La Constitution civile du clergé, a écrit un historien dévoué aux idées révolutionnaires[1], fut l'erreur capitale de la Révolution. Les philosophes avaient rêvé d'un clergé-citoyen[2], comme ils disaient ; professant la foi du Vicaire savoyard ; les gallicans, d'une Eglise complètement subordonnée à l'Etat ; les jansénistes ; d'un retour à la pureté des mœurs des premiers siècles. Jamais rêves ne furent plus brutalement contredits par les faits. Quelques mois après la promulgation de la célèbre Constitution, la grande majorité de la France catholique, rangée autour du pape, maudissait la Révolution ; le clergé fidèle à l'Eglise était mis dans la nécessité de refuser son obéissance à l'Etat, et le clergé fidèle à la Constitution, trop souvent foyer d'intrigues, d'ambitions et de convoitises, ne rappelait que de fort loin les austères vertus de l'Eglise primitive. Les conséquences de la Constitution civile devaient s'étendre plus loin : les exils et les massacres, les guerres civiles et les guerres étrangères, qui désolèrent la France pendant les dernières années du XVIIIe siècle, se rattachent, comme la suite de cette histoire le fera voir, à cet acte capital de l'Assemblée constituante[3]. I Les premiers temps qui suivirent la promulgation de la loi avaient semblé donner raison à ses auteurs. La moitié environ du clergé paroissial, le tiers du clergé séculier pris dans son ensemble, prêta le serment demandé[4]. La plupart des jureurs devaient se rétracter plus tard ; mais, au début, seul un canoniste consommé pouvait voirie fond schismatique de la Constitution, seul un politique avisé pouvait en prévoir les lointaines conséquences. Figurons-nous le curé de campagne, placé en présence d'un serment d'obéissance aux lois, voté par l'assemblée des représentants du peuple et sanctionné par le roi très chrétien. Il est mis eu demeure de prêter ce serment sous peine d'abandonner son église, son presbytère, ses ouailles, d'être même poursuivi comme perturbateur public. Dans bien des paroisses, le bon curé n'hésite pas ; il jure sans aucun remords de conscience. Son erreur est d'autant plus excusable, qu'il peut savoir, par diverses relations, que, même après le vote de la loi, des négociations se poursuivent entre la cour de Tome et celle de France. Il sait bien, après tout, quels dépendance du clergé à l'égard du pouvoir civil n'est pas chose nouvelle en pays de France. Il est incontestable que les évêques, et le pape lui-même, furent très lents à perdre l'espoir d'une entente[5] avec le gouvernement français. Louis XVI, dans sa politique un peu trouble, avait laissé entendre que son acceptation de la loi était en quelque sorte conditionnelle, qu'il attendrait que le pontife régularisât par un bref les dispositions de la loi qui s'écartaient du droit commun de l'Eglise[6]. Et puis, ce qu'on voyait surtout dans la nouvelle loi, c'était l'abolition d'un régime suranné, qui avait trop longtemps pesé sur tout le monde. Enfin, parmi les meilleurs esprits, beaucoup, avec cet optimisme en l'avenir qui remplissait alors les âmes, s'obstinaient à compter sur la bonté des hommes et sur la providence de Dieu, pour aplanir les difficultés qui restaient encore à résoudre. Il fallut peu à peu voir tomber ces illusions. Il fut bientôt visible que le ministre des affaires étrangères, M. de Montmorin, cherchait à jouer à la fois le pape et le roi, que les négociations ouvertes se poursuivaient en conversations oiseuses, que l'assemblée était décidée à appliquer la loi dans sa teneur intégrale, quelle que fût la réponse du Saint-Siège. L'ambassadeur de France à Rome, le cardinal de Bernis, fut chargé de signifier à Pie VI que les pourparlers nouveaux n'avaient pas pour objet l'examen de la Constitution, moins encore sa réforme, mais son application. Et, pour l'appliquer, on n'attendit pas même la réponse du pape. L'évêque de Quimper étant mort, le 30 septembre, le président du comité ecclésiastique, l'abbé Expilly, fut élu, le 31 octobre, évêque du Finistère, suivant la forme établie par la Constitution[7]. Au même moment, l'archevêque de Sens, Loménie de Brienne, organisait son conseil épiscopal suivant les règles nouvelles. L'opinion publique ne se trompa point sur les dispositions intimes de tels prélats ; elle ne vit en eux, suivant les expressions de Mirabeau, que des officiers de morale. Le 20 novembre, Prudhomme, s'adressant aux évêques, écrivait dans son journal : Messieurs, allez en paix et laissez-nous. A un peuple éclairé, il ne faut d'autre frein que celui d'un code national[8]. Il était bien évident désormais que l'une des passions les plus obsédantes des Constituants était, suivant l'expression d'un grave historien[9], la passion antireligieuse. Le pape, cependant, gardait toujours le silence. Il devait le garder jusqu'au 13 mars 1791. Fidèle à la politique qu'il avait suivie à l'égard de Joseph II, de Catherine II et de Léopold de Toscane, le Saint-Père ne voulait rien briser. Il désirait tout faire pour éviter un schisme. Pie VI devait être le dernier à croire à l'énergie de Louis XVI. Peut-être craignait-il aussi, — et il aurait eu bien des raisons de le craindre, — qu'un grand nombre d'évêques, encore trop impressionnés par leurs désirs de conciliation, qu'un grand nombre de prêtres, encore trop ignorants de la situation réelle, n'écoutassent pas assez docilement les conseils d'une sage intransigeance[10]. Plus tard, quand il se trouva en présence de faits précis, attestant le caractère schismatique et révolutionnaire de la loi, le pape fit entendre la voix de son autorité suprême avec une grande force ; et les événements donnèrent alors raison à sa prudence : la grande majorité des prêtres lui obéit sans hésiter, résistant aux persécuteurs avec un héroïsme digne des premiers siècles. II Les événements qui se succédèrent, de la fin de novembre 1790 au commencement de mars 1791, montrèrent que l'intronisation d'Expilly à Quimper et les réglementations nouvelles édictées à Sens par Loménie de Brienne n'étaient pas des incidents isolés, mais se rattachaient à un plan systématiquement conçu et méthodiquement poursuivi. Appliquer la Constitution le plus tôt possible, de la manière la plus brutale, et sans souci aucun de l'autorité du pape : tel était — il n'y avait plus a en douter — le dessein manifeste des sectaires qui dominaient à l'assemblée. Le 5 novembre, le député Duquesnoy, un des hommes dévoués
à la politique de Montmorin, monta à la tribune. Vous
avez rendu un décret sur la Constitution du clergé, dit-il. Il est bon que l'assemblée sache qu'il est exécuté...
Je demande que, dans la quinzaine, le comité
ecclésiastique nous rende compte de l'exécution des décrets sur la
Constitution du clergé. Lanjuinais, prenant la parole au nom du
comité, répondit en alléguant l'élection de l'abbé Expilly, qui venait de se
faire dans la ville de Quimper, et annonça que les
dispositions étaient préparées dans les autres départements[11]. Cette promesse
ne tarda pas à être exécutée. Les premières victimes de la loi furent les chanoines. On avait sans doute pensé que cette exécution produirait moins d'émotion parmi les fidèles. Les biens des chapitres furent inventoriés, et défense fut faite à leurs membres de se réunir désormais en commun. Le chapitre de Montpellier avait déjà été supprimé le 16 octobre. La suppression du chapitre de Bourges eut lieu le 11 janvier 1791 ; celle du chapitre de Saint-Pons, le 8 février. Les mêmes mesures furent bientôt prises à Mirepoix, Verdun, Tréguier, Saint-Omer, et généralement dans toutes les provinces. Dans certaines vieilles villes, dont l'église cathédrale ou collégiale était le centre traditionnel des manifestations religieuses, ce premier attentat fut douloureusement senti. A Noyon, à Saint-Orner, à Agde, à Tréguier, à Saint-Pol-de-Léon, l'impression fut profonde. Quand, dit un historien[12], les cloches cessèrent d'annoncer les psalmodies quotidiennes ; quand la lampe d'argent, allumée jour et nuit devant l'autel, eut été descendue ; quand, dans les rues toutes verdies de mousse, les pas se firent plus rares encore, quand on vit la petite bande des scellés se détacher sur la salle capitulaire, sur la sacristie, sur les grilles du chœur, on comprit que la même Révolution qui effaçait tant de vestiges antiques laisserait déserts les lieux où s'était développée toute cette vie. L'évêché, qui disparaîtrait avec le chapitre, consommerait la décadence. En plus d'un endroit, un commencement de résistance se produisit. A Laon, le peuple réclama et obtint la réouverture de la cathédrale ; à Cambrai, une foule tumultueuse fit reculer les commissaires qui venaient apposer les scellés[13]. Un certain nombre d'évêques, entre autres ceux de Mirepoix, de Verdun, de Soissons, de La Rochelle, publièrent des mandements de protestation[14]. Les autorités locales firent alors saisir les mandements, dénoncèrent les prélats à l'Assemblée constituante. Certains directoires de département, ceux du Jura et de la Corrèze, supprimèrent le traitement des évêques rebelles. Celui de la Haute-Marne ferma de sa propre autorité la cathédrale de Langres. Ces mesures se généralisèrent peu à peu. L'audace des sectaires croissait de jour en jour. Dans son journal, Prudhomme s'écriait[15] : Malheur aux prélats qui s'obstineraient à conserver quelques reliques de l'ancien régime ! Ils ne feraient que hâter la Révolution qui se prépare dans les idées religieuses. Aucune illusion n'était plus possible : La Constitution civile du clergé était regardée par les anticléricaux comme un minimum, un minimum insuffisant, un pis aller. Ceux-ci réclamaient le mariage des prêtres, la suppression de l'épiscopat, la suppression de la barrière élevée entre les clercs et les laïques[16], etc. A l'assemblée, les députés de la gauche jetèrent enfin le masque. Il n'y fut plus question désormais de respecter l'autorité du Saint-Siège ou les règles du droit ecclésiastique. Vous invoquez les formes canoniques, s'écria Voidel à la séance du 26 novembre. Qui peut ignorer que ces formes canoniques étaient, entre, les mains des despotes et de leurs lâches courtisans, une arme empoisonnée, avec laquelle ils multipliaient du perpétuaient leurs abus ? Comme l'abbé Maury avait parlé du pape, le pape, dit le janséniste Camus, a la puissance, la surveillance ; mais il n'a pas le droit de donner des ordres aux évêques[17]. A la suite de cette discussion, l'assemblée décida, le 27 novembre 1790, que dans la huitaine, à partir de la publication du présent décret, tous les évêques et curés prêteraient le serment un jour de dimanche, à la fin de la messe, en présence des municipalités ; faute de quoi, ils seraient privés de leurs fonctions, déchus de leurs droits de citoyens français, et, en cas d'exercice de leur ministère, poursuivis comme perturbateurs du repos public, ainsi que toutes personnes qui se coaliseraient pour exciter des oppositions aux décrets de l'assemblée[18]. Après de telles déclarations et un tel vote, Rome ne
pouvait songer à poursuivre des négociations efficaces avec la France. Tout
espoir d'entente était définitivement perdu. La loi du 27 novembre, suivant
l'expression d'un contemporain, M. de Montlosier, avait
coupé tous les ponts. Mais cette déclaration de guerre allait, en
éclairant les catholiques, réveiller les courages endormis. La gauche de
l'assemblée ne put retenir un mouvement d'émotion quand Maury lui jeta cette
apostrophe : Prenez garde : il n'est pas bon de
faire des martyrs ![19] III La loi, il est vrai, manquait encore d'un élément essentiel pour être mise à exécution, la sanction du roi. Mais cette sanction ne faisait plus de doute pour personne. Louis XVI fit un dernier effort pour obtenir du pape une réponse qui mît sa conscience à l'abri du remords. Le 3 décembre, il écrivit à Pie VI pour le supplier d'approuver la division nouvelle des métropoles et des évêchés telle que la Constitution l'avait établie. Le silence ou le refus de Votre Sainteté, disait-il, déterminerait infailliblement un schisme... Je conjure Votre Sainteté de me donner la réponse la plus prompte et la plus satisfaisante[20]. Le pape, s'appuyant sur le mouvement d'opinion qui se dessinait en France, répondit, le 14, à Bernis, qu'en approuvant la Constitution civile du clergé, il encourrait la désapprobation, non seulement de l'Eglise universelle, mais de l'Eglise gallicane. Tout ce qu'il pouvait faire était d'ajourner sa décision. Mais en France les événements se précipitaient. Les autorités locales continuaient à pourvoir les nouveaux sièges épiscopaux suivant les règles nouvelles. Un évêque fut élu dans les Ardennes, le 23 novembre ; un autre, dans la Mayenne, le 12 décembre. Le 20, l'assemblée somma le roi de sanctionner son décret. Louis XVI connut des heures d'affreuse angoisse. Il s'adressa à Boisgelin. Le prélat, qui allait bientôt refuser courageusement pour son compte de prêter le serment, fut touché de pitié. Il essaya de calmer la conscience du roi en lui disant que du moment que son acceptation était vraiment et paraissait être une acceptation forcée, il pouvait être en repos. Un vieil ami du roi, Saint-Priest, l'ancien ministre intransigeant, eut la même compassion pour le pauvre monarque. Ni l'un ni l'autre n'eurent le courage de pousser Louis XVI à une résistance qu'ils sentaient au-dessus de ses forces[21]. Le 26, le cœur brisé, le roi donna la sanction demandée. Son message fut accueilli à l'assemblée par des applaudissements qui, au dire du journal de Camille Desmoulins, se prolongèrent pendant dix minutes[22]. La gauche acclamait, comme on l'a dit, non le roi, mais sa propre victoire[23]. J'aimerais mieux être roi de Metz, avait dit Louis XVI en signant le décret, que de demeurer roi de France dans une position pareille, mais cela finira bientôt[24]. Il songeait au secours qu'il espérait de l'Europe. Le 26 novembre, la veille du jour où fut porté le décret dont le vote lui semblait désormais inévitable, il avait écrit à Breteuil, l'invitant à ouvrir des négociations avec les cours amies. J'approuve tout ce que vous ferez, lui disait-il[25], pour arriver au but que je me propose, qui est le rétablissement de mon autorité légitime et le bonheur de mes peuples. Ce que le roi rêvait, d'ailleurs, ce n'était nullement une invasion étrangère, mais une grande manifestation sur les frontières, où l'empereur eût massé des troupes, montrant par là qu'il trouvait mauvaise la manière dont on traitait le roi[26]. Les puissances ne se prêtèrent pas à ce projet chimérique. Sans doute, la situation de l'Europe à l'égard des questions religieuses n'était plus la même que dix ans auparavant. Les temps étaient passés où les cours bourbonniennes s'entendaient entre elles pour arracher au Saint-Siège la suppression de la Compagnie de Jésus. Le roi de Naples était réconcilié avec Rome ; l'empereur se montrait plein d'égards pour le Souverain Pontife ; l'ambassadeur d'Espagne, Florida-Blanca, mis en relation avec les émissaires du comte d'Artois, semblait de plus en plus défavorable à la politique anti-romaine dont il s'était fait le champion autrefois ; à Rome, à Bruxelles, à Turin, à Mayence, à Coblentz, les émigrés français s'agitaient, demandaient, sinon une invasion sérieuse, comme le comte d'Artois, du moins la démonstration militaire désirée par Louis XVI. On a supposé que Pie VI lui-même se serait prêté de quelque façon à une intervention des puissances[27], ou du moins se serait laissé influencer par un mouvement diplomatique exercé en ce sens. Ces conjectures, qui ne reposent sur aucun document historique, semblent démenties par le caractère même du pontife[28]. Si quelque puissance essaya jamais de lier sa cause à celle de Pie VI, ce ne fut que lorsque ses propres intérêts furent en jeu. Ainsi que le fait remarquer Albert Sorel, l'Europe de 1790 était incapable de se compromettre pour la cause des rois, encore moins pour la cause de l'Eglise. C'en était fait de la chrétienté, et, à proprement parler, il n'y avait plus d'Europe. Il n'était plus question de droit ; la force primait tout. Les Etats, d'ailleurs, ne paraissaient pas plus alarmés qu'ils n'étaient scandalisés de la Révolution française. Ils y voyaient une révolte affaiblissant un pays redouté, la France. Ils ne prévoyaient nullement la force d'expansion que devait prendre le mouvement français... Lorsque, deux ans plus tard, l'Europe se décida à marcher contre la Révolution, ce ne fut pas pour obéir à la solidarité monarchique (ajoutons : encore moins pour défendre la cause de l'Eglise), mais dans l'espoir de trouver, de l'autre côté du Rhin, une autre Pologne à démembrer[29]. Le pape ne pouvait donc compter ni sur le roi de France ni sur l'Europe, pour le soutenir dans sa campagne contre les entreprises schismatiques de l'assemblée ; mais il suivait, d'un regard de plus en plus attentif et encourageant, le mouvement de protestation qui s'accentuait dans le clergé et dans le peuple. Le 23 octobre 1790, il événements avait envoyé un bref laudatif à l'abbesse de Remiremont, Adélaïde de Bourbon-Condé, qui venait de protester contre les décrets de l'assemblée ; le 11 novembre, il avait écrit à l'évêque de Bâle, préoccupé au sujet de son siège, qu'il ne confierait jamais les ouailles de cet évêque à d'autres mains, et que tout nouveau venu serait pour lui un intrus[30]. Deux nouveaux faits, en l'éclairant davantage sur l'hostilité croissante de l'assemblée et sur la fidélité grandissante de l'épiscopat de France, le déterminèrent enfin à condamner solennellement et définitivement la Constitution civile du clergé. Ce fut d'abord l'ensemble des mesures prises par le gouvernement français dans l'affaire d'Avignon ; puis le courage dont le clergé de France donna l'exemple à l'assemblée quand on lui demanda le serment.
