PALESTINE

 

LIVRE IV. — ANTIQUITÉS HÉBRAÏQUES OU CIVILISATION DES ANCIENS HÉBREUX

CHAPITRE IV. — DE LA VIE INTELLECTUELLE DES HÉBREUX.

 

 

Chez les Hébreux, comme chez les autres peuples de l'ancien Orient, la vie intellectuelle était tout entière dans la religion. L'instruction se bornait généralement à quelques préceptes religieux et moraux nécessaires dans la vie sociale, et à quelques traditions nationales, qui devaient entretenir le sentiment patriotique et rappeler la protection toute particulière que Jéhova avait accordée au peuple hébreu. La science plus élevée, privilège de quelques élus, était elle-même le produit de l'imagination et de l'inspiration plutôt que de la méditation et du raisonnement ; aussi trouvons-nous chez les Hébreux à peine les premiers éléments des sciences exactes qui demandent une méthode sévère, et nous ne rencontrons que quelques connaissances empiriques, quelques notions vagues dues à la tradition et à un certain instinct, et dans lesquelles il ne faut pas chercher les règles d'une école. Tout était dominé par la poésie et par le sentiment religieux. La crainte de Jéhova est le principe de toute science ; telles sont les paroles que le sage hébreu met en tête de ses maximes de sagesse et de morale (Prov. 1, 7). Par leur croyance religieuse, basée sur le monothéisme le plus pur, les sages des Hébreux s'élèvent au-dessus de tous les philosophes de l'antiquité ; mais ils ont été conduits à la connaissance de Dieu par une révélation spontanée, par les inspirations de la foi. La divinité n'est pas chez eux le résultat d'une série de syllogismes, il n'existe dans leurs livres aucune trace de ces spéculations métaphysiques que nous trouvons chez les Indous et chez les Grecs ; il n'y a chez eux ni théologie savante, ni philosophie dans le sens que nous attachons à ce mot, et pour faire connaître Dieu ils s'adressent au cœur de l'homme, à son sentiment moral, à son imagination. L'Hébreu croyait au Dieu créateur qui s'était révélé à ses pères, et dont l'existence est au-dessus du raisonnement des hommes. La morale des Hébreux est celle de la conviction, du sentiment intime d'un Dieu juste et bon ; les maximes de leurs sages et de leurs prophètes ont jailli d'une source divine, elles se sont manifestées tout à coup par un sublime élan et ne sont pas les résultats d'une froide réflexion et d'un orgueilleux stoïcisme. — Les Hébreux ne pouvaient pas non plus briller dans l'art plastique, qui est l'imitation et la déification de la nature, et qui appartient essentiellement au paganisme ; pour l'Hébreu la nature s'effaçait entièrement devant le Dieu créateur, et il ne contemplait la nature que pour y voir un reflet de la divinité. Mais dans la poésie lyrique, et probablement aussi dans la musique, arts -qui reproduisent les sentiments et qui ne s'arrêtent pas au culte de la beauté matérielle, les Hébreux ont surpassé tous les peuples de l'antiquité.

On jugera maintenant quel devait être le caractère général de la vie intellectuelle des Hébreux. Nous allons rechercher les traces qu'elle a laissées dans les écrits bibliques, et, après avoir donné quelques détails sur les différentes classes de savants chez les Hébreux, nous parlerons successivement des sciences, des lettres et des beaux arts.

 

A. Les savants.

On peut distinguer chez les anciens Hébreux trois classes de savants : celle des prêtres et lévites, celle des prophètes et celle des sages.

Les prêtres et les lévites étaient les savants de profession, mais leurs connaissances obligatoires se bornaient aux lois de Moïse et à quelques notions scientifiques qui étaient en rapport avec ces lois. Ainsi, par exemple, les régiments du Lévitique (ch. 12 à 15), concernant certaines infirmités sexuelles et les signes diagnostiques de la lèpre, obligeaient les prêtres d'avoir au moins quelques connaissances traditionnelles sur certaines parties de la médecine ; ils devaient avoir aussi quelques notions superficielles du cours de la lune et du soleil, pour régler les époques des fêtes[1]. Mais, renfermés dans leurs attributions spéciales, il ne paraît pas qu'ils aient cultivé avec succès une science quelconque. Au reste, l'étude des lois, ainsi que des sciences qui s'y rattachaient, était pour la tribu -de Lévi un devoir, mais non pas un droit exclusif. Le législateur avait voulu qu'il y eût une classe d'hommes obligés, par leur naissance, de se consacrer au service du sanctuaire et à l'étude, et dont le peuple pût toujours réclamer les conseils ; mats il n'avait pas eu l'intention de confisquer la science au profit d'une caste, qui, par des mystères, pût en imposer au reste de la nation, et chaque Hébreu avait la faculté d'acquérir les connaissances des prêtres, ou même de les surpasser.

On a vu en effet qu'il s'établit, coté des prêtres, une autre association d'hommes instruits, qui, par la mission qu'elle se donna, sut s'élever au-dessus du sacerdoce, et qui recevait dans son sein tous ceux qui s'y sentaient appelés par une vocation intérieure. Nous voulons parler de l'ordre des prophètes, dont il a été question précédemment et dont on a pu apprécier le râle important et la haute mission. Nous ajouterons ici quelques observations générales sur le prophétisme et les prophètes, en les considérant surtout sous le rapport moral et intellectuel[2].

Sous les prophètes on se figure ordinairement des hommes capables de révéler les choses cachées et de soulever le voile de l'avenir. Tel parait être en effet le sens qu'exprime le mot prophète ; mais nous avons fait voir que le mot hébreu NABI, que les versions rendent par prophète, ne désigne autre chose qu'un orateur inspiré, un interprète des lois divines. Anciennement il avait existé parmi les Hébreux des hommes appelés voyants (roîm ou hozîm), et auxquels le peuple attribuait le don de la divination. Nous trouvons un tel voyant dans Samuel lui-même, que Saül alla interroger, pour savoir ce qu'étaient devenues les ânesses de son père. Plus tard nous ne trouvons guère d'exemples de cette nature que dans le royaume d'Israël, très-rarement dans celui de Juda, où le prophétisme fut considéré sous un point de vue bien plus élevé. Les prophètes, tels qu'ils nous apparaissent dans leurs propres écrits, sont des hommes doués d'une haute intelligence, pleins de zèle pour Jéhova, le Dieu unique, et pour sa doctrine ; ils puisent leurs inspirations divines dans leur enthousiasme pour la vraie religion, et ils se mettent constamment en rapport avec Jéhova, dont ils s'appellent les serviteurs et les messagers[3]. Dieu, la religion, la morale, sont les principaux objets de leurs discours ; même lorsqu'ils se présentent comme orateurs politiques, ils rattachent leurs paroles à un ordre d'idées purement religieux. La religion qu'ils prêchent est le culte tout spirituel de la Divinité ; les sacrifices et les autres pratiques du culte sont des manifestations extérieures du sentiment religieux, qui n'ont aucune valeur sans la pureté des intentions et la piété intérieure (Isaïe, 1, 11-17). La gloire de l'homme ne consiste ni dans les richesses, ni dans la force matérielle, ni même dans le savoir, mais uniquement dans la connaissance de Dieu, dans la pratique de la vertu, de la charité et de la justice (Jérém. 9, 22). En un mot, propager la connaissance et le culte du vrai Dieu, spiritualiser la loi de Moïse, en faire ressortir la tendance morale, tel était le principal but des prophètes ; ils sont constamment les précepteurs du peuple, auquel ils prêchaient leurs doctrines sur la place publique ou dans le parvis du Temple, et en même temps ils se font les représentants du peuple auprès des rois, aidant de leurs conseils les bons souverains, blâmant les méchants avec une franchise par laquelle souvent ils s'attirent de cruelles persécutions. L'expérience du passé et une profonde intelligence du présent leur font jeter dans l'avenir un regard pénétrant ; tantôt ils font entendre les menaces de Jéhova, tantôt ils donnent, en son nom, des promesses consolantes. C'est surtout lorsque le peuple hébreu, divisé en deux fractions, est déchiré par des luttes intestines et menacé par des ennemis puissants, c'est lorsque la corruption des mœurs et l'infidélité envers Jéhova menacent de détruire l'indépendance et la liberté, c'est alors que les Nebiim, les orateurs inspirés, se font prophètes dans le vrai sens du mot ; mais plus l'avenir dont ils parlent est éloigné, et plus leurs prédictions restent dans les généralités. Les prophètes, en général, se tiennent dans leur temps et dans leur sphère ; lorsqu'ils se transportent dans l'avenir, ce sont toujours des pressentiments, des craintes ou des espérances vagues, et non pas des prédictions positives se rapportant a une époque fixe. Jamais un Isaïe, un Micha, un Jérémie, ne se sont abaissés à jouer le rôle de devins. Si çà et là vous trouvez, dans les prophètes, des prédictions de faits positifs, des dates, des noms propres, et en quelque sorte une histoire de l'avenir, soyez sûr qu'il y a là interpolation ou supposition. Analysez avec le scalpel de la critique, et vous en trouverez les preuves évidentes. Si, par exemple, dans un livre prophétique portant le nom d'Isaïe, on vous parle du retour de l'exil de Babylone, si on va jusqu'à nommer Cyrus, qui est postérieur à Isaïe d'environ deux siècles, soyez sûr que ce n'est pas Isaïe qui parle. Présentez-vous un orateur, qui, pour consoler ses frères dans les moments de découragement, leur débite des oracles obscurs et leur dit, dans un moment où Babylone est encore sans importance, que l'empire chaldéen sera détruit et que leurs arrières-petits-fils reviendront de l'exil. Belle consolation ! Encore faut-il que l'orateur soit intelligible pour ses auditeurs ; il fallait au moins leur dire qu'il y aurait un jour un empire de Babylone très-puissant, et que les Juifs y seraient conduits, ce dont Isaïe a pu avoir un vague pressentiment, mais ce qu'il n'a jamais annoncé, comme un fait positif, dans ses discours publics. Si, au contraire, c'est un orateur de l'exil qui parle à ses co-exilés, tout est intelligible, tout est sublime. Examinez le texte hébreu de la partie suspecte des discours d'Isaïe, et le prophète de l'exil, quelque pur que soit son langage, se révélera par quelque chaldaïsme, ou par quelque allusion aux idées babyloniennes ou parses[4]. — Pour citer encore un exemple d'une époque plus récente, si, au nom de Daniel, on prédit, avec une admirable précision, l'histoire des successeurs d'Alexandre, soyez sûr que ce n'est pas Daniel qui parle ; cherchez, et vous trouverez plusieurs mots grecs[5], qui vous révéleront un auteur de l'époque macédonienne.

Toutes les fois que les prophètes prédisent positivement ce qui doit arriver dans un avenir prochain, ils puisent leurs prédictions dans les circonstances du présent, dont ils prévoient les conséquences nécessaires. Sous un seul rapport ils franchissent les limites ordinaires et se transportent dans un avenir éloigné qu'ils désignent par des expressions indéterminées, telles que : à la fin des jours, en ce temps-là, il viendra des jours, etc. ; c'est lorsqu'ils parlent du règne messianique, de l'âge d'or qu'il amènera, et du triomphe de la croyance monothéiste qui sera adoptée par tous les peuples de la terre. Ce triomphe ils l'annoncent avec une profonde conviction, comme le terme où doit aboutir le développement progressif des idées religieuses du genre humain. C'est là l'avenir idéal qu'ils ont constamment devant les yeux et que çà et là ils présentent sous l'image d'un Messie (roi sacré) de la race royale de David.

Les prophètes improvisaient leurs discours, qui avaient ordinairement une forme poétique et se distinguaient de la prose élevée par l'élan de l'imagination, par des images sublimes et souvent par un certain rythme et par le parallélisme propre à la poésie hébraïque et dont nous parlerons plus loin. Ils s'inspiraient quelquefois au son des instruments de musique (II Rois, 3, 15), et, pour mieux agir sur leur auditoire, ils joignaient souvent à leurs paroles des images en action, ou des actes symboliques, comme on en a vu des exemples dans ce que nous avons rapporté d'Isaïe et de Jérémie. Les discours écrits qui nous restent des prophètes ne remontent pas au delà de l'époque d'Ouzia ; depuis cette époque les prophètes rédigeaient en partie les discours qu'ils avaient improvisés, afin de les faire parvenir à la postérité. Il est probable que quelques-uns des discours que nous possédons ne furent jamais prononcés publiquement, mais seulement écrits par le prophète, ou sous sa dictée, et ensuite lus dans les assemblées par le secrétaire du prophète, ou par quelque autre personne qu'il en avait chargée[6] ; peut-être furent-ils répandus quelquefois par des copies, comme d'autres œuvres littéraires.

On voit que les prophètes formaient la classe la plus éclairée de la nation et la plus avancée par rapport aux idées religieuses et morales. Tandis que les prêtres, en général, ne connaissaient que la lettre de la loi, les prophètes en saisissaient le véritable esprit, et savaient l'interpréter dans le sens de leurs idées de progrès et d'avenir. A côté des études spéciales que demandait leur haute vocation, ils cherchaient sans doute à cultiver leur esprit par d'autres connaissances, et ils embrassaient, à ce qu'il paraît, tout le savoir qui était accessible alors à un Hébreu. Ainsi ils connaissaient, jusqu'à un certain point, les forces secrètes de la nature, et l'usage qu'ils faisaient, de temps à autre, de leurs connaissances physiques, les fit considérer, par les gens du vulgaire, comme des thaumaturges. A travers l'enveloppe mythique qui cache quelquefois' les faits historiques dans les traditions populaires que la Bible nous a conservées sur plusieurs prophètes, on entrevoit souvent des faits qui se basent évidemment sur des procédés naturels et sur certaines notions de physique, bien que nous ne puissions pas nous en rendre un compte exact. Nous 'rappellerons le prophète Elie, prédisant tantôt la sécheresse, tantôt la pluie, Elisa rendant potable l'eau malsaine de Jéricho et adoucissant, au moyen d'une poignée de farine, un mets qu'on croyait empoisonné. Dans leurs expériences des choses naturelles, ils puisaient aussi l'art de guérir certaines maladies ; on a vu qu'Elisa guérit de la lèpre le général syrien Naaman (ib.), et qu'Isaïe faisait les fonctions de médecin auprès du roi Ézéchias, malade de la peste. La musique et la poésie étaient également cultivées par les prophètes ; dans les associations fondées par Samuel, les jeunes prophètes improvisaient au son des instruments (I Sam. 10, 5). Leurs paroles et leurs chants étaient d'un effet bien puissant ; quand David se fut réfugié auprès de la confrérie de Rama, tous les messagers que Saül y envoya pour se faire livrer son adversaire furent inspirés, et s'associèrent aux prophètes. Saül y alla lui-même, et il fut lui-même inspiré (I Sam. 19, 20-24). — Les prophètes composaient aussi en prose, et ils écrivaient surtout l'histoire nationale ; dans les Chroniques, on cite, depuis Samuel jusqu'à Isaïe, un certain nombre de prophètes qui avaient écrit l'histoire contemporaine. Samuel, Gad et Nathan avaient raconté les événements du règne de David (I Chron. 29, 29) ; dans le livre de Nathan on trouvait aussi une partie de l'histoire de Salomon (II Chron. 9, 29). Les actes de Réhabeam furent consignés dans les livres de Sémaïah et d'Jddo (ib. 12, 15), et ce dernier écrivit aussi l'histoire d'Abiam (ib. 13, 22). Le règne de Josaphat fut écrit par le prophète Jéhu (ib. 20, 34) et celui d'Ouzia par le prophète Isaïe (ib. 26, 22). Le rôle politique que nous voyons jouer aux prophètes les rendait plus propres que qui que ce fût à écrire l'histoire contemporaine.

Sur la vie extérieure des prophètes nous n'avons que peu de données. Depuis l'époque de Samuel jusqu'à celle d'Élisa, nous trouvons des confréries de prophètes vivant en communauté, et formant un ordre présidé par un prophète supérieur, qui, à ce qu'il paraît, était sacré par la cérémonie de l'onction (I Rois, 19, 16), et qui réglait les exercices et les études des membres de la confrérie ; appelés fils ou élèves de prophètes. Tout Hébreu pouvait être reçu dans les confréries, qui étaient établies dans plusieurs endroits ; les membres recevaient, en cas de besoin, les aumônes des gens pieux (II Rois, 4, 42). Mais, en général, ils ne renonçaient ni aux occupations ordinaires qui les faisaient vivre, ni à leurs liens de famille ; les confréries n'étaient en quelque sorte que des écoles, où les jeunes prophètes apprenaient tout ce qui était nécessaire à leur vocation, et qu'ils quittaient quand ils le jugeaient convenable. Il y en avait même qui étaient mariés (ib. 4, 1) ; c'est donc fort mal à propos que saint Jérôme les compare aux moines chrétiens[7]. Au reste, on pouvait être prophète, sans avoir vécu dans l'une des confréries ; ces dernières n'existaient même pas dans le royaume de Juda, du moins il n'en est jamais fait mention dans la Bible ; et en effet ces établissements étaient devenus inutiles en présence du sanctuaire central de Jérusalem. Dans le pays d'Israël, on ne mentionne plus les confréries après le temps d'Élisa. — Les prophètes n'étaient soumis à aucune règle ; leur manière de vivre dut être simple et austère, comme l'exigeait la gravité de leur ministère, mais nous ne trouvons pas qu'ils se soient livrés à une vie ascétique. Il paraît qu'ils étaient revêtus ordinairement d'un manteau de poil ; quelquefois ils portaient le vêtement de deuil appelé sac (Isaïe, 20, 2). Ils étaient généralement mariés, comme il résulte d'un grand nombre de passages bibliques, où il est question de femmes et d'enfants de prophètes, et comme on a pu le voir dans plusieurs endroits de notre histoire. Parmi les prophètes célèbres il y en a deux qui très-probablement vécurent dans le célibat ; ce sont Élie et Jérémie. Tout ce qu'on raconte des faits et de la manière de vivre du prophète Élie ne convient guère à un, père de famille, et Jérémie nous fait entendre lui-même qu'il ne se maria jamais, à cause des grands malheurs dont son pays était menacé (Jér. 16, 1-4).

Il y eut aussi quelques femmes extraordinaires que, par leur enthousiasme patriotique et religieux joint à un grand talent oratoire et poétique, méritèrent le titre de prophétesses[8]. On en a vu des exemples dans Débora et dans Hulda, qui jouissaient l'une et l'autre de la plus haute considération.

Après les lévites et les prophètes viennent les sages ; on appelait ainsi les hommes doués d'un esprit supérieur, qui puisaient dans l'expérience et la méditation une instruction qui les élevait bien au-dessus du vulgaire. Sans prétendre au sacerdoce moral qu'exerçaient les prophètes, sans se faire publiquement les champions de la théocratie et les propagateurs des idées religieuses et morales, ils cultivaient la poésie et cette sagesse pratique que les Orientaux aiment à présenter sous la forme de paraboles, de proverbes et d'énigmes (Prov. 1, 2-6). Le type de ces sages est Salomon, qui, dit l'Écriture, surpassait tous les sages de son temps, tels qu'Ethan, Héman, Calcol, Darda (I Rois, 4, 31, ou 5, 11). Ce qu'on nous dit de la science de Salomon et des œuvres qu'il composa peut nous donner une idée de ce qu'on comprenait sous le nom de sagesse. Il existait sans doute chez les anciens Hébreux, comme chez les Arabes, des assemblées de sages, où l'on discutait en commun des questions de science et de morale, et où les beaux esprits faisaient briller leur talent par des improvisations poétiques et par des discours spirituels. Dans le livre de Job, par exemple, nous voyons une réunion de quelques sages qui essayent de résoudre les problèmes de la providence divine et de la destinée des hommes. On a vu que le roi Ézéchias chargea une société de sages de recueillir les monuments littéraires de l'antiquité. Dans ces réunions, les jeunes gens avides d'une instruction supérieure pouvaient cultiver leur esprit ; car, comme nous l'avons dit plus haut, l'instruction qu'on donnait aux enfants dans les familles se bornait à peu de chose et les écoles publiques n'existaient pas encore.

