Au lendemain de l'élection de Léon XIII, un Religieux de la Compagnie de Jésus écrivait : Autour du cercueil de Victor-Emmanuel, on a dit d'étranges choses ; et, quand Pie IX a rendu le dernier soupir, on a manifesté de singulières espérances[1]. Oui, nous sommes heureux de le dire, le roi Victor-Emmanuel s'est souvenu en mourant de la foi de sa maison ; oui, Pie IX s'est incliné vers le monarque expirant avec un immense amour de Père ; mais il n'a pas oublié ses devoirs de pontife ; avant de descendre dans la tombe, il n'a rien cédé de ses droits ; il les transmet dans leur intégrité à son successeur... Léon XIII bénira le spoliateur le jour où celui-ci, repentant, sortira de Rome et rendra à l'Eglise le patrimoine de Saint-Pierre. Les papes se souviennent de leur serment [2]. Aucune âme vraiment catholique ne pouvait se faire illusion sur ce point. Léon XIII devait défendre la cause de son pouvoir temporel avec la même énergie et la même persévérance que son prédécesseur. Pas plus que Pie IX, il ne pouvait laisser confondre la cause de la grandeur de l'Italie et de sa légitime indépendance, avec celle d'une unité italienne qui comporterait Rome capitale et la spoliation du domaine de Saint-Pierre. Il avait prêté le même serment au jour de son couronnement de souverain pontife. Il était d'ailleurs trop visible que le mouvement de l'unification italienne avait été dirigé par les sectes antichrétiennes, qu'il n'avait pu se réaliser que par l'appoint des forces révolutionnaires, et que celles-ci, fortes du concours qu'elles lui avaient donné, continuaient à dominer la politique du nouveau royaume. Seulement, Pie IX, dont le rôle avait été de démasquer le mal et de le frapper, avait surtout procédé par des anathèmes. Cette œuvre nécessaire une fois accomplie, Léon XIII, dont la mission sera surtout pacificatrice, s'appliquera de préférence à déjouer les équivoques, à dissiper les malentendus, à montrer la restauration du pouvoir temporel du Saint-Siège, non seulement comme compatible avec la grandeur de l'Italie et avec la vraie civilisation du monde, mais comme éminemment favorable à ces nobles causes. En même temps, il se proposera, dans toute la mesure de l'influence qui lui reste, de promouvoir le progrès religieux, social et intellectuel de la nation italienne. I Le 5 mars 1878, le Saint-Père, recevant en audience les
curés de Rome et les prédicateurs du carême, leur déclare que, si tous les fidèles du monde sont l'objet de ses
sollicitudes paternelles, il aimera à s'occuper avant tout de ce cher
troupeau de Rome, que les ennemis de l'Eglise ont pris comme pour point de
mire de leurs efforts, et il compte sur le clergé romain pour arracher les mauvaises herbes des fausses doctrines, pour
illuminer les esprits, pour rallumer dans les cœurs l'amour du bien et du
beau[3].
Le 20 avril, en réponse à une adresse du Sacré-Collège, il accentue à la fois
ses plaintes, ses exhortations et ses espérances. Nous
ne nous faisons aucune illusion, dit-il ; la
guerre entreprise contre la papauté continue, implacable, et elle emploie les
armes les plus indignes et les plus déloyales. Pour nous, les yeux fixés au
ciel, nous sommes prêt à défendre ses droits sacrés, mais ce que nous
désirons surtout, c'est de répandre, sur les enfants ingrats qui combattent
le pontificat, les influences salutaires de cette divine institution. Avec
quelle immense joie les verrions-nous revenir, éclairés et repentants, à
cette paix qui est l'objet de nos vœux les plus ardents ![4] Le 17 août, recevant
une nombreuse députation du Transtevere, devant cet auditoire populaire,
l'accent du pontife devient singulièrement vif et pathétique. Nous savons, s'écrie-t-il, que
les ennemis de notre foi mettent tout en œuvre, sèment l'or à profusion, pour
peupler leurs écoles et leurs temples. Mais nous ne vous croyons pas capables
de l'insigne lâcheté qui vous ferait sacrifier le salut éternel de vos Mmes à
un misérable intérêt matériel. Le pain acheté à ce prix est un poison qui
donne la mort et qui appelle sur les familles les malédictions de Dieu[5]. De tels accents
ne sont pas ceux d'un pape décidé à transiger avec les ennemis de l'Eglise. On s'en aperçoit d'autant mieux que les actes du pontife secondent ses paroles. Son premier soin est d'organiser autour de lui, en Italie,
un épiscopat solide, savant et vertueux. Les rapports du Saint-Siège avec
l'Etat italien rendent cette organisation difficile. La loi dite des
garanties, votée en 1871, avait offert au pape, en échange de son pouvoir
temporel, la libre nomination des évêques, l'abolition du placet et de l'exequatur.
Mais, le pape n'ayant pas accepté cette loi, le gouvernement était revenu à
ses anciens errements. Pratiquement, les choses se passaient, la plupart du
temps, comme en vertu d'un compromis tacite. Le souverain pontife continuait
à nommer aux évêchés vacants, et les évêques entraient en fonctions sans
demander l'assentiment du roi ; ils se bornaient à faire afficher la bulle de
leur nomination dans la sacristie de leur cathédrale, et le gouvernement se
contentait de cette formalité. Mais l'essentiel était de former, par ce
procédé, un corps épiscopal à la hauteur des grands devoirs qui s'imposaient
à lui. Dès sa première allocution consistoriale, Léon XIII avait manifesté sa
volonté d'appeler les cardinaux à participer avec plus d'action à la direction
de l'Eglise. Peu de temps après, l'Osservatore romano publia la note
suivante : Nous apprenons que, se souvenant des
sages dispositions adoptées par ses prédécesseurs, notamment par Benoît XIV,
sur le choix des ordinaires diocésains, le Saint-Père, sans rien innover au
système en vigueur jusqu'à présent, a institué une commission de cinq
éminentissimes cardinaux chargés de recueillir, dans le mode qu'ils jugeront
opportun, les informations les plus exactes sur les ecclésiastiques les plus
distingués et les plus aptes à soutenir le poids de l'épiscopat en Italie ;
en sorte que Sa Sainteté, utilisant comme elle le jugera dans sa haute
sagesse ces informations, puisse pourvoir les archevêchés et les évêchés
vacants en Italie de sujets qui réunissent en eux-mêmes les qualités voulues
par les saints canons. En vertu d'un billet de la Secrétairerie d'Etat, ont
été désignés pour former la commission les cardinaux Bilio, Panebianco,
Ferrieri, Franchi et Giannelli. Un autre billet a nommé Mgr Latoni, auditeur
de Sa Sainteté, aux fonctions de secrétaire[6]. L'attention du souverain pontife s'était en même temps portée sur les laïques. Il était à craindre que plusieurs d'entre eux, par ambition, par intérêt ou par crainte, ne se tournassent vers l'autorité nouvelle qui dispensait à Rome les honneurs et les dignités, ne sentissent au moins se refroidir leur fidélité au Saint-Siège. On eut bientôt le spectacle de quelques défections qui se produisirent en ce sens, au sein même de la haute aristocratie romaine. Léon XIII favorisa de tout son pouvoir la formation et le fonctionnement de sociétés catholiques parmi les fidèles, et la fédération de toutes ces sociétés en une organisation centrale. Le 30 mai, recevant en audience une délégation de cette organisation, dénommée la Federazione Piana, il lui disait : Avec notre autorité de pontife, avec notre amour de père, nous vous encourageons à accroitre chaque jour, par tous les moyens qui sont en vos mains, la gloire de Dieu et le salut de vos frères, même en présence des graves difficultés que suscite l'ennemi. Vous rendrez de la sorte un service signalé à la société civile elle-même, qui n'a pas à craindre de plus grand péril que celui de s'éloigner de Jésus-Christ et de ses divins enseignements. Notre aide, notre conseil ne vous manqueront pas dans cette entreprise[7]. Le même jour, par une lettre adressée au duc Scipion Salviati, président du comité central des sociétés catholiques, le pape approuvait expressément le programme de leur Fédération et les exhortait vivement à développer leur œuvre par un accroissement d'activité, de discipline et de bon accord[8]. Cette lettre avait une importance toute particulière, étant donné que le programme de la Fédération, désormais officiellement approuvé par le Saint Père, ne touchait pas seulement aux œuvres de piété, mais comportait une attitude politique nettement protestataire vis-à-vis du gouvernement nouveau. Cet acte de Léon XIII étonna plusieurs personnes. On savait que, dès son avènement, le pape avait ouvert des négociations avec l'empereur d'Allemagne et le tsar de Russie, et qu'il témoignait beaucoup de répugnance à rompre avec les libres penseurs qui gouvernaient la France. Pourquoi ne manifesterait-il pas la même bienveillance à l'égard d'un Etat dont l'autorité se montrait la plus disposée à accueillir des projets de transaction ? Après tout, disait-on, le Saint-Père a-t-il tant à se plaindre du gouvernement italien ? Si son pouvoir purement temporel a dû disparaître dans une certaine mesure pour des raisons de haute politique internationale son pouvoir spirituel ne reste-t-il pas intact ? La liberté de ses relations avec le monde catholique lui est garantie, le titre de souverain lui est maintenu, une pleine indépendance lui est laissée dans le vaste palais où il réside, et, d'où il peut même sortir, s'il le veut, avec toute la sécurité que l'Etat accorde à tout citoyen du royaume[9]. Mais de tels sophismes n'avaient ébloui ni le pape, ni les vrais catholiques, ni même les incrédules clairvoyants et impartiaux. Certes, écrira, quelque temps après, Emile Ollivier, si toute la liberté pontificale consiste à pouvoir correspondre avec les fidèles et à pouvoir sortir librement de ses appartements pour respirer l'air dans des jardins, le pape est libre. Mais est-ce pour cela seulement que le pape est pape ? Est-ce pour vivre enfermé dans un palais, y écrire des encycliques et y fêter à huis clos les solennités que la présence du roi d'Italie lui interdit de célébrer publiquement dans les basiliques élevées par la papauté avec l'or de toutes les nations ?