Nous avons exposé plus haut les dispositions de la loi mosaïque relatives à la constitution de la cité et de l'État ; ici nous parlerons des modifications apportées dans la constitution mosaïque jusqu'à l'exil de Babylone, notamment par l'établissement de la royauté, et nous traiterons aussi de diverses coutumes et institutions non prévues par la loi et à l'égard desquelles elle était restée indifférente. Dans ce chapitre nous n'avons donc plus à nous occuper de l'ensemble du système social des Hébreux ; nous présenterons seulement quelques observations complémentaires sur la cité et les actes publics, sur la royauté, sur l'organisation militaire et les guerres, et sur les modifications introduites dans les formes extérieures du culte. A. La cité et la porte. On a vu que, selon la loi mosaïque, chaque ville devait avoir des magistrats chargés des affaires locales ; c'étaient les Anciens, les juges et les schoterim. Nous n'avons que des notions imparfaites sur l'organisation des différentes autorités locales avant l'exil. Selon le premier livre des Chroniques (23, 4 ; 26, 29), David donna aux lévites une large part dans les fonctions de juges et de schoterim. Josaphat, animé du même esprit, s'occupa également de l'organisation des tribunaux dans les principales villes. Mais, malgré tous les changements survenus dans les deux royaumes de Juda et d'Israël, les Anciens conservèrent toujours l'autorité que les lois et les coutumes antiques leur avaient accordée, notamment pour ce qui concernait les fonctions municipales et celles de juges dans les affaires criminelles[1]. Le lieu où siégeaient les tribunaux et où se traitaient toutes les affaires entre les citoyens était la porte principale de la ville, et le mot porte, dans la Bible, signifie la même chose que forum, chez les Romains[2]. Tout ce qui devait être porté à la connaissance du public se proclamait aux portes des villes (Jérém. 17, 19). Les affaires d'intérêt privé qui, pour être valides, avaient besoin de témoins ou de la sanction de l'autorité, se concluaient à la porte, comme nous le voyons déjà dans l'exemple d'Abraham faisant l'acquisition d'un souterrain à Hébron, en présence de tous ceux qui entraient par la porte de la ville (Gen. 23, 10 et 18). Les parties intéressées se présentaient devant les Anciens, exposaient leur affaire et faisaient leur déclaration en invoquant le témoignage des magistrats et de tous les assistants (Ruth, 4, 1-11). Quelquefois les engagements étaient confirmés par le serment ; on disait : Je jure par Jéhova (II Sam. 19, 8), ou : Par le vivant Jéhova que, etc. (I Sam. 19, 6), ou bien on était adjuré par une certaine formule, à laquelle on répondait Amen. Dans certaines conventions importantes, qui demandaient un acte d'engagement plus solennel, on découpait une victime, et les parties contractantes passaient entre les morceaux. S'agissait-il d'une vente ou d'une cession quelconque, celui qui faisait la cession ôtait l'une de ses sandales et la présentait à l'acquéreur, comme symbole de la renonciation. Mais cette formalité, usitée à l'époque des juges, ne l'était plus sous les rois ; car l'auteur du livre de Ruth (4, 7) la présente déjà comme un usage ancien, tombé en désuétude. Plus tard nous trouvons des actes rédigés par écrit et signés par des témoins ; il en est parlé dans un passage de Jérémie (32, 10-14), duquel il résulte qu'on rédigeait, pour les ventes d'immeubles, deux contrats, dont l'un était scellé et l'autre ouvert. Le premier, à ce qu'il parait, renfermait en détail toutes les stipulations et les clauses (ib. v. 11), pour dire produit comme preuve en cas de contestation ; le second constatait sommairement la vente du bien, et servait à la rendre notoire. Pour ce qui concerne l'administration de la justice, nous avons peu de chose à eider à ce que nous avons rapporté plus haut. La procédure était toujours extrêmement simple et sommaire. Dans les causes criminelles, l'accusé se présentait avec une mise négligée et probablement en costume de deuil[3] ; l'accusateur était placé à la droite de l'accusé[4]. Toute la procédure était verbale, mais plus tard la coutume s'introduisit d'écrire la sentence, la Bible nous en offre plusieurs traces[5]. — Au nombre des peines nous trouvons aussi la prison, qui ne figure pas dans les lois pénales de Moïse, mais qui fut introduite plus tard, notamment pour punir les crimes politiqués commis à l'égard des rois[6]. Il y avait des prisons plus ou moins dures, comme le prouvent les différents noms qui leur sont donnés dans la Bible, tels que BÊTH KÈLÈ (maison de détention) BETH HA-ASOURÎM (maison des enchaînés), BÊTH HAMMAHPECHÉTH (du nom d'un instrument qui servait à enchaîner les mains et les pieds) et BOR (citerne, souterrain). On mentionne divers instruments servant à enchaîner les prisonniers ; on leur liait tantôt les mains, tantôt les pieds ; quelquefois le corps était entièrement courbé par une machine de bois qui ne permettait guère de mouvement, comme celle qui est appelée MAHPÉCHETH (nervus, cippus). A Jérusalem nous trouvons, à l'époque de l'invasion des Chaldéens ; au moins trois prisons : une à la porte de Benjamin (Jérém. 20, 2), une autre dans la maison d'un officier supérieur (ib. 87, 16), et une troisième dans la cour du palais royal (ib. 82, 2). Pour la sûreté des villes, il y avait aux portes des gardiens, qui, de temps à autres montaient à la tour pour regarder au loin, et annonçaient par des cris, ou par les sons d'une trompette, ce qu'ils pouvaient observer d'extraordinaire dans le lointain[7]. On mentionne aussi les gardes de nuit qui faisaient la ronde dans ta ville (Cant. 3, 3). B. L'État et la royauté. On a vu dans notre histoire des Hébreux quel fut le sort de la constitution mosaïque après la mort de Josué ; sous les juges nous ne trouvons que rarement quelques traces des institutions théocratiques[8]. Samuel entreprit de restaurer l'État selon le véritable esprit de la loi, et, comme Moïse, il réunit en lui tous les pouvoirs que les circonstances avaient placés momentanément dans ses mains ; forcé de choisir un roi, il chercha à prévenir l'envahissement du despotisme pat un pacte écrit et par les instructions qu'il donna à l'ordre des prophètes. On connaît la lutte qui s'établit entre la royauté et les représentants de la théocratie, prêtres ou prophètes ; ici nous allons considérer la royauté telle que les circonstances l'avaient faite, le pouvoir et les prérogatives qu'elle possédait de