1. Les derniers Maccabéens. Hyrcan resta, pendant quelques années, dans la paisible possession du pontificat et de la principauté ; Antipater, qui gouvernait en son nom, cherchait à augmenter son influence, en se rendant utile aux Romains. Il eut bientôt l'occasion de rendre un grand service à l'armée de Scaurus, qui, dans une nouvelle expédition contre Hareth (62), faillit succomber près de Pella par le manque de vivres. Antipater vint au secours de l'armée romaine, et, par son intervention, la paix fut rétablie, et Hareth paya à Scaurus trois cents talents. Scaurus ayant été rappelé, Antipater sut maintenir la bonne intelligence avec ses successeurs ; mais, au bout de quelques années, le repos de la Judée fut troublé de nouveau parla guerre civile. Alexandre, fils d'Aristobule, conduit à Rome avec son père, avait pu s'échapper en chemin ; il revint en Palestine (57), et bientôt il put réunir dix mille hommes de pied et quinze cents cavaliers, s'emparer d'Alexandrion et de Machérous au delà du Jourdain et menacer Jérusalem ; dont il n'était pas permis à Hyrcan de relever les fortifications. Hyrcan et Antipater appelèrent à leur secours Gabinius, alors proconsul de Syrie ; celui-ci entra en Judée accompagné de Marc-Antoine, qui commandait la cavalerie. Antipater vint rejoindre Gabinius avec les troupes juives commandées par les généraux Pitholaüs et Malich. Le combat s'engagea près de Jérusalem ; Alexandre laissa trois mille hommes sur le champ de bataille, on lui fit autant de prisonniers, et il se réfugia dans la forteresse d' Alexandrion, où il fut assiégé. Gabinius visita Samarie et les autres villes qui avaient été détruites par les Juifs, et donna ordre de les rétablir. Revenu au camp d'Alexandrion, il trouva Alexandre prêt à capituler ; l'ancienne reine, femme d'Aristobule, se chargea des négociations, et obtint la liberté de son fils. Alexandrion et les autres forteresses dont Alexandre s'était emparé furent rasées. Gabinius alla ensuite à Jérusalem, où il confirma Hyrcan dans le pontificat ; mais en même temps il introduisit des changements très-notables dans le gouvernement, auquel il donna une forme aristocratique. Il divisa le pays en cinq districts, dont chacun devait être gouverné par un grand conseil ; les sièges des cinq gouvernements, indépendants les uns des autres, furent établis dans les villes de Jérusalem, Jéricho, Gadara, Amathous et Séphoris. Par cette mesure, qui fut généralement accueillie avec satisfaction, Gabinius voulut sans doute mettre un terme aux ambitions des princes Maccabéens et faire cesser les intrigues de l'un et de l'autre parti. L'année suivante (56), Aristobule et son fils Antigonus s'échappèrent de Rome, et, arrivés en Palestine, ils se virent bientôt entourés de nombreux partisans ; le général Pitholaüs, trahissant son maitre Hyrcan, passa avec mille hommes du côté d'Aristobule. Celui-ci parvint à rétablir la forteresse d'Alexandrion ; niais s'étant dirigé sur Machérous, il fut défait par Sisenna, fils de Gabinius, et perdit cinq mille hommes. Il s'enferma avec mille hommes dans Machérous ; mais cette place, fortifiée à la hâte, fut prise par Sisenna après deux jours de siée. Aristobule, blessé, tomba entre les mains des ennemis et fut renvoyé à Rome avec son fils ; mais Antigonus et ses deux sœurs furent relâchés, sur la demande de Gabinius, qui, dans ses négociations précédentes avec la femme d'Aristobule, avait promis à celle-ci de faire rendre la liberté à ses enfants. Alexandre, malgré cette générosité et celle dont il avait été l'os b-jet lui-même de la part de Gabinius, excita de nouveaux troubles en Palestine, et, ayant rassemblé un nombreux corps d'armée, il sévit partout contre les Romains (55). Gabinius, revenu d'une expédition contre les Parthes, s'était rendu immédiatement en Égypte, appelé par Ptolémée Aulètes, qui lui offrit dix mille talents pour être rétabli sur le trône dont il avait été dépouillé par Archélaüs. Alexandre assiégea les Romains dans leurs retranchements du mont Garizim, quand Gabinius revint d'Égypte avec son armée victorieuse. Le général romain expédia Antipater, le ministre d'Hyrcan, auprès d'Alexandre ; mais ses démarches étant restées infructueuses, le combat s'engagea près du mont Thabor, entre les Romains et Alexandre, qui avait encore trente mille hommes avec lui. Les troupes d'Alexandre furent défaites ; dix mille hommes tombèrent sur le champ de bataille, Alexandre prit la fuite avec le reste de set ; troupes, et la tranquillité fut rétablie. L'année suivante (54), Gabinius, accusé de concussion, fut rappelé à Rome, et Crassus le remplaça dans le gouvernement de Syrie. Mais la cupidité du nouveau proconsul surpassa celle de son prédécesseur. Crassus vint aussitôt à Jérusalem pour rançonner le Temple, afin de se procurer les ressources nécessaires pour son expédition contre les Parthes. Le trésorier Éléazar lui offrit une barre d'or du poids de trois cents mines cachée dans une poutre à laquelle étaient suspendus les rideaux à l'entrée du Saint des Saints. Éléazar, qui connaissait seul ce trésor caché, espérait, en le sacrifiant, satisfaire l'avidité du proconsul, à qui il fit jurer d'épargner les autres trésors du Temple ; mais Crassus, malgré son serment, s'empara des deux mille talents que Pompée avait laissés intacts, et Josèphe nous assure qu'il prit encore huit mille autres talents qui se trouvaient dans le Temple[1]. Quelque temps après, Crassus passa l'Euphrate pour combattre les Parthes ; on sait qu'il périt d'une manière ignominieuse, après la malheureuse bataille de Carres ou Harrân, en Mésopotamie (53). Cassius Longinus, qui avait pris part à l'expédition de Crassus, rassembla les débris de l'armée romaine, et parvint à sauver la Syrie de l'invasion des Parthes. Il entra ensuite en Palestine, et défit à Tarichée les partisans d'Aristobule commandés par Pitholaüs ; celui-ci, pris par les Romains, fut mis à mort. Alexandre fut forcé d'accepter les conditions dictées par Cassius et de se tenir tranquille. Au bout de quelques années (49), César étant devenu maitre de Rome, remit en liberté l'ex-roi Aristobule et l'envoya en Palestine avec deux légions, pour reconquérir son royaume et combattre le parti de Pompée dans la province de Syrie gouvernée par Metellus Scipion, alors beau-père de Pompée. Mais, avant de pouvoir rien entreprendre, Aristobule mourut empoisonné par les partisans de Pompée, et son fils Alexandre, qui avait osé tant de fois braver les Romains et qu'on accusait d'enrôler des troupes pour le parti de César, fut décapité à Antioche par les ordres de Scipion. Après la célèbre bataille de Pharsale (48) et la fin tragique de Pompée, traîtreusement assassiné à son arrivée en Égypte, le rusé Antipater sut gagner les faveurs de César, à qui il rendit de grands services en Égypte, en se joignant avec trois initie Juifs à Mithridate de Pergame, que César, se trouvant dans le plus grand danger, avait appelé à son secours, et en payant de sa personne dans la prise de Péluse et dans la conquête de l'Égypte. Il procura des vivres à l'armée romaine, en gagnant les Juifs du district d'Héliopolis, et il eut une grande part à la victoire de César, par suite de laquelle Cléopâtre, débarrassée de son frère et époux Ptolémée Denys, qui périt dans le Nil, régna seule en Égypte. Arrivé en Syrie (47), César se montra reconnaissant envers Antipater. Il confirma à Hyrcan la dignité de grand prêtre et la principauté, en lui donnant la permission de rétablir les fortifications de Jérusalem, et donna à Antipater la charge de procurateur de Judée et le titre de citoyen de Rome. La constitution aristocratique introduite par Gabinius fut abolie, et le gouvernement de Judée fut rétabli sur l'ancien pied. Ce fut en vain qu'Antigonus, fils d'Aristobule, vint se plaindre d'Hyrcan et d'Antipater, qui, disait-il, après avoir usurpé le pouvoir et fait périr son père et son frère, n'étaient venus au secours de César que pour faire oublier l'amitié qu'ils avaient témoignée à Pompée. Antipater le fit taire en montrant les nombreuses blessures qu'il avait reçues en Égypte, et en le présentant comme un homme avide de révolutions et comme l'héritier de l'esprit turbulent de son père Aristobule. César nomma son parent Sextus César gouverneur de Syrie, et partit pour le Pont ; Antipater l'accompagna jusqu'aux frontières, et, revenu à Jérusalem, il profita des pouvoirs qui lui avaient été donnés par César, pour régler l'administration du pays, selon ses propres intérêts et ceux de sa famille. L'indolent Hyrcan ne mit aucun obstacle aux vues ambitieuses d'Antipater, qui était le vrai maître dans le pays et qui partagea le gouvernement avec ses fils ; il nomma Phasaël, son fils aîné, gouverneur de Jérusalem et confia à Hérode, son second fils, l'administration de la Galilée. Hérode, quoique très-jeune, montra un esprit entreprenant et énergique. Au milieu des troubles de la guerre civile et des spoliations continuelles, beaucoup de mécontents s'étaient retirés dans les cavernes de la Galilée ; un certain Ézéchias se mit à leur tête, ils infestèrent la Galilée et différentes contrées de la Syrie, où ils se livrèrent au brigandage. Hérode chercha à en purger le pays ; Ézéchias et une partie de sa bande étant tombés entre ses mains, il les fit mettre à mort sans jugement. A Jérusalem, où la puissance toujours croissante d'Antipater et de ses fils donna de sérieuses inquiétudes, on blâma hautement les actes arbitraires d'Hérode et la faiblesse d'Hyrcan ; celui-ci fut obligé de faire citer Hérode devant le grand Synédrium[2]. Hérode, bravant ses juges, se présenta vêtu de pourpre et entouré d'une garde nombreuse ; les membres du Synédrium hésitèrent, et gardèrent le silence. Un seul, nommé Saméas, prit la parole, pour blâmer en termes énergiques l'arrogance d'Hérode et la faiblesse des juges : Sachez, dit-il en terminant, que Dieu est grand, et que celui-ci que vous voulez maintenant absoudre à cause d'Hyrcan, vous châtiera un jour, vous et le roi lui-même. Ce discours fit une profonde impression sur les juges ; Hyrcan, qui présida, voyant le Synédrium mal disposé à l'égard d'Hérode, leva brusquement la séance, et renvoya l'affaire au lendemain. Il avait reçu une lettre de Sextus César, qui lui demanda d'un ton impérieux de faire absoudre Hérode ; et comme il désirait lui-même le soustraire au jugement, il lui fit conseiller, en secret, de prendre la fuite. Hérode suivit ce conseil, et se rendit à Damas auprès de Sextus César, qui, gagné par une somme d'argent, le nomma gouverneur de Célésyrie. Hérode voulut aussitôt profiter de sa nouvelle puissance, pour marcher sur Jérusalem, à la tête d'une armée, afin de châtier le Synédrium et de détrôner Hyrcan, qui l'avait fait appeler devant le tribunal ; mais, fléchi par les prières de son père et de son frère, il renonça à cette expédition. La mort de César (44) jeta la Judée dans de nouveaux troubles. Cassius Longinus, l'un des meurtriers du dictateur, vint en Syrie, où l'armée romaine était alors divisée en deux camps ennemis, à cause de la mort de Sextus César, assassiné par Cécilius Bassus, ancien ami de Pompée. Cassius parvint à réconcilier les deux partis, et à la tête d'une nombreuse armée il se prépara à disputer la province à Dolabella, nommé proconsul d'Asie. Il leva partout des impôts, et, s'avançant en Judée, il en exigea sept cents talents. Antipater, pour se procurer cette somme, chargea ses fils, ainsi que Malich[3] et quelques autres personnages, de mettre à contribution les districts dont ils étaient gouverneurs. Hérode qui, rentré en grâce, était de nouveau gouverneur de Galilée, apporta le premier sa part, qui était de cent talents, et gagna par là les bonnes grâces de Cassius ; les autres ne furent pas en état de se procurer tout l'argent nécessaire, et on fut obligé de céder à Cassius les villes de Gophna, Emmaüs, Lydda et Thamna, dont il fit vendre les habitants comme esclaves. Malich, qui ne put fournir sa part, eût péri par les ordres de Cassius, si Hyrcan ne l'eût sauvé en envoyant par Antipater cent talents de sa propre fortune. Après le départ de Cassius, qui se rendit à Laodicée pour combattre Dolabella, Malich, jaloux de la puissance d'Antipater, résolut de le faire périr. Antipater, qui avait conçu des soupçons, alla rassembler des troupes de l'autre côté du Jourdain, afin de se mettre à l'abri des intrigues de Malich. Celui-ci ne pouvant lutter ouvertement contre le puissant Antipater, employa la ruse ; il sut persuader aux fils d'Antipater que les soupçons de leur père étaient mal fondés, et les engagea par ses protestations à le-réconcilier avec Antipater. Celui-ci eut la générosité d'intercéder pour son ennemi auprès de Statius Murcus, successeur de Sextus César dans le gouvernement de Syrie, qui voulut faire mourir Malich. Néanmoins la haine de Malich ne fit que s'accroître, lorsque Cassius, pour récompenser les services d'Hérode, lui confia le gouvernement de toute la Syrie, et lui fit espérer de le nommer roi de Judée. Quelque temps après, Antipater fut empoisonné à la table d'Hyrcan, par l'échanson qui avait été gagné par Malich (43). Quoique Malich protestât de son innocence et ne manquât pas de larmes pour pleurer Antipater, Hérode reconnut en lui le meurtrier de son père ; mais, sur le conseil de Phasaël, il différa sa vengeance pour l'exécuter sans bruit et sans danger. Il se présenta bientôt une occasion favorable. Hyrcan allait partir pour Laodicée, accompagné par Malich et Hérode, pour présenter ses félicitations à Cassius ; Hérode voulut profiter de ce voyage pour venger la mort de son père. On était arrivé à Tyr, lorsque Malich, soupçonnant les dangers dont il était menacé, résolut de retourner en Judée, après avoir enlevé son fils, que les Romains avaient conduit à Tyr comme otage. Il compta même, à son arrivée à Jérusalem, trouver des partisans parmi le peuple et s'emparer du pouvoir. Ce projet hardi, inspiré par le désespoir, fut découvert par Hérode. Celui-ci invita Hyrcan avec sa suite à un repas, et, sous prétexte d'envoyer faire les préparatifs, il fit appeler les tribuns militaires que Cassius avait placés sous son commandement. Ils arrivèrent en armes, et bientôt Malich expira sous leurs coups. Hyrcan, témoin de ce meurtre, tomba évanoui ; revenu à lui-même et informé des projets de Malich et de l'approbation que Cassius avait donnée d'avance au projet d'Hérode, il témoigna, du moins extérieurement, sa satisfaction de voir le pays sauvé par cet acte de légitime vengeance. Malich avait en effet des partisans en Judée prêts à venger sa mort ; ils surent gagner Félix, commandant des troupes romaines, et un frère de Malich s'empara de Masada et de quelques autres forteresses, sans en être empêché par Hyrcan. Hérode était malade à Damas, Cassius avait été rappelé par Brutus, et on était à la veille de la bataille de Philippes (42). Dans ces circonstances, Hyrcan a pu nourrir l'espoir d'être délivré du redoutable fils d'Antipater en se servant du parti de Malich. Mais Phasaël attaqua ce parti et parvint à expulser Félix de Jérusalem, et bientôt Hérode vint achever la victoire. Les deux frères reprochèrent à Hyrcan sa conduite hostile ; mais, quelque temps après, Hérode, croyant servir ses intérêts en s'alliant avec la famille hasmonéenne, se réconcilia avec le prince, qui promit de lui donner pour femme Mariamne, fille du malheureux Alexandre, et dont la mère, Alexandra, était fille d'Hyrcan. A la même époque, Antigonus, fils d'Aristobule, tenta de recouvrer le trône de son père. Il fut appuyé par Ptolémée, prince de Chalcide (au pied du Liban), qui était- devenu son beau-frère ; car, après la fin tragique d'Aristobule et d'Alexandre, Antigonus et ses deux sœurs, ayant quitté la Judée, avaient été reçus par Ptolémée, qui épousa ensuite l'une des princesses. Marion, prince de Tyr, qui haïssait Hérode, prit le parti d'Antigonus et lui amena des troupes, et même Fabius, gouverneur romain à Damas, fut gagné par l'argent de Ptolémée. Marion s'était déjà emparé de trois forteresses en Galilée ; mais Hérode l'en expulsa et remporta une éclatante victoire sur Antigonus et ses alliés. Revenu à Jérusalem en triomphe, il fut magnifiquement reçu par Hyrcan, et le peuple lui présenta des couronnes. Pendant ce temps la bataille de Philippes décida le sort de Rome et du monde ancien ; Brutus et Cassius se donnèrent la mort, et la république expira. Les triumvirs se partagèrent l'empire ; Octavien garda l'Occident, Lepidus reçut l'Afrique, et ce fut Antoine qui vint en Asie (41). En Bithynie, il reçut les ambassades des provinces asiatiques. Une députation de Juifs se présenta pour accuser Hérode et Phasaël de s'être emparés du pouvoir et de n'avoir laissé à Hyrcan qu'un vain titre ; mais déjà Hérode avait prévenu ses accusateurs, et avait gagné par de riches présents la bienveillance d'Antoine, qui autrefois avait eu des relations d'amitié avec Antipater, lorsqu'il était venu en Judée avec Gabinius. Les ennemis d'Hérode ne furent pas écoutés. A Éphèse, une ambassade d'Hyrcan vint demander la restitution des villes et des terres livrées à Cassius et l'affranchissement de ceux qui avaient été vendus comme esclaves ; Antoine accorda cette demande, et écrivit aussitôt à ce sujet une lettre à Hyrcan, lui promettant toute sa protection, et une autre au gouvernement de Tyr, auquel Cassius avait vendu un grand nombre d'esclaves juifs[4]. A Daphné, près d'Antioche, les ennemis d'Hérode, au nombre de cent, vinrent renouveler leur plainte ; mais Hyrcan, qui se trouvait là, interrogé par Antoine, fit de grands éloges d'Hérode et de Phasaël, sur quoi Antoine fit emprisonner quinze des accusateurs, et nomma Hérode et sou frère tétrarques de Palestine. Hérode eut la générosité d'intercéder pour les quinze prisonniers qu'Antoine voulut faire mettre à mort. Néanmoins les ennemis d'Hérode ne perdirent pas courage ; une députation composée de mille hommes demanda à être admise auprès d'Antoine qui s'était rendu à Tyr. Ce fut en vain qu'Hyrcan et Hérode les supplièrent de se retirer pour éviter un malheur. Antoine, qui vit dans leur opiniâtreté et dans leur grand nombre une vraie rébellion, envoya des soldats qui les dispersèrent et en tuèrent un grand nombre ; dans son irritation, Antoine fit mettre à mort les prisonniers. Antoine étant allé passer l'hiver en Égypte, dans les bras de Cléopâtre, les Syriens, las de l'oppression romaine, provoquèrent et favorisèrent l'invasion des Parthes (40). Ceux-ci arrivèrent en grand nombre, commandés par le prince Pacorus, fils de leur roi Orode, et par le général romain Labienus, un des anciens partisans de Pompée. Tandis que Pacorus s'empara de la Syrie, Labienus poursuivit le gouverneur romain Saxas, le tua et envahit l'Asie Mineure. Antigonus s'empressa de profiter d'une si belle occasion pour tenter de nouveau la conquête de la Judée ; Lysanias, prince de Chalcide, qui venait de succéder à son père Ptolémée, réussit à gagner le prince des Parthes pour les intérêts d'Antigonus, en promettant de lui fournir mille talents et cinq cents femmes. Pacorus s'avança le long de la côte, et prit Sidon et Ptolémaïde, tandis que son général Barzapharne pénétra dans l'intérieur du pays. Antigonus, à la tête d'une armée qui s'accroissait de jour en jour, envahit la Judée, où Pacorus envoya en même temps une partie de sa cavalerie commandée par son échanson, qui portait également le nom de Pacorus. Antigonus, à la tête d'un détachement, vint surprendre la capitale ; avant qu'Hérode et Phasaël pussent prendre des mesures de défense, l'ennemi avait envahi la ville. On combattit dans les rues de Jérusalem ; le sang fut versé inutilement, et la victoire resta longtemps indécise. Antigonus se retira sur la montagne du Temple, Hérode occupa le château de Baris. La multitude du peuple qui arriva pour la fête de la Pentecôte, se partageant entre les deux partis, ne fit qu'augmenter le carnage, sans amener une décision, et chaque jour le sang coula par torrents. Enfin Antigonus proposa perfidement de faire entrer dans la ville l'échanson Pacorus, comme médiateur. Celui-ci, arrivé avec cinq cents cavaliers, joua l'impartial, et engagea Hyrcan et Phasaël à aller trouver Barzapharne en Galilée, pour demander sa médiation. Hérode, qui soupçonna quelque trahison, désapprouva cette démarche ; mais malgré ses avertissements, Hyrcan et Phasaël partirent. Paeorus, après les avoir conduits auprès de Barzapharne, retourne à Jérusalem. Barzapharne les traita d'abord amicalement ; mais dès qu'il put présumer que Pacorus serait rentré dans Jérusalem, où il devait s'eut-parer d'Hérode, il cessa de feindre et déclara Hyrcan et Phasaël ses prisonniers. Hérode, s'étant aperçu qu'il était trahi, quitta Jérusalem pendant la nuit, avec sa famille, et ayant repoussé les Parthes et les Juifs qui le poursuivirent, il arriva à la forteresse de Masada. Ses soldats, au nombre de neuf mille, n'ayant pu trouver place dans la forteresse, il les congédia. Il n'y laissa que huit cents hommes d'élite, sous le commandement de son frère Joseph, qui était venu le rejoindre, et leur confia la garde de sa famille, qu'il laissa à Masada, en se rendant lui-même auprès de Malchus ou Malich, roi de l'Arabie Pétrée et successeur de Hareth. Le roi ayant refusé de le recevoir, il se rendit à Alexandrie, où il s'embarqua pour aller trouver Antoine à Rome. Avant de partir il apprit le sort funeste de Phasaël et d'Hyrcan. Les Perthes avaient pillé Jérusalem et ses environs, et livré Hyrcan et Phasaël à Antigonus, proclamé roi de Judée. Phase se donna la mort dans sa prison, en se brisant la tête contre le mur. Le barbare Antigonus fit couper les oreilles à son oncle Hyrcan, afin de l'exclure à jamais du pontificat ; car aucun prêtre ayant un défaut corporel ne pouvait approcher de l'autel. Le malheureux vieillard fut emmené captif par les Parthes. Hérode, arrivé à Rome, rendit compte à Antoine des événements de la Judée. Antoine le recommanda vivement à Octavien, et Hérode obtint plus qu'il n'avait espéré. Son intention avait été de faire nommer roi de Judée le jeune Aristobule, fils d'Alexandre et frère de Mariamne, sa fiancée ; pour lui, il ne voulait être que premier ministre du roi, comme l'avait été son père Antipater sous le règne d'Hyrcan ; car il savait que les Romains n'avaient pas l'habitude de violer les droits des maisons royales qui s'étaient placées sous leur protection. Mais l'amitié d'Antoine, et aussi les sommes qu'Hérode lui offrit, obtinrent à celui-ci des faveurs inattendues ; Octavien et Antoine le firent nommer, par le sénat, roi de Judée, et le conduisirent au Capitole, où il fut solennellement couronné (39). En même temps Antigonus fut déclaré ennemi de la république. Hérode quitta Rome, où il n'était resté que sept jours. Au printemps de l'an 39, Hérode arriva à Ptolémaïde. Déjà Ventidius, envoyé en Syrie, avait forcé les Parthes de repasser l'Euphrate, et le traître Labienus avait été pris et mis à mort. Avec l'aide de ses amis, Hérode put former une armée ; les généraux romains Ventidius et Silon avaient reçu l'ordre de venir à son secours, et en peu de temps il se rendit maître de presque toute la Galilée, où l'on se rappelait avec reconnaissance les services qu'il avait rendus au pays. Ensuite Jappé fut pris d'assaut, et de là Hérode marcha sur Masada et délivra sa famille qui y était assiégée et qui souffrait beaucoup de la disette d'eau. Il se réunit ensuite avec Silon pour mettre le siège devant Jérusalem ; mais il fut mal appuyé par les troupes romaines. Silon accepta des cadeaux, tantôt d'Antigonus, tantôt d'Hérode, et n'aida ni l'un ni l'autre ; ses soldats, sous prétexte de manquer de vivres, ravagèrent la contrée et pillèrent même la ville de Jéricho. Ventidius aussi, gagné par l'argent d'Antigonus, s'était retiré. Dans ces circonstances, Hérode dut renoncer, pour le moment, à la prise de Jérusalem, dont les habitants paraissaient disposés à une vigoureuse résistance. Hérode retourna en Galilée, où, après avoir pris Séphoris et quelques autres places, il passa une partie de la mauvaise saison à combattre les brigands qui étaient redevenus très-nombreux, notamment près d'Arbèles, en Galilée, où il y avait beaucoup de cavernes qui leur servaient de retraite. Pendant ce temps, Joseph, frère d'Hérode, s'assura de l'Idumée, qu'il occupa avec deux mille hommes de pied et trois cents cavaliers. Hérode, ayant forcé une grande partie des brigands de passer le Jourdain, fit prendre à ses soldats les quartiers d'hiver, et chargea Phéroras, le plus jeune de ses frères, de fournir des provisions et de fortifier Alexandrion. Au retour du printemps (38), Hérode, après avoir complètement vaincu les brigands et détruit leurs repaires, alla trouver Antoine, qui, pour ne pas laisser à Ventidius toute la gloire de la victoire sur les Parthes, était revenu en Asie, et assiégeait alors Samosate sur l'Euphrate. Avant de partir, Hérode avait fait contre Jérusalem une nouvelle expédition infructueuse ; Machérus, qu'Antoine avait envoyé à son secours, ne l'avait pas mieux servi que Silon. Hérode demanda à Antoine un secours plus efficace, et Sosius, gouverneur de Syrie, fut chargé par le triumvir de marcher avec Hérode contre Antigonus. Pendant l'absence d'Hérode, Joseph, contre l'ordre précis de son frère, avait livré un combat à Antigonus, près de Jéricho, et avait péri avec la plus grande partie de ses troupes. Hérode, retournant en Palestine, apprit à Daphné près d'Antioche la défaite et la mort de son frère ; hâtant sa marche, il arriva en Galilée, à la lin de l'été. Attaqué en Galilée et en Samarie par les partisans d'Antigonus, qui lui firent subir quelques pertes, il finit par les repousser, et vengea la mort de Joseph sur Pappus, général d'Antigonus, et sur ses troupes, dont il fit un grand carnage. La rigueur de l'hiver l'empêchant de poursuivre ses victoires, il n'attendit que le retour de la belle saison, pour commencer les opérations du siège de Jérusalem. Dès le commencement du printemps (37), Hérode conduisit son armée devant Jérusalem, pour faire les préparatifs du siège. Pendant les travaux, il alla à Samarie pour y célébrer son mariage avec Mariamne. De retour au camp, il fut rejoint par Sosius et les légions romaines. L'armée de siège se composa de onze légions, saris compter six mille hommes de cavalerie ; cette nombreuse armée, qui poussa le siège avec la plus grande vigueur, s'épuisa pendant cinq mois en vains efforts. La ville étant prise, les partisans d'Antigonus se retirèrent sur la montagne du Temple pour continuer leur résistance désespérée ; enfin le Temple fut pris d'assaut, au même jour de jeûne où, vingt-six ans auparavant, Pompée était entré vainqueur dans ces lieux saints. Le carnage ne fut pas moins effroyable que lors de la première invasion des Romains ; les troupes de Sosius, irritées de la longue résistance, ne voulurent pas mettre de terme au pillage et au massacre, et n'épargnèrent pas même les femmes et les enfants. Hérode employa en vain les prières, les menaces et même les armes pour arrêter les excès des soldats romains ; il demanda à Sosius si les Romains voulaient le faire roi d'un désert. Ce ne fut qu'en promettant aux soldats de leur donner à chacun une récompense sur sa propre fortune, qu'il parvint à rétablir l'ordre. Le malheureux Antigonus vint se jeter aux pieds de Sosius, qui le repoussa avec mépris, en l'appelant du nom de femme, Antigone. Sosius l'envoya enchaîné à Antoine ; sur la demande d'Hérode, qui présenta ce prince comme un sujet perpétuel de nouveaux troubles, Antoine le fit décapiter. Ainsi mourut le dernier prince de l'illustre famille des Hasmonéens, qui, selon Josèphe, avait gouverné pendant cent vingt-six ans[5]. Devenue puissante par les guerres civiles des Séleucides qui avaient amené leur chute, elle ne profita pas de cet exemple, et tomba, comme eux, victime des luttes intestines. 2. Règne d'Hérode. Le caractère et la position d'Hérode devaient faire de lui un tyran, et il le fut dans toute la force du terme. Selon la lettre des lois mosaïques, Hérode, d'origine étrangère, ne pouvait être roi du peuple juif ; les Pharisiens ne craignirent pas d'invoquer contre lui le texte positif du Deutéronome (ch. 17, v. 15)[6], et ce qui dut encore augmenter leur haine contre Hérode, c'est que ce roi de race iduméenne leur fut imposé par les Romains, au mépris des lois nationales et des droits que le peuple avait conférés à la dynastie hasmonéen ne. Hérode avait donc contre lui la majorité de ses sujets dévoués aux Pharisiens, et ce ne fut qu'en cherchant son appui dans les Romains, ennemis de son pays, en bravant les mœurs et les institutions nationales, et en sévissant contre ses adversaires, qu'il put se maintenir sur le trône. Sous son règne se prépara la grande lutte qui devait terminer l'existence politique de la Judée. Le peuple juif ne manqua pas de héros qui, à l'exemple des Hasmonéens, prirent les armes pour secouer le joug étranger ; pour lutter contre la force compacte et colossale de l'empire romain, il fallait, de la part des Juifs, des efforts bien autrement prodigieux que lorsqu'il s'agissait de renverser la domination des Séleucides. La lutte fut grandiose et terrible ; mais dans cette lutte inégale, la Judée dut succomber. Hérode débuta par le massacre de tous les membres du Synédrium, qui, pendant le siège de Jérusalem, avaient encouragé le peuple à résister à Hérode et à ses alliés romains. Le pharisien Pollion et son disciple Saméas furent les seuls que le tyran crut devoir épargner ; car, pour arrêter l'effusion de sang, ils avaient été d'avis qu'on ouvrît les portes à Hérode[7]. Grâce à cette circonstance, Hérode oublia la hardiesse avec laquelle Saméas, dix ans auparavant, lui avait parlé, comme juge, dans le sein du Synédrium, auquel il demanda alors sa condamnation, prédisant que les membres du Synédrium et le roi Hyrcan seraient un jour punis de leur faiblesse par Hérode lui-même. Hérode dut composer le Synédrium d'hommes faibles qu'il pût dominer à son gré. La vacance du pontificat lui fournit l'occasion d'anéantir ce pouvoir rival de la royauté, en revêtant de la dignité de grand prêtre un homme insignifiant dont il pût disposer comme de sa créature ; la minorité de son beau-frère Aristobule, héritier légitime du pontificat, mais qui n'était âgé que de seize ans, favorisa ses projets. Un certain Hananel, prêtre peu connu qui vivait parmi les Juifs de Babylone et à faisait remonter sa généalogie à l'une des anciennes familles pontificales, fut appelé à Jérusalem et nommé grand prêtre. Hyrcan qui, par la barbare cruauté d'Antigonus, avait été rendu incapable d'exercer les fonctions sacerdotales, pouvait cependant devenir un concurrent dangereux pour Hérode, en faisant valoir ses droits sur la couronne. Il importait donc à Hérode de prévenir les dangers qui le menaçaient de ce côté, d'autant plus qu'il avait appris que Phraatès, roi des Parthes, avait rendu la liberté à Hyrcan et lui avait donné la permission de s'établir à Babylone, ou il vivait entouré du respect et de l'amour de tous les Juifs de Mésopotamie. Hérode, feignant pour lui des sentiments d'amitié et de gratitude, l'invita à revenir en Judée ; le faible vieillard, malgré les avertissements de ses amis, ne put résister au désir de revoir sa patrie et le sanctuaire, et revint à Jérusalem, où Hérode, pour mieux cacher les pièges qu'il lui tendait, lui fit le plus brillant accueil (36). Alexandra, fille d'Hyrcan et belle-mère d'Hérode, pénétra les machinations du roi ; ce fut avec une profonde douleur qu'elle vit l'illustre famille des Hasmonéens outragée dans son dernier rejeton. Elle comprit bien que la nomination de Hananel était un arrêt d'exclusion porté contre son fils Aristobule, qui pouvait prétendre au pontificat par droit de succession, et elle usa du seul moyen qui lui restait pour faire reconnaître les droits de son fils. Elle s'adressa à Cléopâtre pour la prier de gagner Antoine en faveur du jeune Aristobule. En même temps un certain Dellius, ami d'Antoine, vint à Jérusalem, et ayant vu Mariamne et Aristobule qui étaient d'une beauté parfaite il conseilla à Alexandra d'envoyer à Antoine les portraits de ses enfants, l'assurant que leurs beaux traits ne pouvaient manquer de toucher Antoine et de lui inspirer le plus vif intérêt pour la cause d'Aristobule. Alexandra suivit ce conseil, sans en comprendre toute la portée. Antoine après avoir reçu les portraits, écrivit à Hérode pour l'engager à lui envoyer son beau-frère, si cela ne lui était pas désagréable. Hérode répondit avec esprit que le départ du jeune prince pourrait être mal interprété et offrir aux mécontents un prétexte pour exciter de nouveaux troubles. Pour faire cesser les intrigues d'Alexandra et.les vives sollicitations de Mariamne, il résolut de céder pour le moment, et déclarant qu'il n'avait nommé Hananel que provisoirement, à cause de la jeunesse d'Aristobule, il revêtit le jeune prince de la dignité pontificale et révoqua Banane ! de ses fonctions. Se méfiant d'Alexandra, il lui ordonna de rester toujours dans la capitale, et la fit surveiller par de fidèles serviteurs. Alexandra, irritée de ce procédé et soupçonnant les intentions d'Hérode, s'en plaignit de nouveau à Cléopâtre, qui lui conseilla de s'enfuir en Égypte avec son fils. Alexandra fit faire deux cercueils pour s'y faire transporter elle et son fils, pendant la nuit, à un port de mer où un vaisseau était préparé pour les conduire en Égypte ; mais Hérode, averti par un des serviteurs d'Alexandra, surprit les fugitifs et les fit ramener. Tout en feignant de-leur pardonner, il résolut de se défaire d'Aristobule ; l'enthousiasme que le peuple manifesta pour le jeune pontife, lorsque, pendant les fêtes du septième mois, il fonctionna dans le Temple, fut pour Hérode un motif de plus pour hâter l'exécution de ses projets criminels. Après les fêtes, Hérode assista avec ses courtisans à un festin qui leur fut donné à Jéricho par Alexandra ; à la fin du repas, Hérode s'amusa avec le jeune Aristobule à des jeux gymnastiques, et à la nuit tombante, il lui proposa ainsi qu'aux courtisans d'aller se baigner dans un étang voisin. Les anis d'Hérode, suivant l'ordre que leur avait donné le tyran, plongèrent Aristobule sous 1 eau, comme pour plaisanter, et le noyèrent. Hérode feignit une profonde douleur et fit faire à Aristobule de magnifiques funérailles ; mais ces démonstrations hypocrites ne trompèrent personne, et l'opinion publique le désigna comme le meurtrier du jeune prince. Hananel fut rétabli dans le pontificat. Alexandra, inconsolable de la mort de son fils, fut sur le point d'attenter à ses jours ; mais l'espoir de venger un jour le meurtre d'Aristobule lui fit supporter la vie. Elle écrivit Cléopâtre, pour l'instruire du crime d'Hérode, et la reine d'Égypte, qui désirait se faire donner par Antoine quelques contrées de la Palestine, insista auprès de son amant pour qu'il demandât compte au roi des Juifs du meurtre d'Aristobule. Hérode fut appelé à se justifier devant Antoine, qui se trouvait alors devant Laodicée (34). Avant de partir, il confia les