IV Parmi les territoires appartenant au Saint-Siège, Avignon et le Comtat Venaissin jouissaient d'un statut particulier. Acquis à des époques différentes[31], ils avaient conservé leurs vieilles franchises, et ne' payaient que des impôts fort légers, dont le revenu, consacré au gouvernement local, na parvenait pas au Saint-Père[32]. Enclavées dans la France, ces possessions du Saint-Siège avaient plusieurs fois servi de gage aux rois de France quand ceux-ci voulaient peser sur le gouvernement pontifical. Deux fois, lors du conflit de la régale et lors de l'affaire des franchises, Louis XIV s'était emparé d'Avignon et du Comtat. De 1768 à 1774, Louis XV, pour forcer le pape à supprimer l'ordre des jésuites, avait renouvelé le même attentat. La Révolution, sur ce point comme sur tant d'autres, devait continuer, en les aggravant, les mesures agressives de l'ancien régime. Dès le début de la Révolution, la tactique des ennemis du Saint-Siège avait été de propager, dans les Etats mêmes du Saint-Père, les idées nouvelles. Le constituant Camus, qui devait jouer un rôle prépondérant dans la discussion de la Constitution civile, avait entretenu, dès les premiers mois de 1789, une correspondance suivie avec l'un des chefs du mouvement avignonnais, nommé Raphel. Les circonstances favorisèrent ces projets. La crise économique, qui affligea la France pendant l'hiver de 1788, avait été particulièrement terrible en Avignon et dans le Comtat Venaissin. Au mois de mars, des émeutes, provoquées par le chômage forcé des ouvriers et par la misère générale, éclatèrent çà et là. Le vice-légat, Casoni, fit distribuer gratuitement des vivres aux plus pauvres, ouvrit aux chômeurs des ateliers de charité, organisa des souscriptions patriotiques[33]. Pie VI lui-même fit une expédition de blé, envoya sur les lieux un commissaire chargé d'entendre les réclamations et de remédier aux abus qui auraient pu s'introduire. Il exhorta en même temps les habitants à se méfier des pièges qu'on leur tendait[34]. Mais comme à Paris, le mot d'accapareur, habilement jeté dans la foule, excitait les têtes ; et, malgré toutes les apparences contraires, le vice-légat était rendu responsable, par les meneurs, de toutes les calamités. La nouvelle de la prise de la Bastille échauffa les esprits. Des milices citoyennes se formèrent pour repousser les prétendus oppresseurs du peuple. A l'instigation de quelques étrangers, fixés en Avignon et à Carpentras à la suite des occupations françaises, et de quelques gens du pays, épris des idées du jour, un nouveau parti se forma, qui prit le nom de parti des patriotes. Il se grossit de tous les mécontents, trouva ses cadres et ses moyens d'action dans les milices, que le vice-légat, débordé, dut légaliser, et bientôt se crut en mesure de parler haut, d'exiger des réformes. Les décrets portés par l'Assemblée constituante dans la nuit du 4 Août portèrent à son comble l'exaltation populaire. Les décrets du 4 Août, écrivait Raphel à Camus[35], ont exalté toutes les têtes ; et chacun, dans ce petit Etat, a désiré se procurer les mêmes avantages dont vous alliez faire jouir les Français. On ne se proposait que vos décrets pour modèle et pour règle. Un certain Raphel, homme dangereux, dit un contemporain[36], aussi habile intrigant qu'il était fourbe et profondément méchant, s'était fait nommer premier consul de Carpentras. A côté de lui vint se ranger un noble philosophe, le baron de Sainte-Croix, homme de lettres enthousiaste, qui avait étudié à fond les institutions politiques de l'antiquité, et qui rêvait de transformer sa petite patrie sur le modèle de l'ancienne Grèce[37]. Tandis que Raphel et Sainte-Croix ne demandaient que des
institutions indépendantes, les agitateurs d'Avignon réclamaient l'union à la
France. Un ancien maitre d'école, devenu
journaliste, Sabin Tournai, un notaire, Lescuyer, des avocats, Peyre et
Palun, des aubergistes, Molin et Peytavin, un boucher, Chaussi, avaient
derrière eux la population ouvrière, habituée à suivre docilement l'impulsion
de ceux qui lui donnaient du travail, et la population paysanne, désireuse de
supprimer les droits féodaux et les octrois[38]. Echapper aux
charges du régime pontifical sans se soumettre à celles du régime français,
tel était l'idéal que les meneurs faisaient miroiter aux yeux des paysans
avignonnais et comtadins. Malgré les plats sarcasmes,
disaient les Annales du comtal Venaissin[39], nous aurons la paix, les lois françaises, et nous n'aurons
pas d'impôts. Pie VI était loin de se refuser à de sages réformes. Il
institua une assemblée de notables, dont la tâche serait précisément de lui
signaler les abus à réformer. Mais Raphel et ses partisans voulaient faire
les réformes eux-mêmes[40]. Les paysans se
soulevèrent, et, comme dit un contemporain, les
insurrections devinrent une mode. Un jour, les habitants de Caumont
obligent les moines de la Chartreuse de Bompas à céder une partie de leurs
biens à la municipalité ; un autre jour, les habitants de Bédarrides se
partagent les biens de l'archevêque d'Avignon. Cavaillon, Bollène, Avignon
instituent des municipalités patriotes, c'est-à-dire
révolutionnaires. Le 11 juin 1790, les districts d'Avignon votent la réunion
de leur ville à la France, comme l'unique moyen de
se soustraire à la vengeance de la cour de Rome, des nobles et des
aristocrates[41]. En même temps,
ils chassent le vice-légat, qui se retire à Carpentras, capitale du Comtat. Les Comtadins ne s'étaient pas associés à la demande des Avignonnais ; Raphel et Sainte-Croix poursuivaient leur rêve d'une sorte de république indépendante. Ils avaient formé à Carpentras une assemblée représentative. Cette assemblée s'empressa d'adopter la Déclaration des Droits de l'homme et les principaux articles de la Constitution française ; puis, comme le pape refusait de sanctionner ses décrets, elle passa outre, déclara ses décisions exécutoires, chassa le vice-légat, qui se retira en Savoie, et confia le pouvoir exécutif à trois chefs du parti des patriotes. C'était la rupture complète avec le Saint-Siège. Le Pape tenta l'emploi des voies de douceur, offrit l'amnistie aux perturbateurs. Les chefs de la révolution refusèrent avec hauteur le pardon pontifical. Cependant, la pétition des districts avignonnais était parvenue à l'Assemblée constituante, qui, le 20 novembre, décida d'envoyer à Avignon un corps de troupe, chargé de maintenir l'ordre, de concert avec les officiers municipaux, c'est-à-dire avec le mouvement insurrectionnel[42]. C'était attenter ouvertement à la souveraineté du Saint-Siège, faire pénétrer pour ainsi dire de force et à main armée les principes de la Révolution dans les Etats de l'Eglise. Dix jours plus tard, sous la protection des soldats français, la municipalité avignonnaise enjoignait à l'archevêque d'Avignon, Giovio, qui s'était retiré à Villeneuve, et à tous les prêtres, de prêter le serment civique, sous peine d'être déchus de leurs fonctions. Cette imposition de la Constitution civile du clergé dans le domaine du Saint-Siège était le dernier outrage que la patience du pontife n'avait plus le droit de supporter. L'heure de dénoncer la Constitution schismatique avait sonné. V Pendant que ces événements se déroulaient à Avignon et dans le Comtat, un départ s'était fait, peu à peu, en France, parmi le peuple et le clergé, entre les hommes qui jusque-là avaient adhéré aux mêmes formules avec des intentions bien différentes. Ceux dont l'esprit inclinait vers le philosophisme ou était gagné au jansénisme, se montraient prêts à obéir aux décrets de l'assemblée et à prêter le serment ; mais la plupart de ceux qui n'avaient cherché qu'à réaliser une réforme politique et sociale dans un esprit chrétien, étaient décidés à refuser énergiquement le serment demandé et à se ranger ouvertement contre la Révolution. Parmi les premiers, s'était déjà distingué un homme d'une personnalité très marquée, et qui devait, pendant tout le cours de la Révolution, dépenser pour la défense de la plus mauvaise des causes un talent de premier ordre et une énergie peu commune : c'était l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil. Il représentait à l'assemblée, avec M. de La Fare, évêque de Nancy, le clergé de Lorraine. Ardent jusqu'au fanatisme pour la Révolution, dépourvu des dons éminents qui font le philosophe, le politique ou l'orateur, très sujet à l'erreur et aux entraînements, mais désireux de conserver la foi chrétienne, très pénétré de ses devoirs sacerdotaux, entouré de l'estime qui s'attache à la droiture, au courage, à la régularité de la vie, il n'approuvait point la Constitution civile, mais, satisfait que le dogme demeurât sauf, il jugeait que le parti le plus sûr était la soumission[43]. Le 27 décembre, dès le lendemain du jour où le roi accorda sa sanction au décret du 27 novembre, Grégoire demanda à monter à la tribune, pour y prêter le serment civique. Il commença par protester de son attachement inviolable à la religion et à la patrie. De cette religion divine, dit-il, nous serons constamment les missionnaires ; nous en serions, s'il le fallait, les martyrs... Mais, après le plus mûr, le plus sérieux examen, nous déclarons ne rien apercevoir dans la Constitution qui puisse blesser les vérités saintes que nous devons croire et enseigner... Nulle considération ne peut donc suspendre l'émission de notre serment... Je jure de veiller avec soin aux fidèles dont la direction m'est confiée ; je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi ; je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution française, et notamment les décrets relatifs à la Constitution civile du clergé. Cinquante et un ecclésiastiques prêtèrent, après lui, le même serment. Le lendemain, 28 décembre, et le dimanche suivant, 2 janvier 1791, deux prélats, Talleyrand, évêque d'Autun, et Gobel, évêque in partibus de Lydda, coadjuteur de l'évêque de Bâle, vinrent accomplir la même formalité légale : le premier, sans phrases et comme pressé d'acquitter une corvée importune, avec ce sourire mystérieux où l'on pouvait lire le froid scepticisme de l'homme pour qui le succès politique est presque tout, et la conviction peu de chose ; le second, hésitant, embarrassé, enveloppant son serment de restrictions prolixes, et d'un ton qui semblait rétracter ces restrictions elles-mêmes. Le surlendemain, 4 janvier, expirait le délai imparti pour le serment. Tous ceux que les derniers événements avaient éclairés sur les intentions du parti révolutionnaire ou confirmés dans leur opposition, reconnaissaient toujours pour chefs l'archevêque d'Aix, M. de Boisgelin, et l'évêque de Clermont, M. de Bonal. L'un et l'autre avaient voulu épuiser d'abord les tentatives de conciliation. Le 1er décembre, M. de Boisgelin avait écrit au roi pour lui offrir la démission de tout l'épiscopat, si cette démission pouvait concourir au rétablissement de la paix ; il lui proposait aussi d'intervenir auprès du pape pour en obtenir l'autorisation de la réélection des évêques et une délég9tion générale aux métropolitains pour donner, au nom du Saint-Siège, l'institution canonique à leurs suffragants[44]. Le 2 janvier 1791, M. de Bonal avait proposé à l'assemblée une formule de serment qui exceptait formellement les objets qui dépendent essentiellement de la puissance spirituelle[45]. Mais la proposition de l'archevêque d'Aix n'avait pas eu de suite, et la motion de l'évêque de Clermont n'avait provoqué que des menaces et des huées ; le bureau de l'assemblée avait refusé de la recevoir[46]. On prévoyait que la séance du 4 janvier serait décisive. Les hommes de la Révolution savaient qu'un grand nombre des membres du clergé étaient décidés à refuser le serment. On essaya de peser sur eux. Dès la veille, des pamphlets circulèrent ; des cris de mort furent proférés. Bien avant la séance, les galeries se remplirent d'hommes de désordre, d'habitués des clubs, décidés à exercer sur les représentants une pression d'intimidation. Après un débat préliminaire sur le sens et sur les conséquences du serment, où Grégoire, Mirabeau, Barnave prirent successivement la parole, le président procéda à l'appel nominal. Le premier appelé fut l'évêque d'Agen, M. de Bonnac. Il parla au milieu d'un silence impressionnant. Je ne donne, dit-il, aucun regret à ma place, aucun regret à ma fortune ; mais j'en donnerais à la perte de votre estime. Je vous prie donc d'agréer le témoignage de la peine que j'ai de ne pouvoir prêter le serment. Un simple prêtre, l'abbé Fournetz, curé de Puymarac, au même diocèse d'Agen, lui succéda : Vous voulez nous rappeler aux premiers siècles de l'Eglise. Avec la simplicité des premiers chrétiens, je vous dirai que je me fais gloire de suivre mon évêque, comme Laurent suivit son pasteur. Leclerc, curé de la Combe, près d'Alençon, commença ainsi : Je suis enfant de l'Eglise catholique. Mais des chanteurs l'interrompirent. Cette série de refus motivés avait impatienté l'assemblée. On suspendit l'appel nominal. Le président[47] déclara, à plusieurs reprises, comme pour convier les prêtres à prêter le serinent pur et simple, que l'assemblée n'entendait pas toucher au spirituel. Que l'assemblée consigne cette déclaration par un décret, s'écria Cazalès. Mais Mirabeau fit observer que les dissidents appelaient peut-être spirituel ce que l'assemblée appelait temporel, par exemple la démarcation des diocèses. La motion de Cazalès fut repoussée. Quelques ecclésiastiques jurèrent en faisant des réserves sur le spirituel ; d'autres, en se reportant aux déclarations de l'assemblée. Quatre prêtèrent le serment pur et simple. Vers les cinq heures du soir, le président, s'adressant à l'assemblée, s'écria : Pour la dernière fois, j'invite les ecclésiastiques présents à prêter le serment. Personne ne se leva. En somme, ainsi que le remarqua un journal de l'époque, l'effet de cette séance fut le contraire de celui qu'en avait espéré la majorité. Sur quarante-quatre évêques ou archevêques, deux seulement, Talleyrand et Gobel, avaient fait défection ; les deux tiers des simples prêtres avaient courageusement refusé le serment. Ce jour a honoré la religion, écrivait le lendemain l'évêque d'Uzès[48], et nous nous sommes retirés, fiers de notre glorieuse pauvreté. La nouvelle de la mémorable séance du 4 janvier 1791 apporta au Saint-Père une grande consolation. Il était désormais assuré que l'épiscopat français, éclairé sur ses devoirs, ne ferait pas un schisme. Le moment semblait venu de rendre publique la condamnation de la Constitution civile du clergé, à laquelle Pie VI travaillait depuis quelque temps. Cette condamnation solennelle ne devait paraître cependant que deux mois plus tard ; mais le pontife profita dès lors de toutes les occasions pour manifester son sentiment. Ainsi le cardinal Loménie de Brienne l'ayant informé, par une lettre du 30 janvier, de sa prestation de serment, le pape lui répondit par un bref sévère, le menaçant de le dépouiller de sa dignité cardinalice s'il ne se rétractait pas sur-le-champ[49]. Le 9 février, Pie VI écrivait à l'évêque de Toulon pour l'encourager à la résistance. Enfin, par deux brefs, l'un du 10 mars 1791[50], l'autre du 13 avril[51], il condamna formellement la Constitution civile du clergé. Le premier bref, adressé aux évêques députés à l'Assemblée
nationale, examinait à fond les principes et les dispositions principales de
la Constitution civile du clergé. Le pape y découvrait deux principes
inspirateurs, qu'il déclarait également hérétiques, à savoir : i° que la
puissance ecclésiastique dépend de l'autorité des princes ; 2° que l'élection
des pasteurs de l'Eglise appartient au peuple. Répondant à l'objection de
ceux qui, comme Grégoire, distinguaient entre le dogme et la discipline, et
réclamaient pour celle-ci une entière sujétion à l'Etat : Combien souvent, ajoutait le Saint-Père, la discipline a-t-elle avec le dogme une intime union !
Combien sert-elle à en maintenir la pureté ! Aussi voit-on les conciles
prononcer l'anathème contre ceux qui ne sont coupables que d'avoir enfreint
les lois de la discipline. Se tournant ensuite vers les impatients, le
pape leur faisait remarquer que, s'il s'était abstenu jusqu'alors de séparer
de l'unité catholique les fauteurs de la Constitution, c'était afin d'essayer
d'éviter par la patience un schisme déplorable. Mais, après avoir longtemps
prié et réfléchi, il déclarait ne pouvoir approuver une loi qui bouleversait tous les diocèses d'un vaste royaume, adoptait l'erreur de Luther et de Calvin sur l'élection
des pasteurs, donnait aux tribunaux civils la juridiction suprême de
causes purement ecclésiastiques, attentait à l'autorité des évêques en
établissant auprès d'eux un conseil arbitrairement désigné, et enfin
avilissait le clergé en substituant aux revenus fixes de ses bénéfices un
traitement en argent fourni par l'Etat. Bref, il condamnait une législation pire que toutes celles que portèrent autrefois les princes. Le bref du 13 avril 1791, adressé à tous les fidèles de France, doit être regardé comme une des décisions les plus solennelles de l'Eglise. Le pontife suprême, après avoir rappelé les motifs développés dans sa précédente lettre, et l'Exposition des principes que tout l'épiscopat de France, à l'exception de quatre évêques, avait signée, ajoutait : Maintenant aucun fidèle ne peut plus douter que cette nouvelle Constitution du clergé ne soit établie sur des principes hérétiques, par suite, hérétique elle-même en plusieurs parties[52]. En conséquence, le Saint-Père défendait expressément à tous ceux qui avaient été irrégulièrement élus et illicitement consacrés, de faire aucun acte de juridiction sons peine de suspense et de nullité[53]. Néanmoins, voulant user de toute l'indulgence qu'il pouvait se permettre, et espérant, par ce moyen, remédier au mal déjà fait, et ramener au bercail ses fils égarés, le Père commun des fidèles déclarait surseoir, pour le moment, à toutes censures plus sévères prescrites par les canons. Mais, concluait-il, si, ce qu'à Dieu ne plaise, nos avis paternels ne produisaient aucun fruit, qu'on sache bien que notre intention est de lancer contre les insoumis l'anathème, de les dénoncer à l'Eglise comme schismatiques, de les retrancher du sein de l'Eglise, de les priver de notre communion[54]. VI Ces deux brefs furent, pour tous ceux qui avaient déjà vu clair dans la politique de la Constituante, un soulagement ; pour la plupart des autres, une lumière. Beaucoup de prêtres jureurs se rétractèrent. La crainte d'une apostasie générale, qui avait hanté l'âme de Pie VI, était dissipée : la France ne donnerait pas le spectacle qu'avait donné, deux siècles plus tôt, l'Angleterre d'Henri VIII, celui d'une grande nation passant au schisme à la suite de ses évêques et de ses prêtres. Cependant le clergé constitutionnel s'organisait avec une
activité d'autant plus grande qu'il était uniquement composé désormais de
sectaires résolus à aller jusqu'au bout dans la voie de la révolte, ou d'esprits
sincèrement illusionnés sur leurs devoirs. Après Talleyrand et Gobel, trois
évêques avaient prêté le serment constitutionnel. C'étaient Jarente, évêque
d'Orléans, que Cheverny, dans ses Mémoires[55], présente comme une espèce de fou, homme de sac et de corde ;
Savine, évêque de Viviers, prélat philanthrope de l'école de Rousseau, qui
devait bouleversez son diocèse par les réformes les plus bizarres et les
rêveries philanthropiques les plus incohérentes[56], et Loménie de
Brienne, ce courtisan né de tous les pouvoirs, cet
archevêque athée qui allait bientôt présider le club de Sens avec un bonnet
rouge taillé dans son chapeau[57]. Pour un retour
aux temps apostoliques, c'était mal commencer[58]. Le 13 mars 1791, en remplacement de M. de Juigné, qui venait d'émigrer en Savoie, une assemblée électorale, composée de 21 prêtres et de 664 laïques, avait élu Gobel archevêque de Paris. La vie de Jean-Baptiste Gobel est l'exemple le plus lamentable peut-être qu'on puisse citer des ravages exercés, dans une âme naturellement honnête, mais vaniteuse et faible, par les séductions d'une aristocratie corrompue, puis par les entraînements d'une démagogie sans frein. Né le 1er septembre 1727 à Thann, dans la Haute-Alsace, il avait fait à Rome de brillantes et solides études théologiques. Il gagna, bientôt après, la confiance du prince-évêque de Bâle, Frohberg, qui l'obtint pour suffragant et le sacra évêque de Lydda in partibus. Instruit, actif, régulier dans ses mœurs, irréprochable dans sa doctrine, le nouveau prélat sembla d'abord justifier la confiance qui le portait aux honneurs. Mais son élévation à la dignité épiscopale lui tourna la tête. D'authentique roture, il tranchait au milieu de tous ces évêques d'ancien régime, recrutés dans la plus haute noblesse. Le faste auquel il crut devoir s'adonner l'entraîna dans des dépenses exagérées. Quoique renté par le prince-évêque et par Louis XVI, il fut obligé d'emprunter pour y faire face. Ses besoins d'argent, sa soif d'honneur le conduisirent bientôt à des bassesses incroyables. On le vit intriguer pour obtenir le gouvernement d'un diocèse. Il joua ; il perdit des sommes folles en brillante compagnie. Pour se faire accepter dans le grand monde, il afficha les vices à la mode. Bref, la Révolution trouva Jean-Baptiste Gobel criblé de dettes et menant à Paris le grand train des prélats les plus fastueux. Elu député aux états généraux par le bailliage de Belfort et d'Huningue, il vota, jusqu'au ter juin 1790, avec la partie la plus intransigeante. du clergé. Puis, tout à coup, ce fut un revirement Complet. La Révolution l'emportait ; Gobel se fit révolutionnaire, et alla tout de suite aux extrêmes. Il se fit affilier au club des Jacobins, et y prononça les discours les plus exaltés. Il s'enrôla avec enthousiasme parmi les Assermentés, et posa sa candidature aux évêchés qui allaient vaquer. L'élection du 13 mars, qui le mettait à la tête du clergé constitutionnel de Paris, le grisa, comme l'avait grisé le choix du prince-évêque de Bâle. Le 17 mars, avant de prendre possession de l'église de Notre-Dame, il fit le tour de la cité dans une procession populaire, composée de ses électeurs, en tête de laquelle marchaient les tambours et la musique de la garde nationale[59]. Ce Talleyrand parvenu, sans souplesse et sans noblesse, devait, lui aussi, réclamer, à ses derniers moments, qui furent tragiques, les secours de l'Eglise qu'il avait reniée. Les prêtres assermentés de Paris[60] durent se rallier autour de cet homme, mais il ne fut jamais l'âme de l'Eglise constitutionnelle. Ce rôle échut à Grégoire, évêque du Loir-et-Cher, que nous connaissons déjà, esprit faux, imbu de préjugés irréductibles contre le Saint-Siège, mais âme droite, ferme, caractère tout d'une pièce, qui devait mettre autant de courage à lutter contre les manifestations antichrétiennes de la Convention et du Directoire, qu'il avait mis d'obstination à défendre les prétendues libertés de l'Eglise gallicane contre la puissance de Rome[61]. Bientôt, non seulement le Loir-et-Cher, mais l'Aube, la Sarthe, le Jura, la Seine-et-Marne, le Rhône, l'Isère, la Corrèze, etc., eurent leurs prélats constitutionnels. Comme à Paris, leur intronisation se fit au milieu de toutes les pompes civiles. Les tambours battirent aux champs, le canon tonna, la garde nationale fit cortège à l'évêque. Au Mans, à Saint-Claude et à Meaux, la musique municipale fit retentir la cathédrale de l'air du Ça ira. A Laval, à Grenoble et à Tulle, un des premiers actes des nouveaux évêques fut d'aller préside les clubs de la ville[62]. Ces nouveaux élus changèrent d'ailleurs peu de chose aux cérémonies religieuses. Le peuple remarqua malignement qu'ils n'abandonnèrent rien des ornements fastueux tant reprochés aux prélats d'ancien régime : ni la bague chatoyante, ni la riche croix pectorale, ni le rochet garni de fines dentelles. L'appellation de Monseigneur, mise à la mode au XVIIIe siècle[63], plut à ces nouveaux dignitaires de l'Eglise ; si bien que, parmi les ruines de tant de titres abolis, celui-là, grâce à eux, se fixa dans les habitudes du langage contemporain[64]. Est-ce à dire que la valeur morale manquait absolument à ces
prélats constitutionnels ? On les a souvent
représentés, dit un historien bien informé, comme
des prêtres tarés, rebut du clergé, qui manquaient autant de foi que de
mœurs. Une appréciation aussi absolue serait injuste. Quelques évêques
constitutionnels étaient des prêtres n'ayant jamais eu ou n'ayant plus la
foi, comme Minée, de Nantes, ou Pelletier, d'Angers ; des débauchés, comme
Dumouchel, de Nîmes, et Porion d'Arras[65] ; des avares, comme Deville ou Rodrigue[66] ; mais ceux qu'un vice odieux et public rendait
méprisables étaient à peine une dizaine. On y rencontre de ces savants à la
piété débile, comme Lalande ou Villar[67], qui faisaient du sacerdoce une carrière ; des
déclamateurs révolutionnaires comme Fauchet ou Huguet ; des arrivistes
sans scrupules, comme Joubert ou Mestadier ; mais de ceux-là non plus on n'en
comptait pas dix[68]. Le reste[69] se divisait en deux fractions à peu près égales. On y voyait, d'une part, des prêtres sincèrement pieux, mais d'une piété sentimentale et vague ; foncièrement vertueux, mais d'un jugement faible. Grisés par les grands mots de la Révolution, ou séduits par les honneurs de l'épiscopat, ils s'étaient volontiers laissé élire, et continuèrent dans l'épiscopat la vie relativement honnête qu'ils avaient menée jusque-là. Bonnet, de Chartres, fut un évêque zélé, charitable et pieux ; l'influence de son entourage l'avait entraîné dans le parti révolutionnaire ; il mourut en 1793, au moment où la persécution allait atteindre les constitutionnels eux-mêmes[70]. Avoine, de Versailles, eut toujours conscience de la dignité du sacerdoce. Il protesta contre la suppression des cloches ; il fut dénoncé à la Convention pour avoir refusé l'institution à un prêtre marié. Il mourut, comme Bonnet, en 1793. La seconde catégorie de prélats constitutionnels était la catégorie des hommes de combat. Grégoire, Expilly, que nous connaissons déjà, Le Coz, d'Ille-et-Vilaine, et Lamourette, de Lyon, s'étaient donné pour mission de lutter contre les abus de l'ancien régime, de faire triompher la Révolution. Lamourette, lazariste instruit et pieux, mais que le sentimentalisme de l'époque avait totalement gagné, que les théories abstraites des philosophes avaient séduit, s'était fait de bonne heure l'ami de Mirabeau. Il quitta son diocèse, dont il laissa l'administration à ses vicaires, pour siéger à la Législative, où il prêcha l'union et la fraternité. Il est célèbre dans l'histoire pour avoir provoqué la comédie larmoyante qui fut appelée le baiser Lamourette. Il périt sur l'échafaud en 1794, après avoir rétracté ses erreurs[71]. D'autres combatifs s'étaient plutôt faits les défenseurs du gallicanisme, et, dans une certaine mesure, du jansénisme, en tant que le jansénisme prônait le retour à l'Eglise primitive et limitait les pouvoirs du Pape[72]. Périer, de Bertier, Saurine, Barthe, Le Masle, peuvent être rangés parmi ceux-là. Périer, de Clermont, était un oratorien, de mœurs irréprochables, d'une grande valeur pédagogique. Il fut conduit à l'Eglise constitutionnelle par ses théories gallicanes, par l'idée exagérée qu'il se faisait des droits de l'Etat. Persécuté sous la Terreur, il se retira à Grenoble, où il essaya de grouper le clergé constitutionnel ; il revint ensuite à Clermont, où il travailla avec beaucoup d'activité à organiser le culte. Nommé évêque d'Avignon après le concordat, il devait montrer sous l'Empire et sous la Restauration le même dévouement servile au pouvoir civil. De Bertier, de Rodez, dont le maintien sévère, l'air mélancolique, inspirèrent toujours le respect à ceux qui l'approchèrent, fut, en même temps qu'un homme de devoir dans sa vie privée, un homme de combat dans sa vie publique. Il avait toujours professé un gallicanisme modéré ; il défendit ce gallicanisme modéré avec une intransigeance farouche. Il affronta la persécution sous la Terreur, affirma hautement sa foi catholique, mais refusa toute sa vie de reconnaître au pape une autre primauté qu'une primauté d'honneur et de juridiction réglée par les canons. Tels sont les termes dont il se servit dans son testament[73]. Chaque département eut son évêque constitutionnel. Il n'en fut pas de même de chaque paroisse pour son curé. On peut dire que la France, à ce point de vue, se partagea en deux parties. Les régions où les idées nouvelles avaient pénétré, l'Ile-de-France, la Picardie ; l'Orléanais, la Bourgogne, le Berry, la Touraine, la Provence, le Dauphiné, reçurent sans cérémonie et avec une sorte d'indifférence le nouveau curé qu'un ordre du district leur envoyait, et qui officia, baptisa, administra les sacrements comme ses prédécesseurs. Seulement, son église, déjà peu fréquentée, se vida de plus en plus, à mesure que la conscience des fidèles s'éclaira. Quant aux populations religieuses de la Flandre, de l'Artois, de l'Alsace, du Rouergue, du Velay, et de toute la région du Nord-Ouest, elles donnèrent un spectacle tout autre, mais tout se passa d'abord d'une manière tout aussi calme. Le prêtre fidèle, réfractaire à la loi du serment, se réfugia dans une maison amie. Presque partout, il refusa d'user de la faculté, qui lui était laissée, de célébrer la messe dans l'église, après celle du prêtre assermenté. La masse des fidèles déserta les offices du nouveau culte et se groupa auprès de l'insermenté. Le dimanche, autour de la grange ou de la chapelle de château où il officia, une foule débordante, les fronts découverts, participa aux saints mystères. Les décrets qui interdisaient au prêtre non assermenté d'exercer les fonctions de son ministère furent pratiquement regardés comme non avenus. Pour la célébration des baptêmes, les fidèles s'ingénièrent, au moyen de procédés plus ou moins subtils, à tourner les règles, à échapper au ministère du prêtre envoyé par le district. Par exemple, pour les funérailles, on le laissa faire la levée du corps, mais on n'entra pas dans l'église, et on alla demander ensuite les prières du prêtre non assermenté. Le malheur de ce clergé fidèle fut l'abandon de ses
évêques. Beaucoup de prélats, comme M. de Juigné, avaient émigré. Ces hommes
restèrent généralement d'une orthodoxie irréprochable[74]. Il y eut parmi
eux de très nobles et de très hautes figures d'évêques. Plusieurs d'entre
eux, comme M. d'Aviau, revinrent en France à des heures où le péril était
encore très grand[75]. C'est de la
part de ces évêques que vinrent les protestations les plus vigoureuses contre
les lois persécutrices de la Révolution. Il est
permis pourtant de penser que beaucoup d'entre eux, en restant dans leurs
diocèses, au lieu de partir pour l'étranger, eussent combattu plus utilement
le schisme constitutionnel ; et, y eussent-ils laissé leur vie, comme les du
Lau, les La Rochefoucauld, les Castellane, les Sandricourt et les Breteuil,
ils eussent mieux servi l'Eglise qu'en s'éloignant de leur troupeau et en
perdant tout contact avec lui. Le bien que réussirent à faire les évêques
demeurés à leur poste, comme ceux d'Alais, de Bazas, de Lectoure, de Dijon,
de Mâcon, de Cavaillon, de Saint-Brieuc, de Saint-Papoul et de Senlis, montre
que le séjour de la France n'était pas absolument impossible[76]. Il est bien
difficile, d'autre part, de se prononcer d'une manière péremptoire sur cette
grave question. Emigrés, ces évêques restèrent en communication par lettres
avec leur clergé ; demeurés en France, ils eussent été peut-être en grand
nombre déportés, jetés sur les pontons, guillotinés, et beaucoup de diocèses
eussent ainsi perdu leurs pasteurs. Quoi qu'il en soit, les curés et leurs
fidèles, sous la direction des vicaires généraux à qui les évêques émigrés avaient
confié leurs pouvoirs d'administration, continuèrent quelque temps ce régime,
dans une tranquillité relative, jusqu'au jour où les autorités voulurent
imposer de force le prêtre assermenté, traîner dans les prisons le prêtre
réfractaire. VII L'Assemblée législative devait commettre cette nouvelle faute. La Constituante avait délibéré sous l'influence des idéologues, dont les utopies de l'abbé Sieyès avaient bien résumé l'esprit ; la Législative allait voir le règne des jacobins, que personnifia Danton. Le jacobin, dit Taine[77], ressemble à un pâtre qui, tout à coup, dans un coin de sa
chaumière, aurait découvert des parchemins qui l'appellent à la couronne...