fait dans les pays de Juda et d'Israël, les moyens dont elle disposait et l'éclat qui l'entourait. Pour être en harmonie avec l'esprit démocratique de la constitution de Moise, le pouvoir royal dut être très-limité dans le principe ; la royauté de Saül, du moins telle que Samuel l'avait conçue, n'était qu'un pouvoir exécutif permanent. Le roi était le représentant ou le fils (Ps. 2,7) du souverain invisible qui gouvernait par une loi immuable ; s'opposer à son pouvoir légal, c'était se révolter contre l'autorité de Jéhova lui-même (Ps. 2, 2). Dans les prophètes, gardiens et interprètes des lois écrites, les rois devaient trouver tantôt des conseillers, tantôt de rigides censeurs, selon qu'ils gouvernaient dans l'esprit théocratique ou qu'ils cherchaient à s'en écarter. Toute l'histoire des Hébreux et les rapports continuels entre les rois et les défenseurs de la théocratie nous montrent que le pouvoir légal des rois était considéré par la nation sous le point de vue que nous venons d'indiquer, ses attributions étant déterminées, sans doute, par un pacte fondamental, qui remontait à Samuel, et qui fut renouvelé plusieurs fois[9]. Mais souvent les rois, favorisés par le succès de leurs armes ou par d'autres circonstances, surent usurper un pouvoir que la loi leur refusait, ou même renier entièrement le principe théocratique, et quelquefois ceux-là même qui reconnaissaient ce principe se rendirent coupables d'actes arbitraires et tyranniques. Les représentants de la nation (les Anciens et les chefs des tribus), qui conservèrent toujours leur autorité et leurs droits à côté du pouvoir royal[10], se rendirent quelquefois complices des écarts de la royauté, et favorisèrent même l'introduction des cultes étrangers[11]. Nous ne possédons plus le texte de la convention qui fixait les droits et les devoirs de la royauté' ; la loi mosaïque, qui ne parle de la royauté que comme d'une chose éventuelle, est, à cet égard, peu explicite. Les devoirs du roi étaient tracés par les lois de Jéhova que le roi devait observer et faire respecter par tous ; quant à ses droits, nous pouvons les deviner, en grande partie, par les actes politiques que nous voyons exercer à la royauté sans qu'il soit question de plaintes élevées par les représentants ; car ceux-ci ne manquaient pas de défendre les intérêts de la nation contre les usurpations du pouvoir royal. Nous en avons un exemple éclatant dans la déchéance prononcée contre Réhabeam. Le roi était le juge suprême et jugeait en dernier ressort[12]. De ce droit résultèrent quelquefois les plus graves abus ; car s'il est vrai que les rois devaient juger conformément aux lois, ils exerçaient une souveraineté absolue toutes les fois que la loi n'était pas formelle, et notamment quand il s'agissait d'un crime politique. Le sang innocent versé par Achab, par Manassé, par Joïakim, et même par Saül et David, témoigne d'un pouvoir exorbitant et terrible. — Le roi avait aussi le droit de faire grâce à ceux que la loi condamnait, comme nous le voyons par une cause imaginaire portée devant David par la femme de Thécoa que Joab envoya pour obtenir la grâce d'Absalom (II Sam. 14, 4-11). — Nous voyons les Schophetim ou Juges, à l'époque de la république, agir en dictateurs, lorsqu'il s'agissait de sauver la patrie, déclarer la guerre et ordonner des levées en masse sans consulter les représentants de la nation. Saül en agit de même, à l'occasion d'une attaque faite par les Ammonites (I Sam. 11, 7), et plus tard, David et d'autres rois de Juda et d'Israël entreprirent souvent des guerres, sans qu'il fût question d'une intervention des représentants. Nous voyons aussi les rois, de leur propre chef, conclure des traités avec des puissances étrangères ; Asa ne craint pas d'épuiser les trésors du palais et du Temple pour acheter l'alliance du roi de Syrie (I Rois, 15, 18), et Achaz fait la même chose à l'égard de Tiglath-Piléser (II Rois, 16, 8). Achab renvoie libre le roi de Syrie tombé entre ses mains ; il fait avec lui un traité de paix, sans que ces actes rencontrent aucune opposition sérieuse, si ce n'est le blâme impuissant de quelques prophètes. Ces exemples, que nous pourrions multiplier, prouvent qu'on reconnaissait au roi le droit de faire la guerre et de conclure des traités de paix et d'alliance sans consulter la nation. Cependant il est douteux que le roi pût entreprendre des guerres offensives non prescrites par la loi ; selon la loi traditionnelle, il lui fallait pour cela l'autorisation du grand conseil, c'est-à-dire des Anciens[13]. Le roi avait de droit le commandement en chef de toute l'armée (I Sam. 8, 20), et il pouvait le conférer à qui bon lui semblait. — L'autorité du pouvoir royal s'étendait aussi sur l'organisation du culte national et de ses cérémonies[14], comme on a pu le voir dans l'histoire de David, de Salomon, d'Ezéchias et de Josias ; Salomon destitue un grand prêtre (I Rois, 2, 27) ; Achaz ordonne l'établissement d'un nouvel autel, sur le modèle de celui de Damas, et, le grand prêtre Uria fait aussitôt exécuter les ordres du roi. Dans le royaume d'Israël, la seule autorité de Jéroboam suffit pour faire introduire un culte national dissident. Quant au droit de succession, il était bien reconnu que la couronne devait passer à l'un des fils du roi (Deut. 17, 20), ou, à défaut de fils, au plus proche parent (II Rois, 1, 17) ; mais, quoique l'aîné des fils fût considéré comme héritier naturel du trône (II Chron. 21, 3), le droit d'aînesse n'était pas reconnu, à cet égard, d'une manière absolue, et le roi pouvait disposer de la couronne en faveur d'un de ses fils puînés. C'est ainsi que David désigna, comme son successeur, Salomon, à l'exclusion d'Adoniah, et cet acte fut approuvé par les représentants et salué par les acclamations du peuple ; c'est ainsi encore que Rehabeam conféra la couronne à Abiah, fils de sa femme favorite, quoiqu'il eût deux fils plus âgés d'une première femme (II Chron. 