Ce fut dans les premiers jours de juillet que Charles reçut à Barcelone la nouvelle de son élection à l'empire. Les rois, ses prédécesseurs, et lui n'avaient été traités jusque là que d'altesse : il prit immédiatement le titre de majesté. Au mois d'octobre, la peste qui régnait dans la capitale de la Catalogne le détermina à transporter son séjour à Molin del Rey, où arriva, à la fin de novembre, le comte palatin Frédéric, lui apportant, avec le décret d'élection, une lettre du collège électoral pour l'inviter à se rendre au plus tôt en Allemagne. Il se hâta de terminer les affaires qui le retenaient en Espagne, et, renonçant à aller se faire inaugurer à Valence, il y envoya le cardinal évêque de Tortosa, pour prêter et recevoir les serments en son nom. Le 23 janvier 1520 il partit de Barcelone, traversa l'Aragon sans passer par Saragosse, s'arrêta neuf jours à Burgos, visita la reine sa mère à Tordesillas, et arriva le 26 mars à Saint-Jacques en Galice, où il avait convoqué les cortès de Castille pour le 1er avril. Ces cortès, réunies à Valladolid, lui avaient accordé précédemment un servicio ou subside de six cent mille ducats, qui devait être levé dans trois années. Le terme de cette concession n'était pas encore atteint, et Charles, prêt à quitter l'Espagne et pressé par le besoin d'argent, les convoquait de nouveau, non plus dans une ville de Castille, mais en Galice, non loin du port et du moment où il devait s'embarquer. Cette mesure, venant s'ajouter aux griefs nombreux et déjà anciens des Espagnols, fut comme le signal d'une insurrection qui, après avoir ébranlé la monarchie, finit par la rendre absolue. Pendant les trois ans et demi qu'il avait passés dans ce pays aussi jaloux de ses droits nationaux qu'attaché à ses vieux usages, il n'avait pas réussi, ou plutôt il n'avait guère songé à se faire aimer des Espagnols. Ceux-ci se plaignaient du peu de cas qu'il semblait faire de leur nation et des préférences qu'ils montraient pour les Belges, comme si ceux-ci eussent été ses seuls compatriotes. Dans leur fierté, ils étaient blessés du pouvoir que s'arrogeait Guillaume de Croy, son ancien gouverneur, devenu son grand chambellan ; ils trouvaient mauvais, et non sans raison, qu'il eût conféré à ce seigneur avide la charge de grand trésorier du royaume ; ils étaient révoltés de voir le neveu du seigneur de Chièvres occuper la première dignité ecclésiastique de la péninsule ; ils s'indignaient du trafic que, sous ses yeux, son grand chambellan et son grand chancelier faisaient des charges, des dignités et des offices. Déjà l'ancienne capitale de l'Espagne, la puissante ville de Tolède, irritée de la levée du premier subside cédé à des traitants pour une somme supérieure à celle qui avait été votée, avait proposé aux autres cités de la Castille de se former en junte, afin de porter remède aux maux du royaume, que l'absence prochaine du roi menaçait d'aggraver encore. Elle se prononça vivement contre la réunion des cortès en Galice et contre le vote de tout nouveau subside. L'agitation était universelle au centre de l'Espagne, et il y eut un moment pendant le voyage, où le peuple s'ameuta sur le passage du roi, et poursuivit de ses cris de mort le seigneur de Chièvres qui l'accompagnait. Ces symptômes alarmants n'arrêtèrent point Charles. Il ouvrit lui-même les cortes de Saint-Jacques ; il y exposa les causes de son départ, les nécessités de sa position, et il réclama de l'assemblée le nouveau service pour lequel il l'avait convoquée. Comme elle ne s'y montrait pas disposée, il fallut l'y contraindre, et des mesures de rigueur frappèrent les députés les plus opiniâtres dans leur refus, des menaces intimidèrent les autres. Les députés de Salamanque furent exclus des cortès, ceux de Tolède furent relégués dans une sorte d'exil, et à leur place Charles désigna lui-même au choix des villes des mandataires moins indociles. Ils ne furent pas nommés. Avant qu'ils pussent l'être, l'assemblée mutilée et contrainte des cortès, qui avait été transférée à La Corogne, vota un subside de deux cent millions de maravédis[1], sans que les procuradores de Salamanque, de Madrid, de Murcie, de Cordoue, de Tolède, prissent part à cette décision, que repoussa l'un des deux députés de Léon[2]. Loin d'obéir aux injonctions de l'empereur, la ville de Tolède était entrée en pleine révolte. Le peuple insurgé y avait mis à sa tête le député exilé don Pedro Laso de la Vega, ainsi que le fier et entreprenant don Juan de Padilla, fils du grand commandeur de Léon ; il s'était emparé des ponts fortifiés sur le Tage et de l'alcazar, dont il avait chassé le gouverneur ; il avait ainsi donné aux autres cités un exemple, que devaient suivre bientôt Ségovie, Medina, Burgos, Salamanque, Avila, Toro, Cuença, Madrid, Zamora, et presque toutes les communes de Castille. Cette dangereuse rébellion fut connue à La Corogne le 8 mai. Pour l'empêcher de s'étendre, les plus hardis conseillers de Charles-Quint étaient d'avis qu'il devait se rendre sans délai devant Tolède, y ramener la soumission par sa prudence ou par la force, punir exemplairement les chefs de la sédition, et apaiser le trouble dans le royaume en y inspirant la crainte. Chièvres ne partagea point ce sentiment ; il pensa qu'il rie serait pas facile de soumettre une ville comme Tolède avec le peu de troupes qu'on avait en ce moment. La probabilité d'autres soulèvements, la peur d'exposer sa personne en rentrant au cœur de la Castille, le désir de quitter un pays où il s'était enrichi et où il était universellement détesté, enfin la nécessité qui pressait Charles d'aller prendre possession de la couronne impériale et de prévenir par une conférence avec Henri VIII l'entrevue que le roi d'Angleterre devait avoir avec François Ier, le firent opiner pour un prompt départ. Son avis prévalut. Charles crut que les mouvements de la Castille se calmeraient pendant son absence, tandis qu'il ne retrouverait plus l'alliance d'Henri VIII, s'il perdait l'occasion de s'en assurer. Dès que les vents contraires lui permirent de sortir de la Corogne, le prince quitta l'Espagne, abandonnant pour ainsi dire la rébellion à elle-même. Il laissa pour gouverner ce royaume agité son ancien précepteur, Adrien d'Utrecht, dont il recommanda l'administration aux grands qui respectaient les vertus du régent[3], mais que le choix d'un étranger ne pouvait que mécontenter. Il mit à la voile le 20 mai, et aborda à Sandwich, où le cardinal Wolsey s'était rendu pour le recevoir. Henri VIII se porta au devant de lui jusqu'à Douvres. Les deux monarques passèrent cinq jours ensemble dans la plus cordiale intimité, s'entretenant de leurs plus secrètes affaires et jetant les fondements de leur prochaine alliance. Charles reprit la mer le 31 mai, et, le 1er juin, il aborda à Flessingue. Il en partit immédiatement pour Bruges, où il trouva sa tante, l'infant Ferdinand, les ambassadeurs de Venise, les ducs de Saxe, de Brunswich et d'autres princes de l'empire. A Gand, il fut complimenté par des députations de la plupart des villes des Pays-Bas. Arrivé à Bruxelles, il s'empressa d'y convoquer les états généraux, et ouvrit en personne leur session le 26 juin. Après avoir loué la gouvernante et les membres du conseil privé de leur conduite pendant son absence, il approuva les actes de leur administration, et assura les députés que son cœur avoit toujours été par deçà. Il fit appel ensuite à la libéralité des états pour l'aider à supporter les dépenses de son couronnement. Des aides furent accordées, non sans difficulté pourtant de la part de quelques provinces. Les Mats de Namur ne consentirent qu'après des convocations réitérées à voter quatre mille cinq cents livres payables en deux termes. Le Brabant accorda une aide annuelle de cent cinquante mille livres pour l'espace de trois ans ; la Flandre donna cent cinquante mille livres ; le Hainaut, vingt mille payables en deux ans ; Valenciennes, cinq mille ; Malines, deux mille cinq cents. Le 3 juillet, Charles partit pour Gravelines, où il trouva Henri VIII, qui venait de se séparer de François Ier après leur célèbre entrevue du camp du drap d'or[4]. Charles l'accompagna à. Calais, où les deux souverains signèrent une convention destinée à. resserrer leur alliance. A son retour à Bruxelles, le jeune empereur reçut les électeurs venus pour l'inviter à se faire couronner. Ce fut l'occasion de fêtes brillantes. Charles se rendit ensuite à. Malines, où il fut accueilli de la façon la plus splendide. De nombreuses salves d'artillerie tirées des remparts et de l'Overste poorte annoncèrent son approche, et toutes les autorités allèrent à sa rencontre, des torches ardentes à la main. La ville lui offrit deux muids de vin du Rhin et six serpentines, qui, desservies par des compagnons habillés de drap rouge et jaune, saluèrent le prince de leurs volées. Quelques villes de la Flandre le reçurent avec une égale magnificence. Enfin, de retour à Bruxelles, l'empereur alla à pied, le 16 août, en compagnie de son frère et de toute sa cour, remercier Notre Dame de Hal de' l'heureux succès de ses espérances. Charles avait reçu peu de temps auparavant, à. Louvain, où il était arrivé le 23 juillet, des dépêches d'Espagne, qui lui causaient les plus graves soucis. De Tolède, où elle avait commencé, la révolte s'était rapidement étendue à Ségovie, à Medina del Campo, à Madrid, à. Salamanque, à Murcie, à. Burgos, à Palencia, à Valladolid même, siège du gouvernement royal. Partout on avait pris les armes, chassé les corrégidors du roi, Ôté les verges de la justice à ses alcades, occupé de vive force les alcazars des villes, tenus par les délégués de la couronne ou par des membres de la noblesse. Le régent Adrien avait vainement essayé d'arrêter l'insurrection. Les juges et les soldats qu'il avait envoyés devant Ségovie et devant Medina del Campo, avaient été également repoussés. Et bientôt même l'autorité royale avait été suspendue dans Valladolid. A Bruxelles, l'empereur reçut, au bout de quelques jours, des nouvelles plus affligeantes encore. Après leur soulèvement et