PALESTINE

 

LIVRE III. — HISTOIRE DES HÉBREUX

PREMIÈRE PÉRIODE. — ORIGINES DU PEUPLE HÉBREU.

TROISIÈME PARTIE. — LOI SOCIALE.

 

 

Nous avons déjà parlé de la constitution patriarcale du peuple hébreu et des modifications qu'y apporta Moïse, sur le conseil de son beau-père Jéthro. Mais ces modifications elles-mêmes provoquées par les besoins du moment, n'étaient que provisoires. Tout en laissant subsister, selon l'usage généralement établi en Orient, la division du peuple en tribus, familles et maisons[1], — division qui avait l'avantage de fournir des représentants donnés par la nature elle-même et dont on était habitué à respecter l'autorité, — le législateur voulut cependant que toutes les tribus formassent dorénavant une seule société, un corps de nation régi par la même loi. Les tribus fédérées devaient quitter la vie nomade et s'établir à tout prix dans le pays de Canaan, dont les traditions patriarcales avaient fait leur propriété. Là elles devaient former un État fédératif basé sur deux maximes invariables, quelle que put être d'ailleurs la forme du gouvernement que les événements et la volonté de la nation pussent faire prévaloir un jour : 1° Jéhova, l'être unique et absolu, est le chef suprême du peuple hébreu, qui ne doit reconnaître l'existence d'aucun autre Dieu. Il gouverne par la loi, qui doit être exécutée par le chef ou les chefs visibles que le peuple voudra se donner, sans qu'il soit permis de rien ajouter à cette loi ni d'en rien retrancher[2]. 2° L'agriculture est la base de la constitution ; chaque famille (à l'exception des familles lévites) a sa propriété inaliénable[3]. Tous les Hébreux sont cultivateurs ; ils sont tous égaux devant la loi. Il n'y a ni serfs, ni bourgeoisie, ni noblesse ; car tous les Hébreux sont les serviteurs de Jéhova[4].

On peut donc, avec Josèphe[5], donner à l'État des Hébreux le nom de Théocratie, dans ce sens que la loi, émanée de Dieu et ayant pour base le monothéisme, exerçait seule chez les Hébreux un pouvoir absolu ; mais il faut se garder d'attacher au mot théocratie l'idée d'une forme particulière de gouvernement et surtout d'y voir un synonyme d'hiérarchie et de penser à un régime sacerdotal[6]. Nous avons déjà parlé du sacerdoce des Hébreux, et on a pu se convaincre que le nom de pouvoir de l'État lui conviendrait fort peu. Quant à la forme du gouvernement que Moïse voulut établir, elle est essentiellement démocratique. Il est évident que le législateur des Hébreux penchait pour une démocratie tempérée, mais dont la royauté n'est pas absolument exclue. La loi mosaïque laisse à la nation la faculté d'élire un roi, pourvu que sou choix ne tombe pas sur un étranger : mais elle veut que ce roi n'ait pas beaucoup de cavalerie, pour ne pas dépendre de l'Égypte ; qu'il n'ait ni un harem ni de grands trésors. Il devra toujours porter avec lui un exemplaire de la loi, pour apprendre à craindre Dieu et à observer tout ce que prescrit la loi divine, afin que son cœur ne s'élève pas au-dessus de ses frères, et qu'il ne se détourne pas de la loi, ni à droite ni à gauche. C'est là tout ce que la loi écrite dit de la royauté (Deut. 17,14-20). On voit qu'il s'agit d'un simple pouvoir exécutif confié à un seul. Dans la suite de notre histoire nous parlerons de la royauté telle qu'elle fut constituée plus tard. Ici nous nous occupons de la constitution mosaïque pure et de l'ensemble des lois sociales, dont nous allons faire connaître les points principaux autant que le permettent les limites qui nous sont imposées[7].

Nous divisons les lois sociales de Moïse en trois parties : la première embrasse le droit politique et administratif, la seconde le droit civil, et la troisième le droit pénal.

 

I. DROIT POLITIQUE ET ADMINISTRATIF.

Tant que Moïse vécut, il exerçait une véritable dictature, réunissant en lui le pouvoir législatif, judiciaire et exécutif. Mais il établit certaines magistratures qui devaient supporter avec lui le fardeau de l'administration, et qui, après sa mort, devaient s'en partager les différentes fonctions. Le Pentateuque ne donne là-dessus que des indications fort incomplètes ; les détails donnés par la tradition juive sont puisés dans des institutions beaucoup trop récentes pour pouvoir être appliqués à l'époque mosaïque. Ce n'est donc que par des combinaisons faites avec beaucoup de précautions que nous pouvons arriver à nous former une idée des institutions primitives de Moïse.

L'État fondé par Moïse étant une véritable démocratie, les intérêts de la nation ne pouvaient être réglés que par ses représentants naturels. Il est souvent question des assemblées de tout le peuple[8] ; mais on ne peut guère supposer que Moïse ait adressé ses discours à six cent mille hommes à la fois, et on pensera naturellement à une assemblée de représentants[9]. C'est cette assemblée que le texte hébreu appelle KAHAL ou ÉDAR ; ses membres s'appellent KEROUÉ HAÉDAH (Nomb. 1, 16), ou KERIÉ MOËD (ib. 16, 2), c'est-à-dire convoqués à l'assemblée. Deux passages du livre de Josué (23, 2 ; 24, 1) nous apprennent que les grandes assemblées, convoquées par le chef de la république dans les circonstances qui intéressaient au plus haut degré la nation tout entière, se composaient des anciens, des chefs (des tribus et des familles), des juges et des Schoterim ; ces quatre classes d'autorités formaient les pouvoirs de l'État, et nous les trouvons aussi mentionnées dans le Deutéronome (29, 9)[10]. Nous allons les examiner selon l'ordre suivi dans les deux passages de Josué.

1. Les Anciens.

Chez les Hébreux comme chez tous les peuples de l'antiquité les Anciens (ZEKÉNIM) exerçaient une grande autorité, et étaient l'objet d'un grand respect[11]. C'était la longue expérience qui faisait des vieillards les conseillers naturels et les juges du peuple. Plus tard le mot ancien devint un simple titre, donné à ceux qui, par leur naissance, par leur fortune ou par leur intelligence, surent se placer à la tête de la tribu ou de la cité. Nous avons déjà rencontré les Anciens chez les Hébreux en Égypte ; nous les retrouvons dans le désert et à toutes les époques de l'histoire des Hébreux. Tantôt ce sont les Anciens de tout Israël ou des tribus[12], tantôt ceux des villes[13]. C'étaient probablement les anciens schéikhs ou les aînés des tribus et des familles, qui formaient l'élément aristocratique dans la république des Hébreux ; car dans les deux passages de Josué et ailleurs (I Rois, 8, 1), on les distingue expressément d'une autre classe de chefs, qui, comme on le verra plus loin, étaient électifs. Les Anciens représentaient la cité ou la nation tout entière dans certains rites expiatoires[14].

Les Anciens des villes formaient l'autorité municipale, et fournissaient aussi une espèce de jury pour les affaires criminelles[15]. Les Anciens de la nation assistaient de leurs conseils le chef suprême de l'État, avec lequel nous les voyons souvent en rapport direct, et auquel ils imposent quelquefois leur volonté. Moïse, au moment d'une rébellion menaçante, a recours à cette aristocratie ; il choisit soixante-dix Anciens pour servir de soutiers à son autorité méconnue (Nomb. 11, 16). Josué un jour, après avoir subi une défaite, se prosterne devant l'arche sainte, lui et les Anciens d'Israël (Jos. 7, 6). Ce sont les Anciens d'Israël qui demandent à Samuel de résigner son pouvoir et d'élire un roi (I Sam. 8, 4) ; ce sont eux encore qui plus tard donnent la royauté à David (II Sam. 5, 3). Après la défaite d'Absalom, David s'adresse aux Anciens de Juda pour être rétabli dans la capitale (ib. 19,12). Lorsque, après la mort de Salomon, Jéroboam et l'assemblée (des chefs démocratiques) d'Israël exposent leurs griefs au roi Rehabeam ; celui-ci demande des conseils aux Anciens qui avaient assisté son père Salomon (I Rois, 12, 3-6). Nous voyons par tous ces exemples quelle était l'influence de l'aristocratie des Anciens. Mais ce n'était là qu'un reste des institutions patriarcales trop enracinées parmi les Hébreux pour pouvoir être entièrement abolies par le nouveau régime. Cette aristocratie recommandée au respect par les anciennes traditions, et qui, du reste, n'avait aucun privilège, pouvait devenir, dans les circonstances graves, un auxiliaire très-utile pour le pouvoir. Mais il ne faut pas y voir un sénat permanent, régulièrement constitué. Le conseil des soixante-dix, élu par Moïse parmi les Anciens et les Schoterim[16], ne fut convoqué que pour un besoin momentané ; on s'est trompé en le confondant avec le Synedrium ou le tribunal suprême établi à Jérusalem après l'exil de Babylone, mentionné par Josèphe pour la première fois sous le règne d'Hérode[17]. Ce tribunal qui chez les Juifs n'est connu que sous un nom grec, ne remonte pas sans doute au delà de l'époque des Maccabées. A la vérité, il fut formé sur le modèle du conseil des soixante-dix[18], mais il est certain que celui-ci n'était pas un pouvoir permanent, et il n'en est plus question après l'événement qui lui avait donné naissance[19]. Peut-être faut-il voir dans ce conseil les premiers germes d'une institution qui se développa plus tard sous Samuel ; je veux parler de l'institution des Orateurs ou Prophètes (NEBIÎM), dont le but était de faire connaître le véritable esprit de la loi et d'en développer le sens. Du moins nous trouvons lei le principe de la communication et de la propagation de l'esprit de Moise ; car, selon le texte, Dieu communiqua aux soixante-dix Anciens l'esprit de Moise, et ils prophétisèrent (Nomb. 11, 25), c'est-à-dire ils parlèrent au peuple en hommes inspirés. Ce principe était utile et même nécessaire pour le développement progressif de la législation, et les interprètes de la loi, lévites ou prophètes, devaient remplacer le pouvoir législatif, qui manque dans la constitution mosaïque ; car, comme nous l'avons déjà dit, le texte de la loi ne pouvait être ni augmenté ni diminué, et tous les développements ultérieurs devaient se rattacher à un texte écrit dans la loi mosaïque.

2. Les chefs des tribus et des familles.

A côté des Anciens nous trouvons les représentants démocratiques qui formaient seuls le noyau des assemblées populaires et réglaient les intérêts nationaux[20]. Ils se composaient des douze chefs ou princes des tribus et de nombreux chefs ou députés inférieurs qui représentaient des fractions de tribus ou des familles. Dans l'insurrection de Korah nous trouvons deux cent cinquante de ces chefs (Nomb. 16, 2). Les chefs des tribus et des familles étaient des hommes distingués par leurs capacités et désignés par l'élection. A la vérité, le texte ne se prononce pas sur ce dernier point, mais le fait ne m'en paraît pas moins positif. Les chefs des tribus portent le titre de NASI[21], qui convient parfaitement à un chef élu. Si ensuite nous comparons les noms des Nasis (Nomb. ch. 2 et 7) avec quelques tables généalogiques qui nous sont conservées dans les Chroniques, nous y trouvons également une preuve contre l'hérédité. Ainsi, par exemple, le Nasi de la tribu de Juda, appelé Nahschôn, fils d'Aminadab, ne descend point de la première ligne de la tribu[22] ; le Nasi de la tribu d'Issachar s'appelle Nathanaël, fils de Suar, noms qu'on ne rencontre pas parmi les aînés de cette tribu[23]. Enfin dans le tableau des Nasis que Moïse, vers la fin de sa vie, charge de présider au partage des terres de Canaan[24], et qui étaient, sans doute, les chefs des tribus, nous ne rencontrons aucun des fils des Nasis du désert. Il me paraît donc évident que la dignité de chef de tribu était élective. Il a dû en être de même de celle de ROSCH BÊTH-AS ou chef de famille : ces chefs secondaires portent aussi le titre de Nasi[25] ; ils étaient sans doute sous les ordres du chef de la tribu, qui, dans un passage des Nombres (3, 32), est appelé le Nasi des Nasis.

Tous ces chefs étaient les défenseurs des intérêts communs de leurs familles (villes) et de leurs tribus (provinces) respectives. Ils se réunissaient sur la place publique aux portes de la ville, et le peuple pouvait assister à leurs réunions. De temps à autre, dans les circonstances graves et lorsque les intérêts nationaux l'exigeaient, ils formaient tous une grande assemblée délibérative qui se réunissait près du sanctuaire central. Au nombre des fonctions que la loi leur attribue, on mentionne particulièrement celle de présider aux recensements[26]. En Palestine, ils étaient convoqués, sans doute, par des messagers ; dans le désert la convocation se faisait au son de deux trompettes pour réunir toute l'assemblée, et d'une seule pour la réunion des chefs des tribus[27].

3. Les Juges.

Selon la loi mosaïque, le peuple lui-même devait choisir les juges, et on devait en établir dans toutes les localités. Dans le choix des juges on devait avoir égard avant tout à la probité ; des hommes reconnus impartiaux et incorruptibles, quelle que fût d'ailleurs leur position, pouvaient seuls être admis aux fonctions de juges (Deut. 16, 18-20). On voit que les Hébreux avaient une espèce de jury ou de juges-arbitres. Comme ces hommes du peuple n'étaient appelés à leurs fonctions que par la seule confiance de leurs concitoyens et qu'ils pouvaient quelquefois avoir des doutes sur l'application de la loi, ils devaient dans les cas graves s'adresser au chef de la république ou aux lévites, qui, par état, devaient étudier les lois, et qui décidaient en dernière instance (ib. 17, 8-11). Il ne faut pas cependant penser à un tribunal d'appel composé de prêtres et de lévites ; car les parties ne pouvaient pas appeler, et les juges seuls, lorsqu'ils étaient embarrassés de prononcer un jugement, s'adressaient au collège sacerdotal pour le consulter[28]. Comme les prêtres et les lévites étaient répandus dans toutes les provinces, on en plaçait, sans doute, parmi les juges des principales localités (ib. 19, 17)[29]. Les affaires criminelles étaient de la compétence des Anciens (vov. ci-dessus) Les juges formaient une des classes les plus respectées de la société ; on les appelait Élohim (divins)[30], et ils occupaient une place dans les grandes assemblées nationales. Nous reviendrons plus loin sur les tribunaux.

4. Les Schoterim.

Nous avons déjà parlé des officiers portant le titre de Schoterim, qui étaient placés à la tête des Hébreux en Égypte. Nous rencontrons des magistrats du même nom à côté des trois pouvoirs dont nous venons de parler, et, à toutes les époques de l'histoire des Hébreux, on les voit en rapport avec les juges (Deut. 16, 18), avec les Anciens (ib. 31, 28), avec le chef de l'armée (Jos. 1, 10). Le sens du mot SCHOTER est probablement écrivain, et, par l'ensemble des passages où il est question des Schoterim, il semble que ces magistrats avaient de l'analogie avec nos greffiers[31]. Attachés aux juges et aux Anciens, ils leur servaient de secrétaires ; les Schoterim des tribus (Deut. 1, 15) tenaient les rôles des généalogies[32], ils levaient les troupes, et, avant qu'on entrât en campagne, ils faisaient la proclamation prescrite par la loi, afin de faire retirer ceux qui étaient exemptés du service (ib. 20, 5-9). Dans la guerre ils faisaient connaître à l'armée les ordres du général en chef (Jos. 1, 10 ; 3, 2) qui leur étaient transmis par un grand fonctionnaire appelé le Schoter par excellence (II Chron. 26, 11). L'art d'écrire n'étant pas très-répandu parmi les Hébreux, les fonctions de Schoter supposaient un haut degré d'instruction et étaient très-honorables. Souvent on les confiait aux lévites qui, en général, étaient des hommes instruits et possédaient l'art d'écrire[33]. Les Schoterim, à cause du rang élevé qu'ils occupaient dans la société hébraïque, faisaient partie des assemblées générales des représentants de la nation, et formaient ainsi un quatrième pouvoir de l'État. Ils étaient électifs comme les juges (Deut, 16, 18).

