Aspect du sol. — Montagnes. — Plaines. Eaux. — Climat. — Phénomènes. — Fertilité. Dans le Deutéronome (ch. II, v. 10 et 11), Moïse s'exprime ainsi à l'égard de la Palestine : Le pays où tu vas entrer, pour en prendre possession, n'est pas comme la terre d'Égypte d'où vous êtes sortis, et où tu jetais la semence et l'arrosais avec ton pied (par des machines) comme un jardin potager. Mais le pays dans lequel vous passez pour en prendre possession est un pays de montagnes et de vallées, qui s'abreuve d'eau par la pluie du ciel. Dans d'autres passages de la Bible la Palestine est souvent caractérisée comme pays de montagnes, de là les expressions de monter et descendre, si souvent employées dans la Bible pour dire : entrer en Palestine ou en sortir. A l'est et à l'ouest du Jourdain deux chaînes de montagnes, partant du Liban, traversent le pays du nord au midi, pour aboutir aux montagnes de Horeb et de Sinaï. Ces montagnes et les différentes branches qui s'en détachent sont coupées çà et là par des plaines et des vallons. Entre les deux chaînes se trouve la grande vallée que parcourt le Jourdain. Moins hautes vers le nord, les montagnes, couvertes d'arbres et de verdure, ont un aspect plus riant ; vers le midi, dans la Judée proprement dite, et surtout vers la mer Morte, elles sont stériles et les plaines elles-mêmes désertes et incultes. Sous le rapport géologique, la Palestine appartient à la grande formation du calcaire alpin. En comparant ce qui a été précédemment écrit sur le sol de la Palestine et sur ses montagnes avec ce qu'ont dit les voyageurs modernes qui ont visité les contrées voisines[1], on est amené à conclure que les montagnes sont formées de roches calcaires et crétacées, entrecoupées d'éruptions basaltiques, qui prédominent au nord-est ; et que le voisinage du lac Asphaltite a été tourmenté par des phénomènes volcaniques. A u sud-ouest le pays est presque entièrement plat, et quoiqu'il manque d'eau en été, le sol est pourtant noir et gras. Au nord nous remarquons d'abord les célèbres montagnes du Liban. Leur nom hébreu Lebanôn signifie mont blanc ; les neiges qui couvrent la partie orientale du Liban lui ont donné ce nom. Sur sa tête, disent les poètes arabes, il porte l'hiver, sur ses épaules le printemps, dans son sein l'automne, et l'été sommeille à ses pieds. Le Liban, qui sépare le pays de Canaan de la Syrie, se compose de deux chaînes de montagnes : le Liban proprement dit et l'Antiliban. Dans la Bible cependant on ne trouve qu'un seul nom pour les deux chaînes[2]. Elles sont séparées par une grande vallée appelée par les anciens auteurs profanes Cœlésyrie et dans la Bible vallée du Liban, maintenant en arabe Bouqha (la vallée). Nous n'avons ici à nous occuper que de l'Antiliban qui seul, par ses branches méridionales, pénétrait dans le pays des Hébreux. L'une de ces branches, à l'est des sources du Jourdain, est souvent mentionnée dans la Bible sous le nom de Hermon. Aujourd'hui la montagne du Hermon s'appelle Djebel-el-schéïkh ; au sud-est Djebel Héisch. Selon Burkhardt, cette montagne forme le sommet le plus élevé du Liban ; ses neiges éternelles lui ont fait donner par les Arabes le nom de Djebel-el-theldj (montagne de neige). En deçà du Jourdain une autre branche de l'Antiliban s'étend au sud-ouest ; c'est la montagne de Naphtali (Jos., ch. 20, v. 7), aujourd'hui appelée Djebel safed. Si maintenant nous restons placés à l'ouest du fleuve, nous trouvons au sud-ouest la mont Carmel qui forme dans la Méditerranée un promontoire, au-dessous de Saint-Jean d'Acre. C'est un pic écrasé et rocailleux d'environ 850 toises d'élévation (Volney). Son nom signifie plantation (de vignes, d'arbres) ; en effet le Carmel, ainsi que ses environs, sont couverts d'arbres et de verdure : sur le sommet on voit des pins et des chênes, plus bas des oliviers et des lauriers. Aussi le Carmel est souvent dans la Bible l'emblème de la fertilité, opposé au désert : Au désert sera donnée la beauté du Carmel et de la plaine de Saron, dit Isaïe dans une de ses visions prophétiques ; et Amos, le berger de Thécoa, dit : Les pâturages des bergers sont en deuil, et la tête du Carmel se dessèche. Cette montagne a beaucoup de cavernes ; l'on y montre encore celle qu'habitait, selon la tradition, le prophète Elie. Le couvent de saint Elie, que les Carmélites bâtirent sur la montagne, en l'année 1180, fut détruit par les Turcs en 1799, après avoir été transformé par les Français en un hôpital pour les pestiférés. Au sud-est du Carmel, à une distance de six à sept lieues, nous trouvons le mont Thabor, appelé par les Grecs Ittabyrion, et par les Arabes de nos jours Djebel Tour[3]. C'est un cône tronqué entièrement isolé. In omni parte finitur equaliter, dit saint Jérôme. Ses pentes sont couvertes de buissons, de chênes et de pistachiers sauvages. Sur le sommet, qui forme un plateau ovale d'une demi-lieue de circuit, on voit les ruines d'un fort, et sur les bords est un mur épais où se trouve à l'occident une porte voûtée. Cette montagne est célèbre dans les traditions sacrées des juifs et des chrétiens. C'est là que Barak, sur l'ordre de Débora, rassembla son armée, pour combattre contre Sisera, et, selon saint Jérôme, c'est au Thabor qu'eut lieu la transfiguration de Jésus. — Entre le Thabor et Safed, se trouve une colline oblongue, ayant deux pointes aux deux extrémités ; de là son nom de Koroun-hottein (les cornes de Hotteïn)[4]. Les chrétiens l'appellent montagne des béatitudes ; car, selon la tradition, ce fut là que Jésus prononça son discours appelé le sermon sur la montagne. Au midi du Thabor, après avoir traversé la plaine d'Esdrélon, on voit s'élever une chaîne de montagnes, qui s'étend jusqu'au désert d'El-Tyh. La partie du nord s'appelle dans la Bible la montagne d'Ephraïm, celle du sud la montagne de Juda ; elles ne sont point séparées par une limite naturelle, et se terminent à l'occident en une plaine qui aboutit à la mer ; leur pente orientale forme la côte pierreuse à l'ouest de la plaine