L'historien de Pie VII, Artaud de Montor, dont les jugements méritent une attention particulière, parce qu'il a été mêlé comme diplomate à la plupart des événements qu'il raconte, apprécie ainsi le caractère de Napoléon : On retrouvait toujours en lui, quand il s'agissait de traiter les affaires religieuses, deux hommes distincts : d'abord, un esprit juste, prompt, facile, net, sachant demander un conseil sur les affaires qu'il ignorait, recevant avec bonne grâce une direction salutaire ; ensuite un esprit inquiet, livré à un fol orgueil, d'une érudition mal assurée, portant envie à la mission des prêtres, et se croyant humilié de ce que l'empereur, dans ses loisirs de batailles, ne fût pas le pontife de la nation, comme il était le régulateur suprême des opérations de l'armée. Pendant les négociations du concordat, on l'avait entendu dire avec humeur : Les prêtres veulent prendre les âmes et me laisser les cadavres. A la nouvelle des ovations faites à Pie VII traversant la France, il s'était écrié avec amertume : Ils feraient bien une lieue pour me voir, mais ils en feraient bien vingt pour être bénis par le pape. Les splendeurs du sacre et du couronnement ne firent qu'exalter cette ambition jalouse. I Il parait qu'au lendemain même de la cérémonie de Notre-Dame, l'empereur avait conçu le projet de garder le pape en France. La pensée de Philippe le Bel, exerçant une surveillance hautaine sur le pape d'Avignon, parait avoir hanté l'esprit de l'empereur. Le pape, raconte Artaud[1], n'a jamais voulu dire quel fut le grand officier qui, un jour, lui parla d'habiter Avignon, d'accepter un palais papal à l'archevêque de Paris... Le corps diplomatique à Rome s'entretenait de pareils bruits ; on les répétait avec une telle assurance, que le pape crut devoir faire une réponse devant le même grand officier : On a répandu qu'on pourrait nous retenir en France. Eh bien, qu'on nous enlève la liberté ; tout est prévu. Avant de partir de Rome, nous avons signé une abdication régulière, valable... Quand on aura signé les projets qu'on médite, il ne vous restera plus entre les mains qu'un moine misérable, qui s'appellera Barnabé Chiaramonti. Cette réponse énergique mit fin à tous les bruits. Si Napoléon avait voulu, comme l'insinue Artaud, tâter le terrain en laissant circuler ces rumeurs, l'expérience était faite ; le rêve impérial dut être abandonné. La première note du désaccord, qui allait bientôt s'aggraver d'une façon si tragique, entre le pape et l'empereur, se fit entendre à propos des affaires italiennes. Le 26 mai 1805, Napoléon se couronna à Milan roi d'Italie. Saisissant la couronne de fer des rois lombards, il répéta avec énergie la célèbre formule : Dieu me la donne ; gare à qui la touche ! Peu de jours après, le 8 juin, il réorganisa le clergé régulier et séculier de l'Italie, rétablit de nombreuses congrégations, restitua aux évêques, aux séminaires et aux fabriques leurs anciens revenus[2]. Le peuple et le clergé de Milan saluèrent d'abord cet acte de leurs acclamations enthousiastes, et proclamèrent Napoléon le restaurateur de l'Eglise d'Italie. Mais Pie VII jugea autrement le décret du 8 juin, et y signala deux graves empiétements sur les droits de l'Eglise : 1° ce décret, rendu par la propre autorité de Napoléon, violait ouvertement l'article 20 du Concordat, d'après lequel toutes les dispositions qu'on prendrait relativement aux affaires de l'Eglise devaient être préalablement concertées entre le Saint-Siège et le président de la République italienne ; 2° ce décret comprenait, à côté de beaucoup de dispositions bienveillantes, certaines mesures blessantes, telles que l'introduction en Italie du Code Napoléon, qui autorisait le divorce. Cas observations firent l'objet d'un bref du 11 juillet, auquel Napoléon répondit, le 19 août, avec une certaine vivacité : Je l'ai dit quelquefois à Votre Sainteté, la cour de Rome... suit une politique qui, bonne dans des siècles différents, n'est plus adaptée au siècle où nous vivons[3]. La lettre s'adoucissait cependant la fin. Je me prêterai, disait l'empereur, à toutes les modifications qui seront possibles. Pie VII ne désespéra pas, dès lors, d'arriver à une entente, et se préoccupa de choisir des négociateurs chargés de conférer à ce sujet avec le cardinal Fesch, plénipotentiaire de l'empereur. Mais un fait nouveau allait bientôt surgir et accentuer le désaccord entre Napoléon et le Saint-Siège. Un frère de Napoléon, Jérôme Bonaparte, le futur roi de Westphalie, avait contracté à Baltimore, le 24 décembre 1803, avec une demoiselle Patterson, un mariage régulier, mais pour lequel il n'avait demandé le consentement ni de sa mère ni de son frère Napoléon. Celui-ci, avec une insistance et un ton comminatoire que ne semblait pas justifier ce simple événement de famille, demanda au pape de déclarer, par une bulle, la nullité de ce mariage. Jérôme, disait-il, était mineur, il s'était passé du consentement de sa mère, il avait épousé une hérétique, hors de la présence de son curé : pour ces trois raisons, la validité de son mariage ne pouvait être admise. Il me serait facile, ajoutait l'empereur, de faire casser ce lien à Paris, l'Eglise gallicane reconnaissant ces mariages nuls. Il me paraîtrait mieux que ce fût à Rome, ne fût-ce que pour l'exemple des maisons souveraines qui contracteront un mariage avec une protestante. Le motif d'une pareille insistance ne s'explique guère que par le désir de créer, avec la complicité du Saint-Siège, le précédent d'une autre rupture de lien conjugal. Depuis son avènement à l'empire, Napoléon était comme obsédé par la pensée de rompre son propre mariage avec Joséphine de Beauharnais. Une bulle pontificale, en donnant à la dissolution du mariage de Jérôme un retentissement universel, habituerait les peuples à ces dissolutions d'unions légales, que l'opinion était portée à juger de manière défavorable. Mais Pie VII, en cette occasion comme toujours, consulta avant tout la loi de l'Eglise. Or, d'après cette loi : 1° le défaut de consentement des parents n'est point un empêchement dirimant 2° si les unions contractées avec les hérétiques sont illicites, il ne s'ensuit pas qu'elles soient nulles ; enfin 3° l'absence du propre curé n'est un empêchement absolu au mariage que dans les pays où le concile de Trente a été promulgué, mais, ce concile n'a pas été promulgué à Baltimore. Le pape concluait donc à la validité du mariage de Jérôme Bonaparte avec Elisabeth Patterson et à l'impossibilité de le dissoudre canoniquement. La colère de l'empereur ne connut pas de bornes. Elle s'exhala en termes aussi indignes d'un souverain que d'un fils de l'Eglise. Le pape, écrivit-il le 7 janvier 1806 au cardinal Fesch[4], m'a envoyé la lettre la plus ridicule, la plus insensée... Mon intention est de vous rappeler et de vous remplacer par un séculier. Puisque ces imbéciles ne trouvent pas d'inconvénient à ce qu'une protestante puisse occuper le trône de France, je leur enverrai un ambassadeur protestant. Ces menaces n'effrayèrent pas Pie VII. Il écrivit le 29 janvier à l'empereur[5] : Si l'état de tribulation auquel Dieu nous a réservé devait arriver à son comble, si nous devions nous voir ravir l'amitié et la bienveillance de Votre Majesté, le prêtre de Jésus-Christ, qui a la vérité dans le cœur et sur les lèvres, supportera tout avec résignation et sans crainte. Il paraît que ces dernières lignes du Saint-Père produisirent une vive impression sur Napoléon[6]. Mais, en ce début de 1806. au lendemain de la grande bataille d'Austerlitz et du traité de Presbourg, Napoléon, enivré de ses triomphes, avait ouvert son âme à une ambition démesurée. Dicter à l'Autriche les conditions de paix les plus dures, supprimer les Bourbons de Naples, mettre à ses pieds les princes allemands comme autant de vassaux, distribuer des principautés à ses généraux et des couronnes à ses frères, ne suffisait pas à celui qui se croyait désormais plus grand que Charlemagne, plus puissant que les plus grands empereurs des temps passés. Après quinze jours de silence, il répondit au pape : Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j'en suis l'empereur... Ils en répondront devant Dieu ceux qui mettent tant de zèle à protéger des mariages protestants, ceux qui retardent l'expédition des bulles de mes évêques et qui livrent mes diocèses à l'anarchie[7]. Le 6 octobre 1806, l'empereur obtint de la complaisance de l'officialité diocésaine l'annulation du mariage de son frère ; en vertu de quoi, le roi Jérôme épousa, le 22 août 1807, une princesse protestante, fille du roi de Wurtemberg ; et l'empereur eut le front d'en donner communication à Pie VII par une lettre officielle. Nous espérons, répondit le pape, qu'il s'est présenté de nouveaux et justes motifs qui ne nous ont point été exposés... Cette espérance nous soutient dans l'amertume et dans l'inquiétude dont nous ne pouvons nous défendre. II L'affaire du mariage de Jérôme n'était qu'un incident de la grande querelle. La prétention émise par Napoléon, dans sa lettre du 13 février, sur le gouvernement de Rome, avait une portée générale, que le chef de l'Eglise ne pouvait laisser se produire sans protestation. Le 21 mars 1806, après avoir consulté les cardinaux, Pie VII écrivit à l'empereur[8] : Votre Majesté établit en principe qu'elle est l'empereur de Rome. Nous répondons, avec la franchise apostolique, que le Souverain Pontife, souverain de Rome, ne reconnaît et n'a jamais reconnu dans ses Etats une puissance supérieure à la sienne. Vous êtes immensément grand, mais vous avez été élu, sacré, couronné, reconnu empereur des Français et non de Rome. — Qu'on le remarque bien, dit un historien[9], c'est au moment même où les peuples, les princes et les rois s'inclinent devant l'autorité dominatrice de Napoléon, qu'un vieux pontife, sans ressources et sans appui, ose tenir tête à ce tout-puissant et orgueilleux despote. Mais l'empereur avait déjà passé des paroles aux actes. Déjà, l'année précédente, sous le prétexte de mesures nécessitées par sa guerre contre l'Autriche, il avait donné ordre au général Gouvion-Saint-Cyr de s'emparer d'Ancône. Le 13 février 1806, le jour même où il expédiait au pape sa fameuse lettre, il avait écrit à Fesch : Aucun bâtiment suédois, anglais ni russe ne doit entrer dans les Etats du pape, sans quoi je les ferai confisquer. Le 18 avril, le cardinal Fesch fut brusquement rappelé et remplacé, comme ambassadeur, par le régicide Alquier. L'empereur fit occuper Civita-Vecchia, et fit annoncer par le Moniteur qu'il avait disposé de la principauté de Bénévent en faveur de Talleyrand, de celle de Pontecorvo en faveur de Bernadotte. C'étaient deux principautés du territoire pontifical. La dernière mission du cardinal Fesch avait été de demander an pape la reconnaissance de Joseph Bonaparte comme roi de Naples. Une des premières missions d'Alquier fut d'exiger du Saint-Père le renvoi du cardinal Consalvi, dont la science et l'adresse pouvaient être un obstacle aux desseins de l'empereur. Pie VII se décida, dans un esprit de paix, à sacrifier Consalvi, qu'il remplaça par un homme d'une austère vertu, le vénérable cardinal Casoni, vieillard de soixante-quatorze ans, ancien vice-légat d'Avignon et ancien nonce à la cour de Madrid. Mais le pape déclara ne pouvoir reconnaître comme roi légitime Joseph Bonaparte, qui avait violemment envahi les Etats de Ferdinand VII. Une note foudroyante arriva de Paris, enjoignant au pape de reconnaître sans retard le prince Joseph, sous peine de voir l'empereur cesser d'admettre la souveraineté pontificale. Mais aucune menace n'épouvantait le pape. Nous sommes disposé, répétait-il à Alquier, à tout faire pour qu'il existe une bonne correspondance et
concorde à l'avenir, pourvu qu'on maintienne l'intégrité des principes...
