En Angleterre, en Allemagne et en France, de 1831 à 1846, le mouvement catholique prend une particulière ampleur. En Angleterre, c'est la période de la grande agitation d'O'Connell, arrachant au gouvernement l'abolition de ses lois les plus injustes contre les catholiques ; c'est, en même temps, le développement du mouvement d'Oxford, aboutissant en 1845 à la conversion de Newman et de plusieurs des plus éminents docteurs de l'anglicanisme ; en Allemagne, c'est la lutte et le triomphe de l'épiscopat catholique dans l'importante question des mariages mixtes ; en France, c'est la campagne qui prépare la conquête de la liberté d'enseignement. I Le bill d'émancipation de 1829 était loin d'avoir donné la liberté complète aux catholiques irlandais. Ceux-ci se plaignaient, à juste titre, d'avoir à payer annuellement près de 20 millions de francs pour le clergé des Eglises protestantes, lesquelles comptaient à peine 800.000 fidèles, tandis que leur propre clergé, celui qui desservait 6 millions de catholiques, n'avait d'autres ressources pour vivre que la charité d'une population appauvrie. Les catholiques irlandais se plaignaient encore, et non sans raison, d'être écrasés sous le poids de fermages exorbitants, et d'être impitoyablement chassés, évincés de leurs chaumières, quand, par suite d'une mauvaise récolte, ils ne pouvaient payer ces fermages aux agents des landlords. Ils rappelaient enfin que l'Irlande était insuffisamment représentée en Angleterre. En d'autres termes, les trois questions qui, depuis le XIVe siècle, avaient tour à tour ou simultanément agité ce pays, ne leur paraissaient pas résolues. Dès le 22 mars 1829, avant même que l'émancipation fût un fait accompli, O'Connell avait écrit à un ami : Combien se trompent ceux qui croient que tout sera fini après l'émancipation catholique ! Oh ! ce sera le moment de commencer la lutte pour les droits de la nation[1]. L'agitateur était alors à l'apogée de sa popularité et de sa puissance. Agé de cinquante-quatre ans, il avait conservé toute sa vigueur physique, et acquis dans ses longues luttes une expérience des hommes et des choses qui faisait de lui plus qu'un tribun populaire, un homme politique dans toute l'acception du mot. Il jugea, contrairement à l'opinion de quelques-uns de ses amis, que la question politique devait avoir chronologiquement le pas sur les deux autres, et qu'il devait commencer sa nouvelle campagne au sein du parlement. Ou pouvait se demander si le grand orateur des meetings d'Irlande saurait adapter ses paroles aux débats d'une assemblée législative. O'Connell n'hésita pas ; et les succès qu'il obtint pendant les dix-sept années qu'il passa à la Chambre des Communes justifièrent son audace. Bien que l'émancipation des catholiques dit été accordée par les tories, O'Connell se rangea résolument du côté des whigs. Ceux-ci demandaient alors une réforme électorale, et avaient besoin, pour vaincre au parlement leurs adversaires, de l'appoint des voix irlandaises. Cet appoint, O'Connell le leur offrait. Il pouvait, en retour, leur demander des engagements favorables aux catholiques[2]. Les tories d'ailleurs, conservateurs de l'état de choses existant, se posaient nettement connue les défenseurs de l'Eglise établie. Le succès ne répondit qu'imparfaitement aux espérances de l'agitaient. La présence des whigs au pouvoir pendant six années donna à l'Irlande une paix relative. L'île-sœur fut gouvernée avec impartialité. Les magistrats ne virent que des citoyens là où l'on avait trop souvent distingué l'Anglais de l'Irlandais, le protestant du catholique[3]. De plus, à la tribune parlementaire, connue au milieu des grandes assemblées populaires, O'Connell apparut comme une puissance. La lutte qu'il soutint, pendant les onze jours que dura la fameuse discussion du Coercion bill le révéla comme un tacticien parlementaire redoutable, discutant pied à pied, article par article, ce projet de loi qui, amplifiant les pouvoirs des magistrats, mettait l'Irlande presque en état de siège. En vain, pour vaincre sa résistance, lui offre-t-on une importante magistrature en Irlande. O'Connell ne veut rien accepter, pour conserver son indépendance. Il retrouve, pour combattre le funeste projet de loi, la verve, l'ironie, les sarcasmes, qui soulevaient naguère les foules de ses compatriotes. Le discours qu'il improvise le 5 février 1833 est, au jugement de Michelet, le plus vibrant morceau d'éloquence que l'Europe ait entendu depuis Mirabeau[4]. Le ministre retire son projet. Mais, somme toute, la campagne parlementaire d'O'Connell aboutit à peu de résultats pratiques et immédiats. L'abolition d'une des contributions destinées à l'entretien du culte anglican, la suppression de plusieurs évêchés anglicans en Irlande, et une légère modification dans le mode de perception des dîmes, furent à peu près les seuls fruits positifs obtenus par tant d'efforts. En 1839, le Libérateur, comme l'appelèrent les Irlandais, se sentant épuisé de fatigue, songeait à terminer ses jours dans un monastère[5]. Mais l'arrivée au pouvoir, en 1841, des tories, avec Robert Peel à leur tête, le rejeta dans l'opposition déclarée. Jusque-là, il avait suspendu toute agitation populaire en Irlande, et il s'était interdit de réclamer lui-même le rappel de l'union, c'est-à-dire l'autonomie législative de l'Irlande par l'établissement d'un parlement à Dublin. Mon espoir, écrivit-il à ses amis, est désormais uniquement dans l'Irlande. Et, malgré son âge, il recommença ses tournées d'agitateur. Nous ne nous étendrons pas sur cette nouvelle série de campagnes, qui par leurs manifestations paraissent purement politiques, ruais au cours desquelles O'Connell, catholique avant tout, ne perdit jamais de vue la question, toujours prédominante à ses yeux, de la liberté religieuse de son pays. Il était convaincu, en effet, que celle-ci resterait illusoire et précaire tant qu'elle ne serait pas garantie par la liberté politique. La révocation de l'union fut son mot d'ordre ; la défense du catholicisme en Irlande resta son premier but. Malgré les murmures de certains de ses partisans trop passionnés, son agitation resta toujours légale. Je ne violerai ni la loi de Dieu ni les lois des hommes, s'écriait-il le 11 avril 1843 à Dublin ; mais, aussi longtemps qu'il nous restera un lambeau de constitution, j'en ferai mon appui, et j'y poserai le levier avec lequel je soutiendrai les libertés chancelantes de ma patrie ! Le 13 août, à Tara, siège des anciens rois d'Irlande, le Libérateur réunit et harangua sept cent cinquante mille personnes ; le Times parla même d'un million d'assistants. Une autre réunion de quatre cent mille personnes fut tenue bientôt après, à Mullaghrnast. Un meeting plus colossal fut annoncé pour le 8 octobre, et devait se réunir à Clontarf. O'Connell, apprenant que le gouvernement se disposait à disperser la réunion par la force, que des troupes et des canons se dirigeaient vers Clontarf, et prévoyant entre l'armée et la foule une collision sanglante, interdit, au dernier moment, la réunion, et eut le bonheur de se faire obéir par cinq cent mille hommes, décidés à donner leur vie pour leur pays. Le gouvernement anglais le fit arrêter, condamner, emprisonner comme coupable de conspiration. Mais la Chambre des Lords, en septembre 1844, cassa la sentence du tribunal et rendit la liberté à O'Connell. En même temps, le cabinet tory n'osait pas exécuter ses menaces. A la fin de 1842, Robert Peel, en frappant l'Angleterre de l'income-tax, n'osa pas imposer ce fardeau à l'Irlande. L'année suivante il déclarait être décidé à tout faire pour le bien des Irlandais. Quant à O'Connell, dans sa foi profonde, il écrirait : La main de l'homme n'est pas là dedans. C'est la Providence qui répond aux prières du fidèle peuple d'Irlande. Les grandes manifestations populaires dont l'agitateur fut l'objet après sa libération, furent ses derniers triomphes ; car ce grand chrétien mérita, suivant les expressions de Lacordaire[6], que Dieu le purifiât du poison subtil de la gloire, et mît sur sa tête, après tant de couronnes qui ne s'y étaient jamais flétries, cette couronne suprême de l'adversité sans laquelle aucune gloire n'est parfaite ni sur la terre ni dans le ciel. Malgré le retour des whigs au pouvoir, malgré les excellents choix de fonctionnaires qui furent faits pour l'Irlande, l'année 1846 fut la plus triste de la vie d'O'Connell. Deux faits contribuèrent à empoisonner ses derniers jours. Les dissidents exagérés dont nous avons fait mention, et qui voulaient conquérir la liberté de l'Irlande par la violence, formèrent, sous le nom de Jeune Irlande, une société qui se déclara ouvertement contre O'Connell ; et une misère affreuse, causée, en 1845-1846, par la disette des pommes de terre, fit périr, par la faim ou le typhus, près d'un cinquième de la population irlandaise. Le grand agitateur, accablé par les souffrances morales et physiques, voulut, avant de mourir, se rendre à Rome, pour y déposer aux pieds du Chef suprême de l'Eglise le témoignage de sa fidélité. Dieu ne lui permit pas de parvenir au but de son pèlerinage. Il mourut à Gênes, le 14 mai 1847 ; et Pie IX, en embrassant, peu de temps après, le fils d'O'Connell, se félicita de tenir dans ses bras le fils du héros de la chrétienté[7]. II Plusieurs des membres du parti whig ou libéral, qui se montrèrent plus ou moins favorables à la cause d'O'Connell, ne furent amenés à agir ainsi que par leur peu de zèle à l'égard de la religion nationale ; de sorte que leur indifférence religieuse favorisa, dans l'espèce, le progrès de la vraie religion. Par un phénomène non moins singulier, et, ajoutons-le, non moins providentiel, l'attachement obstiné de plusieurs membres du parti tory ou conservateur à l'Eglise établie, aboutissait en même temps à un réveil catholique. Keble, Froude et Newman ne s'étaient pas seulement déclarés partisans du tory Robert Peel ; plus conservateurs que leur chef, ils l'avaient renié lorsqu'ils l'avaient vu se prononcer pour l'émancipation des catholiques, l'accusant de trahir l'Eglise anglicane[8]. Or, dans la même ardeur de défendre leur Mère Eglise, de lui donner une vitalité puissante, ces mêmes hommes avaient été amenés à se dire qu'elle avait besoin d'être réformée, et il se trouvait que les réformes qu'ils imaginaient, ou qu'ils empruntaient aux vieilles traditions, pour vivifier cette Eglise, se rapprochaient singulièrement des croyances et des pratiques catholiques. Newman a écrit qu'il avait toujours considéré comme point de départ du mouvement tractarien, c'est-à-dire du mouvement qui devait le conduire, lui et plusieurs de ses amis, au catholicisme, le discours prononcé par Keble à propos du bill qui, en 1833, supprimait une partie des évêchés anglicans en Irlande[9]. Hé quoi ! désorganiser l'Eglise d'Angleterre au moment où les libres penseurs d'un côté, les catholiques irlandais de l'autre, lui faisaient une guerre acharnée, n'était-ce pas une lâche apostasie ? Keble intitula son discours : l'Apostasie nationale, et, sous ce titre, en répandit à profusion les exemplaires. La conclusion du manifeste — car c'en était un, — était que, dans une telle crise, tout fidèle churchman devait se dévouer entièrement à la cause de l'Eglise anglicane. Quelques clergymen se concertèrent pour répondre à cet appel. Le premier résultat de cette entente fut l'apparition, le 9 septembre 1833, d'un écrit de trois pages, sans signature, intitulé : A mes frères dans le saint ministère, les prêtres et les diacres de l'Eglise du Christ. L'idée maîtresse de cet écrit était de rappeler au clergé, qui l'avait trop oublié, que ses pouvoirs venaient, non de l'Etat, mais de la succession apostolique ; qu'il lui appartenait donc de prendre, indépendamment de l'Etat, l'initiative de toute réforme, de tout acte capable de rendre à l'Eglise d'Angleterre sa vitalité, sa grandeur et sa fécondité. Ce fut le premier des tracts, dont la succession, pendant douze années, devait donner son nom au mouvement tractarien. D'autres tracts suivirent, coup sur coup, en septembre et dans les mois suivants. Le second s'attaquait au bill irlandais, et lui reprochait d'avoir été pris saris l'avis de l'Eglise ; le troisième dénonçait des altérations dans la liturgie et les services funèbres ; le quatrième revenait sur la succession apostolique ; le cinquième exposait la constitution de l'Eglise du Christ et celle de la branche de cette Eglise établie en Angleterre ; les suivants traitaient des sujets analogues, s'appliquant à rendre en tout la religion plus haute, plus profonde, plus réelle[10]. Le plus grand nombre des tracts, les plus brillants, les plus saisissants, étaient de Newman. D'abord des amis zélés distribuèrent eux-mêmes ces feuilles, passèrent des journées à courir à cheval d'un presbytère à l'autre. Bientôt plus ne fut besoin de les répandre de la main à la main. Leur notoriété aida à leur diffusion. Quelques-uns furent tellement demandés, qu'il fallut en publier une seconde édition[11]. Ils furent discutés. Les evangelicals dénoncèrent leurs tendances papistes ; les libéraux, leur rigueur dogmatique ; les prudents conservateurs de l'anglicanisme, leurs témérités. Newman restait toujours l'âme du mouvement. Il comparait le stimulant des tracts à une application de sels volatils à une personne pâmée : c'est piquant, disait-il, mais fortifiant[12]. Il ne prenait guère au sérieux, par ailleurs, le reproche de papisme qu'on lui adressait. Quant à devenir personnellement romanist, écrivait-il[13], cela me semble de plus en plus impossible. Il croyait, en effet, à cette époque, avoir trouvé le moyen de s'écarter de l'Eglise d'Angleterre sans s'unir à celle de Rome. C'est ce qu'il appelait la Via media. En i835, le mouvement tractarien prit un nouveau caractère par l'intervention de Pusey. Les publications devinrent de petits traités complets, un peu pesants, mais solides, L'effet en a été comparé à la venue d'une batterie de grosse artillerie sur un champ de bataille où il n'y avait eu jusqu'alors que des escarmouches de mousqueterie[14]. La mort de Froude, en cette même année, fut, pour le mouvement, une perte sensible, mais ne le ralentit pas. Du reste, les tracts n'étaient plus le seul moyen de propagande. Newman, chargé de la paroisse de Sainte-Marie à Oxford, y relevait le culte paroissial de l'espèce de léthargie où il était tombé, et y prêchait des sermons dont le succès allait grandissant. Le recueil de ces sermons, dont le premier volume parut en 1834[15], fut regardé, même par les protestants, comme un des plus précieux monuments de la littérature anglaise au XIXe siècle[16], et contribua, au moins autant que les tracts, à gagner des adhérents au mouvement. Au surplus, ce mouvement, plus ou moins conscient, d'un grand nombre de protestants cultivés vers les doctrines romaines, coïncidait avec un mouvement des catholiques anglais vers la culture scientifique et littéraire. Nous avons déjà eu l'occasion de dire comment la condition de parias, faite depuis longtemps aux catholiques d'Angleterre, avait produit sur eux une sorte de dépression sociale et intellectuelle. Sortis des catacombes, dit un de leurs historiens[17], on eût dit que le grand jour les éblouissait. Ils demeuraient timides et méfiants. Mais un catholique, un prêtre s'était trouvé, assez Anglais pour comprendre ses compatriotes et s'en faire comprendre, et cependant assez dégagé, par sa formation personnelle, des habitudes d'esprit des catholiques d'outre-Manche pour n'avoir ni leurs timidités ni leurs courtes vues. C'était Nicolas Wiseman[18]. Né à Séville, en 1802, d'une famille anglaise, élevé en Angleterre depuis sa première enfance, envoyé à Rome en 1818, avec une colonie de jeunes élèves, pour y repeupler le collège anglais, récemment rétabli, le jeune Wiseman s'était déjà révélé comme orateur, comme poète, comme exégète et comme orientaliste. La rencontre qu'il fit, à Rome, en 1830, d'un jeune converti de noble race, le dernier fils de lord Spencer[19], orienta sa pensée vers l'œuvre de la conversion de l'Angleterre ; et la visite qu'il reçut, en 1833, de Newman et de Froude, lui fit connaître l'importance du mouvement d'Oxford[20]. Un court séjour qu'il fit à Paris, en 1835, au moment où son ami Lacordaire y inaugurait les conférences de Notre -Dame devant un public hostile ou indifférent, ranima son courage et sa confiance. En 1836, il entreprit, à Londres même, des lectures ou conférences faites à l'adresse des protestants aussi bien que de ses coreligionnaires, sur les principales doctrines de l'Eglise catholique. Son ton simple, courtois, le souci qu'on découvrait, dans son discours, d'éclairer sans irriter, attira de nombreux dissidents autour de sa chaire. A sa parole, plusieurs anglicans de marque se convertirent. Beaucoup d'autres, sans aller jusqu'à la conversion, sentirent leurs préventions détruites ou diminuées[21]. La fondation par Wiseman de la Revue de Dublin, dont le premier numéro parut en mai 1836, acheva de donner au mouvement catholique une impulsion et une ampleur, qui révélèrent aux protestants la puissance de l'Eglise romaine, donnèrent la confiance aux catholiques. Elle fut le prélude de toutes les œuvres que le catholicisme devait réaliser au courant du XIXe siècle en Angleterre[22]. Cependant Newman restait fixé dans sa Via media, et son influence ne faisait que grandir. Quand on demandait à l'un des esprits les plus originaux, les plus primesautiers du mouvement d'Oxford, à William-Georges Ward, le symbole de sa croyance, il se contentait de répondre : Credo in Newmanum. Or, au moment même où son ascendant était à son apogée, son autorité incontestée, où il eût pu, semble-t il, constituer une Eglise nouvelle dont il eût été le chef, Newman se rendait compte, de plus en plus, que la voie intermédiaire, où il avait voulu se placer, entre l'Eglise d'Angleterre et l'Eglise de Rome, était intenable. L'Eglise d'Angleterre, institution nationale, et séparée un jour de la grande Eglise, ne lui paraissait avoir ni la catholicité ni la succession apostolique ; et toute autre Eglise nouvelle aurait les mêmes défauts ; tandis que l'Eglise de Rome lui apparaissait comme possédant seule, de droit et de fait, la durée continue et l'espace sans bornes. Un mot, prononcé par saint Augustin à propos des donatistes, et que Wiseman venait de rappeler dans la Revue de Dublin, lui revenait sans cesse à la mémoire : Securus judicat orbis terrarum. Cette simple phrase, a-t-il écrit plus tard, me frappait avec une puissance que je n'avais jamais trouvée dans aucune autre. Pour prendre un exemple familier, elle était comme le Turn again, Whittington des carillons de Londres, ou, pour prendre un exemple plus sérieux, comme le Tolle, lege ; tolle, lege, de l'enfant, qui convertit saint Augustin[23]. En 1842, Newman, sentant le besoin de se recueillir pour trouver la lumière et la grâce nécessaires à la solution du grand problème qui le troublait, se retira dans la solitude de Littlemore. Quelques disciples, ne pouvant se passer de ses conseils, allèrent le rejoindre. Il les admit à partager sa vie de silence et de retraite ; mais nul ne put le décider à reprendre sa vie publique. Pendant plus de cieux ans, il pria, réfléchit, discuta avec lui-même, envisagea toutes les faces des questions qui l'agitaient. Il étudia tout spécialement celle du développement de la doctrine chrétienne, et commença à écrire sur ce sujet un des livres les plus pénétrants qui soient sortis de sa plume[24]. A la fin de l'hiver de 1845, il écrivit enfin à son ami Pusey : Je suis aussi près du pas décisif que si, en réalité, je l'avais fait. Le 8 octobre de la même année, il fit, dans son ermitage de Littlemore, son abjuration de la foi protestante et sa profession de la foi catholique entre les mains du P. Dominique, Religieux Passioniste. Plusieurs de ses disciples, Ward, Dalgairns, Saint-Solin, prévoyant cette issue de la crise, avaient précédé leur maitre, en abjurant, les 13 et 19 août et le 2 octobre, l'anglicanisme. D'autres le suivirent bientôt, parmi lesquels nous devons mentionner Faber ; futur oratorien, dont les œuvres, comme celles de Dalgairns, devaient enrichir la littérature catholique du XIXe siècle q. On a évalué à plus de trois cents les conversions qui furent la suite immédiate de celle de Newman, et le mouvement ne devait plus s'arrêter désormais. Gladstone disait vrai lorsqu'il affirmait que l'adhésion de Newman à l'Eglise romaine ferait époque dans l'histoire de l'Eglise d'Angleterre[25] ; et plus récemment, l'un des premiers historiens d'outre-Manche, M. Leecky, n'avançait pas un paradoxe en déclarant que, dans l'ordre des idées, il n'y avait pas eu de plus grand événement depuis les Stuarts[26]. III Dans le cours d'histoire ecclésiastique qu'il professait à Wurzbourg, le futur cardinal Hergenröther émettait une assertion pareille à propos des événements qui se passaient à la même époque en Allemagne. Depuis la Réforme, disait-il[27], l'Eglise n'a pas connu d'événement plus important que l'affaire de Cologne. 2. Parmi les ouvrages catholiques de Faber, on doit citer : Toul pour Jésus, le Créateur et la créature, le Précieux sang, le Saint-Sacrement, les Conférences spirituelles, etc. De Dalgairns, il faut mentionner : la Sainte communion et le traité De la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Parmi les hommes éminents nés dans le catholicisme, l'Angleterre comptait alors le cardinal Acton, dont la science théologique et canonique était justement célèbre, et l'historien john Lingard, dont l'Histoire d'Angleterre, publiée en 6 volumes, était appréciée des protestants eux-mêmes. L'affaire de Cologne ne fut que la suite de l'affaire des mariages mixtes, laquelle, avait eu ses débuts sous Léon XII et Pie VIII. La cour de Berlin qui, à la réception du Bref Litteris de Pie VIII, condamnant ses prétentions, n'avait rien trouvé de mieux à faire que de cacher le document au public et d'essayer de faire fléchir le pape, reprit la même tactique après l'avènement de Grégoire XVI. Le personnage choisi par le roi de Prusse pour engager les pourparlers avec la curie romaine fut le comte de Bunsen ; le diplomate à qui le pape demanda de le représenter fut le cardinal Lambruschini Ce Bunsen, que nous avons vu, plus haut, rédiger le Memorandum des puissances, était le type du protestant sectaire et dominateur. D'une érudition abondante et touffue, versé dans la connaissance des anciennes liturgies, il se croyait qualifié pour infuser une vie nouvelle aux institutions religieuses issues de la Réforme. Il rêvait d'une grande Eglise nationale prussienne, dont son roi serait le chef. Il dessinait, en même temps, le plan d'une vaste colonisation protestante, semblable à la colonisation protestante d'autrefois ; et l'on peut croire qu'au cours du voyage qu'il fit, en 1828, en Italie avec le prince héritier, Bunsen et le futur Frédéric-Guillaume IV avaient associé volontiers leurs imaginations pour concerter les prochains triomphes du Dieu commun de la Prusse et de la Réforme[28]. Mais à Rome on connaissait le personnage. On l'avait vu, lorsqu'il débutait dans la diplomatie en qualité de secrétaire de Niebuhr, ouvrir, sous les auspices du roi de Prusse et dans le palais même du ministre, une petite chapelle où l'on avait la prétention de centraliser en quelque sorte le vrai christianisme, par l'épuration et le rajeunissement des rituels, en vue de le faire rayonner sur le monde entier[29]. Aussi, quand Grégoire XVI et son délégué virent Bunsen, le plénipotentiaire protestant, leur demander avec instance la participation du prêtre catholique à des cérémonies matrimoniales dont il, avait lui-même fixé les rites et les conditions, ils se montrèrent inflexibles. Lambruschini déclara, au nom du pape, qu'on entendait s'en tenir, sans concessions ni modifications aucunes, aux déclarations de Pie VIII. Les pourparlers avaient duré deux ans. La chancellerie prussienne ne se découragea pas. Ne réussissant pas à gagner le pape, elle entreprit de tromper les fidèles. L'épiscopat allemand, dont elle avait déjà éprouvé les complaisances, lui fournit quelques prélats accommodants, qui, en des termes ambigus, lui firent espérer que, le temps aidant, l'assistance passive aux mariages mixtes, que Pie VIII avait permise aux prêtres catholiques, se transformerait peu à peu en assistance active, lors même que les époux ne se seraient pas conformés aux conditions posées par le droit canonique. Un moment, le plan sembla réussir. Sans bruit, le gouvernement de Prusse allait peupler de fonctionnaires protestants les régions catholiques, et, par des mariages habilement combinés, travailler à leur protestantisation lente et sûre. L'essentiel était d'obtenir l'obéissance docile des fidèles et le silence de Rome. Le bruit courait en effet, parmi le peuple et le clergé, d'un Bref de Pie VIII qui s'opposait aux prétentions de la Prusse. Bunsen essaya de mettre fin à ces bruits, en élaborant, à Coblentz, le 19 juin 1834, avec un archevêque docile, Spiegel, et son vicaire général, München, une convention qui prétendait prendre pour base le document pontifical, niais en l'adaptant, par une falsification habile des textes, à l'édit royal de 1825. Bref, la susdite convention concluait en ordonnant aux curés d'abandonner entièrement, en cas de mariage mixte, la demande préalable d'une promesse relative à l'éducation des enfants. habilement circonvenus, et fiers peut-être de prendre sur eux-mêmes la responsabilité d'une initiative qu'on leur représentait comme la garantie d'une paix religieuse honorable pour leur roi, l'archevêque de Cologne, Spiegel, et ses trois suffragants de Trèves, de Münster et de Paderborn, consentirent à appliquer la convention de 1834, en annonçant en même temps au pape qu'ils exécutaient le Bref. Au fond, c'était tromper à la fois le peuple et le pape. Mais, au moment où Bunsen croyait ses positions couvertes
par ces artificieuses combinaisons, Lambruschini, ayant eu vent de ses
menées, lui demanda des explications. Le diplomate prussien paya d'audace. Il
poussa de hauts cris quand on lui parla de la convention de juin 1831, disant
d'abord qu'une pareille convention était moralement
impossible, puis donnant la certitude
positive qu'elle n'avait jamais existé. Il n'était pas possible de
mentir plus effrontément. Les prélats allemands, également mis en cause,
n'eurent pas cette audace ; mais, engagés dans une voie fausse, et n'osant en