 

B. Les sciences.

Les notions scientifiques que nous rencontrons chez les anciens Hébreux paraissent être empruntées aux nations voisines, notamment aux Égyptiens ; ces notions, en général, dépassent à peine les premiers éléments, car les Hébreux avant l'exil, loin de développer et de perfectionner une science quelconque, négligèrent même, à ce qu'il paraît, les essais méthodiques que quelques-uns de leurs anciens sages leur avaient-transmis et qui sont déposés dans le Pentateuque. Ainsi, par exemple, nous trouvons rarement une allusion aux essais de cosmologie que Moïse avait communiqués dans la Genèse ; le point de vue religieux faisait entièrement oublier les germes de science qui y étaient déposés.

Les connaissances mathématiques, bases de toute science, étaient nulles chez les Hébreux. Les calculs dont il est question dans la Bible ne conduisent pas au delà des quatre premières règles de l'arithmétique[9] ; on avait sans doute des méthodes pour arpenter, pour mesurer les dimensions d'un édifice, etc., mais ce n'était là qu'une simple routine, sans principes géométriques.

Il ne saurait être question d'Astronomie ; le calendrier fort imparfait, basé en partie sur des observations agronomiques, prouve qu'on n'était pas en état de déterminer exactement le rapport de l'année lunaire et de l'année solaire. On distinguait plusieurs constellations connues par l'observation vulgaire des pasteurs et des gens de la campagne ; les noms que nous trouvons dans la Bible sont : ASCH ou AÏSCH (la grande Ourse)[10], KESIL (l'Orion), KIMAH (les Pléiades), NAHASCH (le Dragon), HÉLEL (lucifer, Vénus), MAZZALOTH (les signes du zodiaque)[11]. Quelques autres noms, tels que Nebo (Mercure), Kiyyoun ou Kéwân (Saturne), etc., sont empruntés au culte des Chaldéens ou des Sabéens, et à leur astrologie[12]. Mais il y a loin de la connaissance de quelques astres et constellations à une science astronomique, et cette science, alors inséparable des superstitions astrologiques, était trop peu en harmonie avec les doctrines mosaïques pour être favorisée par les prophètes, ennemis de toute superstition, et qui ne voulaient pas qu'on interrogeât les signes célestes et qu'on s'en épouvantât à la guise des païens (Jérémie, 10, 2).

Nous avons déjà observé plus haut que les prophètes possédaient probablement quelques notions de physique dont l'application les faisait considérer quelquefois comme des thaumaturges, et qu'ils pratiquaient aussi la médecine. On a vu aussi que les prêtres savaient traiter particulièrement certaines maladies et que Moïse prescrivit un traitement minutieux pour les personnes atteintes de la lèpre, dont le Lévitique expose en détail les signes diagnostiques. Des prêtres et des prophètes on distingue les médecins vulgaires (ROPHÉÎM)[13], ce qui prouve qu'il existait une classe particulière cultivant la médecine ; mais ces médecins n'étaient probablement que des empiriques, la médecine lie s'étant pas encore élevée au rang d'une véritable science. On traitait principalement les maladies extérieures et les blessures ; les remèdes consistaient surtout en fomentations, on employait le baume, l'huile d'olives et d'autres remèdes amollissants[14]. Il parait cependant qu'on connaissait aussi quelques remèdes intérieurs désignés par les mots arbre de vie, c'est-à-dire plante salutaire[15] ; dans un passage des Proverbes (13, 12), ces mots sont opposés, dans le parallélisme poétique, à la maladie du cœur, et désignent évidemment des remèdes contre les maladies intérieures, dont on distingue plusieurs (Deut. 28, 22).

Les Hébreux étaient un peu plus avancés dans l'histoire naturelle. Le livre de Job, plus que tout autre livre de la Bible, révèle des connaissances notables dans les trois règnes de la nature ; nous avons déjà fait remarquer, en parlant des arts et métiers, qu'on trouve dans ce magnifique poème les traces de connaissances exactes touchant la génération des métaux et les travaux des mines (Job, 28, 1, etc.), et ce que nous avons dit des travaux en métal suffit pour faire voir que les Hébreux, en fait de notions métallurgiques, n'en étaient plus aux premiers éléments, et qu'ils avaient su au moins s'approprier les découvertes et les observations de leurs voisins, les Égyptiens et les Phéniciens. Dans les images des poètes hébreux on peut découvrir des connaissances assez étendues par rapport aux plantes et aux animaux, et ces connaissances ne se bornent pas à l'histoire naturelle de la Palestine ; çà et là nous rencontrons des descriptions fort remarquables qui supposent, chez leurs auteurs, des études, sinon des observations propres. Nous citerons, par exemple, dans les Proverbes (6, 6-8), l'image de la fourmi, et dans le livre de Job, l'image qui fait allusion au papyrus (8, 11), la belle description de l'onagre (ch. 39, v. 5-8), du reêm (v. 9-12)[16], de l'autruche (v. 13-18), du cheval (v. 19-25), de l'aigle (v. 27-30), de l'hippopotame (ch. 40, v. 15-24), du crocodile (v. 25-32). Dans le 1er livre des Rois (4, 33, ou 5, 13), on attribue à Salomon une description générale des plantes et des animaux, et, ce qui est plus positif, dans le Pentateuque nous trouvons un système de cosmogonie et des essais de classification méthodique des plantes et des animaux. Dans la Genèse (ch. 1, v. 11), on divise les végétaux en herbes qui pousse nt spontanément, en plantes portant de la semence et en arbres portant des fruits. Le règne animal est divisé en quatre classes, savoir : les poissons, les oiseaux, les quadrupèdes et les reptiles (ib. v. 26)[17]. Nous trouvons de nombreuses traces d'une classification plus détaillée, selon la nature des animaux et leur organisation plus ou moins parfaite. Ainsi on distingue les cétacés des autres animaux aquatiques (ib. v. 21) ; les quadrupèdes sont divisés en animaux sauvages et animaux domestiques (ib. v. 25). On a vu, dans un autre endroit, que le législateur des Hébreux divise les animaux en purs et impurs et qu'il distingue, à cette occasion, les poissons qui ont des nageoires et des écailles, les quadrupèdes ruminants et ceux qui ont le sabot divisé, et différents genres d'oiseaux, de reptiles et d'insectes.

Les deux premiers chapitres de la Genèse nous offrent deux systèmes de cosmogonie, ou pour mieux dire, de géogonie ; car, quoique dans le premier chapitre on parle aussi du ciel et des astres, ceux-ci ne sont présentés que comme les accessoires de la terre, qui est le but principal de la création. Peu nous importe que le commencement de la Genèse offre des analogies avec les cosmogonies des Chaldéens, des Perses, des Phéniciens, des Égyptiens, comme on l'a souvent répété[18] ; quand même la cosmogonie des Hébreux aurait été empruntée ers partie aux mythologies étrangères, toujours est-il qu'elle a pris, dans la Genèse, un caractère tout particulier. Il s'agissait moins d'imaginer un système scientifique, que d'établir comme principe fondamental, que Dieu est le créateur de toute chose. Aussi l'auteur de la Genèse n'a-t-il pas hésité à admettre dans son recueil deux systèmes bien différents, ruais qui tous deux répondaient au but qu'il se proposait. Dans le premier document, qui ouvre la Genèse et qui va jusqu'au verset 3 du deuxième chapitre, on voulait aussi rattacher à la création l'institut du Sabbat qui devait en être le symbole. De là viennent les sept journées dont six sont consacrées à l'œuvre de la création et la septième au repos. Mais comme les journées ne peuvent être distinguées que par la variation de la lumière et des ténèbres, et que, dans le développement successif de la création, le tour du soleil et des autres astres ne pouvait arriver que le quatrième jour, il a fallu imaginer un fluide lumineux créé dès le premier jour et indépendant du soleil, dont il devait momentanément faire les fonctions. Ce trait suffit seul pour faire voir que nous avons ici un mythe religieux et non pas un récit historique ou un système purement scientifique. Dieu (Elohim), dit la Genèse, créa d'abord le ciel et la terre dans un état de chaos, tohou wabohou ; puis, pour dissiper les ténèbres du chaos et pour éclairer l'œuvre qu'il allait accomplir, sa parole fit naître la lumière. Tel fut l'ouvrage du premier jour. La terre étant cachée dans l'eau qui remplissait l'espace, le second jour fut consacré à l'en dégager ; l'eau se divisa en deux portions, dont l'une, occupant le haut de l'espace, fut retenue par une voûte qui se forma là la parole du Créateur, et cette voûte fut appelée ciel. Le troisième jour, les eaux inférieures se retirèrent dans les cavités de la terre et formèrent les mers ; ensuite la surface de la terre se couvrit de plantes. Au quatrième jour, le soleil, la lune et les étoiles apparurent à la voûte céleste. Dès lors la terre est propre à recevoir des habitants ; le cinquième jour est employé à la création des animaux aquatiques et des oiseaux, le sixième à celle de tous les animaux de la terre, et à la fin le premier couple humain sort de la main du Créateur[19]. L'homme, destiné à tout dominer, est fait à l'image de Dieu. Cette cosmogonie est d'une simplicité enfantine ; il ne faut y voir qu'un poème, renfermant bien quelques germes de science, mais ou l'imagination l'emporte sur la réflexion, et qu'on aurait tort de juger du point de vue scientifique. — Dans le second document (ch. 2, v. 4 et suiv.), qui ne s'occupe que de la terre seule, on reconnaît, malgré son caractère mythique, une observation plus exacte de la nature. Lorsque Jehova-Elohim (c'est ainsi que Dieu est appelé dans ce document) eut fait la terre et le ciel, il n'y avait d'abord aucune végétation sur la terre ; car il n'y avait encore ni pluie ni aucun homme pour labourer la terre (v. 4 et 5). Alors des vapeurs s'élèvent de la terre et y retombent sous la forme de pluie, pour l'arroser et la fructifier (v. 6). Ensuite Dieu forme l'homme de la poussière de la terre et lui donne lui-même le souffle de la vie (v. 7). Il plante un jardin dans Éden et y place l'homme pour le cultiver (v. 8 et 15). Dieu trouvant l'homme trop isolé dans la nature, forma de la terre les différentes espèces d'animaux et les amena à l'homme, qui leur donna des noms ; mais comme, parmi tous ces êtres, il ne se trouvait point d'aide qui fût semblable à l'homme, Dieu, ayant fait endormir l'homme, prit une de ses côtes et en forma la femme (v. 18-22). — Sans nous arrêter aux idées philosophiques et morales que renferme le mythe de l'arbre de la science et de la création de la femme, et que nous avons déjà fait ressortir dans d'autres endroits, nous notes contentons de faire remarquer les éléments de science physique déposés dans les versets 5 et 6, et qui concernent la genèse des plantes que le premier document, selon son caractère purement poétique et religieux, attribue à la seule parole de Dieu, sans faire intervenir une loi physique. Dans la description du jardin d'Éden (v. 10-14), nous trouvons quelques données obscures de la géographie des Hébreux que nous allons considérer dans son ensemble.

Il n'existe aucun passage, dans la Bible, qui exprime clairement ce que pensaient les anciens Hébreux de la configuration de la terre ; cependant quelques expressions que nous trouvons çà et là nous laissent deviner que, dans l'opinion des Hébreux, la surface de la terre était un plan circulaire. Nous lisons dans le livre d'Isaïe (40, 22) que Dieu réside au-dessus du cercle (HOUG) de la terre ; dans les Proverbes (8, 26 et 27) la sagesse dit qu'elle existait avant que Dieu eût fait la terre, qu'elle était là lorsqu'il disposait les cieux et qu'il traçait un cercle sur l'abîme[20]. Selon le livre de Job (26, 7), la terre, par la toute-puissance divine, plane dans l'espace et n'est soutenue par rien[21] ; si dans ce même livre (9, 6), ainsi que dans les Psaumes (75, 4 ; 104, 5), on lui prête des bases et des colonnes, ce ne sont là évidemment que des images poétiques. — Les points cardinaux sont appelés les quatre angles de la terre (Isaïe, 11, 12), ou les quatre bouts des cieux (Jérém. 49, 36), ou les quatre vents (I Chron. 9, 24). L'Hébreu, en désignant les différentes régions, a le visage tourné vers l'orient, de sorte qu'il a derrière lui l'occident, le midi à droite et le nord à gauche (Job, 23, 8 et 9), ce qu'il est important de savoir pour bien comprendre certaines expressions géographiques de la Bible. Chacune des quatre régions du ciel a différents noms : 1° L'orient (MIZRACH) s'appelle aussi KÉDEM (devant) ; on dit souvent : Tel endroit est à la face ou en face de tel autre, pour dire à l'est. 2° L'occident (MAARAB, le maghreb des Arabes) est désigné par ACHOR (derrière) ; derrière tel endroit veut dire à l'ouest (Juges, 18, 12). Souvent on désigne l'occident par la mer, parce que la Méditerranée était à l'ouest de la Palestine. 3° Le midi s'appelle tantôt NÉGHEB (sécheresse), tantôt THÉMAN ou YAMÎN (droite), tantôt DABOM (mot dont l'étymologie est incertaine). 4° Le nord s'appelle ÇAPHON (lieu caché, obscur), ou SEMOL (gauche, Gen. 14, 15). — La terre sèche, opposée à la mer (Jona, 1, 9), se divise un grand continent et en beaucoup d'îles (Ps. 97, 1). On plaçait le centre de la terre dans la ville sainte de Jérusalem. Dieu dit, dans le livre d'Ézéchiel (5, 5) : C'est Jérusalem que j'ai placée au milieu des nations, et autour d'elle, des pays. C'est dans ce sens que, dans un autre passage, le même prophète (38, 12) dit que le peuple hébreu habite le nombril de la terre[22]. Cette même opinion est en vogue chez les rabbins et les Pères de l'Église[23], qui y font souvent allusion ; ce qui a fait dire au Dante :

Gia era 'I Sole all' orizzonte giunto

Lu cui meridian cerchio coverchia

Jerusalern col suo phi alto punto[24].

Dans la géographie fabuleuse des anciens peuples de l'Asie, on parle d'une haute montagne qu'on place tantôt au milieu des zones terrestres, tantôt à l'extrémité septentrionale de la terre habitée, et qui est considérée comme la résidence des dieux. Pour les Indous cette montagne est le Mérou, qui, dans le monde réel, parait désigner le haut pays de la Tartarie, au nord de l'Himalaya[25]. Pour les Parsis c'est le soumet le plus élevé du Caucase, désigné dans les livres de Zoroastre sous le nom d'A/bordj. Dans le livre d'Isaïe (14,13), on fait allusion à cette montagne ; le prophète, s'adressant au roi de Babylone, lui dit : Tu disais en ton cœur : Je monterai aux cieux, élèverai mon trône au-dessus des étoiles divines, je serai assis sur la montagne de réunion, à l'extrémité du nord. Mais ici le prophète parle, comme il devait le faire, dans le sens de la mythologie babylonienne[26], et il ne faut pas conclure de là que cette idée d'une montagne divine, a l'extrémité du nord, ait été familière aux Hébreux ; lorsque les poètes hébreux parlent allégoriquement de l'apparition de Jéhova, ils font émaner sa lumière du mont Sinaï ou du mont Sion.

Si la géographie fabuleuse des Hébreux présente quelques rapports avec celle d'autres peuples de l'Asie, c'est dans la description du jardin d'Eden (délices), ou du paradis terrestre. Voici comment s'exprime la Genèse (2, 10-14) : Un fleuve sortait d'Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait pour former quatre bras[27]. Le nom de l'un est Phison ; c'est celui qui parcourt tout le pays de Havila, où se trouve l'or. Et l'or de ce pays-là est bon ; là est aussi le bedolach (bdelliurn) et la pierre de schoham (onyx). Le nom du second fleuve est Guihon ; c'est celui qui parcourt tout le pays de Cousch. Le nom du troisième fleuve est Hiddékel ; c'est celui qui coule à l'orient de l'Assyrie ; et le quatrième fleuve est le Phrâth (Euphrate). C'est en vain qu'on s'est efforcé d'adapter cette description à un point connu du globe terrestre ; car il n'existe aucune contrée dont on puisse dire qu'elle donne naissance à l'Euphrate et à trois autres grandes rivières sortant d'un même point. Il faudrait faire un livre volumineux pour énumérer et discuter toutes les hypothèses qu'on a faites sur la topographie d'Éden, dans le but d'établir l'existence réelle des lieux décrits dans la Genèse[28] ; la multitude même de ces hypothèses, parfois très-bizarres, et qui n'ont conduit à aucun résultat, est la meilleure preuve que le jardin d'Éden est une création de l'imagination poétique et appartient à. la géographie mythique de l'ancien Orient. C'est ainsi que, selon quelques Pourânas, le Gange, tombé du ciel près de la cité de Brahma, sur le mont Mérou, s'y divise en quatre grands fleuves coulant dans diverses directions, et dont les noms présentent autant de difficultés que ceux des fleuves d'Éden[29]. C'est ainsi encore que, selon les livres des Parses, Ormuzd, par l'amour extrême qu'il a pour les hommes, a fait couler d'auprès de son trône deux eaux qui circulent sur la surface de la terre[30]. Mais quoique le jardin d'Éden et la source commune des quatre fleuves soient une fiction poétique, les quatre noms désignent, sans aucun doute, des fleuves réels, connus des anciens Hébreux. Pour le troisième et le quatrième il ne peut y avoir aucune doute. Le nom de Hiddékel, qui se trouve aussi dans le livre de Daniel (10, 4), désigne le Tigre, que les Syriens appellent Deklath ; seulement le texte de la Genèse s'exprime d'une manière peu exacte, en le faisant couler à l'est de l'Assyrie. Phrâth est l'Euphrate, très-souvent mentionné sous ce nom dans les livres hébreux. Sur le premier et le second, les opinions varient beaucoup chez les auteurs anciens et modernes. Nous dirons, avec Volney[31], qu'il n'y a point de raison solide à prendre le Phison pour le Phase de Colchide, opinion qui, depuis Reland, a été adoptée par beaucoup de savants. Les quatre fleuves paraissent se suivre de l'orient à l'occident ; le Phison était sans doute un grand fleuve vaguement connu des Hébreux, qui le plaçaient à l'extrémité de l'orient, et nous ne voyons aucun inconvénient à le prendre, avec Josèphe, pour le Gange[32]. Dans ce cas, le pays de Havila, qui, dans tous les cas, doit être différent des deux pays du même nom, mentionnés au ch. 10 (v. 7 et 29), désignerait l'Inde, qui de tout temps était immensément riche en or et en pierres précieuses[33]. Naturellement le Guihon désigne alors un des grands fleuves de l'Asie, entre le Gange et le Tigre, et n'est autre que l'Indus ; le pays de Cousch, dans l'acception la plus vaste de ce nom, embrasse, comme l'Éthiopie des Grecs, tout le midi de l'Asie et une partie de l'Afrique[34].

Après ce que nous venons de dire on ne nous demandera pas de renseignements sur le pays de Nod, où s'établit Caïn, ni sur la ville d'Hénoch qu'il y bâtit (Gen. 4, 16 et 17), et qui appartiennent l'un et l'autre à la géographie mythique. Nôd signifie errement, exil ; mais peut-être l'auteur de la Genèse a-t-il eu quelque vague connaissance d'un pays de Hanod ou Hind (Inde), à l'orient d'Éden, dont le nom, par un léger changement, a été mis en rapport avec l'exil de Caïn[35]. La fondation de la ville d'Hénoch est peut-être un symbole, indiquant le commencement de la civilisation, suivi de l'invention des arts (v. 21 et 22) ; ce serait vraiment absurde de s'attacher au sens littéral, et d'attribuer à Caïn, qui était alors seul avec sa femme et son fils, la construction d'une ville. Mais après les symboles du jardin de délices, de la chute de l'homme, de la lutte morale et physique, celui de la cité se trouve bien a sa place.