[10] La souveraineté que lui reconnaît la loi des garanties est toute nominale. Est-il venu à l'idée de la police italienne de réprimer comme crimes de lèse-majesté les injures atroces chaque jour lancées contre sa personne et son autorité ? Ferait-elle respecter sa haute dignité s'il osait franchir le seuil du Vatican ? Et ce reste de libertés qu'on lui laisse, qui le lui garantit, qu'une loi précaire, qui n'est pas même constitutionnelle, et dont une crise ministérielle peut amener la modification ou la suppression ? Léon XIII ne se fait aucune illusion sur le péril de sa situation, et, avec une fermeté qui ne le cédera pas à celle de Pie IX, il ne cessera de protester jusqu'à sa mort contre la destruction de son pouvoir temporel. Sa pensée à cet égard se manifeste spécialement par le maintien de la mesure connue sous le nom de mesure du non expedit. Dès 1860, un journaliste célèbre, Don Margotti, avait, dans l'Armonia de Turin, lancé le mot d'ordre : ni élus ni électeurs, nè eletti nè elettori. Après l'invasion des Etats romains, cette devise se transforme en ordre formel. Non expedit, a dit Pie IX, il ne convient pas que les catholiques prennent une part quelconque aux élections politiques d'un gouvernement dont ils n'acceptent pas la légitimité. Or, cette devise, la Federatione Piana l'a mise en tête de son programme, et Léon XIII l'approuve formellement. Est-ce à dire qu'il demande aux catholiques de se désintéresser des affaires de leur pays P Nullement. Pie IX ne les a pas empêchés de faire valoir leur droits d'électeurs et d'éligibles aux élections municipales. En 1872, le parti conservateur, dont ils sont le principal élément, a obtenu 1.200 voix aux élections de Rome. La fondation, en 1877, de l'Unione romana donne une organisation permanente à leurs efforts, et permet à la liste des candidats qu'ils soutiennent de recueillir 3.000 et quelques voix. Sous Léon XIII, la progression sera continuelle. En 1880, l'Unione fera triompher la moitié de ses candidats avec plus de 5.000 voix ; elle en obtiendra près de 6.000 en 1881 ; 6.579 en 1886 ; 7.417 en 1887 ; 9.500 en 1888[11]. Ces expériences sur le terrain administratif pouvaient-elles, dans l'esprit de Léon XIII, préparer les catholiques à tenter plus tard des expériences semblables sur le terrain politique ? On peut le conjecturer ; mais, dans le cours de son pontificat, il n'a jamais jugé que l'heure fût venue de faire cette tentative. Dans cette attitude, dans ces mesures prises par le nouveau pape, on pouvait déjà discerner avec quelle énergie il réprouvait le crime de l'invasion piémontaise. Mais Léon XIII avait hâte de trouver l'occasion d'émettre une protestation plus directe. Le 6 juin, le général Kanzler et les vétérans de l'armée pontificale viennent en corps offrir leurs hommages au souverain pontife. Le Saint-Père ne se contente pas de condamner l'attentat, il fait entrevoir l'espérance d'une restauration de son pouvoir : A vous, dit-il en terminant son discours, à vous, glorieux champions de la justice, nous dirons : Persévérez ; soyez fidèles à vos devoirs ; qu'aucun acte dans ce qui vous reste de vie n'imprime une tache à l'honneur de votre passé. S'il plaît à Dieu d'abréger notre épreuve, vous serez à votre poste, prêts à protéger les droits sacrés de l'Eglise. S'il en est autrement, vous aurez la consolation d'avoir pris une part dans nos malheurs et d'avoir subi le même sort que nous[12]. Protestation platonique ! a-t-on dit. Tel n'est pas l'avis d'un historien peu suspect de partialité envers le Saint-Siège. C'est grâce à la protestation ferme et permanente de la papauté, que l'Italie, suivant l'expression d'Ernest Lavisse, n'est point tout à fait chez elle comme les autres nations. — Entre les Alpes et les pointes de Sicile, poursuit-il, tout le sol n'est pas italien. Au centre est un palais entouré d'un jardin. C'est le domaine de saint Pierre. Ici n'entre pas le roi d'Italie. Et l'apôtre Pierre réclame son bien... L'empereur d'Allemagne est bien puissant, mais ce sera chose au-dessus de sa puissance que de refuser ses hommages au pape quand il ira visiter le roi d'Italie. L'empereur d'Autriche se dit le bon frère et le spécial ami d'Humbert Ier, mais il n'ira pas le visiter à Rome par crainte du sacrilège[13]. Cependant la plainte de l'immortel vieillard sonne comme un glas sans trêve au-dessus de Rome capitale. Elle inquiète et elle irrite le roi et ses ministres. A quoi sert-il d'être à Rome, pour qu'il y ait encore une question romaine ?[14] II Léon XIII ne se contente pas de ces protestations générales. C'est qu'en venant à Rome, le roi d'Italie n'a pas seulement usurpé la souveraineté temporelle du Saint-Père et gravement empêché l'exercice de sa souveraineté spirituelle ; Rome n'a pas seulement été prise d'assaut ; Rome a été dépouillée et profanée. Par on ne sait quel préjugé juridique, emprunté aux époques barbares, l'Etat italien a usurpé la propriété en même temps que la souveraineté. Il a incaméré, c'est-à-dire confisqué les biens d'Eglise. Dans la Ville Sainte, dans la cité des apôtres, on ouvre des écoles libres penseuses, on élève des temples pour l'hérésie, on multiplie les loges maçonniques, on publie des feuilles impies. Tous ces outrages arrachent au pontife des cris d'indignation passionnée. Ils lui semblent porter atteinte, non seulement à ses droits de souverain, à sa dignité de pontife, à la gloire et à la sainteté de la ville de Rome, mais encore à l'honneur de l'Italie, à la vraie civilisation ; et il tient à le proclamer. Dans une lettre écrite le 26 juin à son vicaire général, le
cardinal Monaco La Valletta[15], Léon XIII
signale, comme autant d'attentats à la religion dans la Ville Éternelle, ces journaux acharnés à combattre la foi par le sophisme
et le ridicule, ces temples protestants élevés dans les rues les plus populeuses,
ces asiles, ces écoles et ces hospices, d'où l'on bannit toute pratique et
tout enseignement religieux. — Mais,
ajoute-t-il, après avoir élevé la voix au nom.de la
religion, nous voulons faire voir combien les choses que nous blâmons sont
contraires au vrai bien de la société. Il montre alors que la justice
et la charité sont les premiers besoins des peuples, et que rien n'en assure
mieux le respect que la religion[16]. Le 27 août,
écrivant à son nouveau secrétaire d'Etat[17], le Saint-Père
rappelle, une fois de plus, que la violation des
droits du Saint-Siège ne peut qu'être funeste au bien-être et à la
tranquillité des nations, car, en voyant les
droits les plus anciens et les plus augustes foulés aux pieds, les peuples
sentiront s'ébranler les idées du devoir et de la justice, et la voie sera
ainsi ouverte à la destruction de ce qui est la base de toute société[18]. Le 6 janvier
1879, il répète les mêmes choses à des pèlerins italiens, en insistant sur le
bien qui résulterait, pour les peuples du beau pays,
du respect de la religion[19]. Le 22 février,
répondant à une adresse de journalistes italiens, il s'élève contre ceux qui
prétendent que le principat civil de l'Eglise
romaine ne peut s'accorder avec la fortune de l'Italie et la prospérité des
royaumes. — Non, s'écrie-t-il, ce n'est pas l'Eglise qui excite les foules séditieuses,
car elle les calme et les contient ; ce n'est pas elle qui fomente les
rivalités et les haines, car elle les étouffe par la charité ; ce n'est pas
elle qui empiète sur les droits de la société civile, car elle les affermit ;
ce n'est pas elle qui convoite le domaine des royaumes, car, s'acquittant
religieusement de la charge du ministère apostolique qui lui a été divinement
confiée, elle garde intacts les principes sur lesquels tout droit se fonde et
grâce auxquels fleurissent la paix, l'honnêteté et toute civilisation[20]. Le 26 mars, une
nouvelle lettre au cardinal Monaco La Valletta insiste plus particulièrement
sur l'enseignement religieux dans les écoles[21]. Le 5 avril, une
lettre écrite au cardinal Bartolini revient sur cette idée, chère à Léon
XIII, que, dans la revendication des possessions
temporelles de l'Eglise romaine, il n'est pas question d'intérêts privés,
mais des intérêts de l'Eglise universelle et de toute la société humaine,
auxquelles il importe hautement que le Pasteur suprême des fidèles, souverain
gardien de la foi et des mœurs, jouisse dans l'exercice de son autorité d'une
pleine et entière liberté[22]. III Si quelques contemporains furent portés à trouver de l'exagération dans ces paroles, les événements qui se déroulèrent en Italie ne tardèrent pas à en démontrer la justesse. Dans sa lettre au cardinal Nina, Léon XIII signalait, parmi les faits qui le mettaient en défiance contre les promesses du gouvernement italien, les prétentions injustifiées de celui-ci au patronat de certains évêchés[23]. Bientôt d'autres faits, plus ou moins retentissants, mais tous significatifs à leur manière, vinrent justifier pleinement les jugements portés par le Saint-Père sur la prétendue liberté que les nouveaux maîtres de Rome affectaient d'accorder à sa personne et à son ministère. Nous nous contenterons de mentionner, entre un grand nombre de procédés outrageants pour le catholicisme ou inspirés par un esprit de défiance envers la papauté : les insultes dont furent l'objet, le 13 juillet 1881, les restes du pape Pie IX dans les rues de Rome ; le meeting organisé à Rome, le 7 août de la même année, pour demander l'abolition de la loi des garanties ; la bruyante et scandaleuse célébration du centenaire des vêpres siciliennes, le 31 mars 1882 ; l'attitude de la magistrature italienne, en août de la même année, dans le fameux procès Martinucci ; les additions faites, en 1888, au code pénal italien dans un esprit hostile à l'Eglise catholique ; les manifestations de l'année suivante en l'honneur de Giordano Bruno ; la spoliation des œuvres pies, consommée à la fin de 1889 ; la dissolution, en 1898, de 4.000 associations. Dans la lettre précitée de Léon XIII au cardinal mina, on lisait : Nous vous rappelons que le Siège apostolique, auquel est réservée