Il y va de notre conscience... Au-dessus de tous les monarques règne un Dieu vengeur de
la justice. Alquier écrivait à Talleyrand : On
s'est étrangement trompé sur le caractère de ce souverain, si l'on a pensé
que sa flexibilité apparente cède à tous les mouvements qu'on veut lui
imprimer. Napoléon ne comprenait pas la sincérité d'une aussi légitime
résistance. Il pensait que Pie VII subissait l'influence de certains
cardinaux, et il croyait avoir raison de lui par la terreur. Il s'écriait : Je mettrai à Rome un roi ou un sénateur. Je partagerai son
État en plusieurs duchés. Après le succès décisif de Friedland, après
la paix de Tilsitt, Napoléon résolut de mettre son plan à exécution. III On était en 1807. Depuis un an, un fait, d'une importante gravité s'était produit, qui était de nature à donner à l'autorité de Napoléon un éclat nouveau et une puissance nouvelle. Le 6 août 1806, l'empereur François II avait renoncé à son titre de chef de l'empire germanique[10]. Son acte paraissait manquer de spontanéité. Le nouvel Augustule, comme on l'a dit, ne faisait peut-être que prévenir un nouvel Odoacre. Quoi qu'il en soit, l'événement était grave. C'était la couronne d'Auguste, de Constantin, de Charlemagne, de Maximilien, que déposait François de Habsbourg, et la chute du Saint-Empire romain germanique ouvrait une ère nouvelle dans l'histoire du monde. Mille six ans après le couronnement du roi franc par le pape Léon, dix-huit cent cinquante-huit ans après que César en avait jeté les fondements à Pharsale, le Saint-Empire romain venait de finir[11]. Jusque-là, quoique la papauté n'eût pas reçu depuis longtemps du Saint-Empire une aide efficace, c'est vers lui qu'aux moments de détresse le pape s'était retourné. C'est François II qui, en sa qualité d'empereur germanique[12], avait pris sous sa protection le conclave de Venise. Cette grande institution ruinée, Napoléon ne vit plus de bornes à sa prétention de prendre en main le sceptre de Charlemagne. A ce titre, il avait déjà multiplié ses interventions dans le domaine religieux. Ce furent d'abord des bienfaits sans nombre. Les biens des fabriques non vendus leur avaient été restitués ; le traitement de trente mille succursales avait été assuré ; vingt-quatre mille bourses avaient été accordées aux séminaires diocésains. Les congrégations des Missions étrangères, de Saint-Lazare et du Saint-Esprit avaient été rétablies[13]. Les prêtres de Saint-Sulpice s'étaient réorganisés sous la direction de M. Emery, et avaient pris possession de plusieurs séminaires diocésains avec l'appui bienveillant du cardinal Fesch[14]. Les frères des écoles chrétiennes avaient obtenu l'autorisation de reprendre leur vêtement religieux[15]. L'empereur avait consenti au rétablissement des trappistes, lesquels avaient fondé deux maisons aux portes mêmes de Paris[16]. Par ces mesures, Napoléon affirmait la prétention de reprendre l'œuvre protectrice de Charlemagne. Mais, ainsi que l'a remarqué l'historien de Pie VII, la différence était grande entre les procédés de Charlemagne et celui du nouvel empereur des Français[17] ; et les catholiques ne purent se faire longtemps illusion. Après avoir autorisé les trois congrégations des Missions étrangères, de Saint-Lazare et du Saint-Esprit, Napoléon s'arrogeait le droit de les fondre en une seule, dirigée par un conseil que présiderait le cardinal Fesch[18]. Il réunissait tous les journaux religieux en un seul, qu'il faisait appeler le Journal des Curés[19]. Il instituait deux fêtes nouvelles : la Saint-Napoléon (de saint Néapolis, martyr sous Dioclétien), qu'il fixait au 15 août, et la fête du couronnement, qu'il plaçait au dimanche qui suivrait le jour correspondant au 11 frimaire[20]. Il prétendait imposer ses volontés à l'archevêque de Paris, le cardinal de Belloy, vieillard vénérable et faible, qui lui était tout dévoué[21] ; il intervenait pour blâmer tels et tels mandements, tels et tels sermons[22]. Un prêtre lui était-il dénoncé pour avoir émis en chaire, ou même en conversation, quelque propos inconsidéré, quelque doctrine ultramontaine, il le faisait arrêter, et, sans enquête, le faisait jeter dans un couvent ou emprisonner. Le donjon de Vincennes, les prisons de Fenestrelle, d'Ivrée et de l'île Sainte-Marguerite reçurent des prêtres qui ne purent jamais deviner le motif de leur arrestation[23]. Il décrétait enfin l'impression d'un catéchisme où l'on déclarait que tout chrétien devait à Napoléon Ier l'amour, le respect, l'obéissance, la fidélité et le service militaire[24]. De tels empiétements et l'ambition croissante de Napoléon n'étaient point faits pour rassurer le Souverain Pontife. Au début de 1807, il écrivait[25] : Nous sommes encore pontife libre peut-être pour quelques mois. Qui sait si de nouvelles victoires au nord de l'Europe ne seront pas le signal de notre ruine ? Hâtons la célébration d'une fête où la tiare que nous a donnée un fils devenu ingrat pourra encore se poser sur notre tête. Pie VII voulait parler d'une canonisation. Depuis quarante ans, Borne n'avait pas vu une cérémonie de ce genre. Ni Clément XIV ni Pie VI n'avaient procédé à cette solennité, une des plus imposantes que puisse célébrer un pape. Le 24 mai 1807, dans la basilique vaticane, éclairée par des milliers de lustres et ornée des bannières des nouveaux saints, Pie VII, entouré des cardinaux et d'un brillant cortège d'évêques, ordonna d'inscrire au nombre des saints une humble jeune fille, réformatrice des franciscains, sainte Colette ; un pauvre berger sicilien, saint Benoit le More ; une fondatrice d'ordre, sainte Angèle de Merici ; une simple religieuse, sainte Hyacinthe Marescotti ; un pieux et charitable prêtre, saint François Caracciolo. L'ambassadeur de France, Alquier, raconte, dans une note diplomatique, que la canonisation des cinq bienheureux avait attiré une foule prodigieuse, qu'on y était venu du fond de la Bohême et de la Hongrie[26]. L'ancien conventionnel pouvait faire la comparaison entre les spectacles qu'il avait vus à Paris et ceux qu'il lui était donné de contempler à Borne. Devant les cendres des grands hommes, à qui la Révolution avait dédié son Panthéon, des foules, plus ou moins officielles, avaient défilé, guidées par une curiosité banale ou par une froide admiration ; aux pieds des nouveaux saints que l'Eglise plaçait sur ses autels, le peuple chrétien s'agenouillait, dans la vénération et dans l'amour, comme aux pieds d'autant de frères, d'amis, de protecteurs puissants et bons, en qui il pouvait chercher désormais avec confiance une intercession et un modèle. Au lendemain des grands orages qu'on venait de traverser, et à la veille de ceux qu'on pouvait redouter encore, la grande solennité liturgique du 24 mai 1807 fut, pour le pape et pour l'Eglise, un surnaturel réconfort. IV Ces nouveaux orages ne furent pas longs à éclater. Le 22 juillet 1807, à propos d'un refus notifié par Casoni, au nom du pape, d'instituer des évêques en Italie, tant que l'empereur violerait les immunités ecclésiastiques, Napoléon écrivit au vice-roi d'Italie : Peut-être le temps n'est-il pas éloigné où je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome... Qu'on le sache bien : pour la cour de Rome, je serai toujours Charlemagne et jamais Louis le Débonnaire[27]. En août, Talleyrand fut inopinément remplacé aux affaires étrangères par le comte de Champagny. Quel mystère se cachait sous cette petite révolution de cabinet ? Talleyrand se retirait-il spontanément, avec l'espoir de diriger toujours, avec un sous-ordre, les affaires extérieures ? Ce changement indiquait-il, au contraire, une nouvelle orientation de la politique impériale[28] ? Quelque temps après, le bruit courut que Napoléon avait l'intention de se rendre à Rome. Quel était le but de ce voyage ? Le Saint-Père crut plus charitable et plus prudent à la fois d'interpréter en bonne part ce projet. Il écrivit à l'empereur pour lui offrir l'hospitalité du Vatican. Pour toute réponse, Napoléon donna ordre au général Lemarois de s'emparer du duché d'Urbino, de la province de Macerata, de Fermo et de Spoleta, de retenir le cardinal de Bayane à Milan jusqu'à ce pie le prince Eugène eût appris de lui s'il avait réellement les pouvoirs nécessaires pour apaiser le différend entre Rome et Paris. Il fallait que le pape marchât dans le système de la France, sinon l'empereur en appellerait à un concile général, seul organe de l'Eglise infaillible et arbitre souverain de toutes les contestations religieuses[29]. Après de telles menaces, en présence de son territoire violé, de ses villes occupées, le pape ne pouvait renouveler ses propositions conciliantes. C'était la guerre ouverte contre le Saint-Siège. Pie VII, bien loin de confirmer les pouvoirs déjà donnés au cardinal de Bayane, pour traiter avec Napoléon, les suspendit, et ordonna au cardinal de rentrer à Rome. A partir de ce moment, l'empereur ne contient plus sa colère. Le 10 janvier 1808, il enjoint au prince Eugène de diriger sur Rome le général Miollis à la tête d'une brigade. Le 2 février, les troupes françaises, pénétrant dans la ville par la Porte du Peuple, désarment la garde, occupent le château Saint-Ange, et, tandis que le pape et le Sacré-Collège célèbrent dans la chapelle du Quirinal la solennelle fonction de la fête de la Purification, un corps de cavalerie et d'infanterie se poste sur la grande place du palais pontifical. Dix pièces d'artillerie sont braquées en face des fenêtres de l'appartement du pape[30]. Pie VII, par une note énergique, déclare alors que tant que Rome sera envahie, il se refuse à toute espèce de négociation, et donne à son représentant à Paris, le cardinal Caprara, l'ordre de retirer ses passeports. Mais le général Miollis a distribué ses troupes dans les différents quartiers de Rome, et a commencé, par l'ordre de son gouvernement, cette série d'attentats, qu'il serait difficile de croire, dit Pacca[31], si l'on n'en avait été le témoin. A la fin de février, les cardinaux napolitains reçoivent l'ordre de partir pour Naples dans les vingt-quatre heures. On force les troupes pontificales à s'incorporer dans les troupes françaises ; les officiers qui résistent sont arrêtés et conduits dans les forteresses. Le 27 mars, le cardinal Doria qui avait remplacé, avec le titre de pro-secrétaire d'État, le cardinal Casoni, est arraché de Rome par la force. Le 22 avril, Mgr Cavalchini, gouverneur de Rome, est enlevé par un piquet de soldats et conduit dans la forteresse de Fénestrelle. En même temps arrive à Rome la nouvelle du décret impérial du 2 avril, par lequel Napoléon, considérant que le souverain de Rome a constamment refusé de faire la guerre aux Anglais, et que la donation de Charlemagne a été faite au profit de la chrétienté, et non à celui des ennemis de notre sainte religion, réunit à son royaume d'Italie les provinces d'Urbino, d'Ancône, de Macerata et de Camerino[32]. Un tel motif ne peut faire illusion à personne. On sait bien que la préoccupation actuelle de l'empereur est d'isoler l'Angleterre, du monde. Désespérant de la vaincre dans son île, il a décrété contre elle, le 21 novembre 1806, ce fameux blocus continental, d'après lequel tout commerce avec l'Angleterre est interdit, et il est irrité de ce que le pape a refusé de donner à cette mesure de guerre contre un État protestant l'appui de son autorité religieuse. Que Miollis multiplie donc les sanctions vengeresses. Miollis obéit. Le 16 juin 1808, la force armée pénètre dans le palais pontifical, et, près de l'appartement du pape, arrête le cardinal Gabrielli, qui, depuis le 27 mars, remplace comme pro-secrétaire d'État le cardinal Doria, déjà expulsé de Rome en qualité de Génois. Il ne reste plus qu'un dernier attentat à commettre. Pie VII le pressent ; mais il a pris courageusement son parti. Dans les derniers jours du mois d'août, le cardinal Pacca, appelé à prendre la place de Gabrielli, à la secrétairerie d'État, informe le pape qu'une frégate anglaise, envoyée de Palerme par le roi Ferdinand de Sicile, croise devant Fiumicino, pour conduire Sa Sainteté en Sicile, si elle le désire. Pie VII se recueille un instant et répond ; Non. Nous ne quitterons le Saint-Siège que si la force vient nous en arracher[33]. Cette force brutale se prépare dans l'ombre. Les instructions données à Miollis portent qu'il doit agir lentement et sans secousse[34]. Le général s'efforce