11, 18-22). Lors même que le roi n'avait rien fixé à l'égard de la succession, l'aîné se voyait quelquefois exclu par la volonté de la nation ; c'est ainsi que, après la mort de Josias, Joachaz fut préféré par le peuple à son frère Éliakim. En cas de minorité, la mère ou la grand'mère du prétendant gouvernait probablement comme régente, sous le titre de GUEBIRAH (I Rois, 15, 13) ; ce ne fut qu'à ce titre qu'Athalie put s'emparer du trône. Le premier roi des Hébreux fut consacré par la cérémonie symbolique de l'onction ; le même acte fut accompli une seconde fois par le prophète Samuel, lorsqu'il choisit David en place de Saül, et plus tard David fut oint de nouveau en présence des Anciens (II Sam. 5, 3). Mais il paraît que, par le sacre de David, ses droits étaient conférés en même temps à ses descendants, et si la cérémonie de l'onction fut renouvelée pour Salomon (I Rois, 1, 39), ce fut sans doute parce que ses droits étaient contestés par Adoniah ; car, à partir de cette époque, on ne mentionne plus l'onction que pour Joas (II Rois, 11, 12), qui avait besoin d'une installation plus solennelle, à cause de l'usurpation d'Athalie, et pour Joachaz (ib. 23, 30), élevé au trône au détriment de son frère aîné[15]. Dans le royaume d'Israël le seul Jéhu reçut l'onction comme fondateur d'une nouvelle dynastie choisie par les prophètes (ib. 9, 1). Le roi légitime, sacré par l'onction qu'il a reçue lui-même, ou par celle de ses ancêtres, est appelé MASCHIACH ou l'oint de Jéhova, d'où vient le mot messie ; une fois on voit ce titre honorifique donné à Cyrus (Isaïe, 45, 1), qui devait rendre la liberté au peuple juif. Quant au cérémonial du couronnement, il paraît qu'il n'y avait pas de règle fixe à cet égard. Salomon se présenta au peuple sur la monture royale, entouré de la cour et de la garde royale des Créthi et Pléthi ; la foule fit retentir des cris de joie mêlés aux sons de la musique. A l'avènement de Salomon, comme à celui de Saül, on offrit de nombreux sacrifices[16]. L'avènement du nouveau roi était toujours publié au sondes trompettes, et la foule assemblée faisait retentir le cri de vive le roi, en frappant des mains[17]. Les rois de Juda, s'il faut en juger par l'exemple de Joas, recevaient les hommages de la nation dans le parvis du Temple, placés sur une tribune et portant les insignes royaux (II Rois, 11, 12). Ces insignes étaient : la couronne d'or et le diadème ornés de pierres précieuses[18], le sceptre, qui était un bâton de bois couvert d'or[19], des bracelets d'or (II Sam. 1, 10) et probablement un manteau de pourpre (I Maccab. 10, 62 ; 14, 43). Le roi, dans ses audiences solennelles, était assis sur un trône ; le mot trône s'employait, comme chez nous, dans le sens de royauté (Prov. 16, 12). Les rois des Hébreux étaient bien plus populaires que les autres souverains d'Orient ; on les voyait souvent au milieu de leurs sujets, qui pouvaient facilement les aborder[20]. Mais ils étaient l'objet d'un profond respect (Prov. 24, 21) ; on se prosternait devant eux la face en terre, on les embrassait (Ps. 2, 12) et on les saluait par les mots : Vive mon seigneur le roi éternellement (I Rois, 1, 31). Offenser la majesté était un crime punissable de mort (ib. 2, 8 ; 21, 10). A la mort des rois on célébrait de magnifiques funérailles, et ils étaient enterrés dans un caveau particulier, au milieu de la ville ; quelques rois impies furent exclus de ces honneurs (II Chron. 28, 27). Le deuil public célébré pour les rois n'est mentionné expressément qu'à la mort de Saül et à celle de Josias. Nous nous dispenserons de parler ici en détail des ministres, conseillers et autres dignitaires de la cour, que nous avons déjà mentionnés dans différents endroits de notre histoire. Ceux qui exerçaient la plus grande influence sur les affaires du gouvernement, étaient l'ami du roi (I Chron. 27, 33) ou le conseiller intime, le premier ministre (II Chron. 28, 7), le chancelier et le secrétaire du cabinet, qui avait son bureau particulier (Jérém. 36, 12). L'intendant du palais, le général en chef de toute l'armée et celui de la garde royale étaient également des personnages politiques d'une haute influence. Dans l'administration nous remarquons les gouverneurs des provinces (I Rois, 20, 14), les chefs du domaine, les commissaires chargés de fournir l'entretien de la maison royale, et le chef des corvées. Les officiers attachés au service personnel du roi sont désignés souvent, selon le langage oriental, par le mot sarisim (eunuques), quoique, chez les Hébreux, il n'y eût d'autres eunuques que les gardiens du harem royal, qui étaient des étrangers. Au nombre de ces officiers on remarque le chef du vestiaire (II Rois, 10, 22) et les échansons (I Rois, 10, 5). Le luxe des rois, leurs nombreuses possessions, telles que de magnifiques palais, des jardins, des parcs, des forêts, des esclaves, des troupeaux, etc. (Ecclés. 2, 4-8), et les trésors du palais dont il est si souvent parlé dans l'histoire des Hébreux, font supposer un revenu très-considérable. La Bible ne nous donne à ce sujet aucun renseignement direct ; mais il n'est pas difficile, en combinant divers passages, d'indiquer assez exactement les sources d'où découlaient les revenus des rois hébreux. Il paraît que, des les premiers temps de la royauté, les craintes du prophète Samuel (I Sam. 8, 14.17) se réalisèrent en partie ; il est évident que déjà sous Saül le peuple avait des charges à supporter, car Saül promit de combler de richesses celui qui frapperait Goliath, et d'affranchir toute sa famille (ib. 17, 25), ce qui peut faire présumer que Saül disposait de moyens extraordinaires pour faire de grandes munificences, et que le peuple lui payait certains impôts. Il est du moins certain qu'il recevait des dons à titre de présents (ib., 10, 27 ; 16, 20), et les présents qu'on faisait aux rois dans l'ancien Orient n'étaient autre chose qu'un impôt ou un tribut déguisé, qui, pour ne pas être régulièrement fixé, n'en était pas moins obligatoire[21]. Sous David et Salomon les charges devinrent de plus en plus nombreuses ; on se permit d'imposer des corvées au peuple : elles furent, comme on le sait, la cause du schisme sous Rehabeam. — Une autre source de revenus, du moins pour les rois de Juda, consistait dans les riches domaines que David avait su acquérir à la couronne et qui durent passer à ses descendants. Ces possessions furent agrandies quelquefois par des confiscations, comme le prouve l'affaire de Naboth[22]. Dans les guerres les rois s'appropriaient une partie du butin, et le tribut des pays soumis entrait également au trésor royal[23]. — A tous ces revenus Salomon ajouta les droits d'entrée et de passage qu'il faisait payer aux commerçants (I Rois, 10, 15), et les bénéfices de certaines branches de commerce dont il se réservait le monopole, notamment des expéditions maritimes d'Ophir et du commerce des chevaux. — On ne s'étonnera pas qu'avec toutes ces ressources les rois aient pu se livrer quelquefois à un luxe immodéré et amasser