du Jourdain et de la mer Morte. Josèphe présente la montagne d'Ephraïm comme riche en sources, en vignes et en arbres fruitiers. Là nous trouvons les monts Ébal et Garizim, l'un au nord de la plaine de Sichem, nu et escarpé, l'autre au midi, couvert de jardins, qui s'élèvent en forme de terrasses. Il est parlé des monts Ébal et Garizim dans la loi de Moïse. Les tribus israélites après avoir pris possession du pays de Canaan devaient bâtir un autel sur l'Ébal et y célébrer un sacrifice solennel. Ensuite six tribus devaient se placer sur cette montagne pour prononcer la malédiction contre ceux qui n'observeraient pas la loi ; les six autres tribus sur le Garizim pour prononcer la bénédiction sur ceux qui suivraient la loi. Josué en effet fit exécuter cet ordre de Moïse (v. Deutéron., ch. 27, et Jos., ch. 8, v. 30-35). Les Samaritains, qui, sous Alexandre le Grand, bâtirent un temple sur le Garizim, substituèrent dans le Deutéronome le nom de cette montagne à celui d'Ébat, afin de désigner le lieu de leur sanctuaire comme celui où jadis s'était conclue l'alliance solennelle. Encore aujourd'hui les Samaritains de Nablous se tournent en priant vers la montagne de Garizim. Au nord-est la montagne d'Éphraïm se termine par le Gelboa, maintenant Djebel Djilbo, célèbre par un combat entre les Israélites et les Philistins où Saül et ses enfants perdirent la vie. Au nord-ouest elle se lie au Carmel dont nous avons déjà parlé. La montagne de Juda s'étend jusqu'à la limite méridionale de la Palestine ; elle portait avant la conquête des Hébreux le nom de montagne des Amorites. A l'est elle est limitée en partie par la mer Morte. Là nous trouvons les célèbres hauteurs de Jérusalem, les monts Sion et Maria et la montagne des Oliviers. Sur cette dernière on ne trouve maintenant qu'un petit nombre d'oliviers ; mais on y voit des vignes, des citronniers, des amandiers et des figuiers. — Au nord-est de Jérusalem jusqu'à Jéricho, on ne trouve que des montagnes pierreuses et des vallées stériles. La plus remarquable de ces montagnes est celle qu'on appelle Quarantania, située au nord de la plaine de Jéricho. Elle tire son nom du jeûne de quarante jours observé par Jésus, et les traditions placent ici la scène de la tentation. — Au midi de, Jérusalem les montagnes sont également stériles ; ce n'est qu'aux environs de Béthléem qu'on trouve quelques collines plantées de vignes et d'oliviers. Dans ces environs Seezen trouva un mont Carmel qu'il ne faut pas confondre avec la célèbre montagne du même nom, niais qui est très-probablement le Carmel mentionné dans le premier livre de Samuel (ch. 15, v. 12, et ch. 25, v. 5). Si maintenant nous retournons au Hermon pour suivre la chaîne des montagnes qui s'étend du nord au sud, à l'est du Jourdain, entre les rivières d'Hieromax (Scheriat-mandhour) et d'Arnon (Wadi-moudjeb), nous trouvons les montagnes de Basan et de Gilead (maintenant Djebel Djelaad). Ces montagnes s'étendent au delà du Wadi Zerka (le Yabboc de la Bible) jusqu'à Rabbath Ammon. En avançant vers le sud, s'élèvent les montagnes d'Abarim, qui s'étendent jusque dans le territoire des Moabites. Ici on remarque, comme le point le plus élevé, le Djebel Attarous qui est très-probablement le Nebo ou Pisgah sur lequel monta Moïse avant sa mort, pour voir le pays que les Hébreux allaient conquérir. Les deux chaînes de montagnes, à l'est et à l'ouest du Jourdain, se continuent au midi de la mer Morte et vont se joindre aux montagnes de Seïr (maintenant Djebâl) qui se prolongent jusqu'au golfe élanitique. Dans toutes ces montagnes, l'on trouve un grand nombre de grottes et de cavernes, qui dans les temps anciens étaient habitées par les peuplades encore sauvages et qui plus tard servaient souvent de lieux de sépulture. Le nombre prodigieux de cavernes que l'on trouve en Palestine s'explique naturellement par le caractère des montagnes. Les cavernes ne manquent jamais dans les formations du calcaire alpin et jurassique. La plaine la plus importante de la Palestine est celle du
Jourdain. Dans la Bible elle est appelée, par excellence, Ha-arabah
(la
plaine) ; maintenant on l'appelle El-Ghôr. Elle s'étend entre les
deux chaînes de montagnes depuis le lac de Tibériade jusqu'à la nier Morte,
où elle a près de deux lieues de largeur. Cette partie est appelée dans la
Bible plaine
de Jéricho. Elle sert de pâturage aux troupeaux des Bédouins, mais
elle est peu cultivée maintenant. Voici comment M. de Chateaubriand décrit la
plaine du Jourdain : La vallée comprise entre les deux chaînes de montagnes offre un
sol semblable au fond d'une mer depuis longtemps retirée : des plages de sel,
une vase desséchée, des sables mouvants et comme sillonnés par les flots. Çà
et là des arbustes chétifs croissent péniblement sur cette terre privée de vie
; leurs feuilles sont couvertes du sel qui les a nourries, et leur écorce a
le goût et l'odeur de la fumée. Au lieu de villages on aperçoit les ruines de
quelques tours. Au milieu de la vallée passe un fleuve décoloré ; il se
traîne à regret vers le lac empesté qui l'engloutit. On ne distingue son
cours au milieu de l'arène que par les saules et les roseaux qui le bordent :
l'Arabe se cache dans ces roseaux pour attaquer le voyageur et dépouiller le
