PALESTINE

 

LIVRE III. — HISTOIRE DES HÉBREUX

CINQUIÈME PÉRIODE. — ROYAUME DE JUDA, DE L'EXIL ASSYRIEN JUSQU'À L'EXIL DE BABYLONE (de 721 à 588).

 

 

La chronologie de cette période, suivant le principe que nous avons énoncé dans les observations chronologiques sur la période précédente, peut s'établir à peu près ainsi :

Suite du règne d'Ézéchias,

de 721 à 697

Règnes de Manassé

55 ans

697-642

Amon

2 ans

642-640

Josias

31(30) ans

640-610

Joachaz

3 mois

610

Joïakim

11 ans

610-599

Joïachin

3 mois

599

Sédékia

11 ans

599-588

Cette chronologie, comme on le verra plus loin, cadre assez bien avec ce que nous savons de l'histoire des Chaldéens.

Pendant que les Assyriens faisaient de vains efforts pour s'emparer de la nouvelle Tyr, voulant probablement de là se rendre en Égypte, Ézéchias prit sa revanche sur les Philistins et les refoula jusqu'à Gaza. Les Tyriens, sous le roi Elulée, battirent avec douze vaisseaux la flotte qui avait été fournie à Salmanassar par les autres villes phéniciennes, telles que Sidon, Arca et la vieille Tyr. Le roi d'Assyrie dut se contenter de bloquer l'île de Tyr, pendant cinq ans, et d'empêcher les habitants de venir chercher de l'eau sur le continent. Les Tyriens creusèrent des puits et résistèrent à Salmanassar[1], qui mourut laissant à son successeur Sargon le soin d'accomplir ses desseins contre l'Égypte. Sargon confia cette expédition à son général Tharthân, qui, prenant son chemin à travers le pays des Philistins, se rendit maître de la ville d'Asdôd (vers 716). Le prophète Isaïe prédit alors des malheurs à l'Égypte, et notamment à la dynastie éthiopienne. Pour mieux agir sur l'esprit d'un parti politique de la Judée qui aurait voulu alors conclure une alliance avec l'Égypte contre l'Assyrie, le prophète se montra sur la place publique, sans vêtement de dessus, les pieds nus, comme un captif, et prédit que les Égyptiens et les Éthiopiens seraient ainsi emmenés captifs par le roi d'Assyrie[2]. La prophétie d'Isaïe s'est-elle accomplie ? Les documents historiques, tant sacrés que profanes, ne font aucune mention d'une victoire que les Assyriens auraient remportée sur l'Égypte. Cependant le prophète Nahum qui, quelques années plus tard, prédit la chute de l'empire assyrien, adressant la parole à la ville de Ninive, s'exprime en ces termes (ch. 3, v. 8-10) : Es-tu meilleure que No-Ammon (Thèbes), assise au milieu des fleuves (canaux) et entourée d'eau, qui avait une mer (le Nil) pour rempart, et dont le mur était une mer ? Les Éthiopiens étaient sa force et les innombrables Égyptiens ; Phut[3] et les Libyens étaient ses soutiens. Elle aussi est en exil, elle est allée en captivité ; ses enfants aussi ont été écrasés aux coins de toutes les rues ; on a tiré au sort ses hommes illustres et tous ses grands ont été chargés de fers. Il parait évident que Nahum parle d'un événement récent et qui devait être bien connu des Ninivites ; rien n'est donc plus naturel que de penser à une défaite que le général Tharthân fit subir à So ou Sevéchus, roi d'Éthiopie et de la haute Égypte. Quoi qu'il en soit, le succès des Assyriens n'a pu être que momentané ; car nous les verrons entreprendre une nouvelle expédition contre l'Égypte.

Les livres historiques de la Bible ne nous disent rien sur ce qui se passait alors en Judée ; mais quelques oracles du prophète Isaïe nous présentent un tableau très-animé de l'état moral et politique du peuple de Juda : heureuse par son roi et par la bravoure de ses vaillants guerriers, la Judée fut troublée par les menées d'un parti qui, au lieu de chercher son salut dans la piété et dans la confiance en Jéhova, ne respirait que la guerre et comptait sur les chevaux et les chariots d'Égypte, que le prophète présente comme inutiles et même dangereux pour la Judée. Ce parti, qui comptait dans son sein des personnages importants, même des prêtres et des prophètes, méconnut le vrai sens des préceptes religieux et s'attacha tout au plus à quelques observances extérieures ; il s'abandonna au débordement des passions, viola le droit et opprima te peuple. Le pays ne devait être vraiment heureux que lorsque Dieu aurait puni les impies par un rude châtiment[4].

Il paraîtrait que, malgré l'influence dont jouissait Isaïe auprès du roi Ézéchias, les partisans de l'alliance égyptienne surent faire prévaloir leurs projets ; ce qui explique la hardiesse avec laquelle Ézéchias osa subitement refuser le tribut à l'Assyrie, et cela au moment, où celle-ci était au faite de sa puissance. Dans la quatorzième année du règne d'Ézéchias, Sanhérib, ou Sennachérib, successeur de Sargon, conduisant une nombreuse armée contre l'Égypte, voulut, chemin faisant, punir l'audace du roi de Juda ; ayant donc traversé la Judée, il s'empara aussitôt de toutes les forteresses et menaça la ville de Jérusalem. Ce fut en vain qu'Ézéchias, reconnaissant sa faute, s'humilia devant le roi d'Assyrie ; celui-ci lui imposa un tribut de trois cents talents d'argent et de trente talents d'or. Pour le payer, Ézéchias employa jusqu'au revêtement d'or des portes du Temple, voulant probablement faire croire aux Assyriens que les trésors du Temple et du palais ne suffisaient pas pour payer une somme aussi considérable, et qu'il donnait tout ce qu'il pouvait. En effet, nous le verrons plus tard taire parade de ses trésors devant les ambassadeurs de Babylone. Cependant Sennachérib, comptant se rendre en Égypte, ne voulut pas laisser derrière lui une ville ennemie aussi importante, et, après avoir rançonné le roi de Juda, il manifesta la résolution d'occuper Jérusalem par les troupes assyriennes.

On dit que Sennachérib, s'étant déchargé sur quelques-uns de ses généraux de la continuation de la guerre en Judée, se rendit lui-même à Péluse pour envahir la basse Égypte[5], où régnait alors Séthon, ou Zet, quatrième roi d'une dynastie de Tanites (la vingt-troisième de Manéthon). Hérodote raconte (II, 141) que Séthon, qui était prêtre de Vulcain (le Phath des Égyptiens), ayant traité avec dureté la caste des guerriers et leur ayant enlevé les champs qui leur avaient été accordés par les rois précédents, les soldats refusèrent de marcher contre l'armée de Sennachérib. Dans sa détresse Séthon se réfugia devant la statue de son dieu pour lui demander secours. S'étant endormi, il eut un songe, dans lequel le dieu l'encouragea à marcher contre les Assyriens ; mais il ne put se faire accompagner que par des fripiers, des ouvriers et d'autres gens du bas peuple. Cette armée peu aguerrie vint camper près de Péluse, par où les ennemis devaient entrer ; heureusement que dans la nuit une multitude de souris champêtres se répandit dans le camp ennemi et rongea les carquois, les arcs et les courroies des boucliers. Le lendemain les Assyriens ne pouvant combattre, furent obligés de prendre la fuite et perdirent beaucoup de monde.

Il est difficile de faire accorder ce récit avec celui de la Bible, selon lequel le roi d'Assyrie ne quitta pas la Palestine et resta à Lachis, dans la plaine de Juda, tandis que ses généraux s'avancèrent contre Jérusalem. Ézéchias, décidé à résister, ne négligea rien pour. mettre sa capitale en état de défense : Il fit obstruer les sources qui pouvaient fournir de l'eau aux assiégeants, réparer les murs partout où il y avait des brèches, démolir les maisons qui offraient des obstacles aux travaux de fortification et détourner dans la ville l'eau de Siloé[6]. Pendant ce temps le prophète Isaïe (ch. 22) tonna de nouveau contre ceux qui, se fiant à leurs propres forces et au secours de l'Égypte, oubliaient Dieu, dont le courroux suspendait ce châtiment sur leurs têtes, et qui, au lieu de s'humilier et de montrer un sincère repentir, attendaient le moment fatal dans les festins et les réjouissances. Il s'adressa particulièrement à Sebna, intendant de la maison du roi, et probablement l'un des principaux fauteurs du parti irréligieux que le prophète ne cessait de combattre. Il lui reprocha de ne s'occuper que du vain éclat de sa maison, et de s'être bâti un magnifique tombeau de famille ; il lui annonça en même temps sa prochaine destitution et son remplacement par le pieux Éliakim, fils de Hilkia. En effet le roi, probablement d'après les instances d'Isaïe, éloigna Sebna du poste important qu'il avait occupé ; mais il lui confia les fonctions de secrétaire.

Tharthân, et deux autres généraux assyriens, dont l'un portait le titre de Rabsaké (grand échanson) et l'autre celui de Rabsaris (chef des eunuques), se présentèrent bientôt au nom du roi Sennachérib, devant la muraille de l'est, près de l'étang supérieur, et demandèrent à parler au roi. Ézéchias expédia auprès d'eux Éliakim, le nouvel intendant du palais, Sebna le secrétaire et Joach le chancelier. Rabsaké prit la parole, et, dans un langage hautain, il taxa de fanfaronnade les plans de défense et la bravoure dont se vantait le roi de Juda, etappela l'Égypte, dont Ézéchias attendait son salut, un faible roseau qui ne fait que blesser la main de celui qui s'y appuie. En vain, ajouta-t-il, vous compteriez sur le secours de Jéhova, qu'Ézéchias a offensé en détruisant partout ses hauts lieux et ses autels et en ne laissant subsister qu'un seul autel à Jérusalem. Vous êtes déjà si faibles que, si je vous fournissais deux mille chevaux, vous n'auriez pas assez de cavaliers pour les monter. C'est Jéhova lui-même qui a envoyé le roi d'Assyrie pour dévaster ce pays. Les délégués d'Ézéchias demandèrent à Rabsaké de parler en syriaque, pour ne pas être entendu du peuple qui était sur le rempart ; mais Rabsaké répondit que c'était justement à ce peuple mourant de faim et de soif que s'adressaient ses paroles ; alors, élevant la voix, il parla aux soldats d'Ézéchias en langue hébraïque, disant que leur roi les trompait et qu'il ne pourrait pas les sauver ; que le roi d'Assyrie, au contraire, leur offrait le bonheur et la tranquillité, et les conduirait dans un pays aussi fertile que le leur, que d'ailleurs Jehova ne les sauverait pas plus que les autres dieux n'avaient sauvé leurs pays. Ce discours fut écouté dans un profond silence ; Ézéchias avait défendu de faire aucune réponse.

Les trois délégués rapportèrent à Ézéchias ce qu'ils venaient d'entendre. Le roi déchira ses vêtements et se rendit au Temple en habit de deuil. Par son ordre, Éliakim, Sebna et les principaux prêtres vêtus de deuil, allèrent trouver le prophète Isaïe, afin de l'engager à prier Dieu pour le salut du pays. Isaïe fit rassurer le roi, en prédisant que Sennachérib apprendrait bientôt une nouvelle qui le ferait retourner précipitamment dans son pays. Dans cette extrémité, le prophète, oubliant son antipathie pour l'alliance égyptienne, jeta lui-même un regard plein d'espoir sur le puissant Tirhaka, roi d'Éthiopie et de la haute Égypte, qui allait arrêter les triomphes de l'orgueilleux Sennachérib. Nous possédons encore un chant d'Isaïe, composé probablement dans cette circonstance ; le prophète y parie de messagers venant d'Éthiopie sur de légères barques de papyrus, et il invite les rapides messagers (de Juda) à aller au-devant du peuple fort et redoutable (d'Éthiopie), pour lui faire connaître la mission que Dieu lui a confiée[7].

