L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE II. — DEPUIS L'AVÈNEMENT DE CHARLES-QUINT JUSQU'À LA FIN DE LA MINORITÉ DE CE PRINCE.

 

 

La nouvelle de la mort de Philippe le Beau avait fait une profonde sensation en Belgique. Le lieutenant général n'eut rien de plus empressé que de convoquer les états généraux. Ils se réunirent à Malines le 15 octobre 1506. Dans la séance solennelle, qui se tint le 18 en présence du jeune archiduc, le grand chancelier, Thomas de Plaine, les requit de pourvoir à la tutelle des enfants du feu roi et aux intérêts du pays. Puis on procéda à l'ouverture du testament de Philippe, qui partageait entre ses deux fils tous ses états et seigneuries, à charge par eux de payer à chacune de leurs sœurs la somme de deux cent mille écus d'or[1]. Après la lecture de cet acte, le scel de la chancellerie fut brisé, et l'assemblée entra en délibération. Le roi n'avait pas pourvu à la tutelle de ses enfants. Il fut résolu de les confier provisoirement à la garde de madame de Ravenstein. On arrêta ensuite que les officiers de justice et les receveurs du domaine resteraient en fonctions jusqu'à la Chandeleur prochaine. Ces résolutions furent prises sur la proposition des députés du Brabant. En ce qui concernait la tutelle et la régence, l'accord s'établit plus difficilement. Les députés du Brabant avaient proposé d'offrir l'une et l'autre à l'empereur Maximilien. Mais les députés de la Flandre, et ceux de l'Artois, de Lille, Douai, et Orchies, les premiers mus sans doute par d'anciennes rancunes, les autres subissant l'influence de la France, voulaient se retirer, en alléguant qu'ils étaient sans instructions sur la matière ; ceux du Hainaut et de Namur s'abstinrent jusqu'à la fin. Les discussions se terminèrent seulement le 10 novembre. Les sires de Chièvres, de Berghes et de la Roche, le chancelier du Brabant, des députés des quatre chefs-villes brabançonnes et de Malines, furent envoyés à Maximilien pour le prier de se charger du soin de ses petits enfants et du gouvernement du pays. Des ambassades furent aussi envoyées aux rois de France et d'Angleterre, au duc de Lorraine et aux principaux princes voisins, pour tâcher de se maintenir en paix et en amitié avec eux.

Dans ces premiers moments, du reste, toutes ces puissances montrèrent les meilleurs sentiments. Louis XII, le premier, écrivit au lieutenant général : Si aucune chose y a en quoy vous avez besoin de mon ayde, faites-le moy savoir : je m'y employerai de bon cœur. Et, joignant les faits aux paroles, il ordonna au duc de Gueldre et au sire de Sedan de déposer les armes, cognoissant clerement que les affaires de ses cousins ne requeroient point la guerre. Il accorda aux seigneurs qui avaient suivi Philippe en Espagne le libre passage par la France pour leur retour dans les Pays-Bas. Enfin, dans ses lettres de condoléance à Marguerite d'Autriche, le cardinal d'Amboise déclara que son maître était prêt à traiter les enfants du feu roi comme ses propres enfants. Henri VII, de son côté, écrivit au sire de Chièvres qu'il avait appris la mort du roi de Castille avec une douleur aussi grande que s'il eust esté son propre et naturel fils. Il engageait le lieutenant général et les états à se tenir en bonne union et pacification, à mettre la personne de leur jeune prince et de ses deux sœurs en bonne sûreté[2], et semblablement les villes qui estoient sur les frontières, afin que aucun inconvénient ne leur advînt et que surprises ne fussent. Quant à lui, il estoit bien délibéré de s'employer en toutes choses qui pourroient redonder à l'honneur, bien et seureté du fils de Philippe le Beau, comme s'il estoit yssu et procréé de son sang, et à la préservation et défense de lui et de ses pays. — Nous sommes assuré, ajoutait-il, que si la mort n'en avoit empesché feu notre bon fils, nos projets auroient déjà reçu leur exécution, et elle n'y sera point un obstacle, car nos intentions sont toujours les mesmes. Nous avons appris que les François, contrevenant à la promesse que nous a faite leur roy, sont puis naguères entrés dans le pays de Brabant, oïl ils ont pillé, bruslé, pris des prisonniers. A ceste cause, nous nous proposons de lui remonstrer la rompure de sa promesse, avec le regret et desplaisir que de ce en prenons. Nous escrivons aussi au roi des Romains et le exhortons de faire en toute haste sa venue et descente de pays d'en bas, et qu'il est bien requis et très nécessaire que ainsi fasse, vu la fortune advenue et les termes en quoy sont de présent les affaires de par delà et la guerre encommenchiée par les François[3]. Enfin, Ferdinand, leur aïeul maternel, montrait l'intérêt le plus vif pour ses petits enfants[4].

On s'efforçait en Belgique à correspondre à. ces bons sentiments, et à obtenir enfin une paix sérieuse. Dès qu'il avait vu Charles d'Egmont déposer les armes et ses auxiliaires rentrer en France, la sire de Chièvres s'était empressé d'abandonner le siège de Wageningen. Mais il était difficile de contenir les populations. Lorsque les habitants du Brabant et du pays de Namur virent se retirer, chargées de butin, ces bandes d'aventuriers qui avaient semé sur leur passage la ruine et l'incendie, ils se mirent sus pour les ruer jus, et il fallut user d'ordres rigoureux pour les retenir, dont il y eut grand murmure. Le lieutenant-général avait eu soin de renforcer les garnisons des villes voisines du passage de ces pillards. Lui-même et Maximilien comprenaient parfaitement la nécessité d'éviter tout ce qui pourrait servir de prétexte à de nouvelles hostilités. Ainsi le grand conseil ayant proposé de faire proclamer roi le jeune duc de Luxembourg, attendu l'incapacité de sa mère, l'empereur l'invita à suspendre toute résolution à ce sujet jusqu'à son arrivée dans les Pays-Bas, et l'on se borna à donner à Charles les titres de prince de Castille, archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant.

Maximilien fit le meilleur accueil aux députés des états généraux ; il accepta la tutelle et la régence qu'ils lui offrirent, comme lui compétant et appartenant, par droit et raison, en sa qualité de grand-père et plus proche du sang. L'empereur paraissait disposé tout d'abord à remplir cette double charge par lui-même, et à se rendre de sa personne aux Pays-Bas. Mais la multiplicité des affaires, et surtout la situation de l'Italie où le menaçaient à la fois les Français et les Aragonais, le déterminèrent à se faire représenter par sa fille Marguerite. En conséquence, par lettres patentes du 18 mars 1507, il commit cette princesse comme la plus proche après lui, en qualité de gouvernante générale, avec plein pouvoir et autorité d'administrer tous les estats, pays et seigneuries de ses petits enfants, promettant en bonne foi, d'avoir et de tenir à toujours pour ferme, stable et agréable tout ce qui seroit fait et reçu par elle en son nom[5]. Par d'autres lettres du même jour, il délégua le duc de Berg et de Juliers, le marquis de Bade, le prince d'Anhalt, et le conseiller de l'empire Sigismond Plong pour comparoitre avec sa fille devant les estats, à l'effet de prester, en son nom, les serments accoustumés, et de le représenter en tout ce qu'il auroit à faire, comme s'il estoit présent en personne.

Maximilien n'eût pu faire choix d'une personne plus habile, plus active et plus dévouée à ses intérêts et à ceux de ses petits enfants. Marguerite, dont il a été question plus d'une fois déjà en cette histoire, était née à Bruxelles le 10 janvier 1479. Elle n'avait pas encore deux ans lorsqu'elle fut fiancée à Charles, dauphin de France, fils du roi Louis XI. Le traité conclu à Arras le 23 décembre 1482 portait entre autres clauses qu'aussitôt la paix publiée ma dite damoiselle sera en toute diligence, sans mettre la chose en délay, amenée en ceste ville de Franchise, alias Arras, et mise et délaissée ès mains de monsieur de Beaujeu ou autre prince du sang commis de par le roy, et la fera le roy garder, nourrir et entretenir comme sa fille primogénie, épouse de mondit seigneur le dauphin. Marguerite emmenée en France, fut confiée à madame de Secret, sa dame d'honneur, qui l'éleva en toute bonté et vertu, au témoignage d'Olivier de la Marche. Elle fut, aussi longtemps qu'elle séjourna en France, bien et honorablement traitée. Quoique le contrat de mariage entre Charles VIII et Anne de Bretagne eût été passé le 6 décembre 1491 au château de Langis, ce fut seulement le 23 mai 1493 qu'on stipula à Senlis le renvoi de Marguerite à son père. La délivrance eut lieu à Vendhuille sur les limites du Cambrésis, le 12 juin de la même année[6]. Là se trouvaient, de la part du roi des Romains, Guillaume, évêque d'Eichstadt, Christophe, marquis de Baden, Englebert, comte de Nassau, Jean de Berghes, seigneur de Walhain, et Antoine Rolin, sire d'Aimeries ; de la part du roi de France, le comte d'Angoulême, messire do Rohan, l'évêque de Lectoure, le comte de Brienne, le grand bâtard de Bourgogne, Louis de Brezé, grand sénéchal de Normandie, et Christophe de Plailly, bailli de Sens. Quelques-uns des seigneurs français se montrèrent fort dolents de cette séparation, mais la dame ne s'en émut. Des bourgeois de Cambrai qui étaient allés au devant d'elle se mirent en la voyant à crier : Noël ! Marguerite, qu'importunait cette exclamation toute française, leur dit à haute voix : Ne criez pas Noël, mais bien : vive Bourgogne ! Elle fut hébergée à Cambrai au palais de l'évêque, et les autres seigneurs où ils purent, dit Monnet.

Marguerite résida à Namur jusqu'à l'époque de son mariage avec l'infant don Juan de Castille, c'est à dire, pendant quatre ans. Cette union, on le sait, fut de courte durée. L'infant mourut le 4 octobre 1497. Marguerite mit au monde, après la mort de son mari, un enfant qui ne vécut que peu d'instants. Cette double perte lui enlevait la perspective d'être un jour reine d'Espagne, et le titre d'héritière présomptive passa à sa belle-sœur, femme de Philippe le Beau ; en 1501, l'auguste veuve fut demandée en mariage par Philibert, dit aussi le Beau, duc de Savoie. Le contrat fut, signé à Bruxelles, le 26 septembre 1501. Parmi les signataires, on remarquait François de Busleiden, archevêque de Besançon, Henri de Berghes, évêque de Cambrai, l'ambassadeur d'Espagne et un grand nombre d'autres seigneurs. Une députation de deux cent cinquante chevaliers vint, de la part de Philibert, chercher Marguerite. Un cortège de seigneurs flamands la conduisit, aux dépens de l'archiduc son frère, jusqu'à Genève. Ce mariage semblait devoir assurer le bonheur de la princesse, mais, le 10 septembre 1504, Philibert mourut d'une pleurésie contractée à la chasse. Par le contrat de mariage, il avait assigné à Marguerite, en cas de survie, un douaire de douze mille écus d'or par an, de plus les vaisselles, tapisseries, bagues, joyaux et autres meubles à son usage.

Elle se retira alors en Allemagne auprès de son père. Bientôt après, elle perdit son frère unique, Philippe le Beau. Toutes ces pertes, qui se succédaient avec une douloureuse rapidité, finirent par jeter une teinte ineffaçable de mélancolie sur le caractère de cette femme supérieure[7]. Plus d'une fois elle exprima sa peine dans de petites pièces de poésie que sans doute elle ne montrait qu'à ses confidents les plus intimes, mais dont il nous reste heureusement quelques précieux débris[8]. Elle fit elle-même une épitaphe latine, fort touchante, pour ce frère bien-aimé.

Nous avons cru devoir rappeler tous ces détails, en nous répétant un peu, pour fixer mieux la physionomie de cette femme remarquable, au moment où commence son rôle dans notre histoire. Marguerite d'Autriche est sans contredit l'une des figures les plus originales, les plus intéressantes et les plus sympathiques de nos annales. Cette princesse, dit un historien français, douée d'un génie profond et dissimulé, élevée dans l'adversité, formée au manège politique à la cour de Ferdinand, était l'ennemi le plus dangereux et le plus opiniâtre que la fortune pût susciter à la France[9].

Marguerite arriva à Louvain le 27 mars 1507. Les états généraux, réunis en cette ville, proclamèrent, par leur résolution du 22 avril, Maximilien régent du pays et tuteur des enfants mineurs de Philippe le Beau. Ils exprimèrent ensuite à la gouvernante toute leur satisfaction du choix qui avait été fait de sa personne. La plupart des villes envoyèrent à Louvain des députations pour féliciter la princesse, qui partit de là pour Bruxelles. Elle y installa son conseil, composé des hommes les plus distingués des Pays-Bas : le sire de Chièvres, Jean de Berghes, Henri de Nassau, le comte de Buren, Frédéric d'Egmont, son fils, le sire d'Ysselstein, le vicomte de Gand, Hugues de Melun ; les sires de Ville, de Zevenbergen, de Beersel, du Frénoy ; Josse de Praet, Jean van den Vorst, chancelier de Brabant, et Jean Peeters, président du grand- conseil de Malines. Afin de laisser une plus grande liberté d'action à sa fille, Maximilien ne donna point de successeur au grand chancelier Thomas de Pleine, mort le 20 mars. La princesse présida d'abord elle-même son conseil ; mais la multiplicité des affaires et ses fréquents voyages lui firent sentir plus tard la nécessité d'être suppléée dans cette partie de ses fonctions, et amenèrent la nomination d'un chef du conseil privé.

Marguerite se rendit dans la plupart des provinces pour y recevoir et y prêter, au nom de son père, les serments voulus. Le 7 juillet, elle fit son entrée solennelle à Malines, où le magistrat mit, un magnifique hôtel à sa disposition, et lui offrit des présents somptueux[10]. Immédiatement après, la gouvernante convoqua en cette ville les états généraux et tous les grands personnages de la Belgique, pour y assister aux obsèques de son frère, et à la reconnaissance de son neveu comme successeur de Philippe le Beau, et traiter ensuite des affaires du pays. Le 18 juillet, des vigiles solennelles furent célébrées en l'église de Saint-Rombaut. L'archiduc s'y rendit à cheval portant manteau et chappeau noirs. Avec lui estoient tout à pied, vestus de drap noir et chapperons de deuil sur l'espaule, les chevaliers de la Toison d'or, les gens des finances, les gens du conseil, les députés des estats, des seigneurs, des évêques, des abbés, et grand nombre d'autres gens d'église. Suivoient douze hérauts d'armes et une foule de gentilshommes portant des estendards, des bannières, des guidons et les différentes parties de l'armure du roi défunt. Depuis la porte de l'hôtel de l'archiduc jusqu'au portail de l'église, il y avoit aux deux côtés de la rue, bailles réservées au passage du cortège et portant cinq à six cents torches ardentes, avec écussons aux armes royales.

L'église de Saint-Rombaut était tendue de drap et de velours noir parsemé d'écussons et de croix de taffetas blanc. Dans la grande nef s'élevait un gigantesque sarcophage recouvert de drap d'or coupé par une croix de satin cramoisi, et portant une couronne d'or. Aux coins étaient posés quatre anges revêtus de soie, dans les mains desquels, après l'entrée du cortège, des hérauts placèrent des heaumes dorés aux armes de l'empire, de Portugal, de Bourbon et de Bourgogne. Une infinité de cierges s'élevaient en rangées jusque vers la voûte, d'où pendaient une grosse boule dorée et trois couronnes également dorées. Cette boule et ces couronnes désignant les trois royaulmes, qu'avoit le feu roi, étaient surmontées de pyramides chargées de cierges. De la voûte descendait un dais de drap noir recouvert d'un double drap d'or. Entre le chœur et le tabernacle[11], estant au milieu de la nef et qui estoit couvert de drap noir et de drap d'or semé de blasons, s'élevoit l'autel chairgié de riches ymaiges et sanctuaires d'argent doré. Lorsque le cortège fut entré dans l'église, des hérauts placèrent au milieu de la nef un grand étendard, une bannière et un guidon de soie aux couleurs rouge, jaune et blanche, portant la croix de Saint-André ; les gentilshommes qui tenoient l'espée et les autres pièces de l'armure du défunt les y déposèrent également sur un instrument de bois verni de noir. Douze guidons aux armes des pays dudit seigneur furent placés autour du sarcophage.

Le lendemain eut lieu le service, où l'archiduc se rendit avec le même cortège. Y estoit seul assis devant un prie-Dieu tout couvert de noir, assez près du sarcophage, et en-dessous lui, estoient messieurs de l'ordre et du conseil, les nobles, plusieurs officiers, gentilshommes et les estats des bonnes villes en grand nombre. L'évesque d'Arras officia, assisté de bien seize prélats, tant évesques qu'abbés. A l'offrande furent conduits, l'un après l'autre, deux chevaux couverts des pieds à la tête de riches housses de soie, l'une aux couleurs rouge, blanche et jaune, avec la croix de Saint-André et les fusils d'or ; l'autre estoffé de velours noir et d'acier et estriers dorés. On porta ensuite à l'offrande le grand étendard, la bannière et le guidon, déposés la veille dans la nef, une bannière de soie aux armes du pays, deux heaumes d'acier, un écu aux armes du roi et de ses pays, une épée dans un fourreau dé drap d'or, et une cotte d'armes, garnie de drap de soie. Après la messe, le roi d'armes, Toison d'or, cria par trois fois : Le roi est mort, et quatre hérauts, qui se tenaient aux coins du tabernacle la couronne sur la tête, répétèrent ce cri en inclinant leurs guidons jusqu'à terre. Puis Toison d'or appela à haute voix : Monsieur Charles, archiduc d'Autriche, et l'archiduc ayant répondu : Présent, le roi d'armes s'écria : Monseigneur est en vie ; vive monseigneur ! A ce cri, les hérauts relevèrent leurs guidons, l'épée au fourreau d'or tut apportée au jeune prince, et il lui fut dit qu'en sa main on mettoit l'espée de justice à charge de faire bonne justice. Il fut aussitôt dépouillé de son chaperon de deuil et de l'épée qu'il tenait en main, et il créa un chevalier, montrant par là qu'il était prince du pays. On le reconduisit ensuite à cheval à son hôtel, assisté de douze hérauts d'armes et précédé de deux huissiers portant de grosses masses d'argent[12].

Tel fut, dit l'écrivain auquel nous devons ces détails[13], l'avènement du prince, qui allait, quelques années plus tard, prendre le nom de Charles-Quint, et porter la gloire de ce nom jusqu'aux extrémités du monde. La nation tout entière adressa pour lui bien des prières au ciel : elle sentait que son salut reposait maintenant sur un faible enfant, et elle ne voyait pas sans une vive inquiétude l'aurore de ce règne qui commençait par la guerre. Tous les liens de la nationalité se resserrèrent devant le danger.

C'est ici le lieu de donner quelques notions sur l'éducation et les premières années du jeune Charles. Des bras de sa nourrice[14] l'enfant passa aux mains de la douairière de Bourgogne, Marguerite d'York, et, de son gouverneur, Henri III de Witthem, seigneur de Beersel. Nous connaissons déjà ce premier gouverneur de Charles-Quint, par ses luttes contre la commune bruxelloise. Il avait été largement dédommagé de la perte de ses châteaux par la faveur de l'empereur et de Philippe le Beau. Créé chevalier de la Toison d'or en 1491, il avait été employé dans les négociations diplomatiques les plus importantes[15], et avait fait partie du conseil de régence lors du premier voyage de Philippe en Espagne. A la mort de Marguerite d'York (1503), la douairière de Ravenstein, qui avait partagé avec Marguerite les soins donnés au royal enfant, continua à veiller sur ses jeunes années, et fut secondée dans cette mission par Anne de Beaumont, gouvernante des princesses. Après le décès de Philippe le Beau, l'archiduc eut pour gouverneur et premier chambellan Charles de Croy, prince de Chimai, un de ses parrains. A l'arrivée de Marguerite d'Autriche, cette princesse s'empara presque entièrement de l'éducation de son neveu, et Charles de Croy ne tarda pas à se dégoûter d'une charge dont on ne lui laissait que le titre. Nous le verrons la résigner, en 1509, au profit du sire de Chièvres, son proche parent.

La direction des exercices corporels du jeune prince avait été confiée à Charles de Poupet, seigneur de la Chaulx, chevalier accompli, ami des lettres, également propre à la guerre, à la cour et aux négociations. Le premier précepteur de Charles, ou comme on l'appelait plus modestement, son premier maitre d'école, fut Jean de Anchiata, qui conserva cette place jusqu'en 1505. Il eut pour successeur Louis Vacca, qui resta pendant sept ou huit ans chargé de l'instruction de l'archiduc, seul d'abord, puis en collaboration avec un homme illustre, Adrien Boeyens ou Adrien d'Utrecht, depuis pape sous le nom d'Adrien VI[16].

Le jeune prince s'appliqua de bonne heure à l'étude des principales langues modernes, qu'il préférait aux langues mortes. Il apprit le français, l'allemand, l'espagnol, l'italien et le flamand. L'empereur avait expressément recommandé de lui faire étudier de bonne heure cette dernière langue[17]. Charles aimait avec passion les exercices qui donnent au corps de la vigueur et de la grâce, et il y montra une habilité précoce. Tout son plaisir, toute son ambition était de forcer une bête fauve, de se servir avec adresse de l'arc, de l'arbalète et de l'arquebuse, de manier avec dextérité la lance et l'épée. Dès l'âge de dix ans, il assistait à des parties de chasse. Maximilien se réjouissait du goût qu'y prenait son petit-fils, il voulait qu'il fût travaillé à cheval pour sa santé et fortesse. L'enfant répondait parfaitement aux vœux de son aïeul. On le surprit mainte fois armé d'un lourd estoc, s'escrimant contre des tapisseries, agaçant avec un bâton les lions et les ours entretenus aux palais de Bruxelles et de Gand[18]. Il organisait en escadrons ses pages et les jeunes seigneurs élevés avec lui, et les formait en armée chrétienne et en armée turque, se réservant toujours le commandement de la première. Un jour, dit-on, le général de l'armée turque se plaignit d'être constamment battu, et refusa de commander désormais les infidèles. Pour le consoler de ses défaites, Charles-Quint lui donna, ajoute-t-on, un joli chapeau à ganse d'or. Le jeune prince fut roi du tir des couleuvriniers de Malines en 1508, du grand serment' de l'arbalète à Bruxelles en 1512. A tous ces avantages physiques il joignit le talent de la musique, que Marguerite, amie de cet art, prit soin de développer au moyen de maîtres habiles.

Charles passa la plus grande partie de son enfance à Malines. La ville lui avait fait don d'un petit chariot traîné par des poneys, dans lequel il prenait plaisir à promener ses sœurs. Les fêtes ne manquaient pas. C'étaient tantôt des mascarades, tantôt des courses au cerf, qu'on chassait sur le marché en présence de l'archiduc et des princesses. La maison appelée le Cygne devint célèbre par les fréquentes visites de toute cette jeunesse royale. La peste, qui se déclara à Malines en 1508, obligea l'archiduc à résider quelque temps à Lierre. Du reste il accompagnait la gouvernante dans presque toutes ses excursions. Il visita avec elle les principales villes du pays, se faisant ainsi connaître des populations sur lesquelles il était appelé à régner. Cet enfant, paré de ses grâces naturelles, leur inspirait un vif intérêt ; elles tressaillaient de joie et d'espérance à la pensée qu'elles seraient un jour gouvernées par ce prince né sur leur sol et belge aussi bien par l'éducation que par la naissance. Un ambassadeur de Venise, déjà cité, nous le dépeint en ces termes, à l'âge de six à sept ans : il est beau et bien proportionné ; dans toutes ses actions il se montre plein de hardiesse et de fierté ; il ressemble au vieux duc Charles de Bourgogne. C'est à Malines qu'il réside, et les habitants l'y gardent si bien que, plutôt que de l'en laisser partir, ils se feraient toue mettre en pièces[19].

Reprenons notre récit. La nomination de Marguerite, toute dévouée à la politique de son père, et irritée au moins autant que lui contre la France, comme nous l'avons remarqué déjà, était le renversement complet du système de ménagement envers cette puissance suivi par le sire de Chièvres. Renvoyé dans son gouvernement de Namur, l'ancien lieutenant général emporta avec lui les dernières espérances de la paix. Déjà Louis XII avait concentré des troupes sur les frontières des Pays-Bas, et le comte de Rethel avait pénétré dans la Gueldre avec un petit corps d'infanterie et de cavalerie. L'arrivée de ces auxiliaires y ralluma la guerre, et Charles d'Egmont rompit aussitôt une trêve qu'il supportait péniblement. On n'avait à lui opposer que des forces tout-à-fait insuffisantes. Déployant son énergie naturelle, Marguerite ordonna des levées de troupes, et imprima une grande activité aux armements. Le prince d'Anhalt, qui s'était distingué dans les guerres d'Italie, prit le commandement de l'année de Gueldre, à laquelle on joignit un renfort de mille soldats allemands.

Dans une séance solennelle tenue le 20 juillet, Marguerite, accompagnée de son neveu, demanda aux états généraux, convoqués à cet effet, par l'organe du chancelier de Brabant, Jean van den Vorst, d'autoriser la perception d'un florin sur chaque foyer. Le produit de cet impôt devait être employé au payement de l'armée de Gueldre et au rachat des domaines engagés. La gouvernante prit ensuite la parole pour insister sur la nécessité d'adopter cette proposition, et le jeune prince lui-même, dans une petite harangue plus entendue par les gestes de son visage que par la sonorité de sa voix puérile[20], pria l'assemblée de l'accueillir favorablement. Ces efforts n'étaient pas de trop ; le pays était fatigué des sacrifices incessants qu'on lui demandait. Les états refusèrent de prendre une décision avant d'avoir consulté leurs principaux, parce qu'ils avoient promis l'un à l'autre jamais eux diviser[21], et s'ajournèrent au 22 août suivant. A la vue du mauvais accueil qu'éprouvait partout la pétition, Marguerite y substitua celle d'une aide de deux cent mille livres. Celte aide fut accordée, malgré l'opposition de quelques provinces.

Les hostilités reprises par Charles d'Egmont s'étaient bornées d'abord à de simples excursions, dans lesquelles il avait obtenu de faibles avantages. C'est ainsi qu'il avait surpris Doesburg et menacé Bois-le-Duc. Mais bientôt les lansquenets qu'il avait à sa solde s'étaient mutinés faute de payement, et Robert de la Marck avait reculé devant l'attitude énergique des milices namuroises, renforcées par un corps de Hennuyers, sous les ordres du sire d'Aimeries. Ces débuts encouragèrent les troupes de la gouvernante. Le prince d'Anhalt emporta le château de Wildenburg ; Philippe de Bourgogne s'empara de Waechtendonck, et Jean d'Egmont, fils du gouverneur de la Hollande, après avoir battu quelques bandes gueldroises, mit le siège devant le château de Pondroyen, situé dans le Bommelerweerd, entre Bois-le-Duc et Gorcum. Après cela, le prince d'Anhalt, ayant retiré ses gens d'armes des villes ils furent remplacés par les nouvelles levées du Brabant et de la Hollande, pénétra dans la Gueldre et y fit de grands ravages. Trop faibles pour entreprendre d'importantes opérations, lui et les autres chefs cherchaient seulement à se maintenir dans le pays jusques à ce qu'ils eussent tout bruslé et gasté les campagnes, tant blés que villages, leur espoir estant que, par ceste voye, ils lasseroient les villes de la guerre ; par quoy les pourroient subjuguer[22].

La position de Charles d'Egmont devenait critique, et le comte de Réthel sollicitait Louis XII, avec les plus vives instances, de lui envoyer des renforts et surtout fie la cavalerie. Ce prince, subordonnant sa conduite à l'issue des événements en Italie, hésitait encore, lorsque la décision de la diète de l'empire, accordant à Maximilien une somme d'argent et une forte escorte pour aller recevoir la couronne impériale[23], mit fin à ces irrésolutions. Le roi alors pressa Charles de redoubler d'efforts ; il lui envoya de l'argent et un premier corps de deux cent vingt lances, qui pénétrèrent dans la Gueldre, après avoir trompé la vigilance de Philippe de Bade posté à Marche avec deux cents chevaux, pour leur couper le passage.

L'intervention directe de la France produisit bientôt ses effets. L'ardeur guerrière des villes de la Gueldre se ranima ; de nombreux aventuriers attirés par l'appât du pillage accoururent sous les drapeaux gueldrois, et de nouveaux subsides y ramenèrent les vieilles bandes mutinées. Réunissant toutes ses forces, Charles marcha contre Jean d'Egmont, et l'obligea de lever le siège de Pondroyen. Les Gueldrois se jetèrent ensuite sur la Hollande, et poussèrent jusqu'aux portes d'Amsterdam. Le Zuyderzée devint le théâtre de combats acharnés ; des corsaires gueldrois, frisons, français firent essuyer au commerce des pertes considérables. Une tentative de diversion du prince d'Anhalt sur Nimègue et les courses de ses gens d'armes, qui ravagèrent la contrée et capturèrent des navires ennemis sur la Meuse, ne parvinrent point à arrêter l'élan des Gueldrois.

La contenance de Maximilien en Italie avait décidé Louis XII à lever entièrement le masque. Le 27 juillet, il écrivit à la ville d'Arras, que si les habitants de l'Artois reconnaissaient le roi des Romains en qualité de régent et tuteur de leur jeune prince, il les traiterait comme de rebelles et désobéissants sujets. Des troupes françaises prirent position entre Mézières et Mouzon, et un gros détachement de cavalerie s'établit dans le quartier de Saint-Hubert. Marguerite s'était empressée d'envoyer à son père une copie de la sommation adressée aux habitants d'Arras. Maximilien lui répondit[24], le 29 août, en se plaignant du mauvais vouloir du roi de France, persévérant toujours, disait-il, à nous faire le pire qu'il pourra, mais en se déclarant dans l'impossibilité de venir en aide aux Pays-Bas pour le moment. La gouvernante était réduite à ses ressources personnelles ; elle ne faillit pas à cette situation, et sut trouver en elle-même la résolution et l'énergie dont elle n'avait que trop besoin dans un pareil moment.

Dès le 18 août, il avait été donné ordre au bailli de Nivelles de lever onze à douze cents compaignons armés et embastonnés pour la défense de cette ville et des autres places du bailliage[25]. Le sire de Chièvres avait prescrit aux seigneurs de Brongne, Thy-le-Château, Bioul, Villers-le-Piéton, de réunir leurs gens et d'être prêts à marcher au premier signal. Namur avait été désigné de ce côté pour point de concentration. On y vit arriver successivement avec leurs milices les baillis de Waseiges, de Spontin, de Gedinne et de Montaigle ; Jean, sire de Spontin, avec vingt cavaliers et trois cents piétons levés dans le bailliage de Bouvignes et la prévôté de Poilvache ; le seigneur de Marbais avec cent piétons de sa compagnie[26]. Une partie de ces troupes furent dirigées sur Bouvignes et Poilvache pour couper le passage aux Français postés à Couvin, et trois cents fantassins namurois furent envoyés à Marche.

D'après les rapports des espions, l'ennemi se préparait à pénétrer dans le Brabant par le pays de Liège. Marguerite, après avoir écrit au chancelier de l'évêché de Liège qu'elle comptait sur la bonne amitié et le bon voisinage des Liégeois[27], invita spécialement les villes de Saint-Trond, de Huy, de Hasselt et de Tongres à ne point livrer passage aux Français[28]. Moins inquiète à l'égard des autres frontières, elle ordonna au gouverneur de Béthune, aux nobles des châtellenies de Lille, Douai et Orchies, de Zélande et de Flandre, ainsi qu'aux seigneurs de Falais, de Herbais, de Fontaine, et de Houffalize de venir vers elle en toute diligence, montés, armés et le mieux accompagnés que possible. Le prince de Chimai et Antoine de Ligne furent chargés de réunir promptement les milices du Hainaut, d'en jeter une partie dans les places frontières et de diriger les autres sur Tirlemont, où se faisoit l'assemblée des gens de guerre. Le sire de Chièvres se rendit également en cette ville avec une partie des nobles et des milices du pays de Namur.

Pendant que cette concentration de forces s'effectuait à Tirlemont, les Français, au. nombre de cinq cents lances et de deux mille hommes de pied, opérèrent, à Couvin, leur jonction avec Robert de la Marck, qui leur amenait deux mille lansquenets et tout plein d'aventuriers à cheval et à pied. Partis de Couvin le 2 septembre, les Français arrivèrent le lendemain à Florennes, d'où ils firent mine de se diriger sur Châtelet pour y passer la Sambre ; mais revenant brusquement sur leurs pas, ils franchirent la Meuse à Givet, et, suivant le chemin pris l'année précédente par le sire de Sedan, ils repassèrent le fleuve à Jemet, la cavalerie à gué, l'infanterie en bateaux. Henri de Nassau et Jean de Berghes, accourus avec quelques cavaliers, ne purent arrêter l'ennemi, dont les rangs s'étaient encore grossis d'une foule de Liégeois. Ils se contentèrent de l'inquiéter sur ses flancs pour préserver la Campine de ses ravages ; l'entreprise était difficile, car le peu de troupes qu'ils avaient manquaient d'argent et de vivres, les paysans s'enfuyant tant pour les survenus que pour les amis[29]. Bientôt, menacés d'être coupés, le sire de Berghes rejoignit la gouvernante, et Nassau se jeta dans Diest.