pèlerin. La Bible mentionne beaucoup d'autres plaines, dont nous nous contentons de nommer ici les plus célèbres. La plaine de Yesreel ou Esdrélon (maintenant Merdj Ibn-Amer), au sud du Thabor, a environ huit lieues de long sur quatre lieues de large. Ce n'est pas une plaine dans le sens propre du mot ; elle consiste, dit un voyageur moderne (Buckingham, p. 552), en une série d'élévations et de dépressions dont quelques-unes sont fort considérables. Maintenant elle est fort peu cultivée, quoiqu'elle soit propre à la culture des blés. Dans l'histoire elle est célèbre par plusieurs combats qui s'y livrèrent, entre Gédéon et les Madianites, entre Saül et les Philistins, entre Achab et les Syriens. Là tomba le roi Josias frappé par les archers du roi Pharaon-Nécho. — La plaine de Saron, célèbre pour ses pâturages, était située probablement près de Yâfa et de Lydda, comme le dit saint Jérôme, quoique la Bible ne nous donne là-dessus aucun renseignement. — La Schefélah (lieu bas) est sans doute la plaine qui, sur la côte de la Méditerranée, s'étend de Yâfa jusqu'à Gaza, et où se trouvaient les cinq principautés des Philistins. Dans les environs de Jérusalem nous trouvons les vallées des Rephaïm ou géants, de Josaphat et de Gué hinnôm. Dans cette dernière vallée se célébraient les cérémonies du culte barbare de Moloch, et plus tard les Juifs désignèrent par son nom l'enfer ; de là le nom de Géhenne qu'on lit dans le Nouveau Testament. — A l'est de la mer Morte nous trouvons les plaines de Moab (maintenant El-Kurâh), où les Hébreux campèrent quelque temps avant de passer le Jourdain. Les lieux qui dans la Bible sont appelés déserts (Midbar) ne sont pas toujours des terrains stériles et entièrement incultes. Souvent ce sont des lieux peu propres à l'agriculture, mais où l'on trouve toutefois des pâturages. Dans le nord nous ne voyons mentionné que le désert de Bethsaïda où se rendit Jésus après la mort de saint Jean-Baptiste. Dans le midi il y en a plusieurs, dont le plus important est le désert de Juda qui contenait six villes et était situé près de Thécoa sur la côte occidentale de la mer Morte. Au nord-est de Jérusalem est le désert de Jéricho et au sud-est sont les déserts de En-guedi et de Ziph, qui renferment, l'un et l'autre, beaucoup de montagnes et de cavernes. La Palestine n'est point riche en bois, si on en excepte la Batanée au delà du Jourdain, qui abonde en chênes. La Bible mentionne cependant plusieurs forêts en deçà du fleuve comme, par exemple, la forêt d'Ephraïm (2 Sam. ch. 18, v. 6) et la forêt de Hareth (1 Sam., ch. 22, v. 5) dans le pays de Juda. Il nous reste à parler des eaux de la Palestine ; nous allons les examiner en allant de l'ouest à l'est et en commençant par les golfes de la Méditerranée. Nous verrons d'abord quelques petits torrents qui se jettent dans la mer ; ensuite le Jourdain se présentera avec les trois lacs qu'il rencontre sur son chemin, et enfin les torrents qui viennent de l'est se jeter dans le Jourdain et dans la mer Morte. La Méditerranée est appelée dans la Bible la mer par excellence, la grande mer, la mer extrême. Le golfe le plus important sur les côtes de la Palestine est celui de Saint-Jean d'Acre ; celui de Yâfa est moins considérable, quoique le port, d'ailleurs très-mauvais, lui donne une certaine importance. Les cèdres du Liban destinés à Jérusalem étaient transportés par radeaux jusqu'à Yâfa (2 Chron., ch. 2, v. 15). Le flux et le reflux sont peu sensibles sur ces côtes. On ne trouve à l'ouest du Jourdain que de petites rivières qui ne sont point propres à la navigation. Nous en remarquons cinq : 1° Le Belus (maintenant Nahr-Halou ?) qui traverse la plaine de Saint-Jean d'Acre et qui se jette dans le golfe près de cette ville. Il ne se trouve pas mentionné dans la Bible, mais il est célèbre dans l'antiquité, car ce fut sur ses bords que les Phéniciens inventèrent le verre[5]. Selon Josèphe (de Bello Jud., 2, 11), il ne parcourt que l'espace de deux stades ou de 250 pas. 2° Le Kison (Nahr el-mokatta et Nahr-Haïfa[6]) a sa source à quelque distance du Thabor, et après avoir parcouru la plaine d'Esdrélon, il touche le Carmel au nord et se jette près de Haïfa dans le golfe d'Acre. En hiver il se gonfle par les torrents qui descendent des montagnes de Samarie. Débora l'a célébré dans son cantique ; car ce fut sur ses bords que Barak remporta la victoire sur Sisera. 3° Le Kanah a son embouchure entre Césarée et Yâfa ; il formait autrefois la limite entre les tribus de Manassé et d'Éphraïm. 4° Le Besor tombe dans la mer près de Gaza ; il est connu dans la Bible par l'expédition de David contre les Amalécites (1 Sam., ch. 30, v. 9, 10, 21). 5° Le torrent d'Égypte (Wadi-el-Arisa), qui forme la limite méridionale de la Palestine. Il tombe dans la mer près d'El-Arîsch, autrefois Minocoroura. — Nous remarquons encore à l'ouest du Jourdain deux petits torrents, le Crith et le Kidron (Cédron) ; le premier tombe dans le Jourdain à l'est de Samarie[7], le second, sorti de la vallée qui sépare Jérusalem de la montagne des Oliviers, court vers le midi se jeter dans la nier Morte, après avoir passé près du couvent de Saint-Sabas. Le grand fleuve de la Palestine, le seul qui mérite réellement ce nom, est le JOURDAIN (en hébreu yarden). Il est formé par le confluent de trois petites rivières ; ce sont : 1° le Hasbeni ou Moyet-Hasbeïa, qui prend sa source près de Hasbeïa, au pied du Djebel-el-Scheïkh ; 2° le Dan, qui sort au sud-est du Hasbeni, près de Tell-el-Kadhi, et qui après un court trajet se lie avec 3° le Banias (Paneas) venant de l'est ; celui-ci sort d'une grotte près de Banias, l'ancienne Césarée-Philippi, et sa source fut considérée par les anciens habitants comme étant la seule véritable source du Jourdain[8]. Elle parait être en rapport avec le lac appelé Birket-el-Râm, autrefois Phiala, qui se trouve à deux lieues de là au nord-est ; car Josèphe rapporte (de Bell Jud., l. 3, ch. 16) que le tétrarque Philippe, ayant fait jeter de la balle dans la Phiala, elle reparut dans la source du Banias. Les trois rivières réunies forment donc le Jourdain, qui va couler d'abord dans le lac d'Elhoula, autrefois appelé Samochonilis et dans la Bible eaux de Merôm (hauteur). Ce lac a environ deux lieues et demie de long sur une lieue de large ; son eau est quelquefois bourbeuse et malsaine, ce qui ne l'empêche pas d'être très-poissonneux. En été il est presque à sec, et on y voit pousser des joncs et des buissons qui servent de repaire aux serpents et aux sangliers. Ses bords orientaux sont les seuls habités ; au sud-ouest le sol est couvert d'une couche de terre saline, en sorte que les Arabes ont appelé le bord occidental du nom de Melâha. Là Josué vainquit Jabin, roi de Hasor, et quelques autres rois des