Il s'en emplit l'imagination, et, tout de suite, il
prend le ton qui convient à sa nouvelle dignité. Rien de plus hautain, de
plus arrogant que ce ton. Sachez que vous êtes rois et plus que rois,
s'écrie Chalier. Ne sentez-vous pas la souveraineté qui circule dans vos
veines ?... Le jacobin est la vertu, on
ne peut lui résister sans crime. Rien de plus clair, en conséquence, que
l'objet du gouvernement : il s'agit de soumettre les méchants aux bons, ou,
ce qui est plus simple, de supprimer les méchants ; à cet effet, on emploiera
la déportation, la noyade, la guillotine. Le jacobin canonise ses meurtres...
C'est un fou qui a de la logique ; c'est un monstre
qui se croit de la conscience. L'idéologue avait rêvé sans fin à la liberté originelle, à l'égalité perpétuelle, à la pureté de l'Eglise primitive. Le jacobin chercha à les réaliser brutalement. Les champs d'action où devait s'exercer l'audace des jacobins étaient tout indiqués : la Déclaration des Droits de l'homme et surtout la Constitution civile du clergé les leur offraient. La Déclaration avait proclamé la liberté inaliénable de l'homme. Un des premiers actes de l'Assemblée législative fut de donner la liberté aux noirs des colonies. On ne se demanda pas s'ils étaient préparés à en user. De fait, ils ne l'étaient pas, et, à partir de la fin d'octobre, ce fut une gigantesque colonne de fumée et de flamme qui jaillit soudainement et, de semaine en semaine, grandit sur l'autre bord de l'Atlantique, la guerre servile à Saint-Domingue, les bêtes fauves lancées contre leurs gardiens, 50.000 noirs en campagne, et, pour premier début, 1.000 blancs assassinés, 15.000 nègres tués, 200 sucreries détruites, le dommage évalué à 600 millions, une colonie qui, à elle seule, valait dix provinces, à peu près anéantie[78]. Au nom de la liberté, l'assemblée abolit l'indissolubilité du mariage[79], et son décret eut pour effet de donner lieu à plus de 20.000 cas de divorce en France dans les cinq années qui suivirent, à plus de 6.-000 à Paris en moins de trois ans. La Déclaration avait proclamé l'égalité perpétuelle des hommes. Au nom de l'égalité, l'Assemblée législative supprima tous les droits seigneuriaux que la Constituante avait déclarés légitimes[80], et fit brûler dans les dépôts publics tous les titres généalogiques de noblesse[81]. Au nom de l'égalité, des représentants du peuple demandèrent, au milieu des applaudissements de l'assemblée, le nivellement des fortunes. L'égalité des droits, s'écria Lamarque, dans la séance du 23 juin, ne peut se soutenir que par une tendance continuelle vers le rapprochement des fortunes. — Partagez les biens communaux, dit Français de Nantes[82], entre les citoyens des villages environnants, en raison inverse de leurs fortunes, et que celui qui a le moins de propriétés patrimoniales ait la plus grande part dans le partage. Les idéologues de la Constituante avaient proclamé, dans leur fameuse Déclaration des Droits, la souveraineté de la nation ; mais, pour les jacobins de la Législative, la nation, ce fut uniquement la classe populaire. C'est seulement dans les citoyens qu'on appelle dédaigneusement le peuple, s'écria Lamarque[83], qu'on trouvera des âmes pures, des âmes ardentes et véritablement dignes de la liberté. Quiconque a souffert des institutions sociales, frit-ce comme galérien ou comme bandit, est du vrai peuple, et le peuple, pour le jacobin, a tous les droits. L'assemblée réhabilite tous les déserteurs qui ont quitté leurs drapeaux avant 1789[84] ; elle invite aux honneurs de ses séances quarante Suisses de Châteauvieux tirés du bagne[85] elle amnistie la bande de condottieri de tous pays et de repris de justice qui ont terrorisé Avignon et le Comtat, et permet qu'ils rentrent en vainqueurs. Sous le règne de la liberté, dit le président Daverhoult[86], le peuple a le droit de prétendre non seulement à la subsistance, mais encore à l'abondance et au bonheur. — A la hauteur où s'est élevé le peuple français, dit un autre président[87], il ne peut voir les orages que sous ses pieds. Là même où la loi se tait, le peuple pourra agir, faire sentir sa puissance souveraine. Oui, s'écria Isnard[88], la colère du peuple, comme la colère de Dieu, n'est trop souvent que le supplément terrible du silence des lois. Ceux qui parlaient ainsi voyaient-ils le redoutable danger de pareilles excitations ? Comprenaient-ils que le déchaînement des fureurs populaires allait se tourner contre cette Eglise dont les premiers orateurs de la Constituante avaient salué le divin caractère, dont les derniers avaient solennellement déclaré respecter l'indépendance spirituelle ? Le fait est qu'en même temps que leurs paroles excitaient la colère du peuple, elles lui montraient le prêtre comme le principal ennemi. Le prêtre, disait Isnard[89], est aussi lâche que vindicatif... Renvoyez ces pestiférés dans les lazarets de Rome. François de Nantes dénonçait les prêtres comme insinuant dans l'esprit des enfants le poison de l'aristocratie et du fanatisme[90]. Les prêtres étaient signalés à la fois comme les complices des aristocrates et comme des révoltés contre la Constitution civile du clergé. Les rétractations des assermentés devenaient, en effet, de plus en plus nombreuses ; et rien n'accélérait plus ce mouvement que de telles invectives, qui montraient le caractère hostile du gouvernement, l'interprétation odieuse qu'il était prêt à donner à la Constitution. A mesure que les hommes de la Révolution s'écartaient du vague idéalisme, du christianisme équivoque qui avait présidé à ses débuts, pour prendre une attitude nettement anticatholique, le christianisme, assoupi dans bien des âmes sacerdotales de l'ancien régime, retrouvait sa puissante vitalité ; tandis que le pouvoir, tombé de Sieyès à Danton, allait déchoir encore, de Danton à Marat, tel prélat, naguère fastueux et indolent, retrouvait, dans son dénuement, les vertus austères de son état, le peuple fidèle se groupait plus étroitement autour de ses prêtres persécutés, et le pontife suprême, qui suivait d'un œil attentif et plein de sollicitude la marche des événements, élevait son âme à la hauteur des grands devoirs qui s'imposaient à sa charge apostolique. VIII Parmi les prélats dont la vie mondaine avait ébloui la cour et la ville, nul n'avait été plus en vue que le cardinal de Bernis. Ses vers légers avaient fait le tour des salons ; ses relations d'amitié avec Voltaire et avec Mme de Pompadour avaient été connues de tous[91]. Les graves missions diplomatiques qu'il avait eu à remplir à Venise et à Rome, l'expérience de la vie que lui donnait son grand âge, avaient sans doute mûri ses idées. Mais ce vieillard de 76 ans était toujours le grand seigneur, menant grand train de vie dans le splendide hôtel qu'il habitait à Rome. Quand, au printemps de 1791, les tantes du roi de France, Mmes Victoire et Adélaïde, étaient venues chercher dans la capitale du monde chrétien la liberté de pratiquer leur religion, le cardinal avait mis à leur disposition ses douze carrosses, ses quinze chevaux, ses dix mulets, et le service d'argent avec lequel il pouvait convier à sa table cinquante personnes à la fois[92]. Mais le jour où il apparut manifestement au prélat que le gouvernement qu'il représentait auprès du pape lui demandait une attitude incompatible avec sa religion, il résista noblement, prêt à tous les sacrifices. Le 5 janvier 1791, sommé de prêter serment à la Constitution, il le fit, en ajoutant la restriction suivante : Sans manquer à ce que je dois à Dieu et à la religion. Montmorin lui signifia que, s'il n'envoyait pas une formule de serment pure et simple, le roi ne pourrait lui laisser remplir ses fonctions diplomatiques. II répondit par un refus formel. Ses lettres de rappel lui furent transmises presque aussitôt. Le gouvernement, non content de cette destitution, qui privait le cardinal d'un traitement important, lui refusa, quelque temps après, l'allocation à laquelle il avait droit comme évêque démissionnaire[93]. Plus tard, le ministre de l'intérieur l'ayant assimilé aux émigrés, ses meubles furent inventoriés et vendus[94]. Une pension, que lui obtint du roi d'Espagne l'ambassadeur Azara, l'empêcha seule de tomber dans la dernière pauvreté. Le noble prélat supporta ces épreuves, qu'il avait nettement prévues en refusant le serment pur et simple, avec une chrétienne dignité. Je suis bien loin, écrivait-il[95], de regretter les restes d'une fortune acquise par des services longs et utiles. J'ai tout sacrifié à la foi de mes pères et à l'honneur dont ils ont toujours été jaloux. L'historien qui a eu sous les yeux les papiers les plus intimes de Bernis, et qui en a donné une pénétrante analyse, croit pouvoir ajouter : De même que Bernis accepta la ruine et la quasi-pauvreté, on peut être assuré qu'il eût accepté la prison et la guillotine[96]. Aux degrés inférieurs de la hiérarchie, les mêmes exemples de courage se rencontrèrent. Dès le mois de juillet 1791, des prêtres du Finistère, plutôt que de prêter le serment, s'étaient laissé emprisonner à Brest, par les ordres du directoire départemental, dont faisait partie l'évêque Expilly. Bientôt après, le directoire de Maine-et-Loire s'étant arrogé le même droit, de jeter en prison les réfractaires, ceux-ci se cachèrent dans des fermes ; mais des soldats de la garde nationale les traquèrent dans leurs retraites et finirent par en amener trois cents dans le local de l'ancien petit séminaire, où, privés de tout, ils eurent à subir d'atroces souffrances. Des scènes semblables se renouvelèrent à Laval, où de nombreux prêtres s'étaient réfugiés, et, protégés par le dévouement d'une population profondément religieuse, célébraient leurs messes et administraient les sacrements aux fidèles dans des maisons particulières. Les visites domiciliaires, les menaces, les arrestations, les amendes, n'avaient pas eu raison de leur courage. Mais au mois de juin 1792, un arrêté du directoire du département les fit incarcérer dans les anciens couvents des cordeliers et des capucins, d'où ces vaillants serviteurs de l'Eglise écrivirent au Souverain Pontife une adresse vibrante de l'héroïsme le plus pur[97]. Au Mans, à Nantes, à Luçon, les prêtres opposèrent aux tracasseries des pouvoirs locaux et aux attaques des clubs, le même courage. A Luçon, un décret de la' municipalité, daté du 28 janvier 1792, avait interdit tout rassemblement. Les fidèles ne voulurent pas croire que cette défense les regardait. Le dimanche suivant, quinze cents personnes, hommes, femmes et enfants, se rendirent sur une place publique, et s'agenouillèrent pieusement, tandis qu'une messe se célébrait dans une chapelle voisine. Il fallut la proclamation de la loi martiale et l'arrivée de troupes nombreuses pour disperser le rassemblement[98]. Le Cantal, le Rhône, le Gers, la Haute-Garonne, les Basses-Pyrénées, bien d'autres départements virent les mêmes scènes. Le 24 avril 1792, le ministre Roland, dans un rapport à l'Assemblée législative, constata que ni les expulsions violentes, ni les incarcérations, ni l'assujettissement à des appels nominaux, n'avaient pu réduire les prêtres insermentés ; et sa conclusion fut qu'il fallait généraliser ces mesures et décréter contre les ecclésiastiques insoumis de nouvelles rigueurs[99]. Ces rigueurs devaient susciter de nouveaux héroïsmes. Le clergé savait maintenant à quoi s'en tenir Fur la volonté du Saint-Père. Il savait que, vivement peiné de la disgrâce de Bernis, Pie VI avait énergiquement refusé de recevoir son successeur, Philippe de Ségur, par la seule raison que le nouvel ambassadeur avait prêté le serment constitutionnel[100]. D'autre part, le pontife avait saisi toutes les occasions de relever le courage des opprimés. Je ne connais rien de plus noble, de plus héroïque, de plus édifiant, écrivait-il, le 28 janvier 1792, à l'évêque du Puy, que la conduite de la presque totalité des évêques de France, de sorte que l'on peut dire que l'Eglise gallicane n'a jamais brillé d'un éclat plus radieux[101]. Le 24 mars, il félicitait l'évêque de Senez, incarcéré pour la foi, d'avoir souffert avec constance les traitements les plus indignes, les cachots mêmes, suivant ainsi les traces lumineuses des plus illustres confesseurs de l'Eglise[102]. Cependant l'assemblée s'était empressée de déférer aux vœux de Roland. Dès le 26 avril, Anastase Tomé, évêque constitutionnel du Cher, que son âge de soixante-cinq ans aurait dû préserver du délire révolutionnaire, avait demandé qu'on prohibât tout costume religieux, hors de l'intérieur des temples, comme un attentat contre l'unité du contrat social et contre l'égalité ; car, disait-il, si ; après la suppression de ces corps, on voyait des costumes religieux vaguer dans nos villes et dans nos campagnes, qui ne croirait voir errer des ombres. Le 28 avril, le même Torné, pris d'une sorte de rage contre la religion qu'il avait apostasiée[103], demanda qu'on allât jusqu'à prohiber toute obéissance aux vœux émis[104]. Le 2 mai, l'assemblée ordonna, au nom de la liberté, la suppression de toutes les confréries et même de toutes les associations de piété et de charité. Ainsi, dit un annaliste[105], en rapportant ce décret, il était permis de conspirer dans les clubs contre la sûreté de l'Etat et la liberté des personnes, mais il était défendu de se réunir pour prier Dieu et soulager ses frères. L'odieux de toutes ces mesures fut dépassé, le 27 mai, par le vote d'un décret condamnant à la déportation les prêtres non assermentés et les mettant, pour ainsi dire, hors la loi. Après une discussion confuse qui ne roula presque que sur le choix à faire entre trente projets plus ou moins tyranniques, la proposition suivante fut votée : L'Assemblée nationale, considérant que les efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques non assermentés pour renverser la Constitution, ne permettent pas de supposer à ces ecclésiastiques la volonté de s'unir au pacte social ; considérant que les lois pénales sont sans force contre ces hommes, qui agissent sur les consciences pour les égarer ; après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit : ART. III. — Lorsque vingt citoyens actifs d'un même canton se réuniront pour demander la déportation d'un ecclésiastique non assermenté, le directoire du département sera tenu de prononcer la déportation si l'avis du directoire du district est conforme à la pétition[106]. Aucune voix ne s'était élevée, ni des bancs des girondins, qui prétendaient défendre contre les jacobins la cause de la modération et de la liberté, ni de la part des évêques constitutionnels, ni de la part des hommes de loi, pour protester contre un pareil décret, qui outrageait à la fois la liberté et la religion, qui introduisait l'anarchie dans l'administration de la justice. Un écrit de M. de Boisgelin, Observations sur le décret de déportation, releva spéciale- Protestation ment dans cette loi ce qui`la rendait incompatible avec les principes de l'épiscopat. de la Constitution française ; M. du Lau, le pieux archevêque d'Arles, publia une adresse au roi, pour le supplier de ne pas sanctionner le décret. Mais Roland insistait pour obtenir la sanction royale. On connaît, par l'histoire politique, les suites tragiques du conflit qui s'éleva à ce sujet : la résistance du roi, la lettre insolente de Roland, lue en pleine assemblée : Sire, si cette loi n'est pas mise en vigueur, les départements seront forcés, comme ils l'ont fait déjà, de lui substituer des mesures violentes ; le renvoi du ministre factieux ; la fermentation du peuple, excité par les clubs ; l'invasion des Tuileries pendant la journée du 20 juin ; la Patrie déclarée en danger par l'assemblée ; l'assemblée débordée par les fédérés ; le manifeste de Brunswick échauffant les têtes ; un pouvoir nouveau s'élevant, dominant la capitale et la France, celui de la Commune insurrectionnelle ; les massacres du 10 août ; le roi suspendu de ses fonctions, et livré, le 12 août, à la Commune, qui l'interne au Temple avec sa famille.