affaires du gouvernement à son oncle Joseph, mari de sa sœur Salomé, et lui recommanda, en cas d'un jugement défavorable de la part d'Antoine, de tuer aussitôt Mariamne, afin qu'elle ne tombât pas au pouvoir du voluptueux Romain. Joseph en fit part a Mariamne, afin de lui montrer combien elle était aimée par Hérode ; mais Mariamne, loin de voir dans cet ordre atroce une preuve de tendresse, en conçut une haine implacable contre son époux. Le bruit s'étant répandu qu'Hérode avait été condamné et mis à mort, Alexandra persuada à Joseph de confier Jérusalem à la garde des légions romaines qui se trouvaient en Palestine, espérant qu'à l'arrivée d'Antoine elle pourrait avec Mariamne saisir le pouvoir. Mais bientôt Hérode revint sain et sauf dans sa capitale, ayant su, par son éloquence et son argent, se faire absoudre par Antoine. Salomé, ennemie d'Alexandra et de Mariamne, qui lui avaient fait sentir leur supériorité, rendit compte à Hérode de l'intimité qui s'était établie entre son mari Joseph et les deux princesses, et chercha à rendre suspecte la vertu de Mariamne. Hérode ne crut pas d'abord à l'infidélité.de Mariamne ; mais voyant que celle-ci était instruite de l'ordre cruel qu'il avait donné à son égard à Joseph, il ajouta foi aux insinuations mensongères de Salomé. Joseph fut mis à mort sans avoir été entendu ; Alexandra fut condamnée à la prison. Mariamne seule obtint le pardon ; l'amour qu'Hérode éprouvait pour elle l'emporta sur ses soupçons jaloux. Hérode put jouir, pendant quelque temps, du fruit de ses crimes ; dans l'intérieur régnait la tranquillité produite par la terreur. Mais bientôt son repos fut troublé au dehors par les exigences de Cléopâtre et par l'ascendant qu'elle avait sur l'esprit d'Antoine. Non contente d'avoir reçu d'Antoine une bonne partie des pays conquis avec le sang des Romains, elle convoita aussi la Palestine et l'Arabie Pétrée, et Antoine, qu'elle avait accompagné en Syrie, eut la faiblesse de lui céder une partie de ces pays et de la Phénicie ; il lui donna la contrée de Jéricho avec ses baumiers, toutes les villes de la côte de la Méditerranée, depuis l'Éleutherus jusqu'à Rhincorura (El-Arisch), à l'exception de Tyr et de Sidon, ainsi que la portion de l'Arabie Pétrée qui était limitrophe de l'Égypte. Hérode et le roi arabe Malich offrirent chacun à Cléopâtre deux cents talents de tribut annuel, pour racheter le pays dont elle les avait dépouillés. Cléopâtre, retournant en Égypte, passa par Jérusalem, et malgré sa haine pour Hérode, elle essaya de le séduire par ses charmes ; Hérode sut échapper à ses pièges, et il aurait même attenté aux jours de son ennemie, s'il n'eût craint la vengeance d'Antoine. Dissimulant la haine et le mépris qu'elle lui inspirait, il lui fit un accueil magnifique, et la reconduisit jusqu'aux frontières de l'Égypte. Hérode, pour plaire à Cléopâtre et à Antoine, s'était chargé de faire le payement du tribut imposé à Malich, en se faisant rembourser par celui-ci ; mais bientôt Malich fit des difficultés à payer sa dette et Hérode se vit dans la nécessité de lui faire la guerre. Il voulut d'abord différer cette guerre, pour prendre part à la lutte que son protecteur Antoine eut à soutenir alors contre Octavien ; mais Antoine lui-même l'engagea à marcher contre le roi arabe, l'assurant qu'il pouvait se passer de son secours. Hérode, vainqueur dans un premier combat, subit dans le second une grande défaite. Un terrible tremblement de terre ayant en même temps ravagé la Judée et fait périr plus de dix mille personnes, Hérode fit demander la paix à Malich ; mais celui-ci répondit par le massacre des ambassadeurs et envahit la Judée. Hérode le repoussa, le vainquit dans deux batailles et l'obligea à son tour de demander la paix (31). A la même époque, la bataille d'Actium priva Hérode de son puissant protecteur ; Octavien devint le maître de l'empire romain. Les amis d'Antoine furent saisis de terreur et Hérode dut redouter les Romains ainsi que ses propres sujets qui l'avaient en horreur. Il résolut d'aller au-devant de l'orage, en présentant humblement ses hommages à Octavien, et de frapper en même temps un faible vieillard qui inspirait des craintes à l'ombrageux tyran. Hyrcan, plus qu'octogénaire, qui, même dans sa jeunesse, ne s'était mêlé que malgré lui des affaires politiques et avait poussé l'amour de la tranquillité jusqu'à l'indolence, Hyrcan qui, prince de la Judée, avait résigné tout son pouvoir entre les mains d'Antipater, devint alors un sujet d'épouvante pour Hérode, qui craignait déjà de voir le peuple se réunir autour de cette ombre de l'illustre race des Hasmonéens, et la terreur d'Hérode fut l'arrêt de mort d'Hyrcan, son bienfaiteur. Une lettre insignifiante et quatre montures que Malich avait envoyées à Hyrcan devinrent un prétexte pour accuser ce dernier de haute trahison et pour le livrer lâchement aux mains du bourreau[8]. Ainsi mourut le dernier des Hasmonéens, après une longue vie pleine de vicissitudes et après avoir vu périr misérablement toute sa race par suite de la lutte funeste dans laquelle il avait été entraîné lui-même par le père d'Hérode. Sur le point de se rendre auprès d'Octavien, Hérode chargea son frère Phéroras des affaires du gouvernement ; Alexandra et Mariamne furent mises en sûreté dans la forteresse d'Alexandrion, et confiées à la garde de Joseph et de Sohem, deux des plus fidèles serviteurs d'Hérode, qui reçurent l'ordre de tuer les deux femmes, si Hérode était mis à mort. Celui-ci partit pour Rhodes, où se trouvait alors Octavien ; admis devant l'homme puissant qui devait décider de son sort, il se présenta sans diadème, avoua l'attachement qu'il avait eu pour Antoine, et promit à Octavien de le servir avec le même dévouement, s'il daignait accepter ses services. Octavien l'accueillit avec bienveillance, lui rendit le diadème et le confirma dans son royaume. Revenu en Judée, Hérode prépara une magnifique réception à Octavien, qui devait venir à Ptolémaïde pour se rendre de là en Égypte, par les côtes de la Palestine. Hérode accompagna son auguste hôte jusqu'aux frontières de l'Égypte, se chargea de tous les besoins de l'armée romaine, et s'affermit encore plus dans les bonnes grâces d'Octavien en lui offrant huit cents talents. Enivré de bonheur, Hérode revint à Jérusalem ; mais là personne ne partageait sa joie, et dans sa propre maison régnait la douleur. Mariamne avait été instruite encore de l'ordre cruel que son époux, en partant pour Rhodes, avait donné à son égard ; elle répondit à ses transports par le silence et par les marques du plus profond chagrin, ce qui excita de nouveau les soupçons et la fureur du tyran. La mère et la sœur d'Hérode ne manquèrent pas de profiter de cette circonstance pour calomnier la vertueuse Mariamne et pour la perdre sans retour ; mais elles durent ajourner l'exécution de leurs projets sanguinaires, car, sur la nouvelle de la victoire d'Octavien et de la mort tragique d'Antoine et de Cléopâtre (30), Hérode partit aussitôt pour l'Égypte. Octavien lui fit l'accueil le plus gracieux et lui rendit les districts de la Palestine qui avaient été tributaires de Cléopâtre, ou dont les Romains avaient pris possession ; Hérode reçut Jéricho, Gadara, Hyppos et Samarie dans l'intérieur du pays, et quatre places sur la côte, savoir, Gaza, Anthédon, Joppé et la Tour de Straton (Césarée). A Jérusalem, il retrouva ses chagrins domestiques, qui, par leur contraste avec sa fortune brillante, l'irritèrent au plus haut degré. Il prêta l'oreille à toutes les insinuations de Salomé et de sa mère' et Mariamne, qui ne cachait pas la haine que lui inspirait Hérode et qui eut un jour l'imprudence de l'appeler le meurtrier de son père et de son frère, fournit elle-même à ses deux ennemies le moyen de hâter sa perte. Quelque peu vraisemblables que fussent les accusations portées contre Mariamne, Hérode y ajouta foi ; ayant appris par un serviteur de Mariamne que celle-ci avait été instruite par Sohem, son gardien, de l'ordre sanguinaire qu'Hérode avait donné à son égard, il s'imagina que Sohem, dans lequel il avait toujours reconnu son plus fidèle serviteur, avait eu avec Mariamne de coupables liaisons. En outre, Salomé, par l'intermédiaire de l'échanson qu'elle avait gagné, fit planer sur Mariamne le soupçon d'avoir voulu faire empoisonner le roi par un philtre. Sohem paya aussitôt de sa vie son imprudente indiscrétion, et Mariamne fut placée devant un tribunal composé de courtisans, les plus intimes amis d'Hérode. Le roi accusa lui-même son épouse dans des termes si violents qu'aucun des juges n'osa l'absoudre ; sa condamnation fut prononcée. Quelques-uns des amis du roi proposèrent d'enfermer Mariamne dans une forteresse ; mais Salomé ayant fait observer qu'on pouvait craindre un mouvement populaire en faveur de ce dernier rejeton de la famille des Hasmonéens, le roi confirma la sentence de mort prononcée contre Mariamne, qui, au milieu de cette cour souillée de crimes et de sang, avait seule conservé la vertu, et qui brillait autant par sa beauté que par son esprit et son courage héroïque. Un spectacle horrible attendait Mariamne sur le chemin de la mort ; Alexandra, pour conserver une triste existence, dans l'espoir peut-être de trouver le moyen de se venger sur Hérode, ne craignit pas de feindre contre Mariamne une exaspération atroce, et outrageant sa fille vertueuse jusqu'au pied de l'échafaud, elle lui reprocha publiquement son ingratitude et son infidélité envers le roi, et la présenta comme une criminelle qui allait être frappée d'un juste châtiment. Mariamne ne répondit que par le silence à tous ces outrages ; calme et résignée, elle offrit sa tête au bourreau, et mourut avec un sublime courage digne du noble sang des Maccabées qui coulait dans ses veines (28). A peine Hérode avait-il fait tomber cette tête qui lui avait été si chère, qu'il sentit renaître tout son amour ; le plus terrible désespoir s'empara de son âme et le jeta dans une sombre mélancolie qui le rendit encore plus redoutable à tous ceux qui l'entouraient. La peste fit alors des ravages épouvantables en Judée, et ce fléau fut regardé généralement comme un châtiment céleste pour la mort de la vertueuse Mariamne. Hérode, qui chercha en vain le repos, abandonna un moment les affaires et se rendit à Samarie, où il tomba dangereusement malade. Pendant sa maladie, Alexandra essaya de s'emparer de la citadelle de Jérusalem et du château Antonia ; Hérode, instruit du complot, la fit aussitôt mettre à mort (27). Il restait encore quelques collatéraux de la famille des Hasmonéens, qui périrent bientôt par les intrigues de Salomé. Celle-ci s'était remariée en secondes noces avec Costobare, issu d'une noble famille d'Idumée, et qui avait été nommé par Hérode gouverneur de sa patrie. Les époux ne vivaient pas en bonne intelligence, et Salomé se fit séparer de son mari, en lui envoyant une lettre de divorce, contrairement aux lois des Juifs qui demandent que l'acte de divorce émane du mari. Pour justifier sa conduite devant le roi, elle accusa Costobare d'avoir conspiré contre lui, et pour prouver la vérité de son accusation, elle révéla à Hérode que Costobare, lors de la prise de Jérusalem, avait soustrait à la vengeance du roi les deux fils du pharisien Baba, qui, favorisant la cause d'Antigonus, avaient encouragé le peuple à la résistance contre Hérode. Les fils de Baba, parents des Hasmonéens, furent trouvés en effet dans le lieu indiqué par Salomé, et le roi les fit mettre à mort, ainsi que Costobare et quelques-uns de ses amis accusés par Salomé d'avoir trempé dans la conspiration (26). Hérode, délivré de tous ceux qui pouvaient lui inspirer quelque inquiétude, et n'aspirant qu'a la faveur des Romains, ne craignit pas de braver les mœurs nationales, en donnant aux Juifs des spectacles inaccoutumés qui devaient révolter leurs sentiments religieux. Il construisit un théâtre dans la ville de Jérusalem et un amphithéâtre au dehors ; il établit des combats d'athlètes qui depuis se célébraient tous les cinq ans (ludi quinquennales) en l'honneur d'Octavien, devenu empereur, sous le nom d'Auguste. Ces innovations causèrent un mécontentement général parmi les Pharisiens ; dix des plus exaltés conspirèrent contre la vie du roi et convinrent de se rendre au théâtre armés de poignards, pour assassiner le roi à son arrivée. Au nombre des conspirateurs était un aveugle ; quoique incapable d'agir, il ambitionna la gloire de partager le martyre des autres, si le complot échouait. Un des nombreux espions d'Hérode découvrit la conspiration ; les coupables furent saisis, et loin de se justifier, ils se glorifièrent d'avoir voulu venger les mœurs de leurs ancêtres indignement outragées. Ils furent tous livrés à un cruel supplice ; mais le délateur fut massacré par le peuple, et son corps déchiré fut jeté en pâture aux chiens. Hérode sut se faire révéler, par des tortures, les auteurs de cet acte de vengeance, qui furent égale-meut livrés aux bourreaux. Mais le tyran avait appris par là à connaître l'esprit du peuple ; ne se voyant plus en sûreté au milieu de ses sujets, il dut s'entourer d'une garde nombreuse et élever plusieurs forteresses, afin de se ménager une retraite en cas de révolte. Il fortifia et embellit la ville de Samarie, rebâtie par Gabinius, et lui donna le nom de Sébaste, en l'honneur d'Auguste, auquel il y éleva un temple ; il fortifia d'autres places en Galilée et en Pérée, et fonda sur la Méditerranée la ville de Césarée, près de la Tour de Straton. Il fit occuper toutes ces places par les troupes étrangères qu'il avait à sa solde. La famine et la peste qui ravagèrent la Palestine à cette époque (25), fournirent à Hérode l'occasion de regagner pour un moment l'affection de la classe pauvre dont il devint le bienfaiteur. Il employa son or et son argenterie à acheter du blé en Égypte, et procura ainsi des vivres à ses sujets et aux peuplades voisines. Les années de calme qui succédèrent furent employées par Hérode à élever toute sorte de constructions magnifiques. Il se bâtit un palais sur le mont Sion ; dans Césarée, peuplée par des habitants païens, on vit s'élever des théâtres et des temples d'une grande magnificence ; le port de cette ville devint le meilleur de toute la côte de Palestine et de Phénicie. Il attacha son nom et ceux des membres de sa famille à plusieurs forts et villes ; à l'endroit où il avait repoussé les Parthes et les partisans d'Antigonus, lors de sa fuite de Jérusalem, à soixante stades à l'est de la capitale, il bâtit le château d'Hérodion, et y fonda une ville ; dans la plaine de Caphar-Zaba, entre Jérusalem et Césarée, on vit s'élever la ville d'Antipatris, pour perpétuer la mémoire d'Antipater, père d'Hérode ; en l'honneur de sa mère Cypros, il bâtit le château du même nom, sur une hauteur près de Jéricho ; une tour de Jérusalem et une petite ville dans la plaine au nord de Jéricho reçurent le nom de son frère Phasaël. Sa passion de bâtir alla si loin qu'il prodigua de grandes sommes pour faire élever des édifices somptueux à Damas, à Tripoli, à Tyr, à Sidon et dans d'autres villes de l'étranger. Cette passion et les faveurs d'Auguste effacèrent peu à peu le souvenir de ses chagrins domestiques ; la malheureuse Mariamne fut remplacée par une autre femme du même nom, fille d'un prêtre nommé Simon, fils de Boéthus, lequel, devenu beau-père du roi, fut nommé grand-prêtre. Hérode ôta arbitrairement le pontificat à Jésus, fils de Phabi, successeur de Hananel, pour le donner à Simon. Les deux fils de la première Mariamne, Alexandre et Aristobule, furent envoyés à Rome, pour y être élevés sous les yeux d'Auguste (22). L'empereur les reçut avec beaucoup de bienveillance, et donna à Hérode la permission de choisir l'un d'eux pour son successeur ; en même temps il agrandit les États d'Hérode en lui donnant la Trachonitide, l'Auranitide et la Batanée, dont il dépouilla le tétrarque Zénodore, dans lequel les brigands de la Trachonitide avaient trouvé un protecteur. Zénodore s'en plaignit a Agrippa, qui, nommé gouverneur général des provinces d'Orient, venait d'arriver à Mitylène ; mais déjà Hérode était venu faire sa cour à Agrippa, et l'avait disposé en sa faveur. L'année suivante (21), Auguste vint lui-même en Syrie. Zénodore, à la tête d'une députation du district de Gadara, vint trouver l'empereur à Antioche, pour accuser Hérode de violence et de rapine ; mais les députés de Gadara, voyant qu'Hérode était reçu par l'empereur avec beaucoup de distinction, se donnèrent la mort. Bientôt après Zénodore mourut subitement à Antioche, d'une 'maladie des intestins. Auguste donna à Hérode la principauté de Zénodore, située entre la Trachonitide et la Galilée, et à laquelle appartenait le district de Panéas. En même temps Hérode fut nommé l'un des procurateurs de Syrie ; il céda un district du midi de la Pérée, avec cent talents de revenu, à son frère Phéroras, auquel Auguste donna le titre de Tétrarque. Par reconnaissance pour les bienfaits de l'empereur, Hérode lui bâtit dans les environs de Panéas un temple magnifique en marbre blanc. Pour faire taire les murmures des Juifs qui se plaignaient autant de son despotisme que de ses nombreuses constructions païennes, Hérode leur fit remise du tiers des impôts ; mais il ne parvint point par là à satisfaire les mécontents, il se vit obligé de s'entourer de gardes et d'espions et les exécutions reprirent leur cours. On refusa généralement de prêter le serment de fidélité qu'Hérode exigea alors de tous ses sujets ; mais Hérode employa la force et fit mettre à mort les plus obstinés. Il n'épargna dans cette circonstance que les Pharisiens Saméas et Pollion et leurs disciples, ainsi que les Esséniens qui ne prêtaient aucun serment et pour lesquels il avait toujours professé un grand respect, parce qu'un membre de leur secte, un certain Menahem, lui avait prédit dans son enfance qu'il régnerait un jour. Un moyen plus efficace de rétablir la tranquillité pour quelque temps fut la résolution prise par Hérode de porter enfin ses regards sur le sanctuaire national, après avoir prodigué d'immenses richesses pour élever des temples au paganisme romain. Dans la dix-huitième année de son règne (19), Hérode convoqua une assemblée nationale et lui adressa un discours dans lequel il exposa la nécessité de rebâtir le Temple que les Juifs, revenus de l'exil de Babylone, n'avaient pu rétablir dans les dimensions et les formes convenables. En effet, cet édifice, qui avait alors cinq siècles d'existence, et qui avait été élevé par une colonie pauvre, avec le secours des rois de Perse, dut être d'une apparence assez mes qui ne à côté des monuments somptueux élevés par Hérode dans toute la perfection de l'art grec. Cependant les Juifs, se méfiant des intentions d'Hérode, furent d'abord consternés. Hérode les rassura en leur promettant de ne faire commencer la démolition de l'ancien Temple qu'après avoir préparé tous les matériaux nécessaires pour le nouvel édifice. Hérode tint sa promesse ; deux années se passèrent dans les préparatifs. Mille chariots amenèrent les pierres ; le roi engagea dix mille ouvriers des plus habiles, et leur adjoignit mille prêtres en costume, qu'il fit instruire dans les travaux en bois et en pierre, pour travailler à l'intérieur, qui n'était pas accessible aux autres ouvriers[9]. Le sanctuaire proprement dit fut achevé en dix-huit mois ; les travaux des parvis et de leurs portiques durèrent huit ans, mais on continua fort longtemps à travailler aux bâtiments du dehors[10]. Nous allons donner une courte description du Temple bâti par les ordres d'Hérode, et dont la magnificence est beaucoup vantée par Josèphe et les rabbins[11]. Toute l'enceinte formée par le mur extérieur, et appelée (dans la Mischna) la montagne du Temple, était un carré qui avait cinq cents coudées de chaque côté. Elle était divisée en différentes parties plus élevées les unes que les autres, et l'emplacement du Temple proprement dit, beaucoup plus rapproché du mur extérieur au nord et à l'ouest qu'au midi et à l'est, était la partie la plus élevée, de sorte que le Temple offrait un aspect imposant et pouvait être vu dans toute la ville. Le mur de l'enceinte avait plusieurs portes : selon la Mischna[12], il y en avait cinq, dont deux au midi et une à chacun des trois autres côtés ; mais Josèphe[13] dit positivement qu'il y en avait quatre à l'occident, sans fixer le nombre de celles des autres côtés. La porte principale, située à l'orient, s'appelait la porte de Suse. Des portiques régnaient à l'intérieur le long du mur ; leurs toits en bois de cèdre étaient portés par des colonnes de la hauteur de vingt-cinq coudées. A l'est, au nord et à l'ouest, les portiques étaient doubles, ayant trois rangées de colonnes, et leur largeur était de trente coudées ; au midi il y avait un triple portique, formé par quatre rangées de colonnes, et appelé le portique royal. Tous ces portiques étaient pavés de pierres de différentes couleurs. Là se tenaient aussi les marchés du Temple ; tout le monde pouvait y pénétrer, et même les étrangers ; c'est pourquoi des auteurs modernes ont appelé ces lieux la cour (ou le parvis) des Gentils. Cette cour était limitée tout autour par une balustrade de pierres de trois coudées de hauteur, travaillée avec beaucoup d'art[14], et près de laquelle il y avait, de distance en distance, des colonnes portant des inscriptions, les unes en grec, les autres en latin, qui avertissaient les païens qu'il leur était défendu de pénétrer plus loin. Cette balustrade avait (selon la Mischna) treize ouvertures ; on montait de là quatorze marches (d'une demi-coudée de hauteur et de largeur), pour arriver sur un plan large de dix coudées, que la Mischna appelle HÈL (antemurale), et qui était limité par le mur de l'enceinte sacrée. Ce mur, dont la hauteur visible était de vingt-cinq coudées, avait neuf portes, dont quatre au nord, quatre au midi et une à l'est ; on montait cinq marches pour arriver aux portes, et par conséquent l'enceinte sacrée était plus élevée que le Hel. Cette enceinte était divisée en deux cours ou parvis ; l'une à l'est, l'autre à l'ouest. Par la porte de l'est on entrait dans la première cour appelée la cour des femmes (AZARATH NASCHÎM), et ou les femmes pouvaient entrer pour faire leurs dévotions. Elle formait un carré ayant cent trente-cinq coudées en long et en large ; à chacun des quatre angles les rabbins placent une chambre ou une cellule (LISCHCA), dont ils indiquent la destination[15]. Cette cour était séparée de la cour occidentale par un mur au milieu duquel se trouvait, vis-à-vis du grand portail de la cour des femmes, la porte de Nicanor[16] ; on y arrivait par quinze marches en forme d'hémicycles, d'où il résulte nécessairement que la cour occidentale était plus élevée que celle appelée cour des femmes. Cependant la différence n'était en réalité que de cinq marches ; car la hauteur totale des quinze marches équivalait, selon Josèphe, à celle des cinq qui conduisaient aux autres portes. Par cette porte de Nicanor on entrait dans la grande cour occidentale qui entourait le Temple proprement dit ; elle avait cent trente cinq coudées de large (du nord au midi) et cent quatre-vingt-sept coudées de long (de l'est à l'ouest). Le mur était à l'intérieur entouré de colonnades ; au nord et au midi il y avait un certain nombre de cellules ou de chambres destinées à divers usages ; nous y remarquons notamment la salle des séances du Synédrium appelée LISCHCATH HAGAZÎTH, qui avait deux entrées, l'une par la cour, l'autre par le Hel[17]. A l'extrémité orientale de cette cour le peuple pouvait pénétrer jusqu'à la distance de onze coudées de la porte de Nicanor ; la limite était marquée par une balustrade, au milieu de laquelle il y avait trois marches, où se plaçaient les prêtres, pour prononcer la bénédiction sur le peuple[18]. On voit que l'enceinte réservée au peuple avait cent trente-cinq coudées du nord au midi, et onze coudées de l'est à l'ouest ; elle était appelée la cour des Israélites (AZARATH YISRAEL). Le reste du grand parvis portait le nom de cour des prêtres (AZARATH COHANÎM). Les portes des différentes cours étaient généralement surmontées d'une chambre ou d'une tour ; elles étaient par conséquent d'une certaine profondeur et devaient être fermées par de doubles battants à chacune des deux extrémités. Les deux battants ensemble avaient trente coudées de hauteur et quinze de largeur[19] ; à l'intérieur il y avait de chaque côté deux colonnes de douze coudées de circonférence, pour supporter la tour. La plus grande porte était celle de l'est, qui conduisait à la cour des femmes ; sa tour s'élevait (selon Josèphe) à la hauteur de cinquante coudées et était large de quarante coudées. Le Temple proprement dit, bâti en marbre blanc et richement doré au dedans et au dehors, avait cent coudées de long, et autant de hauteur ; sa largeur sur le devant (à l'est) était également de cent coudées, et il y avait là un vestibule qui occupait vingt (selon la Mischna, onze) coudées de la longueur totale. Le reste de l'édifice avec les étages qui y étaient adossés au dehors n'avait que soixante coudées de largeur (ou, selon la Mischna, soixante-dix)[20], de sorte que le vestibule offrait de chaque côté une saillie de vingt (ou quinze) coudées. On montait douze marches pour arriver à l'entrée du vestibule qui était ouverte et qui avait soixante-dix coudées de hauteur et vingt-cinq de largeur. La hauteur intérieure du vestibule était de quatre-vingt-dix coudées et sa largeur (du nord au midi) de cinquante coudées ; il restait par conséquent, de chaque côté, vingt-cinq coudées de largeur, en v comprenant l'épaisseur du mur, qui, dit-on, était de cinq coudées. Selon les rabbins, ces deux espaces étaient occupés par deux chambres, où étaient déposés les couteaux servant à égorger les victimes[21]. — La porte qui conduisait du vestibule au HÉCHAL ou lieu saint, avait (selon Josèphe) cinquante-cinq coudées de hauteur et seize coudées de largeur ; elle avait deux battants dorés et en outre un magnifique rideau babylonien couvert de tapisseries de différentes couleurs. Au-dessus de la porte on voyait une vigne colossale en or. Le Hechal avait vingt coudées de largeur, quarante de longueur et soixante de hauteur ; un rideau le séparait du Saint des Saints, qui avait vingt coudées de longueur, autant de largeur et soixante coudées de hauteur[22]. Comme la hauteur intégrale était de cent coudées, il restait nécessairement au-dessus du lieu saint et du Saint des Saints un espace vide, ou étage supérieur (Aliyya), auquel on attribue ordinairement une hauteur de quarante coudées1. Il nous semble cependant qu'on doit en déduire la hauteur des marches qui conduisaient de la cour au vestibule ; car la hauteur intégrale de cent coudées est comptée sans doute à partir de la base de l'édifice, tandis que la hauteur intérieure de 'soixante coudées n'a pu être comptée qu'à partir du sol du lieu saint qui était nécessairement élevé, au-dessus de la base, de toute la hauteur des marches qu'il fallait monter pour arriver au vestibule. Ce n'est qu'en mesurant de cette manière que nous pouvons trouver une place pour les fenêtres qui durent exister dans ce Temple comme dans celui de Salomon, quoiqu'elles ne soient pas mentionnées dans les différentes descriptions. Nous savons par Josèphe qu'à l'extérieur il y avait des bâtiments de trois étages adossés au mur (au nord, au midi et à l'ouest), et que l'édifice principal s'élevait de quarante coudées au-dessus de ces étages[23]. La hauteur intégrale des trois étages (en partant de la hase de l'édifice) était par conséquent de soixante coudées ; or, en comptant les soixante coudées de la hauteur intérieure du Temple à partir du sol du lieu saint, nous gagnons au-dessus des étages une hauteur égale à celle des marches du vestibule et c'est là que durent se trouver les fenêtres, précisément comme dans le Temple de Salomon. Le toit, à ce qu'il parait, était plat et entouré d'une balustrade de trois coudées de hauteur ; il était garni d'aiguilles dorées de la hauteur d'une coudée pour empêcher les oiseaux d'y séjourner[24]. Les autels et les autres objets sacrés étaient distribués comme dans le tabernacle de Moïse et dans le Temple de Salomon. Dans la cour des prêtres, au S.-E. du sanctuaire, était le bassin d'airain, auquel un certain Ben-Katin fit mettre douze robinets, afin que douze prêtre pussent s'y laver à la fois ; le même y fit faire un appareil pour y amener directement l'eau d'un puits[25]. Au milieu de la cour, en face de l'entrée du Temple et au N.-E. du bassin, se trouvait le grand autel des holocaustes, bâti de pierres non polies. Il avait, selon Josèphe, cinquante coudées en long et en large et une hauteur de quinze coudées, et les angles aboutissaient en haut en une espèce de cornes ; on y arrivait par une montée douce qui était au midi[26]. Au nord de l'autel il y avait des tables de marbre pour y déposer la chair des victimes. — Dans le lieu saint se trouvaient, au nord la table des pains de proposition, au midi le chandelier à sept branches[27], et entre les deux l'autel des parfums, le tout en or. — Le Saint des Saints était vide ; à la place qu'occupait l'arche sainte dans le Temple de Salomon, il y avait une pierre de la hauteur de trois doigts, sur laquelle le grand-prêtre déposait l'encensoir au jour des expiations[28]. Au nord-ouest du Temple s'élevait le château Antonia, dont nous avons parlé dans notre description de Jérusalem ; il communiquait avec le Temple par une allée souterraine. Après l'achèvement de l'édifice intérieur, ou du Temple proprement dit (l'an 15 avant l'ère chrétienne), on en fit l'inauguration solennelle. Hérode, qui célébra le même jour l'anniversaire de son avènement au trône, offrit trois cents taureaux ; des victimes innombrables furent offertes par le peuple. Le pays était tranquille en apparence ; Hérode put un moment se croire réconcilié avec son peuple et espérer un règne heureux sous la puissante protection de l'empereur romain. Il se rendit alors à Rome pour faire sa cour à Auguste et pour ramener en Judée ses deux fils, Alexandre et Aristobule ; ceux-ci, de retour à Jérusalem, furent reçus par le peuple avec les marques de la plus vive affection, et on honorait en eux la mémoire de leur malheureuse mère et de la noble famille des Maccabées, Hérode les maria l'un et l'autre : Alexandre, qui était l'aîné, épousa Glaphyre, fille d'Archélaüs, roi de Cappadoce ; Aristobule prit pour femme sa cousine Bérénice, fille de Salomé, sœur d'Hérode. Peu de temps après, Agrippa ayant fait un nouveau voyage en Orient, Hérode alla à sa rencontre en Asie Mineure et l'amena en Palestine, où il lui fit voir avec orgueil les villes et les magnifiques édifices qu'il avait fait construire dans le style grec. Les habitants de Jérusalem firent une magnifique réception à Agrippa, et l'illustre Romain offrit une hécatombe au temple de Jéhova. L'année suivante (14), Hérode rejoignit Agrippa à Sinope, et lui amena des troupes auxiliaires pour une expédition dans le Bosphore Cimmérien. En parcourant ensuite avec Agrippa différents pays de l'Asie Mineure, il se fit auprès de lui l'interprète des griefs et des besoins des populations et leur obtint maintes faveurs. A cette occasion, Agrippa, sur la demande d'Hérode, renouvela aux Juifs d'Ionie les privilèges et immunités qu'ils avaient possédés autrefois sous les rois de Syrie, et leur accorda le libre exercice de leur religion. Hérode, de retour à Jérusalem, s'en glorifia dans une assemblée publique, et pour gagner encore davantage la faveur du peuple, il lui fit remise du quart des impôts pour la dernière année. Le bonheur d'Hérode fut de courte durée ; les intrigues de sa sœur Salomé et de son frère Phéroras l'entraînèrent dans une nouvelle série de crimes qui répandirent la terreur autour de lui et jetèrent le désespoir dans sa propre âme. Plus les deux fils de Mariamne étaient chéris du peuple, et plus ils devinrent un objet d'inquiétude et de haine pour Salomé. Alexandre et Aristobule étaient fiers d'appartenir, par leur mère, à la famille Hasmonéenne ; leur caractère impétueux et ouvert les entraînait souvent à rappeler avec amertume le douloureux souvenir de leur mère et sa mort ignominieuse. Leurs ennemis abusaient de leur franchise pour leur faire tenir des propos imprudents ; chacune de leurs paroles fut rapportée à Hérode avec des commentaires perfides, et on parvint à persuader au roi que ses fils voulaient attenter à sa vie. Salomé et Phéroras étaient l'âme de ces intrigues, et Hérode leur donna lui-même un auxiliaire plein de perfidie, en appelant à la cour le rusé Antipater, son fils aîné, qu'il avait eu avant d'être roi, de sa première femme nommée Doris. Hérode voulut humilier l'orgueil des fils de Mariamne en faisant valoir contre leurs prétentions les droits de son fils aîné ; mais Alexandre et Aristobule n'en furent que plus irrités et s'exprimèrent avec plus de vivacité encore sur le compte de leur père. Antipater fut comblé d'honneurs par Hérode ; peu de temps après, Agrippa ayant été rappelé à Rome, Hérode l'engagea à amener avec lui Antipater pour le recommander à Auguste (12). Quoique absent, Antipater continua à prendre part aux intrigues et aux calomnies de Salomé et ne cessa, par ses lettres d'irriter son père contre les fils de Mariamne. L'année suivante (11), Hérode, croyant ses fils coupables, partit avec eux pour Rome, afin de les accuser devant Auguste. L'empereur était alors à Aquilée, où Hérode alla le rejoindre. Le roi exposa avec véhémence ses griefs contre ses deux fils ; Alexandre prit la parole et montra dans leur nullité les accusations accumulées contre lui et son frère. Tous les assistants furent profondément émus ; l'empereur reconnut que les soupçons d'Hérode étaient mal fondés et que le roi avait trop promptement prêté l'oreille à la calomnie. Les deux princes furent absous ; Auguste les exhorta à se conduire avec plus de modération et opéra une réconciliation entre Hérode et ses fils. Antipater manifesta une joie hypocrite, pour dissimuler sa haine contre les fils de Mariamne et se ménager les moyens de les perdre. Hérode fit à Auguste un présent de trois cents talents et obtint la permission de disposer à son gré de la succession au trône. Hérode, de retour à Jérusalem avec ses fils, déclara dans une assemblée publique que le droit de succession était dévolu à Antipater et après lui aux fils de Mariamne. Cette déclaration n'était pas propre à rétablir la concorde et à faire cesser les intrigues dans la famille d'Hérode ; quoique les fils de Mariamne se conduisissent avec plus de prudence, Antipater trouva moyen de les faire calomnier de nouveau, et tout en feignant de les aimer et de prendre leur défense, il en parlait toujours de manière à entretenir et à augmenter les soupçons de son père. A cette époque (10), les constructions de Césarée étant achevées, Hérode fit diversion à ses chagrins domestiques, en célébrant des jeux d'athlètes pour l'inauguration de la nouvelle ville. Mais les discordes de famille et les intrigues se compliquèrent de plus en plus. Glaphyre, femme