Cependant le duc de Gueldre venait d'entrer brusquement dans la Campine avec sept mille lansquenets, deux cents cavaliers allemands, six grosses pièces d'artillerie, et trois ou quatre moyennes[30]. Il avait surpris Turnhout d'où il se portait rapidement à la rencontre de ses alliés qui, marchant droit sur Diest, avaient brûlé sur leur passage Daelhem et Landen. Diest fut sauvé par la valeur de Henri de Nassau et de ses habitants[31], mais Haelen fut pillé et incendié le 48 septembre. Les deux armées réunies se portèrent sur Tirlemont. Dans cette ville, choisie pour point de réunion par le prince d'Anhalt, il ne se trouvait en ce moment que cent soixante-neuf cavaliers namurois commandés par le sire. de Spontin et quelques piétons. Il n'y fallut point de batterie, car il n'y avoit point grand muraille, mais seulement force grosses douves et fossés. Néanmoins, quand les piétons francois visrent qu'il falloit aller à l'assault, se commencèrent à mutiner pour leur payement ; ce que voyant monsieur de Sedan et le sire de Corbie, ils vindrent donner dedans eulx tellement que, à grands coups d'espée, les firent aller à l'assault ; et promirent de bien faire après qu'il en eut esté tué deux ou trois[32]. La ville fut assaillie, le 19 septembre, d'un côté, par le duc de Gueldre ; de l'autre, par le sire de la Marck. Et y avoit une bande d'adventuriers liégeois qui furent des premiers sur la muraille, et firent grand meurdre dedans ; et feust la ville toute pillée. Et quand les lansquenets feurent dedans et les adventuriers, se commencèrent à battre l'un l'aultre tellement qu'il en mourut beaucoup d'un costé et d'auldre[33]. Il est inutile d'ajouter que le sac fut épouvantable.

Le duc de Gueldre et Robert de la Marck restèrent treize jours à Tirlemont, ravageant la contrée et incendiant un grand nombre de villages. Marguerite était accourue à Louvain, envoyant des ordres partout pour tâcher de circonscrire le mal. Les milices d'Anvers occupèrent Herenthals et Lierre ; Malines ferma ses écluses, remplit ses fossés, organisa une garde à cheval pour éclairer les environs, et envoya les forces dont elle pouvait disposer à Louvain, à Aerschot et dans la Campine ; Charles de T'Serclaes amena une troupe de Bruxellois à Louvain, où le sire de Rœulx vint le rejoindre. Mais à peine celui-ci avait-il commencé à mettre la place en état de défense, qu'il reçut l'ordre de se rendre à Jodoigne, plus menacé encore, et dont une petite troupe de fantassins namurois vint renforcer les milices. Heureusement le prince d'Anhalt, rejoint à Malines par Adolphe de Nassau et le seigneur d'Ysselstein[34] avec une partie de l'armée de Gueldre, transféra son quartier général à Louvain, où une foule de seigneurs des autres provinces arrivèrent successivement. Les habitants de cette ville n'étaient pas complètement rassurés, car nous voyons la gouvernante prier, le 15 octobre, le recteur et les docteurs de l'université de ne point abandonner leurs maisons, de peur de décourager la population.

L'invasion ne fut pas de longue durée. Soit crainte, soit discorde, les Gueldrois et leurs alliés se séparèrent et battirent précipitamment en retraite. Les premiers se dirigèrent sur Ruremonde, où ils ramenèrent un riche butin, non sans avoir été harcelés par les milices de Bois-le-Duc. Leur arrière-garde fut culbutée et poursuivie par Henri de Nassau jusqu'aux portes de la ville. Les Français expièrent plus cruellement leurs dévastations. Informé à temps de leur retraite, le sire de Chièvres ordonna aux magistrats de Bouvignes et des cantons voisins de faire bon guet pour ruer jus la queue de l'ennemi s'il estoit possible[35]. Robert de la Marck passa le premier sans encombre, après s'être vengé de la neutralité de son frère en ravageant les terres de la principauté de Liège. Mais le sénéchal du Rouergue, Téligny, ne fut pas aussi heureux. Au moment où il arrivait à Saint-Hubert avec ses hommes d'armes, il fut averti qu'une troupe de Namurois, paysans, mineurs et carriers, se disposait à l'attaquer. Téligny voulut forcer ses gens à se remettre en selle, mais ils refusèrent de lui obéir et s'établirent chez les habitants. On était au 18 octobre. Vers minuit, la ville de Saint-Hubert fut cernée par une troupe de quatre cents hommes, moitié à cheval, moitié à pied, guidés par un meunier. Les Français perdirent trente à quarante des leurs, outre un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels Téligny blessé, et y laissèrent coups, plumeaux, baghes, harnois, or, argent et chevaulx[36]. Des six cents chevaux chargés de butin qu'ils emmenaient, pas un seul n'échappa ; on en vendit publiquement cinq cents à Namur. Comme c'estoit une chose faite par le populaire, il fut décidé que le butin resterait à tous ceux qui y avaient pris part. La prouesse de ces valeureuses populations namuroises mit en renom beaucoup de chansons composées en leur honneur[37]. Parmi ces héros rustiques, on citait particulièrement un berger qui emprunta d'un curé de village une vieille brigandine et quelque mauvais baston pour aller à le meslée, à laquelle il conquesta une bourse pleine d'escus, et jura grand serment que jà plus ne garderoit les moutons[38]. On citait aussi Colin de Hal, dit le beau boucher, demorant à Namur, auquel l'empereur et monseigneur l'archiduc, par leurs lettres patentes données le 15e jour de novembre 1507, en considération des services que ledit Collin leur avoit fait en plusieurs leurs guerres et armées, et particulièreMent à la des-trousse advenue au lieu de Sainct-Hubert où icelluy avoit esté l'ung des premiers entrepreneurs, luy ont volu donner, sa vie durant, quattre patars chacun jour à en estre payé sur les deniers de leur domaine et recepte générale de Namur[39].

Malgré la part prise par les Français à l'invasion de la Belgique, la paix n'était pas rompue extérieurement entre les deux pays. L'affaire de Saint-Hubert donna lieu à quelques réclamations, mais Marguerite, qui avait fait conduire Téligny au château de Vilvorde pour le bien faire interroger, afin de découvrir ses pratiques[40], répondit qu'il n'y avoit pas lieu de récriminer au sujet de cette desconfiture, veu que ce procédoit à cause des feux boutez au pays de Brabant et de la prise et roberie de Tirlemont. Louis XII, craignant que la discussion ne s'aigrit, fit adresser à la gouvernante lettres parlant en doucheur et bonne manière. La chose s'assoupit, et, comme on manquait d'argent, on résolut de licencier l'armée, dès que l'ennemi eut évacué le pays. On conserva seulement les troupes du seigneur d'Ysselstein, qui poursuivait la guerre en Gueldre, et les garnisons des places frontières, où une active surveillance était nécessaire.

La grande difficulté était toujours de se procurer des ressources financières. Maximilien engagea Marguerite à demander aide aux états de Flandre en leur exposant les affaires bien au long afin que les autres les imitassent, et il leur en écrivit lui-même directement[41]. La princesse venait d'obtenir du Brabant une nouvelle aide de quarante-deux mille livres pour l'entretien de mille chevaux et de quinze cents fantassins, pendant les mois de décembre 1507, janvier et février 1508. Elle ne se pressa pas trop d'obtempérer au désir de son père, et se contenta de convoquer les états généraux à Gand pour le 28 février. Aux débuts de l'assemblée, un débat s'engagea entre les députés du Brabant et ceux de la Flandre, au sujet de la préséance et du droit de proposer et de porter la parole. Les Brabançons s'appuyaient sur la prééminence de leur duché ; les Flamands prétendaient que par usage en tel cas observé de tout temps, lorsque les assemblées des états généraux avoient lieu dans leur pays, le droit de précéder en siège, de proposer, de relever les opinions et de porter la parole leur appartenoit. Une transaction acceptée par les deux parties, le 14 mars 1508, statua que pour cette fois et sans préjudice du droit prétendu de part et d'autre, les états du duché de Brabant précéderoient et seroient assis au premier siège, et que le pensionnaire de la ville de Gand, organe des états de Flandre, proposeroit, recueilleroit les opinions et porteroit la parole pour les états en général[42]. Cette difficulté aplanie, la gouvernante exposa la nécessité d'entretenir dix mille fantassins et deux mille chevaux pour garder le pays pendant la minorité de son neveu. Les états s'ajournèrent jusqu'au mois suivant pour consulter leurs principaux. A leur retour, le 9 avril, ils s'excusèrent de pourvoir à l'entretien de troupes qu'il était inutile de lever, attendu, disaient-ils, qu'il leur sembloit n'avoir nul ennemi qui leur courût sus. Marguerite eut beau insister, elle n'en put rien obtenir. Seulement les provinces les plus menacées accordèrent des subsides qui permirent de reprendre les hostilités avec une certaine vigueur[43].

Marguerite se rendit elle-même sur les frontières de Brabant pour stimuler le zèle de ses capitaines[44]. Quelques troupes fournies par des princes de l'empire étaient arrivées, et, le 27 avril, le prince d'Anhalt investit le château de Pondroyen, à la tête de mille chevaux et d'une assez nombreuse infanterie. Son artillerie était formidable ; elle comprenait, entre autres, douze gros canons, appelés, d'un nom usité alors, les Douze Apôtres[45]. Les habitants de Bois-le-Duc, qui avaient particulièrement souffert des ravages de la garnison de Pondroyen, ne se bornèrent pas à garantir le payement des frais de l'entreprise ; ils inventèrent un nouvel engin, appelé mortier, qui lançait avec une force irrésistible des boulets et des blocs de pierre d'une énorme grosseur[46].

Le château de Pondroyen, situé sur la Meuse, était fortifié par l'art et par la nature[47] ; il avait une nombreuse garnison d'aventuriers liégeois et autres, que commandait un des plus hardis capitaines du duc de Gueldre, Henri Van Ens, dit Suydewint. Van Ens était décidé à se défendre à toute outrance. Il soutint bravement les premières attaques des assiégeants. Déjà ceux-ci avaient consommé, sans succès marqué, près de treize mille livres de poudre, quand il fut écrasé par la chute d'une poutre. Sa mort jeta le découragement dans la garnison, et, sur le refus du prince d'Anhalt d'entendre-à aucune espèce de capitulation, le 3 juin elle se rendit à discrétion. Le prince fit pendre douze déserteurs devant la porte du château, et retint prisonnier le successeur de Van Ens. Après quoi, il permit aux Gueldrois de se retirer désarmés, la baguette blanche à la main, et rasa la place.

Encouragés par cet avantage, les autres chefs reprirent l'offensive sur tous les points. Le comte de Buren rassembla ses gens au son de tocsin, et se jeta sur la Woluwe. Renforcé bien vite par les milices de Bois-le-Duc, les gens d'armes de Henri de Nassau et ceux de la garnison d' Arnhem, il ravagea cruellement les terres des partisans de Charles d'Egmont. La mairie de Ruremonde fut mise à feu et à sang, et la ville même de ce nom investie. Le seigneur d'Ysselstein, à la tête des milices hollandaises, commença le siège de Weesp, tandis que le prince d'Anhalt attaquait le château de Muyden, qui n'en est qu'à un quart de lieue. Le sire d'Aimeries leur amena un renfort de cinquante hommes d'armes, d'archers et de fantassins wallons au nombre de cinq cents. L'attaque de ces deux places était poussée avec assez d'énergie, quand le duc de Gueldre parvint à les ravitailler, après avoir surpris un détachement wallon posté sur le Muyderberg. Dans cet engagement, le seigneur d'Ysselstein fut blessé et le sire d'Embry tué. Cet échec et les négociations qui venaient de s'ouvrir avec la France ralentirent les opérations de côté et d'autre, et à part une attaque des Gueldrois sur Aspre, où, parvenus déjà sur les murailles, ils furent lourdement reboutés[48], il ne reste plus d'action militaire à signaler.

Cependant Maximilien avait conclu, le 7 juin 1508, une trêve de trois ans avec les Vénitiens. Il annonça aussitôt l'intention de partir pour les Pays-Bas. Puisque la chose est ainsi advenue, écrivait-il de Creutznach à la gouvernante le 13 juin, nous espérons de vous veoir bien brief. Si vous requérons que cependant vous tenez la main de tout vostre pouvoir que le fait de la guerre de Gheldres soit bien et vigoureusement exécuté ; car, à cette fois, nous avons ferme fiance d'en avoir une fin finale. Il était à Dusseldorf le 13 juillet et il y reçut dix mille florins d'or, qu'il avait demandés avec insistance à sa fille. Le 18 juillet, il adressa une circulaire aux états de toutes les provinces pour les convaincre de la nécessité d'associer leurs efforts pour réduire enfin Charles d'Egmont. Le roi de France, leur disait-il, soutient ce prince pour séparer, par son moyeu, les Pays-Bas du Saint Empire et de la maison de Bourgogne, et tant mieux les tenir de sa subjection. Vous voyez donc, continuait-il, que laditte guerre de Gheldres n'est point une affaire particulière, mais chose qui touche à nous et à nos enfants, et aussi à tous nos pays généralement et spécialement : car ce qui touche le roi ou prince du pays, comme chef et personnage public, touche tous les subjects, et, par le contraire, tout ce qui touche les subjects touche le roi ou prince du pays, car les principautés n'ont point été sans commune, ni communes sans principauté ou gouvernant. Il priait ensuite les états de bien considérer et prendre à cœur, mesmement la grande honte et reproche qui seroient à ses enfants et aux pays de par-delà, s'il laissoient perdre le duché de Gheldres, après les travaux et les peines qu'avoit coustées sa conqueste, pour laquelle il avoit esté despensé, depuis le duc Charles de Bourgogne, desjà bien trois millions d'or, et cela alors que les dits Gheldrois estoient si bas, puisque, à bien peu de despence, estimée celle que par ci-devant l'on y avait faite, on pourroit brief entièrement recouvrer ledit pays de Gheldres, quelques secours que le roi de France y sust donner. Il espérait bien, disait-il en terminant, aussi rebouter les seigneurs de la Tremouille, d'Orval, Robert de la Marck et autres personnages qui avoient esté en Italie au service du roi de France et que l'on disoit vouloir assister les dits Gheldrois ; il leur donneroit bataille, si mestier estoit, et n'y épargneroit ni sa personne, ni son corps, ni son avoir[49].

Ces demandes continuelles d'argent étaient devenues singulièrement odieuses aux populations. L'interminable guerre de Gueldre était un gouffre où s'engloutissaient incessamment aides et emprunts. Tout récemment le roi d'Angleterre avoit prêté cent mille couronnes sur les obligations des principales villes du Brabant et de la Flandre, et les ressources manquaient partout à l'administration et à la direction de la guerre. Aussi le mécontentement était extrême et avait gagné toutes les classes. On se croyait à chaque instant menacé des désastres d'une nouvelle invasion. Les troupes, qui n'étaient pas payées désolaient les campagnes et mangeoient le pauvre peuple[50]. Les frontières étaient livrées aux déprédations d'une foule de bandits qui, sous le nom de Gueldrois ou de Français, y commettaient d'affreux excès.

Telle était la situation lorsque Louis XII prit l'initiative d'une proposition de réconciliation avec les Pays-Bas. Cette proposition arrivait trop opportunément pour n'être point accueillie, et Marguerite pressa son père d'y acquiescer sans délai. Maximilien se rendit au vœu de la gouvernante, qui s'empressa de demander un sauf-conduit pour ses ambassadeurs. L'empereur l'autorisa en outre à négocier une trêve avec la Gueldre, à condition toutefois que Charles d'Egmont remettrait entre les mains d'un tiers la ville de Weesp et le château de Muyden, mais, en attendant, il ordonna de presser vivement le siège de ces deux places. Marguerite profita de ces dispositions pour présenter à Louis XII un projet de trêve, et l'assurer qu'elle mettroit peine de s'employer tellement à l'arrangement des affaires que, avec l'aide de Notre Seigneur, il s'en ensuivroit une bonne fin pour le bien universel de toute la chrétienté[51].

Sur ces entrefaites, Maximilien était arrivé dans les premiers jours du mois d'août, et il avait commencé par aller visiter les provinces septentrionales. Marguerite, elle, n'omettait rien pour triompher de l'opposition des états. Elle avait envoyé presque partout des commissaires spéciaux chargés de travailler chaque corps d'état en particulier, mais ces démarches avaient complètement échoué. Ainsi les états de Namur, convoqués le 4 août pour recevoir lecture de lettres de Maximilien réclamant une réponse immédiate, ne voulurent en particulier ni en général eux ingérer de bailler responce finale que premièrement les autres pays n'eussent baillé responce, à cause que, en opinion, le pays de Namur estoit nommé le dernier. Le 20 août, eut lieu une nouvelle réunion suivie d'un nouveau refus, malgré toutes les instances des commissaires de Marguerite[52]. Dans l'assemblée des états du Hainaut tenue à Mons le 16 juillet, les nobles seuls s'étaient montrés disposés à accueillir les propositions du gouvernement ; quant aux prélats et aux députés des bonnes villes, sans avoir égard à leur éminent péril et que les ennemis leur estoient plus prochains, ils n'avoient voulu aucunement y condescendre, les uns prétendant estre exempts de la contribution de toutes tailles, aides et subventions ; les autres disant que attendu que ladite demande avoit esté faite aux estats de tous les pays, à leur assemblée générale, quand on les feroit convoquer tous ensemble, ils feroient ce celé bons et loyaux subjets doivent faire[53].

Maximilien, irrité de rencontrer tant de résistance, ordonna à Jacques de Gavre, seigneur de Frésin, grand bailli du Hainaut, de convoquer de nouveau les états de ce pays pour le 20 août, et de les sommer de fournir promptement et sans plus de délais ou retraites leur cote-part des dix mille combattants à pied et deux mille à cheval. En cas de refus, il menaçait de les noter et reprendre de désobéissance, de les tenir et réputer pour des rebelles subjects, car, disait-il, depuis nostre arrivée esdits pays de par-deçà, avons de plus en plus cogneu les grands efforts que font les dits Gheldrois, tant en Hollande que en Brabant, et les pratiques que mènent les dits François, et les armées et assemblées qu'ils font sur les frontières, pour subjuguer et destruire ces pays. Et afin que vous puissiez entendre comment nous sommes en volonté d'employer cette armée, laquelle est bien petite pour résister à un si puissant roy qu'est le roy de France, et aussi pour conquérir le plus fort du pays de Gheldres, nous vous advertissons que nous voulons avancer pour cette conqueste les aides et secours des évesques de Cologne, Munster et Utrecht, des ducs de Juliers et de Clèves, et de ceux de nos pays de Hollande, Zélande, villes d'Anvers, Bois-le-Duc, Louvain et Bruxelles ; les autres pays feront une armée pour aller contre les François, et les gens d'armes que nous avons eus contre les Vénitiens feront une autre armée, et la ferons marcher contre lesdits François, pour entrer audit royaume de France, afin de soulager les pays de par-deçà[54]. Ces promesses ne changèrent nullement la détermination des états de Hainaut, et force fut à l'empereur d'attendre la nouvelle réunion des états généraux convoqués à Malines pour le 2 septembre suivant.

Cependant les premières ouvertures de Louis XII avaient été suivies d'un moment d'hésitation, et, à son retour dans le Brabant, Maximilien annonça aux états provinciaux que nonobstant toutes les aventures et appointements qu'il avoit présentés au roi de France pour les mettre en bonne paix et union, ce prince ne vouloit point délaisser ni abandonner les Gheldrois, mais de tout son effort les aider et secourir. Il requérait de nouveau les états de se préparer et disposer à se mettre en défense avec lui et agir de tout leur pouvoir, comme le cas l'exigeoit. Joignant cette fois-ci l'effet à la menace, il somma Louis XII d'envoyer des députés à la frontière pour rompre la trêve ou pour conclure la paix. Il allait repartir pour la Hollande, quand une dépêche accommodante du roi de France lui parvint à Turnhout. Il délivra, de cette ville, le 14 septembre 1508, à la gouvernante, des pleins pouvoirs pour se rendre à la réunion diplomatique, ou, comme l'on disait alors, à la journée qui se préparait à Cambrai[55]. Ces circonstances avaient retardé la réunion des états généraux, laquelle eut lieu à Malines le 20 septembre, en présence des seigneurs de Chièvres, de Sempy et de Vère chargés par Maximilien de défendre les intérêts de sa maison[56].

La séance d'ouverture fut présidée par le président de Flandre, Jean le Sauvage, qui venait d'être nommé chef du conseil privé de Marguerite[57]. L'assemblée reçut communication de nouvelles lettres de Maximilien annonçant que, malgré toutes ses démarches, il lui avait été impossible jusque-là d'amener le roi de France à conclure le paix, et réitérant la demande d'une aide destinée à l'entretien de deux mille chevaux et de dix mille hommes de pied pendant trois mois. Deux autres communications suivirent la première. Par l'une, Maximilien, qui projetait de rattacher les états de son petit-fils à l'Allemagne, faisait connaitre son dessein d'assembler à Ulm les princes de l'empire, et exprimait le désir de voir les Pays-Bas envoyer des députés à cette diète. Par l'autre, il informait l'assemblée du prochain départ de Marguerite qui allait se rendre à Cambrai avec des délégués de l'empereur pour le bien de la paix, et l'invitait à envoyer à Valenciennes des représentants des trois ordres, qui pourraient se transporter, au besoin, au lieu des conférences[58]. Cette dernière communication fut accueillie avec plaisir ; les états s'ajournèrent au mois d'octobre, décidés à subordonner leur résolution à la tournure des négociations qui allaient s'ouvrir à Cambrai.

L'horizon n'était pas complètement éclairci. Le 1er octobre, Maximilien exprimait ses craintes et ses méfiances à sa fille en ces termes : Vous pouvez assez cognoistre ce que nous vous avons dit de cette affaire estre à présent vérifié, et que cognoissons mieux et avons plus d'expérience des François que vous, car nous en attendons tout autant, combien que nous aimons mieux que vous ayez esté deçue en leurs belles paroles que nous, afin que ci-après y prenez meilleur garde. Il autorisait cependant la princesse à. conclure directement avec Charles d'Egmont une trêve de cinq ou six semaines[59]. Marguerite s'empressa de profiter de cette autorisation, mais les négociations semblaient ne pouvoir aboutir, lorsqu'arriva l'acquiescement de Louis XII aux demandes de l'empereur. Charles d'Egmont, abandonné par la France, renonça à la lutte, et une trêve fut conclue à Schoonhoven entre l'empire, les Pays-Bas, la France, l'évêque d'Utrecht, le duc de Clèves, le comte de Hornes et la Gueldre. Louis XII ratifia ce traité le 18 octobre, et y fit comprendre l'évêque de Liège et le seigneur de Sedan[60]. Il était stipulé que la trêve durerait six semaines à partir du 25 octobre, et que les deux parties belligérantes conserveraient leurs positions respectives sans pouvoir ni ravitailler ni fortifier les villes ou places tenant leur parti. Ces arrangements étaient pris à peine lorsqu'une escadrille gueldroise surprit, dans la nuit du 29 octobre, le château de Kinder appartenant à l'évêque d'Utrecht, et s'empressa de fortifier cette place frontière, clef de l'évêché contre Hollande et Frise, où tous les bateaux passoient[61]. Cette violation flagrante de la trêve ne provoqua point de représailles, et les hostilités restèrent suspendues jusqu'à la conclusion des négociations de Cambrai.

Aucun obstacle ne s'opposait plus à l'ouverture de ces négociations si importantes. Le 19 octobre, Louis XII manda à Marguerite que le cardinal d'Amboise, muni de ses pleins pouvoirs, allait se rendre sur les frontières de la Picardie, pendant que l'évêque de Paris et le comte de Carpy, ses conseillers, iraient à Cambrai arrêter les préliminaires des conférences. Le 27 du même mois, Maximilien autorisa le gouvernante à se mettre elle-même en route pour Cambrai. Il lui prescrivit de s'arrêter à Valenciennes, afin d'y attendre l'évêque de Gurck[62] chargé de ses dernières instructions. Deux conseillers de l'empire, Sigismond Phloug et Jacques de Villingher, seigneur de Sainte-Croix, étaient adjoints à ce prélat. Maximilien avait autorisé sa fille à se faire assister par l'évêque de Cambrai, Jacques de Croy, les présidents du grand conseil de Malines et de celui de Bourgogne, Jean Pieters et Mercurius Gattinara ; et par deux chevaliers de la Toison d'or. La princesse quitta Malines au commencement de novembre, escortée par les archers de la garde de l'archiduc et par une compagnie de cent cavaliers sous le commandement du sire d'Aimeries. Des membres du conseil privé et des délégués des états la suivirent jusqu'à Valenciennes, où ils restèrent pour être à portée d'être informés et consultés, si les François vouloient jouer des traineries selon leur coustume[63]. Pendant que Marguerite se dirigeait à petites journées sur Cambrai, où elle arriva dans les derniers jours de novembre, le président du conseil privé, Jean le Sauvage, partait pour l'Angleterre précédant une ambassade, qui bientôt après s'embarqua à Calais[64].

L'ouverture des négociations calma heureusement les esprits. Les états généraux, réunis à Anvers le 13 novembre, en présence de Maximilien et de leur jeune souverain, votèrent une somme de soixante dix mille florins à répartir sur toutes les provinces. En attendant la rentrée de cette aide, le gouvernement fut obligé de recourir aux emprunts[65]. Par lettres du 27 novembre 1508, Maximilien, en qualité de tuteur de son petit fils, envoya Toison d'or en Angleterre, afin d'y engager à Henri VII la riche fleur de lys pour une somme de dix mille livres sterling[66]. Ce bijou, l'un des plus précieux des souverains des Pays-Bas, avait déjà été engagé, à diverses reprises, pour cinquante mille couronnes d'or, pour soixante dix mille et pour quatre-vingt mille livres[67]. Cette fois-ci, il ne devait plus être dégagé, et Henri VIII en fit présent à François Ier, lors de leur célèbre entrevue du camp du Drap d'or.

Après avoir séjourné quelques jours à Anvers, Maximilien se rendit à Lierre le 19 novembre, et bientôt après à Malines. Le 22 novembre, il assembla dans son hôtel les chevaliers de la Toison d'or présents dans cette ville, et les consulta sur diverses réclamations de sa fille Marguerite. La principale concernait les comtés d'Artois, de Bourgogne, de Charolais, du Mâconnais et de l'Auxerrois, ainsi que les terres et seigneuries de Salins, de Bar-sur-Seine et de Noyers, que le traité de 1482 avait assignés pour dot à la princesse. Les chevaliers furent unanimement d'avis qu'il appartenait à l'empereur, comme tuteur de son petit-fils, de statuer sur ces réclamations, sauf à l'archiduc à en décider autrement, s'il le jugeait convenable au moment de sa majorité. L'empereur adopta leur sentiment, et, par lettres patentes du 20 février 1509, dépêchées sous son nom et sous celui de son petit-fils, il transporta à Marguerite la souveraineté des territoires en question, à condition qu'à la mort de cette princesse ils feraient retour à la souveraineté des Pays-Bas. Charles-Quint ratifia cette cession en 1515[68].

Pendant que Maximilien se tenait à Malines pour y traiter les affaires intérieures des Pays-Bas et y être lui-même à portée de sa fille pendant les conférences, celle-ci était occupée à régler les plus graves affaires de l'Europe. Il s'agissait en effet de bien autre chose que de rétablir la paix entre Charles d'Egmont et nos provinces. Le but caché, mais réel, des négociations était l'abaissement de la puissance vénitienne, devenue un objet de crainte pour tous les potentats. Cette orgueilleuse cité affectait les allures de l'ancienne république romaine, et on ne l'accusait de rien de moins que d'aspirer à la domination universelle. Une ligue générale se formait contre elle en ce moment à Cambrai. Les monarques ligués étaient le pape Jules II, le roi de France, l'empereur d'Allemagne, le roi de Naples et d'Espagne. Le pape réclamait les villes de la Romagne dont les Vénitiens s'étaient emparés depuis peu d'années ; Louis XII revendiquait le partie du Milanais comprise entre l'Adda, le Pô et la mer Adriatique, qu'il avait lui-même cédée aux Vénitiens pour prix de leur alliance contre Louis le Maure ; Maximilien redemandait Padoue et quelques autres villes qui avaient fait autrefois partie de l'empire germanique ; enfin Ferdinand le Catholique voulait qu'on lui rendit les villes maritimes du royaume de Naples, dont les Vénitiens s'étaient rendus maîtres après la retraite de Charles VIII. Chose singulière, remarque un écrivain peu suspect de partialité envers la papauté : les Vénitiens auraient pu détourner l'orage, en s'accommodant avec Jules II, qui n'appelait qu'avec répugnance les barbares en Italie, mais, aveuglés par une présomption étrange, ils ne firent rien pour l'éviter[69].

La ligue de Cambrai est peut-être la première transaction diplomatique dans laquelle intervinrent tous les souverains principaux de l'Europe[70]. Les premiers rôles sur cette grande scène politique furent joués par l'archiduchesse Marguerite et par le cardinal d'Amboise réputé le plus habile diplomate de l'époque. Les pourparlers eurent lieu le plus souvent entre ces deux personnages ; mais il parait que l'évêque de Gurck y assistait toujours. Les discussions furent parfois assez vives ; on craignit même de voir rompre les négociations, parce que le cardinal n'entendait pas que le roi de Navarre fût compris dans les traités[71]. Marguerite mandait à ses ambassadeurs en Angleterre : Nous avons espoir d'estre la bienvenue devers l'Empereur monseigneur et père... Vous advisant qu'il n'a esté sans avoir bien souvent mal à la teste, et nous nous sommes monsieur le légat et moi cuidié prendre au poil. Toutes fois à la parfin nous nous sommes reconciliés et fait amis ensemble le mieux que a esté possible[72].

Le traité de Cambrai fut signé le 10 décembre 1508. Par ce traité, les droits de Charles d'Egmont, à qui l'on donnait la simple dénomination de Charles de Gueldre, dit d'Egmont, furent déférés à la décision d'arbitres à nommer par l'empereur et par les rois de France, d'Angleterre et d'Écosse, et jugeant sans appel dans l'année. Weesp et le château de Muyden devaient être évacués dans les quarante jours, et les deux parties restaient en possession, jusqu'à conclusion d'un accord final, des places qu'elles occupaient. Si Charles d'Egmont refusait de se conformer à ces décisions ou de se soumettre à la sentence arbitrale, le roi de France s'engageait à ne l'aider d'aucune manière et à veiller à ce qu'il ne fût pas aidé par ses sujets. Dans l'intervalle, les relations commerciales de la Gueldre avec les Pays-Bas étaient rétablies, et le traité de paix comprenait les adhérents des deux parties : les ducs de Clèves et de Juliers, l'évêque d'Utrecht et le comte de Hornes d'une part ; l'évêque de Liège et le seigneur de Sedan, de l'autre. Si, à l'expiration de l'année, les arbitres n'étaient point parvenus à formuler leur décision, ils étaient tenus de prescrire quelque honnête moyen pour prévenir la reprise des hostilités. Il était interdit aux deux parties de recourir aux armes, quelle que fût la contestation qui pourrait s'élever entre elles. Tous les anciens différends au sujet de la succession de Bourgogne demeuraient également en suspens, Maximilien se réservant de revendiquer ses droits dans un temps plus opportun. Le jeune duc de Luxembourg était maintenu dans la libre possession des terres relevant de la France, et il était convenu qu'il ne prêterait hommage qu'après avoir atteint sa vingtième année. Il était, décidé aussi que la réparation des abus commis par les officiers royaux en Flandre et en Artois serait réglée à l'amiable. Deux points seulement furent l'objet d'une décision définitive : la renonciation de Maximilien, moyennant une somme de cent mille écus d'or, au traité de mariage de Charles et de Claude de France, et une nouvelle investiture du duché de Milan, que Louis XII acheta au prix de cent mille ducats. Le traité fut solennellement publié dans la cathédrale de Cambrai[73]. Mais on tint secret l'objet principal des négociations, la ligue formée contre la république de Venise par le pape, l'empereur, les rois de France et d'Aragon, et à laquelle il était loisible au roi d'Angleterre de s'associer, en y prenant une part offensive ou défensive à sa volonté ; ce qui était expressément stipulé dans le traité[74].

Avant de quitter Cambrai, Marguerite fit don au cardinal d'Amboise par avis de son conseil et pour mieux nourrir paix et amour entre France et la maison d'Autriche, ainsi que les affaires de monseigneur le requerroient, d'une très belle coupe d'or pesant près de six cents écus, avec son couvercle garni de grosses perles, formant cinq trèfles de cinq perles chacune, et, entre chaque trèfle, une table de balais très fine, prisée, chacune des cinq tables, plus de trois cent cinquante florins d'or. Le pied de la coupe présentait aussi cinq trèfles de perles moyennes, et cinq autres tables de balais. Elle était surmontée d'une grande et belle émeraude. Le cardinal fut si ravi de la beauté de cette coupe, estimée plus de quatre mille florins d'or, qu'il crut devoir l'offrir au roi son maître. L'évêque de Paris, Étienne Poncher, reçut de la gouvernante des Heures magnifiques, achetées au prix de quatre cents écus d'or. Ces heures étaient ornées sur les deux fermoirs de deux superbes diamants. Pour tenir le livre ouvert, il y avait un grand balais longuet tout à jour que l'on estimoit plus de mille florins et auquel étaient attachés vingt-cinq cordonnets de soie garnis chacun d'une perle. Le comte de Carpy eut pour sa part deux grands et riches flacons d'argent rapportés d'Espagne par Marguerite. Elle n'oublia pas les hérauts, les huissiers et autres officiers inférieurs : il leur fut distribué de quatre à cinq cents écus d'or[75].

L'évêque de Paris et le comte de Carpy accompagnèrent la gouvernante jusqu'à Malines, et y assistèrent à la ratification des traités, le 26 décembre 1508. Le comte de Carpy se rendit ensuite dans la Gueldre, accompagné d'Antoine de Lalaing et de Laurent du Blioul, pour notifier à Charles d'Egmont les dispositions prises à son égard. Celui-ci refusa d'abord de s'y soumettre, mais comprenant qu'il lui serait impossible de prolonger la lutte sans l'appui de la France, il ordonna l'évacuation de Weesp et du château de Muyden. Ces places furent remis& aux commissaires de l'archiduc, le 24 janvier 1509. Cela fait, Hugues de Melun, le baron Amé de Viry, Mercurino de Gattinara et Jean Gaulier allèrent en France recevoir le serment de Louis XII, et, en même temps, lui rendre hommage, au nom de Marguerite, pour le comté de Charolais et les autres terres et seigneuries qui venaient d'être concédées à cette princesse en Bourgogne.