Chef de l'État.

A la tête des quatre pouvoirs se trouvait le chef de la république qui avait le pouvoir exécutif pour tout ce qui concernait l'intérêt commun des tribus réunies en corps de nation, et qui était le lieutenant du roi invisible. Ce chef devait être électif ; car Moïse, au lieu de transmettre son pouvoir à l'un-de ses fils, choisit pour son successeur, Josué fils de Noun[34]. Il dit aussi qu'il y aurait toujours après lui un Nabi ou interprète de la loi et un régent qui porterait le titre de Schophet[35]. Ce chef était installé par le grand prêtre qui lui imposait les mains ; dans les circonstances graves, il devait s'adresser à ce ministre du roi Jéhova pour interroger l'oracle ou le sort sacré des Ourim et Thummim (Nomb. 27, 21-23). Moïse ne fixe rien sur l'élection du Schophet ; son intention était peut-être que, suivant son exemple, chaque Schophet désignât son successeur. Au reste, un État comme celui des Hébreux pouvait se passer d'un chef permanent : chaque tribu possédait en elle-même les pouvoirs nécessaires. Une tribu seule, ou plusieurs en commun agissaient quelquefois sans consulter la nation entière ; elles choisissaient des chefs et faisaient la guerre dans l'intérêt de leurs localités (Juges, ch. 1, v. 3-22). Elles ne devenaient responsables envers la nation que lorsqu'elles agissaient contrairement aux principes de la loi commune (Jos. 22, 11 et 12 ; Juges, ch. 20). La loi était tracée pour tous les temps, et, dans les cas difficiles, le roi Jéhova répondait par l'intermédiaire du grand prêtre (Juges, 1, 1 ; 20, 28). Aussi voyons-nous après la mort de Josué, l'État des Hébreux se gouverner souvent sans chef ; seulement quand l'indépendance nationale est en danger, un grand citoyen se met spontanément à la tête de la nation et occupe le rang de Schophet. Les inconvénients qui, par l'inobservance des lois, résultèrent de cet état des choses, donnèrent lieu plus tard à l'élection d'un chef permanent ou d'un roi.

Citoyens et étrangers.

Jusqu'ici nous avons considéré les Hébreux formant une société politique. Quant aux membres de cette société, ils étaient tous égaux ; non-seulement ils devaient l'être devant Dieu et devant la loi, mais le législateur voulut aussi que l'égalité fût maintenue autant que possible dans la position extérieure des citoyens, qu'il n'y eût ni noble, ni serf, ni grand propriétaire, ni mendiant. Après la conquête du pays de Canaan, chaque famille devait obtenir une part de terrain en proportion des membres qui la composaient. Chacun devait s'occuper de la culture de son terrain et éviter les autres genres d'industrie, notamment le commerce, sources de l'inégalité et contraires à une bonne démocratie[36]. Les terrains ne pouvaient être vendus pour toujours ; lorsqu'un citoyen, tombé dans un état de gêne par des circonstances défavorables, avait été obligé de faire des dettes, il pouvait vendre ou plutôt louer son terrain jusqu'au jubilé. L'acquéreur n'en achetait que l'usufruit, et le prix dépendait du nombre des récoltes qu'il pouvait attendre (Lév. 25, 15) ; mais le propriétaire ou un de ses parents pouvait toujours demander à racheter le terrain vendu. Dans tous les cas, il devait être restitué au propriétaire ou à ses héritiers dans l'année jubilaire (ib. v. 25-28) ; de cette manière, l'équilibre des possessions se trouvait rétabli tous les cinquante ans. Cependant les terrains consacrés par un vœu et qui n'avaient pas été rachetées avant le jubilé, appartenaient aux prêtres et ne pouvaient plus être réclamés par le premier propriétaire (ib. ch. 27, v. 16-21). Le citoyen obligé de se vendre lui-même pouvait devenir libre après six ans (Exode, 21, 2) ; mais s'il prolongeait volontairement ce temps de service, il devait dans tous les cas rentrer dans sa famille à l'époque du jubilé (Lév. 25, 41), époque du rétablissement de l'égalité et de la liberté (ib. v. 10). Ces lois, si elles avaient été toujours exécutées à la lettre, auraient pu faire des Hébreux une société modèle ; mais ici, comme dans les formes qu'il donna à sa république, le législateur, guidé par le sentiment le plus profond des droits et de la dignité de l'homme, avait trop présumé de la nature humaine. La loi agraire de Moïse et celle de la liberté individuelle restaient un idéal qui ne fut jamais réalisé. Les prophètes se plaignent des riches qui accumulent les propriétés comme s'ils étaient seuls dans le pays et qui prolongent à perpétuité l'esclavage de leurs frères appauvris[37]. Il paraît que Moïse avait lui-même des doutes sur la réalisation de son idéal ; car il recommande bien souvent la charité envers les pauvres, parce que, dit-il, il en existera toujours dans le pays (Deut. 15, 11).

Quant aux étrangers, la loi agraire s'opposait, il est vrai, à ce qu'ils pussent acquérir des propriétés dans le pays des Hébreux ; mais il leur était permis de s'y établir et de se livrer à toute espèce d'industrie autorisée par la loi du pays. Devant les tribunaux ils étaient parfaitement égaux aux Hébreux[38]. La loi recommande leurs pauvres à la charité publique et leur donne des droits égaux à ceux des pauvres indigènes. Les descendants des Égyptiens et des Iduméens établis en Palestine pouvaient, à la troisième génération (Deut. 23, 9), obtenir la naturalisation, en se soumettant à la circoncision tel le qu'elle était pratiquée par les Hébreux, comme signe extérieur de l'alliance de Dieu avec la race d'Abraham (Exode, 12, 98). Il en était probablement de même des descendants de toutes les autres nations ; la loi n'excepte du droit de naturalisation que les Cananéens, les Ammonites et les Moabites[39]. Les hommes dont les parties génitales avaient été mutilées étaient également exclus des droits de citoyen ; de même les bâtards et leurs descendants (Deut., 23, 2 et 3). On voit par ce que nous venons de dire sur les étrangers que la loi mosaïque ne respire nullement cet esprit d'isolement et cette haine envers les étrangers que, par un ancien préjugé[40], on est convenu de lui attribuer, et que peut-être on a pu reprocher quelquefois aux Juifs après l'exil de Babylone, surtout à l'époque romaine, lorsque leur patriotisme, exalté de plus en plus par l'oppression, leur inspira pour les oppresseurs la plus profonde aversion. Un fait qui prouve que les préceptes pleins d'humanité que la loi mosaïque donne à l'égard des étrangers furent réellement suivis par les anciens Hébreux, c'est que les étrangers affluaient en masse dans la Palestine et que Salomon, pour faire exécuter ses vastes travaux, put trouver 153.600 ouvriers étrangers établis dans le pays (II Chron. 2, 16). Les lois hébraïques étaient, sous ce rapport, bien plus humaines que celles des Grecs et des Romains[41].

Droit des gens, guerre.

Si les lois mosaïques à l'égard des individus étrangers respirent l'humanité et la générosité, il n'en est pas de même à l'égard des nations avec lesquelles les Hébreux pouvaient se trouver en guerre. Ici le législateur a souvent cédé aux exigences d'une politique sévère et inexorable et aux usages barbares de l'époque ; mais nous aurions tort de lui en demander compte, en le jugeant d'après les principes du droit des gens consacrés par la civilisation moderne. Vis-à-vis des Cananéens, Moïse se trouva dans une position exceptionnelle, et il fut obligé de les mettre hors la loi. Nous avons vu que deux maximes fondamentales formaient la base de la législation mosaïque : le monothéisme et l'égalité ; pour consacrer un temple au Dieu unique et établir l'égalité des citoyens par une division territoriale, il fallait tout d'abord un pays et une nation. La conquête d'un pays quelconque était indispensable pour ivre cesser l'état nomade des Hébreux et les transformer en nation. Le pays de Canaan était le plus propre à la conquête ; là reposaient les cendres des patriarches ; des familles hébraïques y avaient conservé des possessions[42], et une antique tradition en faisait le patrimoine des Hébreux, comme Dieu lui-même l'avait juré aux patriarches. L'intérêt de quelques peuplades idolâtres était peu de chose quand il s'agissait de gagner un terrain pour le culte monothéiste qui de là devait se répandre sur la terre. Si les Cananéens étaient restés à côté des Hébreux avec leur culte barbare et leurs mœurs corrompues, le but du législateur était manqué ; il fallait donc les combattre à outrance, les forcer de fuir ou les exterminer. Moise n'avait que cette alternative, ou de renoncer à sa grande idée, ou de se montrer inhumain à l'égard des Cananéens ; homme d'action et d'énergie, et profondément pénétré de sa mission divine, il n'hésita pas à sacrifier ces peuplades au salut de son peuple et de l'humanité. Les ordres cruels de Moïse ne furent pas exécutés à la lettre, et les événements prouvèrent que le législateur ne s'était pas trompé dans ses prévisions ; le monothéisme eut la plus grande peine à s'établir solidement parmi les Hébreux. Ainsi nous ne nous efforcerons pas de démontrer le droit que les Hébreux pouvaient avoir sur la terre de Canaan ; nous manquerions d'ailleurs de documents historiques pour établir une discussion à cet égard. Il faut abandonner à l'oubli les interminables dissertations que, dans un intérêt religieux, on a cru devoir écrire sur les droits des Hébreux ; elles sont aussi puériles que les attaques dont les adversaires de la Bible ont accablé Moïse[43].

Quant aux nations établies hors du pays de Canaan, le législateur les divise en plusieurs catégories. Aux Amalécites guerre éternelle, pour avoir attaqué les Hébreux lors de leur sortie d'Égypte[44]. Aux tribus midianites qui avaient attiré les Hébreux au culte voluptueux de Baal-Phéor, guerre d'extermination, que Moïse se chargea de faire exécuter de son vivant[45]. Aux Moabites et aux Ammonites, descendants du neveu d'Abraham, point de guerre agressive, mais aussi point d'alliance, point de rapport amical, parce qu'ils ont refusé de vendre des provisions aux Hébreux errant dans le désert, et que le roi de Moab a fait venir le devin Bileam de l'Euphrate, pour maudire les hébreux[46]. Aux Iduméens, descendants d'Esaü, et frères des Hébreux, oubli des sentiments hostiles qu'ils avaient manifestés à l'égard des Hébreux en leur refusant le passage[47]. Le même oubli à la dureté des Égyptiens, en faveur de l'hospitalité qu'ils accordèrent jadis à la famille de Jacob[48]. Pour tous les autres peuples, Moïse laisse les Hébreux libres de leur faire la guerre ou de conclure des alliances avec eux, suivant les circonstances. En général, la loi de Moïse ne se montre pas favorable aux guerres offensives. Les Hébreux ne devaient jamais devenir un peuple conquérant, et tout au plus ils devaient chercher à s'étendre jusqu'à l'Euphrate, qui pouvait être considéré comme leur limite naturelle à l'est[49]. Moïse défendant expressément les alliances avec les Cananéens de la Palestine, les Amalécites, les Moabites et les Ammonites, il s'ensuit de là qu'il était permis aux Hébreux de s'allier avec toutes les autres nations. En effet, nous verrons David s'allier avec Hamath et Tyr, Salomon avec Tyr et l'Égypte, Asa avec les Syriens, et nous rencontrerons plusieurs autres exemples d'alliances païennes ; plus tard les pieux Maccabées s'allient avec les Romains. Si les prophètes parlent quelquefois contre ces alliances étrangères, c'est uniquement parce qu'ils ne les trouvaient pas avantageuses sous le rapport politique. L exemple des Gabaonites prouve combien les Hébreux étaient religieux observateurs des traités, même à l'égard d'une peuplade cananéenne qui avait su par une ruse obtenir une capitulation[50]. On traitait avec les peuples étrangers par des envoyés extraordinaires[51] ; le caractère des envoyés était sacré aux yeux des Hébreux, comme le prouve la vengeance exercée par David sur les Ammonites qui avaient insulté ses ambassadeurs.

Si, par une circonstance quelconque, les Hébreux se trouvaient dans le cas d'attaquer une ville hors du pays de Canaan, ils devaient commencer par offrir une capitulation. Si la ville se soumettait volontairement, on se contentait de la rendre tributaire ; mais si elle était prise par la force des armes, on tuait tous les hommes qui s'y trouvaient (c'est-à-dire tous ceux qui pouvaient avoir pris les armes) et on emmenait en captivité les femmes et les enfants (Deut., 20, 10-15). Cette loi de la guerre pourrait nous paraître cruelle ; mais elle ne l'était pas au point de vue des peuples anciens. On sait avec quelle cruauté les Romains traitaient les habitants des villes vaincues. On massacrait jusqu'aux femmes, aux enfants et aux vieillards ; les magistrats avaient le corps déchiré par des verges, ce qu'on appelait virgis cædere, ou corpora lacerare virgis. Les personnages les plus distingués parmi les vaincus, et souvent les rois, après avoir servi au triomphe du général romain, étaient froidement assassinés dans le Capitole[52]. Et cependant ces mêmes Romains se plaignaient de la cruauté des Carthaginois, dont les lois de guerre étaient encore bien plus barbares et sans doute analogues a celles des Phéniciens ou Cananéens. On mutilait les prisonniers en leur coupant les pouces et les orteils (Juges, 1, 7), ou en leur crevant les yeux (I Sam. 11, 2) ; on fendait le ventre aux femmes enceintes et on écrasait les nourrissons (II Rois, 8, 12). En face de ces usages barbares le législateur des Hébreux ne pouvait que sa montrer sévère ; on verra même dans la loi du Deutéronome que nous venons de citer un pas en avant pour introduire un droit de guerre plus humain. Nous rappellerons encore que la loi mosaïque désapprouve le ravage inutile du territoire ennemi, et qu'elle ordonne aux assiégeants de laisser intacts les arbres fruitiers (Deut., 20, 19). Mais on reconnaîtra surtout l'humanité du législateur dans ce qu'il ordonne à l'égard de la femme captive : Si le soldat hébreu désirait posséder une captive, il ne le pouvait qu'après certaines formalités et après lui avoir permis de pleurer ses parents pendant un mois. Alors seulement il pouvait la considérer comme sa femme ; mais si ensuite elle ne lui plaisait plus, il ne devait pas la traiter en esclave, mais la rendre à la liberté.