la provision des évêques, n'a pas eu la coutume de céder le droit de patronat, sinon à quelque prince ayant bien mérité de l'Eglise en défendant ses droits, en favorisant son extension, en accroissant son patrimoine. Quant à ceux qui la combattent en attaquant ses droits, en s'appropriant ses biens, ils deviennent par cela seul, en vertu des canons, incapables d'exercer tout patronat. Ces mots faisaient allusion à une prétention du roi Humbert, qui, s'appuyant sur l'article 28 du concordat conclu en 1818 entre le pape Pie VII et le roi Ferdinand Ier, roi des Deux-Siciles, réclamait le droit de nommer aux évêchés de l'ancien royaume des Deux-Siciles et venait d'interdire toute juridiction à Mgr Ruffo-Scilla, récemment nommé par le Saint-Père archevêque de Chieti. Le tort du gouvernement italien était de ne prendre dudit concordat que le seul article 28, et de méconnaître systématiquement, par exemple, l'article 2, qui exigeait que l'enseignement donné dans les écoles, soit publiques, soit privées, fût en tout conforme à la doctrine catholique, l'article 15, qui reconnaissait à l'Eglise le plein droit d'acquérir de nouvelles possessions, l'article 27, qui déclarait les biens d'Eglise inviolables et sacrés. L'article 28, du reste, n'accordait le droit de patronat qu'au roi Ferdinand Ier et à ses descendants catholiques en considération de l'utilité qui reviendrait à l'Eglise par suite du présent concordat. Un gouvernement spoliateur des propriétés ecclésiastiques remplissait-il la condition posée, pouvait-il même en vérité se dire catholique ? Ces observations, suggérées par la plus stricte logique et par la plus vulgaire équité, n'eurent aucune prise sur le gouvernement italien. Le 3 juillet suivant, le ministre Sanforti avisait la municipalité de Naples que, dans le cas où le Saint-Siège procéderait à la nomination d'un archevêque au mépris des droits du patronat royal, le prélat devrait être empêché de participer aux temporalités de la mense et de pénétrer dans le local de l’évêché[24]. De tels procédés étaient en contradiction directe avec la loi même des garanties, qui avait promis de respecter les lois de la hiérarchie épiscopale. Les spoliateurs du Saint-Siège justifiaient la parole sévère de Léon XIII, qui, dans sa lettre au cardinal Nina, les avait accusés de retirer perfidement à l'Eglise, de la main gauche, ce qu'ils lui avaient donné, pour des raisons politiques, de la main droite[25]. Quelque temps après, une perfidie analogue atteignait la personne même du souverain pontife. L'article 2 de la loi des garanties établissait que les offenses et injures publiques commises directement contre le souverain pontife, en paroles ou en actions, seraient punies des peines encourues par ceux qui se rendent coupables des mêmes offenses envers le roi et la famille royale. Or, comme Pie IX naguère, Léon XIII (il signor Pecci, ainsi que l'appelaient certains pamphlets) était quotidiennement insulté dans la presse romaine et dans les meetings populaires. Les feuilles radicales, telles que la Lega et la Capitale, étaient libres de lui lancer des injures et des menaces sans que les autorités italiennes, si susceptibles quand il s'agissait du roi, crussent devoir intervenir. De pareilles excitations portèrent leurs fruits. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1881, tandis que, pour se conformer aux dernières volontés de Pie IX, le pape Léon XIII faisait transporter les restes du pontife défunt, de sa tombe provisoire de Saint-Pierre à la basilique de Saint-Laurent-hors-les-Murs, des émeutiers, convoqués par les clubs anticléricaux de Rome, se ruèrent avec fureur sur le paisible cortège et tentèrent de saisir le cercueil pour le précipiter dans le Tibre. La police, à qui la curie romaine s'était adressée pour régler l'heure et les conditions du convoi, se montra impuissante à empêcher ces graves désordres. Le Président du conseil des ministres, M. Depretis, interpellé au Sénat à ce sujet, ne nia pas les faits ; il chercha seulement à en atténuer la gravité et à plaider les circonstances atténuantes par des explications embarrassées. Le ministre des affaires étrangères, M. Mancini, dans une circulaire adressée à ses agents à l'étranger, essaya de faire peser les responsabilités de l'émeute sur les catholiques. Mais le secrétaire d'Etat du Saint-Siège, dans une note communiquée à tous les nonces, rétablit la vérité des événements, et réfuta péremptoirement les allégations des ministres. Le 4 août, dans une allocution adressée aux membres du Sacré-Collège, Léon XIII tira la leçon qui résultait de l'abominable attentat : Que le monde entier voie clairement par ce seul fait, s'écria-t-il, de quelle sécurité nous jouissons dans la ville de Rome ? Si l'on n'a pu transporter à travers la ville les cendres de Pie IX sans donner lieu aux violences les plus scandaleuses, qui pourrait empêcher les méchants de déployer la même audace s'ils nous voyaient sortir dans la ville avec l'apparat qui convient à notre dignité ?... Ainsi devient-il de plus en plus évident que nous ne pouvons demeurer à Rome qu'en restant prisonnier dans le Vatican[26]. De tous les pays catholiques, des adresses de réprobation parvinrent au souverain pontife. Les esprits les plus modérés s'émurent. Cette émotion redoubla quand on apprit que, le 7 août suivant, dans une nombreuse assemblée, tenue au théâtre Politeama, sur une scène ornée des emblèmes maçonniques, les représentants les mieux attitrés de la Révolution et de la franc-maçonnerie, les deux fils de Giuseppe Garibaldi, Menotti et Ricciotti, le franc-maçon Adrien Lemmi et l'agitateur Mario, avaient prononcé des discours d'une violence extrême contre le pape et fait voter l'ordre du jour suivant : Le peuple de Rome, considérant que la papauté et l'unité de l'Italie sont des termes contradictoires... et que la loi des garanties, en constituant la papauté parallèle à l'autorité souveraine de la nation, lui permet de ressusciter cette dualité avec toutes ses conséquences, veut que cette loi soit abolie et que les palais apostoliques soient occupés. Peu de temps après, on lisait dans la Revue des Deux Mondes : Quel a été le seul résultat des tristes scènes de cette nuit du 13 juillet, en partie renouvelées le 7 août 1881 ? De faire accuser le gouvernement italien d'être incapable d'assurer dans Rome la sécurité du souverain pontife, de faire plus que jamais déclarer que les garanties ne garantissent rien, de confirmer enfin les catholiques étrangers dans la pensée que Léon XIII ne saurait sortir du Vatican sans s'exposer non seulement à des injures, mais à des violences contre sa personne [27]. Plusieurs diplomates, même étrangers aux croyances catholiques, mais soucieux d'un sérieux équilibre européen, commençaient à se demander si cette loi des garanties, dont les événements venaient de démontrer l'insuffisance manifeste en fait, n'était pas en droit également caduque. Car, de quoi s'agissait-il enfin ? De garantir la liberté d'un pouvoir, dont l'existence et le fonctionnement avaient un intérêt universel, que tous les gouvernements par conséquent avaient à sauvegarder au nom de leurs populations catholiques. Cette loi des garanties eût-elle été une loi constitutionnelle de l'Italie, ce qui n'était pas, les Etats ayant des catholiques parmi leurs populations avaient, au simple point de vue du droit public international, le droit de contrôler cette loi par un examen collectif, d'exiger des garanties de ces garanties. Mais la chancellerie italienne montrait une extrême répugnance à se prêter à de pareilles combinaisons. Etait-ce par un simple sentiment d'autonomie nationale exagéré, par pure fidélité à sa devise : l'Italia fars da se ? Ou encore par l'intime prévision qu'elle serait amenée un jour à changer elle-même sa loi, à céder à ces forces révolutionnaires qui l'avaient toujours menée après l'avoir aidée, à violer les engagements pris avec elle-même après avoir violé les promesses d'honneur qu'elle avait faites à la France, à ses populations catholiques, au pontife romain ? Léon XIII, dont le regard perspicace pénétrait ces mouvements d'idées, si confus, si ébauchés qu'ils fussent, tâchait de s'en inspirer pour poser les bases de son action diplomatique. IV On était arrivé à l'année 1882. La date du 31 mars de cette année amenait le sixième centenaire des Vêpres siciliennes. Le fait n'avait rien de très honorable pour l'amour-propre national. Le 31 mars 1282, la population de Sicile, excitée contre le gouvernement de Charles d'Anjou, avait égorgé vingt mille Français sans distinction d'âge ni de sexe, avec des raffinements de cruauté inouïs. L'événement n'avait pas même été le point de départ d'une ère d'indépendance, car le massacre avait simplement abouti à substituer une domination étrangère à une autre, à remplacer la maison d'Anjou par la maison d'Aragon, à substituer le joug des Espagnols au pouvoir des Français ; et les cinquante années qui avaient suivi les Vêpres siciliennes avaient compté parmi les plus humiliantes de l'histoire de Sicile. Mais a vint à l'esprit de quelques sectaires que les fêtes d'un pareil centenaire offraient un moyen de faire à la fois l'apothéose de la Révolution et le procès de la papauté. Un pape, Clément IV, ne s'était-il pas prononcé pour Charles d'Anjou ? Sous ce prétexte, des manifestations hostiles à la papauté furent organisées. On fit venir à Palerme le vieux Giuseppe Garibaldi, qui, malade et l'esprit affaibli par l'âge, publia ou plutôt laissa publier sous son nom deux lettres pleines de virulence et d'une grossièreté sans nom contre le pontife romain. L'épiscopat de Sicile protesta. Léon XIII lui répondit par une lettre pleine de science et d'éloquence dans laquelle il rétablissait le vrai caractère du fait historique qu'on avait prétendu commémorer. Mgr Freppel, en sa qualité d'évêque d'Angers, publia à ce sujet une étude savante, capable de faire la pleine lumière dans les esprits impartiaux. Ceux-ci furent éclairés sans doute ; mais les