de grands trésors. Leurs dépenses ordinaires se bornaient à l'entretien de leurs serviteurs, de leur harem et de la garde royale ; car les fonctionnaires ne recevaient pas de traitement, et la solde des troupes levées en temps de guerre consistait principalement dans le butin. Les rois faisaient des libéralités à ceux qu'ils jugeaient dignes d'une distinction particulière (II Sam. 11, 8). En Palestine, comme dans tout l'Orient, les présents royaux se composaient en partie de beaux vêtements (II Rois, 5, 22) ; souvent les rois et les princes revêtaient leurs favoris des vêtements qu'ils portaient eux-mêmes (I Sam. 18, 4). On faisait quelquefois, aux souverains de pays étrangers, des présents splendides (I Rois, 10, 13) qu'on envoyait ordinairement avec beaucoup de pompe par de nombreux ambassadeurs[24]. A l'occasion des réjouissances publiques, les rois faisaient distribuer des vivres au peuple assemblé. L'aperçu que nous venons de donner renferme à peu près tous les faits généraux qu'on peut recueillir dans la Bible sur le pouvoir royal chez les Hébreux avant l'exil. Plusieurs autres faits ont été rapportés dans notre histoire, et il ne nous reste plus qu'à donner quelques détails sur l'organisation militaire des Hébreux, qui subit des réformes très-sensibles depuis l'établissement de la royauté. C. Relations extérieures des rois. — Guerres. Nous avons traité plus haut des principes mosaïques sur le droit des gens et des dispositions légales concernant l'armée et la guerre. On a vu aussi quels furent les progrès militaires des Hébreux sous Saül, et tout ce que fit David pour l'organisation d'une véritable armée. Salomon la compléta en organisant un corps de cavalerie et des chariots de guerre qu'il distribua dans différentes places pourvues de munitions[25]. Plus tard nous rencontrons souvent, dans les deux royaumes, des armées parfaitement organisées, notamment sous Asa (II Chron. 14,7), sous Josaphat (ib. 17, 12-18), sous Amasia (ib. 25, 5), sous Ouzia (ib. 26, 11) et sous Joachaz, roi d'Israël (II Rois, 13,7). Mais il ne paraît pas qu'il y eût des armées permanentes, entretenues aux frais de l'État ; en temps de paix, les hommes soumis, par leur âge, au service militaire, faisaient probablement le service et les exercices nécessaires à tour de rôle ; selon le règlement que l'auteur des Chroniques fait remonter à David. Le dénombrement se faisait sous les auspices du général en chef (II Sam. 24, 2), par son premier Sopher ou secrétaire (Jér. 52,25) et par le grand Schoter, assistés d'un des principaux capitaines (II Chron. 26, 11). Ces fonctionnaires levaient, en temps de guerre, les troupes nécessaires, sauf les exemptions admises.par la loi. Lors d'une attaque imprévue, on convoquait les contingents par des messagers, par le son des trompettes, et par des signaux donnés du haut des montagnes[26]. Depuis Salomon, on distinguait toujours dans l'armée trois divisions principales, l'infanterie, la cavalerie et les chariots (II Rois, 13, 7) ; ces derniers portaient, outre le conducteur, un ou plusieurs combattants (I Rois, 22, 34). Les troupes étaient divisées, selon les armes, en deux classes : l'une portait le grand bouclier (cinnah) et la lance ; l'autre, portant le petit bouclier (maghén) et l'arc, formait la troupe légère (II Chron. 14, 7) ; l'armure seule faisait distinguer le soldat, car nous ne trouvons pas de trace d'uniforme chez les Hébreux. Chaque corps se composait de plusieurs légions de mille hommes, subdivisées a leur tour en bandes de cent et de cinquante hommes, et les différentes divisions, dont chacune avait son drapeau particulier, étaient Commandées par des chefs de divers grades, qui portaient le titre de SAR[27]. Le général en chef (SAR HAS-CHAIL ou SAR RAS-SABA), ou le roi, avait sous ses ordres immédiats des généraux commandant de grandes divisions de plusieurs légions[28]. Le roi et les officiers supérieurs étaient accompagnés d'un écuyer, ou porteur d'armes (I Sam. 17, 39). Les chariots, à ce qu'il paraît, formaient deux divisions, dont chacune avait son capitaine (I Rois, 16, 9). Les officiers supérieurs formaient le conseil de guerre (I Chron., 13, 1), et il paraît que ce conseil, en temps de guerre, s'érigeait en tribunal pour juger ceux qui étaient accusés d'un crime politique ; car ce sont là, sans doute, les capitaines dont il est souvent parlé dans l'histoire de Jérémie, et dont le prophète dut mainte fois subir les rigueurs. Les troupes, qui ne quittaient leurs foyers que pendant la guerre, ne recevaient pas de solde régulière ; l'entretien des soldats était d'abord à la charge de leurs familles respectives (I Sam., 17, 17). On voyait quelquefois de riches particuliers amener à l'armée des provisions abondantes (II Sam. 17, 27-29). Depuis Salomon il y avait des magasins dans différentes villes, où l'on amassait des provisions pour les temps de guerre[29]. On ne payait de solde qu'aux mercenaires étrangers (II Chron. 25, 6). Quant au chiffre des troupes actives, il dut varier selon les circonstances ; mais nous n'avons pas de donnée certaine à cet égard, car les nombres qu'on trouve dans plusieurs passages de la Bible sont souvent exagérés, ou se rapportent aux levées en masse. Les armes des Hébreux étaient, comme celles des autres peuples de l'antiquité, de deux espèces : défensives et offensives. Comme armes défensives on mentionne les suivantes : 1° CINNAH (scutum), ou le grand bouclier (I Rois, 10, 16), ayant probablement la forme ovale et couvrant tout le corps. 2° MAGHÈN (clypeus), le petit bouclier (ib. v. 17), de forme ronde, couvrant la poitrine[30] ; il est très-ancien (Genèse, 15, 1), tandis que le grand bouclier n'est mentionné que depuis l'époque de David. L'un et l'autre étaient faits en bois, comme il résulte d'un passage d'Ézéchiel (39, 9), et couverts d'une peau qu'on graissait quelquefois d huile (II Sam. 1, 21). Par exception, on en faisait quelquefois en airain (I Rois, 14, 26) ; Salomon avait même des boucliers en or (ib., 10, 16 et 17), suspendus comme ornements dans son palais. 3° KOBA, le casque, ordinairement d'airain (I Sam. 17, 5 et 38). 4° SIBYON, la cuirasse, également d'airain et faite à écailles (ib). 5° MIÇ'HA, la jambière d'airain, qui n'est mentionnée qu'une fois, dans l'armure de Goliath (ib. v. 6). — En fait d'armes offensives nous trouvons : 1° iliums, le glaive ou l'épée, qu'on portait dans un fourreau attaché à une ceinture particulière (II Sam. 20, 8)[31]. 