Rabsaké et les deux autres généraux assyriens retournèrent auprès de Sennachérib, pour lui rendre compte du résultat de leur mission. Le roi d'Assyrie se trouvait au siège de Libna, ville de la plaine de Juda, soit qu'il s'y fût rendu directement de Lachis, comme le dit le texte biblique, ou qu'il fût revenu alors de Péluse, comme le fait entendre Josèphe, qui cherche à combiner la relation biblique avec celle d'Hérodote[8]. En même temps Sennachérib reçu la nouvelle de l'approche de Tirhaka, qui venait combattre l'armée assyrienne. Tremblant devant la renommée du conquérant éthiopien[9], il avait hâte d'achever la soumission de la Judée par la conquête de Jérusalem ; il écrivit donc au roi Ézéchias pour le sommer de nouveau à lui ouvrir les portes de sa capitale, en énumérant fièrement tous les peuples qu'il avait soumis. Le roi lut la lettre, alla au Temple, et la déployant devant Jéhova, lui adressa une fervente prière, lui demandant de venger l'outrage fait à son nom. Isaïe prononça un oracle dans lequel il assura au roi que Jéhova avait exaucé sa prière, que bientôt Sion et Jérusalem regarderaient avec mépris l'orgueil humilié de Sennachérib, et que celui-ci n'essaierait même pas d'assiéger la ville de Jérusalem. En effet Sennachérib, voyant que ses menaces ne produisaient pas d'effet, jugea convenable de faire sonner la retraite, d'autant plus que la peste qui venait d'éclater dans son armée, où elle faisait d'effroyables ravages, ne lui laissait plus aucun espoir de pouvoir résister à l'armée de Tirhaka. On ne peut douter que l'ange  de Jéhova qui, selon la tradition biblique (II Rois, 19, 35), frappa, dans une seule nuit, cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens, désigne la peste. Dans le langage des Hébreux, toutes les grandes calamités, et notamment la peste, sont attribuées directement à Dieu ou à son ange[10].

C'est ainsi que se termina cette grande expédition, par laquelle Sennachérib voulut se rendre maître de la Judée et de l'Égypte. Le sol de la Judée fut délivré à jamais des troupes assyriennes. Sennachérib revint à Ninive couvert de honte ; plus tard, après un règne de dix-huit ans, il fut assassiné dans un temple par deux de ses fils, qui se refugièrent en Arménie. Sa couronne passa à un troisième fils, nommé Ésar-Haddon, qui n'eut aucune relation avec la Palestine, si ce n'est en envoyant de nouveaux colons dans l'ancien pays d'Israël (Ezra, 4, 2).

Après le départ des Assyriens, le roi Ézéchias tomba dangereusement malade ; quelques mots que nous trouvons dans le récit biblique (II Rois, 20, 7) sur la maladie d'Ézéchias et sur le traitement ordonné par le prophète Isaïe, font présumer que le roi était atteint de la peste. Isaïe qui, comme d'autres prophètes, exerçait aussi la médecine, déclara d'abord la maladie du roi mortelle, et lui conseilla de régler les affaires de sa maison. Le roi, âgé de trente-neuf ans, qui n'avait pas encore d'héritier, fut profondément affligé, et se tournant vers le mur, il pria Dieu en pleurant amèrement. Isaïe avait à peine quitté l'appartement du roi, que, subitement inspiré, il revint annoncer à Ézéchias, que Dieu avait exaucé sa prière, qu'il serait guéri et que, dès le troisième jour, il pourrait se rendre au Temple. Le prophète ordonna de mettre sur l'inflammation (le bubon pestilentiel) un cabas de figues[11] ; ce remède réussit complètement et le roi fut guéri. Le livre d'Isaïe (ch. 38, v. 10-20) renferme un cantique composé par Ézéchias après sa guérison.

A cette époque Mérodach-Baladan, roi de Babylone, alors sous la suzeraineté de l'Assyrie, envoya des ambassadeurs avec des lettres et des cadeaux au roi Ézéchias. Le but apparent de cette ambassade fut de féliciter le roi de Juda du rétablissement de sa santé (Isaïe, 39, 1) ; mais on ne comprend pas pourquoi un vassal de Sennachérib aurait donné cette marque de déférence au roi d'un petit pays si éloigné de Babylone, et avec lequel il n'avait eu jusque-là aucun rapport. Il est donc plus probable que cette ambassade avait un but politique, et les événements contemporains de Babylone nous le font deviner. Un fragment de l'historien chaldéen Bérose[12] nous fait voir que le pays de Babylone était alors déchiré par des troubles intérieurs. Le vice-roi, frère de Sennachérib, venait d'avoir pour successeur un certain Acises, qui, après trente jours de règne, fut tué par Mérodach-Baladan. Celui-ci, selon Bérose, ne régna que six mois et fut tué par un certain Elibus, qui put se maintenir pendant trois ans, jusqu'à ce que Sennachérib ayant vaincu les Babyloniens en confia le gouvernement à son fils Asordan (Ésar-Haddon)[13]. Il résulte dans tous les cas, du fragment de Bérose, que Babylone essaya alors de se rendre indépendante de l'Assyrie ; Mérodach-Baladan, encourage, sans doute, par la récente déconfiture de Sennachérib dans son expédition contre l'Égypte et la Judée, refusa de reconnaître la souveraineté de l'Assyrie ; mais en même temps crut devoir chercher des alliés parmi les ennemis de Sennachérib, et sous ce rapport, l'alliance d'Ézéchias n'était pas à dédaigner. L'ambassade avait donc pour but de connaître les intentions d'Ézéchias et les forces dont il pouvait disposer. Le roi de Juda, fier de l'honneur que lui faisait le roi de Babylone, montra aux ambassadeurs ses trésors, ses magasins et ses arsenaux.

Le prophète Isaïe étant venu demander au roi ce que ces gens avaient dit, et d'où ils venaient, Ézéchias se contenta de répondre avec fierté que ces ambassadeurs étaient venus d'un pays lointain, de Babylone, et qu'il leur avait montré tout ce qu'il y avait dans son palais et dans ses trésors. Isaïe avec son regard pénétrant et sa profonde intelligence des événements politiques, qui se manifeste dans tous ses discours, comprit aussitôt les dangers dont la Judée serait menacée, si Babylone devenait puissante, et, se figurant déjà l'empire de Babylone, élevé sur les ruines de celui d'Assyrie, il adressa au roi Ézéchias ces paroles prophétiques : Des jours viendront où on emportera à Babylone tout ce qui est dans ta maison et ce que tes pères ont amassé jusqu'à ce jour ; rien n'y restera, dit Jéhova, et tes propres descendants seront des courtisans dans le palais du roi de Babylone. — C'est bien, répondit le roi, pourvu que de mes jours il y ait paix et stabilité[14]. Le laconisme de nos sources ne permet pas de bien apprécier la réponse du roi : les uns y ont vu une expression d'égoïsme, les autres une pieuse résignation ; il nous semble qu'on peut y reconnaître un peu d'humeur. Le roi voyant sa fierté humiliée par une prophétie accablante, semble ne pas partager les craintes du prophète, et ne veut pas passer condamnation sur sa propre politique ; il répond donc, avec humeur et ironie, que la prédiction du prophète ne se réalisera pas de sitôt, et que pour son compte il ne craint rien. Il parerait en effet que, malgré l'avertissement d'Isaïe, des rapports d'amitié s'établirent entre Ézéchias et la cour de Babylone ; nous verrons du moins plus tard l'arrière-petit-fils d'Ézéchias, dans une guerre entre l'Égypte et les Babyloniens, se ranger du côté de ces derniers. Isaïe, à ce qu'il paraît, se retira de la cour ; du moins nos documents, depuis cette époque, ne nous le montrent plus en rapport avec Ézéchias, quoiqu'on ne parle pas de sa mort. La tradition le fait même survivre à Ézéchias et subir le martyre sous son successeur. En effet, un des oracles d'Isaïe (ch. 19) qui s'adresse à l'Égypte, et qui porte tous les caractères d'authenticité, n'a pu être prononcé qu'à la fin du règne d'Ézéchias ; car il y est question évidemment des guerres civiles troublèrent l'Égypte sous la Dodécarchie ou le Règne des douze, qui dura quinze ans, jusqu'à ce que Psammétique, l'un des douze, devint maître de toute l'Égypte[15]. Au commencement de cet Égyptiens Jéhova dit : J'exciterai les  contre les Égyptiens ; ils combattront les uns contre les autres, ami contre ami, ville contre ville, royaume contre royaume..... Je livrerai l'Égypte aux mains d'un maître sévère (Psammétique), et un roi dur dominera sur eux. On voit par là qu'Isaïe atteignit un âge très-avancé ; car sa carrière prophétique, qu'il avait commencée dans la dernière année d'Ouzia (758), se prolongea jusqu'après la mort d'Ézéchias. Il exerça sa mission pendant plus de soixante ans.

Ézéchias passa le reste de sa vie dans une paix profonde. Trois ans après l'invasion des Assyriens, dans la dix-septième année de son règne (709), sa femme Haphsibah lui donna un fils qui reçut le nom de Manassé. Le roi mit à profit les moments de loisir que lui laissait la paix pour augmenter la prospérité du pays et faire exécuter des travaux utiles. Il ramassa de grands trésors, de nombreux troupeaux, établit des magasins et des arsenaux et fit fortifier des villes (II Chron., 32, 27-29). Sous son règne la littérature prit un nouvel essor ; ce fut l'âge d'or de la poésie prophétique. A côté d'Isaïe florissait, dans les premières années du règne d'Ézéchias, le prophète Micha de Moréseth, près de Gath. Ce fut très-probablement dans les dernières années d'Ézéchias que le prophète Nahum prononça son oracle contre Ninive ; la puissance naissante des Babyloniens, la révolte des Mèdes, l'assassinat de Sennachérib, faisaient alors considérer comme prochaine la chute de l'empire assyrien. Un passage du livre des Proverbes (ch. 25, v. 1) nous fait deviner qu'Ézéchias établit une société d'hommes lettrés, qui s'occupait à recueillir et à mettre en ordre d'anciens monuments littéraires, et notamment les Proverbes attribués à Salomon. Le cantique composé par Ézéchias après sa maladie nous fait reconnaître dans le roi, lui-même un des bons poètes de l'époque. — Ézéchias mourut âgé de cinquante-quatre ans, dans la vingt-neuvième année de son règne (697), ses funérailles furent célébrées avec une grande pompe (ib., v. 33).

MANASSÉ (697-692) n'était âgé que de douze ans, lorsqu'il monta sur le trône de son père Ézéchias. Le prophète Isaïe, si toutefois il vivait encore, était trop avancé en âge pour exercer encore quelque influence sur les affaires du pays et sur les destinées du jeune prince. Le parti anti-théocratique, qui trouvait un fort appui dans les masses et que l'énergie d'Ézéchias avait pu dompter un moment sans être capable de le vaincre empiétement, releva la tête, s'empara du jeune roi et se livra à des désordres d'autant plus grands, qu'il avait à venger, sur les prêtres et les prophètes, l'oppression dont il venait d'être victime et dont il voulait prévenir le retour.