leur victoire, les villes avaient nommé une junte et formé une armée. La junte, assemblée d'abord à Avila, s'était ensuite transportée à Tordesillas, où résidait la reine Jeanne, qu'elle avait placée, malgré sa folie, à la tête de la communidad[5]. Prononçant alors la dissolution du conseil laissé par Charles, dont l'autorité cessait du moment où était rétablie celle de sa mère, la junte en avait saisi ou dispersé les membres, et elle avait chassé de Valladolid le régent Adrien, qui s'était réfugié à Medina del Rio-Seco sans y exercer aucun pouvoir, sans disposer d'aucune force. La junte de Tordesillas, agissant en souveraine, avait dressé une véritable charte des droits du royaume. Les articles de ce code des libertés comme du gouvernement des Castilles, supprimaient le dernier servicio, exigeaient le retour du roi, prononçaient l'exclusion des étrangers de tout emploi public, déterminaient la nature et la quotité des taxes, rétablissaient dans son ancien état le domaine royal, appauvri par des aliénations avantageuses à la noblesse, onéreuses aux classes inférieures ; réformaient l'exercice de la justice — soit devant les tribunaux des alcades, soit devant les cours des audiences, soit devant le conseil royal de Castille —. Ils ôtaient les corrégidors des villes, rétablies dans toutes leurs franchises ; interdisaient l'accroissement de la noblesse par la concession de nouveaux titres, réduisaient les prérogatives de la couronne en matière d'impôt, d'aliénation du domaine, de suspension de justice, d'extension de privilèges ; donnaient une existence indépendante aux cortès, qui s'assemblaient de droit tous les trois ans, et sans l'adhésion desquelles aucune loi ne pouvait être faite, dont les membres librement élus par les villes dans les trois ordres du clergé, de la noblesse, des communes, ne recevaient des instructions que de leurs commettants, et n'accepteraient ni emploi ni faveur de la couronne. Ces capitulos del reyno, comme les appelait la junte, étaient érigés en loi fondamentale et perpétuelle. Ni le roi ni les cortès ne pouvaient les changer, et ils devaient former un contrat inviolable entre le prince et la nation. Ce contrat était imposé à Charles-Quint comme la condition de la rentrée des villes sous son obéissance. Dans ces circonstances critiques, Charles prit les seules mesures qui, à défaut de sa présence en Espagne, pouvaient y ramener la tranquillité. Il associa à la régence d'Adrien le connétable de Castille don Inigo de Valasco, et l'amiral ou l'amirante don Fabrique Henriquez. Il écrivit aux villes des lettres conçues en termes affectueux, fit grâce du service voté par les cortès à celles qui étaient restées sous son obéissance ou qui y rentreraient, et permit que les revenus royaux connus sous le nom d'alcavalas se perçussent comme du temps des rois catholiques, renonçant ainsi à l'augmentation qu'ils avaient éprouvée depuis. Enfin il déclara que dorénavant il ne serait plus accordé de charges, d'offices ni de bénéfices à des étrangers. Le moment était venu d'aller prendre la couronne impériale à Aix-la-Chapelle. Charles avait convoqué les états généraux des Pays-Bas à Anvers. Il les réunit le 20 septembre, et les remercia, par l'organe du chancelier, du bon et grand accueil de tous ses pays et des aides accordées. Le chancelier ajouta qu'après avoir Virminé ses affaires en Allemagne, l'empereur retournerait en Espagne, où le rappelaient de bien grandes nécessités. L'empereur prit ensuite lui-même la parole pour leur faire ses adieux. Il les informa qu'il avait résolu de rétablir sa tante dans le gouvernement général du pays, et les exhorta à rester tous unis et de bon accord. Les états, à leur tour, par l'organe de Jean Caulier, seigneur d'Aigny, lui exprimèrent leur gratitude des soins pris par lui pour l'administration de ses pays de par deçà ; ils lui donnèrent l'assurance qu'ils avoient de bon gré consenti les aides, et que, s'ils l'avoient pu, elles eussent été plus fortes ; ils lui promirent enfin de rester tous étroitement unis. Reprenant alors la parole, l'empereur leur demanda de vouloir estre bons sujets et qu'il leur seroit bon roi et bon prince, qu'il auroit mémoire d'eux et qu'il se partoit à regret. Charles se dirigea vers Aix-la-Chapelle, accompagné de sa tante et d'une foule de nobles personnages. On remarquait parmi eux l'évêque de Liège, le prince d'Orange, les comtes de Nassau, de Buren, d'Hoogstraeten, de Porcien, d'Egmont, de Hornes, d'Épinoy, de Werdenberg ; le prince de Chimai, le seigneur de Fiennes, récemment créé comte de Gavre ; les seigneurs de Chièvres, de Rœulx, de Wassenaar, de Liedekerke, de Falais, de Sempy, de Zevenbergen, de Berghes ; le duc Frédéric d'Albe, son fils et plusieurs autres gentilshommes espagnols. Le 22 octobre 1520, le nouvel empereur fit son entrée solennelle à Aix ; elle ne dura pas moins de cinq heures, tant était nombreux le cortège qui l'entourait. Le jour suivant, les électeurs vinrent le prendre à son palais, et le conduisirent à l'église de Notre-Dame, où il fut sacré et couronné, avec le pompeux cérémonial d'usage, par l'archevêque de Cologne, assisté des archevêques de Mayence et de Trèves. Le même jour, il prêta, à, l'hôtel de ville, les serments accoutumés. A partir de ce moment, il remplaça par les titres d'élu empereur des Romains, toujours auguste, roi de Germanie, ceux d'élu roi des Romains, futur empereur, qu'il avait pris jusque là. Ce fut seulement après son couronnement à Bologne, que le mot élu disparut de ce formulaire. Les dispositions de la bulle d'or voulaient que Charles-Quint assemblât la diète de l'empire à Nuremberg, mais la peste qui régnait en cette ville l'obligea de la convoquer à. Worms, où il arriva le 20 novembre. Après avoir réglé les affaires temporelles de l'Allemagne, il eut à s'occuper de la situation religieuse, qui était très inquiétante en ce moment. Les discours et les publications de Luther[6] avaient mis tout le pays en feu. Deux fois déjà excommunié par le pape, ce moine fougueux ne gardait plus aucun ménagement dans ses invectives contre le Saint-Siège. L'empereur le cita à comparaître devant la diète, en lui donnant un sauf-conduit et un héraut pour l'accompagner. Luther arriva à Worms le 16 avril 1521, et comparut le lendemain. Il fut invité à s'expliquer sur ces deux points : si tous les livres qui avaient paru sous son nom et dont on lui remit la liste, étaient bien de lui, et s'il entendait affirmer les doctrines qui y étaient contenues, ou les rétracter en tout ou en partie. Il répondit affirmativement sur le premier point, et demanda un délai pour s'expliquer sur le second. Ramené le lendemain devant la diète, il prononça un long discours, et conclut en disant qu'il ne pouvait ni ne voulait rien révoquer de ce qu'il avait écrit, à moins qu'on ne lui en prouvât la fausseté par le témoignage de l'Écriture sainte et par des raisons solides. Ce n'était pas que les réponses lui eussent manqué jusque là, mais il n'avait accueilli les preuves de ses adversaires qu'avec des torrents d'injures et les paroles les plus insultantes. En vain on lui accorda du temps ; en vain des théologiens choisis par l'archevêque de Trèves, cherchèrent à l'ébranler, Luther persista dans son obstination. Poussé à bout, l'empereur lui enjoignit de sortir de Worms immédiatement avec un sauf-conduit de vingt-et-un jours, et, le 8 mai, de l'avis des électeurs, des princes et des états de l'empire, il défendit de lui donner asile, ordonna de procéder contre lui comme schismatique et hérétique notoire, interdit la vente de ses livres et voulut qu'ils fussent brûlés partout où on les rencontrerait. La diète fut close bientôt après, et Charles quitta Worms le 31 mai. Guillaume de Chièvres y était mort trois jours auparavant ; il avait conservé la confiance de l'empereur jusqu'au dernier moment. C'était un politique habile, et on a dit de lui qu'il avait infiniment surpassé tous les gouverneurs des grands monarques qui l'avaient précédé[7]. Malheureusement tout l'éclat de ses talents était terni par une sordide avarice. Son trop grand amour pour les beaux doublons à deux têtes, selon l'expression de Brantôme, compromit l'autorité de Charles en Espagne, et donna occasion à ses ennemis de l'accuser d'avoir vendu son ancien élève à la France[8]. Marguerite avait devancé son neveu dans les Pays-Bas, où elle était revenue précipitamment après les fêtes du couronnement avec les seigneurs qui l'avaient accompagnée. L'infant Ferdinand était allé rejoindre son frère. Les dispositions de la France inspiraient en ce moment de sérieuses inquiétudes. L'accord entre François Ier et Charles-Quint ne pouvait être de longue durée. Une rivalité inévitable et des intérêts opposés devaient peu à peu les conduire à une rupture. Le premier avait conservé un secret et profond dépit d'avoir échoué dans la lutte pour la couronne impériale. Les changements ainsi survenus dans les dispositions des deux souverains avaient amené bien vite un changement dans leurs relations sur tous les points où ils étaient en contact par leur territoire. Vers la frontière des Pyrénées, Français Ier réclamait la restitution à Henri d'Albret du territoire qu'avait envahi huit années auparavant Ferdinand le Catholique, afin de l'incorporer à la monarchie espagnole. Un arrangement avait été stipulé au traité de Noyon en 1516, mais il était resté sans exécution. Une conférence tenue à Montpellier en 1519 sur ce sujet entre le seigneur de Chièvres et le grand maitre de Boissy avait été interrompue par la mort de ce dernier, sans que Charles se montrât disposé à rendre la Navarre ou à offrir une compensation. En Italie, l'opposition des intérêts était bien plus grande encore. François Ier et Charles-Quint se faisaient face dans cette péninsule, dont l'un occupait la partie supérieure, et l'autre la partie inférieure. Il était facile à François Ier de descendre du Milanais dans le royaume de Naples, où il aurait trouvé l'appui du vieux parti angevin, et Charles-Quint pouvait faire remonter du royaume de Naples dans le duché de