Si jusqu'ici nous n'avons trouvé que quelques données vagues puisées dans les traditions mythiques de l'antique Asie, le 10e chapitre de la Genèse nous transporte dans la sphère de la réalité historique et nous présente, sous la forme d'une table généalogique, le résumé du système géographique et ethnographique des anciens Hébreux. Sous les noms des trois fils de Noé et de leurs descendants, ce tableau présente, dans un ordre systématique, les trois parties de la terre connue, ainsi que les différents peuples qui habitaient chacune d'elles, du moins ceux dont les noms étaient connus aux Hébreux. L'auteur lui-même indique très-clairement qu'il entend donner un tableau ethnographique ; car au milieu des noms qui, en apparence, désignent des individus, nous en rencontrons quelques uns qui ont la terminaison du pluriel, ou celle des noms patronymiques, et désignent évidemment des peuples. Tels sont, par exemple, les noms de Misraïm (Égypte ou Égyptiens), Pelischthîm (Philistins), Caphthorîm (Crétois), Yebousi (le Jébusite), Emori (l'Amorrhéen), etc. Les autres noms, qui paraissent appartenir à des individus, sont également empruntés aux peuples alors connus ; de la même manière les Grecs imaginèrent un Æolus, père des Éoliens, un Horus, père des Doriens, un Ion, père des Ioniens, etc. L'auteur nous en avertit lui-même, lorsqu'à la fin de la seconde et de la troisième division, il ajoute ces mots : ce sont là les enfants de Cham (de Sem), selon leurs familles, selon leurs langues, dans leurs pays et leurs nations. — Ce tableau suppose des recherches savantes ; l'auteur paraît avoir recueilli les traditions de différents peuples qu'il a combinées ensemble. S'il eût voulu inventer, il aurait mis une certaine symétrie dans les subdivisions ; mais comme il ne veut nommer que les peuples sur lesquels il a pu avoir des notions exactes, il n'entre dans quelques détails que sur les branches chamites et sémites établies dans des contrées peu éloignées de l'Égypte et de la Palestine. Les peuples lointains, tels que les Chinois, les Indous, manquent entièrement. A la vérité, l'auteur donne quelquefois une origine commune à des peuples qui, à en juger par leurs langues respectives, paraîtraient appartenir à des souches différentes, comme, par exemple, les Assyriens et les peuples araméens[36] ; d'un autre côté, il fait venir de souches différentes plusieurs peuples dont les langues appartiennent à une même famille, comme, par exemple, les Phéniciens et plusieurs peuplades couschites qu'il fait venir de Cham et qui cependant parlaient des dialectes sémitiques. Mais les langues ne sont pas toujours un guide mir pour fixer, d'une manière absolue, la filiation des races ; dans les migrations des peuples, les familles de souches différentes peuvent se confondre et adopter les langues les unes des autres, et il serait téméraire de vouloir juger par les langues seules, sur quels points les données de la Genèse s'écartent de la vérité historique. Au reste, nous n'avons pas à discuter ici la valeur historique de ces données ; nous devons montrer seulement l'état des connaissances ethnographiques et géographiques chez les anciens Hébreux, et il ne s'agit pour nous que d'indiquer aussi exactement que possible les peuplades comprises dans le tableau de la Genèse, en résumant brièvement les faits les plus probables qui résultent des recherches critiques de Bochart et de ses continuateurs[37].

On peut considérer les noms de Japheth, de Cham et de Sem, comme analogues à ceux d'Europe, d'Afrique et d'Asie ; mais la division n'est pas exactement la même. Japheth embrasse le midi de l'Europe, l'Asie Mineure et les pays du Caucase ; à Cham (dont le nom signifie chaleur) appartiennent le nord et l'est de l'Afrique et le sud-ouest de l'Asie, le long de la côte de la mer Rouge ; Sem embrasse les pays du milieu de l'Asie, entre la Méditerranée et le golfe Persique. Mais quelques branches de ces trois races se trouvent déplacées de bonne heure par des migrations, comme on le verra par le tableau suivant, dans lequel nous conservons l'ordre du 10e chapitre de la Genèse :

Japheth.

I. GOMER (Ézéch. 38, 6), les Cimmériens, ou les Cimbres, au nord de la mer Noire, dans les environs de la Chersonèse Taurique ou de la Crimée. Leurs descendants ou colonies sont :

1. Askenaz, nom obscur, qui, selon Bochart, désigne les Phrygiens ; et, en effet, le mot Askenaz ressemble à Ascaniens, ancien nom des Phrygiens[38]. Mais un passage de Jérémie (51, 27), qui met Askenaz en rapport avec Ararat, semble indiquer une contrée de l'Arménie ; ce serait, selon Volney, la province appelée par Strabon Asikinsène.

Riphath, selon quelques-uns les monts Riphéens, que les anciens placent à l'extrémité du nord ; mais nous préférons, avec Volney, y reconnaître les monts Niphates en Arménie.

Thogarma (Ézéch. 27, 14 ; 38, 6), peuple de la grande Arménie. Selon l'Histoire arménienne de Moïse de Chorène, les Arméniens, Géorgiens, etc., descendirent de Thargamos, petit-fils de Noé.

II. MAGOG, nom collectif désignant, comme celui de Scythes, plusieurs peuplades barbares au delà du Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. En effet, Josèphe interprète le nom de Magog par Scythes, et saint Jérôme dit que c'était l'opinion générale des Juifs de son temps[39]. Leur roi est appelé Gog (Ézéch. 38, 2), nom qui, dans l'Apocalypse (20, 8), est considéré comme celui d'un peuple ; les traditions arabes parlent également des peuples caucasiens Yâdjoudj et Mâdjoudj.

III. MADAI, nom qu'on rencontre souvent chez les auteurs bibliques, vers l'époque de l'exil, et qui désigne les Mèdes et la Médie.

IV. YAVAN, les Ioniens ou les Grecs en général ; leurs branches ou leurs colonies sont :

Élisa, l'Élide (Elis), ou plutôt tout le Péloponnèse. Selon Ézéchiel (27, 7), les îles ou pays maritimes d'Élisa apportaient la pourpre aux marchés de Tyr, et nous savons aussi par les auteurs grecs et romains que les côtes du Péloponnèse, et notamment de la Laconie, étaient riches en coquillages à pourpre[40]. D'autres comparent le nom d'Elisa avec celui d'Hellas (Grèce).

2° Tharsis est, sans aucun douté, Tartessus en Espagne, et en général le pays d'Andalousie, où se trouvaient en abondance les métaux que, selon Ézéchiel (27, 12), les Phéniciens tiraient de Tharsis[41]. Il va sans dire qu'il faut entendre ici par Tharsis la population ibérienne indigène et non pas la colonie phénicienne de Tartessus.

Kitthim, l'île de Cypre ; plus tard le nom de Kitthim fut étendu aussi sur quelques autres îles et on disait les îles de Kitthim (Jér. 2,10 ; Ézéch. 27, 6)[42]. Dans le premier livre des Maccabées (1, 1), ce nom désigne même la Macédoine, et tel parait être aussi le sens de Kitthim dans le livre de Daniel (11, 30).

Dodanim, ou mieux Rodanim, comme le portent le texte samaritain et le passage parallèle du premier livre des Chroniques ; ce nom désigne les Rhodiens, ou les habitants de l'île de Rhodes.

V. THOUBAL, selon Bochart, Michaelis et tous les modernes, désigne les Tibaréniens, sur le rivage sud-est de la mer Noire.

VI. MÉSECH, les Moschi, sur les montagnes du même nom, entre la mer Noire et la mer Caspienne. Hérodote mentionne plusieurs fois les Moschi à côté des Tibareni, comme le fait aussi le prophète Ézéchiel, qui nous apprend que, de son temps, Mésech et Thoubal étaient soumis à Gog, roi de Magog, et qu'ils apportaient des esclaves et du cuivre sur les marchés de Tyr[43].

VII. THIRAS, qui n'est mentionné que dans ce tableau ethnographique, parait désigner les Thraces.

Cham.

1. COUSCH désigne ordinairement l'Éthiopie proprement dite, ou le pays qui s'étend au midi de l'Égypte, le long du golfe Arabique. Mais le nom de Cousch se prend souvent, comme celui d'Éthiopie chez les Grecs[44], dans un sens plus vaste, et désigne en général les pays chauds du midi, dont les habitants ont la peau noire (Jérém. 13, 23), et notamment le midi de l'Arabie. Des auteurs syriens du cinquième siècle désignent encore les Arabes himyarites par le nom de Couschites[45]. En effet, les peuples que la Genèse signale comme descendants de Cousch étaient établis, pour la plupart, dans l'Arabie méridionale ; ce sont les suivants :

Seba, l'État qui plus tard portait le nom de Méroé[46] et qui, situé sur une île, entre deux bras du Nil, formait la partie septentrionale de l'Éthiopie.

Havila, probablement les Chaulatœi de Strabon[47] et Chavelœi de Pline, entre les Nabatéens et les Agréens ou Agaréens. Le pays de ces derniers, dit Volney, doit être le Hijar ou Hagiar moderne, par le 27° de latitude, dans le Hedjaz, à environ 40 lieues est de la mer Rouge.

Sabtha, probablement la Sabatha de Pline (VI, 32), dans l'Arabie heureuse, non loin de la mer Rouge.

Rama ou Ragma, chez les Grecs Rhegma, sur la côte arabe du golfe Persique[48]. Ses colonies étaient, selon la Genèse, Scheba ou Saba (qu'il ne faut pas confondre avec Seba, n° 1) et Dedan. Saba est la Sabée, dans l'Arabie méridionale ; sa population, à ce qu'il paraît, se composait de Chamites et de Sémites, car nous retrouvons encore un Saba parmi les descendants de Sem (Gen. 10, 28), et rien ne nous oblige d'y voir une autre province portant le même nom. Dedan est probablement la petite île de Daden près de la côte arabe du golfe Persique[49].

Sabthecha, nom douteux, dans lequel Bochart a cru reconnaître une ville du Kerman, située près du golfe Persique, et nommée Samydaké par quelques auteurs grecs.

6° De Cousch la Genèse (10, 8) fait aussi descendre Nimrod, qu'elle présente comme le fondateur du royaume de Sinéar (la Babylonie et la Mésopotamie), dont les principales villes furent Babel, Erech (Édesse), Accad (selon les anciennes versions, Nésibis) et Calné (Ctésiphon).

II. MISRAÏM, nom sémitique des Égyptiens. Leurs descendants sont :

1° Les Loudîm, peuple inconnu d'Afrique.

2° Les Anamîm, également inconnus.

3° Les Lehabîm, probablement les mêmes que les Loubim (Nahum, 3, 9) ou Libyens.

4° Les Naphthouhîm, selon Bochart les habitants du district de Nephtys, dans le nord-est de l'Égypte.

5° Les Pathrousîm, ou les habitants du district de Pathourès, près Thèbes.

6° Les Caslouhîm, selon Bochart les Colchiens, qu'Hérodote présente comme une colonie égyptienne.

7° Les Caphthorîm, les Crétois, au milieu desquels vécut, à ce qu'il paraît, une partie des Caslouhîm, dont descendirent les Philistins.

III. POUT ou PHUT, la Mauritanie

IV. CANAAN, avec onze descendants.

Sem.

I. ÉLAM, le pays d'Élymaïs, et en général la Perse, dont le nom (Paras) ne se rencontre que dans les livres d'une époque plus récente.

II. ASSOUR, les Assyriens, qui, d'abord établis dans la Babylonie, sortirent de là et bâtirent Ninive et quelques autres villes moins connues (Gen. 10, v. 11 et 12).

III. ARPACHSAD, selon Bochart, un peuple établi au nord de l'Assyrie, dans l'Arrapachitis. Le petit-fils d'Arpachsad fut Eber, qui eut deux fils, savoir, Péleg ou Phaleg dont descendit Abraham, père des Hébreux, et Joktân dont descendirent les peuplades arabes Joktanides, au nombre de treize (ib. v. 26-29). Ces peuplades sont pour la plupart inconnues, mais quelques-uns de leurs noms nous indiquent l'Arabie méridionale : tels sont les noms d'Hasarmaweth ou Hadhramaut, Saba, Ophir, Ouzal (ancien nom de Sanaa, capitale du Yémen)[50]. Nous y trouvons encore une fois le nom de Havila, qui désigne peut-être ici le district de Khaulân dans l'Arabie heureuse, entre Sanaa et la Mecque.

IV. LOUD, selon Josèphe et Bochart, les Lydiens.

V. ARAM, la Syrie et la Mésopotamie. Comme colonies araméennes on nomme : Ous, limitrophe d'Edom (Lament. 4, 21), probablement l'Aisitis ou Ausitis de Ptolémée (V, 19), située dans l'Arabie déserte, vers la Babylonie ; ensuite Hout, Gather et Màs, peuplades inconnues et sur lesquelles on n'a fait que de vagues conjectures que nous ne pouvons rapporter ici.

Le tableau des Sémites peut se compléter par quelques autres tables généalogiques renfermées dans la Genèse ; nous y trouvons le tableau des fils de Nahor, frère d'Abraham (ch. 22, v. 21-24), celui des fils d'Abraham et de Ketoura (ch. 25, v. 2-4), des fils d'Ismaël (ib. v. 13-15), des fils d'Esaü et des rois d'Edom (ch. 36). Les limites qui nous sont imposées ne nous permettent pas d'exposer les détails de ces différents tableaux, qui nous présentent le résumé des connaissances géographiques et historiques des anciens Hébreux.

Au reste, il ne peut être question d'une science historique chez des Hébreux. Dans l'histoire nationale elle-même, les faits se présentaient souvent sous le voile du merveilleux. Ceux qui écrivaient l'histoire ne cherchaient pas à distinguer les faits réels d'avec les traditions poétiques et mythiques ; leur but principal était de faire voir dans les faits la révélation perpétuelle de Jéhova et son intervention immédiate dans les destinées d'Israël. Ils n'ont aucune chronologie réelle, aucune ère constante, et de là naissent pour nous tant de doutes et l'impossibilité de donner une chronologie exacte de l'histoire, des Hébreux, comme on a pu le voir dans le courant de cet ouvrage.

Tel est l'exposé rapide des sciences dont la Bible nous offre les traces. Nous n'avons pas parlé de la philosophie, parce que, comme nous l'avons dit au commencement de ce chapitre, la religion des Hébreux ne laissait pas de place aux spéculations philosophiques. Des méditations religieuses, des réflexions, telles que nous en trouvons dans quelques Psaumes, dans les livres de Job et de l'Ecclésiaste, ne constituent pas une science philosophique. Moïse lui-même ne présenta pas un système philosophique, mais une doctrine religieuse qui n'avait selon lui, d'autre source que la révélation. Nous avons développé cette doctrine, en tête de notre résumé des lois mosaïques.

 

C. Les lettres.

I. La langue hébraïque.

L'hébreu appartient à une famille de langues que parlèrent autrefois les peuples du sud-ouest de l'Asie, et qui se répandit aussi sur le littoral du nord et de l'est de l'Afrique. Primitivement.les différents dialectes de cette famille appartenaient aux peuples de la Syrie, de la Palestine, de la Phénicie, de la Mésopotamie, de la Babylonie et de l'Arabie ; un des dialectes arabes, celui des Himyarites, passa en Éthiopie, et là langue des Phéniciens fut transportée dans les nombreuses colonies de ce peuple commerçant, et notamment a Carthage. Les progrès qu'on fit en Europe, vers la lin du dernier siècle, dans la connaissance des langues asiatiques, firent naître le besoin de distinguer, par une dénomination particulière, la langue hébraïque et ses sœurs, que jusque-là on avait appelées, par excellence, langues orientales. Eichhorn introduisit la dénomination de langues sémitiques[51], qui est maintenant généralement adoptée, quoiqu'elle soit peu caractéristique ; car d'un côté ces langues furent parlées aussi par quelques peuples descendus de Cham, tels que les Phéniciens et les Éthiopiens, et d'un autre côté différents peuples qui, selon la Genèse, étaient descendus de Sem, tels que les Élyméens (Perses) et les Assyriens, parlèrent sans doute des dialectes appartenant à la grande famille des langues qu'on appelle maintenant indo-germaniques. Pour avoir un nom qui puisse mieux caractériser les langues dites sémitiques, il serait peut-être plus convenable de les appeler langues dissyllabes ou trilitères ; car les racines ont en général trois lettres, liées par deux voyelles, tandis que les racines des langues dites indo-germaniques n'ont ordinairement que deux lettres et sont monosyllabes.

On peut distinguer dans les langues dites sémitiques deux branches principales, l'araméenne, ou syro-chaldéenne, et l'arabe (y compris le dialecte éthiopien) ; entre les deux se trouve la langue hébraïque, avec sa sœur, la langue phénicienne. Si, par ses racines, l'hébreu a plus de rapports avec les dialectes araméens, il est plus riche que ces derniers en formes nominales et verbales et en flexions grammaticales, et sous ce rapport il participe, jusqu'à un certain point, à la richesse de la langue arabe, avec laquelle il a la plus grande analogie grammaticale. Il y a certaines formes qui, manquant entièrement dans l'araméen, commencent à se montrer dans l'hébreu et se trouvent développées dans l'arabe. Comme caractère général et distinctif de tous les dialectes sémitiques, on peut signaler surtout les points suivants : 1° Parmi les consonnes il y a une classe de gutturales qui n'ont point d'analogues dans les langues indo-germaniques ; dans les voyelles il n'y a que trois sons bien distincts, représentés quelquefois par les trois lettres Aleph, waw et yod (A, OU, I), mais dont les différentes nuances, existant dans la prononciation, ne sont marquées par aucun signe dans l'écriture ; car les points-voyelles de la Bible sont d'une invention relativement très-récente. 2° Les racines, comme nous l'avons dit, sont pour la plupart trilitères et dissyllabes ; elles deviennent monosyllabes, en apparence, lorsqu'une des trois lettres radicales est un Aleph, un waw ou un yod, qui, étant des demi-voyelles, disparaissent quelquefois dans la prononciation. 3° Dans le rapport du génitif, c'est le mot déterminé qui subit quelquefois une modification ; ainsi, par exemple, pour dire l'ordre du roi, on change le mot ordre, tandis que le mot roi reste invariable. L'arabe ancien a seul, à côté de cette particularité, une déclinaison imparfaite, mais qui n'est guère usitée que dans la poésie et dans le Coran[52] ; généralement les cas s'expriment, comme en français, par la position des mots, ou par des prépositions. 4° Les cas obliques des pronoms personnels, ainsi que les pronoms possessifs, s'expriment par des syllabes jointes immédiatement au verbe, au substantif ou aux particules ; ces syllabes sont appelées suffixes par les grammairiens. 5° La conjugaison n'a que deux formes pour les temps, mais les verbes offrent une grande variété de formes, pour exprimer différentes modifications, telles que le causatif, l'itératif, etc. ; dans la deuxième et la troisième personne, on distingue le féminin du masculin, et il, y a aussi des formes pour le passif, le réfléchi et le réciproque. 6° Il n'y a ni noms ni verbes composés, à l'exception d'un certain nombre de noms propres et de quelques substantifs fort rares. 7° La syntaxe est très-simple ; les propositions se suivent sans art, la diction prosaïque a une simplicité enfantine, et ne s'embarrasse pas dans de grandes périodes.

La langue hébraïque, dans son origine, fut sans doute identique avec la langue phénicienne, adoptée par Abraham et sa famille depuis leur entrée dans le pays de Canaan Plus tard, les idées religieuses et morales des Hébreux durent imprimer à cette langue un caractère distinct, et l'hébreu dut devenir un dialecte particulier, possédant une foule de mots et de tournures qui manquaient au phénicien. Mais pour le fond, les deux langues n'en formaient toujours qu'une seule ; on a vu qu'Isaïe appelle la langue des Hébreux langue de Canaan. Outre cette dénomination, qui paraît appartenir au langage poétique du prophète, nous trouvons celle de langue judéenne ou juive[53] ; il est possible que la dénomination de langue hébraïque était usitée chez les anciens Hébreux, mais on ne la rencontre jamais dans leurs écrits ; on ne la trouve que plus tard dans les écrits de Josèphe et des rabbins et dans le Nouveau Testament ; mais dans ce dernier elle désigne plutôt la langue que parlaient les Juifs du temps de Jésus, et qui était un dialecte araméen.

Quoique l'hébreu ne soit nullement la langue primitive du genre humain, ni même le plus ancien des dialectes sémitiques (car il dut être précédé du dialecte araméen), il est pourtant celui dans lequel nous sont conservés les plus anciens documents littéraires qu'on connaisse. Mais il nous est impossible de remonter jusqu'à l'origine de cette langue, établie en Palestine avant les Hébreux, et les documents que nous possédons ne nous permettent pas non plus de suivre les phases de son développement successif ; car dans les plus anciennes parties du Pentateuque, si on excepte tin petit nombre d'archaïsmes, nous trouvons la langue hébraïque complètement formée et arrivée au même degré de perfection que dans les livres écrits vers l'époque de l'exil. Si les livres qui nous restent diffèrent entre eux par le style et par certaines tournures particulières, ces différences ont leur source dans celles des sujets et dans la diction individuelle des auteurs ; mais les formes de la langue sont les mêmes dans tous les livres. En général, on ne peut distinguer que deux périodes : la première, qui nous intéresse ici particulièrement, et qu'on peut appeler l'âge d'or de la langue hébraïque, va jusqu'à l'exil de Babylone ; la seconde embrasse l'époque de l'exil et les siècles suivants jusqu'à l'époque des Maccabées, où le dialecte araméen, ayant envahi de plus en plus l'ancienne langue hébraïque, finit par la faire disparaître complètement, et devint la langue vulgaire des Juifs. Dans la première période, l'hébreu se montre dans toute sa pureté ; on n y rencontre d'autre mélange que quelques mots égyptiens, notamment dans le Pentateuque. Dans la seconde période nous voyons l'hébreu mêlé d'un certain nombre de mots persans, de formes et de tournures araméennes. Néanmoins il existe dans la Bible certains écrits que la critique historique nous oblige de placer dans la deuxième période, et dont les auteurs cependant ont su imiter le langage pur des anciens, comme, par exemple, la seconde partie du livre d'Isaïe et un certain nombre de psaumes.