d'Alexandre, habituée à se considérer comme future reine et se voyant privée de cette espérance par les prétentions d'Antipater, en conçoit une haine violente contre Salomé, première cause de la disgrâce d'Alexandre et d'Aristobule. Phéroras se brouille avec Hérode, en refusant de prendre pour femme une des princesses royales, fille de Mariamne, et préférant conserver des liaisons avec une esclave dont il était éperdument amoureux. Salomé cherche à détourner sa fille Bérénice de son mari Aristobule, dont elle espérait de cette manière apprendre les projets secrets. Phéroras, mécontent d'Hérode, persuade à Alexandre que le roi était amoureux de Glaphyre ; le roi, informé de cette calomnie, en manifeste toute son indignation à Phéroras, et celui-ci accuse Salomé d'en être l'auteur. Au milieu de ces haines et de ces intrigues qui se multiplient et se croisent, les calomnies se renouvellent contre les fils de Mariamne, qu'on accuse d'une conspiration à laquelle, dit-on, quelques serviteurs du roi ont prêté la main. Les serviteurs mis à la torture font toute sorte de fausses révélations. Le roi, devenu de plus en plus sombre et ombrageux, fait mourir beaucoup d'innocents, et ensuite quand l'erreur est reconnue, les accusateurs sont également voués à la mort. Telle fut la terrible situation produite par la barbare cruauté d'Hérode, par les intrigues de son frère et de sa sœur, et par la perfidie d'Antipater, qui, par ses ruses et ses calomnies, excitait la fureur du roi. La catastrophe à laquelle devait nécessairement aboutir cette situation violente fut précédée de quelques moments de calme par la prudence du roi Archélaüs, beau-père d'Alexandre, que l'inquiétude sur le sort de sa fille et de son gendre amena à Jérusalem (an 8). Pour fléchir le cœur d'Hérode il ne voyait d'autre moyen ire la ruse ; il feignit la plus profonde indignation de la conduite de son gendre, le menaça de lui enlever Glaphyre, dont il s'était rendu indigne, et engagea Hérode d'agir avec sévérité contre son fils pervers. Hérode chercha lui-même à calmer l'irritation d'Archélaüs, et celui-ci, ayant gagné la confiance d'Hérode, sut trouver le chemin pour arriver à son cœur et l'émouvoir jusqu'aux larmes. Peu à peu il parvint à justifier Alexandre et a dévoiler à Hérode les intrigues de Phéroras ; étant parvenu à opérer une nouvelle réconciliation entre Hérode et les fils de Mariamne, il eut la générosité d'intercéder pour Phéroras et de lui faire obtenir la grâce de son frère. Hérode témoigna sa reconnaissance à Archélaüs en lui faisant de riches présents et le reconduisit lui-même en Cappadoce, pour aller de là à Rome rendre compte à l'empereur de tout ce qui s'était passé. Pendant son absence, les hordes de brigands infestèrent de nouveau la Trachonitide et les pays à l'entour ; elles trouvèrent un appui dans Syllée, ministre du roi arabe Obodas, qui, à cette occasion, cherchait à se venger du refus qu'il avait subi de la part d'Hérode en demandant la main de Salomé. Hérode, revenu en Palestine, adressa des plaintes contre Syllée à Saturnin, gouverneur de Syrie, et Syllée s'engagea à livrer tous les chefs des brigands qui s'étaient réfugiés sur le territoire d'Obodas. Mais au lieu de tenir parole il partit pour Rome, et Hérode se vit obligé d'envahir l'Arabie, où il prit d'assaut la forteresse de Raëpta, lieu de refuge des brigands. En même temps trois mille Iduméens furent envoyés en Trachonitide pour y rétablir la tranquillité. Syllée accusa Hérode, auprès d'Auguste, d'avoir ravagé le pays d'Obodas et d'avoir fait massacrer deux mille cinq cents chefs arabes. L'empereur, fort irrité, écrivit à Hérode pour le réprimander, et Syllée ne manqua pas de donner avis à ses amis en Arabie de la disgrâce d'Hérode. Les Arabes en profitèrent pour envahir la Trachonitide, où ils massacrèrent la garnison iduméenne. Les ambassadeurs qu'Hérode envoya à Rome ne furent pas admis devant l'empereur. Enfin Auguste ayant été informé des intrigues de Syllée qui avait fait empoisonner son maître Obodas, Nicolas de Damas, ami d'Hérode, put s'introduire auprès d'Auguste en se joignant aux ambassadeurs que Hareth, fils d'Obodas, avait envoyés à Rome ; il parvint à justifier Hérode et à dévoiler toutes les menées de Syllée, qui plus tard fut condamné à mort. Sur ces entrefaites, Salomé, Phéroras et Antipater, ayant attiré dans leurs confidences un certain Euryclès, Lacédémonien qui vivait à Jérusalem, parvinrent, par leurs calomnies, à réveiller les soupçons d'Hérode contre les fils de Mariamne. Malheureusement Alexandre avait pris à son service deux officiers qui avaient été congédiés par Hérode ; ils furent arrêtés, et, appliqués à la torture, ils déclarèrent qu'Alexandre les avait engagés à tuer le roi à la chasse. D'autres faits furent rapportés par des délateurs qui avaient été gagnés, et Hérode, ayant fait enchaîner ses fils, en référa à l'empereur. Auguste l'autorisa à punir ses fils, mais il lui conseilla de ne pas agir précipitamment, de porter sa cause devant un tribunal à Béryte, et d'y appeler les hommes les plus distingués et notamment les autorités romaines de Syrie et le roi Archélaüs, beau-père d'Alexandre. Hérode convoqua une assemblée de cent cinquante personnes ; mais il n'y appela point Archélaüs, dont il se méfiait. Sur l'accusation portée par Hérode, ses malheureux fils furent condamnés à la majorité des voix, sans d'autres preuves que les témoignages obtenus par la torture. Hérode partit pour Tyr avec les condamnés ; là il rencontra Nicolas, revenu de Rome, qui chercha en vain à ramener le père dénaturé à de meilleurs sentiments. Ils s'embarquèrent ensemble pour Césarée, où un vieux guerrier nommé Téron se voua à la mort en reprochant à Hérode sa cruauté barbare. Hérode envoya ensuite ses deux fils à Samarie, où ils furent étranglés par ses ordres ; leurs corps furent transportés à Alexandrion pour y être enterrés (an 6). Ce fut en vain que le tyran avait consommé cet horrible sacrifice ; peine délivré d'un danger imaginaire, il vit s'élever contre lui un ennemi bien plus redoutable dans celui-là même à qui il avait accordé toute sa confiance, qu'il avait nommé son successeur et qui le payait de la plus noire ingratitude. L'infâme Antipater, digne d'un tel père, conspira contre la vie du sanguinaire Hérode, digne d'un tel fils. Phéroras était dans le complot ; il y avait été entraîné par sa femme qu'Hérode avait en haine parce qu'elle avait empêché le mariage de Phéroras avec une des princesses. Salomé avertit le roi des intelligences qui existaient entre Antipater et Phéroras ; Hérode se méfia des révélations de sa sœur, mais ses soupçons s'éveillèrent, quand il apprit que la femme de Phéroras avait fourni de l'argent aux Pharisiens, afin de payer une amende qui leur avait été imposée pour avoir refusé de prêter le serinent de fidélité à Hérode et à l'empereur. Par reconnaissance, quelques Pharisiens avaient prédit que la couronne passerait sur la tête de Phéroras ; Hérode fit mettre à mort les imprudents prophètes et ordonna à Phéroras de renvoyer sa femme. Phéroras, ayant refusé d'obéir', fut banni de Jérusalem et se retira dans sa tétrarchie. Le roi interdit à Antipater et à sa mère toute espèce de liaison avec Phéroras ; Antipater obéit en apparence, mais il continua à entretenir avec son oncle des relations secrètes. Exécré par le Peuple et ne se croyant pas en sûreté en Judée, il sut, par ses amis romains, faire engager son père à l'envoyer à Rome. Hérode y consentit et chargea Antipater de porter à Auguste son testament, par lequel il établit Antipater l'héritier de sa couronne, ou, à son défaut, Hérode, né de la seconde Mariamne, fille du grand prêtre Simon. Peu de temps après, Phéroras tomba subitement malade ; Hérode, oubliant ses ressentiments, alla voir son frère et assista à sa mort (an 5). On accusa la femme de Phéroras d'avoir empoisonné son mari ; cette accusation n'était pas fondée, mais l'enquête faite à ce sujet fit découvrir le complot d'Antipater et de Phéroras. La veuve de ce dernier avoua que son mari avait reçu d'Antipater du poison pour faire mourir Hérode, mais que Phéroras, avant de mourir, touché de la visite d'Hérode, avait ordonné de jeter le poison au feu, et qu'elle n'en avait gardé qu'un peu pour elle-même. En même temps un affranchi d'Antipater arriva de Rome et on découvrit qu'il était envoyé pour apporter à Phéroras du poison plus fort. Quelques amis d'Antipater écrivirent à Hérode pour jeter des soupçons sur ses jeunes fils Archélaüs et Philippe, qui venaient d'être rappelés de Rome ou Hérode les avait envoyés ; Antipater confirma ces révélations, et chercha hypocritement à excuser ses frères sur leur jeunesse. Hérode reconnut enfin la noire et monstrueuse trahison d'Antipater ; pour s'emparer de sa personne, il lui écrivit une lettre affectueuse et rengagea à revenir promptement en Judée. Mariamne, fille de Simon, soupçonnée de complicité dans le complot d'Antipater et de Phéroras, fut répudiée par Hérode ; le nom de son fils fut effacé du testament du roi, et le grand prêtre Simon fut révoqué de ses fonctions et remplacé par Mathias, fils de Théophile. Antipater revint à Jérusalem (an 4). Dès le lendemain de son arrivée, il fut accusé de parricide devant Quintilius Varus, gouverneur de Syrie, qui se trouvait alors à Jérusalem. Les preuves ne manquaient pas ; malgré ses protestations hypocrites, Antipater fut condamné à mort, mais Hérode différa l'exécution, pour demander l'avis de l'empereur Auguste. Quelque temps après, Hérode tomba dangereusement malade. Il fit de nouveau son testament, et se méfiant d'Archélaüs et de Philippe, il destina la couronne à son fils Hérode Antipas, né d'une Samaritaine nommée Malthacé, qui était aussi la mère d'Archélaüs. L'état du roi s'aggrava de jour en jour, et on désespérait de sa guérison ; déjà les Pharisiens relevaient la tête et deux des plus célèbres docteurs, Juda, fils de Sariphée, et Mathias, fils de Margaloth, chéris du peuple à cause de leur vertu, de leur érudition et de leur éloquence, engagèrent leurs disciples à renverser l'aigle romaine qu'Hérode avait fait placer au-dessus du portail oriental du Temple. Les disciples se mirent aussitôt à l'œuvre ; mais ils furent surpris par la force armée et arrêtés au nombre de quarante, ainsi que leurs deux maîtres. Amenés devant le roi, ils avouèrent le fait, et s'en vantèrent comme d'un acte de piété et de patriotisme. Les juges d'Hérode les condamnèrent à mort ; les deux docteurs et plusieurs de leurs disciples furent brûlés vifs, les autres furent livrés au glaive du bourreau. Le grand prêtre Mathias, soupçonné de complicité, fut destitué, et le pontificat fut donné au frère de sa femme, nommé Joazar. Le roi était affligé d'une maladie terrible qui inspirait l'horreur et le dégoût à ceux qui l'entouraient[29]. Les médecins lui conseillèrent d'aller aux eaux de Callirrhoé ; mais les bains restèrent sans effet, et le roi se fit transporter à son palais de Jéricho pour y attendre sa dernière heure. Les horribles souffrances physiques et les terreurs de la conscience lui donnèrent des accès de fureur qui le rendaient encore plus terrible. Prévoyant que sa mort serait un sujet de joie pour la nation, il fit enfermer dans le cirque de Jéricho les hommes les plus distingués du, pays, et chargea Salomé et son troisième époux, Alexas, de les faire mourir au moment de sa mort, afin de donner au peuple un sujet de deuil. Dans ces temps de terreur, les hommes pieux jetaient des regards pleins d'espoir dans l'avenir, et cherchaient une consolation en parlant du Rédempteur qui devait venir mettre un terme aux souffrances d'Israël et lui rendre son ancienne gloire et son indépendance. Hérode, dit-on, fut informé que des Mages avaient annoncé la naissance du Messie, et comme celui-ci, selon la croyance du peuple, devait naître à Bethléhem, il ordonna de massacrer, dans cette ville et dans les environs, tous les enfants mâles au-dessous de deux ans. Selon la tradition chrétienne, Jésus, qui venait de naître à Bethlehem, fut sauvé par la fuite de ses parents, qui emportèrent le nouveau-né en Égypte[30]. Un jour, dans un accès de frénésie, Hérode essaya de se suicider, mais il en fut empêché ; le bruit s'étant répandu que le roi était mort, Antipater offrit à son gardien une grande somme d'argent pour qu'il le laissât sortir de prison. Mais le gardien en informa le roi, qui ordonna aussitôt l'exécution de son fils ; l'autorisation de l'empereur venait d'arriver. Le roi profita de ses derniers moments pour partager définitivement sa succession. Il nomma Archélaüs son successeur au trône, et lui donna la Judée, l'Idumée et la Samarie ; Hérode Antipas fut nommé tétrarque de Pérée et de Galilée, et Philippe, né d'une autre femme, Cléopâtre de Jérusalem, fut nommé tétrarque des pays de Batanée, de Gaulanitide, de Trachonitide et de Panéas. Salomé reçut les villes de Jamnia, d'Asdod et de Phasaëlis avec une somme considérable d'argent. Hérode légua aussi de grandes sommes d'argent à Auguste et à l'impératrice. Il mourut peu de temps avant la Pâque, cinq jours après l'exécution d'Antipater, à l'âge de soixante-dix ans, dans la trente-quatrième année de son règne, l'an 4 avant le commencement de l'ère vulgaire[31]. Hérode avait travaillé toute sa vie à s'assurer le nom d'un grand souverain, et il ne mérita que celui d'un tyran exécrable ; à un vain éclat extérieur il avait sacrifié la liberté de son pays, ainsi que sa propre indépendance, et cependant il ne fut que l'esclave- de l'empereur romain. Incapable de secouer le joug étranger, il se vengea de son dur esclavage sur ses propres concitoyens, en bravant leurs coutumes et leurs lois, en imitant servilement les coutumes étrangères et en se mettant au-dessus de l'antique loi sociale et religieuse, qui seule devait dominer sur le peuple juif. Il foulait aux pieds les pouvoirs nationaux ; le synédrium n'était plus qu'une ombre, et le pontificat dépendait du caprice du tyran. Sachant bien que toute réconciliation était impossible entre l'esclave des mœurs païennes et les zélés partisans de la loi de Jéhova, il ne voyait partout que des ennemis ; ses lâches confidents lui en faisaient voir jusque dans ceux qui devaient lui être le plus chers, et il déchirait ses propres entrailles en cherchant vainement le repos qui le fuyait sans cesse. Sa prodigalité, qui parfois empruntait les dehors de la bienfaisance, avait également sa source dans son ambition démesurée ; il opprimait son peuple pour perpétuer son nom par de magnifiques monuments, qu'il faisait élever jusque dans les pays étrangers[32], et la brillante restauration du sanctuaire national n'était elle-même qu'un calcul ambitieux et un moyen de faire oublier, pour un moment, sa tyrannie et ses crimes. L'épithète de Grand, que l'histoire lui a donnée, est une amère dérision ; sa grandeur consistait à être un magnifique esclave portant des chaînes d'or ; elle aboutit à le faire mourir dans le désespoir et à détruire entièrement l'indépendance de son peuple devant lequel il ouvrit l'abîme qui devait l'engloutir. 3. Les successeurs d'Hérode. — La Judée province romaine. — Jésus-Christ. — Agrippa. Avant que la mort d'Hérode fût connue, Salomé et Alexas se rendirent au cirque de Jéricho, et firent relâcher ceux qu'Hérode y avait fait enfermer. Ensuite Archélaüs fut proclamé roi ; on fit lecture aux troupes assemblées d'une lettre d'Hérode qui, en les remerciant de leurs services, leur recommandait de servir le nouveau roi avec la même fidélité. Archélaüs fit faire à son père de magnifiques funérailles ; le corps d'Hérode, selon sa dernière volonté, fut conduit au château d'Hérodion. Après les sept jours de deuil, Archélaüs se rendit à Jérusalem, où, après avoir donné un brillant festin au peuple, il en reçut les hommages dans le parvis du Temple, et lui fit les plus belles promesses, déclarant toutefois qu'il ne pouvait disposer de rien, ni accepter le titre de roi, avant que sa succession au trône eût été confirmée par Auguste. Cependant, les Pharisiens et leurs partisans insistèrent pour que le grand prêtre Joazar, nommé arbitrairement par Hérode, fût immédiatement révoqué et qu'on punît ceux qui avaient engagé Hérode à faire mourir les célèbres docteurs Judas et Matthias et leurs disciples. Les nombreux pèlerins, réunis alors à Jérusalem pour célébrer la Pâque, se joignirent aux mécontents, qui reçurent à coups de pierres les soldats envoyés au Temple pour maintenir l'ordre. Archélaüs y envoya toute la garnison de la capitale, et une lutte s'engagea dans laquelle trois mille hommes du peuple perdirent la vie. Après ce triste début, Archélaüs partit pour Rome, accompagné par Salomé, qui lui promit son appui auprès de l'empereur, mais qui secrètement favorisait Antipas, qu'Hérode avait nommé antérieurement successeur au trône. A Césarée, Archélaüs rencontra Sabinus, l'un des gouverneurs de Syrie, qui allait se rendre à Jérusalem, afin d'administrer provisoirement la succession d'Hérode, au nom de l'empereur. Varus, appelé par Archélaos, désapprouva la prétention de Sabinus, qui fit semblant de céder ; mais, après le départ d'Archélaüs et de Varus, il se rendit à Jérusalem, occupa le palais du roi et les forteresses, et s'empara des trésors. Antipas se rendit également à Rome pour y faire valoir ses droits sur le trône ; ses prétentions furent appuyées par Salomé et les autres membres de la famille royale. Pendant que les prétendants plaidaient devant l'empereur, la Judée était le théâtre des plus grands désordres. L'usurpation de Sabinus avait exaspéré toute la nation ; sous prétexte de vouloir célébrer la Pentecôte, le peuple arriva de toutes parts à Jérusalem, pour combattre le tyran étranger. Une lutte sanglante s'engagea entre les Juifs et les troupes romaines ; celles-ci ayant mis le feu aux portiques du Temple et pillé les trésors, la fureur et le désespoir redoublèrent le courage des Juifs, qui refoulèrent Sabinus et ses troupes dans le palais du roi. Sabinus soutint un siège en attendant les secours qu'il avait demandés à Varus. En même temps tout le pays était livré à une terrible anarchie (an 3). Judas, fils du fameux Ézéchias qu'Hérode avait fait mettre à mort sous le règne d'Hyrcan, s'empara de Séphoris, et répandit la terreur dans toute la Galilée, une bande de brigands conduite par Simon, ancien esclave d'Hérode, prit le château de Jéricho, le pilla et le livra aux flammes. Un berger, nommé Athronge, usurpa le titre de roi, et avec ses quatre frères do nt chacun commandait une troupe nombreuse ; il ravagea le pays et combattit à la fois les Hérodiens et les Romains. En Idumée, deux mille soldats qui avaient été congédiés par Hérode prirent les armes, et attaquèrent les troupes royales, commandées par Achiab, cousin d'Hérode. Enfin, Varus entra en Palestine avec deux légions, soutenues par les troupes de quelques principautés voisines. Les brigands furent dispersés, et les insurgés de Jérusalem forcés de lever le siège du palais. Varus fit saisir partout les principaux rebelles, et en fit crucifier deux mille ; d'autres prisonniers furent envoyés à Rome. L'empereur fit mettre à mort ceux d'entre eux qui étaient de la famille d'Hérode, et accorda le pardon à tous les autres. Auguste n'avait pas encore prononcé entre les deux prétendants, lorsque cinquante députes du peuple juif, partis de Jérusalem avec la permission de Varus, arrivèrent à Rome. Cette députation devait demander à l'empereur d'abolir la royauté, de joindre la Judée à la province de Syrie et de permettre aux Juifs de se gouverner, selon leurs propres lois, sous l'administration supérieure d'un gouverneur romain. Les Juifs qui habitaient Rome, au nombre de huit mille, appuyèrent vivement la demande de leurs frères. L'empereur, entouré de ses amis et des principaux magistrats de Rome, reçut les députés juifs dans le temple d'Apollon, où Archélaüs et son frère Philippe se présentèrent également ; le dernier était arrivé avec la députation pour obtenir la confirmation de ce qui le concernait dans le testament d'Hérode. Les députés flétrirent avec énergie la tyrannie d'Hérode et la cruauté d'Archélaüs, qui, dès son début, avait fait massacrer trois mille citoyens. Nicolas de Damas prit la parole pour Archélaüs. L'empereur, après avoir entendu les parties, leva la séance ; et quelques jours après il rendit une décision qui confirma presque entièrement le dernier testament d'Hérode. Archélaüs reçut la moitié du royaume avec le titre d'ethnarque ; cette moitié comprenait la Judée, l'Idumée et la Samarie, et rapportait environ six cents talents par an. Auguste lui promit de lui donner ensuite le titre de roi, s'il s'en rendait digne. Antipas fut nommé tétrarque de Galilée et de Pérée avec un revenu de deux cents talents ; Philippe devint tétrarque de Batanée, de Trachonitide, d'Auranitide et de Panéas : ces provinces rapportaient cent talents. Salomé reçut les villes qu'Hérode lui avait destinées, et, en outre, Auguste lui donna le palais d'Ascalon : ses revenus étaient de soixante talents par an. Les villes de Gerasa[33], Gadara et d'Hippos, habitées par des Grecs, furent jointes à la Syrie. Deux filles d'Hérode, Roxane et Salomé, furent mariées aux fils de Phéroras, et chacune eut une dot de 250.000 pièces d'argent. Auguste distribua aux enfants d'Hérode la somme considérable que celui-ci lui avait léguée, et ne garda pour lui, comme souvenir, que quelques objets de peu de valeur. Les enfants d'Hérode revenus en Palestine, chacun prit possession de son domaine. Archélaüs, dès son arrivée à Jérusalem, céda au vœu du peuple en ôtant le pontificat à Joazar, qui fut remplacé par son frère Éléazar ; mais celui-ci fut obligé, quelque temps après, de céder sa place à Josué, fils de Sia. — Un jeune Juif de Sidon attira un moment l'attention publique, en se donnant pour Alexandre, fils d'Hérode et de Mariamne ; il eut même l'audace d'aller à Rome pour réclamer la succession d'Hérode ; mais il fut démasqué par l'empereur lui-même, qui l'envoya aux galères. — Les fils d'Hérode marquèrent leur règne par là fondation ou l'embellissement de plusieurs villes. Hérode An ti pas agrandit la ville de Beth-Haran, à laquelle il donna, en l'honneur de la fille d'Auguste, le nom de Julias. Le même nom fut donné par le tétrarque Philippe à une ville qu'il établit à la place du village de Bethsaïda ; Philippe embellit aussi la ville de Panéas et lui donna le nom de Cæsarea Philippi (ib.). Archélaüs attacha son propre nom à la petite ville d'Archélaïde, et restaura la ville de Jéricho, ravagée par la bande de Simon. Le berger Athronge, qui avait pu se maintenir encore, fut vaincu par Archélaüs et mis à mort. Archélaüs s'attira la haine générale par sa tyrannie et par son mépris des mœurs et des lois nationales. Il épousa Glaphyre, veuve de son frère Alexandre, et mariée ensuite à Juba, roi de Libye[34] ; ce mariage, selon les lois juives, était un inceste, car Alexandre avait laissé des enfants. Ses sujets juifs et samaritains, las de son despotisme effréné, adressèrent une plainte à l'empereur. Archélaüs, dans la dixième année de son règne, fut appelé à Rome, pour rendre compte de sa conduite devant le trône d'Auguste ; ne pouvant se justifier, il fut déclaré déchu de sa principauté et exilé à Vienne dans les Gaules (l'an 6 de l'ère vulgaire). Son État fut réduit en province romaine, incorporé à la Syrie et administré par un gouverneur romain. Coponius, chevalier romain, fut envoyé comme gouverneur en Judée. En même temps P. Sulpicius Quirinus, qui venait d'être nommé proconsul de Syrie, fut chargé par l'empereur de faire un recensement général de la Judée. Cette opération inaccoutumée[35] fit une grande sensation parmi les Juifs. En général, les préjugés du peuple étaient opposés à tout dénombrement ; mais alors surtout on dut voir dans le recensement des personnes et des biens une mesure menaçante pour la nationalité juive et pour les droits que les Juifs prétendaient conserver sous la domination étrangère. Joazar, qui avait été rétabli dans le pontificat, parvint à calmer l'effervescence du peuple, et le recensement put s'opérer sans opposition. Mais, deux hommes exaltés, Juda le Gaulanite (appelé aussi le Galiléen[36]) et le pharisien Sadok excitèrent le peuple à la révolte contre le gouvernement romain, en présentant la mesure qui venait d'être prise comme le présage de la plus dure servitude. Ils enseignèrent publiquement que la loi juive défendait de reconnaître d'autre souverain que Dieu, et que les Juifs devaient plutot mourir que de se soumettre à une puissance humaine. Ils parvinrent à se créer de nombreux partisans, désignés plus tard sous le nom de zélateurs. Pour le moment la révolte put être étouffée (Actes, 5, 37) ; mais plus tard le parti des zélateurs, ou des patriotes exaltés, devint de plus en plus fort ; ce fut lui qui devint, ainsi qu'on le verra plus tard, la cause de la terrible catastrophe qui termina l'existence politique de la nation juive. Pendant quelque temps, les gouverneurs s'étant conduits avec prudence, la tranquillité fut maintenue dans le pays. Nous ne remarquons que les fréquents changements du grand prêtre ; les gouverneurs choisissaient pour ces fonctions des hommes qu'ils croyaient pouvoir dominer à leur gré. La position du grand prêtre était, à cette époque, très-difficile : intermédiaire entre le gouvernement romain et le peuple juif, il devait, pour se maintenir, contenter à la fois l'un et l'autre. Joazar fut de nouveau révoqué par Quirinus et remplacé par Hanan ou Ananus[37], fils de Seth. Sous son pontificat, pendant que Coponius était encore gouverneur de Judée, quelques Samaritains, s'étant glissés dans le Temple, pendant une nuit de la fête de Pâques, y répandirent des ossements d'hommes, et souillèrent ainsi le lieu saint ; de sorte que les prêtres ne purent y entrer pour remplir leur office. Ce fait prouve que les dispositions des Samaritains, à l'égard des Juifs, n'avaient pas changé dans le cours des siècles. Coponius gouverna la Judée environ trois ou 9uatre ans ; il fut remplacé par Ambivius. Quelque temps après, Salomé, sœur d'Hérode, mourut, laissant toutes ses possessions à l'impératrice. Ambivius fut remplacé par Annius Rufus, quelque temps avant la mort d'Auguste. Lorsque Tibère monta sur le trône (l'an 14 de l'ère vulgaire), il envoya Valerius Gratus en Judée ; celui-ci administra le pays pendant onze ans. Ce gouverneur nomma et destitua plusieurs grands prêtres : il remplaça Hanan par Ismaël, fils de Phabi, qui, à son tour, fut remplacé, quelque temps après[38], par Éléazar, fils de Hanan. A ce dernier succéda, au bout d'un an, Simon, fils de Kamhith, qui fut également révoqué un an après, pour faire place à Joseph, dit Caïphas ou Caïphe (an 25 ou 26). Pendant ce temps, les deux tétrarques, Hérode Antipas et Philippe, jouissaient d'une paix profonde et achevaient les constructions et les embellissements de leurs nouvelles villes. Antipas sut gagner les bonnes grâces de l'empereur Tibère ; ce fut en son honneur qu'il bâtit la ville de Tibériade, sur le lac de Génésareth, et il en fit sa résidence. Dans un voyage qu'Antipas fit à Rome, où vivait alors son frère Hérode, né de la seconde Mariamne, il eut de coupables intelligences avec Hérodias, fille du malheureux Aristobule et femme d'Hérode. Antipas offrit sa main à Hérodias, et celle-ci consentit à quitter son mari, homme privé, pour épouser son beau-frère, le tétrarque, qui se sépara de sa première femme, fille du roi arabe Hareth. Selon les Évangiles, cette femme ambitieuse devint plus tard la cause du Meurtre de Jean-Baptiste, qui avait reproché à Antipas son mariage criminel[39]. En Judée, Ponce Pilate succéda comme gouverneur à Valerius Gratus (25 ou 26). Sa conduite causa bientôt de graves tumultes ; ayant fait entrer dans Jérusalem, durant la nuit, les enseignes romaines, ornées de l'image de l'empereur, les Juifs virent dans cet acte une profanation des lieux saints. Jusque-là les gouverneurs, connaissant l'horreur qu'avaient les Juifs de toute espèce d'images, avaient respecté les préjugés populaires et laissé les enseignes hors de la ville sainte. Irrités de 1 insulte qui leur était faite par Pilate, les Juifs se rendirent en foule à Césarée, résidence des gouverneurs, pour demander qu'on retirât les enseignes. Pilate voulut sévir contre les séditieux ; les ayant fait entourer par ses soldats sur la place publique, il les invita à cesser leurs instances, en les menaçant de les faire mourir. Les Juifs se jetèrent par terre et tendirent leurs cous, déclarant qu'ils aimaient mieux mourir que de supporter la profanation de la sainte cité. Pilate, fléchi par cette fermeté, fit ôter les enseignes, et plus tard il reçut ordre de Tibère de faire retirer de Jérusalem les boucliers dorés qu'il y avait fait placer, et dont les inscriptions, renfermant des noms de divinités païennes, étaient un sujet de scandale pour les Juifs[40]. Pilate occasionna bientôt de nouveaux troubles plus sérieux encore par l'emploi qu'il fit de l'argent du trésor sacré pour construire un aqueduc qui devait amener l'eau à Jérusalem d'une distance de deux cents stades. Dans les émeutes qui s'élevèrent à cette occasion. Pilate envoya au milieu de la foule un grand nombre de soldats romains, déguisés en Juifs et portant des poignards sous leurs vêtements. Sur un signe donné, les soldats assaillirent les Juifs qui étaient sans défense et en tuèrent un grand nombre. L'administration tyrannique de Pilate fut signalée par un événement qui alors ne paraissait pas avoir une grande importance, mais qui, par l'immensité de ses conséquences, est un des plus mémorables de l'histoire du monde : c'est le procès et la condamnation de Jésus de Nazareth, surnommé le Christ. Au milieu des troubles des guerres civiles, des calamités de tout genre qu'entraîna l'oppression étrangère, des querelles parmi les sectes religieuses et des disputes dans les écoles, une idée dominait le peuple juif, celle de sa future gloire prédite par les prophètes. Les Juifs généralement croyaient alors le moment venu où les prédictions prophétiques devaient s'accomplir par un rejeton de la maison de David, qui briserait le joug étranger, rétablirait leur État dans l'ancienne splendeur qu'il avait eue, sous David et Salomon, qui ferait triompher leur religion sur celles des gentils, et donnerait au peuple juif la paix et le bonheur, sous le règne de Dieu et de sa loi. Plus le peuple juif était dans l'abaissement et dans le malheur, plus il cherchait des consolations dans les promesses que Dieu lui avait faites par les prophètes, et il attendait leur prompt et miraculeux accomplissement. Il y eut cependant des docteurs, qui, interprétant les paroles des prophètes dans un sens plus élevé, n'attachaient que peu d'importance à la régénération politique de la Judée et attendaient un libérateur spirituel, qui, à la manière des anciens prophètes, ferait ressortir le côté moral du judaïsme, et qui glorifierait le peuple juif en répandant les croyances monothéistes et la morale du judaïsme parmi tous les peuples de la terre. Ce fut surtout parmi les Esséniens que durent naître ces idées plus élevées du règne messianique ; mais il y eut aussi un grand nombre de Pharisiens qui les partageaient, et, parmi les plus illustres, on en cite qui faisaient consister toute la loi dans la pratique de la morale et dans l'amour du prochain et qui déclaraient ouvertement que c'était dans ce sens que la loi divine devait être enseignée aux gentils. Nous rappellerons la célèbre réponse faite par le pharisien Hillel à un païen qui vint lui déclarer qu'il était prêt à embrasser le judaïsme, si le docteur pouvait lui faire connaître en peu de mots le résumé de toute la loi de Moïse. Ce que tu n'aimes pas pour toi, dit Hillel, ne le fais pas à ton prochain ; c'est là toute la loi, le reste n'en est que le commentaire[41]. Hillel fut un des plus illustres chefs d'école du temps d'Hérode ; ni son nom ni celui d'aucun autre docteur célèbre de cette époque ne se trouve mêlé aux affaires politiques. Ils ne s'occupaient guère des choses de ce monde ; selon eux, Dieu seul devait accomplir l'œuvre de la rédemption, et il fallait attendre, avec résignation, l'époque fixée par la Providence pour la glorification du peuple juif. Lorsque Jésus vint populariser, dans ses discours et dans ses paraboles, les doctrines des prophètes et des docteurs spiritualistes, il s'annonça lui-même comme le Messie, ou le Christ, comme le rédempteur attendu par le peuple juif[42]. La grande majorité des Juifs refusa de le reconnaître comme tel, et dans les épithètes de roi des Juifs, de fils de David et de fils de Dieu, prises dans un sens plus que figuré (Luc, 1, 35), épithètes que lui donnèrent ses disciples, et qu'il adopta lui-même le Synédrium crut trouver des motifs suffisants pour élever contre lui une accusation capitale. Le procès de Jésus, par son côté politique, intéressait à un haut point le gouvernement romain, qui seul pouvait ordonner l'exécution de la sentence. Pour un homme comme Pilate c'était peu de chose que la mort d'un Juif présenté comme rebelle ; et sa complaisance, dans cette occasion, ne lit pas défaut au synédrium, quoique, selon les Évangiles, il ne fût rien moins que convaincu de la culpabilité de Jésus. Nous croyons ne devoir donner ici qu'un résumé succinct de la vie et des actes de Jésus-Christ. Manquant de documents purement historiques, nous abdiquons, pour un moment, le rôle d'historien, et nous nous bornons à reproduire les faits principaux résultant de l'ensemble des quatre Évangiles, qu'il n'est pas facile, comme l'on sait, de mettre toujours d'accord[43]. Jésus naquit dans l'avant-dernière ou au commencement de la dernière année du règne d'Hérode (quatre ou cinq ans avant l'ère vulgaire), dans la petite ville de Bethléhem, ou ses parents, établis à Nazareth, s'étaient rendus par un motif inconnu[44]. Sa mère, appelée Miriam ou Marie, était fiancée du charpentier Joseph, qui faisait remonter sa généalogie au roi David ; mais Joseph ne passait pas pour être le père réel de Jésus, à qui l'on attribuait une naissance surnaturelle. Ayant eu connaissance de l'ordre sanguinaire d'Hérode, qui vouait à la mort les enfants de Bethléhem, Joseph et Marie s'enfuirent en Égypte avec leur enfant. Après la mort d'Hérode, ils revinrent en Palestine ; se méfiant du tyran Archélaüs, ils renoncèrent au séjour de Bethlehem, et allèrent s'établir de nouveau à Nazareth en Galilée ; ce fut là que Jésus reçut sa première éducation. Les Évangiles gardent un profond silence sur la jeunesse de Jésus et sur la manière dont il fut élevé. Ils nous disent seulement que, dans sa douzième année, étant venu à Jérusalem avec ses parents, pour célébrer la Pâque, il alla s'asseoir dans le Temple, au milieu des docteurs, pour les écouter et les interroger, et qu'il étonna tout le monde par les connaissances profondes qu'il manifesta dès un âge si tendre. Nous ne le retrouvons ensuite qu'à l'âge de trente ans, recevant le baptême, dans les environs de la mer Morte, par Jean, fils du prêtre Zacharie et d'Élisabeth cousine de