IX De telles commotions ne pouvaient que précipiter la persécution religieuse. Celle-ci allait avoir ses terribles journées, au début du mois de septembre, par l'assassinat de plus de seize cents victimes, parmi lesquelles se trouvèrent plus de deux cents prêtres[107] ; mais bien des meurtres avaient précédé ce grand massacre. Le premier en date avait été celui de l'abbé Raynau, archidiacre et grand vicaire de Senez. Arrêté à Entrevaux, près de Nice, le 6 juin 1792, au moment où il fuyait la persécution, avec deux chanoines de son diocèse, les abbés Michel et Langin, il fut accablé de coups par les soldats de la garnison, et mourut le soir même, après avoir prononcé ces dernières paroles : Je vous pardonne tout le mal que vous me faites[108]. Un mois plus tard, le 13 juillet, un vicaire général de Bordeaux, Jean Langoiran, et un de ses compagnons, Louis Dupuy, bénéficier de la paroisse Saint-Michel, sont arrêtés par une troupe de gens armés, et, le lendemain, massacrés dans la cour de l'archevêché, où l'administration départementale a fixé le lieu de ses séances[109]. Le même jour, un groupe de révolutionnaires forcenés envahissait violemment, aux Vans, dans l'Ardèche, une prison où avaient été incarcérés neuf prêtres rebelles à la loi. On les traîne sur le bord de la rivière, et, les sabres levés, on leur demande d'opter entre le serment et la mort. — La mort !, reprend une voix ternie et grave. C'est celle de M. Bravard, prêtre de Saint-Sulpice, ancien directeur au grand séminaire d'Avignon. A ce mot, les neuf confesseurs de la foi tombent à genoux et sont horriblement mutilés à coups de sabres et de haches[110]. Le 20 juillet, à Clairac, au diocèse d'Agen, un vénérable ecclésiastique, Pierre de Lartigues, qui employait généreusement sa grande fortune en bonnes œuvres, est mis à mort par une populace effrénée et souffre une longue agonie avec une patience admirable[111]. Trois jours après, à Marseille, deux religieux minimes, le P. Mirette et le P. Tassy, sont surpris dans la retraite où ils se sont réfugiés pour exercer leur saint ministère. On les somme de prêter le serment constitutionnel, et, sur leur refus, après les avoir frappés à coups de sabre, on les pend aux deux poteaux qui soutiennent un réverbère, à la porte de l'hôtel de ville[112]. Le 4 août, à Manosque, dans les Basses-Alpes, un religieux franciscain, le P. Ponthion, et trois prêtres séculiers, les abbés Pochet, Vial et Reyra, sont traînés par la populace dans un verger d'amandiers et pendus aux arbres[113]. Vers la même époque, dans le Perche, l'abbé Duportail de la Binardière est assassiné sur la place publique de Belesme par des révolutionnaires du pays, qui veulent le forcer à prêter le serment ; en Normandie, l'abbé Guillaume de Saint-Martin est fusillé à Pont-Ecrepin par des patriotes qui lui demandaient de renoncer à la religion et au pape. A Paris, où, pendant ce temps-là, les efforts des factieux s'étaient particulièrement dirigés contre la royauté, les ecclésiastiques paraissaient oubliés. On y constate le meurtre d'un seul prêtre, l'abbé Chaudet, ancien curé de Rouen, qui, arrêté, puis relâché, avait été, quelques jours après, assailli dans sa maison, jeté par la fenêtre et assommé dans la rue[114]. Mais les meneurs du parti jacobin n'avaient pas désarmé contre les prêtres, et bientôt les scènes de meurtre allaient se multiplier dans la capitale, avec des circonstances plus épouvantables que partout ailleurs. Le soir du 10 août, dans cette tragique séance, où l'on vit le malheureux Louis XVI assister, de la loge du logographe où il s'était réfugié, à la chute de la monarchie, l'Assemblée législative, après avoir voté, sous la pression des délégués de la Commune, la convocation d'une Convention nationale et la suspension du pouvoir royal jusqu'à ce que !a Convention eût prononcé, avait élu, par 222 voix sur 285 votants, comme ministre de la justice, Danton. C'était l'écrasement du parti girondin, le triomphe complet du jacobinisme. Jacques Danton, qui arrivait ainsi au ministère, suivant ses propres expressions, comme un boulet de canon, était le fils d'un procureur champenois. La faveur du duc d'Orléans, dont il avait été peut-être l'agent[115], l'appui des loges maçonniques, qu'il avait fréquentées de bonne heure[116], la recommandation des clubs les plus extrêmes, où il avait péroré, avaient commencé sa réputation. Une réelle puissance de travail, malgré des intermittences de nonchalance incroyable, un patriotisme farouche, un mélange inouï de violence et de faiblesse, l'expression même de son visage, qui tenait à la fois du lion et du dogue, et où se reflétait l'ardeur brutale de ses passions, avaient fait à ce Mirabeau de la canaille, comme ou l'appela, à ce monstre de patriotisme, comme on le surnomma aussi, une place à part, d'où il n'avait pas tardé à dominer à la fois Vergniaud et Robespierre. Le jacobinisme avait trouvé son chef ; l'assemblée lui indiqua l'œuvre à accomplir. Dans la même séance où elle avait élu Danton ministre de la justice, elle déclara que les décrets qui n'avaient pas été sanctionnés auraient force de loi. Le principal des décrets visés était évidemment celui qui avait pour objet la déportation des prêtres non assermentés. La Commune de Paris, foyer du jacobinisme le plus exalté, qui venait de prendre conscience de sa force, et qui avait la prétention de gouverner Paris, n'attendit pas le surlendemain pour agir[117]. Dès le 11 août, cinquante ecclésiastiques environ, coupables de n'avoir pas prêté le serment constitutionnel, furent amenés devant le comité de la section du Luxembourg, qui siégeait dans une salle du séminaire de Saint-Sulpice. Après un court interrogatoire, ils furent conduits dans l'ancien couvent des Carmes qui devait leur servir de prison. Les religieux carmes qui l'habitaient avaient reçu l'ordre, le fer août, de se disperser avant le 1er octobre. La Commune devançait cette date. Elle mit en demeure les religieux de se retirer dans les bâtiments intérieurs, et affecta à l'internement des prisonniers l'église et les locaux attenants. Parmi les ecclésiastiques incarcérés, se trouvaient trois évêques : M. du Lau, archevêque d'Arles, dont nous avons vu la courageuse attitude à l'assemblée, et deux frères appartenant à l'illustre famille des La Rochefoucauld : l'un était évêque de Beauvais, l'autre de Saintes. On y remarquait aussi M. Savine, supérieur de la communauté des clercs de Saint- Sulpice, avec deux de ses confrères[118]. Le 15 août, de nouvelles arrestations furent opérées. Des bandes armées envahirent le séminaire d'Issy[119] et la maison voisine qui servait d'asile à des prêtres âgés et infirmes. Les envahisseurs n'hésitèrent pas à arrêter ces vénérables prêtres et à les conduire, au son du tambour, escortés par la garde nationale, jusqu'à l'église des Carmes. Un témoin de ces scènes nous en a laissé le récit : Il serait impossible, écrit l'abbé de la Pannonie, d'exprimer le sentiment que nous éprouvâmes à l'aspect de ces respectables vieillards. Plusieurs pouvaient à peine se soutenir. Les traitements qu'ils avaient essuyés dans leur route me font frémir d'horreur. Il en est un surtout que ses infirmités empêchaient de suivre à pas égal ses cruels conducteurs ; ils l'avaient tout meurtri, en le poussant avec la crosse de leurs fusils pour le faire marcher[120]. Le lendemain 16 août, M. Gallais, prêtre de Saint-Sulpice, supérieur du séminaire des Robertins[121], et onze de ses compagnons, vinrent rejoindre aux Carmes leurs confrères emprisonnés. L'état des prisonniers, dans les étroits locaux qui leur furent réservés, était lamentable. Ils durent passer les premières nuits sur les dalles de l'église. Au bout de quelques jours, des matelas furent apportés. On les rangea, dans tout le contour, sur le pavé de la nef, serrés les uns contre les autres. Cependant, les médecins, craignant les accidents qui auraient pu se produire par suite de l'entassement de près de deux cents personnes dans un local étroit et mal aéré, obtinrent, pour les prisonniers, la permission de se promener, pendant une heure le matin et une heure le soir, dans le jardin du couvent. Ceux-ci ne se firent pas illusion sur le sort qui leur était réservé. M. de Cussac, prêtre de Saint-Sulpice, se fit apporter les Actes des martyrs ; ils en firent leur lecture spirituelle. Des amis, autorisés à les visiter pour leur apporter quelques aliments, les tenaient au courant des nouvelles du dehors. C'est ainsi qu'ils apprirent qu'une guillotine avait été installée sur la place du Carrousel, et qu'un tribunal martial, établi le 17 août, portait chaque jour des sentences terribles, suivies d'une prompte exécution[122]. Le 26 août, l'assemblée parut vouloir sauver la vie des prêtres non assermentés, en édictant contre eux la peine de la déportation. Mais ceux-là même qui votèrent cette loi ne furent pas dupes de leur feinte modération. Personne, dit Michelet[123], ne doutait du massacre. Le 28 août, Danton obtint qu'on autorisât des visites domiciliaires. Ces visites aboutirent à de nouvelles incarcérations, à l'Abbaye, aux Carmes et à la Force. Autour de ces prisons, la populace faisait entendre des cris de mort. Le 1er septembre, à minuit, un commissaire, escorté de gendarmes, vint signifier aux prisonniers le décret de déportation voté par l'assemblée, et essaya de les rassurer sur tout danger de mort. Mais, la veille au soir, la Commune avait irrévocablement fixé leur sort. Elle avait institué un comité d'exécution, chargé de pourvoir à tous les détails de l'œuvre sanglante qui allait s'accomplir, et c'est de ce comité qu'émanait une lettre bien significative écrite au citoyen Maillard. Dans cette lettre, on lui recommandait de disposer sa bande d'une manière utile et sûre, de prendre des précautions pour empêcher le cri des mourants... de se pourvoir de balais de houx pour bien faire disparaître le sang[124]. X Malgré le secret gardé sur ces préparatifs, la conviction de la plupart des prisonniers n'avait pas changé : ils attendaient la mort. La prise successive de Longwy et de Verdun avait surexcité la population. L'Assemblée législative, où deux cent soixante membres à peine siégeaient sur sept cent cinquante, avait conscience de son impuissance politique. La Commune était plus insolente que jamais. Danton, en présence de l'Allemand envahisseur, fit un pressant appel à la concorde. Mais sur quel terrain la concorde allait-elle se faire ? A propos d'un enrôlement de volontaires, qui allait avoir lieu, le 2 septembre, au Champ de Mars, Danton s'écria : Le tocsin qui va sonner n'est pas un signal d'alarme : c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, et toujours de l'audace ! Quelle était la vraie portée de ces dernières paroles ? On se rappelait que Danton s'était écrié naguère, au club des Jacobins : Que les fédérés ne se séparent pas avant que les traîtres aient été punis[125]. Le 31 août, au comité de surveillance de l'assemblée, il avait dit : Nous ne pouvons rester exposés au feu de l'ennemi et à celui des royalistes... Il faut faire peur aux royalistes... Oui, leur faire peur ! Et un geste exterminateur avait complété sa pensée. Aussi, lorsque, le 1er septembre, M. Letourneur essaya de rassurer les prisonniers en leur faisant entrevoir la possibilité d'une libération : Non, mon enfant, répondit l'un d'eux, M. Tessier, nous ne sortirons pas d'ici[126]. Bientôt, suivant le récit d'un témoin oculaire[127], on vint demander aux vieillards en quel lieu ils voulaient être envoyés en sortant des Carmes. Tout le inonde se confessa. On examina si on pouvait offrir de prêter le serment, au cas où cela pourrait mener à être relâchés, ou l'accepter si on le proposait. Il fut décidé qu'on devait le refuser. Les bourreaux pouvaient venir, les martyrs étaient prêts. XI Le 2 septembre, à midi, le canon d'alarme tonna au Pont-Neuf ; un grand drapeau noir fut hissé sur l'hôtel de ville. Cette mise en scène avait pour but, disait-on, de susciter contre l'ennemi des légions de héros ; elle mit surtout en mouvement, contre les prisonniers de la Commune, une poignée d'assassins. On a pu faire le compte exact de ceux-ci ; ils ne furent pas plus de cent cinquante[128] ; mais pendant six jours ils terrorisèrent Paris et gouvernèrent en maîtres. A leur tête était un jeune homme de vingt-neuf ans, marié depuis trois mois, ce Stanislas Mail lard que nous venons de voir chargé par la Commune d'une mission confidentielle. Il était fils d'un marchand de Gournay, et exerçait les fonctions de clerc d'huissier en l'étude de son frère Thomas Maillard. Grand, mince, recherché dans sa mise, beau parleur, aimant à paraître et à pérorer, on l'avait vu au premier rang des agitateurs dans la plupart des manifestations révolutionnaires. Le Moniteur l'avait cité parmi les vainqueurs de la Bastille ; au à octobre. il s'était mis à la tête des femmes parisiennes, et il était revenu dans une voiture de la cour pour recevoir les compliments des membres de la municipalité. Maillard fut cruel par pose, comme Danton l'était par passion, Robespierre par froide logique et Carrier par instinct bestial. Fut-il, dans le massacre des Carmes, l'agent conscient de Marat et de la Commune ? L'ensemble des témoignages et des documents ne permet guère d'en douter. Le rôle d'émissaire secret fut celui de toute la vie de cet homme. Son existence est pleine de relations louches et de missions suspectes. Un fait singulier, c'est que, constamment jalousé par ses complices, vingt fois dénoncé par ses ennemis, plusieurs fois incarcéré, Maillard trouva toujours de puissants protecteurs pour le défendre ou pour le libérer[129]. Affaibli, crachant le sang, on le vit, jusqu'à sa mort, arrivée en 3794, espionner, enquêter, diriger une bande de mouchards enrôlés par lui et payés par la Sûreté générale, donner la chasse au gibier de guillotine, et acquérir à ce triste métier le surnom de Tapedur[130]. La plupart des prêtres arrêtés avaient été dirigés soit à la prison de l'abbaye Saint-Germain, soit à la prison du couvent des Carmes. L'abbaye de Saint-Germain se composait alors d'immenses constructions, chapelles, cloîtres, salles d'assemblée, celliers et cuisines, prenant jour sur une cour à peu près carrée, à côté de l'église de Saint-Germain-des-Prés[131]. Deux heures environ s'étaient écoulées depuis que le tocsin avait cessé de sonner. Une bande d'égorgeurs, ayant à sa tête Maillard, s'était réunie dans la cour du monastère, attendant l'arrivée des prisonniers que Billaud-Varenne avait promis d'y faire conduire. Nous possédons, sur les scènes de sauvagerie qui se passèrent ce soir-là, deux importantes relations, indépendantes l'une de l'autre, émanées l'une et l'autre de deux témoins des événements : la relation de Méhée de Latouché, secrétaire de la Commune, et celle de l'abbé Sicard, le célèbre instituteur des sourds-muets, sauvé du massacre par le courage d'un citoyen, qui rappela les services rendus par cet ecclésiastique à l'humanité. Il était environ deux heures et demie[132]. Nous arrivons à l'Abbaye, écrit l'abbé Sicard. La
cour était pleine d'une foule immense[133]. On entoure nos voitures ; un de nos camarades croit
pouvoir s'échapper ; il ouvre la portière et s'élance au milieu de la foule ;
il est aussitôt égorgé. Un second fait le même essai ; il fend la presse et
allait se sauver ; mais les égorgeurs tombent sur cette nouvelle victime, et
le sang coule encore. Un troisième n'est pas plus épargné. La voiture
avançait vers la salle du comité ; un quatrième veut également sortir, il
reçoit un coup de sabre... Les égorgeurs se
portent avec la même rage sur la seconde voiture[134]. J'ai vu, dit Méhée, le
sang jaillir à gros bouillons. — Il faut les
tuer tous, ce sont des scélérats, s'écriaient les assistants. La
quatrième voiture ne contenait que des cadavres... Les cadavres des morts
sont jetés dans la cour. Les douze prisonniers vivants descendent pour entrer
au comité civil ; deux sont immolés en mettant pied à terre. Le comité n'a
pas le temps de procéder au plus léger interrogatoire. Une multitude armée de
piques, d'épées, de sabres, vient fondre, arrache et tue les prisonniers...
Il était cinq heures du soir. Arrive Billaud-Varenne, substitut du procureur
de la Commune. Il marche sur les cadavres, fait au peuple une courte
harangue, et finit ainsi : Peuple, tu immoles tes
ennemis ; tu fais ton devoir[135]. Vingt et un prisonniers venaient de périr ainsi, en arrivant dans la cour de l'Abbaye. Tout à coup, à côté de Billaud-Varenne, une voix retentit : c'est celle de Maillard : Il n'y a plus rien à faire ici, dit-il, allons aux Carmes[136]. Aux Carmes, depuis midi, le poste avait été relevé. Les nouveaux gardes étaient des hommes à figures sinistres, coiffés du bonnet rouge et armés de piques. A deux heures, le commissaire du comité de la section avait ordonné aux prisonniers de se rendre au jardin pour leur promenade quotidienne. On avait forcé les vieillards et les malades eux-mêmes à sortir. Nous nous retirâmes, dit un prisonnier, tout au fond, derrière une charmille ; d'autres se réfugièrent dans un petit oratoire placé dans un angle du jardin, où ils se mirent à réciter leurs vêpres[137].Tout à coup, des cris se firent entendre du côté de la rue Cassette et de la rue Vaugirard. Pour le coup, Monseigneur, s'écria l'abbé de la Pannonie en se tournant vers M. du Lau, archevêque d'Arles, je crois qu'ils vont nous assassiner. — Mon cher, répondit l'archevêque, si c'est le moment de notre sacrifice, remercions Dieu d'avoir à lui offrir notre sang pour une si belle cause. Les prisonniers ne se trompaient pas. Quelques instants auparavant, dans l'église Saint-Sulpice, transformée en salle de délibérations de la section du Luxembourg, un marchand de vins, Louis Prière, après avoir bondi dans la chaire, qui servait alors de tribune, y avait déclaré qu'il ne bougerait pas tant qu'on ne se serait pas débarrassé des prisonniers et surtout des prêtres détenus au cuvent des Carmes. En conséquence, l'assemblée avait décidé, à la majorité des voix, de purger les prisons en faisant couler le sang de tous les détenus[138]. Une troupe de furieux sortit alors en désordre de l'église, se dirigeant vers la rue de Vaugirard. Arrivée à la rue Cassette, elle y rencontra un groupe d'hommes armés de sabres et de piques ensanglantés. C'était Maillard et sa bande, qui venaient de l'Abbaye. Les deux troupes se confondirent et firent irruption dans le couvent des Carmes. Nous vîmes d'abord entrer en furieux sept à huit jeunes gens, écrit l'abbé Berthelet[139]. Chacun d'eux avait une ceinture garnie de pistolets, indépendamment de celui qu'il tenait de la main gauche, en même temps que, de la droite, il brandissait un sabre. Les massacreurs abattent d'abord à coups de sabre l'abbé de Salins, absorbé dans une lecture ; puis, blessant ou tuant ceux qu'ils rencontrent sur leur passage, ils se précipitent vers le fond du jardin, en criant : L'archevêque d'Arles ! l'archevêque d'Arles ! M. du Lau était à genoux devant l'oratoire. Il se lève et se retourne vers les assaillants : Je suis celui que vous cherchez, leur dit-il. Un violent coup de sabre lui est asséné sur le front. Un second coup de sabre lui est porté par derrière et lui ouvre le crâne. Trois autres coups l'abattent à terre, où il reste sans connaissance. Alors une pique lui est enfoncée dans la poitrine et les assassins le foulent aux pieds[140]. Tandis qu'une véritable chasse est organisée dans le jardin par les meurtriers, un bon nombre de prisonniers pénètrent dans l'église. Ils se rangent auprès de l'autel, se donnent l'absolution les uns aux autres et récitent les prières des mourants. Pendant ce temps-là, un des chefs, sur l'identité duquel les relations ne sont pas d'accord, mais qui paraît avoir été Maillard lui-même[141], s'installe devant une petite table près de la porte qui donne sur le jardin. Il se fait apporter la liste des prêtres incarcérés, procède à l'appel des prisonniers, demande à chacun s'il persévère à refuser le serment, et, sur sa réponse affirmative, le renvoie au jardin, où le prisonnier est aussitôt massacré au milieu de hurlements furieux, parmi lesquels on distingue surtout le cri de : Vive la nation ! Grâce au désordre, plusieurs parvinrent à s'échapper, en traversant le jardin et en franchissant le mur de clôture. Près de cent-vingt prêtres perdirent ainsi la vie en moins de deux heures. Dans les annales du christianisme, la date du 2 septembre 1792 brille d'une gloire égale à celle de ses plus beaux jours. La prison de l'Abbaye a presque complètement disparu aujourd'hui ; mais le couvent des Carmes, qui 'subsiste encore, avec son église, le corridor sombre où les victimes subirent un simulacre de jugement, le jardin où la plupart furent massacrés, l'oratoire où tomba le saint archevêque d'Arles, reste un des plus vénérables monuments de l'Eglise de France. Ces souvenirs ne peuvent faire oublier les 76 prêtres qui périrent, le lendemain, au séminaire de Saint-Firmin, les trois prêtres qui furent immolés à la prison de la Force[142], et ceux qui, dans la soirée du 2 au 3, trouvèrent la mort à l'Abbaye. Après le massacre des Carmes, en effet, Maillard était retourné à l'Abbaye, et, par des procédés semblables, y avait organisé une véritable tuerie. C'est là que parmi les prisonniers qu'il faisait comparaître devant lui, Maillard se trouva en présence de l'ancien ministre des affaires étrangères dont la politique cauteleuse avait si longtemps travaillé à tromper la vigilance du Saint-Père, le comte de Montmorin. L'ex-ministre, dit Méhée, déclara qu'il ne reconnaissait pas les membres de la commission pour ses juges, qu'ils n'en avaient pas le caractère. Devant cet accusé, qui le prenait sur un ton si hautain, Maillard fut d'une ironie cruelle. Il avait été convenu, un moment auparavant, que u pour éviter toute scène de violence dans l'intérieur de la prison, on ne prononcerait plus le mot de mort en présence des condamnés, qu'on dirait seulement : A la Force[143]. Puisque vous prétendez que votre affaire ne nous regarde pas, dit le président, vous allez être envoyé à la Force. Montmorin crut avoir gagné sa cause, et, d'un ton de plus en plus méprisant : Monsieur le président, répliqua-t-il, puisqu'on vous appelle ainsi, je vous prie de me faire avoir une voiture. — Vous allez l'avoir, répond froidement Maillard. Montmorin sort de la salle, et est aussitôt massacré[144]. Des scènes non moins horribles curent lieu dans les autres prisons de Paris, au Châtelet, à la Conciergerie, à la tour Saint-Bernard, au Séminaire Saint-Firmin, à Bicêtre, à la Salpêtrière[145]. Pendant que le sang coulait ainsi à Paris, le 3 septembre.