masses populaires, sous le coup de ces agitations périodiques, étaient tenues dans un état presque permanent d'effervescence. Un clergé bien organisé dans ses cadres hiérarchiques et animé d'un grand esprit de zèle aurait pu remédier efficacement à cette effervescence ; et nous avons vu que, dès le lendemain de son pontificat, Léon XIII avait dirigé ses préoccupations de ce côté. Mais le gouvernement multipliait les obstacles au recrutement de l'épiscopat. Les évêques suspects de trop d'énergie ou de trop de zèle se voyaient refuser la prise de possession de leurs diocèses, entravés dans l'exercice de leurs fonctions. Dans une allocution prononcée au consistoire du 3 juillet 1882, le pape constatait qu'une vingtaine de diocèses attendaient depuis longtemps et vainement leurs pasteurs. — Que dirait-on, s'écriait-il[28], si la suprême autorité politique, lorsqu'elle choisit pour l'armée les chefs réputés les plus aptes, et pour les provinces les gouverneurs estimés les plus habiles, devait attendre, avant qu'ils pussent assumer le commandement, le bon plaisir d'une autre autorité, qui le refuserait ou le ferait longtemps attendre sans motif plausible ? L'arbitraire et la mauvaise volonté du gouvernement italien ne se faisaient pas moins sentir dans l'exercice de l'autorité judiciaire que dans celui de l'autorité administrative. Un certain Martinucci, architecte au service du Vatican, avait été congédié en mars 1879. L'année suivante, Léon XIII lui avait bénévolement accordé une pension pour sa mère. Mais cela ne lui suffisait pas. Il réclamait de la maison pontificale quinze mille et quelques cents francs pour avoir instruit et dirigé les pompiers du Vatican, et 17.875 francs pour travaux exécutés à l'occasion du conclave de 1878. Ne pouvant faire reconnaître cette double prétention, se décida, en juillet 1882, à recourir à la justice italienne. Le cardinal-secrétaire d'Etat, qui était alors le cardinal Jacobini[29], et Mgr Teodoli, préfet du palais apostolique, cités pour cette cause devant le tribunal civil de Rome, plaidèrent l'incompétence. Ils ne reconnaissaient, en l'espèce, d'autre juridiction compétente que celle des deux tribunaux institués par un motu proprio du 25 mai 1882, à l'effet de juger toutes les contestations qui s'élèveraient soit entre les diverses administrations pontificales, soit entre ces administrations et leurs employés[30]. Le tribunal italien se déclara compétent, mais il débouta Martinucci de sa demande. La cour d'appel, jugeant sur un recours de l'ancien architecte, rendit un jugement semblable. Cette solution ne satisfit ni la curie romaine, qui y vit avec raison un empiétement sur son indépendance, ni le plaignant, qui, avec une vraisemblance touchant à l'évidence, put voir, dans les décisions des deux tribunaux qui s'attribuaient le droit de le juger, un pur et simple déni de justice à son égard, déni de justice imaginé par les tribunaux italiens pour se tirer d'un formidable embarras. Au fond, la loi des garanties, qu'on mettait toujours en avant quand elle pouvait favoriser le gouvernement spoliateur, ne lui permettait pas de porter contre l'administration pontificale une condamnation efficace. Le tribunal ou la cour eussent-ils condamné le secrétaire d'Etat ou le majordome, eussent-ils ordonné une simple enquête, ils n'eussent pu faire exécuter leur sentence. La loi même des garanties, par ses articles 7 et 8, leur interdisait absolument de faire pénétrer dans les résidences habituelles du souverain pontife aucun officier de l'autorité publique ou agent de la force publique, d'y exercer toute perquisition ou enquête. Le pape Léon XIII toutefois, en protestant devant les
cours de l'Europe contre les sentences rendues par les tribunaux italiens, se
garda bien d'appuyer sa protestation sur la loi des garanties. Si, dans le
mémoire rédigé à cet effet par le cardinal-secrétaire d'Etat, un mot fut dit
de cette soi-disant loi, ce fut pour l'écarter
aussitôt expressément. La question actuelle est d'un
ordre bien plus élevé, disait le document pontifical ; ce n'est pas d'un litige juridique qu'il s'agit, mais bien
d'une question essentiellement politique et internationale... On se tromperait fort si l'on voulait confondre la
situation actuelle du pape avec celle de tout autre souverain dépossédé. Le
Saint-Père, en vertu du ministère apostolique qu'il exerce avec une suprême
autorité sur le monde entier, même après la perte du pouvoir temporel, est
resté souverain non seulement de droit, mais de fait. Ce caractère de
souveraineté permanente lui a été reconnu par toutes les puissances, qui
accréditent auprès de lui des légations extraordinaires et permanentes, des
ambassades pourvues de privilèges diplomatiques, qui toutes lui rendent
publiquement ces actes d'hommage et de respect qui n'appartiennent qu'aux
princes régnants. Quand Rome fut occupée, le 20 septembre 1870, l'invasion
respecta l'enceinte du Vatican... Depuis,
pendant douze ans, cette enceinte a continué d'être inviolable. En fait comme
en droit, le souverain pontife n'a pas cessé d'y être souverain. Le maintien
de l'ordre, la marche et la direction de l'administration, les actes
principaux de la vie civile, y ont été toujours exercés par les autorités du
Vatican, à l'exclusion de toute ingérence étrangère... Or, aujourd'hui, pour la première fois, les tribunaux de
Rome se sont arrogé le droit de juger les ministres du Saint-Père pour des
actes exercés en son nom dans l'enceinte du Vatican... En vue des conséquences qui pourraient découler de la
sentence du 10 août, le soussigné secrétaire d'Etat, obtempérant aux ordres
exprimés par Sa Sainteté, dénonce cette offense nouvelle, qui vient aggraver
une situation déjà si triste et si pénible ; et il déclare le gouvernement
italien responsable de toutes suites possibles d'un état de choses qui
devient de jour en jour plus intolérable[31]. Si les autorités italiennes se rendaient coupables de tels empiétements à Rome, on peut facilement imaginer à quels excès elles se livraient en Italie. L'Eglise possédait, en dehors de Rome, en dehors même des Etats romains, des biens considérables, affectés depuis des siècles à des usages pieux sous le contrôle ecclésiastique. Cavour, dit-on, avait rêvé de constituer à la papauté détrônée, avec les biens des congrégations et des institutions religieuses, un domaine indépendant, une dotation insaisissable, dont elle pût vivre avec honneur. L'indépendance financière de la cour de Rome, écrivait Massimo d'Azeglio à M. Eugène Rendu en 1861[32], serait assurée, non par des subsides, qui sont aléatoires, mais par des biens, des immeubles, des propriétés données au pape en Italie et dans divers pays catholiques. Le pape ne serait plus possesseur d'hommes, mais, comme l'Eglise de Rome dans les beaux temps de ferveur religieuse, il redeviendrait possesseur de biens déclarés inviolables. L'Etat italien, après 1870, avait jugé plus commode d'offrir au pape un subside annuel, une pension, essentiellement précaire et révocable, un traitement humiliant, que Pie IX et Léon XIII, du reste, n'avaient pas jugé digne d'eux d'accepter. Puis, il s'était cru permis de disposer des biens ecclésiastiques. Au mois de septembre 1879, le gouvernement s'était déjà mis en possession des biens de trois mille trente-sept couvents d'hommes et de mille neuf cent sept couvents de femmes, qu'il avait dispersés[33]. Quant aux biens des maisons qui ne tombaient pas sous le coup de la dispersion, une loi du 7 juillet 1866 les soumettait à la conversion, c'est-à-dire les mettait à la disposition de l'Etat, qui avait le pouvoir de les convertir en rentes ou en titres des établissements de crédit foncier. En 1881, l'Etat italien prétendit appliquer cette loi, et deux lois complémentaires du 13 mai 1871 et du 19 juin 1873, aux biens possédés par la Congrégation de la Propagande. Créée en 1622 par la bulle Inscrutabili de Grégoire XV, la Congrégation de la Propagande pourvoyait aux besoins des missions étrangères par les revenus des biens qu'elle tenait de la générosité des fidèles du monde entier. Pendant les deux siècles et demi qui se sont écoulés depuis sa fondation, écrivait Léon XIII[34], grâce à la liberté de son administration, elle a donné une impulsion puissante à la diffusion de la foi et au progrès de la civilisation. Mais, pour prouver la singulière efficacité de son action, il suffit de noter ce qu'elle a fait depuis cinquante ans. La florissante-République des Etats-Unis, qui n'avait qu'un siège épiscopal au commencement du siècle, en compte aujourd'hui plus de soixante-quatre. Les vingt-trois vicariats apostoliques des Indes sont en voie de progrès. Il en est de même en Chine et dans les Etats voisins. Le Japon a été rouvert à l'Evangile. Les missions océaniennes ne cessent de se développer. L'Afrique se couronne de belles missions tout à l'entour de ses bords. Les grandes lignes pour la conversion du monde entier à la foi sont déjà tracées, et de toutes parts apparaissent les riantes espérances d'un fécond avenir. Telle est l'œuvre à laquelle le gouvernement italien ne craignait pas de s'attaquer, en prétendant lui appliquer les lois restrictives qui visaient les ordres religieux. De 1873 à 1881, la Propagande, pour obtenir le respect de ses droits, dut recourir plusieurs fois à la juridiction ordinaire des tribunaux civils. Le 22 novembre 1881, l'affaire fut soumise à la cour de cassation, qui, toutes chambres réunies, confirma les sentences des premiers juges, en déclarant que les lois qui réglaient la conversion des biens d'Eglise s'appliquaient à tout être moral ecclésiastique[35]. En conséquence, le patrimoine immobilier de la Propagande, à l'exception du palais urbain où se trouvait le siège de la Congrégation, fut déclaré convertible en rente consolidée italienne ou en titres des établissements fonciers. Cette mesure n'était qu'une première mainmise, prélude d'une spoliation complète. Pour sauvegarder au moins les ressources à venir, le cardinal Simeoni, préfet de la