L'hébreu, tel qu'il nous est conservé, dans la Bible, est une langue assez pauvre ; à la vérité, il dut exister un grand nombre de mots hébreux qu'il n'v avait pas lieu d'employer dans les livres qui nous restent ; mais la langue ne put jamais être très-développée pour les termes ayant rapport au commerce, aux sciences et aux arts, relativement très-peu cultivés chez les Hébreux. C'est uniquement sous le rapport de la religion et de l'agriculture qu'elle a pu acquérir une certaine perfection, et en effet les livres bibliques déploient sous ces deux rapports une richesse de mots et d'expressions qui souvent sont intraduisibles même dans les langues les plus riches et les plus cultivées.

La petite étendue de la Palestine ne nous permet pas de supposer que l'hébreu ait été subdivisé en plusieurs dialectes. Nous trouvons seulement des traces d'une différence de prononciation de certaines lettres, notamment du Schin ; plus tard, les Galiléens étaient connus pour avoir une mauvaise prononciation, comme on le voit dans plusieurs passages du Thalmud et du Nouveau Testament[54], et il est possible que déjà, dans les temps anciens, leur langage ait été corrompu par le voisinage des Syriens. — Ce fut sans doute dans la Judée que l'étude des livres sacrés contribuait à conserver plus que partout ailleurs l'élégance et la pureté du langage. Pour apprendre à parler correctement, on n'avait d'autre moyen que la lecture et le commerce des gens bien élevés ; car il n'est nullement probable que l'étude de la langue fût déjà réduite en règles.

II. L'écriture hébraïque.

L'art d'écrire remonte chez les peuples de l'Orient au delà des temps historiques, et son origine est enveloppée pour nous d'un voile impénétrable. Les anciens en attribuent l'invention tantôt aux Phéniciens, tantôt aux Babyloniens, aux Syriens ou aux Égyptiens[55], et il y en a même qui revendiquent cette gloire en faveur des Hébreux[56]. Nous n'avons pas à nous occuper ici de la solution de ce problème historique ; dans tous les cas, les Hébreux ont pu posséder de bonne heure l'art d'écrire. Quelle que soit l'opinion qu'on se forme sur la question de l'authenticité du Pentateuque, il est évident que pour les plus anciens écrivains hébreux l'origine de l'écriture se perdait dans l'obscurité d'une antiquité reculée, et que l'existence de l'écriture du temps de Moïse était pour eux un fait historique généralement reconnu[57]. Les traditions grecques viennent à l'appui de ce fait ; car ce fut environ a la même époque que, selon Hérodote (V, 58) et d'autres auteurs grecs, Cadmus apporta en Grèce l'écriture phénicienne. A l'époque des Juges, l'art d'écrire dut être déjà assez répandu chez les Hébreux, si toutefois c'est un fait historique que Gédéon, voulant châtier les habitants de Succoth, se fit écrire, par un jeune homme qu'il avait fait prisonnier, les noms des chefs de cette ville (Juges, 8, 14). Depuis le temps de David et de Salomon il est fait mention d'ouvrages d'histoire et d'autres compositions littéraires d'une certaine étendue, et on ne saurait douter que l'art d'écrire ne fût alors très-répandu, du moins dans les classes élevées de la société. Il y avait probablement des écrivains publics, notamment des Lévites, qui prêtaient leur ministère aux gens du vulgaire. Ceux qui faisaient particulièrement profession de l'art d'écrire portaient une écritoire dans la ceinture, comme l'indique un passage d'Ézéchiel (9, 2 et 3), et comme c'est l'usage encore maintenant chez les Orientaux. Nous ne trouvons pas de renseignements précis sur les matériaux dont on se servait pour écrire ; on mentionne le style ou le burin (HÉRET ou ÉT)[58], ce qui fait supposer qu'on écrivait quelquefois sur une matière dure ; mais on parle aussi de l'encre (Jérém., 36, 18) et du canif du scribe (ib. v. 23), ce qui prouve qu'on avait des matériaux plus commodes. Pour les monuments publics et les documents auxquels on voulait assurer une longue durée, on employait la pierre (Exode, 31, 18) et quelquefois le plomb (Job, 19, 24). On écrivait aussi sur des tablettes de bois ; et nous trouvons que les prophètes s'en servaient quelquefois pour tracer leurs oracles[59]. Pour les écrits d'une plus grande étendue, on se servait probablement, dans les temps les plus anciens, des peaux d'animaux, des feuilles de palmier ou de la toile[60]. L'usage du papyrus ne remonte peut-être pas assez haut pour que nous puissions l'attribuer aux anciens Hébreux ; du moins Pline (XIII, 21) ne le fait commencer qu'à l'époque d'Alexandre. Le mot MEGHILLA (volumen), qu'on trouve déjà dans un psaume de David (ps. 40, 8), prouve qu'on employait une matière dont il était facile de former un rouleau. L'instrument qui servait à tracer les lettres était sans doute un roseau, comme dans l'Orient moderne, et comme l'indique l'usage du canif, mentionné par Jérémie. Les détails que donnent les rabbins sur la manière de préparer les peaux et l'encre pour les copies destinées à l'usage des synagogues[61], sont d'une date trop récente pour pouvoir nous servir de guide dans nos recherches actuelles.

On distingue deux espèces d'écriture hébraïque : l'une est appelée samaritaine, car c'est celle dont se servent encore maintenant les Samaritains ; l'autre a reçu, de la forme de ses caractères, le nom d'écriture carrée ; c'est celle qu'on trouve dans les manuscrits et les éditions de la Bible et dans tous les livres des Juifs. Les anciens rabbins appellent la première l'écriture hébraïque, et la seconde l'écriture assyrienne ; ce fut Ezra, disent-ils, qui introduisit l'usage des caractères assyriens, ou plutôt chaldéens, avec lesquels des Hébreux s'étaient familiarisés pendant l'exil de Babylone[62]. Néanmoins, les opinions des thalmudistes sont divisées sur la question de savoir dans quels caractères étaient écrites les tables du Décalogue, et encore dans les temps modernes, beaucoup d'auteurs juifs et chrétiens, habitués à attacher à nos lettres hébraïques un caractère sacré, ont cru, par un pieux préjugé, devoir leur attribuer une haute antiquité et y voir la véritable écriture hébraïque dont se servait Moïse[63]. Mais si l'on considère que les caractères des monnaies maccabéennes sont presque identiquement les mêmes que ceux des Samaritains, on sera porté à croire que ce sont là les véritables lettres des anciens Hébreux, et que le prince Siméon les conserva sur ses monnaies, soit par prédilection pour l'antiquité nationale, soit pour faciliter les relations commerciales avec les Phéniciens, dont l'écriture avait les plus intimes rapports avec cette ancienne écriture hébraïque[64]. La priorité de l'écriture samaritaine, ou, pour mieux dire, de celle des monnaies, est maintenant généralement admise par les savants ; seulement il ne faut pas prendre à la lettre la tradition rabbinique qui attribue à Ezra ce changement des caractères : Ezra est en quelque sorte un nom collectif, auquel la tradition juive rattache tout ce qui se fit, après l'exil de Babylone, pour la collection et la conservation des textes sacrés[65]. Ce qu'il y a d'historique dans la tradition du Thalmud, c'est que l'écriture des Hébreux se modifia peu à peu par l'influence de l'écriture chaldéenne que les Juifs avaient apprise dans l'exil, et que, après un certain temps, l'ancienne écriture hébraïque, conservée par les Samaritains, disparut complètement parmi les Juifs, pour faire place à l'écriture chaldéenne, de même que le dialecte chaldéen fit disparaître l'hébreu. Dans la nouvelle écriture hébraïque on reconnaît la même que celle qui se trouve sur les monuments de Palmyre, avec cette seule différence, que l'écriture de Palmyre est plus cursive[66] ; les légères variations sont sans doute l'œuvre des calligraphes juifs, qui peu à peu ont su donner à cette écriture un type plus beau et plus régulier. A la vérité, les inscriptions trouvées à Palmyre ne datent que des trois premiers siècles de l'ère chrétienne ; mais ce n'est pas une raison pour ne pas faire remonter plus haut les caractères de ces inscriptions. Il est très-probable que celles-ci nous retracent une ancienne écriture araméenne qui a pu être introduite chez les Hébreux quelques siècles avant l'ère chrétienne[67]. Dans tous les cas, le changement dut être opéré avant l'établissement des synagogues ; à l'époque de Jésus la nouvelle écriture dut être généralement établie, car dans cette écriture la lettre yod ou iota est la plus petite (Matth., 5, 18), ce qui n'a lieu ni dans l'écriture hébraïque des monnaies ni dans les caractères samaritains. Au reste, les deux écritures ne diffèrent que par la forme des caractères ; le nombre et la valeur des lettres sont les mêmes dans les deux, avec cette seule différence, que l'écriture dite carrée a cinq lettres finales qui n'existent pas dans l'écriture ancienne.

L'alphabet hébreu, comme tous les alphabets sémitiques, ne se compose que de consonnes, qui sont au nombre de vingt-deux. L'ordre des lettres de l'alphabet, chez les anciens Hébreux, fut toujours le même que celui qui, par tradition, a passé dans nos grammaires, hébraïques, comme le prouvent plusieurs psaumes, les Lamentations de Jérémie et le dernier chapitre des Proverbes, où chaque verset commence par une autre lettre, suivant l'ordre de l'alphabet. Nous avons déjà dit que, dans les écritures sémitiques, il n'y a que trois lettres qui servent quelquefois de voyelles longues ; dans l'hébreu il n'y en a que deux, savoir le waw et le yod, qui désignent quelquefois les voyelles longues ou et î ; les autres voyelles longues et brèves n'étaient, exprimées par aucun signe, ce qui ne pouvait manquer de laisser quelquefois de l'incertitude sur la vraie prononciation, surtout lorsque l'hébreu eut cessé d'être une langue parlée. L'invention des points-voyelles ne remonte guère qu'au sixième siècle de l'ère chrétienne, et il est douteux qu'on eût avant cette époque quelques signes diacritiques pour guider le lecteur[68]. Les livres des anciens Hébreux étaient écrits très-probablement sans aucune ponctuation, comme le sont encore maintenant les rouleaux du Pentateuque sur parchemin destinés à l'usage des synagogues, et pour lesquels, sans doute, on a conservé, par tradition, la coutume antique. Les livres des Samaritains sont également dépourvus de voyelles et de signes diacritiques, et par cette particularité, comme par le type des caractères, ils nous retracent, mieux que les manuscrits des Juifs, l'image des livres des anciens Hébreux.

III. La littérature hébraïque.

Ce que nous avons dit de l'état des sciences et des études chez les Hébreux peut faire présumer que leur littérature n'a jamais été bien variée, et qu'elle se bornait à l'histoire nationale, aux lois et à la poésie didactique et religieuse, y compris les discours des prophètes. S'il est vrai qu'une grande partie de la littérature hébraïque a été, engloutie par le temps, il ne paraît pas moins certain que les débris qui nous en restent représentent les différents genres de littérature qui florissaient chez les Hébreux, et qu'ils nous en offrent les plus belles parties. S'il faut prendre à la lettre ce que la Bible nous dit des écrits scientifiques de Salomon, nous ne pouvons toujours y voir que des poèmes didactiques, et non pas de véritables ouvrages de science.

Mais bien que cette littérature soit renfermée dans des limites étroites, ses débris mêmes sont pour nous d'une haute importance. Sans parler de la grande influence que les monuments littéraires des Hébreux ont exercée, sous le rapport religieux, sur une très-grande partie du genre humain, ils offrent un immense intérêt à l'historien, au littérateur, au poète. Tandis que les Assyriens, les Chaldéens, les Phéniciens et d'autres peuples de l'Orient ont empiétement disparu et ne nous ont rien laissé que leurs noms, tandis que les Égyptiens eux-mêmes, malgré leur haute renommée de science, ne nous ont légué que quelques signes indéchiffrables, les Hébreux seuls, parmi les peuples qui les entouraient, ont arraché à la fureur des temps des monuments dont la haute antiquité défie les plus anciennes productions littéraires de l'Orient et de l'Occident. Une foule de notions historiques sur les peuples de l'Orient nous manqueraient complètement si nous ne pouvions consulter les documents bibliques. C'est dans ces documents seuls que nous trouvons quelques traces de l'histoire primitive du genre humain. Plus que toutes les œuvres poétiques de l'antiquité, la poésie des Hébreux pénètre dans les profondeurs du cœur humain ; seule elle peut s'adresser aux hommes de tous les temps et de tous les climats, parce qu'elle est la plus sublime expression du sentiment humain animé par le souffle divin, et qu'elle emprunte ses images aux beautés de la nature, et non pas aux fables des traditions locales.

En exceptant le recueil des lois mosaïques, dont nous avons parlé plus haut, toute la littérature des Hébreux peut se diviser en deux parties, l'histoire et la poésie. Nous nous renfermons ici dans l'époque hébraïque pure, et nous ne parlons que des livres écrits avant ou pendant l'exil ; mais il ne nous est pas permis d'entrer dans des détails critiques sur chacun des ouvrages qui nous restent, et nous sommes obligé de nous borner à quelques observations sommaires.

1. L'histoire.

Nous avons dit plus haut qu'il ne peut être question, chez les Hébreux, d'une véritable science historique ; mais il parait qu'ils possédaient des ouvrages très-étendus sur l'histoire nationale. Les livres des Rois renvoient très-souvent aux annales des rois de Juda et d'Israël. Depuis le temps de David nous trouvons à la cour des rois hébreux un fonctionnaire appelé MAKZIR, mot qu'on pourrait rendre par moniteur, et qui désigne très-probablement l'historiographe chargé de rédiger les événements mémorables de chaque règne. Ces annales furent continuées jusque vers l'époque de l'exil ; on les cite, pour la dernière fois, sous le règne de Joïakim[69]. Malheureusement les annales sont perdues pour nous, de même que les histoires particulières de plusieurs règnes, composées par différents prophètes. Les livres historiques qui nous restent des anciens Hébreux, outre les documents du Pentateuque dont nous avons parlé dans d'autres endroits, sont les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois.

Le livre de Josué, tant par le style que par l'esprit religieux qui y prédomine, a les plus intimes rapports avec le Pentateuque. Il offre aussi au critique le même genre de difficultés. L'opinion qui lui donne Josué pour auteur ne mérite pas de réfutation sérieuse : du temps de Josué les enfants de Juda n'étaient pas encore établis à Jérusalem à côté des Jébusites (Jos. 15, 63), car les Hébreux ne firent la conquête de la basse ville de Jérusalem qu'après la mort de Josué (Juges, 1, 8) ; le nom même de Jérusalem ne remonte probablement pas au delà de l'époque de David. Josué n'a pu parler non plus des montagnes de Juda et de celles d'Israël (11, 21), et il est même difficile de faire remonter ces termes géographiques avant l'époque du schisme. Enfin il serait absurde d'attribuer à Josué lui-même la citation d'un recueil de poésies dans lequel se trouvait inséré un poème qu'il avait composé lui-même à l'occasion de la défaite des Cananéens du midi[70]. Le passage où il est dit que les enfants de Juda n'ont pu expulser les Jébusites habitants de Jérusalem, qui y demeurent à côté des enfants de Juda jusqu'à ce jour, paraît indiquer un auteur qui écrivit avant David ; car nous ne pensons pas, avec quelques critiques, qu'il soit ici question des Jébusites tolérés à Jérusalem par David et ses successeurs. D'un autre côté, comme nous venons de le dire, les expressions de montagnes de Juda et d'Israël paraissent indiquer une époque postérieure au schisme. Il est certain que le livre de Josué se compose de documents de différentes époques, qui y sont rapportés textuellement ; ces documents, en partie, remontent peut-être à Josué lui-même. Dans quelques passages nous trouvons des traces évidentes de deux documents différents qui ont été fondus ensemble. Il est impossible de dire qui est l'auteur du recueil ou même de fixer approximativement l'époque à laquelle il fut composé. Le passage où il est parlé de la malédiction prononcée par Josué contre celui qui rétablirait les fortifications de Jéricho (6, 26), et où l'on fait prédire à Josué un fait positif qui arriva du temps d'Achab (I Rois, 16, 34), semblerait indiquer que le recueil des faits de Josué ne fut rédigé qu'après l'époque d'Achab ; car ce ne fut qu'alors que la malédiction de Josué put recevoir cette interprétation précise.

Le livre des Juges fut écrit, probablement, sous les premiers rois, dans le but que nous avons indiqué plus haut. Il se compose de deux parties : la première, qui va jusqu'à la fin du chapitre 16, renferme des traditions sur les juges d'Israël, et montre ce que pouvait, dans les temps de détresse, l'énergie d'un chef suprême. Avec le 17e chapitre commence la seconde partie où l'auteur, sans doute pour montrer l'avantage d'une royauté héréditaire, raconte les désordres auxquels s'abandonnèrent les Hébreux du temps de la république. Selon un passage de l'introduction (1, 21), les Jébusites occupaient encore Jérusalem à côté des Hébreux, ce qui montre que le livre fut écrit avant la huitième année du règne de David. Dans la seconde partie (18, 30) on lit que les prêtres de l'idole de Micha exercèrent leurs fonctions auprès des Danites jusqu'à la captivité (des habitants) du pays. Eichhorn conclut de là que cette partie fut ajoutée par un autre auteur après la conquête de Samarie par les Assyriens[71]. Mais les mots guenons venons de citer ont l'air d'une glose ; dans tous les cas, il me semble qu'ils ne peuvent guère. se rapporter à l'exil des dix tribus, car nous savons par les livres des Rois que Jéroboam plaça l'un de ses veaux d'or dans la ville de Dan, où il n'était plus question de l'idole de Micha, et où certainement, pendant les règnes de David et de Salomon, le culte de Jéhova avait été rétabli. Nous croyons donc que tout le livre des Juges fut écrit au commencement du règne de David. Ce livre, par son langage et par l'esprit qui y règne, diffère très-sensiblement des autres livres historiques de la Bible ; c'est plutôt un poème qu'une histoire. Tout y porte l'empreinte d'une naïveté et d'une simplicité que l'on ne retrouve, il me semble, dans aucun livre de la Bible, excepté dans le livre de Ruth, qui renferme une idylle de la même époque.

Les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois, qui, dans la version grecque et dans la Vulgate, s'appellent les quatre livres des Rois, renferment une histoire suivie du peuple hébreu, depuis la naissance de Samuel jusqu'à l'exil de Babylone. Ils portent en général un caractère d'authenticité historique, bien que, çà et là, nous rencontrions des détails qui ont un caractère épique, comme les aventures de David sous le règne de Saül, ou qui sont puisés dans les traditions populaires, comme les légendes des prophètes du royaume d'Israël. Les quatre livres se lient très-naturellement les uns aux autres ; on y reconnaît un plan bien suivi et une grande conformité de langage. Quelques légères variations de style s'expliquent par la variété des documents anciens dont on se servit pour composer ces livres et dont souvent on a inséré des extraits textuels. L'unité du récit et du langage fait penser naturellement que les quatre livres sont du même auteur ; or, comme il est parlé, à la fin du dernier livre, de la mise en liberté du roi Joïachîn, dans la trente-septième année de sa captivité, et de la pension qui lui fut accordée pendant tout le reste de sa vie, l'auteur n'a pu écrire avant les vingt ou trente dernières années de l'exil de Babylone. Mais son ouvrage est resté exempt de l'influence de la langue et des idées babyloniennes, que nous remarquons dans les livres historiques écrits après l'exil. Le rédacteur a puisé dans des documents en partie très-anciens et dont les auteurs furent contemporains des événements racontés. Du nombre de ces documents furent principalement les histoires particulières de différents règnes et les annales des deux royaumes, dont nous avons parlé plus haut.