Il nous reste à jeter un coup d'œil sur l'organisation militaire introduite par la loi mosaïque. A l'exception des lévites, tous les Hébreux étaient soumis au service militaire depuis l'âge de vingt ans (Nombres, 1, 3 ; 26, 2), et, selon Josèphe, jusqu'à celui de cinquante ans[53] ; cependant, ayant égard à l'agriculture et aux intérêts privés, la loi admettait les exemptions suivantes : celui qui avait bâti une maison et ne l'avait pas encore habitée ; celui qui avait fait une plantation, dont il n'avait pu encore recueillir les premiers fruits ; celui qui s'était fiancé ou qui était encore, dans la première année de son mariage (Deut., 20, 5-7 ; 24, 5). Au reste, les levées en masse n'avaient lieu que dans les circonstances extraordinaires ; ainsi tout le monde était appelé aux armes pour la guerre cananéenne, et les tribus déjà établies devaient aider celles dont les possessions n'étaient pas encore conquises (Nomb. 32, 21). Pour les entreprises d'une moindre importance, on levait un certain contingent de chaque tribu (ib. 31, 4), mais la loi ne nous dit pas quelle était la règle qu'on suivait dans ce cas ; probablement on tirait au sort (Juges, 20, 10). Du temps ale Moïse, et jusqu'à l'époque de David et de Salomon, l'armée n'était encore qu'imparfaitement organisée et ne se composait que de fantassins (Nomb. 11, 21). Elle était divisée en bandes de mille et de cent hommes dont chacune avait son chef (ib. 31, 14). Les hommes d'une même tribu marchaient ensemble sous le même drapeau (ib. 1, 52 ; 2, 2). Le commandement suprême appartenait au chef de la république (ib. 27, 16 et 17), qui formait avec les douze chefs de tribus le conseil de guerre (Jos. 9, 15). Dans des affaires moins graves le commandement pouvait être confié à une autre personne ; ainsi, par exemple, Moise, dans la guerre contre les Midianites, donne le commandement au prêtre Pinehas. L'ouverture de la guerre s'annonçait au son des trompettes (Nomb. 10,9). Avant l'entrée en campagne, un prêtre devait prononcer un discours pour encourager les troupes et pour leur promettre le secours de la Divinité (Deut., 20,3). Ensuite les Schoterim faisaient une proclamation pour faire retirer ceux qui pouvaient avoir droit à l'exemption, et ils engageaient aussi ceux qui ne se sentaient pas le courage d'aborder le combat à se retirer du camp et à rentrer dans leurs foyers, de peur que les autres ne fussent découragés par eux (ib. v. 8). Quelques dispositions que donne le Deutéronome (23,10-15) sur la police des troupes, montrent que la propreté et les bonnes mœurs devaient régner dans le camp des Hébreux. Quant au butin de guerre, s'il faut en juger par ce que Moïse ordonna dans la guerre des Midianites (Nomb. 31,26, etc.), on le divisait en deux portions ; une moitié appartenait aux troupes, en déduisant un sur 500 pour les prêtres ; l'autre moitié appartenait à la nation, qui en donnait la cinquantième partie aux lévites. Cependant le butin des villes frappées d'anathème et notamment des villes cananéennes[54] était voué à la destruction, le métal seul était employé au profit du temple (Jos. 6, 24).

Nous avons déjà montré que les combats n'étaient pas interrompus le jour de sabbat ; mais il paraîtrait résulter d'un passage de l'Exode (34,24) qu'il y avait trêve pour les trois grandes fêtes[55].

Nous avons recueilli ici le petit nombre de dispositions légales que nous offre le Pentateuque sur les troupes et les guerres des Hébreux. Quelques autres détails sur le même sujet trouveront place dans les Antiquités hébraïques.

 

II. DROIT CIVIL.

Nous ne saurions ici entrer dans les détails de toutes les lois civiles que renferme le Pentateuque et qui, en partie, sont fondées sur d'anciennes coutumes, comme, par exemple l'achat des femmes, le lévirat, le droit d'aînesse ; mais nous devons faire connaître tout ce que la loi mosaïque offre de caractéristique dans les rapports mutuels qu'elle établit entre les citoyens. Nous parlerons de la constitution de la famille, de quelques obligations civiles résultant des rapports quotidiens et de certaines institutions de police.

A. La famille.

La grande question dans la constitution de la famille, c'est le mariage. Nous devons donc considérer tout d'abord quelle est, selon la loi mosaïque, la position de la femme et quels sont les liens qui l'attachent a l'homme. Déjà dans le mythe qui parle de la création de la femme (Gen. 2, 20-24) nous reconnaissons la tendance de lui faire une position bien plus élevée que celle qu'elle occupait généralement chez les peuples de l'Orient, excepté peut-être chez les Égyptiens[56] et chez les Indous[57]. Selon la tradition mosaïque, la femme est une portion de l'homme, créée pour être son aide, et entièrement semblable à lui. L'auteur de la Genèse cherche même à établir l'égalité de l'homme et de la femme par une observation étymologique : en hébreu, la femme est appelée Ischah, parce qu'elle fut prise du Isch (homme). Toute la tradition n'a pu se former que chez un peuple où la femme jouissait de beaucoup d'indépendance et où l'on reconnaissait sa dignité relativement à l'homme, ce dont toute l'antiquité hébraïque rend les plus éclatants témoignages. La liberté dont nous voyons la femme hébraïque jouir, avant et après le mariage, fait un contraste frappant avec la séquestration de la femme dans l'Orient moderne. Nous rappellerons les femmes qui, conduites par Miriam, sœur de Moïse, célèbrent publiquement par des chants et des danses la miraculeuse sortie d'Égypte (Exode, 15, 20) ; les femmes pieuses qui se livraient habituellement à des actes de dévotion à l'entrée du Tabernacle (ib. 38, 8) ; les filles de Siloh qui dansaient dans les vignes, n'ayant d'autres gardiens que leur innocence, et que les jeunes gens pouvaient librement aborder (Juges, 21, 21) ; les femmes de toutes les villes d'Israël, qui, après la victoire remportée par David sur les Philistins, sortent au-devant du roi Saül, et, en le complimentant par des chants et des danses, savent mettre dans leurs paroles une ironie qui devient la première source de la jalousie de Saül et de son inimitié contre David (I Sam. 18, 6-8). Nous voyons quelquefois des femmes arriver aux plus hautes dignités. Deborah, fers-me inspirée ou prophétesse, a su se placer à la tête de la république ; c'est elle qui encourage Barak à aller combattre Sisera et elle le suit au combat (Juges, ch. 4). C'est, grâces au rôle indépendant que jouent les femmes chez les Hébreux, qu'Athalie peut exercer sa tyrannie pendant six années. Plus tard, sous le roi Josias, la prophétesse Hulda jouit d'une telle considération, que le grand prêtre Hilkia et les grands dignitaires de la couronne vont lui demander des conseils (II Rois, 22,14). Dans toutes les classes de la société hébraïque, la femme mariée conserve un haut degré d'indépendance à côté de son mari. La femme de Manoé, mère de Simon, se rend seule dans les champs, et son mari est absent (Juges, 13, 9) ; Abigaïl, femme du riche Nabal, avertie par un serviteur du danger qui menace son mari qui a offensé David, part, sans rien dire à son mari, pour aller conjurer l'orage (I Sam. 25, 14-37). La princesse Michal, voyant un jour son époux, le roi David, s'abandonner à de trop vives démonstrations de joie et danser parmi le peuple, ne craint pas de venir lui adresser de graves reproches (II Sam. 6, 20). La femme de la ville de Sunem qui offrait souvent l'hospitalité au prophète Élisa, part avec un serviteur pour aller voir le prophète, et, quand son mari lui demande le motif de son voyage, elle refuse de répondre (II Rois, 4, 22-24). Tous ces exemples prouvent que l'indépendance de la femme avait de profondes racines dans les mœurs des Hébreux, basées sur les traditions patriarcales. Le récit poétique de la Genèse exprime un sentiment qui était général chez les Hébreux, et le législateur n'avait pas besoin d'insister sur ce point. Cette position de la femme parait exclure la polygamie, qui, en effet, ne se rencontre chez les Hébreux que par exception, tandis que la monogamie était la règle générale. Qu'on se rappelle ces paroles de la Genèse (2, 24) : Que l'homme abandonne son père et sa mère et s'attache à sa femme, et qu'ils deviennent une seule chair ; qu'on lise la belle description de la femme forte à la fin du livre des Proverbes et beaucoup d'autres passages de la même nature[58], et on restera convaincu qu'un peuple qui avait de tels adages n'a pu reconnaître pour état normal la polygamie et la vie oisive et immorale des harems. Plusieurs lois du Pentateuque paraissent également supposer la monogamie comme la règle commune[59]. Si plusieurs rois, et notamment Salomon, ont donné l'exemple de la polygamie et ont tenu des harems, ils se sont mis en opposition flagrante avec les mœurs de la nation et avec la loi positive (Deutéronome, 17, 17). Nous ne nions pas cependant que quelques lois de Moïse supposent la bigamie comme une chose légitime[60] et que la polygamie elle-même n'est nulle part directement défendue. Mais si l'on réfléchit que, dans l'idée d'un Hébreu, c'était le plus grand malheur que de n'avoir pas d'enfants, que l'Hébreu vivait eu quelque sorte dans l'avenir et que l'amour de la postérité réglait en grande partie sa conduite dans le présent, on ne s'étonnera pas que la loi lui ait laissé la faculté d'avoir recours à un second mariage, lorsque le premier est resté stérile. Tel pouvait être le but moral de la tolérance de la loi mosaïque ; la nécessité physique de la polygamie qu'on a supposé quelquefois aux Orientaux ne nous paraît pas suffisamment démontrée. Selon les rabbins, il aurait été loisible à un Hébreu d'épouser jusqu'à quatre femmes ; mais c'est là une simple supposition qui ne s'appuie sur aucun texte de la loi[61]. Ce qui est certain, c'est que la loi mosaïque renferme plusieurs dispositions qui devaient opposer de grands obstacles à l'envahissement de la polygamie. Aucune des femmes qu'un Hébreu avait épousée, fût-ce même une esclave, ne pouvait être considérée comme simple servante, ou comme un simple objet de luxe ; elles avaient toutes des droits égaux (Exode, 21, 10), et elles devenaient une grande charge dans un pays où tout le monde était cultivateur et où personne ne pouvait amasser de grandes richesses[62]. Les lois de pureté (Lév. 15, 18), combinées avec les devoirs conjugaux, devenaient également une grande gêne pour un homme qui avait plusieurs femmes. L'établissement des harems était très-difficile dans une société qui proscrivait les eunuques (Deut. 23, 2), et les princes qui, contrairement à la loi de Moïse, avaient des harems bien fournis, étaient obligés de faire venir leurs gardiens de l'étranger[63]. Nous observerons enfin que le législateur des Hébreux ne favorise pas beaucoup les mariages avec des femmes étrangères, et que dans un pays où le désir d'avoir des héritiers devait porter chacun à prendre une femme[64], il n'était guère permis à personne d'en avoir, plusieurs ; car ce n'est que par erreur qu'on a pu soutenir qu'en Orient il naît beaucoup plus de filles que de garçons[65].

Dans un pays où tous les citoyens considèrent le mariage comme un devoir, et où, dans certains cas, les mœurs et la loi permettent de prendre une seconde femme, les pères placeront facilement leurs filles sans les doter, et ils pourront même en réclamer un certain prix. Aussi les Hébreux avaient-ils conservé l'usage des temps des patriarches de payer au père le prix de la fille (Gen. 29, 18 ; 34, 12), et cet usage est mentionné dans la loi (Exode, 22, 16)[66]. Le prix, appelé mohar, variait, sans doute, selon les circonstances. La loi ne fixe que le prix de la jeune tille qui avait été séduite ; le séducteur, forcé de l'épouser, payait un mohar de cinquante sicles (Deut. 22, 29). La demande en mariage se faisait par les parents du jeune homme (Juges, 14, 2) ; la convention faite et le mohar payé, les jeunes gens étaient considérés comme légalement mariés (Deut. 22, 23), quoique la célébration du mariage n'eût lieu que plus tard, et que la fiancée restât encore chez ses parents. De là s'explique la peine de mort décrétée par la loi contre la jeune fille qui n'était pas trouvée vierge (Ib. v. 20 et 21). Nous croyons, avec les rabbins, qu'il s'agit d'une personne convaincue d'avoir commis l'adultère entre les fiançailles et le mariage. Quant aux cérémonies du mariage, elles n'étaient fixées par aucune disposition légale, et elles restaient abandonnées aux usages de chaque époque. Nous y reviendrons en partant des antiquités.

Les mariages entre proches parents étaient sévèrement défendus ; la loi les appelle des abominations par lesquelles les Cananéens avaient souillé le pays. Elle défend à l'Hébreu d'épouser sa mère, sa belle-mère, sa fille, sa petite-fille, sa sœur (du père ou de la mère), la veuve de son père, de son fils et de son petit-fils, la fille et la petite-fille de sa femme, la sœur de sa femme, pendant que cette dernière vivait encore, la veuve de son frère (si celui-ci avait laissé des enfants), sa tante paternelle ou maternelle, et la veuve de son oncle : le mariage avec la nièce était permis[67]. Les unions illégitimes entre les parents de ces différents degrés étaient punies quelquefois du retranchement[68] et quelquefois de la peine capitale ; l'union avec la belle-sœur ou la tante n'est menacée que d'une punition du ciel (Lév. 20, 20 et 21). La loi fie porte aucune autre restriction au libre choix de l'épouse, à l'exception de certaines unions défendues aux prêtres et dont nous avons déjà parlé. L'Hébreu pouvait même épouser une païenne (Deut. 21, 11), pourvu qu'elle ne fût pas Cananéenne (Deut. 7, 3), et qu'elle renonçât au culte des idoles[69]. La fille israélite, fût-elle même d'une famille sacerdotale (Lév. 22, 12), pouvait choisir son époux dans toutes les tribus d'Israël, excepté si elle était héritière ; dans ce cas elle ne pouvait se marier qu'avec un homme de sa tribu, afin que la propriété qu'elle possédait restât dans la tribu et que l'équilibre ne fût pas dérangé (Nomb. 36, 6-9).

Conformément à une ancienne coutume, qui remonte au temps des patriarches (Gen. 38, 8), la loi veut que, lorsqu'un homme meurt sans laisser aucun enfant, son frère en épouse la veuve, et que le premier fils qui naîtra de cette union soit considéré, sous tous les rapports, comme celui du défunt, afin que le nom de celui-ci ne soit pas effacé d'Israël[70]. Toutefois le frère pouvait se refuser à l'accomplissement de ce pieux devoir ; mais alors il devait se soumettre à une formalité humiliante. Sa belle-sœur le citait devant le tribunal des Anciens ; là il devait déclarer qu'il refusait de prendre pour femme la veuve de son frère ; celle-ci lui tirait sa sandale du pied et crachait devant lui, et il conservait le sobriquet de déchaussé (Deut., 25, 5-10). Après cette cérémonie la veuve était libre de se remarier. La loi ne nous dit pas quel était l'usage suivi dans le cas où il y avait plusieurs frères ; c'était probablement à l'aîné d'accomplir le devoir envers la veuve, et s'il s'y refusait, un des autres frères pouvait le remplacer. Le grand prêtre, qui ne pouvait se marier qu'avec une-vierge, était nécessairement exempté de cette loi.