Cananéens. Après avoir traversé ce lac, le Jourdain parcourt les vallées autrefois si florissantes de la Galilée, se dirigeant au sud. A une demi-lieue du lac se trouve le pont des fils de Jacob (Djisr Beni-Yacoub), ainsi appelé parce que, selon la tradition populaire, ce fut là que Jacob passa le Jourdain en revenant de la Mésopotamie avec sa famille. Le pont, bâti en basalte, a quatre arches ; la largeur du fleuve, dans cet endroit, est de 35 pieds. A deux lieues de là le fleuve tombe dans le lac de Tibériade. Ce lac appelé en hébreu Yam-Kinnéreth (mer de Kinnéreth), du nom d'une ville des Naphthalites située sur ses bords à l'occident, fut plus tard nommé lac de Genesar ou Genesareth, nom qui se trouve déjà employé dans le premier livre des Macchabées (ch. II, v. 67) et souvent dans le Nouveau Testament et dans les écrits des anciens rabbins. La mer de Galilée, dont il est question dans les Évangiles, est encore ce même lac. Le nom qu'il porte maintenant, celui de lac de Tibériade, ou (comme prononcent les Arabes), Tabariyya, est également très-ancien ; on le trouve dans l'Évangile de saint Jean (ch. 6, v. 1, et ch. 21, v. 1). Ce lac, dont le fond est sablonneux, a des eaux limpides et douces et on y trouve beaucoup de poisson, surtout dans la partie du nord. Ses environs forment la plus belle contrée de toute la Palestine ; on y jouit de la température des tropiques, et Burckhardt rapporte que les melons y mûrissent un mois plus tôt que dans les environs de Saint-Jean d'Âcre et de Damas. Tous les voyageurs modernes parlent encore de la beauté de ce lac, comme le font Josèphe et les auteurs du Talmud. Autrefois les villes de Tibériade, Tarichée, Bethsaida, Caphernaüm et autres animaient les environs de ce lac ; maintenant on n'y trouve plus que des ruines. Tibériade, autrefois capitale de la Galilée, n'est plus qu'une petite bourgade. La longueur du lac est, selon Josèphe, de 140 stades (environ 6 lieues), la largeur de 40 stades (une lieue et demie). Des voyageurs modernes lui donnent une étendue un peu moins grande. La pêche y est encore aujourd'hui assez productive, quoiqu'elle ne se fasse que sur ses bords. La mer de Galilée est célèbre dans les traditions chrétiennes ; le calme et la paix qui y régnaient ordinairement furent troublés, sous Vespasien, par un combat qui s'y livra entre les Juifs et les Romains (Jos., Bell. Jud., III, 10). Sorti du lac, le Jourdain continue son cours vers le sud à travers la vallée du Ghôr, et à une distance de 25 lieues il se jette dans la mer Morte. Les Arabes appellent cette partie du fleuve Scheria ou Scheriat-el-kebir, tandis qu'ils donnent à la partie supérieure le nom d'Ordoun. La largeur du fleuve ne passe guère soixante-dix à quatre-vingts pieds, mais il a une profondeur de dix à douze pieds (Volney, t. II, ch. 6). Il offre beaucoup de sinuosités : en sortant du lac de Tibériade, il parcourt d'abord trois lieues le long des collines occidentales, puis tourne vers l'orient, et après avoir encore fait plusieurs lieues dans cette direction, il se dirige de nouveau vers l'occident et va ensuite en ligne assez droite du nord au sud jusqu'à son embouchure. Il résulte de plusieurs passages de la Bible que le Jourdain débordait quelquefois vers l'équinoxe du printemps. (Jos., ch. 3, v. 15. I Chron., ch. 12, v. 15. Ecclésiastique, ch. 24, v. 36.) Parmi les voyageurs modernes, Volney est le seul qui parle de ses inondations. Quaresmius (Elucid. Terræ S., t. II, p. 738) dit positivement qu'elles ne paraissent plus avoir lieu, qu'il a visité plusieurs fois les rives du Jourdain à l'époque de la Pâque, pour y célébrer la Messe, et que le fleuve alors non-seulement ne sortait pas de son lit, mais qu'il le remplissait à peine. On pense que les bords du fleuve sont maintenant plus élevés que dans les temps anciens et que par cette raison les débordements sont plus rares. Au reste, tout dépend de la fonte plus ou moins prompte des neiges de l'Antiliban, seule cause du gonflement du Jourdain. L'embouchure du fleuve offre le plus grand contraste avec le beau lac de Tibériade. Là une nature pleine de charme, une végétation riante, ici la tristesse et la mort. Dans la mer Morte le Jourdain trouve son tombeau. Cette mer porte dans la Bible plusieurs noms : dans le Pentateuque elle est appelée la mer de sel ou la mer de la plaine (parce qu'elle est située près de la grande plaine du Jourdain, Araba). Quelques-uns des derniers prophètes, comme Joël, Ézéchiel, Zacharie, l'appellent la mer orientale. Les Grecs et les Romains lui donnèrent le nom d'Asphaltitis, à cause de l'asphalte qui y surnage et qu'elle dépose sur ses bords. Enfin les Arabes l'appellent Bahret-Lout (lac de Lot), parce que Lot, neveu d'Abraham, demeurait dans ses environs. Le nom de mer Morte que nous lui donnons communément se trouve déjà dans les écrits d'Eusèbe et de saint Jérôme. Ce dernier, dans son commentaire sur Ézéchiel (ch. 47, v. 9), dit qu'on l'appelle ainsi parce qu'elle ne renferme rien de vivant, et il ajoute : Revera, juxta literam huc usque nihil, quod spiret et possit incedere, præ amaritudine nimia in hoc mari reperiri potest, nec cochleolæquidem parvique vermiculi et anguillæ et cætera animantium sive serpentum genera quorum magis corpuscula possumus nosse quam nomina. Denique si Jordanes auctus imbribus pisces illuc influens rapuerit, statim moriuntur et pinguibus aquis supernalant. Il sera intéressant de rapprocher de ces paroles de saint Jérôme ce qu'a écrit quatorze siècles après lui un voyageur dont le témoignage n'a pas moins d'autorité. Voici comment s'exprime Volney (État physique de la Syrie, ch. I, § 7) : Le seul lac Asphaltite ne contient rien de vivant ni même de végétant. On ne voit ni verdure sur ses bords, ni poisson dans ses eaux[9] ; mais il est faux que son air soit empesté au point que les oiseaux ne puissent le traverser impunément. Il n'est pas rare de voir des hirondelles voler à sa surface, pour y prendre l'eau nécessaire à bâtir leurs nids. La vraie cause