de graduer ses attentats. Le 6 septembre, un officier piémontais se présente chez le cardinal Pacca pour lui intimer l'ordre de quitter Rome sans retard. Le cardinal déclare qu'il ne partira pas sans les ordres du Saint-Père. A l'instant même, le pape entre dans l'appartement du cardinal. Il proteste à son tour. Puis, raconte Pacca, il me prend par la main et me dit : Monsieur le cardinal, allons ! Et, par le grand escalier, au milieu des serviteurs pontificaux, qui l'applaudissent, il retourne dans ses appartements[35]. L'officier recule devant un acte de violence qui atteindrait la personne même du pontife ; mais l'attentat suprême n'est que différé ; on attend une occasion plus favorable pour le consommer. Les années 1807 et 1808 ont été des plus critiques pour la politique impériale. C'est le moment où les peuples fatigués, ruinés par les privations que leur impose le blocus continental, murmurent, s'agitent, sentent grandir en eux le sentiment de leurs nationalités. Des associations mystérieuses se sont formées un peu partout contre le potentat qui ferme les ports, trouble le commerce, chasse les princes, arrête partout la vie nationale. C'est alors que l'Espagne se soulève et commence la grande guerre qui, pendant six ans, tiendra en échec les meilleurs généraux de l'empereur. Les princes et les peuples opprimés regardent du côté de l'Espagne, et brûlent de l'imiter. Mais l'empereur a concentré ses troupes ; il les a renforcées. Aux soixante mille conscrits, levés en septembre 1808, il en a ajouté quarante mille, pris sur les classes antérieures à 1810. En joignant aux Français, les Polonais, les Italiens et les Allemands de la Confédération du Rhin, il peut mettre en ligne quatre cent vingt-cinq mille hommes. Il n'a pas encore eu de plus formidable armée. Napoléon marche alors contre Vienne, centre de la résistance, et, après les victoires de Thann, d'Abensberg, d'Eckmül et de Ratisbonne, il entre triomphalement, pour la deuxième fois, le 13 mai 1809, dans la capitale de l'Autriche. Il peut maintenant se tourner vers Rome. Quatre jours après son entrée à Vienne, le 17 mai 1809, il signe les deux décrets qui réunissent définitivement les Etats du pape à l'empire français, déclarent Rome ville impériale et libre, et créent une consulte extraordinaire pour prendre en son nom possession des Etats romains[36]. Le roi de Naples, Murat, est choisi pour diriger l'occupation des Etats pontificaux. V Pie VII a prévu ces décrets et l'application brutale qu'on en fera. Dans cette prévision, il a secrètement préparé deux bulles : l'une simplifie les conditions de l'élection du futur pape, pour le cas où le collège des cardinaux se trouverait dispersé au moment de la vacance du Saint-Siège ; l'autre prononce la sentence d'excommunication contre les envahisseurs des Etats pontificaux. Le 11 juin, par ordre du général Miollis, le décret de l'empereur qui réunit les Etats du pape à l'empire est affiché dans les rues de Rome ; puis, au bruit des salves d'artillerie, le drapeau pontifical est descendu du château Saint-Ange, et remplacé par le drapeau tricolore. Il était deux heures de l'après-midi, raconte Pacca[37]. Je me précipite soudain dans l'appartement du Saint-Père, et, en nous abordant, nous prononçons tous deux à la fois ces paroles du Rédempteur : Consummatum est ! Ensuite le Saint-Père s'approche de sa table, et y signe, sans mot dire, la bulle d'excommunication. Avant cependant de la livrer à ceux qui devaient l'afficher, il s'approche du cardinal : A notre place, dit-il, que feriez-vous ? — Très-Saint-Père, répond Pacca, je publierais la bulle. Le pape élève les yeux vers le ciel, et, après une courte pause, donne l'ordre d'afficher la bulle d'excommunication contre les violateurs du patrimoine de Saint-Pierre[38]. Notification officielle de l'excommunication est faite à l'empereur par un bref daté du 12 juin 1809. A la différence de la bulle, qui ne portait aucun nom, cette seconde pièce indique nommément Napoléon Ier, empereur des Français, comme avant encouru l'excommunication[39]. Informé de la sentence, Napoléon écrit au roi de Naples, le 20 juin[40] : Je reçois à l'instant la nouvelle que le pape nous a excommuniés. C'est une excommunication que le pape a portée contre lui-même... C'est un fou furieux qu'il faut enfermer. Faites arrêter le cardinal Pacca et autres adhérents du pape. Cette lettre est datée du château de Schœnbrunn, où mourra, vingt et un ans plus tard, le petit roi de Rome. Murat a déjà reçu l'ordre d'arrêter le pape dans le cas où il prêcherait la révolte[41]. Il désigne aussitôt, pour exécuter cet ordre, un homme connu pour sa grande énergie, le général Radet. Etienne Radet, ancien lieutenant de la maréchaussée du Clermontois, était un des courageux officiers qui avaient essayé, en 5791, de sauver le roi à Varennes. En 1794, traduit devant le tribunal révolutionnaire, il avait échappé comme par miracle à une condamnation capitale. En recevant sa fatale mission, Radet a un moment d'hésitation ; mais il croit que ses serments et ses devoirs sacrés lui imposent le devoir de l'accomplir, et il obéit[42]. Par son ordre, dans la nuit du 5 au 6 juillet, le Quirinal est cerné par la troupe. Après une heure de tentatives violentes, escalades, assauts, bris de portes, les soldats, guidés par un traître, pénètrent dans le palais pontifical, le général Radet à leur tête. Pie VII, revêtu du camail, du rochet et de l'étole, attend les envahisseurs à son bureau. Me trouvant avec une troupe armée devant cette tête sacrée, écrit Radet[43], un mouvement oppressif et spontané se fait sentir en tous mes membres. Un saint respect remplit tout mon être. Le général s'approche enfin, et soumet à la signature du pontife un acte qui contient la levée de l'excommunication. Le pape l'écarte d'un geste. Je n'ai agi en tout, dit-il, qu'après avoir consulté l'Esprit-Saint, et vous me taillerez plutôt en pièces que de me faire rétracter ce que j'ai fait. Mi taglierete pin tosto in pezzelli ! Puis, après un moment de silence : Nous ne pouvons pas, Nous ne devons pas, Nous ne voulons pas ![44] En ce cas, réplique Radet, j'ai ordre de vous conduire loin de Rome. — Alors Pie VII se lève, et, sans prendre autre chose que son bréviaire, qu'il met sous son bras, il s'avance vers la porte, en donnant la main au cardinal Pacca. Radet, très ému, s'incline et baise l'anneau papal. Pie VII sort de son appartement. Au milieu des débris des portes brisées, il descend lentement les grands escaliers et arrive à la cour d'honneur, où se trouve le reste du détachement. Là, le pape donne une dernière bénédiction à la ville de Rome, puis monte dans une berline qui l'attendait, pendant que les soldats, impressionnés par cette majestueuse tranquillité, lui présentent les armes[45]. Les détails les plus précis sur l'enlèvement du pape nous ont été laissés par les deux personnages qui, à des titres différents, en furent les témoins, le général Radet et le cardinal Pacca. C'est dans leurs Mémoires qu'il faut lire le récit du douloureux voyage accompli par le Saint-Père, de Rome à Savone, en passant par la Chartreuse de Florence, Alexandrie, Mondovi, Grenoble, Valence, Avignon, Aix et Nice. Sur la route de son exil, le pontife a la consolation de voir les foules se presser pour lui demander sa bénédiction. Le 16 août 1809, après quarante et un jours de voyage, il arrive à Savone, où il devait rester jusqu'au 19 juin 1812. La petite ville de Savone, située sur le golfe de Gênes, et récemment annexée à l'empire français, avait été indiquée à Napoléon par Fouché, pour servir de résidence au pape, de préférence à Paris, où l'opinion publique aurait été plus impressionnée par la présence du Pontife. Là, sans pompe officielle, sans insigne, car le pape n'avait rien apporté de ses ornements pontificaux, sans conseiller, car on venait de le séparer du cardinal Pacca, sans nouvelles, car l'ordre fut donné de surveiller soigneusement sa correspondance, on espérait lasser la patience du pape, obtenir plus facilement de lui ce qu'il avait refusé alors que la pompe traditionnelle du Quirinal et du Vatican l'entourait et lui donnait comme, la sensation d'un empire universel. Fouché et Napoléon se trompaient. Isolé, sans les insignes de sa puissance, et sans aucune relation avec ses conseillers, le pontife s'enferma dans une sorte d'immobilité qui fut sa force. La liberté lui manquant, il n'avança plus d'un pas, attendant pour reprendre sa marche que la liberté lui fût rendue[46]. VI Silence Plus encore que le blocus continental, qui avait si profondément irrité les nations de l'Europe, cette mainmise violente de l'empereur des Français sur le chef de l'Eglise catholique était une menace pour les peuples comme pour les princes. Un pape emprisonné, gardé à vue par un souverain, pouvait-il conserver sur les peuples chrétiens l'autorité attachée à sa charge spirituelle ? Et les princes ne pouvaient-ils pas craindre que la main du despote, capable de se porter sur la plus haute majesté de ce monde, ne s'abattit un jour cruellement sur eux ? Les nations, dit Pacca[47], avaient frémi à la déportation de Pie VII. Cependant, aucune réclamation ne se fit entendre. Pas une voix protectrice ne descendit des trônes catholiques en faveur de cet illustre captif. De laquelle des cours de l'Europe pouvait-on attendre une réclamation ? L'Autriche, battue, frissonnait encore de sa défaite ; l'Espagne et le royaume de Naples étaient en proie à la tyrannie impériale ; l'Angleterre et le Portugal se trouvaient en guerre avec Napoléon ; la Russie, la Prusse et les petits Etats allemands étaient assez indifférents aux coups portés à l'Eglise catholique. De tous lés princes régnants, le plus indépendant, le plus noblement fier devant le despote, c'était bien le vieux pontife emprisonné[48]. Pie VII venait d'atteindre sa soixante-septième année ; les fatigues et les soucis avaient profondément abattu sa santé physique. Logé, non point dans la forteresse de Savone, comme quelques-uns l'ont prétendu, mais d'abord dans le palais du comte Sanson, puis, bientôt après, dans l'évêché, il occupait dans cette dernière résidence un appartement composé de deux pièces et d'une loge, d'où il pouvait suivre les offices de la cathédrale[49]. Le préfet de Montenotte, M. de Chabrol, le général Bertier, commandant des troupes de la citadelle, et le prince Borghèse, gouverneur des départements au delà des Alpes, avaient personnellement des égards pour l'auguste vieillard ; mais des lettres de l'empereur, rudes parfois jusqu'à la grossièreté, venaient à chaque instant leur rappeler la rigidité de leur consigne. Un jour, Bertier recevait l'ordre d'arrêter l'ancien confesseur du pape, qualifié de scélérat : un autre jour, le prince Borghèse était invité à faire de fortes économies sur la somme affectée à l'entretien du pape[50]. Quels étaient donc les grands desseins du potentat ? Maintenant que tout enfin semblait être à lui, les âmes comme les cadavres[51], où se portait son ambition ? Allait-il, comme Joseph II régler par lui même les détails du culte catholique, ou, comme Louis XIV, essayer d'abriter ses prétentions sous le prestige d'une assemblée du clergé, ou enfin, comme Philippe le Bel, tenter d'effrayer le pape par une agression violente ! Aucune de ces entreprises ne l'aurait fait reculer ; mais, pour le moment, un autre projet l'absorbait : le désir de rompre ce mariage stérile avec Joséphine Beauharnais, qu'il avait contracté à contre-cœur, la veille du sacre. A mesure que son pouvoir s'était affermi, sa volonté de s'assurer un héritier légitime, par un mariage avec la fille de quelque souverain, avait grandi en même temps. En 1807, il avait fait dresser une liste des princesses d'âge nubile dans les différentes cours européennes[52]. Un projet d'union avec la grande-duchesse Anne, sœur du tsar Alexandre, n'avait pu aboutir à cause des exigences de la cour de Russie ; il avait alors fixé son choix sur l'archiduchesse d'Autriche, Marie-Louise. Mais l'empereur François II, ayant eu connaissance de la cérémonie accomplie la veille du sacre, ne voulait accorder sa fille qu'après la dissolution du mariage religieux contracté mec Joséphine Beauharnais. Nous ne raconterons pas l'émouvante scène du 15 décembre 1800, où Napoléon et Joséphine déclarèrent, dans un conseil de famille, se séparer volontairement, l'un et