La femme libre, légalement convaincue d'adultère, était punie de mort, ainsi que son complice (Lév. 20, 10) ; mais l'esclave, mariée sans être affranchie, n'était punie en cas d'infidélité que d'un châtiment corporel, et son complice eu était quitte pour offrir un sacrifice de délit (Ib. 19, 20-22)[71], car son action était considérée comme un péché et non comme un crime social. Au reste, comme il fallait deux témoins qui eussent pris les coupables en flagrant délit, la peine de l'adultère ne pouvait être appliquée que très-rarement. Ordinairement le mari qui se croyait trompé, devait se contenter de faire passer sa femme par l'épreuve prescrite par le législateur pour intimider la femme qui pouvait avoir des fautes à se reprocher, et pour calmer la fureur jalouse du mari. Celui-ci, tourmenté par des soupçons et n'ayant aucune preuve, doit conduire sa femme au sanctuaire avec une offrande de farine d'orge. Le prêtre prend de l'eau sainte (du bassin d'airain) dans un vase de terre, et y mêle de la poussière du pavé du sanctuaire. La femme, la tête découverte, tient dans sa main l'offrande ; le prêtre tenant la coupe d'eau que la femme devra vider, adjure celle-ci en lui disant : Si tu es innocente, sois exempte de la malédiction que renferment ces eaux amères ; mais si tu es coupable, que Dieu te fasse devenir un sujet d'imprécation au milieu de ton peuple, en faisant tomber ta hanche et enfler ton ventre, et la femme répond amen ! amen ! Ensuite le prêtre écrit la formule d'imprécation sur un parchemin et l'efface dans l'eau fatale qu'il donne à boire à la femme, après avoir agité l'offrande de farine d'orge et l'avoir offerte sur l'autel[72]. L'impression que devait laisser cette cérémonie devenait un châtiment terrible pour la femme qui se sentait coupable ; la femme innocente regagnait par là le repos, car son mari devait être tranquillisé par cet appel au jugement de Dieu.

Le divorce, moralement désapprouvé par les paroles de la Genèse (2, 24), est cependant permis sous le point de vue du droit, lorsque le mari ne se plaît plus avec sa femme, ayant trouvé en elle quelque chose de honteux (Deutéronome, 24, 1). Il résulte clairement des paroles du texte que le mari était seul juge des défauts qu'il pouvait avoir découverts dans sa femme, et qu'il lui était loisible de la répudier, sans avoir besoin pour cela d'une décision juridique[73]. Il est clair aussi que Moïse ne fait que régler un droit déjà existant, que les Hébreux, comme les anciens Arabes, exerçaient probablement avec une grande légèreté[74]. Le législateur y met des conditions qui devaient rendre le divorce moins facile : Il faut, pour répudier sa femme, lui donner une lettre de divorce, et, comme l'art d'écrire n'était pas alors très-répandu parmi les Hébreux, le mari était obligé de s'adresser à un lévite ou à quelque autre érudit ; il lui fallait aussi des témoins pour signer l'acte. Toutes ces formalités l'empêchaient d'agir dans un premier accès de colère, et les personnes étrangères qui devaient nécessairement intervenir, pouvaient essayer de réconcilier les époux. Après le divorce accompli, le mari avait encore la faculté d'épouser de nouveau la femme qu'il avait répudiée ; mais si celle-ci s'était remariée avec un autre et était redevenue libre par un second divorce ou par la mort du second mari, le premier mari ne pouvait plus la reprendre, parce que, dit la loi, elle a été souillée, et qu'un tel mariage serait une abomination devant Jéhova (Ib. v. 4)[75]. La loi ne renferme aucune disposition en faveur de la femme divorcée ; il va sans dire que, si elle avait apporté à son mari quelque bien personnel, elle le reprenait après la séparation ; mais, si elle n'avait rien, sa position devenait très-précaire et elle devait dépendre alors de la générosité de sa famille. Le législateur comptait probablement sur la facilité qu'aurait une telle femme de trouver un second mari, dans un pays où les femmes étaient recherchées ; aussi quand le mari, par sa conduite, avait ôté à sa femme tout espoir de trouver à se remarier, le divorce était absolument interdit. Ainsi l'homme qui avait été forcé d'épouser une jeune fille qu'il avait séduite, et celui qui, après la noce, avait calomnié l'innocence de sa jeune épouse, étaient privés à tout jamais du droit de divorcer (Deut. 22, v. 19 et 29).

Nous arrivons aux rapports que la loi établit entre les parents et les enfants et à leurs devoirs réciproques. Le respect dû aux père et mère est une des lois fondamentales des Hébreux et forme un des dix commandements. Malheur à celui qui aurait violé cette loi ! L'enfant qui se portait à des voies de fait contre ses parents, qui refusait de leur obéir, ou qui prononçait une malédiction contre eux, était puni de mort[76]. Le père surtout, comme chef de famille, exerçait un pouvoir très-étendu sur ses fils, même quand ils étaient majeurs et mariés, sur les femmes et les enfants de ses fils, et sur ses filles non mariées ; les vœux prononcés par ces dernières, sans le consentement du père étaient nuls comme ceux que la femme prononçait sans le consentement du mari (Nomb., ch. 30). Les filles pouvaient même être vendues comme esclaves (c'est-à-dire louées pour un certain temps) par leur père (Exode, 21, 7). A l'époque des patriarches, les pères de famille avaient eu le droit de juger les membres de la famille et de décréter même la peine de mort contre eux (Gen. 38, 24). La loi de Moïse enlève aux pères ce droit absolu et les oblige de faire Juger leurs enfants par les tribunaux (Deut. 21, 19). Le législateur n'entre pas dans les détails de l'éducation ; il exige seulement, dans l'intérêt de la religion et de la constitution, que les enfants mâles, destinés à devenir à leur tour chefs de famille et qui, dès le huitième jour après leur naissance, devaient entrer par la circoncision dans l'alliance divine (Lév. 12, 3), soient instruits dans la loi et connaissent les détails de la sortie d'Égypte et de tout ce que Dieu avait fait en faveur du peuple hébreu[77]. Pour le reste, l'éducation des enfants des deux sexes n'était enchaînée par aucune loi ; tout devait dépendre des sentiments des parents et des usages du temps ; nous y reviendrons dans un autre endroit.

Le pouvoir paternel cessait pour les filles au moment de leur mariage ; mais pour les fils il devait durer jusqu'à la mort du père, car les fils n'ayant pas encore de propriété territoriale à eux, continuaient, même après leur mariage, à travailler pour le compte du père et à être nourris par lui, excepté peut-être quand un fils avait épousé une héritière et avait acquis une propriété. Malgré les rapports qui ne cessaient d'exister entre le père et le fils, l'un ne pouvait être rendu responsable des crimes de l'autre (Deutéronome, 24, 16). Il paraîtrait que plus tard les créanciers des parents avaient le droit de réclamer les services des enfants (II Rois, 4, 1) ; mais il ne se trouve pas de trace de ce droit dans les lois mosaïques.

Selon les coutumes patriarcales, l'aîné des fils exerçait une certaine autorité sur ses frères et jouissait de certains privilèges[78] ; la dignité de Zaken ou Ancien passait sans doute d'aîné en aîné. Moïse ne porte aucune atteinte directe à cette coutume patriarcale ; mais il ne consacre légalement que le droit du fils aîné de prendre deux portions dans l'héritage du père, et encore fallait-il que cet aîné fût le commencement de la force du père, comme s'exprime le Deutéronome (21, 17), c'est-à-dire qu'il fût son enfant premier né[79] ; d'où il résulte que si l'aîné des fils avait été précédé d'une fille, il ne jouissait d'aucun privilège par rapport à l'héritage. La même loi défend de transporter arbitrairement ce droit du premier-né sur le fils d'une femme préférée, ce qui est une censure directe contre le patriarche Jacob qui avait accordé le double héritage à Joseph, premier-né de Rachel[80]. On voit du reste que ce droit n'a rien de commun avec ce qu'on a appelé droit d'aînesse dans les temps modernes.

Les fils concourent seuls légalement pour le partage des biens que le père a laissés en mourant ; les filles n'héritent que lorsqu'il n'y a pas de fils, mais on a déjà vu qu'elles étaient obligées alors de se marier dans leur tribu[81]. Quand un homme n'avait laissé ni fils ni filles, son héritage passait à ses frères[82], et, à défaut de frères, aux oncles paternels, et ainsi de suite aux plus proches parents du côté du père (Nomb. 27, 8-11). La loi ne parle pas des fils naturels, qui, à ce qu'il paraît, n'avaient aucune position légale ; nous voyons du moins par l'exemple de Jephthé, expulsé avec l'autorisation des Anciens (Juges, 11, 2-7), que les fils naturels étaient légalement exclus de la succession. Reste à savoir si les lois de succession dont nous venons de parler étaient absolues, ou s'il était permis à un Hébreu qui avait des fils, de disposer par testament en faveur de ses filles ou d'autres parents. Le texte de la loi ne parle nulle part des testaments ; mais il est certain que plus tard ils étaient admis et qu'un père riche pouvait accorder une partie de ses biens non-seulement à ses filles[83], mais aussi aux esclaves qui l'avaient fidèlement servi (Prov. 17, 2).

La loi ne fixe rien à l'égard de l'entretien des filles non mariées et des veuves. Quant aux premières, le droit traditionnel supplée au silence du législateur ; il veut que les orphelines soient nourries et établies par leurs frères, quand même ceux-ci n'auraient rien hérité et qu'ils seraient obligés de mendier[84]. Pour ce qui concerne la veuve, le législateur n'avait pas besoin de la recommander à la piété filiale ; si elle n'avait pas d'enfants, elle retournait dans sa famille (Lév. 22, 13), et elle pouvait au besoin réclamer sa part des dîmes et des autres bénéfices de la charité publique[85]. Elle était d'ailleurs recommandée à des égards particuliers (Exode, 22, 21) ; aucun des objets appartenant à une veuve ne pouvait être saisi pour dettes (Deut. 24,17).

Il me reste à parler d'un élément essentiel de la famille hébraïque, je veux dire les esclaves. Le principe de l'esclavage est reçu par Moise comme un fait qui avait des racines trop profondes dans les mœurs du temps pour qu'un législateur eût pu l'attaquer directement. Près de douze siècles plus tard, les deux plus grands philosophes du pays le plus civilisé trouvent ce principe tellement naturel qu'ils n'ont pas un seul mot énergique pour le désapprouver. Platon n'a pas seulement daigné le discuter, et Aristote soutient qu'il y a des classes d'hommes que la nature a créées pour être esclaves[86]. Pour l'esclave, dit-il, il ne peut être question d'amitié et de droit ; il est un instrument vivant[87]. Moïse, ne pouvant abolir l'esclavage, tâcha du moins de fixer la position des esclaves par des lois toutes en leur faveur et qui révèlent l'humanité du législateur et sa sympathie pour une classe malheureuse. Les esclaves étaient de deux espèces : hébreux ou étrangers. Les premiers ne sont pas des esclaves proprement dits ; ils doivent être considérés comme des serviteurs à gages (Lév. 25, v. 40 et 53) qui consentent à faire le sacrifice de leur liberté pour un temps limité pendant lequel ils offrent à leur maître le double des avantages qu'il aurait pu retirer d'un simple journalier (Deut. 15, 18) ; de son côté, l'esclave a l'avantage d'être payé d'avance pour tout le temps du service. Ce temps ne peut dépasser six ans, à moins que l'esclave ne se plaise tellement la dans maison de son maître qu'il témoigne le désir d'y rester ; alors il se présente avec son maître devant les magistrats pour prendre un engagement solennel devant Dieu ; le maître lui perce, avec un poinçon, le bout de l'oreille, et par cette marque de servitude[88] il l'acquiert de nouveau jusqu'au jubilé, époque du rétablissement général de la liberté et de l'égalité[89]. En renvoyant son esclave au bout des six années légales, le maître doit lui donner un riche cadeau en menu bétail et en fruits de toute espèce (ib. v. 14) ; si, pendant son service, l'esclave hébreu a consenti à se marier avec une des esclaves (étrangères) de la maison de son maître, sa femme et ses enfants ne peuvent partager avec lui le bénéfice de la liberté. Si un Hébreu est entré comme esclave au service d'un étranger établi en Palestine, il a le droit de se racheter lui-même ou d'être racheté par un de ses proches parents sans attendre l'écoulement des six années légales ou l'arrivée du jubilé (Lév. 25, 47-55). — En général, l'Hébreu ne pouvait devenir esclave que de deux manières : ou en se vendant lui-même pour cause de pauvreté (Lév. 25, 39), ou en étant vendu judiciairement pour vol, lorsqu'il était trop pauvre pour payer l'amende imposée aux voleurs (Exode, 22, 2). Voler un homme libre pour le traiter en esclave ou pour le vendre, était un crime qui entraînait la peine capitale (ib. 21,16 ; Deut. 24,7). Nous avons déjà dit que le père avait le droit de vendre sa fille ; on voit maintenant que ce droit se réduit à celui de placer sa fille comme domestique pour six ans[90]. Pour adoucir une position qui ne pouvait être que le résultat d'un cruel besoin, et pour garantir la jeune fille des dangers qui menaçaient son innocence, le législateur recommande au maître de lui donner le droit d'épouse ou d'aider lui-même à la faire racheter ; si le fils du maître en a fait sa maîtresse, elle doit être traitée comme une fille véritable et conserver tous ses droits d'épouse légitime, si le fils veut prendre une autre femme à côté d'elle (Ex. 21,7-11).

Pour l'esclave étranger les lois étaient moins paternelles, mais également pleines de bienveillance. Les étrangers ne pouvaient devenir la propriété des Hébreux que par une acquisition légale[91], ou en étant faits prisonniers de guerre[92]. On a déjà vu que l'esclave qui s'était enfui d'un pays étranger devenait homme libre en touchant le sol des Hébreux. Le prix moyen d'un esclave était de trente sicles (Ex. 21, 32) ; mais ce prix variait selon l'âge et le sexe, et se réglait probablement sur celui que la loi fixe pour les individus dont on avait fait vœu de payer la valeur au sanctuaire (Lév. 27, 2-7). Moïse défend sévèrement de traiter les esclaves avec dureté : si le maître frappe son esclave de manière à lui mutiler quelque membre, par exemple, s'il lui casse seulement une dent, il est obligé de le rendre libre immédiatement (Ex. 21, v. 26, 27) ; si l'esclave meurt sous les coups du maître, il sera vengé (Ib. v. 20), c'est-à-dire le maître sera puni selon la gravité des circonstances ; selon le droit traditionnel, il pourra même être puni de mort, et tel paraît être, en effet, le sens des mots il sera vengé[93]. En outre Moïse accorde aux esclaves plusieurs bénéfices : ils prenaient part au repos du sabbat (Ex. 20, 10), institué, en partie, en leur faveur (Deut. 5, 14) ; ils pouvaient, comme les pauvres de toutes les classes, s'approprier les produits spontanés des terres pendant l'année sabbatique (Lév. 25, 6) ; ils partageaient les repas des dîmes, etc. (Deut. 12, 18) et les joies des fêtes (Ib. 16, 11 et 14). L'esclave qui s'était soumis à la circoncision partageait le repas solennel de l'agneau pascal avec les autres membres de la famille (Ex. 12, 44). Quel contraste entre ces lois pleines d'humanité et le traitement barbare que subissaient les esclaves chez les Grecs et les Romains et naguère encore dans les colonies ! Chez les Hébreux les esclaves supérieurs qui dirigeaient les travaux des autres devenaient souvent les amis intimes du maître et les gérants de tous ses biens, et ils pouvaient espérer même devenir ses héritiers, comme nous le voyons déjà dans l'histoire d'Abraham qui, avant d'avoir des enfants, avait destiné tous ses biens à son esclave Eliézer (Gen. 15, 3). Dans le 1er livre des Chroniques (2, 24) on parle d'un esclave égyptien qui épousa la fille de son maître ; celui-ci, n'ayant pas de fils, l'esclave devenu son gendre continua sa ligne généalogique.