de l'absence des végétaux et des animaux est la salure âcre de ses eaux, infiniment plus forte que celle de la mer. La terre qui l'environne, également imprégnée de cette salure, se refuse à produire des plantes ; l'air lui-même qui s'en charge par l'évaporation, et qui reçoit encore les vapeurs du soufre et du bitume, ne peut convenir à la végétation. De la cet aspect de mort qui règne autour du lac. Il est facile de se maintenir sans nager sur la surface de l'eau, à cause de son poids spécifique. Josèphe raconte que Vespasien y avait fait jeter des hommes, les mains liées sur le dos, et que ces hommes ne périrent point (de Bell. Jud., l. 4, ch. 8). Periti imperitique nandi perinde attolluntur, dit Tacite (Hist., v. 6). On n'a su se rendre compte de la consommation des eaux que le Jourdain verse sans cesse dans le lac. Quelques-uns ont supposé une communication souterraine avec la Méditerranée ; d'autres l'ont expliquée par l'évaporation, et cette dernière opinion est la seule vraisemblable[10]. Le lac a environ 19 lieues de longueur, et une largeur de 5 lieues. A sa place était autrefois, selon la Genèse (ch. 14, v. 3), une vallée appelée Siddim, dans laquelle se trouvaient des puits d'asphalte (ib., v. 10)[11]. Le lac se serait formé par le terrible phénomène qui causa la destruction des villes de Sodome, Gomorrhe, Adama et Seboïm, situées dans ces environs. La catastrophe de ces villes fut amenée sans doute par l'éruption d'un volcan. Les laves et les pierres ponces qu'on trouve sur les bords du lac ne laissent pas de doute sur la nature volcanique de ces contrées, et il paraît que le feu n'est pas encore entièrement éteint. On observe, dit Volney (ib., 4), qu'il s'échappe souvent du lac des trombons de fumée, et qu'il se fait de nouvelles crevasses sur ses rivages. Parmi les petites rivières de l'est nous en nommerons trois, qui sont les plus remarquables : 1° Le Scheriat-el-mandhour ou Menadhiré, appelé aussi Hiéromax ou Yarmouk. Ses sources sont, selon Burckhardt, dans le Djebel Hauran et dans le Golan. Il coule d'abord dans un profond lit de basalte ; en sortant des montagnes sa largeur est de 65 pas, et il se jette dans le Jourdain à deux lieues au-dessous du lac de Tibériade. Il n'est point mentionné dans la Bible. 2° Le Zerka, dans la Bible Yabbok. Selon Burckhardt, il vient du Djebel Hauran et après être sorti des montagnes, il va à une lieue ½ O. se jeter dans le Jourdain. Autrefois il séparait les Ammonites des Amorites ; maintenant il forme la limite entre les districts de Morad et de Belka. 3° Le Waal Moudjeb, dans la Bible Anion. Il sort des montagnes de l'Arabie déserte près de Katrane, station des pèlerins de Syrie ; il coule d'abord vers le midi, ensuite il tourne vers l'ouest pour se jeter dans la mer Morte, près de son extrémité septentrionale. Il sépare le Belka du Kerek, ancien pays des Moabites, et il formait autrefois la limite méridionale de la Palestine orientale. On trouve aussi en Palestine plusieurs sources chaudes. Josèphe et Pline parlent des eaux thermales de Callirrhoé, au sud-est de la nier Morte ; elles ont été retrouvées récemment par Legh, voyageur anglais[12]. Ce sont là très-probablement les Yémim que, selon la Genèse (ch. 36, v. 24), Anah fils de Sibéon trouva dans le désert[13]. Dans les environs du lac de Tibériade il y a également des bains chauds : à l'ouest près de la ville de Tibériade, et à l'est près de Gadara, maintenant Onon-Keïs, où Burckhardt trouva dix sources d'eau minérale. Dans la Bible il n'en est pas question. On voit par la description que nous venons de faire, que si, à raison des latitudes, la Palestine devrait être un pays très-chaud, son climat est cependant très-varié à raison de l'élévation du terrain. Peu de pays offrent sous ce rapport autant de variété dans une enceinte aussi étroite. Il suffit souvent de se transporter à quelques lieues pour se trouver dans un climat tout différent. Ici vous trouverez des palmiers et les fruits des tropiques, là des noyers et d'autres productions des pays plus froids ; ainsi on y voit réunies, dans un rayon peu étendu, les productions des climats les plus différents et des pays les plus éloignés les uns des autres. Le soleil se lève, dans le solstice d'été, un peu avant 5 heures et il se couche à sept heures et quelques minutes ; dans le solstice d'hiver il se lève un peu après 7 heures et il se couche un peu avant 5 heures ; la longueur des jours varie de 9 heures 48 minutes à 14 heures 12 minutes. L'année se divise en deux saisons, celle des chaleurs et celle des pluies, ou en été et hiver[14]. Les chaleurs de l'été sont tempérées par la rosée qui tombe pendant la nuit et qui dans la Bible est souvent présentée comme une des plus grandes bénédictions du ciel. Elle est tellement abondante que ses effets ressemblent souvent à ceux de la pluie. Ouvre-moi, dit l'amant dans le cantique (ch. 5, v. 2), ouvre-moi, ma sœur, mon amie ; car ma tête est pleine de rosée, les boucles de mes cheveux sont pleines des gouttes de la nuit. L'été est presque sans nuage et les orages sont fort rares. La saison des pluies commence vers la fin d'octobre. A près la première pluie ou la pluie hâtive, gui est suivie d'un second été, on s'occupe des semailles d'hiver, qui consistent en orge et en froment. Au milieu de l'hiver, aux mois de décembre et de janvier, les pluies deviennent de plus en plus fortes, et dans le pays élevé, elles prennent la forme de neige. Plusieurs passages de la Bible, où il est question de neige et de glace, prouvent que dans quelques contrées de la Palestine le froid est quelquefois très-sensible : Il envoie de la neige (blanche) comme la laine, il répand le frimas comme les cendres, il jette sa glace en morceaux ; qui pourrait tenir devant sa gelée ? (Ps. 147, 16.) Les eaux se cachent comme sous une pierre, et la surface de l'abime se consolide (Job, ch. 38, v. 30). — La dernière pluie ou la pluie tardive tombe aux mois de mars et d'avril, avant la récolte des fruits d'hiver. C'est