sortir d'abord par un franc désaveu, ils essayèrent de se justifier par une
équivoque. Ils avaient bien, répondirent-ils, conclu une sorte de pacte, mais
seulement pour interpréter, au point de vue pratique, certains cas douteux. Pour l'honneur de l'Église catholique d'Allemagne, un pareil fléchissement de l'épiscopat ne fut ni général ni perpétuel. A la fin de 1836, l'évêque de Trèves, sur son lit de mort, entendit la voix de sa conscience. Honteux des misérables réticences derrière lesquelles il avait abrité sa faiblesse, il écrivit au pape pour confesser sa faute, rétracter ses compromissions et demander pardon. Bunsen, aussitôt mis en cause, ne se tint pas encore pour battu, rédigea des notes adroitement embrouillées, essaya de faire croire à un malentendu, en appela de la déclaration de l'évêque défunt à celle des prélats vivants, Mais ceux-ci avaient peine à se maintenir dans la politique d'échappatoires et de faux-fuyants qu'ils avaient adoptée, et la rétractation de l'évêque de Trèves allait bientôt trouver sur les lèvres d'un vivant, un impétueux écho, dont le retentissement fut immense, dont la portée fut incalculable[30]. IV L'archevêque de Cologne, Spiegel, étant mort le 2 août 1835, le désir du gouvernement fut de lui trouver un successeur à la fois sympathique au clergé et favorable à la convention de 1834. Il crut trouver ces deux conditions réunies dans la personne du vénérable coadjuteur de l'évêque de Münster, Clément-Auguste de Droste-Vischering, qui, sur un signe de Berlin, fut élu par le Chapitre de Cologne, préconisé par le Saint-Père le 2 février 1836, et intronisé le 29 mai de la même année. La première condition requise par l'autorité civile se rencontrait certes dans le vénéré prélat, dont la vie pieuse et le zèle apostolique faisaient l'édification de tous ; mais il était moins sûr qu'il répondit au second desideratum de la cour de Berlin. Sous la domination napoléonienne, il n'avait pas craint de prendre en main la défense des droits de l'Eglise, en refusant de reconnaître des chanoines nommés par la seule autorité de l'empereur ; et, plus tard, quand le roi de Prusse avait pris sous sa sauvegarde l'enseignement du professeur Hermès, Droste-Vischering, ému des doctrines de ce dernier, avait interdit aux séminaristes westphaliens de fréquenter ses cours. Mais l'évêque de Münster était âgé ; on le crut fatigué. C'était une âme recueillie, attirée par la dévotion des cloîtres ; on la supposa craintive ou insouciante des conflits bruyants. Les gouvernants de Berlin ne savaient pas ou avaient oublié que le recueillement des monastères avait formé le mâle courage des Athanase et des Grégoire VII, et que la piété, qui incline les âmes vers les misères des faibles, les aide à se redresser contre les menaces des forts. Dans la question de l'hermésianisrne et dans celle des mariages mixtes, Droste-Vischering ne tarda pas à se révéler comme étant de la race des plus intrépides champions de l'Eglise. Il peut sembler étrange, au premier abord, de considérer comme de grands épisodes de l'histoire ecclésiastique les conflits qui s'élevèrent à propos de l'orthodoxie d'un professeur de théologie, et à propos des rites à observer dans le mariage d'un conjoint catholique avec un conjoint protestant. On ne comprend bien l'ampleur et la portée de ces luttes qu'en les considérant dans leurs relations avec la politique générale de l'Allemagne à cette époque. Exercer sur le monde une domination politique, intellectuelle et religieuse : tel avait été, depuis longtemps, le rêve de plusieurs hommes d'Etat de la Germanie. Ce rêve, en 1835, avait pris une forme précise ; et, sur ce point, les libéraux ne pensaient pas autrement que les partisans de l'absolutisme. Les démocrates allemands, à qui la révolution de 1830 avait donné un nouvel élan, les princes, qui, dans le Brunswick, la Saxe et le Hanovre, s'empressaient de donner des constitutions à leurs peuples, les étudiants qui complotaient dans les sociétés secrètes contre l'absolutisme, et les insurgés dont s'effrayait Metternich, chantaient avec le même entrain le Rhin Allemand de Becker, arboraient avec le même enthousiasme le drapeau de la Burschenschaft, l'étendard noir, rouge et or, devenu le symbole de l'Allemagne unifiée, nourrissaient le même espoir d'une Allemagne éclairant le monde. Un moment, les princes, le roi de Prusse lui-même, s'illusionnèrent, crurent réaliser par ce mouvement libéral la grande ambition de la race. Becker reçut une coupe d'honneur du roi de Bavière et une pension du roi de Prusse. Quelques écrivains, tels que Ranke, se montrèrent sceptiques à l'égard de ce mouvement[31] ; mais ce furent surtout les sociétés secrètes, depuis longtemps centralisées à Berlin, qui en montrèrent le défaut et qui prônèrent la réalisation du rêve allemand sous la direction du roi de Prusse[32]. Cette organisation devait s'affirmer officiellement en 1842, lorsque, à l'occasion de la pose de la première pierre pour l'achèvement de h cathédrale de Cologne, une fête nationale réunit tous les princes allemands sous la présidence du roi de Prusse. Elle était déjà un fait accompli en 1835. Dès cette époque, la Prusse avait la prétention de régenter la pensée de l'Allemagne, et, par là même, de l'Europe et du monde, par un enseignement officiel, et de régler les rites de la religion par des décrets royaux. Les luttes soulevées à l'occasion de l'hermésianisme et des mariages mixtes furent deux épisodes de la campagne entreprise à cette fin. La Prusse, devenue maîtresse des provinces rhénanes, s'était préoccupée de faire déchoir Cologne de son vieux prestige scientifique, et avait introduit à Bonn une élite de professeurs qui, plus spécialement placés sous la dépendance de l'autorité civile qui les avait groupés là, y donneraient un enseignement en quelque sorte officiel[33]. Parmi ces professeurs, un homme se signala par l'originalité et la hardiesse de sa doctrine. Il s'appelait Georges Hermès. Catholique, il avait été recommandé au gouvernement prussien par le protestant Niemeyer. Ses Recherches sur la vérité intérieure du christianisme, publiées en 1805, et son Introduction philosophique, parue en 1819, accusaient un effort de synthèse, sincère, dit-on, mais inquiétant, où la pensée protestante et même les pensées rationalistes de Kant et de Hegel semblaient se fondre dans la conception d'un catholicisme inédit. A peine Hermès avait-il pris possession de sa chaire, en 1820, qu'on songea à lui pour le rectorat de l'Université. Son Introduction positive, imprimée en 1829, des fragments de sa Dogmatique, et surtout la Revue pour la philosophie et la théologie catholiques, fondée par ses disciples en 1832, au lendemain de sa mort, répandirent sa doctrine dans tous les pays de langue allemande. Cette doctrine, à son point de départ, prétendait n'être autre chose qu'une réaction contre la scolastique trop sèche de certains théologiens de seconde main ; mais à son point d'arrivée elle aboutissait à un intellectualisme équivoque, qui n'avait de catholique que la dénomination. Faisant appel au libre examen, comme les protestants, et n'invoquant d'autre moyen d'investigation que la pure raison, comme les rationalistes, Hermès prétendait reconstituer l'ensemble des dogmes définis par l'Eglise catholique. Un tel effort d'éclectisme obtint aussitôt la faveur de la cour de Prusse, qui s'empressa de donner à l'hermésianisme une sorte de consécration laïque, en l'érigeant en théologie d'Etat[34]. Mais Grégoire XVI, dans son encyclique Dum acerbissimas du 26 septembre 1835, condamna la doctrine d'Hermès comme s'écartant de la tradition de l'Eglise et conduisant à des erreurs de tout genre. Le pape faisait sienne une sentence du Saint-Office, dénonçant, dans les doctrines d'Hermès, de multiples erreurs sur la règle de foi, l'essence et les attributs de Dieu, le péché originel, la grâce et la vie future[35]. Droste-Vischering, qui avait déjà, en qualité d'administrateur du diocèse de Münster, manifesté ses défiances à l'égard de la doctrine d'Hermès, se trouvait, en prenant possession du siège de Cologne, en présence d'un acte définitif de l'autorité pontificale. Il n'hésita pas à le faire exécuter. Il invita les professeurs de Bonn à se soumettre au verdict du Saint-Siège, et enjoignit aux étudiants de déserter les maitres qui se montreraient réfractaires. L'acte était grave. C'était mettre en interdit des professeurs nommés par l'Etat, proscrire une doctrine patronnée par l'Etat. C'était greffer sur le conflit religieux un conflit politique. Le gouvernement menaça de prendre des mesures disciplinaires, allant jusqu'à exclure de l'université les étudiants qui obéiraient à l'ordonnance archiépiscopale. Les chefs du parti d' [hermès proposèrent un débat contradictoire. L'archevêque ne s'émut point de la menace gouvernementale, et n'accepta pas la dispute proposée. Il n'appartenait plus à personne de discuter la cause d'Hermès. Elle était jugée parle pape. Droste se contenta d'extraire de l'encyclique pontificale dix-huit thèses condamnées, et demanda à son clergé l'adhésion sans phrases à ces condamnations. De Berlin on insista, en réduisant toutefois les exigences. On se contenterait du silence de l'archevêque ou, du moins, d'une demi-condamnation, qui laisserait la doctrine hermésienne se propager d'une manière discrète, occulte, qui lui permettrait de s'atténuer en s'expliquant[36]. L'encyclique du pape est là, disait Droste. Et, sans vouloir donner d'autre explication, il reprenait cette vie de prière et de bonnes œuvres qui avait semblé au gouvernement une garantie de sa docilité. Le vénéré prélat ne faisait pas une réponse différente aux agents du roi de Prusse lorsque ceux-ci lui demandaient d'adhérer aux déclarations gouvernementales, ou, tout au moins, de garder le silence dans la question des mariages mixtes. L'encyclique du pape est là, disait-il. Il parlait alors de l'encyclique de Pie VIII. Rapprochant la lettre pontificale de la convention de 1834, il constatait l'absolue incompatibilité des deux actes, et, ne pouvant récuser celui du pape, il condamnait celui du roi. V Mais le gouvernement voulait le silence à tout prix. Ne pouvant forcer l'archevêque à se taire, il résolut d'empêcher le peuple d'entendre sa voix. Pour lui, de même que la propagande de l'hermésianisme était le moyen de fusionner, dans le domaine des idées, les divers partis religieux et philosophiques de l'Allemagne, la multiplication des mariages mixtes, entendus à sa façon, était le procédé le plus efficace pour réaliser cette fusion dans le domaine de la vie pratique. On aurait alors une religion allemande, une philosophie allemande, comme Une patrie allemande. Mais pour arriver à ce but on avait besoin de la complicité silencieuse du clergé. L'archevêque de Cologne mettait obstacle à ces plans ; on décida de l'interner dans une enceinte fortifiée. On étoufferait ainsi sa parole, et l'exemple du châtiment empêcherait ses collègues de l'épiscopat d'élever la voix à leur tour. Au soir du 20 novembre 1837, la place Saint-Géréon, sur laquelle s'élève le palais archiépiscopal de Cologne, fut, en un clin d'œil, occupée par la troupe, et l'Etat prussien, sous la protection des baïonnettes, fit son entrée dans l'archevêché. Le président Bodelschwingh, au nom de son roi, fit évacuer le palais. On chargea le vieillard dans une voiture ; un gendarme lui tenait compagnie ; un autre veillait sur le siège ; et les diocésains de Cologne, le lendemain matin, apprirent avec stupéfaction que, de par la volonté du roi, leur archevêque, accusé de s'être arrogé un pouvoir arbitraire et d'avoir foulé aux pieds l'autorité royale, était mis au secret dans la forteresse de Minden, au fond de la Westphalie[37]. Le silence et l'inaction de l'épiscopat d'Allemagne à la suite de cet attentat, sembla justifier toutes les espérances du gouvernement prussien. Au moment de l'arrestation de Clément-Auguste, déclarait plus tard, à l'assemblée de Würzbourg, en rougissant de cette étrangeté, le chanoine Lennig, un fait sans précédent se produisit dans l'histoire de l'Eglise, par suite du manque d'unité : l'épiscopat allemand ne fit rien[38]. Si un centre d'unité manquait en Allemagne, il existait à Rome. C'est de Rome qu'arriva, solennelle et péremptoire, la protestation. Le 10 décembre 1837, Grégoire XVI, en présence du Sacré-Collège, se plaignit de l'injure très grave qu'il venait de recevoir. Au nom de l'immunité ecclésiastique violée, de la dignité épiscopale méprisée, de la juridiction sainte usurpée, des droits de l'Eglise catholique et du Saint-Siège foulés aux pieds, il exalta le pontife, éminent par ses vertus, que la Prusse venait de déposer d'une manière si indigne[39]. Le 18 décembre, le cardinal Lambruschini communiqua le texte de l'allocution pontificale à tous les représentants du corps diplomatique par une lettre très solennelle. L'impression produite par cette allocution fut immense. La Mennais, séparé de l'Eglise, avait, d'abord dans les Paroles d'un croyant, puis, plus récemment, dans un opuscule retentissant, les Affaires de Rome, représenté Grégoire XVI comme audacieux contre tout ce qui lui semblait l'erreur, mais comme timide à l'endroit des puissants. L'attitude du pape, dans la circonstance actuelle, lui infligeait un formel démenti. Montalembert exulta. Il écrivit, dans l'Univers du 29 décembre 1837, un article vibrant d'émotion. L'allocution du souverain pontife, disait-il[40], est un événement... dont l'importance grandira à mesure que les événements se dérouleront... Désormais, les âmes les plus défiantes, les plus irritées, pourvu qu'elles aient conservé quelque bonne foi, sauront à quoi s'en tenir sur ces reproches de servilité, de connivence avec les oppresseurs de la religion, que l'on a jetés à la face de la cour de Rome. Montalembert disait vrai. De l'allocution prononcée par Grégoire XVI le 10 décembre 1837, date le réveil de l'Allemagne catholique. Un jeune prêtre d'Aix-la-Chapelle, réfugié en Belgique pour fuir l'enseignement de l'université de Bonn, le futur évêque Jean Laurent, traduisit l'allocution en allemand et en expédia des ballots d'exemplaires pour ses compatriotes des bords du Rhin. Gœrres prit la plume et, en quatre semaines, composa, sous le titre d'Athanasius, un commentaire étincelant de verve du document pontifical. L'Eglise, disait-il[41], n'a pas été chercher l'Etat. C'est lui, au contraire, qui, né après elle, est venu la trouver. Elle habitait la maison avant lui. Elle l'y a reçu, mais à la condition qu'il garderait la paix. A côté de celui qu'on appelait déjà l'O'Connell allemand, et dont la plume, selon l'expression de Jean Laurent, valait quatre corps d'armée, deux théologiens, Dœllinger et Mœhler, deux juristes, Moy et Phillipps, entrèrent en lice. L'élan était donné. Le peuple catholique, fatigué de la lourde oppression sous laquelle l'avait tenu un épiscopat trop servile, se souleva tout à coup en faveur du prélat emprisonné. A Cologne, la foule brisa les fenêtres des chanoines coupables de n'avoir pas défendu leur archevêque. A Coblentz et à Paderborn, on vit des hommes faire le guet, jour et nuit, pour protéger des prêtres dont ils redoutaient l'arrestation par la police. Eu Westphalie, la noblesse décida de ne point s'amuser, de suspendre les bals et les grandes soirées tant que Droste-Vischering serait en prison. Dans les églises d'Aix-la-Chapelle, le peuple assemblé récitait à haute voix des prières pour la libération de l'archevêque. Dans les sphères officielles, à Berlin, on était à la fois très humilié et très inquiet. C'était au moment où l'on s'était senti tout près du triomphe, où les diverses confessions protestantes sans exception, où les plus indépendants parmi les docteurs de la Réforme, où Schleiermacher lui-même, l'ardent champion de la liberté des consciences, venaient de se courber sous la tutelle dogmatisante d'un Hohenzollern, et où, au prix de tant d'efforts, de tant de ruses, on avait obtenu de l'épiscopat catholique un silence timide, presque corn, plaisant, c'était alors que la parole du pape troublait l'Allemagne entière, menaçait de faire s'écrouler l'édifice patiemment construit. Sévir ? Rompre avec le pape ? Ecraser la révolte par une répression brutale ? Quelques-unes le conseillaient. Mais l'entreprise paraissait pleine de périls. L'ambassadeur Niebuhr n'hésitait pas à critiquer la politique berlinoise ; le prince héritier lui-même, Frédéric-Guillaume, se plaignait des faiseurs, qui avaient si mal conduit les affaires[42] ; et le grand défenseur de l'ordre et de l'autorité en Europe, le prince de Metternich, n'hésitait pas à déclarer que la fâcheuse situation du gouvernement prussien tenait à la maladresse de sa politique[43]. La cour de Berlin hésita, n'osa pas réprimer les manifestations populaires par la force, et ne voulut point cependant laisser l'acte du pape sans réplique. Elle fit arrêter et traduire devant les tribunaux l'évêque de Posen, Martin de Dunin, pour avoir menacé de suspense les prêtres qui béniraient des unions mixtes sans aucun engagement. Les allocutions consistoriales du 13 septembre 1838 et du 8 juillet 1839 condamnèrent avec véhémence ces empiétements du pouvoir civil sur la juridiction ecclésiastique. Tout le petit clergé d'Allemagne fit écho aux paroles du pape. On vit des prêtres supprimer la pompe du culte dans leurs églises, et des laïques s'astreindre à un deuil permanent pour tout le temps où l'évêque serait captif. L'émotion gagnait même des âmes jusque-là mondaines ou indifférentes. Le jeune Auguste Reichensperger, le futur grand orateur du Centre allemand, se sentait arracher à une vie de littérateur désœuvré pour se donner à une vie d'action et de lutte. L'Europe entière s'intéressait au sort des illustres captifs. Montalembert écrivait à l'évêque de Posen : Du sein de votre prison, comme d'un sanctuaire, vous êtes une leçon et une consolation pour toute l'Eglise[44]. Les douze évêques de l'Amérique du Nord, réunis en concile à Baltimore, en 1840, envoyèrent aux deux prélats emprisonnés l'expression de leur profonde admiration. Sur ces entrefaites, en cette même année 1840, Frédéric-Guillaume III mourut, laissant le trône à son fils Frédéric-Guillaume IV. Ce dernier, nous l'avons vu, s'était déjà rendu compte du péril de la situation. Sa pensée se portait surtout sur la nécessité de maintenir fortement l'unité du royaume de Prusse. Or, les derniers événements menaçaient de la compromettre gravement. Les Westphaliens, attribués à la Prusse par les traités de 1815, avaient assez volontiers accepté leurs nouveaux maîtres ; mais, catholiques ardents, les vexations exercées contre leur archevêque les avaient indignés et leur faisaient déjà regretter leur indépendance. Quant aux Polonais, chez qui vivait toujours le désir de l'autonomie nationale, l'emprisonnement de leur évêque leur rendait plus odieuse la domination du roi de Prusse. Décidément Frédéric-Guillaume III, en voulant fortifier l'unité nationale par l'uniformité confessionnelle, n'avait fait que préparer la division politique de sa nation. Frédéric-Guillaume IV résolut de rétablir l'union politique par le rétablissement de la paix religieuse. L'évêque de Posen fut autorisé, par un décret royal du 29 juillet 1840, à rentrer dans son diocèse, et, en vertu d'un accord avec le Saint-Siège, l'archevêque de Cologne, libéré de sa peine, reçut un coadjuteur qui administra le diocèse en son nom. Moyennant ce sacrifice, auquel le pape ne se décida qu'après de longs pourparlers, le roi accorda pleine liberté à l'Eglise catholique dans le royaume de Prusse[45]. VI Les résultats de cette lutte et de ce triomphe furent incalculables. La régénération catholique de l'Allemagne date de l'affaire de Cologne. Il fut acquis désormais que la politique de la Prusse à l'égard de l'Eglise catholique ne pouvait être qu'une politique pacificatrice. D'autre part, sous la pression des événements, une opinion catholique se forma, qui eut ses interprètes éloquents et ses manifestations organisées. L'attitude nouvelle de l'Etat et l'activité des catholique en catholiques rendirent possible la création d'œuvres d'éducation, de propagande, de défense religieuse, d'action sociale et d'apologétique scientifique, qui furent la gloire de l'Allemagne catholique au XIXe siècle. C'est avec l'avènement de Frédéric-Guillaume IV que commença, pour l'Eglise de Prusse, la conquête de ses libertés. Dans les premiers mois de 1841, le seul pays germanique où le clergé pût communiquer sans entraves avec le Saint-Siège, et, sans entraves, publier les actes de Rome, fut le royaume de Prusse. Les Ponctations d'Ems, par lesquelles les princes-archevêques du XVIIIe siècle signifiaient aux nonces leur congé, devinrent décidément surannées. L'Eglise ne fut plus une subordonnée, mais une contractante ; et, dans son opuscule intitulé : l'Eglise et l'Etat après l'erreur de Cologne, Gœrres prit acte de ce fait nouveau. Dans les années qui suivirent 1841, ce fut d'une façon bilatérale, ce fut par des arrangements entre les évêques de Prusse et le ministère prussien que se tranchèrent les difficultés. Berlin proposait, ou bien acceptait, ou bien refusait ; mais Berlin cessait d'imposer. Hier, une bureaucratie, protestante en majorité, faisait passer ses ordres aux évêques ; désormais existait, au ministère berlinois des cultes, une section catholique (Katholische Abteilung), composée de catholiques, et chargée de s'occuper des affaires de l'Eglise romaine. Dès le 11 janvier 1841, Frédéric-Guillaume IV créa cette institution. Elle assura à la Prusse, jusqu'au Kulturkempf, trente années de paix religieuse[46]. En même temps les catholiques, sortis de leur torpeur, ne cessaient plus d'agir. Vous avez éveillé Michel, criait aux souverains d'outre-Rhin le poète politique Hoffmann de Fallersleben ; vous ne le rendormirez plus [47]. S'éveillant lors de l'affaire de Cologne, écrivait Eichendorff[48], une merveilleuse puissance a surgi : c'est quelque chose que personne n'a inventé, ni conduit, ni réglé, c'est une opinion catholique. Mais si personne n'avait créé de toutes pièces cette puissance nouvelle, elle avait des interprètes éloquents. C'était le jeune théologien Héfélé, en appelant au peuple pour faire rendre justice aux catholiques ; c'était le vieil évêque Keller arrachant, en 1842, à la première Chambre wurtembergeoise un vote favorable à la liberté de l'Eglise ; c'était le professeur François-Joseph Buss, organisant, en 1845, dans le grand-duché de Bade, un pétitionnement pour la revendication des libertés religieuses. Partout, du haut en bas de l'échelle sociale, et dans toutes les régions de l'Allemagne, un mouvement se dessinait, qu'un orateur de cette époque n'hésitait pas à comparer à l'agitation irlandaise sous la conduite d'O'Connell[49]. Un des premiers résultats heureux de cette agitation se fit sentir dans l'éducation religieuse du peuple. On a critiqué les constructions théologiques de Jean-Baptiste Hirscher, professeur à la Faculté de catéchistique. Tubingue, puis à celle de Fribourg-en-Brisgau. Il faut reconnaître qu'il s'écarte, dans l'exposé du dogme, de la méthode scolastique, qu'il préfère suivre l'ordre historique dans l'exposé des vérités religieuses. Mais, en se plaçant à son point de vue, et, il faut l'ajouter, au point de vue des merveilleux résultats obtenus par sa méthode, sa Catéchétique, parue en 1831, et son Catéchisme, publié en 1815, sont des chefs-d'œuvre de pédagogie. Le jésuite Deharbe, les prêtres Schuster et Stolz suivront une voie un peu différente ; mais on ne peut nier que le zèle pédagogique du clergé pour l'enseignement du catéchisme n'ait été mis en branle par les initiatives de Hirscher. Vers la même époque, de 1840 à 1846, l'éditeur Herder préparait, sous la direction des professeurs Wetzer et Welte, et avec la collaboration d'Allioli, de Héfélé et des principaux savants catholiques de l'Allemagne, la publication du Kirchenlexikon ou Dictionnaire de l'Eglise, dont les exemplaires allaient enrichir les bibliothèques des ecclésiastiques de l'Allemagne et des laïques instruits. En 1844, le Borromeus-Verein ou Association de Saint-Charles Borromée, s'occupait de grouper entre elles les personnes studieuses, de leur procurer des livres par la fondation de bibliothèques, et d'ouvrir aux écrivains catholiques des débouchés pour la publication de leurs travaux[50]. L'art catholique lui-même devenait, pour ainsi dire, plus catholique, ou du moins prenait une teinte plus confessionnelle. Autour des premiers tableaux des Nazaréens, les deux confessions chrétiennes semblaient s'être juré une sorte de trêve de Dieu : une ville aussi protestante que Francfort conviait le catholique Veit à venir diriger son musée. Cette trêve est désormais dénoncée... En 1845 et 1846, Martin Deutinger, le prêtre philosophe de Munich, publie deux volumes d'esthétique, dans lesquels il montre comment la conscience esthétique a besoin, pour s'épanouir, de la révélation divine. Culte et art, pour Deutinger, sont les deux points culminants de la civilisation ; et l'esthétique elle-même invite l'art à devenir le dévot de la révélation[51]. La vie rayonnante du catholicisme exerçait son influence sur les protestants eux-mêmes. L'historien Frédéric Hurter, auteur d'une Vie d'Innocent III qui avait enthousiasmé Montalembert, se convertissait à Rome en 1844. Plusieurs de ses coreligionnaires, tout en restant eu dehors de l'Eglise romaine, faisaient admirer sa majesté, sa beauté, la fécondité de ses œuvres à travers l'histoire. Le poète Novalis chantait la Sainte Vierge, et l'historien Bœhmer, l'éditeur des Regestes du vieil empire, saluait dans la papauté un préservatif souverain contre le despotisme militaire. VII L'Eglise En racontant l'histoire du réveil catholique en
Allemagne, nous avons eu plus d'une fois lieu de constater l'écho qu'il
rencontrait en France, parmi la jeune école dont le comte de Montalembert
était l'organe le plus éloquent. Là aussi une génération nouvelle, ardente,
passionnée pour la liberté de l'Eglise, avait surgi et s'affirmait au grand
jour. Permettez-moi de vous le dire, Messieurs,
s'écriait Montalembert à la Chambre des Pairs, le 16 avril 1844, il s'est élevé parmi vous une génération d'hommes que vous
ne connaissez pas. Qu'on les appelle néo-catholiques, sacristains,
ultramontains, comme on voudra, le nom n'y fait rien, la chose existe...