Propagande, écrivit, d'après les ordres du souverain pontife, à tous les évêques du monde catholique, pour leur déclarer que désormais le siège administratif de la Congrégation de la Propagande serait transféré hors de l'Italie, et que les dons, legs et offrandes des fidèles, au lieu d'être centralisés à Rome, seraient envoyés aux nonces de chaque pays[36]. V Au milieu des sollicitudes que lui causaient ces luttes pénibles, Léon XIII eut à supporter, au cours des années 1884 et 1885, des douleurs plus profondes en un sens, parce qu'elles lui venaient d'hommes dont le caractère religieux et la grande situation dans l'Eglise semblaient devoir garantir l'absolu dévouement. Nous voulons parler des pamphlets dans lesquels le P. Curci, ancien membre de la Compagnie de Jésus, ancien fondateur et directeur de la Civiltà cattolica, attaquait la politique pontificale comme trop intransigeante, et de la lettre du cardinal Pitra sur laquelle certains esprits mécontents s'appuyèrent pour taxer cette même politique de trop de condescendance à l'égard de l'esprit moderne. Le P. Curci s'était d'abord révélé comme un défenseur ardent, passionné presque à l'excès, du pape, du pouvoir temporel du Sain t-Siège et de la Compagnie de Jésus. Par son livre Fati e argomenti, dont plus de trente mille exemplaires s'écoulèrent en peu de temps, par la vaillante revue la Civiltà cattolica, qu'il fonda à Naples avec quelques confrères et qui prit aussitôt une place importante dans la presse catholique, par les courageuses protestations qu'il fit entendre en 1870 après l'invasion de Rome par les Piémontais, par la Société romaine pour la défense des intérêts catholiques, qu'il fonda en 1871, par l'activité qu'il déploya dans l'organisation d'une grande manifestation catholique à l'occasion du jubilé pontifical de Pie IX, le P. Curci se plaça au premier rang des champions du Saint-Siège. C'est en 1874 qu'il exprima pour la première fois des idées audacieuses en faveur d'une réconciliation de l'Eglise avec l'état de choses en Italie. A partir de ce moment, et surtout à partir du moment de sa sortie de la Compagnie de Jésus en 1878, ses témérités furent fréquentes, et scandaleuses. En 1881, dans la Nuova Italia, puis en 1883 dans Il Vaticano regio (le Vatican royal) et dans Lo Scandalo del Vaticano regio (le Scandale du Vatican royal), il attaqua vivement et injurieusement l'attitude de Léon XIII et des Congrégations romaines, qui refusaient mal à propos, selon lui, d'accepter les faits accomplis et de se réconcilier avec le gouvernement du roi Humbert. Le pape, dans une lettre émue, adressée à l'archevêque de Florence, condamna les trois brochures, et paternellement supplia le malheureux égaré de revenir dans les voies de la raison et du devoir[37]. La lettre du souverain pontife était du 25 août 1884. Le 11 septembre, le P. Curci envoya une lettre de soumission ; niais cette soumission ne fut pas plus durable que celle qu'il avait faite à Pie IX après ses premières incartades. Quelques semaines après, il émettait la prétention de réconcilier l'Eglise, non plus seulement avec le roi d'Italie, mais avec les chefs du socialisme révolutionnaire. Ces excès d'un indiscipliné de gauche eurent-ils pour
effet de réveiller à droite des tendances intransigeantes que Pie IX lui-même
avait Marnées ? Le 19 mai 1885, on put lire, dans le Journal de Rome, une
lettre, datée du 4 mai et signée du cardinal Pitra, oil plusieurs se plurent
à voir un parallèle entre les deux derniers papes. On paraissait y opposer la
condescendance excessive de Léon XIII à la noble fermeté de Pie IX. Hélas ! s'écriait l'auteur de la lettre, où en sommes-nous
? et qui osera compter les défaillances, les missions trahies, les plus
belles vocations avortées ?... Pie IX, abandonné,
est mort prisonnier ; et, au sommet de Rome, ce qu'on nomme encore l'Autel
du ciel, l'Ara cœli, s'efface devant un trophée du paganisme
galvanisé... Serait-ce que notre triste
époque ne tombera pas dans sa fosse séculaire sans qu'un réveil soudain, un
chant de résurrection, une aurore inattendue se lève sur la tombe du siècle
de Pie IX ?[38] Le 17 juin
suivant, Léon XIII, dans une lettre adressée au cardinal Guibert, se plaignit
de voir que parmi les catholiques, il s'en trouvait
qui, non contents du rôle de soumission qui est le leur dans l'Eglise,
croyaient pouvoir en prendre un dans son gouvernement. — C'est une preuve de soumission peu sincère,
ajoutait le Saint-Père, que d'établir une opposition
entre souverain pontife et souverain pontife. Ceux qui, entre deux directions
différentes, repoussent celle du présent pour s'en tenir au passé, ne font
pas preuve d'obéissance envers l'autorité qui a le droit et le devoir de les
diriger[39].
Trois jours après, le 20 juin, le cardinal Pitra fit remettre à Léon XIII une
lettre dans laquelle il disait : J'ose remercier
Votre Sainteté d'avoir bien voulu exprimer l'un de mes plus vifs sentiments
de répulsion contre les commentaires qui ont calomnié mes intentions. Parmi
ces commentaires, le plus intolérable, que je repousse avec le plus
d'énergie, est de m'attribuer une hostilité contre Votre personne sacrée, un
esprit d'opposition contre lequel ma vie proteste depuis sept ans[40]. Cette
déclaration mit fin à l'incident. Au moment même où se produisaient, en sens contraires, les deux oppositions dont nous venons de parler, le souverain pontife poursuivait, dans toute l'Europe, avec une inlassable et courageuse persévérance, une œuvre diplomatique, qui, deux ans plus tard, parut couronnée d'un succès à peu près général. L'année 1887 esi. une date décisive dans le pontificat de Léon XIII. Après huit ans de laborieuses négociations, il vient de conclure, avec la. Prusse, le concordat qui met fin au kulturkampf. En Angleterre, M. Gladstone et lord Salisbury invoquent tour à tour son concours pour pacifier l'Irlande. La Suisse résoud, d'accord avec le Vatican, les questions délicates de la hiérarchie catholique et de la réorganisation des diocèses. La Russie négocie un concordat. En France, quelle que soit la mauvaise volonté des gouvernants, Léon XIII réussit à maintenir des relations amicales avec la République et à empêcher la rupture du concordat. En Italie même, si le non possumus absolu du pape à l'égard de la spoliation du pouvoir temporel a mis obstacle à toute entente positive, dû moins le chef du gouvernement, M. Depretis, affecte d'éviter tout acte d'hostilité tracassière envers le Vatican. C'est enfin au cours de cette année 1887, au mois d'avril, que Léon XIII choisit comme secrétaire d'Etat celui qui sera pendant quinze ans l'auxiliaire le plus dévoué de sa politique, le cardinal Rampolla. Le cardinal Mariano Rampolla del Tindaro va occuper une place d'une telle importance dans l'histoire du pontificat de Léon XIII, jouer un tel rôle dans les négociations diplomatiques du Saint-Siège, principalement dans celles qui auront trait aux affaires de France et aux affaires d'Allemagne, qu'il est nécessaire d'esquisser ici en quelques lignes son portrait. Né à Polizzi, ville de Sicile, en 1843, d'une famille de
haute noblesse, initié aux études littéraires par les professeurs du collège
Capranica et par les Pères de la Compagnie de Jésus, il avait été admis, pour
couronner sa formation cléricale, dans l'Académie des nobles ecclésiastiques,
et, dès son jeune âge, il avait révélé en lui les trois caractères qui seraient
les traits distinctifs de sa physionomie morale : la probité consciencieuse
du savant, la finesse distinguée du diplomate, la piété profonde du prêtre.
Jeune étudiant, il avait conquis les éloges de la Civiltà cattolica
par une étude sur l'autorité suprême du pape d'après les documents les plus
anciens des Eglises orientales ; et il devait consacrer les loisirs de sa
carrière diplomatique à rédiger cet immense ouvrage sur Sainte Mélanie la
Jeune[41],
à propos duquel on a rappelé le grand nom de Tillemont[42]. Entré au
secrétariat des affaires ecclésiastiques extraordinaires en 186g, envoyé par
Pie IX à Madrid en 1875 en qualité de conseiller de la nonciature, chargé par
intérim de remplacer le nonce en 1876, secrétaire de la Propagande en 1880,
revenu à Madrid en qualité de nonce en 1882, il avait, comme diplomate,
soutenu une politique, qui avait déjà rencontré, qui devait surtout
rencontrer dans la suite des détracteurs passionnés et des admirateurs
enthousiastes. On s'est quelquefois borné à considérer un seul des aspects de
cette politique, qui était, comme on l'a dit fort justement, de ne pas permettre que certaines réalités politiques, qui
étaient des faits, et qui avaient à ce titre une valeur et pouvaient avoir
une durée, fussent présentées aux masses populaires comme l'incarnation
nécessaire de certaines idées antichrétiennes, comme associées inévitablement
au règne d'une philosophie hostile à l'Eglise[43]. Le cardinal
Rampolla ne pensa jamais que l'idée de l'indépendance et de l'unité de
l'Italie dût être liée à la haine du Saint-Siège, ni l'idée de la République
en France à la cause de la franc-maçonnerie, ni le juste sentiment de la
nationalité allemande à la lutte contre l'Eglise. Mais sa politique avait un
autre aspect, plus profondément religieux et sacerdotal ; car, nous l'avons
dit, le troisième caractère de la grande figure du cardinal Rampolla fut sa
profonde piété de prêtre. Si sa politique souleva des critiques, parfois
amères, sa piété n'excita jamais qu'une universelle vénération. Avant tout, Mariano
Rampolla del Tindaro fut un prêtre. Les vêtements
liturgiques qui lui étaient communs avec tous ses confrères en sacerdoce,
a écrit un historien qui le connut intimement[44], lui paraissaient assurément plus augustes que sa pourpre...
On parlait des longs tête-à-tête du cardinal, devant
l'autel, avec l'hostie qu'il venait de consacrer... Les diplomates qui l'approchaient voyaient, à certaines
minutes, ses paupières s'abaisser comme pour un acte de recueillement,
pendant lequel son âme consultait Dieu sur les suggestions des hommes.