Pendant les conférences de Cambrai, où l'ambassadeur du roi d'Angleterre avait rendu de grands services à la gouvernante, Maximilien avait négocié lui-même avec le roi d'Angleterre une union depuis longtemps projetée et de nature à avoir pour l'Europe les plus importantes conséquences. Le 17 décembre 1508, sept. jours après la signature des traités de Cambrai, dans la grande salle du palais de Richemont, en présence du monarque anglais, de l'archevêque de Cantorbéry, des évêques de Londres, de Norwich, d'Ely ; du duc de Buckingham et d'une foule d'autres seigneurs, comparurent Jean de Berghes, Laurent de Gorrovod, le docteur Sigismond Phloug, André de Burge, commissaire de l'archiduc Charles, de l'empereur et du roi d'Aragon. Égide Van den Damme, secrétaire de Maximilien, donna lecture des lettres patentes qui constituaient le sire de Berghes procureur de l'archiduc pour procéder aux fiançailles de ce prince avec la princesse Marie d'Angleterre. La cérémonie s'accomplit immédiatement, et de Berghes passa au doigt de la princesse l'anneau des fiançailles ; l'acte en fut dressé par deux notaires et signé par tous les assistants[76].

Maximilien, toujours pressé d'argent, avait hâte de communiquer aux représentants du pays les résultats obtenus à Cambrai. Les états généraux, convoqués par lettres du 4 janvier 1509, se réunirent à Bruxelles le 21. Il leur fit demander eu égard aux grandes et excessives peines, travail, sommes, soins et diligence que le seigneur empereur avoit pris et prenoit pour garder et défendre les pays de par-deçà, les soulager et préserver de foule et oppressions, les mettre, maintenir et entretenir en bonne sûreté, paix, tranquillité et repos, et vu que, pour y entendre, il avoit pris la peine de venir par deçà, délaissant les grandes et nécessaires affaires qu'il avait. en Allemagne pour le fait de l'empire et autrement, et tellement y avoit fait traiter et besoigner, que, par le moyen de madame Marguerite, une bonne, sûre et honorable paix avoit été faite, accordée et conclue en la cité de Cambrai, entre lui et monseigneur l'archiduc, leurs alliés, royaumes, pays et sujets d'une part, et le roi de France et les siens d'autre part, entre lesquels messire Charles d'Egmont était compris, et avoit accepté et juré icelle paix, ils voulussent consentir et accorder, savoir : aux dits seigneurs empereur et archiduc la somme de cinq cent mille écus de quarante-huit gros monnaie de Flandre, pour une fois, et à madite dame quelque bonne somme en récompense des peines et. labeurs qu'elle avoit pris au fait et conduite de ladite paix. A payer les dites sommes en trois termes : un tiers comptant et les deux autres d'année en année, pour s'en aider et subvenir tant au payement des gens de guerre qui avoient servi en la guerre de Gheldre et à qui étoient encore dues de grandes et excessives sommes de deniers, que pour autres affaires nécessaires[77]. Après avoir reçu diverses autres communications relatives à la convention matrimoniale conclue avec l'Angleterre et à la reprise de possession de Weesp et de Muyden, les états s'ajournèrent au mois de février suivant.

A cette réunion, les avis furent tellement partagés qu'il fut impossible de rien conclure et qu'on fut obligé de s'ajourner de nouveau au 15 mars. Lors de cette troisième réunion, qui se tint à Anvers, les députés de la Flandre seule accueillirent complètement les propositions du gouvernement. Le Brabant refusa d'accorder plus de trois cent mille écus, et lés autres provinces se rangèrent à son opinion. En conséquence, il fut résolu, le 31 mars, que nonobstant les grandes et diverses charges, pertes et dommages qu'ils avoient eus et supportés tant à cause des guerres, logis de gens d'armes que autrement, les états des pays de Brabant, Hainaut, Hollande, Zélande, Namur, Lille et Valenciennes, accorderoient trois cent mille écus du prix de quarante huit gros, au profit de l'empereur et de l'archiduc, et tous les pays de par-deçà, soixante mille livres de quarante gros, pour une fois, à madame Marguerite, à condition qu'elle en donnât mille livres à chacun des deux conseillers de l'empereur, Sigismond Phloug et Jacques de Vilingher, qui l'avoient assistée. Ces aides étaient payables en trois années et en six termes, et il fut stipulé que chacun, pays, ville ou quartier, en serait quitte en payant sa droite quote et portion, selon le taux et ordonnance faite du vivant du duc Charles de Bourgogne, et que desdits trois cent mille écus une partie seroit employée au traitement et contentement des gens de guerre, afin que, faute de payement, lesdits pays ne fussent par eux foulés, travaillés et adommagés par logis ni autrement, et le surplus aux autres affaires nécessaires. Les états de Flandre accordèrent pour leur portion et quart de l'aide de cinq cent mille écus demandée, la somme de cent mille écus, et à Marguerite vingt-cinq mille[78].

Maximilien consacra une partie du mois de février à visiter la Flandre, qui semble avoir voulu effacer les souvenirs regrettables d'un passé encore récent par les démonstrations les plus éclatantes de respect et d'attachement. A Gand surtout, l'empereur, qui était accompagné du jeune archiduc et de la gouvernante, fut reçu de la façon la plus splendide. Il y fit son entrée le 23 février ; c'était un vendredi. Les rues avaient été décorées d'étoffes de diverses couleurs, les banderoles et les drapeaux aux armes de l'empire et de la Flandre flottaient sur les édifices publics et les hôtels principaux — steenen — ; deux arcs de triomphe s'élevaient majestueusement, l'un près du pont du Graven-steen, l'autre à un endroit qui n'est pas désigné. L'entrée eut lieu vers le soir. Toutes les corporations, avec leurs enseignes et leurs blasons, figuraient dans le cortège. Dix mille fantassins armés de piques, et vêtus de justaucorps rouges portant un bâton ferré — palster — brodé sur la poitrine et sur le dos, suivaient les corporations. Venaient ensuite deux mille cavaliers albanais à la tunique moitié rouge et moitié bleue. Ils étaient suivis par de nombreux chevaliers bardés de fer, au milieu desquels apparaissaient l'empereur et son petit-fils, montés sur de beaux destriers richement harnachés. Leur armure était étincelante, merveilleusement ciselée, mais au lieu d'un casque surmonté de longs panaches flottants, ils avaient la tète couverte d'un feutre blanc. Autour d'eux, on voyait la gouvernante Marguerite, un comte palatin du Rhin et le prince de Saxe. Ils étaient escortés par les hauts dignitaires du pays, parmi lesquels on remarquait Jacques de Luxembourg, seigneur de Fiennes, gouverneur de Flandre, et par la noblesse flamande et allemande. La marche était fermée par les officiers de la cour et par les gens de la maison de l'empereur.

Une députation composée de Philippe de Gruutere, premier échevin de la Keure, de Gérard Van der Oyen, premier échevin des parchons, de Jean Damman et Josse de Vechterer, échevins de la Keure, de Claude Goetghebuer et Liévin Borluut, échevins des parchons, et de Jean Wouters, pensionnaire de Gand, était allée au devant de ces hôtes illustres. Sur le passage du cortège, quatre théâtres avaient été dressés. Le premier était destiné à la société de la Fontaine, la plus ancienne de la ville ; le second à celle de Sainte-Agnès, dite de Boomlooze-mande, dont l'origine était presque aussi ancienne ; la troisième et la quatrième aux sociétés de Maria i'eeren et de Sainte-Barbe, dont l'existence datait des dernières années du XVe siècle. Près de deux mille torches éclairaient la marche du cortège, sans compter les milliers de flambeaux et de lanternes, dont les habitants avaient orné leurs demeures.

Dans la matinée du 25 février, l'empereur se rendit, avec tout l'appareil de la puissance, au marché du vendredi, où il jura solennellement, en qualité de mambourg et de tuteur du jeune comte de Flandre, de maintenir et de respecter les privilèges du pays. Il passa ensuite à l'Hoog-Huis, vaste édifice situé sur le même marché, pour y recevoir le serment de fi élité des quatre membres de Flandre et du magistrat de Gand. Quelques heures après, les trompettes et les clairons annoncèrent le commencement d'un tournoi à outranceeen Tormog mortel dat score was met scerpen glaiven, XXII personen teghen XXII —, dont la proclamation avait été faite avec toutes les formalités prescrites.

La lice avait été construite au milieu du marché, avec ses tribunes pavoisées et sa double rangée de barrières. Quatre cent soixante charretées de sable avaient été jetées dans la carrière, où vingt-deux chevaliers flamands devaient lutter avec l'épée, la lance, la hache et la masse d'armes, contre vingt-deux chevaliers allemands de la suite du comte palatin et du prince de Saxe. La lutte fut longue et sanglante. Un chevalier flamand d'une haute stature se faisait remarquer entre tous par la vigueur de ses coups. On le reconnaissait à son blason armorié d'azur à trois cerfs passants d'or, et écartelé des armes de d'Ailly de Formelles de gueules, au chef échiqueté d'argent et d'azur de trois traits et à la bordure engrêlée d'or : c'était Baudouin Borluut, seigneur de Schoonberghe. Déjà il avait fait mordre la poussière à deux chevaliers allemands, lorsqu'un troisième l'attaque avec tant d'impétuosité que l'issue du combat reste quelque temps douteuse. Borluut, enfin, brandissant sa hache d'armes, en assène un coup si terrible sur la tête de son adversaire que celui-ci vient rouler à ses pieds vaincu et sanglant. Le chevalier flamand reçut le prix de la victoire, et, selon l'ancien usage, il tint la lice ouverte pendant quatre jours contre tout venant.

L'empereur resta à Gand pendant quinze jours, pendant lesquels ce ne furent que réjouissances et festins. Le magistrat lui donna deux splendides banquets, l'un à l'hôtel de ville, et l'autre au Collatie-zolder, antique bâtiment isolé sur l'immense place du vendredi. C'était dans la salle du premier étage que se réunissaient les chefs des corporations et les principaux bourgeois pour délibérer sur les affaires de la commune. Ce fut aussi dans cette salle qu'eut lieu le banquet offert à la famille impériale. Les murs nus et blanchis à la chaux étaient cachés sous de riches et épaisses tentures de diverses couleurs, sur lesquelles brillaient les armes de l'empire, de la Flandre et de Gand. D'ingénieuses devises et des chronogrammes de toute espèce, en langue flamande, française et latine, se mêlaient gracieusement à l'ornementation générale. Les comptes de la ville nous apprennent que les vaisselles d'argent et d'étain appartenant à la commune y figurèrent sur des dressoirs ; que deux boutilliers versèrent constamment le vin du Rhin et le vin de Beaune, et que la musique ne cessa de se faire entendre pendant tout le repas[79].

Maximilien employa le reste du temps qu'il passa en Belgique à une tâche beaucoup moins agréable. Il fallait s'efforcer de contenter les gens de guerre qui, en attendant le payement de leur solde, couraient le pays, maltraitaient les habitants et rançonnaient les voyageurs. Des reitres du comte de Nassau avaient surpris un couvent de femmes à Herkenrode, dans le pays de Liège, l'avaient pillé et saccagé. Mis en fuite par le prévôt de Hasselt qui était accouru avec quelques milices liégeoises, ils perdirent beaucoup des leurs, et, sur les plaintes d'Érard de la Marck, le comte fit pendre les plus coupables[80]. Une autre bande enleva un convoi de draps de Malines en chemin pour Francfort, et il fallut longtemps parlementer avec les chefs pour obtenir la restitution de ce riche butin. Antoine de Lalaing, seigneur de Montigny, et Pierre Imbrechts, secrétaire de Malines, qui avaient conduit cette négociation, conclurent avec des capitaines des Allemands licenciés une convention destinée à prévenir le retour de ces actes de brigandage[81]. La détresse du trésor était telle qu'à la suite d'un arrangement qui réduisait à quarante-sept mille livres les prétentions du duc de Clèves, pour le payement de son contingent, on ne parvint à lui payer qu'un à-compte de sept mille livres[82].

Sur ces entrefaites, une levée d'impôts ordonnée par la gouvernante dans le 3ommelerweerd, fournit à Charles d'Egmont un prétexte pour reprendre les armes. Marguerite envoya sur le champ en Gueldre son maitre d'hôtel, Jérôme Vent, pour protester contre ces armements, et pressa le cardinal d'Amboise d'intervenir pour empêcher des hostilités qui, en retenant l'empereur dans les Pays-Bas, lui retourneroient à merveilleux regret et desplaisir[83]. Maximilien, de son côté, était venu de Gand à Anvers se concerter avec sa fille, et s'était dirigé en toute hâte sur Bois-le-Duc. Charles d'Egmont, sourd aux représentations, venait de surprendre Kessel, quand fut décidée l'ouverture de conférences à Liège, pour aplanir les différends avec la Gueldre, en exécution du traité de Cambrai. Louis XII prit de nouveau l'engagement, à cette occasion, d'interdire à ce prince et à ses partisans toute reprise des hostilités.

Rien ne retenait plus Maximilien dans les Pays-Bas. Avant son départ, il rétablit, par lettres patentes datées d'Anvers, le 18 mars 1509, Marguerite dans ses fonctions de régente et gouvernante, pour régir et administrer les pays d'en deçà et en son absence et jusqu'à son retour, et pour exercer la tutelle mambournie de la personne de son petit-fils, ordonnant à chacun d'obéir à la princesse comme à lui-même[84]. Il accepta ensuite la démission du prince de Chimai, qui avait résigné les fonctions de gouverneur de l'archiduc Charles en faveur de son neveu, le seigneur de Chièvres. En même temps et du consentement de ce dernier, l'empereur investit Jean de Berghes des offices de gouvernante, bailliage, châtellenie et véneries des comté et pays de Namur[85]. La charge de chancelier de Brabant, vacante par le décès de Jean Van der Vorst, fut conférée au président du conseil privé, Jean le Sauvage.

Ce fut avec de vives inquiétudes que Maximilien quitta nos provinces. Le 29 avril, la veille du jour où il allait passer la Meuse, il écrivait à Marguerite : je prie Dieu de vous donner bonne fortune, car il me semble que mon cousin d'Egmont vous causera beaucoup de tracas. J'eusse volontiers, dans l'intérêt de mon petit-fils, agi de ma personne contre lui, mais depuis que j'ai appris que les états se sont mutinés contre moi, au profit des Gheldrois, leurs bons amis et futurs parents, je me suis décidé à tout remettre à la volonté de Dieu. Chaque jour, m'arrivent de mauvais rapports des états : les uns m'accusant de vouloir, de concert avec quelques vassaux de la Hollande, avec le seigneur d'Ysselstein, entre autres, rompre la paix de Cambrai, dont je serois mécontent, tandis que, si la paix est rompue, le fait ne doit être imputé qu'à Charles d'Egmont, leur idole ; les autres répandant le bruit que mon intention n'est pas de retourner en Allemagne, mais de rester aux Pays-Bas, y coquiner et délapider leur argent[86].

Les craintes de Maximilien n'étaient que trop fondées. Les commissaires des Pays-Bas attendirent vainement à Liège les ambassadeurs du roi de France et les délégués de Charles d'Egmont. Ni les uns ni les autres ne parurent au jour indiqué. La perspective d'une nouvelle guerre devenait imminente, et il fallait s'y préparer sans délai. Comme il n'y avait plus à compter sur la générosité des états, Marguerite se vit obligée de mettre en en gage plusieurs parties du domaine, telle que la terre de Montfort sur laquelle le comte de Hornes prêta environ quatorze mille livres, et le pays de Kessel qui fut hypothéqué au seigneur d'Ysselstein pour une somme de seize mille livres. Elle se rendit elle-même en Hollande pour surveiller de plus près la marche des évènements. Au mois de décembre, elle obtint des états une aide de soixante-dix mille livres destinée à payer les troupes chargées de la garde des territoires voisins du Cambrésis et de la Gueldre. L'hiver fut consacré aux préparatifs d'une lutte qui semblait inévitable. Cet hiver fut attristé par d'autres calamités. Les eaux couvrirent une partie de la Frise et de la Hollande. A la suite de cette inondation, des maladies épidémiques exercèrent de grands ravages, à Harlem surtout, à Leyde et à Monnikkendam.

Dans les premiers mois de l'année 1510, Marguerite visita la Flandre. Maximilien lui écrivit à ce sujet : Nous sommes adverti qu'estes delibérée d'aller visiter nos sujets de Flandres, dont sommes bien joyeux et désirons que, en leurs affaires, leur faites toutes faveurs que pourrez[87]. Cette année se consomma presque entièrement en négociations ; des deux parts on reculait devant une rupture ouverte. Il avait été convenu entre les ambassadeurs de Maximilien et les ministres de Louis XII de tenir une journée à Tournai vers la mi-février, mais les Gueldrois s'opposèrent au choix de Tournai, puis à celui de Cambrai proposé par les ministres français, en alléguant que ces villes étaient trop éloignées. Il fut enfin décidé que les négociations s'ouvriraient à Liège le 1er mars. IL avait été convenu que, pour aplanir les premières difficultés, des conférences préliminaires auraient lieu, le 2 janvier, à Schoonhoven, entre des députés de la Gueldre et des délégués du Brabant et de la Hollande.

Ce commencement de négociations faillit brouiller la gouvernante avec la puissante famille qui avait le plus contribué à l'établissement de la maison de Bourgogne en Gueldre. Le comte de Buren se plaignit avec amertume de ce qu'au mépris de ses promesses, l'empereur traitait avec Charles d'Egmont sans l'avoir prévenu : De quoy, écrivait-il à Marguerite, je ne me puis bonnement contenter, ni ne feront les autres qui se sont donnés à l'obéissance du feu roi votre frère et à mondit seigneur l'empereur... Madame, ni vous, ni ceux qui se meslent de ce faire, ne cognoissent nos affaires et ce qui nous touche. Pourquoi, ma très redoutée dame, je vous prie de ma part qu'il vous plaise y avoir regard et de cognoitre ceux qui ont été loyaux à votre père, à vous et à vos prédécesseurs de la maison de Bourgogne, à laquelle je ne fis oncques faute, ni jamais, ferai, si Dieu plait ; en vous priant, en outre, au cas qu'il vous plût faire quelque appointement ou traité sans nous autres, que vous nous quittiez notre serment et nous laissiez faire notre mieux, car nous sommes d'opinion garder nos biens et notre honneur le mieux que pourrons[88].

Marguerite n'en poursuivit pas moins l'œuvre commencée. Le 31 janvier 1510, Maximilien lui renvoya, avec quelques modifications, le projet de traité arrêté par elle comme base des négociations. L'empereur la chargeait, en même temps, de rappeler à Charles d'Egmont qu'il s'était engagé naguère, dans le cas où on lui laisserait la tranquille possession de ses états, à ne jamais se marier, à payer une grosse somme d'argent comme indemnité des dommages qu'il avait causés, à remettre à, l'archiduc plusieurs de ses places pour assurer le défense du Brabant, enfin à tenir en arrière fief de ce duché la Gueldre qui, après sa mort, retournerait à l'empereur. Mais les temps étaient changés, et la puissance du prétendant s'était fort accrue. Aussi les villes de la Hollande, pressentant sans doute l'inutilité des négociations, se dispensèrent d'envoyer des députés à Schoonhoven. Lorsque le roi d'armes Toison d'or vint s'en expliquer avec Charles d'Egmont et l'inviter à nommer ses représentants à la journée de Liège, celui-ci répondit qu'il n'avait reçu à ce sujet aucune communication de Louis XII. Repoussant le reproche d'infraction au traité de Cambrai, il prétendit avoir été contraint de prendre les armes pour repousser les incursions des Hollandais et des Brabançons, et ne s'être emparé de la ville de Kessel que pour se mettre en mesure de recouvrer son territoire. Puis, inquiet sur le sort de son chancelier resté à Schoonhoven, il retint l'envoyé de Marguerite jusqu'au retour de cet officier ; alors, en le congédiant, il déclara nettement à Toison d'or qu'il se souciait peu d'une trêve, attendu qu'en présence des dispositions malveillantes des conseillers de la gouvernante, la guerre lui serait moins préjudiciable[89]. Ces reproches s'adressaient surtout à Henri de Nassau et au seigneur d'Ysselstein, qui étaient généralement accusés de pousser à la guerre, Marguerite elle-même semblait le reconnaître, quand elle se plaignait de l'emportement d'aucuns désirant la guerre et non la paix[90].

Bientôt surgirent de nouvelles complications. A la suite d'un dissentiment au sujet de quelques places qu'il disputait à l'évêque d'Utrecht, Charles d'Egmont se jeta inopinément sur l'Overyssel. Il avait pris à sa solde deux mille piétons licenciés du service de Danemark, et il comptait sans doute profiter des troubles qui agitaient alors les états de l'évêque Frédéric de Bade. L'entreprise toutefois n'eut pas le résultat qu'il en attendait. Ses bandes, repoussées dans une tentative sur Deventer et surprises dans leur retraite .per les milices de Campen, éprouvèrent de grandes pertes ; les prisonniers, traités en brigands, périrent sur la roue ou sur l'échafaud. Le seigneur d'Ysselstein se joignit aux troupes de l'évêque, et chassa les Gueldrois de la contrée. Frédéric de Bade voulut profiter de ce succès pour dompter l'insurrection des habitants d'Utrecht : le seigneur d'Ysselstein lui vint en aide, porta le ravage jusqu'aux portes de la ville, et éleva sur la Lech un fort destiné à contenir cette cité si redoutable à ses évêques. A peine se fut-il éloigné que ceux d'Utrecht se jetèrent sur ses terres, et y exercèrent de terribles représailles ; puis, renforcés par un corps considérable de troupes gueldroises, ils investirent le nouveau fort. Revenant aussitôt sur ses pas, d'Ysselstein força les assiégeants dans leur camp et leur fit essuyer une sanglante défaite. Ce revers amena la soumission des habitants d'Utrecht, et obligea Charles d'Egmont à conclure une trêve d'un an avec Frédéric de Bade.

Cette trêve était arrivée fort à propos, car, à la nouvelle des derniers évènements, Maximilien avait enjoint à la gouvernante de prêter assistance à l'évêque, son parent et son allié. lin vain avait-elle objecté que ce serait recommencer la guerre, neutraliser d'avance l'effet des conférences de Liège, faire naître grands maux et inconvénients, il lui avait été répondu qu'il importait de soutenir un prince qui avoit toujours été pour la maison de Bourgogne contre les Gheldrois, et qu'il fallait, non seulement lui envoyer des secours, mais assiéger immédiatement Wageningen pour opérer une diversion à son profit. Ces ordres réitérés n'arrivèrent heureusement qu'après que des deux côtés on eut déposé les armes.

Les conférences de Liège s'ouvrirent sur ces entrefaites. Un projet de mariage entre Charles d'Egmont et l'archiduchesse Isabelle, qui n'avait pas encore neuf ans, formait le base des négociations. Mais on était loin de s'entendre sur les conditions. Après de longs pourparlers, les conférences furent rompues et. les ambassadeurs quittèrent Liège vers la fin de décembre. La gouvernante était sans argent, et il fallait, sans perdre un moment, couvrir le Brabant et la Hollande contre d'imminentes hostilités. Elle avait résolu tout d'abord d'assembler les états généraux, de leur exposer les efforts infructueux tentés pour obtenir la paix, et de leur demander conseil et assistance pour-la défense du pays. Mais peu rassurée sur la disposition des esprits, elle se borna à envoyer des commissaires dans les provinces, et en obtint quelques aides pour parer aux premières éventualités[91]. Pendant que de nombreuses levées de piétons et de pionniers étaient dirigées en toute hâte sur Bois-le-Duc et sur les frontières de la Gueldre, elle traita avec le duc de Clèves pour obtenir de la cavalerie, et entama de nouvelles négociations avec ce prince, et avec le duc de Juliers, l'archevêque de Cologne et l'évêque de Munster. Il fut résolu que des conférences se tiendraient à Diest entre ces potentats, tous plus ou moins menacés par Charles d'Egmont.

La guerre éclata bientôt, mais les premières hostilités se passèrent entre le seigneur d'Ysselstein et les habitants d'Utrecht, devenus ses ennemis particuliers depuis son intervention en faveur de leur évêque. Sur les réclamations des états d'Utrecht, Marguerite avait ordonné à ce seigneur de déposer les armes, et avait demandé à Charles d'Egmont un sauf-conduit pour son maître d'hôtel Jean d'Ostin, qu'elle députait vers lui, disait-elle, afin de remédier au mal par voie de douceur. Or le jour même où cet envoyé arrivait auprès de lui, le 6 février 1511, une troupe de Gueldrois surprit Harderwyk[92]. On apprit bientôt, en outre, que des émissaires provoquaient des soulèvements dans la mairie de Bois-le-Duc. Alors Utrecht rompant ouvertement avec son évêque, reconnut Charles d'Egmont pour avoué, et ses milices, pénétrant au cœur du territoire de son plus redoutable ennemi, vinrent mettre le siège devant la place même d'Ysselstein[93].

Marguerite était persuadée que Charles d'Egmont n'avait pas recommencé la guerre sans l'appui de la France, et on l'accuse d'avoir fait périr sur la roue quelques Français qui avaient servi parmi les Gueldrois. Louis XII niait en vain toute participation aux entreprises de ces derniers, jurant qu'il n'avait fourni à Charles d'Egmont ni hommes, ni argent, et le traitant de fou, de mauvaise et de perverse teste qu'il vouloit que le diable emportast ; en vain exhibait-il des lettres dans lesquelles il lui enjoignait de se tenir en repos et de restituer Harderwyck : Marguerite n'en persistait pas moins dans ses soupçons. Quoi que le roi de France, écrivait-elle à son père le 15 avril, vous fasse quant à ce dire ou escrire, je sais et cognois assez qu'il assiste et favorise ledit messire Charles, et n'est pour rien délibéré de l'abandonner, quoi qu'il lui doive couster. Elle ajoutait ensuite : En oultre, je vous advertis comme puis naguères avans les marchands de par deçà au nombre de plus de quatre vingts en chemin pour aller à Francfort, assez près de Bologne, y sont survenus cent chevaux gheldrois qui ont rué jus lesdits povres marchans, et iceux prins et mené én forte et estroite prison, tellement que ils sont délibérés les mettre à grandes ranchons qui excéderont la somme de Cm florins ; qu'est retourné à grand esclandre et perte desdits povres marchans dont par ceux d'Anvers et de Malines ils nous ont fait faire leurs doléances. Sur quoi en avons escrit par tout ail il appartenoit ; mais l'espoir y est bien petit, et si nous en demourra la honte et deshonneur. Au demeurant, monseigneur, je suis advertie que le mariage d'entre ledit messire Charles de Gheldres et la fille du duc de Clèves se traite présentement par le moyen des seigneurs de Cologne et de Juliers, et que les choses sont desjà, par la pratique du roi de France qui s'en veut entremesler, fort avancées, tellement qu'on en espère bonne yssue. Se dit aussi que après ils feront entre eux quelque secrète ligue et alliance dont, monseigneur, je vous advertis et supplie y vouloir penser afin d'y pourvoir[94].

Charles d'Egmont, de son côté, après avoir désavoué d'abord la prise de Harderwyck, finit par déclarer que à son grand dommage et destruction de ses sujets il avoit déjà. rendu Weeps et Muyden, et qu'il lui étoit impossible de se dessaisir d'une ville qui lui avoit volontairement ouvert ses portes. Si je parvenois, ajoutait-il, à ravoir toutes mes villes de la même manière, je le ferois sans croire pour cela enfreindre le traité de Cambrai. Je suis pauvre, et il m'est plus besoin de ravoir le demeurant que d'en osier de mes mains[95]. Les habitants d'Utrecht, à leur tour, sourds aux remontrances comme aux menaces de Maximilien et de Marguerite, refusèrent formellement de lever le siège d'Ysselstein. Marguerite était tellement persuadée qu'ils agissaient par les instigations secrètes de la France, qu'ayant été informée d'une entrevue prochaine entre des agents de Louis XII et de Charles d'Egmont, elle ordonna de garder tous les passages pour s'emparer de ces envoyés[96].

Marguerite, on le voit, était loin de manquer d'activité et d'énergie. Dès les premiers actes d'hostilité, elle avait ordonné à tous gentilshommes et officiers œ réunir leurs gens pour exploiter la guerre contre les Gheldrois ; elle avait elle-même levé quinze cents lansquenets et trois cents reîtres. Mais Maximilien montrait beaucoup moins d'ardeur. Il écrivait à sa fille que ung grand chasteau ne s'édifie pas en ung jour, et parlait de mettre la Gueldre et messire Charles au ban de l'empire. Dans l'intervalle, l'ennemi agissait. Dans les premiers jours de mai, Charles d'Egmont se rendit de sa personne au siège d'Ysselstein avec cent quatre-vingts chevaux et de l'artillerie. Le 28 du même mois, un de ses capitaines, Thierri de Haeften, cachant ses soldats dans un bateau chargé de fagots, surprit Bommel, dont la population se prononça aussitôt en faveur de son maître. Le même jour, huit cents Gueldrois firent une tentative du côté de Tiel, mais s'en trouvèrent fort mal. Assaillis par la garnison et mis en pleine déroute, ils laissèrent la moitié des leurs aux mains des vainqueurs.

A la nouvelle de la prise de Bommel, Henri de Nassau, Philippe de Bourgogne, .les sires de Beveren et de Walhain réunirent leurs forces et coururent au secours d'une redoute qui tenait encore. Quand ils arrivèrent, elle était tombée au pouvoir de l'ennemi. Pour venger cet échec, ils résolurent de se joindre à Florent d'Egmont et de délivrer Ysselstein. Les gens d'Utrecht, renforcés par les troupes que leur avait amenées Charles d'Egmont, avaient établi devant cette ville deux camps, où se trouvaient réunis seize cents lansquenets, trois cents cavaliers et deux mille hommes de milice. En rompant, au dessous de Schoonhoven, la digue de la Leck, dont les eaux couvraient tout le territoire entre cette ville et Krimpen, les assiégeants s'étaient mis à l'abri des surprises, et avaient rendu l'arrivée des secours extrêmement difficile. Quoique cette inondation l'eût obligé à un détour de six lieues, Florent d'Egmont opéra le 1er juin sa jonction avec Henri de Nassau, Antoine de Berghes, sire de Walhain[97], le sire de Beveren et le sire d'Aimeries, qui avait rejoint ces derniers. A midi, ils parurent devant Ysselstein. A leur approche, les assiégeants avaient abandonné leur camp et s'étaient mis en pleine retraite. Une courte escarmouche s'engagea entre la cavalerie et les gens d'Utrecht, qui se retiraient ni de tout en bon ordre, ni de tout en désarroi. Mais lorsque ceux-ci eurent assuré leur retraite en détruisant les ponts, ils se débandèrent pour regagner Utrecht et Montfoort. Dans cette affaire, écrivaient ces seigneurs à la gouvernante, nous avons gaigné deux serpentines et ung mortier, aucun vivres et l'honneur[98].

Charles d'Egmont s'était retiré d'abord à Utrecht, mais les habitants ayant fermé les portes à ses troupes, il en partit le 3 juin. Il ne tarda pas toutefois à y revenir. Sa présence ranima les courages, et les bourgeois déclarèrent aux nouveaux envoyés de Marguerite[99] que leur intention n'estoit de renoncer à l'alliance de monsieur de Gueldre. Le 27 juin, le commandant du château de Hottem, Philippe de Reck, livra cette place à deux capitaines gueldrois, Guillaume Van Rossem et Henri de Meerveld, pour une somme de huit mille florins d'or. Charles d'Egmont, enhardi par ce succès, recruta des troupes, et poursuivit activement ses menées dans les villes de la Gueldre encore occupées par ses ennemis, et même en Hollande et dans le Brabant. Ses émissaires à la cour de France assuraient que, si le roi lui fournissait seulement cinquante lances, il se rendrait maitre de la moitié de ce duché[100].

Marguerite cependant n'était pas restée inactive. Elle avait poussé ses armements avec célérité[101], et ordonné de resserrer Bommel le plus étroitement possible. Le seigneur d'Ysselstein, renforcé par des milices de Malines sous les ordres de Rombaut Boyenhals[102], défit complètement une division gueldroise chargée de ravitailler cette ville. Puis, après avoir déjoué une nouvelle tentative de Charles d'Egmont sur Tiel, il menaça Utrecht, ne se sentant pas assez fort pour l'assiéger. En même temps, il ravageait les environs ; et, ayant été rejoint par Jean de Wassenaar, il surprit, à la tète de deux cents chevaux et de six cents fantassins, une troupe de Gueldrois, qui tous furent pris, tués ou noyés dans les fossés de la place. De leur côté, les Hollandais armèrent seize navires de guerre, donnèrent la chasse aux corsaires et en purgèrent complètement le Zuiderzée[103].

Alors Marguerite, montrant courage d'homme et non pas de femme, crut le moment venu de frapper un grand coup. Louis XII avait chargé son ambassadeur dans les Pays-Bas de se rendre à Hardewyk et à Bommel pour ramener ces villes sous l'obéissance de l'archiduc, et sommer Charles d'Egmont de les évacuer. La gouvernante, toujours méfiante à l'endroit de la France, déclina toute part à ces négociations, et déclara à l'ambassadeur qu'il était libre de se rendre en Gueldre, mais que ses démarches n'arrêteraient en rien les opérations militaires. L'ambassadeur se le tint pour dit, et renonça à son voyage. Une vigueur nouvelle semblait présider à tous les actes du gouvernement. Le 19 juillet 1511, les états du Brabant votèrent une aide de quatre-vingt mille livres pour entretenir, pendant quatre mois, six cents chevaux et trois mille piétons. D'autres provinces accordèrent également des subsides extraordinaires. Henri VIII, roi d'Angleterre, qui avait succédé à son père Henri VII en 1509, s'engagea à fournir, pour un terme de trois mois, un contingent de quinze cents archers[104], et cette vaillante troupe débarqua bientôt après à Armuyden. On comptait aussi sur quelques forces espagnoles promises par Ferdinand moult bien affectionné, disait-il, d'aider à destruire ce larron de Gueldre et mettre en obéissance ces mauvaises gens[105]. Quant à l'armée nationale, elle présentait un effectif d'environ quinze cents chevaux et six mille fantassins. On y voyait, entre autres, les gens d'armes du comte de Nassau et du seigneur d'Aimeries, cinq cents compagnons de guerre du comté de Namur sous les ordres du seigneur de Walhain, les milices du Brabant wallon sous leur bailli Paul Oeghe, et un corps bruxellois commandé par deux braves capitaines, l'amman sire Roland de Mol, seigneur de Wespelaer, et Éverard t'Serclaes, fils du chevalier noir. L'artillerie, fournie en partie par Henri VIII, comptait quatorze bons courtauds et vingt-six serpentines avec leur attirail complet... Les capitaines disoient que jamais il n'y en avoit eu de plus belle[106].