2° Différentes espèces de lances, de dards et de javelots désignées par les mots BOMACH, HANITH, KIDÔN, KAÏN (ib. 21, 16), dont il est difficile de préciser les nuances. 3° KÉSCHETH, l'arc, ordinairement d'airain[32], avec les flèches qu'on portait dans le carquois (teli ou aschpah) sur le dos ; les flèches étaient quelquefois empoisonnées (Job, 6, 4). 4° KÉLA, la fronde, arme des pasteurs, mais dont on se servait aussi dans la guerre (Juges, 20, 16 ; 2 Rois, 8, 25). A ces armes il faut ajouter les machines de guerre, dont nous parlerons plus loin. — A Jérusalem et dans d'autres villes fortes il y avait des arsenaux pour les besoins de l'armée[33]. Quant à l'art militaire, il n'a jamais atteint chez les Hébreux un haut degré de perfection ; leur tactique était toujours très-simple, et encore à la glorieuse époque des Maccabées, se trouvant en face de la stratégie grecque, les Juifs suppléèrent par le courage et l'enthousiasme patriotique qui les distinguait au manque d'habiles tacticiens. Voici quelques détails sur la guerre, qui résultent de la combinaison de divers passages de la Bible : la campagne s'ouvrait ordinairement au printemps (II Sam. 11, 1) ; avant de se mettre en marche, on consultait, dans les temps anciens, le sort sacré des Ourim et Thummim ; plus tard on demandait l'avis des prophètes[34]. Quelquefois des négociations précédaient le combat[35]. On ouvrait la guerre par un acte religieux, de là l'expression sanctifier la guerre (Joël, 4, 9) pour dire s'y préparer ; sous Samuel et Saül on mentionne expressément le sacrifice offert avant le combat (I Sam. 7, 9 ; 13, 9-12). Outre le discours obligatoire du prêtre, le roi lui-même prononçait quelquefois une allocution (II Chron. 20, 20). Pour l'attaque, comme pour la retraite, le signal était donné au moyen des trompettes[36] ; après le signal de l'attaque, toute l'armée faisait retentir le cri de guerre[37] et marchait sur l'ennemi. La bataille s'engageait ordinairement sur trois points, car l'armée était rangée en trois divisions, savoir, le corps de bataille et deux ailes[38]. On employait, selon les circonstances, certains stratagèmes, tels que l'embuscade, l'attaque à l'improviste ou par derrière, et autres ruses semblables[39]. Nous ne savons rien de particulier à l'égard de la forme des bataillons et de leurs évolutions. Pour ce qui concerne le camp et la marche, nous ne connaissons que les dispositions établies par Moïse, dans le désert, pour le voyage et les campements des Hébreux, et dont nous trouvons les détails au livre des Nombres (ch. 2 et 10) ; mais le camp des Hébreux nomades, ayant pour centre le tabernacle entouré de la tribu de Lévi, ne pouvait guère servir de modèle dans ses détails, au camp de guerre de la Palestine. Le mot MAAGAL ou MAAGALAH, emploie quelquefois pour désigner le camp de guerre (I Sam. 17, 20), et dont la racine a le sens de rond, paraît indiquer que ce camp avait-la forme circulaire ; le roi et son état major occupaient le centre, et la troupe campait à l'entour (ib. 26, 5)[40]. Deux fois après Josué nous trouvons l'arche sainte au milieu du camp : ce fut dans le malheureux combat livré aux Philistins du temps d'Éli (I Sam. 4, 4), et plus tard dans une expédition de Saül (ib. 14, 18). Il reste à faire connaître une partie essentielle des opérations militaires : les travaux de fortification, la défense des forteresses et les sièges. Presque toutes les villes de la Palestine et des pays voisins étaient des places fortes par leur position et entourées de murailles ; mais depuis le règne de Salomon, un grand nombre de villes, notamment sur les frontières, furent fortifiées d'une manière plus solide et plus systématique[41]. Voici quels étaient généralement les ouvrages de fortification : la ville était entourée d'une ou de plusieurs murailles (II Chron. 32, 5), garnies de parapets crénelés (PINNOTH) et flanquées de tours (ib. 26, 15) ; de distance en distance il y avait des portes voûtées surmontées de tours et fermées par deux battants (Deut. 3, 5), qui étaient garnis de verrous de fer ou d'airain (ib. 33, 25). A l'extérieur des murailles se trouvait le HÉL (antemurale) : c'est ainsi qu'on appelait le fossé qui courait le long des murailles et qui était protégé par une petite muraille ou par un rempart[42]. Dans certaines villes il y avait des citadelles ou des forts détachés qui servaient de dernier refuge[43]. Les assiégés se défendaient en tirant des flèches (II Sam. 11, 24) ; quand les ennemis s'approchaient de la muraille, on leur lançait de grosses pierres (ib. v. 21 ; Juges, 9, 53). Sous le roi Ouzia, qui fit faire aux Hébreux des progrès notables dans l'art militaire, on plaça sur les tours des machines d'une nouvelle invention, au moyen desquelles on pouvait lancer des projectiles à une grande distance (II Chron. 26, 15). En assiégeant une ville ennemie, les Hébreux devaient, avant de commencer les hostilités, faire des propositions de paix. Les opérations du siège commençaient par les travaux du DAYEK ou de la circonvallation (II Rois, 25, 1), et par ceux des terrasses ou des bastions (SOLELAH) qu'on élevait sur toute la ligne (ib. 19, 32) et qui s'avançaient jusqu'aux fossés de la forteresse (II Sam. 20,15). Les sièges duraient quelquefois très-longtemps, et on se bornait d'abord à un simple blocus et à couper les vivres aux assiégés (II Rois, 6, 25), comme on en a vu des exemples dans les longs sièges de Rabbah, de Samarie et de Jérusalem. Mais nous trouvons souvent des exemples d'attaques expéditives et d'assauts vigoureux ; les assiégeants s'approchaient courageusement des murailles et cherchaient à pratiquer la brèche (II Sam. 90, 15) ; en même temps on tirait des flèches sur les assiégés qui se montraient sur la muraille. Les béliers (CARÎM) ne sont mentionnés qu'à l'époque des Chaldéens (Ézéch. 