Préposé aux besoins d'une Eglise que ses infortunes avaient réduite à n'être
plus qu'une puissance spirituelle, le cardinal Rampolla considérait son rôle
de diplomate comme une extension de sa mission d'homme de Dieu ; et c'est en
prêtre qu'il le remplissait. Quand il appela le cardinal Rampolla à partager avec lui les sollicitudes du gouvernement général de l'Eglise, Léon XIII atteignait sa soixante-dix-septième année. Les travaux et les douleurs qu'il avait supportés jusque-là, et auxquels trois secrétaires d'Etat avaient déjà succombé[45], avaient sensiblement atteint sa santé. L'apaisante intimité d'un collaborateur qui partageait toutes ses vues et qui savait les exécuter avec autant de dextérité que de fidèle obéissance, lui donna le courage et la force de subir pendant quinze ans encore le poids de sa lourde charge. Le souverain pontife crut d'abord utile de profiter de ce
changement de secrétaire d'Etat pour exposer, dans une lettre publique datée
du 16 juin 1887, les grandes lignes de sa politique. Dans ce remarquable
document, Léon XIII, revenant sur une formule qui devait inspirer et résumer
l'action de tout son pontificat, déterminait d'abord le but qu'il poursuivait
; propager la bienfaisante influence de l'Eglise, non seulement pour le salut
des âmes, ruais aussi pour maintenir entre les
peuples et les souverains et entre les diverses classes sociales de chaque
nation, cette harmonie pacifique dans laquelle résident la tranquillité et
l'ordre public. Puis, après avoir fait une courte application de ce
principe à l'Autriche, à la France, à l'Espagne, à la Belgique, à la Prusse,
aux autres nations en général, il en venait à l'Italie. Il faisait observer
que la nation qui a reçu en partage de la Providence
d'être la plus voisine de la papauté, était destinée à en recevoir plus
abondamment les influences bienfaisantes. Mais ces influences ne
pourraient s'exercer que par une souveraineté
effective du pontife romain, souveraineté réclamée, non par ambition, ni en
vue d'une grandeur terrestre, mais comme une garantie vraie et efficace de
son indépendance et de sa liberté... souveraineté
qui ne comporterait, d'ailleurs, ni le retour en arrière, jusqu'au moyen âge,
ni le mépris des progrès modernes, car... tout
ce qui n'est pas licence, tout ce qui est liberté vraie et digne de l'homme,
tout cela est béni par l'Eglise et peut avoir une part très large dans le
principat civil des papes[46]. La presse européenne fit un accueil favorable à ces paroles pacifiques et lumineuses. La Gazette de Cologne alla jusqu'à dire qu'il fallait redonner au pape un lambeau de territoire pour assurer son indépendance. Mais l'arrivée aux affaires de M. Crispi, en remplacement de M. Depretis, arrêta net le mouvement commencé, ou plutôt lui donna une orientation toute nouvelle. VI Ancien compagnon de Garibaldi, Francesco Crispi ne s'était rallié à la monarchie que comme au symbole et à la garantie provisoire de l'unité italienne, et il n'avait accepté le pouvoir qu'à la condition de réconcilier le gouvernement avec le parti radical et anticlérical. Brusque, audacieux, volontaire, aimant le bruit, la pose et les coups de théâtre, quelqu'un le surnomma un jour un Gambetta sicilien. De l'homme d'Etat français, il avait l'éloquence fougueuse, l'apostrophe tonitruante, au service d'un anticléricalisme violent. La haine de la papauté, de l'Eglise, de toute religion, n'était pas, chez lui, comme chez beaucoup de ses compatriotes, un levier pour parvenir, un instrument politique pour gouverner, mais une idée fixe, dominante, commandant ses paroles et ses actes. Les grandes fêles jubilaires célébrées en 1888 en l'honneur de Léon XIII semblèrent aviver sa passion antireligieuse. Son organe personnel, la Riforma, multiplia ses attaques contre l'Eglise et la papauté, donna à sa polémique un caractère méthodique et sectaire, qui révélait un plan de guerre déterminé, un programme de lutte prochaine. Ce programme avait commencé à prendre corps, dès le mois de novembre 1887, dans le projet d'un code pénal, qui, discuté devant les Chambres au cours de 1888, fut définitivement voté, au mois de novembre de cette année, par 254 voix contre 37 à la Chambre des députés, et par 101 voix contre 33 au Sénat. La principale innovation de ce code était l'introduction de pénalités excessives contre tout acte d'opposition du clergé et des fidèles catholiques. Le chapitre let, ouvrant la rubrique Dei delitti contro la patria, débutait par l'article 101, ainsi conçu : Quiconque commet un acte tendant à soumettre l'Etat ou une de ses parties à un pouvoir étranger, ou à en altérer l'unité, est puni des travaux forcés à perpétuité. Cette formule, inoffensive et même légitime dans tout autre Etat ou dans toute autre circonstance, devenait, dans l'Italie de 1888, une mesure d'intolérable tyrannie ; car elle visait manifestement tout examen de la question romaine, tout écrit publié, toute parole prononcée pour la défense de l'indépendance du pape et des catholiques. Le articles 173, 174, 175 et 1_76 étaient plus spécialement dirigés contre le clergé. Ils punissaient de peines très sévères la censure des institutions, des lois et des actes de l'autorité, la méconnaissance même de ces institutions, de ces lois et de ces actes, l'exercice de fonctions cultuelles en opposition avec les décisions du gouvernement, l'excitation à transgresser les devoirs envers la patrie. Il faut se reporter aux pires lois de la Convention française pour trouver un exemple de semblable tyrannie. Du point de vue purement politique et diplomatique, c'était pratiquement l'abolition de la loi des garanties, la rupture d'un pacte, que la papauté sans doute avait voulu personnellement ignorer pour de bonnes raisons, mais par lequel le gouvernement italien, en s'installant à Rome, avait prétendu se lier envers les catholiques et les gouvernements du monde entier. Mais, une fois de plus, la monarchie italienne croyait avoir besoin du concours des radicaux, et lui livrait, avec la cause de la papauté et de l'Eglise, celles de la justice et du droit dans leurs principes les plus élémentaires. L'abolition pratique de la loi des garanties n'était encore qu'un prélude. Un disciple et un émule de Mazzini, Alberto Mario, avait écrit dans le journal la Lega della democrazia : Abolir les garanties, cela veut dire enfoncer les portes de la forteresse ; et, les portes une fois enfoncées, on entre dans la forteresse, et on abolit la papauté. Abolir la papauté était heureusement au-dessus de la puissance de M. Crispi, mais l'attaquer par les mesures les plus violentes et les plus perfides était dans ses moyens comme dans ses ambitions. Il se mit aussitôt à l'œuvre. Il fallait d'abord préparer l'opinion à ces entreprises. Associer les masses populaires à quelque grande démonstration anticléricale, où l'hostilité contre la papauté se personnifierait en un personnage historique pompeusement glorifié, paraissait devoir remplir ce but. Précisément, depuis trois ans, un comité privé, agissant sous l'inspiration de la franc-maçonnerie, préparait une manifestation de ce genre. Il s'agissait d'élever et d'inaugurer solennellement, à Rome même, une statue à un moine apostat, Giordano Bruno, que l'Inquisition romaine avait, en 1600, condamné à la peine capitale pour crime d'athéisme et d'apostasie. Le moine apostat serait représenté comme le martyr de la science et de la liberté, condamné par les représentants de l'ignorance et de la tyrannie. En réalité la vie et l'œuvre du malheureux révolté qu'on projetait de mettre sur le pinacle, n'offrait rien d'attachant. Dans les ouvrages qu'on lui attribue, l'obscénité le dispute au blasphème. Sa vie errante fut celle d'un aventurier. Sa science avait été surfaite. Un historien protestant avouait que, n'eût été sa mort violente, son nom serait resté justement ignoré[47]. L'apothéose du prétendu martyr de la science et de la liberté commença, au mois de février 1888, par une séance académique, qui eut lieu au Collège romain et à laquelle assista solennellement M. Crispi. Le sénateur Moleschott y célébra la vie et la mort de Giordano Bruno comme une protestation contre la théocratie. Victor-Emmanuel, s'écria-t-il, en détruisant le pouvoir temporel, a rendu au monde sa conscience. Le 9 juin, jour de la Pentecôte, fixé pour l'inauguration du monument, des centaines de délégations maçonniques, socialistes, anarchistes, venues de France, d'Allemagne, de Belgique, d'Autriche, de Suisse, défilèrent devant la statue du moine renégat. Les honneurs extraordinaires décernés à un pareil homme, disait quelques jours plus tard le Saint-Père[48], n'ont guère qu'un sens : c'est qu'il faut établir toute vie en dehors de la doctrine divinement révélée, en dehors de la foi chrétienne... Et une si triste manifestation a pu être longuement préparée, organisée et réalisée, non seulement au su des gouvernants, mais avec leur faveur et leur concours ouvert et manifeste ! Peu de temps après, le premier ministre italien, justifiant pleinement les paroles de Léon XIII, faisait écho aux fêtes de Giordano Bruno en évoquant publiquement, à Palerme, en face de la Révélation chrétienne, la déesse Raison, dont l'Italie officielle entendait être la vivante expression. En même temps, il jugeait l'opinion assez mûre pour accepter un projet d'expropriation générale des œuvres pies. Nous avons vu