Milan, des troupes prêtes à seconder en leur agression tous les ennemis de la domination française au delà des Alpes. Ils devaient donc chercher à s'exclure réciproquement de la péninsule, François en dépossédant Charles de l'Italie méridionale, Charles en expulsant François de la Lombardie milanaise. Du côté des Pays-Bas, Charles revendiquait le duché de Bourgogne comme une partie de son héritage paternel, dérobé par Louis XI à la maison dont il descendait. François Ier y entretenait dans son alliance le belliqueux duc de Gueldre et l'entreprenant Robert de la Marck, seigneur de Sedan et de Bouillon, deux personnages bien connus de nos lecteurs. Au moment où nous sommes, l'insurrection des communeros, devenue très dangereuse pour Charles en Espagne, l'éloignement où il se trouvait de l'Italie, les embarras religieux et politiques qu'il rencontrait en Allemagne, semblaient le rendre impuissant à protéger ses divers états. François Ier, se croyant sûr de son fait, appela alors à Romorantin, maison de plaisance de la duchesse d'Angoulême sa mère, où il tenait souvent sa cour, Robert de la Marck, le duc de Luxembourg, gendre du duc de Gueldre, chef des bandes noires des lansquenets ; André de Foix, seigneur de Lesparre et parent des d'Albret. Il les renvoya après avoir concerté avec eux une attaque sur les flancs des Pays-Bas et une invasion de la Navarre, dont le recouvrement ne pouvait être empêché en ce moment par personne. La guerre commença au printemps de 1521. Prenant prétexte d'un différend qui existait depuis longtemps au sujet du village d'Aubrive entre la famille d'Aimeries, qui réclamait ce village comme tenu en fief du comté de Namur, et la famille de Landelies, qui le revendiquait comme une dépendance de la terre de Bierges, pairie du duché de Bouillon, Robert et Fleuranges, son fils, envoyèrent chacun un messager, accompagné de trompettes, porter des lettres de défi à la gouvernante générale des Pays-Bas. Marguerite proposa au seigneur de Sedan de prendre les états de Liège pour arbitres du différend ou d'en référer aux rois d'Angleterre et de France. Mais les de la Marck, sans répondre à cette proposition, se jetèrent sur le Luxembourg à la tête de quatre à cinq mille piétons et de quinze à seize cents chevaux, avec lesquels ils vinrent mettre le siège devant Virton[9]. Une tentative des Français sur Liège montra, ce qui du reste était assez clair pour tout le monde, la main qui faisait agir le seigneur de Sedan. Des émissaires français s'étaient fait des partisans jusque dans les rangs de la magistrature, mais ils échouèrent complètement auprès de la bourgeoisie qui n'avait pas oublié ses malheurs passés. Plusieurs petites conspirations avaient été découvertes aussi vite qu'on les avait formées. Le châtiment de quelques conjurés jetés dans la Meuse n'arrêta pas leurs complices, et un vaste complot, destiné à livrer Liège et son évêque aux Français, devait éclater dans la nuit de l'Annonciation (25 mars). Déjà le faubourg d'Avroy était rempli de soldats français, lorsque la trame fut éventée et douze des principaux conjurés arrêtés. Les soldats étrangers battirent promptement en retraite ; les conjurés arrêtés furent écartelés ; leurs adhérents prirent la fuite, et Érard de la Marck s'attacha irrévocablement à la fortune de Charles-Quint[10]. L'attaque du seigneur de Sedan n'avait pas pris Marguerite au dépourvu. Depuis longtemps elle avait l'œil sur les intrigues de la France[11]. Dès les derniers mois de l'année précédente, elle avait prescrit des levées de troupes, et le capitaine Henri de Wilere, entre autres, avait enrôlé, par son ordre, quatre cents hommes dans le pays de Namur, et les tenait réunis au chef-lieu du comté. A la première nouvelle de l'investissement de Virton, Philippe de Bade s'empressa d'envoyer des forces à Yvoy, à Charançy et à Damvillers. Thionville, le boulevard du pays, reçut deux cents lansquenets ; on leva en Allemagne un corps de couleuvriniers et d'autres troupes, et la compagnie de gens d'armes du seigneur de Vertaing fut envoyée à la frontière. Un chevaucheur, nommé Guillaume Lorent, ayant reconnu la possibilité d'introduire des secours dans Virton, dont les habitants se défendaient avec énergie, on parvint à y jeter successivement vingt-cinq piétons d'Arlon et quinze compagnons de guerre conduits par Jean Houpillon, de Virton. Informé par sa tante et par le marquis de Bade de l'attaque des de la Marck, Charles-Quint n'hésita pas à l'attribuer à la France, et agit aussitôt en conséquence. Il ordonna à son ambassadeur à Paris de protester contre cet acte d'hostilité commis par un serviteur du roi avec des troupes levées dans ses états, et requit Henri VIII de lui fournir des secours en vertu de leur traité d'alliance. Le monarque anglais invita François Ier à arrêter les hostilités et à accepter sa médiation. François accepta, quoique cette médiation fut inutile, disait-il, attendu qu'il n'avait aucune intention préjudiciable à l'empereur. Sur les représentations de l'ambassadeur de Charles-Quint, il interdit le passage du royaume aux Suisses recrutés par un gentilhomme au service de Fleuranges, et invita Robert de la Marck à évacuer le Luxembourg. Celui-ci, qui venait d'être repoussé avec perte dans un assaut livré à Virton, se soumit à l'ordre du roi. Le 22 mars 1521, il battit en retraite, non sans avoir pillé et brûlé pays et sujets de l'empereur, même un village du comte Félix de Werdenberg[12]. La condescendance de Robert de la Marck ne lui servit de rien. Charles-Quint avait résolu de châtier le serviteur inconstant et l'insolent adversaire qui, de sa petite souveraineté des Ardennes, osait s'attaquer à un empereur. La confiscation des biens de tous les individus s'étant trouvés devant Virton fut prononcée par un édit, et des lettres impériales enjoignirent aux officiers du Brabant, de la Flandre et du Hainaut, de faire en toute hâte des levées dans ces provinces. Bientôt une armée de vingt-deux mille hommes fut réunie. Un aventurier célèbre, qui joua un rôle important dans les troubles religieux et politiques de cette époque, Franz ou François de Sickingen[13], se chargea, avec le comte Félix de Werdenberg qui avait à venger des injures personnelles, de recruter en Allemagne des lansquenets et des reitres. Sans attendre l'arrivée de ces mercenaires, Henri de Nassau se porta dans le Luxembourg avec les milices du Namurois et quelques compagnies d'hommes d'armes du Hainaut et du Brabant. Il fut rejoint à Marche par cinq mille lansquenets. Bien qu'il n'eût encore que quelques canons tirés de Luxembourg, il marcha rapidement sur le château de Logne, appartenant au seigneur de Jamet, fils de Robert de la Marck. Félix de Werdenberg arriva bientôt avec six ou sept mille Allemands, et après s'être emparé de Florenville qui se rendit à la première sommation, il investit Messancourt, fief de la Champagne enclavé dans le Luxembourg. Cependant Robert de la Marck avait envoyé Fleuranges réclamer l'assistance de François Ier. Il se hâta ensuite d'appeler à lui tous les aventuriers habitués à courir les Pays-Bas sous sa bannière ; sans tenir compte des défenses officielles du roi, le gouverneur de Mouzon lui envoya une partie de ses troupes. Tout cela ne laissait pas de former une force assez considérable. Nassau n'en tint compte. Il enleva d'assaut le château de Logne. Le seigneur de Niselles, châtelain du lieu, et d'autres officiers, considérés comme sujets de l'empereur, furent pendus ; le château fut rasé. Mais les choses n'allèrent pas si vite à Messancourt. L'ennemi avait trouvé moyen d'y jeter des renforts et des munitions ; le siège traînait en longueur. Félix de Werdenberg fut obligé de s'établir dans un village voisin, qu'il fortifia contre les surprises, et de loger sa cavalerie à Yvoy. Il avait fallu envoyer acheter de la poudre en Lorraine et en Alsace. Sur ces entrefaites, Fleuranges, profitant d'un jour de fête, parce que les gens du pays boivent plus ces jours-là que les autres jours, tenta de s'emparer d'Yvoy, et s'embusqua dans un bois voisin avec un fort parti de cavalerie et cinq cents piétons. A la vue de quelques cavaliers venant escarmoucher devant la ville, des Namurois, qui avoient bien bu, sortirent en désordre et se lancèrent à leur poursuite. Tout à coup Fleuranges parut sur leurs derrières et leur coupa la retraite. Les Namurois succombèrent dans cette lutte inégale, mais après s'être battu vaillamment. Fleuranges eut un cheval tué sous lui, et échoua dans son entreprise[14]. Messancourt tenait encore. Le feu bien nourri, bien dirigé de ses défenseurs avait tué quatre cents hommes aux assiégeants. Mais la prise de Logne changea la face des choses. Nassau, renforcé par l'artillerie que lui avait fourni l'évêque de Liège, arriva devant la place ; ses bandes d'ordonnance, placées à Thionville et dans les localités voisines, continrent les partisans des de la Marck, et, après un siège de six semaines et trois jours, Messancourt se rendit à discrétion. Les chefs de la garnison durent la vie à l'intercession des officiers du comte ; quelques déserteurs furent pendus, et les prévôts de Chiny, Arlon, Virton, Marville, Damvillers, Montmédy, Charanci, Yvoy, Neufchâteau et Herbeumont reçurent l'ordre d'envoyer leurs gens pour démolir la ville. Après quelques jours de repos donnés à son armée, Nassau se dirigea sur le château de Jametz. Arrivés à une portée de canon du château, les impériaux incendièrent le village, et simulèrent les préparatifs d'une attaque. Pendant que les la Marck, craignant pour Sedan, se préoccupaient du sort de cette place, Nassau fit filer son armée sur les hauteurs de Romainville, laissant seulement devant le château de Jametz un corps de cavalerie chargé de surveiller la garnison, et après dix jours d'une marche rendue difficile par l'encombrement de ses chariots et de son artillerie, il arriva inopinément devant Fleuranges. Cette petite ville était bien fortifiée et abondamment fournie de canons et de munitions de guerre. Le seigneur de Jametz s'y était enfermé avec six cents lansquenets, quelques