l'autre glorieux du sacrifice fait au bien de la patrie, ni la séance d'apparat qui eut lieu le lendemain au Sénat, pour recevoir la déclaration des deux époux et régler par un sénatus-consulte la situation de Joséphine[53]. Restait la grande difficulté : faire déclarer par l'autorité religieuse la nullité du mariage contracté le 1er décembre 1804. Napoléon avait auprès de lui un jurisconsulte subtil et retors, Cambacérès, dont les savantes combinaisons juridiques l'avaient plus d'une fois tiré d'affaire en des cas embarrassants. L'archichancelier de l'empire n'ignorait pas que, d'après les principes mêmes de l'Eglise gallicane et les traditions historiques, le mariage des princes était une de ces causes majeures qui relevaient du Souverain Pontife. Si l'on eût pu espérer du prisonnier de Savone une réponse favorable aux désirs de l'empereur, la solution était simple : s'adresser au pontife, et lui demander de sanctionner par son autorité suprême la déclaration de nullité du lien conjugal contracté entre l'empereur Napoléon et Joséphine. Mais tout faisait croire que le pape, même isolé et prisonnier, montrerait, dans le cas présent, l'inflexibilité dont il avait fait preuve dans la cause du mariage de Jérôme Bonaparte et d'Elisabeth Patterson. En l'espèce, Cambacérès jugea que les traditions gallicanes ne pouvaient s'appliquer, qu'elles ne visaient que les cas ordinaires et non point des situations exceptionnelles telles que celle où l'on se trouvait actuellement. Il semblait même plus conforme à ces traditions de substituer à une commission romaine, dont le fonctionnement était impossible, un système de juridiction composé de tribunaux ecclésiastiques français. On institua donc, pour la cause, une procédure à trois degrés : officialité diocésaine, officialité métropolitaine, officialité primatiale de Lyon[54]. Le 22 décembre 1809, l'official et le promoteur de Paris, mandés par Cambacérès, apprirent les volontés du maître. L'archichancelier de l'empire leur fit entendre qu'il n'attendait pas d'eux des longueurs et qu'il était inutile de suivre les formes habituelles. Le promoteur, l'abbé Rudemare, bien que vivement impressionné, ne put s'empêcher de faire valoir les droits du Saint-Siège, et, pour mettre à couvert sa responsabilité, demanda que sa compétence fût soumise à une autorité ecclésiastique supérieure. Précisément, au mois de novembre 1809, l'empereur, sous prétexte que le pape troublait les fonctions des vicaires capitulaires pendant la vacance des sièges épiscopaux[55], avait constitué, sous la présidence du cardinal Fesch, un conseil de huit théologiens, dit Conseil ecclésiastique. On y remarquait, à côté d'hommes absolument dévoués à l'empereur, tels que le cardinal Maury et M. Mannay, évêque de Trêves, des ecclésiastiques de haute science et de solide vertu, comme le P. Fontana, général des barnabites, et M. Emery, supérieur des sulpiciens. Ces derniers, entrés en ce conseil après de douloureuses anxiétés de conscience[56], devaient, à l'occasion, opposer à l'empereur, sur plus d'un point, une résistance efficace ; et il convient de reconnaître que le cardinal Fesch, qui devait à sa parenté avec l'empereur la présidence de ce Conseil, montra une volonté sincère de maintenir la politique impériale dans les limites du respect dû au pontife romain[57]. Voulait-il réparer par là les graves torts de sa conduite à Rome pendant son ambassade ? Quoi qu'il en soit, le Conseil ecclésiastique, consulté sur la question de compétence de l'officialité diocésaine, crut pouvoir émettre un avis favorable[58]. L'enquête commença. Trois témoins, Berthier, Duroc et Talleyrand, affirmèrent avoir eu plusieurs fois l'occasion d'entendre dire à Sa Majesté qu'elle n'avait pas voulu s'engager, et ne se croyait nullement liée par un acte qui n'avait ni le caractère ni la solennité prescrits. Le cardinal Fesch déclara que, deux jours après le mariage, l'empereur lui avait déclaré que tout ce qu'il avait fait n'avait d'autre but que de tranquilliser l'impératrice et de céder aux circonstances ; qu'au moment où il fondait un empire, il ne pouvait pas renoncer à une descendance en ligne directe. Cambacérès fit valoir que les pouvoirs généraux donnés par le pape au cardinal Fesch ne pouvaient avoir pour but que de lui permettre, tout au plus, de suppléer au propre curé, qu'on disait n'avoir pas le temps de prévenir, mais non pas de dispenser de toutes les formalités requises, telles que la présence de témoins, etc. L'officialité diocésaine ne retint que cette seconde cause de nullité : l'omission des formalités requises ; elle n'osa pas invoquer le défaut de consentement ; elle écarta ce motif, selon l'expression de l'un de ses membres, par respect pour Sa Majesté ; car, disait l'abbé Rudemare, comment pourrions-nous faire valoir, en faveur d'un homme qui nous fait tous trembler, un moyen de nullité qui ne fut jamais invoqué utilement que pour un mineur surpris et violenté ? En conséquence, le 9 janvier 1810, l'official de Paris, l'abbé Boislève, rendit une sentence, par laquelle vu la difficulté de recourir au chef visible de l'Eglise, à qui a toujours appartenu de fait de connaître et de prononcer sur ces cas extraordinaires, le mariage contracté entre l'empereur Napoléon et l'impératrice Joséphine, en dehors de la présence des témoins requis et du propre curé, était déclaré nul et de nul effet. Trois jours plus tard, l'officialité métropolitaine donnait les mêmes conclusions, mais en prenant pour base principale le défaut de consentement de l'époux. Par cette décision, dûment notifiée par l'ambassadeur de France à la cour de Vienne, les difficultés opposées par l'empereur d'Autriche tombèrent ; et, par son mariage, célébré le 2 avril 1810, avec la princesse Marie-Louise d'Autriche, petite-fille de la grande reine Marie-Thérèse et nièce du roi Louis XVI, Napoléon Bonaparte, non seulement eut l'espoir de fonder une dynastie, mais se trouva allié aux plus grandes maisons souveraines[59]. Il était parvenu au faîte de la gloire humaine. Le 2 avril, dans la grande galerie du Louvre, brillamment parée et illuminée, son regard glorieux put se promener avec complaisance sur le long défilé des généraux, des sénateurs, des ministres, des princes et des rois, qui lui faisaient cortège, tandis qu'il tenait par la main, comme une épouse, et presque comme un trophée, la descendante des Habsbourg. Cependant, à l'issue de la cérémonie religieuse, un froncement de colère avait assombri le visage de l'empereur. Ses familiers l'avaient entendu murmurer des paroles qui les firent trembler : Ah ! les sots ! disait-il... Protester contre la légitimité de ma race ! Ebranler ma dynastie ! L'empereur avait remarqué, autour de l'autel, parmi les places réservées, treize sièges inoccupés. Des vingt-sept cardinaux qu'il avait attirés et retenus à Paris, quatorze seulement s'étaient résignés à assister à la cérémonie ; les autres, considérant que l'illégitimité du premier mariage de l'empereur n'avait pas été reconnue par le pape, avaient eu le courage de s'abstenir. Pie VII, en effet, lorsqu'il avait appris, à Savone, les sentences rendues par les officialités de Paris, avait protesté contre l'irrégularité de cette procédure[60]. L'empereur n'avait réussi qu'à moitié dans ses desseins : tout lui donnait l'espoir de fonder une grande dynastie, mais le chef de l'Eglise catholique n'avait pas fléchi devant lui. Les treize cardinaux qui s'étaient abstenus de paraître à la cérémonie furent mandés au ministère des cultes. Leurs pensions furent supprimées ; leurs biens personnels furent saisis ; ordre leur fut donné de se retirer, deux à deux, dans des villes de province et de dépouiller les insignes cardinalices. D'où le nom de cardinaux noirs, que l'histoire leur a conservé[61]. De plus, Napoléon se confirma dans le projet d'organiser, en dehors du pape et du Sacré-Collège, un système de gouvernement de l'Eglise. Cette organisation une fois assurée, on verrait bien si le pape lui-même ne serait pas obligé d'en accepter les orientations. La constitution d'un conseil ecclésiastique, la convocation du concile national de 1811 et le Concordat de Fontainebleau furent la mise à exécution de ce nouveau plan. VII Un premier conseil ecclésiastique avait fonctionné à Paris, de novembre 1809 à janvier 1810. Nous venons de voir qu'il avait fixé la compétence des officialités françaises dans la question du mariage de l'empereur. Mais des questions d'un ordre plus général lui avaient été soumises. A la fin de novembre, le ministre des cultes lui avait proposé, au nom du gouvernement, trois séries de questions : la première, sur ce qui intéressait les affaires de la chrétienté en général ; la seconde, sur celles de la France en particulier, et la troisième, sur celles d'Allemagne et d'Italie. En ce qui concernait les affaires de France, l'empereur insistait sur quatre points bien déterminés, exigeant des réponses précises. Il s'agissait : 1° de fixer juridiquement les droits de l'empereur sur les Etats pontificaux ; 2° de trouver le moyen de rendre inutile l'institution canonique des évêques ; 3° de prouver l'inefficacité de la bulle d'excommunication, et 4° d'établir, au profit de l'empereur, le droit de convoquer un concile national en dehors de l'intervention du Saint-Siège. Le P. Fontana, général des barnabites, fut malheureusement obligé, par une maladie, de s'absenter après les premières séances. M. Emery, qui prit part à plusieurs discussions, y tint constamment le langage d'un théologien dévoué à l'Eglise et au Saint-Siège. C'est le témoignage que lui a rendu tout particulièrement M. Frayssinous, qui fut adjoint à la commission en qualité de secrétaire, ainsi que le P. Rauzan. Mais ses avis n'eurent pas la force d'entraîner les évêques. Les réponses de ceux-ci trahissent l'embarras d'hommes qui, d'un côté, craignaient de heurter trop fortement les principes, et de l'autre avaient surtout à cœur de ne pas blesser l'orgueil d'un homme irascible, dont la main de fer s'était déjà si fortement appesantie sur le vicaire de Jésus-Christ et pouvait encore se porter à de nouvelles violences. Avec une complaisance que ne sauraient excuser quelques timides réserves en faveur du pontife détenu à Savone, la commission déclarait : que le pape ne peut pas, par le seul motif des affaires temporelles, refuser son intervention dans les affaires spirituelles, comme si les atteintes portées à la liberté du chef de l'Eglise, qui étaient le motif du refus des bulles aux évêques nommés, eussent été une affaire purement temporelle. Au sujet des moyens à prendre pour suppléer au défaut des bulles, la commission, après avoir d'abord évité de résoudre cette question, et proposé de la soumettre à un concile national, avait fini par déclarer, sur une demande itérative de l'empereur, que le concile national pourrait, d'après l'urgence des circonstances, statuer que l'institution canonique serait donnée par le métropolitain ou par le plus ancien suffragant. Enfin, relativement à la bulle d'excommunication, la commission la déclarait nulle et de nul effet, comme n'ayant été lancée que pour la défense d'intérêts temporels[62]. Le P. Fontana, malade, n'avait pas assisté à la plupart des séances. M. Emery voyant, dans les questions posées par l'empereur, un parti pris d'imposer ses volontés, vint rarement au Conseil, où il défendit avec fermeté les droits du Saint-Siège[63], et refusa de signer les réponses. Celles-ci furent remises à l'empereur le 11 janvier 1810[64]. Muni de ces armes nouvelles, Napoléon s'était hâté de faire promulguer, le 17 février 1810, un sénatus-consulte proclamant la réunion des Etats de Rome à l'Empire, et déclarant que le prince impérial porterait le titre et recevrait les honneurs de roi de Rome. (Art. 7.) Ainsi, plusieurs semaines avant le mariage autrichien et de longs mois avant la naissance d'un fils, Napoléon décrétait qu'il aurait un hériti.er et que cet héritier occuperait dans la ville des papes la place prépondérante ; qu'il en serait le roi et qu'il en recevrait les honneurs[65]. Le titre II du sénatus-consulte portait d'ailleurs ce titre hautain : De l'indépendance du trône impérial de toute autorité sur la terre. On sait ce qu'il advint de ce rêve superbe : à peine âgé de quatre ans, le roi de Rome n'eut plus de couronne et ne fut plus pour l'Europe qu'un prince autrichien. Le