plus haut quels avaient été les premiers attentats contre ces œuvres. Il s'agissait maintenant d'une mesure universelle et radicale, qui les arracherait toutes, sans exception, à la direction de l'autorité de l'Eglise, pour les mettre dans la main de l'Etat. La classification officielle enregistrait 21.766 œuvres pies, classées en trente-deux catégories suivant leurs divers objets de bienfaisance, et 2.400 fondations ayant pour but l'entretien du culte. Le capital de toutes ces œuvres était évalué à près de deux milliards. Cette richesse était de nature à tenter la cupidité d'un gouvernement aux abois ; mais en M. Crispi ce sentiment n'était pas le motif dominant de son entreprise ; porter un coup sensible à l'Eglise, en ruinant autant qu'il était possible son influence sociale, tel était le vrai dessein de cet esprit sectaire. Le projet de loi qu'il fit adopter, vers la fin de l'année 1889, par le Parlement italien, se ramenait à trois prescriptions principales : Toutes les œuvres de bienfaisance étaient mises aux mains d'une administration bureaucratique dépendant de l'Etat. Dans chaque commune, elles seraient désormais administrées par un bureau élu par le conseil municipal. C'était introduire la politique dans l'exercice de la charité, ou pour mieux dire, c'était établir officiellement l'exploitation de celle-ci par celle-là. 2° La loi excluait de l'administration des bureaux ainsi constitués tout ecclésiastique occupant une charge hiérarchique dans la paroisse. Le code pénal avait mis le clergé hors la loi ; la loi sur les œuvres pies l'excluait de l'administration des institutions fondées sous ses auspices et dont ii avait, en Italie, de temps immémorial, l'administration, sinon la propriété légitime. 3° La loi autorisait la suppression des œuvres pies consacrées à un but religieux, et permettait à l'Etat de convertir leurs biens ou d'employer les revenus de ces biens à une destination plus conforme aux besoins modernes. C'était la disposition la plus radicale et la plus révolutionnaire du projet, puisqu'elle anéantissait la volonté des testateurs et consacrait une sorte d'attentat posthume envers les morts. Comme le code pénal, la loi sur les œuvres pies fut discutée et votée en peu de jours. C'est à peine si quelques modifications insignifiantes furent apportées au projet gouvernemental, qui fut adopté à une grande majorité. Le 30 décembre 1889, Léon XIII protesta publiquement contre cette loi, dictée par la haine, votée à la hâte, contraire à la justice comme à la piété. Le Saint-Père signalait ensuite les périls que réservait à l'Italie cette bienfaisance laïque, qu'on voulait substituer à la charité chrétienne[49]. VII Le gouvernement fut bientôt à même de constater la réalité
de ces périls. Profitant de l'irritation produite par la misère générale, les
chefs du socialisme organisèrent des ligues de travailleurs, dont le
gouvernement, dont Crispi lui-même ne tarda pas à s'alarmer.,( Jusqu'à 1890 nous avons travaillé à assurer l'unité
matérielle de la patrie, disait le premier ministre dans sa
déclaration du 20 décembre 1893 ; maintenant nous
avons à affermir son unité morale... La
situation de la patrie est plus grave que jamais... Nous avons besoin du concours des Chambres sans différence
de partis ; je vous invite à conclure une trêve de Dieu. Celui qui se
déclarait toujours le disciple de Garibaldi et de
Mazzini, sembla même renoncer à lutter contre
l'adversaire traditionnel et tenter de se réconcilier avec le pape pour se
renforcer du parti catholique[50]. Cette
orientation s'accentua sous le ministère conservateur de M. Di Rudini, appelé
au pouvoir en mars 1896, en remplacement de M. Crispi. Pendant les premiers
mois de son administration, M. Di Rudini s'appliqua, comme l'avait fait,
avant M. Crispi, M. Depretis, à multiplier à l'égard du Vatican les gages, de
bonne volonté. Léon XIII ne refusa pas de négocier, de s'entendre sur
telle ou telle question particulière, qu'il était urgent de résoudre ; mais
sur le principe d'un accord avec le gouvernement usurpateur, il se montra
inflexible. Il est quantité de questions, écrivait
un publiciste bien informé de cette époque, sur lesquelles les deux
gouvernements (du Vatican et du
Quirinal) sont constamment obligés de
négocier, par exemple quand il s'agit de la nomination des évêques. Le choix
des évêques dépend, en Italie, exclusivement du Saint-Siège, Toutefois, dans
certaines provinces, le pouvoir royal revendique un droit de patronage qui
appartenait aux régimes déchus et dont il prétend avoir hérité. Si, pour une
raison ou pour une autre, tel candidat ne lui agrée pas, le gouvernement
italien manifeste ses répugnances et son opposition par le refus de
l'exequatur, et, tant qu'il n'a pas obtenu le placet royal, l'évêque
ne peut ni résider dans son palais épiscopal ni jouir de son traitement. Il
en résulte qu'avant de procéder à ces nominations, le Saint-Siège tient
quelquefois à pressentir les dispositions du gouvernement italien. Des
négociations s'engagent donc forcément entre le Vatican et le Quirinal,
négociations secrètes, il est vrai, mais qui n'en mettent pas moins en
contact et en rapport l'un avec l'autre les deux pouvoirs ennemis. Il est
rare que le Saint-Siège prenne une mesure intéressant directement l'Italie
sans qu'il ait fait sonder auparavant le gouvernement ou la cour. Ainsi la
question du mariage du prince de Naples et de la conversion de la princesse
Hélène à la foi catholique a nécessité, entre le Vatican et le Quirinal, de
longs pourparlers. Je cite cette question. J'en pourrais rappeler une
quantité d'autres sur lesquelles le Saint-Siège et l'Italie officielle, par
l'intermédiaire le plus souvent d'agents de confiance assez obscurs, sont
forcés d'entrer en relations. Tout le monde sait à Rome, par exemple, que
l'inspecteur de police du Borgo (le quartier qui avoisine le Vatican) jouit
de toute la confiance des autorités du Palais apostolique, qui recourent
fréquemment à ses bons offices... Extérieurement
donc, on pourrait croire que la réconciliation est désormais un fait accompli. Erreur profonde. Non seulement le Vatican n'a pas fait un pas vers la conciliation, mais il en apparaît plus éloigné que jamais... Plus M. Di Rudini s'est montré conciliateur, plus au Vatican on a affecté l'intransigeance... Le Vatican est parvenu même à imposer son intransigeance à ceux qui auraient été les moins disposés à l'approuver. Il est entendu désormais que les souverains catholiques, s'ils franchissent le seuil du Quirinal, ne peuvent pénétrer dans le Vatican pour y présenter leurs hommages au Saint-Père. C'est en vertu de cette prohibition que l'empereur d'Autriche s'abstient de rendre à son allié la visite qu'il en a reçue à Vienne. Tous les souverains catholiques ont respecté jusqu'à ce jour cette consigne, et aucun, malgré les liens politiques ou du sang, n'a osé la violer... Les princes protestants qui sont les hôtes du roi Humbert et qui sollicitent une entrevue de Léon XIII, sont contraints de se plier à une étiquette minutieuse. Il leur est interdit de franchir le seuil du palais apostolique dans les voitures de la cour, et, s'ils résident au Quirinal, ils sont obligés, avant de se rendre au Vatican, d'aller purger une quarantaine de quelques heures dans un hôtel ou dans une ambassade. Quelques-uns pourront sourire de cette ingénieuse fiction, par laquelle la papauté maintient intact le principe de sa souveraineté ; ils pourront même prétendre que les conditions imposées aux souverains hétérodoxes ne sont pas dépourvues de byzantinisme. Mais elles prouvent, dans tous les cas, combien la papauté est attentive à ne pas laisser prescrire ses droits, et le fait que tous les souverains qui ont visité Rome n'ont fait aucune difficulté de s'y conformer, atteste la grande place qu'occupe encore le pape dans la Ville éternelle, et dont rien, pas même son internement au fond d'un palais, n'a pu le déposséder[51]. Quant au gouvernement italien, il n'acceptait ces mesures, humiliantes pour lui, qu'à son corps défendant, et semblait chercher à s'en venger en lâchant la bride à l'esprit sectaire. M. Di Rudini, voyant ses offres de conciliation repoussées, avait changé de tactique. La suppression de l'Unità cattolica de Florence et d'une dizaine de journaux catholiques, la condamnation de Don Albertario à trois ans de détention, l'arrestation de Mgr Scotton, le zélé organisateur des pèlerinages milanais et vénitiens à Rome, les menaces du retrait d'exequatur aux évêques, furent les épisodes les plus saillants de cette campagne ; mais le fait le plus grave fut la suppression, en 1898, de près de quatre mille associations catholiques. line statistique dressée par l'Osservatore romano établit que, dans l'espace d'un mois et demi, des ukases militaires frappèrent : 4 comités régionaux, 70 comités diocésains, 2.600 comités paroissiaux, 600 sections et 20 cercles de la Société de la Jeunesse catholique, 5 cercles universitaires, 300 associations religieuses, sans compter beaucoup d'autres sociétés, telles que caisses rurales, sociétés de secours mutuel, que leur caractère économique semblait mettre à l'abri de la violence[52]. Le Saint-Père, dans une Encyclique adressée aux évêques, au clergé et au peuple d'Italie,
s'éleva contre de telles mesures, qui lésaient
par-dessus tout les principes de la justice et même les lois existantes.