hommes d'armes et les milices du canton ; il avait des vivres pour un an. Tout semblait présager un siège long et difficile. Il n'en fut rien. Un lansquenet, pris dans une escarmouche, se chargea d'amener à soumission ses camarades, que Nassau menaçait de la corde, si, sujets de l'empire, ils résistaient au lieutenant de l'empereur. Ces menaces et l'or eurent un plein succès. Une porte fut livrée à Félix de Werdenberg, et les impériaux s'emparèrent, sans coup férir, de la ville et du château. Le seigneur de Jametz fut envoyé au château de Namur, en attendant le payement de sa rançon fixée à dix mille écus. Nassau ordonna la destruction de Fleuranges, et les prévôts d'Echternach et des quartiers voisins, chargés de cette opération, ne mirent que quinze jours à l'accomplir. Le comte ne prit que le temps de ramasser divers corps récemment recrutés et réunis aux environs d'Arlon. Il rentra immédiatement dans les Ardennes et ravagea tout le pays de Bouillon. Il ne songeait guères à attaquer le château, que sa position sur un rocher dominant la Semoy semblait rendre imprenable, mais un coup de main inespéré le lui livra. Quelques hommes d'armes et des piétons namurois s'étant avancés jusqu'aux portes, y pénétrèrent audacieusement et s'emparèrent du premier fort. Nassau accourut aussitôt avec de l'artillerie, et la garnison, saisie d'une terreur panique, se rendit à discrétion. Le capitaine fut pendu avec ses gens[15] ; le château et la ville furent pillés ; après quoi Félix de Werdenberg y mit le feu à l'insu de Nassau, qui comptait y laisser garnison. Le mur d'enceinte fut détruit, les fossés comblés, et Charles-Quint céda à l'évêque de Liée la place ainsi démantelée, qui depuis resta définitivement séparée de la seigneurie de Sedan. De Bouillon Nassau se dirigea sur Douzy, en marchant avec une grande circonspection. Le maréchal de Châtillon, Gaspard de Coligny, concentrait à Attigny des troupes, dont le nombre grossissait incessamment. François ter venait de se transporter à Reims de sa personne. La France refusait cependant tout secours ostensible aux la Marck. Dès que Nassau fut établi à Douzy, gros bourg situé au dessus de l'embouchure du Chiers, il relia fortement ses communications avec Yvoy et les places voisines ; puis, jetant un pont sur le Chiers, il menaça à la fois Mouzon et Sedan. Robert de la Marck, ayant perdu alors tout espoir d'être secouru, et voyant quatre de ses principales places déjà détruites, renonça à prolonger plus longtemps la lutte. Après avoir obtenu une suspension d'armes par l'entremise de François de Sickingen, son ami et frère, il se rendit à Bellain, où il signa, avec les commissaires du comte de Nassau, une trêve de six semaines. Cette trêve, dans laquelle Fleuranges refusa d'être compris, n'arrêta pas les poursuites judiciaires ordonnées au sujet du traité. de Virton. Des exploits du procureur général, lus et affichés dans toutes les villes voisines, avaient ajourné devant le justicier des nobles du duché le seigneur de Sedan et ses enfants pour les méfaits dont ils s'estoient rendus coupables, afin de se voir condamnés à la confiscation de leurs biens. Après que cet ajournement eut été répété quatre fois, le jugement fut porté par contumace, et les seigneuries, dont les impériaux s'étaient emparés, furent confisquées au profit du domaine public[16]. Cette vigueur, cette fermeté que déploya alors Charles-Quint ne l'abandonnèrent plus. Ce fut une transformation complète. Au timide élève du seigneur de Chièvres avait succédé un homme, un prince d'une force d'âme incomparable, qu'aucun événement ne troubla, qui ne s'étonna d'aucun péril, que n'abattit aucun revers. Personne n'eut à un plus haut degré le sentiment de l'autorité, et n'en accepta avec plus de résolution les devoirs et la résolution[17]. Les nouvelles qui lui étaient venues récemment de la Navarre l'avaient aigri contre François Ier. Le seigneur de Lesparre avait franchi les Pyrénées avec huit mille soldats gascons et environ trois cents lances françaises ; il s'était rendu maitre de Pampelune, et en moins de quinze jours avait occupé tout le territoire du royaume, qu'il venait de remettre sous l'obéissance de Henri d'Albret. Lorsque le jeune empereur apprit la concentration d'une armée française à Attigny et le mouvement qu'elle opérait vers les Pays-Bas, on l'entendit s'écrier : Dieu soit loué de ce que ce n'est pas moi qui commence la guerre, et de ce que le roi très chrétien veut me faire plus grand que je ne suis, car, en peu de temps, ou je serai un bien pauvre empereur, ou il sera un pauvre roi de France. Il ordonna sur le champ à son ambassadeur auprès de François Jar de signifier au roi que Robert de la Marck, messire Charles de Gueldre et don Henri d'Albret voulant lui faire la guerre, il tenoit ses traités avec la France pour rompus et cassés, et que, avec l'aide de Dieu et de ses amis, alliés et confédérés, comme provoqué et assailli se défendroit. François congédia l'ambassadeur en lui disant assez rudement qu'il connoissoit que l'empereur ne lui vouloit point de bien[18]. Du côté de Charles, les faits répondirent, bien vite aux paroles. Les impériaux, franchissant la frontière, parurent plusieurs fois sur le territoire français et s'y emparèrent de Mouzon. D'autres troupes, sous la conduite de chefs flamands, l'envahirent aussi par divers points, enlevèrent Saint-Amand et Mortagne, détruisirent Ardres, tandis que le gouverneur de la Flandre, le seigneur de Fiennes, avec huit mille hommes de pied, mille chevaux et six pièces d'artillerie, vint mettre le siège devant Tournai. La conquête de la Navarre n'avait pas eu une meilleure
issue que l'invasion du Luxembourg. Lesparre, avec une témérité fort
inopportune, avait passé libre et était entré dans la Rioja[19] aux cris de vive le roi et la fleur de lis de France ! vive la communidad
de Castille[20] ! Les caballeros espagnols, dont il envahissait le
pays et combattait la cause victorieuse, marchèrent contre lui et le
forcèrent de rentrer dans la Navarre, ou ils le poursuivirent. Tourné par
l'ennemi, Lesparre fut obligé de combattre en plaine pour se frayer un
passage à travers l'armée espagnole, bien plus forte que la sienne. Blessé et
fait prisonnier le 30 juin 1521 à la bataille d'Esquiros, il perdit la
Navarre aussi rapidement qu'il l'avait conquise, et cette fois elle fut
réunie à l'Espagne pour toujours. Des deux côtés on réclamait l'assistance d'Henri VIII. Le monarque anglais avait promis de se déclarer contre celui des deux souverains rivaux qui serait l'infracteur de la paix. Ils se défendaient l'un et l'autre de l'avoir été, et chacun prétendait que l'agression venait de son adversaire. François Ter alléguait l'inexécution du traité de Noyon de la part de Charles-Quint, qui, depuis quatre ans, ne donnait aucune satisfaction aux d'Albret pour le royaume de Navarre. Il ajoutait que les généraux de l'empereur avaient paru en armes sur son territoire, y avaient pris Mouzon, Saint-Amand, Mortagne, Ardres, et y assiégeaient Tournai. Charles-Quint soutenait que les premières hostilités venaient des Français. Il attribuait la rupture de la paix à l'expédition de Lesparre au-delà des Pyrénées et à l'entrée de Robert de la Marck dans le Luxembourg. Quant à lui, attaqué dans ses états, il avait été contraint pour les défendre de pénétrer sur les états de son ennemi. Sommé de venir en aide aux deux rois, Henri VIII affecta de se montrer incertain. Il refusa à François fer les secours demandés, parce que, disait-il, s'étant obligé par serment à prêter assistance au prince qui n'aurait point rompu les traités, il ne pouvait déterminer s'il devait l'accorder au roi très chrétien ou à l'empereur, jusqu'à ce qu'il sût parfaitement lequel des deux les avait enfreints, afin de sauver sa conscience devant Dieu et son honneur devant les hommes. Il les pressa donc l'un et l'autre d'envoyer leurs plénipotentiaires à Calais, où ils trouveraient son ministre, le cardinal d'York — Wolsey —, prêt à les entendre. Charles-Quint s'y refusa d'abord. Fort irrité de la perte de la Navarre, dont il ne connaissait pas encore le recouvrement, il rejetait toute apparence de négociation et ne voulait que combattre. Le roi très chrétien, disait-il, m'a pris un royaume, mais j'aurai ma revanche[21]. Instruit plus tard des dispositions secrètes de Henri VIII, il fit partir pour Calais une ambassade, à la tête de laquelle était son chancelier, Mercurin Gatinara[22]. François Ier s'était également soumis à cette sorte de juridiction du roi d'Angleterre, devant laquelle comparurent ses commissaires conduits par le chancelier Du Prat. Sur ces entrefaites Charles-Quint était revenu dans les
Pays-Bas, et profitait de sa présence pour hâter les préparatifs de guerre. A
peine arrivé il avait convoqué les états généraux. Dans la séance solennelle
qui eut lieu le 17 juillet, à Gand, Marguerite accusa le roi de France de
perfidie ; lui reprocha l'invasion de la Navarre, celle du Luxembourg, et
montra le pays exposé aux plus grands périls. L'empereur
y est venu aussitôt, ajouta-t-elle, pour
l'amour et la singulière affection qu'il vous porte comme natif de ces
contrées, engendré et nourri en icelles. Il n'a point voulu vous laisser en
danger ; il est résolu de vous préserver de toute foule et oppression, et, en
mettant la guerre hors de sesdits pays, de vous entretenir en tranquillité.
Sa Majesté vous a volontiers fait remontrer ces choses, comme à ses bons et
loyaux sujets, à cause de l'entière confiance qu'elle a en vous, et afin que
vous connoissiez entièrement la disposition de ses affaires, et que vous
soyez bien convaincus que, dans le hasard où vous êtes, votre salut ou votre
ruine dépendent de votre défense. Si vous aidez efficacement l'empereur, vous
jouirez après la paix d'une perpétuelle sûreté, d'une grande abondance de
biens ; vous serez mis à toujours hors de la sujétion de la France. Il n'a
aucun doute que sans attendre d'y être requis, vous l'assisterez libéralement
de vos personnes et de votre avoir, comme avez toujours fait au temps passé.