Marie. Jean, né six mois avant Jésus (Luc, 1, 36), menait dans le désert de Juda la vie austère de Naziréen, annonçant dans ses discours l'approche du règne messianique, invitant le peuple à faire pénitence, et purifiant ceux qui s'as, semblaient autour de lui par l'acte symbolique du baptême, dans les eaux du Jourdain. Lorsque Jésus vint se faire baptiser par Jean, celui-ci reconnut en lui le Messie, dont il se déclara lui-même le précurseur. Jésus se retira ensuite dans le désert, où il resta quarante jours pour méditer son plan ; ayant vaincu les doutes qui s'élevèrent dans son âme, et étant sorti victorieux de toutes les épreuves, il résolut de commencer immédiatement l'œuvre de la régénération du peuple juif. Tel paraît être le sens du récit obscur des évangélistes qui font intervenir Satan en personne, d'une manière qui fait peu d'honneur à la sagacité et à la logique de cet ange rebelle. Jésus, ayant rassemblé quelques disciples, parcourut diverses contrées de la Galilée, et prêcha avec beaucoup de succès dans différentes synagogues. Ayant trouvé un accueil moins favorable à Nazareth, où ses discours causèrent un grave tumulte et mirent sa vie en danger (Luc, 4, 24-29), il se retira à Capharnaoum, et attira de plus en plus l'attention des habitants par les discours qu'il prononçait dans les synagogues les jours de sabbat et par la guérison extraordinaire de plusieurs malades. A la fête prochaine de Pâque, il fit le pèlerinage de Jérusalem ; ce fut la première Pâque qu'il y célébra depuis le commencement de sa vie publique. Il se créa dès lors des partisans dalle la capitale ; un pharisien, nommé Nicodème, vint le voir, pendant la nuit, pour lui déclarer qu'il voyait en lui un envoyé de Dieu et pour être instruit par lui dans un entretien particulier (Jean, ch. 3) ; ce fut le même pharisien qui, plus tard, parla en sa faveur dans le sein du synédrium (ib. 7, 50 et 51). Jésus, après s'être arrêté pendant quelque temps en Judée, retourna en, Galilée eu passant par le pays de Samarie, et ce fut pris de Sichem qu'il eut le célèbre entretien avec la Samaritaine. Il resta deux jours parmi les Sichémites, qui, mal, gré leur haine pour les Juifs, ne purent résister à la force de ses paroles, en sorte que plusieurs d'entre eux restèrent convaincus que Jésus était le Messie attendu par eux comme par les Juifs. Arrivé à Cana, en Galilée, Jésus reçut la visite d'un seigneur de la cour d'Hérode Antipas, qui lui demanda de guérir son fils malade ; Jésus, dit-on, opéra cette guérison, sans visiter le malade (Jean, 4, 46-53). En Galilée il fit encore plusieurs autres mi- racles ; puis, ayant traversé, avec quelques disciples, le lac de Génésareth, pendant une tempête qui se calma à sa parole, il arriva dans les environs de Gadara, où il guérit un fou qui se croyait possédé d'une légion de démons. Revenu à Capharnaoum, il continua ses cures merveilleuses. La foule qui s'assembla autour de lui étant devenue de plus en plus nombreuse, il choisit douze disciples, qui devaient partager avec lui l'œuvre de sa mission. Sur une des montagnes de Galilée, il leur exposa, ainsi qu'à la foule réunie, les principes de morale et les règles de conduite que devaient suivre les fidèles ; le discours que Jésus prononça dans cette circonstance est appelé le sermon sur la montagne. Après un autre voyage en Pérée, où il reçut un message de Jean-Baptiste, qui était alors emprisonné à Machérous, il se rendit à Jérusalem pour y célébrer une seconde fois la fête de Piques. Déjà la renommée de ses actes miraculeux et de ses discours l'avait précédé dans la capitale, et son arrivée y fit une grande sensation. La guérison d'un paralytique qu'il opéra publiquement, au jour de sabbat, près d'une piscine appelée Béthesda, souleva contre lui les Pharisiens, qui voyaient dans cet acte une profanation du sabbat ; la manière dont il se défendit les irrita encore davantage, et dès lors ils épièrent toutes ses démarches et l'accusèrent hautement de plusieurs actions qui étaient contraires à leurs principes religieux. Dans un nouveau voyage que Jésus fit en Galilée, il continua ses prédications et ses miracles. Après la mort de Jean-Baptiste, Jésus, avant su que ses démarches étaient également suspectes à Hérode Antipas, passa en Pérée sur le territoire du tétrarque Philippe. En vain il chercha à se dérober pour quelque temps aux yeux de la foule ; partout où il allait, aux frontières de la Phénicie, dans le district de Décapolis, ou des dix villes, il se voyait reconnu et suivi du peuple, qui réclamait son secours. Déjà il pressentait le sort qui l'attendait et en parlait souvent à ses disciples. Néanmoins nous le trouvons à Jérusalem, au milieu de l'hiver, à la fête des Maccabées, ou de l'inauguration du Temple. Pour éviter le danger qui le menaçait, il quitta encore une fois la capitale, et, après avoir parcouru pendant quelque temps la Pérée et la Galilée, il résolut d'aller à Jérusalem célébrer sa dernière Pâque et y accomplir sa destinée. Il serait inutile de raconter ici en détail son entrée solennelle dans Jérusalem, comme roi-messie, sa dernière réunion avec ses disciples au repas de la Pâque, son arrestation, son procès sommaire[45] et sa mort. Tout le monde connaît les récits des Évangiles ; on sait comment la résurrection de Jésus, affirmée par ses disciples, devint le symbole d'une nouvelle doctrine qui, rejetée par la grande majorité des Juifs, était destinée à changer la face du monde païen. Il n'est pas de notre mission de considérer ici l'origine et les développements de la religion chrétienne, dont les dogmes offrent de nombreux rapports avec le système des Kabbalistes. Pour l'époque dont nous nous occupons ici, le procès de Jésus n'est qu'un épisode dont l'importance historique ne fut pas très-grande. Josèphe en dit à peine quelques mots, et encore ce passage, justement suspect, est-il généralement considéré comme une interpolation[46]. Ce ne fut que plus tard que les Juifs durent reconnaître la haute portée de cet événement ; ils virent dans la fondation du christianisme une œuvre de la providence divine, et considérèrent la religion chrétienne comme une des grandes phases nécessaires dans le développement progressif des idées religieuses du genre humain, phase que, selon eux, le monde païen devait traverser avant d'arriver au monothéisme absolu de la religion juive[47]. Ce fut au monde païen que s'adressèrent les apôtres de Jésus-Christ ; ils restèrent presque étrangers aux grands événements qui se passèrent en Judée et qui amenèrent le terrible dénouement de son histoire. Ponce Pilate subit, dans la onzième année de son administration, le juste châtiment de ses violences. Un imposteur mit en émoi les Samaritains, en les invitant à le suivre au mont Garizim pour déterrer les vases sacrés de Moise (probablement du tabernacle) qu'il disait y avoir été cachés. La foule accourant de tout côté au mont sacré, Pilate fit occuper les chemins par ses troupes, afin d'empêcher cet étrange pèlerinage. Les Samaritains voulurent pénétrer de force, et une lutte s'engagea, où les Romains tuèrent beaucoup de monde, et dispersèrent les Samaritains, dont les principaux furent mis à mort par ordre de Pilate. Les Samaritains ayant porté plainte contre Pilate devant Vitellius, gouverneur général de Syrie, celui-ci nomma Marcellus gouverneur de Judée et de Samarie, et ordonna à Pilate d'aller à Rome pour se justifier devant l'empereur (35 ou 36 de l'ère vulgaire). Pilate n'arriva à Rome qu'après la mort de Tibère (37). On dit que l'empereur Caligula l'exila à Vienne, dans les Gaules, où plus tard il se tua de désespoir[48]. Sur ces entrefaites ; le tétrarque Philippe était mort à Julias (34), après avoir régné trente-sept ans ; il s'était fait aimer par ses mœurs simples et douces et en remplissant avec zèle tous ses devoirs envers ses sujets. Philippe n'ayant pas laissé d'enfants, ses provinces furent réunies à la Syrie. Après le départ de Pilate, Vitellius, gouverneur de Syrie, ayant fait un voyage en Judée, vint à Jérusalem pendant la fête de Pâques. Il témoigna aux Juifs beaucoup de bienveillance, leur fit remise de plusieurs impôts et confia à leur propre garde le costume de luxe du grand prêtre, qui jusque-là avait été toujours déposé dans la forteresse Antonia. Avant de retourner à Antioche, il dépouilla Joseph Cal-plias de la dignité de grand prêtre, et lui donna pour successeur Jonathan, fils de Hanan (36). Hérode Antipas était toujours en guerre avec le roi arabe Hareth, son ancien beau-père, qui n'avait pas oublié l'outrage fait à sa fille, répudiée par Antipas lors de son mariage avec Hérodias. Antipas, battu par Hareth, s'adressa à Tibère pour obtenir des secours, et l'empereur donna ordre à Vitellius d'aller combattre Hareth. Pendant que ses légions se dirigèrent vers l'Arabie Pétrée, en prenant leur chemin par la plaine d'Esdrélon, Vitellius vint lui-même à Jérusalem avec Hérode Antipas, pour assister aux solennités de la fête des Tabernacles. Ce fut à cette occasion qu'il remplaça le grand prêtre Jonathan par son frère Théophile. Ayant reçu à Jérusalem la nouvelle de la mort de Tibère (37), il renonça à l'expédition d'Arabie, et fit rentrer ses troupes dans les quartiers d'hiver. L'avènement de Caïus Caligula fit paraître sur la scène un nouveau personnage, par lequel la Judée, avant d'accomplir sa destinée, devait pour la dernière fois s'élever au rang d'un royaume et jouir de quelques années de paix et d'une ombre d'indépendance. Hérode Agrippa, fils d'Aristobule et frère d'Hérodias, avait été élevé à Rome avec Drusus, fils de l'empereur Tibère. Après la mort de sa mère Bérénice, qui vivait également à Rome, Agrippa prodigua toute sa fortune dans les plaisirs et dans la débauche, et bientôt la mort prématurée de son ami Drusus l'éloigna de la cour et le jeta dans une affreuse misère. Pour échapper à ses nombreux créanciers, il s'enfuit en Idumée, avec sa femme Cypros, et il était même sur le point de se donner la mort, lorsque sa sœur Hérodias, mue par les prières de Cypros, l'appela à Tibériade, où le tétrarque Hérode Antipas, son beau-frère, le nomma édile et lui assura une pension. Au bout de quelque temps, humilié par Antipas, qui lui reprochait ses bienfaits, il alla trouver Flaccus, préteur de Syrie, qu'il avait connu à Rome ; mais bientôt son frère Aristobule, qu'il y rencontra et qui ne l'avait jamais aimé, sut l'éloigner par ses intrigues. Agrippa se rendit à Ptolémaïde, avec le projet de retourner à Rome. Sur le point de s'embarquer, il fut arrêté par les agents d'Hérennius, gouverneur de Jamnia, pour payer une somme considérable qu'il devait au fisc ; mais, dans la nuit, il sut s'échapper, et parvint à Alexandrie, où il se procura, par le crédit de sa femme, les ressources nécessaires pour aller à Rome. Tibère lui fit un fort bon accueil dans sa résidence de Caprée ;. niais, ayant reçu des lettres d'Hérennius qui se plaignit de la conduite d'Agrippa, l'empereur refusa de le recevoir, jusqu'à ce qu'il se fût acquitté envers le gouverneur de Jamnia. Agrippa s'adressa à Antonia, mère de Germanicus et de Claude, laquelle, avant été l'amie de Bérénice, mère d'Agrippa, prêta à celui-ci la somme nécessaire pour satisfaire au fisc. Un Samaritain, nommé Thallus, affranchi de Tibère, lui avança ensuite une somme très-considérable, qui le mit en état, après avoir payé Antonia, de recommencer sa vie dissipée. Il fit sa cour à Caligula, et un jour, dans une promenade, il eut l'imprudence de faire des vœux pour que Tibère cédât bientôt le trône à Caligula, qui, disait-il, en était bien plus digne. Tibère, l'ayant appris, le lit mettre en prison, et il y resta jusqu'à la mort de l'empereur. Caligula, monté sur le trône, fit sortir Agrippa de sa prison, et lui donna la tétrarchie de son oncle Philippe, avec le titre de roi. L'ambitieuse Hérodias, ne pouvant supporter que son frère, qui naguère avait vécu de ses aumônes, occupât un rang plus élevé que son mari, le tétrarque Hérode Antipas, persuada à celui-ci de faire avec elle un voyage à Rome, afin de solliciter le diadème. Agrippa, qui venait d'arriver dans son royaume (38), ayant appris le dessein d'Antipas, écrivit aussitôt à l'empereur, pour accuser son beau-frère d'être d'intelligence avec les ennemis de l'empire et d'avoir fait de grandes provisions d'armes. L'empereur reçut la lettre d'Agrippa au moment où Antipas se présentait devant lui ; il demanda au tétrarque s'il avait des provisions d'armes, et, sur sa réponse affirmative, Caligula, sans autre enquête, lui ôta ses possessions et l'exila à Lyon, dans les Gaules. Il offrit sa clémence à Hérodias, qui la refusa pour suivre son époux dans l'exil (39). La tétrarchie d'Hérode Antipas fut jointe au royaume d'Agrippa. Le nouveau roi, si peu recommandable par son caractère personnel et ses antécédents, trouva bientôt l'occasion d'acquérir l'estime et la reconnaissance de ses sujets, en employant son influence auprès de l'empereur pour détourner du peuple juif un orage menaçant, qui, sans son intervention, aurait probablement hâté la catastrophe de la Judée. L'insensé et cruel Caligula, ayant eu la folle idée de se faire adorer comme un dieu, voulut faire placer sa statue dans le Temple de Jérusalem, et donna ordre à Pétrone, qui avait été nommé gouverneur de Syrie en place de Vitellius, de faire aux Juifs une guerre à outrance, s'ils refusaient de recevoir la statue impériale. Les Juifs d'Alexandrie et de toute l'Égypte étaient alors en butte aux plus cruelles persécutions de la part des habitants grecs ; le roi Agrippa lui-même, après son élévation au trône, en passant par Alexandrie pour se rendre en Palestine, avait été grièvement insulté par la populace grecque. L'influence d'Agrippa avait à peine délivré les Juifs d'Égypte de la tyrannie du gouverneur Flaccus, que déjà les Grecs excitèrent contre eux de nouvelles persécutions, en les accusant de refuser leurs marques de respect à la statue de l'empereur, qu'ils ne voulaient pas recevoir dans leurs synagogues. Une députation des Juifs d'Alexandrie, ayant en tête le célèbre philosophe Philon, se présenta à Rome pour supplier l'empereur de mettre un terme à leurs souffrances ; mais les députés se virent traités avec mépris par Caligula, qui les écouta à peine. En Palestine, les Juifs prirent une attitude menaçante et montrèrent partout une fermeté et un courage qui mirent le gouverneur Pétrone dans la plus grande perplexité. Bien persuadé que l'exécution violente de l'ordre de Caligula ferait couler à flots le sang des Juifs et des Romains, et mil par les prières d'Aristobule, frère d'Agrippa, et par celles d'un autre grand personnage, nommé Hilkia, Pétrone se décida à écrire à l'empereur pour le supplier de révoquer son ordre. Pendant ce temps Agrippa, qui était retourné à Rome pour s'y distraire, avait gagné de plus en plus les bonnes grâces de Caligula ; informé de ce qui se passait en Palestine, il invita un jour l'empereur à un festin magnifique, et, au milieu des joies de la fête, il trouva moyen de fléchir le nouveau dieu qui, renonça à être adoré dans le temple de Jérusalem. Caligula avait à peine écrit à Pétrone, pour lui faire connaître sa nouvelle décision, qu'il reçut la lettre dans laquelle le gouverneur lui rendait compte des troubles de la Palestine et lui manifestait ses craintes. La vanité de Caligula en fut profondément blessée ; il s'imagina que Pétrone avait été gagné par l'argent des Juifs, et le menaça d'une vengeance terrible. Mais bientôt l'exécrable tyran périt sous les coups de Cassius Chærea (41), et sa mort calma l'effervescence des Juifs et les terreurs de Pétrone. Le roi Agrippa, selon Josèphe, eut une grande part à l'avènement de Claude ; ce fut lui qui, par ses conseils, fit accepter à Claude la couronne qui lui était offerte par les troupes, et ce fut lui qui se chargea des négociations entre Claude et le sénat disposé à rétablir la république. Claude, monté sur le trône, joignit au royaume d'Agrippa la Samarie, la Judée, Abila de Lysanias[49] et un district du Liban. Hérode, frère d'Agrippa, reçut la principauté de Chalcide. Agrippa, devenu roi de toute la Palestine, se rendit à Jérusalem (42) ; son arrivée fut célébrée par de nombreux sacrifices, et le roi suspendit dans le Temple une lourde chaîne d'or qui lui avait été donnée par Caligula à sa sortie de la prison de Rome. Le grand prêtre Théophile fut remplacé par Simon Cantheras. Dès l'année suivante Agrippa voulut rendre le pontificat à Jonathan, fils de Hanan ; mais Jonathan refusant d'accepter cette dignité, elle fut donnée à son frère Mathias. A Dora, les habitants grecs osèrent introduire la statue de l'empereur dans une synagogue ; Agrippa s'adressa à Pétrone, et produisit un décret qu'il avait obtenu de Claude et qui assurait aux Juifs de tout l'empire romain le libre exercice de leur culte. Pétrone ordonna aussitôt aux autorités de Dora de faire cesser le désordre et de punir les coupables. A tant de bienfaits Agrippa ajouta l'abolition de certains impôts, ce qui lui gagna de plus en plus la faveur du peuple. Agrippa avait, comme son grand-père Hérode, une grande passion pour les constructions ; il bâtit des théâtres, des amphithéâtres des bains, des portiques, et il agrandit considérablement la ville de Jérusalem, du côté du nord, où il lit construire, autour de la colline de Bezetha, un nouveau quartier qu'on appelait la ville neuve. A l'exemple d'Hérode, il dota aussi les villes de ses voisins de plusieurs beaux monuments ; à Béryte il bâtit un magnifique théâtre et un grand cirque où il établit des combats d'athlètes. Son nom devint si célèbre que plusieurs princes des pays voisins et même Cotys, roi de la petite Arménie, et Polémon, roi du Pont, vinrent voir Agrippa à Tibériade. La considération dont il jouissait était telle que Marsus, gouverneur de Syrie et successeur de Pétrone, en conçut de vives inquiétudes ; dans la réunion de tant de princes il crut voir un complot contre l'empire romain, et il vint brusquement inviter les hôtes d'Agrippa à quitter Tibériade et à se retirer chacun dans son pays. Agrippa ayant fait élever une muraille autour de la ville neuve de Jérusalem et se disposant à la fortifier encore davantage, Marsus crut devoir en informer l'empereur Claude, qui ordonna à Agrippa de suspendre les travaux. Au reste, Agrippa n'avait de commun avec Hérode que l'amour du luxe et la prodigalité ; il était doux et clément, et Josèphe rapporte de lui maint trait de générosité. Il demeurait presque toujours à Jérusalem, et se montrait observateur des lois et des usages religieux. Les rabbins racontent qu'un jour, à la fête des Tabernacles, il lut publiquement le Deutéronome, dans le parvis du Temple, en se tenant debout pendant toute la lecture ; arrivé au passage dans lequel le législateur refuse à l'étranger le droit de régner sur Israël (Deut. 17, 15), il se rappela son origine iduméenne, et fondit en larmes. Mais de toutes parts on lui cria : Ne crains rien, Agrippa, tu es notre frère ! tu es notre frère ![50] On cite aussi des exemples de sa modestie : quoique, selon l'usage établi, le peuple dût toujours faire place au roi qui passait avec sa suite, Agrippa s'empressait toujours de céder le pas quand il rencontrait une procession nuptiale ou un convoi funèbre[51]. Il paraîtrait que, pour plaire au peuple, il se montrait sévère à l'égard de la secte chrétienne ; on dit qu'il fit mourir Jacques, frère de Jean l'évangéliste, et emprisonner l'apôtre Pierre[52]. Le règne d'Agrippa fut de courte durée. Assistant un jour à Césarée, dans toute sa pompe royale, aux jeux d'athlètes qu'il y fit donner en l'honneur de l'empereur, il fut subitement saisi de violentes coliques. La maladie prit aussitôt un caractère très-grave ; le roi mourut au bout de cinq jours, à l'âge de cinquante-quatre ans, dans la septième année de son élévation au trône et dans la quatrième de son règne sur toute la Palestine (l'an 44 de l'ère chrétienne). Sa mort répandit la consternation parmi les Juifs ; mais les Grecs de Samarie et de Césarée manifestèrent leur joie de la manière la plus révoltante, et se livrèrent à des plaisanteries infâmes, en exposant les statues des filles d'Agrippa sur les toits des maisons mal famées. Les soldats romains prirent part à ces infamies, et ce fut là le prélude des scènes de désordre que nous verrons se répéter sans cesse et aboutir à la guerre la plus désastreuse. Agrippa laissa trois filles, Bérénice, Mariamne et Drusille, et un fils âgé de dix-sept ans, qui portait également le nom d'Agrippa, et qui vivait alors à Rome, où il faisait son éducation sous les yeux de l'empereur. Quelque temps avant sa mort, Agrippa avait ôté le pontificat à Mathias et avait nommé à sa place Élionée, fils de Cantheras, L'empereur Claude était disposé à envoyer le jeune Agrippa prendre possession du royaume de son père ; mais l'extrême jeunesse du prince n'inspirant pas la confiance nécessaire, l'empereur, sur le conseil de ses plus intimes amis, résolut de confier l'administration de la Palestine à un procurateur ou gouverneur, en sorte que ce pays fut de nouveau réduit eu province romaine. Cuspius Fadus fut envoyé comme gouverneur en Palestine, avec ordre de punir ceux qui, à Césarée et à Samarie, avaient si impudemment insulté à la mémoire du roi Agrippa. En même temps, Claude rappela le gouverneur Marsus, et ordonna qu'on fît partir pour le Pont les cinq cohortes romaines qui avaient pris part au désordre ; mais les soldats ayant envoyé une députation à l'empereur, obtinrent leur pardon, et purent continuer à troubler le repos de la Palestine. A l'arrivée de Fadus, les Juifs de Pérée étaient en guerre ouverte avec les habitants de Philadelphie, pour la fixation des limites ; Fadus, ne voulant pas que les Juifs se fissent justice eux-mêmes, saisit trois de leurs chefs, en fit mourir un et exila les deux autres. Bientôt après, il s'empara de Tholomée, chef de brigands, qui infestait l'Idumée et l'Arabie ; la mort de ce chef redoutable fit cesser les brigandages. A Jérusalem, Fadus voulut se faire livrer le grand costume pontifical pour le déposer de nouveau dans le château Antonia. Les Juifs envoyèrent une députation à Rome, et l'empereur, sur la demande du jeune Agrippa, consentit à leur laisser le dépôt de ce vêtement. En même temps, il confia à Hérode, prince de Chalcide, la garde du Temple de Jérusalem et de ses trésors, et lui conféra le droit de nommer les grands prêtres ; Hérode destitua Élionée, et lui donna pour successeur Joseph, fils de Camith (45). A cette époque, un certain Theudas, se disant prophète, causa des troubles en Judée ; beaucoup d'hommes crédules s'étant assemblés autour de lui, il les engagea à le suivre, avec leurs biens, jusqu'au Jourdain, qu'il promit de leur faire passer à pied sec. Fadus envoya des troupes, qui dispersèrent les partisans du nouveau prophète, et en tuèrent un grand nombre ; Theudas fut pris et eut la tête tranchée[53]. L'an 47, Fadus fut rappelé ; il eut pour successeur un Juif apostat d'Égypte, Tibère Alexandre, neveu du célèbre philosophe Philon d'Alexandrie. Tibère fit crucifier les fils de Juda le Galiléen, Jacob et Simon, qui, marchant sur les traces de leur père, étaient alors les chefs des zélateurs ou patriotes. Une cruelle famine, qui fit beaucoup de victimes dans la classe pauvre, désolait alors le pays. Hélène, reine d'Adiabène[54], qui demeurait à Jérusalem, employa généreusement ses trésors à faire acheter des vivres en Égypte et en Cypre, pour soulager la misère du peuple ; son fils Izate, roi d'Adiabène, envoya également de grandes sommes pour secourir les Juifs. On trouve des détails, dans Josèphe, sur ces deux personnages qui avaient embrassé le judaïsme[55]. Monobaze, roi d'Adiabène, avait épousé sa sœur Hélène, après avoir eu d'elle un fils, appelé Monobaze, comme son père. La reine eut ensuite un autre fils, appelé Izate, qui devint l'objet de la prédilection de ses parents. Monobaze, pour le soustraire à la haine jalouse de ses autres fils, l'envoya à la cour d'un roi, son allié, qui donna sa fille en mariage au jeune Izate ; celui-ci fit la connaissance d'un marchand juif, nommé Hanania, qui le convertit au judaïsme. Monobaze, avancé en âge, rappela son fils, qui revint en Adiabène, accompagne de Hanania ; le roi lui confia le gouvernement d'une province. Pendant l'absence d'Izate, sa mère Hélène avait été également convertie par un autre Juif. Après la mort de Monobaze, la reine parvint à faire proclamer Izate roi d'Adiabène. Pour prévenir les troubles, les grands du royaume voulurent faire mourir les frères du nouveau roi ; mais Hélène les en empêcha, et Izate, à son arrivée dans la capitale, les fit sortir de la prison où on les avait enfermés. Il en envoya, les uns à Rome, les autres auprès d'Artaban, roi des Parthes. Izate, quoique converti au judaïsme, ne l'avait pas encore adopte extérieurement ; il voulut alors se soumettre à la circoncision ; mais sa mère, craignant que cet acte ne causât des troubles dans le pays, chercha à l'en détourner, et Hanania lui-même fit comprendre au roi qu'il pouvait adorer le vrai Dieu, sans adopter les symboles extérieurs du culte juif. Quelque temps après, Izate se fit circoncire secrètement, sur les conseils d'un Juif de Galilée, nommé Éléazar, qui lui avait présenté la circoncision comme un acte absolument nécessaire pour entrer dans l'alliance divine. Plus tard, Hélène, pour professer avec plus de liberté la religion juive, se retira à Jérusalem, où, comme nous l'avons dit, sa générosité détourna les désastres de la famine. Monobaze, fils aîné d'Hélène, et d'autres membres de la famille royale embrassèrent également la religion juive. Izate vainquit les princes étrangers que les grands de son royaume, irrités de sa conversion, avaient appelés dans le pays. Il mourut, après un règne de vingt-quatre ans, âgé de cinquante-cinq ans, laissant, selon Josèphe, vingt-quatre fils et vingt-quatre filles, nés de plusieurs femmes ; mais ses enfants ne lui succédèrent pas, son frère aîné Monobaze, en vertu de ses droits antérieurs, occupa, après lui, le trône d'Adiabène. Hélène retourna dans son pays, après la mort d'Izate, à qui elle ne survécut pas longtemps. Monobaze fit transporter à Jérusalem les restes d'Hélène et d'Izate, qui furent déposés dans un magnifique mausolée au nord-ouest de la ville[56]. Cinq fils d'Izate avaient été envoyés, par leur père, à Jérusalem, où ils se trouvaient encore, avec quelques frères d'Izate, lorsque Titus se rendit maître de la ville. Deux membres de cette famille périrent en combattant pour les Juifs ; les autres se soumirent à Titus, qui les envoya, comme otages, à Rome[57]. Hélène et son fils aîné, Monobaze, sont célèbres dans les traditions rabbiniques pour les bienfaits dont ils comblèrent les Juifs et les dons précieux qu'ils firent au Temple[58]. Grâces aux bienfaits d'Hélène, la tranquillité de Jérusalem ne fut pas troublée dans les circonstances difficiles causées par la famine. Tibère Alexandre, nommé bientôt gouverneur d'Égypte, fut remplacé en Judée par Ventidius Cumanus (48). A la même époque, Hérode de Chalcide ôta le pontificat à Joseph, fils de Camith, et le donna à Hanania ou Johanan (Jean), fils de Nédebée[59]. Bientôt après, Hérode mourut, et l'empereur donna la principauté de Chalcide au jeune Agrippa, qui prit bientôt le titre de roi[60]. Cumanus était d'une violence extrême, et, sous son administration, commencèrent les troubles qui ne finirent qu'avec la destruction de la Judée. A la fête de Pâque, le gouverneur ayant fait occuper par ses troupes les issues du Temple, pour maintenir l'ordre, un soldat romain révolta les fidèles par ses indécences. Les Juifs demandèrent satisfaction au gouverneur ; mais ne pouvant rien obtenir, ils lancèrent des pierres aux soldats. Cumanus ayant fait assembler toutes les troupes dans le château Antonia, le peuple effrayé prit la fuite, et plusieurs milliers de Juifs furent écrasés dans la foule[61]. La fête fut changée en deuil, et, dans toutes les maisons, on s'abandonna aux larmes et aux gémissements. Quelque temps après, un esclave de l'empereur ayant été attaqué par des brigands, près de Beth-Horon, Cumanus fit piller les villages voisins et saisir les principaux habitants. A cette occasion un soldat romain déchira un exemplaire des livres de Moïse, en poussant des blasphèmes ; les Juifs coururent à Césarée pour s'en plaindre à Cumanus, qui fut obligé de punir de mort le coupable. Plus tard, quelques pèlerins de Galilée, se rendant à Jérusalem pour une fête, furent assassinés près de Ginée. Les Galiléens s'assemblèrent pour attaquer les Samaritains, qu'ils accusèrent d'être les auteurs de ce meurtre. En même temps, une députation des Galiléens se rendit auprès de Cumanus ; mais le gouverneur, gagné parles Samaritains, resta sourd à leurs plaintes. A Jérusalem, le peuple embrassa la cause des Galiléens. Une troupe de Juifs ayant à sa tête deux chefs de brigands, les frères Éléazar et Alexandre, fils de Dinée, envahit la Samarie, où elle se livra au meurtre et au pillage. Cumanus parvint à dompter cette bande, et les principaux Juifs de Jérusalem, vêtus de deuil, vinrent sur la place publique conjurer le peuple de s'apaiser et de ne pas exposer la patrie à une destruction totale. Le peuple se dispersa ; mais des bandes de brigands continuèrent à parcourir le pays et à exercer toute sorte de violences. Les Samaritains accusèrent les Juifs auprès d'Ummidius Quadratus, gouverneur de Syrie, qui se trouvait alors à Tyr. Les Juifs, de leur côté, présentèrent les Samaritains comme ta première cause des troubles, et accusèrent Cumanus de s'être laissé corrompre par eux. Quadratus promit de faire une enquête impartiale ; quelque temps après, étant venu à Samarie, il se prononce d'abord contre les Samaritains ; mais, ayant appris les excès commis par les Juifs, il fit crucifier ceux que Cumanus avait faits prisonniers à Lydda. Une conspiration d'un certain Dortus et de quatre autres Juifs, qui avaient excité le peuple à se révolter contre les Romains, lui fut révélée par un Samaritain, et il fit mettre à mort les rebelles. Pour terminer la querelle entre les Juifs et les Samaritains, Quadratus fit saisir les chefs des deux nations et les envoya à Rome pour plaider leur cause devant l'empereur ; le grand prêtre Hanania et son fils Hanan, gouverneur du Temple, furent du nombre. Cumanus et le tribun Celer, qui avaient tenu dans cette affaire une conduite coupable, furent également envoyés à Rome. L'intervention du jeune Agrippa, qui était à Rome, déjoua les intrigues des Samaritains, qui avaient su gagner les amis de l'empereur. Claude décida en faveur des Juifs ; trois des principaux Samaritains furent mis à mort, Cumanus fut exilé et Céler fut renvoyé à Jérusalem pour y être décapité sous les yeux des Juifs. Hanania revint à Jérusalem, où nous le retrouvons plus tard, comme pontife[62]. A la fin de la douzième année de son règne (52-53), Claude envoya son affranchi Félix comme gouverneur en Judée[63], il était frère du fameux Pallas, confident de l'empereur. En même temps, Agrippa, au lieu de la principauté de Chalcide, reçut l'ancienne tétrarchie de Philippe et l'Abilene de Lysanias. Agrippa maria sa sœur Drusille à Azize, roi d'Émesse, en Syrie ; son autre sœur Bérénice, veuve d'Hérode de Chalcide, se maria avec Polémon, roi de Cilicie, afin de faire cesser les bruits qui couraient sur son compte, et qui l'accusaient d'un commerce incestueux avec son frère Agrippa[64]. Les deux sœurs quittèrent bientôt leurs époux, pour se livrer à une vie dissolue. Le gouverneur Félix devint amoureux de la belle Drusille, et la fit demander en mariage par un Juif de Cypre, nommé Simon, qui se disait magicien[65]. Drusille épousa le gouverneur, et de ce lien adultère naquit un fils, nommé Agrippa, qui périt, ainsi que sa mère, dans l'éruption du Vésuve, sous le règne de Titus. L'empereur Claude mourut en 54. Son successeur Néron, dès la première année de son règne, agrandit le royaume d'Agrippa, en y joignant une partie de la Galilée, avec les villes de Tibériade et de Tarichée, ainsi que la ville de Julias, en Pérée, avec quatorze villages de ses environs. La plus terrible anarchie régnait alors en Judée. Des bandes de brigands infestaient Je pays ; des fourbes de toute espèce, des magiciens, de faux prophètes et de faux Messies séduisaient le peuple et excitaient des troubles continuels. Des assassins, armés de poignards cachés sous leurs vêtements, se mêlaient à la foule et commettaient des meurtres jusque dans le Temple, sans qu'on sût d'où partaient les coups ; on les appelait sicaires (de sica). Félix s'empara par ruse d'Éléazar, fils de Dinée, chef d'une bande de brigands, et l'envoya enchaîné à Rome. Plusieurs faux prophètes furent mis à mort. Un de ces imposteurs, juif égyptien, assembla en Judée une grande multitude de peuple, qu'il engagea à le suivre sur la montagne des Oliviers, du haut de laquelle, disait-il, on verrait s'écrouler, à sa parole, les murailles de Jérusalem, après quoi il pénétrerait dans la capitale et en expulserait les Romains. Dans le combat que Félix lui livra, la plupart de ses partisans furent tués ou faits prisonniers ; mais l'imposteur s'échappa, et on ne put le retrouver. Quelque temps après, l'apôtre Paul ayant été arrêté, dans un tumulte, à Jérusalem, le capitaine de la garde le prit un moment pour le prophète égyptien[66]. Félix ne put cependant parvenir à faire cesser les désordres ; partout il se forma des bandes qui prêchaient la révolte contre les Romains, et qui, parcourant les campagnes, livraient aux flammes les habitations de ceux qui refusaient de se joindre à eux. La violence de Félix et sa cupidité ne contribuèrent qu'à augmenter la haine des Juifs contre les Romains[67]. L'apôtre Paul fut retenu en prison par Félix, qui espérait toujours obtenir de lui une rançon[68]. Le prêtre Jonathan, homme influent, qui avait lui-même demandé à l'empereur d'envoyer Félix comme gouverneur en Judée, s'attira la haine de cet homme pervers en l'exhortant souvent à changer de conduite et à exercer avec plus de modération et de justice les fonctions qui lui avaient été confiées. Félix, pour se débarrasser de Jonathan qui avait été nommé grand prêtre[69], parvint à corrompre, par des promesses d'argent, un certain Dora, intime ami de Jonathan, qu'il engagea à le faire périr, et bientôt le digne pontife expira sous les coups d'un sicaire. Ce meurtre, resté impuni, rendit la bande des sicaires de plus en plus hardie ; chaque jour on comptait de nouvelles victimes. Des troubles très-graves éclatèrent à Césarée par suite d'une querelle entre les Juifs et les Grecs syriens de cette ville, au sujet du droit de bourgeoisie. Les Juifs prétendirent être les maîtres d'une ville bâtie par un de leurs rois ; les Grecs invoquèrent leur droit d'ancienneté, ayant habité la ville, lorsqu'elle s'appelait encore Tour de Straton. Les Juifs firent valoir leurs droits les armes à la main ; mais Félix envoya contre eux ses soldats, qui en tuèrent beaucoup dans les rues de Césarée, et pillèrent leurs maisons. Enfin, sur la proposition