Au milieu d'un peuple libre, nous ne voulons pas
être des ilotes. Nous sommes les successeurs des martyrs, et nous ne
tremblons pas devant les successeurs de Julien l'Apostat. Nous sommes les
fils des croisés et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire[52]. Comment ce mouvement catholique s'était-il formé en France, au milieu de quelles difficultés et de quels écueils avait-il grandi, quelle était son action, vers quel but marchait-il ? C'est ce qu'il nous reste à exposer, pour donner sa physionomie complète au grand pontificat de Grégoire XVI. Bien que les débuts de la monarchie de Juillet eussent été marqués par des attaques violentes contre la religion, le roi Louis-Philippe n avait pas inauguré une politique ouvertement hostile à l'Eglise. Personnellement sceptique, ou, tout au moins, peu soucieux des questions religieuses, n'en percevant aucunement la vraie portée[53], il comprenait, par instinct et par expérience, le danger qu'il y aurait pour le pouvoir à s'aliéner une puissance telle que celle du clergé, à troubler la conscience des catholiques. Il ne faut jamais, disait-il, mettre le doigt dans les affaires de l'Eglise ; il y reste. Il aurait voulu pratiquer, à l'égard du catholicisme, cette politique de non-intervention qui fut son programme dans les relations internationales. Plein de bravoure personnelle, a écrit Guizot, Louis-Philippe était timide en politique[54]. Il laissa donc faire ses fonctionnaires, ses ministres, ses magistrats, ses préfets, lorsque ceux-ci, imbus de préjugés haineux contre l'Eglise catholique, exercèrent des vexations locales, permirent ou excitèrent des soulèvements populaires contre le parti prêtre, ainsi qu'on disait alors. La lutte que l'Eglise avait à soutenir en France n'était vraiment pas, comme en Allemagne, une lutte directe contre le pouvoir, mais une lutte contre des doctrines et des passions envers lesquelles le gouvernement montrait une excessive faiblesse, parfois une secrète complaisance. Ces doctrines et ces passions prenaient deux formes : celle de l'esprit voltairien, très répandu dans les classes bourgeoises et celle du socialisme révolutionnaire, très en faveur parmi les classes populaires. C'est à partir de 1830 que les plus grands poètes de l'époque, Lamartine et Victor Hugo, tournèrent au rationalisme déiste ; et de bons critiques ont pensé qu'entre l'émancipation de l'imagination qui s'exprima par le romantisme d'alors, et l'émancipation de la raison individuelle qui ressuscita le voltairianisme, il n'y eut point simple coïncidence, mais intime relation[55]. Un homme d'un talent médiocre, au style incolore et banal[56], et, en même temps, d'une telle popularité que nul écrivain de ce temps, pas même Victor Hugo, ne put rivaliser alors avec sa gloire[57], le chansonnier Béranger, que Chateaubriand lui-même, cédant au courant général, osa comparer à La Fontaine, à Horace et à Tacite[58], exprimait à merveille l'esprit sceptique, gouailleur et satisfait de la bourgeoisie triomphante. Dans son Dieu des bonnes gens, souriant et facile, Sainte-Beuve, sceptique à son tour, reconnaissait un Dieu comme Voltaire le rêvait en ses meilleurs moments[59]. Béranger exprimait de son mieux les idées du bourgeois de son temps ; de là son succès[60]. Autour de lui, ce fut un déchaînement de caricatures outrageantes pour le clergé, de pièces de théâtre dont les titres seuls étaient une injure à la religion. A la Gaîté, on jouait le Jésuite ; au Vaudeville, le Congréganiste ; à l'Ambigu, les Dragons et les Bénédictines, de Pigault-Lebrun à la Porte Saint-Martin, les Victimes cloîtrées[61]. Dans la presse, le Constitutionnel, le Temps, le Courrier, le Commerce, avaient disparu avec le gouvernement qu'ils avaient renversé, et le Globe ne lui avait pas survécu plus de deux ans. Mais, du Journal des Débats, qui se faisait déjà gloire de réunir dans sa rédaction les talents littéraires les plus remarquables, au Charivari, pamphlet périodique plein de verve et d'insolence, la presse la plus répandue, dans le camp constitutionnel comme dans le camp libéral, sous le style plus mesuré des uns, plus violent des autres, n'avait pas répudié l'esprit de Voltaire ; elle l'exprimait seulement d'un ton plus cru, plus violent, sans ce bon ton rangé et ce vernis moral de la Restauration, que Sainte-Beuve regrettait en 1833. Les classes populaires n'avaient pas échappé à l'empreinte de cet esprit voltairien, et le succès qu'elles allaient faire, en 1834, au type de Robert Macaire, incarnation cynique du vice persifleur et impie, allait en être la meilleure preuve. Mais des préoccupations plus profondes, 'plus sérieuses, aussitôt déviées et perverties, les avaient en même temps et saisies et singulièrement troublées. Coïncidence étrange, et dont pourtant la fin du XVIIIe siècle avait déjà donné l'exemple, le paroxysme de l'impiété railleuse coïncidait avec un irrésistible besoin d'idéal religieux. Le sentiment religieux, écrivait à cette époque Saint-Marc-Girardin, semble aujourd'hui errer dans la société comme un exilé qui va frapper à toutes les portes. L'humanité attend elle se sent mal, disait à son tour Sainte-Beuve. Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ? s'écriait Alfred de Musset. Le besoin religieux, trouvant fermée, par le scepticisme railleur de Voltaire, la porte du catholicisme, chercha sa satisfaction dans le socialisme. Ce mot de socialisme, qui, pour l'homme de nos jours, rappelle surtout des idées d'organisation politique, éveillait de tout autres conceptions au lendemain de la révolution de Juillet. Le socialiste français, de 1830 à 1848, est un idéaliste rêveur, qui essaie, avec plus ou moins de bonne foi, de concilier les principes de la Révolution et ceux du christianisme. En 1831, le Nouveau Christianisme, ouvrage posthume de Saint-Simon, était devenu le manuel de son école, que dirigeaient deux de ses disciples, Bazard et Enfantin. Fourier avait publié ses principaux écrits ; Leroux avait exposé ses idées dans le Globe, et Buchez dans l'Européen. Une des dernières paroles de Saint-Simon, sur son lit de mort, avait été celle-ci : La religion ne peut disparaitre du monde elle ne fait que se transformer ; et ses disciples s'étaient constitués en une sorte d'Eglise ayant ses divers degrés d'initiation, son culte, ses fêtes, ses dignitaires, son Père suprême ou pape, en la personne de celui qu'on appela le Père Enfantin[62]. Buchez, le plus près du catholicisme de tous ces chefs d'école, allait jusqu'à dire qu'il ne voyait de salut pour la société que dans l'influence civilisatrice de l'Eglise romaine. Il prêchait, avec la même ardeur et la même conviction, la souveraineté du peuple, l'abolition du capital, l'égalité sociale de tous les hommes, l'amour du devoir et la fraternité chrétienne jusqu'au sacrifice. Il devait avoir pour principaux disciples : Roux-Lavergne, Réquédat, Piel, Besson, Olivaint. Roux-Lavergne, revenu de ce qu'il y avait d'utopique dans la doctrine du maitre, devint plus tard chanoine de Nîmes ; Réquédat, Piel et Besson moururent sous l'habit de saint Dominique[63] ; Olivaint, entré dans la Compagnie de Jésus, donna sa vie pour la foi pendant la Commune de Paris, en 1871[64] ; et Buchez, récompensé de sa droiture, reçut un prêtre sur son lit de mort et mourut en chrétien pratiquant[65]. Il ne faudrait pas croire cependant que les socialistes de cette époque aient usé tous leurs efforts dans le domaine de la rêverie. S'ils n'organisèrent pas de partis politiques, ils furent, comme on l'a justement écrit, les créateurs du socialisme. Ce sont eux qui imaginèrent toutes les critiques de la société existante, toutes les formules, même les procédés pratiques d'action et l'es mesures de réforme socialistes. Avant 1848, on parlait déjà d'exploitation de l'homme par l'homme, de droit au travail, de plus-value, d'anarchie, de démocratie sociale, de luttes des classes, de parti ouvrier, d'entente internationale entre les travailleurs, d'émancipation du prolétariat, d'organisation du travail. On proposait l'association coopérative.de production, les ateliers nationaux, le crédit gratuit, l'impôt progressif, la journée de huit heures, la brève générale Les partis socialistes venus plus tard ont vécu sur le travail intellectuel de la première moitié du siècle[66]. Quant à l'inspiration générale de fraternité qui animait les diverses écoles socialistes au lendemain de la révolution de Juillet, si elle amena quelques disciples de Buchez à l'orthodoxie catholique, elle dégénéra, avec les disciples de Saint-Simon, en un sensualisme qui ne se contenta plus d'être théorique et aboutit aux désordres les plus scandaleux ; et c'est à bon droit que l'historien de la monarchie de Juillet a pu dire que, stérile pour le bien, le saint-simonisme ne le fut point pour le mal. Il a laissé un virus malsain, qui n'a que trop pénétré dans les veines de la nation En voulant remplacer les espérances chrétiennes par la poursuite impatiente d'un bonheur immédiat, et en cherchant le remède à tous les maux dans le remaniement complet du mécanisme social, il désertait la doctrine chrétienne, faite de renoncement et de respect de l'autorité, dont il axait d'abord arboré le drapeau ; et, en voulant, par un utopique désir d'égalité, faire répartir les fruits du travail et les revenus du capital par voie d'autorité, il préparait la voie aux prétentions despotiques du socialisme d'Etat. Par ces tendances, le socialisme de 1830 lui-même, ou du moins la branche la plus importante de ce socialisme, rejoignait le rationalisme philosophique, dont il avait paru s'écarter, et constituait, avec ce dernier, un grand péril pour la foi chrétienne. Bon nombre de catholiques de France virent ce péril, et s'apprêtèrent à le conjurer. VIII Un des grands instruments de propagande de l'esprit voltairien et des doctrines socialistes était la presse. C'est par la presse que les catholiques résolurent d'engager la lutte. Affirmer intégralement la foi contre toutes les négations du rationalisme voltairien et contre toutes les atténuations du gallicanisme ; chercher, en même temps, à défendre, contre les utopies du socialisme, le bien-être du peuple et sa liberté : tel fut le programme du groupe de catholiques qui, le 16 octobre 1830, firent paraître le premier numéro d'une feuille quotidienne ayant pour 'titre l'Avertir, et portant en tête cette devise : Dieu et la Liberté. Trois journaux s'étaient déjà donné pour tâche de défendre la religion : l'Ami de la religion et du roi, le Mémorial catholique et le Correspondant. L'Ami de la religion et du roi, fondé en 1814 par le savant auteur des Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du XVIIIe siècle, Michel Picot, avait, depuis sa fondation, groupé autour de son laborieux et intelligent directeur, les représentants les plus éminents de la pensée catholique Mgr de Boulogne, l'abbé Frayssinous, l'abbé Lécuy, l'abbé de Lamennais, le vicomte de Bonald. L'abondance de ses renseignements, la conscience de son information, contribuèrent, d'autre part, au grand succès qu'il obtint dans le monde catholique[67]. Mais plusieurs lui avaient reproché ses sympathies pour un gallicanisme modéré. En supprimant une seule syllabe de son titre, on l'appelait en plaisantant l'Ami de la religion du roi. Le Mémorial catholique, créé en 1824, était d'allure plus militante, moins attaché à la monarchie, plus sympathique aux idées libérales ; mais il s'adressait à un public plus spécial, et fort diminué par l'apparition, en 1829, d'une nouvelle feuille catholique, demi-hebdomadaire, le Correspondant[68]. Le nouvel organe, qui comptait parmi ses collaborateurs Louis de Carné, Franz de Champagny, Théophile Foisset, Edmond de Cazalès, avait pris pour épigraphe le mot de Canning : Liberté civile et religieuse pour tout l'univers. Au lendemain de la révolution de Juillet, ses rédacteurs, tous légitimistes d'origine, avaient nettement déclaré séparer la cause de l'Eglise catholique de celle des princes vaincus, et accepter tout gouvernement qui assurerait l'ordre en donnant la liberté religieuse. Mais le groupe de jeunes catholiques qui reconnaissait pour chef l'abbé de Lamennais rêvait d'un grand journal quotidien, plus vivant, plus jeune, plus dégagé de toute attache aux anciens partis, plus exclusivement catholique et plus dévoué à la cause populaire. L'abbé de Lamennais, — ses disciples ne l'ignoraient pas, — s'était montré, à ses débuts, royaliste d'extrême-droite, théoricien de la théocratie, rêvant le pouvoir absolu et paternel d'un monarque soumis à la haute prééminence du pontife romain. Mais ils savaient aussi qu'ayant, en 1829, dans son livre sur les Progrès de la Révolution, pronostiqué la chute d'une royauté qui refusait de suivre son programme et appelé de ses vœux une révolution qui vengerait le droit méconnu, le maître, en voyant O'Connell arracher à la monarchie anglaise la liberté de l'Irlande, les Belges conquérir leur indépendance en s'alliant aux libéraux, et les Français renverser une royauté coupable de n'avoir pas plus respecté les droits du peuple que ceux de l'Eglise, avait exulté de voir ses prophéties réalisées. Dès lors, toutes ses anciennes sympathies pour la monarchie étaient tombées, pour ne plus renaître jamais. On a dit que les événements de Juillet avaient été, pour Lamennais, comme un Sinaï révolutionnaire, où, au milieu des foudres, il avait cru entendre une voix divine, qui le convertissait au libéralisme et à la démocratie[69]. La métaphore ne paraîtra extraordinaire à aucun de ceux qui ont étudié de près cet étrange caractère, versatile et absolu, mû par ses impressions quand il se croyait conduit par la logique, et toujours prêt à prendre les inspirations de son amour-propre ou de sa colère pour des messages de Dieu[70]. Quand, en septembre 1830, l'abbé Gerbet lui communiqua les offres pécuniaires d'un écrivain obscur, Harel du Tancrel, pour la fondation d'un journal quotidien, Lamennais accepta avec enthousiasme. Aux motifs que nous avons fait valoir, le maître ajoutait sans doute celui d'avoir un organe de son école, de sa pensée personnelle, car tous les futurs rédacteurs qui s'enrôlèrent à ses côtés, Gerbet, Lacordaire, Montalembert, Charles de Coux, subissaient l'ascendant de sa renommée et se préparaient à développer ses doctrines. L'Avenir, ce fut Lamennais, avec ses générosités, ses fougues, ses excès de langage et de pensée et ses imprudences de tactique. Jamais, il faut le reconnaître, la foi catholique ne
s'était exprimée en un langage plus fier et plus vibrant. Nous ramassons avec amour, s'écriait Montalembert
au lendemain du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois, les
débris de la croix, pour lui jurer un culte éternel... S'il nous eût été donné de vivre au temps où Jésus vint
sur la terre, et. de ne le voir qu'un moment, nous eussions choisi celui où
il marchait, couronné d'épines et tombant de fatigue, vers le Calvaire ; de même nous remercions Dieu de
ce qu'il a placé le court instant de notre vie mortelle à une époque où sa
sainte religion est tombée dans le malheur, afin que nous puissions lui
sacrifier plus complètement notre existence, l'adorer de plus près[71]. La vaillante
feuille dénonça les outrages au culte, les vexations des flaires ou des
fonctionnaires locaux à l'égard des prêtres et des fidèles, les faiblesses et
les complicités du pouvoir avec les ennemis de la religion. Elle alla plus
loin. Le 25 novembre 1830, Lacordaire' invita les évêques à repousser les
premières nominations épiscopales faites par Louis-Philippe. Son article et
celui que publia Lamennais sur l'oppression des catholiques, furent déférés
au jury, qui acquitta les deux prévenus. Ils avaient ouvert, pour couvrir les
frais du procès, une souscription, où l'on acceptait depuis 5 centimes
jusqu'à 5 francs ; elle atteignit vite le chiffre de 20.000 francs. Ce succès
décida Lamennais à fonder l'Agence générale pour la défense de la liberté
religieuse. Cette association devait poursuivre devant les tribunaux tout
acte commis contre la liberté du clergé, maintenir le droit de réunion,
grouper lés associations locales qui se proposeraient d'assurer la liberté
religieuse. Plusieurs sociétés locales se fondèrent en effet. Montalembert
alla faire une tournée dans le Midi, où sa parole enthousiaste gagna de
nombreux adhérents à la cause de la liberté religieuse[72]. En même temps, l'Avenir, pour parer au danger socialiste, abordait le problème économique et social, et prenait hardiment la défense des classes populaires. De son regard pénétrant, Lamennais avait vu clairement que, si le pays légal, sous le gouvernement de Juillet, était constitué par la bourgeoisie, au-dessous de cette organisation d'ordre politique il y avait le peuple, le peuple à peu près ignoré par la Charte, mais le peuple qui s'agitait, qui agitait des problèmes, et qui, comme le tiers état de l'ancien régime, se plaignait de n'être rien et voulait être tout. Avec une réelle compétence, un des collaborateurs de l'Avenir, Charles de Coux, dénonça la mauvaise répartition de la fortune, l'exploitation de l'ouvrier par le capitalisme, et, pour répondre à certains catholiques d'alors, l'insuffisance de l'aumône pour remédier à la misère. Il attaqua l'économie libérale des Smith, des Say, des Sismondi. Il l'accusa de ne s'occuper que de la production de la richesse et nullement de sa répartition, d'attribuer au progrès industriel une fin en soi, et par conséquent de ne tenir aucun compte de l'ouvrier, facteur de la production, de le sacrifier au contraire à la prospérité matérielle, de le considérer comme une machine qu'il faut sans doute maintenir en bon état pour qu'elle fonctionne avec régularité, mais à qui il est permis de demander un travail de plus en plus considérable, en l'aiguillonnant par ces excitants qui sont la faim et le besoin. Les économistes, disait-il[73], se sont bien gardés de demander si la répartition de la fortune publique n'a pas autant d'importance que son accroissement ; car ils auraient rencontré devant eux le catholicisme. Il les accusa donc aussi d'avoir tari dans le cœur des ouvriers et des patrons les sources de la vie religieuse, et, par là même, d'avoir brisé le plus puissant ressort du vrai progrès. En présence des misères du peuple, les économistes, disait Charles de Coux, s'ils étaient seuls, ne leur seraient guère plus utiles que ne le serait un professeur de danse à des paralytiques[74]. Comme remède à cet état de choses, l'Avenir se proposait de favoriser de toutes ses forces les tentatives d'associations. Il jetait des regards d'admiration sur la merveilleuse organisation corporative du moyen âge, qu'il reprochait à la Révolution d'avoir anéantie, et il parlait de tenter son rétablissement. En attendant, il préconisait la fondation de colonies agricoles, la combinaison des travaux industriels avec ceux de la culture, et surtout l'intervention du prêtre dans ces œuvres, intervention, disait La Mennais, qui sera toujours nécessaire, non seulement pour donner à ces associations le caractère moral d'où dépend leur utilité politique et leur prospérité matérielle, mais encore pour qu'un tiers désintéressé intervienne entre le riche et le pauvre[75]. IX Malheureusement, dans ces campagnes louables en elles-mêmes, l'Avenir apportait un esprit de système, des violences de langage et des exagérations de doctrine, qui éveillèrent de bonne heure les susceptibilités d'une partie du clergé et qui devaient amener la condamnation du journal par le souverain pontife. Le programme de l'Avenir comprenait deux parties : l'une négative, l'autre positive. La partie négative se résumait en deux points ; pour ce qui concernait l'Eglise, sa séparation complète d'avec l'Etat ; et, pour ce qui concernait le peuple, son émancipation de toute autorité politique et sociale. La séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'Avenir la demandait entière, absolue, sans transition, sans entente préalable, avec la renonciation immédiate au budget des cultes. Pour La Mennais, l'union de l'Eglise avec l'Etat aboutit nécessairement à son asservissement ; le budget des cultes, à sa honte et à sa déconsidération parmi le peuple. Le morceau de pain qu'on lui jette est le titre de son oppression ; libre par la loi, elle est, quoi qu'elle fasse, esclave par le traitement[76]. Quant au peuple, il faut dire que, de même que l'enfant devenu grand possède la liberté comme son père, les peuples qui ont grandi en intelligence acquièrent le droit de se conduire eux-mêmes. Ce temps est venu pour les peuples chrétiens ; il viendra pour les autres. Et comme cette libération se fera uniquement par l'intelligence et par l'amour, non par la force, cette souveraineté nouvelle des peuples ne sera pas oppressive comme celle des rois. Elle sera forcément l'amie de l'Eglise, laquelle deviendra, non par l'exercice d'aucune juridiction politique, mais par sa force interne et toute spirituelle, le plus ferme appui des libertés publiques[77]. La partie positive du programme religieux et politique de
l'Avenir se trouvait résumée dans un article publié par La Mennais sous ce
titre : Ce que sera le catholicisme dans la société nouvelle[78]. Dans la société
future, constituée par des peuples libérés et par une Eglise indépendante,
l'auteur voit s'élaborer trois choses : d'abord une science vraiment
catholique, et non plus verbale, abstraite et vide,
comme celle du moyen âge[79], qui pénétrera assez avant dans le dogme pour y découvrir et en
dégager, en quelque sorte, les lois mêmes de la création, et qui, fondée sur les lois constitutives de l'intelligence,
ramènera les divers ordres de connaissances à l'unité[80] ; en second lieu, une harmonie politique,
qui, fondée sur l'amour, effacera successivement,
autant qu'il est possible sur la terre, ce qui divise les individus et les
nations, qui, affranchies politiquement,
vivront d'une vie puissante et commune[81] ; et enfin une
organisation sociale telle, que le pauvre, l'ouvrier, le travailleur, loin
d'être les parias de la société, deviendront dans la réalité ce qu'ils sont dans
la vraie conception du christianisme, les amis du prêtre, les privilégiés du Christ, qui fut pauvre et souffrant
lui-même, du Christ qui a dit : heureux ceux qui pleurent[82]. Des applications particulières de ce programme en soulignèrent vivement les parties utopiques et dangereuses. Dans deux articles intitulés : De l'avenir de la société[83], le directeur de l'Avenir réclamait sans retard, du gouvernement, six libertés principales : 1° la liberté de conscience, pleine, universelle, sans distinction comme sans privilège ; 2° la liberté de l'enseignement, promise par la Charte ; 3° la liberté de la presse, car il faut avoir foi dans la vérité, dans sa force éternelle ; 4° la liberté d'association, qui est de droit naturel ; 5° la liberté de l'élection, qu'il faudra faire pénétrer jusque dans le sein des masses ; 6° la liberté des provinces et des communes par la décentralisation. Un pareil programme contenait de bonnes réformes. Mais il était dominé par un principe dont l'Ami de la Religion avait déjà relevé l'erreur. La vérité est toute-puissante, disait La Mennais. Ce qui retarde le plus son triomphe, c'est l'appui que la force matérielle essaie de lui prêter[84]. L'inquiétude suscitée par ce programme augmenta quand on vit le directeur de l'Avenir tenter de réunir dans une vaste fédération, non seulement les catholiques de France, de Belgique, d'Irlande, de Pologne et d'Allemagne, mais encore les libéraux de tous les pays. Un Acte d'Union fut rédigé à cette fin, que les rédacteurs de l'Avenir appelèrent, avec une manifeste présomption, la Grande Charte du siècle[85]. Les gouvernements s'émurent. Plusieurs virent dans le projet de La Mennais une sorte de Charbonnerie nouvelle, et le dénoncèrent à Rome. Une pareille agitation, réunissant dans l'affirmation des mêmes aspirations et vers un but très suspect de libéralisme révolutionnaire, des catholiques et des non-croyants, ne pouvait qu'être mal vu par le Saint-Siège ; et, comme l'a fort bien dit le dernier historien de La Mennais, les écrivains de l'Avenir, en signant, avec trop peu de réflexion et de prudence, Acte d'Union, avaient signé eux-mêmes, en quelque sorte, leur propre condamnation[86]. Des protestations s'élevèrent de France et d'Italie ; beaucoup d'évêques manifestèrent leur désapprobation ; beaucoup d'abonnés refusèrent le journal ou ne lui renouvelèrent plus leur concours. Un article aussi maladroit que violent contre les carlistes d'Espagne, qu'on accusait de sacrifier Dieu à leur roi, et de dégrader leurs autels jusqu'à n'être plus qu'un trône[87], exaspéra les royalistes de tous les pays. La Gazette de France se joignit à l'Ami de la Religion pour attaquer l'Avenir, multiplier contre ses rédacteurs les plus perfides insinuations[88]. Les désabonnements augmentèrent. De trois mille, le nombre des abonnés tomba à quinze cents. La caisse du journal, mal administrée, se vidait. En mai 1831, on dut avoir recours à un pressant appel de fonds, adressé à des amis de France et de Belgique. Quelques disciples se séparaient du maître. J'ai appris avec peine, écrivait à La Mennais, le 11 juin 1831, l'abbé Prosper Guéranger, que Léon (Bore) vous a quitté. D'autres, au contraire, sentaient leur ardeur redoubler dans la lutte. Dans cette même lettre, l'abbé Guéranger ajoutait : J'espère travailler toujours sous votre direction, et me rendre digne, de plus en plus, de la bienveillance.que vous m'avez toujours témoignée. Et le jeune et ardent chanoine du Mans lui annonçait l'envoi d'un livre qu'il venait de publier sur l'abolition des concordats, espérant que ce livre, en fixant un peu les idées du clergé, préparerait le grand œuvre de l'abolition des concordats en France[89]. Mais les actionnaires de l'Avenir, réunis en assemblée à Paris, le 11 novembre, ne se firent pas illusion sur la gravité de la situation du journal. A l'unanimité, ils déclarèrent que, si la position matérielle de l'entreprise permettait de la continuer pendant plusieurs mois, la suspension du journal leur paraissait impérieusement réclamée par l'intérêt, bien plus cher à leurs yeux, des doctrines défendues par l'Avenir[90]. En conséquence, dans le numéro du 15 novembre 1831, les rédacteurs de la feuille annoncèrent que pour avancer, autant qu'il dépendait d'eux, le moment si désiré qui calmerait toutes les consciences, trois d'entre eux, l'abbé de La Mennais, l'abbé Lacordaire et le comte de Montalembert, partiraient immédiatement pour Rome. Nous sommes condamnés à Rome, dit-on, s'écriaient les membres du comité de rédaction. Eh bien, c'est à Rome que nous irons entendre notre arrêt, prosternés devant la chaire de saint Pierre[91]. X Pendant longtemps, alors que l'on n'avait guère, pour se renseigner sur les détails du voyage des trois pèlerins, que le livre de La Mennais sur les Affaires de Rome et la correspondance incomplète de ses deux compagnons, le récit de cet épisode important dans l'histoire de l'Eglise au XIXe siècle, a été fait trop souvent en des termes peu favorables à la renommée du pape Grégoire XVI. On a représenté l'illustre écrivain attendant en vain, pendant deux mois, la réponse qu'un pontife pieux, mais ignorant de l'état de l'Eglise et de l'Etat de la société, immobile dans les ténèbres qu'on épaissit autour de lui, lui refuse obstinément. L'indignation du prêtre ainsi méconnu déborde lorsqu'il apprend que les cabinets de Vienne, de Pétersbourg, de Paris, de presque toute l'Europe, effrayés de son républicanisme, pèsent sur le pape, exigent sa condamnation. Il quitte Rome, indigné et aigri, et les termes violents de l'encyclique Mirari vos, qui le condamne, déterminent en ce tempérament impressionnable et fier, qu'on a tout fait pour exaspérer, une révolte qui, si coupable qu'elle soit, peut invoquer, dit-on, des circonstances très atténuantes. Ce tableau ne peut plus être fait en présence des documents que les archives publiques et privées ont récemment mis au jour[92]. La gravité de la question nous paraît justifier quelques développements à ce sujet. En réalité, Grégoire XVI, qui n'était nullement, — on a déjà eu l'occasion de le constater, — l'esprit étroit, inflexible et mal informé qu'on a voulu voir en lui, n'avait pas attendu l'arrivée à Rome des trois rédacteurs de l'Avenir pour examiner à fond les graves questions de dogme, de morale, de politique religieuse, soulevées par ce journal. Trois principaux personnages furent consultés par lui : le P. Ventura, général des Théatins, chez qui La Mennais devait recevoir l'hospitalité pendant son séjour à Rome[93], le cardinal Lambruschini, ancien nonce à Paris et par suite très informé de l'état des esprits en France, et le prêtre Baraldi, de Modène, ecclésiastique savant et pieux, fondateur d'un journal sympathique au groupe de la Chênaie. Nous avons leurs réponses écrites. Ventura déclare que l'abbé de La Mennais est un génie extraordinaire et que sa vie est irréprochable, mais que plusieurs de ses théories sont dangereuses, et qu'il faut bien se garder de lui donner ou de lui promettre une approbation écrite de ses doctrines. Ses amis en abuseraient[94]. Lambruschini estime qu'il vaut mieux ne pas répondre à La Mennais. Il vient à Rome chercher un triomphe ; il ne faut pas le lui donner ; il va faire au pape une sorte de sommation, il n'est pas de la dignité du pape d'y répondre[95]. Baraldi est d'avis qu'il convient de bien accueillir La Mennais, de confesser qu'il a raison en certaines choses, mais il trouve que ses thèses sur la souveraineté du peuple bouleversent la constitution de l'Église et de la société et qu'il convient de le lui faire comprendre[96]. Quelle est, d'autre part, l'attitude des rédacteurs de l'Avenir ? L'abbé Vuarin, qui a vu La Mennais à son passage à Gênes, écrit : Pendant trois heures, nous l'avons entendu colérer... Il va à Rome pour convertir le pape... Son hérésie politique pourrait bien le jeter dans l'hérésie religieuse[97]. Arrivés à Rouie, les trois journalistes rédigent un mémoire dans lequel ils pressent, avec une insistance qui parait excessive, le Saint-Père de. se