Ce fut sans doute sous l'influence de ce parti que se fit l'éducation de Manassé ; car ce n'est que de cette manière qu'on peut s'expliquer la terrible réaction qui eut lieu sous le fils du pieux Ézéchias. Manassé réunit en lui l'impiété d'Achab et la cruauté d'Izabel. Il rétablit le culte de Baal et d'Astarté, et jusque dans les parvis du Temple il éleva des autels consacrés au culte des astres. A l'entrée du Temple, on vit des chevaux et des chars, emblèmes du soleil, ou du dieu Baal, et le sanctuaire fut profané par les abominables mystères d'Astarté célébrés par la débauche. Il fit passer son enfant par le feu en l'honneur de Moloch et se livra à toute sorte de pratiques superstitieuses, telles que la divination, la nécromancie, etc.[16] Plusieurs prophètes osèrent élever la voix contre ces abominations et prédire à Jérusalem le sort de Samarie et de la maison d'Achab ; mais ils ne furent pas écoutés, et la mort, sans doute, fut le prix de leur pieux dévouement, car Manassé, dit l'Écriture, versa beaucoup de sang innocent, jusqu'à en remplir Jérusalem d'une extrémité à l'autre (II Rois, 4, 16). Ces tristes détails sont les seuls que l'ancienne relation des livres des Rois nous donne sur le long règne de Manassé, qui dura cinquante-cinq ans. Selon les Chroniques (II, 33), Manassé fut fait prisonnier par des généraux assyriens, mis dans les fers et conduit à Babylone ; là il se repentit de sa conduite et pria Dieu, qui l'exauça. Ramené à Jérusalem et rétabli sur son trône, il fit renverser les idoles et rétablir l'autel de Jéhova[17]. Il fit aussi construire un mur extérieur à l'est du mont Sion, du côté de la vallée du Kidron ; ce mur entoura la place Ophel et alla jusqu'à la porte des Poissons. — Mais ces additions de la Chronique ne nous paraissent nullement authentiques ; est-il probable que l'auteur des livres des Rois eût passé sous silence des faits aussi importants que ceux d'une nouvelle invasion des Assyriens (sous Ésar-Haddon), de la captivité du roi de Juda et de sa conversion, si ces faits avaient été réellement rapportés dans les annales du royaume, auxquelles nous renvoie l'auteur des Chroniques ? Ce dernier parle d'ailleurs si vaguement de ces faits qu'il ne paraît les connaître que par une tradition orale, et il n'avait certainement pas examiné lui-même les documents écrits auxquels il renvoie. Jérémie qui, comme nous le verrons, commença sa carrière de prophète quinze ans après la mort de Manassé, annonce que Dieu rendrait le peuple de Juda l'effroi de tous les royaumes, à cause de Manassé, fils d'Ezéchias, roi de Juda, et de tout ce qu'il a fait dans Jérusalem[18]. Le prophète aurait-il parlé ainsi, s'il avait eu connaissance du repentir de Manassé et de sa sincère conversion ? Nous croyons donc ne devoir attacher aucun prix aux faits que la Chronique rapporte sur Manassé. Nous en dirons autant de l'histoire apocryphe de Judith, qu'on place ordinairement sous le règne de Manassé, mais dont les laits ne s'adaptent à aucune époque de l'histoire de la Judée. Le livre de Judith ne doit être considéré que comme un récit édifiant, mais fabuleux, composé par un auteur très-peu versé dans l'histoire et la géographie. Nous ne connaissons donc historiquement aucun fait important du long règne de Manassé, excepté la réaction opérée contre les prêtres et les prophètes. Il est probable que la Judée, sous ce règne, ne fut inquiétée par aucun ennemi du dehors. Manassé mourut à l'âge de soixante-sept ans (642) ; il fut enterré dans le jardin de son palais. Nous croyons pouvoir conclure du refus de la sépulture royale que le parti théocratique s'était relevé vers la fin du règne de Manassé.

Son fils AMON qui lui succéda à l'âge de vingt-deux ans, suivit son exemple en favorisant l'idolâtrie. Quelques officiers de la cour conspirèrent contre Amon, et le tuèrent dans son palais il avait à peine régné deux ans (640). Il fut enterré, comme son père, dans le jardin du palais. Le peuple fit mourir les assassins d'Amon et mit sur le trône son fils Josias, qui n'était âgé que de huit ans.

Le règne de JOSIAS (640-610) fut la dernière lueur de la maison de David, la dernière époque brillante du royaume de Juda, qui allait être englouti dans les grandes révolutions dont l'Asie devint alors le théâtre. Le jeune roi fut élevé sans doute par les prêtres ou les prophètes ; car nous le voyons, très-jeune encore, manifester un grand zèle pour le rétablissement de la théocratie, et prendre pour modèle son aïeul David (II Rois, 22, 2). Il se maria de bonne heure, et il était à peine âgé de quatorze ans, lorsque sa première femme, Zebouda, fille de Pédaia, lui donna un fils qui reçut le nom d'Éliakim. Deux ans après, une autre femme, Remontai, fille de Jérémie, lui donna un second fils, appelé  Joachaz, et environ treize ans plus tard il eut de la même femme un troisième fils, appelé Matthania[19].

Selon le deuxième livre des Chroniques (34, 3), il commença, dès la douzième année de son règne, ses réformes religieuses, en sévissant contre les idoles et les idolâtres ; et, quoique le deuxième livre des Rois (ch. 22) ne rapporte aucun fait de Josias avant la dix-huitième année de son règne, la réparation du Temple, qui fut ordonnée dans cette même année, indique d'elle-même la suppression de l'idolâtrie. Le jeune Jérémie, fils de Hilkia, prêtre de la ville d'Anathoth, qui prêcha comme prophète depuis la treizième année du règne de Josias[20], exerça peut-être, par ses discours, quelque influence sur l'esprit du roi ; car persécuté dans sa ville natale, et menacé même de la mort[21], il se rendit bientôt à Jérusalem. Le prophète Séphania (Sophonias) florissait également sous Josias, et très-probablement dans la première moitié de son règne. Les deux prophètes prêchaient alors contre l'idolâtrie encore en vogue et à laquelle se rattachait une profonde immoralité, contre l'arrogance et la sécurité des grands, contre les faux prophètes et les prêtres impies[22].

La dix-huitième année de Josias fut signalée par un événement important qui contribua à rendre encore plus ardent le zèle du roi pour le rétablissement du culte mosaïque. Le roi avait ordonné à son secrétaire Schaphan d'aller trouver le grand-prêtre Hilkia, pour faire verser l'argent obtenu par les dons volontaires du peuple et le livrer aux commissaires chargés des réparations du Temple. A cette occasion Hilkia déclara à Schaphan qu'il avait retrouvé dans le Temple le livre de la loi, probablement un précieux exemplaire des lois de Moïse, qui avait été caché sous le règne de Manassé et qu'on croyait perdu. Schaphan emporta le livre pour le montrer au roi ; celui-ci, peu versé dans la loi, s'en fil ;  faire la lecture. En entendant toutes les prescriptions, jusqu'alors si peu observées, et les menaces du châtiment céleste, qui devait atteindre les transgresseurs, le roi fut saisi de terreur et déchira ses vêtements. Il ordonna aussitôt à Hilkia, à Schaphan et à trois autres personnages de la cour d'aller interroger Jéhova ; ceux-ci se rendirent auprès d'une femme qui était célèbre alors pour avoir des inspirations divines et qui s'appelait la prophétesse Hulda. Elle était mariée à un certain Salim, qu'on appelle l'inspecteur des vêtements ; c'était probablement un des lévites gardiens des costumes des prêtres. Hulda déclara aux envoyés que le pays et les habitants seraient frappés de grands malheurs, pour avoir abandonné Jéhova, mais que le pieux roi Josias mourrait en paix avant l'arrivée du châtiment céleste.

Le roi fit aussitôt convoquer les anciens et se rendit avec eux au parvis du Temple ; les prêtres, les lévites, les prophètes et les gens du peuple s'y rendirent en foule. Placé sur une tribune, Josias lut à haute voix dans le livre de l'alliance, et fit renouveler au peuple l'alliance avec Jéhova. II ordonna ensuite la destruction totale de- tous les monuments des cultes païens et de tout ce qui pouvait rappeler l'idolâtrie des temps passés. On brûla un grand nombre d'idoles et les vases consacrés à leur culte, et on jeta les cendres dans le torrent de Kidron, Les hauts-lieux au midi de la montagne des Oliviers, consacrés jadis par Salomon à différentes divinités païennes, furent rendus impurs par des ossements humains qu'on y déposa. On sévit également contre les hauts-lieux, ou les autels particuliers, destinés au culte du vrai Dieu ; car le roi, conformément aux lois mosaïques, ne voulut plus tolérer d'autre autel que celui du sanctuaire central. Les réformes de Josias s'étendirent même sur l'ancien pays d'Israël qu'il avait pu s'approprier en partie. Josias alla lui-même à Bethel, ordonna de détruire le temple du veau d'or établi par Jéroboam, fit tuer les prêtres, et, afin de souiller l'autel, y fit brûler des ossements d'hommes, qu'on tira des tombeaux. A cette occasion le roi, ayant aperçu un ancien monument, voulut en savoir l'origine, et les gens du pays lui apprirent que c'était le tombeau d'un ancien prophète de Juda qui, du temps de Jéroboam, avait prédit la destruction de l'autel de Bethel et le châtiment de ses prêtres. Josias ordonna de respecter ce tombeau. On était alors au printemps ; de retour à Jérusalem, Josias ordonna la célébration de la fête de Pâques selon les prescriptions mosaïques. La solennité fut plus grande encore que du temps d'Ézéchias, et depuis l'époque de Samuel on n'avait pas célébré le rit pascal avec autant d'exactitude, de piété et d'éclat que dans cette cérémonie de la dix-huitième année de Josias. Jérusalem devint de nouveau le centre du culte, et pour les habitants du pays de Juda, et pour les débris des dix tribus, qui étaient restés dans l'ancien pays d'Israël. Jérémie prêcha sur les places publiques, pour la nouvelle alliance conclue avec Jéhova, et prononça la malédiction contre ceux qui voudraient s'y soustraire. (Jér., ch. 11.) Il demanda particulièrement l'observation la plus rigoureuse du sabbat, le plus important symbole de la croyance des Hébreux. (Ib., ch. 17.)

La piété et l'énergie de Josias et le courageux dévouement de Jérémie auraient peut-être suffi pour rétablir l'unité religieuse d'une manière durable et pour constituer solidement l'État sur les bases de la loi mosaïque ; mais les événements de l'Asie, dans lesquels le pays de Juda fut entraîné malgré lui, hâtèrent la ruine du petit royaume, qui était déjà affaibli par tant de secousses. La Judée avait échappé à l'invasion des Scythes, qui, selon Hérodote, avaient traversé la Palestine et menacé l'Égypte, et qui, arrêtés dans leur course par les prières et les cadeaux du roi d'Egypte, avaient pillé, en se retirant, le temple de Vénus, à Ascalon. Les montagnes de Juda étaient probablement inaccessibles aux cavaliers scythes ; du moins les documents bibliques ne font-ils aucune mention de l'arrivée des Scythes, et il n'est pas probable que ceux-ci aient pénétré en Judée[23]. L'empire assyrien avait succombé sous les coups réunis de Nabopolassar, roi chaldéen à Babylone, et de Cyaxare, roi des Mèdes, et l'orgueilleuse Ninive avait été détruite (en 625). Dans Nabopolassar, qui déjà menaçait les pays en deçà de l'Euphrate, l'Égypte voyait un nouvel ennemi redoutable. Néchao II, fils et successeur de Psammétique, pour arrêter les progrès des Chaldéens, marcha sur l'Euphrate (en 610), afin de s'emparer de la forteresse de Carchemiseh, ou Circésium, située sur la rive occidentale du fleuve, là où il reçoit le Chaboras. Néchao n'avait pas d'intentions hostiles contre la Judée (II Chron., 35, 21), qu'il ne toucha même pas dans sa marche. Il traversa le pays des Philistins, qui lui était soumis en partie ; car Psammétique, après un siège de vingt-neuf ans, s'était emparé de la ville d'Asdod, et ne fut probablement sous Néchao que Gaza tomba au pouvoir des Égyptiens. (Jérém. 47, 1.) L'armée égyptienne tourna au nord de la Judée et voulut traverser la plaine d'Esdrélon ; mais là elle fut arrêtée dans sa marche par Josias qui vint l'attaquer près de Megiddo (ou Mageddo), probablement à cause des bons rapports qui, depuis Ézéchias, existaient entre la Judée et Babylone. Néchao fit dire à Josias qu'il n'en voulait nullement à la Judée ; qu'il avait hâte de marcher contre ses ennemis, et que Josias ne devait pas engager une lutte qui ne pouvait que lui devenir funeste. Malgré ces avertissements, Josias persista a combattre contre les Égyptiens ; mais ses troupes furent battues et lui-même tomba mortellement blessé parles archers égyptiens. Son corps fut ramené à Jérusalem. La mort du pieux roi répandit partout le deuil et la consternation ; avec lui le dernier soutien de la théocratie descendit dans les sépulcres de Sion, et, dès ce moment, la Judée, dont on avait pu espérer un moment la régénération religieuse et politique, marcha à grands pas vers sa ruine totale. Jérémie et tous les poètes de l'époque, hommes et femmes, composèrent des élégies sur la mort de Josias. Ces élégies existèrent autrefois dans un recueil particulier, et on les récitait à certaines époques, probablement à l'anniversaire de la fatale journée de Megiddo. (II Chron. 36, 25.)