Nous devons ajouter qu'en général, chez les anciens peuples de l'Orient, les esclaves étaient bien moins malheureux qu'au milieu de la civilisation grecque et romaine, Les Arabes bédouins ont conservé, sous ce rapport, les mœurs douces de leurs ancêtres[94].

B. Obligations civiles.

Pour les relations d'intérêt, Moïse ne se contente pas de recommander la plus grande probité[95] ; souvent il place les intérêts mutuels des citoyens sous la sauvegarde de la charité et d'un désintéressement fraternel. Ses prescriptions, à cet égard, sont toutes en harmonie avec la constitution et s'adaptent bien à une société basée sur l'agriculture et où le commerce n'est nullement en faveur. Les lois dont nous voulons parler ici se rapportent principalement aux prêts, aux dommages causés à autrui, à l'abus de confiance, aux pauvres qui travaillaient comme mercenaires, ou qui avaient des droits à la bienfaisance publique.

Là où il n'y a pas de commerce et où chacun possède sa propriété, les emprunts en argent ou en nature ne se feront que pour subvenir aux besoins matériels, soit que le propriétaire ait subi des sinistres ou que son revenu ne suffise pas à une famille devenue trop nombreuse. C'est pourquoi Moïse recommande les prêts comme une aumône (Deutéronome, 15, 7 et 8), et il défend à l'Hébreu de prendre de son concitoyen des intérêts en argent ou en nature[96]. L'homme aisé, ne pouvant retirer aucun fruit de ses prêts, ne spéculera pas sur son aisance, et continuera à s'occuper de l'agriculture ; mais, d'un autre côté, il refusera de prêter, si son capital n'est pas au moins suffisamment garanti. Il trouvera cette garantie dans la propriété du débiteur qui pourra, au besoin, être vendu lui-même ou plutôt loué jusqu'au jubilé, si toutefois son bien ne rapporte pas assez pour qu'il puisse employer chaque aunée une partie de ses revenus au payement de sa dette. Il est vrai que Moïse ne parle pas positivement de ce droit du créancier par lequel le débiteur pourra être forcé à la fin de se louer comme esclave ; mais il l'indique suffisamment dans les lois qu'il prescrit pour les ventes forcées des propriétés et des personnes (Lév. 25, 25 et 39) et dont nous avons déjà parlé. Quels que soient les inconvénients de ce système, il laisse au moins au malheureux débiteur, ou à sa famille, la certitude de rentrer dans ses biens au plus tard à l'année jubilaire. On pouvait aussi prendre en gage des meubles et autres effets, notamment pour les petits prêts ; mais il était défendu au créancier d'aller lui-même choisir le gage au domicile du débiteur. Si celui-ci n'a autre chose à engager que la couverture dont il se sert la nuit, le créancier est obligé de la lui rendre chaque soir[97]. Les objets de première nécessité, tels que le moulin à bras et autres choses semblables, ne peuvent être pris comme gage (Deutéronome, 24, 6). Dans aucun cas le payement d'une dette ne pouvait être réclamé pendant l'année sabbatique, où le propriétaire n'avait pas de revenu (Deutéronome, 15, 1-3)[98].

Toutes ces lois ont évidemment pour but de borner l'industrie des Hébreux à l'agriculture, et à quelques métiers de première nécessité, et à rendre impossibles les entrepris es de commerce. Elles ont dû être négligées plus tard, lorsque, contre les intentions du législateur, l'industrie et le commerce avaient pris quelque essor. Il fallait alors ou violer les lois ou inventer toute sorte de moyens pour les éluder[99]. Dans toutes les circonstances, ces lois ont dû avoir de graves inconvénients ; à la vérité, elles inspirèrent aux Hébreux une profonde horreur pour l'usure[100] ; mais, d'un autre côté, elles exposèrent trop souvent les débiteurs à l'extrême dureté des créanciers, auxquels elles n'offraient pas de garanties suffisantes[101].

Dans les lois concernant les dommages causés à autrui nous reconnaissons également un législateur toujours préoccupé des intérêts agricoles : si des troupeaux vont paître dans une propriété étrangère, si un champ est ravagé par un incendie, si des bestiaux tombent dans une fosse, ou sont tués d'autre manière, on en rendra toujours responsable celui qui peut être considéré comme la cause des dommages, et il paiera les dégâts avec la meilleure partie de son champ et de sa vigne[102]. Mais il sera permis, en passant dans la propriété d'autrui, de cueillir des fruits avec la main, autant qu'on en voudra manger immédiatement, pourvu qu'on n'en colporte rien[103].

Celui qui se charge d'un dépôt, fût-ce même sans rétribution, doit y veiller avec soin. Si l'objet confié a disparu par quelque accident malheureux qui n'a pu être prévu ni empêché, le dépositaire sera obligé d'en produire la preuve légale ou d'affirmer par serinent qu'il n'a pas touché au dépôt. En cas de vol commis chez le dépositaire, celui-ci est responsable, si l'objet déposé est un animal, mais non pas si c'est une chose inanimée qui ne demande pas de soin et qu'on n a pas toujours sous les yeux. Découvre-t-on que le dépositaire n'a pas dit la vérité et qu'il s'est rendu coupable d'un abus de confiance, il sera condamné, comme un voleur, à payer la double valeur de l'objet soustrait (Exode, 22, 6-12).

Trouve-t-on sur son chemin un objet quelconque, il faut le garder avec soin, jusqu'à ce qu'on puisse découvrir celui qui l'a perdu, Le législateur recommande surtout les animaux domestiques qui se seraient égarés ; celui qui les trouve doit les recueillir dans sa maison et en avoir soin jusqu'à ce qu'ils soient réclamés, sauf à se faire rembourser les frais. S'il en connaît le propriétaire, son ennemi, il doit les lui ramener sur-le-champ celui qui est soupçonné d'avoir trouvé une chose perdue et qui le nie, doit prêter serment[104].

La probité et la bienveillance doivent présider aux rapports du maître et de l'ouvrier mercenaire, indigène ou étranger. On doit payer l'ouvrier chaque jour avant le coucher du soleil ; attendre jusqu'au lendemain serait un grave péché. Les produits spontanés de l'année sabbatique doivent aussi profiter à la classe ouvrière[105].

Les pauvres, en général, avaient certains droits qui devaient les garantir contre un dénuement complet. Outre un grand nombre de préceptes moraux qui recommandent les pauvres à la bienfaisance et à u ne protection spéciale, la loi leur assurait certains revenus qui ne pouvaient leur être refusés. Le propriétaire ne pouvait récolter ce qui croissait sur la limite de son champ, de sa vigne, de son plant d'oliviers, etc., ni revenir sur les endroits où la faux, la serpe et le bâton avaient passé sans tout enlever, ni ramasser ce qui était tombé çà et là, ni faire chercher une gerbe qui par hasard avait été oubliée dans les champs. Tous ces objets appartenaient de droit aux veuves, aux orphelins et aux pauvres en général, indigènes ou étrangers[106]. Ils pouvaient aussi s'emparer de tout ce qui croissait pendant l'année sabbatique (Lév. 25, 6). Enfin les repas des dîmes étaient institués principalement en leur faveur (Deut. 14, 29). Toutes ces institutions ne permettaient pas que la profonde misère régnât jamais dans une famille hébraïque, surtout si l'on réfléchit que, tous les cinquante ans, ceux qui étaient appauvris rentraient de droit dans leurs anciennes possessions. Aussi la loi mosaïque ne connaît-elle point les mendiants proprement dits ; et, chose bien remarquable, ce mot ne se trouve même nulle part dans l'Ancien Testament[107].

Les préceptes concernant les égards dus aux vieillards (Lév. 19, 32) et aux personnes qui ont quelque infirmité (Ib. v. 14), font plutôt partie de la morale que du droit. Se lever devant une tête grise, ne pas maudire un sourd, ne pas mettre d'obstacle devant un aveugle, sont d'ailleurs des expressions qui renferment en même temps un sens figuré.

C. Police.

En parlant du culte, nous avons déjà fait connaître plusieurs prescriptions de la loi qui, jusqu'à un certain point, peuvent être considérées comme des mesures de police. Nous rappellerons les lois sur la division du temps, sur la diète, la pureté corporelle et l'hygiène, et notamment sur la lèpre. Quelques autres lois qu'on pourrait placer dans la catégorie des règlements de police paraissent avoir pour but de détruire certaines pratiques idolâtres, ou qui portaient atteinte à la morale et aux lois organiques de la nature. Telles sont les lois qui défendent de porter des étoffes mêlées de laine et de lin, de semer ensemble des semences hétérogènes, d'atteler ensemble un bœuf et un âne, d'accoupler des animaux de deux espèces différentes, de porter les vêtements de l'autre sexe[108], de mutiler les parties génitales des hommes et des animaux[109]. D'autres lois ont pour but d'empêcher la cruauté envers les animaux. Ainsi il est défendu d'emmuseler le bœuf qui triture le blé (Deut. 25, 4), d'égorger le même jour la mère et son petit (Lév. 22, 28), de prendre, lorsqu'on trouve un nid d'oiseaux, la mère avec les petits. Ces différentes ordonnances étaient placées sans doute sous la sauvegarde des autorités[110], qui devaient punir les transgresseurs, bien que le texte de la loi ne le dise pas positivement. Il en est de même de quelques autres ordonnances qui sont plus particulièrement du ressort de la police : les autorités devaient veiller à ce qu'il ne se commît aucune fraude dans les poids et les mesures, ce que la loi appelle une abomination à Jéhova (Deut. 25, 13-16) ; à ce que les bornes qui marquaient les limites des champs ne fussent pas déplacées (Ib. 19, 14 ; 27, 17) ; à ce que les maisons fussent en bon état et n'offrissent pas de danger. Ainsi, par exemple, les plates-formes des maisons devaient être entourées de balustrades, pour empêcher qu'il n'arrivât quelque malheur (Ib. 22, 8) ; les maisons atteintes de la lèpre, c'est-à-dire de la carie des murailles, produite par une éruption de salpêtre[111], devaient être visitées avec soin par les hommes de l'art (les prêtres) ; et, s'il n'y avait pas de réparation possible, elles devaient être démolies (Lév. 14, 33-48). Des prescriptions analogues sont données sur la lèpre du cuir et de certaines étoffes (ib. 13, 47-59) ; mais jusqu'ici ce point n'a pu être suffisamment éclairci[112].

Ces exemples suffiront pour montrer que la législation mosaïque renferme des règlements de police fort sages et même assez compliqués. Mais nous ne saurions passer sous silence une loi par laquelle Moïse voulut garantir son peuple des dangers de la débauche, cette plaie des sociétés anciennes et modernes que partout nous voyons protégée par une tolérance jugée nécessaire et qui, dans l'antiquité, a été mise en rapport avec le culte infâme de certaines divinités. La prostitution est proscrite par le législateur, comme une abominable profanation de la dignité humaine (Lév. 19, 29 ; Deut. 24, 18 et 19). Sans doute une peine grave frappait toute personne convaincue de débauche ; si c'était une fille de prêtre, elle était punie de mort (Lév. 21, 9). Il ne pouvait être dans les intentions du législateur de tolérer les prostituées étrangères, d'autant moins qu'il se montre en général peu favorable aux liaisons même légitimes avec les femmes de l'étranger ; mais, comme la loi n'était pas assez explicite à cet égard, elle était souvent éludée, et il n est que trop certain que la Palestine et même la ville sainte de Jérusalem avait ses bayadères. Toujours est-il que, grâces à la sévérité des lois mosaïques, la prostitution était extrêmement rare parmi les femmes israélites ; aussi la prostituée est-elle ordinairement désignée dans les Proverbes par les mots Zarah et Nochriyya (étrangère)[113], ce qui prouve que la coupable tolérance des autorités, sous le règne de Salomon, ne s'était pas étendue jusqu'aux filles des Hébreux.

 

III. DROIT PÉNAL.

Les lois pénales de Moïse ont pour principe général l'expiation et la compensation. Les crimes, de quelque nature qu'ils soient, sont des péchés envers le roi Jéhova dont le criminel a méconnu la loi. L'homme qui commet un crime dérange l'équilibre du monde moral, et cet équilibre ne peut être rétabli que par la justice. Le châtiment doit balancer le crime : comme l'homme a fait, ainsi il lui sera fait, dit la loi du talion (Lév. 24, 19). La gravité d'un acte coupable ne dépend pas seulement de la gravité du fait matériel considéré en lui-même, mais de celle qu'il peut avoir sous le point de vue de la constitution théocratique et de la morale plus sévère établie par une loi divine ; plus les principes fondamentaux de la loi se trouvent lésés et plus l'expiation devra être forte. C'est pourquoi la loi place dans la même catégorie pénale le meurtre, l'idolâtrie, l'insulte faite aux père et mère, la violation du Sabbat, certains incestes, l'adultère, etc. A côté du principe d'expiation et de compensation nous trouvons le motif de mettre la société à l'abri de certains crimes par l'exemple d'un châtiment sévère. Ce motif est indiqué plusieurs fois par le législateur et notamment dans les cas où aucun acte, matériel n'a été commis et où le principe d'expiation ne suffit pas pour justifier la peine sévère décrétée par la loi. Ainsi, lorsque la loi punit de mort la simple invitation à l'idolâtrie, le refus d'obéir aux décrets des juges suprêmes le faux témoignage en matière criminelle (même quand ce témoignage n'a encore eu aucun effet), la désobéissance envers les père et mère, le législateur a soin d'ajouter que c'est afin que les autres l'entendent et soient intimidés et que pareille chose ne se fasse plus[114]. Si Moïse semble prodiguer la peine de mort pour des crimes que nos codes modernes ne connaissent pas, ou qu'ils ne punissent que de peines assez légères, il ne faut pas oublier que d'un autre côté, la loi mosaïque ne connaît pas les crimes si élastiques de haute trahison, de lèse-majesté, commis à l'égard d'un ou de plusieurs individus haut placés[115], crimes souvent imaginaires qui deviennent le prétexte d'assassinats Juridiques et une arme d'oppression. Et d'ailleurs la loi renferme elle-même les correctifs de sa sévérité : on verra plus loin que les conditions légales qu'il fallait pour prononcer une sentence de mort ont dû rendre les condamnations bien rares, et on dirait presque que le législateur a eu pour but plutôt l'intimidation que l'application des peines.

Nous allons considérer d'abord les différentes peines établies par la loi mosaïque, ensuite les différentes catégories de crimes et leur punition, et enfin l'administration de la justice. Ici, comme dans tout le reste de notre résumé, nous faisons abstraction de tous les développements ultérieurs de la loi renfermés dans les codes rabbiniques, et nous nous en tenons à la lettre de la liai mosaïque, pour être sûr de ne point commettre d'anachronisme.

A. Peines.

Mons trouvons dans les lois mosaïques cinq espèces de peines, savoir la peine capitale, le retranchement, le châtiment corporel, l'amende et les sacrifices expiatoires.