prononcer : Le silence du Saint-Siège, disent-ils, aurait pour effet d'affaiblir le courage de ceux qui lui sont dévoués... Le silence du Saint-Siège serait regardé comme une condamnation... Une immense partie de la population... s'éloignerait de la religion, avec plus de haine que jamais[98]. Une commission de théologiens est nommée pour étudier le mémoire ; et, pendant que ces théologiens délibèrent gravement, La Mennais, de plus en plus aigri et impatient, écrit : L'un des plus beaux jours de ma vie sera celui où je sortirai de ce grand tombeau... La mission de la papauté est de hâter les dernières destructions qui doivent précéder la régénération sociale... Dieu sauvera le catholicisme par les peuples[99]. Grégoire XVI fait prévenir La Mennais, par le cardinal Pacca, que l'examen de ses doctrines, devant être aussi profond que réfléchi, ne pourra pas être fait de sitôt, et qu'il peut retourner en France avec ses collègues[100]. Lacordaire seul comprend[101]. La Mennais s'obstine. Il déclare que cet examen approfondi est un triomphe pour sa cause, et qu'il veut rester à Rome pour fournir les explications indispensables, répondre aux objections[102]. Une audience du pape, qu'il obtient le 13 mars 1832, et dans laquelle Grégoire XVI ne dit pas un mot de l'affaire en question, est interprétée par lui comme une seconde victoire[103]. Il ne parle plus à ses amis que de son projet de reprendre la publication de l'Avenir, et, loin d'abandonner ou d'atténuer aucune de ses idées, il les accentue eu écrivant un volume de trois cents pages sur les Maux de l'Eglise et de la société et les moyens d'y remédier. Toutefois, le silence du Saint-Père, les divergences qui s'accentuent entre lui et Lacordaire[104], le peu d'ardeur qu'il trouve dans Montalembert lui-même, l'inaction, la séparation de ses amis de France, des difficultés financières[105], le peu de zèle qu'il rencontre auprès de l'ambassadeur de France pour soutenir sa cause, l'irritent, le troublent. L'apparition du Bref pontifical du 9 juin 1832, recommandant aux Polonais la soumission envers la Russie, met le comble à son irritation. Le ter juillet, il écrit à son frère que, considérant sa mission comme finie, il va quitter Rome. Il quitte Rome, en effet, le 9 juillet 1832, et se rend avec Montalembert à Munich, où il retrouve Lacordaire. Cependant un fait important s'était produit, qui allait déterminer le pape à rompre le silence plus tôt qu'il ne l'avait prévu. Avant même que l'examen des doctrines de l'Avenir eût commencé à Rome, des prélats français, à la tête desquels se trouvait Mgr d'Astros, archevêque de Toulouse, avaient, avec le concours de trois prêtres de Saint-Sulpice, MM. Carrière, Vieusse et Boyer, dressé un catalogue des erreurs théologiques qu'ils avaient découvertes dans l'Essai sur l'indifférence et subsidiairement de quelques propositions blâmables prises dans les théories politiques et sociales de l'Avenir[106]. Ce catalogue fut envoyé à Rome le 15 juillet 1832. Les prélats demandaient au pape de vouloir bien confirmer leur jugement autant et de la manière qu'il le trouverait convenable[107]. Cette intervention de l'épiscopat rendait urgente la décision de la commission pontificale. Cette décision, déjà préparée par de longues études, fut aussitôt donnée. A l'unanimité, les consulteurs furent d'avis que le pape ne pouvait plus longtemps garder le silence. Toutefois, en flétrissant les idées menaisiennes, le pape, selon eux, agirait prudemment en ne point nommant leur père[108]. Le 9 août ils présentèrent au Saint-Père une note rédigée en ce sens et accompagnée d'un projet de Lettre apostolique conforme à leurs conclusions. C'était l'ébauche de l'encyclique Mirari vos que Grégoire XVI publia le 15 août 1832[109]. XI Le document pontifical, accompagné d'une lettre du cardinal Pacca, parvint à La Mennais, le 20 août, par l'intermédiaire de la nonciature de Munich, au milieu d'un banquet que les principaux savants et littérateurs de la capitale bavaroise offraient aux trois représentants de l'Avenir. Le premier mouvement de l'illustre écrivain fut celui d'une obéissance complète. Après avoir pris connaissance de l'encyclique, il se contenta de dire à voix basse à ses deux collaborateurs : Je viens de recevoir une Lettre du pape contre nous ; nous ne devons pas hésiter à nous soumettre. Revenu en France, il s'empressa, dès le 10 septembre, de signer et de publier, conjointement avec les rédacteurs de l'Avenir, membres du Conseil de l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse, une déclaration de soumission. L'Avenir, provisoirement suspendu, ne paraîtrait plus ; l'Agence était dissoute. Ces déclarations furent bien accueillies à Rome, et le cardinal Pacca en félicita l'abbé de La Mennais au nom du pape. Cependant la nouvelle encyclique faisait l'objet, de part et d'autre, de commentaires passionnés. L'attention des amis de l'Avenir, comme celle de ses adversaires, se porta surtout sur quelques passages où le libéralisme, dans les divers articles de son programme, liberté de conscience, liberté de la presse, liberté des cultes, était vivement condamné ; et, de nos jours encore, quelques historiens semblent n'y pas voir autre chose. C'est méconnaître l'ampleur de la fameuse Lettre pontificale. Elle commençait par formuler, en ternies discrets, fermes, toutes les grandes et justes plaintes dont les rédacteurs de l'Avenir avaient saisi l'opinion. Ils avaient gémi sur la décadence de la liturgie catholique, flétri les blasphèmes de l'impiété rationaliste, déploré les empiétements de la politique humaine sur le domaine intangible de la conscience religieuse, dénoncé le relâchement des liens qui doivent unir tous les membres de l'Eglise au souverain pontificat de Rome. Ils avaient protesté avec force contre la corruption de l'enseignement donné à la jeunesse par les maîtres de l'Université. Ils avaient mis à jour l'imprudence de ces monarques qui, en secouant le frein de la religion, préparaient la chute de leurs propres trônes, et montré le péril de ces sociétés secrètes qui recueil laient en elles tous les éléments de désordre pour saper les institutions religieuses et sociales[110]. L'encyclique Mirari vos se faisait l'écho autorisé de toutes ces réclamations. C'est le cœur pénétré d'une profonde tristesse, disait le Saint-Père, que nous venons à vous... pour vous parler de ce dont nous pleurons et gémissons ensemble... La majesté du culte divin est tournée en dérision par des hommes pervers... Les lois de l'Eglise, ses droits, ses institutions, ne sont pas à l'abri des insultes des langues d'iniquité... On attaque avec acharnement cette chaire romaine... Les liens de l'unité se relâchent... L'autorité de l'Eglise est piétinée par la politique humaine... La jeunesse est corrompue par les leçons et les exemples des maîtres... Lorsqu'on a secoué le joug de la religion divine, que peut-on voir se préparer, si ce n'est... la chute des princes et le renversement de toute puissance légitime ? Et ces calamités accumulées proviennent surtout de la conspiration de ces sociétés où s'est écoulé ce qu'il y a, dans les hérésies et les schismes, de plus sacrilège. Le pape dénonçait ensuite, en des termes dont l'auteur de l'Essai sur l'indifférence n'avait jamais dépassé l'énergie, cette source infecte de l'indifférentisme, hic putidissimus indifferentismi fons, d'où sortaient les maux dont souffraient l'Eglise et la société contemporaine. Et il signalait en particulier comme découlant de cette source : 1° cette liberté d'opinions pleine et sans bornes, plena illa atque immoderata libertas opinionum, qui, contre tout bon sens, permet de laisser se répandre, vendre et boire même tous les poisons, sous prétexte qu'il existe contre eux quelque remède, et 2° cette ardeur sans freins d'une indépendance audacieuse, effrenata procacis libertatis cupiditas, qui n'aspire qu'à pouvoir se féliciter avec Luther d'être libre à l'égard de tous. Le pontife terminait son encyclique en recommandant aux princes de mettre tous leurs soins à maintenir intacts la religion et la piété envers Dieu, in eam potissimum curam incumbant ut incolumis sit religio et pietas in Deum[111]. Telle est, dans l'ensemble de sa teneur, cette encyclique célèbre, où l'on a affecté souvent de considérer la condamnation en bloc de toute la société moderne, mais où l'on ne doit voir que la condamnation de l'Etat révolutionnaire et laïque, et où il est juste de reconnaître, en conséquence, avec un écrivain de nos jours, la simple réaction, énergique sans doute, mais nécessaire, du bon sens, instruit par la notion de société contre la prétention de quiconque, prince ou peuple, prétendrait que le libre conflit des idées, vraies ou fausses, est un bien en soi[112], que le droit à la révolte est un droit permanent des peuples, ou que l'oubli des droits de Dieu est permis aux rois. Ni La Mennais ni l'Avenir n'étaient nommés dans l'encyclique. C'était d'abord pour ménager la personne du grand écrivain, qui pouvait, en s'amendant, rendre encore d'importants services à l'Église[113]. C'était aussi pour montrer que les doctrines condamnées étaient moins des doctrines expressément et textuellement professées par l'école de l'Avenir, que celles où devait logiquement conduire la voie dans laquelle elle s'était engagée[114]. Malheureusement la prudente réserve du Saint-Père ne fut pas imitée par tous. Le mot d'ordre donné par Mgr d'Astros aux soixante-trois évêques signataires de la censure de Toulouse : Garder le silence pour ne pas irriter les écrivains censurés, ne fut pas observé par tous les prélats. Quelques-uns exigèrent des ordinands le serment de réprouver les doctrines de M. de La Mennais et de se conformer à la censure des évêques[115]. Mgr d'Astros ayant reçu du pape un bref exprimant le vœu que ses jugements fussent acceptés d'une façon sincère et absolue, écrivit au cardinal di Gregorio : Je ne pense pas aller contre les intentions de Sa Sainteté en laissant publier ce bref dans les journaux. Le document parut en effet, le 20 juillet 1832, dans l'Ami de la Religion, et fut fiévreusement discuté dans la presse. Cette publication était peut-être nécessaire. Elle fut fatale. Des journalistes virent ou feignirent de voir dans ce bref une allusion à la personne de La Mennais et le sommèrent de se soumettre ou de s'expliquer. Les gallicans, oubliant leurs vieilles méfiances à l'égard du Saint-Siège, ne parlaient plus que d'obéissance au pape. Ils dénaturaient le sens de l'encyclique, la représentant comme principalement inspirée par la défense des princes contre ceux qui les attaquaient ; et la presse libérale, à son tour, considérait malheureusement la Lettre pontificale sous cet aspect. La Mennais s'était retiré dans sa solitude de la Chênaie, se promettant d'y vivre désormais sans bruit, dans la société de quelques disciples fidèles, en dehors de toute polémique. Mais les échos des controverses qui s'agitaient dans la presse vinrent l'y trouver, et l'exaspérèrent. Le 15 novembre 1832, il écrivit au baron de Vitrolles : Notre ami Coriolis a eu très fort raison de vous dire que je n'étais pas le moins du monde ébranlé dans mes opinions, que je n'en abandonnais aucune, et qu'au contraire j'y tenais plus que jamais. La froideur de quelques amis, qu'il espérait trouver plus chauds pour sa cause, la séparation d'avec Lacordaire, qui, après avoir essayé de l'amener à des sentiments de soumission complète, quitta brusquement la Chênaie, le il décembre 1832, furent pour lui des douleurs aiguës, qu'il aigrissait encore en les repassant dans son esprit ; de telle sorte que la solitude où il était venu chercher l'apaisement l'exalta. Il avait parfois, en parlant de Rome, des congrégations romaines, du pape, des paroles d'une extrême amertume[116]. D'autres fois. il cherchait à se réfugier dans la prière. La Providence, écrivait-il le 27 février 1833, ne m'a point chargé du gouvernement de l'Eglise. J'ai dit là-dessus ce que je croyais utile ; ma tâche est remplie, et ma conscience tranquille : il ne me reste plus qu'à prier[117]. Mais la prière, pour La Mennais, parait n'avoir jamais été ou n'avoir été que bien rarement cette rosée qui rafraîchit l'âme, dont il a parlé dans ses Paroles d'un Croyant, en disant plutôt ce qu'il cherchait dans l'oraison que ce qu'il y trouvait en réalité[118]. Se sentant abandonné des hommes et de Dieu, ou du moins s'imaginant l'être, cet homme, qui n'était pas seulement un passionné, mais encore (c'était là la seconde caractéristique de cette étrange nature) un impatient de tout joug et de toute domination, et de tout ce qu'il prenait pour un joug et une domination, était préparé pour la chute suprême. Une lettre que lui fit parvenir, au nom du pape, le cardinal Pacca, précipita la catastrophe. En somme, jusque-là, l'obéissance de La Mennais avait consisté à cesser toute campagne, à se taire. Ses ennemis le faisaient remarquer bruyamment ; et peut-être les indiscrétions de certains de ses amis avaient-elles donné lieu de penser que le rédacteur en chef de l'Avenir n'avait abjuré aucune de ses idées. Le cardinal Pacca lui écrivit que sa soumission à l'encyclique Mirari vos était jugée insuffisante, et qu'il avait à la compléter par une déclaration simple, absolue, illimitée. Sans tarder, l'abbé de La Mennais signa une déclaration par laquelle il s'engageait à suivre uniquement et absolument la doctrine exposée dans l'encyclique[119]. Mais la lettre même qui communiquait à Montalembert le texte de cette déclaration contenait cette phrase, qui épouvanta son correspondant : Je renonce... à tout, sans exception, ce qui a rempli ma vie antérieure ; et, sur une demande pressante de son jeune ami, il répondit qu'en agissant comme il l'avait fait, il n'avait plus vu, dans cette triste affaire, qu'une question de paix à tout prix et qu'il s'était résolu à signer, non seulement ce qu'on lui demandait, mais encore, sans exception, tout ce que l'on voudrait, fût-ce même la déclaration que le pape est Dieu, le grand Dieu du ciel et de la terre, et qu'il doit être adoré lui seul. La lettre qui contenait ces tristes lignes était datée du 1er janvier 1834. Quand il l'écrivit, l'auteur de l'Essai sur l'Indifférence avait cessé de célébrer la sainte messe et ne devait plus désormais remplir aucune fonction sacerdotale[120]. Quatre mois plus tard, vers la fin du mois d'avril, paraissait, sous sa signature, un livre étrange, qu'au moment même où la foi s'éteignait dans son âme, il intitulait Paroles d'un Croyant. C'était le recueil d'une série de méditations, de dialogues, de prières, de visions, que, dans la solitude de la Chênaie, depuis l'apparition de l'encyclique, il avait écrites, sous l'influence d'inspirations diverses. Ce livre, qui débutait par une invocation au Père, au Fils et au Saint-Esprit, contenait, sur les rois en général, qu'on représentait le pied sur le crucifix et buvant du sang humain dans un crâne[121], et, en particulier sur Guillaume IV d'Angleterre, râlant sur son lit de mort, pâle comme un suaire, sur Louis-Philippe parjure et tyran, s'accrochant à des sacs d'or, sur François II d'Autriche condamnant à toutes les tortures du corps et de l'âme les malheureux soupçonnés d'avoir prononcé le mot de patrie, sur le tsar Nicolas, portant dans son cœur, à la place de Dieu qu'il a chassé, un ver qui le ronge sans relâche, et sur le pape Grégoire XVI lui-même, outragé en des termes qui passaient toute mesure, les pages les plus virulentes que jamais pamphlet politique ait mises au jour[122]. Ce livre cependant contenait, en même temps, sur la prière, qui rend le cœur plus léger et l'âme plus contente[123], sur le bonheur, qui n'est pas de posséder beaucoup, mais d'espérer et d'aimer beaucoup[124], sur la vertu, la seule chose sur la terre qui ne se fane ni ne passe[125], sur la justice, qui protège les droits, tandis que la charité adoucit les maux inévitables[126], sur l'exilé, qui partout est seul[127], sur la paix, qui est le fruit de l'amour, et sur l'amour[128], qui repose au fond des âmes pures comme une goutte de rosée dans le calice d'une fleur[129], des paroles simples, limpides, pénétrantes, que l'on sent jaillir d'un cœur réellement et profondément ému. Pastiche de génie, a-t-on dit. Le mot est vrai de plusieurs chapitres ; mais la plupart des autres ne sont que l'écho, varié, complexe, souvent déconcertant par ses contradictions, d'une âme perpétuellement mouvante et vibrante, toujours prête à se modifier aux divers contacts des hommes et des choses, alors même qu'elle prétendait n'obéir qu'à la logique la plus rigoureuse, et, tandis qu'elle se glorifiait de l'indépendance la plus farouche, toujours esclave de ses impressions du moment[130]. A partir de la publication des Paroles d'un Croyant, qui furent bientôt condamnées, à la date du 25 juin 1834, par la bulle Singutari vos, le nom de La Mennais n'appartient plus à l'histoire de l'Eglise. Abandonnant à la fois la discipline et le dogme catholique, il se rallia au socialisme, qui commençait alors à s'organiser en parti politique, et qui le considéra comme un de ses chefs. Ainsi celui qui, pendant la première partie de sa vie publique, avait, avec Rohrbacher et Guéranger, donné la première impulsion au parti ultramontain le plus avancé, celui qui, plus tard, avec Montalembert et Lacordaire, avait donné sa formule et son orientation au parti libéral catholique, se donnait enfin à la démocratie révolutionnaire, apportant tour à tour l'appui de son talent et le concours de son activité aux trois grands courants d'idées qui ont le plus agité le XIXe siècle[131]. XII Il est difficile de préciser la part qui revient à Félicité de La Mennais dans le mouvement religieux qui se produisit au XIXe siècle. Comme Chateaubriand au début du siècle, La Mennais, avant d'être un chef, fut un écho. Dans son Essai sur l'indifférence, il s'était fait l'éloquent interprète du sentiment que Silvestre de Sacy décrivait en termes si expressifs : L'incrédulité du XVIIIe siècle a eu le plaisir de l'incrédulité ; nous en avons la peine ; nous en sentons le vide... Nous levons les yeux en haut, nous y cherchons une lumière[132]. Cette lumière, l'abbé de La Mennais l'avait montrée dans la tradition catholique, dans l'Eglise, dans le pape ; et dans sa campagne, il n'avait pas seulement réveillé l'opinion ; il avait groupé autour de lui, entraîné dans l'arène, une élite de prêtres et de laïques, qui, après sa défection, devaient continuer, avec éclat et avec succès, l'œuvre commencée. Car l'auteur des Paroles d'un Croyant ne fut pas suivi par ses disciples dans sa défection. En se séparant de l'Église, ce prêtre, qui avait eu autant de prestige que les plus célèbres des anciens transfuges, ne créa ni un schisme, comme Photius, ni une hérésie, comme Luther. Ses disciples, au contraire, se trouvèrent, au lendemain même de sa chute, à la tête de la plupart des entreprises religieuses. En 1835, Lacordaire inaugura ses conférences de Notre-Dame, tandis que Montalembert portait hautement à la tribune parlementaire les revendications catholiques. La restauration de l'Ordre bénédictin en France, en 1836, par dom Guéranger, et le rétablissement des Frères Prêcheurs, en 1839, furent les œuvres de deux de ses collaborateurs[133]. Les conférences de Saint-Vincent-de-Paul recrutèrent plusieurs anciens adeptes de l'école menaisienne. La grande histoire de l'Église que devait publier Rohrbacher avait été entreprise avec les encouragements de La Mennais. Dans l'œuvre de la défense de la papauté, dans la lutte contre le gallicanisme, l'Univers, avec sa rédaction militante, allait continuer, en l'avouant sans ambages[134], les traditions de l'Avenir. Dans le mouvement de renaissance catholique qui se manifesta de 1833 à 1841, nous devons particulièrement mentionner : l'œuvre oratoire de Lacordaire dans la chaire de Notre-Dame de Paris, celle de Montalembert à la tribune parlementaire, le rétablissement en France des Ordres de Saint-Dominique et de Saint-Benoît, la restauration liturgique entreprise par dom Guéranger et les œuvres charitables dont Frédéric Ozanam et quelques-uns de ses amis prirent l'initiative[135]. Le renouveau religieux qui, depuis 1830, se produisait dans les âmes des jeunes gens était plutôt fait de sentiments vagues que de convictions réfléchies. Ce caractère n'avait point échappé à un groupe d'étudiants catholiques, préoccupés d'apostolat. En janvier 1834, ils demandèrent à l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, de vouloir bien faire donner, dans l'église de Notre-Dame, des conférences religieuses, où la nouvelle génération pût entendre, exposées en un langage conforme à son état d'esprit, les vérités de la foi. Un essai tenté en cette année 1834, sur un plan conçu par l'archevêque de Paris, n'atteignit pas le résultat voulu. Mais, l'année suivante, Mgr de Quélen, cédant aux instances des jeunes gens qui avaient fait les premières démarches, se décida à confier, pour cette œuvre, la chaire de sa vieille basilique à un jeune prêtre qui avait fait ses premières armes dans l'Avenir, l'abbé Lacordaire. Meurtri de sa douloureuse rupture avec celui qui avait été son maître, presque découragé de l'insuccès d'une œuvre à laquelle il s'était donné de toute son âme, Lacordaire venait de passer trois ans dans une vie de prière et de travail, à peine interrompue par des instructions données dans la chapelle d'un collège[136]. Ce jeune prêtre qui ne craignait pas de se dire fils de son siècle, qui pouvait affirmer que toute sa vie antérieure, jusqu'à ses fautes, lui avait préparé quelque accès dans le cœur de son pays et de son temps, obtint aussitôt un succès prodigieux. Six mille hommes remplirent bientôt les nefs de l'antique cathédrale. Jeunes pour la plupart, dit un historien de ce temps[137], ils représentaient toute la vie intellectuelle de cette époque et toutes les espérances de l'avenir. A les considérer pendant les heures d'attente, on reconnaissait bien que cette réunion n'était pas composée de gens habitués à fréquenter les églises. C'était vraiment la société nouvelle du XIXe siècle, telle qu'elle était sortie de la Révolution de 1830, en quelque sorte déchristianisée, qui venait former, autour d'une chaire chrétienne, un auditoire tel qu'on n'en n'avait pas vu peut-être depuis saint Bernard. Inaugurant une apologétique dont le concile du Vatican devait plus tard consacrer l'orthodoxie et l'opportunité, le jeune prêtre mit tout d'abord son auditoire en présence du fait de l'Eglise catholique, c'est-à-dire du christianisme sous la forme vivante et, en quelque sorte, palpable, qu'il avait sous les yeux. Il lui parla de la nécessité de l'Eglise, de sa constitution, de son autorité morale et infaillible, de son chef, de ses rapports avec l'ordre temporel, de sa puissance coercitive. L'année suivante, il fit entrer son auditoire sur le seuil du dogme : il l'entretint de la doctrine de l'Eglise en général, de la tradition, de l'Ecriture, de la raison, de la foi et des moyens d'acquérir la foi. La foule, toujours croissante, toujours plus attentive, des auditeurs, se pressait autour de l'orateur catholique, avide d'entendre une parole qui, par son accent tout nouveau, par ses néologismes tout modernes, lui donnait, ainsi qu'on l'a dit, le même plaisir que fait au voyageur en pays lointain, l'accent subitement reconnu du pays natal[138]. Mgr de Quélen lui-même, si peu préparé par sa nature et par son éducation à goûter les choses modernes, mais saisi par cette éloquence, proclamait Lacordaire un prophète nouveau. Des hommes s'étonnaient de ces hardiesses, suspectaient ce prédicateur de la doctrine chrétienne qui, disait-on, avait à peine nommé Jésus-Christ, ce tribun, comme ils l'appelaient, ce républicain forcené qui prêchait des doctrines empreintes d'anarchie. En réalité, ce prétendu tribun, dont la parole eut parfois des audaces, fut un apôtre humble et austère. On a su plus tard qu'en descendant de sa chaire, encore tout palpitant des triomphes que lui faisait un auditoire enthousiaste, il allait flageller son corps par des instruments de pénitence, humilier son âme dans les aveux des fautes de sa vie passée et quand, à l'apogée de sa renommée, il interrompit ses conférences, ce fut pour aller chercher à Rome la paix de la solitude, pour en revenir sous l'habit du moine mendiant. Entre temps, son œuvre avait porté ses fruits. Sa parole, à laquelle on avait reproché un accent trop profane, avait préparé ses auditeurs à s'agenouiller au tribunal de la pénitence et à s'approcher de la sainte Table, quand la parole évangélique du P. de Ravignan les y convia avec onction[139]. XIII Pendant que, sous les voûtes de Notre-Dame, un fils de
cette bourgeoisie sceptique et jouisseuse que la monarchie de Juillet venait
d'élever à l'hégémonie politique, acheminait sa génération vers les
éternelles vérités du christianisme, un autre rédacteur de l'Avenir,
un descendant de noble race, un pair de France, un fils
des croisés, faisait retentir, à la tribune française, les fières
revendications du catholicisme, presque partout opprimé ou dédaigné. Quand,
le 8 septembre 1835, le jeune comte Charles de Montalembert, alors âgé de vingt-cinq
ans, prit pour la première fois la parole devant la Chambre des Pairs, et y
affirma, simplement et fermement, sans forfanterie ni crainte, sa foi
religieuse, le premier sentiment de la haute assemblée fut une sorte de
stupeur. On a dit justement que l'entrée dans la
cour du Luxembourg d'un chevalier portant l'armure du moyen âge et la croix
sur la poitrine, n'eût point paru plus étrange et moins, raisonnable[140]. Le nouveau
chevalier s'excusa, avec une bonne grâce à la fois modeste et fière, de faire entendre à la Haute Chambre un langage étranger
aux idées qui y étaient ordinairement énoncées, demanda qu'on lui permit d'obéir à la franchise de son âge, et
passa outre. De 1835 à 1841, il prit part aux discussions sur la presse, sur
la nationalité polonaise, sur l'émancipation des esclaves dans les colonies,
sur la propriété ecclésiastique, sur les établissements d'aliénés, sur la
police du roulage, sur diverses questions de politique étrangère, sur le
travail des enfants dans les manufactures, sur la liberté d'enseignement[141] ; et, quel que
fût l'objet immédiat de la discussion, il eut toujours en vue la défense du
catholicisme, dont il se fit le champion avec une éloquence alerte, vive,
ardente, remarquablement souple, où l'émotion savait faire place à l'ironie,
et l'enthousiasme lyrique à la riposte cinglante. Ne voilant rien de sa foi,
de son obéissance aux dernières condamnations de Rome, il s'écriait, dès son
premier discours : Je l'avoue franchement, le
principe de la liberté de conscience n'est pas le mien ; je n'ai pour lui
aucune idolâtrie ; j'en reconnais et j'en professe de plus anciens, de plus
élevés, de plus saints[142]... S'il y a des vérités absolues en politique, j'espère bien
qu'il y en a aussi en religion[143]. Montalembert fut un des premiers à qui Lacordaire annonça son projet de rétablir en France l'Ordre de Saint-Dominique. Je dis que cet acte est le dénouement de ma vie, lui écrivait-il à la date du 1er juillet 1838. Dieu m'appelle à revêtir une nouvelle force... Soyons humbles, uniquement à Dieu, sans esprit de parti, prêts à vivre ou à mourir... Peu de temps après, en 1839, paraissait le Mémoire pour le rétablissement des Frères Prêcheurs. L'entreprise fut couronnée d'un plein succès. Les meilleures recrues de la nouvelle fondation lui vinrent de cette jeunesse que les conférences de Notre-Dame avaient ramenée à la foi. Pendant les premières semaines de 1841, le P. Lacordaire, revenant de Rome, traversa, sous son nouveau costume, la France étonnée et sympathique, et, en arrivant à Paris, il put dire, en montrant sa robe blanche : Je suis une liberté. Il avait gagné devant l'opinion, et, par suite, devant le gouvernement, non seulement la cause des Frères Prêcheurs, mais celle des ordres religieux en général. Les jésuites furent des premiers à en profiter. L'année suivante, le successeur de Lacordaire à Notre-Dame, qui s'était appelé jusque-là l'abbé de Ravignan, fit annoncer les reprises de ses conférences sous le nom de Père de Ravignan. Quelques années plus tôt, avec moins d'éclat, un disciple,
alors moins célèbre, de La Mennais, l'abbé Prosper Guéranger, avait rétabli,
dans l'ancien prieuré de Solesmes, un ordre non moins illustre et destiné à
rendre à l'Eglise de France des services non moins signalés : l'Ordre de
Saint-Benoît. Depuis sa première jeunesse, Prosper Guéranger avait rêvé de
vie monastique. Cette vie, dit son biographe[144], s'offrait à lui comme un centre de prière, un levier
d'action pour l'Eglise, en même temps qu'un loisir studieux. Ce souci persévérant
explique l'intérêt qu'il avait porté à la Société fondée par l'abbé de La
Mennais sous le nom de Congrégation de Saint-Pierre. Après l'échec de
cette œuvre, Guéranger s'orienta définitivement vers la vie bénédictine. Le
14 décembre 1832, il se rendit locataire de l'ancien prieuré de Solesmes, au
diocèse du Mans[145], et s'y
installa, le 11 juillet 1833, avec trois compagnons, dont deux prêtres et un
diacre[146].
Dès lors, au milieu des épreuves de la pauvreté, des incertitudes du
lendemain, des attaques malveillantes de ceux qui voulaient voir dans le
nouveau groupement une reprise de l'école menai-sienne, les quatre ardents
pionniers, désirant reprendre les traditions glorieuses de Cluny et de
Saint-Maur, se mirent à l'œuvre. Une traduction des œuvres de saint Alphonse
de Liguori, bientôt interrompue, une réédition du Liber pontificalis
de l'Eglise du Mans, une Vie de saint Julien et les Annales
ecclésiastiques de l'Eglise du Mans, furent leurs premières entreprises.
Lacordaire et Montalembert soutenaient leur ami de leurs encouragements affectueux[147]. La
continuation de la Gallia Christiana, confiée à la jeune communauté,
lui apparut comme un précieux gage de vitalité. L'approbation solennelle de
ses règles, l'érection du prieuré de Solesmes en abbaye et la collation de la
dignité abbatiale à Dom Guéranger, le 14 juillet 1837, lui assurèrent une existence
canonique[148].