Ce qui prouve avec évidence que l'auteur copiait souvent textuellement les documents originaux, c'est qu'il dit quelquefois que tel état de choses dure encore jusqu'à ce jour, tout en parlant de circonstances qui nécessairement durent cesser avec la chute de l'État des Hébreux, comme, par exemple, le vasselage de plusieurs peuplades cananéennes, tributaires des Hébreux (I Rois, 9, 21). Nous pouvons donc considérer les quatre livres de Samuel et des Rois comme les débris et le résumé de l'ancienne littérature historique des Hébreux[72].

2. La poésie.

Chez les Hébreux, s'il faut nous servir de notre classification et de nos termes modernes, il n'y a eu que deux genres de poésie, l'un lyrique, l'autre didactique ; tout ce que nous possédons encore de la poésie hébraïque appartient à l'un de ces deux genres. Il paraît que le génie des peuples sémitiques, en général, se plaisait plutôt dans l'expression des sentiments que dans les peintures du monde extérieur ; dans la poésie arabe, dont l'aurore est postérieure de plus de mille ans aux derniers échos des chants de Sion, on ne trouve pas plus de traces, que dans celle des Hébreux, de compositions épiques ou dramatiques. La poésie lyrique remonte chez les Hébreux à la plus haute antiquité ; dans l'origine, elle était inséparable de la musique et quelquefois accompagnée de danses[73]. Les plus anciens chants lyriques sont ceux dans lesquels on célébrait des victoires ou d'autres événements où l'on reconnaissait la protection de la Divinité. Tels sont, par exemple, le cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge et le cantique de Déborah. Les croyances des Hébreux donnèrent à leur poésie lyrique cet élan sublime et ce caractère éminemment religieux qu'elle a conservés à toutes les époques. Elle fut cultivée dans les confréries des prophètes, et par le talent poétique et musical de David elle s'éleva au plus haut degré de perfection et fut destinée à rehausser l'éclat du culte public et à élever vers Dieu les cœurs des fidèles bien plus que ne pouvait le faire le spectacle des sacrifices. La muse hébraïque inspirait surtout les prophètes et les lévites ; son caractère grave et solennel ne se prêtait que rarement aux accents profanes des joies mondaines[74].

Les différentes compositions poétiques des Hébreux que nous comprenons sous le nom général de poésie lyrique, sont : 1° L'hymne ou l'ode (MIZMOR ou SCHÎR), qui, le langage des traductions bibliques, porte le nom de psaume, et qui s'adresse ordinairement à Jéhova, soit comme Dieu de l'univers, ou comme Dieu protecteur du peuple hébreu. Tantôt le poète chante la gloire de Dieu se manifestant dans sa création, tantôt ce sont des actions de grâces ou des prières adressées à la Divinité. Dans plusieurs psaumes le sentiment national s'est entièrement effacé et le poète a su s'inspirer de la seule idée d'un Dieu universel, créateur de tout ce qui existe, comme, par exemple, dans le ps. 8 et dans le ps. 104 (Vulg. 103) ; mais il est naturel que, dans la plupart des poèmes de ce genre, le poète hébreu n'oublie pas ce que son peuple doit aux faveurs de Jéhova, et qu'il le présente comme le protecteur spécial des Hébreux. Beaucoup de ces hymnes furent évidemment composés pour le culte public ; on peut y distinguer des chants de chœur, et souvent les strophes paraissent destinées à être chantées alternativement par une ou par plusieurs voix. — Au milieu des psaumes nous trouvons aussi quelques odes qu'on peut appeler profanes, et dans lesquelles un poète offre ses hommages au roi ; tels sont les psaumes 110 et 72, adressés l'un à David, l'autre à Salomon ; tel est encore le ps. 45, adressé très-probablement à Salomon, lors de son mariage avec la princesse égyptienne. — 2° L'élégie (KINAH), dont nous avons de beaux modèles dans les Lamentations de Jérémie et dans l'élégie de David sur Saül et Jonathan. — 3° Le poème érotique, que nous trouvons dans le Cantique des Cantiques, revêtu de tous les charmes d'une nature enchanteresse, d'une naïveté toute pastorale et de toute l'ardeur d'une imagination nourrie dans un climat brûlant.

La poésie didactique des Hébreux comprend également des compositions de différentes espèces. Une branche particulièrement cultivée par les Hébreux est la poésie gnomique. De tout temps, les Orientaux aimaient à présenter, dans un langage figuré et poétique, des sentences de morale, des aphorismes philosophiques, des maximes de sagesse, des énigmes et des comparaisons ingénieuses ; les Hébreux excellaient dans ce genre de compositions, qui, à ce qu'il paraît, fut en grande faveur à la cour de Salomon et se développa principalement sous son règne. Ce genre est désigné par le mot MASCHAL, qui, dans l'origine, signifie similitude, comparaison, et qui, dans son acception la plus générale, désigne un discours poétique et allégorique. Ce mot se trouve aussi en tête du recueil des sentences attribuées à Salomon, et il est mal rendu par proverbe. — D'autres branches de la poésie didactique sont la fable et la parabole ; la Bible nous offre peu d'exemples de ce genre[75], qui, après l'exil, se cultivait davantage chez les Juifs et que nous rencontrons fréquemment dans les Evangiles et dans le Thalmud. A côté de ces différents genres populaires, nous trouvons, chez les anciens Hébreux, une poésie didactique bien plus élevée, qui, abordant les plus hautes questions morales et religieuses, prend dans ses expressions et dans ses figures le plus haut essor lyrique, et frappe autant l'imagination par ses sublimes images, qu'elle s'empare de l'esprit et du cœur par de profondes méditations et parla peinture de la nature humaine, de sa faiblesse et de sa caducité. Les problèmes de la providence et de la justice absolue de Dieu, des souffrances du juste et de la prospérité apparente du méchant, étaient un thème favori pour les poètes philosophes des Hébreux. Ces questions sont touchées çà et là dans les psaumes et dans les discours des prophètes[76] ; mais elles sont traitées particulièrement dans le livre de Job, le plus beau monument de la haute poésie didactique des Hébreux, qui se distingue autant par la hardiesse du style et des images que par la profondeur des pensées, poème unique dans son genre et auquel rien ne peut être comparé dans toutes les œuvres des temps anciens.

Les discours prophétiques, tant pour le fond des doctrines qui y sont développées que par la diction poétique qui les distingue, peuvent aussi être considérés comme une branche particulière de la poésie didactique des Hébreux.

Le langage poétique des Hébreux, quoique plus hardi et plus fleuri que celui des poètes classiques de l'antiquité, ne sort pas cependant des règles du beau, et loin de braver notre goût, comme le font trop souvent les poésies de l'Orient moderne, il transporte par son haut élan, sans jamais blesser le sentiment esthétique le plus exquis. La diction  poétique se fait remarquer par un grand nombre de mots, de formes grammaticales et de tournures qu'on ne rencontre que très-rarement dans le langage vulgaire, mais qui ordinairement sont d'un usage plus fréquent dans l'un des autres dialectes sémitiques. Les images et les métaphores sont prises principalement dans la nature et dans les phénomènes de la Palestine et des pays environnants, dans la vie pastorale, dans l'agriculture et dans l'histoire nationale. Les étoiles du ciel, le sable sur le bord de la mer sont l'image d'une grande multitude ; veut-on parler d'une grande armée ennemie qui envahit le pays, ce sont des torrents rapides, ou les flots mugissants de la mer, ou des nuages qui amènent une tempête ; les chariots de guerre arrivent rapidement comme l'éclair ou les tourbillons du vent. Le bonheur se lève comme l'aurore et brille comme la lumière du jour ; la bénédiction de Dieu descend comme la rosée ou comme la pluie bienfaisante ; la colère du ciel est un feu dévorant, qui anéantit le méchant, comme la flamme qui dévore le chaume. Le malheur est comparé à des jours de nuages et de ténèbres ; dans les grandes catastrophes, le soleil se couche en plein midi, le ciel s'ébranle, la terre tremble, les astres disparaissent, le soleil est changé en ténèbres et la lune en sang, et ainsi de suite. Les cèdres du Liban, les chênes du Basân sont l'image de l'homme puissant, le palmier et le roseau celle du grand et de l'humble, les ronces et les épines celle du méchant ; l'homme pieux est un olivier toujours verdoyant, ou un arbre planté sur le bord de l'eau. — Le règne animal fournit également un grand nombre d'images : le lion, image de la puissance, est aussi, comme le loup, l'ours, etc., celle des tyrans et des hommes violents et rapaces, et le pieux qui souffre est une faible brebis conduite à la boucherie. L'homme fort et puissant est comparé au bouc ou au taureau du Basân ; les vaches du Basân figurent, dans les discours d'Amos, comme l'image des femmes riches et voluptueuses ; le peuple rebelle à la volonté divine est une génisse récalcitrante. D'autres images sont empruntées à la vie champêtre et à la vie domestique et sociale : le châtiment de Dieu pèse sur Israël comme un chariot chargé de gerbes ; les morts couvrent la terre comme le fumier qui couvre la surface des champs. L'impie sème le crime et moissonne le malheur, ou il sème le vent et moissonne la tempête. Les peuples succombant sous les coups des ennemis sont comme le blé écrasé sous le traîneau. Dieu foule le vin dans le pressoir, lorsqu'il châtie les impies et fait verser leur sang. — La colère de Jéhova est souvent présentée comme une coupe enivrante qu'il fait vider à ceux qui ont mérité son châtiment ; les terreurs et les angoisses sont souvent comparées aux douleurs de l'enfantement. Les peuples, les villes et les États sont présentés par les poètes hébreux, sous l'image de filles ou de femmes ; dans leur impiété, ce sont des courtisanes ou des femmes adultères. — Les allusions historiques les plus fréquentes sont prises dans la catastrophe de Sodome et de Gomorrhe, dans les miracles de la sortie d'Égypte et dans l'apparition de Jéhova sur le Sinaï.

Nous devons nous contenter de ces exemples ; car il nous serait impossible de citer ici en détail la grande variété d'images et de métaphores dont se servent les poètes hébreux[77]. Par leurs images et leurs comparaisons frappantes, ils ont su animer toute la nature ; celle-ci est pour eux une création morte, mais elle s'anime sans cesse sous la main du créateur, et lorsqu'on la fait agir, c'est pour montrer Dieu qui agit dans elle. La plus belle expression de ce sentiment se trouve dans le discours qu'un des plus grands poètes fait prononcer à Dieu lui-même dans le dénouement du poème de Job (ch. 38 à 40).

On pense bien qu'il n'y a rien dans les images des poètes hébreux qui ressemble aux fables mythologiques des anciens peuples païens, où les dieux apparaissent, comme des êtres finis, dans les limites de l'espace et du temps. Si çà et là Jéhova apparaît monté sur un chérubin (Ps. 18, 11), c'est une simple allusion à sa résidence symbolique dans le sanctuaire ; ailleurs on lui prête des chevaux et un char (Habac. 3, 8), parce qu'il est présenté sous d'image du guerrier. Dans les images du Schéol, dans les torrents de Beliaal (Ps. 18, 5), il y a peut-être quelques traces de mythes égyptiens ; mais les fables païennes ont entièrement disparu, et il n'en est resté que la demeure des ombres[78]. Il est à remarquer que les mythes mêmes de la Genèse, du paradis terrestre, du serpent séducteur, etc., ne reparaissent jamais dans la poésie hébraïque.

Pour ce qui concerne la forme extérieure de la poésie hébraïque, les vers ne sont mesurés ni par le nombre des syllabes, ni par leur quantité prosodique. A la vérité, Josèphe dit que le cantique de Moïse (Exode, ch. 15) se compose d'hexamètres, et que David faisait des vers trimètres et pentamètres[79], et saint Jérôme s'exprime à peu près de même dans différents endroits[80]. Mais c'est en vain que les hébraïsants ont cherché à découvrir les règles de la prosodie hébraïque ; on a fait toute sorte de conjectures et d'hypothèses, pour établir des systèmes très-peu satisfaisants. Il est possible que la difficulté réside dans les voyelles actuelles, qui ne rendent peut-être pas exactement la vraie prononciation des anciens Hébreux ; mais il est bien plus probable que les vers hébreux n'avaient pas de prosodie proprement dite, et que Josèphe et les autres auteurs anciens n'ont voulu parler que d'une certaine analogie qu'offraient les vers hébreux plus ou moins longs avec différents rythmes des Grecs et des Romains[81]. Le rythme des vers hébreux se borne pour nous à une certaine symétrie dans les différentes parties ou membres du vers et au parallélisme des idées qui y sont exprimées. Le vers se compose ordinairement de deux membres qui se correspondent mutuellement tant par l'analogie grammaticale des mots qu'ils renferment que par leur sens respectif. Dans ce parallélisme on peut distinguer trois espèces principales, que nous appellerons, avec Lowth[82], synonyme, antithétique et synthétique.

Dans le parallélisme synonyme les mots correspondants des deux membres sont synonymes, ou renferment des idées analogues ; par exemple :

Ma doctrine distillera comme la pluie,

Ma parole dégouttera comme la rosée ;

Comme l'averse sur la verdure,

Comme la giboulée sur l'herbe.

Deut. 32, 2.

Dans le parallélisme antithétique, qu'on trouve principalement dans les adages, les mots correspondants offrent un sens opposé ; par exemple :

Les coups de l'ami sont fidèles ;

Les baisers de l'ennemi sont perfides.

Prov. 27, 6.

L'arc des forts est brisé ;

Les faibles se ceignent de force.

I Sam. 2, 4.

Le parallélisme synthétique n'offre qu'une simple analogie dans l'ordre des mots et dans les idées ; les mots ne sont ni analogues ni opposés les uns aux autres, et l'idée exprimée dans le premier membre est continuée dans le second et complétée par un nouveau trait, comme par exemple :

La loi de Jéhova est parfaite,

Récréant l'âme ;

L'avertissement de Jéhova est fidèle,

Rendant sage le simple.

(Ps. 19, 8 et suiv.).

Rarement le parallélisme est aussi parfait que dans les exemples que nous venons de citer ; se répétant sans cesse, il deviendrait monotone et fatigant. Aussi les poètes hébreux ont-ils cherché à lui donner une grande variété de formes : tantôt le verbe du premier membre n'est pas rendu dans le second, qui, en revanche, rend par deux mots une idée qui, dans le premier, n'est exprimée que par un seul ; tantôt il y a des strophes de quatre membres qui se correspondent alternativement deux à deux ; tantôt l'idée exprimée dans deux ou dans quatre membres est complétée par un troisième ou un cinquième qui n'a pas de parallèle. Nous n'entrerons pas à ce sujet dans des détails de théories qui ne peuvent avoir de l'intérêt que pour l'hébraïsant ; nous renvoyons aux fragments de poésie hébraïque que nous avons eu l'occasion de citer dans le courant de cet ouvrage, et auxquels nous joignons ici la traduction littérale du psaume 114, pour servir de modèle du parallélisme poétique des Hébreux :

Lorsqu'Israël sortit d'Égypte,

La maison de Jacob du indien des barbares ;

Juda devint son[83] sanctuaire,

Israël, son empire.

La mer le vtt et s'enfuit,

Le Jourdain retourna en arrière ;

Les montagnes bondirent comme des béliers,

Les collines comme de jeunes brebis.

Qu'as-tu, ô mer, pour t'enfuir,

Ô Jourdain, pour retourner en arrière ?

(Qu'avez-vous) montagnes, pour bondir comme des béliers,

(Et vous) collines, comme de jeunes brebis ?

Devant le Seigneur tremble, ô terre,

Devant le Dieu de Jacob ;

Qui change le rocher en un lac,

Le caillou en une source d'eau.

Nous jetterons encore un coup d'œil sur les différentes œuvres poétiques qui nous restent des anciens Hébreux ; ce sont les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job, le Cantique des Cantiques, les Lamentations, les prophéties d'Isaïe, de Jérémie, d'Ézéchiel et de plusieurs autres prophètes.

Le livre des Psaumes est un recueil de poésies lyriques composées, par plusieurs poètes, à différentes époques, depuis David jusqu'à l'exil de Babylone. Il y en a un certain nombre qui datent de l'exil même, et quelques-unes paraissent être postérieures à l'exil. Un seul des psaumes paraît remonter à une haute antiquité ; c'est le psaume 90, qui porte pour inscription les mots Prière de Moïse, et nous ne trouvons aucun motif grave pour douter de l'authenticité de cette inscription. Les réflexions que renferme ce psaume sont dignes du grand législateur ; quel triste spectacle de la caducité de la race humaine, que toute une génération périssant dans le désert ! — Les poésies de David sont les plus nombreuses de toute la collection. Nous lisons son nom en tête de 72 psaumes ; quelques-uns de ces psaumes révèlent une époque postérieure[84], ou furent adressés à David par un autre poète ; mais, en revanche, plusieurs psaumes anonymes appartiennent sans doute à David. Les chants de ce roi-poète révèlent un sentiment vif et profond, qu'il manifeste avec beaucoup de naturel dans les situations variées de sa vie ; il se laisse aller librement à la joie, à la douleur, au repentir, et même à ses ressentiments, car il est toujours sous l'empire de sa situation momentanée. Quand une fois ou a reconnu la profonde sensibilité de son âme, on comprend à la fois les touchants et pieux épanchements de son cœur s'humiliant devant Dieu et les imprécations qu'il prononce quelquefois contre ses ennemis. — Douze psaumes[85] sont attribués au lévite Asaph, contemporain de David ; ceux dont la critique peut le reconnaître auteur (comme par exemple le psaume 50) le signalent comme un poète didactique de premier ordre. Mais la plupart des psaumes qui portent le nom d'Asaph ne sauraient avoir pour auteur un contemporain de David ; tantôt on reconnaît un poète postérieur au schisme (ps. 68, v. 67 et 68), tantôt même c'est un poète qui a vu la destruction de Jérusalem et du Temple (ps. 74 et 79). On peut dire la même chose du ps. 88, attribué à Héman, et du ps. 89, attribué à Éthan ; il ne peut être question des poètes de ce nom, contemporains de David (II Chron. 6, 18 et 29), car les chants désignés ne s'adaptent qu'au temps de l'exil, ou tout au plus au temps d'Ézéchias[86]. — Une série de psaumes, peut-être les plus sublimes de toute la collection, sont rapportés au fils de Korah[87], soit que leurs auteurs fussent des descendants de Korah, ou bien, ce qui est plus probable, que leur exécution musicale fût confiée à cette famille de lévites, ou du moins conforme à la méthode particulière des Korallites. On serait tenté de donner à tous ces chants le même auteur, car ils respirent tous le même esprit ; c'est le même feu, la même concision, le même élan lyrique. Cependant leur contenu révèle des auteurs de différentes époques ; on reconnaît tantôt le temps de Salomon (ps. 45), tantôt celui de l'exil (ps. 85). Nous signalons particulièrement une touchante élégie des Korabites (ps. 42) et le magnifique épithalame adressé à Salomon. — Il y a enfin un certain nombre de psaumes qui ne portent aucun nom en tête et qui sont de différentes époques ; les uns peuvent appartenir à David ; d'autres sont même postérieurs à l'exil, comme le célèbre psaume 137 : Sur les fleuves de Babylone, etc. Parmi les poèmes anonymes nous remarquons les Halleluia, et les psaumes dits des marches ou des ascensions (graduum), et qui étaient chantés, à ce qu'il paraît, parles pèlerins qui montaient au Temple de Jérusalem.

A l'occasion des Psaumes, nous mentionnerons deux autres recueils de poésies cités dans la Bible, mais qui sont perdus : l'un était intitulé le livre des Guerres de Jéhova, on en donne quelques extraits dans le livre des Nombres (ch. 21, v. 19 et suiv.) ; l'autre est le livre du Juste, dont quelques fragments ont été rapportés plus haut.