1° La peine capitale s'exécutait de différentes manières ; la lapidation est celle que la loi mentionne le plus fréquemment sans pourtant Indiquer le mode d'exécution, qui était connu par l'usage[116]. Cette peine s'appliquait sans doute toutes les fois que la loi portait la peine de mort sans la spécifier. Mous trouvons encore deux autres espèces de peines capitales, pour des cas exceptionnels, savoir : la peine du feu (Lév. 20, 14 ; 21, 9) et celle du glaive (Deutéronome, 13, 16). Quant à la première, plusieurs savants n'ont voulu y voir qu'une formalité aggravante qui consistait à brûler le cadavre du lapidé[117] ; mais il me semble que c'est faire violence à la lettre du texte. Josèphe dit expressément que, selon la loi de Moïse, une fille de prêtre qui a sacrifié son innocence est brûlée vivante[118]. Le Thalmud trouve également la peine du feu dans la loi mosaïque ; seulement il rapporte sur le mode d'exécution des choses fort peu probables[119].

La peine du glaive, qui, après l'exil, consistait dans la décapitation, n'était pas déterminée par la loi ; on tuait le criminel, avec le glaive, d'une manière quelconque. Une quatrième peine capitale, dont parle le Thalmud, celle de la strangulation, n'est pas mentionnée dans la loi de Moïse, elle ne fut introduite qu'après l'exil[120].

2° Le retranchement était une peine moins forte que la peine capitale, mais on ne saurait dire positivement en quoi elle consistait. Le législateur dit souvent : une telle personne sera retranchée du milieu de son peuple, sans dire de quelle manière doit s'opérer ce retranchement. Des savants modernes ont prétendu que le législateur, par cette expression, a voulu désigner, presque toujours, la peine capitale[121] ; mais il est impossible d'admettre que Moïse ait voulu punir de mort de simples transgressions de la loi cérémonielle[122]. Tous les docteurs juifs, tant rabbanites que caraïtes, déclarent unanimement, sut la foi des anciennes traditions, que le retranchement n'était pas une peine capitale ; ils croient tous que cette peine n'était pas même du ressort de la juridiction humaine, et que Moise menace seulement le transgresseur du châtiment du ciel[123], ce qui paraîtrait, en effet, résulter de quelques passages où Dieu dit lui-même : Je le retrancherai du milieu de son peuple (Lév. 20, 5 et 6). Il nous semble cependant reconnaître dans les paroles du législateur plus que la simple menace d'une mort prématurée. Il faut voir, sans doute, dans le retranchement une peine juridique ; c'était probablement l'exclusion de la communauté, ou la mort civile. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas la peine capitale.

3° Le châtiment corporel consistait ordinairement dans des coups de bâton ou de verge, que le patient recevait couché par terre (Deut. 25, 2) ; le nombre des coups ne pouvait jamais dépasser quarante (ib. v. 3). Cette peine n'avait, chez les Hébreux, rien d'humiliant. En général, la loi mosaïque considère la peine matérielle comme une expiation suffisante, et jamais elle n'aggrave le châtiment par l'infamation. Le grand prêtre lui-même, disent les rabbins, après avoir subi un châtiment corporel pour une transgression des lois cérémonielles, rentrait dans ses fonctions et dans sa dignité[124].

Une autre espèce de châtiment corporel pouvait résulter du droit du talion, qui, remontant à une haute antiquité, est consacré par la loi de Moïse. Celui qui, de propos délibéré, avait mutilé son prochain dans l'un de ses membres, devait, selon la loi, subir la même mutilation[125] ; mais flétan permis au blessé de faire grâce à son agresseur et de se contenter d'une amende ; car Moïse ne défend la composition pécuniaire que pour l'homicide (Nomb. 35, 31). Comme dans cette composition tout dépendait de la personne blessée, la loi du talion devait être très-efficace pour garantir le pauvre contre l'insolence du riche. Il paraît que, malgré le droit, le talion matériel s'exerçait très-rarement et que bientôt il tomba entièrement en désuétude. Les rabbins refusent même de prendre à la lettre les paroles de Moïse, et soutiennent que le législateur n'a voulu parler que d'une compensation pécuniaire[126].

4° L'amende servait à expier certains crimes involontaires, commis contre les personnes, ainsi que l'atteinte à la propriété ou à l'honneur des individus. Elle variait selon l'importance de l'acte coupable.

5° Le sacrifice expiatoire n'était qu'une peine ecclésiastique que devait subir celui dont la faute n'était pas du ressort de la justice et ne pouvait être punie par la société. Nous en avons déjà perlé plus haut.

On remarquera que la prison ne figure point dans les lois pénales de Moïse ; la raison en est peut-être que le principal travail des Hébreux consistant dans l'agriculture, et chacun possédant régulièrement sa pièce de terre, l'emprisonnement d'un certain nombre de citoyens aurait privé la terre de bras utiles et aurait ruiné les propriétés. En outre, les prisons n'auraient pu être entretenues qu'aux frais de la nation, et on a déjà vu qu'il n'y avait, dans la république mosaïque, d'autre impôt que la dîme, et que, par conséquent, il n'y avait pas de trésor public. Le seul exemple d'emprisonnement que nous offre l'époque mosaïque (Lév. 24, 12) est une arrestation préventive, ayant pour but de garder le criminel jusqu'au jugement.

B. Crimes.

Les crimes et délits peuvent se diviser en cinq catégories : 1° attentats contre Jéhova ou le roi invisible et désobéissance à ses lois ; 2° attentats contre les mœurs ; 3° contre l'autorité des père et mère ; 4° contre les personnes ; 5° contre la propriété.

1° Le plus grand crime, dans le sens théocratique, est l'idolâtrie, c'est-à-dire l'adoration des faux dieux ou d'un être quelconque, réel ou imaginaire, autre que le Dieu créateur et unique[127]. Ce crime est puni de la lapidation (Deutéronome, 17,2-7). Si c'est une ville entière qui s'est rendue coupable d'idolâtrie, elle devient un objet d'anathème : les habitants seront passés au fil de l'épée — et c'est ici le seul cas où Moïse parle expressément de la peine du glaive —, et la ville avec tout ce qu'elle renferme deviendra la proie des flammes (ib. 13, 13-18). La peine de la lapidation frappait aussi le faux prophète qui prêchait au nom d'un dieu étranger (ib. v. 2-6) ; tout individu qui employait la persuasion pour attirer un Hébreu au culte des faux dieux devait être livré à la justice, serait-ce même par son propre frère ou par son père, sa femme, son ami intime, afin de subir la peine capitale (ib. v. 7-12.) On punissait avec la même sévérité jusqu'au simple blasphème prononcé contre Jéhova (Lév. 24, 14-16). L'exercice des arts occultes, en rapport avec les cultes païens, tels que la sorcellerie, la nécromancie, etc., était également un crime capital (ib. 20,27).

On a déjà vu que la violation du Sabbat était punie de mort ; la transgression de plusieurs autres lois cérémonielles entraînait la peine du retranchement ; et, selon la tradition, le châtiment corporel est infligé à celui qui agit contrairement à un précepte négatif quelconque, lorsque la loi n'indique aucune peine spéciale[128]. Le faux serment entre dans cette même catégorie ; il est considéré comme un attentat à la religion que Dieu lui-même se charge de punir avec sévérité (Exode, 20, 7).

L'offense contre les autorités qui représentent le roi invisible est blâmée par Moïse (Exode, 22, 27) ; mais elle n'était probablement punie que d'un châtiment corporel. La rébellion contre la sentence du juge suprême prononçant au nom de la loi était punie de mort (Deut. 17, 12).

2° Les attentats aux mœurs sont, pour la plupart, des crimes capitaux ainsi les crimes contre nature sont punis de mort (Lév. 20, v. 13, 15 et 16) ; il en est de même de l'adultère et de certains incestes dont nous avons déjà parlé. Si la mère et la fille consentent à se livrer au même homme, les trois coupables seront brillés (ib. v. 14) ; il en sera de même de la fille d'un prêtre qui profane le ministère de son père par la prostitution (ib. ch. 21, v. 9). Ces deux cas sont les seuls où le législateur décrète la peine du feu. La cohabitation légitime pouvait aussi devenir un crime punissable du retranchement, si les époux n'observaient pas les préceptes de pureté (ib. 20, 18). Le séducteur d'une jeune fille est forcé de l'épouser, à moins que le père ne refuse de la lui donner ; dans ce cas le séducteur paie une amende de cinquante sicles (Ex. 22, 15 et 16 ; Deut. 22, 28 et 29). Nous ne trouvons aucune peine spéciale pour le viol, probablement parce qu'un crime de cette nature ne peut jamais être prouvé avec l'évidence que la loi mosaïque exige dans les affaires criminelles. Moïse n'admet la réalité du viol que comme moyen de sauver la femme adultère de la peine capitale (Deutéronome, 22, 25-27).

3° Nous avons déjà parlé de l'autorité paternelle et du châtiment sévère infligé aux enfants qui manquaient de respect à leurs parents. Le parricide n'est pas prévu par Moïse, probablement parce qu'un crime aussi dénaturé lui paraissait impossible[129]. D'ailleurs la loi n'admettait aucune torture aggravante à côté de la peine capitale.

4° L'homicide volontaire est puni de mort, et le meurtrier ne peut être racheté sous aucune condition. Tout meurtre est considéré comme volontaire quand il a été consommé de sang-froid avec un instrument propre à donner la mort, ou même sans cette dernière circonstance, quand le meurtrier a été poussé par des sentiments de haine notoires. Dans ces deux cas, on n'a pas à examiner si le meurtrier a eu l'intention de tuer. C'est là ce qui résulte de la combinaison des différents passages qui traitent de l'homicide[130]. Une exception est admise en faveur de celui qui tue pendant la nuit un homme qui cherche à s'introduire pour voler (Exode, 22, 1). Le meurtre commis par quelque hasard ou par imprudence n'était pas puni par la loi, excepté dans le cas où quelques personnes en se disputant avaient atteint mortellement une femme enceinte ; la loi du talion demandait alors vie pour vie.

Si les coups portés à la femme n'avaient causé qu'un avortement, le mari pouvait demander une indemnité en argent qu'il était libre de fixer lui-même (ib. 21, v. 22 et 23). Si un homme est tué par un animal domestique dont les habitudes dangereuses sont connues au maître, celui-ci peut en être rendu responsable sur sa tête, mais le vengeur du sang, dont nous allons parler tout à l'heure, pouvait, dans ce cas, accepter une rançon (ib. v. 29 et 30). Le meurtrier par imprudence subissait néanmoins dans tous les cas une peine réelle, par le séjour forcé dans l'une des six villes de refuge, où il devait rester jusqu'à la mort du grand prêtre en fonction, pour échapper à la vengeance que le plus proche parent de la victime, appelé GOËL HAD-DAM (redemptor sanguinis), était endroit d'exercer contre le meurtrier (Nombres, 35, 25). Cette vengeance du sang était considérée comme un devoir chez les Hébreux comme elle l'est encore aujourd'hui chez les Arabes et chez plusieurs autres peuples de l'Orient. Le parent qui aurait manqué à ce devoir, eût été considéré comme un homme sans honneur. Une loi directe contre le droit du Gaël aurait eu le même sort qu'ont généralement chez nous les lois contre le duel. Le législateur se voyant forcé de céder à ce faux point d'honneur, tâcha du moins de prévenir les abus. Six villes situées à des distances à peu près égales, et dont les abords devaient être faciles (Deut. 19, 3), recevaient le meurtrier et le protégeaient contre le Goël pour le faire mettre en jugement. Si le meurtrier était déclaré non coupable, il restait dans l'asile ; à la mort du grand prêtre le meurtre était pleinement expié et le Goël ne pouvait plus exercer son droit, sous peine d'être jugé lui-même comme assassin. Le meurtrier était-il trouvé coupable, on le livrait au Goël, qui était régulièrement chargé de l'exécution (ib. v. 12)[131]. A défaut de Goël l'autorité faisait exécuter le meurtrier, qui, selon la tradition, subissait la peine du glaive.

Nous avons déjà parlé des formalités à remplir pour un meurtre dont l'auteur n'était pas connu. Le suicide, compris dans les paroles du Décalogue : tu ne tueras pas, n'est pas particulièrement mentionné par Moïse.

Les coups et blessures ayant eu pur résultat la mutilation de quelque membre du corps, sont punis selon la loi du talion dont nous avons parlé plus haut. Si les blessures ont pu être guéries, l'agresseur ne paye que les trais du traitement et le dommage causé par l'interruption du travail (Exode, 21, v. 18 et 19).

Si quelqu'un, par un faux témoignage, cherche à faire condamner un innocent, il est puni sévèrement selon la loi du talion, et on lui inflige la même peine qu'il a voulu faire subir h son prochain (Deut. 19, 16-21).

La diffamation, en général, est reprouvée par le législateur (Ex. 23, 1). Si quelqu'un, le lendemain de son mariage, répand de faux bruits contre l'honneur de sa jeune épouse, il subit un châtiment corporel ; en outre il pave au père de la femme une amende dé cent sicles d'argent et il perd à jamais le droit de divorcer (Deutéronome, 22, 13-19).

5° L'atteinte portée à la propriété d'autrui ne peut être punie que sur la propriété du coupable, et, sous ce rapport, les lois de Moise, basées sur le principe du talion, sont bien plus doutes que celles de la plupart des législateurs anciens et modernes. Nous avons déjà parlé, dans les lois civiles, de la soustraction frauduleuse d'un dépôt. Le vol est puni par la restitution du double de l'objet volé, si toutefois cet objet est retrouvé intact entre les mains du voleur (Exode, 22, 3). Si le voleur a pris un animal domestique, et qu'il l'a tué ou vendu, il restituera quatre pièces pour chaque pièce de menu bétail, et cinq pour un bœuf, sans doute à cause de l'importance qu'a le bœuf pour l'agriculteur (ib. 21, 37)[132]. Le voleur qui n'a pas de quoi payer l'amende est réduit en servitude, et le prix de son travail sert à acquitter sa dette. Pris en flagrant délit pendant la nuit, le voleur peut être impunément tué par le maître de la maison ; mais si le soleil est levé, le coup mortel porté au voleur serait puni comme meurtre.

Le brigandage à main armée sur la voie publique n'est pas prévu dans la loi de Moïse.

C. Administration de la justice.

En parlant du droit politique, nous avons fait connaître la composition du corps des juges, qui était en même temps un des pouvoirs de l'État. Il nous reste peu de chose à dire sur l'administration de la justice et sur les formes de la procédure qui étaient d'une simplicité patriarcale. Nous allons recueillir le petit nombre de données que nous offrent à ce sujet le Pentateuque et quelques autres livres de l'Ancien Testament. La procédure plus compliquée que nous trouvons dans les codes rabbiniques ne doit pas nous occuper ici.