JOACHAZ, ou Sallum, puîné de Josias, succéda à son père a l'âge de 23 ans, par la volonté du peuple, et au détriment de son frère Eliakim, âgé de 25 ans, qui peut-être se montrait disposé à capituler avec le roi d'Égypte, auquel on espérait encore pouvoir résister. Pendant ce temps Néchao avait continué sa marche vers l'Euphrate ; mais il parait qu'il renonça pour le moment à la prise de Circésium, voulant d'abord soumettre la Syrie et la Palestine. Il s'arrêta à Ribla, ville du territoire de Hamath ; de là il expédia probablement des troupes pour s'emparer de Jérusalem[24]. Le roi Joachaz fut conduit à Ribla ; Néchao l'envoya captif en Égypte, où il resta jusqu'à sa mort. Il n'avait régné que trois mois. A sa place Néchao mit sur le trône Éliakim, fils aîné de Josias, dont il changea le nom en celui de Joïakim. En même temps il imposa au pays de Juda un tribut de cent talents d'argent et d'un talent d'or.

JOÏAKIM (610-599) n'était pas plus propre que son frère à relever l'espérance des prêtres et des prophètes ; bien au contraire sa tyrannie et la protection qu'il accorda à l'idolâtrie le firent exécrer par tous les gens de bien. Non content de l'impôt dont il fut forcé de surcharger le peuple pour payer le tribut au roi d'Égypte, il opprima ses sujets et les soumit aux corvées pour faire élever de magnifiques constructions. (Jérémie, 22, 13-17.) La mort menaçait tous ceux qui osaient élever la voix contre l'abominable tyrannie du roi, et le sang innocent coulait à flots dans Jérusalem. Un prophète, nommé Uria, fils de Samaïa, essaya d'échapper par la fuite à l'arrêt de mort prononcé contre lui et se rendit en Égypte ; mais Joïakim le fit poursuivre, et saisir sur le territoire égyptien, d'où il fut ramené à Jérusalem et puni de mort. (Ib., 29, 20-23.) Le courageux Jérémie aurait eu le même sort, s'il n'avait pas été protégé par quelques grands personnages, et notamment par Achikâni, fils du secrétaire Schaphan. (Ib., v. 24.) Mais le danger qui le menaçait ne put étouffer sa voix ; il ne cessait de flétrir, dans les termes les plus énergiques, la lâche tyrannie de Joïakim et la dépravation de ses courtisans et de ses flatteurs, parmi lesquels on remarquait même des hommes appartenant à la classe des prêtres ou qui prêchaient comme prophètes. Le noble Jérémie se prépara ainsi une vie pleine de souffrances et d'amertume ; mais il échappa à la mort pour voir s'accomplir ses lugubres prédictions et pour quitter sa patrie, après avoir pleuré sur ses ruines.

Dans la quatrième année du règne de Joïakim (606), Néchao, après avoir soumis peu à peu les peuples en deçà de l'Euphrate, crut pouvoir entreprendre le siège de Circésium. Mais au même moment Nébuchadnessar (ou Nabuchodonosor), alors prince royal de Babylone, et probablement corégent de son père Nabopolassar[25], s'avança vers l'Euphrate ; près de Circésium, il rencontra l'armée de Néchao, qui fut totalement défaite par les Chaldéens. Néchao fut obligé de se retirer et de renoncer à toutes les conquêtes qu'il avait faites depuis plusieurs années. Jérémie triompha, et, dans un chant sublime (ch. 46), il célébra la défaite de Néchao ; mais en même temps il sentit combien était grand le danger qui menaçait la Judée de la part des Chaldéens et combien il fallait de prudence et de vrai patriotisme pour détourner le péril. Il voulut donc essayer tout ce que sa position lui permettait de faire. Ce fut très-probablement vers la même époque que le prophète Habacuc prononça son oracle sur la puissance redoutable des Chaldéens qui déjà menaçait d'engloutir Juda, mais devait tomber à son tour, après avoir servi d'instrument à la colère du ciel. — Dans l'année qui suivit la bataille de Circésium, c'est-à-dire dans la cinquième année de Joïakim (605), les Chaldéens s'avancèrent vers les frontières de l'Égypte jusqu'à Péluse ; ils s'emparèrent de toute la Syrie, sans pourtant toucher la Judée, ayant pris probablement leur chemin par la Pérée, l'Ammonitide et la Moabitide[26]. Les Égyptiens dès lors n'osèrent plus sortir de leurs limites. (II Rois, 24, 7.) La Judée trembla en voyant son territoire envahi par les puissants conquérants ; beaucoup d'habitants des villes et de la campagne se retirèrent à Jérusalem. Parmi les réfugiés se trouvèrent aussi les Réchabites, descendants de Jonadab, fils de Réchab, que nous avons vu être l'ami de Jéhu. Leur aïeul avait fait faire a sa famille le vœu de vivre sous des tentes, comme nomades, de ne pas s'occuper d'agriculture et de ne pas boire de vin ; les Réchabites avaient toujours strictement observé ce vœu, et ils avaient mené une vie nomade dans les environs de la Judée, jusqu'à ce que l'approche des Chaldéens leur fit chercher un refuge dans la ville de Jérusalem. Jérémie invita un jour quelques membres de cette famille à l'accompagner sous l'un des portiques du Temple ; là il leur fit présenter des coupes pleines de vin et les invita à boire. Mais, ainsi que Jérémie l'avait prévu, les Réchabites, suivant le vœu de leur famille, refusèrent de boire du vin. Le prophète alors les présentant comme modèle au peuple de Juda, reprocha à celui-ci de ne pas manifester pour les préceptes de Jéhova le même attachement que les Réchabites conservaient toujours pour ceux de leur aïeul.

Dans le neuvième mois (décembre) de la cinquième année de Joïakim, on proclama à Jérusalem un jeûne public, pour implorer le secours de Jéhova contre les Chaldéens. Jérémie profita de cette occasion pour faire lire publiquement, dans le parvis du Temple, par son secrétaire Baruch, fils de Néria, ses discours qu'il avait fait mettre par écrit l'année précédentes Cette lecture fit une si profonde sensation ; qu'on en apporta la nouvelle au palais, dans le cabinet d'Élisama, secrétaire du roi, où plusieurs grands dignitaires se trouvaient alors assemblés. Baruch fut aussitôt mandé chez le secrétaire, et, sur la demande des dignitaires, il donna lecture du livre qu'il déclara avoir écrit sous la dictée de Jérémie. Les courtisans furent eux-mêmes profondément émus ; espérant que le livre ferait quelque impression sur le roi, ils demandèrent à Baruch de le leur laisser, et lui conseillèrent en même temps de se cacher, ainsi que Jérémie. Ensuite ils allèrent raconter au roi ce qui s'était passé dans le Temple. Joïakim, averti que le rouleau de Jérémie était dans le cabinet du secrétaire, l'envoya chercher par un certain Jehudi, qui lui en fit la lecture. Le roi se trouvait alors dans son appartement d'hiver, où un réchaud était allumé devant lui ; à mesure que Jehudi avait lu trois ou quatre colonnes, Joïakim lui ordonnait de les couper et de les jeter au feu, en sorte que peu à peu tout le rouleau fut consumé, malgré les instances de quelques-uns des assistants qui le priaient d'épargner le livre. Le roi ordonna ensuite l'arrestation de Jérémie et de Baruch, mais on ne put les découvrir. Jérémie, dans sa retraite, fit écrire de nouveau les discours qui avaient été brillés, et auxquels il en ajouta quelques autres, notamment un oracle fulminant contre Joïakim, dont le cadavre, disait-il, serait jeté pour être exposé à la chaleur pendant le jour et au froid pendant la nuit. (Jér. 36, 30.) Mais il ne paraît pas que le prophète se soit de nouveau présenté en publie, avant la mort de Joïakim.

Mais cette fois Joïakim échappa au danger ; Nébuchadnessar ayant reçu la nouvelle de la mort de son père (604), prit le chemin du désert, pour retourner en toute hâte à Babylone[27], remettant à un autre temps la soumission de Joïakim et des autres alliés de l'Égypte. Ce ne fut qu'environ deux ans après, dans la huitième année du règne de Joïakim[28] (603 à 602), que Nébuchadnessar revenu en Syrie pénétra dans la Judée, la rendit tributaire et força Joïakim de le reconnaître comme suzerain. C'est probablement à cette époque que Nébuchadnessar fit emporter à Babylone une partie des vases sacrés du temple de Jérusalem, et qu'il emmena plusieurs jeunes hommes de familles nobles, tels que Daniel, Hanania, Misaël et Azaria, afin de servir d'otages et de répondre de la fidélité de Joïakim, qui, selon les Chroniques, fut enchaîné, pour être conduit à Babylone[29], mais qui en réalité, comme on va le voir, resta à Jérusalem, comme vassal de Babylone. Trois ans plus tard (599), Joïakim., séduit sans doute par la mauvaise politique de certains orateurs et faux prophètes, et comptant sur le secours de l'Égypte (où régnait alors Psammis, fils de Néchao), osa se révolter contre le roi de Babylone. Nébuchadnessar, qui se préparait à envahir de nouveau la Judée, fit, en attendant, harceler Joïakim par un corps de réserve, qui se trouvait en Syrie et qui fut renforcé par des troupes syriennes, moabites et ammonites. (II Rois, 24, 2.) Sur ces entrefaites Joïakim mourut[30], à l'âge de trente-six ans, laissant supporter à son fils Joïachin les conséquences de sa rébellion.

JOÏACHIN (appelé aussi Jéchonia et Coniahou) monta, à l'âge de dix-huit ans, sur un trône entouré des plus grands dangers. L'armée chaldéenne ne tarda pas à paraître devant Jérusalem qu'elle assiégea, et bientôt elle fut suivie du roi Nébuchadnessar. (Ib., v. 10 et 11.) Joïachin n'étant pas en mesure de soutenir un long siège, et désabusé sans doute sur le secours que son père avait attendu de l'Égypte, descendit du trône qu'il avait occupé pendant trois mois et dix jours ; le jeune roi et la reine mère, Néhusla, fille d'Elnathan, de Jérusalem, accompagnés de toute la cour, se rendirent au camp de Nébuchadnessar et se soumirent à discrétion. Les Chaldéens entrèrent dans la ville, s'emparèrent de tous les trésors du Temple et du palais royal, et démontèrent tous les ustensiles d'or qui se trouvaient dans le sanctuaire depuis le temps de Salomon. Avec le roi et la cour dix mille des principaux habitants furent emmenés captifs, savoir trois mille citoyens et sept mille hommes de guerre, y compris mille forgerons et serruriers (qui auraient pu fabriquer des armes)[31]. Parmi les captifs se trouva Ézéchiel, alors âgé de vingt-cinq ans, et qui cinq ans plus tard commença à prêcher comme prophète parmi ses coexilés dans le pays des Chaldéens[32]. Le roi Joïachin fut enfermé dans une prison à Babylone, où il resta plus de trente-six ans, jusqu'à ce qu'Éwilmérodach, fils et successeur de Nébuchadnessar, l'en fit sortir. Jérémie, qui avait prédit la captivité du jeune prince, pleura son malheur en ces termes (ch. 22, v. 28-30) Cet homme, ce Coniahou, est-il un vase méprisable et brisé ? est-il un meuble sans prix ? pourquoi ont-ils été rejetés, lui et sa race, et lancés sur une terre qu'ils ne connaissaient pas ?Terre ! terre ! terre ! écoute la parole de Jéhova. Ainsi dit Jéhova : Inscrivez cet homme comme stérile, comme un homme qui ne prospérera jamais ; car nul de sa postérité ne réussira à s'asseoir sur le trône de David et à régner sur Juda.

Matthania, fils de Josias, et oncle de Joïachin, fut nommé roi de Juda, par Nébuchadnessar, qui changea son nom en celui de Sédékia, se déclarant par là son souverain, comme l'avait fait Néchao, en changeant le nom d'Eliakim en celui de Joïakim.