des chefs des Juifs, Félix autorisa les deux partis à envoyer des députés à Rome, pour plaider leur cause devant Néron. A la même époque (59-60), Agrippa donna le pontificat à Ismaël, fils de Phabi, qui déjà avait été grand prêtre sous le gouverneur Gratus. Il existait alors de graves mésintelligences entre les chefs des diverses classes sacerdotales et les prêtres inférieurs. Les chefs envoyaient leurs gens chez les propriétaires, pour s'emparer violemment des dîmes dues aux prêtres ; la distribution ne se faisait pas avec l'équité convenable, et les prêtres communs, qui se trouvaient souvent réduits à une profonde misère, mouraient de faim[70]. Les habitants de Jérusalem prirent fait et cause pour les malheureux prêtres ; ce qui excita souvent de graves désordres. Ismaël ne fit rien, ou ne put rien faire, pour changer cet état de choses, ce qui est une preuve de l'anarchie qui régnait alors à Jérusalem. L'an 60 ou 61, Félix fut rappelé et remplacé par Porcins Festus. Les Juifs de Césarée envoyèrent une députation à Rome, pour accuser Félix devant l'empereur ; mais Pallas, qui alors était tout-puissant près de Néron, parvint par ses supplications à faire absoudre son frère. En même temps, les Juifs éprouvèrent un échec bien plus grave encore. Les députés syriens de Césarée ayant gagné, par de l'argent, Burrhus, qui avait été le gouverneur de Néron, obtinrent un décret impérial qui dépouilla les Juifs de Césarée du droit de bourgeoisie. De ce funeste décret naquirent des séditions continuelles, qui finirent par insurger tout le pays contre les Romains. Festus, obligé de sévir contre les brigands, les sicaires et les faux Messies, en fit mourir un grand nombre. Un imposteur, qui s'était créé une foule de partisans, fut vaincu par les troupes romaines, qui tuèrent le faux prophète, ainsi que ceux qu'il était parvenu à séduire. Agrippa lui-même, qui résidait alors à Jérusalem, excita quelques mouvements, en élevant près du Xystus, dans le château d'Hérode, sur le mont Sion, un édifice du haut duquel il pouvait observer ce qui se passait dans la cour intérieure du Temple. Les Juifs, et notamment les prêtres, y virent une profanation des cérémonies sacrées qui ne devaient être vues que par les prêtres seuls ; pour en dérober l'aspect au roi Agrippa, ils élevèrent une haute muraille a l'occident du Temple. Cette muraille masquait, en même temps, le portique occidental où se tenait la garde romaine, pendant les jours de fête. Festus et le roi Agrippa en furent également indignés. En vain le gouverneur donna ordre d'abattre cette muraille ; les Juifs refusèrent d'obéir et voulurent en appeler à l'empereur. Festus leur ayant permis d'envoyer une députation auprès de Néron, dix des principaux habitants de Jérusalem partirent pour Rome, ayant à leur tête le grand prêtre Ismaël et Hilkia, trésorier du Temple. Sur la demande de l'impératrice Poppée, qui était favorable aux Juifs, Néron ordonna que la muraille fût conservée ; les députés retournèrent à Jérusalem, à l'exception d'Ismaël et de Hilkia, retenus par Néron comme otages. Agrippa remplaça le grand prêtre Ismaël par Joseph Cabi, fils de Simon. Festus étant mort en Judée (63), Néron lui donna pour successeur Albinus. En même temps, Agrippa ôta le pontificat à Joseph pour le donner à Nanan, fils de l'ancien grand prêtre du même nom. Hanan le père eut le rare bonheur, après avoir été lui-même grand prêtre, d'avoir cinq fils, qui tous furent revêtus de cette haute dignité, savoir, Éléazar, Jonathan, Théophile, Mathias et Nanan. Ce dernier appartenait à la secte des Sadducéens, et se faisait remarquer par sa dureté et sa sévérité. Avant l'arrivée d'Albinus, il profita de sa position pour convoquer un synédrium et faire juger et lapider quelques transgresseurs de la loi, et entre autres Jacques, frère de Jésus-Christ. Cet acte arbitraire excita des murmures parmi les citoyens paisibles et les plus rigides observateurs des lois, qui envoyèrent secrètement une députation à Agrippa pour le prier de faire des remontrances à Hanan, afin que de pareils actes ne se renouvelassent plus. Une autre députation alla au-devant d'Albinus, pour lui dénoncer Hanan qui n'avait pas le droit de faire rendre des sentences de mort, sans l'autorisation du gouvernement romain. Albinos écrivit une lettre, pleine de menaces, à Hanan, auquel Agrippa retira le pontificat, qu'il n'avait possédé que pendant trois mois ; Jésus, fils de Damnée, le remplaça. La méchanceté et la basse cupidité d'Albinus ne connurent point de bornes ; il affecta, il est vrai, de sévir contre les brigands et les sicaires, et en fit tuer un grand nombre ; mais il ne voyait de vrais coupables que dans ceux qui n'avaient pas les moyens de se racheter. Les plus grands criminels étaient sûrs d'être absous, dès qu'ils pouvaient offrir à Albinus de grosses sommes d'argent. Tous ceux qui étaient entraînés par de mauvaises passions et qui espéraient profiter des troubles civils, se rangeaient sous le drapeau de quelque riche brigand et s'assuraient ainsi la protection du gouverneur, qu'on pouvait considérer comme le chef de tous les brigands. L'ancien grand prêtre Hanania, un de ceux qui s'étaient enrichis en s'emparant des revenus des prêtres communs, exerçait ses violences, en toute sécurité, sous la protection d'Albinus, à qui il faisait de riches présents. Hanania fit même relâcher plusieurs brigands et sicaires, pour se faire rendre le secrétaire de son fils Éléazar, commandant du Temple, qui avait été saisi par une bande de malfaiteurs. Les brigands usaient souvent de semblables moyens pour faire mettre en liberté leurs camarades. Albinus augmenta encore ses brigandages en levant des impôts extraordinaires. Au milieu de ces calamités, Agrippa, à l'imitation de son père, dépensa des sommes énormes pour élever toute sorte d'édifices ; non-seulement il embellit la ville de Panéas, ou Césarée de Philippe, à laquelle il donna le nom de Néronias, mais il donna aussi à ta ville de Béryte un nouveau théâtre et une foule de statues, et distribua à la population des blés et de l'huile, ce qui ne pouvait.que lui attirer la haine de ses compatriotes juifs. Il excita des troubles à Jérusalem, en ôtant subitement le pontificat à Jésus, fils de Damnée, pour le donner à Jésus, fils de Gamaliel ou Gamala[71]. Josèphe, peut-être pour ménager Agrippa, ne nous dit pas les motifs de ce brusque changement ; mais nous savons, par le Thalmud, que Jésus, ou Josué, fils de Gamala, avait épousé une riche veuve, appelée Marthe, fille de Boéthus, et que celle-ci donna à Agrippa une grande somme d'argent pour faire nommer son mari grand prêtre[72]. Jésus, fils de Damnée, ne voulut pas céder la place à son successeur, ce qui occasionna des querelles et des luttes violentes ; niais enfin, la victoire resta aux partisans de Jésus, fils de Gamala. Au milieu de ces désordres, les lévites musiciens et chanteurs demandèrent à Agrippa d'obtenir, en leur faveur, une décision synédriale, qui leur permît de porter la tunique de lin, à l'égal des prêtres ; cette demande ayant été accordée, beaucoup de lévites des autres classes demandèrent et obtinrent d'entrer dans celle des musiciens. Vers cette époque (64), tous les édifices extérieurs du Temple, auxquels on avait continué à travailler depuis le temps d'Hérode, furent complètement achevés. Plus de dix-huit mille ouvriers se trouvèrent alors sans travail, ce qui, dans ces temps de troubles, dut causer de vives inquiétudes à la population. Les habitants de Jérusalem, pour donner de l'occupation aux ouvriers et, en même temps, pour employer utilement les fonds du Temple et les soustraire à la cupidité des Romains, demandèrent à Agrippa — qui, avec le droit de nommer les grands prêtres, possédait aussi l'administration supérieure du Temple — de faire restaurer le portique oriental de l'enceinte extérieure, ainsi que ses immenses fondements, qui remontaient à une haute antiquité, puisqu'on les croyait être du temps de Salomon. Agrippa, y ayant réfléchi, trouva que ce serait un travail trop long et trop difficile, et, pour occuper les ouvriers, il fit paver la capitale de pierres blanches. A la même époque, il ôta à Jésus, fils de Gamala, la dignité de grand prêtre et en revêtit Mathias, fils de Théophile, sous lequel éclata la guerre contre les Romains. Albinus, informé que Néron allait lui donner un successeur, ne voulut pas quitter la Judée sans se vanter d'avoir rendu au pays un service signalé. Il fit donc mettre à mort les plus criminels d'entre les brigands qu'il avait fait saisir ; mais, en même temps, il relâcha, pour de l'argent, tous ceux qui étaient accusés de crimes moins graves ; de sorte que le pays fut de nouveau infesté par les malfaiteurs. Albinus eut pour successeur Gessius Florus (65). Le nouveau gouverneur se conduisit de manière à faire regretter même un Albinus ; sa cruauté était sans exemple et sa cupidité insatiable ; il protégeait ouvertement tous les brigands, pourvu qu'ils consentissent à partager avec lui leurs rapines. Il mit la Judée dans une situation terrible, et les habitants émigrèrent en grand nombre. Sa femme Cléopâtre, qui était une amie intime de l'impératrice Poppée, avait contribué à le faire nommer gouverneur ; comptant sur la protection de Poppée, il crut pouvoir impunément commettre les crimes les plus abominables. Peu de temps avant la Pâque, Cestius Gallus, gouverneur de Syrie, étant venu à Jérusalem, se vit entouré par la foule immense assemblée pour la célébration de cette fête[73] ; on le supplia d'avoir pitié de la profonde misère dans laquelle Florus avait jeté le pays. A ces plaintes du peuple, Florus, qui était présent, n'opposa qu'un rire sardonique. Cestius se contenta de faire de vaines promesses et partit pour Antioche ; Florus l'accompagna jusqu'à Césarée et profita de ce voyage pour tromper son chef par des rapports mensongers. Le lâche tyran employa tous les moyens pour exalter les Juifs à une révolte ouverte, pensant pat là faire oublier ses crimes. Il n'y réussit que trop bien, et sa tyrannie fit éclater cette funeste insurrection qui amena une des plus terribles catastrophes, dont l'histoire nous ait conservé la mémoire. 4. Insurrection générale des Juifs et destruction de Jérusalem. Le décret impérial qui dépouilla les Juifs de Césarée du droit de bourgeois, en accordant ce privilège aux Grecs et aux Syriens, venait d'être promulgué dans-cette ville (avril-mai 65). Un Grec, qui y possédait un terrain près d'une synagogue, y fit construire, malgré l'opposition des Juifs, des ateliers qui gênaient la circulation, de sorte que les Juifs ne pouvaient aborder qu'avec peine leur lieu de réunion. Un publicain, nommé Jean, et quelques autres Juifs de Césarée se rendirent auprès de Florus, et lui donnèrent huit talents pour l'engager à empêcher les constructions de ce Grec ; Florus accepta l'argent, mais partit, le même jour, pour Samarie, sans rien faire pour les Juifs. Le lendemain, qui était un jour de sali-bat, un Grec, pour scandaliser les Juifs, sacrifia quelques oiseaux devant la porte de la synagogue, voulant faire allusion au sacrifice ordonné par Moïse pour la purification des lépreux. Cet acte inconvenant causa un grand tumulte ; de part et d'autre on prit les armes et un combat s'engagea. Jucundus, chef de la cavalerie romaine, qui vint rétablir la paix, fut repoussé par les Grecs ; les Juifs sortirent de la ville et se retirèrent dans la contrée.de Narbate, à soixante stades de Césarée, emportant avec eux le livre de la Loi. Le publicain Jean et quelques autres Juifs de distinction se rendirent à Samarie pour se plaindre à Florus ; mais celui-ci les fit mettre en prison, sous prétexte d'avoir causé des troubles en faisant emporter de Césarée le livre de la Loi. La conduite infâme de Florus excita à Jérusalem une indignation générale. Pour irriter encore davantage les habitants de cette ville et les pousser à une révolte ouverte, Florus fit prendre, dans le trésor du Temple, dix-sept talents, dont il avait besoin, disait-il, pour le service de l'empereur. Cet acte excita une violente émeute à Jérusalem. Le peuple poussa des imprécations contre Florus, et quelques Juifs, pour insulter cet homme cupide, allèrent quêter dans la foule et demandèrent l'aumône pour le pauvre el misérable Florus. Le gouverneur vint lui-même à Jérusalem ; les habitants paisibles allèrent au-devant de lui, pour le saluer par des acclamations ; mais il fit dissiper la foule par ses cavaliers et demanda qu'on lui livrât ceux qui l'avaient insulté. Le lendemain, personne n'étant venu dénoncer les coupables devant son tribunal, il donna ordre à ses bandes d'envahir une des principales places de la haute ville pour la piller ; les farouches soldats se répandirent dans toutes les rues de Jérusalem, pénétrèrent dans les maisons, se livrèrent au pillage, massacrèrent les habitants paisibles et même les femmes et les enfants. Trois mille six cents victimes tombèrent en ce jour[74] ; Florus osa même faire saisir quelques Juifs qui avaient le titre de chevalier romain et les faire flageller et crucifier. Bérénice, sœur d'Agrippa, qui était alors à Jérusalem, pour accomplir un vœu, se rendit nu-pieds auprès de Florus, pour le prier d'arrêter le massacre ; mais le barbare resta sourd à ses prières, et ce ne fut qu'avec peine qu'elle échappa elle-même au fer des assassins. Agrippa était alors à Alexandrie, ou il était allé complimenter l'apostat Tibère Alexandre, nommé gouverneur d'Égypte. Le lendemain, les prêtres et d'autres personnages de distinction se présentèrent sur la place publique vêtus de deuil, et cherchèrent à consoler le peuple qui pleurait les morts et à calmer son effervescence. Florus, impatient de voir recommencer les troubles, exigea que le peuple, pour donner une marque de sa soumission, allât au-devant des deux cohortes qui devaient arriver de Césarée et les saluât par des acclamations. Le peuple, sur les prières des prêtres et des grands, se soumit à cette humiliation ; mais Florus eut soin de faire dire aux centurions des deux cohortes que les soldats ne répondissent pas aux saluts des Juifs. Ceux-ci, voyant que leurs acclamations étaient accueillies avec indifférence et avec mépris, manifestèrent hautement leur indignation de la trahison de Florus. Alors les soldats romains chargèrent le peuple ; un grand nombre de Juifs furent massacrés par les Romains, et les fugitifs furent étouffés dans la foule ou écrasés sous les pieds des chevaux. Les Romains poursuivirent les Juifs à travers le quartier de Bezetha et voulurent s'emparer du château Antonia, et du Temple, où Florus se disposait à les rejoindre avec les troupes de la ville ; mais les habitants de Jérusalem, montés sur les toits, les accablèrent de pierres et de flèches et leur opposèrent une résistance tellement vigoureuse, qu'ils furent obligés de se retirer. Les zélateurs ou patriotes juifs occupèrent aussitôt l'enceinte du Temple et démolirent le portique qui conduisait de là au château Antonia. Florus quitta Jérusalem, laissant à la disposition des prêtres, qui promirent de rétablir la tranquillité, une des cohortes qui n'avaient pas combattu contre les Juifs. De retour à Césarée, il fit à Cestius Gallus un rapport mensonger sur les événements qui venaient de se passer. Bérénice et les grands de Jérusalem écrivirent également à Cestius, pour lui faire connaître les infamies de Florus. Le gouverneur envoya à Jérusalem un de ses capitaines pour faire une enquête impartiale. A Jamnia, l'envoyé de Cestius rencontra le roi Agrippa, qui venait d'arriver d'Alexandrie, et ils partirent ensemble pour la capitale, ou Agrippa espérait rétablir l'ordre. L'aspect de la ville, la désolation qui régnait partout, les cris des femmes des victimes et le deuil général ne laissèrent pas de doute sur les violences inouïes exercées par Florus. Le peuple demanda instamment à Agrippa d'envoyer une députation auprès de l'empereur pour accuser le tyran ; mais Agrippa craignit les dangers d'une pareille démarche. Dans un long discours, il fit comprendre au peuple combien il serait insensé de faire une levée de boucliers contre la redoutable puissance de Rome, et énuméra toutes les nations qui, malgré les forces dont elles disposaient, s'étaient soumises à l'empire ; il blâma ceux qui parlaient de liberté et d'indépendance, et qui cependant prétendaient n'en vouloir qu'à Florus, accusa les uns d'inexpérience ou d'un zèle mal entendu, les autres de projets ambitieux et du désir d'opprimer et d'exploiter les faibles qui se fiaient à eux, et engagea les modérés à séparer leur cause de celle des rebelles et à se montrer soumis à l'empereur. Le discours d'Agrippa fit une profonde impression sur le peuple, qui consentit à payer au gouvernement l'arriéré des impôts et à rétablir la communication entre le Temple et le château. Mais bientôt Agrippa excita la fureur du peuple en l'engageant à obéir à Florus jusqu'à l'arrivée d'un nouveau gouverneur ; au nom de Florus les murmures éclatèrent de toutes parts, on fit signifier à Agrippa de quitter la ville, et on alla même jusqu'a lancer des pierres contre lui. Agrippa abandonna la malheureuse ville à son sort, et se retira dans son royaume. Pour comble de malheur, la division qui, depuis des siècles, avait régné parmi les Juifs, et qui avait été la cause principale de leurs malheurs, éclata avec une nouvelle force, et le danger commun ne put rétablir la paix à l'intérieur. Les uns., reconnaissant l'im possibilité de lutter longtemps avec avantage contre les Romains, étaient portés à la modération et recommandaient les mesures sages ; ce parti se composait principalement des Sadducéens, des hommes riches, et comptait aussi dans son sein les Pharisiens les plus considérables, qui prévoyaient la destruction du sanctuaire central, symbole de l'unité du peuple juif. Les autres aimaient mieux tout sacrifier que de rester soumis à une puissance étrangère ; à la tête de ce parti on voyait les patriotes exaltés, héritiers des principes de Juda le Galiléen et qu'on appelait les Zélateurs. Les masses, qui n'avaient rien à perdre, et tous ceux que leur obscurité même mettait à l'abri de la vengeance de l'empereur, suivaient l'impulsion des zélateurs. Ce parti redoutable eut le dessus ; les zélateurs s'emparèrent. de la forteresse de Masada, dont ils massacrèrent la garnison romaine. A Jérusalem, le commandant du Temple, Éléazar, fils de Hanania, déclara que les sacrifices des païens ne devaient pas être offerts sur l'autel de Jéhova, et on cessa, dès lors, d'offrir des victimes pour l'empereur et les Romains, comme on l'avait fait jusqu'alors. Les modérés, afin de montrer au gouvernement romain qu'ils n'avaient aucune part à ces violences, s'adressèrent à Florus et à Agrippa pour leur demander des secours contre les rebelles. Florus, trop content de voir si bien réussir ses machinations, ne fit aucune réponse ; Agrippa envoya trois mille cavaliers au secours des modérés. Ceux-ci prirent possession de la haute ville, tandis que les zélateurs, fortifiés par les brigands et les sicaires, occupèrent le Temple et la basse ville. La guerre civile recommença au mois d'Ab (juillet-août) de l'an 65. Les deux partis se firent pendant sept jours une petite guerre, sans qu'aucun des deux remportât un avantage signalé. Le huitième jour était une fête ; c'était le 15 Ab, jour auquel les prêtres et le peuple offraient du bois au Temple pour entretenir le feu des sacrifices[75]. Les zélateurs refusèrent à leurs adversaires l'entrée du Temple ; une lutte s'engagea par suite de laquelle les zélateurs se rendirent maîtres de la haute ville et brûlèrent les palais d'Agrippa, de Bérénice et du prêtre Hanania. Ensuite ils mirent le feu aux archives, afin de détruire tous les titres de créances qui y étaient déposés, et d'attirer par là les débiteurs dans leur parti. Le lendemain, ils attaquèrent le château Antonia ; ils s'en rendirent maîtres au bout de deux jours et massacrèrent la garnison romaine. Les modérés s'étaient réfugiés dans le palais d'Hérode, où ils firent une résistance vigoureuse. Menahem, petit-fils de Juda le Galiléen, se rendit a Masada, avec quelques autres zélateurs. L'arsenal du roi Hérode, qui était dans cette ville, lui fournit des armes en grande quantité ; il arma ses partisans et un grand nombre de brigands, à la tête desquels il fit son entrée triomphale dans Jérusalem, et assiégea le palais d'Hérode. Les assaillants parvinrent à renverser une tour ; mais lorsqu'ils voulurent pénétrer dans le palais, ils se virent arrêtés, à leur grand désappointement, par un mur que les assiégés avaient eu le temps d'élever en dedans. Une capitulation s'ensuivit, et les assiégés, à l'exception des soldats romains, purent se retirer librement. Les Romains se réfugièrent dans les trois tours de l'ancienne muraille ; ceux qui n'avaient pu s'enfuir furent mis à mort par les zélateurs, qui entrèrent dans le palais le 6 Éloul (août-septembre) et y mirent le feu. Le lendemain, le prêtre Hanania et son frère Ézéchias, qu'on trouva cachés dans un aqueduc, furent massacrés par les brigands. Bientôt Éléazar, pénétrant les vues ambitieuses de Menahem, qui se conduisait en roi, mit un terme à la tyrannie de ce chef ; appuyé par une partie des zélateurs et par le peuple, il attaqua Menahem et ses partisans dans le parvis du Temple et en fit un grand carnage. Le peu qui s'en échappa s'enfuit à Masada, ainsi qu'un parent de Menahem, un certain Éléazar, fils de Jaïr, qui à tard se fit le chef des zélateurs Masada. Menahem, qui s'était lâchement dérobé, fut découvert dans un lieu de la place Ophla, où il s'était caché, et fut mis à mort. Les soldats romains, serrés de près dans les tours, demandèrent à capituler, et les zélateurs leur promirent, sous la foi du serment, de les laisser partir ; mais, quand les Romains eurent déposé les armes, les gens d'Éléazar se jetèrent traîtreusement sur eux et les massacrèrent. Un seul, le centurion Métilius, sauva sa vie en promettant d'embrasser le judaïsme. Cet horrible parjure, commis un jour de sabbat, répandit le deuil et la consternation dans Jérusalem ; une action aussi atroce était sans exemple dans l'histoire des Juifs. Il était évident que, parmi les zélateurs, qui prétendaient combattre pour Dieu et la religion, il y avait des gens qui foulaient aux pieds les lois morales et religieuses et étaient entraînés par les plus farouches passions. Le peuple de Jérusalem tremblait d'être frappé par la vengeance du ciel. Le même jour, à la même heure, les Grecs et les Syriens de Césarée, animés par Florus, massacrèrent les Juifs de cette ville, au nombre de vingt mille ; ceux qui purent s'enfuir furent pris par les soldats de Florus et envoyés aux galères. A la nouvelle de cet horrible massacre, l'insurrection devint générale, et chaque ville fut changée en un champ de bataille. Des bandes d'insurgés parcoururent le pays. Les principales villes de la Pérée, habitées par des Syriens et des Grecs, furent ravagées par les rebelles juifs, de même que Kedasa (Kedès), en Galilée, Ptolémaïde, Samarie et Ascalon ; Anthédon et Gaza furent détruites de fond en comble. Les Syriens de leur côté, là où ils étaient les plus forts, massacrèrent les Juifs. A Scythopolis, les habitants juifs se joignirent d'abord aux Syriens pour repousser l'attaque des insurgés ; mais les Syriens, se méfiant des Juifs, les forcèrent de quitter la ville et de se retirer dans un bois voisin. Après y être restés deux jours dans un calme profond, ils furent surpris, pendant la nuit, par les Syriens et massacrés, ainsi que leurs femmes et leurs enfants, au nombre de treize mille. Un certain Simon, homme d'une force prodigieuse et d'un grand courage, avait fait beaucoup de mal aux insurgés qui étaient devant Scythopolis ; près d'être égorgé par ceux-là même qu'il avait défendus, il y vit un juste châtiment du ciel pour avoir pris les armes contre ses propres frères. Il voulut épargner à lui-même et à sa famille l'ignominie de tomber par les mains des traîtres Syriens, et après avoir jeté un regard mêlé de fureur et de pitié sur les membres de sa famille, il égorgea, de sa propre main, son père, sa mère, sa femme et ses enfants, et se plongea ensuite son épée dans le corps. Même dans le royaume d'Agrippa, les Juifs coururent de grands dangers et manquèrent d'être entraînés dans les troubles de la guerre civile, par les intrigues et les violences de Noarus ou Varus, parent de Sohem, roi d'Iturée, qu'Agrippa, en se rendant auprès de Cestius, avait pommé gouverneur de son royaume. Ce traître ayant attiré auprès de lui soixante-dix des principaux Juifs de Batanée, les fit massacrer, et chercha à faire croire que les Juifs du royaume d'A grippa voulaient prendre part à l'insurrection contre les Romains. Ses projets furent déjoués par Philippe, général d'Agrippa, qui avait pu s'échapper de Jérusalem, où il s'était trouvé au nombre des assiégés dans le palais d'Hérode[76]. Les Juifs des pays voisins partagèrent le sort de leurs frères de Palestine. A Alexandrie, où les cruautés des Grecs les avaient poussés à la sédition, les légions de Tibère Alexandre et la populace grecque en égorgèrent près de cinquante mille. Les zélateurs, sur divers points, remportèrent des avantages sur les garnisons romaines ; celle de Cypros, près de Jéricho, fut passée au fil de l'épée, celle de Machérous obtint une capitulation. Cestius Gallus ne put rester plus longtemps oisif spectateur de toutes ces scènes de désordre et de carnage ; il partit d'Antioche avec la douzième légion tout entière et deux mille heaumes d'élite qu'il avait pris dans les autres légions. Antiochus, roi de Comagène, Sohem, roi d'Iturée, et Agrippa qui l'accompagna en personne, lui fournirent tin grand nombre de troupes auxiliaires. Avec cette armée considérable, il pénétra en Galilée, en passant par Ptolémaïde, occupa la ville de Zabulon, qui avait été abandonnée par ses habitants, et y fit mettre le feu. Laissant ensuite au général Gallus le soin de soumettre la Galilée, il se dirigea vers la côte et ravagea Joppé, où huit mille quatre cents Juifs perdirent la vie, et la contrée de Narbate, près de Césarée, tandis que Gallus, devenu maître de Séphoris, qui lui ouvrit ses portes, occupa toute la Galilée. Réunissant ensuite leurs forces, Cestius et Gallus prirent Antipatris et Lydda, dont presque tous les habitants s'étaient rendus a Jérusalem pour la fête des Tabernacles, et bientôt les Romains campèrent près de Gabaon, à environ deux lieues de Jérusalem. Les Juifs, oubliant la fête, ne pensèrent plus qu'à la défense de leur capitale ; les nombreux pèlerins qui étaient alors assemblés à Jérusalem, grossirent le nombre des combattants. Une immense multitude se mit en marche, un jour de sabbat, et les Romains, attaqués avec impétuosité, furent forcés de se retirer à Beth-Horon, avec une perte de cinq cent quinze hommes. Le vaillant Simon, fils de Gioras, un des chefs des zélateurs, poursuivit les fugitifs, dispersa l'arrière-garde des Romains et leur prit beaucoup de bêtes de somme qu'il ramena à Jérusalem. Sur le conseil d'Agrippa, Cestius consentit à traiter avec les Juifs ; mais les deux envoyés d'Agrippa furent reçus avec indignation par les zélateurs, qui tuèrent l'un et blessèrent l'autre dans sa fuite. Cestius marcha une seconde fois sur Jérusalem, et, après s'être arrêté trois jours à un endroit appelé Sophim [77], à sept stades de la ville, il pénétra, le 30 Thischri (septembre-octobre), jusque dans le nouveau quartier de Bézetha, et força les Juifs de se retirer dans l'intérieur de la ville, derrière la deuxième muraille. Cestius fit mettre le feu à la ville neuve qui environnait la colline de Bézetha ; s'il eût aussitôt donné l'assaut, toute la ville était prise et la guerre finie ; mais il en fut empêché par Tyrannius Priscus et quelques autres officiers, gagnés par l'argent de Florus, qui désirait prolonger la guerre. Un certain Hanan, fils de Jonathan, engagea les amis de la paix à ouvrir les portes à Cestius ; celui-ci, se méfiant de cette offre, hésita, et les zélateurs, instruits du projet de Hanan, le précipitèrent, ainsi que ses partisans, du haut de la muraille. Les Romains se décidèrent alors à donner l'assaut ; après avoir vainement essayé, pendant cinq jours, à se frayer un passage dans la ville, ils commencèrent, le sixième jour, à miner la muraille, à l'abri d'une tortue (testudo). Déjà les zélateurs, découragés, s'enfuyaient en partie, et les modérés allaient ouvrir les portes aux Romains, lorsque Cestius, contre toute raison, fit subitement sonner la retraite. Il faut supposer que Cestius, sur des rapports vrais ou faux, craignit d'être attaqué par derrière. Alors les zélateurs, reprenant courage, tombèrent sur les Romains, qui se retirèrent dans leur camp, après avoir essuyé des pertes considérables. Le lendemain, les Romains furent encore harcelés en se retirant sur Gabaon ; Cesti us y resta deux jours, indécis sur ce qu'il devait faire ; pendant ce temps, le nombre des combattants juifs, qui occupèrent les hauteurs, augmenta de plus en plus. Les Romains voulurent retourner à Beth-Horon, mais ils furent battus en queue par les Juifs ; poursuivis pendant plusieurs jours dans les défilés, ils perdirent près de six mille hommes. Toute l'armée romaine fut près de périr, et ne put se dérober à la poursuite des Juifs qu'à la faveur de la nuit. Les Juifs s'emparèrent du bagage des Romains et des machines de guerre, dont ils surent se servir ensuite contre leurs ennemis. Cette défaite des Romains eut lieu le 8 Marheschwan (octobre-novembre) de la douzième année du règne de Néron (65). A la nouvelle du désastre des Romains, les habitants païens de Damas résolurent de se venger sur les Juifs. Craignant d'être trahis par les femmes, qui presque toutes professaient la religion juive — car le judaïsme avait fait alors beaucoup de prosélytes parmi les femmes païennes —, ils tinrent secret leur projet sanguinaire. Sous un prétexte ils assemblèrent les Juifs sans armes dans le gymnase de Damas et les massacrèrent au nombre de dix mille. La paix entre les Juifs et les Romains était devenue impossible, et les modérés eux-mêmes durent dès lors se joindre aux patriotes exaltés et se préparer à une lutte acharnée, pour sauver leur patrie, s'il était possible, de la terrible catastrophe dont elle était menacée, ou trouver en combattant une mort glorieuse. Ceux-là seuls qui mettaient leurs intérêts personnels au-dessus de la patrie, ou qui cherchaient, dans sa ruine, la triste satisfaction de voir triompher leurs opinions politiques ou religieuses, s'enfuirent au moment du danger. Les amis d'Agrippa trahirent ouvertement leur patrie, en passant du côté des Romains et en allant faire leur cour à Cestius et à l'empereur Néron. Au nombre des fugitifs se trouvèrent aussi les Juifs chrétiens, suivant le conseil que Jésus-Christ avait donné à ses disciples (Matth. 24, 16). Préoccupés du royaume du ciel, qu'ils prenaient alors au sérieux, les chrétiens ne crurent pas devoir intervenir dans les choses terrestres et prendre part à la défense de leur malheureuse patrie ; guidés par leur évêque Siméon, ils se retirèrent au delà du Jourdain, loin du bruit des armes, et cherchèrent un refuge dans la ville de Pella[78]. Au milieu de l'agitation causée dans la capitale par les derniers événements, les gens oisifs et superstitieux s'entretenaient de toutes sortes de prodiges, qui, disait-on, s'étaient manifestés dans les derniers temps, et par lesquels on cherchait à deviner l'avenir. On prétendait avoir vu au-dessus de la ville une étoile en forme de glaive, et une comète qui était restée au ciel pendant une année entière. Avant le commencement de la guerre, vers la fête de la Pâque, on avait vu le Temple et l'autel, au milieu de la nuit, environnés d'une si grande lumière, qu'on se crut en plein jour, et une fois, à minuit, la porte de Nicanor, qui était de bronze massif et que vint hommes pouvaient à peine remuer, s'était subitement ouverte d'elle-même. Un soir, on avait cru apercevoir des chariots et des troupes armées, qui parcouraient les airs et environnaient les villes. Une autre fois, à la fête de la Pentecôte, les prêtres, étant entrés dans le Temple, avant le jour, y avaient entendu un bruit confus et ensuite plusieurs voix qui s'écrièrent : Sortons d'ici[79]. — Sous le gouverneur Albinus, tandis que Jérusalem était encore dans une paix profonde, un simple campagnard, nommé Jésus, étant venu célébrer la fête des Tabernacles, se mit à crier : Voix de l'orient, voix de l'occident, voix des quatre vents ; voix sur Jérusalem et sur le Temple, voix sur les nouveaux mariés et les nouvelles mariées, voix sur tout le peuple. Cet homme criait ainsi jour et nuit en parcourant les rues. Amené devant Albinus et déchiré par les verges, il ne se plaignit pas et ne pleura pas ; à chaque coup qu'on lui donnait, il répétait : Malheur, malheur à Jérusalem ! Ces paroles étaient les seules qu'on l'entendît prononcer ; car il ne parlait à personne ; il ne maudissait pas ceux qui le frappaient, ni ne remerciait ceux qui lui offraient de la nourriture. Il n'interrompit point ses cris lugubres pendant tout le temps de la guerre et jusqu'au dernier siège de Jérusalem. A cette époque, un jour qu'il courait le long de la muraille, en s'écriant sans cesse : Malheur, malheur à la ville, et au peuple et au Temple ! subitement il ajouta : Malheur à moi-même ! et au même instant il fut tué d'une pierre lancée d'une machine par les Romains. Les hommes politiques et les guerriers ne s'effrayèrent pas des prodiges dont on les entretenait, ni des sinistres prophéties. Les zélateurs étaient parvenus à compromettre la nation tout entière, et, excepté ceux qui ne craignaient pas de braver l'ignominie de la désertion, tous, par un accord unanime, s'occupèrent des mesures qu'exigeaient les circonstances. Dans une assemblée nationale, convoquée au parvis du Temple, on établit un gouvernement provisoire. Joseph, fils de Gorion, et Hanan, chef d'une des classes sacerdotales, furent nommés commandants de Jérusalem et chargés de remettre en bon état les fortifications. Jésus, fils de Sapphia, également chef d'une classe sacerdotale, et Éléazar, fils de l'ancien grand prêtre Hanania, furent envoyés comme gouverneurs en Idumée, ayant sous leurs ordres Niger de Pérée, qui jusque-là avait gouverné cette province. Joseph, fils de Simon, fut envoyé comme commandant à Jéricho ; la Pérée fut confiée à Manassé, les districts de Thamna, de Lydda, de Joppé et d'Emmaüs à l'essénien Jean, et ceux de Gophna et d'Acrabatène à Jean, fils de Hanania. Un des postes les plus importants, le gouvernement de la haute et de la basse Galilée et de Gamala, fut confié au prêtre Josèphe, fils de Mathias, qui depuis devint célèbre, comme historien, sous le nom de Josèphe ou Josephus Flavius ; c'est à lui que nous devons la connaissance de l'histoire des Juifs de ces temps. Voici quelques détails sur cet homme remarquable : Josèphe, fils du prêtre Mathias ou Matthathias, naquit à Jérusalem, dans la première année du règne de Caligula, l'an 37 de l'ère chrétienne. Son père appartenait, comme la famille des Hasmonéens, à la première des vingt-quatre classes ou éphémeries sacerdotales, qui était celle de Joïarib (I Chron. 