mariage religieux de Napoléon avec l'archiduchesse d'Autriche ne fit qu'exalter encore l'insatiable ambition du potentat. Dès ce moment, dit l'historien des conflits religieux de cette époque[66], Napoléon ne garde plus le moindre ménagement avec le Saint-Père. Il se voit maitre de la Ville éternelle, dont il fera l'une des capitales de son grand empire. Elle remontera plus haut, dit-il, qu'elle n'a jamais été depuis le dernier des Césars. Je me réserve d'y paraitre en père... La Providence ne permettra jamais à Napoléon de réaliser ce désir ; mais, en attendant, il ne dissimule pas son idée : consommer la ruine politique de la papauté, et ne lui laisser que l'apparence du pouvoir spirituel. Ordre est donné à tous les évêques qui se rendront à Savone, d'essayer d'arracher au pape l'abandon de toutes ses prérogatives. Tout le sénatus-consulte, et rien que le sénatus-consulte[67] : tel est le mot d'ordre de l'empereur. Si l'empereur d'Autriche eût voulu, suivant les vieilles traditions de la monarchie apostolique, prendre alors en mains la cause de Pie VII, ou du moins intervenir efficacement en sa faveur, l'occasion venait de lui en être offerte par l'alliance inespérée qu'il venait de contracter avec l'empereur des Français. Une intervention eut lieu, en effet, mais de façon à ne pas compromettre la monarchie autrichienne dans une négociation délicate. Le négociateur choisi fut ce prince de Metternich, à qui ne manquaient ni l'intelligence des situations, ni l'habileté à les dénouer, mais qui semblait avoir pour devise les mots de Walpole : Quieta non movere, ne pas remuer les choses tranquilles, et qui continuait à Vienne les traditions joséphistes, pleines de méfiance à l'égard de l'autorité pontificale. Nul n'était moins indiqué pour se faire le chevalier de la papauté dans une mission diplomatique. Nous connaissons d'ailleurs aujourd'hui, par la publication des Mémoires de l'illustre homme d'État, l'inspiration fondamentale de ses démarches. Il y vit l'occasion de poursuivre l'idée dominante de toute sa politique : relever et développer la suprématie autrichienne. Si la tentative ne réussit pas, écrivait-il à François Ier, Votre Majesté impériale n'en aura pas moins joué un beau rôle[68]. C'est ce rôle, plus que le succès, qui lui importait. Napoléon lui fit de belles promesses : il s'engagea à rester fidèle à la religion de saint Louis et à ne soulever aucun schisme pour des questions spirituelles. Restait à déterminer ce que Napoléon entendait par questions spirituelles, et nous savons qu'il en restreignait singulièrement le domaine. Quant au pape, Napoléon lui reconnaissait la qualité d'évêque de Rome, mais déclarait souhaitable qu'il résidât à Paris, où il serait plus près de Madrid, de Lisbonne et de Vienne. Telles furent les déclarations dont le plénipotentiaire autrichien se contenta. Il les transmit à son gouvernement, dans un rapport daté du 10 mai 1810. Ce jour-là même, Napoléon, donnant à Breda, en Hollande, une audience aux membres des deux clergés, protestant et catholique, apostrophait grossièrement ces derniers, en leur disant : Bigots ! Si cela dépendait de vous, vous me jetteriez dans un couvent, comme Louis le Débonnaire !... C'est Dieu qui m'a placé sur mon trône !... Je ne dois rendre compte de ma conduite qu'à Dieu et à Jésus-Christ, et non pas à un pape !... Vous avez calomnié les protestants. J'ai six cent mille protestants dans mon empire, et il n'y en a aucun dont j'aie eu jamais l'occasion de me plaindre[69]. Dix jours plus tard, le 21 mai, à pape écrivait un bref à l'ambassadeur d'Autriche, Lebzeltern. Il y déclarait renoncer volontiers à tous les avantages matériels qu'on pourrait lui offrir, mais il repoussait énergiquement toute combinaison qui porterait atteinte à la dignité de l'Eglise, et demandait avant tout le pouvoir de communiquer avec ses fidèles[70]. La ferme résistance de celui qu'il avait espéré maîtriser en l'isolant, exaspérait l'empereur. Le 25 juillet 1810, il donna l'ordre au prince Eugène de faire arrêter plusieurs religieux, coupables d'avoir exprimé leur sympathie envers le pape. Le 1er novembre, il nomma, de sa propre autorité, à l'archevêché de Paris, le cardinal Maury, qui eut la faiblesse d'accepter[71]. Ce fut une grande douleur pour Pie VII, qui écrivit aussitôt au cardinal : C'est donc ainsi qu'après avoir courageusement plaidé la cause de l'Eglise en des temps orageux, vous l'abandonnez aujourd'hui qu'elle vous a prodigué ses dignités et ses bienfaits ! L'indigne prince de l'Eglise trouvait peut-être que les dignités et les bienfaits offerts par l'empereur des Français étaient plus appréciables. Napoléon l'en combla. En revanche, dans le nouveau conseil ecclésiastique, qu'il forma au mois de janvier 1811, sous la présidence de Fesch, l'empereur compta surtout sur Maury pour défendre sa politique religieuse. Le nouveau comité comprenait, avec Fesch et Maury, le cardinal Caselli, les archevêques de Tours et de Malines, les évêques d'Evreux, de Trèves et de Nantes. Napoléon voulut aussi que M. Emery fût adjoint à cette commission. Les angoisses du supérieur de Saint-Sulpice se réveillèrent. Après avoir vainement supplié l'empereur de le dispenser d'une pareille mission, ou, tout au moins, de ne lui laisser qu'une voix consultative, il crut devoir accepter, n'ayant pas perdu tout espoir d'exercer sur les membres du comité une influence favorable aux droits de l'Eglise. Il ne soupçonnait pas encore ce qu'il y avait de bas servilisme dans l'âme de Maury. Celui qui naguère, de Rome, où il vivait au milieu des nobles émigrés, avait si amèrement reproché à M. Emery sa prétendue faiblesse à l'égard des pouvoirs établis, se montra le plus complaisant adulateur du despote. Par contre, le jour où Napoléon, irrité, voulut arracher de force, de la bouche des membres du conseil ecclésiastique, des paroles de désaveu à l'égard du Souverain Pontife, il trouva devant lui un homme assez courageux pour lui résister en face ; et cet homme fut, précisément, le supérieur de Saint-Sulpice. Le 16 mars 1811, l'empereur avait convoqué au palais des
Tuileries, en séance extraordinaire, en présence de Cambacérès, de Talleyrand
et des membres du Conseil d'État, le conseil ecclésiastique. Napoléon avait
le goût de ces manifestations éclatantes, et savait les exploiter à son
profit. Artaud de Montor, dans son Histoire de Pie VII, a donné les
détails de cette séance, d'après une note trouvée dans les papiers de
Consalvi. L'empereur se fit attendre pendant deux
heures. Il disait que les hommes qui avaient attendu étaient plus hébétés.
Napoléon parut dans un appareil extraordinaire, entouré de ses grands
officiers, et il ouvrit la séance par un discours très long et très véhément
contre le pape. Quoique ce discours fut un tissu de calomnies atroces, aucun
des cardinaux ni des évêques ne parut chercher à faire valoir la vérité
contre la force et la puissance. Mais, pour la gloire de la religion, il se
trouva là un simple ecclésiastique qui sauva l'honneur de l'état qu'il
professait. Cet homme fut l'abbé Emery. M. Emery ne voulait pas se rendre à
l'assemblée. Le cardinal Fesch avait envoyé deux évêques chercher le modeste
sulpicien... Après avoir parlé avec la
violence de la colère, Napoléon regarda tous les assistants, puis il dit à
l'abbé Emery : Monsieur, que pensez-vous
de l'autorité du pape ? M. Emery,
directement interpellé, jeta les yeux avec déférence sur les évêques, comme
pour demander une permission d'opiner le premier, et il répondit : Sire, je ne puis avoir d'autre sentiment sur ce point que
celui qui est contenu dans le catéchisme enseigné par vos ordres dans toutes
les églises ; et, à la demande : Qu'est-ce
que le pape, on répond qu'il est le chef de l'Eglise, le vicaire de
Jésus-Christ. — Eh bien, reprit Napoléon, je
ne vous conteste pas la puissance spirituelle du pape, puisqu'il l'a reçue de
Jésus-Christ ; mais Jésus-Christ ne lui a pas donné la puissance temporelle ;
c'est Charlemagne qui la lui a donnée ; et moi, successeur de Charlemagne, je
veux la lui ôter, parce qu'elle l'empêche d'exercer ses fonctions
spirituelles. — Sire, répliqua alors M. Emery, Votre Majesté honore le grand Bossuet, et se plaît à le
citer souvent. Je lui citerai textuellement ce passage, que j'ai très présent
à la mémoire. Sire, Bossuet parle ainsi : On a concédé au siège apostolique la souveraineté de la
ville de Rome, et d'autres possessions, afin que le Saint-Siège, plus libre
et plus assuré, exerçât sa puissance dans tout l'univers... Nous en félicitons l'Eglise universelle, et nous prions,
de tous nos vœux, que, de toutes manières, ce principat sacré demeure sain et
sauf. Napoléon prit alors doucement la
parole, comme il le faisait toujours quand il était hautement contredit, et
parla ainsi : Je ne récuse pas l'autorité
de Bossuet. Tout cela était vrai de son temps, où l'Europe connaissait
plusieurs maîtres. Il n'était pas convenable alors que le pape fût assujetti
à un souverain particulier ; mais quel inconvénient y a-t-il que le pape nie
soit assujetti à moi, maintenant que l'Europe ne connaît d'autre maître que
moi seul ? M. Emery fût d'abord un peu
embarrassé. Il ajouta néanmoins : Sire,
vous connaissez aussi bien que moi l'histoire des révolutions. Ce qui existe
maintenant peut ne pas toujours exister. A leur tour, les inconvénients
prévus par Bossuet peuvent reparaître. Il ne faut donc pas changer un ordre
si sagement établi[72]. C'était le 16
mars 1811 que M. Emery osait dire : Ce qui existe
maintenant peut ne pas toujours exister. Trois ans et quelques jours
après, Napoléon, abandonné de tous, signait son abdication, et celui dont il
avait dit : Je ne le laisserai jamais entrer à Rome,
y rentrait en souverain, malgré lui. VIII Le concile Les paroles du vénérable prêtre avaient produit une forte impression sur l'esprit de l'empereur. Quelques prélats ayant voulu, à la fin de la séance du 16 mars, excuser le supérieur de Saint-Sulpice ca faisant valoir son grand âge : Je ne suis pas irrité contre l'abbé Emery, répondit Napoléon. Il a parlé comme un homme qui sait et qui possède son sujet. C'est ainsi que j'aime qu'on me parle[73]. Il ne renonça point cependant à son idée de réunir un concile national. Le 17 juin 1811, quatre-vingt quinze prélats, réunis à l'archevêché de Paris, célébrèrent l'ouverture de ce concile. Nous n'en raconterons pas les détails[74]. Contentons-nous de dire que, sur les points essentiels, le concile refusa de se plier à la volonté impériale. L'exemple donné par M. Emery avait relevé les courages. Les évêques demandèrent avant tout que le pape fût remis en liberté. Quant à la prétention de l'empereur, de se passer de l'institution du pape pour nommer les évêques, les prélats déclarèrent nettement qu'ils ne voyaient aucun moyen de se passer des bulles pontificales, et que le concile était incompétent à cet égard, même pour donner une décision provisoire et en cas d'urgence. Un rapport rédigé en ce sens par l'évêque de Tournai jeta l'empereur dans une profonde irritation. Le 10 juillet au soir, un décret impérial déclara le concile dissous. Le 12, à trois heures du matin, les évêques de Tournai, de Gand et de Troyes, ces deux derniers aumôniers de l'empereur, furent arrêtés dans leur lit et écroués à Vincennes. L'effet de cette violence fut déplorable. Pour essayer de donner le change à l'opinion, ou répandit le bruit que les trois évêques, arrêtés avaient eu des relations avec les ennemis de l'État[75]. Ce subterfuge, bientôt abandonné, ne trompa personne. D'autre part, l'interruption ab irato des délibérations n'apportait point de solution aux 'graves questions qui avaient motivé la convocation d'un concile. Maury, qui s'était flatté, dit-on, de retrouver dans cette assemblée ses succès oratoires de la Constituante, et d'y renouer les intrigues qu'il avait menées à Rome, paraissait particulièrement mortifié[76]. Sur le conseil de l'archevêque de Paris, l'empereur invita les évêques dispersés à ne pas quitter la capitale, et, quand on se fut assuré de la présence d'un nombre respectable de prélats, on les réunit en une assemblée préliminaire, pour demander la réouverture du concile. Cette réouverture fut autorisée par décret impérial ; et le 5 août, sans discussion, l'assemblée mutilée adopta un décret qui, en cas de refus ou d'abstention du pape, donnait, après six mois, au