SÉDÉKIA (599-588), dernier roi de Juda, n'était qu'un satrape du roi de Babylone. Jeune homme sans expérience (il n'avait que vingt-un ans), manquant de jugement et d'énergie, il devint le jouet des gens de la cour, qui, par leurs mauvais conseils, hâtèrent sa chute et l'entière ruine de Juda. En observant la foi jurée au roi de Babylone Sédékia aurait pu relever son petit État et rendre quelques forces a son peuple épuisé. Jérémie et un petit nombre de gens de bien montrèrent que c'était le seul parti qu'il y eût à prendre pour éviter les plus grands malheurs[33]. Mais les grands et les riches n'y trouvaient pas leur compte ; ils auraient été obligés de racheter la paix et la tranquillité par un fort tribut payé à Babylone. Ils usèrent donc de toute leur influence auprès de Sédékia pour l'engager à secouer le joug des Chaldéens, en s'alliant avec les peuples voisins, et notamment avec l'Égypte. En même temps des prophètes qui avaient été conduits à Babylone ne cessaient d'entretenir parmi leurs compagnons d'exil l'espoir d'une prompte délivrance. Jérémie, craignant que ces menées ne contribuassent à rendre plus dure la captivité de ses compatriotes, profita d'une ambassade que Sédékia adressait à Nébuchadnessar et remit aux deux envoyés, Elasa et Gemaria, une lettre qu'ils devaient lire publiquement aux exilés, et dans laquelle le prophète les engageait à ne pas prêter l'oreille aux faux prophètes, à supporter leur sort avec résignation, à se fixer comme paisibles habitants dans le pays où Dieu es avait fait transporter et à prier pour le salut de l'empire babylonien. Les prophètes de Babylone furent indignés de cette lettre ; l'un d'eux nommé Sémaïa écrivit au prêtre Séphania, commandant du Temple, pour lui dénoncer Jérémie et lui rappeler qu'il était de son devoir de faire mettre en prison les insensés qui venaient pérorer dans le Temple. (Jér., 29, 26.) Mais Séphania, qui n'était pas hostile à Jérémie[34], lui montra la lettre de Sémaïa. Sans se laisser intimider, Jérémie écrivit une seconde fois aux exilés, pour leur signaler Sémaïa comme un faux prophète, qui prêchait la rébellion contre la volonté de Dieu.

Dans la quatrième année du règne de Sédékia, des ambassadeurs des rois d'Edom, de Moab, d'Ammon, de Tyr et de Sidon se présentèrent à Jérusalem (Jér., ch. 27) ; il s'agissait sans doute d'un vaste complot contre le roi de Babylone, leur ennemi commun. Jérémie envoya à chacun des ambassadeurs un joug de bois, symbole de la servitude babylonienne, et leur montra que tous les peuples à l'entour devaient supporter cette servitude jusqu'à ce que la puissante Babylone à son tour vît arriver son heure suprême. Le prophète donna le même avertissement au roi Sédékia. Un jour Jérémie s'étant présenté lui-même le joug sur le dos, dans le Temple de Jérusalem, un prophète, nommé Hanania, fils d'Azzour, proclama au nom de Jéhova, devant les prêtres et le peuple, qu'avant deux ans le joug de Babylone serait brisé, les vases sacrés seraient rapportés dans le Temple et le roi Jéchonia, ainsi que tous les exilés reviendraient dans leur patrie. Amen ! s'écria Jérémie, puisse Jéhova accomplir tes paroles ! mais sache, ajouta-t-il, qu'on ne reconnaît le vrai prophète que. par l'accomplissement de sa parole. Hanania prit le joug que Jérémie portait sur son cou et le brisa ; ainsi, dit-il, Jéhova brisera le joug du roi de Babylone de dessus le cou de tous les peuples. Jérémie se retira silencieux ; puis revenant sur ses pas, il dit à Hanania : Ainsi parle Jehova : tu as brisé des barres de bois, mais à leur place tu feras des barres de fer ; car je mettrai un joug de fer sur le cou de tous ces peuples, et ils seront soumis à Nébuchadnessar, roi de Babylone. Écoute Hanania, ce n'est pas Jéhova qui t'a envoyé, et tu inspires à ce peuple une confiance mensongère. On ajoute que Jérémie prédit à Hanania sa mort prochaine, et qu'en effet il mourut dans la même année. (Jér., 28, 17).

Il paraîtrait que les discours de Jérémie ne furent pas sans influence sur l'esprit du roi et qu'ils arrêtèrent un moment ses projets de révolte. Il résulte d'un passage de Jérémie (51, 59) que Sédékia, dans la quatrième année de son règne, partit lui-même pour Babylone, accompagné de Séraïa, fils de Néria, un de ses conseillers intimes. Son but était probablement de renouveler ses hommages au roi de Babylone, et de faire taire les bruits défavorables qui peut-être déjà s'étaient répandus sur son compte, grâce à l'imprudente conduite des faux prophètes qui vivaient parmi les exilés. Jérémie, tout en conseillant pour le moment au roi et au peuple, de se plier aux circonstances et de reconnaître la souveraineté du roi de Babylone, ne pouvait néanmoins étouffer les ressentiments trop légitimes que son patriotisme lui inspirait contre la puissance étrangère, et il cherchait pour lui et ses compatriotes une consolation dans l'avenir en prédisant la chute de Babylone dans les termes les plus énergiques (ch. 50 et 61). Au départ du roi le prophète désira joindre à sa prophétie une action symbolique, dont il chargea Séraïa ; il pria celui-ci d'emporter en Chaldée le rouleau sur lequel se trouvaient inscrites ses sinistres prédictions contre Babylone, de les lire sur les lieux mêmes, et de jeter ensuite dans l'Euphrate le rouleau attaché à une pierre, en prononçant ces mots : Ainsi sera submergée Babylone, et elle ne se relèvera plus du malheur que j'amènerai sur elle.

Sédékia revint probablement de Babylone avec des intentions pacifiques ; son voyage fut suivi de quelques années de calme, et les discussions politiques cessèrent un moment, comme nous pouvons en juger par le silence de Jérémie dont nous ne trouvons aucun discours prononcé depuis la quatrième année de Sédékia, jusqu'à la neuvième. — A cette époque Ézéchiel prêchait en Chaldée sur les bords du Chaboras ; il jouissait d'une haute considération parmi ses compagnons d'exil, les anciens et le peuple s'assemblaient souvent autour de lui, pour entendre ses discours. Loin de son pays on le voit continuer à s'intéresser vivement aux événements qui s'y passent ; ses vues politiques sont les mêmes que celles de Jérémie. Dans des images empreintes des couleurs locales et dans un langage hardi et original, il parle contre les péchés de Juda, et notamment contre l'idolâtrie, contre les faux prophètes, qui égaraient le peuple par de vaines illusions, contre le roi Sédékia, dont il prédit la chute. A ses sinistres prophéties contre Juda succèdent aussi des menaces contre les peuples voisins qui l'ont opprimé et des espérances d'une rédemption future ; mais il use toujours d'une extrême réserve à l'égard des Chaldéens. Nous ne connaissons point les détails de la vie privée d'Ézéchiel ; nous savons seulement qu'il était marié et que sa femme mourut à l'époque du dernier siège de Jérusalem. (Ézéch., 24, 15-18.) Sa carrière prophétique se prolongea au moins jusqu'à la vingt-septième année de son exil (ib., 29, 17), ou à la seizième année après la destruction de Jérusalem.

Sédékia ne conserva pas longtemps ses dispositions pacifiques à l'égard de Babylone se laissant entraîner par la fausse politique de ses conseillers, combattue par tous les prophètes depuis Isaïe, il entama des négociations avec l'Égypte (ib., 17, 15), où régnait alors Hophra, ou Apries. (Jér., 44, 30.) Celui-ci ayant promis son secours à Sédékia, le roi de Juda se crut assez fort pour briser le joug babylonien qu'il avait supporté pendant huit ans. Se déclarant donc indépendant il refusa le tribut. Les Chaldéens envahirent de nouveau la Judée, dans la neuvième année du règne de Sédékia (590), et occupèrent tout le pays à l'exception des villes fortes de Lachis, d'Azéka et de Jérusalem (ib., 34, 7), qui, comptant sur la prochaine arrivée des troupes égyptiennes, se préparèrent à la résistance. Le siège de Jérusalem commenta le dixième jour du dixième mois, c'est-à-dire vers le commencement de janvier de l'an 589 avant J. C. Jérémie, que le roi fit interroger probablement à cette époque par le prêtre Séphania et par un certain Pashour, répondit par une sinistre prophétie. (Ib., 21, 1-10.) Prévoyant que la ville serait forcée de se rendre tôt ou tard, il insista de nouveau pour que le roi réparât sa faute par une soumission volontaire, lui faisant espérer que dans ce cas il pourrait un jour mourir en paix et obtenir les honneurs funèbres, comme ses ancêtres (ib., 34, 5) ; mais la voix du prophète ne fut pas écoutée. A cette époque le roi Sédékia prit une mesure à laquelle durent applaudir tous les partisans sincères de la constitution mosaïque et tous les amis de l'humanité, bien qu'il fût évident que ce n'était que l'intérêt du moment qui faisait agir le roi. Pour augmenter le nombre des combattants et pour gagner la faveur de la classe pauvre, Sédékia, Invoquant une loi mosaïque, qui jusque-là avait été peu observée, ordonna l'affranchissement de tous les esclaves hébreux qui avaient fait leur six ans de service[35]. Les maîtres n'osèrent résister, et tous se rendirent au Temple, pour proclamer solennellement la liberté de leurs esclaves des deux sexes. Selon une antique coutume on découpa un veau en deux moitiés ; les maîtres passèrent entre les deux morceaux, ce qui fut considéré comme le symbole de l'engagement qu'ils prirent devant Dieu.

Sur ces entrefaites les troupes égyptiennes entrèrent en Judée pour attaquer les Chaldéens, et ceux-ci levèrent le siège de Jérusalem pour aller au-devant des ennemis. Ce fut alors probablement que le roi et les grands, se croyant délivrés du danger, se repentirent de la généreuse mesure qu'ils venaient de prendre, et poussèrent l'iniquité jusqu'à employer la force pour s'emparer de nouveau de leurs esclaves qu'ils venaient d'affranchir. Alors l'indignation de Jérémie ne connut plus de bornes. Puisque, dit-il, vous avez refusé la liberté à votre prochain, Jéhova donnera la liberté au glaive, à la peste et à la famine qui vous rendront l'effroi de tous les royaumes de la terre ; Sédékia et ses grands tomberont entre les mains de leurs ennemis, les Babyloniens, qui prendront Jérusalem, la brûleront, et toutes les villes de Juda seront dévastées (34, 17-22.)

Le roi, qui ne partageait pas le dédain que les grands de la cour montraient pour Jérémie, envoya de nouveau auprès de lui le prêtre Séphania, et fit demander au prophète d'intercéder auprès de Jéhova par ses prières. Pour toute réponse Jérémie fit dire au roi que l'armée du Pharaon, qui était venue à son secours, allait retourner en Égypte, et que le siège de Jérusalem allait être recommencé par les Chaldéens qui ne renonceraient à aucun prix à la conquête de cette ville. (37, 1-10.)

Jérémie voulut profiter de l'absence momentanée des Chaldéens pour quitter Jérusalem et se rendre dans sa ville natale ; mais arrivé à la porte de Benjamin, il fut arrêté par Yiria, chef du poste, qui l'accusa de vouloir passer aux Chaldéens. Malgré ses protestations il fut amené devant le tribunal des officiers supérieurs qui le maltraitèrent et le firent enfermer dans la maison du secrétaire Jonathan, qui avait été transformée en prison. Le roi le fit venir secrètement chez lui pour l'interroger de nouveau ; la réponse du prophète fut toujours la même. En même temps il se plaignit au roi des traitements qu'on lui faisait subir ; Sédékia ordonna qu'il fût transféré dans une prison moins dure et qu'on lui donnât un pain chaque jour. Jérémie, placé dans la cour de la prison du palais royal, pouvait de là parler au peuple. (Ib., 11- 21).