à la fin d'avril et dans le courant de niai qu'on coupe le froment et l'orge. On profite de la pluie tardive pour faire les semailles d'été, telles que le sésame, le doura, le tabac, le coton, les fèves et les pastèques[15], dont la moisson se fait dans les mois de septembre et d'octobre. C'est à la même époque, c'est-à-dire, à la fin de septembre, que se font les vendanges dans les montagnes. La marche des vents est très-régulière. Vers l'équinoxe d'automne le vent du nord-ouest commence à souffler, et il dure jusqu'en novembre, alternant surtout avec le vent d'est. De novembre jusqu'en février règnent ceux du nord-ouest, de l'ouest et du sud-ouest ; ces deux derniers sont appelés par les Arabes les pères des pluies[16]. Ils sont remplacés, au mois de mars, par les pernicieux vents du sud qui soufflent ordinairement trois jours de suite. Les vents d'est qui leur succèdent durent jusqu'au mois de juin. Tandis que le vent d'ouest amène la pluie, le vent d'est, qui vient du désert, est extrêmement chaud, et brûle les plantes. Ézéchiel (17, 10 ; 19, 12)[17] parle du vent d'est qui dessèche la vigne ; par une image dont se sert Osée (13, 15) nous voyons qu'il fait tarir les sources. Il souffle avec force et souvent dégénère en tempête. Aussi, dans la Bible, se sert-on souvent du mot est (KADÎM) dans le sens de tempête. Le vent d'est brise les vaisseaux de Tarsis (Ps. 48, 8). Après le vent d'est, c'est le vent du nord qui s'établit, et qui permet d'aller et de revenir à la voile sur toute la côte[18]. La Palestine nous présente quelques phénomènes extraordinaires, qui, dans les temps anciens et modernes, sont devenus quelquefois pour ce pays des fléaux redoutables. Tels sont les tremblements de terre et les sauterelles. Les tremblements de terre sont dus sans doute à la même cause que les éruptions volcaniques, dont la Palestine fut autrefois le théâtre. L'histoire nous a conservé le souvenir de plusieurs tremblements, qui ont détruit des villes entières dans la Syrie et la Palestine. Le prophète Zacharie (ch. 14, v. 5) parle d'un grand tremblement de terre qui eut lieu sous le règne d'Ouzia, roi de Juda ; ce qui prouve que cette catastrophe resta longtemps dans la mémoire des hommes, car entre Ouzia et Zacharie on compte plus de 250 ans. Cet événement avait formé une ère nouvelle ; car dans l'épigraphe des prophéties d'Amos, pour fixer l'époque de la mission de ce prophète, on dit qu'il prêcha deux ans avant le tremblement. — Sous Hérode, lors de la bataille d'Actium, il est fait mention d'un autre tremblement de terre qui fit périr dix mille personnes (Josèphe, Antiqu., l. 15, ch. 5, § 2). Les terribles tremblements qui, pendant le règne de l'empereur Justinien (527-565), se renouvelèrent presque chaque année, firent surtout de grands ravages dans la Syrie et la Palestine[19]. Plusieurs écrivains du moyen âge parlent également de semblables fléaux dont ils furent témoins dans ces contrées ; le tremblement de terre de 1169, dont parle Guillaume de Tyr (Hist., I. 20, ch. 19), se renouvela pendant quatre mois[20]. On trouve dans la relation de l'Égypte, par le médecin arabe Abdallatif[21] des détails sur celui de 1202, qui détruisit presque toutes les villes sur la côte de Syrie et dans la Galilée, et qui s'étendit jusqu'en Egypte. Dans les temps modernes, Volney parle d'un tremblement arrivé en 1759, qui fit périr plus de 20.000 personnes. Enfin de nos jours encore la Syrie et la Palestine ont cruellement souffert de ce fléau ; en 1822 la ville d'Alep fut détruite en grande partie, et tout récemment (janvier 1837), Tibériade, Safad et plusieurs autres villes de la Galilée ont subi le même sort. Il est digne de remarque, que de tout temps le territoire de Jérusalem est resté presque intact dans les grandes secousses ; un des plus anciens poètes a dit : Dieu est au milieu d'elle, elle ne chancelle pas (Ps. 46, v. 9). La Palestine, ainsi que d'autres contrées de l'Orient, est
en proie au fléau des sauterelles, qui arrivent quelquefois par nuées ravager
les campagnes. Nous citerons ici la description d'un auteur moderne, elle
offre la plus grande analogie avec celle que nous a laissée le prophète Joël :
La quantité de ces insectes, dit Volney (l. c., § 5), est
une chose incroyable pour quiconque ne l'a pas vue par lui-même : la terre en
est couverte sur un espace de plusieurs lieues. On entend de loin le bruit
qu'elles font en broutant les herbes et les arbres comme d'une armée qui fourrage
à la dérobée. Il vaudrait mieux avoir affaire à des Tartares qu'à ces petits
animaux destructeurs : on dirait que le feu suit leurs traces. Partout où
leurs légions se portent, la verdure disparaît de la campagne, comme un
rideau que l'on plie ; les arbres et les plantes dépouillés de feuilles, et
réduits à leurs rameaux et à leurs tiges, font succéder en un clin d'œil le
spectacle hideux de l'hiver aux riches scènes du printemps. Lorsque ces nuées
de sauterelles prennent leur vol pour surmonter quelque obstacle ou traverser
plus rapidement un sol désert, on peut dire à la lettre que le ciel en est
obscurci. Voici maintenant quelques passages de la description du
prophète Joël, qui compare l'arrivée des sauterelles à l'invasion d'un peuple
ennemi : Il est précédé d'un feu dévorant, une flamme
brûlante est à sa suite ; la terre était devant lui semblable au jardin
d'Eden, et (il la laisse) derrière lui comme un désert de désolation ; rien ne peut
lui échapper. Ils ont (les ennemis) l'aspect de chevaux, ils courent comme des cavaliers.
Avec un bruit comme celui des chars, ils sautent sur les sommets des
montagnes ; c'est comme le bruit d'une flamme de feu qui dévore le chaume ;
comme un peuple puissant rangé en bataille..... Ils courent comme
des héros, ils escaladent le mur comme des hommes de guerre ; ils s'avancent,
chacun dans son chemin ; ils ne dévient pas de leur route..... Ils pénètrent dans la ville, ils courent sur le mur ; ils
montent dans les maisons, ils entrent par les fenêtres comme un voleur.