24, 7) ; un de ses aïeux avait épousé la fille du grand prêtre Jonathan, fils de Matthathias le Hasmonéen, et sa mère descendit également de cette illustre famille. Son père lui fit donner de bonne heure une instruction solide, et, à côté des connaissances religieuses, il cultivait aussi les études profanes et notamment la littérature grecque, comme on le voit par les ouvrages qu'il composa plus tard. A l'âge de quatorze ans il fut consulté par les prêtres sur divers points difficiles de l'interprétation de la loi. Ayant examiné les doctrines des trois sectes religieuses, et désirant connaître, par sa propre expérience, la vie ascétique et contemplative des Esséniens, il se rendit, à l'âge de seize ans, auprès d'un célèbre anachorète, nommé Banoun, qui vivait dans le désert ; il se fit le disciple de cet homme, et passa trois ans avec lui, s'imposant toutes sortes de privations et se livrant aux pratiques les plus austères. Il sentit cependant que ce n'était pas là sa vocation, et, à l'âge de dix-neuf ans, il revint à Jérusalem et embrassa les doctrines des Pharisiens, qui lui semblaient les plus conformes à l'esprit des lois mosaïques. Agé de vingt-six ans il fit un voyage à Rome, pour demander la mise en liberté de quelques prêtres, ses amis, que le gouverneur Félix y avait envoyés prisonniers. Miraculeusement sauvé d'un naufrage, il arriva à Puteoli (Puzzuolo), où il trouva un accueil hospitalier chez un comédien, nommé Aliturus, Juif de nation. Cet homme, qui était en faveur à la cour de Néron, recommanda Josèphe à l'impératrice Poppée, qui le combla d'honneurs et fit rendre la liberté aux prêtres juifs. Lorsque Josèphe revint à Jérusalem, les germes de la révolte s'y étaient déjà développés et la guerre menaçait d'éclater. Convaincu qu'il était impossible de lutter avec avantage contre les Romains, il fit tout son possible pour conjurer l'orage, et se déclara ouvertement pour le parti de la paix. Les zélateurs ayant pris le dessus et s'étant emparés du château Antonia, Josèphe fut obligé de se cacher dans l'intérieur du Temple, d'où il ne put sortir qu'après la mort de Menahem. La défaite de Cestius et le massacre des Juifs dans les villes syriennes ayant forcé les inodérés.de faire cause commune avec les zélateurs, ils voulurent cependant éviter de prendre l'offensive, et leurs armements n'avaient pour but que d'obtenir de meilleures conditions de la part des Romains et d'être préparés à tout événement. Josèphe, connu pour sa modération et son habileté, fut envoyé en Galilée, avec deux autres prêtres, Joazar et Judas ; ils avaient pour mission expresse d'y maintenir la paix, car on savait que le parti de la paix était encore très-fort en Galilée. Josèphe qui, dans sa Guerre des Juifs (II, 20 et 21), ne rend compte que très-sommairement des mesures prises par lui en Galilée et des difficultés qu'il rencontra dans cette mission, y revient dans sa Biographie, où il entre dans de longs détails, afin de se défendre contre les attaques dont il avait été l'objet de la part de Justus de Tibériade, qui avait également écrit l'histoire de cette guerre désastreuse. L'animosité que Josèphe met dans sa justification peut faire supposer que ses adversaires, à tort ou à raison, lui avaient reproché des fautes très-graves et avaient jeté des doutes sur sa sincérité et son patriotisme. On a pu reprocher à Josèphe d'avoir manifesté dans mainte occasion une tendance révolutionnaire qui convenait mal au parti de la paix qu'il prétend avoir toujours soutenu, et d'un autre côté, d'avoir abandonné la cause des patriotes, dès que, prisonnier des Romains, il se vit condamné à quitter la scène politique. Mais s'il est vrai peut-être que la position que Josèphe occupait plus tard à Rome ne lui permettait pas de faire toujours connaître avec franchise les véritables motifs qui le faisaient agir lui-même et son parti ; s'il est vrai qu'il condamne trop légèrement les zélateurs en masse qui ne faisaient que pousser à leur extrémité les principes constamment professés par les Pharisiens, on n'a cependant aucun motif plausible pour mettre en doute la vérité des faits généraux racontés par Josèphe, et ce sont ces faits qui nous intéressent ici bien plus que le rôle individuel de quelques-uns des acteurs de ce drame. Notre sympathie et notre admiration sont pour le dévouement sublime de ces martyrs de la liberté, qui même, quand tout était déjà perdu, préférèrent la mort à la servitude ; mais il faut les plaindre d'avoir été le jouet d'hommes ambitieux et pervers ; car les chefs des zélateurs sont dépeints dans les traditions rabbiniques sous les mêmes couleurs noires que dans les écrits de Josèphe. Quant a ce dernier, il faut lui reconnaître de l'habileté, de la présence d'esprit et du courage dans les moments du danger ; dans son administration, disposant à l'âge de vingt-neuf ans d'un pouvoir absolu, il montrait à l'égard de ses adversaires cette douceur qui distinguait les Pharisiens et se laissait rarement entraîner par les circonstances à agir avec sévérité. Il aimait sincèrement sa patrie et était toujours jaloux de l'honneur national, mais son patriotisme était froid et réfléchi ; il était capable d'exposer sa vie pour le salut de son pays, mais il n'avait pas assez d'enthousiasme pour en faire le sacrifice en faveur d'un principe, d'une idée qui ne pouvait plus avoir d'application réelle, et il s'est fait remarquer plutôt par sa finesse et par sa flexibilité que par son exaltation. La carrière que nous allons le voir parcourir, comme homme politique et comme capitaine, est très-courte, mais non sans gloire. Josèphe, arrivé en Galilée, chercha tout d'abord à gagner la confiance et l'affection des habitants, en conférant une partie de son autorité à leurs propres représentants. Il composa, d'après le modèle du Synédrium, un grand conseil de soixante-dix hommes, et établit dans chaque ville un tribunal composé de sept juges pour décider les affaires d'une moindre importance. Il s'occupa ensuite de mettre le pays en état de défense, fortifiant les principales villes, parmi lesquelles nous remarquons celles de Tibériade, de Tarichée et de Gamala, qui faisaient partie du royaume d'Agrippa ; ce qui prouve qu'il y avait dans ces villes un fort parti pour défendre la cause nationale des Juifs, et que le roi Agrippa, créature des Romains, y avait perdu tout son crédit. Même Séphoris, qui s'était rendue à Cestius, reconnut l'autorité de Josèphe. Ce gouverneur rassembla plus de cent mille hommes capables de porter les armes ; n'ayant pas le temps de leur faire faire les exercices nécessaires, il chercha à y suppléer par la discipline dont les Romains lui donnaient l'exemple, et en établissant un grand nombre de chefs qui pussent régler les mouvements des plus petites divisions et qui étaient commandés eux-mêmes par des officiers supérieurs. En peu de temps il parvint a créer une armée disciplinée de soixante mille hommes de pied ; la cavalerie ne se composait que de deux cent cinquante hommes. Il avait, en outre, quatre mille cinq cents étrangers à sa solde et une garde de six cents hommes. Les succès de Josèphe excitèrent la jalousie de Jean, fils de Lévi, un des habitants les plus riches et les plus influents de la ville de Gischala, en Galilée. Cet homme, qui avait acquis une grande fortune par des moyens peu honnêtes, rebâtit la ville de Gischala, qui avait été détruite par les Syriens et les Phéniciens des environs, et la fortifia à ses frais ; ambitieux, méchant et artificieux, il ne craignit pas de calomnier Josèphe pour s'emparer lui-même d u gouvernement de la province, et il fit répandre le bruit que les armements de Josèphe n'avaient d'autre but que de livrer la Galilée aux Romains. Il gagna le parti révolutionnaire de Tibériade et notamment Justus, fils de Pistus, le même qui, plus tard, écrivit contre Josèphe. Averti des menées de Jean, Josèphe se rendit à Tibériade avec deux cents hommes ; mais, pour échapper aux assassins de Jean, il fut obligé de se retirer à Tarichée. Peu de temps après, quelques soldats ayant enlevé, sur la route, des effets de valeur appartenant à Agrippa et à Bérénice, Josèphe s'empara du butin dans l'intention de le restituer aux propriétaires. Cet acte devint le prétexte d'une nouvelle attaque contre Josèphe. Les révolutionnaires de Tibériade vinrent en masse à Tarichée ; les gardes de Josèphe, qui avaient été gagnés, le quittèrent pendant la nuit, et sa maison fut cernée par les rebelles. Josèphe, éveillé par un fidèle serviteur qui vint l'avertir du danger, se présenta devant la foule, les vêtements déchirés et la tête couverte de cendres, et promit de justifier sa conduite. Le peuple, touché de son air de suppliant, fit silence pour écouter le gouverneur, et celui-ci déclara qu'il s'était emparé du butin pour l'employer aux fortifications de Tarichée. Sur cette déclaration, les mécontents se retirèrent en grande partie ; mais les plus mutins poursuivirent Josèphe jusque dans sa maison et menacèrent d'y mettre le feu. Josèphe les harangua du haut du toit et leur demanda de lui envoyer quelques-uns des leurs pour s'entendre avec eux ; les chefs des rebelles étant entrés chez lui sans armes, il les fit saisir par ses gens, qui les déchirèrent à coups de fouet et les renvoyèrent tout sanglants. A leur vue, les rebelles furent tellement effrayés, qu'ils jetèrent leurs armes et s'enfuirent. Une nouvelle révolte, qui éclata à Tibériade, fut également apaisée par la fermeté et la présence d'esprit de Josèphe. N'ayant pas alors assez de troupes à sa disposition, il s'embarqua sur le lac de Tibériade et se fit suivre par deux cent trente bateaux. Les rebelles de Tibériade, voyant de loin ces bateaux et croyant qu'ils amenaient des troupes nombreuses, déposèrent les armes. Josèphe, arrivé sur le rivage, demanda qu'on lui envoyât les hommes les plus considérables pour écouter leurs plaintes, et les ayant fait embarquer, il les envoya à Tarichée. Un certain Clitus lui ayant été dénoncé comme chef de la révolte, Josèphe lui ordonna de se couper lui-même le bras gauche, sous peine de lui faire couper les deux bras, et le rebelle obéit en tremblant. Revenu à Tarichée, il usa de clémence envers les prisonniers ; Justus et son père, qui étaient du nombre, furent même invités à la table du gouverneur, qui, après leur avoir fait des réprimandes paternelles, leur rendit la liberté. Jean de Gischala, voyant ses complots déjoués, essaya alors d'user de l'influence de ses amis à Jérusalem pour faire destituer Josèphe par le Synédrium et se faire nommer lui-même gouverneur de Galilée ; mais toutes ses intrigues échouèrent contre la fermeté et l'adresse de Josèphe. A Jérusalem et dans tout le midi on avait également déployé une grande activité ; le prêtre Hanau et les autres autorités de Jérusalem travaillèrent avec zèle à préparer les moyens de défense. Les fortifications de la capitale furent remises en bon état ; on fabriqua des flèches, des lances et des machines de guerre, et la jeunesse s'exerça aux armes. Les partisans de la guerre, avides de combattre et fiers de la victoire remportée sur Cestius, s'empressèrent de marcher sur Ascalon, qui n'avait pour garnison qu'une cohorte d'infanterie et un escadron de cavalerie ; mais l'attaque des Juifs échoua contre la tactique et la discipline des Romains, et les assaillants furent repoussés avec une perte de dix mille hommes. Deux de leurs chefs, Silas le Babylonien et l'essénien Jean, furent au nombre des morts. Les Juifs, revenus à la charge en plus grand nombre, tombèrent dans une embuscade et perdirent encore huit mille hommes ; les autres prirent la fuite. Niger de Pérée, qui avait commandé les Juifs, se réfugia avec les débris de ses troupes dans une tour appelée Bézédel ; les Romains y mirent le feu, et les Juifs périrent presque tous dans les flammes. Niger, qui s'était sauvé dans un souterrain, en sortit vivant après trois jours. Simon, fils de Gioras, qui avait eu une grande part à la défaite de Cestius, faisait le tyran dans le district d'Acrabatène, sur les limites de la Samarie, où il se rendait redoutable par ses brigandages. Le gouvernement de Jérusalem envoya un détachement pour mettre un terme au désordre ; à l'approche des troupes, Simon s'enfuit à Masada, et se joignit aux rebelles qui occupaient cette place, pour faire des excursions en Idumée. Sur ces entrefaites, Néron, ayant fait un voyage en Achaïe (66), y fut informé des événements de la Palestine, par les envoyés de Cestius Gallus et d'Agrippa, qui présentèrent le gouverneur Florus comme la cause unique de tous les troubles. Néron confia le commandement en chef de l'armée de Syrie à Vespasien, qui s'était distingue par de brillants faits d'armes dans la Germanie et la Grande-Bretagne. Vespasien, qui se trouva en Achaïe auprès de l'empereur, passa l'Hellespont pour se rendre en Syrie par l'Asie Mineure, tandis qu'il envoya son fils Titus à Alexandrie pour y aller chercher la cinquième et la dixième légion et les amener en Palestine. A Antioche Vespasien trouva Agrippa, qui était venu lui amener ses troupes ; ils se rendirent ensemble à Ptolémaïde, où Titus vint les rejoindre plus promptement que la mauvaise saison n'avait permis de l'espérer. Quelques petits rois des pays environnants, Antiochus de Comagène, Sohem et l'Arabe Malchus, amenèrent des troupes auxiliaires, et, vers la fin de l'hiver de l'an 67, environ quinze ou seize mois après la défaite de Cestius Gallus[80], une armée formidable, qui comptait plus de soixante mille hommes, fut prête à fondre sur la Palestine. Le général romain Placidus préluda à la guerre par quelques excursions en Galilée et tua beaucoup de Juifs dans les campagnes. Il essaya même une attaque contre Jotapat ; cette ville, située sur un rocher escarpé entouré de profonds ravins, était la mieux fortifiée de toute la Galilée. Les Juifs sortirent au-devant de l'ennemi et le forcèrent de se retirer. Josèphe campa dans les environs de Séphoris, attendant un moment favorable pour s'emparer de cette ville, qui venait de se rendre aux Romains et de recevoir une garnison. Bientôt toute l'armée de Vespasien entra en Galilée ; son approche répandit l'alarme parmi les soldats de Josèphe, qui se débandèrent. Josèphe fut obligé de se retirer à Tibériade, où son arrivée répandit la consternation. Il écrivit au gouvernement de Jérusalem pour lui demander des secours ; mais, ayant appris que Vespasien s'était emparé de Gabara[81] et qu'il se préparait à marcher sur Jotapat, le gouverneur de la Galilée crut devoir se rendre lui-même dans cette dernière ville pour la défendre en personne ; car avec elle toute la Galilée était perdue. Josèphe y arriva le 21 Iyyar (avril-mai). Bientôt après, Vespasien mit le siège devant cette forteresse qui n'était accessible que du côté du nord, où elle était défendue par une forte muraille. Josèphe était décidé à faire la résistance la plus vigoureuse ; son courage était digne de ses vaillants compagnons d'armes, et son génie inépuisable imagina chaque jour de nouveaux moyens de défense, qui étonnèrent les Romains, et dont les terribles effets ébranlèrent leur courage. Les Juifs firent des prodiges de valeur ; souvent ils sortirent et détruisirent les travaux des ennemis. Quand les Romains furent parvenus à grand'peine à élever leurs ouvrages au niveau de la muraille, Josèphe fit hausser celle-ci de vingt coudées, en protégeant les soldats qui y travaillaient par de fraîches peaux de bœufs tendues sur des poutres qu'on avait érigées de distance en distance ; les flèches et tous les projectiles lancés par les Romains glissèrent ou rebondirent, et le feu resta sans action sur ces peaux humides. Vespasien renonça enfin à l'assaut, et résolut d'affamer la ville ; il avait appris qu'on y manquait surtout de sel et d'eau. Déjà Josèphe perdait courage, mais, sur les instances des habitants, il prit l'offensive et força ainsi Vespasien à recommencer la lutte. Les machines des Romains jouèrent, le grand bélier menaça de faire la brèche ; mais Josèphe fit suspendre à la muraille des sacs remplis de balle qui amortirent les coups. Les Romains ayant essayé de couper les sacs, les Juifs sortirent en fureur, et, en un clin d'œil, les ouvrages de l'ennemi furent dévorés par les flammes. Un certain Eléazar, fils de Saméas, se distingua par un acte d'héroïsme sans exemple, qui le voua à une mort certaine. Lançant de toutes ses forces une énorme pierre contre le bélier, il en abattit la tête ; il courut ensuite la ramasser en présence des ennemis, remonta au milieu d'une grêle de flèches qui le poursuivit et montra aux Romains la tête de leur bélier ; mais bientôt il tomba percé de cinq flèches. Les Romains amenèrent un autre bélier ; un terrible combat s'engagea et se prolongea bien avant dans la nuit ; mais le courage de lion des assiégés dut céder devant la force supérieure des Romains, et le lendemain matin, le 20 Siwan (mai-juin), on vit l'ennemi prêt à monter sur la brèche. Déjà les Romains croyaient triompher ; mais les Juifs, trop faibles pour vaincre, étaient décidés à se vouer à la mort pour leur faire payer cher la victoire. Les soldats romains serrèrent leurs rangs, et montant à l'assaut sous l'abri d'un toit de boucliers, ils furent subitement inondés, par les Juifs, de flots d'huile bouillante ; ce feu, pénétrant à travers les armures des assaillants, en fit périr un grand nombre dans les plus horribles douleurs. Les derniers rangs continuant à monter, malgré le spectacle horrible qu'ils avaient devant les yeux, les Juifs, n'ayant plus d'huile, versèrent du fenugrec cuit sur les planches qui servaient de pont aux assaillants ; ceux-ci glissèrent et tombèrent dans les fossés, s'écrasant les uns les autres ; d'autres périrent par les traits des Juifs. Le soir Vespasien fit sonner la retraite ; l'armée romaine avait fait de grandes pertes ; les Juifs n'avaient que six morts, mais ils comptèrent plus de trois cents blessés. Cependant le courage des Romains n'était pas abattu, et la victoire des Juifs ne fit que retarder de quelques jours la chute de Jotapat. Vespasien lit élever de hauts remparts garnis de tours, d'où les archers et les frondeurs pussent attaquer les Juifs et les forcer de quitter la muraille, pendant que les autres troupes monteraient à l'assaut. Pendant ces préparatifs, titi détachement fut envoyé par Vespasien contre une forteresse voisine, appelée Japha ; une partie de la garnison, encouragée par la résistance héroïque de Jotapat, alla au-devant des Romains. Les Juifs furent repoussés et poursuivis jusque dans la première enceinte ; aussitôt les habitants de Japha fermèrent aux fugitifs les portes de la deuxième Muraille, de peur que les Romains n'y entrassent avec eux, et les malheureux, enfermés entre les deux murailles, furent égorgés par les Romains au nombre de douze mille. Les Romains, renforcés par un nouveau détachement sous le commandement de Titus, fils de Vespasien, se rendirent maîtres de Japha, le 25 Siwan. On combattit encore six heures dans les rues de la ville ; les Romains massacrèrent tous les hommes, et emmenèrent les femmes et les enfants. Deux jours après, les Samaritains, qui, également en révolte contre les Romains, s'étaient retranchés sur le mont Garizim et se trouvaient réduits à la dernière extrémité par la chaleur et le manque de vivres, furent attaqués par Céréalis, général de la cinquième légion ; refusant de se rendre, ils furent massacrés au nombre de onze mille six cents hommes. Jotapat vit arriver sa dernière heure. Sur le conseil d'un transfuge qui avait fait connaître à Vespasien l'épuisement des assiégés, les Romains tentèrent un nouvel assaut de très-bon matin, à l'heure où les défenseurs de la ville se livraient au repos. Titus dirigea l'attaque. Les Romains, après avoir tué l es gardes, se rendirent facilement maîtres de la muraille, qui n'était pas défendue, et pénétrèrent au milieu de la ville à la faveur d'un épais brouillard. Les habitants ne s'éveillèrent que pour voir les glaives des ennemis levés sur leurs têtes ; une lutte désespérée s'engagea dans les rues. Beaucoup de Juifs se donnèrent eux-mêmes la mort ; quelques-uns opposèrent, dans une tour, une courte et vaine résistance. Tous les habitants furent massacrés sans ménagement, à l'exception des femmes et des petits enfants ; le nombre des morts, y compris ceux qui avaient succombé pendant le siégé, se montait à quarante mille ; 'on ne fit que douze cents prisonniers. Tel fut le terrible dénouement de cette lutte sanglante qui avait duré quarante jours[82] ; ce fut le 1er Thammouz (juin-juillet) que les Romains prirent Jotapat. Âpres lé massacre des habitants, les fortifications furent rasées et la ville livrée aux flammes. Josèphe s'était réfugié, avec quarante de ses principaux compagnons d'armes, dans une citerne d'où ils purent pénétrer dans un souterrain et échapper, pendant plusieurs jours, aux investigations des Romains. Une femme ayant fait connaître aux ennemis le lieu où Josèphe était caché, Vespasien le fit sommer de se rendre avec ses gens, leur promettant son pardon. Josèphe voulut y consentir, mais les autres préférèrent la mort. Ce fut en vain que Josèphe épuisa son éloquence et ses raisonnements pour fléchir ses compagnons, en leur démontrant que le suicide était un acte criminel ; on menaça de le tuer, s'il refusait de se donner volontairement la mort. Dans cette perplexité, Josèphe proposa, pour éviter le suicide, qu'on se tuât les uns les autres selon un tour de rôle qui serait fixé par le sort. Cette proposition fut adoptée ; le sort ayant réservé Josèphe pour la fin, il persuada à son compagnon d'infortune, qui devait l'égorger, de sortir tous deux de la citerne et de se rendre aux Romains. Conduit devant Vespasien, qui voulut l'envoyer à Néron, Josèphe lui demanda un entretien secret qui lui fut accordé et qui n'eut d'autres témoins que Titus et deux amis de Vespasien. Josèphe alors, pour gagner du temps, essaya au hasard, ou (comme il le dit lui-même) inspiré par un songe, de deviner l'avenir, et prédit à Vespasien qu'il serait empereur, proposant qu'on le gardât dans les fers, jusqu'à ce que sa prédiction se fût accomplie[83]. Sur la prière de Titus, qui fut touché de la jeunesse et de la bravoure de Josèphe, celui-ci fut traité avec générosité. Plus tard, quand Vespasien eut été proclamé empereur, l'habile prophète fut rendu a la liberté. Quel que soit le jugement qu'on porte sur la conduite de Josèphe, l'historien rendra grâce à la Providence de la conservation miraculeuse de cet homme illustre ; car, saris lui, nous serions dans une complète ignorance sur les détails de cette guerre mémorable. C'est lui seul qui a conservé à la postérité la mémoire des magnanimes défenseurs de Jotapat et qui a présenté à notre admiration l'héroïque dévouement de ses compagnons, sans nous cacher sa propre faiblesse. La Providence a voulu l e conserver pour faire l'oraison funèbre de son peuple et personne ne disconviendra qu'il ne se soit acquitté de cette tâche avec un talent admirable. Le 4 Thammouz, Vespasien partit pour Ptolémaïde. De là il alla à Césarée, où les habitants, tous païens, lui firent un brillant accueil et lui demandèrent la mort de Josèphe ; mais Vespasien ne tint aucun compte de leur fureur sanguinaire, et ne daigna pas même leur répondre. — Quelque temps après, Joppé tomba de nouveau au pouvoir des Romains. On se rappelle que cette forteresse avait été détruite l'année précédente par Cestius ; la ville avait reçu de nouveaux habitants qui se livraient à la piraterie, et les fortifications avaient été rétablies. A l'approche des Romains, les habitants se sauvèrent sur leurs vaisseaux et s'enfuirent sur la mer, où ils périrent presque tous, dans une tempête, au nombre de quatre mille deux cents. Les fortifications furent rasées une seconde fois, à l'exception d'une citadelle, qui reçut une garnison romaine. Avant de marcher sur Jérusalem, Vespasien voulut achever la conquête de la Galilée. Après avoir pris vingt jours de repos à Panéas, il se dirigea sur Tibériade ; cette ville, où le parti de la paix était le plus fort, ouvrit ses portes aux Romains, et fut épargnée en faveur d'Agrippa. Tarichée résista ; la ville ayant été prise au mois d'Éloul, beaucoup de ses habitants montèrent sur des barques et s'enfuirent sur le lac de Tibériade. Les Romains les ayant poursuivis sur des radeaux, il s'engagea un combat naval, qui fut fatal pour les Juifs. Un conseil de guerre jugea les habitants de cette ville rebelle, dont six mille cinq cents avaient péri dans le combat ; douze cents furent condamnés à mort, six mille furent envoyés à Néron, pour les employer à percer l'isthme de Corinthe, et plus de trente mille furent vendus comme esclaves. Un certain nombre de brigands, qui s'étaient mêlés aux combattants, furent livrés au roi Agrippa, leur souverain. Gamala, de l'autre côté du lac, une des villes les mieux fortifiées, imita l'exemple de Jotapat, et fit, pendant un mois, une résistance désespérée. Agrippa, qui la somma en personne, fut blessé d'un coup de pierre. La conquête de cette ville, qui eut lieu le 23 Thischri (septembre-octobre), coûta cher aux Romains ; mais aussi leur vengeance fut terrible. Tous les habitants furent égorgés ; ceux que le glaive des Romains ne put atteindre se donnèrent eux-mêmes la mort. Pendant le siège de Gamala, un détachement romain prit la forteresse du mont Thabor. La campagne de cette année (67) se termina par la prise de la forteresse de Gischala, dans laquelle le fameux Jean avait le commandement. Titus l'ayant fait sommer un jour de sabbat, Jean prétexta la sainteté de ce jour pour remettre les négociations au lendemain ; mais, dans la nuit, il s'échappa avec un grand nombre de ses partisans. Les fugitifs périrent en partie sous les coups des soldats romains qui les poursuivirent ; mais Jean arriva sain et sauf à Jérusalem. Gischala ouvrit ses portes aux Romains. Toute la Galilée se trouvant soumise, les Romains allèrent prendre leurs quartiers d'hiver à Césarée et à Scythopolis. A Jérusalem, les nouvelles de la Galilée causèrent une grande agitation. La situation de la malheureuse ville était devenue plus effrayante de jour en jour ; les zélateurs disposaient de fait de tous les pouvoirs, et leur domination tyrannique pesait durement sur la population qui, en grande partie, désirait la paix. Plusieurs membres de la famille royale d'Hérode, et en général ceux qui passaient pour riches ou qui occupaient une position distinguée, furent arrêtés comme suspects et périrent dans la prison par le fer des assassins. Mathias, fils de Théophile, fut dépouillé, par les zélateurs, de la dignité pontificale, et il fut convenu que le nouveau grand prêtre serait désigné par le sort. C'est ainsi que le pontificat fut donné à un prêtre de la campagne, nommé Phannias, fils de Samuel, qui fut installé malgré lui ; son ignorance devint un sujet de railleries pour les zélateurs eux-mêmes, qui ne craignirent pas de profaner ainsi le saint ministère. Tous les gens de bien furent dans la consternation. Le prêtre Hanan, qui était toujours commandant de Jérusalem, s'éleva avec force contre ces excès abominables ; il fut appuyé par Jésus, fils de Gamala, ancien pontife, et par un des plus célèbres docteurs, Siméon, fils de Gamaliel ; leurs paroles énergiques firent une profonde impression sur le peuple ; on fit la guerre aux zélateurs, qui, après plusieurs combats sanglants, furent refoulés dans le parvis intérieur du Temple, où Hanan, par respect pour le lieu saint, ne voulut pas les attaquer. Le désordre augmenta encore par l'arrivée de Jean de Gischala, dont l'ambition et l'astuce avaient causé tant de malheurs en Galilée. Par son hypocrisie, il sut gagner la confiance de Hanan, qui le choisit comme médiateur entre les zélateurs et le peuple. La paix ne convenait pas à ses vues ambitieuses ; au lieu de calmer les zélateurs, il chercha à exciter leurs fureurs, en leur persuadant que Hanan était prêt à livrer la capitale aux Romains, et qu'il en voulait à la vie des principaux chefs des zélateurs, qui étaient alors Éléazar, fils de Simon, et Zacharie, fils de Phalec. Les zélateurs trouvèrent moyen de faire partir secrètement quelques émissaires pour appeler à leur secours les Iduméens, qui arrivèrent bientôt, au nombre de deux mille, sous les murs de Jérusalem. Hanan leur refusa l'entrée ; mais dans la nuit, les zélateurs, à la faveur d'un violent orage et au milieu du bruit du tonnerre, purent sortir du Temple sans être aperçus par les gardes, et ouvrir les portes, dont ils scièrent les verrous. Les Iduméens pénétrèrent dans le parvis du Temple, en tuant les postes ; l'alarme se répand ; les Iduméens réunis aux zélateurs portent le carnage au milieu de ceux qui occupaient le parvis, se répandent dans la ville et massacrent tous ceux qui se présentent, et les premiers rayons de l'aurore montrent huit mille cinq cents cadavres. Le massacre se continue dans la ville ; Hanan et Jésus, fils de Gamala, tombent sous les coups des assassins, et leurs corps sont jetés en proie aux chiens. En peu de jours, on compte dans Jérusalem douze mille victimes. Un homme de distinction, nommé Zacharie, fils de Baruch, dont la richesse et les vertus donnèrent de l'ombrage aux zélateurs, fut placé devant un Synédrium extra ordinaire, sous l'accusation imaginaire d'entretenir des intelligences avec Vespasien pour livrer la Judée aux Romains. Zacharie n'eut pas de peine à démontrer toute l'absurdité de cette accusation, et, malgré l'attitude menaçante des zélateurs, il fut absous par les juges. Mais deux des plus furieux zélateurs l'égorgèrent dans le parvis du Temple, et le Synédrium improvisé fut dispersé à coups de plat d'épée. Les Iduméens eux-mêmes furent tellement révoltés de ces scènes d'horreur qu'ils quittèrent la ville, après avoir délivré deux mille citoyens retenus en prison par les zélateurs. Ces derniers n'en continuèrent pas moins à sévir contre tous les citoyens paisibles, qui alors cherchèrent à &enfuir en grand nombre. Les zélateurs occupèrent toutes les issues de la ville, pour empêcher l'émigration, et ceux qu'on surprenait dans leur fuite furent accusés de trahison et mis à mort. Les rues de Jérusalem étaient jonchées de cadavres, et ceux qui cherchaient à les ensevelir furent traités de suspects et voués à la mort. Un des plus célèbres docteurs, Johanan, fils de Zacchaï, ne put sortir de la ville qu'enfermé dans un cercueil ; le fils de sa sœur, qui était un des chefs des zélateurs, favorisa sa fuite. Ayant fait répandre le bruit que son oncle était mort, il se présenta avec le convoi à la porte de la ville, et invoquant le respect dû à la dépouille mortelle de l'illustre docteur qu'il allait conduire au lieu de sépulture, il trompa les gardes qui voulaient examiner le cercueil[84]. Vespasien jugea convenable d'abandonner Jérusalem à son sort, ne doutant pas que les divisions intérieures ne finissent par en rendre la conquête très-facile. Au printemps de l'an 68, les Romains ouvrirent la campagne en Pérée, et se dirigèrent sur Gadara, dont les principaux habitants avaient invoqué leur secours contre les révolutionnaires ; ceux-ci s'enfuirent, après avoir massacré les partisans des Romains. La ville fut prise, et Vespasien envoya Placidus à la poursuite des fugitifs ; ils périrent presque tous, les uns par les armes des soldats romains, les autres noyés dans le Jourdain qui était alors débordé. Toutes les villes de la Pérée furent successivement soumises, à l'exception de la forteresse de Machérous. Vespasien pénétra ensuite en Judée ; en peu de temps il se rendit maître de la côte ; Lydda et Jamnia se soumirent volontairement. Ayant établi à Emmaüs un camp retranché, il se dirigea vers le Jourdain, en passant par la Samarie. Près de Jéricho, il rejoignit une division venant de Pérée ; les habitants de Jéricho s'étant presque tous enfuis dans les montagnes, cette ville fut prise sans effort. Vespasien laissa des garnisons à Jéricho et à Hadida, et Jérusalem dès lors se trouvait cernée de tous les côtés. Revenu à Césarée, Vespasien reçut la nouvelle de la mort de Néron et de l'avènement de Galba. Il suspendit alors les opérations et fit partir son fils Titus, accompagné du roi Agrippa, pour aller féliciter le nouvel empereur. Arrivé en Achaïe, Titus apprit que déjà Galba n'existait plus et qu'Othon avait été proclamé empereur ; il revint aussitôt en Palestine, laissant Agrippa continuer seul le voyage de Rome. L'année 68 s'était ainsi écoulée sans que les Romains eussent mis le siège devant Jérusalem. Pendant les premiers mois de l'année suivante (69), Vespasien était encore tenu en suspens par l'incertitude dans laquelle il se trouvait à l'égard des événements de Rome. Au mois de juin, il soumit les districts de Gophna et d'Acrabatène, ainsi que les petites villes de Bethel et d'Éphraïm ; en même temps Céréalis conquit la haute Idumée. Toute la Palestine était au pouvoir des Romains, à l'exception de Jérusalem et des trois forteresses de Machérous, d'Hérodion et de Masada, qui étaient occupées par les zélateurs. De retour à Césarée, Vespasien reçut la nouvelle de l'avènement de Vitellius, entré à Rome à la tête des légions germaniques. Cette nouvelle excita le mécontentement de l'armée de Syrie, qui, de son côté, proclama Vespasien empereur (juillet 69) ; dès lors il dut ajourner la conquête de Jérusalem, pour ne s'occuper que de celle de Rome. Il écrivit aussitôt à Tibère Alexandre, gouverneur d'Égypte, qui le fit reconnaître, sans difficulté, dans cette province[85]. S'étant rendu à Béryte, il y reçut plusieurs députations qui lui présentèrent leurs hommages ; dès lors il fit rompre les fers de Josèphe, dont la prédiction était accomplie. Il alla à Alexandrie, accompagné de Titus ; de là il se rendit à Rome, chargeant Titus d'achever la guerre en Judée. Sur ces entrefaites, la guerre civile continua ses ravages dans Jérusalem, et la malheureuse ville pleurait chaque jour de nouvelles victimes. Simon fils de Gioras, s'étant brouillé avec les zélateurs de Masada, avait rassemblé dans les montagnes une armée de vingt mille hommes et envahi l'Idumée, y portant le massacre et le pillage. Il avait cherché en vain à s'emparer de Masada ; mais il se livra à de terribles actes de vengeance contre les zélateurs, qui avaient fait prisonnière sa femme, et elle lui fut rendue. Ses courses vagabondes et la poursuite d'une bande d'Iduméens' qui se jeta dans Jérusalem, l'avaient conduit aux environs de cette capitale, où sa présence répandit l'alarme. A Jérusalem, Jean 'avait continué son régime de terreur, et la population mise au désespoir l'ayant attaqué et refoulé dans l'enceinte du Temple, mais n'étant pas assez forte pour le tenir longtemps en échec, appela à son secours Simon et ses hordes, vers la Pâque de l'an 69. Simon put empêcher Jean de sortir et de fondre sur la ville ; mais il ne fut pas capable de l'expulser et de réduire les zélateurs. Bientôt Simon s'empara de la haute ville et d'une