Les Chaldéens avaient repris le siège ; Jérémie ne cessait de répéter ses lugubres prédictions, et de dire ouvertement que ceux-là seuls auraient la vie sauve qui se rendraient auprès des Chaldéens, ce qui irrita les officiers de Sédékia au plus haut degré, d'autant plus que les rangs des défenseurs de Jérusalem commençaient à s'éclaircir par de nombreuses désertions. (Ib., 38, 19 ; 39, 9). Jérémie fut donc accusé auprès du roi et sa mort fut demandée ; mais Sédékia n'osant prononcer la condamnation du prophète, se contenta de répondre aux officiers : Il est entre vos mains, car le roi ne peut rien contre vous. On descendit le prophète dans une fosse profonde qui se trouvait dans la cour de la prison, afin de le laisser périr dans la houe ou mourir de faim. Un certain Ebed-Mélech, eunuque éthiopien au service du palais, ayant eu connaissance de l'horrible position de Jérémie, courut aussitôt à la porte de Benjamin, où se trouvait alors le roi Sédékia, et rapporta à celui-ci ce qui venait de se passer. Le roi fit accompagner Ébed-Mélech par trente hommes, afin de faire retirer Jérémie de la fosse. Ensuite il eut avec le prophète un dernier entretien secret, dans l'un des appartements du Temple. Pressé par le roi de lui dire encore une fois toute sa pensée, Jérémie répondit : Si je te la dis, tu me feras mourir ; si je te donne un conseil, tu ne m'écoutes pas. Le roi ayant juré à Jérémie de le protéger contre les hommes qui en voulaient à sa vie, le prophète répéta l'avis qu'il avait déjà donné plusieurs fois à Sédékia : savoir qu'une soumission volontaire était le seul moyen de sauver sa vie et de préserver la ville d'une ruine totale. Mais le malheureux roi ne put se décider à une pareille démarche, craignant, disait-il, d'être livré au ressentiment des transfuges hébreux. Jérémie chercha à dissiper cette crainte, et supplia le roi d'obéir à la voix de Jéhova qui parlait par sa bouche et de sauver sa vie ; mais il ne put parvenir à vaincre l'indécision du roi. Celui-ci ordonna au prophète de tenir secret l'entretien qu'il venait d'avoir avec lui et de dire aux officiers qui lai feraient des questions à ce sujet, qu'il avait demandé au roi de ne pas être reconduit dans le cachot de Jonathan. Jérémie, reconduit dans la cour de la prison, où il resta jusqu'à la prise de Jérusalem (ib., 38, 1-28), remercia Ebed-Mélech, et lui prédit qu'il serait sauvé au jour où le malheur fondrait sur Jérusalem, et qu'il ne périrait pas par le glaive de l'ennemi.

Tant qu'il resta des vivres dans la ville, les habitants résistèrent héroïquement aux Chaldéens. La dixième année entière du règne de Sédékia s'écoula sans que les assiégeants fussent parvenus a pratiquer une brèche. Beaucoup de maisons furent démolies pour fortifier les murailles contre les bastions et les machines de guerre de l'ennemi, dont les approches devenaient de plus en plus formidables. (Ib., 33, 4.) Ce fut alors que Jérémie, pour montrer que, tout en conseillant pour le moment d'ouvrir les portes aux Chaldéens, il espérait cependant que Dieu, dans sa grâce, rendrait la paix et l'indépendance au pays de Juda, racheta, conformément à la loi mosaïque, le champ d'un certain Hanamel, son cousin, à Anathoth. Ayant fait rédiger les actes de la vente avec toutes les formalités d'usage, il les remit à son ami Baruch, et le chargea de les conserver dans un vase de terre ; car, ajouta-t-il, Jéhova, le Dieu d'Israël, dit qu'on achètera encore des maisons, des champs et des vignes dans ce pays. (Ib., ch. 32.) Dans ces moments suprêmes, le prophète, ne pouvant plus rien pour empêcher les désastres qui allaient accabler son pays, aimait à parler de l'avenir où Jéhova se ressouviendrait d'Israël et renouvellerait l'alliance avec son peuple. (Ch. 33.)

Le siège de Jérusalem avait duré dix-huit mois ; le courage de ses défenseurs n'avait pas fléchi un seul instant, mais ils succombèrent enfin à la faim et à la fatigue. Ce fut le neuvième jour du quatrième mois, dans la onzième année de Sédékia (juillet 588), que les vivres manquèrent entièrement dans la ville[36] ; la résistance devint impossible, et dans la nuit du 9 au 10, les Chaldéens purent, sans beaucoup de peine, pénétrer dans la ville du côté du nord. Sédékia s'enfuit avec le reste de ses troupes, par une porte du jardin royal qui, située à l'est du Sion, conduisait dans le vallon entre le Sion et la place Ophla[37]. Les fugitifs se dirigèrent vers le Jourdain ; mais les Chaldéens se mirent à leur poursuite, et les atteignirent dans la plaine de Jéricho. Les troupes de Sédékia se débandèrent, et l'infortuné roi, tombé entre les mains des Chaldéens, fut conduit au quartier général de Nébuchadnessar, qui était à Ribla, sur le territoire de Hamath. Un affreux traitement l'y attendait ; ses jeunes fils, ainsi que tous les nobles de Juda qui l'avaient encouragé à la révolte, furent égorgés devant ses yeux. Heureux s'il eût pu mourir lui-même après ce spectacle horrible I Mais la mort paraissait au vainqueur un châtiment trop doux pour ce vassal parjure. Sédékia fut privé de la vue et mis dans les fers pour être conduit à Babylone, où il devait traîner dans un cachot sa malheureuse existence.

On délibéra encore sur le sort de Jérusalem et de ses habitants, et il dut résulter de l'enquête que tous les personnages importants avaient trempé dans le complot contre le roi de Babylone. Un mois après la conquête[38], Nébuzaradan, chef des gardes du corps de Nébuchadnessar, fit son entrée dans Jérusalem. Par son ordre on mit le feu au Temple, au palais du roi, à l'hôtel de ville (Jér., 39, 8) et à tous les principaux édifices de la capitale de Juda ; les murailles et les fortifications furent rasées. En peu de jours la magnifique. Jérusalem fut changée en un monceau de ruines. Les deux colonnes Yachïn et Boaz, ainsi que la Mer d'airain, furent brisées et transportées à Babylone avec tout ce qui restait encore des vases sacrés. On s'empara du grand prêtre Séraïa, de son vicaire Séphania, de plusieurs grands dignitaires et de soixante des principaux habitants, qui furent tous conduits à Ribla et là mis à mort. La plupart des habitants et des troupes s'étaient réfugiés dans les campagnes et dans les pays voisins. (Ib., 40, v. 7 et 11.) Les plus considérables de ceux qui restaient dans la ville, ainsi que ceux qui, pendant le siège, avaient passé aux Babyloniens, furent emmenés captifs (ib., 52, 15) ; leur nombre ne se montait qu'à huit cent trente-deux personnes. (Ib., v. 29.)

Le peuple de la campagne fut emmené en partie ; mais on en laissa dans le pays un certain nombre qui devaient s'occuper de l'agriculture, et à qui on distribua des champs et des vignes. Le roi de Babylone leur donna pour gouverneur un de leurs compatriotes, nommé Guédalia, dont la famille, sans doute, s'était montrée favorable aux Chaldéens. Guédalia, était le fils de ce même Achikam, qui, sous le roi Joïakim avait sauvé la vie au prophète Jérémie. — Quant à ce dernier, le roi de Babylone avait ordonné qu'on le traitât avec les plus grands égards ; Nébuzaradan le fit retirer de sa prison et le confia à la sauvegarde de Guédalia. (Ib., 39, 14.) Quelque temps après nous le trouvons enchaîné parmi les autres prisonniers de guerre qui furent dirigés sur Babylone. Surpris probablement par des soldats chaldéens, qui ne le connaissaient pas, il fut amené avec les autres captifs ; mais à Rama Nébuzaradan lui fit ôter ses chaînes et le laissa libre d'aller partout où il lui plairait, lui promettant sa protection particulière, s'il jugeait convenable de se rendre avec lui à Babylone. Jérémie voulait rester dans son pays et pleurer sur ses ruines ; Nébuzaradan le renvoya, après lui avoir fait des cadeaux. Le prophète se rendit à Mispah, où le gouverneur Guédalia avait fixé sa résidence.

L'installation de Guédalia, et l'assurance que donna ce gouverneur, que les habitants qui restaient dans le pays n'avaient plus rien à craindre en demeurant fideles au roi de Babylone, firent revenir de toute part les soldats et les citoyens fugitifs, qui s'étaient cachés dans les campagnes ou réfugiés dans les pays voisins d'Ammon, de Moab et d'Édom. On remarqua parmi eux quelques capitaines distingués, tels que Johanan, fils de Karéach, et son frère Jonathan, Azaria, fils d'Hosaia, Ismaël, fils de Nathania - de la race royale de Juda, et quelques autres. La tranquillité et l'ordre se rétablirent, et on commença à s'occuper des vendanges et de la récolte des fruits. (Jér., 40, 12.) Mais bientôt un traître vint détruire l'espérance des derniers débris de Juda. Ismaël, sans doute jaloux de l'autorité qu'exerçait Guédalia et à laquelle il croyait avoir plus de droit, par sa naissance, n'était venu à Mispah que dans l'intention d'assassiner le gouverneur. Baalis, roi des Ammonites, qui probablement voyait avec peine la protection accordée, par le roi de Babylone, aux restes du peuple de Juda, l'avait encouragé à ce crime. Le complot d'Ismaël transpira, et les autres capitaines en avertirent le gouverneur ; Johanan lui offrit même de tuer Ismaël en secret. Mais Guédalia refusa de croire à la trahison d'Ismaël et tomba victime de sa trop grande confiance. Au premier jour du septième mois (septembre-octobre 588), deux mois à peine après la destruction de Jérusalem, le gouverneur ayant invité à un repas plusieurs grands personnages, au nombre desquels se trouvait Ismaël, celui-ci, qui avait amené dix hommes de sa suite, se leva subitement avec ses gens, et ils assassinèrent Guédalia et tous les Judéens et Chaldéens qui composaient sa garde. Le crime d'Ismaël était encore inconnu, lorsque le lendemain quatre-vingts hommes de Snob, de Sichem et de Samarie passèrent à Mispah, les vêtements déchirés et en deuil, portant des offrandes et de l'encens aux ruines du Temple de Jérusalem, où probablement on avait réorganisé un culte provisoire. Ismaël alla au devant d'eux en pleurant et en feignant de prendre part à leur deuil, et il les invita à se rendre chez le gouverneur ; mais à peine entrés dans la ville, ils furent traîtreusement assassinés par les gens d'Ismaël. Dix d'entre eux sauvèrent leur vie en faisant connaître à Ismaël des provisions qu'ils avaient cachées. Les cadavres des victimes furent jetés dans un fossé que jadis le roi Asa avait fait creuser en fortifiant cette place, lorsqu'il fut attaqué par Baasa, roi d'Israël[39].

Ismaël, pour pouvoir commettre tous ces crimes, avait dû rassembler autour de lui de nombreux partisans, ou être secouru par des Ammonites. En quittant Mispah, pour retourner au pays d'Ammon, il emmena de force beaucoup d'habitants de Mispah, ainsi que plusieurs princesses de la famille royale, qui avaient été mises sous la sauvegarde du gouverneur Guédalia. Johanan et les autres capitaines rassemblèrent leurs gens, et se mirent à la poursuite d'Ismaël qu'ils atteignirent près de Gabaon. Tous les prisonniers furent délivrés ; Ismaël parvint à s'échapper avec huit hommes, et se retira dans le pays d'Ammon.

Johanan et tous ceux qui restaient autour de lui, craignant la vengeance du roi de Babylone, prirent la résolution d'émigrer en Égypte. On se rendit provisoirement dans une hôtellerie près de Bethléhem. Jérémie, qui n'approuvait pas l'émigration, s'était joint à la caravane, ainsi que son fidèle ami Baruch, qui, selon Josèphe[40], avait été incarcéré comme lui, pendant le siège de Jérusalem, et que les Babyloniens avaient élargi sur l'intercession du prophète, qui déjà sous Joïakim lui avait prédit qu'il survivrait à la ruine de son pays (ch. 45). Les chefs de la caravane demandèrent à Jérémie de prier Dieu pour ces faibles débris de Juda et de leur donner un avis sur ce qu'ils devaient faire, promettant d'obéir à ce que Dieu leur ordonnerait par sa bouche. Après dix jours de réflexion, Jérémie les conjura de renoncer à leur projet d'émigration ; l'Égypte, dit-il, aurait bientôt le même sort qui venait de frapper le pays de Juda, le glaive et la famine attendaient ceux qui iraient y chercher un refuge. Johanan, Azaria et les autres chefs accusèrent le prophète d'être de connivence avec Baruch pour les livrer aux Chaldéens, et persistèrent à vouloir passer en Égypte. Jérémie et Baruch se virent donc forcés de partir avec la caravane, et le prophète fit ses adieux à sa malheureuse patrie, dont les ruines lui étaient si chères et qu'il ne devait plus revoir. Pendant quarante ans il y avait exercé sa sainte mission ; sa profonde piété et son ardent patriotisme l'avaient voué à une vie pleine de dangers et d'amertume. Au milieu d'un peuple aveugle il eut le sort funeste d'être le seul voyant, et de prévoir les désastres qu'il ne pouvait détourner ; mainte fois il voulut cesser de parler, mais alors, dit-il, il y eut dans mon cœur comme un feu brillant renfermé dans mes os, et je ne pus me contenir (ch. 20, v. 9). En effet, il parla jusqu'à ce qu'il n'y eut plus que mort et désolation autour de lui, et les ruines seules purent témoigner de la vérité de ses paroles et de la sincérité de ses intentions.