Le livre qui porte le titre de Proverbes de Salomon est une anthologie gnomique, dans laquelle on peut distinguer deux parties. La première, qui embrasse les neuf premiers chapitres, est une espèce d'introduction dans laquelle l'auteur recommande à la jeunesse inexpérimentée de rechercher la sagesse, de suivre ses enseignements, de fuir la sottise et les mauvais exemples, et notamment la séduction des femmes. La seconde partie renferme des maximes détachées, des règles de conduite et des sentences ingénieuses. Cette partie se compose de trois sections : la première (ch. 10 à 24) est directement attribuée à Salomon, et rien ne s'oppose à ce que nous y voyions un reste des nombreuses sentences et maximes de Salomon (I Rois, 5, 12) prononcées dans différentes circonstances, et dont il existait peut-être des recueils. La seconde section (ch. 25 à 29), rédigée par les gens d'Ezéchias, se compose de sentences et de proverbes qui n'existaient probablement que dans la bouche des sages et que la tradition attribuait également à Salomon, qui, comme nous l'avons déjà dit, était considéré comme le représentant de la poésie gnomique. Enfin la troisième section (ch. 30 et 31) renferme de courtes réflexions et quelques énigmes d'un certain Agour ; des conseils donnés au roi Lemuël[88] par sa mère, et la description de la femme forte, par un poète inconnu.

Mentionnons ici, en passant, un livre qui a quelques rapports avec les Proverbes, et que la tradition a également attribué à Salomon ; c'est le livre de Kohéleth (l'Ecclésiaste). Mais le style corrompu de ce livre et le scepticisme qui s'y manifeste nous révèlent un auteur bien postérieur à l'époque dont nous nous occupons ici.

Nous avons déjà eu l'occasion de parler du rang distingué qu'occupe le livre de Job dans les monuments de la poésie hébraïque. Les secrets de la Providence divine et du régime de l'univers sont impénétrables aux faibles mortels ; l'homme ne saurait connaître les voies de l'Être infini, il doit s'humilier devant le Tout-Puissant et se résigner à sa volonté. Telle est la thèse qu'un des plus grands poètes de l'antiquité a développée dans le magnifique tableau que nous présente le poème de Job. Probablement tout n'est pas fiction dans ce poème ; il dut exister une antique tradition arabe parlant d'un homme très-pieux nommé Job, qui, riche et heureux, fut subitement accablé de grands malheurs qu'il supporta avec résignation, et qui ensuite, en récompense de sa vertu, fut l'objet des plus grandes faveurs de la Divinité. Le prophète Ézéchiel considérait sans doute le pieux Job comme un personnage historique, en le plaçant à côté de Noé et de Daniel (Ézéch., 14, 14 et 20). Dans le prologue, qui est écrit en prose, l'auteur, après nous avoir fait connaître Job et sa fortune florissante, nous transporte dans le ciel, où nous voyons Jéhova entouré de ses anges. Au milieu d'eux se trouve Satan (l'adversaire), qui vient de parcourir la terre et qui fait dans le tribunal céleste les fonctions d'accusateur. On sait comment Job, sur les insinuations de Satan, qui refuse de reconnaître aux mortels une piété désintéressée, est privé successivement de sa fortune et de ses enfants, et affligé d'une horrible maladie. Job supporte tout avec résignation. Trois de ses amis viennent le voir ; sept jours se passent dans un morne silence, enfin Job prend la parole pour maudire le jour de sa naissance, et c'est ici le commencement du poème. Les amis, avec leurs idées vulgaires de la justice absolue, prétendent justifier la Divinité, en supposant à Job des péchés secrets ; ses souffrances, selon eux, ne peuvent être qu'un châtiment mérité. Job réfute leurs arguments, en protestant de son innocence, et il en appelle à Dieu lui-même devant lequel il voudrait pouvoir plaider sa cause (ch. 13). Trois fois la lutte recommence, sans que la question soit plus avancée ; à la troisième conférence, un seul des amis s'anime encore contre Job, qui, dans la chaleur de la lutte, s'est laissé aller jusqu'à douter de la justice divine, en dépeignant le bonheur dont souvent les impies jouissent dans ce monde (ch. 21) ; le second ami ne sait que répéter quelques lieux communs, et le troisième garde le silence. Fort de son innocence, et ayant fait taire ses adversaires, Job reprend seul le raisonnement avec plus de calme ; il arrive à conclure que la sagesse suprême est impénétrable aux mortels, que la crainte de Dieu est l'unique sagesse de l'homme, qui n'a qu'à se résigner à la volonté divine (ch. 28). Un jeune enthousiaste se trouve là, qui a écouté les débats avec urf silence respectueux ; mais voyant que les vieux amis de Job ne trouvent plus rien à dire, il s'approche avec arrogance, et promet de résoudre le problème. Il fait un long discours plein de pompeuses images ; mais on ne voit pas où 'il en veut venir, et il ne sait produire aucun argument nouveau. Alors Dieu apparaît lui-même dans un orage. et, reprochant à Job la témérité avec laquelle il a prétendu juger les voies secrètes de la Providence, il lui pose des questions sur les mystères de la nature, et Job reste muet et confondu. L'homme ne peut que contempler avec étonnement les œuvres de la création ; tout est pour lui un profond mystère, et il oserait juger les desseins impénétrables de la Providence divine ? — Job n'apprend pas pourquoi il a été éprouvé, mais il est dédommagé en jouissant d'une prospérité plus grande que celle qu'il avait perdue, et, malgré les plaintes qu'il a proférées dans sa douleur, il est déclaré avoir parlé avec plus de piété que ses amis, qui avaient prétendu justifier la Divinité. Il faut un sacrifice et la prière de Job, pour leur faire pardonner leur témérité.

De tout temps les opinions ont été fort divisées sur l'époque qui a donné naissance à ce sublime poème et sur son auteur. Déjà dans le Thalmud nous voyons Job placé par différents docteurs aux deux points extrêmes de l'histoire des Hébreux ; les uns font de Job un contemporain de Moïse, et attribuent le poème au grand législateur ; les autres le font descendre jusqu'à l'époque de l'exil, tandis que d'autres encore lui assignent diverses époques intermédiaires. La même divergence d'opinions s'est manifestée parmi les critiques modernes. Le Or déisme du livre de Job, le silence qu'on y garde sur la loi révélée à Moise, les coutumes patriarcales qui se révèlent entre autres dans les sacrifices offerts par Job personnellement et sans l'intervention des prêtres, ont fait penser que l'auteur avait vécu avant la sortie d'Égypte ; Moïse, élevé en Égypte et qui erra longtemps dans le désert d'Arabie, aurait seul pu composer ce poème, où se montre une connaissance si exacte de la nature des deux pays. Mais cette opinion ne peut être admise que par ceux qui reconnaissent l'authenticité des livres mosaïques, et on peut leur objecter avec raison la distance immense qui existe entre le style du livre de Job et celui qu'on remarque dans les poèmes attribués à Moïse. D'autres ont pensé à Salomon, appuyant leur hypothèse sur certaines ressemblances qui existent entre le style des Proverbes et celui de Job. D'autres, enfin, ont cru pouvoir conclure de quelques chaldaïsmes qu'offre le langage de ce poème, et de l'intervention de Satan dans le prologue, que l'auteur dut vivre pendant ou après l'exil de Babylone. — Il faut avouer que l'idée d'un ange accusateur, et les images dans lesquelles on semble faire allusion aux bons anges qui intercèdent pour l'homme dans le tribunal céleste (Job, 5, 1 ; 33, 23) ne sont pas conformes aux idées qu'avaient les anciens Hébreux avant l'exil ; mais, d'un autre côté, on ne saurait se dissimuler qu'il y a loin de l'ange accusateur du livre de Job à l'ange rebelle que, sous le nom de Satan, nous trouvons dans les traditions juives postérieures à l'exil, et qui est l'Ahriman de la doctrine des Perses. Ce qui nous paraît certain, c'est que le livre de Job est antérieur à Jérémie, qui a évidemment imité le passage où Job maudit le jour de sa naissance[89]. Il est probable que le livre fut composé sous les derniers rois de Juda, par un poète inconnu qui avait fait un long séjour dans les pays d'Égypte et d'Arabie, et qui, ayant choisi pour héros de son poème un antique émir nomade, et pour théâtre une contrée de l'Arabie, a su, avec beaucoup d'art, donner à son œuvre la couleur des temps et des lieux, ce qui nous explique à la fois le silence qu'il garde sur la loi et le culte de Moïse, les idées étrangères sur l'intervention des anges, ainsi que les expressions et tournures empruntées aux Proverbes, qui furent rédigés sous Ézéchias[90].

Le petit recueil de poésies érotiques intitulé le Cantique des Cantiques a été mis par un modeste poète, dont nous ignorons l'époque précise, sous le patronage du nom de Salomon, roi aussi célèbre par ses amours que par sa science. Les critiques les moins hardis s'accordent à reconnaître que l'hébreu du Cantique est loin d'avoir la pureté qui distingue le langage des temps de David et de Salomon, et qu'on y reconnaît l'époque de l'exil, ou toux au moins celle des derniers rois de Juda[91]. On connaît le sens mystique attribué à ces charmants chants d'amour par les anciens docteurs de la Synagogue et par ceux de l'Église, et qui a donné lieu à des interprétations sans nombre. C'est une chose bizarre que ces poésies, si profanes en apparence, aient été déclarées par l'ancienne Synagogue plus sacrées que toutes les autres, poésies hébraïques de la classe des Hagiographes ; mais bénissons le docteur qui le premier a prêté aux paroles du Cantique un sens secret, car c'est probablement à l'interprétation mystique que nous devons la conservation de ces précieux fragments qui, par leur sens littéral, ne pouvaient prétendre à l'honneur d'être reçus au nombre des livres canoniques.

Tels sont, outre les œuvres prophétiques, les débris qui nous restent de la poésie des anciens Hébreux, et dont il est difficile, comme on l'a vu, de tracer avec exactitude l'histoire et la marche progressive, vu l'incertitude des dates et la contradiction qui règne souvent entre la tradition reçue et les résultats qu'on obtient par l'étude critique des documents.

Quant aux livres prophétiques, nous sommes généralement mieux renseignés sur leurs auteurs et sur l'époque ; tantôt ces livres nous donnent eux-mêmes des renseignements chronologiques très-précis, tantôt on obtient ces renseignements par une lecture attentive des prophètes et en combinant leurs paroles avec les détails fournis par les livres historiques. Cependant il s'offre encore ici un vaste champ aux recherches critiques ; différentes parties de la littérature prophétique présentent de grandes difficultés, sur lesquelles autrefois on passait très-légèrement, et ce n'est que dans les temps modernes que les critiques ont abordé ce sujet par des discussions sérieuses, et sont arrivés à des résultats satisfaisants. Il nous est impossible de donner ici des détails sur chacun des prophètes dont nous possédons encore des discours ; nous nous bornons à ajouter quelques observations à celles qui se trouvent répandues dans différents endroits de notre histoire.

La littérature prophétique commence environ huit siècles avant l'ère chrétienne, sous les règnes d'Ouzia et de Jéroboam II. Nous énumérons ici, par ordre chronologique, les prophètes qui ont donné leurs noms aux différents livres, et que, à l'exception du dernier, nous avons mentionnés dans la partie historique ; ce sont les suivants : Jona, Joël, Amos, Hoséa, Isaïe, Miche, Nahum, Sephania, Jérémie, Habacuc, Ézéchiel et Obadia. Nous possédons des oracles de tous ces prophètes, à l'exception de Jona. A la vérité, il existe un livre qui porte le nom de Jona ; mais au lieu d'oracles il nous présente une histoire qui n'a pu être écrite par Jona lui-même, car elle est invraisemblable d'un bout à l'autre et pleine de faits impossibles, qui montrent avec la plus grande évidence que c'est un récit fabuleux composé longtemps après Jona. Un prophète hébreu est chargé par Jéhova de se rendre à la ville lointaine de Ninive, pour lui annoncer sa destruction prochaine, et, craignant de se compromettre par cette mission, il croit, en s'embarquant, pouvoir s'enfuir devant le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre sèche (Jona, 1, 9). Une tempête subite mettant l'équipage dans le plus grand danger, chacun implore son dieu ; Jona seul dort tranquille ment, et il faut que le capitaine du vaisseau, un païen, l'exhorte à la prière. On tire au sort pour savoir si ce ne sont pas les péchés d'un des voyageurs qui ont attiré sur l'équipage ce châtiment céleste ; le sort désigne Jona, il avoue qu'il a offensé soli Dieu, et demande qu'on le jette à la mer. Les marins ne s'y décident qu'après avoir fait de vains efforts pour gagner la terre. Jona, jeté à la mer, est englouti par une baleine ; il passe trois jours et trois nuits dans l'intérieur du monstre marin, sans périr par le manque d'air ; il est enfin vomi ou ne sait sur quelle terre. Sur un second appel de Jéhova, il se rend à Ninive, et annonce aux habitants que la ville sera détruite au bout de quarante jours. Le puissant roi de Ninive s'effraye de la prédiction du prophète inconnu ; il ordonne un jeûne général, tous les Ninivites s'humilient devant Dieu et trouvent grâce devant sa clémence. Mais le prophète croit sa réputation compromise, et prie Dieu de le faire mourir. Il se fait une tente hors de la ville. Dieu fait pousser un arbre merveilleux pour abriter le prophète sous son ombre, mais la nuit suivante un ver ronge l'arbre, qui se dessèche. Jona en est affligé, à tel point qu'il désire mourir. Eh bien, lui dit Dieu, tu t'affliges de la perte de cette plante, enfant d'une nuit, et tu voudrais que je n'eusse pas épargné la grande ville de Ninive et ses nombreux habitants ? Cette conclusion du livre aurait seule dû suffire pour convaincre même la foi la plus robuste, que nous avons ici une parabole, et non pas un récit historique qui ferait de Jona l'homme le plus indigne de la haute mission d'un prophète, sans parler des faits invraisemblables qui y sont entassés et qui ont fourni tant de sujets de raillerie aux détracteurs des livres sacrés. Déjà plusieurs rabbins du moyen âge y ont vu, les uns un conte M. oral, les autres une vision[92]. Dans les temps modernes, l'hypothèse d'une fiction poétique, proposée par Herder[93], a été adoptée avec empressement par la grande majorité des critiques, et les défenseurs les plus ardents des opinions traditionnelles n'osent plus soutenir la vérité historique du livre de Jona[94] ; mais les opinions varient sur le but du récit et sur sa tendance morale. Parmi les différentes hypothèses[95], nous préférons celle qui voit dans le livre de Jona une parabole, et nous croyons y reconnaître quelques doctrines morales qui s'adressent en même temps aux prophètes et au peuple. L'auteur voulut montrer que les prophètes, fidèles à leur vocation, devaient toujours flétrir les vices et annoncer aux pécheurs le châtiment céleste ; mais ils ne devaient pas croire leur honneur coin-promis si la prophétie ne s'accomplissait pas, car leur avertissement doit avoir pour but de corriger les hommes et de les rendre dignes de la clémence de Dieu, toujours prêt à pardonner. En même temps l'auteur combat un préjugé national très-répandu parmi les vrais adorateurs de Jéhova, et il montre, par l'exemple des marins païens et des Ninivites, que la clémence divine n'est pas seulement réservée aux Hébreux, mais que Dieu étend sa bonté sur tous les hommes, dès qu'ils l'invoquent et qu'ils s'humilient devant lui.

Le style du livre ne nous permet pas de le faire remonter avant l'exil ; ce fut peut-être la conquête de Babylone par Cyrus qui donna lieu à la composition de cette parabole, car Babylone ne fut pas détruite, comme les prophètes l'avaient prédit, et Cyrus, a ce qu'il paraît, traita cette ville avec indulgence[96].

Les erreurs qui sont encore répandues sur le livre de Jona, et la popularité du sujet qu'il traite, nous ont obligé d'entrer ici dans quelques détails, quoique, par sa forme, cette parabole soit si peu digne de figurer parmi les œuvres poétiques des Hébreux. Parmi les autres prophètes que nous avons énumérés, ceux qui se distinguent le plus comme poètes sont Isaïe, Amos, Hoséa, Joël, Micha. Nahum et Habacuc. Les livres qui font partie des douze petits prophètes offrent généralement un ensemble d'idées et une parfaite unité de diction poétique, et il ne peut y avoir aucun doute sur leur authenticité. On peut dire la même chose des recueils plus étendus qui portent les noms de Jérémie et d'Ézéchiel. Le seul travail critique que demandent ces livres, c'est l'arrangement chronologique des différents discours qu'ils renferment ; car les livres ne sortirent pas des mains de leurs auteurs tels qu'ils nous sont parvenus. Les discours épars rédigés par les prophètes eux-mêmes, ou par leurs secrétaires, ne furent recueillis que plus tard et réunis dans un volume sans qu'on suivît pour cela un plan bien arrêté. Le livre de Jérémie surtout nous est parvenu dans le plus grand désordre chronologique ; on pourra s'en convaincre en comparant avec attention les citations que nous avons faites de ce livre dans notre histoire des Hébreux, depuis l'époque de Josias jusqu'à l'exil. Mais on ne saurait méconnaître dans le livre de Jérémie l'unité du style et des idées. Partout on reconnaît un esprit abattu, accablé de malheurs et incapable d'atteindre l'élan de ses prédécesseurs. L'élégie seule est sa véritable sphère poétique ; il désire que sa tête soit changée en eau et ses yeux en sources de larmes pour pleurer jour et nuit les morts de son peuple (Jérém. 8, 23). C'est avec une profonde émotion qu'on lit les morceaux élégiaques que contient son livre, ainsi que les Lamentations qui lui sont attribuées, et qui sont entièrement dignes de lui.

Le livre d'Ézéchiel a plus d'ordre ; mais la seconde moitié, postérieure à la chute de Jérusalem (ch. 25 et suiv.) laisse beaucoup à désirer sous ce rapport. Son authenticité est indubitable ; les critiques les plus avancés et les plus difficiles ont dû reconnaître que dans toutes les parties du livre on trouve le même ton, les mêmes expressions, les mêmes tournures[97]. Son style s'approche généralement de la prose, le parallélisme y est fort rare ; mais il aime beaucoup les visions et les allégories, qu'il se plaît à présenter avec des détails minutieux. Son langage est souvent incorrect, et il offre plus d'anomalies grammaticales qu'aucun autre écrivain biblique.

Quant au livre d'Isaïe, nous avons déjà fait observer qu'il renferme un grand nombre de discours faussement attribués à ce prophète, et qui ne remontent qu'aux derniers temps de l'exil de Babylone. De ce nombre sont non-seulement tous les discours placés après les chapitres historiques (ch. 40 à 66), mais encore différents chapitres de la première partie, tels que l'oracle sur la chute de Babylone (ch. 13 et 14) et celui qui parle de la catastrophe d'Édom et du rétablissement du peuple hébreu (ch. 34 et 35). Le livre d'Isaïe est une anthologie, comme le livre des Psaumes et celui des Proverbes. Le nom d'Isaïe, illustré par les plus sublimes discours prophétiques, et surtout par les poétiques peintures du futur âge d'or, devint en quelque sorte le représentant des prophéties messianiques, de même que le nom de David représentait la poésie lyrique et celui de Salomon la poésie gnomique. On rattacha donc à un certain nombre d'oracles qui restaient d'Isaïe les poésies postérieures du même genre et dont les auteurs étaient inconnus.

Un seul des prophètes que nous avons énumérés n'a pas été mentionné dans notre histoire des Hébreux ; c'est le prophète Obadia, dont l'époque n'est pas fixée dans le texte biblique et dont l'oracle ne s'adapte bien à aucune des époques de l'histoire avant l'exil. La tradition juive identifie ce prophète avec le pieux Obadia qui, sous le règne d'Achab, se fit le protecteur des prophètes de Jéhova[98] ; mais cette tradition n'a d'autre base que l'identité des noms. Il résulte avec évidence de l'oracle d'Obadia (v. 16 et 20) que de son temps le Temple était déjà détruit et les habitants de la Judée avaient été emmenés en exil. Son oracle contre Édom a les plus intimes rapports avec celui que Jérémie (49, 7-22) prononça contre la même nation. Obadia reproche surtout aux Édomites la joie qu'ils manifestèrent de la chute de Juda, et il espère que les Hébreux, auxquels il prédit un glorieux avenir, pourront un jour prendre leur revanche. Il est donc probable qu'Obadia vécut pendant l'exil, lorsque déjà la puissance chaldéenne penchait vers son déclin.