4, 2) ; on les plaçait surtout contre les portes (ib. 21, 27). Les places prises d'assaut furent ordinairement détruites de fond en comble et les habitants massacrés (Juges, 9, 45) ; en général, on avait coutume de dévaster le pays conquis (II Rois, 3, 25), et on a vu dans différents endroits de cet ouvrage que les Hébreux usaient mainte fois du droit de guerre avec autant de cruauté que leurs voisins. Mais après David, nous ne trouvons guère d'exemple, chez les Hébreux, de cette cruauté barbare dont les prophètes parlent avec tant d'horreur (Amos, 1, 3 et 13) ; les rois des Hébreux avaient même la réputation d'être généreux et cléments envers leurs ennemis (I Rois, 20, 31). On se contentait d'enlever le trésor public des ennemis, d'emmener des otages (II Rois, 14, 14), d'occuper le pays conquis et de le rendre tributaire, comme le fit David lui-même (II Sam. 8, 6 et 14) à qui on a justement reproché plusieurs actes cruels. On célébrait la victoire par des réjouissances et des chants ; à leur retour les guerriers recevaient les hommages des femmes, qui allaient au-devant d'eux avec des instruments de musique, en chantant et en dansant[44]. On déposait quelquefois dans le sanctuaire les armes conquises sur les ennemis (I Sam. 21, 10), et on élevait des trophées en l'honneur des héros (ib. 15, 12). — La moitié du butin appartenait de droit aux soldats, et pour éviter les contestations, David avait établi, comme une loi, que dans chaque expédition, ceux qui prendraient part au combat et ceux qu'on aurait laissés en arrière, pour garder le camp et les bagages, auraient des portions égales (I Sam. 30, 24 et 25). Sur l'autre moitié qui, selon l'ordre de Moïse, devait appartenir à la nation, le roi prenait saris doute une large part, notamment des métaux et autres objets précieux (II Sam. 12, 30) ; une autre part servait à agrandir le trésor du sanctuaire (ib., 8, 11 ; I Chron. 26, 27), auquel appartenait aussi tout le métal pris dans les villes qui étaient déclarées hérem (anathème), comme nous l'avons dit ailleurs. D. Le culte. Nous avons peu de chose à dire sur le culte légal des Hébreux, que nous avons fait connaître dans tous ses détails. Nous rappellerons brièvement les vicissitudes du culte mosaïque ; depuis la mort de Josué jusqu'à l'exil de Babylone, les anomalies et les écarts que nous remarquons à l'époque des juges et qui se reproduisent sous plusieurs rois, et les améliorations portées dans les formes extérieures du culte par quelques autres rois. Nous nous bornerons à quelques indications rapides, pour ne pas répéter des détails que nous avons donnés dans différents passages de notre histoire. Josué avait fixé le Tabernacle à Siloh, devait être le lieu central du culte mosaïque et où les tribus devaient se réunir aux époques fixées par la loi (Jos. 18, 1). Mais pendant la période des juges il n'est jamais question du sanctuaire de Siloh et du culte national, et ce n'est qu'à la fin de cette période que le culte se relève un peu par le prêtre Éli. Les tribus n'étaient pas plus unies sous le rapport religieux que sous le rapport politique ; les Hébreux adoraient en partie les divinités cananéennes, et ceux-là même qui restaient fidèles à Jéhova ne pouvaient pas s'élever à l'adoration d'un être invisible, et, dédaignant les symboles de Siloh, ils adoraient leur Jéhova, dans différentes localités, sous une image visible. On en a vu des exemples dans l'idole de Michah et dans l'oracle établi par Gédéon à Ophra. Le sacrifice de la fille de Jephté montre combien peu on était pénétré de l'esprit des lois mosaïques. Samuel chercha à refaire l'œuvre de Moïse, en faisant cesser toute espèce d'idolâtrie (I Sam. 7, 3) et en rétablissant l'unité politique et religieuse ; il développa le prophétisme, dont les éléments étaient donnés dans les institutions mosaïques, mais nous ne voyons pas encore le culte sacerdotal régulièrement constitué. Une famille de prêtres dessert le sanctuaire de Siloh (ib. 14, 3), mais ce sanctuaire reste privé de l'arche sainte, et Samuel lui-même préside à des sacrifices offerts dans d'autres endroits (ib. 7, 9 ; 9, 12). Nous trouvons des pratiques religieuses étrangères au mosaïsme, par exemple, le jeûne et les libations d'eau dans la grande assemblée de Mispah (ib. 7,6), et même dans la famille de Saül nous rencontrons encore les theraphim (ib. 19, 13), espèces d'idoles domestiques qui donnaient des oracles (Zachar. 10, 2). — Sous David, enfin, la tribu de Lévi est établie dans les fonctions et les droits que lui attribue la constitution mosaïque ; du moins la Chronique fait remonter à David l'organisation complète des différents corps des lévites et des prêtres (p. 282). Dans les livres bibliques écrits après l'exil, on mentionne, à côté des prêtres et des lévites, une autre classe de serviteurs du Temple appelés Nethinim (I Chron. 9, 2), mot qui signifie donnés, voués ; selon le livre d'Ezra (8, 20), ils furent consacrés, par David et par ses capitaines, au service des lévites. C'étaient sans doute des prisonniers de guerre qui avaient adopté la religion de Moïse (Néhém. 10, 29), et qu'on employait au plus bas service du Temple, a l'égal des Gabaonites, qui furent condamnés par Josué à faire le service de coupeurs de bois et de porteurs d'eau dans le sanctuaire. — Salomon couronna l'œuvre de Samuel et de David par la construction du temple de Jérusalem ; mais l'unité du culte fut de courte durée. Salomon lui-même, à la fin de ses jours, accorda des autels aux dieux étrangers, et bientôt la division du royaume amena un schisme religieux. A la vérité, le culte national, dans les deux royaumes, était celui de Jéhova ; mais dans le pays d'Israël on adorait Jéhova sous une image visible, un nouveau sacerdoce fut établi et les époques solennelles furent changées arbitrairement. Outre le temple royal de Bethel (Amos, 7, 13) et l'autel de Dan, établis l'un et l'autre par Jéroboam, il y avait un certain nombre de hauts lieux, ou de temples privés, dans différentes localités (I Rois, 13, 32), sans parler des autels et des temples consacrés au culte phénicien et qui étaient tolérés par la plupart des rois d'Israël. Ce fut contre l'idolâtrie phénicienne que sévirent les prophètes Élie et Élise et le roi Jéhu ; mais le culte des images de Jéhova, le péché de Jéroboam, subsistait toujours comme culte national (II Rois, 10, 31). Dans le royaume de Juda, le culte reconnu par l'État était celui du sanctuaire de Jérusalem, conforme aux préceptes de Moïse. Malgré la faveur que plusieurs rois de Juda accordèrent au culte phénicien, qui trouva aussi de nombreux partisans parmi le peuple, le temple central resta presque toujours ouvert au culte de Jehova ; Athalie elle-même ne put l'en i bannir, et sous son règne impie le grand prêtre Joïada sut maintenir l'ordre du service et l'organisation des prêtres et des lévites (II Citron. 23, 4-8). Sous Achaz seulement le Temple resta fermé pendant quelque temps (ib. 28, 24 ; 29, 7), et Manassé osa le souiller par la plus abominable idolâtrie (II Rois, 21, 4. 