Les demandes du gouvernement ne rencontrèrent pas d'opposition, et de
nouvelles aides furent accordées avec un empressement qui ne se montrera que
rarement dans l'avenir. Les déclarations faites aux états-généraux furent suivies de l'ordre donné au conseil de Flandre de se soustraire au ressort du parlement de Paris. Pour aucunes causes et considérations justes et raisonnables à ce nous mouvant, nous vous ordonnons et mandons bien expressément que dorénavant vous ne laissiez, souffriez ni permettiez avoir cours, exécuter ni avoir lieu le ressort de France et de la cour du parlement de Paris en notre comté et pays de Flandres, et que vous ne permettiez à aucuns sergens royaux d'y hanter et converser. Si l'on contrevient à cette défense, procédez et faites procéder à l'encontre des contrevenans comme pourriez faire contre rebelles et désobéissans sujets, sans y faire faute[23]. Il fut enjoint à toutes les lois du pays de Flandre de ne plus aller en appel qu'au conseil provincial et au grand conseil de Malines. La conférence de Calais s'ouvrit le 4 août sous la présidence du cardinal Wolsey. C'est un des plus tristes monuments de la duplicité et de la vénalité qui régnaient dans la diplomatie de l'époque. Au moment même où Henri VIII, dans la personne de son ambassadeur, se présentait en arbitre, il agissait déjà en ennemi. Sept jours avant l'ouverture de la conférence, sir Richard Pace écrivit à l'empereur, de la part d'Henri VIII, que le roi, selon son avis, était résolu à. équiper six mille archers, pour qu'ils fussent prêts à entrer en campagne. Il ajoutait : Lorsque tout aura été conclu avec l'empereur, la résolution étant prise d'envahir la France, le roi pense qu'il devra être pourvu par eux deux aux moyens de détruire la flotte du roi très chrétien[24]. Tout se passa ainsi qu'on l'avait arrêté d'avance. Les commissaires français et les commissaires impériaux furent en complet désaccord dès le début des conférences. Ceux-ci présentaient comme des actes d'hostilité de la part du roi de France l'agression de Robert de la Marck, qu'il avait provoquée, et l'entreprise du seigneur de Lesparre, qu'il avait appuyée ; ils réclamaient, de plus, au nom de leur maître, la restitution du duché de Bourgogne et l'abolition de l'hommage féodal pour la Flandre. Ceux-là demandaient l'exécution du traité de Noyon, qui n'avait été observé dans aucune de ses clauses. Ils niaient que le roi très chrétien eût encouragé l'expédition de Robert de la Marck, et ils soutenaient que la Navarre avait été justement revendiquée les armes à la main par Henri d'Albret, que le roi catholique s'était engagé à satisfaire dans les huit premiers mois de son séjour en Espagne, et qu'il avait laissé plus de quatre ans sans lui accorder aucune espèce de satisfaction[25]. Ne pouvant concilier des prétentions si contraires, Wolsey proposa une suspension d'armes momentanée. Les plénipotentiaires de Charles-Quint la refusèrent, afin de ménager au cardinal l'occasion de s'aboucher directement avec leur maître. Wolsey déclara en effet aux commissaires de François Ier qu'il avait besoin de voir l'empereur pour lui faire accepter ce que rejetaient ses ministres. Charles-Quint, très désireux de cette entrevue, pressait le cardinal d'accourir vers lui, parce qu'il avait hâte de se mettre à la tête de son armée. Nous ferons plus en un jour, lui écrivait-il[26], vous et moi, que ne feroient mes ambassadeurs en un mois. Il ne voulait pas laisser passer la saison d'agir, tandis qu'il avait la supériorité des forces et l'avantage des armes[27]. Dans son impatience belliqueuse, il se montrait surpris des retards du cardinal, et il ajoutait : Je croyois fermement comme vous l'aviez promis, que, sous couleur de pourchasser la trêve vers moi, vous viendriez incontinent pour conclure tous nos traités[28]. Cédant aux instances de l'empereur, Wolsey partit le 12 août de Calais, et se rendit auprès de lui à Bruges. Charles et Marguerite le reçurent avec les honneurs qu'ils auraient rendus à Henri VIII lui-même. Tous les personnages de sa suite furent comblés d'attentions, et il leur fut distribué des sommes considérables. Wolsey, Marguerite et Jean de Berghes signèrent, le 25 août, un traité d'alliance entre les deux monarques au milieu des fêtes. Charles et Henri s'unissaient offensivement contre la France, et se promettaient mutuellement de l'assaillir par terre et par mer avant le 15 mai 1523. Le pape devait être invité à entrer dans cette alliance, et les Suisses y seraient admis ainsi que les Vénitiens, si ceux-ci consentaient à renoncer à leurs traités avec la France. Il était stipulé que Charles-Quint épouserait Marie d'Angleterre, fille unique et héritière de Henri VIII, quand là jeune princesse aurait accompli sa douzième année[29]. De retour à Calais, Wolsey reprit les négociations menteuses qui semblaient l'avoir conduit à Bruges. Il annonça aux ambassadeurs de François Ier qu'il n'avait rien obtenu de l'empereur. Déclarant ensuite que le désaccord entre les deux monarques était trop grand pour rendre la paix possible, il soutint qu'il fallait se réduire à une simple trêve. Après de nouveaux et longs pourparlers, dans lesquels chacune des parties garda sa position sans céder d'un pas, Wolsey prononça que la question de savoir lequel des deux princes avait le premier rompu les traités était si douteuse, que jamais le roi d'Angleterre ne pourrait décider à qui il devait accorder son assistance, et il insista de nouveau sur la trêve militaire déjà proposée par lui. On négocia encore quelques mois sans s'entendre davantage. Enfin une dernière proposition de trêve pour six semaines que Wolsey soumit, le 21 décembre, aux deux parties, ayant été rejetée, les conférences furent définitivement rompues le lendemain. Dans l'intervalle les hostilités avaient continué Le comte de Nassau s'était établi à Douzy[30], prêt à rentrer en campagne. Ses forces réunies présentaient un effectif de onze mille fantassins allemands, neuf mille des Pays-Bas et quatre mille chevaux. Il avait vu accourir sous ses drapeaux son frère Guillaume, et plusieurs gentilshommes étrangers, désireux de se distinguer dans cette lutte entre les deux plus puissants princes de la chrétienté. On n'avait rien négligé pour pourvoir à la défense du Luxembourg, et il avait été recommandé aux villes de bien se garder et d'établir de bons guets à l'intérieur et à l'extérieur. Pendant que Henri de Nassau, menaçant la Champagne, attirait du côté des Ardennes les forces principales de la France, le comte de Gavre, gouverneur de la Flandre, et Philippe de Croy, marquis d'Arschot, gouverneur du Hainaut, rassemblaient sans bruit les milices de ces contrées. Des hommes d'armes d'ordonnance et une nombreuse artillerie étaient dirigés vers Mons et Valenciennes, où se réunissait l'armée destinée à protéger la principale opération de la campagne. François Ier, de son côté, n'était pas resté inactif. Il avait ordonné de nombreuses levées dans son royaume, pris à sa solde douze mille Suisses et plusieurs corps de lansquenets. Il visita lui-même le duché de Bourgogne, les frontières de la Champagne et de la Picardie. Le gouvernement de la première de ces deux provinces fut donné à son beau-frère, le duc d'Alençon ; celui de la Picardie au duc de Vendôme. L'armée du maréchal de Châtillon, campée à Attigny, comptait dix-huit mille aventuriers, six mille piétons français commandés par le comte de Saint-Pol, appelés les six mille diables, et deux mille hommes d'armes. Alençon arriva bientôt avec de nouvelles forces, et Charles-Quint fut prévenu par le comte de Nassau que les Français se disposaient à franchir la frontière. Il lui ordonna sur le champ de se porter en avant, et les impériaux entrèrent presque au même moment dans la Champagne et dans le Tournaisis. Le 13 août, Nassau traversa brusquement la Meuse, et refoula les troupes envoyées trop tard pour lui disputer le passage. Il eût même surpris Mouzon sans la vaillance du seigneur de Sassigny, lieutenant du gouverneur qui, en arrêtant les impériaux, permit de fermer les portes et de lever les ponts. Le lendemain, le comte envoya sommer le gouverneur, et, sur le refus de celui-ci, dressa ses batteries contre la ville. Après trois jours, l'ennemi demanda à capituler. On permit aux hommes d'armes d'emporter leurs harnais ; les archers et les piétons se retirèrent le bâton blanc à la main. Nassau ordonna de démanteler cette place, dont la garnison avait constamment molesté les marchands du Luxembourg. Ce premier succès fut accueilli avec enthousiasme dans les Pays-Bas, et Marguerite le fit célébrer par des cérémonies religieuses et des réjouissances publiques. Maître d'une position qui lui ouvrait la frontière de la Champagne, Nassau s'arrêta quelque temps pour attendre des renforts. Ce fut seulement le 31 août, après avoir été rejoint par François de Sickingen, qu'il se porta sur Mézières[31]. Ce retard avait donné le temps à Bayard et à Anne de Montmorency de se jeter dans la place avec une foule de jeunes gentilshommes, et leur présence avait enflammé le courage des nouvelles levées, qui étaient venues renforcer la garnison. La Meuse longe les murailles de Mézières, puis formant un circuit d'environ une lieue, tourne court, et revient de l'autre côté de la ville, dont elle forme ainsi une presqu'île rattachée par un isthme aux Ardennes. C'était là le point le plus accessible, mais aussi celui qui avait été fortifié avec le plus de soin. Une muraille, garnie de divers ouvrages, s'étendait sur une longueur de deux cents toises. Dès son arrivée, Bayard avait déployé la plus grande activité pour augmenter les moyens de défense. Nassau s'établit devant l'isthme, en face de la porte de Bourgogne, avec les troupes des Pays-Bas. Sickingen passa la Meuse avec ses Allemands, et