Le 4 août 1841, en la fête de saint Dominique, le restaurateur de la vie
bénédictine eu France, rassuré sur l'avenir, et tournant fraternellement ses
regards vers le restaurateur de la vie dominicaine, lui écrivait : Ce matin, j'ai chanté la messe afin de recueillir plus
solennellement les vœux de mes frères pour vous, très cher ami, et pour toute
votre famille[149]. Il allait
désormais se consacrer sans réserve aux trois missions qu'il s'était
proposées en restaurant en France l'Ordre de Saint-Benoît : le développement
des sciences religieuses, l'exaltation du pouvoir pontifical et la
restauration de la liturgie. Les deux premières œuvres se réaliseront par le
concours d'autres efforts ; mais la restauration liturgique, telle qu'elle
s'est effectuée au XIXe siècle, est tout particulièrement due à l'initiative
de Dom Guéranger et demeure la caractéristique de ses travaux. L'histoire lui
doit une mention toute spéciale. Les idées essentielles que devait développer et soutenir au cours de sa vie l'auteur des Institutions liturgiques et de la Monarchie pontificale, se trouvent dans les quatre-articles qu'il publia en 1830 dans le Mémorial catholique[150]. Pendant que, dans ce journal, l'abbé de La Mennais combattait le gallicanisme sur le terrain des doctrines théoriques, son jeune collaborateur entreprit de le débusquer des positions qu'il tenait indûment sur le terrain de la pratique. L'hérésie gallicane, comme il disait, lui parut implantée en France sous forme de rites qui s'écartaient systématiquement de la tradition romaine. Trente ans après la fameuse Constitution Quod a nobis de saint Pie V, sur les cent trente diocèses dont se composait alors la France, il n'en était pas six qui n'eussent adopté l'ensemble de la liturgie romaine ; et voici qu'en 1830 douze diocèses à peine étaient demeurés fidèles à cette belle uniformité. L'Eglise de France avait donc abandonné sur ce point l'Eglise romaine, et déchiré en lambeaux, selon l'expression du saint pape, la communion de prières et de louanges qui doivent être adressées au Dieu unique d'une seule et même voix[151]. L'hérésie gallicane était devenue l'hérésie anti-liturgique. Je sais, disait l'auteur[152], que je vais heurter bien des préjugés ; mais on est
toujours fort quand on a raison, et je mets au défi tout homme de bon sens,
tout théologien, de contester mes principes, comme tout logicien de se
refuser à mes conséquences. Après un tableau du développement de la
vie liturgique, sortant des catacombes avec
l'Eglise, s'épanouissant avec elle dans les temples bâtis par Constantin, se
créant une langue digne d'elle, trouvant une expression aux confessions de sa
foi, aux soupirs de son espérance et aux ardeurs de son amour, aux besoins de
ses enfants et aux gémissements de ses pécheurs, il mettait en
parallèle, avec sa majestueuse beauté, la disgracieuse diversité de ces liturgies
nouvelles, dont quelques-unes s'enorgueillissaient d'un siècle de possession,
dont les autres ne pouvaient justifier que de cinquante, de trente, de dix
ans, d'un an à peine. Il en était une surtout à laquelle l'ardent polémiste
n'épargnait pas ses sarcasmes : c'était la liturgie parisienne. Nous n'ignorons pas, disait-il, l'esprit qui lui donna naissance ; nous connaissons aussi
celui qui a présidé à ses dernières améliorations, ce Charles Coffin,
hautement revendiqué par le jansénisme, repoussé par l'Eglise, hérétique en
un mot, Et, pour donner à de nouvelles paroles un nouveau chant, on avait
fait appel à cet abbé Le Bœuf, qui, après avoir
passé dix ans à placer des notes sur des lignes et des lignes sous des notes,
fit présent au clergé de la capitale d'une composition monstrueuse[153]. Le fond et la forme de ces articles ne pouvaient que plaire à l'abbé de La Mennais, qui, le 15 avril 1830, écrivait à l'auteur : Toutes les personnes que j'ai vues ont beaucoup goûté vos deux articles. Vous feriez, je crois, un bien réel en continuant. Mais quelques esprits modérés se montraient choqués des exagérations qu'ils croyaient y trouver. Pourquoi, s'écriait Michel Picot dans l'Ami de la Religion du 2 juin[154], représenter les liturgies diocésaines comme des tentatives de schisme, comme des fruits de l'esprit de secte ? Il y a là de la prévention et de l'exagération... L'auteur fait un éloge magnifique de la liturgie romaine. S'il s'était borné à dire que cette liturgie est la plus vénérable par l'autorité dont elle émane et par son ancienneté, nous serions entièrement de son avis. Mais il suppose que cette liturgie n'a jamais varié, que toutes les Eglises la suivaient il y a plusieurs siècles. Ces suppositions sont démenties par l'histoire. Dès la naissance de l'Eglise, il y a eu diversité dans les rites et dans les prières Il y avait des usages différents à Rome et à Jérusalem... Les Eglises des Gaules avaient leurs rites particuliers, et, en Italie même, l'Eglise de Milan avait sa liturgie distincte... Saint Grégoire le Grand exhortait saint Augustin de Cantorbéry à prendre dans les Eglises des Gaules ce qu'il jugerait convenir aux Anglais.... Dans le fond, malgré ses excès de langage, l'abbé Guéranger avait raison : les liturgies diocésaines, et en particulier la liturgie parisienne, avaient subi quelque influence du gallicanisme et du jansénisme, et les hymnes des Santeul et des Coffin, le chant de Le Beuf, malgré la science et l'habileté technique dont ils témoignaient, ne pouvaient être mis en comparaison avec les hymnes simples et touchantes que Rome et l'antiquité chrétienne nous avaient léguées ; et tout catholique de ce nom devait applaudir sans réserve aux paroles de l'abbé Guéranger, lorsqu'il disait, en un langage pénétré d'émotion : J'ai quelquefois entendu dire qu'il était avantageux de trouver dans son office les plus beaux arguments de la religion... Mais qu'arrive-t-il ? On étudie, et l'on ne prie pas... Etrange abus ! Comme si toute étude dans la prière n'était pas criminelle, sinon cette étude du cœur qui se fait sans bruit de paroles et qui forma les Augustin, les Bernard et les Thomas d'Aquin ![155] L'apparition, en 1840, du premier volume des Institutions liturgiques, dont l'auteur pouvait dire, dans sa préface, qu'il était le fruit de douze années d'études[156], ranima le zèle des amis de dom Guéranger et les polémiques de ses contradicteurs. Cette publication ouvrait une série de cinq volumes destinés à initier les jeunes clercs aux mystères du culte divin et de la prière. Les impressions furent partagées. En lisant votre livre, écrivait Mme Swetchine[157], j'ai respiré un air de vérité pur et sans mélange. Mais le P. Lacordaire était rebuté par l'idée de l'hérésie anti-liturgique, qui, selon lui, n'avait jamais existé[158]. L'Année liturgique, dont le premier volume, l'Avent liturgique, parut à la fin de 1841, vint compléter les précédents travaux de dom Guéranger. Cette nouvelle publication avait pour but de rendre accessibles à tous les fidèles les enseignements que nous donne l'Eglise lorsque, au cours des douze mois de l'année chrétienne, elle rappelle et reproduit, en quelque sorte, les divers mystères de notre Rédemption par Jésus-Christ. Chacune des périodes liturgiques de l'année chrétienne devait être expliquée : 1° par l'historique de ses origines, 2° par l'interprétation mystique de ses rites, et 3° par l'indication des pratiques extérieures et des dispositions intérieures qu'elle doit provoquer dans l'âme des chrétiens. C'était là une œuvre toute de paix et d'édification. Mais au moment même où les âmes pieuses savouraient la nouvelle œuvre de l'Abbé de Solesmes, de nouvelles polémiques allaient surgir à la suite d'un cas de conscience, publiquement proposé par l'archevêque de Reims, Mgr Gousset, sur les droits et les devoirs des évêques relativement à la liturgie. La publication par Dom Guéranger de sa Lettre à Mgr l'Archevêque de Reims sur le droit de la liturgie, fut le premier acte de cette polémique. Nous aurons bientôt à y revenir. XIV Le fondateur des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, Frédéric Ozanam, n'était pas, comme Prosper Guéranger, un disciple de La Mennais. A peine avait-il rencontré une fois le maître, en décembre 1831, et cet unique entretien ne parait pas avoir éveillé de grandes sympathies entre l'écrivain célèbre et le jeune étudiant[159]. Mais Ozanam, rêvant, dès sa première jeunesse, d'une-apologétique religieuse capable de saisir l'esprit et le cœur de ses Contemporains, avait suivi avec ardeur, dans tout ce qu'elle avait de généreux, la campagne de l'Avenir, et s'était attaché à deux de ses principaux rédacteurs : l'abbé Gerbet, le philosophe érudit, le théologien profond et délicat, dont les Considérations sur le dogme générateur de la piété catholique l'avaient ravi[160], et l'abbé Lacordaire, dont l'éloquence chaleureuse et le zèle tout apostolique répondaient si bien à ses propres sentiments. A la différence de Guéranger, qui avait été surtout attiré vers le groupe de l'Avenir par ses tendances ultramontaines, Ozanam y avait surtout goûté son désir d'attirer à Jésus. Christ la société contemporaine et l'intérêt qu'il manifestait envers les classes populaires[161]. Né à Lyon, en 1813, d'une famille chrétienne, formé aux études philosophiques et religieuses par un maître exceptionnel, l'abbé Noirot, que Victor Cousin appelait le premier professeur de France, Frédéric Ozanam avait, dès l'âge de dix-sept ans, rêvé d'un grand ouvrage, qu'il intitulait : Démonstration de la vérité de la religion catholique par l'antiquité des croyances historiques, religieuses et morales. En 1831, il publiait ses Réflexions sur la doctrine de Saint-Simon, dont il disait, plus tard, qu'il y avait jeté le germe de l'idée qui devait occuper toute sa vie. Cette idée dominante de sa vie, ce fut l'apologétique du catholicisme auprès de ses contemporains. Il la poursuivit à la fois dans ses travaux historiques et dans ses œuvres charitables. La principale de ces œuvres, dont nous avons seulement à parler ici, fut la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Ozanam eut, en la fondant, plusieurs objectifs : resserrer d'abord les liens d'amitié entre les jeunes catholiques, car, disait-il, le principe le plus fort d'une amitié véritable, c'est la charité, et l'aliment de la charité ce sont les bonnes œuvres ; en second lieu, attirer les bénédictions de Dieu sur ses travaux d'apostolat, car, disait-il encore, un apostolat n'est pas complet quand il lui manque les œuvres de bienfaisance, et la bénédiction du pauvre est celle de Dieu ; enfin, compléter l'apologétique de l'Eglise aux temps passés en montrant ses œuvres actuelles. Nos ennemis, écrivait-il, nous disent : Le christianisme a fait autrefois des prodiges de charité, mais il est mort. Prouvons qu'il est vivant en montrant ses bonnes œuvres[162]. Au mois de mai 1833, six étudiants, répondant à l'appel de Frédéric Ozanam, se joignirent à lui, au n° 18 de la rue du Petit-Bourbon-Saint-Sulpice, dans les bureaux de la Tribune catholique, sous la présidence du directeur de ce journal, Emmanuel Bailly. Un des sept fondateurs a écrit le récit de cette mémorable séance[163]. Elle commença par la récitation du Veni sancte Spiritus, de l'Ave Maria et d'une invocation à saint Vincent de Paul. On étudia ensuite les moyens pratiques de visiter les pauvres à domicile. On prit le parti d'aller demander l'adresse de familles besogneuses à la Serin Rosalie, l'apôtre du quartier Mouffetard, et on la pria de céder à la Société un certain nombre des bons qu'elle distribuait comme secours en nature. La séance se termina par la quête et la prière. A. la fin de l'année scolaire, la Société comptait quatorze membres. A la rentrée, les adhésions devinrent plus nombreuses. En 1835. Paris comptait quatre conférences[164]. En même temps, les confrères qui retournaient en province, après avoir terminé leurs études, y fondaient à leur tour des conférences. C'est ainsi que Curnier fonda la conférence de Nîmes ; Brac de la Perrière, celle de Lyon. Bientôt la société franchit la frontière. Les conférences apparurent en Belgique[165]. La visite des pauvres à domicile resta toujours le but essentiel des conférences ; mais des œuvres spéciales ne tardèrent pas à s'y joindre : vestiaires, où l'on recueillit les vêtements usagés pour les distribuer aux indigents ; bibliothèques destinées à satisfaire le besoin de lecture qui se généralisait de plus en plus ; Saintes-Familles, ou associations formées entre ouvriers chrétiens des deux sexes pour s'édifier réciproquement et s'instruire de la religion ; secrétariats des familles, caisses des loyers, patronages d'ouvriers et d'apprentis, et autres œuvres suggérées par les nécessités des lieux et des circonstances[166]. La congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, fondée par un des premiers compagnons d'Ozanam, Léon Le Prévost, en vue de s'occuper d'œuvres ouvrières, fut aussi comme un rejeton de la société, fondée par Frédéric Ozanam[167]. Quelque vaste que fût ce programme d'œuvres charitables, il ne limita pas le zèle du fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Il publia, dans la Tribune catholique, dirigée par Bailly, dans l'Univers, nouvellement fondé par l'abbé Migne, des articles d'apologétique. Il contribua, par ses démarches réitérées, à la fondation et au succès des conférences de Notre-Dame. Il collabora à la création d'une Société catholique des beaux-arts. Il glorifia l'Eglise dans de savantes études historiques. Etudiant en Sorbonne, il avait obligé Théodore Jouffroy à rétracter des attaques dirigées contre la révélation chrétienne ; professeur à son tour, il réussit à intéresser un nombreux auditoire aux gloires du christianisme. Dans une seule des campagnes menées par les catholiques de cette époque, celle qui avait pour but la conquête de la liberté d'enseignement, il ne put prendre une part active. Mais son attitude fut digne et courageuse. Dans le conflit qui s'éleva entre l'Eglise et l'Université, écrit Lacordaire, Ozanam était de nous tous le plus douloureusement placé. Catholique ardent, il ne pouvait cependant pas méconnaître qu'il appartenait au corps dépositaire légal du monopole universitaire... Ozanam n'attaqua point le corps auquel il appartenait ; mais il demeura dans la solidarité la plus entière avec ceux qui défendaient de tout leur cœur la cause de la liberté d'enseignement[168]. XV De toutes les campagnes catholiques du XIXe siècle, il n'en est pas peut-être de plus glorieuse, il n'en est pas, à coup sûr, de plus féconde en utiles leçons, que celle qui a abouti, après vingt ans de luttes, à l'abolition du monopole de l'Université. Elle demande à être racontée avec quelques détails. C'est à l'abbé de La Mennais que revient le mérite d'avoir soulevé le premier, avec un éclat incomparable, la question de la liberté d'enseignement. Les pamphlets qu'il publia à ce sujet, dans le Conservateur et dans le Drapeau blanc, alors qu'il était dans toute la ferveur de ses convictions catholiques et royalistes, sont, a-t-on dit, tout ce qu'il y a de plus puissant, comme pensée et comme style, dans la langue française[169]. Le journal l'Avenir, reprenant la question dès ses premiers numéros, lui donna un retentissement immense dans l'opinion. Les 17, 18 et 25 octobre 1830, parurent trois articles éloquents de Lacordaire, où l'abolition du monopole universitaire était réclamée au nom de la liberté et du progrès. La servitude de l'enseignement, disait-il, est incompatible avec quelque liberté que ce soit ; car la liberté s'obtient par l'enseignement... L'humanité veut le progrès, c'est la fin de toute liberté ; mais le progrès est-il possible avec le monopole ?[170] Les rédacteurs de l'Avenir ne se bornèrent pas à ces réclamations ; manifestes, pétitions, polémiques, tout fut employé par eux pour agiter l'opinion publique autour de la question de la liberté d'enseignement. Ils eurent même recours à un procédé nouveau dans les mœurs françaises. Le 9 mai 1831, l'abbé Lacordaire, le vicomte Charles de Montalembert et le comte de Coux, se fondant sur la charte de 1830, dont l'article 69 promettait la promulgation, dans le plus court délai possible, d'une loi sur la liberté d'enseignement, et dont l'article 70 déclarait toutes les lois et dispositions contraires dès à présent abrogées, ouvrirent à Paris, rue des Beaux-Arts, n° 5, une école gratuite sans autorisation. Les 10 et 11 mai, le commissaire de police du quartier fit sommation aux enfants de se retirer. Ces sommations étant demeurées sans résultat, les maîtres et les enfants furent exclus par la Force publique, et les trois professeurs furent traduits en police correctionnelle. Ceux-ci ne cherchaient qu'une occasion de plaider, dans un procès retentissant, la cause des pères de famille. Ils réussirent au delà de leurs espérances ; car, le comte de Montalembert, pair de France, étant venu à mourir, son fils, le vicomte Charles, succédant à ses droits, demeurait, par sa nouvelle dignité, justiciable de la cour des pairs, et, par suite de l'indivisibilité du délit et de la poursuite, entraînait ses coprévenus devant cette haute juridiction. Quand, après les plaidoiries des avocats, le jeune comte de Montalembert, à peine âgé de vingt ans, réclama la parole et s'avança à la barre, sa jeunesse, son deuil, sa position personnelle provoquèrent dans l'auditoire une profonde attention. Il débuta en ces termes : Pairs de France, la tâche de nos défenseurs est accomplie ; la nôtre commence. Ils se sont placés sur le terrain de la légalité ; à nous, accusés, il appartient maintenant de parler le langage de notre cœur et de notre foi : le langage catholique. Jamais peut-être, en effet, la noble cour n'avait entendu une profession de foi plus courageuse et plus émue. Pour moi, disait le jeune orateur en finissant, je me féliciterai toujours d'avoir pu rendre témoignage dans ma jeunesse au Dieu de mon enfance. C'est à Lui que je recommande le succès de ma cause, de ma sainte et glorieuse cause. Je la dis glorieuse, car elle est celle de mon pays ; je la dis sainte, car elle est celle de mon Dieu[171]. Lacordaire, ancien avocat, s'était réservé pour la réplique au ministère public, dont l'organe fut le procureur général Persil. Celui-ci, peu de temps auparavant, en se fondant sur le principe de la responsabilité ministérielle, promise par la Charte au même titre que la liberté d'enseignement, avait soutenu l'accusation de haute trahison contre les quatre derniers ministres de Charles X. La nerveuse improvisation de Lacordaire débuta ainsi : Nobles pairs, je regarde et je m'étonne. Je m'étonne de me voir au banc des prévenus, tandis que M. le procureur général est au banc du ministère public. Car de quoi m'accuse-t-il ? D'avoir usé d'un droit écrit dans la Charte et non encore réglé par une loi ; et lui vous demandait naguère la tête de quatre ministres en vertu d'un droit écrit dans la Charte et non encore réglé par une loi. S'il a pu le faire, j'ai pu le faire aussi, avec la différence qu'il demandait du sang, et que je voulais donner une instruction gratuite aux enfants du peuple[172]. Les trois prévenus furent condamnés chacun à cent francs d'amende et solidairement aux frais du procès. C'était un échec pour le gouvernement ; car l'opinion publique avait été saisie par le retentissement des débats judiciaires. Malheureusement, les circonstances servirent la cause de l'Université. La disparition de l'Avenir, la dissolution de la Ligue pour la défense de la liberté religieuse, la diversion opérée dans les esprits par les troubles révolutionnaires de 1831 et 1832, et par le soulèvement des provinces royalistes de l'Ouest à la voix de la duchesse de Berry, arrêtèrent la campagne si brillamment commencée. Celle-ci cependant ne fut pas stérile. La loi du 28 juin 1833 sur l'instruction primaire, connue sous le nom de loi Guizot, peut être considérée comme un de ses résultats indirects. Cette loi était suffisamment libérale, comme son auteur. Le monopole de l'enseignement primaire était supprimé, la concurrence ouverte. Les Frères des Ecoles chrétiennes bénéficiaient de [exemption du service militaire au même titre que les instituteurs laïques. La capacité d'enseigner était reconnue à tout congréganiste qui présentait une lettre d'obédience de ses supérieurs. Cette dernière disposition était un témoignage de confiance donné aux supérieurs des congrégations enseignantes, qu'on supposait justement préoccupés de répondre aux légitimes exigences des familles et aux besoins de l'enseignement par le bon choix de leurs instituteurs. Ce témoignage de confiance n'était pas, d'ailleurs, un fait isolé. Une amélioration notable s'était produite dans les rapports de l'Eglise et de l'Etat en France. En cette même année 1833, le gouvernement laissait, sans élever aucune protestation, l'abbé Guéranger restaurer à Solesmes l'Ordre bénédictin, reconnaissait hautement les droits du clergé catholique sur les bâtiments affectés au culte[173], et n'apportait aucune entrave aux œuvres des Pères de la Compagnie de Jésus : si bien que le chargé d'affaires du Saint-Siège à Paris, Mgr Garibaldi, disait : Nous obtenons du roi Louis-Philippe ce que tout autre gouvernement nous aurait refusé[174]. Cette assertion, en tant qu'elle visait la personne de Louis-Philippe, n'était vraie que d'une manière générale. Il était une question sur laquelle le roi se montrait particulièrement réfractaire aux réclamations catholiques : c'était la question de la liberté d'enseignement ; et la loi du 28 juin i833, si justement nommée loi Guizot, était bien en effet l'œuvre du ministre et pas celle du roi, qui ne l'avait acceptée qu'à son corps défendant. Aussi, lorsque, en 1840, une société ecclésiastique se forma pour dénoncer le monopole universitaire à la France libérale et à la France catholique sous la présidence d'un ancien disciple de La Mennais, l'abbé Rohrbacher, et même lorsque, l'année suivante, le nouvel archevêque de Paris, Mgr Affre, dans son premier mandement, se prononça, en des termes pleins de mesure, pour une liberté d'enseignement soumise aux seules restrictions réclamées par l'intérêt de la religion, des mœurs et de l'instruction, le roi manifesta qu'il désapprouvait ces démarches[175]. D'autre part, il se défiait d'une Université trop puissante ; il n'était point fâché de la contrebalancer par une concurrence prudemment réglée. Un projet de loi sur l'enseignement secondaire, présenté aux Chambres en 1841 par le ministère Guizot, répondait à ces préoccupations ; mais, loin d'apporter la paix, il déchaîna la bataille. XVI Le ministre de l'instruction publique, auteur du nouveau projet de loi, était Villemain. Guizot, soit qu'il fût découragé par l'échec d'un projet qu'il avait présenté en 1836, soit plutôt qu'il fût alors absorbé par la direction des affaires extérieures, resta à peu près à l'écart. Ce fut un malheur. Littérateur distingué, professeur éminent, plus encore, rénovateur de la critique littéraire et créateur de l'histoire de la littérature, en même temps que ses deux collègues, Guizot et Cousin fondaient l'histoire politique et l'histoire de la philosophie, Villemain n'avait rien de l'homme d'Etat. Au surplus, d'étranges partis pris contre les jésuites, qui dataient chez lui de la Restauration[176] et qui devaient, en s'exaspérant, le conduire à la folie dans ses derniers jours, ne pouvaient lui laisser le calme nécessaire dans un débat sur la liberté d'enseignement. Son projet, en tout cas, dénotait une ignorance complète des susceptibilités de la conscience catholique. Il la blessait à la fois par les maximes sur lesquelles il prétendait s'appuyer et par les applications qu'il en déduisait. Dans son exposé des motifs, le ministre allait jusqu'à contester le principe de la liberté d'enseignement, qui a pu être admise par la Charte, disait-il, mais qui ne lui est pas essentielle ; et, dans les dispositions de son projet, il n'hésitait pas à soustraire aux évêques la direction exclusive des petits séminaires pour les placer sous la juridiction de l'Université. Jusque-là les évêques, par esprit de conciliation, en considération des efforts de bienveillance que la monarchie de Juillet montrait depuis quelque temps à l'égard de l'Eglise, ne s'étaient point mêlés aux polémiques relatives à la liberté de l'enseignement. Mais, par la disposition relative aux petits séminaires, c'est dans le propre domaine de leur juridiction spirituelle, dans l'œuvre de la formation morale et intellectuelle de leurs prêtres, qu'ils se sentaient menacés. Spontanément, sans qu'on puisse trouver dans les documents du temps la moindre trace d'une entente ou d'un mot d'ordre, ils firent entendre des cris de protestation. Pendant plusieurs mois, les journaux furent pleins de mandements épiscopaux dénonçant, les uns avec tristesse, les autres d'un ton presque comminatoire, l'attentat projeté contre la liberté de l'Eglise[177]. Devant cette manifestation unanime, le projet, mal soutenu par la gauche du parlement, qui le trouvait de son côté trop libéral envers les catholiques, fut retiré. Mais le mouvement d'opinion qu'il avait provoqué lui survécut. L'épiscopat s'était levé pour combattre ; il ne devait plus désarmer. Le groupe de laïques qui, depuis la défection de La Mennais, suivait le comte de Montalembert, et qui, avant la présentation du projet Villemain, avait consenti à négocier avec le gouvernement, prit désormais une attitude nettement militante. Pour se défendre, les ennemis de l'Eglise, les esprits jaloux de son influence, essayèrent de porter le débat sur la question des jésuites. Ce fut la lutte ouverte et déclarée. De 1841 à 1843, du côté des catholiques, on ne voit pas un plan de campagne bien arrêté. D'une part, l'évêque de Chartres, Mgr Clausel de Montais, publie des brochures violentes ; d'autre part, l'archevêque de Paris, Mgr Affre, envoie des mémoires au roi. Mais, en 1843, l'exemple du parti catholique en Belgique suggère aux catholiques français une méthode et un programme. Un voyage que fait en Belgique l'évêque de Langres, Mgr Parisis, lui fait comprendre le rôle que peut prendre l'Eglise dans les sociétés modernes[178]. De retour en France, il publie brochures sur brochures, avec un retentissement croissant. Rien ne semblait l'avoir préparé à une pareille attitude. Il avait blâmé l'apologétique de Lacordaire[179], et passait pour peu favorable aux idées nouvelles. Or, alors que Montalembert et les anciens rédacteurs de l'Avenir semblent hésiter, l'évêque de Langres précise le caractère que doit prendre la lutte contre l'Université, indique les procédés de polémique qui lui paraissent convenir aux temps actuels. Tout d'abord, il n'entend pas qu'on fasse dit grand débat qui vient de se soulever une misérable