le comité d'exécution et de vigilance de la Commune envoya à toutes les
municipalités de France la circulaire suivante, signée, entre autres, par Marat, l'ami du peuple (c'est
ainsi qu'il se qualifia dans l'acte même), et contresignée par le ministre
de la justice, Danton[146] : La Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous
les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les
prisons a été mise à mort par le peuple ; actes de justice qui lui ont paru
indispensables pour retenir par la terreur les légions de traîtres renfermés
dans ses murs, au moment où il allait marcher à l'ennemi : et sans doute la
nation s'empressera d'adopter ce moyen si utile et si nécessaire[147]. Peu contente de cette mission sanguinaire, la Commune avait envoyé dans les départements des émissaires chargés d'exécuter ses volontés. Dès le 3 septembre, des révolutionnaires parisiens arrivaient à Reims et y arrêtaient quatre prêtres, bientôt massacrés par la populace[148]. Le lendemain, à Meaux, sept prêtres étaient mis à mort dans les mêmes circonstances[149]. Le 3 septembre, un homme atroce, Fournier, dit l'Américain, qui avait pris part aux massacres de Septembre, déterminait, à Versailles, l'exécution de quarante-quatre prêtres. Parmi ces derniers se trouvait l'évêque de Mende, M. de Castellane, qui reçut, dit-on, la confession de tous les prisonniers[150]. Sur toutes les routes, des groupes de prêtres qui, pour échapper à la fureur des assassins, s'acheminaient vers les frontières, étaient assaillis, maltraités, égorgés, assommés à coups de pierres ou de bâtons, précipités dans les rivières[151]. Dans les départements, dit Taine, c'est par centaines que l'on compte les journées semblables à celle du 2 septembre. De toutes parts, la même fièvre, le même délire indiquent la présence du même virus ; et ce virus est le dogme jacobin. Grâce à lui l'assassinat s'enveloppe de philosophie politique ; les pires attentats deviennent légitimes, car ils sont les actes du souverain légitime, chargé de pourvoir au salut public[152]. XII Deux actes législatifs, rendus dans l'intervalle des derniers événements que nous venons de raconter, auraient dû, ce semble, arrêter les massacres des prêtres non assermentés. Le 10 août 1792, l'Assemblée législative, voulant supprimer la mention du roi dans la formule d'un serment qu'elle avait été la première à violer, avait prescrit la prestation d'un nouveau serment, ainsi conçu : Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l'égalité, ou de mourir en les défendant. La nouvelle formule ne passait pas seulement sous silence la fidélité au roi, elle ne faisait aucune allusion, même éloignée, à la Constitution civile du clergé. D'autre part, le 26 août, l'assemblée avait voté une loi soumettant à la déportation les prêtres non assermentés. Cette loi, par ses dispositions sévères, aggravait, il est vrai, la loi de déportation du 27 mai ; mais, par là même qu'elle portait, contre le refus du serment, des sanctions précises, cette loi devait logiquement mettre fin aux procédures et aux pénalités arbitraires dont les municipalités prenaient l'initiative à l'égard des prêtres réfractaires. On peut même conjecturer que beaucoup de ceux qui votèrent la loi de déportation du 26 août, eurent pour but d'enrayer les fureurs populaires, dont il était alors facile de prévoir à terrible déchaînement. Un retour vers la pitié se comprend, même dans l'âme d'un jacobin. Les hommes ne sont jamais ni aussi bons ni aussi mauvais que leurs principes[153]. Quoi qu'il en soit, rien, nous venons de le voir, n'arrêta le cours des massacres, et le nouveau serment de Liberté-Égalité, ou le Petit-Serment, comme on l'appela, eut surtout pour effet de provoquer, parmi les catholiques, de pénibles divergences et de douloureuses discussions ; le refus de serment à la Constitution civile du clergé avait fait, des prêtres fidèles, un bataillon compact et discipliné ; cette union se brisa. Les quinze évêques restés en France et quelques évêques émigrés, tels que M. de Boisgelin et M. de Barrai, autorisèrent leurs prêtres à prêter le serment ; la plupart des prélats qui résidaient à l'étranger le déclarèrent illicite. La presque universalité du clergé de Paris, les membres des congrégations de l'Oratoire, de Saint-Lazare et de Saint-Sulpice, des maisons de Sorbonne et de Navarre le prêtèrent[154]. La liberté dont on nous promet le maintien, écrivit M. Emery[155], supérieur de Saint-Sulpice, n'est que l'exclusion du despotisme, c'est-à-dire d'un gouvernement sous lequel nous n'avons jamais vécu... L'égalité, telle que nous l'entendons, peut être aussi très innocemment promise, car : 1° le clergé et la noblesse ont fait l'abandon de tous leurs privilèges pécuniaires ; 2° toutes nos lois criminelles ne faisaient aucune distinction, fondée sur la diversité des rangs, entre les coupables, et 3° l'admissibilité de tous les sujets à tous les emplois a été reconnue et accordée par le roi, à qui ont acquiescé pleinement le clergé et la noblesse. De dignes prélats, comme M. de Bausset et M. de La Luzerne, voyaient, d'ailleurs, un intérêt de premier ordre pour le clergé à ne point paraître l'adversaire de parti pris d'une liberté politique sagement entendue, à ne point accréditer la calomnie de ceux qui proclamaient très haut l'incompatibilité du catholicisme avec la liberté. D'un autre côté, des ecclésiastiques non moins recommandables par leurs lumières et leur vertu, voyaient dans le serment de Liberté-Egalité une formule au moins captieuse. Toute profession de foi, disaient-ils, doit être interprétée dans le sens de celui qui l'impose. Mais ne voit-on pas que, si on interprète les mots de liberté et d'égalité par les décrets de l'Assemblée législative, par les paroles et par les actes de ceux qui les appliquent sous l'égide du gouvernement, ces mots ne signifient qu'une liberté et une égalité révolutionnaires, destructives du gouvernement légitime et de la religion catholique ? Maury, qui résidait alors à Rome, où il avait été sacré
archevêque de Nicée, et où il était très mêlé aux émigrés, se fit, en termes
très vifs, l'interprète de cette dernière opinion. Ce
serment, écrivit-il, me paraît plus perfide
et plus impie que le premier. Le premier n'était qu'hérétique ; celui-ci
consacre la rébellion... Quant à sa perfidie,
elle n'est que trop bien prouvée, puisque cette formule a séduit tant de gens
de bien et tant de bons esprits[156]. Et le
bouillant prélat, qui devait plus tard si gravement désobéir au Saint-Père,
laissait entendre que l'attitude qu'il flétrissait était peut-être dictée par
un manque de courage ou de fidélité au Saint-Siège. Le supérieur de
Saint-Sulpice lui répondit, avec la fierté d'un père qui peut invoquer le
témoignage du sang versé par ses enfants : Monseigneur,
les membres vivants de ma Compagnie sont presque tous dispersés en
différentes parties de la chrétienté, et ne peuvent rien dans l'affaire du
serment. Je dis : les membres vivants ; car treize ont été massacrés ; et
j'ai la consolation de voir que ma Compagnie, quoique la plus petite de
toutes, a donné plus de martyrs dans cette cause de l'Eglise et du
Saint-Siège, que tontes les autres Compagnies séculières ensemble[157]. Mais il en reste quelques-uns autour de moi, et nous ne
négligeons rien pour prouver au Saint-Siège notre attachement sans bornes[158]. M. Emery eut la pensée de surseoir et de fixer son opinion sur l'autorité ; mais les communications avec Rome, trop lentes et trop difficiles, ne permettaient pas de recevoir à temps une direction efficace du Saint-Siège Dans ces conjonctures, les prêtres de France, réduits à ne prendre conseil que d'eux-mêmes, connurent ce tourment des âmes délicates et courageuses, qui n'hésiteraient pas à mourir pour l'accomplissement de leur devoir, mais qui ignorent précisément où ce devoir se trouve. M. Emery, voulant répondre à la principale objection de ses adversaires, se mit en relations avec Gensonné, rapporteur du décret sur le Petit-Serment, et lui soumit le commentaire qu'il en avait proposé. Gensonné approuva pleinement ce commentaire. Une réponse de Rome arriva enfin. Elle était datée du mois d'octobre 1792. Le pape, fidèle à sa politique prudente et patiente, déclarait qu'avant de se prononcer sur le serment en question, il voulait savoir quel était le sens exact attribué aux mots liberté et égalité. Au mois de mai 1793, le cardinal Zelada, ministre du pape, consulté par M. Emery, lui répondit : Le pape n'a rien prononcé sur le serment en question ; s'il est purement civique, on peut le prêter. Dans divers brefs, du 5 octobre 1793, du 1er avril et du 29 juillet 1794, du 22 avril 1795, le pape ne fit que préciser la même réponse, à savoir : 1° qu'il ne se prononçait pas sur le serment et 2e qu'il ne demandait aucune rétractation à ceux qui l'avaient prêté[159]. Cette attitude expectante, conforme à la politique générale de Pie VI, nous apparaît aujourd'hui comme la plus sage qui pût être prise par celui qui avait 'la redoutable responsabilité du gouvernement suprême de l'Eglise ; mais l'angoisse des âmes, appelées à se former par elles-mêmes leur conscience, restait toujours douloureuse[160]. Elle allait bientôt se renouveler à propos de nouveaux serments, mais alors la question se poserait sur un terrain plus net, et la réponse du Saint-Siège allait être catégorique dans le sens de la condamnation. XIII Tandis que les catholiques agitaient avec angoisse ces graves problèmes de conscience, l'Assemblée législative avait fait place à la Convention. Les nouveaux élus s'étaient divisés en trois groupes hostiles, méfiants, prêts à s'entre-dévorer : la Gironde, la Plaine et la Montagne. Mais deux passions dominaient ces haines intestines : un patriotisme exalté, enivré des récentes victoires où l'on avait vu les volontaires en sabots de la République faire reculer les vieilles armées de l'Europe coalisée ; et la rage d'en finir avec les deux puissances séculaires, à moitié abattues, dont les débris ensanglantés barraient encore la route à la Révolution triomphante : l'Egrise et la monarchie. Il ne nous appartient pas de raconter en détail, dans cette histoire de l'Eglise, l'œuvre politique de la Convention : la proclamation de la République, le 21 septembre 1792 ; la lutte de la Montagne et de la Gironde ; le procès et la condamnation du roi ; la première coalition, formée contre la France par William Pitt ; la trahison de Dumouriez ; la chute de la Gironde ; le soulèvement des provinces ; la guerre, devenant le prétexte d'une dictature jacobine ; Lazare Carnot organisant la victoire, pendant que Marat organise la terreur ; la guillotine en permanence ; la mise à mort de Marat, d'Hébert et de Danton ; la Révolution dévorant ses enfants, comme Saturne ; Robespierre resté seul debout et rêvant, au milieu des triomphes militaires de la France, victorieuse au dehors, de fonder, sous l'égide de l'Etre suprême et de la Raison, on ne sait quelle Salente sanguinaire ; le nouveau dictateur tombant lui-même, d'une chute lamentable, au 9 thermidor ; la réaction thermidorienne ; la Jeunesse dorée, rangée autour de Talien, ivre de plaisirs autant gue de vengeance ; finalement, Assemblée géante lassé et discréditée, malgré ses importantes réformes financières et administratives[161], déclarant, en octobre 1795, sa mission terminée, au moment où apparaît sur la scène politique le jeune général qui doit maitriser la Révolution française, Napoléon Bonaparte. Sur un point, la politique de la Convention ne devait pas varier : la persécution religieuse. Une des premières préoccupations de l'assemblée sera d'assurer l'exécution du décret de déportation porté contre les prêtres non assermentés ; le dernier de ses actes sera la proclamation d'une amnistie générale dont elle exceptera expressément les ecclésiastiques réfractaires. Sous la Législative, la situation des prêtres fidèles avait empiré de jour en jour ; leur sécurité s'était trouvée de plus en plus compromise. Séparés, pour la plupart, de leurs évêques qui, à l'exemple de M. de Juigné, avaient pris le parti de s'expatrier, en laissant leurs pouvoirs à des vicaires généraux ; ne trouvant pas toujours auprès de ceux-ci l'autorité, la promptitude et la fermeté des décisions que réclamaient les difficultés pendantes ; traqués par des municipalités sectaires ; et, dans bien des endroits, livrés à la merci des mouvements populaires, à chaque instant suscités par quelques meneurs improvisés ; bien des prêtres, parmi les meilleurs, avaient jugé que le moment était venu pour eux de suivre les conseils du Maitre : Si l'on vous persécute dans un endroit, fuyez dans un autre[162]. Après l'émigration de la noblesse, l'émigration du clergé commença. Ces deux émigrations ne méritent pas le même jugement de
l'histoire. L'émigration de la noblesse, surtout celle de 1789, qu'un législateur
avait appelée l'émigration de l'orgueil, a pu
donner lieu à bien des critiques fondées. Il serait sans doute injuste de
voir dans ces nobles émigrés des complices de l'étranger. Ils furent Français
à leur manière. Si plusieurs d'entre eux demandèrent à l'Europe d'intervenir
dans les affaires de France, par solidarité monarchique, ces hommes, comme on l'a dit fort justement, eussent sauté à la gorge du premier qui eût parlé de payer
l'intervention étrangère d'une seule place forte du royaume[163]. Mais lorsque à
Bruxelles, à Turin, à Mayence et à Coblentz, tels riches seigneurs, partis en
souriant de France pour laisser passer la bourrasque,
scandalisaient leurs hôtes par la frivolité de leurs mœurs et le scepticisme
de leur esprit, ils méritaient les blâmes sévères dont le vénérable cardinal
Pacca se fit, dans un mémoire célèbre, l'interprète indigné[164]. Tout autre fut l'attitude du clergé émigré, et, il faut le dire, de cette partie de la noblesse qui ne s'expatria qu'à la dernière extrémité, quand la ruine de ses châteaux et l'organisation d'un régime d'exception à son égard, eurent rendu sa situation intolérable en France. Vers la fin de l'année 1792, l'émigration du clergé prit des proportions considérables. Les nombreuses messageries, dit le plus récent historien de Pie VI, ne suffirent plus à transporter les fugitifs. Toutes les routes qui sortaient de France, pour conduire en Espagne, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, et surtout en Italie, regorgeaient d'ecclésiastiques et de moines, qui fuyaient la prison et la mort[165]. XIV Vers l'Espagne se dirigeaient les prêtres du Languedoc. La
catholique péninsule leur semblait un asile sûr. Ils y rencontrèrent bien des
déceptions de la part des autorités civiles. Certes, peu d'hommes d'Etat
furent plus opposés à la Révolution que le premier ministre de Charles IV,
Florida Blanca ; mais cette opposition s'étendait à la France elle-même. Florida Blanca, dit un historien, avait une telle horreur des idées françaises, que les
émigrés eux-mêmes lui avaient paru des gens dangereux. Au mois de juillet
1791, un édit royal avait soumis les étrangers résidant en Espagne à la
surveillance la plus étroite et la plus humiliante... L'édit était conçu en termes généraux ; il était, en
réalité, dirigé contre treize mille Français établis dans la péninsule[166]. Le comte
d'Aranda, qui lui succéda au commencement de 1792, fit prévaloir une
politique tout opposée. D'Aranda était connu par sa campagne contre les
jésuites. Il avait habité Paris pendant sept ans, et
avait introduit la franc-maçonnerie en Espagne[167]. Son ministère
fut encore moins favorable aux prêtres émigrés. Ce ministère fut d'ailleurs
de courte durée. Le trop fameux Godoy, qui supplanta d'Aranda au mois d'août
1792, n'avait, dans son âme vaniteuse et vile, qu'une ambition : conserver le
pouvoir à tout prix. Il déclarait cyniquement qu'il
avait grande envie de s'arranger avec les jacobins, pourvu que sa sécurité
fût assurée[168]. On n'avait
rien à attendre de l'initiative d'un tel homme ; mais une action énergique en
faveur des émigrés ne paraissait pas impossible. Un noble gentilhomme
languedocien, le comte d'Antraigues, et sa digne mère, Mme Sophie
d'Antraigues, prirent généreusement la défense des prêtres français réfugiés
en Espagne. Ils mirent en mouvement l'ambassadeur d'Espagne à Venise et le
cardinal de Bernis ; puis, ayant obtenu l'assurance qu'une intervention de la part de Sa Sainteté serait vue avec
satisfaction par Sa Majesté catholique[169], ils
supplièrent le pape d'intervenir. Pie VI acquiesça volontiers à ce désir, et
le roi d'Espagne se déclara prêt à accorder l'hospitalité aux ecclésiastiques
français, pourvu qu'ils ne fussent pas réunis en
grand nombre et qu'ils observassent fidèlement les lois du pays[170]. L'accueil fait
aux proscrits par le clergé espagnol fut admirable. L'abbaye de Montserrat,
en Catalogne, ouvrit largement ses portes aux persécutés. L'archevêque de
Tolède, cardinal Lorenzana, et l'évêque d'Orense, en Galice, Quevedo, se
firent remarquer par leur libérale hospitalité[171]. On estime que
l'Espagne reçut environ sept mille prêtres français[172]. L'Angleterre reçut les prêtres émigrés de la Normandie, de la Bretagne et des provinces limitrophes. Au 16 septembre 1792, elle en en comptait déjà trois mille, et, vers le milieu de l'année suivante, près de huit mille. L'élan généreux que montra la Grande-Bretagne en cette circonstance est un de ses plus beaux titres à la reconnaissance de la nation française. D'ailleurs, depuis une quinzaine d'années, la situation du catholicisme en Angleterre s'était bien améliorée. Les préoccupations causées par la grande lutte qui avait abouti à l'émancipation des Etats-Unis, avaient fait désirer au gouvernement de Georges III de n'avoir pas d'ennemis du côté de l'Eglise romaine. Les deux hommes d'Etat rivaux, qui se disputaient le pouvoir, Pitt et Fox, avaient la même manière de voir sur ce point. Des lois votées en 1775 et en 1780 avaient donné aux catholiques anglais de sérieuses garanties pour leurs propriétés, leur culte et leur enseignement. Les catholiques d'Irlande et d'Ecosse étaient en voie d'obtenir, avec les mêmes garanties, l'accès de toutes les carrières juridiques et de presque tous les honneurs jusqu'ici réservés aux protestants. Toutefois l'orientation de l'opinion publique par rapport à la Révolution française était flottante. On n'ignorait pas l'influence profonde exercée par les philosophes anglais sur les hommes qui venaient de donner une nouvelle constitution à la France, et on s'en glorifiait volontiers. Mac Kintosh, dans ses Vindiciæ gallicæ, composées en 1791, exaltait l'œuvre de l'Assemblée constituante ; Thomas Payne, plus radical, faisait, de 1791 à 1792, dans ses Droits de l'homme, un parallèle entre les deux révolutions, anglaise et française ; Fox, adversaire de la maison de Bourbon, se déclarait ami de la France nouvelle. Conformément à ces idées, la Société de la Révolution demandait la suppression des dîmes ; la Société pour le développement des connaissances constitutionnelles faisait une campagne pour le suffrage universel ; les Sociétés de correspondance, dont le centre était à Londres, avaient des relations continuelles avec les clubs de Paris et tendaient vers la République[173]. Mais, d'autre part, les excès de la Révolution effrayaient le peuple réfléchi et laborieux de la Grande-Bretagne. Dès la fin de 1790, un de ses plus puissants penseurs, Burle et Pitt. Edmond Burke, s'était fait l'interprète éloquent de ces appréhensions dans ses Réflexions sur la Révolution française, où il montrait du doigt, au terme d'une anarchie sans exemple, le plus absolu despotisme qui ait jamais paru sous le ciel[174] ; et Pitt, le grand homme d'Etat, dont l'esprit net, pratique, jamais déconcerté, semblait incarner les meilleures qualités de la race anglo-saxonne, se déclarait ouvertement contre le jacobinisme. Il était cependant un point sur lequel le libéralisme de Fox, la sagesse de Burke et la politique conservatrice de Pitt se rencontraient : un souffle d'humanité sincère animait ces hommes, comme la nation anglaise tout entière, dont ils étaient les illustres représentants, comme le roi, qu'ils entendaient servir avec des opinions différentes ; et ce sentiment les rendait sympathiques à l'infortune des émigrés français. Un premier groupe de prêtres proscrits aborda aux côtes d'Angleterre au mois d'août 1791[175]. Il reçut un accueil enthousiaste. Laissons la parole à l'un de ces exilés. Il faut avoir été trois ans en France, écrit l'abbé Barruel, au milieu des constitutionnels, des girondins, des maratistes, des jacobins de toute espèce, pour sentir tout ce que ce premier accueil des Anglais avait de reposant, de délicieux pour chacun de ces prêtres. C'était le doux réveil de l'âme qui, longtemps tourmentée de l'image des monstres et des furies, sort de ce rêve affreux et ne trouve autour d'elle que des objets rassurants et paisibles. Je le sais par mon expérience, par celle de mes frères déportés avec moi[176]. L'évêque de Saint-Pol-de-Léon, M. de Lamarche, qui résidait à Londres depuis l'année précédente, s'occupa de procurer des secours à ses compatriotes malheureux. Un membre du parlement, le président Wilmot, se mit à la tête d'un comité d'initiative qui fit un appel au public. Edmond Burke épousa vivement la cause des proscrits ; il rédigea même une adresse, qui fut insérée dans tous les journaux, et qui produisit glus de 8h.000 francs. L'année suivante, le parlement lui-même vota une somme destinée à venir au secours des prêtres et des nobles émigrés ; ce vote fut renouvelé tous les ans, et l'on a calculé que, jusqu'en 18o6, un total de 42.620.000 francs, avait été distribué[177]. Un saint prêtre de Rennes, l'abbé Carron, que son dévouement aux classes populaires n'avait pas soustrait à la persécution des jacobins, fonda, dès l'année 1792, à Jersey, deux écoles pour l'instruction de la jeunesse émigrée, une chapelle pour l'exercice du culte catholique, des associations pieuses et une bibliothèque pour les ecclésiastiques. Quatre ans plus tard, à Londres, aidé de l'évêque de Saint-Pol-de-Léon, soutenu par la bienveillance personnelle du roi Georges III, il put donner à ses œuvres une plus grande extension. Des établissements de bienfaisance et des chapelles s'élevèrent, grâce à lui, dans plusieurs quartiers de Londres[178], et Chateaubriand n'est que l'écho, aussi véridique qu'éloquent, de l'opinion générale de son temps, lorsqu'il appelle l'abbé Carron le François de Paule de l'exil, dont la renommée, révélée par les affligés, perça même à travers la renommée de Bonaparte[179]. L'Angleterre, dit l'historien des émigrés[180], devint comme l'âme de l'émigration... Londres recueillit la plupart des hommes dont le talent honorait la France. C'est à Londres que M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, publia sa traduction en vers du psautier, l'abbé Barruel son Histoire du clergé de France pendant la Révolution et ses Mémoires sur le jacobinisme, Delille son poème français de la Pitié, et que Chateaubriand commença à écrire son Essai historique sur les révolutions[181]. Les ecclésiastiques français ne se bornèrent pas à exercer leur ministère en faveur de leurs compatriotes. Nos confesseurs de la foi se répandirent dans les différents comtés. Les uns devinrent précepteurs dans les familles riches ; les autres ouvrirent des écoles ; quelques-uns fondèrent des missions. On compta trente de ces missions dans le seul district de Londres, comprenant les diocèses actuels de Westminster et de Southwark. Les plus importantes se trouvaient à Chelsea, à Kennington, à Hommersmith. La grand'messe devint une pratique générale dans les chapelles de Londres. Prêtres anglais et irlandais profitèrent du secours apporté par ces étrangers, pour s'occuper plus activement de leur troupeau dispersé. En même temps, bien des préjugés anticatholiques disparurent de l'esprit des populations protestantes lorsqu'elles se trouvèrent en contact avec la vie, avec les exemples de ces confesseurs de la foi, aussi pieux que résignés. On peut croire enfin que l'admirable charité britannique fut agréable à Celui qui a promis une récompense pour le verre d'eau donné en son nom, et que, dès cette heure, l'Angleterre avait reconquis ses droits à la vérité religieuse[182]. XV Pie VI, en apprenant l'accueil charitable fait par la nation anglaise aux prêtres persécutés, s'était empressé d'envoyer au roi Georges III un bref de félicitations[183]. Bientôt, son attention fut plus spécialement attirée sur la situation des ecclésiastiques émigrés en Allemagne. Le contre-coup du mouvement révolutionnaire en Allemagne y avait déterminé un dualisme qui la déchirait. Nulle part peut-être les principes de la Révolution n'avaient excité, chez les hommes de pensée, une sympathie plus profonde ; mais nulle part aussi les progrès de la Révolution n'avaient provoqué, chez les hommes d'Etat, une opposition plus résolue. Kant avait reconnu, dans la Déclaration des Droits de l'homme, les principes de droit, d'autonomie, de liberté dont il avait fait la base de sa morale. Avec une passion plus ardente encore, Fichte avait pris la défense du jacobinisme lui-même[184]. Les amis des lumières continuant l'œuvre de Lessing, propageaient les idées de liberté et de rénovation