Selon un antique usage les tribunaux siégeaient sur la place publique, aux portes des villes où se trouvait constamment un grand concours d'hommes[133]. Le temps ordinaire des audiences était la matinée, où la foule était plus nombreuse[134]. La publicité des débats, des juges non salariés et auxquels il était sévèrement interdit de recevoir le moindre cadeau des parties intéressées (Deut. 16, 19 ; 27, 25) offraient toutes les garanties désirables. Le procès était sommaire et verbal, mais il devait être précédé d'un examen minutieux (Deutéronome, 13, 15 ; 17, 4). Dans les affaires criminelles, on n'admettait d'autre preuve que la déposition verbale de témoins non suspects, qui devaient être au moins au nombre de deux[135], et déclarer sous la foi du serment (Lév. 5, 1) qu'ils avaient vu commettre le crime. Dans les affaires civiles on recevait la déposition d'un seul témoin et on admettait d'autres espèces de preuves, notamment le serment (Exode, 22, 10-12). Il parait que le coupable ne pouvait être régulièrement condamné sur son simple aveu, sans qu'il y eût d'autres preuves. Dans l'affaire d'Achan (Josué, chap. 7) on trouva le corps du délit (v. 22). On voit par ce même exemple, qu'on se servait quelquefois du sort sacré pour découvrir un coupable, et pour obtenir un aveu en frappant son imagination ; car il n'y avait aucun autre moyen légal pour y arriver. La torture n'existait pas chez les anciens Hébreux ; on n'en trouve pas la moindre trace dans l'Ancien Testament. Elle n'apparaît que plus tard, sous le règne d'Hérode[136].

Les parties plaidaient leur cause elles-mêmes[137]. La loi ne mentionne pas les avocats ; il parait néanmoins qu'il était permis à l'un des assistants de prendre la parole en faveur de l'accusé ou de la partie faible, ce qui était considéré comme un acte de piété[138].

Si l'accusé était déclaré coupable, l'exécution du jugement ne se faisait pas attendre. S'il n'était condamné qu'à des coups, il les recevait immédiatement, en présence des juges (Deutéronome, 25, 2). L'exécution de la peine capitale (ordinairement la lapidation) avait lieu hors de la ville[139]. Les témoins étaient obligés de jeter les premières pierres, excepté les parents qui livraient aux juges leur fils dénaturé ; l'exécution s'achevait par le peuple[140]. Les bourreaux n'existaient pas dans la république mosaïque, nous ne les trouvons que plus tard sous les rois. On a vu que le meurtrier condamné à la peine du glaive était livré aux parents de la victime, chargés de venger le sang versé. Le cadavre du supplicié restait pendu à un arbre ou à un poteau jusqu'au soir ; mais il n'était pas permis de l'y laisser jusqu'au lendemain (Deut. 21, v. 22 et 23). Quelquefois on le brûlait (Josué, 7, 25), ou on l'ensevelissait sous un monceau de pierres, qui restait pour servir d'avertissement[141].

C'est là le peu que nous savons de positif sur les formes judiciaires établies par le législateur ; nous aurons l'occasion, dans la suite, de faire remarquer çà et là les modifications et les développements que les événements firent subir à la loi primitive.

 

Nous avons fait connaître l'ensemble des lois mosaïques et nous en avons signalé tous les points principaux. Nous croyons en avoir tracé un tableau fidèle, et, en citant toujours nos autorités, nous avons mis le lecteur à même de vérifier tous les faits que nous avançons. Revenons maintenant à l'histoire des Hébreux que nous avons laissés dans les plaines de Moab prêts à passer le Jourdain.

 

 

 



[1] Voyez surtout Josué, ch. 7, v. 14.

[2] Voyez Exode, ch. 20, v. 2-5 ; Deutéronome, ch. 4, v. 2 ; ch. 13, v. 1 ; ch. 33, v. 6.

[3] Nombres, ch. 33, v. 64 ; Lévitique, ch. 26, v. 23.

[4] Lévitique, ch. 26, v. 66.

[5] Contre Apion, l. II, ch. 16, édit. de Havercamp, t. II, p. 482.

[6] Voyez Michaelis, Mosaisches Recht, t. I, § 35 ; Salvador, Institutions de Moise, t. I, p. 25 et suiv.

[7] Le meilleur ouvrage qu'on puisse consulter sur cette matière est le Mosaisches Recht (Droit mosaïque) de Michaélis que nous avons déjà cité bien des fois. Cet excellent ouvrage, dont la seconde édition fut publiée en 1775 en six volumes in-12°, est le commentaire le plus consciencieux qui ait été fait sur le système social du Pentateuque. L'Histoire des Institutions de Moise et du peuple hébreu (3 vol. in-8°, Paris, 1828), par M. Salvador, s'occupe de toutes les parties de la loi mosaïque. Beaucoup mieux écrit que l'ouvrage de Michaélis, et plein de vues élevées, cet ouvrage offre une lecture attachante au littérateur et au philosophe ; mais il a l'inconvénient de manquer de critique historique. Confondant toutes les époques, il ne distingue pas assez le fonds mosaïque des développements ultérieurs de la loi, et même des institutions postérieures à l'exil, et il ne saurait satisfaire qu'imparfaitement aux besoins de l'historien.

[8] Voyez surtout Deutéronome, ch. 29, v. 1 et 9.

[9] Voyez Nombres, ch. 30, v. 2, où Moise s'adresse aux chefs des tribus.

[10] Il est à remarquer que, dans aucun de ces passages, il n'est question des lévites et des prêtres.

[11] Voyez Job, 12, 12 ; 15, 10 ; Homère, Iliade, XV, 204 ; XXIII, 788 ; Hérodote, II, 80 ; Aulu-Gelle, Noct. Att., 11, 15.

[12] Voyez Deutéronome, 31, 28 ; Josué, 7, 6 ; I Samuel, 4, 3 ; 8, 4 ; II Samuel, 3, 17 ; 5, 3 ; 17, 4 ; 19, 12 ; I Rois, 8, 1 et 3 ; 12.8 ; II Chroniques, 10, 6 ; 34, 29, et beaucoup d'autres passages.

[13] Deutéronome, 19, 12 ; 21, 3 et 8 ; 22, 15 et suivants ; Juges, 8, 14 ; I Samuel, 11, 3 ; 16, 4 ; I Rois, 21, 8.

[14] Voyez Deutéronome, 21, 1-8 ; Lévitique, 4, 15 ; 9, 1.

[15] Deutéronome, 21, 19 ; 22, 15 ; 25, 7.

[16] Voyez Nombres, ch. 11, v. 10 et suivants. Comparez Exode, ch. 24, v. 1.

[17] Antiquités, XIV, 9, 4.

[18] Le grand Synedrium, dit la Mischna, avait soixante et onze membres, en y comprenant le président, parce que Moïse rassemble soixante-dix anciens qu'il présida lui-même. Voyez Synhedrin, ch. 1, § 7. Le roi Josaphat avait déjà établi un tribunal semblable, composé de lévites, de prêtres et de chefs de ramifie (électifs) ; mais on ne dit pas qu'il ait eu soixante-dix membres. Voyez II Chroniques, ch. 59, v. 8-11.

[19] Voyez Michaelis, l. c., t. I, 5 50 ; Jahn, Archæologie, t II, Ire partie, p. 84.

[20] Voyez Josué, ch. 22, v. 14 et 30.

[21] Voyez Nombres, ch. 2, v. 3 et suivants ; ch. 7, v. 2 et suiv. Nous ne pouvons adopter l'avis de Michaelis (l. c., t. I, § 40), qui croit que les Nasis étaient les mentes que les Anciens, ni celui de Winer qui voit dans les chefs des tribus et des familles un pouvoir héréditaire, et dans les Anciens Mt pouvoir électif. Realwœrterbuch, t. II, p. 598, note 1.

[22] Voyez I Chroniques, ch. 2, v. 9 et 10.

[23] Voyez I Chroniques, ch. 7, v. 1-3.

[24] Nombres, ch. 34, v. 17-28.

[25] Voyez Nombres, ch. 3, v. 24, 30 et 35 ; ch. 16, v. 2 ; ch. 25, v. 14.

[26] Nombres, ch. 1, v. 5 ; ch. 7, v. 2.

[27] Voyez Nombres, ch. 10, v. 3 et 4.

[28] Voyez Josèphe, Antiquités, IV, 8, 15.

[29] Selon Josèphe (Antiquités, IV, 8, 15), chaque ville avait sept juges, auxquels on adjoignait deux lévites.

[30] Exode, ch. 21, v. 6 ; ch. 22, v. 7, 8 et 37.

[31] L'opinion de Michaelis qui fait venir le mot Schoter de la racine arabe SATAR, écrire, est confirmée par les versions grecque et syriaque qui rendent ce mot par scribe. La Vulgate le rend très-inexactement, et chaque fois d'une autre manière.

[32] Comparez I Chroniques, 27, 1.

[33] II Chroniques, 19, 11 ; 34, 12.

[34] Voyez Nombres, ch. 27, v. 15 et suivants ; Deutéronome, ch. 31, v. 7 et 8.

[35] Deutéronome, 17, 9 ; 18, 15. Le mot schophet (juge), le même que suffète, était aussi le titre des chefs de la république chez les Tyriens (Josèphe, Contre Apion, I, 21), et notamment chez les Carthaginois.

[36] Comparez la Politique d'Aristote, l. VI, ch. 2, édit. de M. B. de St Hilaire t. II, p. 299 et suivantes.

[37] Voyez Isaïe, ch. 5, v. 8 ; Michée, ch. 2, v. 2 ; Jérémie, ch. 34, v. 13 et suivants.

[38] Voyez Lévitique, 24, 22 ; Nombres, 15, 15 et 16 ; 95, 15 ; Deutéronome, I, 16 ; 24, 17.

[39] Exode, 23, 33 ; Deutéronome, 23, 4.

[40] Apud ipsos fides obstinata, misericordia in promptu, sed adversus omnes alios hostile odium. Tacite, Histoires, V, 6.

[41] Voyez Michaelis, l. c., t. II, § 138 ; Jahn, Archæologie, t. I, 2e partie, p. 337 ; Winer, Realwœrterbuch, t. I, p. 444.

[42] Voyez I Chroniques, 7, 24, où il est dit qu'une fille d'Ephraïm fonda plusieurs villes en Palestine.

[43] Déjà au IVe siècle, saint Épiphane (Hœres. 66, § 83), pour répondre aux Manichéens, imagine un testament de Noé qui aurait donné la Palestine aux descendants du Sem. Voyez Michaelis, t. I, § 29. Cet auteur, après avoir cité les opinions de plusieurs autres écrivains anciens et modernes, entre lui-même dans de longs détails pour établir les droits des Hébreux sur la Palestine. Ce sujet fut longtemps considéré comme un chapitre essentiel du droit et des antiquités bibliques. M. Salvador nous parait avoir mieux compris cette question. Voyez son Histoire des Institutions de Moïse, t. II, p. 96-110.

[44] Exode, 17, 16 ; Deutéronome, 26, 17-19 ; I Samuel, 15, 2 et 3.

[45] Nombres, ch. 25, v. 18-18 et ch. 31.

[46] Deutéronome, ch. 2, v. 4-6 et v. 19 ; ch. 23, v. 4-7.

[47] Nombres, ch. 20, v. 14-21 ; Deutéronome, 23, 8.

[48] Deutéronome, 23, 8.

[49] Exode, 23, 31 ; Deutéronome, 1, 7.

[50] Voyez Josué, ch. 9, v. 18-20. Comparez Ezéchiel, 17, 16.

[51] Nombres, 20, 14 ; 21, 21.

[52] Nous prenons au hasard un passage de Tite-Live (l. VII, c. 19) auquel nous pourrions en ajouter une foule d'autres : In Tarquinienses acerbe sævitum ; multis mortalibus in acie cæsis et ingenti captivorum numero trecenti quinquaginta octo delecti, nobilissimus quisque, qui Romam mitterentur... Medio in foro omnes uirgis cæsi ac securi percussi. Voyez aussi Jahn, Archæologie, II, 2, p. 501. Pompée fut le premier qui accorda la vie aux vaincus qui avaient orné son triomphe.

[53] Antiquités, III, 12, 4.

[54] Deutéronome, 20, 17 ; comparez ib. 13, 13-18.

[55] Voyez Michaelis, t. I, § 65.

[56] Voyez Hérodote, II, 35 ; Diodore, I, 27.

[57] Voyez Bohlen, Das alte Indien, t II, p. 150 et suiv.

[58] Voyez Proverbes, 5, 18 ; 6,20 ; 12, 4 ; 10, 14 ; Psaumes, 128, 4 ; Malachie, 2, 14 et 15.

[59] Voyez Deutéronome, 20, 7 ; 24, 5 ; 25, 8 et 11.

[60] Voyez Exode, 21,0 ; Lévitique, 18,18 ; Deutéronome, 21, 15-17.

[61] L'exemple du patriarche Jacob a pu donner lieu a cette supposition ; mais les quatre mariages du patriarche sont motivés chacun par une circonstance particulière. Au reste, le nombre de quatre femmes légitimes est aussi celui que permettent les Lois de Manou (IX, 145) et le Coran (IV, 3).

[62] Comparez Ruth, ch. 4, v. 6.

[63] Voyez en général, Michaelis, t. II, § 95 ; Jahn, Archæologie, t. I, 2° partie, p. 235-241.

[64] Selon les rabbins, les paroles de la Genèse : Croissez et multipliez doivent être considérées comme un précepte légal.

[65] Voyez Jahn, l. c., p. 238.

[66] Comparez I Samuel, 18, 25 ; Osée, 3, 2. Le même usage existe encore aujourd'hui chez les Arabes. Il avait existé aussi chez les Grecs, dans les temps anciens (Homère, Odyssée, VIII, 318 ; XI, 281 ; Iliade, XI, 244), et chez les Germains (Tacite, De Morib. Germ., c. 18). Quelques exemples de femmes datées que nous trouvons chez les Hébreux, sont des cas exceptionnels. Voyez Josué, 15, 18 ; I Rois, 9, 16.

[67] Voyez Lévitique, ch. 18, v.7-18 ; ch. 20, v. 11 et suivants ; Deutéronome, ch. 27, v. 20 et suivants. Les juifs caraïtes et les docteurs de l'église ont appliqué la défense à d'autres degrés analogues, comme, par exemple, la nièce ; mais les rabbanites ne défendent que les unions expressément mentionnées dans la loi. Voyez Michaelis, t. II, § 217, qui appuie l'opinion des rabbins par de très-bons arguments.

[68] Voyez plus bas, art. Peines, 2°.

[69] Moïse lui-même épousa une éthiopienne (Nombres, 12, 1). Ce ne fut qu'après l'exil que le rigorisme des restaurateurs du culte juif étendit la défense à toutes les femmes étrangères. Voyez Ezra, ch. 9 et 10 ; Néhémia, 13, 23.

[70] Le même usage existait chez les Indous ; vov. Lois de Manou, III, 173 ; IX, 97. On a donné à ce genre de mariage le nom de Lévirat, du mot latin levir (frère du mari, beau-frère) ; en hébreu le levir s'appelle YABAM. L'usage étendit cette loi aux autres parents, pour le cas ou il n'y avait pas de frères, comme nous le voyons par l'exemple de Ruth ; mais alors c'était plutôt un droit qu'un devoir, et le plus proche parent pouvait s'y refuser, sans s'exposer a subir la cérémonie du déchaussement. Voyez Ruth, ch. 4.

[71] La Vulgate (v. 20) dit inexactement vapulabunt arabo.

[72] Voyez Nombres, ch. 8, v. 11-31.

[73] Les célèbres écoles de Hillel et de Schammaï étaient divisées sur le sens des paroles de Moïse. La première pensait que le législateur avait voulu permettre au mari de divorcer pour un sujet de mécontentement quelconque ; la seconde n'admettait le droit de divorce que lorsque le mari remarquait dans sa femme un manque de chasteté. Voyez Mischna, 3e partie, à la fin du traité Gitia (du divorce). Josèphe se prononce dans le sens de l'école de Hillel pour un sujet quelconque ; car, ajoute-t-il, il s'en rencontre beaucoup pour les hommes. Antiquités, IV, 8, 23, éd. Haverc. t. I, p. 242. D'aucune manière le législateur n'a pu exiger pour le divorce la preuve légale d'adultère, car celte preuve aurait fait condamner la femme à la peine de mort.