querelle entre le clergé et l'Université. On s'obstine, dit-il dès son premier écrit, à répéter que nous défendons la cause du clergé ; il faut bien faire voir que nous défendons la cause de tous[180]. Et, dans la défense de cette cause, il déclare opportun : 1° que l'épiscopat prenne part à une agitation publique et légale, 2° que les laïques y aient leur place et que le comte de Montalembert en soit l'âme et le centre[181]. A cet appel d'un de leurs collègues, les évêques s'ébranlent, le groupe des anciens rédacteurs de l'Avenir reprend confiance, et Montalembert publie sa fameuse brochure sur le Devoir des catholiques dans la question de la liberté d'enseignement. Sans doute, plusieurs formules de l'Avenir sont reprises, et la campagne nouvelle semble à quelques-uns n'être que le réveil de la campagne récemment condamnée. Mais un œil attentif y voit cependant deux notables différences. En premier lieu, la lutte porte sur une question précise, concrète, et non sur un remaniement complet des rapports de l'Eglise et de l'Etat, comme au temps de l'Avenir ; on propose une nouvelle tactique, on ne proclame pas de nouveaux principes. En second lieu, le mouvement se fait d'accord avec l'épiscopat, et Montalembert déclare ne vouloir rien tenter en dehors de son concours. L'union des catholiques se fit sur ce programme. Le Correspondant, qui avait cessé de paraître, fut réorganisé par quelques-uns de ses anciens rédacteurs, Carné, Cazalès, Champagny ; et l'Univers entra résolument en campagne[182]. Un nouveau rédacteur venait de lui arriver, ancien journaliste ministériel, converti de la veille au catholicisme, dont l'initiative et le talent s'imposèrent aussitôt à tous ses collaborateurs, et dont le nom devint bientôt inséparable du journal : Louis Veuillot. Il était né à Boynes en Gâtinais, d'un père bourguignon, ouvrier tonnelier, et d'une mère orléanaise. Ni l'un ni l'autre n'étaient chrétiens. L'enfant s'éleva, pour ainsi dire, tout seul, sans nulle éducation religieuse, à Boynes, d'abord, puis à Paris, où son père vint ouvrir, en 1820, un modeste débit de vins. Humble clerc d'avoué, il dévora des livres et composa des vers. Puis, brûlé du désir d'écrire, il accepta, après la Révolution de 1830, n'ayant pas encore vingt ans, le rôle de défendre par la plume la monarchie de Juillet. Au fond, il détestait ce régime bourgeois, jouisseur, pratiquement athée, qui donnait à l'ouvrier, ainsi qu'il l'a écrit plus tard, des maîtres pour lui vendre l'eau, le sel et l'air, pour lever la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils, mais qui ne lui offrait jamais un protecteur pour le défendre, un guide pour l'éclairer, pour prier avec lui, pour lui apprendre l'espérance[183]. Mais le journaliste avait bientôt rougi de son métier. Si mon père savait ce que je fais, ce que j'écris, s'écriait-il, il refuserait le pain dont je le nourris. Il fut sur le point de passer au socialisme. Il s'avisa, et devint chrétien. Au cours d'un voyage à Rome, qu'il fit en compagnie d'un ami catholique, il fut saisi par la beauté et par la vertu du catholicisme. Il en revint, suivant son expression, chrétien des pieds à la tête, décidé à combattre non seulement l'incrédulité manifeste, mais tout ce qui lui paraîtrait amoindrir ou fausser l'autorité de cette Eglise où il avait trouvé la paix de son âme, la satisfaction de toutes ses aspirations vers la justice. Son entrée en scène dans le journalisme donnait à la presse catholique ce qu'elle n'avait plus eu depuis l'Avenir : un polémiste alerte, vigoureux, tel qu'aucun journal n'en possédait à cette époque ; un écrivain-né, à la langue pleine de trait et de sel ; un satirique, habile à saisir, au besoin à créer les ridicules ; un batailleur courageux, se faisant détester, mais écouter[184]. De La Mennais il avait la verve outrancière, mordante, hautaine. Encore que je n'aime guère le temps où je vis, a-t-il écrit, je reconnais en moi plus d'un trait de son caractère, et notamment celui que je condamne le plus : je méprise[185]. Son bonheur sera de balafrer le plus avant possible la face insolente de l'impiété[186]. A son vif amour pour l'Eglise se mêlera toujours cette haine de la bourgeoisie riche, égoïste, qu'il' a. sentie, dans son enfance, si dure pour les siens ; et parfois l'on aura la surprise de le voir se rencontrer là-dessus avec les plus décidés révolutionnaires[187]. Mais une ardente piété et une obéissance sincère aux directions du Saint-Siège le préserveront des écueils où est venu sombrer La Mennais. Presque en même temps que Montalembert publiait son appel sur le Devoir des catholiques et Mgr Parisis sa première brochure, Louis Veuillot fit paraître sa Lettre à M. Villemain, pamphlet véhément, dont près de 15.000 exemplaires furent vendus en quelques semaines. Tous les groupes catholiques fraternisaient. Veuillot écrivait dans le Correspondant, et l'Univers ouvrait ses colonnes à Montalembert. L'archevêque de Paris et ses suffragants avaient envoyé au roi un mémoire confidentiel contre le monopole ; le rédacteur en chef de l'Univers s'en procura une copie, la publia et obtint ainsi une manifestation publique de cinquante-six évêques, qui adhérèrent au mémoire[188]. Les légitimistes venaient prendre place à côté des anciens rédacteurs de l'Avenir ; l'un des signataires des ordonnances de 1828, Vatimesnil, se rangeait à côté de Montalembert, et, tout en recevant le mot d'ordre d'un comité de laïques, les catholiques reconnaissaient Mgr Parisis, évêque d'Arras, comme le chef ecclésiastique de la campagne[189], comme son inspirateur doctrinal. Un second projet de loi, présenté par Villemain le 2 février 1844, ne fit que resserrer l'union. Par une misérable tactique, le gouvernement essaya d'obtenir l'adhésion ou du moins le silence de l'épiscopat en multipliant les bourses accordées aux petits séminaires, et d'adoucir l'opposition parlementaire en faisant confier le rapport de la loi devant les Pairs à un catholique notoire, le duc Victor de Broglie. La loi nouvelle, en proclamant la liberté ; organisait et perfectionnait le monopole ; elle admettait la fondation d'écoles libres, mais les soumettait à la surveillance, au contrôle et à la juridiction de l'Université dans les détails les plus minimes de leur fonctionnement. Louis Veuillot exprima le sentiment de tous les catholiques, en s'écriant : Pour l'amour de Dieu, soyons victimes, mais ne soyons pas dupes. La plupart des prélats, groupés autour de leurs métropolitains, envoyèrent des protestations. Pendant la discussion devant les Chambres, qui dura du 22 avril au 24 mai 1844, Montalembert soutint, contre Cousin, la cause de la liberté avec une éloquence qui fonda sa réputation d'orateur parlementaire[190]. Aussi, lorsque les catholiques, avec la haute approbation de l'évêque de Langres, décidèrent, aux premiers jours de 1845, de fonder un comité d'action, sous le titre de Comité pour la défense de la liberté religieuse, Montalembert en fut acclamé président. La vice-présidence fut confiée à un ancien membre du ministère Martignac, Vatimesnil, et à un membre catholique de l'Université, Charles Lenormant. Veuillot se fit le propagandiste du mouvement en allant fonder en province des comités destinés à soutenir l'Univers[191], et il répondit à Guizot, qui reprochait à Montalembert la prétention non justifiée de représenter l'Eglise : Oui, M. de Montalembert n'est que l'enfant de l'Eglise, mais il est l'enfant sur qui la mère s'appuie[192]. De leur côté, l'universitaire Lenormant et le libéral Champagny répondirent au garde des sceaux, qui avait mis en scène le parti catholique : Nous n'eussions pas proposé le mot ; mais si l'on nous le jette comme un reproche, nous l'acceptons[193]. C'était bien, de fait, un parti catholique qui s'organisait, sous la direction d'un chef laïque et avec l'approbation au moins tacite de la grande majorité de l'épiscopat. Mais, qu'on le remarque bien, ni les évêques ni les orateurs parlementaires et les journalistes qui le recommandaient, ne le considérèrent comme une institution permanente et normale. Montalembert, Veuillot, Parisis, ne le présentèrent alors que comme une tactique accidentelle, passagère, que la plupart d'entre eux abandonnèrent en 1848, quand ils se trouvèrent en face d'un grand parti conservateur, capable de défendre par lui-même, sans compromettre l'autorité de l'Eglise dans ses polémiques, la religion, la famille et la société. Il en était de même, au moins dans l'esprit de beaucoup, de la devise que tous adoptèrent à cette époque : la liberté comme en Belgique[194], c'est-à-dire la liberté de droit commun, la guerre contre tout monopole, fût-ce le monopole en faveur de l'Eglise catholique, lequel, déclarait Montalembert[195], serait le plus funeste cadeau qu'on pût lui faire. XVII Ce serait une erreur et une injustice que de voir dans tous ceux qui furent alors les défenseurs du monopole de l'Université, des sectaires acharnés à la destruction de l'Eglise. Ni Victor de Broglie, ni Guizot, ni Cousin, ni Villemain ne méritent une pareille qualification[196]. Mais derrière ces hommes il en était pour qui la lutte actuelle n'était qu'un épisode d'une guerre plus générale contre l'influence catholique, sous quelque forme qu'elle se produisit. Ceux-ci, sentant la partie momentanément perdue sur le terrain de la liberté d'enseignement, tentèrent d'ouvrir une brèche sur un point qu'ils jugèrent plus difficile à défendre. Les attaques se multiplièrent contre le prétendu envahissement des congrégations religieuses et leurs prétendus méfaits. On dénonça effrontément des captations, des vols, des crimes innommables. Puis, peu à peu, les accusations se concentrèrent contre les jésuites. Une violente contre-attaque, habilement conduite et vigoureusement menée, prit bientôt des proportions telles, que dans la presse, au parlement, dans les négociations diplomatiques, toutes les autres questions parurent reléguées au second plan, pour faire place à la question des jésuites[197]. Deux professeurs du Collège de France, Jules Michelet et Edgar Quinet, ouvrirent la lutte en 1843. L'un et l'autre s'étaient montrés jusque-là sympathiques au catholicisme ; ils en avaient du moins admiré avec émotion la poésie touchante et les bienfaits sociaux. Les choses les plus filiales qu'on ait dites sur notre vieille mère l'Eglise, disait Michelet en 1843, c'est moi qui les ai dites. Et Quinet se délectait à lire les Psaumes et l'Imitation de Jésus-Christ. Mais Michelet, âme sensible, impressionnable, mobile, sans habitudes religieuses, n'ayant été baptisé qu'à dix-huit ans, et sans convictions fermes, obéissant à toutes les suggestions de ses sympathies successives, souffrant des moindres blessures faites à sa susceptibilité douloureuse, était prêt à toutes les évolutions ; et Quinet avait toujours mêlé à sa vague religiosité apocalyptique et nuageuse, où la philosophie de Herder côtoyait le romantisme de Chateaubriand, des tendances nettement anticléricales et révolutionnaires. La volte-face des deux professeurs fut-elle due uniquement, comme on l'a dit, au désir de venger l'Université des injures violentes, excessives dirigées contre elle par l'écrit d'un jésuite[198] ? Doit-on y voir, en même temps, chez Quinet la satisfaction d'une haine longtemps contenue ; chez Michelet, le désir d'une bruyante popularité, comme revanche à des humiliations mondaines dont il avait beaucoup souffert ? Quoi qu'il en soit, les deux professeurs choisirent, pour sujet de leurs cours, en 1843, l'ultramontanisme et les jésuites. Michelet, s'appuyant sur les Monita secreta, qui sont l'œuvre d'un imposteur[199], sur les Exercices spirituels de saint Ignace et sur les Constitutions de la Société, dont il dénaturait la signification par des contre-sens manifestes[200], représentait la doctrine et l'œuvre des jésuites comme une doctrine et une œuvre de tyrannie et de corruption. La jeunesse des écoles, avide, de scandale, se pressa aux cours des deux maîtres, dont le talent était réel ; et quand Michelet, avec son éloquence fébrile, Quinet, de son ton de prophète, soulevaient les pires passions, des applaudissements tumultueux, des cris de haine répondaient à leurs suggestions malsaines. Le succès des professeurs tenta des journalistes. Un écrivain dépourvu de forte culture, peu soucieux du grand art, mais doué d'imagination, d'entrain, de verve gouailleuse, Eugène Sue, venait de publier, dans le ministériel Journal des Débats, sous le titre de Mystères de Paris, une description des bas-fonds de la capitale, dont Sainte-Beuve avait écrit[201] : L'inspiration essentielle des Mystères de Paris, c'est un fond de crapule. Le Constitutionnel lui offrit cent mille francs pour un feuilleton qui mettrait en scène les jésuites. Ce fut l'origine du roman le Juif errant, œuvré malsaine et calomnieuse, dont l'auteur lui-même a dit, dans ses Mémoires : Le désir de redonner de la popularité au Constitutionnel ne me rendit exigeant ni sur le sujet ni sur le but moral de l'ouvrage. Le nombre des abonnés du journal monta, en peu de temps, de 3.000 à 23.000. Les éditions illustrées de l'ouvrage se multiplièrent. Ballanche écrivait, le 26 novembre 1844, à Ampère : Toute la terre le dévore ; il voyage plus rapidement que le choléra. Mais les exagérations des calomniateurs nuisirent à leur cause. On s'aperçut que le roman-feuilleton d'Eugène Sue ne courtisait pas moins les passions antisociales que les passions antireligieuses. Michelet, en poursuivant ses attaques contre la Compagnie de Jésus, en était venu à prendre à partie le christianisme lui-même, l'opposant à la Révolution, comme la cité du mal en face de la cité du bien ; et Quinet était allé plus loin encore, décernant à la Révolution la papauté universelle et le gouvernement des âmes[202]. Si bien que la Revue des Deux Mondes, en rendant compte du livre des Jésuites, dans lequel les deux professeurs avaient réuni leurs leçons de 1843, écrivait : Le coup a porté, trop bien peut-être. Le public était prêt, à entendre une riposte des jésuites. Elle parut, grave, émue, venant d'un homme qui s'était acquis dans la chaire de Notre-Dame, à côté de Lacordaire, un renom d'éloquence, de sagesse et de sainteté. Sous ce titre : De l'existence et de l'institut des jésuites, le P. de Ravignan exposa, en un style digne, calme et fier, les constitutions, les doctrines, les œuvres de la Société dont il faisait partie. Le succès fut immense. Sainte-Beuve écrivit, dans la Revue Suisse, que l'ouvrage était digne d'une grande et sainte cause. Cependant le gouvernement se préoccupait de la violence des attaques dirigées contre les jésuites. Il craignit qu'on ne l'entraînât dans une de ces luttes religieuses qui, prenant l'allure d'une persécution des consciences, ne réussissent jamais aux pouvoirs qui les entreprennent. Guizot, du moins, vit cet écueil, et chercha à l'éviter en portant la question devant le pouvoir spirituel[203], c'est-à-dire devant le Saint-Siège. Il choisit pour négociateur un homme qui, dans la discussion de la loi sur l'enseignement à la Chambre des Pairs, avait pris adroitement position entre Montalembert et Cousin, Pellegrino Rossi, ce jurisconsulte que nous avons vu, en 1832, rédiger, en Suisse, une révision de la Constitution favorable au parti radical. Un tel choix ne pouvait plaire à Rome. Le parti politique de Rossi et son mariage avec une protestante étaient de nature à le rendre suspect au Saint-Siège. Mais le négociateur possédait à fond les qualités qui ont fait la renommée des diplomates de sa race : un jugement net et lucide, une rare souplesse dans les démarches, et, sous les formes d'une urbanité de manières parfois exubérantes, une persévérance impassible dans la poursuite de ses desseins. Dans le courant du mois de mars 1845, il vint à Rome. Il y subit, pendant deux mois, l'épreuve d'une froideur d'abord générale dans la cour pontificale, puis notablement atténuée, grâce aux relations amicales qu'il sut se conquérir parmi les prélats. Les vifs débats qui s'élevèrent, au début du mois de mai, dans la Chambre des députés sur les congrégations religieuses, l'ordre du jour, voté en masse par les représentants de la nation pour inviter le gouvernement à faire exécuter contre elles les lois de l'Etat, lui furent une occasion de faire entrevoir à Rome les grands périls de l'Eglise en France : la dissolution probable de toutes les congrégations, le peuple déjà trop excité contre les jésuites, renouvelant contre eux, avec une violence plus grande, ces émeutes qui avaient tant attristé la France catholique au lendemain de la révolution de Juillet, le roi Louis-Philippe personnellement bienveillant pour l'Eglise, mais constitutionnellement impuissant à réprimer un soulèvement de cette importance. Habilement, il insinua que, pour la paix de l'Eglise, il importait d'enlever tout prétexte d'agitation à un parti catholique tout prêt à compromettre le Saint-Siège, par ses violences, à troubler la hiérarchie par ses initiatives hardies ; car qu'était-ce que ce groupe militant de laïques, constitué en dehors de l'épiscopat et lui donnant son mot d'ordre, sinon une survivance de l'Avenir, la coda di La Mennais ? Bref, il était urgent de s'entendre sur quelque combinazione qui, sans donner raison aux détracteurs des jésuites et sans encourager leurs dangereux défenseurs, assurerait la paix de l'Eglise et de l'Etat. On ne pouvait exploiter les circonstances actuelles avec plus d'adresse. Mais, en discutant ces questions avec le cardinal Lambruschini, Rossi se trouvait en face d'un diplomate de sa taille. Le secrétaire d'Etat de Grégoire XVI ne jugea pas opportun d'opposer une fin de non-recevoir à la demande de Rossi. Il chercha seulement à réduire à un minimum, dans la combinazione projetée, les concessions du Saint-Siège. Rossi, qui avait primitivement demandé un ordre du pape expulsant les jésuites de France, finit par consentir à ce que ces religieux fussent priés de se mettre dans un état gai permît au gouvernement de ne pas les voir, par exemple, en abandonnant les grandes villes et les maisons nombreuses, pour se grouper en petites communautés ou s'installer en des localités peu importantes. De plus, le cardinal obtint que le pape n'interviendrait point officiellement dans cette mesure, qui serait prise par le Général même de la Société. En conséquence, le R. P. Roothaan, Général de l'Ordre, écrivit, le 14 juin 1845, aux Provinciaux de Paris et de Lyon, pour leur conseiller de procéder doucement et sans bruit à la diminution ou à la dissolution des maisons de Paris, de Lyon et d'Avignon. Un peu plus tard, il ajouta la maison de Saint-Acheul et les noviciats nombreux. Le gouvernement de Paris se félicita de ce résultat comme
d'un succès[204],
et envoya ses félicitations à Rossi. Mais en réalité la diplomatie
pontificale avait triomphé. La question des jésuites
disparaissait, sans que les jésuites disparussent eux-mêmes[205] ; et
Montalembert pouvait s'écrier, le 15 juillet 1845, à la Chambre des Pairs, en
s'adressant aux ministres : La question de
l'enseignement et celle de la liberté religieuse restent entières. Elles
couraient grand risque d'être absorbées toutes deux dans la question des
jésuites, et peut-être d'y périr. Vous les avez dégagées[206]. XVIII La lutte sur la question religieuse reprit en effet, mais moins ardente, moins âpre des deux côtés. De part et d'autre, l'idée d'un accord par des concessions mutuelles commençait à se faire jour. Le gouvernement ouvrait les yeux sur le péril socialiste. La période qui s'étend de 1840 à 1845 est celle où les propagateurs des utopies sociales commencent à. s'organiser en parti politique. Un écrivain moins original que Saint-Simon, Leroux et Fourier, mais plus combatif, plus sympathique aux masses populaires, Louis Blanc, fut le principal promoteur de cette évolution. On ne se trouvait plus en face de rêveurs, mais de tribuns ; d'une secte, mais d'une faction. En 1843, un nouvel organe socialiste, la Réforme, fondé par Ledru-Rollin et inspiré par Louis Blanc, propagea le mouvement. En 1845, nue pétition circula dans les ateliers de Paris, demandant une révolution politique comme condition de la révolution sociale. Le Journal des Débats commençait à s'alarmer. Guizot reconnaissait franchement que chaque entrave apportée à l'action religieuse était une force de plus donnée à la perversion socialiste et Louis-Philippe, éclairé par l'expérience, disait tristement à son premier ministre : Vous avez raison ; c'est au fond des esprits qu'il faut combattre l'esprit révolutionnaire[207]. Le nouveau ministre de l'instruction publique, qui venait de succéder à Villemain, le comte de Salvandy, s'inspira de ces sentiments. Au concours général de 1845, il protesta hautement contre l'impiété dans l'enseignement, qui serait, disait-il, un crime public. Eu cette même année, il empêcha la continuation du cours d'Edgar Quinet, et substitua hardiment, par une ordonnance du 7 décembre, au Conseil royal de l'Université, omnipotent à cause de son inamovibilité et fort hostile aux réclamations des catholiques, un Conseil de trente membres, renouvelable chaque année. De leur côté, les catholiques laissaient entendre qu'ils ne refuseraient pas une prudente transaction, Frédéric Ozanam se prononçait nettement en ce sens. Lacordaire lui-même conseillait de montrer moins d'acharnement contre l'Université, de se préoccuper des tièdes, des indifférents, des politiques et de la masse flottante[208]. Mais un des événements les plus importants de l'histoire religieuse de cette époque fut la publication, en 1845, d'un écrit intitulé De la pacification religieuse, et qui avait pour auteur le supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris, l'abbé Dupanloup. L'abbé Dupanloup, qui était déjà intervenu, l'année précédente, dans la polémique relative à la liberté d'enseignement, par la publication de deux Lettres à M. de Broglie, et, en 1848, par une brochure, Les Associations religieuses, véritable état de la question, était déjà connu comme prédicateur, comme catéchiste et comme éducateur. Né en Savoie, le 3 janvier 1802, abandonné par son père dès sa naissance[209], mais élevé chrétiennement par une mère pieuse, il avait, de bonne heure, senti l'appel au sacerdoce, et s'y était préparé par de fortes études et une intense formation religieuse au petit séminaire de Saint-Nicolas[210] et au grand séminaire de Saint-Sulpice. Nommé vicaire à la paroisse de la Madeleine au lendemain de son ordination sacerdotale, et chargé particulièrement des catéchismes, il s'y révéla, du premier coup, maître incomparable. On venait là, a-t-il dit lui-même, de toutes parts, des pays les plus lointains ; car les révolutions de 1830, 1831, 1832, avaient amené à Paris des enfants d'Italie, de Pologne, de Portugal, d'Allemagne, du Brésil. Des princesses appelées au trône y parurent. Il put un jour compter dans son auditoire trois reines. Pour être prêtre, devait-il écrire un jour, il faut être né grand, ou le devenir. Ce fils du peuple appelé à traiter avec des grands, honoré de l'amitié du duc de Rohan, chargé plus tard de donner l'instruction religieuse au duc de Bordeaux, puis au duc de Nemours et à la princesse Clémentine, se trouva sans peine, par sa haute culture et par l'élévation de son âme, au niveau des plus nobles esprits. Aucun compliment ne lui alla sans doute plus au cœur que celui que lui adressa Royer-Collard en le rencontrant auprès du lit de mort du prince de Talleyrand : Monsieur, vous êtes un prêtre ! Prêtre, Dupanloup le fut avant tout lorsque, en 1834, l'archevêque de Paris le chargea de la direction des études au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Ceux-là seuls qui ont connu Saint-Nicolas du Chardonnet pendant ces années brillantes (de 1834 à 1845), a écrit Ernest Renan[211], peuvent se faire une idée de la vie intense qui s'y développait. Et cette vie n'avait qu'une seule source, qu'un seul principe, M. Dupanloup lui-même. Il suppléait à tout. L'écrivain, l'orateur, chez lui, étaient de second ordre ; l'éducateur était tout à fait sans égal. Dans son livre sur la Pacification religieuse,
l'abbé Dupanloup abordait pour la première fois la politique religieuse
générale. Il s'y montra, dans ses idées comme dans son style, tel qu'il
devait être jusqu'à la fin de sa vie : défenseur ardent de l'Eglise vis-à-vis
de la société moderne, au point d'être traité par les libres penseurs de farouche réactionnaire, et défenseur de la société
moderne vis-à-vis de l'Eglise, au point d'encourir et parfois de mériter
l'épithète de libéral et de gallican ; dans l'un et dans l'autre cas, lutteur
obstiné, infatigable polémiste ; prêchant la pacification et la conciliation
avec une vivacité sans pareille ; d'une vie surnaturelle intense, dont ses
écrits intimes ont révélé la profondeur et la solidité, mais qui ne supprima
jamais l'impétuosité naturelle de son tempérament ; charbon
ardent, a-t-on dit, sur lequel soufflaient
tour à tour la grâce et la nature[212]. La paix, disait-il, c'est
le vœu de notre cœur ; mais la paix que nous voulons, c'est la paix dans la
liberté, la paix dans la justice. Toute autre paix serait la honte. Nous
pouvons être humbles ; nous ne devons pas être vils. N'y aura-t-il donc pas en France, ajoutait-il, un homme d'Etat qui veuille attacher son nom à un nouveau
et glorieux concordat ? Et, pour la conclusion de ce concordat, il
indiquait les dispositions que, pour son compte, il professait à l'égard de
la société moderne : Nous acceptons, nous invoquons
les principes et les libertés proclamés en 1789... Vous avez fait la Révolution de 89 sans nous et contre
nous, mais pour nous, Dieu le voulant ainsi malgré vous. L'auteur de
la Pacification religieuse n'était pas d'ailleurs, sur ce point, démenti
par le rédacteur en chef de l'Univers. Nous
l'avons dit et nous le répétons, s'écriait Louis Veuillot, une ère nouvelle commence, fruit des longues révolutions
qui nous ont agités. La démocratie s'élève, et l'Eglise est là comme une mère
auprès du berceau... Citoyen au même titre et
avec les mêmes attributions que l'impie, que le chrétien soit en toute
rencontre l'apôtre et le défenseur de sa croyance, comme celui-ci est
l'avocat et le serviteur de son incrédulité. Cet usage si noble et si nouveau
du droit politique suffit en quelque sorte à conjurer tous les périls[213]. Aux élections
de 1846, les catholiques se placèrent sur le terrain de la liberté pour tous. Pratiquement, le comité électoral pour la défense de la liberté religieuse,
déclara que, la liberté religieuse étant pour les
catholiques d'un intérêt supérieur à tout autre, on ne devait exclure aucun
candidat qui s'engagerait à défendre cette liberté consacrée par la Charte de
1830[214].