métropolitain ou au doyen des évêques de la province le droit de conférer l'institution canonique aux évêques nommés[77]. Ce résultat obtenu, la plupart des évêques demeurèrent à Paris pour y attendre le retour d'une députation envoyée à Savone. Le 20 septembre, Pie VII, circonvenu, dénué de renseignements complets, sincèrement désireux, d'ailleurs, de mettre fin au veuvage de tant d'églises, signa un bref qui acceptait en fait les décisions du 5 août, mais avec quelques modifications importantes. Ainsi le pape exigeait que l'institution canonique donnée par le métropolitain fût faite au nom du Souverain Pontife[78]. Napoléon, mécontent de ces modifications, manda impérieusement, de Gorcum où il était, l'ordre à tous les évêques de rentrer sans retard dans leurs diocèses, et fit savoir au pape qu'il instituerait lui-même les évêques et annulerait, s'il le fallait, le concordat[79]. Ainsi donc, même prisonnier, même privé de toute relation extérieure, affaibli par l'âge et par la maladie, le vieillard de Savone refusait de plier devant les ordres de l'empereur. Celui-ci imagina alors un suprême moyen de vaincre ce qu'il appelait l'opiniâtre obstination du prêtre romain : amener le pontife à Paris, tout près de lui, et là, par une pression directe de cette volonté à laquelle rien ne résistait, l'amener à souscrire à toutes ses prétentions. Le 9 juin 1812, Pie VII reçut, par l'intermédiaire de M. de Chabrol, préfet de Montenotte, la lettre suivante : Très-Saint-Père, le projet connu des Anglais de faire une descente du côté de Savone pour vous enlever oblige le gouvernement français a faire arriver Votre Sainteté dans la capitale. En conséquence, les ordres sont donnés pour que Votre Sainteté vienne d'abord à Fontainebleau, où elle occupera le logement qu'elle a déjà habité. Votre Sainteté ne restera à Fontainebleau qu'en attendant qu'on ait pu terminer les appartements de l'archevêché de Paris, qu'elle doit habiter. Quelques heures seulement étaient données au pape pour quitter Savone. M. d'Haussonville a raconté avec émotion, d'après une relation authentique, les incidents douloureux de ce voyage précipité : le départ du pontife au milieu de la nuit, dans une voiture cadenassée ; la grave maladie qui atteignit Pie VII en cours de route, au mont Cenis, où il faillit succomber à d'atroces douleurs ; l'arrivée, le 19 juin, à Fontainebleau, où, contrairement aux promesses, rien n'était préparé pour recevoir le pontife, et l'installation du chef suprême de l'Eglise dans un modeste logis, fourni par le concierge du château. En ce moment, Napoléon était loin de Paris. Jamais peut-être il ne s'était cru plus près de réaliser son rêve grandiose. Le 24 juin 1812, il franchissait le Niémen en menaçant la Russie et en s'écriant : Les destins vont s'accomplir ! Une fois vainqueur du czar, ne ferait-il pas ce qu'il voudrait du pape ? Napoléon Comptait sans la puissance formidable de l'empire russe, sans la rigueur du climat, sans les justes arrêts de la Providence divine. On sait quels furent les désastres de la Grande Armée : l'incendia foudroyant de Moscou, la venue prématurée des neiges, le bouleversement subit de tous les plans de campagne, le découragement faisant place à l'enthousiasme, et, malgré les efforts héroïques de Ney, de Drouot, des officiers et des soldats, la retraite de Russie se transformant en véritable catastrophe, tandis qu'en France la conspiration du général Malet, qui avait failli réussir, montrait que l'empire, en l'absence de son chef, était à la merci d'un coup de main. Le 18 décembre 1812, Napoléon rentrait aux Tuileries, et, après avoir fait face aux plus pressantes affaires, il notifiait, le 29 décembre, au pape son désir de faire cesser les différends qui divisaient l'État et l'Eglise. Cette première ouverture fut le préliminaire des négociations qui se poursuivirent entre les évêques de Trèves et d'Evreux, représentants de l'empereur, et quatre cardinaux italiens représentants du pape[80]. On a dit que le plan de Napoléon avait été de fatiguer par
de longs pourparlers, l'esprit du pontife, déjà très affaibli, et d'attendre,
pour intervenir personnellement, un état de prostration qui laisserait son interlocuteur
sans défense[81].
La conjecture est fort probable. Quoi qu'il en soit, dans la soirée du 19
janvier 1813, le prisonnier de Fontainebleau vit l'empereur entrer
brusquement dans le salon qu'il occupait, se jeter dans ses bras, le baiser
au visage, lui faire mille démonstrations d'amitié. Le
pape, dit Artaud, avait toujours aimé quelque
chose des qualités de Napoléon. Dans l'inépuisable bonté de son cœur, il
avait toujours attribué les mauvais traitements qu'on lui avait fait subir à
des subalternes iniques. Il parut donc satisfait de ces démonstrations
extérieures ; il les raconta aux personnes qu'il voyait habituellement, et
n'oublia pas la circonstance de l'embrassement et du baiser[82]. Dans cette
première soirée, il ne fut point question d'affaires. Elles furent abordées dès le lendemain. Cinq jours se passèrent en longs et graves entretiens. L'histoire doit renoncer à en raconter les incidents. La fameuse scène si dramatiquement décrite par Alfred de Vigny ne repose sur aucun témoignage authentique. Les mots de Commediante et de Tranediante n'ont jamais été prononcés[83]. Mais il est certain que Napoléon parla à son auguste et faible interlocuteur avec une rudesse toute militaire. Le pape, plusieurs fois interrogé sur ce fait, qu'il aurait été frappé par l'empereur, a toujours répondu que le fait n'était pas vrai. Non, a-t-il dit, l'empereur ne s'est pas porté à une telle indignité, et Dieu permet qu'à cette occasion nous n'ayons pas à proférer un mensonge[84]. Pie VII avait alors soixante et onze ans. Des désordres de santé, dit Artaud[85], une sensibilité excitée par le désir de revoir les cardinaux qu'on retenait prisonniers ; l'insistance importune de Bertalozzi, qui le pressait de tout accorder ; les supplications de certains cardinaux italiens, qui le fatiguaient de prévisions menaçantes ; le silence absolu de toute voix sage, noble, qui vint relever cette âme flétrie par la souffrance ; tout contribuait à décourager le pontife. Dans la soirée du 25 janvier 1813, on lui présenta un projet devant servir de base à un accord définitif, et on le pria d'y inscrire sen nom. L'auguste vieillard se tourna, suppliant, vers les quatre cardinaux présents, Doria, Dugnani, Ruffo et de Bayane. Napoléon était là, attentif et impatient. Aucune parole, aucun geste des cardinaux ne put faire connaître au pontife ce qu'ils lui conseillaient. Mais la veille encore, ils lui avaient dit que son devoir était de mettre fin aux maux de l'Eglise, à l'exil de ses conseillers, à l'emprisonnement de ses prêtres. Pie VII apposa sa signature sur le document qu'on lui présentait, et l'empereur mit immédiatement son nom auprès de celui du pape. Pie VII venait de signer le prétendu concordat de 1813, que Napoléon se hâta de promulguer et de rendre obligatoire pour tout l'empire. Les principales dispositions du traité étaient les suivantes : le pape, pourvu d'une rente de deux millions, fixerait son siège en Italie ou en France ; le plein droit de nomination des évêques dans tout l'empire appartiendrait à l'empereur, excepté pour les évêchés suburbicaires et pour dix autres à déterminer ; de plus, le décret du concile national resterait en vigueur. En retour de ces concessions, les cardinaux et les évêques emprisonnés seraient mis immédiatement en liberté. C'était renoncer implicitement à l'État pontifical ; c'était abandonner les droits pour lesquels on avait tant lutté jusqu'ici. A mesure que les cardinaux noirs, Gabrielli, di Pietro, surtout Pacca et Consalvi, arrivèrent à Fontainebleau, la conscience du pape, éclairée par les avis de ces prudents conseillers, dont on l'avait si cruellement séparé, s'éveilla aux regrets las plus cuisants. Sa douleur fut profonde ; pendant plusieurs jours, il s'abstint de célébrer la sainte messe. L'avis des cardinaux nouvellement arrivés fut que le pape devait protester, par une lettre écrite de sa main, contre un concordat nul et de nulle valeur, en tant qu'arraché par la fraude et par la violence. Cette lettre, dont on peut voir le texte entier dans les Mémoires du cardinal Pacca[86], fut signée le 24 mars 1813. Elle fut suivie, le 9 mai, d'un bref déclarant nulles les institutions qui seraient données par les métropolitains, intrus les évêques ainsi institués, schismatiques les évêques consécrateurs. A partir de ce moment, le Saint-Père retrouva sa sérénité. Je sens mon cœur soulagé d'un poids énorme, disait-il à ses cardinaux. Il avait lieu cependant de n'être pas sans crainte sur les effets de sa lettre et de son bref. Les événements se chargèrent de dénouer la situation. Le 25 avril, Napoléon était allé prendre le commandement de l'armée d'Allemagne, comptant bien revenir, après sa victoire, mettre à la raison l'intraitable vieillard. Le succès de la bataille de Lutzen, livrée le 2 mai, ne fit qu'aviver ses espérances. Une circulaire en fit part à tous les évêques de l'empire, une lettre l'annonça au pape comme un événement hepreux pour la religion autant que pour l'empire. Mais la victoire de Lutzen devait être le dernier sourire de la fortune de Napoléon. Les 17, 18, 19 et 20 octobre 1813, l'Europe coalisée livrait à l'empereur des Français une des plus sanglantes batailles connues dans l'histoire, cette fameuse bataille des nations qui fit tomber dans les champs de Leipsick cent vingt mille hommes. Deux mois après, dans la nuit du 31 décembre 1813 au 1er janvier 1814, une armée étrangère de deux cent mille hommes franchissait le Rhin ; et, presque simultanément, par les frontières de la Belgique, de l'Allemagne, de la Suisse et de l'Espagne, huit cent mille hommes, Russes, Autrichiens, Allemands, Suédois , Anglais et Espagnols, envahissaient la France. Devant l'invasion étrangère, Napoléon voulut se défaire de son prisonnier. Le 23 janvier 1814, il le fit conduire à Savone ; le to mars, il le fit remettre en liberté. Le pape arriva à Rome le 24 mai, après un voyage triomphal. Napoléon avait signé son abdication le 11 avril, dans ce même palais de Fontainebleau dont il avait voulu faire une prison pour le vicaire de Jésus-Christ[87]. IX Du concordat, qui était en principe une œuvre d'apaisement et de réconciliation, Napoléon avait tenté peu à peu de faire un instrument de domination personnelle[88]. Un immense orgueil explique la conduite de cet homme, dont le génie était capable de réaliser cette restauration de l'Eglise que la France attendait après les ruines dl la Révolution. Ce même orgueil explique la politique qu'il suivit à l'égard du protestantisme, du judaïsme et de la franc-maçonnerie. Foncièrement, on peut le croire, par son éducation première et par sa raison, Napoléon était catholique. Le désir de faire servir son catholicisme à son ambition personnelle, n'exclut pas nécessairement la sincérité de sa croyance[89]. Mais son attitude à l'égard des protestants, des juifs et des francs-maçons semble uniquement inspirée par des calculs politiques. A Sainte-Hélène, un médecin irlandais ayant demandé à Napoléon s'il n'avait pas encouragé les francs-maçons : Un peu, riposta le prisonnier, parce qu'ils combattaient le pape[90]. Ce motif, et le désir de capter à sort profit des forces politiques considérables, expliquent aussi sa politique à l'égard des protestants et des juifs. La loi organique du 18 germinal an X (8 août 1802) avait uni les deux principales confessions protestantes, celle qui se rattachait à Calvin et celle qui se réclamait de Luther, sur un pied d'égalité avec l'Eglise catholique. Le jour de son sacre, Napoléon, recevant le président du Consistoire de Genève, qui lui présentait les hommages de tous les protestants, lui témoigna combien il était satisfait de la fidélité et de la bonne conduite des pasteurs et des fidèles des différentes communions protestantes, et promit, de protéger le libre exercice de leur culte[91]. L'empereur, dit un historien du protestantisme[92], tint fidèlement sa promesse. Point de persécution contre les protestants sous son régime ; point de violences en haut ni en bas ; une sécurité pleine et continue. — On ne connaît, il est vrai, aucun livre important de dogme, d'histoire ecclésiastique ou d'éloquence sacrée qui soit daté du règne de