politique. Un groupe de jeunes poètes, s'inspirant de Klopstock[185], célébraient dans la Révolution française le caractère à la fois rationaliste et mystique de son inspiration. Ceux qui, autour de Jacobi, réagissaient par le culte du sentiment contre les partisans d'un intellectualisme trop sec, se rencontraient avec eux dans la même admiration des idées nouvelles, et les illuminés de l'école de Weishaupt renchérissaient par-dessus tous dans l'admiration qu'ils professaient pour les principes nouveaux[186]. Tous les courants de la pensée allemande semblaient donc aboutir à la glorification de la Révolution et de son œuvre ; mais, d'autre part, tous les intérêts de la politique paraissaient menacés par elle. En effet, comme le remarque dans ses Mémoires le cardinal Pacca, alors nonce pontifical à Cologne, les premiers objets contre lesquels s'acharnaient les philosophes et les révolutionnaires de la France étaient l'aristocratie nobiliaire, le système féodal, la puissance et la richesse du clergé. Or tout cela était en pleine vigueur en Allemagne, pays essentiellement aristocratique et féodal, où le clergé était souverain d'une grande partie du territoire[187]. De plus, beaucoup de seigneurs allemands avaient des possessions considérables en Alsace, en Lorraine, en Bourgogne. Les décrets votés dans la nuit du l Août les avaient lésés dans leurs droits féodaux. L'empereur d'Allemagne et le roi de Prusse, à l'instigation des députés du cercle du Haut-Rhin, avaient dû intervenir auprès de Louis XVI pour lui de mander le rétablissement de l'ancien état de choses. D'ailleurs les hommes d'Etat de l'Allemagne ne se faisaient plus maintenant illusion sur la portée de la Révolution française. Le cardinal Pacca rapporte deux paroles prononcées alors par Kaunitz, ministre de la cour d'Autriche, et par Hertzberg, ministre de la cour de Prusse. On demandait au premier ce que devait durer le mouvement commencé en France. Longtemps, et peut-être toujours, répondit le vieux ministre. Et le comte de Hertzberg répétait à qui voulait l'entendre : La Révolution fera le tour de l'Europe[188]. L'arrivée des premiers émigrés ne fit qu'augmenter la confusion d'idées et de sentiments au milieu de laquelle l'Allemagne se débattait. L'historien des émigrés français n'hésite pas à reconnaître que la noblesse déploya trop de luxe à Coblentz, qu'elle n'eut pas le ton mâle et sévère qui convient à des proscrits, et que cela a pu faire naître ce principe de l'indifférence dont les souverains n'ont donné que trop de preuves[189]. Le cardinal Pacca dit sans ambages : Les rapports familiers que j'eus avec les nobles émigrés nie firent presque perdre l'espoir de voir un terme aux maux qui désolaient la France. La plupart de ces nobles, surtout les grands seigneurs de la cour, n'exerçaient aucun acte de religion ; bien plus, ils affectaient publiquement une profonde indifférence pour tout principe religieux. La ville de Coblentz était, pour ainsi dire, devenue un nouveau Versailles : c'étaient les mêmes cabales, les mêmes intrigues de cour, les mêmes débauches, sans respect pour le public. Ces exemples scandalisèrent d'une manière grave les Allemands, et firent beaucoup de mal à la religion catholique en Allemagne[190]. Les documents récemment publiés par M. de Vaissière confirment pleinement cette appréciation du nonce apostolique[191]. La conduite de quelques prélats émigrés fut malheureusement sujette à des critiques pareilles. On sait, dit Pacca[192], que la grande majorité des évêques de France fut un sujet d'édification pour toute l'Europe ; mais je dois confesser avec amertume que la conduite d'un petit nombre d'entre eux fut loin de répondre à la haute opinion qu'on s'en était faite. Plusieurs dames pieuses de Cologne, qui s'attendaient à vénérer en eux des Hilaire et des Eusèbe, restèrent bien étonnées en voyant leur manière peu canonique de s'habiller, et la légèreté de leurs conversations dans le grand monde. Le bas clergé sauva l'honneur de l'Eglise de France. Les ecclésiastiques, dit Pacca[193], appartenaient, pour la plupart, à la vénérable classe des curés. Ils tinrent une conduite vraiment édifiante et justifièrent pleinement la bonne réputation qui les avait précédés. Evêques et prêtres avaient reçu en Allemagne, tant de la part des princes que de celle du peuple, une généreuse hospitalité. Mais l'invasion de la Savoie, en septembre 1792, par le général Montesquiou, et celle de la Belgique, en novembre, par Dumouriez, rejetèrent en Allemagne un plus grand nombre de prêtres fugitifs. De nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices devenaient nécessaires. Au lendemain de l'invasion de la Savoie, le 21 septembre 1792, Pie VI écrivit un bref à tout le clergé d'Allemagne pour recommander à sa charité les prêtres de France persécutés[194]. Le peuple allemand répondit noblement à cet appel. Grâce au zèle du cardinal Caprara, nonce à Vienne, de nombreux monastères d'Autriche s'ouvrirent aux malheureux proscrits. Des caisses de secours furent organisées, des associations furent fondées pour subvenir à leurs besoins. La ville de Munster et son évêque, Maximilien, électeur de Cologne, se distinguèrent particulièrement par leur zèle et leur générosité[195]. Des religieuses exilées de France furent placées en différentes maisons et édifièrent par leurs vertus les personnes qui leur donnèrent l'hospitalité. Les cantons de la Suisse se montrèrent dignes de leur vieux renom d'hospitalité. Les Suisses, dit Barruel, n'avaient pas à offrir les secours des nations opulentes ; mais ils avaient le cœur des peuples bienfaisants. A l'aspect de ces prêtres sans asile, ils les abritèrent sous leurs rustiques toits. Les paysans allaient les attendre sur les routes pour leur offrir un logement... Une juste reconnaissance inspira alors à ces prêtres le désir de se rendre utiles à ces familles patriarcales. Ils donnèrent des leçons aux enfants. Plusieurs même se joignirent aux travaux domestiques. J'ai vu, écrit M. Dubois, professeur au collège d'Orléans, j'ai vu plusieurs de ces prêtres faucher le foin avec autant d'assiduité que les paysans qui les avaient accueillis[196]. Le 20 avril 1795, le Saint-Père adressa à l'avoyer et aux conseils du canton de Fribourg un bref de félicitations qui louait la charité de la Suisse tout entière. XVI De la région du sud-est de la France, plus de trois mille prêtres s'étaient acheminés vers l'Italie. Comme en Espagne, en Angleterre, en Allemagne et en Suisse[197], la vie austère de la plupart de ces prêtres, l'exemple de leurs vertus, y répandit un parfum d'édification pour les peuples, et compensa, dans une large mesure, les scandales donnés à l'étranger par les écrits de nos philosophes, par les violences de nos révolutionnaires et par la vie mondaine d'un trop grand nombre de nos grands seigneurs émigrés. Dans l'Europe entière, — c'est pour nous une joie de le constater avant de reprendre le récit des forfaits du jacobinisme, — le clergé de France, providentiellement dispersé par la tourmente, préparait dès lors, dans la souffrance et dans l'humilité, la rénovation catholique qui devait succéder à la Révolution. La propagation des idées révolutionnaires avait trouvé à la fois, en Italie, de grands obstacles et d'ardentes complicités. Les obstacles ne venaient pas seulement des gouvernants et des privilégiés de la péninsule, non moins méfiants que ceux des grands Etats à l'égard des idées nouvelles, mais aussi du bas peuple. Celui-ci se trouvait plus lié à la vie de l'aristocratie locale, moins accablé par les impôts, plus porté qu'ailleurs peut-être à préférer à la liberté abstraite que lui prônait la Révolution les libertés concrètes et tangibles que lui accordaient ses petits princes. Il appréciait l'aisance que lui procuraient les oligarchies de Venise et de Gênes et l'administration paternelle de la cour pontificale. Les complicités se trouvaient dans la survivance de cet esprit républicain qui avait agité l'Italie du moyen âge et de la Renaissance, dans le tempérament individualiste à l'excès dont Le Tasse avait dit : Alla virtu Latina O nulla manca, o sol la disciplina[198]. Elles se rencontraient encore dans cette exaltation des sentiments que le climat explique peut-être, et surtout dans cet amour des conspirations, cette habitude des sociétés secrètes[199], qui se perpétuaient alors à Naples, à Venise, à Milan, à Rome, dans les loges des francs-maçons et des illuminés[200]. Dans le peuple italien persistaient d'ailleurs les habitudes d'une foi sincère et profonde. Les crimes de la Convention séparèrent les divers courants qui se trouvaient mêlés en Italie. Les princes entrèrent, les uns après les autres, dans la coalition qui se formait contre la Révolution française ; les esprits exaltés, les francs-maçons s'organisèrent en clubs, qui se mirent en relations suivies avec le comité de Salut public[201]. Les âmes foncièrement croyantes s'émurent de compassion en voyant arriver, de jour en jour plus nombreux, ces prêtres français qui, pour obéir à leur conscience, venaient de quitter leur patrie et se résignaient à demander le pain de chaque jour à la charité de leurs frères. Le cardinal Costa, archevêque de Turin, par une lettre pastorale du 5 octobre 1792, recommanda ces proscrits à la charité de ses fidèles. Les autres prélats suivirent cet exemple. Des chapelles, des maisons hospitalières, des magasins d'habillement furent mis à la disposition des malheureux fugitifs, qui manquaient de tout. La noblesse et les personnes riches furent admirables de dévouement[202]. L'affluence des prêtres français en Italie, et principalement dans les Etats pontificaux, suggéra à Pie VI la pensée de créer l'œuvre pie de l'hospitalité française. Cette œuvre existait, à vrai dire, depuis le commencement de l'émigration ; elle ne fut toutefois parfaitement organisée qu'à la fin de septembre 1792. Elle eut pour président, à défaut du pape, le secrétaire d'Etat, lequel fut admirablement secondé par Mgr Caleppi, ancien auditeur de la nonciature de Vienne[203]. Les émigrés furent répartis en quatre grandes villes, Bologne, Ferrare, Pérouse et Viterbe. A la date des 10, 20 et 30 octobre 1792, des circulaires furent envoyées par la secrétairerie d'Etat à tous les couvents d'Italie pour leur recommander les prêtres français. Pour maintenir la discipline parmi ces nombreux émigrés, deux importants règlements furent publiés par le pape, l'un le 26 janvier 1793, l'autre du 25 janvier 1794[204]. Vingt-quatre prélats exilés se trouvèrent réunis autour du Saint-Père. On remarquait parmi eux Philippe Casoni, comte de Villeneuve, vice-légat d'Avignon, que la Révolution avait fait fuir successivement d'Avignon à Carpentras, de Carpentras à Chambéry, de Chambéry à Rome ; l'archevêque d'Avignon, Giovio, qui avait subi à peu près les mêmes vicissitudes ; les évêques de Sisteron, de Vaison et de Carpentras. Ce dernier, venu à pied de Savoie à Rome, au mois d'octobre 1792, y avait été précédé par un de ses diocésains, l'abbé Jean-Siffrein Maury, le puissant orateur dent l'éloquence avait tenu tête à celle de Mirabeau. Le pape, voulant récompenser les services rendus à la cause catholique par ce prêtre courageux, le nomma archevêque titulaire de Nicée. Maury avait des titres à la reconnaissance de l'Eglise. En des temps difficiles, son imperturbable sang-froid, la vivacité de ses ripostes, la souplesse de sa dialectique, avaient fait de lui, en face des révolutionnaires de l'Assemblée constituante, un champion redoutable. Mais la noblesse du caractère n'était pas chez lui à la hauteur du talent. Le nouvel archevêque devait, en 1792, remplir, au nom du pape, quelques missions utiles[205] ; il devait aussi s'associer trop intimement aux rancunes et aux préjugés de l'émigration laïque, intervenir dans la question du serment d'une manière trop hautaine, et finalement forcer le pape à le suspendre de ses fonctions épiscopales, comme nous le verrons plus loin. Une plus grande figure fut celle de François d'Aviau, archevêque de Vienne, qui, chassé de son diocèse par la persécution, arriva à Borne, après plusieurs pérégrinations, au commencement de l'année 1794. Pie VI apprécia le saint prélat, qui devait, en 1795, diriger de Rome les trois diocèses de Vienne, de Viviers et de Die, venir en 1797, déguisé en paysan, évangéliser, au péril de sa vie, les montagnes du Vivarais et du Forez, et finalement donner, sur le siège archiépiscopal de Bordeaux, l'exemple des plus hautes vertus[206]. Comme ce pieux évêque, la plupart des ecclésiastiques émigrés à Rome y puisèrent un zèle nouveau pour la diffusion de l'Evangile. Au temps de la persécution, comme à ceux de la prospérité, la Ville éternelle se montrait toujours le centre et la tête de l'Eglise catholique. L'émigration, d'ailleurs, avait débordé l'Europe ; elle avait atteint, par delà l'Océan, l'Amérique elle-même ; et, dans le nouveau monde comme dans l'ancien, elle avait déposé le germe des moissons futures. La Révolution américaine, bien qu'ayant débuté par une Déclaration des Droits fort semblable, au point de vue politique, à celle que vota plus tard la Révolution française, n'avait pas eu le même caractère antireligieux. Le sixième article de la Convention de Philadelphie, votée en 1787, et le premier amendement de la Constitution, proposé par le Congrès national en 1789, garantissaient le libre exercice de la religion, donnaient à l'Eglise catholique, en quelque sorte, une existence officielle. La nomination, en 1789, de Mgr Carrol, ami personnel de Washington, au siège de Baltimore, ne fondait pas seulement la hiérarchie catholique aux Etats-Unis, elle apparaissait à tous comme un gage de paix féconde entre l'Eglise et l'Etat. Mais, dans le vaste champ d'apostolat qui s'ouvrait alors, les ouvriers évangéliques manquaient. On pouvait évaluer à 24.000 le nombre des catholiques dispersés dans les divers Etats de l'Union ; et le clergé ne comptait que vingt-deux prêtres[207]. Un collège fondé par les jésuites à Georgetown, en 1786, était la seule institution que l'Eglise possédât ; elle n'avait ni écoles paroissiales proprement dites, ni pensionnats de filles, ni séminaires, ni hôpitaux, ni établissements de charité[208]. Or, en 1791, le Supérieur de Saint-Sulpice, M. Emery, effrayé des progrès de la Révolution, et s'inspirant de l'esprit du vénérable fondateur de sa compagnie, M. Olier, résolut d'envoyer sur cette terre étrangère et libre des prêtres de sa Congrégation. Ces nouveaux missionnaires se consacreraient d'une manière spéciale à la formation d'un clergé indigène, destiné à répandre au milieu des protestants et des sauvages l'amour de l'Eglise catholique ; cette œuvre faite, ils pourraient rentrer en France, délivrée et pacifiée, pour y reprendre la direction des séminaires, et relever l'Eglise de ses ruines[209]. Aucune proposition ne pouvait être plus agréable à l'évêque de Baltimore. Mgr Carroll accepta avec joie et reconnaissance l'offre de M. Emery. Le 8 avril 1791, quatre sulpiciens, MM. Nagot, Levadoux, Tessier et Garnier, accompagnés de cinq séminaristes, s'embarquèrent à Saint-Malo sur un navire frété pour eux. Quelques laïques avaient été admis à prendre passage sur leur bateau ; parmi ceux-ci se trouvait le vicomte de Chateaubriand, qui, soit dans l'introduction de son Voyage en Amérique, soit dans ses Mémoires d'outre-tombe, nous a laissé le brillant récit de cette traversée[210]. Le 10 juillet 1791, la petite colonie de sulpiciens débarqua sur le rivage de Baltimore. D'autres prêtres, chassés de Saint-Domingue par la sanglante insurrection des nègres, vinrent bientôt les y rejoindre. En somme, de 1791 à 1799, vingt-sept missionnaires français, dont douze sulpiciens, vinrent prendre rang parmi le clergé des Etats-Unis. Six de ces prêtres devaient porter glorieusement le fardeau de l'épiscopat : M. Flaget, à Bordstown, puis à Louisville ; M. de Cheverus à Boston ; M. Dubourg à la Nouvelle-Orléans ; M. Maréchal à Baltimore ; M. Dubois à New-York, et M. David, comme coadjuteur, à Bordstown et à Louisville. On a dit de Mgr Flaget, dont la vie et la vigueur devaient se prolonger au delà des limites communes, que, dans ses courses apostoliques, il marquait par chacune de ses haltes principales le siège d'un épiscopat[211]. Sous la direction de si vaillants évêques, les prêtres émigrés firent des prodiges. Théodore Badin fonda la mission du Kentucky ; son frère Vincent, celle du Michigan, parmi les tribus sauvages des Algonquins, des Ottawas et des Sioux. Gabriel Richard, envoyé à Détroit, v évangélisa un pays plus vaste que la France et l'Espagne ; il devait être élu plus tard représentant au Congrès[212]. La jeune chrétienté des Etats-Unis commençait le cours de ses brillantes destinées. Dieu manifestait une fois de plus la féconde vitalité de son Eglise. Les premiers apôtres de la Grèce et de Rome n'avaient-ils pas été des victimes de la persécution juive ? Les premières évangélisations des barbares n'avaient-elles pas été dues à des évêques proscrits par l'empire romain ? Les conquêtes de saint François-Xavier en Asie n'avaient-elles pas suivi de près, au XVIe siècle, les ravages du protestantisme en Europe ? La fin du XVIIe siècle, témoin des efforts de l'impiété pour détruire l'Église catholique dans les nations européennes, voyait naître, au delà de l'Océan, une Eglise nouvelle ; et c'était la France, foyer de l'agitation révolutionnaire, qui préparait son berceau. XVII Pendant que les nouvelles qu'il recevait de la jeune chrétienté d'Amérique réjouissaient le cœur du Souverain Pontife, deux événements tragiques l'affligeaient profondément. Nous voulons parler du meurtre de l'agent français à Rome, Bassville, le 13 janvier 1793, et de la mise à mort du roi Louis XVI à Paris, le 21 janvier. Le premier de ces événements, en déchaînant de nouvelles haines contre la papauté, et le second, en devenant le prétexte d'une recrudescence de la guerre étrangère, allaient être les points de départ d'une persécution plus sanglante, plus générale, plus méthodiquement organisée, plus terrible, en un mot, que celle dont on avait souffert jusqu'alors : pour les prêtres, pour les religieux, pour tous les citoyens paisibles de la France, ce fut, dans toute la force du mot, la Terreur. Depuis la retraite de Bernis, et le refus, signifié par le pape au gouvernement français, de recevoir le comte de Ségur[213], les relations diplomatiques se trouvaient rompues entre le Saint-Siège et la France. Mais ni la Législative ni la Convention ne s'étaient résignées à rester à l'écart du mouvement important de relations et d'idées dont Rome était le centre. Non seulement les clubs de Paris entretinrent autour du Saint-Siège des émissaires suspects, chargés de surveiller les prétendues menées de la Contre-Révolution ; mais lorsque le pape crut devoir sévir contre ces agitateurs, le ministre de France à Naples, M. de Mackau, voulut intervenir pour les protéger[214]. Ce Mackau, personnage intrigant et ambitieux, désireux de prendre à Rome la succession de Bernis, était secondé, depuis le 12 août 1792, par un secrétaire non moins remuant, que la faveur de Lebrun, ministre des affaires étrangères, avait élevé à ce poste. C'était le fils d'un teinturier d'Abbeville. Il s'appelait Nicolas-Jean Hugou, mais était plus connu sous le nom de M. de Bassville. On le disait diacre sécularisé depuis la Révolution[215]. Le 13 novembre 1792, Bassville arrive à Rome, s'y installe, se présente au secrétaire d'Etat comme un simple voyageur, mais bientôt prend l'attitude d'un diplomate attitré, saisit toutes les circonstances pour prendre la défense des nationaux français, donne des banquets à ses compatriotes, organise des enquêtes, informe le ministre Lebrun des forces militaires dont peuvent disposer 'es Etats pontificaux. La presse révolutionnaire demandait alors à grands cris l'invasion de Rome et la déportation du pape[216]. Bassville se vante d'obtenir du secrétaire d'Etat, qui le craint, tout ce qu'il voudra. Au mois de décembre, il s'installe avec sa femme et son enfant au palais de l'Académie de France. Bassville n'était pas au bout de ses insolences. Une circulaire de Monge, ministre de la marine, datée du 28 novembre 1792, avait enjoint à tous les consuls de remplacer, au-dessus de leur porte, l'écusson fleurdelysé par le chiffre de la République, en ajoutant toutefois que la substitution devait être subordonnée au temps et aux circonstances. Sans tenir aucun compte de cette dernière clause, Bassville, accompagné d'un major de vaisseau, Charles de Flotte, jeune officier de vieille noblesse qui avait donné tête baissés dans les idées nouvelles, notifie au Saint-Siège la circulaire de Monge, puis, sans attendre la réponse du pape, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1793, il fait abattre les écussons fleurdelysés qui dominent le palais de l'Académie et la demeure du consul. Il détermine ensuite les élèves à jeter à bas la statue de Louis XIV, fondateur de l'Académie. Quelques jours plus tard, dans ce même palais, on installe une statue de Brutus, autour de laquelle des orateurs pérorent. A la suite de ces excitations, la foule traîne dans la rue la statue de Louis XIV et celles de plusieurs papes et cardinaux. Cependant le pape a répondu, le 8 janvier, à la demande de la France par une lettre adressée au consul. Pie VI oppose aux exigences du gouvernement français un refus formel dont il développe les raisons. Le République, dit-il, en retirant son ambassadeur, a rompu tous les rapports diplomatiques avec le Saint-Siège ; pourquoi le Saint-Siège reconnaîtrait-il la République ? Le nouveau gouvernement de la France n'est reconnu encore par aucun cabinet. L'acte demandé au pape semblerait une approbation tacite de tout ce qui a été fait en France contre la religion. Le pontife ne peut oublier d'ailleurs qu'en France, le 3 mars 1791, on a brûlé ses brefs et sa propre effigie ; qu'à Mignon on a chassé son nonce ; qu'à Marseille on a arraché ses armes de la maison de son consul, qu'on les a suspendues à un réverbère et réduites en pièces ; et qu'enfin, lorsque le Saint-Siège a réclamé contre ces actes, demandé le rétablissement de ses armoiries, le gouvernement français a répondu que les circonstances ne permettaient pas de satisfaire à ses réclamations[217]. Aussitôt que la réponse du pape lui a été communiquée, Mackau éclate en amertumes et charge Flotte de se faire auprès du pape l'interprète de sa protestation. Flotte exécute sa mission avec brutalité. Il remet la dépêche au secrétaire d'Etat, en le menaçant de la destruction de Rome si le pape persiste dans son refus. De tels événements n'avaient pu s'accomplir sans agiter profondément l'opinion populaire. Ce Bassville qui se mêlait si insolemment, sans aucun titre officiel, de régenter le consulat, le pape et l'Etat romain, devenait odieux. S'il faut en croire la relation de Digne, consul de France, Flotte et Bassville, en descendant lés marches du Vatican après l'accomplissement de la dernière mission de Flotte, exprimèrent si bruyamment leur mécontentement, que l'écho s'en répandit rapidement parmi le peuple. Le samedi 12 janvier, le bruit courut que, le lendemain, les armes de la République, à savoir une Minerve coiffée d'un bonnet phrygien et tenant une pique à la main, seraient arborées au consulat. Le gouvernement pontifical, prévoyant une explosion de la colère de la foule à cette occasion, renforça les postes de police par un corps de troupe. Ces précautions devaient être inutiles. Le dimanche 13 janvier, à quatre heures de l'après-midi, au moment où l'affluence était particulièrement considérable dans les rues, Flotte, Mme Bassville et son fils, en voiture, traversent la ville, les cochers et les laquais portant la cocarde républicaine, le jeune Bassville agitant un drapeau tricolore. Le peuple romain s'imagine qu'on veut le braver. Des pierres sont jetées sur la voiture. On crie : A bas les cocardes ! Un coup de feu, parti de la voiture, accroît l'irritation. Flotte est rejoint par la foule au moment où il vient de se réfugier dans la maison d'un banquier français, où se trouve Bassville. Celui-ci apparaît, tenant en ses mains deux pistolets, qu'il vient d'arracher à Flotte pour l'empêcher d'en faire usage. Les assaillants croient qu'il veut se servir de ces armes. L'un d'eux, resté inconnu, le frappe au ventre d'un coup de poignard. Flotte parvient à s'enfuir par la toiture d'une maison voisine ; mais Bassville ne peut être sauvé. Il meurt, après avoir répudié tous les serments qu'il a faits en opposition avec les lois de l'Eglise, et reçu les sacrements, déclarant qu'il est victime des imprudences de Flotte[218]. Dès les premiers bruits de l'émeute, le pape avait donné ordre au général Caprara de diriger ses troupes contre les émeutiers. La troupe arrive à temps pour protéger l'Académie de France et les maisons de quelques amis de Bassville, qui sont assaillies ou menacées. Des prêtres sont chargés de prêcher l'apaisement dans les carrefours et sur les places publiques. Pie VI, non content d'avoir envoyé, pour soigner le blessé, son propre chirurgien, pourvoit personnellement aux obsèques de Bassville, facilite l'éloignement de Flotte, de 'la femme de Bassville et de son fils, et fait parvenir à tous ses nonces une relation détaillée des incidents. Mais Flotte arrive à Paris et raconte à sa manière les événements du 13 janvier. La Convention fait cause commune avec lui, adopte le fils de Bassville, et arrête tout un plan de campagne contre le pape, à moins qu'il ne souscrive aux conditions suivantes : excuses publiques, acceptation immédiate des armes de la République, expulsion des émigrés de l'Etat pontifical, indemnité aux Français qui ont souffert de l'insurrection. Pendant que la Convention menaçait ainsi le pape, des événements d'une extrême gravité se précipitaient en France. Le 11 décembre, la Convention avait fait comparaître le roi Louis XVI à sa barre pour lui faire subir un humiliant interrogatoire. On l'y fit revenir le 26, accompagné de ses défenseurs, Malesherbes, Tronchet et de Sèze, qui essayèrent en vain de le justifier des accusations portées contre lui, et d'exciter la pitié de l'Assemblée en sa faveur. Le parti des montagnards était pris : ils voulaient jeter en défi à l'Europe une tête de roi. Les girondins se divisèrent. Une pression formidable fut exercée sur les hésitants. Le 15 janvier, l'assemblée, à l'unanimité des votants, déclara le roi coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d'attentats contre la sûreté de l'Etat. Le lendemain, 387 voix, sur 721 votants, se prononcèrent pour la peine de mort sans condition, contre 334 voix, qui se prononcèrent pour la mort conditionnelle ou pour la détention. Parmi les dix-sept évêques constitutionnels présents à la séance, cinq condamnèrent Louis XVI à la peine de mort ; dix-huit prêtres constitutionnels, sur vingt-cinq, opinèrent dans le même sens[219]. Le 21 janvier, sur la place ci-devant Louis XV, le roi de France mourut sur l'échafaud avec une noblesse d'attitude, un courage, une piété, un oubli des injures reçues, une abnégation de soi-même, une confiance dans la justice éternelle, qui font de ses derniers moments un des plus grands exemples de vertus qui puissent être proposés aux hommes. Pour la première fois depuis qu'il régnait, dit un historien[220], Louis parut dominer sa tâche. La Convention, en lui ôtant le manteau royal et la couronne, qui l'écrasaient, découvrit en lui l'homme, qui possédait les plus touchantes vertus du genre humain. Pie VI, qui avait toujours nourri une tendre estime pour