prit position du côté d'Attigny. A la sommation du comte les habitants répondirent par un énergique refus, et le siège commença. Pendant que quelques canons étaient dirigés contre les défenses extérieures, deux formidables batteries se dressaient lentement en face des assiégés. Lorsqu'elles ouvrirent leur feu, une partie de la garnison, entre autres les gens du baron de Montmoreau, entrèrent en tel effroi que, malgré leurs capitaines, s'enfuirent les uns par la porte, les autres en se jetant par-dessus les murailles[32]. Bayard parvint à ranimer les courages. Ses soldats s'aguerrirent peu à peu. Il en profita pour inquiéter fréquemment les travaux des assiégeants. De son côté, la cavalerie de Nassau ravagea toute la contrée entre Mézières et Attigny ; ses bandes coururent jusque dans le Réthelois[33], livrant les villages au pillage et à l'incendie. L'armée impériale se renforçait continuellement. Les bombes, les boulets enflammés causaient de grands ravages dans la ville. Affaiblis par la disette, désolés par la dysenterie, les assiégés avaient informé François ter qu'ils étaient réduits à la dernière extrémité et qu'ils ne tiendraient plus quatre jours[34]. Le roi de France, qui était arrivé à Reims avec des forces considérables, ordonna aussitôt un mouvement en avant. Le comte de Saint-Pol s'établit au pont Favergy, tandis que les hommes d'armes occupaient Rethel et Château-Porcien. Craignant d'être surpris dans ses lignes, ou aigri par ses dissentiments avec Nassau, Sickingen passa sur l'autre rive de la Meuse et dégagea ainsi la place du côté d'Attigny[35]. Ce mouvement coïncida avec la défection de plusieurs capitaines allemands, ce qui permit aux Français de faire entrer des vivres dans la ville. Nassau se décida alors à lever le siège commencé depuis un mois. Il fit descendre sans encombre sa grosse artillerie par la Meuse jusqu'à Namur. Avant son départ de Mézières, il pilla tout le pays à l'environ, bien l'espace de quatorze lieues de long et sept de large, ne laissant que bien peu d'hommes et de bêtes qui ne fussent pris et emmenés captifs[36]. Le comte se porta d'abord sur Aubenton[37]. Cette petite ville fut emportée sans résistance et détruite avec quinze ou seize villages des environs. Il menaça ensuite tour à tour Vervins et Guise, mais Charles-Quint lui envoya l'ordre de se diriger sur Tournai. Laissant alors Vervins à sa gauche, passant l'Oise et, côtoyant le Cambrésis, il rejoignit, sans avoir été inquiété, l'armée réunie entre Mons et Valenciennes. Il avait massacré les habitants d'Aubenton et commis les plus affreux excès sur son passage. De là sont venues depuis, dit du Bellay, les grandes cruautés qui ont été faites aux guerres trente ans après. Cependant le comte de Gavre, à la tête de mille chevaux et de huit mille hommes d'infanterie, avec six pièces d'artillerie, avait commencé l'investissement de Tournai. Avant même que Nassau eut passé la Meuse, Antoine de Ligne avait pris d'assaut la petite ville de Saint-Amand, et, le 15, il avait emporté le chapeau de Wez appartenant à l'évêque de Tournai. La prise de ces places avait éveillé l'attention des généraux français. Le maréchal de Chabannes quitta brusquement Calais le 16 août, et courut rejoindre le duc de Vendôme. Son intention était de réunir dix à douze mille fantassins et toute la cavalerie cantonnée dans la Picardie et le Boulonnais, pour secourir Tournai, qui estoit déjà en grande nécessité[38]. Mais Charles-Quint, informé de ce projet par Gattinara, leva promptement des forces en Flandre et en Hainaut, et les établit dans des positions, où deux des impériaux en valoient bien quatre des François[39]. Tous les passages furent solidement fortifiés, les ponts gardés ou coupés, les eaux de la Haine élevées et ses bords défendus par les milices du pays, tandis que de nombreux- chevaliers hennuyers éclairaient la frontière. En présence de ces dispositions, Chabannes renonça à son entreprise, et le comte de Gavre resserra Tournai sans éprouver le moindre obstacle. Ce n'était pourtant encore qu'un simple investissement, car l'armée de Nassau avait épuisé les approvisionnements de munitions, et les troupes dont on disposait n'étaient pas en état d'entreprendre les travaux d'un siège. C'étaient les milices de Gand, de Courtrai et d'autres villes de la Flandre, mêlées à celles du Hainaut, de l'Artois, de Bruxelles et de Malines. Cette dernière ville avait envoyé aux assiégeants vingt-cinq bombardiers tirés du serment des couleuvriniers pour le service des gros canons, et elle avait fourni des navires à la flottille qui croisait sur l'Escaut. Le marquis d'Arschot avait formé le siège de Mortagne, dont la position était des plus importantes ; elle lui fut livrée à prix d'argent par le seigneur de Proisy le 25 septembre. Les fortifications de Tournai, augmentées par les Anglais et couronnées par le château de Henri VIII, avaient été si bien entretenues et complétées par les Français qu'ils regardaient la ville comme imprenable. Le mur d'enceinte était garni de septante-sept tours, et armé de la plus belle artillerie du monde. Aux mille hommes qu'y commandait le seigneur des Loges, il fallait ajouter tous les Tournaisiens, car tous étaient soldats. A l'approche des impériaux, on avait enrôlé les gens du bailliage, dont la bravoure rendit célèbre le nom d'Agaces, dû à leurs chausses et à leurs pourpoints bigarrés de noir et de blanc. Les oisifs, les vagabonds et autres inhabiles au service du roi avaient été chassés de la ville sous peine de la hart, et on y avait fait entrer les habitants des environs avec leurs meubles, leurs grains et autres provisions de bouche. Le comte de Gavre avait enfin reçu de la poudre secrètement fournie par l'Angleterre ; Nassau avait opéré sa jonction avec le corps d'armée campé à Valenciennes ; tout était prêt pour une attaque plus sérieuse. Le 15 octobre, les Tournaisiens aperçurent les colonnes ennemies s'avançant par les Prangers, Longue Saule, Warnave, les Chartreux, et balayant les approches. L'imminence du danger ne les émut guère. Ils croyaient à. la prochaine arrivée de François Ier, et voulaient, disaient-ils, soutenir jusqu'à la dernière extrémité la querelle de la France. François Ier arrivait en effet à marches forcées. Le 15 octobre, c'est à dire, le jour même où les impériaux commençaient les opérations du siège, il écrivait au seigneur des Loges de faire bonne chère en attendant sa prochaine venue. Ce jour-là aussi, le duc de Vendôme à la tête des troupes réunies dans la Picardie, investit inopinément Bapaume, dont la garnison étendait ses courses jusqu'aux portes de Péronne, de Corbie et de Dourlens. La place n'était pas tenable : elle ne résista qu'un jour, et sa prise entraîna celle de plusieurs châteaux des environs. Après avoir livré ces faciles conquêtes aux flammes, Vendôme rejoignit le roi à Cateau-Cambrésis. Le 18 octobre, un gros détachement surprit Landrecies[40], petite ville du Hainaut appartenant au marquis d'Arschot, et remplie en ce moment de marchands de bestiaux qu'y avait attirés la franche foire de Saint-Luc. La garnison, commandée par le comte de Thian, seigneur d'Aubry, se jeta dans le château. Après avoir repoussé trois assauts, qui coûtèrent aux assaillants six à sept cents hommes, manquant de munitions, elle se retira pendant la nuit en traversant la forêt de Mormal. Les Français entrèrent le lendemain dans la place, et la trouvant vide d'hommes, la rasèrent et brulèrent. Poursuivant sa marche, l'armée royale vint camper, le 22, au-dessus de Haspres, à mi-chemin de Cambrai et de Valenciennes, et se prépara incontinent à passer l'Escaut. Informé de ces mouvements, Nassau accourut, le lendemain, avec douze mille piétons et quatre mille chevaux pour reconnaître l'ennemi, mais il était trop tard, et celui-ci avait passé le fleuve. Un pont avait été établi à Neuville, au-dessous de Bouchain, et les impériaux se trouvèrent en présence de vingt-six mille fantassins, de quinze à seize cents hommes d'armes et d'un corps de cavalerie légère, soutenu par une nombreuse artillerie, dans un pays de plaine, et à trois lieues du reste de l'armée. C'en était fait, si Français Ier eut cédé aux instances de ses généraux et livré bataille sur le champ. Il n'en fit rien, et laissa les impériaux effectuer leur retraite en profitant du brouillard qui régnait en ce moment. Les Français appelèrent cette journée la journée des talons et les impériaux, avec bien plus de raison, la belle retraite. En ce jour-là, dit avec douleur Martin du Bellay, Dieu nous avoit baillé nos ennemis entre les mains, que nous ne voulûmes accepter, chose qui depuis nous cousta cher ; car qui refuse ce que Dieu présente de bonne fortune, par après ne revient quand on le demande. Le jour suivant, 24 octobre, le duc de Bourbon se présenta devant Bouchain, qui se rendit sans coup férir[41]. Après avoir passé l'Escaut à Neuville François Ier avait compté franchir la Scarpe à Marchiennes, mais les deux tentatives qu'il fit dans cette vue échouèrent, et bientôt après l'armée royale fut surprise par les pluies. Cette rivière déborda, l'Escaut grossit, et François Ier se trouva pour ainsi dire bloqué lui-même. Les vivres ne tardèrent pas à manquer, et huit jours n'étaient pas écoulés qu'il fallut se résoudre à la retraite, et encore ne fut-elle pas sans danger. Le 31 octobre, au soir, au moment où l'avant-garde et le corps de bataille venaient de franchir, près de l'Écluse, la petite rivière de Ry, qui a sa source dans les étangs d'Oisy, les ponts se rompirent, et l'arrière-garde se trouva complètement isolée. On ne peut dire ce qui serait arrivé, si les impériaux avaient paru alors. Quand ils se montrèrent le lendemain, l'ennemi avait eu le temps de se reconnaître, et déployant un large front de gendarmerie pour dissimuler sa