Marguerite distribua vingt-mille florins. à ses troupes pour les encourager, et elle s'établit de sa personne à Anvers, voulant être plus rapprochée du théâtre des événements. Malheureusement de nouvelles causes de retard surgirent. Henri de Nassau, que Maximilien venait de nommer lieutenant et capitaine général des pays de Brabant et d'Outre-Meuse, et chef et conducteur des gens de guerre, tomba malade. L'amiral Philippe de Bourgogne, appelé à le remplacer, le devint également. Enfin, après beaucoup d'hésitation, Marguerite fixa son choix sur Florent d'Egmont, seigneur d'Ysselstein[107], brave et habile capitaine, mais qui se brouilla, dès le principe, avec le commandant des Anglais, sir Edward Ponyngs.

Les opérations commencèrent vers le milieu du mois d'août, d'après un plan arrêté dans un conseil de guerre tenu par les seigneurs d'Ysselstein et d'Aimeries avec sir Edward Ponyngs. Tandis que le corps principal, parti de Bois-le-Duc, menaçait Bommel et attirait. sur ce point l'attention de l'ennemi, le seigneur d'Ysselstein entra dans la Woluwe par le pays d'Utrecht, et emporta Wageningen presque sans coup férir. Puis, opérant sa jonction avec les troupes en marche sur Bommel, il en laissa une partie pour couvrir la construction de deux redoutes destinées à contenir la garnison de cette ville, et s'établit avec le reste à Arssen, d'où il menaçait à la fois Venloo et Ruremonde. Sa marche avait été si habile et si rapide, que tout faisait présager la prise prochaine de ces deux places. Un nouveau mécompte vint paralyser des opérations si bien commencées. Manquant de vivres et de munitions, l'armée dut attendre longtemps à Arssen la poudre demandée au duc de Juliers et à l'archevêque de Cologne.

Ce retard causa de vives alarmes à Marguerite, qui avait entrepris cette campagne contre l'avis de son conseil, dont les membres de robe courte et longue, disait-elle, se retirent arrière[108]. Sans appui, agitée de mille craintes, elle ne voyait partout qu'indifférence ou trahison. Elle renvoya à Malines Charles et ses sœurs, en recommandant très expressément de les garder avec le plus grand soin, car aujourd'hui, disait-elle encore, l'on ne sait en qui l'on se doit fier[109]. Elle envoya aux ducs de Clèves et de Juliers Jean de Metteneye, seigneur de Marques, afin de réclamer l'assistance qu'ils lui devaient comme vassaux de l'empire, mais ils faisoient sèche réponse et vouvoient vendre leurs services bien cher[110]. Informée des intelligences de Charles d'Egmont avec la France, elle avait vainement cherché à s'emparer d'un de ses émissaires au retour[111]. Des ordres furent donnés aux magistrats des villes, et aux officiers et gentilshommes des provinces frontières d'estre prets et en armes pour, par son de cloche ou autrement, empescher la descenthe des Franchois en Gueldre, et pour faire leur service à l'archiduc[112]. Les dispositions de Robert de la Marck paraissaient des plus menaçantes. Des bandes de lansquenets, arrivant homme par homme, se réunissaient dans la terre de Fleuranges et dans le pays de Liège. Le marquis de Bade fut prévenu qu'ils projetaient de surprendre Ivoy, où le prévôt de Chiny envoya sur le champ vingt-cinq hommes de sa prévosté, bien enbastonnés. On travailla à fortifier les principales places, notamment Bastogne, La Roche et Marche. Maximilien ordonna lui-même à tous nobles et vassaux tenant fiefs ou arrière-fiefs d'estre montés et abastonnés comme il convient, et à ceus des villes et plat pays d'estre prets chacun dans son quartier[113].

Pourvue enfin de poudre et de munitions, l'armée investit Venloo, où Florent d'Egmont s'était ménagé des intelligences, mais le coup de main sur lequel il comptait échoua, et il fallut en venir à un siège régulier. La place avait une garnison de huit cents hommes, assurés du concours de toute la population. On était décidé des deux parts à lutter avec acharnement, car Venloo pris entraînait la soumission de Ruremonde et de toute cette partie de la Gueldre. La possession de cette ville, qui était comme la clef du Brabant et du pays d'Outre-Meuse, fermait le chemin de la Gueldre aux Français et aux Liégeois, et rendait la sécurité au commerce avec l'Allemagne. Aussi rien ne fut négligé pour renforcer l'armée assiégeante. Malines envoya huit couleuvrines, et Bruxelles presta certaine quantité de pouldre de canon[114]. Jean de Berghes vint rejoindre son fils avec un corps de cinq cents Namurois, bientôt suivis de nouveaux contingents levés dans le Brabant et en Hollande. Le comte de Hornes, Jean de Metteneye, Wasco de Goesmaere, conseiller et chambellan de l'empereur, et les capitaines Adrien de Succre, Simon François et Jean de Berles arrivèrent successivement devant Venloo avec leurs gens. Tous les charretiers du Brabant, tous les chariots et les chevaux des abbayes furent mis en réquisition pour le transport des munitions. Les aides précédemment votées et celles qu'on obtint encore[115] ne suffisant pas, Marguerite affecta aux besoins de l'armée les fonds alloués pour la maison de l'archiduc, emprunta quinze mille cinq cents livres à la ville d'Anvers[116], et demanda à Maximilien l'autorisation de disposer de vingt mille écus qu'il attendait d'Espagne, avec la promesse de le rembourser au double à la fin de la guerre. Elle-même avait déjà avancé plus de dix mille livres de ses deniers, et elle était décidée à y mettre tout ce quelle avoit, car elle voyait en jeu les plus grands intérêts de son père et de son neveu[117]. A sa demande, eurent lieu des prières publiques et des processions pour le succès du siège de Venloo et de la guerre, avec la moindre effusion du sang humain que faire se pourroit.

Tant de vœux, d'efforts, de sacrifices étaient condamnés à rester stériles. L'insuffisance du matériel de siège et des munitions ne permit pas de pousser l'attaque avec toute la vigueur désirable. Les assiégés, d'autre part, déployèrent le plus actif et le plus inébranlable courage. Les femmes même prirent part à la défense, et l'on vit l'une d'elles, dans un assaut, abattre d'un coup de pierre un enseigne, et lui enlever sa bannière. Un pan de muraille avait été renversé, et les assiégeants s'étaient précipités sur la place. Après plusieurs heures d'une lutte furieuse, ils furent repoussés et laissèrent sur la brèche un nombre considérable de morts et de blessés. Marguerite envoya de nouveaux renforts ; Henri VIII prolongea de trois mois le terme de service de ses vaillants archers. Tout cela fut inutile, et un nouvel assaut n'eut pas plus de succès que le précédent.

Pendant que Venloo retenait devant ses murs presque toutes les forces des Pays-Bas, des bandes gueldroises, grossies par des aventuriers des contrées voisines et particulièrement du pays de Liège, se jetèrent sur le Brabant, ravageant, pillant, incendiant tout sur leur passage. Il fallut rassembler au plus vite, et au son de la cloche, de nouvelles milices dans le Brabant wallon. Tous les hommes en état de porter les armes s'établirent sur les frontières du territoire liégeois, où ils occupèrent Haelen et Landen. Le pays fut vite purgé de ces bandes de brigands : tous ceux dont on parvint à s'emparer furent pendus sans miséricorde. Les hostilités revêtirent le même caractère sur un autre élément. Un vaisseau hollandais, ayant capturé sur le Zuiderzée un corsaire gueldrois, en jeta l'équipage à la mer. Les choses en étaient venues au point que des deux côtés on ne gardait plus de ménagement.

A la nouvelle de l'échec essuyé devant Venloo, Maximilien conseilla de lever le siège. Florent d'Egmont et sir Edward Ponyngs insistèrent pour le continuer, se croyant certains d'un prochain succès. Marguerite accorda huit jours. On était arrivé au mois d'octobre ; les pluies d'automne entravaient les travaux des nouvelles batteries, et, le délai expiré, la brèche n'était pas praticable. Le 18 novembre, nouvelle lettre de Maximilien : il conseillait de nouveau de se retirer, en jetant dans Wageningen une forte garnison. La lettre n'était pas encore parvenue à Marguerite, lorsque les assiégeants, comptant sur les intelligences qu'ils avaient dans la place, tentèrent un dernier assaut et furent encore repoussés avec perte. Peu de jours après, les Gueldrois, profitant d'une nuit obscure, trouvèrent moyen de ravitailler la ville. Toutes les illusions furent alors dissipées, et le seigneur d'Ysselstein se décida enfin à lever un siège commencé depuis quatorze semaines.

Marguerite s'affligeait, outre mesure de tous ces revers. Elle les attribuait au défaut d'énergie et à l'insuffisance des chefs[118]. On lui avait fait aussi des rapports compromettants sur la fidélité des auxiliaires allemands, qui avaient été employés au siège[119].

Maximilien la consola en lui faisant espérer qu'il prendrait lui-même la direction des opérations au printemps prochain[120]. Quelque fût son découragement, la gouvernante continuait, à montrer le plus absolu dévouement à l'empereur et à son neveu[121]. Elle conjurait le premier dans les termes les plus touchants et, les plus respectueux, de mettre de l'ordre dans ses finances, et lui faisait le tableau le plus émouvant de la détresse où elle était réduite. Cette détresse, en effet, était extrême. On avait en vain invité les états de Brabant, de Hollande et de Hainaut à envoyer des députés à Gand afin de décider les quatre membres de Flandre à contribuer aux dépenses de la guerre de Gueldre : cette démarche avait complètement échoué. La Hollande et le Brabant, directement intéressés à la guerre, refusaient aussi les subsides demandés. Ce ne fut que de guerre lasse et en présence du danger que les états de ce duché finirent par allouer soixante mille livres pour l'entretien des troupes nécessaires à la défense du pays.

Les hostilités n'avaient pas été interrompues par la rigueur de la saison. Le 13 novembre, les Gueldrois surprirent Woudrichem, sur la Meuse, petite ville qui appartenait à la comtesse de Hornes[122]. Maîtres de la campagne, ils continuèrent leurs incursions, et battirent plusieurs partis hollandais et brabançons. Le 31 janvier 1512, ils tentèrent de surprendre Bois-le-Duc, et incendièrent tous les moulins et les maisons de plaisance des environs. D'autres bandes, s'avançant, jusqu'aux limites du comté de Namur, brûlèrent Hannut après l'avoir pillé, et ravagèrent les terres voisines pour se venger des Namurois[123]. Elles n'épargnèrent même pas la principauté de Liège, où Érard de la Marck fut obligé de mettre toutes ses villes en été de défense.

Les Hollandais et les Brabançons répondirent aux dévastations de l'ennemi par de non moins tristes représailles. Les milices de Bois-le-Duc, au nombre de deux à trois mille hommes, pénétrèrent dans le Bommelerweerd, ravageant tout sur leur passage, et brûlèrent Driel et Rossum. Surprises à leur tour par le comte de Serberen et Michel de Poemeren, deux des meilleurs capitaines de Charles d'Egmont, et dépourvues d'artillerie, elles furent écrasées. Profitant de la consternation produite par cette défaite, les vainqueurs marchèrent directement sur Bois-le-Duc ; ils étaient sur le point de s'en emparer, quand les bourgeois, accourant aux remparts, parvinrent à les repousser. Dans leur retraite, ils incendièrent Oss, Schyndel, Geldorp, Berchem, et ravagèrent tout le Peelland. Animés du désir de la vengeance, les habitants de Bois-le-Duc reprirent les armes, rentrèrent dans le Bommelerweerd et investirent Bommel. Le mauvais temps et l'approche de forces considérables les obligèrent à se retirer. Le seigneur d'Ysselstein, toujours actif, après avoir battu les Gueldrois près de Henkelom au mois de février, marcha vers Charles d'Egmont qui assiégeait Wœrden. Il voulait disait-il, essayer qui estoit le plus fort. L'ennemi ne l'attendit point. Ysselstein alors, s'embarquant sur les navires préparés par Henri de Nassau, se porta sur Woudrichem. A son approche, la garnison, forte pourtant de douze cents hommes, évacua la place et se laissa enlever tout son bagage.

On a remarqué que les états généraux furent, pour ainsi dire, en permanence sous l'administration de Marguerite. Le 16 février 1512, ils étaient réunis à Malines, et ils y reçurent communication d'un mémoire de la gouvernante, qui leur demandait, en son nom et au nom de son père, leur avis sur la question de savoir s'il y avait lieu de poursuivre la guerre au printemps suivant, ou de négocier la paix. Dans le premier cas, une levée de six mille fantassins et de douze cents chevaux était indispensable. Les états s'ajournèrent afin de consulter leurs principaux. Marguerite s'adressa alors aux états de Brabant pour en obtenir les fonds nécessaires à l'entretien des garnisons des places frontières. Elle essuya un refus qui lui fut fort sensible, et elle se plaignit amèrement à son père des mauvaises dispositions que montraient surtout les députations de Louvain et de Bruxelles[124]. Tout le monde demandait une paix quelconque ; les députés de Bois-le-Duc engagèrent même ceux des autres villes à traiter directement avec Charles d'Egmont.

Marguerite ne savait plus de quel côté se tourner. Les troupes manquaient, et celles qui étaient restées, privées de solde depuis plusieurs mois, n'offraient plus aucune garantie de fidélité. Le 10 mars, Henri de Nassau écrivait à la gouvernante qu'il s'était concerté avec le seigneur d'Ysselstein sur les opérations de la prochaine campagne, mais que le nombre des gens qu'ils commandaient était trop petit pour laisser le pays gardé et entrer sur le territoire ennemi. Il lui rappelait qu'il était dû de fortes sommes à ses lieutenants, les sires de Walhain et de Castre[125] ; quatre mille livres à la cavalerie qu'il avait sous ses ordres ; cinq cents florins d'or à ses hallebardiers. Il ajoutait qu'il avait déjà avancé neuf mille livres et répondu pour d'autres sommes ; qu'il voyait son crédit s'affaiblir. Madame, disait-il en terminant, je vous en ay bien voulu advertir afin que cependant vous y pensiez faire quelque provision, et aussi pour mettre quelqu'un en mon lieu, car, sur ma foi, madame, je ne sçaurois rendre service à monseigneur ny à vous, et n'en sçaurois sortir sans honte, vu la petite expérience que j'ay, et aussi je connois que mes biens n'y sçauroient satisfaire. Une ressource inespérée vint heureusement éclaircir un peu ce sombre horizon. Charles d'Egmont, se trouvant de son côté à bout de moyens, après avoir vu ruiner une partie de ses états, proposa lui-même de traiter, et demanda un sauf-conduit pour envoyer des députés à Weert ou à Vianen[126]. L'empereur autorisa Marguerite à délivrer ce sauf-conduit, et Vianen fut choisi pour le siège des conférences.

Le 4 avril 1512, les états généraux furent rappelés à Bruxelles, et Maximilien leur écrivit directement pour les rendre favorables à ses propositions. Dans une réunion préparatoire tenue à Malines, les députés du Brabant, de Lille, de l'Artois, du Hainaut, de Valenciennes, de la Hollande, de Namur et de Malines résolurent d'insister auprès de la gouvernante pour la conclusion de la paix, et d'en faire la condition sine qua non de leur consentement au subside demandé. Cet avis prévalut, et, quand au don réclamé par l'empereur, tous déclarèrent ne pas avoir d'instruction à ce sujet. Il fallut les ajourner au mois de mai suivant.

A cette seconde réunion, le Brabant, menacé d'une nouvelle invasion, vota l'aide destinée à l'entretien de l'armée et cent cinquante mille florins pour l'empereur. La Flandre, désintéressée dans les affaires de la Gueldre, refusa de contribuer au payement des gens de guerre, et réduisit à soixante mille florins le don à faire à l'empereur. Lille, Douai, Orchies exprimèrent la même opinion. Le Hainaut offrit de contribuer, suivant la proportion accoutumée, au don proposé, mais rejeta aussi le subside. En dernier lieu pourtant, l'avis du Brabant fut adopté par tous les états, à l'exception de la Flandre ; ils accordèrent, le 31 mai, l'aide demandée et cent cinquante mille florins pour payer les dettes de l'empereur et de l'archiduc. L'opposition de la Flandre était due surtout aux députés de Gand, et la gouvernante chercha vainement à triompher de leur résistance. Plus heureuse près des trois autres membres du comté, elle finit par leur arracher un vote favorable, et considérant alors le consentement comme complet, elle ordonna d'exécuter les habitants du quartier de la ville de Gand qui refuseraient le payement. Mesure grave, et qui allait bientôt être invoquée comme un précédent dans de nouvelles et malheureuses complications[127].

Les conférences de Vianen s'étaient ouvertes le 8 avril. Les ambassadeurs de Marguerite avaient proposé de traiter sur les bases suivantes : 1° messire de Gueldre se mettra au service du prince de Castille, qui le recevra bien et le traitera honorablement ; 2° il conservera la possession et la jouissance du duché de Gueldre et du comté de Zutphen, en qualité de lieutenant de l'empereur ; 3° la valeur de ces pays sera estimée, et l'empereur les rachètera quand il le jugera convenir ; 4° les différends des deux parties seront soumis à des arbitres, et, en attendant leur décision, le duc restituera les villes et les châteaux dont il s'est emparé depuis la paix de Cambrai. Charles d'Egmont rejeta ces quatre conditions : la première, parce que ses affaires n'estoient présentement disposées pour se mettre au service de son cousin l'archiduc ; la seconde, parce que ce seroit chose bien estrange et contre tous droits divins et de nature, que lui, qui estoit seul et vrai héritier desdits pays, les abandonnât et y renonçât pour les gouverner comme lieutenant d'un autre ; la troisième, parce qu'il n'avoit jamais pensé à vendre son héritage, et que, s'il avoit eu cette intention, il auroit trouvé depuis longtemps et trouveroit encore marchands assez prochains et non duissables ou malveillans à la maison de Bourgogne, qui lui en eussent donné et donneroient beaucop plus ; la quatrième enfin, parce qu'il y aurait folie à bailler ès mains de son ennemi public, en attendant la sentence des arbitres, des places par lui reconquises. Ces prétentions n'étant donc, selon eux, ni raisonnables, ni honorables pour parvenir à une bonne et durable paix, les ambassadeurs gueldrois les repoussèrent, après avoir déclaré toutefois que leur maitre était toujours disposé à accueillir des conditions équitables[128].

Les négociations n'étaient pas encore rompues, et déjà les hostilités recommençaient. Marguerite rejeta ce mauvais résultat sur la France, et ne dissimula en aucune façon sa pensée au roi Louis XII. Celui-ci, effrayé de la situation de ses affaires en Italie[129], ne cessait de protester de sa complète neutralité, et avait même fait féliciter la gouvernante des derniers succès militaires remportés sur Charles d'Egmont, à qui il voudroit, disait-il, qu'elle rompît la teste afin que la guerre fût finie et qu'il fût à repos de cette diable de Gueldre. Sur le point de se brouiller tout à fait avec Maximilien, qui venait de conclure une trêve avec les Vénitiens, il écrivait un peu plus tard : Si l'on instigue à madame Marguerite qu'elle pourra me faire beaucoup de mal, j'espère en Dieu que non ; si l'on me contraint jusques là, je pourvoierai bien à son cas, et quand tout sera dit et pensé, l'on trouvera que le bien de la maison d'Autriche est d'entretenir l'amitié avec moy.

Cependant l'empereur était arrivé en Belgique. Parvenu le 24 mai à Bastogne, il se dirigea sur Marche, où l'attendaient tous les officiers et les gentilshommes du comté de Nassau avec un corps de mille à douze cents fantassins. Ils l'escortèrent jusqu'à Namur, où il séjourna quatre jours, et d'où il se rendit immédiatement à Malines. Charles d'Egmont venait de reprendre les armes. Il avait investi Anhalt dans le comté de Zutphen, et ses lieutenants bloquaient Wageningen. Maximilien ordonna aussitôt au seigneur d'Ysselstein de marcher au secours d'Anhalt, tandis que d'autres chefs entreraient dans la Gueldre pour opérer une diversion. Les Gueldrois battirent en retraite, et Florent d'Egmont, agissant avec sa vigueur accoutumée, emporta le château de Roodentoren, tailla en pièces la garnison et rasa la place. Il fit éprouver le même sort aux forts de Persingen et de Hœmen, ravagea tout le bas quartier de la Gueldre, et ramena à Ysselstein un grand nombre de prisonniers, des otages et beaucoup de chariots chargés de butin. Comme compensation, Charles d'Egmont était parvenu à s'emparer de Tiel et du petit château de Wyk.

Tout semblait annoncer, de la part du gouvernement des Pays-Bas, l'intention de déployer enfin une action vigoureuse. Les fonds votés par les états avaient permis de lever quelques troupes en Allemagne ; les milices de Brabant et de la Hollande se pressaient nombreuses sous les drapeaux du seigneur d'Ysselstein ; celles du Hainaut et de Namur avaient reçu l'ordre de se tenir prêtes à marcher au premier appel ; on s'attendait à voir Maximilien en personne prendre la commandement de l'armée. Malheureusement l'argent manqua bientôt, comme toujours ; les combinaisons et les préparatifs se dissipèrent, encore une fois, en fumée. Heureusement la situation de Charles d'Egmont n'était pas meilleure ; l'appui de la France, alors repoussée de l'Italie et menacée par une redoutable coalition, ne lui paraissait pas très rassurant. Il se montra disposé à entamer de nouvelles négociations, et l'on convint d'ouvrir, une troisième fois, des conférences à Liège[130].

Maximilien fut obligé de repartir sans avoir rien terminé. Alors commencèrent d'autres calamités. L'indiscipline et la démoralisation avaient gagné l'armée peu à peu. Les troupes étrangères, sans solde depuis longtemps, se jetèrent sur les campagnes[131], et y commirent d'affreux ravages. Ce n'étaient, plus des bandes isolées, mais des corps entiers occupant les villages et les petites villes. C'est ainsi que les gens du seigneur d'Ysselstein stationnèrent à Gheel[132], et d'autres dans le quartier de Turnhout. Des reîtres, qui avaient abandonné Wissen, arrivèrent inopinément devant Malines, et ne s'en éloignèrent qu'après que le magistrat eut gagné leurs capitaines par des présents. Ils se jetèrent alors sur Waelhem et Duffel, et y séjournèrent pendant deux mois, répandant l'épouvante dans toute la contrée. A Malines, les portes étaient fermées, les cinq serments sous les armes, des veilleurs sur les tours, et des postes d'éclaireurs aux environs de la ville[133]. Tout le pays était en émoi ; la détresse était si grande que le trésorier général déclara qu'il lui serait impossible de se procurer cinq cents florins. Marguerite n'avait rien touché de son traitement depuis cinq ans[134]. Les états de Brabant, à qui elle venait d'adresser une nouvelle pétition de subsides, la rejetèrent unanimement, non sans exhaler des plaintes amères sur les ravages des soldats levés pour les défendre.

Maximilien avait fini par comprendre toute la gravité de la situation. Il prit donc quelques mesures commandées par les circonstances. Les princes de l'empire lui accordèrent une aide pour la guerre de Gueldre, et le duc Henri de Brunswick fut nommé lieutenant général des armées des Pays-Bas. Ce prince, aidé de son frère, se chargea de lever, à ses frais, quinze cents fantassins et six cents chevaux. Le 13 septembre, l'empereur renouvela à la gouvernante l'assurance de son prochain retour, et sa ferme intention de mettre fin à une guerre qui, de son propre aveu, ruinait le pays. Il était grand temps d'aviser en effet. Louis XII avait envoyé aux conférences de Liège le président Olivier, le seigneur de Luynes, et son ambassadeur en Gueldre, Jean, sire de Gamaches. Mais lorsqu'il vit Maximilien traiter de son adhésion à la ligue sainte formée contre lui par le pape Jules II[135], et Marguerite négocier avec l'Angleterre, il résolut de ne plus garder aucun ménagement.

Aussitôt Charles d'Egmont, rompant brusquement les négociations, lança ses bandes sur le Brabant et sur la Hollande. Le 25 septembre, un parti de quatre cents chevaux et de quinze cents piétons entra dans la mairie de Bois-le-Duc, et, pendant trois jours, y mit tout au feu et au pillage. A ces nouvelles, le duc de Brunswick se rendit immédiatement aux Pays-Bas. Ce prince avait succédé au duc d'Anhalt dans le commandement de l'armée impériale en Italie, et s'y était acquis une grande réputation de bravoure et d'habileté. Son arrivée produisit un excellent effet. Les troupes, qui s'étaient répandues dans les campagnes, reçurent une partie de leur solde et regagnèrent les frontières. Maximilien ordonna au duc de Brunswick et au comte de Nassau de livrer bataille à Charles d'Egmont, espérant que Dieu et après les gens d'armes de Brabant leur feroient bonne assistance. Mais l'ennemi se tint sur ses gardes, évitant avec soin toutes les occasions de combattre.

Marguerite réclama de nouveaux subsides des états de Brabant et de Hollande. Cette demande fut accueillie favorablement ; les députés de Louvain seuls firent quelques difficultés[136]. Ils finirent cependant par se ranger à l'avis commun, et, le 14 octobre, une aide de trente-trois mille livres fut votée pour le payement des gens de guerre pendant le mois d'octobre et de novembre. Les états généraux, convoqués pour le 1er octobre, avaient été prorogés au 1er décembre suivant. Le duc de Brunswick leur demanda, au nom de l'empereur, de se charger de la solde de six mille fantassins pendant l'hiver, de douze mille pendant l'été, et d'allouer, en outre, cinquante mille florins pour l'artillerie. L'assemblée s'ajourna au 12 janvier 1513, mais la réunion n'eut lieu qu'un mois plus tard, le 12 février. Dans l'intervalle, un fait de guerre des plus regrettables s'était accompli. La veille de Noël, mille hommes environ de la garnison d'Utrecht avaient paru à l'improviste devant Amsterdam, et avaient incendié le faubourg Saint-Antoine et des bateaux à l'ancre dans le vieux port. Au retour de cette expédition, cette troupe fut surprise sous les murs d'Utrecht par Jean de Wassenaar, qui, à la tête de quatre cents soldats, en fit un horrible carnage. Mais, le lendemain, ce vaillant capitaine fut assailli a son tour par des forces supérieures, et resta prisonnier avec la plupart de ses officiers. L'ennemi fit grand bruit de cette affaire, et traita son prisonnier avec une odieuse rigueur. Conduit à Haltem, Jean de Wassenaar fut enfermé dans une cage de fer, et n'en sortit qu'en 1514 au prix d'une énorme rançon[137]. Cet échec avait jeté la consternation et le mécontentement dans le pays. Aussi toutes les propositions de Maximilien furent rejetées par les états généraux, qui réclamèrent unanimement la conclusion de la paix.

L'état du pays devenait de plus en plus affligeant. La désorganisation de l'armée favorisait tous les brigandages. Des bandes formées de déserteurs et de soldats licenciés désolaient les campagnes, ruinaient le commerce, et rendaient les communications si périlleuses qu'on n'osait plus se mettre en voyage qu'après avoir fait explorer les chemins au préalable[138]. Quelques faits donneront une idée de cette situation. Un nommé Bertrand Le Haine, cousin d'un autre Le Haine, qui avait été pendu près de Vilvorde, tint pendant tout un temps la ville de Maëstricht et ses habitants en subjection à l'aide d'un grand nombre de compagnons de guerre dont il estoit capitaine. Les voyageurs qui tombaient entre ses mains étaient très inhumainement traités et géhennés pour avoir d'eux excessive rançon. Ce bandit, qui fut arrêté par aucuns compagnons de la ville de Bouvignes, confessa, entre autres crimes, d'avoir bouté le feu en une église, accompagné de deux cent cinquante chevaux, et fait plusieurs rencontres et pilleries aussi bien sur amis que sur ennemis. Conduit au château de Namur, il offrit une rançon de mille florins d'or, et comme il augmentait encore ses-offres, ceux qui l'avaient pris insistèrent pour qu'il fût traité en prisonnier de guerre ; mais Marguerite les apaisa par une certaine somme de deniers, et ordonna de poursuivre rigoureusement le procès. Le Haine fut décapité, après avoir été mis à la question ordinaire et extraordinaire ; son corps attaché à la roue fut exposé sur le chemin tirant vers Bouge sur la montagne, au païs de Liège[139]. Un autre bandit s'était établi au village de Sailles dans le comté de Namur, et y faisait la terreur des habitants. Quelques-uns ayant voulu se soustraire à ses violences, il les attaqua secondé par- ses frères et ses compagnons de rapines, et les força de se réfugier dans le cimetière après une lutte sanglante et de lui payer rançon. L'autorité ne parvint à s'emparer de lui que par ruse, un jour qu'il avait osé se rendre à Namur. Il fut pendu à un arbre sur le grand chemin, sans forme de procès.

Le désordre ne régnait pas seulement dans les campagnes. Il y eut à Malines même une violente émeute. A la suite d'une exécution capitale, la foule se rua sur l'échafaud et maltraita tellement le bourreau, qu'il mourut des suites de ses blessures. Cette émeute provoqua l'édit du 6 avril 1513, qui plaça tous les officiers de justice, y compris l'exécuteur criminel, sous la protection spéciale du souverain, avec la clause comminatoire de confiscation de corps et de biens contre quiconque attenterait à leur personne[140].

Sans ressources dans le pays, et attribuant tous ses embarras à la connivence de Louis XII avec ses ennemis, Marguerite ne négligea rien pour faire entrer son père dans la coalition formée contre la France. Dans cette vue, elle réussit à le rapprocher de Ferdinand le Catholique, auprès de qui elle entretenait des agents dévoués, et auquel elle avait su se rendre agréable. Un fait éclatant, qui se passa à l'époque où nous sommes, montre bien jusqu'où elle crut devoir aller pour plaire à ce prince. Ferdinand était toujours fort irrité contre don Juan Manuel, l'ancien favori de Philippe le Beau ; il s'était plaint plusieurs fois avec amertume de voir ce personnage accueilli avec faveur à la cour de son petit-fils. Le 17 janvier 1513, la gouvernante ordonna, sous peine de désobéissance et de rébellion, à Pierre de Wihove, seigneur de Locquenghien, maître d'hôtel de l'archiduc, et à Jean de Hesdin, qui remplissait les mêmes fonctions auprès d'elle, pour certaines raisons à elle connues et pour accomplir le commandement de l'empereur, de se rendre secrètement à Malines, d'y arrêter don Manuel et de le transférer, sous bonne escorte, au château de Vilvorde[141]. L'ordre fut exécuté, non sans quelque difficulté. Les chevaliers de la Toison d'or, dont le prisonnier faisait partie, virent dans cette arrestation une grave infraction aux privilèges de l'ordre. Ils protestèrent à plusieurs reprises, et finirent par envoyer une représentation à l'empereur. Cette pièce était signée par l'archiduc lui-même, devenu ainsi un instrument d'opposition à sa propre tante ; par le prince de Chimai, par le comte de Nassau, et par les seigneurs de Chièvres, de Sempy, de Beersel, du Rœulx et d'Ysselstein. Maximilien prescrivit l'élargissement de don Manuel, à la condition qu'il s'obligeât sous son honneur à se transporter auprès de l'empereur, ou dans une ville d'Allemagne que l'empereur lui assignerait pour résidence. L'élargissement n'eut lieu qu'après qu'il eut juré de se rendre à sa destination sans s'arrêter nulle part en chemin ; on l'obligea en outre à payer les frais de sa détention. Ce ne fut que vers le commencement du mois de mai que don Manuel vit s'ouvrir les portes du château de Vilvorde ; il partit immédiatement pour Vienne, où il resta jusqu'à l'émancipation de l'archiduc.

Depuis longtemps, Marguerite poursuivait une alliance plus intime et plus importante encore pour les Pays-Bas que ne l'était celle du roi d'Aragon. Le roi d'Angleterre Henri VIII, avide de gloire, plein d'orgueil, de passions et de caprices, n'avait pu dissimuler longtemps des dispositions hostiles contre la France, qui semblait, en ce moment, une proie offerte à son courage. Les souvenirs de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt étaient encore bien vivaces alors, et la haine nationale, développée par ces longues luttes, régnait toujours des deux côtés du détroit. Le mariage du monarque anglais avec Catherine d'Aragon, la tante de leur jeune souverain, et la communauté des intérêts appelaient, du reste, tout naturellement celle alliance entre nos provinces et l'Angleterre[142].

Les négociations s'étaient ouvertes à Anvers au mois d'avril 1512, et elles auraient abouti plus tôt, si les irrésolutions de Maximilien et ses ménagements envers la France n'y avaient mis obstacle. Dans le temps même ou la gouvernante avait commencé à négocier avec les ambassadeurs du roi d'Angleterre, l'empereur prêtait encore l'oreille aux ouvertures du souverain français, qui offrait de marier sa seconde fille Renée au jeune, archiduc, et de renoncer, en faveur des futurs époux, à tous ses droits sur le royaume de Naples, le duché de Milan et la république de Gênes. Sans désavouer les démarches de Marguerite, il cherchait à ralentir l'ardeur qu'elle y apportait. Il lui écrivait, le 13 janvier 1513, pour se plaindre de la voir mettre ses pays de par delà en danger d'avoir incontinent la guerre ouverte contre les François, et sans quelques assurances du roi d'Angleterre.