grande partie de l'Acra, et Jérusalem vit en lui un nouveau tyran. En même temps Éléazar, autrefois chef des zélateurs, s'éleva contre la tyrannie de Jean, qui voulait seul commander en maître. Éléazar se retira, avec ses partisans, dans l'enceinte intérieure du Temple, qui, par sa position très-élevée, était inexpugnable, et qui renfermait des provisions abondantes. Dès lors trois factions se partageaient la ville de Jérusalem. Jean se trouvait continuellement en guerre avec Simon et avec Éléazar. Simon entretenait abondamment ses troupes aux dépens de la population. Jean, impuissant contre Éléazar, faisait souvent des sorties contre Simon, pillait et incendiait les maisons, et les provisions accumulées dans Jérusalem furent en grande partie consommées par les bandes des deux adversaires ou dévorées par les flammes[86]. Malheur au citoyen paisible qui avait l'air de se plaindre ; c'était un traître, un ami des Romains, il était voué à la mort. Les cadavres de ceux gui tombaient dans les combats journaliers, oit qu'on massacrait comme traîtres, étaient entassés chaque jour dans les rues et restaient sans sépulture. — Au milieu de ce désordre, on offrait encore des sacrifices dans le Temple ; les zélateurs laissaient entrer les fidèles qui leur en demandaient la permission ; mais souvent les prêtres et les fidèles étaient tués ou blessés par les traits des factions belligérantes. Jérusalem se trouvait encore dans cette terrible situation, lorsque, au printemps de l'an 70, Titus, revenu d'Alexandrie à Césarée, s'approcha avec les légions romaines, les troupes d'Agrippa et d'autres auxiliaires. Il se dirigea par la Samarie et par Gophna, sur Gabaa, ou Gabath Saül, où il établit un camp. Étant allé un jour, avec six cents cavaliers, faire une reconnaissance dans les environs de Jérusalem, et s'étant avancé jusque vers la tour Pséphina, il se vit subitement entouré par les Juifs et séparé de la plus grande partie de sa suite, et ce ne fut que par miracle qu'il put se frayer un chemin à travers les ennemis et s'échapper au milieu d'une grêle de flèches et de javelots. Il fit ensuite avancer son camp jusqu'à Sophim (ou Skopos). La dixième légion étant venue camper sur la montagne des Oliviers, les différentes factions se réunirent enfin pour repousser l'ennemi commun. La légion fut ébranlée par l'attaque impétueuse des Juifs ; mais Titus vint à son secours et força les Juifs de repasser le torrent de Kidron. Malheureusement l'union des partis fut de courte durée : à la fête de Pâques, le 14 Nisan, Éléazar avant fait ouvrir les portes du parvis intérieur, pour laisser entrer les fidèles qui, malgré la guerre, étaient arrivés en grand nombre à Jérusalem, Jean mêla dans la foule une partie de ses gens qui avaient des armes cachées sous leurs vêtements, et ces hommes qui disaient combattre pour Dieu et pour le maintien des lois nationales, n'hésitèrent pas à profaner les lieux saints et à troubler les solennités religieuses par un horrible carnage. Les assassins frappèrent en même temps et les zélateurs d'Éléazar et les troupes inoffensives des fidèles, et le sang coulait à flots dans les parvis du Temple. Jean resta maître de l'enceinte intérieure, et au lieu de trois factions, il n'y en eut plus que deux[87]. Simon occupait avec quinze mille hommes la haute et la basse ville Jean, avec ses six mille hommes, et Éléazar, qui s'était rendu à lui avec deux mille quatre cents zélateurs, occupaient le Temple avec ses environs incendiés, la place Ophla et la muraille de l'est qui dominait la vallée du Kidron. Titus avança son camp jusqu'à deux stades de la capitale, dont le siège, comme toujours, se fit principalement du côté du nord. Le corps de l'armée romaine commandé par Titus campa au nord-ouest en face de la tour Pséphina, qui était de forme octogone et avait soixante-dix coudées de hauteur ; une division campa à l'ouest, en face de la tour quadrangulaire Hippieos, haute de quatre-vingts coudées, et la dixième légion garda sa position à l'est, sur la montagne des Oliviers[88]. Après avoir fait vainement sommer les Juifs par Josèphe, qui se trouvait au camp, et par quelques Romains, Titus fit commencer les opérations du siège. Les deux factions, réunies pour la défense commune, firent de vains efforts pour repousser l'ennemi et détruire les ouvrages. Au bout de quinze jours, les Romains, après avoir essuyé de grandes pertes, purent pratiquer la brèche, et se rendre maîtres du quartier de Bezetha, le 7 Iyyar (avril-mai) ; les Juifs se retirèrent derrière la deuxième muraille. Des deux côtés la lutte se continua avec une fureur extrême. Après cinq jours les Romains purent pénétrer dans la basse ville (Acra) ; mais chaque pas qu'ils voulaient faire en avant leur coûtait cher, chaque rue devint un champ de bataille, chaque maison une forteresse, et après une lutte acharnée dans laquelle Titus lui-même courut de grands dangers, les Romains se retirèrent. Au bout de quatre jours cependant, ils parvinrent à se rendre maîtres de l'Acra et à s'y maintenir. Les Juifs n'occupaient plus que la haute ville, la forteresse Antonia et le Temple ; mais Jean et Simon, ainsi que leurs soldats, étaient bien décidés à verser leur dernière goutte de sang plutôt que de se rendre. Si les abondantes provisions de Jérusalem n'avaient pas été dévorées par les flammes et si la paix avait régné à l'intérieur, les Juifs auraient pu résister longtemps dans leurs positions inexpugnables. Titus envoya de nouveau Josèphe pour faire sommer les Juifs. En vain Josèphe, placé à quelque distance de la muraille, essaya, dans un long discours, de montrer aux Juifs que c'était Dieu lui-même qui livrait la ville aux Romains, et que les crimes horribles qu'ils avaient commis ne leur permettaient pas de compter sur la miséricorde divine ; en vain il leur dépeignit les angoisses de la famine qui allait les exterminer ; pour toute réponse les Juifs lancèrent des flèches contre Josèphe et l'accablèrent de malédictions. Titus se prépara à attaquer la troisième muraille. A la fin du mois d'Iyyar, on avait achevé quatre terrasses dont deux étaient dirigées contre la forteresse Antonia et deux contre la haute ville. Jean ayant fait miner le terrain, l'une des terrasses s'écroula ; les soldats de Simon attaquèrent les autres, avec le courage du désespoir, et brûlèrent les machines de guerre ; ils pénétrèrent même dans le camp romain et y firent un grand carnage. Titus prit la résolution de réduire la ville par la famine qui déjà avait commencé ses ravages ; pour couper aux Juifs toute ressource du dehors, il fit construire par ses soldats, avec une incroyable rapidité, une muraille qui entourait la ville de tous les côtés, elle avait trente-neuf stades de circuit et était garnie de treize tours. Les malheureux habitants de Jérusalem voyaient la mort sous mille formes planer sur leurs têtes. Plusieurs vendaient leur patrimoine pour une mesure de froment ou d'orge ; chaque jour d'innombrables victimes moururent dans les souffrances et dans les angoisses de la faim ou furent immolées par les barbares qui se disaient les défenseurs de la patrie. Ceux-ci parcouraient les maisons et faisaient subir aux habitants les plus horribles tortures pour leur arracher les vivres qu'ils pouvaient encore posséder ; ils enlevaient aux pauvres les herbes qu'ils avaient cueillies au péril de leur vie, et assassinaient les riches en les accusant de trahison et de désertion. L'ingrat Simon accusa l'ancien pontife Mathias, qui l'avait reçu dans la ville, de vouloir passer du côté des Romains, et le fit mourir avec ses trois fils et seize autres citoyens. Un des officiers de Simon, profondément indigné de ces excès, voulut se rendre aux Romains avec sa troupe ; mais Simon, l'ayant prévenu, le lit mettre à mort avec dix de ses complices. Les horreurs de la famine étouffèrent tous les sentiments humains et déchirèrent tous les liens de la nature. La femme arrachait le morceau de pain de la bouche de son mari, le fils de celle son vieux père, la mère enlevait à son enfant sa chétive nourriture. La famine forçait les habitants de sortir armés pour aller chercher des herbes ; Titus faisait crucifier tous ceux qui furent saisis par les Romains, et il en mourait de cette manière jusqu'à cinq cents par jour. Les zélateurs ayant fait répandre le bruit que c'étaient les transfuges qu'on traitait de la sorte dans le camp romain, Titus fit couper les bras à plusieurs prisonniers et les renvoya dans la ville pour qu'ils y fissent connaître la vérité. Malgré cette cruelle extrémité, les zélateurs tuaient tous ceux qui osaient leur conseiller de se rendre aux Romains ; ils insultaient à ceux qui mouraient de faim et se faisaient un cruel jeu de les percer de leurs épées. Les rues étaient pleines de cadavres qu'on ne pouvait enterrer et qu'on jetait dans les ravins qui entouraient la ville. Pendant que le peuple périssait par la faim, Jean et ses soldats se nourrissaient de l'huile sacrée et du vin destiné aux sacrifices. — Ceux qui étaient assez heureux pour pouvoir passer aux Romains périssaient bientôt par l'excès de nourriture. Des soldats syriens surprirent un juif qui ramassait dans ses excréments de l'or qu'il avait avalé ; aussitôt le bruit se répandit que les transfuges juifs avaient de l'or dans l'estomac, et en une seule nuit, les soldats éventrèrent deux mille Juifs. Titus chercha en vain à arrêter, par des menaces, cette barbarie inouïe. Josèphe, qui essaya de nouveau de parler aux assiégés, manqua d'être tué par une pierre lancée contre lui ; tombé évanoui, il ne put être sauvé qu'avec peine des mains des Juifs qui accoururent pour le traîner dans la ville. Les Romains avaient recommencé les travaux du siée ; en vingt et un jours ils avaient relevé les ouvrages détruits, malgré les grandes difficultés qu'ils eurent à vaincre ; car il fallut aller chercher à une distance de quatre-vingt-dix stades le bois dont on avait besoin. Le 1er Thammouz (juin-juillet) on commença à donner l'assaut à la forteresse Antonia ; la muraille s'étant écroulée, les Romains virent à leur désespoir une seconde muraille qui avait été élevée à l'intérieur. Celle-ci fut attaquée sans succès le 3 Thammouz ; après plusieurs combats des plus sanglants, la forteresse fut prise le 5 du même mois, mais les Juifs se retranchèrent dans l'enceinte du Temple. Titus donna ordre à ses soldats de raser la forteresse Antonia, afin de faciliter la prise du Temple. Le 17 Thammouz on cessa d'offrir les sacrifices quotidiens, qui jusque-là, malgré les terreurs de la guerre, n'avaient pas été interrompus. Titus envoya encore une fois Josèphe auprès de Jean, pour le conjurer de ne pas profaner le Temple et de venir avec toutes ses troupes lui livrer bataille hors de l'enceinte sacrée. Jean ne répondit à Josèphe que par des injures ; Jérusalem, la ville de Dieu, ne saurait être détruite. En vain Titus s'approcha-t-il lui-même de la muraille, pour engager Jean à sortir, protestant de sa sollicitude pour la conservation du Temple ; tout fut inutile, les zélateurs prétendirent que c'était la peur qui avait dicté les paroles de Titus, et celui-ci se vit obligé de recommencer l'attaque. Dès le lendemain, à trois heures du matin, des troupes d'élite tombèrent sur les postes des Juifs ; il faisait encore nuit, les soldats juifs accourus ne se reconnaissant pas les uns les autres tuèrent beaucoup des leurs, tandis que les Romains se reconnaissaient au mot d'ordre. Le combat se prolongea jusqu'à midi, mais la victoire resta Indécise. Au bout de sept jours, la forteresse Antonia ayant été entièrement rasée, les Romains élevèrent sur son emplacement leurs terrasses contre le Temple. Les Juifs, qui venaient d'être battus dans une sortie qu'ils avaient faite du côté de la montagne des Oliviers, voyant les ouvrages des Romains très-avancés, mirent eux-mêmes le feu aux portiques du nord-ouest du Temple, par lesquels celui-ci communiquait avec la forteresse Antonia. Deux Jours après, le 24 Thammouz, le portique du nord fut dévoré par le feu que les Romains y avaient lancé. Les Juifs, au lieu d'éteindre le feu, se réjouissaient de l'incendie, le croyant avantageux pour leur position militaire. Le 27, ils remplirent les portiques de l'occident de bois sec, de soufre et d'asphalte ; y ayant attiré les Romains, en simulant une fuite, ils y mirent le feu et beaucoup de Romains périrent dans les flammes. Les horreurs de la famine augmentèrent de plus en plus dans l'enceinte du Temple et dans la haute ville ; les soldats juifs étaient réduits à manger les courroies des sandales, les cuirs des ceintures et des boucliers. Une femme de Pérée, appelée Marie, à qui les soldats avaient enlevé les derniers restes de nourriture, et qui implorait vainement la mort, saisit dans son désespoir son jeune fils qui se mourait à côté d'elle, l'immola, fit rôtir sa chair et en dévora la moitié. Les soldats, attirés par l'odeur, menacèrent la malheureuse de la tuer sur-le-champ si elle ne leur livrait la nourriture qu'elle venait de préparer. Voici, dit-elle, en montrant les restes de son enfant, je vous ai réservé une bonne portion. Les barbares, saisis de terreur à cet affreux spectacle, ne purent proférer un mot. C'est mon enfant, continua Marie ; c'est moi-même qui ai commis cette action ; mangez, j'en ai mangé aussi, ne soyez pas plus tendres qu'une femme, plus sensibles qu'une mère. Les soldats s'enfuirent en tremblant. L'horrible histoire s'étant répandue dans la ville, beaucoup de malheureux exténués par la faim se donnèrent la mort, estimant heureux ceux qui avaient pu mourir avant d'apprendre cette affreuse nouvelle. Titus protesta devant Dieu que c'étaient les Juifs eux-mêmes qui avaient préféré ces désastres à la paix qu'il leur avait offerte. Les béliers des Romains avaient vainement battu, pendant six jours, le mur occidental de l'enceinte intérieure ; vainement les Romains avaient essayé de saper les fondements de la porte du nord. Le 8 Ab (juillet-août), Titus donna ordre d'escalader le haut des portiques au moyen des échelles. Les Romains purent monter sans obstacle ; mais à peine arrivés au haut du mur, ils furent renversés par les Juifs, qui leur arrachèrent même leurs enseignes. Titus voyant toutes ses tentatives échouer contre la résistance opiniâtre des Juifs, fit mettre le feu aux portes ; le revêtement d'argent fondit, le bois fut consumé par les flammes pétillantes qui se communiquèrent aussitôt aux portiques dans toutes les directions. Le feu exerce ses ravages toute la journée et toute la nuit, sans que les Juifs, saisis de terreur, fissent rien pour arrêter les progrès de l'incendie. Le lendemain, 9 du mois, Titus ordonna à ses soldats d'éteindre le feu, afin de se frayer un passage vers le Temple. Il assembla son conseil pour délibérer sur le sort du sanctuaire ; les uns, le présentant comme une citadelle qui servirait toujours de point de ralliement aux rebelles, furent d'avis qu'il fallait le détruire ; les autres pensaient qu'on devait l'épargner, si les Juifs consentaient à se retirer. Titus manifesta l'intention de conserver à tout prix le magnifique édifice, qui, disait-il, resterait un des plus beaux ornements de l'empire romain. Ce jour-là les Juifs, épuisés de fatigue et anéantis par la douleur, n'essayèrent point d'attaque contre l'ennemi ; mais le lendemain matin, ils firent un dernier effort terrible pour sauver le sanctuaire ou s'ensevelir sous ses ruines. Ayant fait une sortie par la porte orientale, ils attaquèrent les postes romains inférieurs en nombre qui furent obligés de se retirer ; mais aussitôt Titus, qui était à la forteresse Antonia, vint à leur secours. Les Juifs reculèrent d'abord, puis ils revinrent une seconde fois à la charge ; mais vers la cinquième heure du jour (11 heures), ils furent repoussés jusqu'à l'intérieur du Temple. Titus était décidé à donner l'assaut avec toutes ses troupes dès le lendemain matin. Mais il était écrit dans le livre du destin que le Temple serait détruit en ce jour fatal, de funeste mémoire dans les annales du peuple juif ; car il y avait six siècles et demi qu'à pareil jour, le 10 Ab, les Babyloniens avaient mis le feu au Temple de Salomon[89]. Les Juifs ayant fait une sortie contre les Romains qui travaillaient à éteindre le feu de l'enceinte intérieure, furent refoulés jusque dans le corps du Temple. Alors un soldat romain, sans attendre l'ordre, prit un tison ardent, et se faisant soulever par un de ses camarades, le jeta dans l'une des fenêtres dorées des cabinets adossés au Temple du côté du nord. Le feu se communiqua rapidement à tous les cabinets ; Titus accouru donnait vainement des ordres pour faire éteindre le feu ; sa voix fut étouffée par le tumulte, personne ne prenait garde à ses signes ; les soldats furieux, au lieu d'obéir à leur chef, s'excitaient les uns les autres à hâter les progrès du feu, et il devint impossible de l'éteindre. Les Juifs, poussant des hurlements horribles, s'efforçaient encore, mais trop tard, de sauver ce dernier boulevard de leur nationalité ; déjà l'édifice sacré s'écroulait de toutes parts ; ses héroïques défenseurs furent immolés par milliers, la fureur des Romains n'épargnait même pas le peuple sans armes, les vieillards, les enfants, les femmes, les prêtres ; et l'autel de Jéhova, avant de disparaître pour toujours, reçut pour dernière expiation de nombreuses hécatombes humaines. Titus entra dans le lieu saint et dans le Saint des Saints ; frappé de la vue de tant de magnificence, il essaya une dernière fois de sauver ce qui restait de l'édifice, mais ses ordres, ses menaces, furent vains. L'espoir d'un riche butin augmenta la fureur incendiaire des troupes ; Titus se retira avec ses généraux, et bientôt toute la montagne du Temple ne présentait plus qu'un vaste embrasement. Au bruit des flammes pétillantes, au fracas des murs croulants, se mêlaient les gémissements des victimes et le cri de victoire des Romains ; les habitants de la ville répondaient aux cris plaintifs de leurs frères mourants et les échos des montagnes voisines accompagnaient de leur retentissement cette scène effroyablement grandiose de destruction et de mort. Simon et Jean, avec le reste de leurs troupes, se frayèrent un chemin à travers les légions romaines et gagnèrent la haute ville. Plusieurs prêtres saisirent les aiguilles 'dorées du toit du Temple, les lancèrent contre les soldats romains, et cherchèrent ensuite un dernier refuge sur le haut de la muraille fumante. Deux prêtres, Méir, fils de Belga, et Joseph, fils de Dalaï, se jetèrent dans les flammes, pour périr avec le sanctuaire. Des vieillards, des femmes et des enfants, au nombre de six mille, se réfugièrent sur l'un des portiques du nord qui était encore debout ; un faux prophète leur avait dit que Dieu leur enverrait le salut et que ce jour même ils verraient du haut du Temple les miracles de la délivrance. Les Romains mirent le feu au portique et pas un seul de ces malheureux n'échappa à la mort. Les prêtres réfugiés sur la muraille y restèrent cinq jours, jusqu'à ce que la faim les força de descendre ; ils implorèrent la clémence de Titus, mais celui-ci leur répondit que le temps de la clémence était passé, que le Temple en faveur duquel il leur aurait fait grâce était en ruine, et qu'il convenait aux prêtres de périr avec le Temple. Ils furent tous mis à mort. Les Romains plantèrent leurs enseignes devant la porte orientale et sacrifièrent à leurs dieux sur la place du Temple de Jéhova. Titus y fut proclamé empereur par ses légions. Simon et Jean auraient eu des droits à l'admiration de la postérité, s'ils avaient été animés d'un patriotisme pur, s'ils ne s'étaient pas souillés de tant de crimes et s'ils avaient su mourir en héros avec tous les braves qui, mus par des sentiments plus purs, avaient aveuglément suivi leurs inspirations. Voyant que tout était perdu, les deux chefs, du haut du mont Sion, demandèrent un entretien à Titus ; celui-ci s'étant présenté à l'occident du temple près du xystus, prit le premier la parole et promit aux Juifs de leur faire grâce, s'ils déposaient immédiatement les armes et se rendaient à discrétion. Les guerriers juifs répondirent qu'ils avaient juré de ne pas se rendre aux Romains, et demandèrent la permission de se retirer librement avec leurs femmes et leurs enfants. Titus, irrité de ce que les vaincus prétendaient lui dicter des conditions, leur fit dire qu'ils n'avaient plus rien à espérer de sa clémence et qu'il n'épargnerait personne. Aussitôt il donna ordre de piller la basse ville et d'y mettre le feu, et dès le lendemain cet ordre barbare fut exécuté. Toute l'Acra, avec les archives, l'hôtel de ville et le palais d'Hélène d'Adiabène, ainsi que la place Ophla, devinrent la proie des flammes. Les fils et les frères du roi Izate d'Adiabène, qui avaient combattu dans les rangs des Juifs, firent un appel à la clémence de Titus ; le vainqueur leur accorda la vie et les envoya à Rome comme otages. Titus disposa tout pour l'attaque de la haute ville. Pendant les préparatifs, beaucoup de Juifs, assez heureux pour tromper la vigilance des zélateurs, arrivèrent au camp romain. Titus oublia les ordres sévères qu'il avait donnés ; les soldats eux-mêmes étaient enfin las d'égorger, et beaucoup de transfuges conservèrent la vie. Le prêtre Jésus, fils de Thébout, et Phineas, trésorier du Temple, qui livrèrent divers objets d'un haut prix, obtinrent également leur grâce. Le 7 Eloul (août-septembre), après un travail de dix-huit jours, les machines de guerre battirent la muraille de la haute ville. Les Juifs découragés n'opposèrent qu'une faible résistance. Bientôt la muraille ayant été ouverte, les Romains pénétrèrent dans la haute ville ; le carnage, l'incendie et le pillage recommencèrent de nouveau. On trouva beaucoup de maisons remplies des cadavres de ceux qui étaient morts de faim. Titus fit ensuite son entrée dans la ville ; un dieu, dit-il, a expulsé les Juifs de ces forteresses ; car que peuvent les mains des hommes et les machines contre de telles tours ? Il ordonna de faire mourir tous les Juifs armés ; les autres furent faits prisonniers mais il en mourut un grand nombre par manque de nourriture. Toute la ville fut rasée ; Titus ne fit conserver que les trois tours d'Hippicos, de Phasaël et de Mariamne, pour servir de monuments de la force et de la magnificence de la ville de Jérusalem. Telle fut l'issue de cette guerre effroyable, qui termina l'existence politique de la nation juive, dont l'héroïque résistance, après la soumission de tout l'Orient, humilia l'orgueil de Rome : Augebat iras, dit Tacite, quod soli Judæi non ressissent. Sa lutte fut glorieuse, unique peut-être dans les annales des nations. Sa catastrophe est une des plus effrayantes dont -l'histoire nous ait conservé le souvenir ; Jérusalem fut plus grandiose dans sa chute qu'elle ne l'avait jamais été aux jours de sa magnificence. Les fiers Romains durent admirer le courage indomptable des Juifs et cet ardent amour de la patrie qui leur faisait craindre la vie bien plus que la mort, dès qu'on voulait les arracher au sol paternel[90]. Et pendant une longue série de siècles, leurs descendants ont porté des regards pleins de douleur et d'espoir vers ces ruines sacrées, et la Judée, comme une mère privée de ses enfants, est toujours restée dans la désolation et dans le deuil. Jamais elle n'est redevenue florissante, et les races étrangères qui se sont succédé sur son sol n'y ont jamais trouvé une véritable patrie. Le nombre des victimes, pendant le siège de Jérusalem, fut immense ; car la ville fut enfermée au moment où de nombreuses troupes de pèlerins y étaient arrivées pour célébrer la Pâque. Josèphe parle de onze cent mille personnes enlevées par le glaive, les maladies et la famine ; ce nombre peut paraître exagéré, malgré le calcul justificatif établi par Josèphe[91]. Tacite, d'après des rapports plus vraisemblables, fixe le nombre des assiégés à six cent mille âmes. Les prisonniers furent, selon Josèphe, au nombre de quatre-vingt-dix-sept mille ; Titus en envoya un grand nombre en Égypte, pour travailler dans les mines, d'autres furent vendus comme esclaves. Malgré les ravages de l'incendie, le butin fait à Jérusalem fut si énorme, que l'or perdit en Syrie la moitié de sa valeur. Lorsque les Romains, après le sac de la ville, fouillèrent les souterrains, ils y trouvèrent les cadavres de deux mille malheureux, qui étaient morts de faim, ou qui s'étaient entre-tués pour ne pas tomber au pouvoir des Romains. Jean, qu'on trouva caché sous terre, n'eut pas le courage de mourir et demanda grâce au vainqueur ; il fut condamné au cachot pour le reste de sa vie. Simon, agissant avec prévoyance, avait emporté des vivres pour plusieurs jours et s'était fait accompagner par des ouvriers munis d'instruments de fer, pour essayer de s'ouvrir sous terre une issue secrète, afin d'échapper à l'ennemi ; mais ses efforts furent vains ; bientôt tourmenté par la faim, il se déguisa avec des vêtements blancs et un manteau de pourpre, et, sorti de dessous la terre comme un spectre, il apparut sur la place du Temple. Là il fut reconnu et fait prisonnier. Sur ces entrefaites, Titus parcourut la Syrie et célébra, dans plusieurs villes, des jeux d'athlètes où des milliers de prisonniers juifs furent forcés de s'entre-tuer ou de lutter contre les bêtes féroces. Titus fut loin, dans cette guerre désastreuse et après la victoire, de montrer toujours cette douceur que plus tard on vantait en lui et qui le fit surnommer les délices du genre humain. A son retour, avant de se rendre à Alexandrie, Titus alla visiter encore une fois les ruines de Jérusalem, gardées par la dixième légion, sous le commandement de Rufus. Il envoya à Rome Jean et Simon et sept cents jeunes hommes d'élite d'entre les prisonniers, pour orner le triomphe qu'il devait célébrer à côté de son père. Au printemps de l'an 71, Titus partit d'Alexandrie pour la capitale du monde, où le Capitole attendait le triomphateur. Dans la magnifique marche impériale, on porta devant Vespasien et Titus les dépouilles du Temple de Jérusalem, la table d'or, un chandelier à sept branches à peu près pareil à celui qui était placé dans le sanctuaire pour l'usage quotidien, et enfin le livre de la loi des Juifs. Les prisonniers juifs y parurent, ayant en tête Jean et Simon. Après la cérémonie on traîna Simon sur le Forum où il fut flagellé et ensuite décapité ; Jean fut conduit dans le cachot où il devait traîner sa misérable existence. Les dépouilles du sanctuaire furent déposées plus tard dans le temple de la Paix que Vespasien lit construire alors. Les Juifs occupaient encore les trois forteresses d'Hérodion, de Machérous et de Masada. Lucilius Bassus, envoyé en Judée, prit possession, sans difficulté, de la forteresse d'Hérodion. La garnison de Machérous résista quelque temps jusqu'à ce que, son commandant Éléazar ayant été fait prisonnier, maltraité et menacé de la mort, elle consentit à se rendre, et obtint une capitulation. Les habitants, qui ne furent pas compris dans le traité, s'enfuirent en partie ; les Romains en tuèrent dix-sept cents et emmenèrent en captivité leurs femmes et leurs enfants. Bassus fit ensuite une expédition contre les restes des zélateurs réfugiés dans une forêt ; il y périt trois mille Juifs. Vers cette époque, Bassus et le procurateur Libérius Maximus reçurent l'ordre de vendre les terres de la Judée. En même temps, il fut ordonné à tous les Juifs de l'empire de payer dorénavant au Capitole les deux drachmes par tête que jusque-là ils avaient envoyées chaque année au Temple de Jérusalem. Masada, près de lamer Morte, resta seule au pouvoir des zélateurs. Située sur une haute montagne entourée de profonds précipices, bien fortifiée et abondamment pourvue de vivres et d'armes, cette forteresse pouvait être longtemps disputée à l'ennemi par un petit nombre de défenseurs. Flavius Silva, successeur de Bassus qui venait de mourir, vint mettre le siège devant Masada. Il l'attaqua à l'ouest, le seul côté accessible, en faisant élever, par ses troupes nombreuses, une terrasse de deux cents coudées de hauteur, qu'on garnit de machines de guerre d'une nouvelle invention, et notamment d'une tour haute de soixante coudées et presque entièrement revêtue de fer. Ce fut avec beaucoup de peine que les Romains parvinrent à pratiquer une brèche ; un second mur, qui avait été élevé à l'intérieur, fut bientôt détruit par le feu. Le commandant de la forteresse, Éléazar, descendant de Juda le Galiléen, reconnaissant l'impossibilité de lutter contre les forces supérieures des Romains, repoussa cependant loin de lui toute idée de soumission. Héritier des principes de son aïeul, il avait fait jurer à ses compagnons d'armes de ne reconnaître d'autre souverain que Dieu seul et de ne jamais se soumettre à aucun maître étranger. Le désespoir fit naître dans son âme une terrible résolution, et, par son éloquence, il parvint à la faire partager à ses frères d'armes. Leurs corps tomberont au pouvoir de l'ennemi, mais leurs âmes s'envoleront libres vers les demeures célestes. Tous les guerriers, après avoir embrassé, en pleurant, leurs femmes et leurs enfants et leur avoir fait les derniers adieux, les immolèrent de leurs propres mains. Après cette horrible exécution, ils tirèrent au sort dix hommes pour servir de bourreaux aux autres et s'entr'égorger ensuite eux-mêmes. Le palais et tous les objets précieux furent livrés aux flammes, et puis chacun se fit égorger en tenant embrassés les corps de sa femme et de ses enfants. Cet effroyable sacrifice fut consommé le jour de Pâques, le 15 Nisan de l'an 73. Le nombre des victimes, y compris les femmes et les enfants, était de neuf cent soixante. Le lendemain matin, les Romains, en pénétrant dans la ville, furent étonnés du silence de mort qui y régnait et qui n'était interrompu que par le pétillement des flammes. Leurs cris firent enfin paraître deux femmes et cinq enfants qui avaient échappé à la mort en se cachant dans les aqueducs. L'une des femmes raconta la fin tragique de la population. Les Romains eurent de la peine à ajouter foi à cette horrible histoire, jusqu'à ce que, s'étant frayé un chemin à travers les flammes, ils virent étendus dans la cour du palais les corps des victimes ; et, au lieu de se réjouir de la chute des ennemis, ils payèrent un tribut de regrets et d'admiration aux héroïques défenseurs de Masada. Telle fut la dernière scène du drame grandiose de la guerre des Juifs. Quelque temps après, Vespasien fit détruire aussi le temple d'Onias, en Égypte, qui était devenu un point de ralliement pour un certain nombre de zélateurs. L'un d'eux, nommé Jonathan, réfugié en Cyrène, y excita une révolte ; mais les Juifs le livrèrent eux-mêmes au gouverneur Catulle, qui l'envoya à Rome. Pour se venger, Jonathan dénonça comme ses complices les Juifs les, plus distingués et entre autres Josèphe, qui, disait-il, lui avait envoyé des armes et de l'argent. Il causa par là la mort d'un rand nombre d'innocents ; mais bientôt une enquête sévère fit reconnaître la fausseté des accusations de Jonathan, qui expia son crime sur le bûcher. Trois personnages juifs survécurent à la ruine de leur patrie, pour jouer un certain rôle à la cour impériale de Rome : ce furent Agrippa, sa sœur Bérénice et Josèphe. Les deux premiers étaient devenus presque étrangers à leur peuple ; Agrippa avait même poussé la trahison jusqu'à envoyer des troupes auxiliaires à Vespasien et à Titus. Parti pour Rome, lors de l'avènement de Galba, il y resta pendant les courts règnes d'Othon et de Vitellius ; averti en secret, par ses amis, que Vespasien avait été proclamé empereur par l'armée de Syrie, il quitta Rome, avant que la nouvelle y fût connue, et accourut promptement auprès de Vespasien[92]. Celui-ci, après la destruction de Jérusalem, confirma Agrippa dans son royaume[93], et l'honora aussi du titre de préteur. Sa vie était probablement partagée entre les soins de son royaume et les distractions qu'il allait souvent chercher dans la capitale du monde[94]. On présume qu'il n'était pas marié ; du moins il ne laissa pas d'enfants, et son royaume fut plus tard réuni à la Syrie. L'époque de sa mort est inconnue[95]. Bérénice, à ce qu'il paraît, ne brillait pas par sa vertu ; niais elle passait pour une femme de beaucoup d'esprit, et Vespasien lui demandait souvent des conseils. Ses liaisons avec Titus, qui disait-on, lui avait promis sa main[96], la firent exiler de Rome, où elle ne put revenir qu'après la mort de Vespasien. Juvénal ne craignit pas de la flétrir dans une de ses Satires. —Josèphe, qui avait été mis en liberté par Vespasien, ajouta à son nom celui de Flavius, nom de famille de l'empereur. Pour ses terres dévastées dans les environs de Jérusalem, Titus lui en donna d'autres dans la plaine d'Esdrélon ; par son crédit, il fit rendre la liberté à beaucoup de prisonniers. Titus lui donna aussi les livres sacrés pris dans Jérusalem. Josèphe se maria trois fois ; sa première femme fut une Juive de Césarée, qui le quitta, lorsque, après la conquête de la Galilée, il partit pour Alexandrie avec Vespasien. Dans cette ville il prit une seconde femme, qu'il répudia plus tard à cause de ses mauvaises mœurs ; elle lui avait donné trois fils, dont deux étaient morts ; le troisième, nommé Hyrcan, vivait avec son père à Rome. Il épousa en troisièmes noces une riche Juive de Crète, qui lui donna deux fils, Justus et Simonide Agrippa[97]. Il écrivit à Rome l'Histoire de la guerre des Juifs en hébreu ; cet ouvrage est perdu, mais il nous en reste une seconde rédaction, faite par Josèphe lui-même en langue grecque. Il la soumit à l'empereur Vespasien, à Titus et au roi Agrippa ; Titus la revêtit de sa signature et attesta la fidélité du récit. Plus tard, sous Domitien, Josèphe composa ses Antiquités, en vingt livres ; cet ouvrage contient l'histoire du peuple hébreu, depuis son origine jusqu'à la douzième année de l'empereur Néron. Josèphe avait pour but, dans cet ouvrage, de faire connaître aux étrangers la véritable histoire de son peuple et de le relever aux yeux des Romains. Il y joignit plus tard sa Biographie, ou plutôt l'Histoire de son administration en Galilée, pour répondre aux attaques dont il avait été l'objet de la part de Justus de Tibériade. Çà et là, dans ses Antiquités, il n'est pas entièrement d'accord avec les sources bibliques, et souvent il a puisé dans les traditions. Le grammairien Apion d'Alexandrie ayant attaqué les Juifs et jeté des doutes sur plusieurs points de leur histoire, Josèphe écrivit contre lui une réfutation très-savante, qui témoigne de sa vaste érudition dans la littérature grecque. Ses écrits lui ont assuré une place parmi les plus célèbres écrivains de l'antiquité ; c'est à lui seul que nous devons la connaissance de l'histoire des Juifs, depuis les rois maccabéens jusqu'à la dernière catastrophe de la Judée. |
[1] Voyez Josèphe Antiquités,
XIV, 7, § 1 et 2. Ces immenses trésors, dit Josèphe, provenaient des dons que
les Juifs de tous les pays envoyaient, depuis des siècles, au Temple de
Jérusalem. Comparez Cicéron, Pro Flacco, ch. 28 ; Tacite, Hist.,
V, 6.
