PALESTINE

 

LIVRE III. — HISTOIRE DES HÉBREUX

 

 

Au milieu des nations que nous avons vues passer comme des ombres sur le sol sacré de la Palestine, et dont les noms ont à peine échappé à l'oubli, il se présente un peuple célèbre par sa fortune et ses revers, plus célèbre encore par l'influence qu'il a exercée sur une grande partie du genre humain. Quoiqu'il ne fut point appelé à fonder un grand empire, à subjuguer les hommes par la force des armes, quoiqu'il n'excite point notre étonnement par des faits éclatants, ni par de grands monuments d'art et de science, et qu'aucune ruine même ne signale son existence sur le sol qu'il a habité près de quinze siècles, son nom impérissable restera toujours gravé dans la mémoire des hommes. Son monument c'est le livre des livres, ce flambeau qui a éclairé les peuples et qui doit les éclairer encore ; ses ruines, c'est lui-même, dispersé au nord, au midi, à l'est, à l'ouest, survivant à tous ses revers, renaissant toujours de ses cendres et se tenant par un lien invisible, par une idée. La mission qui lui a été confiée n'est pas de ce monde ; il a pu se méprendre quelquefois sur sa destinée et rêver par moments une grandeur terrestre ; mais l'éclat dont quelques-uns de ses rois ont su s'entourer était l'œuvre d'un moment, qu'un autre moment venait anéantir. Car il ne devait posséder sur la terre, que tout juste l'espace qu'il lui fallait pour se déployer, pour vivre sa vie terrestre, pour se pénétrer de sa mission et développer son idée, jusqu'à ce que le moment fut venu de la communiquer au monde étonné, et d'élever son étendard sur les ruines des puissants empires, sur les tombeaux des grandes nations. La mission des Romains fut la glorification de la force humaine qui devient poussière ; la mission des Hellènes fut l'art ou la glorification de la beauté extérieure, qui est vanité ; Il mission du peuple hébreu fut au delà de la terre et des belles formes de la nature ; elle se résume dans ces mots : Connaître Dieu et le faire connaître, non par les détours d'une subtile métaphysique, mais par une révélation immédiate, par les inspirations de la foi. Nous tenons ainsi les deux points extrêmes de son histoire. Elle commence avec le patriarche qui, le premier, au milieu de peuples idolâtres, adorateurs de la nature créée, proclama l'existence d'un Dieu créateur ; elle finit par le Messie, c'est-à-dire par le triomphe de la foi monothéiste sur le polythéisme des gentils. Dès que la terre des païens accueille les germes de cette foi, le peuple hébreu a terminé son existence politique sur le sol où la foi devait se développer et mûrir ; mais il survit à sa ruine et il continue à exister comme société religieuse, parce que, selon lui, le triomphe n'est pas accompli.

Voulant résumer dans cet ouvrage tous les événements qui se sont passés sur le sol de la Palestine, nous devons raconter l'histoire du peuple hébreu, depuis le patriarche Abraham jusqu'à la dernière destruction du sanctuaire national par l'empereur Titus.

Ce long espace de plus de deux mille ans se divise en deux portions bien distinctes marquées par une interruption dans l'existence politique des Hébreux et par une émigration qu'on appelle l'exil de Babylone, et qui est suivie d'une restauration partielle. Chacune de ces deux grandes divisions présente un caractère distinct ; le nom même du peuple est différent dans les deux époques. Les événements qui précèdent l'exil forment l'histoire des Hébreux proprement dite ; après l'exil commence l'histoire des Juifs. Chacune des deux histoires se divise naturellement en différentes périodes marquées par ses origines, les phases de son développement et son déclin. Nous distinguons dans l'histoire des Hébreux les périodes suivantes :

1° ORIGINES DU PEUPLE HÉBREU : Une famille araméenne, venue de la Mésopotamie, s'établit dans le pays de Canaan, et s'y accroît peu à peu. Tribu nomade, elle va en Egypte, où, dans l'espace de plusieurs siècles, et restant longtemps sous le joug d'une dure servitude, elle devient un peuple puissant. Un homme inspiré du Dieu créateur, des antiques traditions de sa race, se fait son libérateur et son législateur. Il reconduit son peuple à travers le désert jusqu'aux limites du pays dont les traditions avaient fait son patrimoine, et où le culte monothéiste devait s'établir et recevoir ses développements. Cette période commence par l'arrivée d'Abraham au milieu des Cananéens, et elle finit par la mort de Moïse. Elle dure plus de six siècles.

2° ÉTABLISSEMENT SUCCESSIF DANS LE PAYS DE CANAAN : JUGES.

Les Hébreux, conduits par Josué, disciple et successeur de Moïse, s'emparent d'une grande partie de la terre promise ; des chefs courageux se mettent successivement à la tête du peuple, et le guident dans sa lutte contre les ennemis dont il est entouré. Les institutions de Moise, sa doctrine religieuse, trouvent de grands obstacles à s'établir d'une manière permanente. De graves désordres et une anarchie complète menacent le nouvel État d'une ruine totale. Un lévite vient enfin restaurer l'édifice chancelant de Moïse ; il fait faire à la doctrine mosaïque un grand pas, mais il n'est pas capable de ramener le peuple au principe pur de la théocratie. Se voyant obligé d'abdiquer son autorité temporelle en faveur d'un roi, que le peuple le charge d'élire, il jette les fondements d'un institut qui devait spiritualiser le culte mosaïque et protéger le principe théocratique placé en regard de la royauté. Josué se trouve à la tête de cette période, et à l'autre extrémité nous voyons Samuel et le roi Saül. Elle dure environ quatre cent cinquante ans.

