours de vingt-cinq mille hommes de pied n'en demeura pas quatre mille qui pussent mettre la main aux armes, et de huit cents hommes d'armes n'en demeura pas cent. Mémoires de du Bellay.

[265] Lettre du prince d'Orange à l'empereur, ubi supra.

[266] Lettres de Rosimbos et de Guillaume des Barres à l'empereur, du 31 décembre 1528. — Dans Le Glay, Négociations entre la France et l'Autriche, vol. II, p. 676 à 691.

[267] Lettres de Charles-Quint au sieur de Montfort, envoyé en Flandre et en Allemagne auprès de l'archiduchesse Marguerite et du roi de Hongrie Ferdinand, du 9 novembre et du 23 décembre 1528. — Papiers d'état du cardinal de Granvelle, vol. I, p. 439 à 444.

[268] Lettre de Charles-Quint à Montfort, du 16 mars 1528 (vieux style). — Papiers d'état du cardinal de Granvelle, vol. I, p. 450.

[269] Monseigneur, l'instruction que m'avez envoyé pour la dicte paix contient divers moyens et me ordonnez de les practiquer par ordre et de degré en degré, etc. — Lettre de Marguerite d'Autriche à Charles-Quint, du 26 mai 1529. — Lanz, Correspondance de Charles V, vol. I, p. 300.

[270] Nonobstant que cette ville fût sous la protection du Flamand, si se tenoit-elle neutre, jouissant de ses loix, privilèges et anciennes coustumes, sans que durant les guerres d'entre les Français et les Bourguignons, elle fût molestée de par un d'entre eux : plutost les uns et les autres y 'réquentoyant, et touts les deux se comportoyant envers elle fort amiablement ; de sorte que ceste cité a esté le lien, diverses fois, où se sont faites les assemblées et pourparlers de la paix entre les susdits princes, et enfin l'accord s'en est ensuivi, suivant que on le désiroit. Et telle fut celle conclusion de paix faite l'an 1508, au préjudice des Vénitiens ; et celle de l'an 1529, au grand désavantage des Florentins. Guicciardin, Description des Pays-Bas.

[271] Lettre de François Ier au grand maître Anne de Montmorency, du 17 juillet 1529. — Mss. Béthune, vol. 8606, fol. 87. Note de M. Mignet.

[272] Mss. Béthune, vol. 8606, fol. 1.

[273] 1.200.000 écus comptants lorsque le dauphin et le duc d'Orléans lui seraient rendus. 290.000 représentés par les sommes que l'empereur devait au roi d'Angleterre et dont celui-ci remettait les obligations au roi de France, enfin les 510.000 restant garantis par les biens territoriaux que le duc de Vendôme et plusieurs seigneurs français possédaient dans les Pays-Bas.

[274] Voir le traité de Cambrai dans Dumont, Corps diplomatique, vol. IV, 2° partie, p. 7 à 15.