[2] C'est à cette occasion que
Josèphe mentionne pour la première fois le Synédrium.
[3] C'est sans doute le même qui
marcha avec Pitholaüs contre Alexandre.
[4] Voyez Josèphe, Antiquités,
XIV, 12.
[5] Antiquités, à la fin du
liv. XIV. Josèphe compte sans doute le règne des Hasmonéens, ou Maccabées,
depuis la mort d'Antiochus Épiphanes.
[6] Voyez Thalmud de
Babylone, Bava bathra, fol. 3 b.
[7] Voyez Josèphe, Antiquités,
XV, 1, 1. Le livre Josippon substitue aux noms de Pollion et de Sameas
ceux de Hillel et de Schammaï, docteurs d'une grande célébrité dans le Thalmud.
Il est possible que Josèphe ait voulu parler de ces deux personnages, la
chronologie ne s'y oppose pas ; car, selon le Thalmud (Schabbath,
fol. 15 a), Hillel fut Nasi, ou
président du Synédrium, cent ans avant la destruction de Jérusalem. Le Thalmud,
en parlant du massacre de tous les docteurs ordonné par Hérode (Bava bathra,
fol. 3 b), dit que le roi épargna Baba, fils de Bouta, qui était un
disciple de Schammaï. Il sera question plus loin des fils de ce même Baba, qui
est aussi mentionné par Josèphe.
[8] Cette version, comme le fait
entendre Josèphe, est bien plus probable que celle que le même auteur rapporte
d'après les mémoires du règne d'Hérode, et selon laquelle Hyrcan, mû par les
instances d'Alexandra, sa fille, aurait traité avec Malich, pour se retirer en
Arabie et y attendre les événements. Voyez Antiquités, XV, 6, § 2 et 3.
[9] Voyez Josèphe, Antiquités,
XV, II, § 2 et 6.
[10] Josèphe, Antiquités,
XX, 9, 7 ; comparez Évangile de Jean, 2, 20.
[11] Nous avons de ce Temple deux
descriptions dans les œuvres de Josèphe, l'une dans les Antiquités (XV,
11, § 3 et suivants), l'autre plus développée dans la Guerre des Juifs
(V, 5) ; l'une et l'autre laissent beaucoup à désirer et les nombres paraissent
quelquefois être corrompus par les copistes. Elles peuvent se compléter par une
troisième description plus détaillée que nous fournit la Mischna, 5e
partie, traité Middôth (publié à part avec une traduct. lat. et des
notes par l'Empereur, Leyde, 1630, in-4°). Parmi les modernes, on peut
consulter Lightfoot, Descript. Templi Hierosol., dans ses œuvres, t. I,
p. 549 et suivantes (principalement d'après la Mischna) ; Hirt, dans les
Mémoires de la classe histor. et philol. de l'Acad. de Berlin des années
1816 et 1817 (publiés en 1819). Hirt a travaillé uniquement d'après Josèphe
; son plan a plusieurs défauts essentiels ; nous avons suivi celui de De Wette
(Archœologie, § 238), qui est beaucoup plus exact, et nous avons combiné
les descriptions de Josèphe et de la Mischna.
[12] Middôth, ch. I, § 3.
[13] Antiquités, XV, 11, 5.
[14] Selon la Mischna, ch.
2, § 3, cette balustrade, appelée Soreg (treillis),
n'avait que dix palmes de hauteur.
[15] Voyez Mischna, Middôth,
ch. 2, § 5.
[16] Selon la tradition, les
battants de cette porte, qui étaient de bronze corinthien, avaient été apportés
d'Alexandrie par un certain Nicanor et miraculeusement sauvés d'un naufrage.
Cette porte seule était de bronze ; les autres étaient de bois et revêtues d'or
et d'argent. Voyez Mischna, 2e partie, traité Yoma, ch. 3, 10, et
le commentaire de Maimonide ; Thalmud de Babylone, même traité, fol. 38 a.
Comparez Josèphe, Guerre des Juifs, V, 5, 3.
[17] Mischna, Middôth, ch.
5, et le commentaire de Maimonide.
[18] Mischna, Middôth, ch.
2, § 6.
[19] Josèphe, Guerre des Juifs,
V, 5, 3 ; selon la Mischna, Middôth, ch. 2, § 3, la hauteur était de 20,
et la largeur de 10 coudées.
[20] La mesure indiquée par Josèphe
nous parait plus exacte, car en déduisant des 60 coudées la largeur intérieure
de vingt coudées, il reste de chaque côté, pour le mur et les étages
extérieurs, 20 coudées ; de même, en déduisant de la longueur totale, qui était
de 100 coudées, la longueur du vestibule, du lieu saint et du Saint des Saints
(20 + 40 + 20), il reste à l'ouest 20 coudées pour le mur et les étages
extérieurs. Les proportions ne sont plus les mêmes selon le calcul de la Mischna.
[21] Les rabbins ne donnent à ces
chambres que 15 coudées de largeur, en comptant probablement 60 coudées pour la
largeur intérieure du vestibule et 5 pour le mur.
[22] Selon la Mischna, la hauteur
du Héchal et du Saint des Saints n'était que de quarante coudées,
ce qui ne nous parait nullement proportionné à la hauteur totale de l'édifice,
qui était de 100 coudées.
[23] Comparez Mischna, Middôth,
ch. 4, § 6. Voyez Guerre des Juifs, V, 5, 6. Les trois étages avaient
des chambres destinées à divers usages et qui communiquaient les unes avec les
autres ; leurs entrées communes étaient sur le devant, des deux côtés du
vestibule. Comparez Mischna, l. c., 5 3 et 7 ; on y compte trente-huit
chambres, quinze au nord, quinze au midi et huit à l'occident.
[24] Voyez Mischna, Middôth,
ch. 4, § 6 ; Josèphe, Guerre des Juifs, V, 5, § 6.
[25] Voyez Mischna, 2e
partie, traité Yoma, ch. 3, § 10 ; Thalmud de Babylone, même
traité, fol. 37 a.
[26] Josèphe, Guerre des Juifs,
V, 6. Les rabbins (ib. ch. 3, § 1) lui donnent une hase de 32 coudées en
long et en large et plusieurs gradins qui faisaient successivement diminuer ces
dimensions ; ils y placent au S. O. un conduit par lequel le sang des
aspersions coulait dans le torrent de Kidron.
[27] On voit le dessin de la table
et du chandelier sur l'arc de triomphe de Titus.
[28] Sur cette pierre appelée schethiyya (fondement), voyez Mischna,
traité Yoma, ch. 6, § 2, et les traditions rabbiniques dans le Thalmud
de Babylone même traité fol. 64 b.
[29] Voyez Josèphe, Antiquités,
XVII, 6, 5 ; Guerre des Juifs, I, 33, 5.
[30] La vérité historique du
massacre des enfants de Bethléhem a été mise en doute, parce que Josèphe n'en
parle pas. Quoi qu'il en soit, ce massacre était peu de chose dans la longue
série des crimes commis par Hérode, et l'historien a pu le passer, sous
silence. Dans la petite ville de Bethléhem et dans ses environs il pouvait à
peine exister 10 à 12 enfants mâles au-dessous de deux ans. On trouve une trace
de ce fait dans un passage de Macrobe (Saturnales, II, 4), qui, par
ignorance, a confondu la mort d'Antipater et le massacre des enfants en un seul
fait : Cum audisset (Augustus) inter pueros quos in
Syria Herodes rex Judæorum intra bimatum jussit interfici filium quoque ejus
occisum, ait : Melius est Herodis porcum esse quam filium.
[31] On sait que la naissance de
Jésus précède de 4 ou 6 ans au moins le commencement de l'ère chrétienne ; la
faute commise par Denys le Petit, qui, au sixième siècle, introduisit cette
ère, n'a été reconnue que longtemps après.
[32] On peut voir à ce sujet les
judicieuses observations de Josèphe, Antiquités, XVI, 5, 4.
[33] Dans le texte de Josèphe on
lit Gaza (Antiquités, XVII, 11, 4 ; Guerre des Juifs, II, 6, 3) ;
mais comme Gaza est très-éloignée des deux autres villes, il faut lire
probablement Gerasa. Voyez Reland, Palœstina, p. 773.
[34] Sur ce Juba voyez Holde, Historia
Idumea, p. 172-190.
[35] Le recensement mentionné dans
l'Évangile de saint Luc (ch. 2), et qui fut fait sous Quirinus ou Quirinius
(Κυρήνιος),
est évidemment le même que celui dont nous parlons ici. C'est par erreur que
l'évangéliste le fait remonter à l'époque de la naissance de Jésus ; à cette
époque Quirinus n'était pas encore gouverneur de Syrie ; Hérode vivait encore ;
le gouvernement romain n'avait aucun intérêt à faire un recensement en Judée,
et il n'avait même pas le droit de le faire.
[36] Voyez Actes des apôtres,
5, 87 ; Josèphe, Antiquités, XVIII, I, 6 ; XX, 5, 2 ; Guerre des
Juifs, II, 8, 1. Juda était natif de Gamala dans la basse Gaulanitide et
établi probablement en Galilée.
[37] C'est celui qui, dans l'Évangile
de saint Luc (3, 2), est appelé Annas
ou Anne.
[38] Μετ'
ού πολύ, dit Josèphe, Antiquités,
XVIII, 2, 2. Selon le Thalmud, traité Yoma, fol. 9 a,
Ismaël occupa le pontificat pendant dix ans ; Gratus ayant gouverné onze ans et
les deux prêtres Éléazar et Simon ayant exercé le pontificat chacun pendant un
an, il reste en effet neuf ans pour Ismaël, car il parait résulter des paroles
de Josèphe que Hanau fut révoqué immédiatement après l'arrivée de Gratus et
Simon peu de temps avant son départ. Ismaël fut de nouveau grand prêtre sous
Agrippa, pendant un au (Josèphe, ib., XX, 8, § 8 et 11), ce qui complète
les dix ans qui lui sont attribués par le Thalmud.
[39] Voyez Matthieu, 14,
3-11 ; Marc, 6, 17-28 ; Luc, 3, 19 et 20. Selon Josèphe (Antiquités,
XVIII, 5, 2), Antipas fit mourir Jean-Baptiste par des motifs politiques.
[40] Ce fait est rapporté par
Philon, De legatione ad Caïum, éd. de Genève, p. 799 et 800.
[41] Voyez Thalmud de
Babylone, traité Schabbath, fol. 31 a. L'espace nous manque pour
citer d'autres passages de la même nature qu'on trouve en grand nombre dans le Thalmud
et dans les autres recueils des anciens rabbins. Dans le traité Maccoth,
fol. 24 a, on démontre que les prophètes ont successivement ramené les
lois de Moïse à un petit nombre de préceptes moraux ; voyez mes Réflexions
sur le culte des anciens Hébreux (t. IV de la Bible de M. Cahen, p.
19 et 20). Joseph de Voisin, dans ses notes au Pugio fideis de Raymond
Martin, a recueilli de nombreuses sentences des anciens docteurs de la
synagogue, qui offrent des parallèles aux discours de Jésus.
[42] Voyez Matthieu, 16, 16
; 21, 15 ; 28, 64 ; Jean, 4, 28 ; 9, 37, et passim.
[43] L'auteur croit devoir rappeler
à cette occasion qu'il professe la religion juive. Ne pouvant accepter tous les
faits tels qu'ils sont rapportés, ni faire intervenir ici la critique
historique, il doit se borner à donner une simple relation d'après les Évangiles,
laissant chacun libre d'apprécier les faits selon ses convictions.
[44] On a vu plus haut, que le
motif du recensement, indiqué par saint Luc seul, ne saurait être admis.
[45] Selon le Thalmud, la
condamnation de Jésus aurait eu lieu longtemps avant la Pâque, et le synédrium
l'aurait fait proclamer publiquement pendant quarante jours, en invitant tous
ceux qui sauraient justifier Jésus à venir déposer en sa faveur. Voyez le
traité Synhedrin, fol. 43 a, édition de Venise. Dans la plupart
des éditions du Thalmud, ce passage a été supprimé par la censure.
[46] Voyez les controverses dans le
tome II des œuvres de Josèphe, de l'édition de Havercamp.
[47] Voyez Maïmonide, Abrégé du
Thalmud, liv. XIV, dernière section (des rois et des guerres), ch. 11.
[48] Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, II, 7.
[49] Sur ce Lysanias et sur sa
tétrarchie d'Abila ou Abilene, voyez De Boissi, Dissertations, t. I, p
299 et suivantes.
[50] Voyez Mischna, 3e
partie, traité Sota, ch. 7, § 8.
[51] Thalmud de Babylone, traité Kethouboth,
fol. 17 a.
[52] Actes des apôtres, 12,
1-3.
[53] Cet événement ne saurait être
le même qui est rapporté dans les Actes des apôtres, 5, 36 ; à moins
qu'on ne veuille attribuer à saint Luc un grave anachronisme.
[54] Ce pays, autrefois une
province de l'Assyrie, forme maintenant une partie du Kurdistan.
[55] Voyez Antiquités, XX,
ch. 2 à 4.
[56] Voyez Josèphe, Antiquités,
XX, 4, 3 ; Eusèbe, Hist. ecclés., II, 12. Pausanias (VIII, 16) parle de
ce tombeau, comme d'une merveille.
[57] Voyez Josèphe, Guerre des
Juifs, II, 19, 2 ; VI, 8, 4.
[58] Voyez Mischna, 2e
partie, traité Yoma, ch. 3, § 10 ; Thalmud de Babylone, Bava
bathra, fol. 11 a. Izate est mentionné sous le nom de Zoutos, à côté de son frère Monobaze, dans Beréschith
rabba, sect. 46, où on parle de leur circoncision.
[59] Dans le texte de Josèphe on
lit Ananias, fils de Nébedée ; les
rabbins l'appellent Johanan, fils de Nedabaï,
voyez Thalmud de Babylone, traité Pesachim (de la Pâque), fol. 57
a ; traité Kerithoth, fol. 28 a.
[60] Josèphe l'appelle très-souvent
βασιλεύς
; voyez par exemple, Antiquités, XX, 6, 11 ; Vie de Josèphe, ch.
65 ; Contre Apion, l. I, ch. 9, et beaucoup de passages de la Guerre
des Juifs.
[61] Josèphe, dans la Guerre des
Juifs (II, 12, 1), fixe le nombre des morts à plus de dix mille ; dans les Antiquités
(XX, 5, 3) il parle de vingt mille morts.
[62] Voyez Actes des apôtres,
23, 2 ; 24, 1.
[63] Selon Tacite (Annal.,
XII, 54) Félix aurait été déjà gouverneur de Samarie, lorsque Cumanus était en
Judée, et aurait joué un rôle dans les querelles entre les Juifs et les
Samaritains. Mais Josèphe, contemporain de ces événements, mérite plus de foi.
[64] Juvénal y fait allusion, dans
la VIe Satire.
[65] Il importe peu de savoir si ce
Simon est le même que le fameux Simon Magna dont il est parle dans les Actes
des apôtres (8, 9-11) et dans les écrits des Pères ; ceux qui se
préoccupent de ce genre de questions peuvent consulter Brucker, Hist. crit.
philosophiœ, t. II, p. 668, et les auteurs qui y sont cités.
[66] Voyez Actes des apôtres,
21, 38.
[67] Tacite (Hist., V, 9)
dit, en parlant de Félix : Per omnem sœvitiam ac
libidinem, jus regium servili ingenio exercuit. Comparez le même
auteur, Annal., XII, 54.
[68] Actes des apôtres, 24,
27.
[69] Josèphe attribue à Jonathan le
titre de grand prêtre (Antiquités, XX, 8, 5 ; Guerre des Juifs,
II, 13, 3), quoiqu'il ne parle nulle part de sa nomination. Il fut probablement
le successeur de Hanania, de sorte que sa nomination et sa mort tomberaient
dans les dernières années de Félix ; car, selon les Actes des apôtres
(24, 1), Hanania fonctionnait encore lors de l'emprisonnement de l'apôtre Paul.
Au reste Josèphe, en comptant vingt-huit grands prêtres, depuis le commencement
du règne d'Hérode jusqu'à la destruction de Jérusalem, dut nécessairement
comprendre Jonathan dans ce nombre, comme l'a démontré Reland. Voyez Josèphe,
édition de Havercamp, t. I, p. 972, note q.
[70] Voyez Josèphe, Antiquités,
XX, 18, 8 ; 9, 2 ; Thalmud de Babylone, traité Pesachim, fol. 57 a.
[71] Voyez Josèphe, Antiquités,
XX, 8, 4 ; Vie de Josèphe, ch. 38 et 41.
[72] Voyez Thalmud de
Babylone, Yevamoth, fol. 61 a ; Yoma, fol. 18 a. Le
roi Jannée, dont on parle dans ces passages, n'est autre qu'Agrippa II ; car la
riche Marthe mourut misérablement de faim, lors du dernier siège de Jérusalem. Thalmud
de Babylone, Guittin, fol. 56 a. Le Thalmud vante Josué fils de
Gamala pour avoir donné de grands développements à l'instruction publique, en
fondant dans toutes les villes des écoles élémentaires où les enfants étaient
reçus depuis l'âge de six ou sept ans. Bava bathra, fol. 21 a.
[73] Selon Josèphe (Guerre des
Juifs, II, 14, 3), il y avait alors trois millions d'âmes à Jérusalem.
[74] Ce fut, selon Josèphe, le 16
Artemisius ou Iyyar (avril-mai).
[75] Il est question de ces
offrandes dans le livre de Néhémia (10, 35 ; 13, 31). Selon les rabbins,
diverses familles offraient le bois à tour de rôle ; neuf jours de l'année
étaient fixés pour ces offrandes, et cinq de ces jours tombaient dans le mois
d'Ab. Voyez Mischna, deuxième partie, traité Thaanith, ch. 4, §
5. Le 16 Ab était le plus solennel des jours destinés aux offrandes du bois ;
voy. Meghillath Thaanith, ch. 5. — Josèphe (Guerre des Juifs, II,
17, 7) dit, par inadvertance, que le lendemain de ce jour était le 16 Loüs
(Ab).
[76] Voyez Josèphe, Guerre des
Juifs, II, 18, 6 ; Vie de Josèphe, ch. 11. Il faut combiner les deux
passages, qui racontent très-probablement le même fait. Josèphe, dans sa Biographie,
parait avoir rectifié et complété, sur plusieurs points, le récit qu'il avait
fait dans la Guerre des Juifs. Voyez Jost, Hist. des Israélites
depuis l'époque des Maccabées, t. II, appendice, p. 88-90.
[77] Josèphe (Guerre des Juifs,
II, 19, 4) appelle cet endroit Σκόπος (speculator), ce qui, sans doute, est la
traduction du nom de SOPHIM (speculatores),
par lequel les Thalmudistes désignent un endroit près de Jérusalem, d'ou l'on pouvait
découvrir la montagne du Temple. Voyez Thalmud de Babylone, traité Barachoth,
fol. 61 b, et passim ; comparez Josèphe, Guerre des Juifs,
V, 2, 3.
[78] Voyez Eusèbe, Hist.
ecclésiastique, III, 5.
[79] Tacite (Hist., V, 13)
parle également de ces prodiges, évidemment d'après Josèphe (Guerre des
Juifs, VI, 5, 3), et il blâme les Juifs d'y avoir attaché si peu
d'importance.
[80] Les chronologistes ne sont pas
d'accord sur le commencement de l'insurrection des Juifs et sur la date de la
défaite de Cestius Gallus ; les uns font commencer l'insurrection en 65, les
autres en 66. Il est certain que Vespasien commença ses opérations au printemps
de l'an 67 ; or, en placent la défaite de Cestius en novembre 66, il ne
resterait que les quelques mois d'hiver pour les préparatifs et les actes de
Josèphe en Galilée, ce qui manque de toute vraisemblance. Cette considération
doit l'emporter sur certaines difficultés chronologiques qu'on a fait remarquer
dans le texte de Josèphe et que nous ne pouvons exposer ici. Nous plaçons donc
l'insurrection contre Florus dans l'été 65, et la défaite de Cestius dans le
mois de novembre de la même année ; ce qui nous laisse un intervalle de quinze
à seize mois pour les événements de l'administration de Josèphe et pour le
rassemblement des troupes de Vespasien.
[81] Le texte de Josèphe (Guerre,
III, 7, 1) porte Gadara ; il faut lire
sans doute Gabara, nom d'une des
principales villes de la Galilée (Vie de Josèphe, ch. 26). Il serait
absurde de penser ici à Gadara, métropole de la Pérée, qui d'ailleurs ne fut prise
que plus tard. Guerre, IV, 7, 3.
[82] Le texte de Josèphe porte,
dans deux passages, quarante-sept jours (Guerre, II, 7, § 33 ; 8, § 9),
ce qui nécessairement est une faute, s'il est vrai que Josèphe n'arriva à
Jotapat que le 21 Artemésius ou Iyyar (ib.
7,8 3).
[83] Quoi qu'il en soit de ce fait
singulier, la vérité en était reconnue par les Romains ; voici ce qu'en dit
Suétone, dans la vie de Vespasien (ch. 5) : Et
unus ex nobilibus captivis Josephus, cum coiceretur in vincula, constantissime
asseveravit fore ut ab eodem brevi solveretur, verum jam imperatore.
[84] Ce fait est rapporté dans le Thalmud
de Babylone, traité Guittin, fol. 56. On y ajoute que Johanan, conduit
devant Vespasien, lui donna le titre de roi et lui prédit son avènement au
trône.
[85] Voyez Josèphe, Guerre des
Juifs, IV, 10, 6. Selon Tacite (Hist., II, 79), Tibère Alexandre fut
le premier à proclamer Vespasien empereur, et fit prêter serment à ses légions
dès le 1er juillet.
[86] Voici comment Tacite (Hist.,
V, 12) caractérise ces trois factions : Tres duces,
totidem exercitus : extrema et latissima mœnium Simo, mediam urbem Joannes
(quem et Bargioram vocabant), templum Eleazarus firmaverat. Multitudine et
armis Joannes ac Simo, Eleazarus loco pollebat.
[87] Comparez Tacite, Hist.,
V, 12 : Mox Joannes, missis per speciem
sacrificandi qui Eleazarum manumque ejus obtruncarent, templo potitur. Ita in
duas factiones civitas discessit, donec propinquantibus Romanis bellum externum
concordiam pareret.
[88] Voyez Josèphe, Guerre des
Juifs, V, 3, 6.
[89] Voyez Jérémie, 52, 12. Selon
la tradition rabbinique, l'incendie du temple de Salomon commença le 9 Ab au
soir, et ce fut aussi le 9 Ab que les Romains brûlèrent le second temple ;
c'est donc à ce jour que les Juifs (à l'exception des caraïtes) célèbrent
encore maintenant l'anniversaire de la destruction de Jérusalem. Cependant
Josèphe (Guerre, VI, 4, 5), conformément au livre de Jérémie, indique
expressément le 10e Jour du mois de Loüs, ou Ab. Il serait possible que la date
indiquée par les rabbins, pour ce qui concerne le second temple, fût le
résultat d'un calcul des néoménies, différent de celui de Josèphe.
[90] Arma
cunctis, qui ferre possent, et plures quam pro numero audebant. Obstinatio viris
feminisque par ; ac si transferre sedis cogerentur, major vitae metus quam
mortis. Tacite, Hist., V, 13.
[91] Voyez Guerre des Juifs,
VI, 9, 3.
[92] Tacite, Hist., l. II,
ch. 81.
[93] Voyez Justus de Tibériade,
cité par Photius, Biblioth., cod. 33. — Il existe des médailles qui
portent pour date l'an 29 du règne d'Agrippa, correspondant à l'an 76 ou 77 de
l'ère chrétienne ; ce qui prouve qu'il conserva son royaume après la
destruction de Jérusalem. Voyez Cellarius, Dissertatio de historia Herodum,
contra Harduinum, dans les œuvres de Josèphe, éd. Havercamp, t. II, p. 328.
[94] Josèphe reçut de lui
soixante-deux lettres, et une entre autres où Agrippa le remercie de l'envoi de
sa Guerre des Juifs (Vie de Josèphe, ch. 66), ce qui montre
qu'Agrippa ne vivait pas toujours à Rome, comme l'ont dit plusieurs auteurs.
[95] Photius dit (l. c.),
d'après Justus, qu'il mourut dans la troisième année du règne de Trajan ; ce
qui évidemment est une erreur ; car il résulte du ch. 65 de la Vie de
Josèphe, écrite sous le règne de Domitien, qu'a cette époque Agrippa était
déjà mort.
[96] Voyez Tacite, Hist.,
II, 2 ; Suétone, Titus, ch. 7. — Nolde, Histor. idumea, 405 et
suivantes.
[97] Voyez Vie de Josèphe, ch. 75 et 76.