Marguerite n'en poursuivait pas moins son dessein. Le pape Jules II et Ferdinand avaient envoyé des ambassadeurs à Malines ; mais il fut convenu que le traité à intervenir serait débattu et arrêté entre Marguerite et les ambassadeurs anglais seuls ; que le pape, l'empereur et le roi d'Aragon seraient appelés à le ratifier ensuite. Le 16 mars 1513, Maximilien autorisa sa fille à conclure définitivement[143], et, le 5 avril suivant, un triple traité fut signé à Malines par les ambassadeurs de Henri VIII et par les commissaires de Marguerite[144]. Aux termes de ce traité, le pape, l'empereur, les rois d'Aragon et d'Angleterre, la reine de Castille représentée par son père, se liguaient pour combattre les Français hors de l'Italie, et leur faire tout le mal qu'il serait au pouvoir des contractants. Chacun des confédérés devait, sous trente jours, déclarer la guerre à Louis XII, et, sous deux mois, la commencer avec une armée nombreuse et bien pourvue de toutes choses. Le roi d'Angleterre s'engageait à payer à l'empereur cent mille couronnes d'or savoir : trente-cinq mille un mois après la déclaration de guerre ; trente-cinq mille au moment de l'entrée en campagne, et trente-mille dans les trois mois suivants. Il était stipulé que le traité demeurerait obligatoire entre ces deux monarques, alors même que Ferdinand et Léon X, qui venait de succéder à Jules II, ne le ratifieraient pas[145]. Une disposition spéciale assurait la neutralité des Pays-Bas. L'empereur déclarait qu'en qualité de mambour et de tuteur de son petit-fils, il entendait respecter les traités de paix existants et les faire observer par son petit-fils et par les territoires appartenant à celui-ci. Un article secret autorisait cependant Henri VIII à lever des troupes dans nos provinces, et à prendre à son service des vaisseaux hollandais et zélandais.

Les ambassadeurs du roi d'Aragon adhérèrent le 18 avril à la ligue de Malines. Mais on apprenait, au moment même, que ce prince avait conclu, le 1er du même mois, à Orthez, une trêve d'une année avec le lieutenant-général de Louis XII en Guyenne, et qu'en vertu de cette trêve les hostilités devaient être suspendues partout, hormis en Italie. Ces engagements contradictoires jetèrent une nouvelle perplexité dans l'âme de Maximilien. Il resta indécis pendant quelque temps. Enfin la défaite des Français à Novare mit un terme à ses irrésolutions. Le 14 juin 1513, il envoya à Marguerite la ratification du traité de Malines et la confirmation de la neutralité des Pays-Bas.

Pendant les négociations, la guerre avait continué en Gueldre avec forée dévastations, mais sans évènement saillant. La ligue de Malines eut bien vite changé la face des choses. Le 9 mai, les états de Brabant accordèrent une aide de quarante-neuf mille deux cents livres destinée à l'entretien, pendant trois mois, de huit cents chevaux et de quinze cents hommes de pied, pour garder les frontières à l'encontre des ennemis gheldrois[146]. Maximilien avait autorisé la gouvernante à traiter avec Charles d'Egmont par l'entremise de l'archevêque de Cologne[147]. Charles, que le traité de Malines mettait en grand danger, accueillit avec empressement les ouvertures du prélat. Marguerite convoqua immédiatement les états de Brabant et de Hollande pour concerter avec eux les conditions d'une trêve. Les états, assurés cette fois-ci qu'on traitait sérieusement, accordèrent, le 26 juin, une nouvelle aide de vingt-huit mille livres, pour servir de premier payement aux gens de guerre du duc de Brunswick. Les négociations continuèrent à marcher rapidement. Une trêve, qui devait durer quatre ans à dater du 10 août, fut signée le 31 juillet. Une des clauses de la convention cédait à Charles d'Egmont le pays de Kessel, mais avec faculté de rachat.

La trêve fut scellée par les villes de Louvain, Bruxelles, Anvers, Bois-le-Duc, Dordrecht, Leyde, Haarlem, Amsterdam, Gouda et Malines[148] ; elle fut accueillie dans toutes les pro- vinces, et particulièrement dans le Brabant et la Hollande, avec la joie la plus vive. Les états de Brabant votèrent à Marguerite un don de vingt mille livres en reconnaissance des peines qu'elle s'était données pour obtenir ce résultat ; ils accordèrent, en outre, trente mille livres pour rembourser Henri de Nassau de ses avances, et vingt mille pour le rachat de la terre de Kessel. Pressée de délivrer le pays des troupes étrangères, la gouvernante traita sur le champ avec leurs capitaines pour les faire passer au service de Henri VIII.

Toujours pressé au début de ses entreprises, Maximilien paraissait trouver trop lente à agir l'ardeur de Henri VIII. Il lui envoya Jean de Berghes et Simon de Ferrette pour l'aider de leurs conseils et prendre le commandement de ses lansquenets, qu'ils avoient mieux le manière de conduire. Par son entremise, le duc de Brunswick et ses troupes se mirent à la solde de l'Angleterre. Il en fut de même d'un corps nombreux de gens d'armes recrutés dans le Hainaut par Antoine de Ligne, surnommé le Grand Diable, l'un des plus vaillants capitaines de ce comté, toujours si fécond en hommes de guerre. En même temps, des levées s'effectuaient dans le Brabant et dans le pays de Clèves[149], tandis que Henri de Nassau se tenait prêt à se joindre à l'armée anglaise, qui allait passer le détroit sur des bateaux plats fournis par la Hollande et la Zélande.

Un concours aussi actif, prêté par les Pays-Bas aux ennemis de la France, était évidemment inconciliable avec leur prétendue neutralité. Aussi vit-on bientôt les garnisons françaises des frontières faire en représailles des courses dans le Hainaut[150]. Le 20 mai 1513, Louis XII écrivit lui-même aux Gandois que les Anglais se faisoient forts d'estre en icelle guerre aidés, soutenus, favorisés et assistés des villes, sujets, gens de guerre, vivres, armures et. autres choses estant ès pays du prince de Castille, et que plusieurs gens de cheval et de pied estoient présentement assemblés sous les seigneurs de Walhain et de Ligne, et délibérés de se joindre auxdits Anglois. Il les engageait à avoir bon regard en leurs résolutions, car il avoit donné telle et si bonne provision par mer et par terre, que l'entreprise des Anglois ne pouvoit estre de longue durée, ni venir à grand effet[151]. Des lettres du même genre furent adressées aux autres villes de Flandre et d'Artois qui relevaient de la couronne de France.

Le roi de France avait, précédemment déjà, envoyé auprès de Marguerite le seigneur de Genlis pour se plaindre de ces armements et réclamer l'exécution des traités. Le 26 mai, il lui écrivait en ces termes : Par la réponse donnée à mon conseiller et chambellan ordinaire, le seigneur de Geulis, et par ce que j'ai appris depuis, je vois qu'on demeure par delà en volonté de bailler aide et faveur aux Anglois, anciens ennemis de la couronne de France, tant en gens de cheval des pays de Hainaut et Brabant que de navires, ce qui contrevient ouvertement au bien de la paix et amitié qui, de tout temps, a esté entre moi et la maison de Flandre. Par quoi, si mon cousin le prince de Castille estoit en âge, je le sommerois de me venir servir contre lesdits Anglois, tant pour ce qu'il est issu de ladite couronne que pour ce qu'il est pair de France et mon vassal. Pour cette heure, il me suffit de vous demander à vous, ma cousine, qui avez la charge de ses pays et de ses sujets, de me déclarer comment vous et les Pays-Bas entendez vivre dorénavant avec moi et les miens. Le temps porte et requiert de savoir qui sera ami ou ennemi, afin que j'y pourvoie comme je verrai que faire se devra par la raison[152]. Le même jour, il écrivit directement au jeune souverain des Pays-Bas, à peu près dans les mêmes termes, et pour se plaindre de l'inutilité des remontrances faites à lui et à sa tante la duchesse de Savoie. Considérant votre âge, disait-il en terminant, plus amplement je l'escris à ladite dame, laquelle a la totale charge de vos affaires, pour sur ce entendre son intention et la vostre, laquelle je vous prie me faire savoir par ce porteur, ensemble s'il est chose que veuilliez, et m'y employerai de bon cœur[153].

Mise en demeure de s'expliquer, Marguerite répondit, avec un défaut de sincérité fort peu louable, mais très habituel dans les relations diplomatiques de l'époque, qu'à la vérité plusieurs, pour leur gain et profit particulier, à leurs risques et périls, estoient allés au service du roi d'Angleterre, et que d'autres avoient vendu à ce prince ou loué des bateaux ; mais qu'ils l'avoient fait d'eux-mêmes, ainsi qu'il leur estoit permis à eux et à d'autres de l'aller servir lui-même pour son argent, ce à quoi elle n'apporteroit aucun empeschement, voire mesme qu'elle croyoit certainement qu'il avoit plusieurs des sujets de par deçà à son service[154]. La gouvernante comprenait sans doute toute l'insuffisance de ces explications. Aussi elle se hâta de mettre en état de défense les villes du Hainaut, de la Flandre et de l'Artois. Le Hainaut lui accorda à cet effet douze mille huit cents livres, auxquelles la ville de Valenciennes en ajouta trois mille deux cents[155]. La Flandre vota une aide de cent vingt mille écus de quarante-huit gros, pour l'entretien des garnisons de Saint-Orner, Arras, Aire, Béthune, Hesdin, Bapaume, Dunkerque et Bourbourg. Dans l'acte de consentement, il était stipulé que les troupes formant ces garnisons, seraient placées directement sous les ordres du seigneur de Fiennes, gouverneur du comté, et de ceux qui estoient commis à son conseil de par les membres de Flandre.

L'armée anglaise était prête. Henri VIII avait résolu de commencer ses opérations par une attaque sur Boulogne. Maximilien le lui déconseilla ; il lui représenta que cette ville était forte, ceinte de bons remparts et gardée par une excellente garnison. C'estoit, selon lui, le quartier du pays où l'on faisoit les meilleurs gens d'armes, et le roi y avoit bien, pourvu de gens. L'empereur engageait le roi d'Angleterre à descendre au Crotoy, où il auroit la mer allant et retournant pour conduire son artillerie et autres choses nécessaires à son armée, et la facilité de se porter sur Saint-Quentin en prenant toute la vallée de la Somme, pour avoir vivres de ses ennemis et après gagner cette ville qui n'estoit point forte. Là Maximilien viendrait rejoindre l'armée anglaise avec une bonne compagnie de gens d'armes, tandis que le comte de Nassau, avec une aussi bonne troupe de gens, tant à cheval comme à pied, assailliroit d'un autre côté les François. Faisant de Saint-Quentin leur place d'armes, dont, les magasins seraient alimentés par Cambrai, le Cambrésis et Valenciennes, les deux princes auraient marché ensuite directement jusqu'au cœur du royaume pour forcer l'ennemi à leur livrer bataille. Si ce plan ne souriait pas au monarque anglais, Maximilien lui proposait de se diriger sur la Normandie, de ravager cette province, et d'envahir la Bretagne en longeant les côtes[156]. Ces idées étaient excellentes. Henri en jugea autrement, et, dans sa présomption[157], maintint son premier projet.

Vingt-cinq mille hommes, partagés en trois divisions, débarquèrent successivement. La première était sous les ordres de Georges Talbot, comte de Shreswbury ; la seconde sous ceux de lord Herbert ; Henri VIII commandait en personne la troisième. Avant son départ, il avait nommé sa très chère épouse, la reine Catherine, directrice et gouvernante du royaume. Talbot, débarqué le premier, fit quelques démonstrations contre Boulogne, mais, reconnaissant sans doute l'exactitude des avis de Maximilien, il investit Thérouanne le 17 juin.

Henri VIII ne passa la mer que le 30 juin, et, le 1er juillet, il jeta l'ancre à Calais. Il y resta plusieurs semaines passant son temps dans des carrousels et autres divertissements. Il attendait l'empereur. Celui-ci, après quelques nouvelles hésitations, s'engagea à le rejoindre sans retard. Maximilien, pour flatter la vanité de son jeune allié, et pour éviter toute discussion sur la préséance, avait adopté la dénomination de volontaire du roi d'Angleterre. En cette qualité, il avait pris la rose rouge avec la croix de Saint Georges, et accepté cent couronnes d'or de paye journalière.

A peine Henri VIII était-il arrivé à Calais, que le gouverneur de la Flandre, Jacques de Luxembourg, fidèle aux exigences de la neutralité, lui envoya son lieutenant, François de Mastaing, grand bailli de Gand[158] ; Jean de Praet, bailli de Bruges, et le conseiller et maitre des requêtes ordinaires Jean Caulier, pour le saluer, et en même temps pour lui représenter que la position de la Flandre et de l'Artois envers le roi de France ne leur permettaient pas de fournir les vivres demandés. Ces députés étaient chargés, en outre, de se plaindre des robberies et déprédations commises par les troupes anglaises. Le roi répondit directement au seigneur de Fiennes, le 9 juillet, que pareille défense donneroit courage et confort aux François et occasion de penser qu'il n'y avoit pas si bonne ni si grande amitié entre lui et le prince de Castille. Il le priait en conséquence de ne pas insister sur ses réclamations[159].

Henri s'était enfin mis en marche. Le 20 juillet, il était à Ardres. Il y fit bien savoir sa venue, afin que si les François le vouloient trouver en chemin, ils le allassent voir. Il n'avait pourtant avec lui que neuf mille hommes d'infanterie anglaise, et sa marche était ralentie par une nombreuse artillerie. Cette artillerie comprenait, entre autres, douze canons de fort calibre fondus à Malines par Jean Poppinger, et appelés les douze Apôtres du roi Henri. Après s'être arrêtés quelques jours à Ardres, les Anglais étaient arrivés, le 27 juillet, à une lieue et demie de Saint-Amer, lorsque des troupes françaises, au nombre de douze à quinze cents hommes d'armes et de douze mille fantassins, sortant tout-à-coup d'un bois, firent semblant de vouloir se ruer sur l'arrière-garde, ce dont ledit seigneur roi fut très joyeux, car, à ce qu'il dit à aucuns, c'estoit la chose qu'il désiroit le plus au monde[160]. De leur côté, en voyant cette colonne d'infanterie se dérouler lentement dans les plaines du Bas Artois, les capitaines français voulurent la charger immédiatement. Si nous parvenons à l'enfoncer, disait Bayard[161], elle est perdue ; si nous n'y réussissons point, l'ennemi qui n'a point de cavalerie ne pourra nous poursuivre, et nous nous retirerons sans grande perte[162]. Mais le gouverneur de la Picardie, Louis de Halewyn, seigneur de Piennes, refusa d'enfreindre l'ordre du roi, qui avait strictement défendu de hasarder une bataille. Or donc se regardèrent longtemps l'une et l'autre armée, en sorte que des François fut tué un homme d'armes, et dix ou douze archers tués et blessés par l'artillerie des Anglois, mais jamais ne mordirent l'un sur l'autre. Eux estant ainsi en présence, vinrent les bandes d'Antoine de Ligne, du seigneur de Walhain et du bastard d'Aimeries à la rencontre du roi, et les François les voyant venir commencèrent aussitôt à se retirer. Et demeura une grosse pièce d'artillerie derrière en un fossé. Quelques pionniers et autres gens restèrent pour aider à la tirer dehors, sur lesquels vinrent donner une bande de François et en tuèrent trente-quatre ou trente-six, de quoi les nouvelles vinrent au roi, et incontinent les Hennuyers retournèrent vers lesdits François, lesquels commencèrent à se retirer bientôt, et les Hennuyers leur donnant la chasse bien longue, en prirent six ou sept[163].

Henri VIII n'arriva que le 2 août devant Thérouanne. L'armée des assiégeants renforcée par une foule de volontaires des Pays-Bas et par les différents corps recrutés dans nos provinces, formait alors un effectif de ciné' à six mille cavaliers et de trente mille hommes de pied. Thérouanne, l'ancienne Civitas Morinorum, située sur la Lys, à deux lieues de Saint-Omer, au cœur du Bas Artois, environnée de bois et de marais, appartenait depuis longtemps à la France. Cette ville, petite de circuit, avoit été curieusement fortifiée, par les rois de France pour leur servir de boulevard et de frontière, tant contre les Anglois que contre les Flamands et Hennuyers, entre lesquels elle étoit dressée, leur ayant fait maintes fois des trousses et empêché diverses entreprises qu'ils pouvoient dresser sur la Picardie[164]. Dans la prévision d'une attaque, les travaux de défense avaient encore été augmentés[165] ; François de Téligny, qui avait expié à Saint-Hubert les maux que ses courses avaient faits aux Pays-Bas, était venu se joindre à Antoine de Créqui, seigneur de Pontdormy. Ces deux vaillants capitaines avaient sous leurs ordres trois cents hommes d'armes, trois mille fantassins et sept cents lansquenets. Malheureusement, par une imprévoyance inexplicable, les provisions de bouche étaient insuffisantes pour un long siège.

La ville fut attaquée de trois côtés : à l'est, par le roi lui-même, qui avait établi son camp au delà de la rivière d'Arles ; au sud, par Talbot ; au nord-ouest, par lord Herbert, duc de Somerset. L'artillerie était commandée par le maître de l'artillerie des Pays-Bas, Adrien Brempt. Les généraux anglais montrèrent peu de capacité. Avant l'arrivée du roi il n'avait point été dressé de batterie, et des deux mines ouvertes l'une fut détruite par les assiégés, l'autre s'effondra. Aussi sembloit à voir les François qu'ils ne craignaient de rien lesdits Anglais, lesquels disaient bien qu'ils les auroient, quoi qu'il leur coustast[166]. Madame, écrivait Philippe de Brégilles[167] à Marguerite, il est vrai que le roi et son armée sont très délibérés de bien faire ; mais je vous asseure qu'il y a de fort mauvais ordres, et tiens les François pour méchans s'ils ne nous font autres venues ; aussi me semble que le roi désire fort l'arrivée de l'empereur pour mettre ordre.

Maximilien était arrivé le 20 juillet à Namur, d'où il écrivit à Marguerite de l'attendre à. Bruxelles avec Charles et ses sœurs. Le 23, il ordonna aux gouverneurs et aux principaux officiers de requérir les gentilshommes, chacun en ses limites, de s'accoustrer et mettre en point pour l'accompagner en armes, pendant quinze jours seulement, dans la visite de ses sujets des frontières de France. Il partit de Namur le lendemain, et, après un court séjour à Bruxelles, il se rendit le 31 à Audenarde. Le môme jour, il chargea Marguerite de prélever, sur l'aide accordée par les états de Hollande ou autrement, vingt-huit mille florins d'or de Rhin, pour soudoyer les Suisses[168], et le 1er août, il expédia l'ordre à divers seigneurs des Pays-Bas de venir, comme vassaux du saint empire, le servir sous le commandement du seigneur d'Aimeries, grand maréchal du Hainaut. Il enjoignit ensuite aux magistrats d'Audenarde, de Courtrai et d'Ypres, d'augmenter les fortifications de ces villes. Bientôt après, il fut rejoint par sa fille, qui lui amena les archers de la garde de l'archiduc.

Maximilien quitta Audenarde le 5 août, et arriva devant Thérouanne le 9 ; il était accompagné du capitaine général Henri de Nassau, du gouverneur de la Flandre, de celui de l'Artois Ferry de Croy, de quelques centaines de gentilshommes des Pays-Bas, qui venaient comme lui combattre en simples volontaires, et d'un petit corps d'infanterie du pays de Clèves commandé par Thierri Van der Borselaere. L'empereur établit son quartier général à Aire. Il eut bien vite reconnu les fautes des généraux anglais. Après avoir visité les environs de la place avec Henri VIII, pressentant une prochaine bataille, il fit jeter quatre ponts sur la Lys pour relier entre elles les divisions anglaises. Comme expérimenté de la guerre, il trouva plusieurs grandes difficultés d'assaillir la ville pour différentes grandes et bonnes raisons. Toutefois le roi d'Angleterre et son conseil requirent grandement à Sa Majesté de leur octroyer l'assaut, promettant dedans trois jours faire brèches suffisantes. Il était résolu de les laisser faire, combien qu'il eust un autre chemin meilleur entre les mains, comme les Anglois s'estoient avant sa venue fourrés si avant que l'on ne les pouvoit bonnement retirer[169]. Mais une circonstance imprévue en décida autrement.

Serrés de près, manquant de vivres et de munitions, les assiégés avaient informé de leur situation le seigneur de Piennes et le duc de Longueville campés, avec des forces considérables, à Blanzy, près de Hesdin. La défense de livrer bataille n'interdisait pas le ravitaillement de la place, et les généraux français résolurent de le tenter. A cet effet, ils firent un mouvement en avant, et portèrent quinze à dix-huit cents gens d'armes sur les hauteurs de Guinegate. Ils comptaient attirer de ce côté l'attention des assiégeants, tandis que des cavaliers albanais, soutenus par un gros détachement sous les ordres du duc d'Alençon, devaient s'approcher rapidement de Thérouanne, et, jeter dans les fossés la charge que chacun d'eux portait sur le cou de son cheval, du porc salé et un baril de poudre. Avertis, dit-on, de ce projet, Maximilien et Henri VIII laissèrent à Talbot le soin de surveiller la place, et passèrent sur la rive droite de la Lys. Lorsque les Français arrivèrent sur les hauteurs de Guinegate, ils aperçurent derrière eux un corps de dix mille fantassins rangés en bataille. En face, mille cavaliers hennuyers, flamands et brabançons, se tenaient embusqués derrière un bois. A la vue de cette infanterie massée en carrés et flanquée de huit pièces d'artillerie, les Français s'arrêtent ; un commencement de trouble se manifeste dans leurs rangs. Profitant du moment, trois à quatre cents gens d'armes hennuyers sortent du bois, et s'élancent avec impétuosité sur l'ennemi troublé et hésitant. L'infanterie s'ébranle à son tour ; quelques pièces d'artillerie font feu. C'en est assez. Le désordre se met dans la gendarmerie française. Elle recule d'abord au petit trot ; puis elle fuit à toute bride culbutant l'infanterie chargée de la soutenir. L'armée entière, entraînée dans cette déroute, et poursuivie à outrance plus de dix grosses lieues, ne s'arrêta qu'à Blanzy. Presque tous les capitaines français, le seigneur de Piennes, le duc de Longueville, le marquis de Rothelin, le comte de Dunois, la Palisse, Bayard, la Fayette, Humbercourt, Clermont d'Anjou, Bussy d'Amboise, tombèrent aux mains des vainqueurs. Une foule de gentilshommes de la maison du roi d'archers 'de la garde, d'hommes d'armes d'ordonnance furent également faits prisonniers. Les fuyards perdirent en outre leur artillerie, leurs munitions, neuf à dix enseignes, étendards, pennons et guidons. Ils laissèrent le sol jonché d'une immense quantité de cuirasses et de débris d'armes de toute espèce[170].

C'était la seconde fois que Guinegate voyait fuir les Français devant Maximilien. Non seulement, écrivait Henri VIII à Marguerite, l'empereur nous a donné son bon avis, sage, vertueux, discret, prudent conseil et bonne conduite, mais nous a, de sa propre personne, avec ses gens, donné assistance en armes, prest de vivre et mourir avec nous en la bataille, si le cas fast advenu. Ce combat où seulement deux mille chevaux avoient frappé sur bien huit mille chevaux françois, fut appelé la journée des éperons, parce que nos pères, dit un écrivain français, y jouèrent plutôt des éperons que de la lance. La reddition de la place suivit de près cette défaite. Antoine de Créquy ayant demandé à capituler, les Français sortirent de la place, le 23 août, à midi, avec armes et bagages, mais sans pouvoir déployer leurs enseignes. Ils étaient encore au nombre de trois mille, sans compter les lansquenets et deux cents hommes d'armes bien montés. Ils s'en allèrent tout honteux, car ceux qui se connoissoient en telles choses et qui avoient visité la ville, disoient que, si les François eussent eu le cœur pour la défendre, on ne l'eust point emportée d'assaut[171]. Talbot, avec deux mille Anglais, prit sur le champ possession de la place, et Henri VIII y entra le lendemain avec Maximilien, qui lui céda le pas. Après avoir reçu le serment des habitants, en qualité de roi de France, le monarque anglais retourna à son camp, et l'empereur partit pour Saint-Orner. Il y fut reçu avec enthousiasme, les bourgeois demenant la plus grande joie du monde, criant : Autriche ! Bourgogne ! et faisant grosse chière à merveilles[172].

Maximilien avait voulu, paraît-il, se faire adjuger la conquête due à son habilité militaire, et le refus de Henri VIII avait sans doute contribué à accélérer son départ. A peine était-il arrivé à Saint-Orner qu'il fut rejoint par le célèbre ministre du roi d'Angleterre Thomas Wolsey[173]. Après un long entretien entre eux, l'empereur prit le parti de retourner dès le lendemain à Thérouanne. Les deux monarques résolurent de démanteler la place, et, le 27, quatre cents pionniers anglais commencèrent la démolition d'une des portes. Ce ne fut qu'après son retour dans ses états, le 28 novembre, qu'Henri VIII écrivit à la gouvernante pour la prier d'envoyer des gens de guerre y mettre le feu et brûler entièrement la ville, afin que les François n'y fissent plus leur repaire ni demeure[174]. Marguerite ne demandait pas mieux, car, quelques jours auparavant, elle avait exprimé l'avis qu'il serait bon de parbrusler ce qui estoit demeuré de ladite ville pour ce qu'on murmurait fort que les François se vantoient de la refortifier[175]. Elle s'empressa donc d'accomplir cette terrible mission. Les habitants de Thérouanne en furent chassés, les vicaires généraux de l'évêque Philippe de Luxembourg se retirèrent à Saint-Omer, et les démolisseurs se mirent à l'œuvre avec tant d'ardeur, qu'au bout de dix jours il ne. resta plus de l'antique cité des Morins que l'église principale et les maisons des chanoines.

Les états de Flandre témoignèrent leur satisfaction de la victoire de Guinegate en accordant de bien bonne volonté une aide de cent mille écus destinée, en partie, comme la précédente, à l'entretien des garnisons de Saint-Omer, Arras, Aire, Béthune, Bapaume, Dunkerque et Bourbourg suivant l'ordonnance du seigneur de Fiennes, ensemble de ceux qui estoient commis à son conseil de par les estats[176]. Ils offrirent en même temps à la gouvernante un don gratuit de vingt-mille écus, sans qu'elle l'eût demandé[177].

Il n'avait pas fallu longtemps aux généraux français pour se reconnaître. S'attendant à une invasion de la Picardie, ils avaient pris de fortes positions à Encre, et jeté en avant un gros détachement qui menaçait Hesdin. Le seigneur de Rœulx s'était enfermé dans cette dernière ville pour si elle se perdoit, se perdre avec elle. Mais pendant que les Français réunissaient leurs forces pour lui disputer le passage de la Somme, le roi d'Angleterre, trompant toutes leurs prévisions, se dirigea brusquement sur Tournai par la châtellenie de Lille. Les Tournaisiens étaient restés jusque-là dans une sécurité profonde, disant que Tournay jamais n'avoit tourné, qu'encore ne tourneroit, et que si les Anglois venoient, ils trouveroient à qui parler[178].

Le 13 septembre, Henri VIII prit position au village d'Orcq, tandis que Talbot, avec onze mille hommes, s'avançait par Courtrai, et qu'Antoine de Ligne emportait Mortagne et Saint-Amand. Maitres de ces positions qui dominaient la place, les Anglais établirent deux divisions, l'une à Condé et à Mortagne, l'autre à Saint-Amand et à Orchies, pour protéger les opérations du siège. Ils avaient avec eux les milices du Hainaut, postées à Hollain, à Jollain et à Wiers, sous les ordres d'Antoine de Ligne. Maximilien plaça son quartier général à Antoing. Les forces des assiégeants s'élevaient à quarante cinq mille hommes de pied et huit mille chevaux. L'artillerie avait été renforcée par un parc de bombardes et de serpentines tirées du château de Namur.

A l'approche de l'ennemi, les habitants de Tournai, sortant de leur sommeil, s'étaient empressés d'abattre les arbres et les maisons qui entouraient de trop près leur ville. Ils avaient été jusqu'à mettre le feu à l'abbaye des Prés aux Nonnains, située en dehors dos murailles sur les bords de l'Escaut. Ils avaient levé quelques troupes à la hâte, et les gens du bailliage avaient reçu l'ordre d'entrer dans la place. L'artillerie urbaine, la plus belle qu'on connût alors, couvrait les remparts, et on fabriquait activement de la poudre dans de nombreux ateliers.

Le 15 septembre, la place fut sommée au nom du roi et de l'empereur. Sans attendre la réponse, Henri VIII vint dresser sa tente en vue des remparts. Les magistrats s'empressèrent de lui envoyer des députés chargés de solliciter un délai. Le délai fut accordé jusqu'au lendemain à dix heures du matin. Cette demande avait été faite à l'insu de la population dévouée à la France. Dès qu'elle eut connaissance de la chose, elle courut aux armes, cerna la halle, et menaça de sa colère quiconque parlerait de capitulation. La nuit se passa dans la plus vive agitation. Le matin, la foule enfonça les portes de l'arsenal, enleva les bannières, et se précipita sur les remparts, en criant Tournai ! France ! Vive le roi ! De nouveaux députés parvinrent cependant, au péril de leur vie, à gagner le camp de Henri VIII et le supplièrent de prolonger le délai jusqu'à trois heures de l'après-diner. Le roi ordonna d'ouvrir le feu, et bientôt les boulets répandirent dans la place la terreur et la confusion.

Les magistrats essayèrent d'envoyer de nouveaux députés. Le peuple ne voulait pas les laisser partir, et l'on fut réduit à parlementer du haut des remparts avec les avant-postes ennemis. Henri VIII consentit à suspendre le feu, mais sans vouloir arrêter ses travaux d'attaque. Quoiqu'on vit les assiégeants pousser leurs tranchées jusqu'au front des portes Coquerelle et Saint-Martin, les habitants persistèrent à déclarer qu'ils ne voulaient de la paix qu'à la condition de rester fidèles à la France ;  sinon qu'ils étaient résolus de vivre et de mourir ensemble pour le roi. Informés de cette résolution, les assiégeants rouvrirent leurs feux sur le champ, et lancèrent sur la ville d'énormes boulets le 17 et le 18. Le 19, la place fut assaillie de quatre côtés à la fois, et l'escalade commença aux environs de la porte Coquerelle. Le peuple s'obstinait encore à vouloir se défendre, mais la nouvelle que Talbot avait défait, à Seclin, un corps de quinze cents hommes qui cherchait à se jeter dans la place, convainquit les plus opiniâtres de l'impossibilité de prolonger la défense. Et fut grande pitié de voir aucuns en leur collége donner leur opinion : les uns pleuroient de rage, les autres crioient et détorquoient leurs poings[179].

Une députation composée du grand prévôt, sire Jean Sentier ; du doyen du chapitre, Charles de Créquy ; du vicaire général de l'évêque, Pierre Cotterel ; des abbés de Saint-Martin, de Saint-Médard, de Saint-Nicolas ; du curé de Saint-Brice ; du conseiller Allegambe et de quelques membres du magistrat, fut envoyée, le 21, à l'empereur et au roi d'Angleterre. La capitulation fut signée le 23. Cette convention portait que le roi occuperait la ville avec sept mille fantassins et trois cents cavaliers anglais ; qu'elle lui payerait cinquante mille écus d'or au soleil une fois donnés, et dix mille pendant dix ans ; qu'elle s'engagerait à le reconnaitre et à le servir comme son prince et légitime seigneur en qualité de roi de France. Moyennant ces conditions, Henri VIII promettait de la maintenir en possession de ses franchises, libertés, offices et seigneuries.

Henri fit son entrée à Tournai le 25 septembre ; Maximilien le laissa jouir seul de son triomphe, et resta à Antoing. Un document du temps nous a transmis une description intéressante de cette cérémonie[180] : Le dimence, XXVe jour du mois de septembre, l'an mil Vc et treize, Henry, par la grâce de Dieu, huitiesme de son nom, roy de France et d'Angleterre, seigneur d'Irelande, qui, par l'espace de dix jours par avant, avoit mis le siège devant ceste ville et cité de Tournay et grandement le fait battre de gros engiens, et auquel par traictié et accord sur ce fait comme roy de France, ladite ville s'estoit rendue, vint premièrement en ladite ville et cité et y fist son entrée. Et avant sadite entrée, messeigneurs les consaulx d'icelle ville envoyèrent devers lui, au lieu de Maire[181] où il se tenait, pour savoir la journée quand son bon plaisir serait de faire sadite entrée en ladite cité, enfin que on se peut préparer pour le recepvoir, festoyer et honourer, aussi pour lui recommander ladite ville et l'entretenement des privilèges et franchises d'icelle. Lequel seigneur les rechut et oy bénignement, disant qu'il avoit intention de faire sadite entrée le lendemain entre huit et neuf heures du matin, qui estait ledit jour de dimence. Et pour ce que le jour estoit si brief, on fast hastivement nettoyer les rues, parer les maisons et faire aucunes histoires depuis la porte Sainte-Fontaine, par laquelle ledit seigneur entra, tout jusques en l'église Nostre-Dame. Et allèrent tous les quatre Consaulx, conseillers, greffiers, procureurs et autres officiers de ladite ville à l'encontre du roy jusques à ladite porte Sainte-Fontaine, chascun ung flambeau ardant en la main, et les chiefs de la loy et autres notables personnages avec le premier conseiller de ladite ville qui estaient de cheval, widèrent[182] ladite porte et allèrent à l'encontre du roy qu'ils trouvèrent audit lieu de Maire, auquel par ledit premier conseiller fut faite une notable proposicion[183]. Et le jour précédent, par son commandement, lui avaient esté présentées les clefs de toutes les portes de ladite ville. Et estoit le roy accompagnié de plusieurs princes et. seigneurs de son royaulme d'Angleterre avec sa garde en grant nombre. Et plusieurs seigneurs des pays par dechà et tous en armes, au devant du roy entrèrent en ladite ville. Et le roy estant à ladite porte Sainte-Fontaine, fut crié : vive le roy ! et descendirent illecq de leurs chevaux lesdits quatre chiefs de la loy et se mirent à piet. Lesquels avec deux autres notables bourgeois de ladite ville portèrent en hault, au dessus du chief du roy, ung chiel[184] que la ville avoit fait faire de bleu et de rouge velours[185] semé de fleurs de lis et de luppards. Et en test estat s'en vint le roy depuis ladite porte Sainte-Fontaine tout du long de le Brant rue Saint-Jacques par le Saingle[186] sur le marchié, et par le rue Nostre-Dame jusques à la grande église, où il entra et fist salutation à Dieu et à la glorieuse vierge Marie. Et d'illecq s'en alla à son logis en la maison d'un chanoine nommé maistre Simon Huland. Et en amenant. le roy par les rues dessus dites, furent sonnées toutes les cloches des paroisches de ladite ville, et furent portés à double reng les torses[187] des mestiers de ladite ville. Et après alloient par ordonnance lesdits quatre Consaulx, conseilliers, greffiers, procureurs et autres officiers de ladite ville, chascun ung flambel ardant en la main. Et au devant du roy y avoit plusieurs princes et seigneurs à cheval, et après le roy venoit sa garde à piet en grand nombre. Et s'y estoient la plupart des maisons richement parées de tapisseries, linges et autres choses. Et l'après-disner, lesdits chies de la loy et le conseil de ladite ville allèrent devers le roy en sondit logis, et à sa première venue lui présentèrent, de par ladite ville, six keues de vin de Beaune, lequel présent il rechut agréablement et en merchia ceux d'icelle ville. Et confirma les privilèges d'icelle, et accorda que ladite ville exersast toujours sa juridiction comme par l'accord sur ce fait il avoit promis. Et quant aux grâces que ledit seigneur fist, il eslargy tous prisonniers qu'il trouva ès prisons de ladite ville pour quelque maléfice que fust, et aussi des prisons de l'évesque et de la justice de Maire, et si rendy ladite ville à tous bannis qui le jour de sadite première entrée vinrent avec lui en ladite cité... Par lettres patentes du 6 du mois d'octobre suivant, le roi d'Angleterre déclara recevoir la ville et cité de Tournai en sa grâce, subjection et obéissance. Il décréta en outre l'érection d'une citadelle, qui s'éleva bientôt au nord-ouest de l'Escaut en aval de la ville. Le débris qui en reste s'appelle encore aujourd'hui la tour de Henri VIII.