situation, il parvint à effectuer le passage sans grande perte. Les Français se dirigèrent sur Arras. Arrivés à Audenfer, à trois lieues de cette ville, ils apprirent que Hesdin était mal gardé et en fête à cause du mariage de la fille du receveur général de l'Artois. Le connétable de Bourbon s'y porta avec rapidité, malgré la difficulté des chemins effondrés par la pluie, s'empara de la place par un coup de main, et y fit un immense butin. Il y laissa une forte garnison, et rejoignit le roi, qui se retirait par Péronne sur Amiens. Le 19 novembre, François fer informa les Tournaisiens qu'il les autorisait à capituler, s'ils n'étaient pas secourus dans les quinze jours. Or, au moment même où le roi de France renonçait à tout espoir de sauver Tournai, la position des impériaux qui l'assiégeaient était des plus critiques. L'armée était désolée par la dysenterie, démoralisée par un temps affreux et par de nombreuses désertions. La solde allait manquer aux soldats. Beaucoup de gens étaient d'avis qu'on ne pourrait continuer le siège. Mais Charles-Quint repoussa cet avis, bien qu'il conservât peu de confiance dans le succès. La retraite des Français releva les espérances, tandis qu'elle achevait d'abattre les esprits à l'intérieur de la cité, où le bas peuple seul persistait dans ses desseins de résistance. Quoique autorisés à capituler par le roi, les magistrats de Tournai n'osèrent pas profiter sur le champ de cette permission. Ils supplièrent le roi de leur envoyer de nouveaux secours. Les assiégeants, de leur côté, déployèrent des forces plus considérables devant la place, et parurent tout disposer pour une attaque plus vigoureuse. Une plus longue résistance devenait impossible. Toutefois les premiers députés envoyés de la ville au comte de Nassau encoururent la fureur du peuple, et il fallut que les gens d'armes de la garnison les escortassent jusqu'à la porte Coquerelle. Le comte accueillit avec bienveillance la députation, et l'on convint d'un armistice de vingt-quatre heures pour traiter de la capitulation, qui fut signée le 1er décembre. Les Tournaisiens s'engagèrent à reconnaître Charles-Quint pour souverain, à condition qu'il les prît en sa grâce, et maintint leurs privilèges, leurs franchises et leurs libertés. Le château devait être rendu, s'il n'était secouru dans les quinze jours. Les consaux approuvèrent le traité le lendemain, et, le 3, les magistrats, le chapitre et les notables vinrent présenter les clefs de la ville au comte de Nassau et prêtèrent serment entre ses mains. Le 4, ses troupes prirent possession de la place ; Philippe de Lannoy, seigneur de Saintes et baron de Rollencourt, en fut nommé gouverneur. Le château fut évacué le 16 décembre. Avant leur départ, les officiers français reçurent des présents du magistrat ; des Loges et son lieutenant de la Motte eurent chacun cinq cents écus au soleil et de riches pièces de tapisserie. Le même jour, Nassau fit son entrée solennelle à Tournai ; le lendemain, après une grand'messe suivie de procession, il reçut à la bretèque le serment de fidélité des habitants, et jura, au nom de l'empereur, le maintien des franchises de la cité. La conquête de Tournai et du Tournaisis fut accueillie avec la joie la plus vive dans les Pays-Bas ; partout elle fut célébrée par des actions de grâces et des réjouissances publiques. Des honneurs et des présents furent décernés par les villes aux chefs de l'armée, et les milices furent, à leur retour, l'objet d'ovations populaires. Charles-Quint témoigna personnellement sa satisfaction à ceux qui avaient plus particulièrement aidé au succès de l'entreprise, notamment au souverain bailli du Hainaut, Jacques de Gavre. Dans l'assemblée des états généraux tenue à Gand au mois de décembre, les députés du Hainaut demandèrent l'annexion du Tournaisis à leur comté ; ceux de la Flandre, de l'Artois et de la châtellenie de Lille réclamèrent la démolition des fortifications de Tournai, afin de prévenir le retour des dommages que cette ville leur avait causés, si jamais elle retournait à la France. Indigné de cette proposition, le comte de Nassau s'écria en présence de Charles-Quint : Démanteler Tournai serait violer la foi que l'empereur a donnée d'en respecter les privilèges ; ce serait tyrannie, et, plutôt que de le souffrir, je quitterois son service. Si l'on a doute de ceux de Tournai, ajouta-t-il, qu'on me les baille en garde, et j'en répondrai. Charles-Quint déclara que la capitulation serait respectée. Par lettres patentes du mois de février 1522, il fut
statué que du su, bon gré et consentement des gens
d'église, bourgeois, manans, et de toute la communauté de la ville et cité de
Tournai, et à leur très instante prière et requête, Tournai, Mortagne,
Saint-Amand avec tout le Tournaisis, tant d'un côté de l'Escaut que de
l'autre, seroient unis et annexés au gros du pays et comté de Flandre, qu'ils
en formeroient un membre à part et seroient appelés aux assemblées des états
de ce comté. Régis par un gouverneur spécial et par un grand bailli,
Tournai et les soixante-quinze villages de son bailliage eurent, du reste,
leur corps d'état spécial, formé de trois membres, le clergé, la noblesse, et
quatre hauts justiciers[42]. S'appuyant sur une demande des chefs de la bourgeoisie, Charles-Quint abrogea les règlements de 1340 et 1371 ; il leur en donna un nouveau le 14 février 1522. Ce règlement enlevait à la classe populaire toute influence politique ; il ne laissait aux doyens et aux sous-doyens des métiers que la connaissance des affaires de leur profession et des infractions à leur statut[43]. C'était un premier pas que faisait le gouvernement dans la voie d'hostilité ou nous le verrons s'engager bientôt contre les institutions démocratiques des communes. |
[1] Petite monnaie espagnole équivalente à peu près à un centime. Ce n'est plus aujourd'hui qu'une monnaie de compte.
[2] Sandoval, Historia de Carlos-Quinto, et Don Antonio Ferrer del Rio, Historia del levamiento de los comunidades de Castilla, Madrid, 1850. Note de M. Mignet.
[3] Les vertus d'Adrien, dit M. Gachard, lui avaient attiré les respects des Espagnols, mais ils regardaient comme un affront qu'un étranger fût placé à la tête de l'administration de leur pays. Biographie nationale, tome IV, article Charles-Quint.
[4] Mignet, Le Camp du Drap d'Or et la Conférence de Calais, d'après des documents nouveaux, 1858.
[5] Communidad, commune, au pluriel communidades. C'était le nom que les chefs du mouvement avaient donné à la confédération des villes, d'où celui de communeros qui désignait leurs partisans.
[6] Martin Luther, fils d'un ouvrier mineur, naquit à Eisleben en Saxe le 10 novembre 1483, suivit les cours de l'université d'Erfurt en 1501, et devint maitre ès arts en 1505. Entré sans vocation, par l'effet d'un moment d'épouvante éprouvé à la vue de la mort tragique d'un de ses compagnons, au couvent des augustins d'Erfurt, il reçut la prêtrise en 1527, et fut nommé l'année suivante professeur à l'université de Wittemberg. On a attribué ses premières erreurs à une rivalité entre son ordre et celui des dominicains pour la prédication des indulgences accordées par Léon X à ceux qui contribueraient par leurs aumônes à l'achèvement de la basilique de Saint-Pierre à Rome. Bien avant que la querelle des indulgences s'engageât, le principe d'où sortit tout le système de Luther était arrêté dans son esprit. Ce principe c'était celui de la justification par la foi sans les œuvres, et voici comment il le formulait : L'homme est placé dans un monde où le mal prédomine ; ce monde est dans les ténèbres, ou plutôt il n'est que ténèbres. L'homme lui-même, par suite du péché originel, est absolument mauvais ; les efforts qu'il fait pour se sanctifier et s'affranchir du péché sont inutiles. Dieu donne à l'homme, qui ne peut arriver à aucune justice propre, réelle et intérieure, une justice toute faite, qui lui est étrangère, qu'il n'a besoin que de s'attribuer, et qui, par cette imputation, devient sienne. Ce que le Christ a fait et souffert sur la terre est le vêtement de cette justice, dans lequel l'homme n'a qu'à s'envelopper, dont il n'a qu'à couvrir ses fautes, pour être par là même déclaré juste devant Dieu. On voit aisément à quelles conséquences morales conduisait ce principe. Dans ce système, la pénitence, la satisfaction, et, par conséquent, les indulgences étaient complètement inutiles. Kirchen-Lexicon oder Encyclopädie der katholischen Theologie, de Wetzer et Welte, tome VI, pages 651 et suivantes.
[7] Varillas.
[8] Lettre des ambassadeurs de François Ier à Calais du 8 septembre 1521. Le Glay, Négociations, II, 607. — On ne saurait contester, dit M. Gachard, que Guillaume de Croy n'ait été un ministre tout dévoué à la gloire et à la grandeur de son maître, en même temps qu'un des hommes d'état les plus habiles de son époque. Il est fâcheux pour sa mémoire qu'on puisse lui reprocher une avidité sans scrupule, car il était insatiable d'honneurs et de richesses. Biographie nationale, III, 538.
[9] Mémoires de Fleuranges, 69, 70.
[10] Chapeauville, III, 277.
[11] Dans une assemblée des états généraux tenue à Mons, au mois de février 1521, voici comment elle s'exprimait : Le roi très chrétien n'a jamais voulu condescendre à aucun moyen, quelque juste et raisonnable qu'il soit ; il ne cesse de solliciter journellement les princes, comme le roi de Danemark, le roi d'Écosse, le duc de Savoie, le duc de Lorraine, le duc de Ferrare, la seigneurie de Venise, la ligue des Suisses, messire Charles de Gueldre et plusieurs autres pour les induire à faire la guerre à l'empereur et à ses pays tant par deçà que par delà. Altmeyer, Marguerite d'Autriche. L'auteur cite les archives de Mons.
[12] Rapport des ambassadeurs de Charles-Quint à Calais, du 8 septembre 1521. Actenstücke und Briefe, 282.