[74] Voyez Michaelis, l. c., t. II, § 119.

[75] Le législateur hébreu fait peut-être allusion à un usage singulier qui existait chez les anciens Arabes et qui a été consacré par l'islamisme. Selon la loi musulmane, lorsqu'une femme a été répudiée complètement, c'est-à-dire, lorsque la formule de divorce a été prononcée, à trois époques différentes pour une femme libre, et à deux pour une esclave, le mari ne peut la reprendre qu'après qu'elle a été mariée avec un autre. Voyez le Koran, ch. 2, v. 230 ; The Heddya or Guide a commentary of the musulman laws, transl. by Ch. Hamilton, t. I, p. 301 et suiv.

[76] Exode, ch. 21, v. 15 et 17 ; Lévitique, ch. 20, v. 9 ; Deutéronome, 21, 18-21.

[77] Voyez Deutéronome, ch. 4, v. 9 et 10 ; ch. 6, v. 7 et 20-25 ; ch. 11, v. 19 ; comparez Exode, ch. 13, v. 14 et 14.

[78] Voyez Genèse, ch. 26, v. 31-34 ; ch. 37, v. 21 et 22. ; ch. 48, v. 18 ; ch. 49, v. 3 ; I Chroniques, ch. 5, v. 1 et 2.

[79] Il ne faut pas confondre ce premier-né du père, pouvant être le fils d'une femme qui avait déjà eu d'autres enfants, avec les premiers-nés des mères destinés d'abord à être les serviteurs du culte et soumis ensuite au rachat. Sur les droits des premiers-nés chez les Indous, voyez Lois de Manou, IX, 112-117.

[80] Voyez Genèse, 48, 5 et 22 ; I Chroniques, 5, 1.

[81] Les lois athéniennes étaient plus sévères à cet égard ; comme les lois mosaïques, elles n'accordent le droit de succession aux filles que lorsqu'il n'y a pas de fils, mais elles obligent la fille héritière d'épouser son plus proche parent. Voyez Michaelis, l. c., t. II, § 78.

[82] Il va sans dire que le père hérite des biens de ses enfants ; mais, dit Philon, comme la loi de la nature veut que les enfants soient les héritiers des parents, et non pas les parents ceux des enfants, le législateur se tait sur ce qui serait désastreux et malsonnant. De vita Mosis, l. 3, éd. de Genève, p. 533. Cependant ce silence s'explique plus naturellement par la constitution araire, selon laquelle les fils ne possédaient régulièrement aucune propriété personnelle du vivant du père.

[83] Voyez Job, 42, 15. Michaelis, l. c., a recueilli dans la Bible plusieurs exemples de filles héritières.

[84] Voyez Mischna, 4e partie, traité Bavabathra, ch. 9, § 1.

[85] Deutéronome, ch. 4, v. 29 ; ch. 15, v. 11 et 14 ; ch. 24, v. 19-21 ; ch. 26, v. 12.

[86] Il est évident que les uns sont naturellement libres et les autres naturellement esclaves, et que pour ces derniers, l'esclavage est aussi utile qu'il est juste. Politique d'Aristote, traduction de M. de Saint-Hilaire, t. I. p. 31.

[87] Ethique à Nicomède, l. VIII, c. 13. L'esclave, chez les Athéniens, n'était qu'une chose, une propriété, qui pouvait même servir d'hypothèque. Voyez Bœckh, Économie politique des Athéniens (trad. franc.) t. I, p. 122.

[88] Comparez Juvénal, satire I, v. 103-105 :

Cur timeam, dubitemue locum defendere, quamvis

Natus ad Euphratem, molles quod in aure fenestræ

Arguerint, licet ipse negem ?

[89] Voyez Exode, 21, 2-8 ; Lévitique, 25,40 ; Deutéronome, 15, 12-18 ; comparez Jérémie, ch. 34, v. 8 et suivants.

[90] Selon la tradition rabbinique il n'avait ce droit que pour une mineure, et l'apparition des signes de puberté rendait immédiatement la liberté à la jeune fille. Mischna, 3e partie, traité Kiddouschin (des épousailles), ch. 1, § 2.

[91] De là les esclaves étrangers sont souvent désignés par les mots MIKNATH KÉSEF (acquisition au moyen d'argent) ; les enfants des esclaves, qui restent également la propriété du maitre, s'appellent YELIDÉ BAÏTH (nés dans la maison).

[92] Voyez Nombres, 31, 26 ; Deutéronome, 20, 14 ; 21, 10. Hobbes (Imperium, cap. 7 et 9) fonde l'esclavage sur la guerre. Grotius avait également admis ce principe, que presque tous les publicistes jusqu'à Montesquieu ont professe, parce qu'ils accordaient au vainqueur le droit de vie et de mort sur le vaincu. Dans l'antiquité, et surtout au temps d'Aristote, cette maxime était reçue sans contestation et appliquée dans toute sa rigueur. On pourrait en citer, dans la guerre du Péloponnèse, plus de cent exemples. Après le combat on égorge toujours des prisonniers. (Voir Thucydide, liv. I, ch. 30 ; liv. Ii, ch. 5, etc. etc.) Thucydide, témoin et peut-être acteur de ces atrocités, les rapporte aussi froidement qu'il décrit une manœuvre navale, et sans y attacher plus d'importance. Note de M. de St. Hilaire dans sa traduction de la Politique d'Aristote, t. I, p. 30, 31.

[93] Telle est l'opinion du Thalmud et de tous les commentateurs juifs. Voyez R. Salomon (ou Raschi) au v. 20. Maimonide, Abrégé du Thalmud, liv. XI, traité V (de l'homicide), ch. 2. Cet auteur insiste sur le mot SCHEBET (verge) dont se sert le texte de la loi : si le maître s'est servi d'une verge, c'est-à-dire de l'instrument ordinaire de correction, il sera acquitté dans le cas où l'esclave aura survécu d'un ou de deux jours, comme le dit le v. 21 ; mais s'il s'est servi d'un autre instrument quelconque, on lui appliquera toujours la peine capitale, quand même l'esclave ne serait mort que longtemps après.

[94] Voyez Bohlen, Die alte Indien, t. II, p. 157-159.

[95] Lévitique, 19, 30 ; 25, 14 ; Deutéronome, 25, 13-15.

[96] Voyez Exode, 23, 21 ; Lévitique, 95, 37 ; Deutéronome, 23, 20.

[97] Deutéronome, ch. 24, v. 10-13 ; Exode, ch. 22, v. 25 et 20.

[98] Selon le Thalmud, l'Intervention de l'année sabbatique aurait entièrement dégagé le débiteur ; mais le texte de la loi du Deutéronome ne se prête nullement à une interprétation aussi singulière et aussi peu vraisemblable. Josèphe parle seulement d'une rémission générale des dettes à l'époque jubilaire (Antiquités, III, 12, 5), ce qui est plus conforme à l'esprit général des Institutions mosaïques.

[99] Nous citerons pour exemple la clause introduite par le célèbre Hillel sous le titre de Prosbol (probablement προσβολή) et par laquelle on déclarait judiciairement ne pas renoncer au droit de créancier pour l'année sabbatique. Voyez Mischna, 1re partie, traité Schebiith, ch. 10, § 3 et 4 ; Buxtorf, Lexic. Thalmud, col. 1806.

[100] Voyez Proverbes, ch. 28, v. 8 ; Ézéchiel, ch. 18, v. 8, 13 et 17 ; ch. 22, v. 12 ; Psaume, 15, 5.

[101] Voyez I Samuel, 22, 2 ; II Rois, 4, 1 ; Psaume, 109, 11 ; Job, 22, 6 ; 24, 3.

[102] Exode, ch. 21, v. 33-36 ; ch. 22, v. 4, 5 et 13.

[103] Deutéronome, ch. 21, v. 25 et 26.

[104] Voyez Deutéronome, ch. 22, v. 1-3 ; Exode, ch. 29, v. 4 ; Lévitique, ch. 5, v. 22. Selon Josèphe et les rabbins, il fallait faire faire des publications, pour découvrir le propriétaire des objets perdus. Voyez Antiquités, IV, 8, 29 ; Mischna, 4° partie, traité Reva Mesia, ch. 2.

[105] Deutéronome, ch. 24, v. 14 et 15 ; Lévitique, ch. 19, v. 13 ; ch. 25, v. 6.

[106] Voyez Lévitique, ch. 19, v. 9 et 10 ; ch. 23, v. 22 ; Deutéronome, ch. 24, v. 19-21. Comparez Ruth, ch. 2, v. 2.

[107] Voyez Michaelis, l. c., t. II, 142. Le verbe mendier ne se trouve que dans deux passages ; Psaume, 109, 10 ; Proverbes, 20, 4.

[108] Lévitique, 19, 19 ; Deutéronome, 22, v. 6, 9-11 :

[109] Lévitique, 22, 24 ; Deutéronome, 23, 2. Voyez Michaelis, t. III, 5 168.

[110] La police appartenait probablement au Schoterim.

[111] Voyez Michaelis, t. IV, § 2 11. L'éruption du salpêtre peut corrompre l'air et nuire à la sante des habitants ; souvent aussi elle peut miner la maison et la faire écrouler avec le temps.

[112] On peut voir différentes conjectures dans l'ouvrage de Michaelis, même endroit, et dans l'Archæologie de Jahn, t. I, 2e partie, p 165.

[113] Proverbes, 2, 16 ; 5, 3 ; 6, 24 ; 7, 6 ;23, 27.

[114] Deutéronome, ch. 13, v. 11 et 12 ; ch. 17, v. 12 et 13 ; ch. 19, v. 19 et 20 ; ch. 21, v. 21.

[115] Moïse recommande seulement de ne point Maudire un juge ni un rince (Exode, 22, 27), mais il ne menace d'aucune peine Celui qui l'aurait fait. Après l'introduction de la royauté nous trouvons le crime de lèse-majesté, qui souvent est puni de mort (voy. I Rois, ch. 2, v. 8, 9 et passim) ; mais la conduite tenue à cet égard par David et d'autres rois n'était nullement autorisée par la loi mosaïque.

[116] Selon la loi traditionnelle (Mischna, 4e partie, Synhedrin, ch. 4, § 4), on lançait le patient du haut d'un échafaud élevé de deux hauteurs d'homme, et puis on l'accablait de pierres.

[117] Voyez Michaelis, t. V, § 235 ; ce savant cite à l'appui de son opinion l'exemple d'Achan et de sa famille, dont les cadavres furent brûlés après la lapidation. Voyez Josué, 7, 25. Jahn, de Wette, Viner et autres partagent cette opinion.

[118] Καιέσθω ζώσα. Antiquités, IV, 8, 23.

[119] Selon la Mischna (l. c., ch. 7, § 2), on étranglait le patient avec un drap, jusqu'à ce qu'il ouvrit la bouche, et alors on y coulait du plomb fondu qui lui brûlait les entrailles. On cite cependant au même endroit l'exemple d'un tribunal qui fit brûler le patient sur un bûcher ; mais on prétend que ce tribunal n'était pas versé dans les lois.

[120] Voyez Michaélis, l. c., § 234.

[121] Michaelis, l. c., § 237 ; Jahn, Archæologie, II, 2, p. 350 ; de même Winer, Realwœrterbuch, t. II, p. 14 ; Gesénius, Diction. rad. כרח.

[122] Voyez, par exemple, Exode, 12, 15 ; 30, 38 ; Lévitique, 7, 20 ; Nombres, 9, 13, et passim. Là où le législateur veut réellement parler de la peine de mort, par exemple dans les lois sur le sabbat, il le dit d'une manière explicite. Voyez Exode, 31, 14.

[123] Voyez le Commentaire d'Isaac Abravanel, Nombres, ch. 15 ; Selden, De Synedriis, l. I, c. 6.

[124] Voyez Selden, De Synedriis, p. 817 et 895.

[125] Exode, 21, 23-25 ; Lévitique, 24, 19 et 20 ; Deutéronome, 19, 21. Josèphe, Antiquités, IV, 8, 35. Le talion existait aussi dans les anciennes lois athéniennes et romaines.

[126] Voyez le Commentaire de R. Salomon ben-Isaac aux passages cités dans la note précédente.

[127] Représenter le vrai Dieu sous une image visible était le plus grand péché ; Moïse lui-même châtia d'une manière terrible les adorateurs du veau d'or, qui n'était autre chose qu'une représentation visible de Jéhova (Exode, 32, 5). Cependant le législateur ne fait point de cette représentation un crime punissable de mort ; il menace seulement le coupable du châtiment céleste (Deutéronome, 4, 24), et la Justice humaine le punissait probablement d'un châtiment corporel. Nous observerons à cette occasion que la sculpture en général, sans intention religieuse, n'était nullement défendue. Ce ne fut qu'après l'exil que le rigorisme des docteurs proscrivit les œuvres d'art, représentant des figures d'hommes et d'animaux. Voyez Michaelis, t. V, § 260 ; Winer, t. I, p. 213.

[128] Selden (De Synedriis, p. 899-903) énumère, d'après Maimonide, tous les préceptes qui entrent dans cette catégorie.

[129] C'est par la même raison que Solon passa sous silence le crime du parricide. Cicéron, Pro Roscio Amerino, c. 25.

[130] Voyez Exode, 21, 12-14 ; Nombres, 35, 16 et suiv ; Deutéronome, 19, 11-13. Comparez Mischna, quatrième partie, Synhedrin, ch. 9, § 1.

[131] Le même usage existe en Perse. Voyez les Voyages de Chardin, t. III, p. 418 (édit. in-4°).

[132] Comparez II Samuel, 12, 5. Le législateur ne se prononce pas sur l'amende exigible pour les choses inanimées que le voleur aurait vendues ou détruites. La Jurisprudence des Hébreux n'admettait dans ce cas que le minimum de la peine, c'est-à-dire la restitution du double. Mischna, 4e partie, Bava Kamma, ch. 7, § I.

[133] Voyez Deutéronome, 16, 18 ; 21, 19 ; 22, 15 ; 25, 7. Plus tard le Synedrium siégeait dans un local particulier.

[134] Jérémie, 21, 12 ; Psaume, 101, 8. Voyez Maimonide, Abrégé du Thalmud, l. XIV, traité 1 (des Synhedrin), ch. 3, § 1.

[135] Nombres, 35, 30 ; Deutéronome, 19, 15. Il faut même, disent les rabbins, que les témoins aient averti le coupable de la peine qu'il encourrait. Maimonide, l. c., ch. 12, § 1. On interrogeait chaque témoin à part, et présence de l'accusé.

[136] Voyez Josèphe, Guerre de Juifs, I, 30, 3.

[137] Deutéronome, 25, 1 ; I Rois, 3, 16-22.

[138] Voyez Isaïe, 1, 17 ; Job, 29, 12-17 ; 33, 23.

[139] Lévitique, 24, 14 ; Nombres, 16, 36 ; I Rois, 21, v. 10 et 13.

[140] Deutéronome, 13, 10 ; 17, 7 ; 21, 21. Dans le troisième passage qui parle du fils accusé par ses parents, il n'est question que du peuple et on ne mentionne pas les témoins.

[141] Josué, 7, 26 ; II Samuel, 17, 18.