Le mot d'ordre fut suivi, et les élections envoyèrent siéger au parlement
cent quarante-six candidats recommandés par le comité présidé par
Montalembert. Ce n'était pas encore une majorité. D'ailleurs, parmi les
promesses des candidats, plusieurs paraissaient d'une sincérité ou d'une
solidité douteuses. Mais c'était un succès considérable, dû à l'union, et à
l'opportunité d'une tactique qui, sans rien préjuger des principes, avait
rendu la cause catholique plus populaire. Malheureusement les formules
employées pour recommander cette tactique avaient un sens trop équivoque, et
devaient susciter bientôt des polémiques très vives entre ceux qui les
avaient unanimement proclamées. XIX Le pape Grégoire XVI avait suivi d'un œil paternel toutes ces luttes. Il s'était réjoui de voir les évêques de France reprendre le chemin de Rome, soit pour y rendre compte de leur administration spirituelle, suivant la promesse faite à leur sacre, soit pour y prendre les directions du Saint-Siège dans les situations difficiles, soit même par le seul motif de montrer leur union à la chaire de saint Pierre ; et il avait su gré au gouvernement français de n'avoir mis aucune entrave à ces manifestations de fidélité. En recevant plusieurs de ces prélats, il leur avait dit combien il se sentait heureux de se trouver entouré des évêques, ses appuis et ses remparts. Le mouvement vers l'unité liturgique était apparu à Grégoire XVI comme un gage de cette unité hiérarchique que Jésus-Christ a établie dans son Eglise. Il avait loué l'évêque de Langres, Mgr Parisis, d'avoir ramené tout son clergé à la pratique universelle de l'Eglise. Comprenant cependant qu'une exagération dans ce sens, ou du moins qu'une trop grande précipitation dans l'exécution des réformes projetées pourrait avoir ses dangers, il avait déclaré à l'archevêque de Reims que, pour éviter de graves dissensions, il croyait devoir, pour le présent, s'abstenir de traiter la chose avec étendue, et même de donner des réponses détaillées aux questions proposées[215]. Grégoire XVI s'était réjoui du merveilleux développement
des œuvres charitables dans notre pays sous son pontificat : charité nouvelle, a-t-on dit, charité privée au lieu de la charité officielle et publique
; charité organisée, au lieu de la charité éparse et spontanée ; charité
fraternelle, faite au peuple par le peuple, faite au pauvre par le riche
devenu peuple aujourd'hui[216]. La Société de
Saint-Vincent-de-Paul, avec toutes les œuvres qui dépendaient d'elle, et
l'Œuvre de la Propagation de la foi, avaient été les principales manifestations
de cette charité. Mais le cœur du pontife avait été particulièrement touché
en constatant que les œuvres charitables s'étaient développées en France en
dépendance de l'esprit de prière et de sacrifice. Pour assister les pauvres,
pour soigner les malades, pour élever les enfants, pour secourir les
vieillards, des associations, des confréries, des congrégations religieuses
s'étaient fondées[217]. Parmi ces
œuvres, il en était une qui semblait spécialement marquée d'un sceau divin :
la congrégation des Petites-Sœurs des Pauvres. L'extraordinaire
et surnaturelle singularité de cette œuvre avait été celle d'une charité se
faisant non seulement servante, mais mendiante pour les pauvres ; cette
sublimité hardie de confiance en Dieu, s'interdisant de rien posséder :
aucune fondation ni dotation ; tout au hasard d'une charité précaire, sans
autre garantie qu'une parole d'Evangile[218]. Et la
Providence avait béni cette sublime hardiesse. En 1841, dans une petite ville
de Bretagne, Saint-Servan, une ancienne servante, Jeanne Jugan, secondée par
trois pauvres ouvrières et dirigée par un humble vicaire, l'abbé Lepailleur,
avait voué sa vie au service des vieillards pauvres et infirmes et fondé
l'institut, qui devait, en 1900, compter de 3.000 à 4.000 religieuses, réparties
en 250 à 260 maisons éparses sur le globe. Grégoire XVI se réjouissait aussi de voir fleurir sur le sol de la France les œuvres de piété, et en particulier les œuvres de dévotion envers la Vierge Marie. Il vit naître à Paris et se répandre de là sur l'univers entier cette association de prières, placée sous les auspices et le vocable du très saint et immaculé Cœur de Marie dont les progrès rapides et les innombrables bienfaits ne furent pas moins merveilleux que ceux de l'institut des Petites-Sœurs des Pauvres. Le 27 septembre 1830, une pieuse Fille de la Charité, Catherine Labouré, avait été favorisée d'une apparition de la Sainte Vierge, environnée de rayons, les pieds sur une moitié du globe, et entourée d'une invocation en lettres d'or : Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ; et une voix mystérieuse lui avait demandé de faire frapper une médaille sur ce modèle. Après de longues enquêtes, l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, avait accepté que l'on frappât la médaille selon le modèle indiqué. Cette médaille, par la prière qu'elle provoquait, par la dévotion à la Vierge Marie, qu'elle éveillait dans les âmes, avait opéré des prodiges de conversion. Un prêtre zélé de Paris, l'abbé Dufriche-Desgenettes, curé de Notre-Dame-des-Victoires[219], ayant donné la précieuse médaille comme symbole à une association de prières fondée pour la conversion des pécheurs, avait vu, en peu de temps, sa paroisse renouvelée au point de vue religieux. Le 24 avril 1838, le souverain pontife érigea la pieuse association :en archiconfrérie, et lui permit de s'affilier des associations semblables dans toute l'Eglise. A partir de ce jour, l'archiconfrérie prit des développements prodigieux et devint une source intarissable de grâces[220]. Le 14 février 1841, le P. Lacordaire, inaugurant dans la chaire de Notre-Dame l'habit des Frères Prêcheurs, salua comme une gloire et une espérance nationale le rendez-vous des âmes de cent pays[221] à cette église de Notre-Dame-des-Victoires, dont le nom seul était un présage de salut. Grégoire XVI, personnellement très versé dans les sciences ecclésiastiques, avait été également très heureux de constater comment les études philosophiques, théologiques et historiques n'avaient pas cessé d'être cultivées avec succès, malgré les agitations de ce temps. Il en avait, en 1840, témoigné sa haute satisfaction au fondateur des Annales de philosophie chrétienne[222]. De ce mouvement scientifique parmi les catholiques, les Annales de philosophie chrétienne elles-mêmes, fondées en juillet 1830 par un membre de la Société Asiatique, Augustin Bonnetty, étaient une importante manifestation. Elles avaient pour but, dans le principe, de faire connaître tout ce que les sciences humaines, en particulier l'histoire, les antiquités, l'astronomie, la géologie, l'histoire naturelle, la jurisprudence, etc., renferment de preuves et de découvertes en faveur du christianisme. Nous avons eu l'occasion de signaler les œuvres de Gerbet, de Rohrbacher, de Guéranger, de Frayssinous, de Lacordaire, de La Mennais. Un ancien sectateur passionné de l'Avenir, l'abbé Maret, avait combattu avec vigueur, en 1839, dans son Essai sur le panthéisme, la philosophie séparée des éclectiques de l'école de Cousin et les doctrines socialistes de l'école de Saint Simon et de Leroux, où il découvrait la même source d'erreurs, un panthéisme avoué ou déguisé. L'abbé Gousset, vicaire général du diocèse de Besançon, avait lancé, en 1832, contre les survivants du jansénisme, sa Justification de la théologie morale du Bienheureux Alphonse de Liguori, et publié en 1844, après sa promotion à l'archevêché de Reims, sa Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs, ouvrage clair et solide, qui obtint le plus grand et le plus légitime succès. Les luttes poursuivies par les catholiques pour l'enseignement primaire et secondaire ne les avaient pas détournés de l'enseignement supérieur, En 1845, Mgr Affre avait fondé à Paris l'Ecole des Carmes, destinée, disait-il, à former des écrivains capables de composer de solides écrits en faveur de la religion. Les étudiants s'y préparaient à la licence et au doctorat, soit pour les lettres, soit pour les sciences. En 1848, l'Ecole des Carmes avait fait recevoir douze licenciés. En 1850, elle fit recevoir son premier docteur, l'abbé Lavigerie, depuis cardinal. Pour l'enseignement des grands séminaires, Joseph Carrière, directeur au séminaire de Saint-Sulpice, publiait, de 1837 à 1846, ses Prælectiones theologicæ majores en huit volumes in-12, dont les éditions se multiplièrent et contribuèrent au relèvement des études théologiques parmi le clergé[223]. Mais nulle publication ne contribua plus efficacement au progrès des hautes études ecclésiastiques que celle des deux Patrologies de Migne. Vers 1840, on apprit tout d'un coup qu'un prêtre auvergnat, l'abbé Migne, se proposait de publier une édition nouvelle et commode de la patrologie tout entière, celle des Grecs et celle des Latins. C'était une colossale entreprise. Sans être lui-même un théologien de profession, l'abbé Migne était doué d'un sens théologique remarquable. Son projet rencontra des difficultés de toute sorte ; mais, à force de ténacité et de savoir-faire, il en triompha. Les deux patrologies furent éditées, l'une après l'autre, à partir de 1844, et accueillies avec reconnaissance par les savants qui s'occupaient de l'ancienne littérature chrétienne[224]. Les erreurs théologiques de ce temps, par les discussions qu'elles soulevèrent et par les travaux qu'elles provoquèrent, contribuèrent elles-mêmes au progrès des sciences religieuses. Parmi ces erreurs, nous devons signaler la plus notable et la plus répandue : le traditionalisme. Le traditionalisme fut une réaction exagérée contre le rationalisme du dix-huitième siècle et les excès honteux de la Révolution. La philosophie du XVIIIe siècle avait attaqué la révélation et la tradition. La Révolution avait voulu justifier son esprit de révolte par la raison humaine, qu'elle avait essayé de déifier en 1793. Il parut opportun à certains catholiques d'abattre de son piédestal cette prétendue divinité. On crut saper le rationalisme par sa base en montrant que la raison individuelle est impuissante à démontrer les vérités religieuses et morales ; que celles-ci sont le patrimoine de l'humanité, qui les tient de la révélation divine et les transmet par la tradition. Le mouvement traditionaliste eut deux principaux centres de propagande : les Annales de philosophie chrétienne et le groupe des disciples qui se rangèrent autour d'un ancien professeur de philosophie de la Faculté de Strasbourg, converti au catholicisme et devenu prêtre, l'abbé Bautain. Poussé à ses extrêmes conséquences, le traditionalisme encourait un double reproche : 1° en posant sur un même plan et en confondant dans une même démonstration les vérités qui sont du domaine de la raison et celles qui sont du domaine de la foi, il confondait l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, et conduisait à les absorber l'un dans l'autre ; 2° en proclamant l'impuissance radicale de la raison individuelle à trouver la vérité, il s'interdisait de la constater dans la raison universelle, collection des raisons individuelles. Aussi l'abbé Bautain fut-il obligé de souscrire, en 1840, par ordre de Grégoire XVI, six propositions, par lesquelles il reconnaissait la puissance de la raison humaine à prouver avec certitude l'existence de Dieu, la vérité de la révélation, l'authenticité du Nouveau Testament, etc.[225] Les partisans du traditionalisme se soumirent humblement. Il leur resta le mérite d'avoir mis en lumière certaines notions traitées par les héritiers de Descartes avec trop de dédain, d'avoir remis en honneur les idées de tradition et d'autorité, et d'avoir, en recherchant les débris de la révélation primitive dans l'histoire des peuples anciens, produit des travaux remarquables, qui font d'eux les précurseurs de l'histoire des religions. Une réaction outrée contre le gallicanisme parvenait, en même temps, après avoir vivement agité l'Eglise de France, à fixer, par un examen plus attentif et par une décision suprême du Saint-Siège, des points de discipline contestés. Deux prêtres du diocèse de Viviers, les, frères Allignol, ecclésiastiques de mœurs irréprochables, mais chez qui on pouvait relever certains manquements à la discipline de la résidence et une fâcheuse irritabilité de caractère, s'étaient crus les victimes de préventions injustes de la part de l'administration épiscopale, et avaient, pour se défendre, publié, en 1839, une brochure intitulée : De l'état actuel du clergé en France. Dans cette brochure, les deux frères, collaborateurs comme l'avaient été, en vue de publications analogues, les frères La Mennais, prétendaient défendre contre la discipline moderne, acceptée par l'épiscopat français et inspirée par le gallicanisme, l'ancienne discipline de l'Eglise romaine, seule conforme aux prescriptions du droit canonique. Suivant eux, le ministère des curés était d'institution divine, et leur inamovibilité était une conséquence nécessaire de cette institution. L'évêque, d'ailleurs, n'avait pas le droit d'administrer seul un diocèse, mais seulement avec le concours de ses prêtres réunis en synode. Bref, au nom des curés de campagne, révocables au gré de l'évêque et dépourvus de tout prestige aux yeux des peuples, comme au nom du vieux droit ecclésiastique méprisé par l'épiscopat, les deux auteurs demandaient que le clergé fût émancipé du despotisme des évêques. Le livre fit grand bruit. Des prêtres pieusement attachés â l'Eglise, tout en regrettant les excès de langage et de doctrine de cette publication, ne furent pas fâchés de voir l'esprit gallican battu en brèche. D'autres, aigris, mécontents, se réjouirent de voir, comme dit quelque part Bossuet en parlant de Luther, leurs fureurs mises en thèses. D'autres enfin s'indignèrent d'une agression injuste, qu'ils voyaient dirigée contre leur respectable évêque, Mgr Bonnel. Le clergé du diocèse de Viviers fut divisé en deux camps ; et la lutte semblait atteindre à son paroxysme quand, Mgr Bonnel étant mort, sa succession fut donnée à un jeune religieux oblat, originaire du diocèse d'Aix, l'abbé Guibert. Le nouveau prélat, nommé le 30 juillet 1841 et sacré le 11 mars 1842, arrivait avec la réputation justifiée d'un esprit mûr, d'un jugement droit et sûr, d'une piété solide, d'un talent d'administrateur dont il avait donné des preuves comme supérieur du grand séminaire et vicaire général d'Ajaccio. Il manifesta aussitôt la ferme résolution de tout faire pour apaiser le conflit. Malheureusement la querelle prit bientôt des proportions imprévues. La presse parisienne s'y intéressa. Un prêtre aveyronnais, l'abbé Clavel, qui rédigeait à Paris le Bien social, journal du clergé secondaire, dans lequel, sous le couvert d'un ultramontanisme ardent, il plaidait pour ses rancunes personnelles, prit vivement fait et cause pour les frères Allignol. L'abbé Aligne, dans la Voix de la Vérité, et l'abbé de Genoude[226], dans la Gazette de France, prirent occasion du différend pour attaquer en bloc le corps épiscopal, dirigé par l'Univers, disait la Gazette de France, et régenté par les jésuites. Le marquis de Régnon, dans la Liberté, s'en prenait directement à l'évêque de Viviers. Les frères Allignol, de leur côté, grisés par le bruit fait autour d'eux, prenaient une attitude arrogante, se vantaient d'être appuyés à Rome par le Saint Père lui-même. Mgr Guibert pensa que le moment était venu d'agir avec fermeté. Le 6 janvier 1845, il publia sa Lettre pastorale sur les tendances dangereuses d'un parti qui se forme dans l'Eglise en France contre l'autorité épiscopale. — Oui, disait-il, nous ne pouvons nous y tromper, on veut émanciper les prêtres de ce que l'on ose appeler le despotisme des évêques. Il y a, dans ce seul langage, toute une révolte contre l'autorité de l'Eglise... Le souverain pontife n'ignore rien de ce qui se passe dans notre pays ; il sait qu'au moindre signe il serait fidèlement obéi ; cependant il n'impose aucun changement dans l'état actuel des choses. Bien plus, pour répondre aux fausses allégations des frères Allignol, le prélat communiquait à son clergé et à ses fidèles une lettre du cardinal Lambruschini, secrétaire d'Etat, l'assurant que les assertions des deux prêtres réfractaires, loin d'avoir aucune ombre de vérité, étaient entièrement fausses. Les frères Allignol, pressés par les instances de deux saints évêques, Mgr de Mazenod, évêque de Marseille, et Mgr Devie, évêque de Belley, se soumirent, et le pape Grégoire XVI, par un Bref du 26 novembre 1845, félicita hautement l'évêque de Viviers d'avoir, par sa prudence, apaisé la querelle, en écartant des débats la question de l'inamovibilité des desservants, sur laquelle Sa Sainteté désirait qu'on fit silence. Une fois de plus, la sagesse de Grégoire XVI, trop souvent représenté comme un ami des partis extrêmes, faisait triompher l'opinion modérée. Entre les excès du cartésianisme et ceux du traditionalisme, il avait recommandé, en philosophie et en apologétique, une méthode où la raison individuelle et la tradition se trouvaient harmonieusement combinées ; entre les prétentions du gallicanisme, qui tendait à exagérer les droits épiscopaux, et celles d'un ultramontanisme exalté, qui voulait les amoindrir outre mesure, il se prononçait pour le régime tempéré que les évêques de France, au lendemain de la Révolution, avaient cru devoir adopter, au moins provisoirement, pour la bonne administration de leurs diocèses et pour le bien des âmes[227]. |
[1] A. LANGLOIS, O'Connell d'après sa correspondance, dans le Correspondant du 25 janvier 1889, t. CLIV, p. 217.
[2] Sur ces engagements, voir LANGLOIS, O'Connell d'après sa correspondance, dans le Correspondant du 25 janvier 1889, t. CLIV, p. 257.
[3] GONDON, l'Agitation irlandaise depuis 1829, p. 83.
[4] Voir ce discours dans MARCEL, Chefs d'œuvre de l'éloquence française et de la tribune anglaise, 3 vol. in-8°, Paris, 1844, t. III, p. 562-572.
[5] LANGLOIS, O'Connell d'après sa correspondance, dans le Correspondant du 25 janvier 1889, t. CLIV, p. 265.
[6] LACORDAIRE, Eloge funèbre d'O'Connell, dans ses Œuvres, édit. Poussielgue, t. VIII, p. 190.
[7] LACORDAIRE, Eloge funèbre d'O'Connell, dans ses Œuvres, t. VIII, p. 191.
[8] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 49-50.
[9] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 67.
[10] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 71-72.
[11] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 82.
[12] NEWMAN, Lett. and Corr., t. II, p.
92.
[13] NEWMAN, Lett. and Corr., t. I, p.
490.
[14] CHURCH, The Oxford Movement, p.
136.
[15] Il devait être suivi de onze autres volumes.
[16] Quand on demandait à Gladstone, sur la fin de sa vie, quels avaient été, de son temps, les premiers prosateurs anglais, il désignait Newman et Ruskin.
[17] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p, 120.
[18] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 129-130.
[19] Abbé de MADAUNE, Ignace Spencer et la renaissance catholicisme en Angleterre, un vol. in-8°, Paris, 1875, p. 155 et s.
[20] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 58-133.
[21] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 138.
[22] Wilfrid WARD, le cardinal Wiseman, sa vie et son temps, trad. CARDON, 2 vol. in-12, Paris, 1900.
[23] NEWMAN, Hist. de mes opinions religieuses, trad. du Pré de Saint-Maur, un vol. in-12, Paris, 1866, p. 182-183.
[24]
NEWMAN, Hist.
du développement de la doctrine chrétienne, trad. GONDON, un vol. in-8°, Paris, 1849.
[25] GLADSTONE, Life of Bishops Wilberforce,
t. I, p. 328, lettre du 10 décembre 1845.
[26] LEECKY, History of Rationalism, t. I, p. 159, cité par W. WARD, le cardinal Wiseman, trad. CARDON, t. I, p. 458.
[27] Cité par GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 220.
[28]
G. GOYAU, l'Allemagne
religieuse, le catholicisme, t. II. p. 130-131. On trouve un exposé des
idées religieuses de Bunsen dans son livre Dieu dans l'histoire, trad. H. MARTIN, un vol. in-12, Paris, 1867.
[29] NIPPOLD, Bunsen,
t. I, p. 165.
[30] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 163.
[31] Voir l'opinion de Ranke dans J. BAINVILLE, Hist. de deux peuples, un vol. in-12, Paris, 1915, p. 220-221.
[32] Les loges jugèrent que la Prusse était, de tous les Etats de l'Europe, le plus capable de réaliser leur œuvre (DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 400. Voir tout le ch. XI, la Prusse et l'empire maçonnique).
[33] SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, p. 369.
[34] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 12. Cf. Ibid., p. 142-145. Pour plus de développements sur la doctrine d'Hermès, voir GOYAU, op. cit., p. 2-12, 142 146, 166-169 ; KLEUTGEN, la Philosophie scolastique, t. I, p. 432 et s. ; l'article Hermès dans le Kirchenlexikon, t. V, p. 1875-1899.
[35] DENZINGER-BANNWART, n. 1618-1621.
[36] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 168.
[37] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 171-172.
[38] Cité par GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 173.
[39] BERNASCONI, t. II, p. 237-238.
[40] MONTALEMBERT, Œuvres, t. III, p. 252, 254, 255.
[41] GŒRRES, Athanase, trad. française, p. 113.
[42] RAME, Zur Geschichte Deutschlands und
Frankreichs im neunzihnten Iahrhundert, Leipzig, 1887, p. 366-367.
[43] METTERNICH, Mémoires, t. VI, p. 274.
[44] LECANUET, Montalembert, t. II, p. 36.
[45] Pour plus de détails, voir HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, t. III, 1re partie, ch. XI, § 7.
[46] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 253-259.
[47] SAINT-RENÉ-TAILLANDIER, Histoire de la jeune Allemagne, un vol. in-8°, Paris, 1848, p. 60.
[48] EICHENDORFF, cité par KEITER, Joseph von Eichendorff, p. 94.
[49] Lennig, au congrès catholique de Mayence, en 1848.
[50] Déjà, en 1832, la grande littérature catholique s'était enrichie de la Symbolique de Mœchler, œuvre capitale, qui mettait en regard, pour en faire une antithèse vivante, la logique catholique et la logique protestante. Tout le plan de cet ouvrage puissamment construit, se trouvait dans cette phrase de son auteur : Pourquoi l'Eglise catholique conçoit la justification comme elle la conçoit, et ne peut pas la concevoir autrement, et pourquoi, inversement, l'Église protestante doit concevoir la justification comme elle la conçoit, c'est là ce que personne ne pénètre, faute de comprendre l'enchaînement organique de toutes les doctrines.
[51] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, p. 223-224.
[52] MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 293, 404.
[53] La portée de la lutte des catholiques pour la liberté de l'enseignement lui échappa toujours. Il ne comprit jamais les convictions religieuses de Montalembert, luttant à la Chambre pour défendre sa foi. Il avait coutume de demander quand M, de Montalembert entrerait dans les ordres. Il appellera la discussion sur la liberté d'enseignement une querelle de cuistres et de bedeaux.
[54] Louis-Philippe assistait chaque dimanche à la messe dans une chapelle, mais sans bruit et sans cérémonie.
[55] F. BRUNETIÈRE, Manuel de l'hist. de la littérature française, p. 454 et s.
[56] LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édit, p. 955.
[57] LANSON, Hist. de la littérature française, p. 954.
[58] Sous le simple titre de chansonnier, un homme est devenu un des plus grands poètes que la France ait produits : avec un génie qui tient de La Fontaine et d'Horace, il a chanté lorsqu'il l'a voulu, comme Tacite écrivait. (CHATEAUBRIAND, Eudes historiques, Ire édition, préface, p. 20).
[59] SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, nouvelle édit., Paris, 1855, t. I, p. 93.
[60] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 250.
[61] LANSON, Hist. de la littérature française, p 955.
[62] Voir Œuvres de Saint-Simon et d'Enfantin, t, III, p. 176 et passim.
[63] CARTIER, Vie du R. P. Besson.
[64] CLAIR, Vie du P. Olivaint.
[65] Sur Buchez, voir CALIPPE, Attitude sociale des catholiques au XIXe siècle, un vol. Paris, 1911, p. 137-191.
[66] SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, p. 686-687.
[67] Ces qualités en font la source la plus précieuse que l'on puisse consulter sur l'histoire religieuse pendant la première moitié du XIXe siècle. L'Ami de la religion et du roi supprima, après la révolution de Juillet, une partie de son titre, et devint l'Ami de la religion. Il parut alors trois fois par semaine, au lieu de deux fois. Voir LEDOS, à l'article Ami de la religion, dans le Dict. d'hist. ecclés., t. II, col. 1225.
[68] Le Correspondant ne parut sous forme de Revue qu'à partir de 1843.
[69] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 286.
[70] Il faut avoir vécu comme moi dans une longue intimité avec M. de Lamennais, écrit M. Benoît-Champy, pour comprendre ce caractère étrange... Une crédulité naïve s'y mêlait à un entêtement opiniâtre. Brisant le soir l'idole qu'il avait adorée le matin, logicien rigoureux jusqu'aux dernières limites, c'est-à-dire jusqu'à des conséquences absurdes, il devait être ce qu'il a été, ultramontain et révolutionnaire : malgré ses contradictions perpétuelles, se croyant ou du moins s'efforçant de se croire l'homme le plus logique et le moins versatile ; cherchant toujours sa voie, croyant toujours l'avoir trouvée en changeant sans cesse... A cette intelligence aussi vaste qu'impressionnable, la religion, c'est-à-dire la foi, la soumission à la règle étaient absolument nécessaires, parce qu'elles seules pouvaient lui donner le calme et la sérénité. (BENOÎT-CHAMPY, Quelques souvenirs sur la mort de M. de Lamennais, note manuscrite inédite, communiquée par M. l'abbé Clair, curé de Saint-Ferdinand des Ternes à Paris.) M. Benoit-Champy, l'un des exécuteurs testamentaires choisis par Lamennais, est, par les relations de parenté et d'intimité qui l'unirent à l'infortuné écrivain jusqu'au moment de sa mort, un des témoins les plus autorisés de sa vie et de ses pensées. Les ligues que nous venons de citer nous semblent donner la clé de bien des problèmes dans l'existence si agitée de Lamennais.
[71] Avenir du 21 février 1831.
[72] Georges WEILL, Hist. du catholicisme libéral en France, un vol. in-12, Paris, 1909, p. 40.
[73] Avenir du 10 janvier 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 107-108. Sous le titre de Mélanges catholiques extraits de l'Avenir, l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse publia, en 1831, en deux vol. in-8°, le recueil des principaux articles parus dans l'Avenir. Ce recueil est devenu très rare.
[74] Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 85.
[75] Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 85.
[76] Avenir du 18 octobre 1830. Cf. LAMENNAIS, Articles publiés dans le Mémorial catholique et l'Avenir, un vol. in-8°, Paris, 1836-1837, p. 156 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 150.
[77] Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges, t. I, p. 82. Cf. Avenir des 28 et 29 juin 1830 ; Mélanges, p. 53-74.
[78] Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 75-95.
[79] Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 78.
[80] L'Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 79.
[81] L'Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 81.
[82] L'Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 85.
[83] L'Avenir du 30 juin 1831 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 53-75 ; Avenir des 28 et 29 juin 1831.
[84] Avenir du 18 octobre 1.830 ; Mélanges catholiques, t. I, p. 145.
[85] BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 189-215.
[86] BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 215.
[87] Avenir du 18 février 1831.
[88] Le chanoine Sibour, futur archevêque de Paris, écrivait de Nîmes à La Mennais, à la date du 13 novembre 1831 : J'ai besoin d'épancher mon cœur auprès de vous. Les plus pures intentions sont méconnues. Les calomnies s'accumulent. Un évêque écrit à un de ses prêtres : Je sais que vous êtes de cette secte de presbytériens, qui ne veut plus de hiérarchie... Il n'y a qu'à voir les armes dont (vos adversaires) se servent : les intrigues, les insinuations, les outrages, la calomnie. (Lettre inédite, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice). Cf. BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 244-248.
[89] A. ROUSSEL, Correspondance inédite de Lamennais et de l'abbé Guéranger (1820-1832), brochure de 28 pages in-12, Lyon, 1905, p. 10-21. Cette correspondance a été reproduite par A. Roussel dans son ouvrage Lamennais et ses correspondants inconnus, un vol. in-18, Paris, 1912, p. 189-231. L'abbé Prosper Guéranger avait été un des hôtes de la Chênaie et collaborait à l'Avenir. L'auteur de Dom Guéranger, abbé de Solesmes, 2 vol. in-8°, Paris, 1909, dit justement que l'abbé Guéranger en s'attachant à La Mennais, vit surtout en lui le chef incontesté et vénéré de l'école ultramontaine, t. I, p. 44 ; mais il est moins exact en affirmant qu'il était fort éloigné d'épouser son système philosophique (loc. cit.). A la date de 15 mars 1830, Prosper Guéranger écrivait à La Mennais : La guerre contre le sens commun (c'est-à-dire contre le système philosophique de l'Essai sur l'indifférence) et ses conséquences est toujours flagrante à Saint-Sulpice. M. Carrière vient de mettre la dernière main à son in-folio de l'année dernière... Du reste, c'est le plus loyal de vos adversaires. Il vous a lu et relu ; il vous sait même par cœur. Seulement, il ne vous entend pas, et tout fait craindre qu'il ne vous entende jamais. (ROUSSEL, op. cit., p 14). L'abbé Rohrbacher, autre collaborateur de l'Avenir, attiré vers La Mennais, comme l'abbé Guéranger, par le désir de défendre les doctrines ultramontaines et de combattre le gallicanisme, avait aussi adhéré aux doctrines philosophiques du maitre. Il a raconté dans la préface de la seconde édition de son Histoire de l'Eglise, comment en 1828, il s'en détacha (ROHRBACHER, Hist. universelle de l'Eglise catholique, 7e édition, Paris, Gaume, p. XIV). Des jésuites, entre autres le P. Brzozowski, assistant du Général, avaient aussi été attirés vers les doctrines de La Mennais par son anti-gallicanisme et son anti-rationalisme. Aucun d'eux ne le suivit dans sa défection. Voir BURNICHON, op. cit., t. II, p. 13-46.
[90] Avenir du 15 novembre 1831.
[91] Avenir du 15 novembre 1831.
[92] Notamment les documents découverts aux Archives du Vatican et à celles du ministère des Affaires étrangères de France, publiés par le P. Paul DUDON, dans son livre Lamennais et le Saint Siège, un vol. in-8°, Paris, 1911.
[93] BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 261 ; RASTOUL, le P. Ventura. La Mennais fut si touché de l'accueil gracieux du bon religieux, qu'il lui confia la direction de sa conscience pendant son séjour à Rome.
[94] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 127-132.
[95] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 133-135.
[96] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 135-137.
[97] Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1905, p. 191.
[98] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 148-149.
[99] BOUTARD, Lamennais et le Saint Siège, p. 282-284.
[100] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 154-155.
[101] LECANUET, Montalembert, t. II, p. 285. Le départ de Lacordaire était résolu avant la lettre du cardinal Pacca (BLAIZE, Œuvres inédites de Lamennais, 2 vol. in-8°, Paris, 1866, t. II, p. 98).
[102] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 158.
[103] DUDON, Lamennais et le Saint Siège, p. 160-161.
[104] La reprise de l'Avenir, écrit Lacordaire à Gerbet, le 25 juin 1832, me paraît en opposition avec l'acte qui l'a suspendu, et destructive de l'autorité que M. de La Mennais s'est acquise auprès des catholiques. Le 25 août, il écrit au même que la reprise de l'Avenir qui est imminente, lui paraît tout à fait fatale et inexécutable à la fois. — Je m'éloigne, dit-il, pour n'être ni collaborateur, ni témoin, ni ennemi d'une œuvre qui m'afflige. (Lettres inédites, communiquées par M. l'abbé Michel Even, missionnaire diocésain de Paris).
[105] Une librairie classique élémentaire, où La Mennais avait placé ses capitaux, venait de tomber en déconfiture, et l'un des créanciers venait d'obtenir du tribunal un Jugement entraînant la contrainte par corps de l'imprudent commanditaire. Une lettre écrite par La Mennais, le 31 juillet 1832, de Venise, nous apprend qu'à cette date ses affaires financières n'étaient pas encore arrangées, et qu'il attendait un arrangement, pour retourner en France (Lettre inédite, communiquée par M. l'abbé Clair).
[106] Une correspondance relative à cette affaire, dite de la censure de Toulouse, est conservée aux Archives du Séminaire de Saint Sulpice. Cette correspondance a été déjà utilisée par le P. DUDON dans son ouvrage sur Lamennais et le Saint-Siège.
[107] DUDON, Lamennais et le Saint-Siège, p. 176-177.
[108] DUDON, Lamennais et le Saint-Siège, p. 184-185.
[109] Dans son livre sur les Affaires de Rome, La Mennais présente l'encyclique comme ayant été rédigée sous la pression de la diplomatie européenne, en particulier du prince de Metternich. L'assertion est inexacte. Voici les faits, tels qu'ils sont établis par les documents conservés aux archives diplomatiques. Il est vrai qu'à la date du 2 décembre 1831, Metternich envoya à Lützow, ambassadeur d'Autriche à Rome, une longue note pour se plaindre de deux hommes, La Mennais et Chateaubriand. Il accusait particulièrement La Mennais de confondre, dans l'Avenir, l'égalité évangélique avec l'égalité sociale, de faire, sous le prétexte d'une œuvre religieuse, une œuvre révolutionnaire Le Saint-Père fit répondre à Metternich qu'en effet l'Avenir avait des tendances révolutionnaires, et qu'il saurait distinguer, dans cette affaire, ce qui est religieux de ce qui est politique. Après l'apparition de l'encyclique Mirari vos, Metternich regretta de n'y pas voir une consécration authentique des principes de la légitimité. Cf. P. DUDON, Lamennais et le Saint-Siège, p. 118, 120, 208.
[110] Voir, dans l'Avenir du 23 avril 1831, l'article de C. de COUX, Des sociétés secrètes en Italie, t. II, p. 30-40.
[111] BERNASCONI, t. I, p. 169-174.
[112] Georges GOYAU, la Papauté et la civilisation, un vol. in-12, Paris.
[113] Le cardinal di Gregorio, en communiquant au nonce à Paris, par une lettre du 18 août 1832, l'encyclique Mirari vos, lui écrivait : Le Saint-Père, voulant éviter l'occasion d'irriter un homme célèbre qui pourrait faire beaucoup de bien, a jugé à propos, dans sa sagesse, de donner une réponse indirecte qui suffira à lui faire comprendre que ses sentiments sont en opposition avec ceux que Sa Sainteté recommande à tous les évêques. (Lettre inédite, Archives de Saint-Sulpice.)
[114] Le P. Lacordaire a toujours prétendu, pour ce qui le concerne, qu'il n'avait : jamais entendu soutenir, dans l'Avenir, la thèse de la liberté religieuse prise dans un sens absolu, laquelle, dit-il, est manifestement absurde ; mais il reconnait les exagérations répréhensibles du journal. Voir, à ce sujet, une intéressante lettre de Lacordaire au comte de Falloux, datée du 27 juillet 1859 et publiée dans la Correspondant du 10 juin 1911, p. 358-363.
[115] DUDON, p. 249.
[116] BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 350, note 1. Je suis allé à Rome. J'ai vu là le plus infâme cloaque qui ait souillé les regards humains. L'égout gigantesque des Tarquins serait trop étroit pour donner passage à tant d'immondices. (Lettre du 1er nov. 1832 à la comtesse de Senfft).
[117] Lettre inédite, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice.
[118] Il y a toujours des vents brûlants qui passent sur l'âme de l'homme et la dessèchent. La prière est la rosée qui la rafraichit. (LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XVII.) Cf. H. BREMOND, l'Inquiétude religieuse, 2e série, le Silence de Dieu.