Maximilien avait espéré profiter de la prise de Tournai pour lui ou pour son petit-fils. Pensant sans doute que Marguerite triompherait plus aisément que lui des résistances de Henri VIII, il la pressa de se rendre auprès du monarque anglais. Sans cacher sa répugnance[188], la gouvernante obtempéra aux vœux de son père, et arriva à Tournai le 28 septembre, avec un grand nombre de dames et de demoiselles. L'archiduc, qui était resté à Lille, vint bientôt après, sous la conduite de son aïeul, saluer à son tour le roi d'Angleterre. Celui-ci combla ses hôtes d'honneurs et de fêtes[189]. Maximilien quitta Tournai bientôt après, s'arrêta un peu à Namur, et ne tarda pas à retourner en Allemagne. Marguerite, restée seule près de Henri VIII, le charma par son esprit, et mit complètement dans ses intérêts les favoris du roi. Elle conduisit elle-même le roi d'Angleterre à Lille, et l'y détermina, au milieu des fêtes, à signer, le 15 octobre, un nouveau traité aussi favorable à Maximilien qu'aux Pays-Bas. Relevé de sa promesse de rester en France jusqu'à la fin de la guerre, le roi s'engageait à payer deux cent mille couronnes d'or pour entretenir, durant l'hiver, une armée forte de quatre mille chevaux et de six mille fantassins sur les frontières des Pays-Bas. Il promettait, en outre, d'attaquer, avant le 1er juin suivant, une des provinces maritimes de la France de concert avec Maximilien et Ferdinand d'Aragon. Aux termes du même traité, l'empereur et le roi d'Angleterre devaient se réunir à Calais, le 15 mai, pour procéder au mariage de l'archiduc Charles avec la princesse Marie d'Angleterre[190]. Henri VIII ajouta à tous ces engagements une déclaration écrite et signée de sa main, par laquelle il promettait à Marguerite en parole du roi, de ne jamais traiter, ni conclure paix ni trêve avec leurs communs ennemis, les François, sans son su et volonté[191]. Le traité de Lille fut signé par l'ambassadeur du roi d'Aragon dans les Pays-Bas. Deux jours après, le 17 octobre 4513, Henri VIII reprit le chemin de ses états, laissant le gouvernement de Tournai à sir Edward Ponyngs, surnommé par ses compatriotes le grand capitaine.

Maximilien et l'archiduc avaient autorisé, par lettres du 8 octobre, les Tournaisiens à commercer librement dans leurs états[192]. Une ordonnance du roi d'Angleterre, du 26 février 1514, créa à Tournai une cour composée de cinq juges, pour statuer sur les causes ressortissant précédemment en appel au parlement de Faris[193]. Des lettres du 16 mars accordèrent aux Tournaisiens l'autorisation de trafiquer en Angleterre sur le même pied que les sujets du royaume[194]. Enfin, le 13 juillet suivant, le roi annonça à Marguerite que, de commun accord avec le pape, il avait confié à Wolsey l'administration de l'évêché de Tournai, dont le titulaire ne s'était point présenté pour lui prêter foi et hommage ; il engageait la princesse à l'aider dans son administration[195]. Malgré les avantages matériels qu'on leur offrait, les Tournaisiens restèrent attachés à la France, et plusieurs, à l'exemple de leur évêque, aimèrent mieux émigrer que de se soumettre à la domination anglaise.

Après la défaite de Guinegate, la France paraissait perdue. Mais Henri VIII et Maximilien n'avaient point profité de leur succès. Au lieu de poursuivre une armée désorganisée par la peur, et d'envahir la Picardie incapable de leur résister, ils avaient perdu un temps précieux à Thérouanne et devant Tournai, qui ne pouvait être qu'une stérile conquête pour les Anglais. Les Suisses, qui étaient entrés en Bourgogne au nombre de vingt-sept mille, sans rencontrer de résistance, avaient mis le siège devant Dijon. Si Henri VIII avait marché sur Paris, les Suisses, s'avançant d'un autre côté, lui auraient donné la main sous les murs de la capitale. La France fut sauvée par les fautes de ses ennemis. La Trémouille engagea les Suisses à se retirer en leur promettant quatre cent mille écus[196]. Il fut désavoué par Louis XII, mais après avoir rendu le plus grand service à la France. Ce prince prit enfin le parti de céder aux circonstances. Il traita avec Léon X, successeur de Jules II, et termina tous les différends qui existaient entre lui et le Saint-Siège[197]. Maximilien lui-même, malgré l'opposition de Marguerite, ne tarda pas à. se rapprocher de la France.

Des négociations s'étaient ouvertes entre Ferdinand d'Aragon et la reine de France, Arme de Bretagne. Le 1er décembre 1513, la reine lui avait fait des propositions formelles pour le mariage de l'un des petits-fils de ce prince avec Renée, la fille puinée du monarque français. Ces propositions contenaient l'engagement, pour Louis XII, de donner en dot à sa fille le duché de Milan, le comté de Pavie et la seigneurie de Gênes, et de renoncer à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples en faveur du roi catholique. Henri VIII n'avait pas tardé à avoir connaissance de ces négociations, quoiqu'on cherchât à les tenir secrètes, et l'ardeur qu'il avait montrée jusque là pour continuer la guerre, s'était beaucoup refroidie. Anne de Bretagne mourut le 9 janvier 1514, mais sa mort ne rompit pas les négociations entamées avec le roi d'Aragon. Ferdinand mit même une nouvelle insistance à les poursuivre, et se servit pour cela-de son secrétaire, Pierre de Quintana, envoyé à la cour de France pour réclamer l'héritage de Gaston de Foix. Ce fut alors que Marguerite apprit avec douleur que son propre père se prêtait aux vues de ce prince, et elle ne négligea aucun moyen de l'en dissuader[198].

Les conseillers de la gouvernante partageaient entièrement ses vues à cet égard. Ils étaient unanimement d'avis que le bien commun de l'empereur, de son neveu, des rois d'Angleterre et d'Aragon exigeait le maintien de leur alliance et la reprise des hostilités, à moins que la paix ne se traitât d'accord avec Henri VIII. Or, disait-on, ce dernier faisait les plus grands préparatifs de guerre que roi ou prince eût faits de mémoire d'homme. S'ils restaient unis, dans l'état de détresse où se trouvait. la France, Louis XII souscrirait à toutes les conditions, et l'on obtiendrait une paix plus sûre, plus durable, plus honorable et plus profitable. Que si, malgré ses observations, l'on se décidait à traiter, il fallait laisser le roi catholique conduire l'appointement, n'en point parler au roi d'Angleterre, et attendre ses questions pour émettre un avis. Il fallait surtout tenir la main à ce que le duché de Bourgogne, ainsi que les comtés du Mâconnais, d'Auxerrois et de Bar-sur-Seine, usurpés sans droit par le roi de France, fussent restitués à l'archiduc Charles.

Maximilien ne se rendit à aucune de ces considérations, et donna, à Pierre Quintana plein pouvoir de traiter. Celui-ci signe alors à Orléans, le 13 mars 1514, une trêve d'une année entre les rois de France et d'Écosse d'une part, Ferdinand, Maximilien, Henri VIII, la reine de Castille et Charles d'Autriche d'autre part. Chacune des parties restait en possession des points occupés par ses troupes ; les relations de commerce et le libre passage des courriers étaient rétablis entre toutes les puissances[199].

Henri VIII refusa d'abord de ratifier la trêve d'Orléans. Le 5 mai 1514, il écrivit à la gouvernante qu'il était décidé à poursuivre la guerre contre la France avec le secours des Pays-Bas. Il priait en conséquence la princesse de diriger sur Calais, avec leurs gens d'armes, les capitaines qui l'avaient servi dans la dernière campagne, et de lever d'autres troupes dans la même vue. Bientôt, disait-il, vingt mille hommes allaient passer la mer, et les navires qui devaient les transporter étaient déjà commandés[200]. La reprise des hostilités paraissait imminente. Au midi, un corps de huit mille hommes de troupes françaises, avec un parc d'artillerie, menaçait le château de Guines. Au nord, des troubles survenus en Frise avaient réveillé les espérances de Charles d'Egmont. Dans les premiers jours du mois de mars, il s'était rendu secrètement auprès de Louis XII[201], et, si l'on en croit une rumeur contemporaine, le roi de France l'aurait institué protecteur de la Frise orientale, sous la promesse de reconnaître sa suzeraineté aussitôt que les Gueldrois se seraient rendus maîtres de Groningue[202]. Il était à peine revenu en Gueldre, quand il surprit Arnhem le 21 mars 1514[203]. D'un autre côté, Robert de la Marck fut sur le point de s'emparer de Thionville[204]. Les Français eux-mêmes recommencèrent leurs incursions. Le 11 juin, ils pillèrent quelques villages du Hainaut, et ils auraient poussé probablement plus loin, si le comte de Nassau n'était accouru avec ses hommes d'armes et huit cents chevaux détachés par le gouverneur anglais de Tournai. L'ennemi se retira à son approche, et Nassau, le suivant de près, allait user sans doute de représailles, lorsqu'un avis de la gouvernante lui défendit impérieusement de violer le territoire Français[205].

Ces actes hostiles n'empêchaient par les négociations de suivre leur cours ; ils servaient seulement à les voiler ; car c'était à qui l'emporterait de finesse et d'habileté dans cette diplomatie occulte. Louis XII avait envoyé en Angleterre le président du parlement de Paris, Jean de Selve, et le général des finances de Normandie, Thomas Bayer, pour traiter d'une paix dont une alliance matrimoniale devait être le sceau. Le 29 juillet, la princesse Marie, sœur du roi d'Angleterre, déclara par devant notaire, et en présence de témoins, qu'elle avait été contrainte de donner sa foi à Charles d'Autriche, prince de Castille, lequel, au surplus, avait manqué à sa parole, après avoir promis de l'épouser dès qu'il aurait atteint l'âge de quatorze ans[206]. S'appuyant sur cette déclaration, Louis XII et Henri VIII considérèrent les engagements pris et les fiançailles comme nuls et non avenus. Le 7 août suivant, les ambassadeurs français signèrent à Londres trois traités. Le premier était un traité d'alliance entre les deux rois, lequel devait subsister pendant toute la durée œ leur vie, et un an de plus. Ils s'engageaient chacun à fournir, à la réquisition de l'autre, une armée auxiliaire, mais en distinguant entre la guerre offensive et la défensive. Dans le premier cas, le secours devait se borner à cinq mille hommes de troupes de terre, et à deux mille cinq cents hommes de troupes de mer ; dans le second, ce nombre devait être doublé. Le deuxième traité concernait le mariage de Louis XII avec la princesse Marie d'Angleterre. Henri VIII se chargeait de faire la dépense du voyage de sa sœur, de lui donner les joyaux convenables, et de lui assurer, à titre de dot, la somme de deux cent mille couronnes. Louis XII lui garantissait le même douaire qui avait été assigné à la feue reine, avec la promesse que, si elle lui survivait, elle aurait la liberté de résider, à son propre choix, en France ou en Angleterre. Par le troisième traité, le roi de France, en considération des arrérages dus à la couronne d'Angleterre sur des obligations antérieures, s'engageait, pour lui et ses successeurs, à payer à Henri VIII ou à ses héritiers, un million de couronnes en trente-huit payements partiels, de six mois en six mois[207].

L'alliance de la France et de l'Angleterre, conclue malgré la résistance opiniâtre de la gouvernante, rendait la position des Pays-Bas fort critique. Après avoir souffert d'un des hivers les plus rigoureux qu'on eût éprouvés dans nos climats[208], ils étaient désolés par des épidémies meurtrières au plus haut point[209]. Le mécontentement avait recommencé dans toutes nos provinces. Au mois de décembre 1513, les états de Brabant, invités à voter une aide de neuf mille florins du Rhin, avaient exhalé des plaintes amères, s'étaient livrés aux récriminations les plus vives sur la marche du gouvernement, et avaient fini, sur la proposition des députés de Bois-le-Duc, par réduire l'aide demandée à cinq mille florins. La ville de Mons s'était opposée à la levée de l'aide votée par les états de Hainaut[210], et Arlon avait été ensanglanté par une émeute de la commune contre les gens de la loi. Maximilien avait sollicité un prêt de trente mille écus ; on l'accorda en apparence, mais à la condition de verser les fonds en ses propres mains, et dans l'espoir, disait-on, de hâter ainsi son retour par deçà[211]. Quant à la gouvernante, elle se plaignait d'être dans une véritable détresse. Le roi de France avait mis la main sur une part considérable de ses revenus personnels, et elle s'était crue obligée de déclarer à l'empereur que, s'il ne lui venait pas en aide, elle allait se voir dans la nécessité de faire banqueroute[212].

Ces embarras financiers n'avaient point fait disparaître les habitudes de luxe et de faste, qui étaient dans les traditions de la maison de Bourgogne. A Malines, la ville préférée de Marguerite, à Bruxelles, où l'appelaient fréquemment les affaires, les banquets, les bals, les tournois se succédaient sans interruption. Le mariage d'Isabelle, la seconde des filles de Philippe le Beau, fut surtout une occasion de fêtes brillantes. Christiern ou Christian II, roi de Danemark, si tristement célèbre dans l'histoire de son pays[213], immédiatement après son avènement au trône en 1513, avait chargé son oncle maternel, l'électeur Frédéric II de Saxe, de négocier son mariage avec une des petites filles de l'empereur. Les négociations furent longues, et le contrat de mariage fut seulement signé le 29 avril 1514, à Lintz, en présence de Maximilien et de l'ambassadeur du roi d'Aragon. La dot de la princesse était fixée à deux cent cinquante mille florins d'or ; Christiern, de son côté, avait assigné à sa femme un douaire de vingt-cinq mille florins d'or aussi sur les domaines de Sonderbourg et de Nyebourg.

L'alliance ainsi conclue, les ambassadeurs danois vinrent aux Pays-Bas, où ils furent reçus avec la plus grande distinction. Ils arrivèrent le 4 juin à Anvers, d'où ils furent conduits à Louvain, où se trouvait alors Marguerite. Huit jours après, ils se rendirent avec elle à Bruxelles. Le mariage fut célébré en cette ville, le jour de la Sainte-Trinité, anniversaire du couronnement de Christiern. Magnus Gioe, maréchal du royaume de Danemark, chargé de la procuration du roi pour épouser la jeune princesse, fut conduit en grande cérémonie à l'ancien palais des ducs de Brabant, entre dix et onze heures, par le duc Jean de Saxe, le marquis de Brandebourg, Jean de Hornes, seigneur de Baucignies, et une foule brillante de nobles personnages. La princesse fut présentée à l'autel par son frère Charles ; Marguerite se tenait derrière lui, avec sa sœur aînée la princesse Éléonore, promise à Jean III de Portugal. Avant la messe, qui fut chantée dans la grande salle de palais en l'honneur du Saint-Esprit, l'évêque de Cambrai, assisté de l'évêque de Sleswig, procéda aux cérémonies nuptiales. Le soir, à six heures, il y eut à la cour un somptueux banquet, suivi d'une joute à cheval[214]. La journée se termina par un bal, où l'archiduc dansa tellement qu'il en eut une fièvre continue[215]. Les fêtes durèrent jusqu'au 4 juillet, jour du départ des ambassadeurs. La jeune reine ne partit que l'année suivante pour le Danemark, où l'attendaient de si malheureuses destinées.

Maximilien ne laissa pas l'année 1514 se terminer sans se réconcilier complètement avec la France. Par une déclaration portant la date du 1er octobre et signée à Insprück, il ratifia la stipulation en vertu de laquelle son petit-fils était compris dans le traité conclu à Londres le 7 août précédent[216]. Malgré ses répugnances, Marguerite dut faire exécuter cette résolution de son père par ses ambassadeurs près de Henri VIII. Mais le traité de Londres, en rangeant le prince de Castille parmi les alliés du roi d'Angleterre appelés à jouir des bénéfices de l'alliance, avait ajouté la clause : Sauf le droit de suzeraineté et les autres droits appartenant au roi très chrétien[217]. La gouvernante, craignant qu'on ne tirât plus tard quelque fâcheuse conséquence de cette clause, eut soin de faire dresser, avant le signature, une protestation portant que l'archiduc n'entendait accorder dans ses pays aucun autre titre ou pouvoir au roi de France que ceux dont ce prince était actuellement en possession[218].

Cet acte semblait devoir mettre fin à de longues et stériles hostilités. Peu après, Marguerite convoqua les états-généraux à Bruxelles, par ordre de Maximilien. Le 8 décembre, Gérard de Pleine informa l'assemblée, dans une réunion solennelle, que l'empereur avait résolu de se croiser contre les infidèles, et de montrer son petit-fils à ses sujets d'Autriche qu'il allait être appelé à gouverner. Puis, après les avoir entretenus des négociations terminées récemment au sujet du mariage de la princesse Isabelle et de l'adhésion de leur jeune souverain au traité de Londres, l'orateur demanda aux états une aide de cinq cent mille florins, l'allocation des fonds nécessaires à l'entretien de cinq cents hommes d'armes, et une dot de cinquante mille florins pour la reine de Danemark. Au lieu de statuer sur ces demandes, les états adoptèrent une motion des députés de Brabant, qui leur avait été inspirée, parait-il, par tes ennemis de la gouvernante. Ils exposèrent que, d'après le droit commun et la coutume, le petit-fils de l'empereur, leur légitime souverain, était en âge d'être reçu en cette qualité ; que son père avait été reçu à tel ou moindre âge, et qu'il était plus raisonnable qu'il fût reçu dans les Pays-Bas, qui lui étaient échus depuis huit ans, qu'en d'autres pays qui ne devaient lui advenir qu'après la mort de son aïeul. En conséquence, ils requéraient l'émancipation du jeune prince, ainsi que sa mise hors de tutelle et de mambournie, afin qu'il pût prendre en mains l'administration de tous les pays et seigneuries de la maison de Bourgogne. Les états ajoutèrent que, si l'empereur accueillait leur requête, ils étaient disposés à lui accorder, après la réception de l'archiduc, un don gratuit de cent mille florins d'or[219].

Le comte Félix de Werdenberg[220], qui remplissait les fonctions de commissaire de l'empereur dans les Pays-Bas, fut chargé de lui porter ces propositions. Il revint bientôt avec des lettres patentes satisfaisant au vœu des états. Dieu notre créateur et rédempteur, disait Maximilien dans ces lettres datées d'Insprück[221], le 23 décembre 1514, nous ayant, par sa très grande bénignité et largesse, commis et institué gouverneur du Saint Empire des Romains et de plusieurs provinces, pays et seigneuries ; ayant décoré, élevé et honoré notre personne en dignité ; nous ayant fait la seconde lumière de la chrétienté, et, par sa grâce et miséricorde, nous ayant donné d'innumérables biens et victoires, nous nous sentons grandement obligé de faire tout devoir et diligence de les convertir et employer à son service et au profit de la sainte foi chrétienne. A cet effet, nous y eussions employé depuis longtemps notre personne, si nous n'en avions été empêché en plusieurs et diverses manières, et si la fortune très cruelle ne nous avoit enlevé notre fils en la fleur de sa jeunesse, heureusement il a laissé une très belle génération qui, par notre aide et assistance, pourra subvenir à toute la chrétienté. Or, quoique notre petit-fils, qui est tout notre réconfort, esjouissement, plaisir et grande partie de notre vie, soit encore en jeune âge, considérant qu'il a la prudence, le courage et les vertus de vieillesse, nous désirons encore, en nos vieux jours, faire, par son moyen, chose digne de mémoire pour la sainte foi catholique. En conséquence, après y avoir mûrement réfléchi, nous avions résolu d'appeler notre petit-fils près de nous, pour le faire reconnaitre dès maintenant dans tous les pays et seigneuries de notre maison d'Autriche, afin qu'après notre décès lui et son frère fussent d'autant plus assurés d'y succéder, et que les sujets les reconnussent et aimassent comme leurs seigneurs et princes naturels. Mais les états des Pays-Bas nous ayant représenté la convenance d'émanciper préalablement notre petit-fils Charles et de le mettre hors de tutelle et mambournie, pour lui donner en mains l'administration de tous les pays et seigneuries de notre maison de Bourgogne, nous avons accueilli cette demande. Nous commettons notre fille madame Marguerite d'Autriche, le comte palatin Frédéric, duc de Bavière ; le comte Félix de Werdenberg, le président Gérard de Pleine et maître Nicaise Hackeney à l'effet d'émanciper, en notre nom, notre petit-fils Charles, et de l'investir de l'administration de tous les pays et seigneuries de la maison de Bourgogne, qui lui sont échus par la mort de son père.

Aussitôt que la gouvernante eut reçu ces lettres, elle convoqua les états généraux, pour se réunir en assemblée où l'archiduc seroit mis hors de mambournie et reconnu prince en ses pays. La réunion eut lieu à Bruxelles, le 5 janvier 1515. Après qu'il eut été donné lecture des lettres de Maximilien, les sceaux dont la princesse et son neveu s'étaient servis jusque là pour les affaires des Pays-Bas, furent rompus en présence de l'assemblée. La gouvernante présenta ensuite un exposé de son administration. Les états accordèrent à l'archiduc une somme de cent cinquante mille livres de quarante gros pour sa bienvenue. Maximilien, outre les cent mille florins promis par les états, reçut de son petit-fils cent cinquante mille livres en rémunération et récompense des peines, labeurs, soin, travail et diligence, frais et dépens par lui soutenus, pour avoir pourvu à la sûreté de la personne du jeune prince ainsi qu'à la garde et tuition de ses pays durant sa minorité, et pour avoir consenti à son émancipation. L'archiduc y ajouta une rente viagère de cinquante mille livres par an pour le port, faveur et assistance qu'il avoit faits et pouvoit faire à la conservation et au maintien de ses droits, hauteur, seigneurie, pays et sujets[222].

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Le dimenche XVIIIe du mois d'octobre, les estas se tindrent en la salle de la court à Malines, à huit heures du matin, présent monsieur l'archiduc, messieurs du sang, de l'ordre et du conseil, auxquelz estas monsieur le chanchelier déclara et exposa ce qu'il s'enssieut : — Assavoir qu'il avoit à dire aux estas quelque chose, mais non comme chanchelier, pour ce que sa commission estoit espirée, mais pour ce qu'il avoit esté chargé ce faire et qu'il estoit tenu obéir à Monsieur. Ce fait, commencha propposer le partement du feu roy, pour aller en Espaigne pour les grandz biens quy luy estoient escheus, disant que nul ne luy avoit conseillié faire ledit voiaige ; mais par magnanimité, soy-meisme, craindant estre reputé lasche, s'y estoit conciud. — Résuma les grands dangiers, périlz et fortunes qu'il avoit eu sur la mer, et comment, au moyen d'iceulx, il avoit esté contrains aller en Engleterre. — Comment, audit pays, il avoit, par le roy et ses subgets, esté recœuilli et festoyé. — Comment depuis il s'estoit remis sur mer, thiré et arrivé en Espaigne, où il avoit pareillement esté receu, tenu à roy et seigneur des pays, et en effect tout obéy, de jour en jour aucmentant en prospérité, jusques le XIXe jour de septembre dernier, que une fiebvre continue l'avoit prins, depuis redoublé en double tierche, laquelle luy avoit causé la mort. — En parlant de laquelle mort feist plusieurs regretz, en remontrant le mal qu'elle causoit, les grandz dangiers et inconvéniens quy porroient enssieuvir. En considérant laquelle mort, attendu son josne eage, que c'estoit en fleur de jovene un sy grand prince quy estoit apparant estre le plus grand persannaige du monde, ce luy causoit en son cœur une perplexité quy entre Senssualité et Raison luy causoit ung débat et controversie, en tel sorte, que Senssualité se plaindoit d'icelle mort et des maulx qu'elle causoit, et sembloit qu'elle luy faisoit tort de ainsy le avoir précipité en sa vie et sy soudainement. Et Raison respondoit que en ce estoit démonstré la vertu et puissance de Dieu, quy estoit aussy bien sur les roix et princes que sur les mendres ; que Dieu luy avoit fait une grand grâce, en tant qu'il n'estoit terminé au péril qu'il avoit eu sur la mer, mais estoit terminé testat et vray filz de sainte église, ayant fait ses ordonnances, et sy avoit laissié de belle génération et lignie. Ne restoit que deux choses, l'une principalle et première, de prier Dieu, eust pitié de son âme, et la vœuille colioquier en son paradis, dont il admonestoit ung chacun prier, et au surplus remettroit le reste au père prédicateur qui le jour de son obsecque, en feroit la prédication. L'autre estoit de mettre ordre et provision à Mess. ses enfans et leurs pays. — Avant de laquelle provision parler déclare qu'il sambloit estre expédient veoir le testament que à son partement il avoit fait, qui estoit clos et scellé, lequel il présenta, quy fut ouvert et leu par monsr l'audienchier. — Par lequel testament, quy fut fait à Meldebourg, en janvier Xc et V dernier, il avoit ordonné ses exécuteurs monsr le chancelier, monsr de Chièvres, de Ville, Lassau, monsr de Salubry, son confesseur, et monsr l'audienchier, à chascun desquelz il ordonne mil livres. — Avoit aussy ordonné, se en allant ou retournant il terminoit sur la mer en dechà, et la ducé de Bourgongne fust en ses mains, qu'il fust inhumé à Dijon avec les ducs de Bourgongne, ses prédécesseurs, sinon à Brughes avec sadite dame sa mère ; et se en Espaigne, fust inhumé en Grenade avec la royne sa belle-mère, et y fondé une haulte messe à notte chascun jour et Lx mille basses messes. — Item a donné à ses filles chascun deux cens mil escus d'or â prendre sur ses pays. — Item à ses deux filz ses pays et seigneuries, aux charges que dessus. — Item volloit que la royne, sa femme, eust tal douaire que par son mariage ordonné luy avoit. — Item aux povres a donné XXX mil flourins. — Item à cent povres honnestes filles à marier a donné à chascune cent livres. — Ledit testament veu, fust apporté le seel de la chancellerie, quy, présent chascun, fut cassé et rompu. Registres mémoriaux de Béthune, aux archives de cette ville ; communication de M. Gachard, Bulletins de la commission d'histoire, 2e série, t. V, p. 107.

[2] Le jeune prince Ferdinand et sa troisième sœur Catherine étaient en Espagne.

[3] Lettre du roi d'Angleterre au Sr de Chièvres ; Bulletins de la commission d'histoire, 2e série, tome V, page 110.

[4] M. Henne, Histoire de la Belgique sous le règne de Charles-Quint, tome 1er, page 48.

[5] Voici la teneur de ces pleins pouvoirs : Maximilien, etc. A toutz ceulx qui ces présentes lettres verront ou orront, salut. Comme à la très humble requeste et prière à nous faicte par les députez des estas, etc., ayons accepté la tutelle, mainbournye et gouvernement de noz très chiers et très aymés enfans, Charles, archiduc d'Autriche, prince d'Espagne, etc., et de ses frères et sœurs, en tant que à chascun d'eulx en son endroit peult et pourroit cy-après compéter et appartenir ; et pour fere et accomplir les serrementz à icelle manbournye, tutelle et gouvernement appartenantz et accoustumez en telz cas et selon la coustume de nos dits pays et seigneuries de par delà, eussions faict congréguer les estas des dits pays en nostre ville de Lovain, auxquelz havions espoir nous trover personnellement, combien que, pour les très grantz et très nécessaires affaires à nous survenuz, lesquelz havons faict déclarer et expouser à ceulx desdits estaz et autres, ne nous ait esté possible nous trover à ladite jornée personnellement, ainsi que le desirions, ains pour non laisser les dictz pays et subgectz d'iceulx despourveus et deconfortez, ayons auxdicts estas envoyez hault et puissant prince, nostre très chier et très aymé cousin, Guillaume, duc de Jullier et de Montz, et messire Sigismond Plouch, docteur en tous drois, doyen d'Envers, nostre conseillier, aveque povoir et procuration de jurer en nostre personne et sur nostre ame et conscience, aynsi que semblables mainbours et tuteurs ont accoustumé de jurer. Et semblablement ayons envoyé et commis haulte et puissante princesse, nostre très chière et très amée fille, Marguerite d'Autriche et de Bourgogne, duchesse de Savoye, aveque pleins povoirs et mandementz espéciaulx tant de recepvoir pour et au nom de nous des dits estas et de toutz nos dits pays et seigneuries de par delà, en général et particulier, et en telz lieuz ou lieu que mestier et besoing seroit, les seremantz des subgects des dits pays, tielz que à nous, comme tuteur, mainbour et gouverneur desdits noz enfans, pays et seigneuries, compétent et appartiennent, doibvent et sont accoustumez de faire ; quant aussy pour après les ditz seremantz recespus en nostredit nom, durant nostre absence, havoir le régime, gouvernement et administration de noz dis enfans et pays de par delà. Et il soit que haions esté adverty cornant les dis de nos estas congrégués audit Lovain de un commun accord, considérant nos excuses et ernpeschemantz estre raisonnables, haient accordé de recepvoir nostredit serremant par nos dits procureurs ; et semblablement chascun d'eulx en leur endroit, fère leur seremant, pour et au nom de nous ès lieux accoustumez sellon la forme de leurs franchises et libertez, ès mains de nostre dite très chière et très amée fille, comme représentant nostre personne, la priant se vouloir personnellement transpourter es dits lieux accoustumez pour recevoir au nom de nous les dits seremantz des subgets, et pour fère jurer par nos dits députez et procureurs es dits lieux comme il appartient ; ce quelle ha accordé fère, haiant nostre dite fille agréable pour et en nostre absence et en nostre nom régir, governer et administrer nos dits enfans, ensemble les dits pays, terres et segneuries commant icelle à cui après nous est la plus proche et de droit mieulx il lui appartient et compète, sçavoir faisons que nous, toutes ces choses considérées, et nous confiant pleinement et entièrement d'icelle nostre dite fille touchant sa prudence et expérience, et désirant toutes les choses des dits pays, en nostre absence et au nom de nous, estre par elle conduictes, la commettons, ordonnons et de noveau establissons nostre lieutenante générale et. gouverneresse et admistraresse des persones, corps et biens, terres, seigneuries et pays de nos dits enfans, autant que à chascun d'eulx touchent et compétent, avecq plein et entier povoyr et auctorité de faire, conclure, pourveoir et accomplir en toutes choses occurantes es dits pays durant nostre dite absence, pour et à nostre nom, tout aynsi que pourrions fère nous-mesures si nous y fussions en personne, tant en faictz de justice, de grâce et de finances, offices, bénéfices, confirmations et franchises que autres quelconque, la mettant touttellement, durant nostre dite absence, en nostre lieu, et lui donant tout tel povoir que nous-mesmes havons, revotant toutz autres lieutenantz par nous es dits pays, et déclarant que elle seule puisse nostre dit povoir exercer. Et promettons en bonne foy d'havoir et tenir pour ferme, estable et agréable à tout jour mays tout ce que par nostre dite fille au nom de nous, ès choses dessus dites, sera faict, et le confermer, ratifier et approver, toutes et quantes fois qu'en serons requis sans jamais aller ou faire ne souffrir estre allé du faict au contraire et en temoing, etc. Correspondance de Maximilien et de Marguerite, tome II, page 431.

[6] Le maire et les échevins d'Amiens, informés que la princesse renvoyée devait passer par leur ville, décidèrent à l'unanimité qu'ils n'iraient pas au devant d'elle. Alors comme aujourd'hui, remarque avec trop de raison M. Le Glay, le respect pour les grands s'affaiblissait avec leur prospérité.

[7] Elle avait adopté pour devise ces mots souvent cités : Fortune infortune fort une.

[8] Laserna-Santander, Mémoire sur la Bibliothèque de Bourgogne, cite plusieurs de ces fragments poétiques dont voici un court échantillon :

Me faudra-t-il toujours ainsi languir ?

Me faudra-t-il enfin ainsi morir ?

Nul n'aura-t-il de mon mal cognoissance ?

Trop a duré ; car c'est dès mon enfance.

M. de Reiffenberg en a rapporté d'autres dans ses Notices et extraits des mss. de la bibliothèque de Bourgogne, I, 20 et suivantes.

[9] Garnier, Histoire de France, t. XI, p. 332.