Les émigrés arrivèrent à Taphnes, ou Daphne, ville de la Basse-Egypte ; là le prophète les avertit de nouveau que leur fuite ne les mettrait pas à l'abri de l'épée des Chaldéens. De nombreux émigrés de Juda s'étaient établis depuis plusieurs années à Daphné, à Magdole, à Memphis et dans le pays de Pathros. Jérémie eut la douleur de voir l'idolâtrie envahir ces colonies, et ce fut en vain qu'il tâcha de les ramener au culte de Jéhova ; là comme dans sa patrie, le funeste don de la prophétie lui fit prédire des malheurs qu'il ne put empêcher, car déjà il voyait les restes de Juda prêts à disparaitre dans les désastres qui allaient frapper l'Égypte (ch. 44). Depuis lors le prophète se dérobe à nos regards ; sa fin nous est inconnue. Selon les traditions des Pères de l'Église, il fut lapidé à Daphné par ses compatriotes ; mais les traditions des juifs le font émigrer à Babylone avec Baruch, lors de l'invasion de l'Égypte par les Chaldéens[41]. — Cinq ans après la destruction de Jérusalem, Nebuzaradan, faisant la guerre aux Ammonites et aux Moabites, emmena encore sept cent quarante-cinq Judéens à Babylone[42]. La Judée fut ainsi privée de presque tous ses habitants et occupée en partie par les peuplades voisines[43].

Telle fut la fin tragique du royaume de Juda qui naguère encore avait pu espérer de meilleurs jours sous un roi pieux, qui avait voulu lui donner l'unité et la force par une réforme totale, basée sur la constitution mosaïque. Il était trop tard ; le pays de Juda, déjà fortement ébranlé par le colosse assyrien, fut entraîné sans cesse dans la lutte de deux grands empires. Il y perdit le meilleur de ses rois qui ne put achever son œuvre, et qui, au milieu de la tempête, dut abandonner la faible barque a des pilotes aveugles qui la poussèrent sur les écueils. Ce ne fut qu'après le naufrage que les débris dispersés du peuple de Juda commencèrent à comprendre les paroles des guides divins, dont les nobles efforts n'avaient rencontré qu'obstination et mépris. Dans l'exil Juda comprit sa destinée et apprit à connaître son Dieu, qui l'instruisait par un châtiment sévère et le préparait de nouveau à la mission qu'il devait accomplir.

 

Coup d'œil sur les destinées de l'ancien pays d'Israël pendant cette dernière période.

Il nous reste à examiner ce qu'était devenu, depuis l'invasion des Assyriens sous Thiglath-Piléser et Salmanassar, cette partie de la Palestine qui avait formé le royaume d'Israël, et dont les habitants, en grande partie, furent emmenés en captivité. Le pays de Gilead, ou la Pérée, fut envahi par les Ammonites et les Moabites, et les faibles restes des habitants israélites souffrirent de grands maux. (Séphan., 2, 8-10.) La Galilée renfermait encore un grand nombre de Cananéens, notamment dans les villes de la côte où nous les retrouvons encore après l'exil de Babylone. (Ezra, 9, 1.) Le pays de Samarie, qui avait été privé par Salmanassar de la plus grande partie de ses habitants, fut repeuplé plus tard de colons, venus de différentes provinces soumises à l'Assyrie, telles que Babylone, Coutha, Avva, Sépharvaïm[44] et Hamath. Mais dans tout le nord de la Palestine en deçà du Jourdain il restait sans doute un assez grand nombre d'Israélites, surtout de la classe inférieure. On a vu (page 331) que des hommes pieux de plusieurs tribus d'Israël, dont le pays avait été conquis par Thiglath-Piléser, se rendirent à Jérusalem, sur l'invitation d'Ézéchias, pour y célébrer la Pique. Bien plus tard, sous le règne de Josias, on recueillit, dans les pays de Manassé, d'Éphraïm et de tout le reste d'Israël, des dons pour les réparations du Temple de Jérusalem (II Chron. 34, 9) ; les réformes de Josias s'étendirent jusqu'au pays de Naphthali (ib., v. 6), et des Israélites vinrent, comme du temps d'Ézéchias, célébrer la Pâque à Jérusalem (ib., 35, 18) ; ce qui prouve que la Palestine n'avait pas été dépouillée de tous ses habitants israélites.

Pendant toute cette période la Palestine, septentrionale fut presque toujours agitée par le bruit des armes et par les marches des troupes qui la traversaient en tout sens. Elle changea souvent de maître, mais il n'est pas probable qu'un gouvernement régulier quelconque ait pu s'y établir. Les différentes populations, reconnaissant la souveraineté des conquérants, se gouvernaient probablement chacune selon ses anciennes lois, sauf à payer l'impôt au souverain étranger. Jusqu'à la quatorzième année d'Ézéchias le pays fut presque toujours occupé par les troupes assyriennes que Salmanassar, Sargon et Sennachérib expédièrent successivement contre la Phénicie, l'Égypte et la Judée. Après la retraite de l'armée de Sennachérib, le pays d'Israël ne cessa pas d'être considéré comme une province assyrienne ; Ésar-Haddon envoya encore des colons dans la province de Samarie (Ezra, 4, 2), et le pays était probablement gouverné par un satrape assyrien. Cet état des choses dura sans doute pendant tout le règne de Manassé, roi de Juda. Quoique nous ayons cru devoir mettre en doute la captivité de ce roi, l'existence d'une garnison assyrienne dans le pays d'Israël, indiquée dans le récit fabuleux du deuxième livre des Chroniques (33, 11), n'a rien que de très-probable. La domination assyrienne affaiblie de plus en plus, depuis le règne d'Ésar-Haddon, dut cesser en Palestine lors de l'invasion des Scythes, qui, ayant vaincu les Mèdes et se tournant contre l'Égypte, durent traverser les plaines du pays d'Israël. Il paraîtrait qu'après la disparition de ces hordes, qui n'avaient pour but que le pillage, Josias, roi de Juda, put s'emparer momentanément du pays de Samarie et d'une partie de la Galilée où nous le voyons agir en maître. Après sa défaite et sa mort dans le combat de Megiddo, Néchao, roi d'Égypte, resta, pendant quelque temps, maître de la Palestine, jusqu'à ce que, vaincu par les Chaldéens près de Circésium, il fut refoulé au delà de ses limites. Dès lors l'ancien pays d'Israël ne cessa d'être envahi par les armées chaldéennes, marchant contre la Judée et l'Égypte, et devint bientôt de fait une province de l'empire babylonien ; mais il conserva ses habitants, qui, formant une population mêlée, sans nationalité, et composée en grande partie de colons assyriens, ne donnaient au gouvernement chaldéen aucun sujet d'inquiétude.

La Phénicie et ses grandes villes commerçantes ne pouvaient manquer d'exercer une heureuse influence sur les contrées voisines de la Galilée et y faire prospérer l'industrie et le commerce ; le pays de Samarie lui-même, qui avait souffert davantage par les ravagea des troupes assyriennes, et par la déportation du plus grand nombre de ses habitants, dut reprendre un certain degré de prospérité, grâces à son sol fertile et à sa position géographique entre la Judée encore florissante et la Phénicie. Nous savons positivement par le prophète Ézéchiel (27, 17) que non-seulement la Judée, niais aussi l'ancien pays d'Israël, fournissait les marches de Tyr de blés et de plusieurs autres denrées.

Quant à l'état religieux du pays, nous pouvons en juger par le mélange des différentes races qui y demeuraient. Les restes des anciens Cananéens adoraient les divinités phéniciennes, dont le culte n'avait jamais cessé d'exister dans le pays d'Israël et avait même trouvé beaucoup de partisans parmi les Hébreux. Une partie des habitants israélites qui restaient dans le pays, surtout dans le nord, était probablement dévouée, comme par le passé, à ce même culte phénicien ; une autre partie suivait probablement le culte sémi-païen des veaux d'or établi par Jéroboam (II Rois, 23, 15-20) ; un certain nombre enfin, ayant suivi l'appel d'Ézéchias et de Josias, adopta le pur mosaïsme et le culte de Jéhova et apportait ses offrandes à Jérusalem, comme on l'a vu par ce qui précède. Les mesures énergiques de Josias durent contribuer à augmenter considérablement ce dernier parti, auquel appartenaient aussi les malheureux pèlerins égorgés par Ismaël après l'assassinat de Guédalia. Les colons assyriens dans le pays de Samarie restèrent d'abord attachés aux différents cultes de leurs patries respectives. On ne saurait rien dire de positif au sujet de leurs divinités, qui sont nommées dans la Bible (ib., ch. 17, v. 30 et 31), si ce n'est qu'elles représentaient sans doute différentes planètes ; les colons de Sépharvaïm célébraient un culte semblable à celui de Moloch. Établis dans un pays qui, pendant quelque temps, était reste presque désert, ces colons eurent, dit-on (ib., v. 25), beaucoup à souffrir des lions, et attribuant cette calamité au dieu du pays, ils demandèrent au roi d'Assyrie de leur envoyer un des prêtres de Samarie, qui avaient été emmenés en exil, afin qu'il pût leur enseigner la manière d'adorer le dieu local. On peut conclure de cette demande d'un prêtre de Samarie qu'il s'agissait, pour les colons, d'adopter le culte schismatique établi par Jéroboam, c'est-à-dire l'adoration de Jéhova sous une image visible. En effet le prêtre envoyé par le roi d'Assyrie s'établit à Bethel, où existait encore le temple de Jéroboam, appelé la maison des hauts-lieux. (Ib., v. 29.) Instruits dans le culte de Jéroboam, les Couthéens et les autres colons créèrent parmi eux des prêtres, qui devaient offrir leurs sacrifices dans le temple de Béthel ; mais à côté de Jéhova ils continuèrent à adorer les dieux de leur patrie, et sur l'autel même de Béthel nous trouvons du temps de Josias, la statue d'Aschéra ou Astarté. (Ib., 23, 15.) La sévérité que déploya Josias contre les cultes idolâtres, et notamment contre le temple de Bethel, dut faire prévaloir, pendant un certain temps, le culte pur de Jéhova.. A cette époque les colons assyriens ont pu entièrement se confondre avec les restes des Israélites de Samarie et recevoir de Jérusalem le livre de la loi ou le Pentateuque. Mais encore plus tard on les accusait de mêler l'idolâtrie au culte de Jéhova (ib., 23, 40), et on verra qu'après l'exil leur prétention de passer pour de vrais Israélites et de prendre part au rétablissement du temple de Jérusalem fut repoussée par Zéroubabel. On montrait pour eux plus d'éloignement que pour les Israélites de Galilée que nous verrons plus tard faire partie de la nouvelle communauté juive de Jérusalem, quoique, sans doute, ils fussent en partie les descendants des Israélites des dix tribus. Les Couthéens (c'est sous ce nom que les Juifs désignaient généralement les colons assyriens) avec lesquels s'étaient confondues plusieurs familles israélites du pays de Samarie, formeront une secte particulière, hostile aux Juifs, et connues sous le nom de Samaritains.

 

 

 



[1] Ménandre cité par Josèphe, Antiquités, IX, 14, 2.

[2] Voyez Isaïe, ch. 20, et le commentaire de Gesénius, t. I, p. 641.