Napoléon[93] ; mais, en 1808-1810, l'empereur, en créant une faculté de théologie protestante à Montauban, favorisa le mouvement des études dans l'Eglise réformée ; à Paris, des églises furent mises à la disposition des protestants, telles que l'église de Saint-Thomas du Louvre, dont ils avaient déjà la jouissance, celle de l'abbaye de Penthemont, rue de Grenelle, celle de la Visitation, rue Saint-Antoine, et, en 1811, la grande et belle église de l'Oratoire, rue Saint-Honoré. Sous l'empire, plusieurs protestants occupèrent de hautes situations, comme le sénateur Sers, le conseiller d'État Pelet de la Lozère, les tribuns Jaucourt et Boissy d'Anglas, les banquiers Delessert père et Mallet aîné. Nous avons vu qu'en 1811, en Hollande, l'empereur renouvelait aux protestants le témoignage de satisfaction qu'il leur avait donné en 1804. Comment n'eût-il pas été pleinement satisfait ? Les protestants n'encensaient pas moins son pouvoir que les plus complaisants des catholiques, et ils combattaient avec ardeur la puissance du pape. En 1810, Rabaut-Pommier entreprenait d'établir, par une démonstration en règle, que l'avènement de Napoléon avait été annoncé par les prophètes[94]. Nulle part la fête du 15 août n'était célébrée avec plus d'ardeur que dans les temples protestants ; et plusieurs, parmi les pasteurs, justifiaient la phrase de Mme de Staël qui, dans son fameux rapport au Directoire, avait signalé le protestantisme comme la plus formidable machine de guerre qu'on pût opposer à la papauté[95]. La loi du 18 germinal an X, qui avait accordé la reconnaissance légale aux cultes catholique et protestant, l'avait refusée au culte israélite, parce que, disait Portalis, les juifs forment bien moins une religion qu'un peuple[96]. Ce culte ne fut donc alors ni réglementé ni subventionné par l'État. Personnellement les israélites jouissaient, depuis les décrets de l'Assemblée constituante, de l'égalité civile et politique ; mais précisément parce qu'ils formaient un peuple, ils constituaient une force dont le génie de Napoléon ne pouvait pas ne pas tenir compte, car, suivant la direction que prendrait cette force, elle pouvait être très utile ou très nuisible à sa cause. Pendant sa campagne d'Italie, Napoléon avait apprécié les services financiers que les banques juives des Michel, des Cerfbeer et des Bédarride lui avaient rendus. Leurs exactions, ii est vrai, l'âpreté qu'ils mettaient dans la poursuite de leurs débiteurs, soulevaient fréquemment contre eux l'opinion publique. En 1805, les juifs d'Alsace, par leur intervention dans les ventes des biens nationaux, et par leurs prêts usuraires, avaient particulièrement attiré l'attention de l'empereur, qui, par un décret du 30 mai 1806, dut les soumettre, au moins provisoirement, à un régime d'exception, suspendre pour un an l'exécution des jugements rendus à leur profit[97]. Mais ce peuple, actif et habile, semblait en même temps désireux de se rattacher étroitement à l'État. Dans leur synagogue de la rue Sainte-Avoye, au Marais, les juifs parisiens étaient très exacts à solenniser tous les grands événements politiques. La proclamation de l'empire et le couronnement y avaient été célébrés par des chants hébreux et des discours français. Napoléon profita de ces dispositions, qui ne pouvaient que flatter son ambition. Il s'y prit d'une façon qu'il importe de remarquer. Avec les catholiques, qui ont à la fois une doctrine commune et un chef commun, il avait pu conclure un concordat. Avec les protestants, qui n'ont ni doctrine commune ni chef commun, il avait procédé par voie d'autorité. Avec les juifs, que faire ? Ils n'avaient pas de chef commun, mais ils avaient une doctrine commune. Cette doctrine était jadis sauvegardée, dans une certaine mesure, par ce grand sanhédrin qui avait condamné Jésus-Christ et saint Paul ; et sans doute, s'il eût encore, en 1806, siégé à Jérusalem, Napoléon eût traité avec lui. Mais le grand sanhédrin, dont l'autorité d'ailleurs n'avait jamais été souveraine, n'était plus qu'un souvenir lointain. Or Napoléon souhaitait avoir en face de lui une autorité quelconque, qui pût l'éclairer sur les principes professés par les juifs à l'égard de la société civile, et l'assurer qu'aucune de leurs règles religieuses n'était incompatible avec la sûreté de l'État. Cette autorité n'existant pas, il résolut de la constituer[98]. Par ses ordres, des représentants de toutes les synagogues de l'Empire furent convoqués à Paris, et s'y réunirent sous le nom de grand sanhédrin. Les séances de l'assemblée s'ouvrirent le 10 février 1807, dans une salle contiguë à l'hôtel de ville, et se poursuivirent jusqu'au 9 avril. Les commissaires impériaux posèrent aux représentants de la religion juive les questions suivantes : Reconnaissez-vous pour patrie la France ? Promettez-vous d'obéir à ses lois, notamment aux lois sur le service militaire et sur la monogamie ? Enfin, admettez-vous que les règles de probité et d'humanité, que vous considérez comme obligatoires à l'égard de vos coreligionnaires, le sont aussi à l'égard des Français ? Un décret du 2 mars 1807 prit acte des réponses affirmatives qui furent faites à ces questions et les enregistra comme décisions doctrinales[99]. Plusieurs autres décisions réglèrent alors la situation légale des juifs et leur organisation religieuse. Le plus important de ces actes législatifs est le décret organique du 17 mars 1808, qui régla la condition des rabbins, des synagogues, des consistoires particuliers et du consistoire central. Le consistoire central devait être composé de trois rabbins et de deux laïques, nommés pour la première fois par l'empereur[100]. La plupart des juifs accueillirent avec une triomphante gratitude cette reconnaissance officielle. C'est à vous, Sire, disait une adresse du consistoire de Paris[101], rédigée en juillet 1809, que le ciel a réservé le pouvoir de ranger l'homme à l'égal de l'homme... Grâce à votre puissant génie, nous ne sommes plus étrangers au sol qui nous a vus naître. Comme les juifs, les francs-maçons se montrèrent tout disposés à abriter leurs entreprises sous la protection de l'empire. Rebold nous apprend que, dès 1801, au Grand-Orient, en encensait l'idole du jour[102]. Napoléon répondit-il pleinement à ces avances ? On le croirait, en lisant le discours prononcé le 23 juin 1810, dans la loge Marie-Louise, à Rome, par le général Radet : Je proclame dans cette fête l'empereur comme protecteur de la maçonnerie, et j'ajoute ce nouveau titre de gloire à tous ceux qui lui ont été déjà décernés par les hommes dont il fait le bonheur[103]. Le poète Arnault exagérait sans doute en sens inverse, lorsqu'il donnait comme résumant l'attitude de Napoléon cette phrase, qu'il aurait prononcée à propos des francs-maçons[104] : Ce sont des enfants qui s'amusent ; laissez-les faire, et surveillez-les. Le note exacte semble avoir été donnée par Portalis, dans un rapport confidentiel[105] : Il serait impossible, en France, de détruire les réunions d'hommes et de femmes connues sous le nom général de loges maçonniques... Le vrai moyen de les empêcher de dégénérer en assemblées funestes a été de leur accorder une protection tacite, en les faisant présider par les premiers dignitaires de l'État. Il est certain que la réorganisation du Grand-Orient, qui se fit vers la fin de 1803, s'accomplit de manière à ôter toute inquiétude à l'autorité. Le Conseil fut composé en majeure partie de généraux et de grands fonctionnaires. La maçonnerie avait un grand intérêt, de son côté, à s'appuyer sur les pouvoirs publics. En 1803, dit Rebold, le Grand-Orient, voyant se renouveler les luttes contre son pouvoir, chercha un plus grand appui auprès du gouvernement. Ii réussit à faire accepter les fonctions de grand administrateur de l'ordre au général Masséna, qui fut proclamé en cette qualité le 18 décembre[106]. L'année suivante, la convention, dite Concordat de 1804, par laquelle la Grande Loge générale et le Suprême Conseil fusionnèrent avec le Grand-Orient ; fut signée le 3 décembre dans l'hôtel du maréchal Kellermann[107]. En 1805, le grand Maître Rettiers de Montaleau, le grand restaurateur de la maçonnerie, donna noblement sa démission, disent les annales, pour céder sa place au prince Joseph Bonaparte[108]. Rebold ajoute que Joseph Bonaparte avait été désigné pour la grande maîtrise par l'empereur lui-même[109]. Voici quelques-uns des principaux officiers de la maçonnerie à cette époque : grand maître, prince Joseph Bonaparte ; grand maître adjoint, prince Louis Bonaparte ; grand administrateur, maréchal Masséna ; premier grand surveillant, maréchal Murat ; deuxième grand surveillant, Lacépède ; grand orateur, Lalande[110]. Quel fut le rôle réel d'une société qui avait de pareils cadres ? Nous savons que la loge des Neuf-Sœurs, fidèle à son titre, faisait une large place aux exercices littéraires. La loge Sainte-Caroline, dont faisaient partie la duchesse de Carignan, mère du futur roi de Sardaigne, et l'ex-duchesse de Luynes, se distinguait par ses bals et ses joyeux banquets. Dupaty y chantait au dessert des vers de son cru : De ce beau jour Nous consacrerons la mémoire. Pour les maçons, c'est de la gloire Le point du jour[111]. Mais derrière ces fêtes mondaines, des intrigues politiques se formaient-elles ? des complots s'organisaient-ils contre l'Eglise et la papauté ? La réponse à de pareilles questions, suivant la remarque judicieuse d'un historien, ne pourrait être utilement cherchée qu'aux archives de la rue Cadet[112]. |
[1] ARTAUD, Histoire de Pie VII, t. II, ch. XX, p. 194.
[2] Voir le texte du décret dans le Bolletino delle leggi del regno d'Italia, ann. V, Ire partie, n° 45, p. 123-140. En voir le résumé dans THEINER, Histoire des deux concordats, t. II, p. 338-343.
[3] Correspondance de Napoléon, t. XI, p. 119, n° 9091.
[4] Lettre du 7 janvier 1806. Correspondance de Napoléon, t. XI, p. 643.
[5] ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, ch. XXVII, p. 257.
[6] ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 257.
[7] Lettre du 13 février 1806. ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 258-263.
[8] Lettre du 13 février 1806. ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 270.
[9] H. WELSCHINGER, le Pape el l'Empereur, p. 56.
[10] Histoire des Traités, t. VIII ; Corpus juris confœderationis germanicæ, t. I, p. 70.
[11] James BRYCE, le Saint-Empire romain germanique, traduction Domergue, 1 vol. in-8°, Paris, 1890, p. 474-475.
[12] Après l'abdication du 6 août 1806, François II resta empereur d'Autriche et prit le nom de François Ier.
[13] A. LAUNAY, Histoire générale de la Société des Missions étrangères, t. III, p. 420.
[14] MÉRIC, Histoire de M. Emery, t. II, p. 173-175.
[15] J. GUIBERT, Histoire de saint J.-B de La Salle, p. 646. Dans le décret du 17 novembre, qui créa l'Université impériale, les frères furent incorporés à l'Université. J. GUIBERT, ibid.
[16] PICOT, Mémoires, année 1807.
[17] Voir ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, ch. XXVII, p. 258-262.
[18] A. LAUNAY, Histoire générale de la Société des Missions étrangères, t. III, p. 420-422. Ce décret ne fut pas exécuté. Les trois congrégations restèrent dans l'état où elles étaient. Il n'en pouvait guère être autrement, car elles n'étaient composées que de quelques membres épars ; en se réunissant, elles auraient surtout mis en commun leur misère. A. LAUNAY, ibid., p. 422.
[19] Comte D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, t. II, p. 229-230.
[20] D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, p. 230-231, 233-234.
[21] Sur le cardinal de Belloy, voir LANZAC DE LABORIE, Paris sous Napoléon, t. IV, p. 1 et s.
[22] D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, p. 222, 223-224, 226-227.
[23] D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, p. 227-228 ; LANZAC DE LABORIE, p. 152 et s.
[24] D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, p. 248. En dehors des passages politiques que Napoléon y avait fait insérer, le catéchisme impérial avait une réelle valeur. La commission qui l'avait rédigé avait pris pour base de sa rédaction le catéchisme de Meaux, composé par Bossuet, dont on conserva autant que possible le texte même. Voir sur la rédaction de ce catéchisme les détails donnés par D'HAUSSONVILLE, D'HAUSSONVILLE, l'Eglise romaine et le premier empire, t. II, ch. XXVI, p. 236-272.