7). Mais presque tous les rois de Juda, même ceux dont l'Écriture loue la piété, tolérèrent le culte des hauts lieux[45], qui étaient desservis par des prêtres de Jéhova, de la race d'Ahron (ib. 23, 8 et 9), et il fallut le zèle d'un Ézéchias et d'un Josias pour faire cesser ce culte illégal. Les prophètes font allusion quelquefois à un culte d'images (de Jéhova) célébré dans quelques villes de Juda, telles que Guilgal et Beërséba[46] ; le culte du serpent, comme symbole de Jéhova, dura jusqu'au temps d'Ézéchias. — Les détails du culte cananéen ou phénicien, auquel se livrèrent beaucoup d'Hébreux dans les deux royaumes, ont été exposés plus haut. On voit qu'il ne suffit pas de lire les lois du Pentateuque pour se former une idée exacte de l'état religieux des Hébreux avant l'exil. Il est probable que le culte mosaïque pur, avec toutes ses observances, ne fut établi dans toute son étendue que sous le règne de Josias ; l'Écriture elle-même nous dit que dans la dix-huitième année de Josias, on célébra pour la première fois le rite de la Pâque selon toutes les prescriptions de la loi (II Rois, 23, 21-23). Mais nous sommes bien loin de conclure de là, avec quelques critiques modernes d'Allemagne, que les prescriptions du culte attribuées à Moïse ne sont que le résultat du développement successif des cérémonies religieuses depuis les temps anciens jusqu'à l'époque de Josias. S'il est vrai que les livres des Rois ne parlent pas souvent des cérémonies et des solennités mosaïques, il ne faut pas oublier que ces livres ne sont que les abrégés fort incomplets des anciennes chroniques de Juda et d'Israël, et que le silence qu'ils gardent sur certaines institutions ne peut nullement servir de preuve de l'absence de ces institutions. Nous trouvons d'ailleurs des traces suffisantes des cérémonies mosaïques observées par les Hébreux avant l'époque de Josias, et s'il est vrai que ces cérémonies n'ont pu s'établir, dans tous leurs détails, au milieu d'un peuple qui comptait un grand nombre d'idolâtres et d'indifférents, et qui était peu instruit dans la loi, il est certain du moins que les partisans du culte national observaient les principales pratiques prescrites dans la loi de Moïse. Ainsi, par exemple, on mentionne expressément la célébration du sabbat et des néoménies[47], et même dans le royaume d'Israël, les prophètes consacraient ces jours solennels à l'instruction du peuple ; les hommes et les femmes venaient écouter leurs discours (II Rois, 4, 23). Les trois grandes fêtes étaient célébrées, sans aucun doute, dans le sanctuaire de Jérusalem, aux époques fixées par la loi ; le roi Salomon, lors de la dédicace du temple, fit célébrer avec beaucoup de solennité la fête des Tabernacles, et il se rendait toujours au Temple, aux trois fêtes, pour y offrir ses sacrifices. Sous Ézéchias, la fête de Pâques fut célébrée avec beaucoup d'éclat, comme le rapporte l'auteur des Chroniques. Parmi les pratiques religieuses des Hébreux nous devons signaler particulièrement les jeûnes et les prières. La loi mosaïque n'établit qu'un seul jeûne public, et elle ne prescrit rien à l'égard des prières. Dans les livres historiques postérieurs à Moïse, ainsi que dans les prophètes, il est souvent question de jeûnes extraordinaires, tant publics que privés, qu'on s'imposait comme expiation, ou comme signe de deuil et de contrition, dans les calamités qui frappaient la nation tout entière ou les familles ; on en a vu beaucoup d'exemples dans le courant de cet ouvrage[48]. La prière est mentionnée très-fréquemment avant l'exil, mais elle n'était pas encore régulièrement introduite dans le culte public ; on ne mentionne que les chants des lévites (I Chron. 16, 4 ; 23, 30) et des prières de circonstance, dont nous trouvons des exemples dans beaucoup de psaumes et dans la grande prière de Salomon. La prière était une partie essentielle de la dévotion privée[49], mais il n'y avait pas de formules fixes et chacun priait selon ses inspirations. Cependant un verset des Psaumes (55, 18) peut faire présumer que déjà avant l'exil les hommes pieux priaient régulièrement trois fois par jour, usage établi plus tard dans les synagogues et dont il est parlé dans le livre de Daniel (6, 11). On faisait la prière debout ou agenouillé et les mains étendues vers le ciel (I Rois, 8, 22 et 54). Quelquefois on se prosternait à terre (Néhém. 8, 6), comme nous le trouvons déjà dans les prescriptions mosaïques. |
[1] Voyez I Rois, 21, 8 et
11 ; Lamentations, 6, 14.
[2] A l'époque de la destruction
de Jérusalem, on mentionne, dans cette capitale, une maison du peuple (Jérémie,
39, 8), ou un hôtel de ville, ou se traitaient probablement alors les affaires
de la cité.
[3] Voyez Zacharie, 3, 3,
et le discours de Saméas dans les Antiquités de Josèphe, XIV, 9, 1.
[4] Voyez Psaumes, 109, 6 ;
Zacharie, 3, 1.
[5] Voyez Psaumes, 149, 9 ;
Jérémie, 22, 30 ; Job, 28.
[6] Voyez Jérémie, 20, 2,
et passim ; II Chroniques, 16, 10.
[7] Voyez II Samuel, 18, 24
; II Rois, 9, 17 ; Jérémie, 6, 17 ; Ézéchiel, 33, 6.
[8] Voyez Juges, ch. 8, v.
22 ; ch. 11, v. 11 ; ch. 20, v. 1, 18 et 23.
[9] II Samuel, 5, 3 ; II
Rois, 11, 17.
[10] II Samuel, 17 4 ; I
Rois, 8, 1 ; II Rois, 10, 1 ; 23, 1 ; II Chroniques, 34, 29.
[11] I Rois, 21, 8 et 11 ; II
Chroniques, 24, 17.
[12] Selon la Mischna, le
roi ne pouvait être juge ni cité devant les tribunaux ; certains docteurs cités
dans la Guemara appliquent les paroles de la Mischna aux rois
d'Israël, et soutiennent que les rois de la famille de David pouvaient exercer
les fonctions de juges et étaient eux-mêmes soumis à une juridiction. Voyez les
passages cités par Selden, De Synedriis, p. 922 et suivantes, p. 1124 et
suivantes. Mais on aurait tort d'attacher de l'importance, sous ce rapport, aux
paroles des thalmudistes, qui n'ont aucune base historique, et ne sont
confirmées ni par la Bible, ni même par Josèphe. Le droit politique du Thalmud
appartient, en grande partie, au domaine de la spéculation et n'a jamais eu
d'existence réelle. Ce serait du moins faire un énorme anachronisme que de
l'appliquer à l'époque qui précède l'exil, comme l'a fait M. Saindor.
[13] Voyez, Mischna, 4e
partie, traité Sanhédrin, ch. 2, § 4 ; Maimonide, Abrégé du Thalmud,
liv. XIV, dernière section (des rois et
des guerres), ch. 5.
[14] On a eu tort de conclure de
quelques passages que Saül, David et Salomon s'arrogèrent des fonctions
sacerdotales ; voyez I Samuel, 13, 9 ; II Samuel, 6, 18 ; I
Rois, 3, 4 et 15. Ces passages ne disent nullement que le roi, en offrant
des sacrifices, ait fuit lui-même les fonctions de sacrificateur.