[10] Azevedo ad ann. 1507, cité par M. Altmeyer, dans son travail sur Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, sa vie, sa politique et sa cour. — Azevedo, prévôt de l'église de Notre-Dame à Malines (1712-1785), a collaboré à des chroniques locales publiées à Louvain sous le titre de korte Chronyke der stadt en de prorincie van Mechelen.

[11] Espèce d'édicule qui entourait le sarcophage.

[12] Forme tenue aux vigilles et services de feu de très noble mémoire Philipes, le roy de Castille, de Léon, de Grenade, etc., duc de Bourgongne, conte de Flandres, d'Artois, etc., faicte en la ville de Malines, le dimanche XVIIIe et lundi XIXe jour de jullet l'an mil Vc sept ; dans les Bulletins de la commission royale d'histoire, 2e série, tome V, pages 113-119.

[13] M. Émile Gachet, Rapport à la Commission royale d'histoire sur ses recherches dans plusieurs dépôts littéraires de France, 2e série tom. IV et V.

[14] On nous a conservé son nom et celui des berceuses du jeune prince : la nourrice s'appelait Barbe Servels, elle mourut en 1554, et fut enterrée dans le chœur de l'église de Sainte-Gudule à Bruxelles ; les berceuses se nommaient Josine de Nyeuwerve et Marguerite de Poitiers.

[15] Traité du 19 juin 1502, dans Dumont, IV, 1re partie, 30.

[16] M. Henne, auquel nous empruntons ces détails, dit que Vacca fut adjoint ensuite au célèbre Louis Vivès appelé à diriger les études de jeune prince. Aucun témoignage ne prouve, à notre connaissance, que Vivès ait eu quelque part à l'éducation de Charles V. Son âge d'ailleurs — il était né en 1492 — le prouve suffisamment. — Dans une lettre à Maximilien, la gouvernante recommande le prothonotaire Loys Vacca, maistre d'escolle de monseigneur, à cause des grans et notables services que depuis huit ans a journellement fait en l'estat de maistre d'escolle, aprenant monseigneur en sy grant soing et diligenche, comme bon et loial serviteur doit faire. Pour quoy vous advertis que ledit prothonotaire est noble homme et de honneste vie, soufisanche et coustumes, et digne personne d'estre mieulx rémuneré et avanchié en guaiges et aucune dignité que jusque à maintenant n'a esté, pour les bons et pourfitables services que de sy lonc temps a fait, et à celle fin que cy après se puisse mieulx emploiier et continuer ledit serviche ; car luy seul aprint monseigneur et ses sœurs ensamble trois années, depuis à monseigneur tout seul, avecque ses enfuis d'honneur trois aultres années, jusque à la venue de l'aultre maistre d'escolle, que tous deux ont apris monseigneur ensamble jusque à maintenant. Correspondance, tome II, page 115. — Charles-Quint, dit M. Henne, n'oublia pas les soins de Louis Vacca, et la pension qu'il lui alloua avec le titre de conseiller, fut sans doute un témoignage de sa reconnaissance. A me Loys Vacca, conseiller de l'empereur, IIcXLV livres XIV sous VI deniers. Revenus et dépenses de Charles-Quint, 1520-1530, f° IIIe VIe.

[17] Il écrivait à la gouvernante : Ayés toujours pour recommandé nos lignages (enfants) de Malines, et mesmement que l'archiduc Charles aprende bien tost le thiois. Correspondance, II, 176. De son côté, le prince de Chimai écrivait à l'empereur : Et ensuivant vostre desir, je tiendray la main à ce qu'il apprendra le brabanchon, quand sa langue s'y porra tourner, et qu'il le saura lire. Chmel, Urkunden, bl. 253.

[18] A Guillaame Pignon, concierge de lostel et garde des lyons de monseigneur en sa ville de Gand, pour la nourriture et despens de IIII lyons et ung ours par luy gouvernez et entretenus... Compte de Liévin Lyns.

A maistre Pierre de Rycke, garde des lyons de l'empereur de sa ville de Gandt, aux gaiges accoustumez qui sont de deux solz de deux gros le soit par jour. Compte de Pierre de Greezeval, receveur général de Flandre ; aux archives du royaume, 2713.

A maistre Pierre de Rycke, licencie ès loix et garde des lyons de l'empereur nostre seigneur, en sa ville de Gand, la somme de six cent soixante huit livres quinze sols parisis, pour la garde et nourriture de sept lyons et ong ours, ensemble pour la despense et entretenement d'ung joine lyon. Compte de Guillaume de Waelwyc, receveur général d'Oost-Flandre, aux mêmes archives, 2714.

[19] Quirini ap. Gaçhard, les Monuments de la diplomatie vénitienne, tom. XXVII des Mémoires de l'Académie, in-4°.

[20] Jean Le Maire des Belges, Cronicque annale de très haulx, très puissants et très illustres princes et princesses de la maison d'Autriche, ms. cité par M. Gachard, Bulletins de la Commission d'histoire, I, 211.

[21] Expressions des députés de Namur ; Compte de G. de Croy, fol. XIX.

[22] Lettre du comte de Réthel à Louis XII, du 15 juillet 1507.

[23] Lettre de Marguerite, dans le Registre mémorial de 1501 à 1505 aux archives de Béthune. — Maximilien annonçait depuis longtemps l'intention de se rendre à Rome, pour y recevoir la couronne impériale. Jules II, voulant l'éloigner de l'Italie, avait conclu une ligue avec Louis XII, les Vénitiens et d'autres états ; mais bientôt, redoutant plus le roi de France que l'empereur, il pressa celui-ci de passer les Alpes, à la tête d'une armée. Ses instances furent appuyées par la république de Venise, qui offrit un passage sur son territoire ; et Maximilien, qui ouvrait alors une diète à Constance (1507), détermina cette assemblée à décréter la levée de quatre-vingt dix mille hommes. Cette levée se fit avec une activité peu commune, et neuf cantons helvétiques promirent d'y joindre six mille des leurs. Mais Louis XII, qui ne voulait point être en guerre avec l'empire, licencia son armée après avoir soumis Gènes.

[24] Correspondance, tome I, pages 7-9.

[25] Compte de Jean de Villers, Archives du royaume, f° 12813.

[26] Compte de G. de Croy.

[27] Lettre du 20 août 1507.

[28] Lettre du 21 août.

[29] Lettre de ces seigneurs du 4 septembre, dans les Gedenkstukken tot opheidering der Nederlandsche geschiedenis, opgezameld uit de archiven te Ryssel, door Van den Bergh, Leyde, 1845 ; tome II, page 93.

[30] Mémoires de Fleuranges. — Robert III, de la Marck seigneur de Fleuranges, dit l'Adventureux, naquit à Sedan vers 1490, et mourut à Longjumeau en 1537. Il se distingua surtout dans les guerres d'Italie, et commanda l'avant-garde à Marignan. Fleuranges a laissé des Mémoires intéressants, qui s'étendent de 1499 à 1521.

[31] Fisen, II, 321.

[32] Fleuranges.

[33] Fleuranges.

[34] Frédéric d'Egmont, comte de Buren, le propre oncle de Charles d'Egmont et son plus implacable ennemi. — La seigneurie de Buren avait été érigée en comté par Maximilien en 1492 : elle relevait directement de l'empire.

[35] Compte de G. de Croy.

[36] Compte de G. de Croy. — Fleuranges.

[37] Johannes de Los, Chronicon.

[38] Lettre de Philippe Haneton à Jean de Marnix, dans Le Glay, Négociations diplomatiques entre la France et l'Autriche, I, LXXXVI, note I.

[39] Compte de Nicolas Rifflart.

[40] Négociations diplomatiques, I, 205.

[41] Lettre du 31 décembre 1507 ; Correspondance, I, 30.

[42] Actes et affaires traités par les états de Brabant, n° 672, aux archives du royaume ; citation de M. Benne.

[43] Le Brabant vota la continuation de l'aide de quarante deux mille livres pour les mois de juin, juillet et août. Le comté de Namur accorda, le 2 mai 1508, une aide de neuf mille philippus d'or pour les dépenses de la guerre.

[44] On lit dans sa Correspondance diverses lettres datées de Breda et de Bois-le-Duc.

[45] Slichtenhorst, XIV Boeken van de Geldersse geschiedenissen, XI, 326.

[46] Chapeauville.

[47] Chapeauville.

[48] Lettre de Marguerite du 13 août.

[49] Lettres inédites de Maximilien, publiées par M. Gachard, Bulletins de la Commission d'Histoire, 2e série, pages 308-312.

[50] Compte de Valérien de Busleyden.

[51] Négociations diplomatiques, I, 216.

[52] Compte de Guillaume de Croy.

[53] Lettre de Maximilien du 6 août 1508 ; Lettres inédites, 313-318.

[54] Lettre de Maximilien du 6 août 1508, Lettres inédites, 313-318.

[55] Dumont, Corps diplomatique, tome IV, 1re partie, page 110.

[56] Les états s'assemblèrent au couvent des carmes. Azevedo.

[57] Jean le Sauvage, seigneur d'Escaubeek, d'Itterbeek, Ligni, etc., né à Bruxelles en 1455, avait été nommé à ces fonctions par lettres patentes du 24 juin 1508 ; nous le retrouverons plus loin chancelier du Brabant.

[58] Rootboeck, f° XXII. — M. Gachard, des Assemblées nationales.

[59] Correspondance, I, 87.

[60] Négociations diplomatiques, I, 218. — L'original de cette ratification est aux archives de Lille.

[61] Instructions pour les députés de l'évêque d'Utrecht envoyés à Marguerite (novembre 1508) ; Gedenkstukken, II, 147.

[62] Mathieu Lang, évêque de Gurck ou Gurce, dans la basse Carinthie (Autriche), plus tard cardinal et archevêque de Salzbourg. C'était un homme fort distingué, et dont on a fait cet éloge rappelé par M. Henne : Vir singularis prudentiæ et doctrinæ, magnificus, beneficus, et maxime hospitalis.

[63] Lettre de Maximilien du 27 octobre 1508 : Correspondance, I, 99.

[64] Correspondance, I, 99. — Maximilien recommandait à sa fille, dans la même lettre, de sa faire accompagner à Cambrai par l'ambassadeur d'Angleterre, Edmond Wingfeld : Nous désirons et vous ordonnons que menez avec vous audit lieu de Cambray l'ambassadeur de nostre bon frére le roy d'Angleterre estant lez vous, Edmon de Winkenfeld, et voulons qu'il soit présent à toutes communications et choses qui s'y traictront, ainsi que entendrez plus à plain par nostre très chier et féal conseil-Lier et prince de nostre saint-empire, l'évesque de Gursse.

[65] M. Gachard, Introduction aux lettres in édites de Maximilien, 198. Rootbœck, f° XX-XXIII v°.

[66] Compte de J. Micault.

[67] Reiffenberg, Histoire de la Toison d'or, 282, note 2.

[68] Lettre du 15 février 1515, ordonnant au grand conseil de Malines d'entériner et d'enregistrer les lettres patentes qu'il avait délivrées à cet effet au mois de janvier à Louvain. Bulletins de la Commission d'histoire, 2e série, VII, 74.

[69] Ph. Le Bas, Dictionnaire encyclopédique de la France.

[70] Le président de Grégory, Storia della vercellese letteratura, VIII, 8.

[71] Ce roi de Navarre était Jean d'Albret, arrivé à la royauté par son mariage avec la princesse Catherine, héritière du trône (1483). Jean, vicomte de Narbonne, oncle de Catherine, avait voulu lui disputer la succession, mais il avait renoncé à ses prétentions par un traité signé à Tarbes en 1489. Quand son beau-frère le duc d'Orléans eut obtenu la couronne de France sous le nom de Louis XII, il renouvela ses prétentions. Ces démêlés ne furent terminés qu'en 1517, par un arrêt du parlement de Paris, favorable à Henri d'Albret, fils et héritier de Catherine. — Voici un passage d'une lettre de Marguerite relative à cette difficulté : Hier mondit seigneur le légat, après disné, combien que luy et moy desjà eussions conclud que le roy de Navarre seroit compris en la paix comme vostre alligé, me dit et déclara que le Toy son maistre n'entendoit ledit roi de Navarre estre nullement compris en ladite paix, et luy avait escriptes lettres de sa main à ces fins, lesquelles il me monstra. — Et pour ce, monseigneur, que je trouvay lesdittes lettres et parler de mondit seigneur le légat bien estranges, et me sembloit chose dissimulée plus que aultrement, attendu mesmement la conclusion par moy prinse avec ledit sieur légat et aultres ordonnez avec luy sur laditte affaire de Navarre, aussy qu'il m'avoit dit avoir tout povoir à son arryvée devers moy, à ceste cause, considéré que par vosdites instructions entendez ycelluy roy de Navarre estre comprins en laditte paix, et que ce ne seroit vostre honneur le délaisser derrière, veu la bonne amour et désir qu'il a de faire service à vous et à vostre maison, ay dit et déclaré audit sieur légat résolutivement délaisser le tout plutôt que ledit roy de Navare fust comprins en laditte paix ; au surplus, me desplaisoit les choses estre si près approchées au dénouement, et demeurer à conclure à si petite occasion, et que déliberoye me partir le plus tost que pourroy, cognoissant la perdition de temps, et que ce n'estoyent que tous abus. — Monseigneur, depuis mondit sieur le légat m'a fait prier et requérir très instamment vouloir surceoir mondit partement, duquel il est incertain, de deux ou trois jours, et jusques il ait responce dudit seigneur roy son maistre, auquel il doit avoir escript bonnes lettres, desquelles il attend avoir brief responce. Laquelle chose considérée, et que ne puis partir si soudain afin aussy que ledit sieur légat outres ne puissent dire que à moy c'est tenu à cause de mondit partement, luy ay accordé demeurer jusques à jeudy prochain. Desquelles choses, monseigneur, vous ay bien en toute humilité voulu advertir, à ce que vous congnoissiez le devoir en quoi je me suis mise, et que bonnement pour vostre honneur et le mien ny pourroy fere aultre chose. Correspondance, I, 109. — Le cardinal d'Amboise prenait le titre de légat a latere du Saint-Siège en France.

[72] Lettres de Louis XII, I, 132.

[73] Dumont, Corps diplomatique, tome IV, 1re partie, pages 109-113. — Le traité est précédé des pleins pouvoirs donnés à Marguerite et au cardinal d'Amboise. La première de ces pièces est fort remarquable ; le sentiment, dominant alors encore, de la solidarité entre les nations chrétiennes et de la nécessité d'une union active contre les infidèles y est exprimé de la façon la plus énergique.

[74] Dumont, Corps diplomatique, tome IV, 1re partie, pages 113-118. — La traduction contemporaine des textes latins de ces traités a été publiée par M. Le Glay, Négociations diplomatiques, I, 225 et suivantes.

[75] État des dons et sacrifices faits de ses propres deniers par Marguerite d'Autriche durant son administration. Ce document repose en double aux archives de Lille, chambre des comptes, section des portefeuilles.

[76] Voir dans Rymer, Fœdera, VIII, 236, l'Instrumentum publicum super contracta matrimonio inter Carolum principem Hispaniarum, Maximiliani I Romanorum imperatoris nepotem, et Mariam, filiam Henrici VIII, regis Angliœ. Datum in patatio regio Richemont die 17 decembris anno 1508. Cet acte se trouve aussi dans Dumont, IV, 2e partie, p. 119. Il est en latin, mais les engagements des contractants sont reproduits en français.

[77] Préambule de la résolution des états, Gedenkstukken, II, 155. — Roodboek. — Compte de G. de Croy.

[78] Compte de G. de Croy. — Voir aussi M. Gachard, Introduction aux lettres inédites de Maximilien, 197, note 4, et Rapport sur les archives de Lille.

[79] M. Kervyn de Volkaersbeke, Joyeuse entrée de l'empereur Maximilien Ier, à Gand, en 1508, dans le Messager des sciences historiques, année 1850, pages 1-34. M. Kervyn n'a pas fait attention à la différence entre l'ancien style et le nouveau. Les curieux détails qu'il a réunis sont tirés des comptes de la ville et du Boeck van memorien der stadt Gendt.

[80] Fisen, II, 323.

[81] Le magistrat de Malines gratifia les négociateurs d'une somme de cinquante philippus d'or du Rhin. Azevedo.

[82] Compte de J. Micault.

[83] Lettre de mars 1509, adressée à Gattinara. Lettre de Louis XII, I, 150.

[84] Archives de l'audience et du conseil d'état, aux archives du royaume.

[85] Compte de Jean de Berghes, Archives du royaume, n° 15,203.

[86] Correspondance, I, 130.

[87] Correspondance, I, 238.

[88] Lettre du 1er janvier 1510 ; Gedenkstukken, II, 175.

[89] Rapport de Thomas Isaac, dit Toison d'or, à Marguerite, du 31 janvier 1510 ; Gedenkstukken, II, 178.

[90] Gedenkstukken, II, 195. Lettre de Marguerite à Jacques Villingher, de mai 1510.

[91] Les états de Namur, entre autres, votèrent une aide de neuf mille livres, payable en trois ans.

[92] Sur le Zuyderzée, à 14 kilomètres N. O. d'Arnhem.

[93] A deux lieues S. O. d'Utrecht, sur l'Yssel.

[94] Correspondance, I, 390, 392.

[95] Lettre du 23 mai ; Lettres de Louis XII, 241.

[96] A Henry a Brebis, Jehan du Bleron, Georges de Tollier dit Florequin, huissiers d'armes à cheval accompaigniez de trois compaignons à cheval, pour avoir esté par l'ordonnance du lieutenant de Sainzelles et en vertu des lettres de monseigneur le gouverneur avec aucuns piétons au nombre de huit, vers les lieux et places de chemin, passaiges et chemins thirans de Maisières au païs de Liège et ailleurs tant de nuit que de jour y compris quatre jours, pour espier les secrétaires du roy de France et du duc de Gheldres. Compte de Jean de Berghes, de 1511 à 1513.

[97] Fils de Jean de Berghes, gouverneur de Namur.

[98] Rapport adressé à la gouvernante le 2 juin 1511 ; Gedenkstukken, II, 293.

[99] C'étaient Maximilien de Hornes, seigneur de Gaesbeek ; le doyen de Louvain Adrien d'Utrecht (le précepteur de Charles) ; Toison d'or et Jacques de Voocht, pensionnaires d'Anvers ; Correspondance, I, 423. —Voir aussi la lettre qu'ils écrivirent à cette princesse le 24 juillet 1511, Gedenkstukken, II, 307.

[100] Lettre d'André de Burgo, ambassadeur de Maximilien à la cour de France, du 6 juin 1511 ; Lettres de Louis XII, II, 255.

[101] Le 13 juin, elle avait ordonné aux officiers du Brabant wallon d'y enrôler six mille combattants, et de les tenir prêts à marcher au premier ordre d'appel. Le 30 on y leva encore cent pionniers, et, le même jour, tous les chevaux de corvée, avec leurs harnais, furent mis en réquisition pour l'artillerie et les chariots de munitions. Compte de Paul Oeghe, seigneur de Faucuwez, de Virginal, de Samme et de Sart, conseiller ordinaire de l'empereur ; Archives du royaume, n° 12,813.

[102] Azevedo.

[103] Monsieur de Gheldres à esté sur le Zurzee et nos gens de Hollande ont esté contre eux, à tout XVI bateaux, et les ont enchassé et se sont fuy. Lettre de Florent d'Ysselstein à Marguerite du 12 juillet 1511 ; Gedenkstukken, II, 314.

[104] Rymer, VI, 1re partie, 21.

[105] Lettres de Louis XII, II, 291.

[106] Lettre de Marguerite ; Correspondance, I, 423.

[107] Marguerite le nomma lieutenant et coadjuteur du comte Jean d'Egmont, que son âge avancé ne permettait pas d'appeler à la tête d'une armée. Correspondance, I, 532. — Jean d'Egmont, né en 1438, avait été nommé gouverneur de la Hollande en 1484.

[108] Correspondance, I, 424. Pour ce que, ajoute-t-elle, comme je croy, en matière de guerre n'a nul prouffit pour eulx.

[109] Correspondance, I, 424.

[110] Correspondance, I, 424.

[111] A Lambillion Crinequin, Pierot Piechotte, Henin de Rostine, compaignons de guerre, et à dix autres compaignons aussy de guerre avecq eulx, par l'ordonnance de madame et de monsieur le gouverneur, qui avoient escript estre advertis que le Heda, serviteur de messire Charles de Gheldres, estoit allé en France pour sondit maistre, avoir tenu sur les chemins, bois et passages, en grand péril et dangier de leurs personnes : pour à son retour prendre et apprehender, si faire pooient. Compte de J. de Berghes.

[112] Compte de J. de Berghes.

[113] Compte de Valérien de Busleyden.

[114] Compte de J. Micault.

[115] Les états de Namur, entre autres, en votèrent une de trois mille livres pour le payement des gens de guerre estant devant Venloo. Compte de Jean le Vignon, Archives du royaume, n° 16,626.

[116] Compte de J. Micault.

[117] De ma part, monseigneur, suys délibérée y riens espargnier et vous asseure que je y ay desjâ employé plus de Xm frans du mien, et suis preste à y mectre le tout pour le tout, cuydant faire à vous et à monseigneur mon nepveu bien grant honneur et service. Correspondance, I, 431.

[118] Le petit exploit que nostre armée devant Vannello a jusques icy fait, procède pour deux raisons : l'une, que à l'encommencement du siège, ils n'assiégèrent de tout ladite ville ; en quoy ils s'excusent sur le petit nombre des gens qu'ils avoient ; toutes fois je suis seure que s'ils eussent mis le siège comme ils devoient et povoient bien faire avec les gens qu'ils avoient, ils l'eussent emporté. L'aultre, à cause que mon cousin, le comte de Nassau, qui estoit capitaine général, n'y est peu aller pour sa maladie, et l'admirai y estant en son lieu est demeuré malade, qui s'en est icy venu, et a le seigneur d'Hestin sur ce eu la charge de ladite armée. Par ainsi, pour la diversité des capitaines, ou, affin que à la vérité je dye mieulx, pour l'insouffisance d'iceux, les choses ont été conduites de ceste sorte jusques à présent, à mon très grand regret et desplésir. Correspondance, I, 441.

[119] Pour ung voyage fait vers madame estant au Bois-le-Duc, et aussi vers monsieur de Berghes, gouverneur estant en Hollande, les advertir que Robert de la Marck avoit envoie au siège de Venneloo, vers le capitaine des Allemans, Andrely, pour le séduire de soy et ses gens allemans rethirer dudit siège en luy faisant présenter grande somme de deniers. Compte de Jean de Berghes (1510-1511).

[120] Très chière et très amée fille, il nous desplait bien de la perte dudit assault et encoires plus des bons et vertueux personnaiges qui y sont demeurez ; mais ce sont fortunes de guerre que prenons comment Dieu les nous donne ; et estoit bien toujours nostre advis que nos gens ne prouffiteroient guère devant ledit vennelo ; car nous nous congnoissons quelque peu en tels affaires. — Nous sçavons bien qu'il n'a pas tenu à vous ne à autres gens d'honneurs et de vertus que n'ayons eu meilleure forture, et, moyennant l'ayde de Dieu, nous espérons de, sur l'esté advenir, réparer et recouvrer le tout et aller par delà en personne le plus tost que pourrons pour estre le chief et le plus féable capitaine que vous sçaurions ordonner ny envoyer en ceste dite guerre, vous requérant non prendre à cœur ladite fortune, oins ensuyvant vostre bon advis, et sur attendant nostre venue, mettre quelque bonne ordre en ladite guerre de Gheldres, que, durant cet yver, nos bons subjects de par delà ne soient foulez ou adommaigez desdits Gheldrois, leurs ennemis, et en faire toujours pour le mieulx, comme avons nostre fiance de vous. Correspondance, I, 452.

[121] Et pour ce, monseigneur, que à diverses fois vous en ay bien et au long fait dire mon petit advis, tellement que l'avés bien peu comprendre et entendre, et les causes qui à ce m'ont meu, ne suis plus délibérée vous ennuyer ou travailler, remettant le tout au bon plésir de Dieu, lequel par sa bonté vous doint gràce de conduire et guyder toute choses à vostre honneur et prouffit, comme je le désire ; car après vous suis celle qui du bien auray plus de consolacion et plésir, et du mal, s'il advenoit, que Dieu ne veuille, plus d'ennuy et regret que personne qui vive. — et néantmoing, pour ce que les choses vont journellement en plus grande commocion, ne me sçauroie abstenir vous encoires supplier y prendre garde et avancer vosdites affaires pour les causes que entendes mieulx que moy ; vous asseurant, monseigneur, que, où que les choses se traictent, pourveu que ce soit à vostre honneur et prouffit, n'en sçauroie avoir que tout plésir et esjouyssement et n'ay tant de désir de m'en mesler que j'ay désir que tout voise bien et que, en vos vieulx jours et durant la minorité de ce josne prince, vous puissiés trouver en pax et repose pour le mettre à l'avant et entendre soigneusement au gouvernement de sa personne et de ses biens, qu'est la chose que plus vous touche, après le salut de vostre âme. Correspondance, I, 440.

[122] Marguerite de Croy, comtesse de Hornes, avait obtenu, en 1505, des lettres de sûreté de Charles d'Egmont son parent. Mais pour se venger du comte de Hornes, qui avait assisté au siège de Venloo, et de sa femme, amie intime de la gouvernante, il lui retira cette faveur, et les Gueldrois assaillirent la ville dans la nuit même où expirait la sauvegarde.

[123] Hanutum oppidulum et vicina loca Namurcensia, quod illi oppidum Venlonense primi obsedissent, spoliarunt et incenderunt. Chapeauville, III, 247.

[124] Je crois devoir citer cette lettre toute entière, comme caractérisant parfaitement la situation : Monseigneur, j'ai receu lettres qu'il vous a pieu m'escripre de vostre main du XVI de ce mois. par lesquelles m'escrivés comment renvoies de par deçà le duc de Brunswich mon cousin, à ceste fin qu'il puist mectre en subjection messire Charles de Gheldres et les autres rebelles Gheldrois, et aussi comment vous désirés qu'il soit entrectenu par les Estatz de Brabant et Hollande, et autres choses contenues en vosdites lettres. Monseigneur, je vous promect que, si vous le désirés, je n'en ay pas moindre désir et voulente, congnoissant que c'est vostre bien et honneur et le mien, et aussi le bien et seurté du pays. Toutefois, monseigneur, nostre peuple desdits Estas est d'une si maulvaise nature que il ne me semble point que il soit conduysable en manière quelconque, si ce n'estoit au moyen de vostre venue, qu'est toujours plus que nécessaire ; car à l'assemblée que lesdits Estas firent à Breda devers mondit cousin, ils conclurent de non le vouloir entretenir, et contendent unanimement à vouloir paix, quelle qu'elle soit, et ont desjà, ceulx de Bos le duc mys en avant aux aultres villes de Brabant de la conduire et passer demandant leur consentement. A quoi a esté obvié jusques icy. Monseigneur, j'avoye fait assembler lesdits Estas pour furnir au paiement des gens d'armes, qui ont par leur advis esté mis aux frontières de Brabant, cuydant qu'ils n'y deussent mectre difficulté. Toutefois, ils ont absolutement refusé de le faire, assavoir les villes de Lovain et Bruxelles. et par conséquent les autres. Et en se partant de moy, les dits Estas dirent qu'il leur convenoit avoir une paix ; et que cependant qu'ils bailleroient argent ou paieroient gens d'armes, jamès n'auroient paix. Monseigneur, je leur ay remonstré et fait communiquer le devoir en quoy vous estiès mis pour ledit affaire de Gheldres, et prié de vouloir autrement conduire les affaires pour le bien de leur prince et pour leur honneur ; et ay fait reprendre nouvelle journée à Bruxelles au IIIIe d'avril, pour veoir si l'on pourra rien faire, quant au paiement desdits deux mois. Et au surplus de ce que désirés et pour dire vérité, monseigneur, je n'y ay pas grand espoir, veu le maulvais vouloir dudit peuple. Je crois bien, monseigneur, que Anvers, Bosleduc et ceste ville seroient aucunement maniables ; mais des aultres je ne voy le moien ; et si ne vous sçanroie dire à cuy il tient ; car ce sont choses qui ne se font ou traictent publiquement pour le savoir. — Monseigneur, pour ce que le peuple m'a trouvé tousjours conforme à vostre désir et preste à vous obéir de mon povoir, tant en test affaire de Gheldres que aultres choses, il commence, par l'eschart d'aucuns maulvais espritz, comme il fait à croire, à murmurer sur moy, disant que je ne demande que la guerre et les destruyre, comme vous avés fait ça devant, et plusieurs aultres maulvaises parolles tendans toutes à commotion de peuple ; et que pis est, la nuyt du vendredy saint s'avancèrent secrètement de planter aucuns billietz ès portes de l'esglise de ceste ville, à ma dérision et contemnement, que sont, monseigneur toutes maulvaises choses, ès quelles par vostre venue pourrés remédier, et verrés en quel train sont les affaires qui ont bien besoing de vostre conduicte ; car je ne sçay plus quel tour y donner, veu la petite assistance que j'ay d'ung chacun et la povreté des finances. Et si tout se devoit perdre pour mil florins, le trésorier dit n'avoir moyen de les trouver. Par quoy, monseigneur, pavés assés comprendre l'extrémité desdits affaires. Si vous supplies, monseigneur, très humblement avancer vostre dite venue ; aultrement tout viendra bref en si grande confusion qu'il n'y aura remède y bien pourveoir. Monseigneur, il me déplait que suis constrainte vous escripre toujours choses tristes et desplaisantes : mais je ne puis aultrement faire, et en ay après vous plus d'ennuy et de regrect que personne qui vive. Et néantmoing. moyennant vostre venue, suis preste à reprendre cœur pour y faire le mieulx que possible me sera : et si puis ma venue par deçà n'ay espargnié ma painne, encoires ne suis-je délibérée l'espargnier, ains de tout mon povoir faire tout ce qui me sera possible pour le bien et l'honneur de vous et de monsieur mon nepveu. Aydant nostre seigneur, auquel je prie, etc. Correspondance, I, 504, 507.

[125] Jacques de Thiennes, dit de Lombise, seigneur de Castre, de Rumbeke et de Bertines, avait été grand bailli de Gand du 27 septembre 1501 au 20 avril 1509. Ses comptes existent aux archives du royaume, n° 14,120. Il fut plus tard conseiller et chambellan de Charles-Quint, et, en 1522, souverain bailli de Flandre.

[126] Sur le Leck, a deux lieues d'Utrecht, et à égale distance entre Nimègue et Rotterdam.

[127] Audit an 1512, certain accord fut fait par les membres de nostre pays de Flandres, fut exécuté contre ceux de nostredite ville de Gand, ainsi qu'il pourroit apparoir par le compte de nostre receveur des aides des nostredit pays de Flandres. Sentence prononcée contre les Gantois en 1540.

[128] Lettre du duc de Gueldre à Philippe de Clèves, seigneur de Ravenstein, du 16 avril 1512 ; Lettres de Louis XII, III, 224.

[129] A peine la ligue de Cambrai était-elle conclue, que Louis XII attaquait les Vénitiens, et remportait sur eux, le 14 mai 1509, la célèbre victoire d'Agnadel dans le Ghiarra d'Adda. Les Vénitiens aux abois ne trouvèrent qu'une ressource, ce fut de diviser leurs ennemis. Ils commencèrent par se réconcilier avec le pape Jules II, qui leva, le 20 février 1510, les censures prononcées contre eux, après qu'ils eurent satisfait à toutes ses demandes et qu'il eut recouvré ce qui avait été arraché à l'Église. Ils cédèrent ensuite à Ferdinand les cinq villes maritimes du royaume de Naples. Ils avaient offert à Maximilien de le reconnaître pour suzerain et de rendre à la maison d'Autriche tout ce qu'ils lui avaient enlevé. Maximilien était près d'abandonner la France, mais il fut retenu par les représentations du cardinal d'Amboise, qui s'était rendu à Trente pour y recevoir, au nom du roi, l'investiture du Milanais. Jules II, qui ne songeait plus qu'à expulser les Français de l'Italie, chercha à leur enlever l'appui de l'empereur, mais il n'y réussit pas d'abord. Maximilien entra même dans un projet de conciliabule suggéré à Louis XII par quelques cardinaux infidèles. Ce soi-disant concile général, ouvert en novembre 1511, à Pise, où il ne se trouva guère que des Français, et auquel, malgré l'appel de l'empereur, peu de prélats allemands prirent part ; qu'aucune ville ne voulait subir et qui se transporta successivement de Pise à Milan, de Milan à Asti, d'Asti à Lyon, finit par se dissoudre lui-même. Mais lorsque les troupes françaises, sous la conduite du jeune comte de Foix, eurent gagné, le 11 avril 1512, la sanglante bataille de Ravenne, Maximilien se détacha d'eux et se réconcilia avec Jules II.

[130] Lettres du seigneur de Ganaches du 22 juillet 1512 ; Lettres de Louis XII, III, 279.

[131] Deux cents livres pour en raire paiement aux gens de guerre à piet et à cheval qui estoient lors sur le païs par faulte de payement. — Cent livres pour en faire paiement aux gens de guerre à cheval et à piet qui estoient sur le païs par faulte de paiement. Compte de J. Micault, 1512.

[132] 1.189 livres 17 sols 6 deniers pour en faire paiement aux manans et habitans dudit Gheel, pour les despens faits audit village par les gens de monseigneur d'Ysselstein, de Waessenare et de Grossin Tynaghel, attendant leur payement. Compte de J. Micault, 1512.

[133] Azevedo.

[134] Mémoire présenté par cette princesse à Charles-Quint, le 20 août 1511 ; Le Glay, Notice sur Marguerite d'Autriche. — Marguerite écrivait à son père le 15 décembre : Monseigneur, les IIIe cavaliers de Hernam sont tousjours sur le plat pays de Brabant mangeant et piyant le bon homme, et ont fait une conjuration de non en vuyder qu'ilz ne soyent payez à leur plésir, disans leur estre deues grandes sommes de deniers. Touteffois, quant j'ay fait venir le compte du seigneur d'Ysselstein, trouve à la raison que bien peu luy seroit deu ; mais allègue avoir fait par vostre commandement tant d'extraordinaires, que ne sçay que en dire, sinon que c'est une Brant pitié de ouyr les foulles du povre peuple auxquelles je vouldroye bien remédier, s'il estoit en mon povoir. Correspondance, II, 69.