[119] LAMENNAIS, Affaires de Rome, p. 162.
[120] On a écrit (CAUSSETTE, Manrèze du prêtre) que La Mennais, depuis quelque temps, avait cessé, sous le prétexte de ses travaux, de réciter le saint bréviaire, et que cette omission de la prière liturgique avait dû déterminer sa défection. Voici les faits qui ont dû donner lieu à cette légende. Il résulte d'une lettre écrite par Félicité de La Mennais à son frère Jean, le 25 août 1819 (BLAIZE, Œuvres inédites de F. Lamennais, t. I, p. 390) que Lamartine, à l'insu de La Mennais, avait obtenu pour lui, de Rome, la dispense du bréviaire, en invoquant le mauvais état de ses yeux ; mais l'abbé de La Mennais refusa de se servir de cette dispense, alléguant que sa vue était bonne. Voir à ce sujet, ROUSSEL, Lamennais d'après des documents inédits, t. I, p. 177-180.
[121] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XII.
[122] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XXXI. Les rois ne sont pas nommés, mais ils sont facilement reconnaissables. Quant à Grégoire XVI, dans la première édition de son livre, La Mennais remplaça par des points la page qui le concernait. Plus tard, il laissa imprimer intégralement le texte primitif. — A partir du moment de sa rupture avec l'Eglise, il signa Lamennais, en un seul mot, et supprima la particule.
[123] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XVII.
[124] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XXIV.
[125] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XXX.
[126] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XXXV.
[127] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XL.
[128] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XV.
[129] LAMENNAIS, Paroles d'un croyant, ch. XV.
[130] Ainsi une des impressions qui contribuèrent le plus à irriter La Mennais contre Rome et à précipiter sa chute, fut la crainte presque morbide des pièges qu'il redoutait de la part de la curie romaine et des jésuites. Malheureusement quelques jeunes et imprudents correspondants entretenaient en lui cette crainte. L'un d'eux, l'abbé Emmanuel d'Alzon, lui écrivait de Rome : M. C... (Mac Carthy) m'a communiqué le projet que certaines gens avaient eu de vous faire venir à Rome. Je puis vous assurer que c'était un piège, et j'ai de fortes raisons de croire que ceux qui voulaient le tendre habitent le Gesù. (BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 40). Cf., t. I, p. 366 ; t. II, p. 367 ; t. III, p. 67.
[131] C'est par suite d'une confusion de dates qu'on a pu noter parmi les causes qui ont préparé la défection de Félicité de La Mennais, sa rupture avec son frère Jean. Voici les faits. Après l'apparition des Paroles d'un croyant, l'évêque de Rennes, Mgr de Lesquen, crut devoir demander à l'abbé Jean de La Mennais une lettre par laquelle il désapprouverait explicitement le dernier ouvrage de son frère. Cette lettre, le prélat promit qu'elle ne sortirait pas de ses mains, et qu'il ne s'en servirait que pour confondre les dénonciateurs du vénérable prêtre. La lettre demandée fut écrite le 10 mai 1834, et, à peine parvenue à l'évêché, fut livrée à la publicité. Le 24 mai 1834, l'Ami de la Religion l'empruntait à la Gazette de Bretagne. L'irritation de Félicité de La Mennais fut extrême. A partir de ce moment, il ne témoigna plus à son frère la même confiance qu'auparavant, et, en 1837, il cessa complètement de le voir. La seule influence vraiment efficace qui pouvait s'exercer encore sur l'abbé Félicité, depuis la mort de M. Teysseyrre, disparaissait ainsi, au moment où le malheureux écrivain venait de s'engager dans la voie de la révolte déclarée. Il s'y avança de plus en plus. La publication des Affaires de Rome en 1836, du Livre du peuple en 1837, du pamphlet intitulé Le pays et le gouvernement, pour lequel il fit un mois de prison à Sainte-Pélagie en 1840, et, en la même année, de L'Esquisse d'une philosophie, furent autant d'étapes vers un vague panthéisme. En 1848, il fut élu député à l'Assemblée nationale par le département de la Seine. Il n'y eut aucun succès. Il y parut gêné. Un jour Berryer, à la tribune, flétrissait l'apostasie. Je vis alors, dit-il, un homme qui se levait brusquement et qui se glissait le long des bancs pour sortir. C'était Lamennais. Mon cœur se serra, car en parlant je n'avais nullement pensé à lui (LECANUET, Berryer, p. 81). La Mennais passa les dernières années de sa vie dans le découragement. A partir du moment où il brisa les liens qui le rattachaient au catholicisme, écrit Benoit-Champi, je l'ai toujours connu malheureux (Quelques souvenirs sur la mort de M. de Lamennais). Le 11 juillet 1848, il écrivait : Ce que nous voyons, ce n'est pas la République, ce n'est même rien qui ait un nom. Le 27 février 1854, il mourut, entouré de quelques amis, Henri Martin, Hippolyte Carnot, Armand Lévy et plusieurs autres moins connus, au n° 12 de la rue du Grand Chantier (aujourd'hui 70 de la rue des Archives), d'une maladie dont son parent et ami Benoît-Champy déclare qu'il n'a jamais pu savoir d'une manière précise ce qu'elle était (Ibid.). La veille, il avait eu avec sa nièce, Mme de Kertanguy, la conversation suivante : Féli, avait dit sa nièce, veux-tu un prêtre ? Tu veux un prêtre, n'est ce pas ? — Non. — Je t'en supplie. — Non, non, non. Qu'on me laisse en paix. Puis, pendant huit heures environ, il s'était trouvé dans une impossibilité de s'exprimer, quoique son intelligence parût lucide. On avait seulement pu distinguer, au milieu d'un bredouillement confus, ce mot : papier. Puis, fatigué de ne pouvoir se faire comprendre, il s'était retourné du côté de la muraille, et l'agonie avait commencé. Au moment de la mort, suivant une relation publiée par Eugène Pelletail dans le Siècle du 4 mars 1854, une longue larme coula en silence sur la joue du malade ; mais elle sécha aussitôt, dévorée par le feu brûlant de la douleur. Le dimanche suivant, le P. Gratry, prêchant à l'Oratoire, s'écriait : Devons-nous désespérer du salut de cette pauvre âme ? Non. Pour que ce grand exemple servît d'enseignement, Dieu a permis que cette fin fût dépourvue de toute espérance. Mais cette âme avait contribué à relever le sentiment religieux dans notre pays. Ne pouvons-nous pas penser qu'il y aura ou un retour caché à nos regards, et qu'elle aura obtenu miséricorde ?
[132] SILVESTRE DE SACY, Variétés littéraires, t. II, De la réaction religieuse.
[133] Un de ses plus jeunes disciples, l'abbé Emmanuel d'Alzon, qui, même après l'apparition des Paroles d'un croyant, lui avait envolé de Rome les témoignages d'une ardente fidélité (BOUTARD, t. III, p. 67. Cf. Ibid., II, 367, 400), devait fonder lui aussi, plus tard, une congrégation religieuse, celle des Augustins de l'Assomption.
[134] L'Avenir, écrit Eugène Veuillot, vint à son heure... et il rendit de grands services... Par sa lutte contre le gallicanisme, il servit efficacement la cause religieuse sur le terrain des doctrines ; il la servit aussi sur le terrain politique, en ne cessant d'établir que les catholiques ne doivent pas lier les intérêts religieux à une forme gouvernementale, fût-elle la royauté légitime. Une élite se levait... L'encyclique Mirari vos tua l'Avenir... Mais si le journal avait disparu, les idées et les besoins, sources du mouvement, existaient toujours... Il ne fallait pas laisser le champ libre à la presse gallicane et étroitement royaliste. Le dimanche 3 novembre 1833, parut le premier numéro de l'Univers. (E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. I, p 351, 354, 356, 362, 364, 365.) Parmi les premiers rédacteurs de l'Univers, Gerbet, Léon et Eugène Boré, Montalembert, l'abbé Jules Morel, étaient d'anciens disciples de La Mennais. Plus tard, à l'époque du Concile du Vatican, le rédacteur en chef de l'Univers, Louis Veuillot, rappellera que nul plus que La Mennais n'a travaillé à acheminer la France vers le dogme sauveur de l'infaillibilité du pape (Louis VEUILLOT, Rome pendant le concile, t. II.)
[135] Sous ce titre général, l'Ecole menaisienne, Mgr Ricard a publié : Lamennais, un vol. in-12, Paris, 1881 ; Lacordaire, un vol. in-12, Paris, 1882 ; Gerbet et Salinis, un vol. in-12, Paris, 1883 ; Montalembert, un vol. in-12, Paris, 1884 ; Rohrbacher, un vol. in-12, Paris, 1885.
[136] Après s'être séparé de La Mennais, Lacordaire s'était jeté avec délices dans la solitude. Je sens avec joie, écrivait-il, la solitude se faire autour de moi. C'est mou élément, ma vie. (Lettre à Montalembert, du 8 septembre 1833.) On ne fait rien, disait-il encore, qu'avec la solitude, c'est mon grand axiome. (Lettre à Montalembert, du 15 février 1834.) Un homme se fait en dedans de lui, et non au dehors. (Lettre à Montalembert, du 25 août 1835.) Lacordaire n'était pas seulement un ami de la solitude ; à la différence de La Mennais, c'était un patient. Un homme, écrivait-il, a toujours son heure. Il suffit qu'il l'attende, et qu'il ne fasse rien contre la Providence (Lettre à Montalembert, du 30 juin 1833) D'ailleurs, dans sa vie de solitude, la pensée de conférences à faire à la jeunesse lui avait été toujours présente. Au lendemain de son départ de la Chênaie, le 18 décembre 1832, il écrivait à Lorain qu'il allait préparer des conférences aux jeunes gens.
[137] THUREAU-DANGIN, l'Eglise et l'Etat sous la Monarchie de Juillet, p. 10.
[138] Expression du prince Albert de Broglie dans son discours de réception à l'Académie française.
[139] Sur Lacordaire, voir CHOCARNE, le P. Lacordaire, sa vie intime, 2 vol. in-12, Paris, 1866 ; FOISSET, Vie du P. Lacordaire, 2 vol, in-12, Paris, 1870 ; H.-D. NOBLE, Lacordaire apôtre et directeur des jeunes gens, un vol. in-12, Paris, 1908 ; J.-D. FOLGHÉRA, l'Apologétique de Lacordaire, brochure in-12, Paris (Collection Science et religion). Sur le P. de Ravignan, voir P. de PONLEVOT, Vie du P. de Ravignan, 2 vol. in-8°, Paris, 1860.
[140] THUREAU-DANGIN, l'Eglise et l'Etat sous la Monarchie de Juillet, p. 49.
[141] MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 1-266.
[142] MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 37.
[143] MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 39.
[144] Dom Guéranger, par un moine bénédictin, 2 vol. in-8°, Paris, 1909, t. I, p. 73.
[145] Dom Guéranger, t. I, p. 105.
[146] Dom Guéranger, t. I, p. 107.
[147] LECANUET, Montalembert, II, 38-39.
[148] Dom Guéranger, t. II, p. 123-129.
[149] Dom Guéranger, t. II, p. 289.
[150] Mémorial catholique des 28 février, 30 mars, 31 mai et 31 juillet 1830.
[151] Dom Guéranger, par un moine bénédictin, t. I, p. 59.
[152] Mémorial catholique du 28 février 1830, p. 49-50.
[153] Mémorial catholique du 28 février 1830, p. 57.
[154] Ami de la Religion, t. LXIV, p. 97-98.
[155] Mémorial catholique du 31 juillet 1830, p. 246.
[156] Institutions liturgiques, 2e édit., t. I, préface, p. 85.
[157] Lettre du 9 septembre 1840.
[158] Lettre du 9 septembre 1840. FALLOUX, Lettres inédites de Mme Swetchine, p. 413-414.
[159] BAUNARD, Frédéric Ozanam d'après sa correspondance, un vol. in-12, Paris, 1913, p. 49-50.
[160] BAUNARD, Frédéric Ozanam d'après sa correspondance, p. 72-73.
[161] Pas plus qu'Ozanam, Lacordaire ne se sentit jamais attaché à fond à La Mennais. Il n'y avait pas seulement entre eux la divergence que nous venons de signaler à propos de l'ultramontanisme. Dans ses projets de rénovation sociale, Lacordaire visait avant tout l'action intérieure et surnaturelle sur les âmes ; La Mennais, considérant le christianisme comme une œuvre de transformation politique et sociale, plutôt que comme une œuvre de sanctification individuelle, semblait tout attendre d'une réforme de la société. Celte conception se fait jour d'une manière frappante dans l'étrange préambule des Règles de la Congrégation de Saint-Pierre, rédigé par Félicité de La Mennais. Voir la reproduction de ce préambule par le P. Dudon, dans les Etudes du 20 novembre 1910, p. 452-454. Cf. LA MENNAIS, Réflexions sur l'Eglise de France, p. 93-94. La correspondance de La Mennais, comparée avec celle de Lacordaire, accuse nettement les divergences que nous avons signalées. — Quand on a voulu caractériser par une formule la tendance dominante de La Mennais, celle qui l'a conduit à sa chute, les avis se sont partagés. Les uns avec Spuller, ont vu en lui un éternel démocrate. D'autres, comme Thureau-Dangin, l'ont appelé un perpétuel théocrate. L'abbé Rohrbacher croit avoir deviné en lui, dès ses premières relations avec le maître, un vague panthéisme, qui s'est peu à peu explicité. Si nous ne craignions de forger un néologisme, nous dirions que La Mennais a été essentiellement, non pas un panthéiste, mais un démothéiste. Alors que, fervent catholique, il faisait consister la vérité en une sorte de suffrage universel des esprits il voyait déjà l'infaillibilité dans le peuple ; il y vit plus tard la justice et le droit. Seulement, il crut d'abord que l'organe du peuple était le roi, puis le pape, puis enfin il admit que l'infaillibilité du peuple était une sorte de privilège incommunicable. Ce dernier état de sa pensée a été exprimé par lui, en 1848, dans l'ouvrage qui a pour titre : De la société première et de ses lois, ou de la religion.
[162] Ozanam formulait les deux aspects de son œuvre en deux mots, qu'on a quelquefois critiqués, mais dont il a victorieusement défendu le sens orthodoxe : Passons aux barbares, et Allons aux pauvres. Les barbares étaient les incrédules du XIXe siècle : En disant : Passons aux barbares, déclarait-il, je ne veux pas dire qu'il s'agit de s'allier à Mazzini, mais au peuple que Mazzini trompe. Nous ne convertirons probablement pas Attila et Genséric, mais peut-être viendrons-nous à bout des Huns et des Vandales. De même le mot : Allons aux pauvres n'avait aucune signification de démocratisme suspect : Il faut faire, disait-il, ce qu'il y a de plus agréable à Dieu. Donc il faut faire ce que faisait N.-S. en prêchant l'Evangile. Allons aux pauvres.
[163] Origines de la Société de Saint Vincent-de Paul d'après les souvenirs de ses premiers membres, brochure in-18, 67 pages, Paris, 1909, au Secrétariat de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.
[164] C'étaient les conférences de Saint-Jacques, de Saint-Germain, de Saint-Philippe du Roule et de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Le nom de conférence fut adoptée par suite des traditions de la Société des Bonnes Etudes, dont les premiers membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul faisaient partie.
[165] La Société comptait, en 1916, 7.000 conférences, groupant plus de 140.000 confrères.
[166] Dès le début, il fut entendu que les conférences de Saint-Vincent-de-Paul seraient ouvertes aux catholiques de tous les partis. Je voudrais, écrivait Ozanam en 1835, l'anéantissement de l'esprit politique, au profit de l'esprit social. Il n'entendit pas, d'autre part, faire prévaloir dans la Société de Saint-Vincent-de-Paul un système spécial d'organisation sociale. On pourrait cependant recueillir dans ses écrits des vues philosophiques sur la propriété, qu'il considère comme une fonction sociale (Etude sur les Biens d'Eglise (1837), Mélanges, t. II, p. 339 et s.), sur le salaire, dont il analyse les conditions normales en dehors desquelles le travail de l'ouvrier devient une exploitation de l'homme par l'homme (Mélanges, t. II, Notes d'un cours de droit commercial), sur l'association, qui attache les ouvriers à leur travail comme à leur chose et les conduit à des habitudes de moralité (Ibid.), sur la démocratie, où il voit le terme naturel du progrès (Lettre du 11 mars 1849).
[167] Vie de M. Le Prévost, un vol. in-8°, Paris, 1899. La Congrégation des Frères de Saint Vincent-de-Paul fut fondée rue du Regard.
[168] Sur Frédéric Ozanam, voir Mgr OZANAM, Vie de Frédéric Ozanam, un vol. in-8°, Paris, 1832 ; Mgr BAUNARD, Frédéric Ozanam, un vol. in-8°, Paris, 1913 : la Jeunesse de Frédéric Ozanam, un vol. in-8°, Paris, 1888.
[169] E. SPULLER, Lamennais, un vol. in-12, Paris, 1892, p. 122.
[170] Mélanges catholiques, t. I, p. 238-239.
[171] MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 29.
[172] LACORDAIRE, Œuvres, édit. Poussielgue, t. VII, p. 163-164.
[173] Moniteur de janvier et de mai 1833. — Guizot donnait une allocation annuelle lus bénédictins de Solesmes pour la continuation de la Gallia christiana.
[174] Mgr BESSON, Vie du cardinal Mathieu, t. I, p. 146.
[175] L'abbé Cruice, le futur évêque de Marseille a raconté l'anecdote suivante : Le roi Louis-Philippe se plaisait à témoigner à l'archevêque de Paris, Mgr Affre, son estime et son affection... Souvent il le consultait sur les nominations aux sièges épiscopaux. Mais quand le prélat abordait la question de la liberté d'enseignement, le roi, par mille détours, échappait au sujet de la conversation... Un jour que l'archevêque revenait avec insistance sur la question : Monsieur l'archevêque, dit le roi, vous allez prononcer entre ma femme et moi. Combien faut-il de cierges à un mariage ? Je soutiens que six cierges suffisent ; ma femme prétend qu'on doit en mettre douze. Je me rappelle fort bien qu'à mon mariage, c'était dans la chambre de mon beau-père, il n'y avait que six cierges. — Sire, reprit l'archevêque, il importe peu que l'on allume six cierges ou douze cierges à un mariage ; mais veuillez m'entendre sur la question la plus grave. — Comment, Monsieur l'archevêque, ceci est très grave ; il y a division dans mon ménage ; ma femme prétend avoir raison, je soutiens qu'elle a tort. L'archevêque, sans répliquer, poursuit sa danse de la liberté d'enseignement. Le roi l'interrompt : Mais, mes cierges, Monsieur l'archevêque, mes cierges ? L'archevêque continue. Le roi s'emporte et s'écrie : Tenez, je ne veux pas de votre liberté d'enseignement ; je n'aime pas les collèges ecclésiastiques ; on y enseigne trop aux enfants le verset du Magnificat : Deposuit potentes de sede. L'archevêque salua et se retira. (CRUICE, Vie de Denis-Auguste Affre, archevêque de Paris, un vol. in-8°, Paris, 1849, p. 218-219.)
[176] G. VAUTHIER, Villemain, un vol. in-12, Paris, 1913, p. 97.
[177] Voir l'Ami de la Religion de 1840.
[178] Ch. GUILLEMANT, Pierre-Louis Parisis, 3 vol. in-8°, Paris, 1916, t. II, p. 16-32.
[179] Correspondance de Lacordaire avec Mme Swetchine, p. 392.
[180] Dans un livre paru en 1847 et intitulé : Cas de conscience à propos des libertés exercées ou réclamées par les catholiques, Mgr Parisis alla jusqu'à dire que e tout bien pesé, nos institutions libérales, malgré leurs abus, étaient les meilleures pour l'Etat et pour l'Église.
[181] Voir sa brochure : Du silence et de la publicité. — Sur le rôle de Mgr Parisis, depuis 1843 jusqu'à 1848, voir FOLLIOLEY, Montalembert et Mgr Parisis, un vol. in-8°, Paris, 1901.
[182] Le point de vue constitutionnel, écrivait Veuillot à Mgr Parisis, est celui qu'il faut prendre. Il fermera la bouche à la mauvaise foi libérale, ouvrira les yeux des libéraux de bonne foi, et fera entrer les chrétiens dans la route la plus large et la plus pratique qui soit aujourd'hui offerte aux idées. Il y a bien longtemps que je pense que Dieu a réservé pour nous, dans la Charte et dans les lois, de puissantes armes dont nous avons tort de ne pas user... C'est un devoir pour le chrétien de se souvenir qu'il est citoyen. (L. VEUILLOT, Correspondance, t. I, p. 210).
[183] Louis VEUILLOT, les Libres penseurs, 3e édit., un vol. in-12, p. 10.
[184] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. V, p. 475.
[185] L. VEUILLOT, les Odeurs de Paris, préface, p. 15.
[186] L. VEUILLOT, les Libres penseurs, avant-propos de la 2e édition, p. 20.
[187] J. LEMAITRE, les Contemporains, 6e série, p. 31.
[188] GUILLEMANT, Parisis, II, 45-47.
[189] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. I, p. 409.
[190] Messieurs, s'écriait le jeune orateur, en regardant en face, de son œil clair et loyal, ses adversaires étonnés, Messieurs, il faut bien vous le persuader... on n'en finit pas avec les consciences comme avec les partis... Savez-vous ce qu'il y a de plus inflexible au monde ? C'est la conscience des chrétiens convaincus. Certes, nous savons que nos droits comme chrétiens sont antérieurs à toutes les constitutions du monde ; mais nous sommes heureux de voir que ces droits sont consacrés par la constitution de notre patrie... La Charte, c'est le sol sur lequel nous nous appuyons... La liberté, c'est notre soleil, et il n'est donné à personne d'en éteindre la lumière... Quoi ! parce que nous sommes de ceux qu'on confesse, croit-on que nous nous relevions des pieds de nos prêtres, tout disposés à tendre les mains aux menottes d'une légalité anticonstitutionnelle ?... Au milieu d'un peuple libre, nous ne voulons pas être des ilotes. Nous sommes les successeurs des Martyrs, et nous ne tremblons pas devant les successeurs de Julien l'Apostat ; nous sommes les fils des Croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire. (Discours du 16 avril 1844, MONTALEMBERT, Œuvres, t. I, p. 364-401).
[191] VEUILLOT, Correspondance, t. I, p. 179.
[192] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. I, p. 426.
[193] Correspondant, t. X, p. 934 et s. ; t. XIII, p. 581.
[194] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, p. 487.
[195] MONTALEMBERT, Discours du 26 avril 1844, Œuvres, t. I, p. 453.
[196] Villemain était cependant obsédé par une peur des jésuites qui devait le conduire à l'aliénation mentale. Il s'imaginait toujours, écrit Thureau-Dangin, voir auprès de lui des jésuites, le guettant et le menaçant. Un jour, il sortait, arec un de ses amis, de la Chambre des pairs, où il avait prononcé un brillant discours, et causait très librement, quand, arrivé sur la place de la Concorde, il s'arrête, effrayé. Qu'avez-vous ? lui demande son ami. — Comment ? Ne voyez-vous pas ? — Non. Montrant alors un tas de pavés : Tenez, il y a là des jésuites ; allons-nous-en. Dans les derniers jours de décembre 1844, Villemain, fléchissant sous le poids des chagrins de famille et des déboires politiques, eut un accès violent de folie et se précipita par l'une des fenêtres de l'hôtel ministériel. (THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. V, p. 546.)
[197] Sur cet incident, voir BURNICHON, op. cit., t. II, p. 493-572.
[198] Le monopole universitaire, destructeur de la religion et des lois, par le P. DESCHAMPS, S. J.
[199] Il suffit d'ouvrir les Monita et de les lire sans prévention, pour s'apercevoir qu'ils sont une satire... L'ouvrage, paru à Cracovie en 1614, est l'œuvre d'un jésuite expulsé de l'ordre (BŒHMER-MONOD, les Jésuites, un vol. in-12 Paris, 1910, p. 64-66).
[200] Toutes les citations que fait Quinet, dit Alfred Monod, toutes les traductions qu'il donne trahissent le parti pris avec lequel il a lu et interprété les textes. (BŒHMER-MONOD, les Jésuites, p. 12.) Saint Ignace avait écrit : Quand un supérieur ordonne, persuadons-nous que tout est juste, rejetons tout sentiment contraire, toutes les fois qu'on ne pourra y apercevoir quelque péché. Michelet, dans son cours, cite ce passage, mais en supprimant la restriction (Ibid.).
[201] SAINTE-BEUVE, Chroniques parisiennes, p. 169.
[202] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. V, p. 509.
[203] Lettre au P. Daniel, dans les Etudes religieuses de septembre 1867. — Le gouvernement de la Restauration, lors des ordonnances de 1828, avait aussi tenté de faire intervenir le Saint-Père. Et ces appels à Rome, de la part de gouvernements pour qui l'appel à Rome était une offense à l'Etat, ne sont pas des faits uniques dans l'histoire. Rossi s'était, depuis 1832, fait naturaliser Français, et était pair de France quand Guizot le choisit pour plénipotentiaire.
[204] GUIZOT, Lettres à sa famille et à ses amis, p, 230, lettre du 18 juillet 1845.
[205] THUREAU-DANGIN, t. V, p. 574.
[206] MONTALEMBERT, Œuvres, t. II, p. 197. — Sur l'attitude de la cour romaine et particulièrement sur l'attitude personnelle de Grégoire XVI dans cette affaire des jésuites, voir GUILLEMANT, Parisis, II, 127-132, et BURNICHON, op. cit., t. II, p. 646-675.
[207] THUREAU-DANGIN, l'Eglise et l'État sous la Monarchie de Juillet, p. 117.
[208] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. V, p. 444-495.
[209] E. FAGUET, Mgr Dupanloup, un vol. in.8°, Paris, 1914, p. 2.
[210] Avant d'entrer au Petit Séminaire de Saint-Nicolas, Félix Dupanloup avait dans l'institution de M. Poiloup, rue du Regard.
[211] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse.
[212] Parole inédite de M. l'abbé Debeauvais, mort curé de Saint-Thomas d'Aquin, ancien condisciple de Félix Dupanloup au Grand Séminaire de Saint-Sulpice, son ancien collaborateur au Petit Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet et son ami intime jusqu'à sa mort.
[213] Louis Veuillot signait : rédacteur en chef adjoint. Le rédacteur en chef, à partir du 3 août 1845, était Charles de Coux. Voir Univers du 3 août 1845.
[214] Univers du 7 décembre 1845.
[215] Lettre du 6 août 1842, BERNASCONI, Acta Gregorii papæ XVI, t. III, p. 224.
[216] BAUNARD, Un siècle de l'église de France, un vol. in-8e, Paris, 1902, 3e édition, p. 271.
[217] Voir l'énumération de ces œuvres dans BAUNARD, Un siècle de l'église de France, ch. XIII, p. 270-297.
[218] BAUNARD, Un siècle de l'église de France, ch. XIII, p. 283.
[219] Voir E. A. de VALETTE, Vie de M. Dufriche-Desgenettes, un vol. in-12, Paris, 1863.
[220] Voir ALADEL, la Médaille miraculeuse, un vol. in-12, Paris, dixième édition revue et augmentée, 1895.
[221] LACORDAIRE, Œuvres, édit. Poussielgue, t. IX, p. 219. Parmi les nombreuses conversions opérées par la médaille, désormais appelée la médaille miraculeuse, il faut citer le retour à Dieu d'un juif alsacien, Alphonse Ratisbonne, qui se joignit ensuite à son frère Théodore dans l'œuvre de la congrégation de Notre-Dame de Sion, fondée pour la conversion des juifs.
[222] Annales de philosophie chrétienne, t. XXI, 1841 (t. II de la 2e série), p. 471-473.
[223] E. LEVESQUE, au mot Carrière dans le Dictionnaire de VACANT, t. II, col. 1804-1805.
[224] J. BELLAMY, Théologie catholique au XIXe siècle, un vol. in-8°, Paris, 1904, p. 47. Migne avait conçu son projet en 1836. La Patrologie latine, parue de 1844 à 1855, comprit 221 volumes in-4° ; la Patrologie grecque, parue de 1857 à 1866, comprit 166 volumes du même format.
[225] BELLAMY, au mot Bautain dans le Dict. de VACANT, t. II, col. 481-483.
[226] Antoine Genou, plus connu sous le nom d'Eugène de Genoude, surtout après les lettres de noblesse que lui conféra Louis XVIII en 1822, avait été un disciple de La Mennais. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages estimés.
[227] Sur l'affaire des frères Allignol, voir J. PAGUELLE DE FOLLENAY, Vie du cardinal Guibert, 2 vol. in-8°, Paris, 1896, t. II, p. 42-97.