 

D. Les beaux-arts.

Nous avons déjà dit plus haut que l'Hébreu ne pouvait contempler, dans la nature, autre chose que le reflet du créateur invisible. Le culte de la nature sous ses divers aspects pouvait seul, dans l'antiquité, faire naître dans l'homme le génie de l'art plastique ; le génie hébreu, ayant pour mission la connaissance de Dieu, ne pouvait se plaire à reproduire les formes extérieures des objets de la nature et à développer l'œuvre du créateur. On ne trouve quelques traces de la peinture que dans le livre d'Ézéchiel (8, 10 ; 23, 14) écrit dans le pays des Chaldéens. La sculpture est mentionnée plus fréquemment : dans le Décalogue et dans d'autres passages de la loi mosaïque il est défendu de représenter Dieu sous une image visible, et en général de faire des images avec l'intention de leur rendre un culte ; mais la sculpture, sans intention religieuse[99], n'était pas interdite aux Hébreux, et dans le sanctuaire même il avait des images de plantes et d'animaux, comme simples ornements. Nous rappellerons, par exemple, les douze bœufs qui portaient la mer d'airain. La sculpture fut cultivée d'ailleurs par les idolâtres qui existaient en très-grand nombre parmi les Hébreux, notamment dans le pays d'Israël. Cependant cette sculpture religieuse elle-même n'avait d'autre but que de représenter des symboles des corps célestes et des forces de la nature ; elle ne visait pas au beau et à l'idéal, et elle était plutôt un art mécanique qu'un art libéral. On peut dire la même chose de l'architecture ; il n'y avait pas de style hébraïque proprement dit, car pour les grands édifices, tels que le Temple de Jérusalem et les palais de David et de Salomon, ou avait toujours recours aux artistes phéniciens, qui fournissaient les dessins et présidaient aux travaux.

Outre la poésie, un seul art fut cultivé avec quelque succès par les Hébreux ; c'est la musique. Mais malheureusement nous manquons entièrement de données authentiques pour nous former une idée de la musique des Hébreux, et, malgré le nombre prodigieux d'ouvrages qui ont été écrits sur cette matière, depuis le commencement du dix-septième siècle[100], aucune des questions qui s'y rattachent n'a été suffisamment éclaircie et ne le sera jamais.

Les traditions des Hébreux font remonter l'origine de la musique avant le déluge ; dans la Genèse (4, 21), l'invention des instruments à cordes est attribuée à Jubal, descendant de Caïn. Dans l'histoire de Jacob (ib. 31, 27) on mentionne le tambourin servant à accompagner les instruments à cordes et les chants, ce qui suppose déjà la mesure et la cadence. A la sortie d'Egypte nous voyons Miriam, sœur de Moïse, et d'autres femmes se servir du tambourin pour accompagner leurs chants et leurs danses (Exode, 15, 20 et 21) ; bientôt après on mentionne le schophar (ib. 19, 16) et une autre espèce de trompettes (Nombres, 10, 1). Les traditions de la Genèse prouvent dans tous les cas que le commencement de l'art musical, chez les Hébreux, était antérieur aux temps historiques, et en effet les monuments égyptiens paraissent confirmer la haute antiquité de tous les instruments mentionnés dans le Pentateuque[101]. L'art musical se développa surtout dans les confréries des prophètes, qui s'inspiraient aux sons des instruments et qui cultivaient principalement la poésie religieuse et la musique ; on cite dans l'histoire de Saül plusieurs exemples de l'effet merveilleux que produisaient leurs chants. Saül, après avoir reçu l'onction par Samuel, rencontre une troupe de prophètes qui récitent des chants au son de plusieurs instruments de musique ; à l'étonnement des assistants, le nouveau roi est lui-même inspiré et partage les transports des prophètes. Plus tard, dans ses fréquents accès de mélancolie, le jeune David parvient à le soulager par son jeu de harpe, et lorsque le vieux roi, animé d'une haine mortelle contre David, veut le faire saisir dans les demeures des prophètes, ses messagers, ainsi que lui-même, ne peuvent résister aux accents mélodieux des chants prophétiques qui leur font oublier la haine et les sentiments de vengeance[102]. Sous David, la musique, considérée comme un puissant moyen d'élever vers Dieu les âmes des fidèles et devenue une des parties essentielles du culte, arriva au plus haut degré de perfection qu'elle ait jamais atteint chez les Hébreux. Un nombreux corps de musiciens, divisé en diverses sections, fut chargé de la musique sacrée. Chaque chœur des chanteurs et chaque orchestre avait en tête un virtuose (MENASSÉACH) qui dirigeait le chant ou la musique et qui chantait ou jouait les solos.

Dans la vie domestique et sociale les Hébreux faisaient de tout temps un grand usage de la musique ; on a vu qu'elle ne manquait jamais dans leurs festins et leurs réjouissances, et qu'elle mêlait aussi ses accents lugubres aux chants de deuil. Dès les temps de Moïse on mentionne l'usage de la trompette guerrière (Nomb. 10, 9 ; 31, 6).

Les Hébreux avaient, comme on vient de le voir, des instruments à cordes, des instruments à vent et des instruments de percussion ; mais nous sommes loin d'avoir des notions exactes sur la forme des instruments mentionnés dans la Bible, et nous devons nous contenter de reproduire les conjectures les plus probables qui aient été faites à cet égard, et qui souvent diffèrent beaucoup les unes des autres.

A. Les instruments à cordes (NEGHINÔTH) étaient de différentes espèces ; on en mentionne surtout deux qui étaient d'un fréquent usage : 1° Le KINNOR, instrument sur lequel excellait David, avait, selon Josèphe[103], dix cordes, qu'on touchait avec le plectrum ; cependant le texte biblique dit positivement que David jouait du kinnor avec la main[104]. On jouait peut-être des deux manières, suivant les dimensions de l'instrument. Quant à la forme du Kinnor, les opinions sont divisées ; les uns y voient un instrument semblable à notre harpe[105], les autres une espèce de guitare[106]. Saint Jérôme lui attribue vingt-quatre cordes et la figure de la lettre delta des Grecs, c'est-à-dire la forme triangulaire[107]. Probablement le nombre des cordes n'était pas toujours le même ; il paraîtrait qu'il y avait une espèce particulière de kinnor à huit cordes (I Chron, 15, 21), appelé Scheminith ; car il n'est nullement probable que les Hébreux aient employé ce mot dans le sens moderne d'octave, comme l'ont cru plusieurs auteurs. Sur les monuments égyptiens on voit également des harpes à huit cordes[108]. — 2° Le NÉBEL, instrument phénicien que les Grecs appellent nabla (νάβλα), avait, selon Josèphe (ib.), douze sons et était pincé avec les doigts. Sur sa forme on n'est pas plus d'accord que sur celle du kinnor ; le mot nébel ayant aussi le sens d'outre ou d'amphore, on a pensé que l'instrument qui portait ce nom devait offrir quelque ressemblance de forme avec l'amphore, ou le vase qui servait à conserver le vin[109]. Selon saint Jérôme et d'autres, il avait la forme d'un delta renversé, et on a cru le retrouver dans une espèce de lyre orientale, dont Niebuhr, dans ses Voyages, a donné la description et le dessin, et dont la forme présente en effet un delta renversé, sur un coffre rond en bois couvert de cuir. Cet instrument, à la vérité, n'a que cinq cordes, mais on a pu en augmenter le nombre. Ce qui est certain, c'est qu'il y avait un nébel à dix cordes, appelé, dans les Psaumes, nébel-asor (Ps. 33, 2 ; 144, 9)[110]. — Le kinnor et le nébel sont les seuls instruments à cordes qu'on puisse avec certitude attribuer aux anciens Hébreux. Ils servaient l'un et l'autre aussi bien pour la musique profane que pour la musique sacrée ; des bayadères qui chantaient dans les rues, s'accompagnaient du kinnor (Isaïe, 23, 16).

B. Les instruments à vent que nous trouvons chez les Hébreux avant l'exil sont au nombre de quatre : 1° OUGAB, dont la forme est inconnue, mais qui, selon les anciennes versions, est une espèce île flûte ou d'orgue. Les savants y ont vu, les uns une espèce de cornemuse, composée d'une peau enflée et de deux flûtes, la sampogna des Italiens, les autres la flûte de Pan, composée de sept tuyaux de longueur différente et proportionnée[111]. —2° HALIL OU NEHILA, la flûte, faite de roseau, de bois ou de corne, et qui avait probablement différentes formes[112]. — HAÇOCERA (Nombres, 10, 2), la trompette droite, en métal, telle qu'on la trouve représentée sur l'arc de triomphe de Titus. — 4° SCHOPHAR, la trompette recourbée, faite en corne, et qui est aussi désignée par les noms de KÉREN (corne) et de YOBEL (jubilation, retentissement)[113].

C. Les instruments de percussion étaient également au nombre de quatre : 1° TOPH, sans doute le même instrument que les Arabes appellent encore maintenant Doff et les Espagnols Aduffa, c'est-à-dire le tambourin, ou le tambour de basque, dont se servaient surtout les femmes pour battre la mesure avec la main, en dansant et en chantant[114]. — 2° CELCELIM (II Sam. 6, 5) ou MECILTHAIM (I Chron. 13, 8) ; ces mots, dont l'un a la forme du pluriel et l'autre celle du duel, désignent les cymbales des anciens. Il y en a chez les Orientaux deux espèces : l'une se compose de deux petits morceaux de bois ou de fer creux et ronds qu'on tient entre les doigts et qui sont connus sous le nom de castagnettes ; l'autre est composée de deux demi-sphères creuses en métal. Dans un passage des Psaumes (150, 5), on paraît distinguer les deux espèces et désigner les castagnettes par les mots CILCELÉ SCHÉMA (cymbala benesonantia) et les grandes cymbales par les mots CILCELÉ THEROUAH (cimbala jubilationis)[115]. — 3° MENAANEIM (II Sam. 6, 5), du verbe NOUA (agiter, mouvoir), probablement les sistres (sistra), très-usités chez les Egyptiens[116]. — 4° SCHALISCHIM, que nous voyons entre les mains des femmes, à côté des tambourins (I Sam. 18, 6) ; ce sont très-probablement les triangles, qui, selon Athénée (IV, 23), sont d'origine syrienne[117].

Nous ne nous arrêterons pas à quelques autres noms qu'on trouve dans les inscriptions de plusieurs Psaumes, tels que GUITTHITH (Ps. 8, 81, 84), ALAMOTH (Ps. 46), MAHALATH (Ps. 53, 88), etc. ; ces mots, dans lesquels on a vu aussi des noms d'instruments, désignent plus probablement certains modes du chant. Quelquefois la mélodie paraît être indiquée par les premiers mots d'un chant alors généralement connu ; c'est ainsi, sans doute, qu'on doit expliquer les mots AL-TASCH HETH, ne détruis pas (Ps. 57, etc.), AYYÉLETH HA-SCHAHAR, la gazelle de l'aurore (Ps. 22), YONATH ELEM REHOKIM, la colombe muette au loin (Ps. 56), et quelques autres.

L'usage fréquent que les Hébreux faisaient de la musique, dans le service divin comme dans le commerce de la vie, dans les circonstances joyeuses comme dans le deuil, montre avec évidence qu'ils avaient un grand amour pour cet art, et ils y étaient probablement bien plus avancés que les autres peuples de l'Orient. L'opinion qu'un des plus célèbres historiens de la musiq ne a cherché à faire prévaloir[118], et selon laquelle la musique des Hébreux n'aurait été qu'une espèce de récitatif monotone, semblable aux psalmodies des synagogues et des églises, nous paraît peu vraisemblable, et est entièrement dénuée de preuves. La mélodie est une chose très-naturelle, et il serait étonnant que les Hébreux, qui employaient la musique comme l'expression des sentiments les plus variés, ne fussent pas arrivés à tirer de la voix humaine et de leurs différents instruments certaines mélodies caractéristiques. Si la poésie des Hébreux n'était pas mieux connue que leur musique, et si la Bible n'était pas là pour témoigner de sa supériorité, on serait certainement bien loin de deviner sa haute portée et de l'apprécier à sa juste valeur. Ce serait donc hardi de nier que les Hébreux aient pu porter l'art musical à un certain degré de perfection. Néanmoins, nous ne sommes pas de ceux qui exagèrent la valeur de la musique hébraïque, et qui en font des descriptions pompeuses, sans avoir pour eux l'ombre d'une preuve historique. En considérant la simplicité des instruments des Hébreux et le caractère général de la musique des anciens, on sera forcé d'avouer que les mélodies hébraïques durent être très-simples ; la musique des Hébreux dut manquer, dans tous les cas, de ce que dans l'art moderne on appelle l'harmonie. Son imperfection résulte aussi de l'absence de toute écriture musicale, dont on ne trouve aucune trace ; le chant et l'accompagnement musical ne pouvaient être transmis que par tradition. Le seul mot Sélah, qu'on ne trouve que dans les Psaumes et dans la prière du prophète Habacuc (ch. 3), est évidemment un signe musical ; mais on s'est vainement épuisé en conjectures pour en déterminer le sens qui n'était déjà plus connu aux anciens interprètes juifs, car la version chaldaïque rend ce mot par leâlemin (in sæculum), et c'est dans le même sens, qu'il est employé dans les antiques prières du rituel juif. Comme le mot sélah se trouve généralement à la fin des strophes, il indique probablement une pause dans le chant, et peut-être une espèce de ritournelle exécutée par les musiciens. Pour montrer combien loin certains écrivains se sont laissé entraîner par leur imagination, afin de suppléer par là au manque total de documents historiques sur la musique des Hébreux, nous citerons la curieuse explication qu'un auteur français du dernier siècle a donnée du mot sélah[119] : David, dit-il, inventa la manière de filer les sons, ce qu'on appelait sélah en hébreu, et ce qu'on appelle en italien smorzando. La dévotion des Juifs redoublait à l'approche du sélah, et les chanteurs unissaient leurs voix, et s'accordaient le mieux qu'il leur était possible, afin de l'exécuter de façon à pénétrer les cœurs en charmant les oreilles ; ils renforçaient les sons et les adoucissaient ensuite par gradation. Cette tenue était suivie d'une pause. Le prophète Habacuc, touché des merveilleux effets que produisait le sélah, voulut en orner ses ouvrages. On le trouve plusieurs fois nommé dans son Cantique.

De semblables extravagances ont été débitées dans une foule d'autres ouvrages sur la musique des Hébreux. En pareil cas, il vaut mieux avouer modestement son ignorance que de tromper le lecteur par des détails imaginaires, appuyés d'un semblant d'érudition qui approche du charlatanisme.

Nous nous trouvons dans la même incertitude sur la nature de la danse chez les Hébreux, bien que les danses, accompagnées de musique, soient fréquemment mentionnées dans la Bible. Il résulte de plusieurs passages qu'on exécutait des danses, avec une certaine pompe, dans les réjouissances publiques, et que loin d'être, comme dans l'Orient moderne, un métier vil, au service. de la volupté, la danse des Hébreux avait un caractère grave et servait à rehausser l'éclat des fêtes nationales. Les femmes et les jeunes filles les plus honorables (Jérém. 31, 13) dansaient publiquement dans les occasions solennelles, notamment à la rentrée triomphale des guerriers victorieux (I Sam. 18, 6), ou dans les autres solennités patriotiques (Exode, 15, 20) ; les hommes eux-mêmes ne croyaient pas se compromettre en prenant part à ces démonstrations de la joie publique, comme nous le voyons par l'exemple de David, dansant dans une procession solennelle, lorsqu'il fit transporter l'arche sainte à Jérusalem. Le nom hébreu de la danse (MAHOL ou MEHOLA) semble indiquer un mouvement circulaire, ou des groupes formant un cercle, et dans les mots : David dansait de toutes ses forces (II Sam. 6, 14), nous croyons trouver une allusion à une pantomime très-animée. Nous avons déjà dit que les danseuses battaient la mesure avec le tambourin.

 

Nous avons essayé de présenter, d'après les indications de la Bible, un tableau fidèle de la vie des Hébreux que nous avons considérée sous toutes ses faces. Nous quittons maintenant les anciens Hébreux et nous reprenons l'histoire de la Palestine, depuis la fin de leur domination.

 

 

 



[1] Voyez Genèse, 1, 14.

[2] Il a été beaucoup disserté sur le prophétisme, par les Peres de l'Église, les rabbins péripatéticiens du moyen âge, les philosophes et les théologiens modernes. Mais il n'y a que peu d'ouvrages dont les auteurs aient su se placer sur le véritable terrain de l'histoire ; parmi les meilleurs nous citerons Eichhorn, Einleitung, etc. (Introduction à l'ancien Testament), 4e édition (1824), tome IV, — Un ouvrage spécial et très-complet sur le prophétisme des Hébreux a été publié, il y a quelques années, par M. Auguste Knobel, professeur de théologie à l'université de Breslau, sous le titre suivant : Der Prophetismus der Hebrœer, vollstændig dargestellt, Breslau, 1897, 2 vol. in-8°. Dans cet excellent ouvrage le prophétisme est considéré du point de vue purement historique et rationnel, et l'auteur a su éviter aussi ce langage nébuleux et prétentieusement philosophique qu'on ne rencontre que trop souvent dans les ouvrages allemands de nos jours.

[3] Voyez II Rois, 9,7 ; Jérémie, 25, 4 ; 26, et passim ; Isaïe, 44, 26 ; Haggaï, 1, 13.

[4] Nous prenons cet exemple parce que la discussion nous paraît être close sur ce point ; après l'argumentation lucide et profonde d'Eichhorn, Gesénius et autres, aucun critique sérieux, aucun vrai connaisseur du langage et de l'esprit des prophètes, ne voudra plus se compromettre, en soutenant l'authenticité du livre d'Isaïe dans son ensemble. Les chap. 40 à 66 du livre d'Isaïe, appartenant à un ou à plusieurs prophètes inconnus, ont été placés, par les auteurs du canon, sous le patronage du nom d'Isaïe, dont ils sont si dignes par l'élévation des idées et par la beauté du langage. Voyez Eichhorn, l. c., p. 82-1os ; Gesénius, Commentaire sur Isaïe, t. II, p. 1-35 ; Knobel, l. c., t. II, p. 197, 332-349.

[5] Par exemple : KITHAROS (κίθαρις), SABBECHA (σαμβύκη), PSANTHERIN (ψαλτήριον), SUMPHONIA (συμφωνία), Daniel, ch. 3, v. 5, 7 et 15.

[6] Voyez Eichhorn, l. c., p. 40-48.

[7] Épist. 4 ad Rusticum monach., cap. 7.

[8] On donnait quelquefois ce titre à la femme du prophète (Isaïe, 8, 3).

[9] Voyez par exemple, Lévitique, ch. 25, v. 27 et 50.

[10] On lui attribue des enfants (Job, 38, 32), qui désignent sans doute les étoiles de la queue ; car les Arabes appellent le carré de l'Ourse naasch, et la queue filles de naasch.

[11] Job, 9, 9 ; 26, 13 ; 28, 31 et 32 ; Amos, 5, 8 ; Isaïe, 14, 12 ; II Rois, 23, 5. Voyez sur ces différents noms, Gesénius, dans son Thesaurus ling. hebr. et chald. et dans son Commentaire sur Isaïe, t. I, p. 457 à 459 et 479 à 481.

[12] Voyez Gesénius, Commentaire sur Isaïe, t. II, page 327 et suivantes.

[13] Voyez Jérémie, 8, 22 ; II Chroniques, 16, 12.

[14] Voyez Isaïe, 1, 6 ; 38, 21 ; Jérémie, 8, 22 ; 46, 11 ; 51, 8 ; Ézéchiel, 30, 21.

[15] Voyez Proverbes, 3, 18 ; 11, 30 ; 13, 12 ; 15, 4.

[16] Reém ou rém signifie, selon plusieurs versions, monocéros ou licorne. D'après les rapports très-récents de M. Fresnel, l'existence de la licorne parait être maintenant bien constatée ; mais on peut douter que cet animal qui, selon les anciens, n'existait que dans les montagnes de l'Inde et dans l'intérieur de l'Afrique (vov. Rosenmüller, Bibl. Naturgeschichte, t. II, p. 180 et suiv.) ait été assez bien connu des Hébreux, pour figurer dans les images de leurs poètes. Un passage d'Isaïe (34, 7) indique évidemment un animal vivant dans les environs de la Palestine. Parmi les différentes conjectures des savants, nous citerons encore celle qui voit dans le rém une espèce de gazelle que les anciens appellent oryx (antilope leucoryx de Linné) et qu'ils présentent comme un animal féroce, doué d'une grande force et très-dangereux. Voyez sur la licorne et l'oryx, les détails communiqués par M. Fresnel, dans le Journal asiatique, mars 1844, p. 130-158.