Devant eux, la terre tremble, le ciel s'ébranle, le soleil et la lune
s'obscurcissent, et les astres retirent leur clarté. — Poussées dans la Méditerranée par les vents d'est et de
sud-est les sauterelles s'y noient en très-grande quantité. Même dans la mer,
ces terribles ennemis ne cessent pas leurs hostilités ; leurs cadavres
rejetés sur le rivage infectent l'air pendant plusieurs jours à une grande
distance[22]. Ne craignez rien, animaux, des
campagnes, dit le prophète Joël ; car les pâturages
du désert se recouvrent de verdure, l'arbre porte son fruit, le figuier et la
vigne donnent leurs richesses. Les écrivains bibliques vantent
beaucoup la fertilité de la Palestine ; on connaît cette expression si
souvent répétée dans la Bible : le pays où coule
le lait et le miel, et Ézéchiel ajoute : le plus beau de tous les pays (ch. 20, v. 6)[23]. L'Éternel, ton Dieu (dit
Moïse au peuple d'Israël), te conduit dans un
bon pays, pays à torrents d'eau, à sources d'eaux souterraines, jaillissant
dans la vallée et sur la montagne ; pays de froment, d'orge, de vignes, de
figuiers et de grenadiers, pays d'oliviers, d'huile et de miel ; pays où tu
ne mangeras pas le pain avec pénurie ; tu n'y manqueras de rien ; pays dont
les pierres sont du fer, et de ses montagnes tu tailleras le cuivre. (Deutéron., ch. 8, v. 7-9.) Le témoignage des
auteurs profanes vient confirmer les paroles de Moïse. Tacite parle de la
fertilité du sol de la Judée[24]. Justin, en
parlant de la vallée de Jéricho, loue sa fertilité et sa beauté[25]. Ammien dit également
: Palestina cultis abundans terris et nitidis[26]. Strabon seul
parait être en opposition avec les témoignages que nous venons de citer ; il
dit que la contrée où se trouve Jérusalem avait pu facilement être conquise
par le peuple que conduisit Moïse, parce qu'elle ne pouvait être un objet
d'envie, et que ce sol pierreux et stérile ne valait pas la peine qu'on se
battît pour sa possession[27]. Mais la contrée
de Jérusalem n'est pas toute la Palestine ; d'ailleurs Strabon ne connaissait
la Palestine que très-imparfaitement, comme l'a fait voir le savant Reland[28]. Les relations
d'un grand nombre de voyageurs prouvent que la Palestine a même conservé
beaucoup de traces de son ancienne fertilité[29]. Les plaines
offrent partout la végétation luxuriante d'un climat méridional, les
montagnes, il est vrai ne présentent pour la plupart que des rochers nus,
mais la main de l'homme est venue en aide à la nature : des terrasses furent
taillées dans les montagnes et on y apporta de la terre propre aux
plantations. Maundrell, d'Arvieux et Volney parlent de ces terrasses, dont
ils ont retrouvé les débris. Encore aujourd'hui la Palestine fournit un grand
nombre de productions diverses ; mais les guerres qui ont si souvent dévasté
ce pays, l'oppression barbare que les Turcs ont fait peser sur ses habitants,
le brigandage des Arabes nomades, expliquent suffisamment la désolation qui
règne dans ces contrées jadis si fertiles. Volney[30] dépeint avec les
couleurs les plus sombres l'état des paysans et de l'agriculture dans la
Syrie : Dans les cantons ouverts aux Arabes, tels
que la Palestine, il faut semer le fusil à la main. A peine le blé jaunit-il,
qu'on le coupe pour le cacher dans les matmoures ou caveaux
souterrains. On en retire le moins que l'on peut pour les semences, parce que
l'on ne sème qu'autant qu'il faut pour vivre ; en un mot, l'on borne toute
l'industrie à satisfaire les premiers besoins. Or, pour avoir un peu de pain,
des oignons, une mauvaise chemise bleue et un pagne de laine, il ne faut pas
la porter bien loin. Le paysan vit donc dans la détresse ; mais du moins il
n'enrichit pas ses tyrans ; et l'avarice du despotisme se trouve punie par
son propre crime. De la fertilité plus ou moins grande de la Palestine dépend naturellement la question de sa population dans les temps anciens. Sans vouloir complètement justifier les nombres que nous donnent les différents recensements rapportés dans les livres de Samuel, des Rois et des Chroniques, nous devons dire cependant qu'on les a trop légèrement révoqués en doute en raisonnant sur des analogies tirées de l'Occident et des temps modernes. Non-seulement les terres d'Asie sont beaucoup plus fécondes et peuvent nourrir plus d'hommes que celles d'Europe, mais tous les voyageurs s'accordent à dire que les Orientaux consomment beaucoup moins que nous. Burckhardt dit que ses compagnons de voyage, qui marchaient au moins cinq heures par jour, se contentaient pour toute nourriture, pendant 24 heures, d'une livre et demie de pain[31]. Nous ne voulons pas ici discuter les différents recensements que nous présente la Bible. Il est permis de douter de l'exactitude des chiffres, d'autant plus que pour l'un de ces recensements, celui qui eut lieu sous David, nous trouvons deux nombres différents ; il y a là évidemment une erreur de copiste. Cependant le chiffre de ce même recensement n'est pas aussi exagéré que quelques personnes ont pu le croire, et nous pensons que, combiné avec d'autres recensements, il peut servir de base pour fixer approximativement le chiffre de la population de l'ancienne Palestine. Joab, chargé par David de faire le recensement des guerriers, trouve, selon le 2me livre de Samuel (ch. 24, v. 8) 800.000 hommes dans Israël et 500.000 dans Juda ; selon le 1er livre des Chroniques, il y avait 1.100.000 hommes dans Israël et 470.000 dans Juda. Total, selon Samuel, 1.300.000 ; selon les Chroniques 1.570.000. Dans les chiffres du livre de Samuel il y a une trop grande disproportion entre Juda et les dix tribus d'Israël, même en comptant Benjamin avec Juda ; dans les Chroniques cette disproportion est moins grande, mais le nombre total a l'inconvénient d'être plus grand que celui de Samuel. Plus tard, après la défection des dix tribus, Abia, roi de Juda, avait, selon les Chroniques (II, ch. 13) une armée de 400.000 hommes ; celle de Jéroboam, roi d'Israël, se composait de 800.000 hommes. Ici le total est à peu près égal à celui que le livre de Samuel donne pour le recensement de David. Je pense que les documents que nous possédons étant tous d'origine judéenne, on peut les soupçonner de quelque exagération en faveur de Juda. Cette exagération n'est que trop évidente, lorsqu'on donne au roi Josaphat une armée de 1.160.000 hommes[32]. En considérant comme plus exact le chiffre 800.000 que nous trouvons deux fois pour l'armée d'Israël, et en tenant compte de la prépondérance numérique qu'offre la tribu de Juda dès les temps de Moïse (vov. Nombres, ch. 1 et 2), nous pouvons accorder aux deux tribus de Juda et de Benjamin, sous David et ses successeurs, une armée de 200.000 hommes ce qui nous donnerait un total d'un million de guerriers. Ce nombre ne paraîtra pas exagéré, si l'on réfléchit que, en temps de guerre, tout cultivateur devenait soldat, et qu'ainsi l'armée se composait de tous ceux qui étaient capables de porter les armes. Nous pouvons, d'après cela, compter un guerrier sur quatre individus, ce qui nous donnerait 4.000.000 d'habitants. A ce nombre il faut ajouter les Cananéens qui étaient restés parmi les Israélites, les esclaves, enfin les lévites, qui, exemptés de la guerre par la loi de Moïse, n'étaient probablement pas compris dans le recensement. Ce surplus de population pouvait se monter à un million ; ce qui donnerait un total de cinq millions d'âmes. C'est beaucoup, sans doute, pour un pays d'environ 1.300 lieues carrées ; mais nous savons que la Palestine pouvait y suffire, car d'après le tableau de la Judée au temps de Titus, tableau que Volney trouve assez bien constaté, le pays devait contenir encore à cette époque quatre millions d'âmes. Si nous en croyons Josèphe[33], le moindre bourg de la Celée avait à cette époque plus de 15.000 habitants. Strabon dit que les seuls territoires de Jamnia et de Joppé (Yafa) pouvaient armer 40.000 hommes. Au reste, les ruines innombrables semées dans ces contrées attestent combien étaient nombreuses les populations qui jadis y avaient fixé leurs demeures. |
[1] Surtout M. Ainsworth. Voyez Bulletin
de la société géolog. de France, t. IX, p. 348.