[3] Phut, selon la Genèse (10, 8), troisième fils de Cham, désigne, dit Josèphe (Antiquités, I, 6, 2), la Mauritanie où il y avait un fleuve appelé Phut. Comparez le commentaire de saint Jérôme sur Isaïe (66, 19), et Pline, Hist. nat., V, 1.

[4] Voyez Isaïe, ch. 28 à 33, et Gesénius, l. c., pages 823 et 824.

[5] Voyez Josèphe, Antiquités, X, 1, 1.

[6] Voyez II Chroniques, 32, 3-6 ; Isaïe, 22, 9-11. Comparez II Rois, 20, 20.

[7] Voyez Isaïe, ch. 18, et le commentaire de Gesénius.

[8] Josèphe, sentant la difficulté de mettre entièrement d'accord les deux relations, ne parle pas du siège de Libna. Selon lui, Sennachérib avait déjà revu à Péluse la nouvelle de l'arrivée de Tirhakh, ce qui fut cause de sa retraite. Antiquités, X, 1, 4.

[9] Tirhaka, successeur de So, ou Sevéchus, est le même que Tarakos ou Tearko, troisième et dernier roi de la dynastie éthiopienne (la 25e de Manéthon). Mégasthène le présente comme un des plus grands conquérants de l'antiquité et le place à côté de Nabuchodonosor. Voyez Strabon, XV, c. 1, § 6.

[10] Voyez Jahn, Archœologie, I, 2, p. 386 à 388. Le passage du 2e livre de Samuel (ch. 24, v. 15 et 16) peut lever tous les doutes à cet égard. On peut comparer le récit du 1er livre de l'Iliade, ou les attaques de la peste sont représentées par les traits d'Apollon.

[11] Isaïe, ayant remarqué probablement le bubon pestilentiel, espérait pouvoir opérer la guérison. L'application de figues est ordonnée encore maintenant, dans la peste, par les médecins arabes et turcs, qui y voient un remède amollissant et résolutif. Voyez Gesénius, l. c., page 979. Selon le récit du 2e livre des Rois (ch. 20, v. 8-11), Ézéchias aurait demandé à Isaïe un signe comme présage de guérison, et, sur la prière du prophète, l'ombre aurait rétrogradé de dix degrés, sur un cadran solaire établi par le roi Achaz. Ce fait rapporté après celui de la guérison du roi a été intercalé, sans doute, d'après une tradition populaire dont on a vainement cherché à deviner la base historique.

[12] Le fragment dont nous parlons n'est connu que depuis peu de temps ; il se trouve dans la version arménienne de la Chronique d'Eusèbe, publiée en 1818, à Venise, par Jean-Bapt. Aucher, avec une version latine, t. I, p. 42 et 43. Eusèbe a tiré ce fragment d'Alexandre Polyhistor. Gesénius (l. c., p. 999 et suiv.) a été le premier à faire remarquer l'importance de ce fragment, où nous voyons reparaître le nom de Mérodach Baladan qu'on ne connaissait que par la Bible.

[13] Selon le canon de Ptolémée, Mardocempadus, probablement le même que Mérodach-Baladan, aurait régné douze ans.

[14] Voyez II Rois, ch. 20, v. 19 ; Isaïe, ch. 39, v. 8.

[15] Voyez Hérodote, II, ch. 147-167 ; Diodore de Sicile, I, ch. 56. — Larcher (Hérod., t. VII, p. 118 et 128) fait commencer le règne des douze en 671 avant J. C. et, par conséquent, le règne de Psammétique en 656. Mais avec Gesénius (l. c., p. 687) nous faisons remonter le commencement du règne de Psammétique jusque vers 696. Dans le système de Diodore (selon Larcher, ib. p. 74), le règne de Néchao aurait duré 34 ans et celui de Psammétique aurait commencé en 689. Gesénius pense qu'il s'est glissé une faute dans le chiffre du règne de Néchao II ; il présume que, au lieu de 16 ans, selon Hérodote, et 6 selon Eusèbe, il faut mettre 46 ans, ce qui lèverait toutes les difficultés chronologiques.

[16] Voyez II Rois, 21, 3-7 ; 23, 7-12.

[17] Cet événement eut lieu, selon la chronique rabbinique (Séder Olam, ch. 24) dans la 22e année du règne de Manassé. Dans les livres apocryphes de l'Ancien Testament on trouve la prière attribuée à ce roi.

[18] Voyez Jérémie, ch. 15, v. 4 ; compares II Rois, ch. 23, v. 26 ; ch. 24, v. 3.

[19] Voyez II Rois, ch. 23, v. 36 et 37 ; ch. 24, v. 17 et 18. Ces passages, qui renferment des dates historiques, doivent prévaloir contre la table généalogique du 1er livre des Chroniques (3, 15), qui donne à Josias quatre fils dans l'ordre suivant : Johanan, Jolakim (ou Éliakim), Sédékia (ou Matthania) et Sallum. L'auteur de la table généalogique a été induit en erreur par les difrents noms que portaient les fils de Josias. Sallum est évidemment le même que Joachaz (Jérémie, 22, 11), et il en est de même de Johanan, que l'auteur des Chroniques appelle, par erreur, l'aîné, parce qu'il succéda le premier à son père. Voyez le commentaire de Kimchi aux deux passages des Chroniques et de Jérémie.

[20] Voyez Jérémie, ch. 1, v. 2 ; ch. 25, v. 3.

[21] Voyez Jérémie, ch. 11, v. 18-23.

[22] Voyez Jérémie, ch. 1, v. 16 ; ch. 2, v. 8 ; ch. 5, v. 1-113 et passim ; Sephania, ch. I, v. 4 et suivants ; ch. 3, v. 1-4.

[23] Quelques auteurs, tels que Eichhorn, Bohlen, Hiltzig, ont cru trouver une allusion à l'invasion des Scythes dans les prophéties de Jérémie, ch. 4, v. 6 et suiv., ch. 5, v. 16, ch. 6, v. 22 et suiv. ; mais il est plus probable que, dans ces passages, le prophète parle des Chaldéens.

[24] Hérodote (liv. 2, ch. 159) parle de la conquête de Cadytis, grande ville de Syrie, prise par Néchao, après la victoire remportée sur les Syriens près de Magdole. Cadytis est sans doute Jérusalem ; l'occupation de Jérusalem, par les troupes égyptiennes, est clairement indiquée par l'ensemble du récit biblique, et notamment II Rois, 23, 33, et II Chroniques, 36, 3. Hérodote a confondu les Hébreux avec les Syriens, et la ville de Megiddo avec celle de Magdole dans le Basse-Egypte.

[25] Nabopolassar, qui régna 21 ans, mourut, selon les calculs les plus probables, en 604. Cependant, selon Jérémie (26, 1), la quatrième année de Joïakim (606) est la première de Nébuchadnessar, et la destruction de Jérusalem (688) tombe dans la dix-neuvième année du roi de Babylone. (Jérémie, 52, 12, et II Rois, 25, 8.) Les auteurs hébreux comptaient probablement le règne de Nébuchadnessar depuis le temps où son père le chargea de l'expédition contre Néchao et en fit, comme nous dirions, son corégent.

[26] Voyez Josèphe, Antiquités, X, 6, 1, et Knobel, Prophetismus der Hebrœer, t. II, p. 227. La date du livre de Daniel (ch. 1, v. 1), qui fait remonter la première prise de Jérusalem à la troisième année de Joïakim, est évidemment fausse.

[27] Voyez Bérose, cité par Josèphe, Antiquités, X, 11, 1 ; Contre Apion, 1, 19.

[28] Josèphe, Antiquités, X. 6, 1. Cette date résulte aussi du texte du 2e livre des Rois (V, v. I et suiv.) ; Joïakim, qui régna onze ans, fut vassal du roi de Babylone les trois dernières années de sa vie, (l'ou il s'ensuit que la première prise de Jérusalem par les Chaldéens eut lieu dans la huitième année du règne de Joïakim. Il n'est pas étonnant d'ailleurs que Nebuchadnessar ait passé une année ou deux a régler les affaires intérieures de son nouveau royaume, avant de rentrer en campagne.

[29] Voyez II Chroniques, ch. 36, v. 6 et 7 ; Daniel, ch. I, v. 1-6. Dans ces deux passages, ainsi que dans celui du 2e livre des Rois, ch. 24, v. 1, il ne saurait être question que de la première invasion des Chaldéens. Dans les Chroniques on ne parle pas de la seconde expédition contre Joïakim (II Rois, 24, 2), parce qu'elle est identique avec celle qui se termine par la captivité de Joïachin. Dans le livre de Daniel, ch. 1, v. 1, le nombre trois, qui dans tous les cas est une faute, doit être changé probablement en celui de huit. Au reste, ce livre, dont nous parlerons dans un autre endroit, a peu de valeur pour l'historien.

[30] Le texte biblique dit : Joïakim se coucha avec ses ancêtres. (II Rois, 24, 6.) Josèphe qui, en général, a parlé de cette époque avec peu d'exactitude et de critique, prétend que Joïakim fut tué par l'ordre du roi de Babylone, et que son cadavre fut Jeté devant les murailles, sans être enseveli. (Antiquités, X, 6, 3.) Ce dernier fait est une simple supposition, puisée dans les prophéties de Jérémie, et dont on ne trouve pas de traces dans les livres historiques.

[31] C'est ainsi qu'on peut mettre d'accord les données de Jérémie, 52, 28, et II Rois, 24, v. 14 et 16.

[32] Voyez Ézéchiel, ch. 1, v. 1-3. Les trente ans au verset 1 nous paraissent se rapporter le plus naturellement à l'âge du prophète ; car il est peu probable qu'Ézéchiel ait compté d'après une ère de Nabopolassar, comme l'ont supposé plusieurs savants modernes.

[33] Voyez Jérémie, ch. 27, v. 12-22 ; comparez ch. 24, v. 6 et suivants.

[34] Ce fut ce même Séphania que le faible roi Sédékia employa plus tard pour ses relations secrètes avec Jérémie.

[35] Voyez Jérémie, ch. 34, v. 8 et suivants.

[36] II Rois, 26, 3 ; Jérémie, 62, 5.

[37] Nous lisons dans trois passages que Sédékia s'enfuit par une porte située entre les deux murailles. (II Rois, 25, 4 ; Jérémie, 39, 4 ; 52, 7.) Nous pensons que cette expression désigne l'impasse que formait la première muraille en tournant de l'est de Sion par le Xystus, à l'ouest de la place Ophla.

[38] Selon le livre de Jérémie (52, 12), ce fut le 10 du cinquième mois ; selon le 2e livre des Rois (25, 8), ce fut le 7.

[39] Cet horrible massacre est rapporté dans le livre de Jérémie (ch. 41), sans qu'on nous fasse connaître le motif qui faisait agir Ismaël. Josèphe dit que ces gens étaient venus offrir des présents à Guédalia, et il ne parle pas des offrandes que, selon le texte (v. 5), ils allaient apporter dans la maison de Jéhova. Voyez Antiquités, X, 9, 4.

[40] Voyez Antiquités, X, 9, 1.

[41] Séder Olam rabba, ch. 26. L'invasion de l'Égypte, si positivement annoncée par Jérémie et par Ézéchiel (ch. 29,) dû avoir lieu pendant la guerre civile entre Apriès et Amasis. Le silence gardé par Hérodote sur cette expédition de Nébuchadnessar n'est pas une raison pour la mettre en doute. Voyez Des Vignoles, t. II, p. 148 et suivantes. Mégasthène, cité par Josèphe (Antiquités, X, 11, 1), dit que Nébuchadnessar conquit la plus grande partie de la Libye. Selon Ézéchiel (29, 17-20), l'expédition aurait eu lieu après le siège infructueux de Tyr, environ seize ans après la destruction de Jérusalem.

[42] Voyez Jérémie, 52, 30, et Josèphe, Antiquités, X, 9, 7.

[43] Voyez le livre apocryphe Ezra, III, ch. 4, v. 60 ; comparez I Maccabées, 5, 65.

[44] Coutha, Avva et Sepharvaïm, sont probablement différents districts de la Mésopotamie. Les géographes arabes connaissent un endroit appelé Coutha, dans l'Irak ; selon les livres des Sabéens, ce fut à Coutha que demeura Abraham, avant d'aller en Canaan. Voyez Maimonide, Moré Nebouchim, III, 29.