3° ROYAUME UNI, de Saül jusqu'à Salomon. — Toutes les tribus reçoivent avec enthousiasme le nouveau chef, qui doit enfin les délivrer de leurs dangereux voisins ; d'éclatants succès obtenus sur les Philistins, signalent les premiers temps de son règne. Mais bientôt le roi excite le mécontentement du vieux Samuel, et celui-ci, fort de son autorité et de son influence, va chercher, dans la tribu prépondérante de Juda, un nouveau roi selon son cœur. Saül découragé ne retrouve plus sa première énergie, il succombe dans un combat malheureux, et le nouvel élu, fort de toute la prépondérance de sa tribu, saisit le souverain pouvoir après une lutte de plusieurs années. Heureux dans toutes ses entreprises, David consolide l'État des Hébreux, qui, fortement constitué, acquiert une étendue imposante et menace d'envahir les peuples d'alentour. La prospérité amène le luxe et celui-ci le despotisme. Sous le règne de Salomon la fondation du sanctuaire national semble offrir un point central à toutes les tribus, et consolider la théocratie et les institutions mosaïques ; mais les écarts du roi, sa complaisance pour ses femmes étrangères, son amour du luxe, ses entreprises commerciales avec des peuples lointains, sont en flagrante opposition avec la mission du peuple hébreu. L'imposant éclat du règne de Salomon peut cacher un moment les éléments de dissolution qu'il porte dans son sein ; mais à la mort du roi, les germes de discorde longtemps étouffés ne tardent pas à porter leurs fruits, et le royaume se dissout après cent vingt ans d'existence.

4° ROYAUME DIVISÉ, de Rehabeam (Roboam) jusqu'à l'exil assyrien. Le mécontentement général et la stupide tyrannie de Rehabeam déterminent promptement la dissolution du royaume. Dix tribus reconnaissent un nouveau chef, les tribus de Juda et de Benjamin restent seules fidèles à la dynastie de David. Le nouveau royaume, supérieur par le nombre, mais privé de l'influence morale du sanctuaire national, s'écarte.de plus en plus de la constitution mosaïque ; il adore Dieu dans des images et offre même son culte aux dieux étrangers. Le royaume ancien, réduit à une très-petite étendue, reste seul dépositaire des instituts religieux, et seul est capable de marcher vers l'accomplissement de la mission divine des Hébreux. Les deux royaumes s'affaiblissent mutuellement par des luttes continuelles ; mais le plus grand est privé, dès son origine, du prestige d'une dynastie élue de Dieu. Déchiré par les factions, il change souvent de maître, et oubliant sa haute destinée, il cherche imprudemment des alliances parmi les nations étrangères. Pendant près de deux siècles et demi, il traîne une existence malheureuse et souffrante, sans principe fixe, sans savoir où il va ; enfin, succombant aux attaques réitérées des Assyriens, les dix tribus sont transportées sur un sol étranger. La dynastie davidique, malgré ses nombreux écarts, épuise moins rapidement sa force vitale. Les deux tribus gardent intactes les lois et les doctrines de Moïse.

L'institut de Samuel se fortifie et se développe de plus en plus, à mesure que la meilleure partie du peuple, instruite par l'adversité, commence à pressentir que la domination de la maison de David ne sera jamais entourée d'un grand éclat terrestre et que sa prospérité appartient à un avenir lointain, à un âge d'or placé à la fin des temps. Au moment où le royaume d'Israël tombe, celui de Juda est restauré par le pieux Ezéchias, sous lequel le prophétisme et les espérances messianiques prennent le plus grand essor.

5° ROYAUME DE JUDA, jusqu'à l'exil de Babylone. — Les Assyriens échouent dans leur attaque contre le royaume de Juda. Après la mort du roi Ézéchias, son fils et son petit-fils favorisent de nouveau les cultes idolâtres. Josias enfin déploie la plus grande énergie pour le rétablissement du culte national et l'entière destruction de l'idolâtrie. Mais les nombreuses secousses intérieures, les attaques du dehors ont déjà trop affaibli le petit royaume pour qu'il puisse encore longtemps maintenir son indépendance. Instruit par le malheur, le peuple de Juda a enfin appris à connaître le vrai Dieu et il se jette sincèrement dans ses bras. Bientôt vaincu par les puissants Chaldéens, il est emmené captif dans l'empire de Babylone et il peut y méditer sur son Dieu et sur sa loi et se préparer de nouveau pour sa mission divine. Juda a survécu à Israël cent trente-trois ans.

Toute cette partie de l'histoire du peuple hébreu peut s'appeler l'époque hébraïque pure. Plus tard nous verrons les Juifs, après avoir été rétablis en Palestine par les Perses, subir l'influence grecque, reconquérir leur indépendance par le sublime dévouement d'une famille de prêtres, et succomber glorieusement, après une lutte terrible, sous les attaques de l'empire romain. Nous indiquerons plus loin les différentes périodes de cette seconde partie, qui forme l'histoire des Juifs.