[135] Les Français s'étaient emparés de Bologne, et Louis XII faisait une guerre ouverte à la puissance pontificale. Il avait fait frapper une médaille avec cette inscription : Perdam Babylonis nomen. Ce fut alors que Jules II organisa une coalition qui fut appelée ligue sainte, parce qu'elle avait pour objet d'empêcher le schisme et de restituer Bologne à saint Pierre (1511). Dans cette ligue entrèrent Venise, le roi Ferdinand, et ensuite le roi d'Angleterre.

[136] Au demeurant, monseigneur, je suis ici toujours attendant la réponse que me doibvent faire les estats de Brabant dont chascun est en assez bonne volonté. Ne reste si non à ceulx de ceste ville de Louvain qui ne savent où trouver leur part et portion de ce qu'ils accorderont toutesfois... Marguerite à son père ; Correspondance, II, 53.

[137] Pontanus, et lettre de Marguerite du 26 novembre 1514 ; Correspondance, II, 274. — La rançon du sire de Wassenaar fut de vingt mille florins.

[138] Pour par l'ordonnance d'icelluy lieutenant avoir esté sur les chemins de tous costez, sur les quartiers de Sedan et de Logne, pour espier et sçavoir si les chemins estoient seurs quand les sieurs de Nassau, de Chièvres et de Berghes retournèrent de leur voyage d'Allemagne, où ils (quatre huissiers d'armes) vaquèrent par cinq jours en grand péril et dangier de leurs personnes. Compte de Jean de Berghes, 1510-1511.

[139] Compte de Jean de Berghes, 1513-1515.

[140] Placards de Flandre, I, 215-217.

[141] Papiers d'état du cardinal de Granvelle, I, 84-85. — Nous transcrivons cet ordre : Marguerite, archiduchesse d'Autriche, duchesse et comtesse de Bourgogne, douayrière de Savoye, régente et gouvernante, etc. A. nos amez et féaulx Pierre de Loquenghien, maistre d'hostel, salut. Pour certaines bonnes causes et considérations à ce nous mouvans, et mesmement pour accomplir et exécuter le commandement et bon plésir de l'empereur, mon seigneur et père, à nous sur ce fait, nous voulons et vous ordonnons et à un chacun de vous très expressément et à certes, de par mondit seigneur et père, sur peine de désobéissance et de rébellion envers lui et nous, que, sans avertir personne, quelle que ce soit, vous vous transportiez incontinent en la ville de Malines, en l'hostel de don Juan Manuel, et que iceluy vous constituiez et déclariez prisonnier de par mondit seigneur et père, et vous saisissiez de sa personne, et l'ameniez seurement avec le capitaine des archers, que pour ce avons ordonné aller avec vous, accompagné d'un nombre d'archers, dedans le chastel de Willevord, ès mains du capitaine d'iceluy ou de son lieutenant, pour illec en faire bonne et seure garde, tant et jusques à ce que autrement par mondit seigneur et père en sera ordonné, et en ce ne faites faute, comment qu'il soit ; car tel est notre plésir. Donné à Bruxelles, soubs nostre seing, le 17 de janvier, anno mille cinq cents et treize. — Loquenguien, ne faite faute de faire ce que dessus, et n'en parlez à personne du monde sur vostre vie. — Marguerite. — Par ordonnance de Madame Des Barres.

[142] Henri VIII était monté sur le trône en 1509 ; il s'était empressé d'accéder à la sainte ligue, qui avait pour objet l'extinction du schisme et la défense de l'Église romaine. Les agrandissements de la France, et le soupçon que Louis XII aspirait à la domination universelle, avaient fait une vive impression sur ce prince. Nous trouvons l'expression de ce sentiment dans une lettre d'un écrivain anglais contemporain, Pierre Martyr.

[143] Lettres de Louis XII, IV, 88.

[144] Rymer, Fœdera, XIII, 353-358, et Dumont, Corps diplomatique, IV, 1re partie, 173. — Voici l'intitulé du traité : Appunctuamenta pro defensione Ecclesiœ inter Leonem X papam, Maximilianum imperatorem, Henricum VIII Angliœ regem, et Ferdinandum regem Aragonum, acta et conclusa in oppido Mechliniensi die 5 mensis aprilis anno 1513.

[145] Correspondance, II, 146.

[146] Comptes de J. Micault et d'Adrien Van Heilwygen, aux archives du royaume.

[147] Jules II était mort le 21 février 1513 ; Léon X fut élu le 5 mars suivant.

[148] Histoire de Bruxelles, I, 324, d'après le Roodt privilegie boeck.

[149] Il fut dit aux commissaires du roy d'Angleterre que le comte de Faulquenberghe, seigneur de Ligne, et le bastard d'Aymeries rassembleroient au pays du Haynaut une partie des hommes promis, et que le reste seroit semblablement rassemblé au pays de Brabant, de Clèves, etc., par le comte de Nassau et les seigneurs de Cistain (d'Ysselstein) et de Walhain. Les commissaires anglois ainsi autorisés vinrent ensuite au pays de Haynaut vers le seigneur de Ligne et le bastard d'Aymeries, lesquels assemblèrent trois mille chevaux et des hommes bien équipés, en donnant à chacun huit philippus d'or, et pour lors leurs gages couroient comme estant au service du roy d'Angleterre. Dans le commencement d'avril, toutes ces levées estoient réunies, en attendant de pouvoir se réunir aux Anglois. Ces bandes estoient les plus belles et les mieux équipées qu'on sceut veoir. Elles estoient surnommées par les François les Anglois du Haynaut. Le 16 du mesme mois, le seigneur de Ligne fit son entrée en Valencienes, avec sa troupe portant ses couleurs avec la croix rouge de Saint-André et la rose d'Angleterre au milieu. Vinchant, Annales du Hainaut, V. 218.

[150] Marguerite écrivait à son père, dans le courant du mois de mai : Monseigneur, je vous ay desjà averty des courses et grandes piglieries que les François ont fait sur le povre pays de Haynau, se renommant Escossois et disant que, tout ainsi que noz gens sont aux Anglois, ils sont prestz à entrer audit pays de Haynau avec ung gros nombre de gens pour icelluy piglier, envahir et adommagier. Correspondance, II, 156.

[151] Lettres de Louis XII, IV, 120.

[152] Négociations diplomatiques, I, 520.

[153] Lanz, Correspondenz der Kaisers Karl V, I, 1.

[154] Lettres de Louis XII, IV, 153-156.

[155] Compte de Jean Van Rooden, aux archives de Lille.

[156] Lettre de Maximilien à Marguerite. Cette lettre, datée d'Augsbourg le 25 mai 1513, est pleine de détails stratégiques et topographiques du plus haut intérêt. Correspondance, II, 152-155.

[157] Voici le portrait que trace de ce prince M. Ancillon : Henri VIII était monté sur le trône à l'âge de dix-huit ans, au milieu des acclamations des peuples, toujours également prompts à former des espérances et à les perdre. Le jeune roi, dans l'âge de la beauté, de la vigueur et des passions, réunissait à ces avantages tous les dangers de la jeunesse : il avait cette mesure d'esprit qui rend capable de saisir celui des autres, mais il manquait de jugement ; instruit pour son rang et pour son siècle, il se croyait savant, et ne l'était pas assez pour être modeste ; avide de tous les genres de plaisir, il l'était aussi de la gloire comme jouissance ; son caractère annonçait plus d'impétuosité et de violence que d'énergie ; jaloux de son pouvoir, il voulait paraître gouverner lui-même, et craignait les travaux et les peines du gouvernement. Brave par tempérament. trop fougueux pour être dissimulé, fastueux et vain, il était aisé de l'engager dans toutes les entreprises, pourvu qu'on caressât cette passion dominante.

[158] Il était seigneur de Masmines, et il avait succédé au seigneur de Castre. Ses comptes de 1509 à 1515 sont aux archives du royaume, n° 141, 211.

[159] Lettres de Louis XII, IV, 175-178.

[160] Lettre du seigneur de Rœulx à Marguerite du 27 juillet 1513 ; Négociations diplomatiques, I, 529.

[161] Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, surnommé le chevalier sans peur et sans reproche, naquit en 1476 au château de Bayard près de Grenoble. Il commença à se signaler sous Charles VIII, à la bataille de Fornoue (1495). Sous Louis XII, il contribua puissamment à la conquête d'une partie de l'Italie, et prit la part la plus glorieuse à la victoire d'Agnadel (1509). Sous François Ier, il fit de nouveau la guerre en Italie et prit un des généraux ennemis, Prosper Colonna. A Marignan, placé à côté du roi, il fit des prodiges de valeur et décida la victoire (1515). Pour lui témoigner sa haute estime, François Ier voulut être armé chevalier de ses mains. Chargé, quelques années après, de ramener une armée qu'avait compromise l'impéritie de Bonnivet, il la sauva en lui faisant passer la Sésia à Romagnano, en présence des Espagnols, quoique ceux-ci fussent bien supérieurs en forces ; mais étant resté le dernier pour couvrir la retraite, il reçut une blessure, dont il mourut peu d'instants après, le 30 avril 1524. Quoique expirant, il exigea qu'on le plaçât en face de l'ennemi, ne voulant pas, disait-il, lui tourner le dos pour la première fois. Ses contemporains disaient de lui qu'il avait trois excellentes qualités d'un grand général : assaut de bélier, défense de sanglier et fuite de loup. La vie de Bayard a été écrite par son secrétaire, connu sous le nom du loyal serviteur.

[162] Les Gestes du chevalier Bayard, dans les Archives curieuses de la France, 1re série, tome II.

[163] Lettre du seigneur de Rœulx, ubi supra, I, 529.

[164] Commentaire sur le fait des guerres en la Gaule belgique, par P. de Rabutin, édition Buchon, V, 586.

[165] La ville avait été bien pourvue de munitions de guerre, ajoute M. Henne. Ces munitions ne tardèrent cependant pas à manquer, comme il en fait la remarque lui-même un peu plus loin.

[166] Lettre du seigneur de Rœulx.

[167] Lettre du 2 août ; Lettres de Louis XII, IV, 190. — Philippe de Brégilles était maitre d'hôtel de l'archiduc et commissaire de Marguerite près de l'armée anglaise.

[168] Correspondance, II, 134. —  A dater du commencement du XVIe siècle, on vit les Suisses se lancer dans une foule d'expéditions au dehors avec une fougue souvent imprudente et téméraire. C'est ainsi qu'ils louèrent alternativement leurs services aux différentes puissances qui se disputaient alors la domination de l'Italie, et il leur arriva souvent de se trouver compatriotes contre compatriotes dans des camps opposés. Toujours prompts à se ranger sous les drapeaux du plus offrant, ils justifiaient pleinement le fameux dicton : pas d'argent, pas de Suisses. En 1512, ils avaient fait la conquête de la Lombardie pour le compte du faible Maximilien Sforce, et, l'année suivante, ils remportèrent à Novare une victoire éclatante sur les Français commandés par la Trémouille.

[169] Lettre de Paul Armstorff, chancelier de corps de l'archiduc, à Marguerite ; Lettres de Louis XII, IV, 194.

[170] Lettre de Henri VIII à Marguerite du 17 août 1513 ; Négociations diplomatiques, I, 531. — Gestes du chevalier Bayard. Ce récit s'appuie aussi sur le témoignage de Martin du Bellay, de Fleuranges et de Pontus Heuterus. Voici la version fort différente de Vinchant, V, 220 : L'empereur, ayant reconnu l'appareil des François et voyant l'estat de leurs affaires, dit au roy Henri : Mon fils, il nous faut aujourd'hui pour ma bien venue visiter nos ennemis ; faites appareiller vos batailles. Le roy obtempéra à ce conseil et le fit si bien que les choses furent bientôt prestes, tant de gens que d'artillerie. L'empereur, qui avoit grande expérience guerrière, mit tout en bon ordre et marcha ensuite bravement avec le roy contre les François, qui estoient postés à Ghinegate. — Ceste bataille se donna le mercredi seiziesme jour d'aoust. Comme la chaleur estoit très grande, les gendarmes françois, ne soupçonnant aucune surprise, estoient descendus de leurs chevaux, après avoir déposé leurs casques pour aller se désaltérer dans la rivière de Lys. — Surpris par les bandes dites des Anglois du Haynaut, ils n'eurent point le temps de reformer leurs rangs, et, malgré les efforts inouïs du seigneur de la Palice et du brave chevalier Bayard, qui combattirent comme des désespérés, ils furent mis en pleine déroute. Plus de trois mille François demeurèrent sur le champ de bataille et un grand nombre de prisonniers furent faits par les Wallons, parmi lesquels plusieurs grands seigneurs et chevaliers. Cette journée fut depuis dite des Esperons.

[171] Lettre de L. de Gorrevod à Marguerite du 23 août ; Négociations diplomatiques, I, 539.

[172] Lettre du même à la même du 25 août ; Négociations diplomatiques, I, 541.

[173] Nous retrouverons bientôt cet homme fameux, né en 1471 à Ipswich, et successivement aumônier de Henri VIII, doyen de Lincoln, conseiller d'état, archevêque d'York, grand chancelier et cardinal.

[174] Négociations diplomatiques, I, 557.

[175] Lettre du 23 novembre à Laurent de Gorrevod ; Lettres de Louis XII, IV, 212.

[176] M. Gachard, Rapport sur les archives de Lille, 100.

[177] Lettre de cette princesse à Maximilien du 29 octobre 1513 ; Correspondance, II, 210.

[178] Fleuranges, c. 40. — Après la reddition de Térouanne, dit Vinchant, l'empereur s'en alla à Aire, où étant, le 4 septembre, ceux de Tournay, qui craignoient pour leur ville, firent accord avec ce prince d'après lequel ils s'engageoient à oster de leurs tours, clochiers et belfroy, les fleurs de lys, pour les remplacer par les armes de l'empereur et du prince Charles, son petit-fils. Cet accord fut ensuite lu à la bretecque de Tournay, mais le roy de France en ayant esté adverti, leur escrivit hastivement pour leur dissuader de ce faire en leur promettant secours. Le peuple ayant appris ces nouvelles en fut fort réjouy, et s'étant assemblé sur la grande place, on en fit lecture au milieu des acclamations de Vive le Roy ! On lacéra honteusement l'accord et les missives de l'empereur. — Le roy d'Angleterre en ayant esté informé, se hasta d'aller rejoindre l'empereur, qui estoit pour lors à Lille. Le conseil fut aussitost assemblé, et malgré les supplications de madame Marguerite en faveur des Tournaisiens, il fut résolu qu'on mettroit le siège devant la ville de Tournay, V, 220.

[179] M. Chotin, Histoire de Tournai et du Tournésis, d'après le ms. Dufief.

[180] Cette description a été tirée du registre dit de cuir noir, reposant aux archives de Tournai, par M. Fréd. Hennebert, et publiée dans le Messager des sciences historiques, année 1837, pages 49-53.

[181] Maire, nom de siège de la justice du roi pour le Tournaisis. C'est aujourd'hui le faubourg de Maire, hors de la porte Sept-Fontaines, appelée alors Sainte Fontaine.

[182] Widèrent, sortirent de.

[183] Proposition, allocution.

[184] Chiel, dais.

[185] Les armes de Tournai sont en champ de gueules, au chef cousu d'azur.

[186] Saingle ou Chaingle. Un pâté de maisons, de forme triangulaire, se voit encore à l'endroit indiqué, dit M. Hennebert. Une des trois rues qui le ceignent et qui s'appelle rue du Cygne, à porté longtemps le nom de Sigle, évidemment par corruption de cingle (cingulum, ceinture).

[187] Torses, torches, flambeaux.

[188] Quant est en moy, monseigneur, si vous semble que mon alliée soit nécessaire et que vous y puisse faire quelque service, suis preste en ce et toutes choses faire ce qu'il vous plaira me commander ; mais sans cela, ce n'est le cas de femme vefve de troter et alter visiter armées pour le plésir. Lettre datée de Lille, le 22 septembre ; Correspondance, II, 203.

[189] Le grand marché s'était métamorphosé en une vaste hôtellerie. Il était couvert de hayons (tentes d'étaleurs), d'aubettes, de chariots chargés de vins de Rhin, de bières d'Angleterre, de Menin et autres qu'on amenait de Flandre. Chacun vendait à boire et à manger sans payer franchise, ni maltôte. Chacun débitait pain, vin, cervoise sans taux, et donnait celle-ci au sortir de la cuve du brasseur, à cause de la grande quantité qu'on en consommait, et de la multitude de monde que la présence des Anglais attirait à Tournai. M. Chotin, d'après le ms. Dufief.

[190] Rymer, Fœdera, XIII, 379.

[191] Négociations diplomatiques, I, 567, note 1re.

[192] M. Gachard, Notice sur les archives de la ville de Tournai ; Documents inédits, I, 26.

[193] Documents inédits, I, 27.

[194] Documents inédits, I, 27. M. Henne a lu le 16 mai.

[195] Archives de Lille.

[196] Dumont, Corps diplomatique, IV, 1re partie, 105. — Traité fait entre Louis XII, roi de France, et les Suisses, quand ils étoient devant Dijon, le treizième de septembre l'an 1513. Voici les principales dispositions : Le roi quitte tout le duché de Milan et le comté d'Ast, les châteaux de Milan et de Crémone avec l'artillerie étant en iceux, tant audit duché de Milan que comté d'Ast. Ceux qui sont dans lesdits châteaux vuideront bagues sauves en leur baillant sauf-conduits. — L'on rend au pape toutes les villes, terres, châteaux et seigneuries qui lui appartiennent, lesquels le roi retient. — L'empereur nostre sire est compris audit appointement, et tous ses alliés, ses terres et pays. — Le roi doit payer à messeigneurs des ligues quatre cent mille écus, à savoir deux cent mille comptant, et autres deux cent mille à la Saint-Martin d'hiver suivant. — Le roi ne peut lever esdits pays des mesdits seigneurs des ligues gens sans leur consentement, et si ils ne serviront point à l'encontre dudit seigneur empereur, ni ses alliés, ni ne bailleront gens pour ce faire, aussi nuls autres qui soient alliés avec eux. — Et si l'un de ces points, et tous les autres ne sont gardés et observés, l'appointement est nul en tout. — La Trémouille, dit en note l'auteur du Corps diplomatique, qui s'était jeté dans Dijon à l'approche des Suisses, conclut ce traité sans en avoir aucun pouvoir, et sauva par là la France qui était sur le point de périr. Car les Suisses, contents de ce traité, levèrent le siège de Dijon et s'en retournèrent chez eux. Louis XII désavoua la Trémouille, mais offrit de l'argent aux Suisses à la place de l'abandon du duché de Milan, ce qu'ils ne voulurent pas accepter.

[197] Voir l'instrumentum publicum tractatus inter Papam Leonem X et Ludovicum Francia regem initi, quo prœfatus rex in sequelam admonitionis papalis, a Pisano concilio, in vita Julii Papæ per plurimos prœlatos minus recte indicto, tecedit, eique renuntiat, promittens nullum deinceps favorem dicto concilio se prœstiturum, quinimô omnes in terris suis sub flamine dicti concilii persistentes abire se facturum : signatum anno 1513, indict. I, VI octobris ; cura confirmatione prœfati regis datâ Corbei2e die 26 octobris anno 1513, dans Labbe, Conciliorum Collectio, tome XIV, col. 177, et dans Dumont, Corps diplomatique, ubi supra, pages 175-177.

[198] Marguerite écrivait le 14 février à Maximilien : Il me semble par la lettre que m'avez dernièrement escripte, que désirez sçavoir mon advis et de ceux de vostre privé conseil et léaulx serviteurs, sur le besoigne de Quintana... C'est, monseigneur, que le party que vous dites que l'on met en avant... me semble n'estre que chose fainte en intention de vous amuser tous trois (l'empereur, le roi d'Aragon et le roi d'Angleterre). Franchement par le traité de Cambray, et touchant le fait de Gheldres et en plusieurs autres traités par cy devant faits entre vous et luy (le roi de France) avez pu voir et expérimenter. Par quoy povés mieux juger de la foi et léaulté des François que nul autre... Les autres princes sont plus loin de leurs ennemis que nous, et y a montaignes et mer entre deux. Avec ce, ils sont plus riches pour résister à leurs ennemis que cette povre maison de Bourgoigne... Vous sçavés, monseigneur, qu'ils ont en leur main la ioy salique et autre points de ceste souveraineté qu'ils prétendent, par lesquels ils trouveront toujours occasion, quant ils verront leur point, de reprendre sur nous ce que bon leur semblera. Monseigneur, si le roy catholique est celuy de vous trois qui plus facilement s'incline à ceste paix, et y vouldroit induire les autres, ce n'est pas merveille : car il a ce qu'il demande ; mais vous, ni le roy d'Angleterre, ne l'avez pas... Et s'il venoit à traiter, monseigneur, avec le duché de Bourgogne, ne fauldroit obmettre les comtés d'Auxerrois, Masconnois et Bar-sur-Saine, et aussy d'oster ceste souveraineté, autrement que pour un temps, comme fut fait du temps de feu monsieur le duc Charles X ; car cela est toujours une ouverture pour rompre, et aussy de mettre en seureté le fait de Gheldres ; autrement ce seroit toujours à recommencer... De moy, monseigneur, je désire autant la paix que personne vivant, moyennant qu'elle puist estre bonne et seure ; mais autrement ce sera la perdition et destruction de ceste maison pour l'advenir, que Dieu ne veuille. Correspondance, II, 221-224. — Le 24 du même mois, Marguerite renouvelle ses instances : Monseigneur, le roy catholique parle très bien pour luy ; et me semble qu'il ne pourroit faire meilleur marché pour ceste heure que la paix ; car il ne demande plus riens, fors à garder ce qu'il a conquis. Mais vous et nous par deçà demeurerions au blanc et à la fortune... Monseigneur, entre le roy catholique et France il y a de grandes montagnes, et entre France et Angleterre est la mer ; mais entre ces pays et France n'y a point de séparation, et vous sçavés la grande et invétérée inimitié que les François portent à ceste maison. D'aultre part, il fait à craindre que ces beaux offres de France ne soient tant seulement mis en avant pour eschaper la tempeste qui estoit apparente de tomber sur eux, si chascun eust esté disposé à faire son debvoir, comme le roy d'Angleterre est, qui fait de si grandes préparatives pour continuer la guerre, qu'il n'est à croire. Et quand les choses seront refroidies, est à craindre que nous n'ayons ès pays de par deçà toute la descharge, qui fait bien à doubter, pour autant que nostre peuple n'est point enclin à guerre, et est mal pourveu des choses nécessaires à la guerre. Monseigneur, je croy que le roy d'Aragon désire demeurer en paix, pour autant qu'il a ce qu'il demande et qu'il est déjà vieulx et cassé ; mais je ne sçais imaginer si ce sera le bien de monsieur (l'archiduc Charles) et de ses pays, veu que peut estre n'y aura jamais pour luy telle commodité. Monseigneur, vous sçavés que le roy catholique est le prince en la chrestienté, après vous et monsieur mon nepveu, à cuy j'ay désiré plus de bien et d'honneur ; et je n'en prens en tesmoin autre que Dieu et vous, qui sçavés le travail que j'ai prins pour vous mettre ensemble, comme deux vrays pères d'ung seul fils doibvent estre pour le bien de leurs communs enfans ; mais, monseigneur, là ou je penseray que vostre honneur et bien touche et celui de ceste maison, il n'y a prince au monde qui me sceut faire dire ny vous conseiller, fors ce que cognoistray qui sera vostre bien, honneur et avantage. Ibid., pages 225-229. La gouvernante revient sur les mêmes raisons dans une troisième lettre, datée de Malines le 6 mars. Ibid., pages 229-232.

[199] Trêve faite par François, comte d'Angoulême, au nom du roi, et de Jacques roi d'Écosse, dont il se faisoit fort, et Pierre de Quintana, pour Ferdinand roi d'Aragon, tant en son nom, que de ceux des rois Henri d'Angleterre, Maximilien empereur, Jeanne reine de Castille, et Charles, archiduc d'Autriche, prince d'Espagne, dont il se faisoit aussi fort. Dumont, Corps diplomatique, ubi supra, pages 178-180. Cette trêve, dit en note l'auteur du recueil cité, ne servit qu'à assurer au roi. Ferdinand la conquête de la Navarre, ayant employé ce temps à raser tous les châteaux de la noblesse du pays, qui, étant peu contente de son gouvernement, se seroit redonnée à son seigneur légitime. Ferdinand avait enlevé à Jean d'Albret, en 1512, toute la Haute-Navarre, ne lui laissant que la partie située au nord des Pyrénées, ou Basse-Navarre. La Haute-Navarre est toujours restée depuis lors à l'Espagne. — Par ce traité, dit M. Renne, le roi de France s'engageait à n'aider ni le roi d'Écosse contre le roi d'Angleterre, ni le duc de Gueldre contre les Pays-Bas. Cela ressort en effet des termes du traité, mais n'y est point stipulé expressément.

[200] Lettres de Louis XII, IV, 312.

[201] Marguerite écrivait de Malines à son père, le 6 mai : Monseigneur, j'ai, puis trois jours en çà, esté advertye de plusieurs et divers comtés que messire Charles de Gueldre est ale, luy troisiesme tant seulement et en habit dissimulé, en la court de France, je ne sçay à quelle intention, et que ung peu auparavant y avoit envoyé le seigneur de Wassenaire. Correspondance, II, 253.

[202] Lettres de Louis XII, IV, 328.

[203] Marguerite écrivait le 24 mars : Monseigneur, il convient que vous avertisse tousjours de quelques tristes et malplaisantes nouvelles : c'est que. puis deux jours ençà, monsieur de Gheldres a surprins par trayson la ville de Hernam, comme l'on m'a avertye, dont j'ay grant regret et desplaisir ; et ne sçay que y faire ou pourveoir, ny commens l'on doit vivre avec luy. Correspondance, II, 235.

[204] Le marquis de Haden, mon cousin, m'a advertye d'aucune trahison que ung capitaine de Florenge (Robert de la Marck) demenoit pour surprendre Thyonville, et comme il a fait exécuter l'ung de ceulx qui devoient demener test affaire, et m'escript qu'il vous a adverty de tout. Il me semble, monseigneur, que ferez bien lui escripre qu'il face prendre bonne et soigneuse garde en toutes les villes du duché de Luxembourg ; et je feray le semblable. Correspondance, II, 268.

[205] Lettre de Marguerite, écrite de Bruxelles le 12 juin : Monseigneur, je eus aussy hier nouvelles comment les François ont fait encore quelque course en Haynau et pillé aucuns villages estant sur les frontières de France, et croy qu'ils eussent fait pis, ne fût que le comte de Nassau à ma rescription, s'est trouvé audit pays avec le plus de gens qu'il a peu pour résister à leurs emprinses, et a en encoire huit cent chevaulx de la garnison de Tornay que méssire Ponnyngne, gouverneur de Tournay, luy a envoyé ; mais je luy ay escript qu'il ne face aucune invasion, ains seulement qu'il tache à garder le pays et se défendre. Correspondance, II, 258-259.

[206] Rymer, Fœdera, XIII, 409-411.

[207] Rymer, Fœdera, XIII, 414, 422, 423-426, 428-432.

[208] On lit dans le compte de Jean de Berghes, 1513-1515. Pour durant le temps d'icelluy compte, avoir delivré feu et chandelles pour l'usage de la chambre du conseil ordonné audit Namur, auquel temps a esté le plus très-grand et long yver que de vie d'homme a esté veu, comme disent les anchiens... — La gelée, au rapport d'Azevedo, dura du 14 novembre au 18 février suivant, et fut telle qu'on mena par chariots et charettes sur l'Escaut, les marchandises en Sud-Beveland et autres îles de la Zélande. — En la mesme année (1514), dit Vinchant, il fit une gelée si grande dans le pays, depuis le 14 novembre jusqu'au 18 février, que les chariots et charettes passoient sur toutes les rivières. H y eut aussi telle mortalité qu'en la seule ville de Tournay il mourut plus de trente mille personnes. V, 222.

[209] A Valenciennes, il n'estoit jour qu'on ne mettoit pas moins de viugt-quatre corps morts en terre, en chaque paroisse. M. Arthur Dinaux, Archives historiques et littéraires du nord de la France, année 1832, p. 231. — L'épidémie cruelle, dit d'Outreman, frappa surtout les jeunes filles, dont plus de 400 moururent dans la seule paroisse de Saint-Nicolas. Histoire de Valenciennes, 191.

[210] Marguerite écrivait à son père : Monseigneur, j'avoye demandé l'ayde en Hainau ; et quant s'est venu à l'accord, ceulx de la ville de Mons ont baillé la négative. Il me semble qu'il n'y auroit que bien que vous leur escripvissiés une bonne lettre sur ce ung peu rigoureuse, car il n'est en eulx après l'accort des prélaz et des nobles y contredire. Correspondance, II, 249.

[211] Monseigneur, je leur ay fait aucunement et par bon moien entendre que ne seriés contant du reffuz qu'on fait maintenant de presser (prêter) les XXXm escuz accordez. Sur quoy, l'on m'a tante-ment déclairé que l'on fera bien que ledit prest sortira effect, moyennant que les deniers viennent en voz mains propres et soubz l'espoir que avancerés vostre venue par deçà pour parfaire noz communes emprinses ; sur quoy, monseigneur, pourrés avoir advis. Et au regard de vostre venne, monseigneur, elle est plus que nécessaire ; et sans icelle, les affaires de par deçà se pourteront mat ; car les pays ne veuillent accorder aide ni riens donner ; et fault que cecy procède d'estre mal menez par aulcuns mauvais espritz, soubs coleur que brief monseigneur doit estre hors de tutelle, et que lors ils accorderont les aydes à mondit seigneur. Lettre du 24 mars, Correspondance, II, 232-235.

[212] Monseigneur, si j'avoye les deniers que demandés, j'aymeroie trop mieulx les baillier que les emprumpter ; mais avec ce que ay grant charge et despence, et qui m'accroit de jour en jour pour le gouvernement qu'il vous a pieu rue baillier, je pers maintenant par an, à quoi le roi de France a mis la main, plus de dix mil francs, tant es pièces du comté de Charlois, Noyers, Chaulcin, la Perrière et Chastelchinon, que en ce qu'il a arresté tous les deniers des greniers à sel du duché de Bourgoingne, que des terres avant dites ; et procède ce principallement pour les places que voz gens tiennent au comté apartenant à ceulx qui tiennent party françois ; à quoy, monseigneur, vous supplie vouloir remédier, ou il me conviendra faire baneque rotte. Lettre du mois de mai, Correspondance, II, 254-256. — Banqueroute, banque rompue, banco rotto, banc rompu, parce que, dans l'origine, on brisait le banc où se tenait dans le marché le banquier insolvable.

[213] Ce prince, surnommé le Cruel et le Néron du Nord, était né à Niborg le 2 juillet 1480. Il n'était âgé que de sept ans, lorsque le roi Jean son père le fit désigner par les états de Danemark assemblés à Lund pour lui succéder après sa mort ; et il en avait dix-sept quand les états de Suède le reconnurent également pour le successeur de son père. Les cruautés qu'il exerça dans ce dernier pays lui aliénèrent tous les esprits, et il fut déposé à la suite d'un soulèvement excité par Gustave Wasa. Presque en même temps et par les mêmes motifs, il perdit le trône de Danemark (1523). Il vint alors chercher un asile aux Pays-Bas, dans les états de Charles-Quint son beau-frère. Après avoir erré dix ans, il s'efforça de remonter sur le trône. Il fut pris et ne recouvra plus sa liberté. Christiern II mourut le 24 janvier 1559, à Callundborg, après une captivité de vingt-huit ans, oublié d'une partie de ses anciens sujets, méprisé et abhorré de l'autre. Sa femme, Isabelle d'Autriche, supporta les désordres de son mari avec une patience héroïque ; et quand Christiern, tombé du trône, paya ses crimes de l'exil et de la prison, elle voulut partager toutes ses disgrâces. On doit à M. Altmeyer un travail sur Isabelle d'Autriche et Christiern II.

[214] Voir les détails donnés par Marguerite, Correspondance, II, 256 et 261.

[215] Monseigneur, écrivait Marguerite à son père, après avoir fait et accomply les espousailles de madame Ysabeau, ès quelles monseigneur s'est montré bon frère et tout délibéré tant aux danses que accompagnier madite dame sa sœur jusques à la perfection d'icelles, et ung peu plus peult estre que sa complexion ne portoit, est advenu que le lendemen s'est trouvé invahy d'une fièvre qui l'a tenu et tient ds lors jusques à présent qu'est le quart jour, sans qu'il en ait peu jamais estre du tout quitte, ny aussi trop griefvement pressé ; au moyen de quoy maistre Loys et les aultres médecins la treuvent continue. Touteffois ce n'est pas des plus aspres et ont bon espoir, avec l'ayde de Dieu et du soing qu'ils y prendent, et non seulement eulx, mais aussi mon cousin le seigneur de Chièvre et aultres par vous ordonnez à l'entour de mondit seigneur, de le remettre brief en bon estat de guérison et convalescence, dont je seray la soliciterre et m'y emploierey de mon pouvoir... Et quelques jours plus tard : Monseigneur, je vous escripviz derrenièrement de la maladie de monsieur mon nepveu, qui m'est chose bien déplaisante, et vons cuydoie subséquemment advertir brief de sa sancté, mais la lune s'est sur ce trouvé au de/fruit, qui a causé, comme disent les médecins, la longueur de ladite maladie, tellement que mondit seigneur ne se peult encoires trouver hors de fièvre, combien touteffois qu'elle soit fort diminuée... Correspondance, II, 260 et 261.

[216] Le traité portait que le prince serait tenu de déclarer, dans les trois mois, s'il entendait vouloir y être compris.

[217] Dumont, ubi supra, 186.

[218] Lettres de Louis XII, IV, 376.

[219] M. Gachard, Des assemblées nationales.

[220] M. Juste, Histoire des états généraux des Pays-Bas, I, 49, l'appelle à tort Félix de Wurtemberg.

[221] Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, tome VIII, page 71.

[222] Lettre de Charles au Collège des Finances, du 7 mai 1515.