[2] Dans le cantique (ch. 7, v. 5)
on trouve cette image poétique : la tour du Liban qui
regarde vers Damas ; il ne peut ici être question que de l'Antiliban.
[3] N. Schubert, botaniste
bavarois qui tout récemment a visité la Palestine, donne au Thabor une hauteur
de 1747 pieds de Paris.
[4] Hotteïn est le nom d'un
village qui se trouve au pied de la colline ; c'est la que Saladin battit les
Francs, le 4 juillet 1187, dans la célèbre bataille où Guy de Lusignan, roi de
Jérusalem, fut fait prisonnier.
[5] V. Tacite, Hist., liv.
5, ch. 7. Pline, Hist. Nat., liv. 5, ch. 19 : Rivus Pagida, sive Belus, vitri fertiles arenas parvo titori miscens :
ipse e palude Cendevia a radicibus Carmeli profluit.
[6] Ce dernier nom se trouve dans
la Vie de Saladin par Boha-eddin. Voyez l'Index geograph. de
Schultens, aux mots Flavius Haiphæ.
[7] Selon Eusèbe et St. Jérôme le
Crith était à l'est du Jourdain. Nous avons suivi l'opinion de Brochard (Descript.
Terrœ sanctæ, p. 178) et de Sanuto (Liber secretor. fidel. crucis,
l. III, part. 14, cap. 3) qui ont trouvé la source du Crith près de l'ancienne
ville de Phasaélis au nord-ouest de Jéricho.
[8] Voyez Josèphe, de Bello Jud.,
l. 2, ch. 21. Dans le Talmud (Bava Bathra, fol. 74 verso) on lit aussi que le
Jourdain sort de la grotte de Pamias.
Voyez aussi le commentaire de Raschi au Deutéron., ch. 33, v. 22.
[9] M. de Chateaubriand ayant
entendu quelque bruit sur le lac, on lui dit que c'étaient des légions de
petits poissons qui Viennent sauter au rivage. Pococke aussi, étant à
Jérusalem, avait entendu dire qu'un missionnaire avait vu des poissons dans le
lac Asphaltite. Mais ces données sont trop vagues, pour pouvoir être opposées à
l'opinion généralement adoptée par les anciens et les modernes. Ce qui est plus
positif, c'est que Hasselquist et Maundrell découvrirent des coquillages sur la
rive du lac.
M.
de Buten a fait transporter sur les bords de la Méditerranée plusieurs litres
d'eau puisée dans lamer Morte. Des poissons pêchés à l'instant dans la
Méditerranée et encore pleins de vie furent placés dans un vase contenant l'eau
du lac Asphaltite : ils n'y vécurent qu'une demi-minute. L'autopsie de ces
poissons fut faite par le docteur Grassi, médecin en chef du service sanitaire
en Égypte et se trouvant alors Cil Palestine. Les organes digestifs ne
présentaient aucune lésion apparente, et il en conclut que la mort avait été
causée par une asphyxie ou que le poison avait agi sur le système nerveux.
[10] La première hypothèse n'est
guère admissible, si l'on considère le niveau de la mer Morte comparé à celui
de la Méditerranée et de la mer Rouge. Tout récemment plusieurs voyageurs ont
constaté, par des observations thermométriques, une dépression très-forte du
niveau de la mer Morte. Voyez les observations communiquées à ce sujet à
l'Académie des sciences par M. le capitaine d'état-major Cailler. Comptes
rendus des séances de l'Acad. des sc., année 1838, second semestre, p. 798.
— Selon les observations de MM. Moore et Berton, la mer Morte serait placée
environ 600 pieds au-dessous de la Méditerranée. Voyez le Bulletin de la
société de géographie, 2e série, t. XI, p. 328.
[11] Le mot hémar qu'on trouve dans le texte hébreu est le même
dont se servent encore aujourd'hui les Arabes pour désigner l'asphalte.
Brochard dit : Hi putei usque in hodiernum diem
cernuntur in litore ejus (lacus) habentes singuli pyramides ereclas, id quod
oculis meis vidi (Descr. Terræ S., cap. 7). La même chose est
confirmée par Volney.
[12] Voyez Journey from Moscow
to Constantinople on the years 1817, 1818, by Will. Macmichael, Londres,
1819, 4°, p. 181.
[13] Le mot ימים a beaucoup embarrassé les interprètes
; les uns y ont vu une race de geanis,
les autres des mulets. Mais la Vulgate
le rend déjà par aquæ calidæ, et saint
Jérôme observe que les sources chaudes s'appelaient Yemim
dans la langue phénicienne.
[14] L'hiver
est passé, la pluie s'en est allée. (Cantique, ch. 2, v. 11.)
[15] Volney, État phys. de la
Syrie, ch. I, § 10.
[16] Volney, État phys. de la
Syrie, ch. I, § 11.
[17] Voyez aussi Isaïe, 27,
8 ; Jérémie, 18, 17.
[18] Volney, État phys. de la
Syrie, ch. I, § 11.
[19] Voyez Gibbon, Hist. à la fin
du T. VII ; Ritter, Erskunde, T. II, p. 338 (première édition).
[20] Comparez aussi Benjamin de
Tudèle, Itiner. Éd. L'Empereur, p. 33 et 58.
[21] Traduction de M. Silvestre de
Sacy, p. 415.
[22] Volney, l. c. Comparez Joël,
ch. 2, v. 20.
[23] Saint Jérôme, dans son
commentaire sur ce passage, s'exprime ainsi : Inclytam
esse terram Judææ et cynctis terris fertiliorem dubitare non poterit qui a
Rhinocorura (El Arisch) usque ad Taurum montem et Euphratem fluvium cunctam
consideraverit terram et urbium potentiam amœnitatemque regionum.
[24] Uber
solum. Exuberant fruges nostrum ad morem, prœterque eas balsamum et palmæ.
Hist., l. 5, c. 6.
[25] L. 30, ch. 3.
[26] L. 14, ch. 8.
[27] Voyez Strabon, l. 16, ch. 2, §
36.
[28] Palæstina, p. 390.
[29] Ces relations ont été
recueillies avec beaucoup de soin par l'abbé Guénée. Voyez Recherches sur la
Judée, considérée principalement par rapport à la fertilité de son terroir,
depuis la captivité de Babylone jusqu'à notre temps. (Mémoires de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres, t. 50, p. 142-246.)
[30] T. II, ch. 13.
[31] Voyez aussi Volney, l. c.,
ch. 9.
[32] Chroniques, liv. II,
ch. 17, V. 14-18.
[33] De Bello Jud., l. III, ch. 3, § 2.