[25] ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 296.
[26] ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 296.
[27] ARTAUD, Vie de Pie VII, t. II, p. 306.
[28] H. WELSCHINGER, Jugement de Villemain sur le prince de Talleyrand, dans la Nouvelle Revue du 15 novembre 1894.
[29] H. WELSCHINGER, Jugement de Villemain sur le prince de Talleyrand, dans la Nouvelle Revue du 15 novembre 1894, p. 65-66.
[30] PACCA, Mémoires, traduction Queyras, 2 vol. in-8°, Paris, 1845, t. I, p. 54.
[31] PACCA, Mémoires, t. I, p. 56.
[32] Correspondance authentique de la cour de Rome, p. 25.
[33] PACCA, Mémoires, t. I, p. 91-92.
[34] PACCA, Mémoires, t. I, p. 56.
[35] ARTAUD, II, 335.
[36] D'HAUSSONVILLE, III, 80-81.
[37] PACCA, Mémoires, I, 112.
[38] Voir le texte entier de la bulle dans PACCA, I, 129-148.
[39] Napoléon se fit donner par Bigot de Préameneu une consultation, d'après laquelle il n'aurait pas été atteint par la bulle, parce que, d'après les règles, les peines portées contre les envahisseurs de biens temporels n'atteignaient les souverains que lorsqu'ils avaient été nommés en termes exprès. Bigot de Préameneu ignorait l'existence du bref du sa juin 1809. Voir le texte de ce bref dans WELSCHINGER, op cit., p 84-85.
[40] Lettres inédites de Napoléon Ier, t. I, p. 317.
[41] Lettre du 19 juin.
[42] RADET, Relation au pape Pie VII. Il est pour le militaire, a écrit Radet, des devoirs si pénibles qu'on est tenté de les éluder. Mais l'homme de bien est maintenu dans l'obéissance par la foi jurée et par l'honneur. RADET, Mémoires, p. 171. Radet était sincère ; mais on voit l'erreur de son raisonnement. Aucune promesse, aucun serment, ne peut dispenser de l'observation des lois supérieures de la justice.
[43] RADET, Mémoires. En ce moment, disait plus tard Radet à Artaud, ma première communion m'a apparu. ARTAUD, Histoire de Pie VII, t. III, p. 92.
[44] C'est la formule par laquelle les parlements refusaient l'enregistrement des édits royaux : Nec volumus, nec possumus, nec debemus. ARTAUD, II, 353.
[45] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 87.
[46] H. CHOTARD, le Pape Pie VII à Savone, d'après des lettres et des mémoires inédits, 1 vol. Paris, 1887.
[47] PACCA, Mémoires, X.
[48] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 100.
[49] On montre encore, à l'évêché de Savone, les deux pièces qui furent occupées par Pie VII et la loge d'où, chaque soir, il bénissait la ville.
[50] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 93, Voir surtout MAYOL DE LUPÉ, la Captivité de Pie VII, d'après des documents inédits, un vol. in-8°, Paris, 1912.
[51] On se rappelle la phrase de Bonaparte, premier consul : Les prêtres prennent les âmes et ne me laissent que les cadavres.
[52] Cette pièce est aux archives nationales et contient dix-huit noms, dont dix de princesses protestantes.
[53] Sur le divorce de Napoléon, voir H. WELSCHINGER, le Divorce de Napoléon, Paris, 1889 ; Geoffroy de GRANDMAISON, Napoléon et les cardinaux noirs, Paris, 1895 ; LECOY DE LA MARCHE, le Mariage religieux de Napoléon et de Joséphine, dans la Guerre aux erreurs historiques, 1 vol. in-12, Paris, s. d. ; P. DUDON, le Divorce de Napoléon, lettre inédite du cardinal Fesch, dans les Etudes du 25 août 1901, p. 606-622.
[54] Cette dernière, par le fait, comme on le verra plus loin, ne fut pas consultée.
[55] NAPOLÉON Ier, Mémoires, t. I, p. 121.
[56] M. Emery écrivait, à cette occasion, à son ami l'évêque d'Alais : Oh ! que je bénirais une maladie qui m'arriverait dans ces circonstances, dût-elle m'emporter ! MÉRIC, Histoire de M. Emery, t. II, p. 327.
[57] Voir le témoignage du chancelier PASQUIER dans ses Mémoires, t. I, p. 440.
[58] Sur les motifs canoniques de cet avis et sur l'attitude de M. Emery dans cette affaire, voir GOSSELIN, Vie de M. Emery, t. II, p. 247-249.
[59] Les adversaires los plus fougueux de Napoléon furent eux-mêmes, sur le moment, très impressionnés par cette alliance. Joseph de Maistre écrivait, le 25 février 1810, au roi Victor-Emmanuel : Cet homme miraculeux finit par épouser la fille de l'empereur d'Autriche. La chose étant décidée, je n'ai rien à dire, et même je crois devoir dorénavant changer de style en m'exprimant sur le compte de ce personnage, qui doit être, à présent, traité comme un autre souverain.
[60] La protestation du pape, il convient de le remarquer, n'a jamais porté que sur l'irrégularité de la procédure. Soit par prudence, soit par respect pour les règles du droit canonique, en vertu desquelles un tribunal supérieur n'est saisi que par l'appel d'une des parties, soit enfin parce que la question de fond ne lui parut pas claire, le pape ne se prononça jamais sur la validité du premier mariage de Napoléon. Suivant l'abbé ROHRBACHER, Histoire universelle de l'Eglise, t. XII, l. XII, p. 45, il y aurait eu une cause réelle de nullité, dont on n'osa pas faire mention, mais qui détermina les votes des officialités. Cf. MÉRIC, Histoire de M. Emery, t. II, p. 339-340.
[61] G. DE GRANDMAISON, les Cardinaux noirs, 1 vol. in-12, Paris, 1895.
[62] Vie de M. Emery, t. II, p. 238-239. Les réponses du conseil ont été reproduites par Talleyrand, avec quelques abréviations. TALLEYRAND, Mémoires, t. II, p. 52 et suivantes. Sur le conseil ecclésiastique de 1809-1810, voir l'étude approfondie de M. WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 82-138.
[63] Sur l'attitude de M. Emery en cette circonstance, voir les témoignages rapportés par M. GOSSELIN, Vie de M. Emery, t. II, p. 239-243.
[64] TALLEYRAND, Mémoires, t. II, p 71.
[65] H. WELSCHINGER, le Roi de Rome, 1 vol. in-8°, Paris, 1897, p. 3.
[66] H. WELSCHINGER, le Roi de Rome, p 5.
[67] H. WELSCHINGER, le Roi de Rome, p. 6.
[68] METTERNICH, Mémoires, t. II, p. 333-355.
[69] F. SCHŒLL, Recueil de pièces officielles, t. IV, p. 247. Cité par WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 125.
[70] CHOTARD, le Pape Pie VII à Savone, p. 124.
[71] Le cardinal Fesch, à qui l'empereur s'était adressé d'abord, avait eu le courage de refuser.
[72] ARTAUD DE MONTOR, Histoire de Pie VII, 3e édition, t. III, p. 14-17.
[73] ARTAUD DE MONTOR, Histoire de Pie VII, t. III, p. 18.
[74] On les trouvera, savamment étudiés, dans un long chapitre de M. Welschinger, qui, le premier, a pu consulter aux Archives nationales toutes les pièces inédites qui concernent le concile WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, ch. V, p. 197-287.
[75] PASQUIER, Mémoires, t. I, p. 483.
[76] LANZAC DE LABORIE, Paris sous Napoléon, t. IV, p. 344.
[77] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 381.
[78] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 334.
[79] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 334.
[80] Les cardinaux Doria, Dugnani, Ruffo et de Bayane.
[81] ARTAUD, III, p. 36.
[82] ARTAUD, III, p. 36-37.
[83] Alfred DE VIGNY, Servitude et grandeur militaires, ch. V.
[84] ARTAUD, III, p. 37.
[85] ARTAUD, III, p. 38.
[86] PACCA, Mémoires, t. II, p. 131-140.
[87] A peu d'intervalle, les populations du Midi virent passer les deux cortèges, celui du pape et celui de l'empereur. Le cardinal Pacca raconte que, tandis que le pape passait le Rhône, sur le pont de bateaux, de Beaucaire à Tarascon, les habitants des deux villes se réunirent pour lui offrir les témoignages de la plus tendre, vénération. On n'entendait qu'acclamations de joie, applaudissements, félicitations Le colonel Lagorsse, chargé de conduire le pape, dit alors à tout ce peuple : Que feriez-vous donc si l'empereur passait ? A ces mots, le peuple répondit : Nous lui donnerions à boire. Le colonel s'étant mis en colère, un des plus violents de la troupe lui cria : Colonel, est-ce que vous auriez soif ? ARTAUD, III, 81. Ceci pouvait faire prévoir ce qui se passa deux mois plus tard, à Orgon, où l'empereur détrôné subit, suivant l'expression de Thiers, l'humiliation la plus douloureuse de sa vie. Pour échapper aux violences dont le menaçaient ces terribles Provençaux, qui avaient déjà préparé une potence pour le pendre, Napoléon dut se résoudre à revêtir un uniforme étranger, afin de paraitre un des officiers composant le cortège. THIERS, Histoire du consulat et de l'empire, t. XVII, p. 834.
[88] WELSCHINGER, le Pape et l'Empereur, p. 455.
[89] Sur la religion de Napoléon, voir cardinal MATHIEU, le Concordat de 1801, p. 30-33 et p. 346. Le texte célèbre sur la divinité de Jésus-Christ parait d'une authenticité indiscutable. Voir le livre intitulé Sentiments de Napoléon sur le christianisme, conversations religieuses recueillies à Sainte-Hélène, Poissy, Olivier Fulgence. Quant au mot sur la première communion, il ne semble pas apocryphe, quoiqu'il ait été arrangé.
[90] Relation d'O'Méara, reproduite dans la Correspondance de Napoléon, t. XXXII, p. 394.
[91] G. DE FÉLICE, Histoire des protestants français, p. 610.
[92] G. DE FÉLICE, Histoire des protestants français, p. 611.
[93] G. DE FÉLICE, Histoire des protestants français, p. 612.
[94] GRÉGOIRE, Histoire des Sectes religieuses, t. II, p. 109.
[95] P. GAUTIER, Mme de Staël et Napoléon.
[96] BOULAY DE LA MEURTHE, op. cit., t. V, p. 387-383.
[97] Abbé LÉMANN, Napoléon Ier et les Israélites, p. 18-34 ; Ph. SAGNAC, les Juifs et Napoléon, dans la Revue d'histoire moderne et contemporaine de 1900 à 1902.
[98] E. CHÉNON, dans l'Histoire générale, t. IX, p. 270.
[99] Théodore REINACH, Histoire des Israélites, 1 vol. in-12, Paris, 1885, p. 334-337.
[100] LANZAC DE LABORIE, op. cit., p. 375.
[101] LÉMANN, Napoléon Ier et les Israélites, p. 114-120 ; Anatole LEROY-BEAULIEU, Israël chez les nations, p. 341-342.
[102] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, Paris, 1864, p. 89.
[103] MADELIN, la Rome de Napoléon, p. 351-352 ; M. BOURGIN, dans la Revue la Révolution française, t. I, p 427.
[104] ARNAULT, Souvenirs d'un sexagénaire, t. I, p. 150.
[105] Cité par LANZAC DE LABORIE, Paris sous Napoléon, t. IV, p. 377. La prétendue affiliation de Napoléon à la franc-maçonnerie ne repose que sur des données vagues. L'Abeille maçonnique l'affirme ; Bésuchet (1829) prétend qu'elle eut lieu dans l'île de Malte, lors de l'expédition d'Egypte. Landry rapporte que Napoléon empereur se rendit un jour, avec Duroc et Lauriston, à une loge du faubourg Saint-Marcel. Ce sont là des affirmations gratuites. Max DOUMIC, le Secret de la franc-maçonnerie, Paris, 1905, p. 199.
[106] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, p. 92.
[107] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, p. 94-95. Sur la Grande Loge générale et sur le Suprême Conseil, voir ibid., p.87 et 95.
[108] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, p. 99.
[109] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, p. 106.
[110] REBOLD, Histoire des trois grandes loges, p. 98.
[111] Journal de l'empire du 4 février 1807, cité par LANZAC DE LABORIE, Paris sous Napoléon, t. IV, p. 385.
[112] BOURGIN, dans la revue la Révolution française, t. II (1905) p. 52.