[15] Comparez Maimonide, l. c.,
à la fin du ch. 1.
[16] Voyez I Samuel, 11, 16
; I Chroniques, 29, 21.
[17] Voyez I Samuel, 10, 24
; I Rois, 1, 39 ; II Rois, 9, 13 ; II, 12 et 14.
[18] II Samuel, 1, 10 ; 12,
30 ; II Rois, 11, 12 ; Zacharie, 9, 16.
[19] Amos, 1, 6 ; Zacharie,
10, 11 ; comparez Homère, Iliade, I, 245 ; II, 268. Le sceptre de Saül
était une lance (I Samuel, 18, 10 ; 22, 6).
[20] II Samuel, 6, 15 ; 14,
3 ; 19, 6 ; I Rois, 3, 16 ; 20, 39 ; II Rois, 6, 26 ; 8, 3 ; Jérémie,
38, 8.
[21] Voyez II Samuel, 8,2 et
6 ; I Rois, 5, 1 ; 10, 25 ; II Rois, 17, 3 et 4 ; II
Chroniques, 17, 5, et passim. Hérodote (III, 89) rapporte que Darius régla
le premier les impôts des provinces perses ; Cyrus et Cambyse s'étaient
contentés de présents. — Pour les besoins extraordinaires, en cas de guerre,
les rois des Hébreux levaient quelquefois des impôts considérables en argent.
Voyez II Rois, 15, 20 ; 23, 35.
[22] Comparez Ézéchiel, 45,
7 et 8 ; 46, 16-18. Le prophète, dans une vision sur le royaume futur d'Israël,
dit que le prince ne possédera que son propre patrimoine et qu'il ne pourra
plus l'agrandir en opprimant le peuple. Le droit de confiscation résulte aussi
de la donation que David fait à Siba de tous les biens, de Méphiboseth (II
Samuel, 16, 4).
[23] II Samuel, 8, 2-8 ; I
Rois, 5, 1 ; Psaumes, 72, 10 ; II Rois, 3, 4 ; Isaïe,
16, 1.
[24] Voyez Juges, 3, 18 ; II
Rois, 20, 12 ; Isaïe, 39, 1.
[25] Voyez I Rois, 5, 6 (4,
26) ; 9, 19 ; 10, 26.
[26] Voyez Juges, 3, 27 ; 6,
34 ; 7, 24 ; I Samuel, 11, 3 ; Isaïe, 18, 3 ; Jérémie, 4,
6 ; 6, 1 ; 51, 27 ; Ézéchiel, 7 14.
[27] Voyez I Samuel, 8, 12 ;
17, 18 ; II Samuel, 18, 1 ; II Rois, I, 9 ; 11, 4 et 15 ; I
Chroniques, 13, 1 ; 28, 1 ; II Chroniques, 25, 5.
[28] Voyez II Samuel, 18, 2
; II Chroniques, 17, 14-17.
[29] Voyez I Rois, 9, 19 ; II
Chroniques, 17, 12 ; 32, 28.
[30] On trouve encore deux autres
mots désignant des boucliers, savoir, le pluriel SCHELATIM (II Samuel, 8, 7 et
passim) et le mot poétique SOHÉRA (Psaumes, 91, 4).
[31] Sous le nom de héreb, qui désigne des glaives de différentes
formes, on comprend aussi le poignard à deux tranchants.
[32] Voyez Psaumes, 18, 35 ;
Job, 20, 24. L'arc étant très-lourd, il fallait se servir des pieds pour
le tendre ; c'est pourquoi on dit en hébreu : fouler
l'arc.
[33] II Rois, 20, 13 ; II
Chroniques, 26, 14 ; 32, 6 ; Isaïe, 22, 9 ; 39, 2.
[34] Juges, 1, 1 ; 20, 18 et
27 ; I Samuel, 14, 37 ; 23, 2 ; 28, 6 ; 30, 8 ; I Rois, 22, 6 ; II
Rois, 19, 2.
[35] Juges, 11, 12 et
suivants ; I Rois, 20, 2 ; II Rois, 14, 8.
[36] Juges, 7, 18 ; II
Samuel, 2, 28 ; 18, 16 ; 20, 22. Selon II Chroniques, 13, 12 et 14,
des prêtres qui accompagnaient l'armée étaient chargés de sonner des trompettes
; comparez Nombres, 10, 9.
[37] I Samuel, 17, 20 et 62
; Isaïe, 42, 13 ; Amos, 1, 14.
[38] Juges, 7, 18 ; 9, 43 ; I
Samuel, 11, 11 ; II Samuel, 18, 2. Il est fait allusion aux ailes de
l'armée par Isaïe (8, 8) et par Ézéchiel (12, 14 ; 38, 6).
[39] Voyez Josué, 8, 4 et
suivants ; 11, 7 ; Juges, 7, 16-22 ; 9, 31 et suiv. ; 20, 29 ; II
Samuel, 5, 23.
[40] Selon Gesénius et d'autres, maagalah serait dérivé du mot agalah (chariot) et désignerait la place des
chariots et des bagages ; mais cette interprétation est peu probable et
convient très-peu au passage cité, où il est question d'une petite excursion de
Saül.
[41] I Rois, 9, 17 et 18 ;
Ib, 17 et 22 ; II Chroniques, 8, 3-6 ; 14, 6,
[42] Voyez II Samuel, 20, 16
; Isaïe, 26, 1 et le commentaire de Gesénius.
[43] Voyez Juges, 9, 46 et
61 ; II Samuel, 5, 7 ; II Chroniques, 27, 4.
[44] Voyez Juges, 5, 1 ; 11,
34 ; I Samuel, 18, 6 ; Judith, 16, 2 et 24.
[45] Voyez I Rois, 15, 14 ;
22, 44 ; II Rois, 12, 4 ; 14, 4. On désignait les autels privés, ou les
chapelles, par le mot BAMOTH (hauteurs ou hauts lieux), parce que, dans les temps anciens,
on dressait ordinairement les autels sur les hauteurs ; mais plus tard les bamôth des Hébreux se trouvaient au milieu des
villes (II Rois, 17, 9) et dans
les vallons (Jérémie, 7, 31). C'étaient quelquefois des chapelles
portatives, comme parait l'indiquer un passage d'Ezéchiel (16, 16).
[46] Voyez Hoséa, 4, 15 ; 9,
15 ; 12, 19 ; Amos, 4, 4 ; 5, 5 ; 8, 14. Comparez Vulgate, Juges,
3, 19.
[47] A la cour de Saül, on
célébrait les néoménies par des repas solennels (I Samuel, ch. 20, v. 5,
18 et 24).
[48] Voyez Juges, 20, 20 ; Psaumes,
35, 13, et passim.
[49] Voyez surtout I Rois, ch. 8, v. 30 et suivants ; Isaïe, ch. 1, v. 15.