— En vertu de ces principes et de ces règles,
disait-il, il est loisible aux catholiques, comme à
tous les autres citoyens, de mettre librement en commun leurs efforts pour
promouvoir le bien moral et matériel de leur prochain et pour vaquer aux
pratiques de piété et de religion. Ce fut donc chose arbitraire de dissoudre
tant de sociétés catholiques de bienfaisance, qui dans d'autres nations
jouissent d'une existence paisible et respectée... Ce fut aussi une offense spéciale envers Nous, qui avons
organisé et béni ces utiles et pacifiques associations, et envers vous,
vénérables frères, qui en avez promu avec soin le développement... Nous ne pouvons non plus passer sous silence combien de
telles mesures sont pernicieuses pour les intérêts des populations, pour la
conservation sociale, pour le bien véritable de l'Italie. La suppression de
ces associations augmente la misère matérielle et morale du peuple, ravit à
la société une force puissamment conservatrice, irrite enfin le conflit
religieux, que tous les hommes exempts de passion considèrent comme
extrêmement funeste à l'Italie, dont il brise les forces, la cohésion et
l'harmonie[53]. Les œuvres sociales tenaient, en effet, une grande place dans les préoccupations de Léon XIII, et, depuis l'avènement au pouvoir du cardinal Rampolla, elles prenaient, pour le pape et pour son fidèle conseiller, une signification de plus en plus grande, devenaient comme un élément essentiel de la politique générale du Saint-Siège en Italie. Léon XIII et son éminent secrétaire d'Etat se rendaient compte, de plus en plus, que toute action politique, toute combinaison diplomatique resteraient inefficaces si elles ne s'appuyaient pas sur une action exercée dans l'opinion publique, si étrangement faussée par les sectaires. Sur le mouvement d'indépendance italienne, sur ce risorgimento qui soulevait l'enthousiasme des habitants de la Péninsule, de graves équivoques s'étaient produites. Dans la préparation et dans l'orientation de ce mouvement trois facteurs étaient intervenus : la conscience italienne avec ses émouvantes aspirations, les armées de Napoléon III et de Victor-Emmanuel avec leur héroïsme, les sectes avec leur philosophie, si tant est qu'on puisse qualifier de ce nom respecté les emphatiques tirades de Garibaldi. Peu à peu, et profitant du conflit permanent créé par la prise de Rome, les sectes s'étaient attribué tout l'honneur du risorgimento. Elles avaient échafaudé une certaine notion d'italianité, moins politique que philosophique, au nom de laquelle Trente et Trieste étaient beaucoup moins visées que ne l'était le Vatican. Invité par Léon XIII à revendiquer sans cesse la pleine liberté du magistère pontifical, le cardinal Rampolla fit l'essai d'une politique qui, par delà l'Italie officielle, atteindrait l'Italie populaire et la mettrait en contact avec l'incessante sollicitude du pouvoir spirituel. Il s'efforça de ressusciter, au fond des âmes catholiques de l'Italie du Nord, la vieille idée guelfe, à laquelle tant de villes de la vallée du Pô ont légitimement associé leur gloire ; et l'on vit, à son instigation, grâce aux œuvres multiples qu'il y encouragea, aux congrès d'études sociales qui s'y organisèrent sous son patronage, la presse catholique de la Péninsule rappeler l'antique alliance des cités italiennes et du pontificat romain. On vit même, en certains points du royaume, dans le Bergamasque et la Vénétie, l'Italie catholique, prenant conscience d'elle-même recueillir, sur le terrain provincial et communal, comme des fruits déjà mûrs, certains succès politiques, qui pour l'instant lui suffisaient[54]. Tandis que ces progrès se réalisaient dans l'intérieur du royaume, Léon XIII s'appliquait à combattre diplomatiquement les tendances hostiles de la politique extérieure de l'Italie. L'adhésion de la chancellerie du Quirinal à la Triple Alliance aurait été déterminée, au moins en partie, par sa politique anticléricale. Dans son livre sur la Triple et la Double alliance, le sénateur Chiala n'hésite pas à en faire l'aveu explicite : il déclare que, si l'Italie est entrée dans le pacte austro-allemand, c'est parce qu'elle appréhendait de voir soit la France, soit l'Allemagne elle-même, soulever et exploiter contre elle la question pontificale[55]. Il n'y a donc pas lieu d'être surpris si la Triple Alliance, dès le lendemain du jour où elle fut stipulée, rencontra au Vatican une hostilité déclarée. Cette opposition se manifesta surtout par la politique de Léon XIII à l'égard de l'Autriche, sur laquelle il avait plus de prise, et que, par une action diplomatique suivie dont nous n'avons pas ici à suivre les vicissitudes, il essaya de détacher à la fois de l'Italie et de l'Allemagne[56]. En même temps, il mettait tout en jeu pour favoriser, en face de la Triple Alliance, l'entente franco-russe, dont le contrepoids paralyserait le danger d'un pacte où la perspicacité du pontife voyait la réalisation d'une inspiration prussienne et protestante[57]. Mais cette action diplomatique ne pourra être mise dans tout son jour qu'après avoir étudié les relations politiques de Léon XIII avec la France, l'Allemagne, l'Autriche et les autres Etats européens. |
[1] Par l'intermédiaire des sociétés secrètes, le mot d'ordre avait été donné à toute la presse révolutionnaire : exalter Léon XIII, réprouver la politique de Pie IX. Pie IX, disait-on, avait échoué dans toutes ses entreprises, parce qu'il avait condamné l'Etat moderne. Le nouveau pape allait entrer dans la voie de la conciliation. Léon XIII reconnaîtrait sans réserve le royaume d'Italie, accepterait les faits accomplis, et renoncerait au pouvoir temporel... De même que, de 1846 à 1848, les sociétés secrètes avaient fait acclamer en Pie IX le pape libéral, ainsi, en 1878, elles faisaient saluer en Léon XIII le pape diplomate (VAN DUERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes depuis 1790 jusqu'à nos jours, un vol. in-8°, Lille, 1890, p. 434, 436).
[2] H. MARTIN, S. J., dans les Etudes, 6e série, t. I (1878), p. 328-329.
[3] Semaine religieuse de Paris du 23 mars 1878, p. 465-466.
[4] Semaine religieuse de Paris.
[5] Semaine religieuse de Paris, p. 858-859, 31 août 1878, p. 268.
[6] Semaine religieuse de Paris, 1er juin 1878, p. 901.
[7] Semaine religieuse de Paris, 8 juin, p. 949.
[8] LEONIS XIII Acta, t. I, p. 64-66.
[9] Voir ces arguments développés par R. BONGHI, Leone XIII e il Governo ilaliano, un vol., 1882, notamment p. 25-27.
[10] E. OLLIVIER, le Pape est-il libre à Rome ? un vol., Paris, 1882.
[11] E. SODERINI, les Elections municipales de Rome, dans le Correspondant du 10 juillet 1888.
[12] Semaine religieuse de Paris, 15 juin 1878, p. 981.
[13] Le mot sacrilège est ici trop fort. L'empereur d'Autriche n'allait pas à Rome, parce que le pape n'aurait pas admis les hommages d'un souverain catholique venant visiter à Rome le roi usurpateur.
[14] E. LAVISSE, Vue générale de l'histoire politique de l'Europe, un vol. in-12, Paris, p. 210-212.
[15] Le cardinal Monaco La Valletta, né à Aquila le 23 février 1827, élevé à la pourpre le 13 mars 1868, était déjà vicaire général de Pie IX.
[16] LEONIS XIII Acta, t. I, p 72-82
[17] Le cardinal Franchi, nommé le 5 mars 1878 secrétaire d'Etat, était mort le 31 juillet suivant. Né à Rome le 25 juin 1819, il s'était distingué dans plusieurs missions diplomatiques que Pie IX lui avait confiées à Florence, à Madrid et à Constantinople. Léon XIII regretta beaucoup sa perte, et lui donna pour successeur le cardinal Nina, né à Recanati, le 19 mai 1812, qui avait révélé de grandes qualités dans la commission préparatoire du concile du Vatican.
[18] LEONIS XIII Acta,
t. I, p. 103-112.
[19] Semaine religieuse de Paris, 1er février, p. 174.
[20] Semaine religieuse de Paris, 8 mars 1879, p. 369-370.
[21] LEONIS XIII Acta, t. I, p. 202-211.
[22] LEONIS XIII Acta, t. I, p. 221-224.
[23] Dans le langage du droit canonique, le droit de patronat ou de patronage (jus patronatus) consiste dans le privilège de nommer ou de présenter à un bénéfice vacant. Voir THOMASSIN, Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise, 2e partie, livre Ier, ch. XXIX.
[24] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, année 1879, p. 758-760.
[25] Cosi con infelice astuzia si toglie alia Chiesa colla sinistra mano quello che per ragioni politiche si finse di darle colla diritta (LEONIS XIII Acta, t. I, p. 110).
[26] Sur les événements du 13 juillet 188, voir les documents donnés par Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 228-233.
[27] Revue des Deux Mondes, t. LIX, p. 773. Cf. Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 233-236.
[28] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 335-336.
[29] Mgr Jacobini avait succédé au cardinal Nina en cette même année 1882.
[30] LEONIS XIII Acta, t. III, p. 75-77.
[31] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 336-339.
[32] M. D'AZEGLIO, Correspondance politique, publiée par E. RENDU.
[33] Semaine religieuse de Paris, 20 septembre 1879, p. 361.
[34] Note envoyée aux nonces apostoliques, le 10 février 1884.
[35] Voir les considérants et le dispositif de l'arrêt dans CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 427-428.
[36] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 430.
[37] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 464-465.
[38] Voir la lettre entière dans Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 511-513.
[39] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 515-516.
[40] Dom CHAMARD, Annales ecclésiastiques, p. 517.
[41] Santa Melania Gianiore, senatrice romana, Roma, 1905. Cf. GOYAU, Sainte Mélanie, Paris, 1912.
[42] Son immense ouvrage sur sainte Mélanie rappelle, par la précision des recherches, par l'experte indépendance des discussions critiques, les plus beaux ouvrages de notre vieux Tillemont. (G. GOYAU, dans la Revue hebdomadaire du 21 février 1914, p. 323.) Notre savant confrère, M. Vigouroux, nous a souvent dit combien le cardinal Rampolla, dans l'exercice de ses fonctions de président de la Commission biblique, avait étonné les exégètes les plus exercés, par la pénétration de son esprit et la précision de ses formules dans l'interprétation des passages les plus difficiles de la Sainte Ecriture.
[43] G. GOYAU, Sainte Mélanie, p. 309.
[44] G. GOYAU, Sainte Mélanie, p. 306-307.
[45] Le cardinal Franchi, le cardinal Nina et le cardinal Jacobini.
[46] Questions actuelles, t. II, p. 81 et s.
[47] LEWES, History of philosophy, 1880, t. II, p. 101. Cf. Dict. apol. de la foi cath., au mot Bruno, t. I, col. 431-432.
[48] CHAMARD, p. 762.
[49] Questions actuelles, t. VII, 1890, p. 6-9.
[50] SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. 350.
[51] François CARRY, dans le Correspondant, t. CXC, p. 35-41.
[52] EGREMONT, Année de l'Eglise, un vol. in-12, Paris, 1898, p. 315.
[53] EGREMONT, Année de l'Eglise, p. 315-316.
[54] G. GOYAU, dans la Revue hebdomadaire du 21 février 1914, p. 310-313. On verra, plus loin, l'exposé des œuvres sociales en Italie. On a voulu simplement noter ici le côté par lequel elles ont touché à la politique générale de Léon XIII, dans ses rapports avec le gouvernement italien.
[55] CHIALA, la Triplice e Duplice Alleanza, p. 358. L'affirmation de cet auteur est peut-être trop exclusive. Le roi Humbert, très préoccupé du mouvement socialiste, et privé de l'appoint des forces conservatrices catholiques, chercha au dehors des appuis qui lui manquaient au dedans.
[56] Voir l'exposé de cette politique dans E. LAMY, la Politique du dernier pontificat, Correspondant du 10 septembre 1903, p. 811-819.
[57] Voir E. LAMY, la Politique du dernier pontificat, Correspondant du 10 septembre 1903, p. 816-834.