[13] Sickingen, né le 1er mars 1481, au Château du même nom, dans le cercle du moyen-Rhin (grand-duché de Bade), était fils d'un gentilhomme obscur, décapité par ordre de Maximilien, en punition des troubles qu'il causait dans l'empire. Il résolut de venger la mort de son père, leva une petite armée, et devint un ennemi redoutable de l'empereur. Dans ses courses aventurières, il faisait la guerre aux uns, négociait avec les autres. Le duc de Lorraine, les habitants de Metz, le landgrave de Hesse eurent surtout à souffrir de ses ravages et furent même forcés de lui payer tribut. Il s'était intitulé le grand redresseur des torts, et c'est au nom de la justice qu'il commettait ses plus grands excès. Il se brouilla avec François Ier, dont il devint l'ennemi acharné ; sa haine ne contribua pas peu à faire échouer les projets de ce roi sur l'Allemagne. Sickingen fut compris dans le traité que Robert de la Marck et l'évêque de Liège son frère conclurent avec Charles-Quint. Dès le commencement il se montra favorable à la réforme, et rendit de grands services à la cause des réformateurs dans les .environs du Rhin. Une lutte qu'il entreprit contre les électeurs de Trèves, du Palatinat et le landgrave de Hesse le fit mettre au ban de l'empire. Blessé au siège de son château de Landstuhl, entre Lautern et Zweibrücken (Deux-Ponts), il mourut le 7 mai 1523. Voir sur cet étrange personnage : Esquisses et études historiques sur la réforme et son époque par le Dr Jarcke, trad. de l'allemand par le comte de Villermont ; Bruxelles, 1854.
[14] Voici le récit de Fleuranges lui-même, ch. 71 de ses Mémoires. Nous le transcrivons pour donner une idée de sa manière : L'Adventureux (c'est ainsi qu'il se désigne habituellement) revint de devers le roy de France et fut adverti de la grosse garnison qui estoit à Yvoy, qui est une ville à trois lieues de Sedan et à une lieue de Messencourt ; et assembla la gendarmerie et cinq cens hommes de pied seulement. Et attendit un jour de teste, pour ce que les gens boivent plus en ce pays ces jours-là que les aultres jours. Et sur le midi alla mettre son embuscade en un petit bois assez près de la ville, qui est ville jolie et forte et toute ronde ; et passe une rivière à un des costés qui vient de Jamets, laquelle s'appelle Chiers, et va tomber dedans la Meuse ; et n'y a qu'une lieue de là jusques à Mouson. Quand ledit Adventureux eust mis son embusche, il envoya escarmoucher devant ladicte ville ; et estoit deux ou trois heures après midy ; et estoit ladicte escarmouche de quelque petit nombre de gens de pied et de cheval. Et incontinent que ceulx de la ville qui avoient bien beu visrent l'escarmouche, saillirent dehors un quart de lieue de la ville, toujours escarmouchant, tellement qu'ils vindrent auprès du petit bois où estoit l'embusche. Et incontinent que l'Adventureux vist qu'il estoit temps, se vint jeter entre la ville et eulx, et les enferma, dont en reschappa bien peu ; et y eust bien tué jusques à cinq à six cens hommes, dont la pluspart estoient Namurois. Et estoit ledict Adventureux monté sur un cheval rouen bedard qui eust un coup de picque au travers du corps, dont il mourut.
[15] Les penderies que fit faire alors monsieur de Nassau ont cousté la vie à dix mille hommes, sans les pendus qu'on a rependus depuis. Fleuranges, ch. 77.
[16] C'est alors que la seigneurie de Florenville fut incorporée au duché de Luxembourg et annexée au domaine de Chiny et d'Étale.
[17] Il n'y a si grand ni si sage en son royaume qui lui fasse changer son opinion, s'il ne lui semble que la raison doive la lui faire changer. J'ai connu beaucoup de princes en divers âges, mais je n'en ai connu aucun qui mit plus de peine d'entendre ses affaires et qui disposât du sien plus absolument que lui. Il est son trésorier des finances et son trésorier des guerres ; les offices, évêchés, commanderies, il les donne ainsi que Dieu lui inspire, sans s'arrêter à la prière de qui ce soit. Lettre de Gérard de Pleine à Marguerite, du 14 janvier 1523. Archives du royaume ; registre intitulé Collection de documents historiques. Citation de M. Henne.
[18] Actenstücke und Briefe, 207.
[19] Contrée agréable et fertile comprenant la plus grande partie de la province de Logrono et le N. E. de celle de Soria ; elle est ainsi resserrée entre la droite de l'Ebre et la Sierra de Moncayo.
[20] Viva el rey, la flor de lis de Francia, y la communidad de Castilla ! Sandoval, l. X.
[21] Dépêche d'Olivier de la Vernade, seigneur de la Bastie, envoyé au roi d'Angleterre par François Ier, à ce dernier roi, du 28 juin 1521. Mss. Béthune. Citation de M. Mignet.
[22] Gatinara, né en 1465, au château d'Arborio, non loin de Verceil, avait occupé une chaire à l'université de Dôle, et ses talents lui avaient valu le titre de conseiller du duc de Savoie. Marguerite, devenue veuve, lui remit la défense de ses droits contestés par son beau-frère. Son zèle et son habileté lui valurent la confiance de cette princesse, à laquelle il resta constamment attaché. C'était, dit l'ambassadeur vénitien Contarini, un homme de complexion sanguine, dispos, prudent, habile à négocier, un peu vétilleux, très entreprenant, et si grand travailleur qu'on pourrait à peine y croire. Il faisait un seul repas par jour, le dîner ; jamais il ne soupait. Il écrivait de sa main presque toute chose. Les affaires privées, aussi bien que celles de l'état, étaient toutes traitées par lui. Quand il arrivait des lettres du dehors à l'empereur, celui-ci les envoyait incontinent au chancelier, qui les lisait toutes, puis en faisait un sommaire, et y joignait un projet de réponse, qui presque toujours était adopté. Toutes les dépêches qu'il y avait à faire, soit en matière d'argent, soit pour les troupes de terre et de mer, étaient projetées, examinées et finalement ordonnées par lui.
[23] Archives de la ville de Gand. Voir M. Gachard, Notice historique descriptive des archives de Gand, dans les Mémoires de l'Académie, XXVII, 63.
[24] Lettre du 28 juillet, State-Papers, I, 23. Citation de M. Mignet.
[25] Sur la conférence de Calais : rapport adressé à l'archiduchesse Marguerite, mss. Béthune, vol. 8,478, de 147 feuilles ; dépêches des commissaires de François, qui sont dans les volumes 8,491, 8,492, 8,500, des mss. Béthune ; pièces insérées dans le tome II des Négociations diplomatiques, etc., publiées par M. Le Glay, pages 483 à 588 ; lettres déposées au Musée britan., Galba B, VI et VII, ou publiées dans le premier volume du State-Papers. Ibid.
[26] Lettre de Charles-Quint à Wolsey, de Bruges, le 7 août. Mus. brit. Galba B. VII. fol. 95. Ibid.
[27] Il lui disait : Je vous montreray mon armée par laquelle cognoistrez que je n'ay vouloir de dormir à l'ayde de Dieu et de mes bons amis. Ibid.
[28]
Lettre du 9 août. Mus. brit. Galba
B. VI, fol. 196. Ibid.
[29] Actenstücke und Briefe, 236.
[30] Sur le Cher, aux frontières du Luxembourg.
[31] Aujourd'hui chef-lieu du département de la Meuse, vis-à-vis de Charleville, à 233 km. N. E. de Paris.
[32] Martin du Bellay.
[33] Ancien petit pays de France en Champagne, arrosé par la rivière d'Aisne. La ville principale était Réthel, aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement du département des Ardennes, à 50 km. S. O. de Mézières.
[34] Si le siège de Mazières eust demeuré encore quatre jours, ils se fussent rendus, et ainsi l'avaient escrit au roi de France ceux qui estaient dedans : car ils n'avoient vivres et avaient esté trop tormentés de l'artillerie. Lettre de Gattinara à Charles-Quint du 1er octobre 1521. Actenstücke und Briefe, 344.
[35] Robert Macquereau accuse ouvertement Sickingen de trahison. Voici ses paroles : Le comte de Nassau n'osoit faire donner l'assaut par ses gens, craindant le comte Francisque, que lui meisme ne le fist tuer par ses gens en assaillant, car chacun disoit que en luy y avoit lascheté, et qu'il avait prins trente mille escus d'or au roy de France, afin qu'il levast son camp. La voix couroit telle, et sy en véoit-on bien l'apparence, car aucuns de ses gens alloient et venoient en la ville avec Brans flacons de vin. Quelque chose qu'il en fust, le comte Francisque leva son camp, et s'eslongna de la ville. L. V, c. 2.
[36] Actenstücken und Briefe, 388.
[37] Sur les pentes d'une colline dominant au N. la petite rivière du Ton, un peu au dessous de son confluent avec l'Aube.
[38] Lettre de Gattinara â Charles-Quint des 18 et 19 août 1521. Actenstücken und Briefe, 243.
[39] Lettre de Charles-Quint à Gattinara du 5 septembre. Actenstücken und Briefe, 280.
[40] Aujourd'hui chef-lieu de canton du département du Nord, sur la Sambre, à 17 kilomètres O. d'Avesnes.
[41] Martin du Bellay raconte que Charles-Quint était à Valenciennes quand les Français passèrent l'Escaut, et qu'il en eut un tel désespoir que la nuit il se retira en Flandre. Rien de plus inexact, remarque M. Gachard. Charles-Quint avait quitté Valenciennes dès le 20 octobre, pour venir à Audenarde, où il arriva le 22 ; la veille il avait couché à Ath. C'est ce qu'attestent les comptes du receveur de sa chambre, conservés aux archives de Lille.
[42] L'empereur Charles V unit, en 1521, la ville de Tournai aussi bien que le Tournaisis à la province de Flandre ; mais cette union n'a eu lieu qu'en ce qui regarde le ressort en métiers de la judicature, et relativement aux appels des sentences des juges de Tournai, dont le conseil de Flandre séant à Gand a la connaissance, et qui de là sont portés au grand conseil à Malines. A cela près, la ville de Tournai a conservé son rang d'état particulier totalement indépendant des états de la Flandre, avec les mêmes attributs et privilèges qui appartiennent à des états plus considérables, aussi le souverain est-il inauguré spécialement dans la ville de Tournai, et l'on fait à cette ville la demande des aides et subsides en particulier tout comme aux états d'une grande province. Nény, Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas, II, 183.
[43] M. Gachard, Documents inédits, I, 27.