[17] Comparez Genèse, 6, 20 ; 7, 23 ; 8, 17, où, en parlant des animaux qui entrèrent dans l'arche de Noé, on mentionne les mêmes classes, à l'exception des poissons ; de même ch. 9, v. 2, où on nomme les quatre classes.

[18] Voyez Volney, Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, Ire partie, ch. 17.

[19] Il les créa mâle et femelle. Et les bénit et leur dit : Croissez et multipliez, etc. On voit que, selon ce premier document, la femme est créée en même temps que l'homme ; ce n'est qu'à force d'interprétations subtiles qu'on a pu faire accorder ce passage avec celui qui fait employer à Dieu une côte de l'homme pour en former la femme.

[20] Comparez aussi Job, 28, 10. Les quatre pans (ou angles) de la terre (Isaïe, 11, 12) ne sont autre chose que les quatre points cardinaux, et il serait hardi de conclure de cette expression que les Hébreux attribuaient à la terre une forme quadrangulaire, comme le fait entendre Gesénius, dans son dictionnaire hébreu, au mot CANAPH, et dans son commentaire sur Isaïe, t. II, p. 328.

[21] Bacon de Verulam (De augmentis scientiarum, lib. 1) n'a pas hésité à conclure de ce passage que l'auteur du livre de Job connaissait la forme sphérique de la terre. Comparez Brucker, Hist. crit. philosophiæ, t. I, p. 98.

[22] Cette expression est aussi employée par les Grecs et les Romains. Dans Tite-Live (l. 38, c. 48) Delphes est appelée umbilicus orbis terrarum. Cicéron dit en parlant du bois sacré près d'Enna, en Sicile (In Verrem, act. II, l. 4, C. 48) : Qui locus, quod in media est insula situs, umbilicus Siciliæ nominatur.

[23] Voyez les commentaires des rabbins et de saint Jérôme sur Ézéchiel, 5, 5, et Psaumes, 75, 12.

[24] Divina comedia, Purgat., canto II.

[25] Voyez Wilson, Dictionnary in Sanscrit and English, 2e édition, p. 674.

[26] Voyez Gesénius, Commentaire sur Isaïe, t. Ier, appendice, p. 316-326.

[27] Le texte dit quatre têtes ; le fleuve principal se divisant en quatre branches est présenté comme un corps à quatre têtes. Michaelis, Jahn et d'autres, dans le vain intérêt d'appliquer la description d'Eden à quelque contrée réelle de l'Asie, expliquent le mot têtes par sources et prétendent qu'il s'agit du confluent de quatre rivières venant de quatre sources différentes ; mais le texte n'admet nullement cette interprétation.

[28] Les principales hypothèses et les difficultés qu'elles présentent ont été exposées par Winer, dans son Bibl. Realwœrterbuch, t. I, p. 335-341.

[29] Voyez The Wishnu Purana, translated from the original sanscrit and illustrated by notes, by H. H. Wilson, London, 1840, gr. in-4°, pages 170 et 171.

[30] Voyez Zend-Avesta, par Anquetil-Duperron, t. II, page 361.

[31] Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, Ire partie, ch. 16.

[32] Antiquités, I, 1, 3. — Une des hypothèses les plus récentes nous conduit même plus loin à l'est ; selon Buttmann (Mythologus, I, p. 82 et suiv.), les quatre fleuves sont, de l'est à l'ouest, l'Irabatti, dans le pays d'Ava, le Gange, l'Indus et le Settat al-Arab ou le confluent de l'Euphrate et du Tigre.

[33] Voyez Bohlen, Das alte Indien, t. II, p. 118 et suivantes.

[34] Volney (l. c.) et Gesénius pensent que Guihon est sans contredit le Nil, ce qui est aussi l'opinion de Josèphe ; mais il n'est nullement probable que l'auteur hébreu ait mis le Nil en rapport avec trois fleuves de l'Asie. D'autres, comme Rosenmüller, Winer, etc., prennent le Guihon pour l'Oxus, que les Arabes appellent Djikoun ; mais ce fleuve ne peut être mis en rapport avec le pays de Cousch des auteurs bibliques.

[35] La Vulgate rend les mots : il habita dans le pays de Nod par ceux-ci : habitavit profugus in terra. La version chaldaïque les rend d'une manière analogue.

[36] Voyez Gesénius, Geschichte der hebrœischen Sprache und Schrift, p. 62.

[37] Les premiers essais d'expliquer les noms hébreux par des noms plus récents se trouvent dans les Antiquités de Josèphe (I, 6), dans la paraphrase chaldaïque attribuée à Jonathan, et dans la version arabe de Saadia ; mais ces auteurs, loi n de se livrer à un examen critique, tenaient surtout à donner des noms connus aux lecteurs de leur temps. Le premier et presque l'unique travail critique que nous possédons sur cette matière est celui du célèbre Bochart qui lui a consacré la première moitié de sa Geographia sacra, portant le titre de Phaleg. Les recherches de Bochart furent complétées et rectifiées sur quelques points par Michaélis, dans son Spicilegium Geographiœ Hebrœorum exterœ post Bochartum. On peut aussi consulter les Recherches nouvelles de Volney, Ire partie, ch. 18 et 19, et le Cours d'histoire ancienne par Ch. Lenormant, Paris, 1837, ch. 4 et suivants.

[38] Voyez Bohlen, Die Genesis, p. 118.

[39] Comment. in Ezech., 38, 2.

[40] Voyez Pline, IX, 36 ; XXI, 8 ; XXXV, 6 ; comparez les Odes d'Horace, l. II, 18, v. 7 et 8.

[41] Voyez Bochart, l. c., III, c. 7 ; Michaelis, Spicilegium, part. 1, p. 82 et suivantes ; Gesénius, Comment. sur Isaïe, t. I, pages 719 et 720. Josèphe et la paraphrase chaldaïque de Jonathan rendent Tharsis par Tarsus en Cilicie, et Volney est du même avis ; mais, malgré les arguments allégués, en faveur de cette opinion, par M. Lenormant (p. 317-319), et dont nous reconnaissons toute la gravité, nous ne saurions voir la Cilicie dans la Tharsis des prophètes, florissante par son commerce et riche en métaux. Pour l'hébraïsant il est évident aussi, par le livre de Jona (1, 3), que, pour aller a Tharsis, on naviguait vers l'occident, tandis que, en partant de Joppé pour Tarsus en Cilicie, il fallait se diriger vers le nord. Il faudrait donc supposer que la Tharsis de la Genèse est différente de celle des prophètes, ce qui n'est pas probable.

[42] Voyez Gesénius, l. c., p. 721-724.

[43] Voyez Hérodote, III, 94 ; VII, 78 ; Ézéchiel, 27, 13 ; 32, 26 ; 38, 2 et 3 ; 39, 1.

[44] Voyez les passages cités par Ludolph, Comment. ad historiam æthiopicam, p. 227-229.

[45] Voyez Assemani, Bibliotheca orientalis, t. III, part. 2, p. 563 et suivantes.

[46] Josèphe, Antiquités, II, 10, 2.

[47] Strabon, XVI, ch. 4, § 2.

[48] Voyez la Géographie de Ptolémée, l. VI, ch. 7.

[49] Selon un autre passage de la Genèse (25, 3), Saba et Dedan descendirent de Joksan, fils d'Abraham et de Ketoura, ce qui prouve qu'on n'était pas bien d'accord sur l'origine de ces deux peuplades. — M. Lenormant a tort de soutenir contre Volney que Seba et Scheba (Saba) sont identiques ; le verset 72 du psaume 72 prouve avec évidence que ce sont deux pays différents.

[50] Voyez Rosenmüller, Bibl. Géographie, t. III, p. 171.

[51] Voyez Eichhorn, Allgemeine, t. VI, p. 772-776.

[52] L'accusatif seul a laissé des traces dans le langage vulgaire, où il sert à former des adverbes ; par exemple, yéman (un jour, aliquando), de yôm (jour) ; dâyiman (toujours), de dâyim (durant, perpétuel) ; abadan (jamais), de abad (éternité). On trouve aussi de ces adverbes en hébreu, par exemple : yômam (pendant le jour), omnam (en vérité), etc. ; la terminaison am est l'analogue de la terminaison arabe an, et c'est là une preuve évidente que l'hébreu avait primitivement une déclinaison. Il est vraiment étonnant que cette observation ait échappé jusqu'ici a tous les grammairiens, même à Gesénius et à Ewald, qui s'efforcent en vain d'expliquer la terminaison adverbiale am d'une manière plausible.

[53] Voyez II Rois, 18, 26 ; Isaïe, 36, 11 et 13 ; Néhémia, 13, 24,

[54] Voyez les Évangiles, Matthieu, 26, 73 ; Marc, 14, 70.

[55] Voyez Pline, Hist. Nat., V, 12 ; VII, 56 ; Lucain, Pharsale, III, 220 : Phœnices primi, famœ si credimus, ausi mansuram rudibus vocem signare figuris. Diodore (V, 74) dit que les lettres furent inventées par les Syriens ; les Phéniciens, les ayant apprises d'eux, les transmirent aux Hellènes.

[56] Eupolème, cité par Eusèbe, Præpar. evang., IX, 26. Cette opinion a trouvé récemment quelques savants défenseurs. Voyez de Wette, Archœologie, troisième édition (1642) p. 400, note e.

[57] Outre les tables de la loi et les noms gravés sur les ornements du grand prêtre, les passages historiques du Pentateuque attribuent à Moïse et à ses contemporains des écrits d'une certaine étendue. Voyez Exode, 17, 14 ; 24, 4 ; 34, 27 ; Nombres, 33, 2 ; Deutéronome, 27, 3 ; 31, 9 et 22.

[58] Isaïe, 8, 1 ; Jérémie, 17, 1 ; Job, 19, 24.

[59] Voyez Ézéchiel, 37, 16 ; Isaïe, 30, 8 ; Habacuc, 2, 2.

[60] Voyez Eichhorn, Einleitung, t. I, p. 164 ; t. III, p. 10 ; on peut comparer les anciens libri lintei, dont parle Tite-Live, l. IV, c. 7 et 20.

[61] Voyez Maimonide, Abrégé du Thalmud, liv. II, 3e section (Sépher Thorah), ch. I.

[62] Thalmud de Babylone, Synhedrin, fol. 21 b, 22 a. Saint Jérôme, qui avait sans doute entendu parler de cette tradition juive, va beaucoup trop loin, en affirmant, comme une chose certaine, qu'Ezra inventa la nouvelle écriture hébraïque. Voyez son Prologus galeatus, dans les différentes éditions de la Vulgate.

[63] Voyez surtout Jean Buxtorf, De literarum hebraicarum genuina antiquitate, dans ses Dissertationes philol. theol., n° 4. Cet auteur, à l'exemple de quelques rabbins, attribue aux Hébreux deux espèces de caractères, les uns sacrés, qui sont nos caractères hébraïques, les autres profanes, qui sont les caractères samaritains.

[64] De l'écriture phénicienne s'est formée celle des anciens Hébreux, ou l'hébraïque des monnaies, et de celle-ci dérive l'écriture que nous trouvons encore maintenant dans les manuscrits samaritains.

[65] Voyez Gesénius, Geschichte der hebrœischen Sprache und Schrift, p. 157.

[66] Voyez Barthélemy, Réflexions sur l'alphabet et sur la langue dont on se servait autrefois à Palmyre, dans les Mémoires de l'Acad. des Inscriptions, t. 26, p. 577 et suivantes ; Gesénius, Scripturœ linguœque Phœniciœ Monumenta, § 53, et la pl. 5 de ce même ouvrage. A la page 64, Gesénius a présenté le tableau de la filiation des différentes écritures asiatiques et européennes dérivées de la souche phénicienne.

[67] Voyez Eichhorn, Einleitung, t. I, p. 208 et 209.

[68] De nombreux passages des œuvres de saint Jérôme prouvent que, de son temps, le texte hébreu était encore écrit sans points-voyelles ; mais il parait qu'on avait alors certains signes pour l'accentuation. Voyez Gesénius, Geschichte der hebrœischen Sprache und Schrift, p. 196 et suivantes.

[69] Voyez II Rois, 21, 5 ; II Chroniques, 36, 8.

[70] Voyez Josué, ch. 10, v. 12 et 13.

[71] Voyez Einleitung, t. III, p. 429.

[72] Dans les Chroniques ou Paralipomènes, nous possédons un autre résumé des anciennes annales des Hébreux, composé quelques siècles plus tard dans un autre esprit et dans un but différent. Les deux résumés, quoique quelquefois plus détaillés l'un que l'autre, offrent des passages qui s'accordent littéralement, reproduisant l'un et l'autre les mêmes documents.

[73] Voyez Exode, ch. 15, v. 20 et 21 ; I Samuel, ch. 18, v. 6 et 7.

[74] Voyez II Samuel, 19, 36 ; Amos, 6, 5 ; Ecclésiaste, 2, 8.

[75] Voyez deux fables ou apologues de circonstance, Juges, 9, 8-15, et II Samuel, 12, 1-4. Isaïe commence un de ses discours par une parabole (ch. 5, v. 1-9) ; un autre exemple se trouve dans le livre d'Ézéchiel, ch. 17, et, si je ne me trompe, tout le livre de Jona n'est autre chose qu'une parabole ; nous y reviendrons plus loin.

[76] Voyez surtout les psaumes 37, 49 et 73 ; Jérémie, ch. 12.

[77] On peut consulter Lowth, De sacra Poesi Hebrœorum, prœlect. XII, ed. Michaelis, p. 230 et suivantes. — Knobel, Der Prophetismus der Hebrœer, t. I, p. 362-377.

[78] Voyez Herder, Geist der hebrœischen Pœsie, t. I, à la fin du septième dialogue.

[79] Voyez Antiquités, II, 16, 4 ; VII, 12, 3.

[80] Voyez les passages de saint Jérôme cités par Rabbi Azaria de Rossi dans son livre Meor Enaïm, ch. 60. Ce chapitre de R. Azaria, qui traite de la prosodie hébraïque, a été traduit en latin par Jean Buxtort, à la suite de son édition du livre Cosri, p. 415 et suivantes.

[81] Lowth, pour réfuter un système de prosodie hébraïque qui avait été inventé de son temps, imagine un système tout opposé, qui offre pourtant la même vraisemblance ; puis il ajoute (l. c., p. 742) : Simili quodam modo omnem, quœcungue ea fuerit, hypothesin quœ metricœ hebrœœ leges tradere, et versuum numeros, pedes et scansionem definire aggredietur, facile everti posse existimo ; nam ei hypothesi aliam contrariam et omnino repugnantem, sed œque validis argumentis confirmatum, opponi posse persuasum habeo.

[82] Voyez l. c., praelect. XIX, p. 360 et suivantes.

[83] Le pronom son se rapporte à Dieu.

[84] On peut cependant lui attribuer quelques psaumes qui se terminent par une prière pour le rétablissement de Jérusalem et du peuple d'Israël.

[85] Ce sont les psaumes 50 et 73 à 83.

[86] Voyez Eichhorn, Einleitung, t. V, p. 23 et 24 ; Introductio in Libros sacros, p. 391, § 174.

[87] Voyez les psaumes 42 à 49, 84, 85, 87, 88.

[88] Lemuël est sans doute un nom imaginaire dont se servit le poète, pour faire parvenir ses conseils à un jeune prince.

[89] Comparez Jérémie, ch. 20, v. 14 à 48, avec Job, ch. 3, v. 3 à 11.

[90] Voyez sur ce dernier point, Rosenmüller, Scholia in Vet. Test., 5e part., Prolegomena in Jobum, p. 38-40.

[91] Voyez Jahn, Introductio in Libros sacros, § 208.

[92] Voyez les notes de la Bible de M. Cahen, t. XII, Jona, 1, 1.

[93] Voyez Briefe, etc. (Lettres sur l'étude de la théologie), t. I, neuvième lettre.

[94] Voyez Jahn, Introductio, etc., § 126-128.

[95] Voyez Eichhorn, Binleitung, t. IV, p. 352-368.

[96] Voyez Hérodote, III, 169 ; Xénophon, Cyropédie, VII, 26 et suivants. — Knobel, Prophetismus der Hebrœer, t. II, p. 358 et 376.

[97] Voyez Gesénius, Geschichte der hebrœischen Sprache und Schrift, p. 35.

[98] Thalmud de Babylone, Synhédrin, fol. 39 b. Comparez les commentaires de saint Jérôme à Obad., v. 1 : Hunc aiant esse Hebrœi, gui, sut rege Samariæ Achab et impiissima Jezabel, pavit centum prophetas in specubus, etc. Quelques Pères de l'Église expriment la même opinion ; d'autres, comme saint Éphrem, font d'Obadia un Sichémite, contemporain d'Hoséa et d'Amos.

[99] Les Chérubins, à la vérité, étaient des symboles religieux, mais ils ne représentaient pas d'êtres réels.

[100] Le père Le Long, dans sa Bibliotheca sacra, publiée en 1723, compte douze cent treize auteurs qui ont écrit sur les Psaumes et qui ont aussi parlé de la musique des Hébreux. Dans le Thesaurus antiquitatum sacrarum d'Ugolino, t. XXXII, on trouve quarante traités spéciaux sur la musique et les instruments des Hébreux ; le plus ancien est celui du médecin juif de Mantoue Abraham ben-David de Porta-Leone, qui traita cette matière dans son ouvrage d'antiquités Schilté-haggibborim (le bouclier des forts), ch. 4 à 11. — Forkel, dans son Histoire de la musique (en allemand), t. I, p. 171 et suivantes, énumère un grand nombre d'autres ouvrages sur le même sujet, auquel il a consacré lui-même tout le 3e chapitre de son important ouvrage. On peut aussi consulter Pfeiffer, Sur la musique des anciens Hébreux (en allemand), 1779 ; Martini, Storia della Musica, t. I ; Roussier, Mémoires sur la Musique des anciens. Contant de la Molette, Essai sur la poésie et la musique des Hébreux, Paris, 1781, a copié Roussier. — Les dissertations les plus récentes sont celles de Saalschütz (Berlin, 1829) et de P. J. Schneider (Bonn 1834).

[101] Voyez Hengstenberg, Die Bücher Moses und Ægypten, p. 133-136.

[102] Voyez I Samuel, 10, 5 ; 16, 14-23 ; 19, 20-42.

[103] Voyez Antiquités, VII, 12, 3.

[104] Voyez I Samuel, 16, 23 ; 18, 10 ; 19, 9.

[105] Selon le livre Schitté haggibborim, ch. 9, le kinnor ressemblait exactement à notre harpe ; mais il vaudrait mieux lui donner la forme de la harpe égyptienne (Forkel, tab. V, fig. 50).

[106] Voyez Pfeiffer, p. XXXI.

[107] Voyez saint Jérôme, Epist. ad Dardanum ; Forkel, t. I, p. 131.

[108] Voyez Rosellini, I monamenti dell' Egitto e della Nubia, II, 3, p. 13 ; Hengstenberg, l. c., p. 136.

[109] Selon Abr. de Porta-Leone (Schillé hagg., ch. 8), il ressemblait au luth.

[110] Quelques auteurs prennent le nébel-asor (désacorde, de ASAR, dix), appelé aussi asor tout court (Ps. 92, 4), pour un instrument à part, auquel on attribue une forme quadrangulaire. Voyez Forkel, l. c., p. 133.

[111] Voyez Jahn, Archœologie, I, 1, p. 500.

[112] Voyez Jahn, l. c., p. 502.

[113] Voyez Exode, 19, 13 et 16. Le mot YOBEL n'est qu'une épithète ; dans le livre de Josué (ch. 5, v. 4, 5 et suivants), cet instrument est appelé kehophar ha-yobel et séren ha-yobel (corne de jubilation). Il y en a qui pensent que le kéren était distinct du schophar et plus courbé.

[114] Voyez Exode, 15, 20 ; Juges, 11, 34 ; I Samuel, 16, 6. — Selon Schitté hagg., le toph se battait avec une baguette, ce qui n'est pas probable.

[115] Voyez Forkel, l. c., t. I, p. 139 et 140 ; Jahn, l. c., p. 507 et 508.

[116] Voyez Plutarque, De Is. et Osir., ch. 63. Selon la description du livre Schillé hagg., ch. 5, c'est un bois carré, sur lequel descend des deux côtés une chaine ou une corde garnie de petits anneaux de bois.

[117] Voyez Jahn, l. c., p. 509.

[118] Forkel, l. c., p. 146 et suivantes.

[119] De la Borde, Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, 1780, t. I, p. 206.