le roi de France, éprouva, à la nouvelle de sa mort, une profonde impression
de tristesse et d'indignation. Cinq mois plus tard, au consistoire secret du
17 juin, son émotion n'avait pas diminué. Il ne craignit pas de donner à
Louis XVI le titre de martyr, car, disait-il, qui
peut douter que ce roi n'ait été tué principalement en haine de la foi, et parce
qu'il suivait les dogmes catholiques ? Mais, par là même, l'espoir que
le pontife avait conservé dans la France se trouva profondément ébranlé. Ah France ! France ! s'écriait-il dans
une touchante prosopopée, toi qui, dans la ferveur
de ta foi et dans ton dévouement au siège apostolique, ne suivais pas les
autres, mais les précédais toujours, combien maintenant tu es devenue notre
ennemie !... France, qu'as tu gagné à
rassasier ta haine ? Quoi que tu veuilles, sache-le, c'est la foi qui fait la
solidité des royaumes, car c'est la foi qui comprime les abus des
gouvernements et la licence des peuples[221]. XVIII La tristesse du Père commun des fidèles n'était que trop justifiée. L'exécution de Louis XVI devait être le prétexte, pour l'Europe coalisée, d'une guerre acharnée contre la France ; et la guerre étrangère allait devenir à son tour, pour la Convention, l'occasion d'une recrudescence inouïe de persécution. On l'a dit avec raison : le désir de venger la mort de Louis XVI ne fut que le prétexte sentimental de la grande coalition qui réunit contre la France, sous la direction de William Pitt, l'Angleterre, la Hollande, l'Espagne, l'Autriche, l'Allemagne, la Prusse, Naples et le Piémont. La bravade de Danton, fixant les limites naturelles de la France à l'Océan, aux bords du Rhin, aux Alpes et aux Pyrénées, fut une raison plus réelle ; mais le principal des motifs fut l'espoir de se partager les provinces de la France, qu'on jugeait incapable de tenir tête aux nations coalisées. La France devait leur infliger un éclatant démenti, et, même privée de son roi, même soumise à l'autorité la plus révolutionnaire, défendre l'intégrité de son sol avec une indomptable énergie. Mais la nécessité de la défense nationale favorisa l'établissement d'une dictature, qui s'exerça surtout contre les prêtres et contre la religion catholique. Le premier acte de cette dictature fut l'établissement d'un tribunal révolutionnaire. Le 10 mars, au milieu de la violente fermentation produite par la défaite d'Aix-la-Chapelle et par la prise de Liège, Barère s'écria : Ce n'est pas de mourir qu'il s'agit pour sauver la patrie, mais de vivre pour démasquer les traîtres[222]. Robespierre ajouta : Je dis que tant que les traîtres seront impunis, la nation sera toujours trahie[223]. A la suite de ces débats, la Convention porta un décret dont le 1er article était ainsi conçu : Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire, qui connaîtra de toute entreprise révolutionnaire[224]. L'article 6 instituait auprès du tribunal un accusateur public. Cet accusateur public devait être Fouquier-Tinville. L'article 16 portait que les jugements seraient rendus sans recours au tribunal de cassation[225]. Quelques jours après, la création d'un comité révolutionnaire dans chaque commune[226], puis celle du fameux Comité de Salut public chargé de surveiller le pouvoir exécutif, de suspendre les arrêts et de prendre, dans les circonstances urgentes, les mesures de défense générale extérieure et intérieure, compléta l'organisation de la dictature. La Convention était armée pour agir contre ses ennemis, contre tous ceux qu'elle suspectait de l'être. Ceux-ci étaient avant tout les prêtres réfractaires. Le 18 mars 1793, la Convention décida que tout citoyen qui reconnaîtrait un prêtre ou un émigré réfractaire à la loi de la déportation, serait autorisé à l'arrêter, et que le prêtre ou l'émigré reconnu coupable serait mis à mort dans les vingt-quatre heures[227]. C'était une aggravation notable des pénalités portées par la loi du 26 août 1792, laquelle ne punissait le déporté rentré en France que de dix ans de détention. Mais jusqu'ici les prêtres seuls étaient atteints. Un décret des 21-23 avril 1793 étendit l'obligation du serment et les pénalités attachées à son refus à tous les ecclésiastiques sans exception, réguliers, séculiers, frères lais ou convers[228]. Depuis l'archevêque et l'abbé de monastère jusqu'au plus humble des frères portiers, tout le clergé fidèle de France était frappé d'ostracisme et menacé de mort. Le décret du 21 octobre 1793 (30 vendémiaire) devait augmenter encore la rigueur de ces lois. Il punissait de mort non seulement les prêtres émigrés qui rentreraient sur le territoire français et ceux qui ne seraient pas expatriés dans le délai de dix jours, mais encore tout prêtre non assermenté pris les armes à la main ou muni de quelques signes contre-révolutionnaires. (Art. 1, 15, 17.) Tout citoyen était invité à dénoncer, arrêter ou faire arrêter tout prêtre sujet à la déportation, avec la promesse de cent livres de récompense. (Art. 18.)[229] L'exécution de ces diverses lois fut terrible. Dans toute la France on se remit à arrêter les prêtres en masse. Quand les prisons furent remplies, on conduisit ces malheureux prêtres par centaines, sur de nombreuses charrettes, à Bordeaux, à Blaye, à Lorient, à Nantes, à Rochefort. Il n'était pas possible, à cause de la flotte anglaise, de les déporter en Amérique, mais on pensa avec raison que la cale d'un vaisseau serait pour eux la prison la plus dure. A Rochefort, les prêtres furent d'abord enfermés dans un vieux navire servant d'hôpital aux galeux, mêlés aux galériens. Plus tard, deux autres vaisseaux, le Washington et les Deux-Associés, furent désignés pour leur servir de prison. Ils devaient servir de tombeaux à un grand nombre d'entre eux[230]. Sur le dernier de ces navires, quatre cent quarante prêtres, parqués dans un étroit espace, en face de quatre canons chargés à mitraille et dirigés contre eux, ne pouvaient ni remuer ni s'asseoir, contraints de rester presque tous debout toute là journée. La nuit, on les entassait littéralement dans l'entrepont, où l'on avait réservé quarante-quatre centimètres pour chacun. On n'imagine pas, écrit un de ces prisonniers, l'abbé de La Briche[231], l'air fétide et corrompu, les exhalaisons qui sortaient de ce lieu empesté, et qui, dès l'entrée, vous saisissaient, vous portaient au cœur... Il n'était pas rare de trouver, à la pointe du jour, deux ou trois prisonniers qui avaient rendu le dernier soupir dans l'obscurité de la nuit. Une fois il en périt jusqu'à quatorze en vingt-quatre heures, tant du Washington que des Deux-Associés. Sur 825 ecclésiastiques déportés à Rochefort, 542 périrent au milieu de ces horribles tortures[232]. Mais ce n'étaient plus déjà les ecclésiastiques seuls, c'étaient tous leurs auxiliaires, tous les fidèles, toutes les personnes suspectes de fidélité, qui se trouvaient menacés et poursuivis. Le décret du 21 octobre appliquait les peines portées contre les prêtres non assermentés aux instituteurs publics, frères convers et laïcs (art. 10)[233] ; et déclarait passible de la déportation tout citoyen coupable d'avoir recélé un prêtre réfractaire. (Art. 19.)[234] La loi du 17 septembre, dite loi des suspects, déclarait suspect quiconque se serait montré, de quelque manière, ennemi de la liberté, ou n'aurait pas manifesté son attachement à la Révolution (art. 2), et ordonnait que tout suspect fût mis en état d'arrestation. (Art. 1.)[235] La loi du 22 prairial an II (10 mai 1794), en organisant le tribunal révolutionnaire, sembla donner le dernier mot de l'arbitraire et de la férocité. Le tribunal révolutionnaire, disait l'art. 4, est institué pour punir les ennemis du peuple. Sont ennemis du peuple, déclarait l'article 6, ceux qui auront cherché à altérer la pureté des principes révolutionnaires. L'article 7 était ainsi conçu : La peine portée contre les délits dont la connaissance appartient au tribunal révolutionnaire est la mort. L'article 13 décidait que, s'il existe des preuves soit matérielles, soit morales, il ne sera pas entendu de témoins, et l'art. 16 ajoutait que la loi donne des défenseurs aux patriotes, mais n'en accorde point aux conspirateurs[236]. Cent soixante-dix-huit tribunaux révolutionnaires furent établis dans la France. Du 16 avril 1793 au 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), celui de Paris fit guillotiner deux mille six cent vingt-huit personnes. C'est par la violence, avait dit Marat, qu'on doit établir la liberté. C'est par la violence également que le jacobinisme, non content de poursuivre les personnes, s'attaquait à tous les monuments religieux. Des bandes de patriotes parcouraient la France, pillant les églises, les profanant, les démolissant quelquefois. Le vandalisme révolutionnaire s'abattit sur des milliers de statues et de tableaux de prix. Dans son rapport sur le vandalisme, présenté à la séance du 14 fructidor an II (31 août 1794), Grégoire s'écrie : Dans le domaine des arts, la seule nomenclature des objets enlevés, détruits ou dégradés, remplirait plusieurs volumes[237]. Les cloches, évaluées à quatre-vingt millions de francs, furent transformées en canons ; l'argenterie des églises fut changée en monnaie. La châsse de sainte Geneviève, estimée 1.500.000 francs, fut transportée à la Monnaie dans la nuit du 6 au 7 décembre 1793[238]. A Dijon, vers la même époque, on voyait, dit un témoin, des hercules de patriotisme traverser la ville, chacun avec un calice sous le bras[239]. Tous les bâtiments ecclésiastiques, avec leur mobilier, étaient légalement sous séquestre. N'avait-on pas dit que ces biens seraient le patrimoine des sans-culottes[240], le prix de leur valeur[241] ? Les plus beaux reliquaires furent la proie de ces bandits, et les reliques furent brûlées ou dispersées[242]. XIX Chasser les prêtres, fermer les églises, briser les vases sacrés et jeter au vent les cendres des saints ne suffisait pas à ceux qui pensaient, avec d'Holbach, que quand on veut s'occuper utilement du bonheur des hommes, c'est par les dieux du ciel que la réforme doit commencer[243]. Le peuple, privé de son culte et de ses pasteurs, trouvait encore le souvenir de ses saints dans le calendrier de l'année civile. L'ordre des semaines et des mois gravitait toujours autour de ces deux grandes fêtes, Noël et Pâques, qui, célébrant, l'une, la venue de Jésus en ce monde pour nous y servir de modèle, et l'autre, sa résurrection à la vie éternelle pour nous y entraîner après lui, résumaient si bien toute la religion. Le repos des travailleurs se réglait toujours sur une division du temps qui rappelait la création du monde et ramenait périodiquement le jour du Seigneur. Chassée des temples, la piété chrétienne aurait continué à s'alimenter dans les souvenirs et les symboles de la vie liturgique. C'est là que la Révolution résolut de l'atteindre. Les instincts de la destruction sont souvent aussi sûrs que ceux de la conservation. Le 5 octobre 1793, Fabre d'Eglantine, dans un rapport présenté à la Convention, s'exprima ainsi : Les prêtres avaient assigné à chaque jour de l'année la commémoration d'un prétendu saint. Ce catalogue était le répertoire du mensonge. Nous avons pensé que la nation, après avoir chassé cette foule de canonisés de son calendrier, devait y trouver en place les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture, les utiles productions de la terre, les animaux domestiques, etc. En conséquence, une ère nouvelle, datant du 22 septembre 1792, date de la proclamation de la République, fut décrétée. Les douze mois de l'année, rendus parfaitement égaux, furent partagés en trois décades, de dix jours chacune, dont le dernier était consacré au repos. Par là disparaissait le dimanche. Au nom des saints, dont la mémoire était attachée aux différents jours de l'année, on substitua une nomenclature de fleurs, de plantes, d'animaux et d'instruments aratoires. Telles furent les bases du calendrier républicain, qui devait rester officiellement en usage en France jusqu'au 1er janvier 1806. Outrageante envers la religion, cette réforme n'avait pas le mérite d'une utilité sociale. Comme l'a justement remarqué un historien de la Révolution, tandis que, par le système métrique, la Convention offrait aux nations une base sur laquelle toutes pouvaient s'unir, elle supprimait par son calendrier un accord existant ; elle rompait non seulement avec le passé, mais avec le présent ; elle s'isolait dans le monde ; car elle ne pouvait avoir la prétention de faire adopter au monde l'ère de la République française, ni de conquérir l'univers pour la lui imposer. La dénomination des mois nouveaux, dont Fabre d'Eglantine était si fier, était à peine exacte dans ses rapports avec le climat aux deux extrémités de la France. Que devenait leur signification, s'il eût fallu compter ainsi, on ne dit pas aux antipodes, mais simplement aux deux extrémités de l'Europe, de la Suède à l'Espagne ?[244] XX Les idées révolutionnaires avaient marché. Il ne s'agissait plus maintenant, comme sous la Constituante, de u revenir aux traditions de l'Eglise primitive n, mais tout simplement de ressusciter le paganisme. Cette attitude de la Convention dissocia le clergé constitutionnel. Les uns, à la suite de Gobel, allaient abdiquer toute fonction sacerdotale et se donner au seul culte de la Raison ; d'autres, comme Grégoire, allaient protester au nom du christianisme, dont ils voulaient rester les fidèles disciples, et lutter de toutes leurs forces contre le paganisme renaissant ; quelques-uns même devaient subir courageusement la mort pour leurs convictions religieuses. Nous avons vu comment s'était recruté, sans trop de difficultés, parmi les mauvais prêtres d'abord, puis parmi les gallicans et les jansénistes convaincus, le clergé constitutionnel. L'Eglise constitutionnelle, —si l'on peut appeler de ce nom un corps de pasteurs, où ne régnait ni l'unité de croyance ni l'unité de hiérarchie, — comptait, vers le commencement de 1793, trente mille curés ou vicaires[245]. A Paris, Gobel était à la tête de six cents coopérateurs, dont cinq cents employés dans les paroisses. Le 6 novembre 1793, un simple incident de séance aboutit à un résultat d'une exceptionnelle gravité. Le curé constitutionnel de la paroisse de Mennecy, en Seine-et-Oise, dont la conduite privée était devenue un scandale public, avait déterminé ses paroissiens à fermer l'église et à supprimer le culte. Une pareille mesure était-elle légale ? L'assemblée s'empressa de répondre affirmativement, et l'incident fut clos[246] ; mais il avait été suggestif pour ceux qui, comme Robespierre, avaient rêvé, dès le début de la Révolution, d'abolir en France toute religion positive et d'y fonder une religion naturelle et civique, suivant les principes de Rousseau. Le peuple, qui ne paraissait pas disposé à accepter une pareille innovation de la part du gouvernement, ne l'accueillerait-il pas, si elle lui était présentée, comme à Mennecy, par l'initiative de ses prêtres Au soir de cette journée du 6 novembre (16 brumaire), une députation des sections et du comité central des sociétés populaires se présenta chez Gobel, évêque métropolitain de Paris. Par sa situation, par la profession d'une foi religieuse, amoindrie et faussée, mais sincère, Gobel jouissait, parmi le clergé constitutionnel, d'une certaine considération. On le savait, d'autre part, assez faible pour céder à une sommation du comité. Malgré tout, la lutte fut longue pour amener Gobel à abjurer sa foi, ou du moins à résilier ses fonctions ecclésiastiques et à laisser ainsi la place au seul culte de l'Être suprême et de la Raison. Je ne connais pas d'erreurs dans ma religion, objectait le malheureux, je n'ai rien à abjurer. On le prit par son faible. Il s'agit simplement, lui dit-on, de vous sacrifier à la chose publique, de céder au vœu du peuple en abdiquant des fonctions dont il ne veut plus. Gobel céda. Si tel est le vœu du peuple, dit-il, c'est bien. C'est te peuple qui m'a élu, c'est le peuple qui me renvoie[247]. Le lendemain Gobel, accompagné d'onze de ses vicaires, se présenta à la barre de la Convention et y prononça un discours qui se terminait ainsi : Puisqu'il ne doit pas y avoir d'autre culte que celui de la Liberté et de la sainte Egalité, puisque le Souverain le veut ainsi, conséquent à mes principes, je me soumets à sa volonté. Dès aujourd'hui je renonce à exercer mes fonctions de ministre du culte catholique. En réalité, cette formule n'était qu'une abdication de fonctions ; mais l'assemblée voulut y voir une abjuration. D'après l'abjuration qu'il vient de faire, déclara Laloy, président de la Convention, l'évêque de Paris n'est plus qu'un être de raison ; mais je vais embrasser Gobel. Le faible Gobel n'osa pas protester contre cette interprétation de ses paroles. Il alla recevoir l'accolade du président, déposa sur le bureau sa croix pastorale, et se coiffa du bonnet rouge[248]. A peine Gobel s'était-il retiré, que commença le défilé des autres apostats. Thomas Lindet, évêque marié de l'Eure ; Bourdeaux, curé jureur de Vaugirard ; Coupé, de l'Oise ; Julien, de Toulouse[249], vinrent à la tribune déclarer, dans la vague phraséologie du temps, qu'ils renonçaient à l'exercice de toutes les fonctions du culte. En ce moment entra Grégoire. Il demanda aussitôt la parole. On crut qu'il allait, à son tour, apostasier. L'évêque du Loir-et-Cher s'exprima en ces termes : On parle de sacrifice à la patrie. J'y suis habitué. S'agit-il d'attachement à la cause de la liberté ? Mes preuves sont faites depuis longtemps... Mais s'agit-il de religion ? Cet article est hors de votre domaine, et vous n'avez pas le droit de l'attaquer. Catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été désigné par le peuple pour être évêque, mais ce n'est pas de lui ni de vous que je tiens ma mission. J'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse ; je reste évêque pour en faire encore. J'invoque la liberté des cultes[250]. Ce courageux exemple trouva peu d'imitateurs. Pendant un mois environ, des déclarations semblables à celle de Gobel se succédèrent à la tribune. XXI Dans l'intervalle, la cathédrale de Paris avait été profanée par une cérémonie sacrilège. Le 10 novembre, une artiste lyrique, vêtue d'une robe blanche et d'un manteau bleu, coiffée d'un bonnet rouge, et symbolisant la Raison, vint s'asseoir sur une estrade disposée au milieu de l'église de Notre-Dame, à la hauteur du transept[251], au milieu d'un décor théâtral, et des chœurs chantèrent à ses pieds l'Hymne à la Liberté, auquel Joseph Chénier avait ajouté la strophe suivante : Descends, à Liberté, fille de la Nature ! Le peuple a reconquis son pouvoir immortel. Sur les pompeux débris de l'antique imposture, Ses mains relèvent tes autels. Dans l'après-midi, la déesse Raison fut portée sur un brancard par quatre citoyens et conduite à l'assemblée, où on l'appela à prendre place au bureau, à côté du président. Puis, les députés, après avoir voté, sur la proposition de l'ex-capucin Chabot, que l'église Notre-Dame serait appelée le temple de la Raison, s'y rendirent en corps, joignant leurs voix à celles des choristes. Gobel se mêla honteusement à la foule qui profanait l'auguste sanctuaire[252]. De pareilles cérémonies furent célébrées en province. Chaque chef-lieu de département voulut avoir une fête de la Raison. Ce culte ne fut, d'ailleurs, qu'une crise passagère. Après quelques semaines, il disparut sans retour, avec ses fondateurs, Hébert et Chaumette, décapités le 24 mars 1794. Mais la haine antireligieuse, dont ce culte avait été la manifestation grotesque, lui survécut. Chaumette avait juré de déprêtriser le clergé de France, et, dès le début de la Révolution, les ennemis de l'Eglise avaient compris que le plus sûr moyen d'arriver à ce résultat était de favoriser le mariage des prêtres[253]. Du 9 juillet au 15 novembre 1793, la Convention ne vota pas moins de cinq décrets à ce sujet[254]. Les sectaires eurent bientôt lieu de se réjouir du résultat de leur législation. L'abbé Grégoire, dans son Histoire du mariage des prêtres, donne les noms de douze évêques constitutionnels mariés, et porte à deux mille le nombre des prêtres qui suivirent leur exemple[255]. L'attitude de plusieurs de ces apostats fut écœurante. Le 22 novembre, écrit Beaulieu dans son Diurnal, l'évêque de Périgueux vint à la Convention pour lui faire hommage de sa femme[256]. Quinze jours après, c'était Chabot qui venait annoncer son mariage à ses collègues : On sait, dit-il, que j'ai été prêtre, capucin même. Je dois donc motiver la résolution que j'ai prise. Comme législateur, j'ai cru qu'il était de mon devoir de donner l'exemple de toutes les vertus. La future de Chabot, dit Beaulieu, se nommait Frey ; c'était la sœur de deux banquiers allemands, de qui il reconnut avoir reçu deux cent mille francs, qui étaient le fruit de leurs malversations[257]. Il faut reconnaître que, plus d'une fois, le mariage des prêtres constitutionnels ne fut qu'un simulacre ; mais trop souvent, ces unions fictives finirent par changer de caractère, et, dans tous les cas, le scandale, aux yeux de l'Eglise, fut presque égal[258]. Bien mieux inspirés furent ceux que les exemples de Gobel et de ses adeptes indignèrent, et qui, à la suite de Grégoire, eurent le courage de protester contre les impiétés de la Convention. Brongniart, curé constitutionnel de Saint-Nicolas du Chardonnet, déclara tenir pour nul et non avenu l'ordre qu'il avait reçu de fermer son église. Privé de son traitement, il répondit qu'il n'avait pas besoin d'être payé par la Commune pour remplir les fonctions de son ministère. Arrêté le 3 frimaire (23 novembre 1793), enfermé successivement à Sainte-Pélagie, à Saint-Lazare et à la Conciergerie, il n'eut pas un moment de faiblesse. Jugé et condamné le 8 thermidor, il subit courageusement la mort le jour même. Son confrère, Bénière, curé de Chaillot, avait été décapité quelques jours avant. D'autres prêtres, qui avaient prêté le serment, subirent de longues détentions pour désobéissance aux lois antireligieuses ; tels furent les curés de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Merry, de Saint-Jacques et de Saint-Séverin[259]. Si la conduite d'un bon nombre de prêtres constitutionnels fut digne et courageuse en présence de la tyrannie révolutionnaire, l'attitude de la -plupart des prêtres non assermentés fut héroïque. L'abbé Félicité de Lamennais, se rappelant les spectacles dont il avait été le témoin dans son enfance, écrivait en 1808[260] : Tandis que la masse du clergé, dispersée dans des contrées étrangères, y déposait des germes de catholicisme, qui, fécondés par le temps, se développeront peut-être un jour, un grand nombre d'ecclésiastiques, préparés au martyre, bravaient en France tous les dangers pour distribuer aux fidèles les secours des sacrements et les consolations de l'espérance. Que de faits héroïques, que de sublimes traits de dévouement ne pourrais-je pas rappeler ! Jamais la religion ne parut plus belle ; et si la philosophie triomphante imagina des crimes nouveaux, le christianisme persécuté enfanta de nouvelles vertus. Le bouillant apologiste d'alors se souvenait des messes célébrées à minuit dans une mansarde de la maison paternelle, par un prêtre non assermenté, sur une table transformée en autel et éclairée seulement de deux bougies, tandis que la vieille servante veillait au dehors, prête à donner l'alerte au moindre bruit[261]. De pareilles scènes se produisirent dans toutes les provinces de la France. On vit même, dans le Vivarais, où la défection lamentable de M. de Savine et ses pernicieux conseils avaient déterminé l'apostasie momentanée d'un grand nombre de prêtres, une simple fille de la campagne, Marie Rivier, parcourir les villages et les bourgs abandonnés par leurs pasteurs, catéchiser les enfants, puis prêcher les femmes et les hommes eux-mêmes, ranimer, par tous les moyens en son pouvoir, la foi et le zèle endormis, en un mot, comme l'a déclaré le décret même qui a proclamé les héroïques vertus de la servante de Dieu, remplir, autant que la condition de son sexe le lui permettait, le ministère d'un apôtre[262]. Mais dans ce pays de France, où l'on avait vu, deux siècles plus tôt, la Ligue s'armer pour défendre la religion catholique contre les empiétements de l'hérésie, la résistance à la Révolution ne devait pas se tenir à ces actes de protestation passive, à ces tentatives d'apostolat religieux. Déjà, de 1790 à 1792, au camp de Jalès, sur les limites du Gard, de l'Ardèche et de la Lozère, plus de trente mille hommes s'étaient levés, une croix rouge sur la poitrine, au cri de Vive la Religion ![263] Au mois de septembre 1793, la ville de Lyon, révoltée par les massacres des prêtres qui avaient eu lieu dans ses murs, avait essayé de secouer le joug des jacobins[264]. Dans l'intervalle, un homme d'une incontestable habileté, d'une ténacité remarquable, Armand Tuffin, marquis de La Rouerie, avait organisé en Bretagne une vaste conspiration dont le but était le renversement de la République et la restauration de la royauté[265]. Mais toutes ces tentatives avaient été plus ou moins inspirées par la politique. Au printemps de 1793, un mouvement s'était manifesté en Anjou, en Poitou et en Bretagne, qui n'avait cessé de se développer et de grandir, et dont les chefs paraissaient guidés avant tout par leurs convictions religieuses. C'était le commencement de cette grande guerre de Vendée et de Bretagne que le plus fameux capitaine des temps modernes devait appeler une guerre de géants. XXII Comme le reste de la France, les populations de la Vendée[266] et de la Bretagne avaient accueilli avec enthousiasme les premières réformes et les premières déclarations de l'Assemblée constituante[267]. Mais le profond malaise social, que nous avons signalé dans les autres provinces, ne se faisait pas sentir au même degré dans ces régions. Les paysans vendéens et bretons n'avaient pas plus à se plaindre de la morgue de leurs seigneurs que de leurs exigences dans la perception des droits féodaux. Sauf de rares exceptions, le gentilhomme breton ou vendéen résidait sur sa terre, dans son manoir austère, situé au centre de son exploitation agricole. Le régime de la métairie régnant presque partout , les rapports entre propriétaires et métayers étaient fréquents, nécessités par le partage des récoltes. Le paysan recevait la visite de son seigneur dans sa chaumière aux heures de peine et de deuil ; il venait lui-même, le dimanche et les jours de fête, après l'office, danser sa danse grave et modeste dans la cour du château. Le clergé vendéen partageait la vie dure et pauvre des gens de la campagne ; et, si le clergé breton était riche, il ne réclamait d'autre privilège que celui de se dévouer au service du peuple qui lui était confié. Avec plus d'entrain en Vendée, plus de mélancolique gravité en Bretagne, l'homme de ces contrées, laborieux et simple, méprisait à la fois les plaisirs et la mort. Respectueux et fier, il s'inclinait volontiers devant deux maîtres, Dieu et le Roi, mais il baissait difficilement la tête devant toute autre autorité. Les premiers assauts donnés par la Révolution aux institutions monarchiques de la France l'affligèrent profondément. Toutefois, dit un historien dévoué à la royauté, on peut penser que si cette forte et pieuse contrit n'avait pas été attaquée dans ses croyances catholiques, elle aurait laissé passer la Révolution sans tirer l'épée[268]. Les premiers mouvements d'émotion se produisirent à la nouvelle du vote de la Constitution civile du clergé, le 12 juillet 1790 ; puis à la nouvelle de son approbation par le roi le 24 août suivant. Les prêtres jureurs, les intrus, comme on les appela, inspirèrent au peuple une telle répulsion que plus d'un intrus se vit obligé de quitter sa paroisse, ne pouvant supporter le vide qui se faisait autour de lui[269]. A Plouguerneau, il fallut six cents hommes et quatre pièces de canon pour installer le curé constitutionnel. L'autorité voulut employer la force contre les récalcitrants. Il s'ensuivit quelques escarmouches entre les paysans et la gendarmerie. Un laboureur du bas Poitou, cerné par plusieurs gendarmes et armé seulement d'une fourche, leur opposait une résistance désespérée. Rends-toi, lui cria le chef. Rends-moi mon Dieu, répondit-il, et il tomba, frappé de vingt-deux coups de sabre[270]. Tiens bon ! disait une femme à son mari qui se laissait brûler la main plutôt que de brûler son catéchisme, tiens bon ! C'est pour le bon Dieu ! Au moment où ces faits se passaient dans l'Anjou, Jean Chouan avait déjà pris les armes dans le Maine, avec ses deux frères et quelques braves paysans. Le 15 août 1792, dans le bourg de Saint-Ouen-des-Toits, chef-lieu d'un des cantons de la Mayenne, à trois lieues de Laval, des membres du directoire de district, accompagnés d'une escouade de gendarmerie, étaient venus enrôler un corps de volontaires, dont la première mission était d'aller chercher à Laval le curé constitutionnel nouvellement nommé. Des murmures s'élèvent. Les gendarmes reçoivent l'ordre d'arrêter les mutins. Un tumulte d'indignation se produit alors. A bas les patauts, s'écrie-t-on, point d'intrus ! Pataut était le surnom donné aux soi-disant patriotes, et intrus celui dont on appelait les prêtres constitutionnels. Des voies de fait vont s'ensuivre, quand un homme s'élance du milieu de la foule, arrête d'une main le premier gendarme qui s'avance, et de l'autre impose silence à l'assemblée. Lorsque le roi demandera que nous prenions les armes, s'écrie-t-il, nous marcherons. Je réponds de tous. Mais s'il faut partir pour défendre ce que vous appelez la Liberté, allez vous battre pour elle. Nous sommes tous au roi et rien qu'au roi. Aussitôt gendarmes, officiers, administrateurs, poussés, culbutés, se dispersent et s'enfuient[271]. L'homme qui s'était ainsi mis en avant avait dû au roi cette vie qu'il voulait consacrer à sa cause. C'était Jean Cottereau, dit Jean Chouan, qui, naguères, arrêté comme faux-saulnier, ou contrebandier de sel, avait obtenu sa grâce de la bonté de Louis XVI[272]. L'insurrection de Bretagne prenait dès ses débuts, à l'encontre de celle de Vendée, le caractère qu'elle devait garder jusqu'à la fin, d'une guerre nettement royaliste. Les hommes qui détenaient le pouvoir en France n'avaient pas attendu ces dernières manifestations pour se préoccuper des obstacles que pouvait rencontrer, dans les provinces de l'Ouest, la propagation des idées révolutionnaires. L'Assemblée constituante, inquiète des dispositions qu'avait montrées la Vendée aussitôt après la promulgation de la Constitution civile du clergé, s'était empressée d'y envoyer en mission deux de ses membres, Gallois et Gensouné. Le 9 octobre 1791, les deux commissaires avaient présenté à l'Assemblée législative un rapport vraiment remarquable sur l'état de tous les départements de l'Ouest. La religion, disaient-ils, est devenue pour le peuple la plus forte, et, pour ainsi dire, l'unique habitude de la vie... La constance du peuple dans l'espèce de ses affections religieuses... est un des principaux éléments qui l'ont agité et qui peuvent l'agiter encore[273]. Mais l'échec de la conjuration royaliste de La Rouërie rassura la Convention. Deux agents de la haute police, Barthe et Morillon, envoyés en mission dans l'Ouest, écrivirent au ministre de la justice : Citoyen ministre, La Rouërie est mort dans un accès de rage. Ses partisans sont aux mains de la loi. La ci-devant province de Bretagne est paisible ; il n'y a rien à craindre d'elle. Nous allons nous mettre à la chasse des prêtres et des nobles... Cette œuvre de sans-culottisme ne sera pas longue à accomplir. Cette lettre portait la date du 5 mars 1793. Huit jours après, la Vendée était en insurrection déclarée. Cette chasse aux prêtres et aux nobles, coïncidant avec la levée extraordinaire de trois cent mille hommes, que la Convention avait décrétée le 25 février 1793, pour faire face aux armées des coalisés, eut pour effet d'exaspérer les populations de l'Ouest. Le 12 mars, les jeunes gens des Manges, en Maine-et-Loire, ayant été convoqués à se rendre à Saint-Florent-le-Vieil, pour prendre part au tirage au sort, s'y rendirent, avec la plupart de leurs parents et amis, armés de fourches, de faux, de bâtons, quelques-uns même de fusils, marchant comme à une fête, criant : Vive la Religion ! récitant des chapelets, chantant des cantiques. Un canon chargé à mitraille est placé par les commissaires du district sur la place publique, et on fait l'appel des jeunes gens. Nul n'y répond, et, sur quelques paroles maladroites et violentes que croient pouvoir prononcer les autorités républicaines, les cris de Vive la Religion ! Vivent les prêtres ! éclatent de toutes parts. Le commandant militaire ordonne de faire feu. Un coup de canon part, et, pointé trop haut, fait peu de victimes. C'en est fait : la guerre est déclarée[274]. Conduits par un jeune paysan du village de Chanzeaux, René Forêt, les insurgés mettent en fuite gendarmes et administrateurs, s'emparent de la caisse du district et brûlent, dans un feu de joie, les papiers de l'Administration. Le lendemain, un de ces jeunes gens, passant au Pin-en-Mauges, petite bourgade voisine, raconte l'échauffourée de la veille à un marchand-colporteur du pays, Jacques Cathelineau. Celui-ci était en train de pétrir le pain pour son ménage. Il interrompt son travail, et, d'un air fertile et résolu : Nous sommes perdus, dit-il, si l'on en reste là. Il faut nous soulever tout à fait et commencer la guerre dès aujourd'hui. L'humble colporteur qui parlait ainsi, et qui devait, trois mois après, être nommé général en chef de l'armée des Vendéens, était un homme de taille élevée, le corps vigoureux, la physionomie pleine de feu et d'expression. Sa voix était si belle, disent ses contemporains, que c'était plaisir de l'entendre, quand il chantait au lutrin le dimanche, ou lorsque, dans une noce, il entonnait la chanson joyeuse qui mettait tout le monde en train. Il comptait trente-quatre ans à peine[275]. De 1785 à 1793, ses courses fréquentes dans toute la région, où il allait débiter le fil, la laine et tous les divers objets de son commerce, l'avaient, fait connaître dans la plupart des bourgs, villages et hameaux. L'affabilité de ses manières lui avait acquis une sympathie universelle. Sa profonde piété l'avait rendu vénérable à tous. Depuis que la religion était persécutée, Jacques Cathelineau, non content de prier à son foyer, avait organisé des pèlerinages aux principaux sanctuaires de la contrée, notamment à Notre-Dame-de-Charité et à Notre-Dame-de-Bon-Secours. C'est par ses conseils que les paroisses ayant un curé intrus enveloppaient d'un crêpe noir la croix qui précédait leur procession. Ce spectacle de deuil frappait et saisissait tout le monde, et augmentait l'horreur que le schisme et l'hérésie inspiraient à ce peuple religieux[276]. Sa religion était si profonde et son humilité si grande, que tout le monde l'appela plus tard le saint de l'Anjou. Le 13 mars au soir, Jacques Cathelineau avait autour de lui vingt-sept jeunes hommes[277], prêts à le suivre partout où il les conduirait. Le chef improvisé décore sa poitrine d'un chapelet et d'un scapulaire, ses hommes en font autant. La petite troupe se dirige vers la Poitevinière, recrutant sur son passage les valets de ferme, les métayers, les domestiques des châteaux. Ils sont bientôt cinq cents, n'ayant pour armes que leurs instruments de travail, des fourches en fer, des faux redressées et attachées à des bâtons, de forts gourdins et quelques fusils de chasse. Jallais, Cheminé, Cholet, tombent entre leurs mains. Le mouvement s'étend dans toute la Vendée. Bientôt trois mille hommes sont sous les armes. La troupe de Cathelineau s'est accrue, dans sa marche, des troupes levées par un garde-chasse, Stofflet, par un chirurgien de village, Cady, par un marchand de tabac, Perdrieu. Le 16 mars, au lendemain de la prise de Cholet, aucun gentilhomme ne commandait encore cette armée trois fois victorieuse. Mais le jour même de la victoire de Cholet, quelques insurgés, qui n'avaient pas suivi Cathelineau, vinrent trouver, au château de la Baronnière, le marquis de Bonchamp, et le proclamèrent leur chef. C'était un ancien officier des troupes de l'Inde. Il avait servi comme major du régiment d'Aquitaine sous les ordres du bailli de Suffren, puis avait abandonné son emploi plutôt que de prêter le serment constitutionnel. Bonchamp était âgé de trente-quatre ans. La noblesse du cœur surpassait en lui celle de la race. Armons-nous de courage, dit-il à sa jeune femme en la quittant ; élevons nos pensées vers le ciel ; mais ne comptons pas sur la gloire humaine, car les guerres civiles n'en donnent point[278]. Tandis que Bonchamp se mettait à la tête des insurgés de Saint-Florent, d'Elbée, cédant aux instances de ceux de Beaupréau, acceptait d'être leur chef. C'était un homme simple et pieux, aimé des paysans qui environnaient son modeste manoir. Après lui, deux autres gentilshommes, également sollicités par les gens de leur canton, Lescure et La Rochejaquelein, vinrent se joindre, avec leurs troupes, à l'armée de Cathelineau. Le premier n'avait pas encore vingt-sept ans. Ancien capitaine dans le régiment Royal-Piémont, grand, bien fait, d'une noble figure, d'une humeur douce et d'une admirable piété, il devait être pour l'armée vendéenne un exemple achevé de vertu autant que de courage. La Rochejaquelein avait vingt ans. Ce jeune homme blond, à la taille svelte et élancée, aux allures timides, devait être un des chefs les plus aimés des paysans vendéens. C'est à peine s'il osera prendre la parole dans les conseils, mais on le verra toujours au premier rang dans les batailles[279]. Mes amis, dit-il à ses soldats, au moment de livrer son premier engagement, je ne suis qu'un enfant, mais je veux, par mon courage, me montrer digne de vous commander. Si j'avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi. Les forces réunies de Cathelineau, de Bonchamp, de
d'Elbée, de Lescure et de La Rochejaquelein, constituèrent l'armée catholique et royale. Elle livra à Chemillé,
le 11 avril, sa première bataille rangée, prit Thouars d'assaut le 5 mai,
écrasa, neuf jours après, les troupes du général Chalbos à la Châtaigneraie,
culbuta le 5 juin, à Concourson, le corps d'armée de Leygonier, le 8, celui
du général Salomon, et deux jours après s'empara de Saumur. En marchant au
combat, l'armée vendéenne chantait des cantiques. Avant de commencer
l'attaque, elle s'agenouillait pour recevoir la bénédiction du prêtre. A la
Châtaigneraie, sous le feu des canons de l'ennemi, les soldats de Lescure
aperçoivent une croix de mission ; ils tombent à genoux, essuyant sans peur
la mitraille. Un de leurs chefs veut les faire marcher. Laissez-les prier, dit Lescure ; ils ne se battront que mieux. Ils se relèvent, en
effet, pleins de courage, et débusquent l'ennemi de ses positions. De
partout, de nouvelles recrues accoururent, le chapelet à la boutonnière et le
scapulaire sur le cœur. On n'a rien vu de pareil
depuis les croisades, s'écrie Barère à la Convention. Jusque-là, tous les plans de campagne ont été résolus en conseil, sous l'influence morale de Cathelineau. Le 12 juin, Bonchamp, d'Elbée, Lescure, La Rochejaquelein, Stofflet, tous les chefs de corps, élisent, par un vote unanime, comme généralissime de l'armée vendéenne, celui dont l'influence s'impose à tous[280]. Cathelineau n'est pas seulement, en effet, celui des chefs qui connaît le mieux les mœurs du soldat vendéen et la topographie du pays où l'on se bat ; il vient aussi de révéler les plus hautes qualités de l'homme de guerre : la rapidité du coup d'œil, l'habileté des manœuvres, la sûreté du conseil, l'ascendant sur les hommes qu'il commande. Pendant que l'armée de Cathelineau se bat dans cette
région vendéenne, sillonnée de collines et de cours d'eau, coupée de haies et
le Marais, épineuses et de chemin creux, qu'on a appelée le Bocage, une autre
armée lutte dans le pays plat et découvert qu'on a surnommé le Marais. Les
métairies y sont défendues par d'épais bourbiers, qu'on franchit à l'aide de
longues perches et de radeaux difficiles à conduire. Celui qui commande aux
insurgés maréchains, c'est Charette. François Charette de la Contrie, qui n'a
pas trente ans accomplis, ne ressemble point aux
chefs de l'Anjou et du haut Poitou ; c'est un homme de mœurs faciles ; le
luxe éclatant de son costume a quelque chose de théâtral ; mais la vivacité
de son regard, ses lèvres contractées, sa voix nette et cassante, indiquent
le chef qui veut être obéi et qui le sera. Du reste, aussi brave soldat qu'habile
tacticien et adroit politique, il est vraiment digne de commander[281]. Au moins de juin, Charette et Cathelineau combinent leurs
efforts. Pour la première fois, la haute et la basse Vendée concourent à une
même expédition. Le but de cette expédition est la prise de la ville de
Nantes, dont la chute livrera la Bretagne et la Normandie. Le 29 juin,
pendant que Charette, d'Elbée, Bonchamp et les autres chefs dirigent
l'attaque sur sept points différents, Cathelineau donne l'assaut à la porte
de Rennes, où, après un long combat, il s'élance à la tête d'une bande
dévouée de trois cents hommes. Il est déjà parvenu, à travers un feu
terrible, jusqu'à la place Viarme, et voit l'ennemi se troubler. Un balle lui
brise le bras et pénètre en pleine poitrine. Tout est fini. Il tombe. Ses
Vendéens ne songent plus qu'à l'emporter, et ne combattent encore que pour la
retraite. Transporté à Saint-Florent, le général blessé continue à donner des
ordres à son armée, mais la gangrène se déclare dans la blessure, et, le 14
juillet[282],
Jacques Cathelineau meurt en bénissant Dieu. Quatre mois ont suffi pour
couvrir son nom d'une gloire immortelle. Sans doute, dans son armée, et
surtout à côté de son armée, plus d'une violence, indigne de la noble cause
qu'il avait servie, s'était commise. Par l'intrigue du receveur Souchu, qui
plus tard voulut trahir la Vendée, cinq cents personnes avaient été odieusement
massacrées après la prise de Machecoul. Des faits également déplorables se
passèrent dans une dizaine de localités[283]. Mais, s'il est
nécessaire de flétrir ces forfaits avec autant d'énergie qu'il sied de
stigmatiser les crimes de la démagogie révolutionnaire, il est juste de
convenir que la gloire de Cathelineau resta tout à fait pure de ces excès. Doux, modeste, dit un historien dévoué à la
Révolution, vrai paysan au cœur simple et convaincu,
désintéressé surtout de toute passion mesquine et politique, il avait ce
sang-froid qui impose et cette exaltation qui parle à l'âme des soldats[284]. Il avait
surtout cette foi profonde et vivante qui lui a mérité le surnom de saint de
l'Anjou. Sa mort fut un grand malheur pour la cause vendéenne. En effet, dit un historien de la Vendée, tant que Cathelineau vécut, tant que l'élément religieux, mobile principal de la prise d'armes de la Vendée, fut entretenu par les paroles et les exemples de cet homme de foi, ce fut l'époque des progrès successifs de la cause catholique et royale ; Dieu la bénissait. Mais, à partir de la mort de ce saint d'Anjou, les nobles étant devenus maîtres presque exclusifs de la direction de ses affaires, et, ayant substitué insensiblement l'élément politique aux pieuses pratiques, les revers survinrent. Dieu retira ses faveurs à proportion de l'oubli qu'on paraissait faire de lui. Sous tous les rapports, la mort de Cathelineau fut donc une véritable calamité pour la Vendée[285]. XXIII Il ne nous appartient pas de raconter en détail les phases militaires de la guerre de Vendée et de Bretagne pendant cette seconde période. Les hauts faits d'armes, les actes de vertu héroïque n'y manquent pas ; mais, somme toute, la gloire de cette période est moins pure : la division s'introduit et s'accentue parmi les chefs de l'armée vendéenne ; des sentiments moins nobles s'y font jour ; des hommes suspects mêlent leurs intrigues et leurs passions à la défense de la grande cause catholique. Le 1er août, la Convention a porté un décret d'extermination sauvage : Il sera envoyé en Vendée des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts. Les forêts seront abattues, les repaires des rebelles seront détruits, les récoltes seront coupées par les compagnies d'ouvriers, et les bestiaux seront saisis[286]. Dix jours après, les dix-huit mille hommes de la garnison qui vient de capituler dans Mayence, ceux des garnisons de Condé et de Valenciennes, sont envoyés dans l'Ouest. Au total cent mille hommes d'armes sont en Vendée, avec ce mot d'ordre que leur a donné la Convention : Il faut placer la Terreur à l'ordre du jour. Sous le commandement de d'Elbée, qui vient d'être élu général en chef en remplacement de Cathelineau, l'armée catholique, irritée, impatiente, répond à la violence par la violence. De part et d'autre, ou ne fait plus guère de prisonniers. Finalement, l'armée vendéenne, le 18 octobre, est défaite à Cholet. Bonchamp et Lescure sont blessés à mort. Quatre-vingt mille hommes, vieillards, femmes et enfants, affolés, sans vivres, sont acculés à la Loire. Une pensée terrible traverse alors cette fouie exaspérée, celle de mettre à mort cinq mille prisonniers républicains, qu'elle ne peut songer à traîner avec elle sur la rive droite du fleuve. Mais Bonchamp mourant a entendu les clameurs furieuses de la multitude. Ses forces défaillantes se raniment : Qu'on épargne ces malheureux, dit-il à ceux qui l'entourent ; c'est sûrement le dernier ordre que je vous donne, laissez-moi l'assurance qu'il sera exécuté. A ces mots, les compagnons du héros chrétien, émus jusqu'aux larmes, se répandent dans la foule en criant : Grâce ! grâce ! Bonchamp le veut ! Les prisonniers républicains sont mis en liberté, et la foule passe la Loire sur une dizaine de bateaux. La Rochejaquelein, élu généralissime, réveille dans l'armée vendéenne une ardeur nouvelle. Le 23 octobre, après un assaut furieux, se rend maître de Laval. C'est à Laval que la grande armée vendéenne fait la rencontre des chouans de Bretagne. Depuis le 15 août 1792, où Jean Chouan avait fait son premier coup de main avec une troupe improvisée, d'autres bandes d'insurgés s'étaient formées. En dehors du bois de Misdon, situé à trois lieues de Lavai, et devenu le quartier général de Jean Chouan et de son frère, le bois de la Gravelle, les forêts de Fougères, du Pertze et de Lorge, s'étaient peuplées de révoltés en armes. Un ancien officier de cavalerie, le comte de Puisaye, avait donné une organisation à ces diverses bandes. Le bruit de la bataille livrée à Laval avertit les chouans de la présence des Vendéens. Cinq à six mille paysans bretons et manseaux se joignent à la grande armée de La Rochejaquelein. Ils prendront part désormais à tous ses combats, à ses gloires et à ses malheurs. On les distinguera à leurs longs cheveux et à leurs vêtements, la plupart de peaux de chèvres garnies de leurs poils. Mais les généraux récemment envoyés pour combattre l'insurrection sont des hommes de guerre de haute valeur : c'est Kléber, c'est Westermann ; c'est Vimeux, c'est enfin Marceau. D'autre part, la division se met dans l'armée vendéenne. Après la victoire de Laval, les chefs ont hésité sur le parti à prendre. La Rochejaquelein est d'avis de rentrer triomphant en Poitou ; mais Talmont propose de marcher sur Paris et défend son idée avec ténacité ; d'autres veulent envahir la Bretagne, pénétrer en Normandie. Le temps se perd en .discussions funestes. Les soldats et le peuple n'ont plus en leurs chefs cette confiance illimitée qu'ils leur avaient donnée au début de la campagne. De fait, plusieurs d'entre eux les ont déconcertés par l'étrangeté de leurs attitudes. Depuis le 5 mai, date de la prise de Thouars, l'armée catholique comptait au milieu d'elle un prêtre qui s'était présenté aux chefs vendéens comme un prélat envoyé par le pape Pie VI. Il prenait le titre d'évêque d'Agra in partibus, officiait pontificalement aux jours de fête devant les foules, exerçait sur tous, par le prestige de son caractère, une incontestable autorité. C'était un ancien curé de Dol, nommé Guyot de Folleville. On finit par découvrir que sa conduite justifiait mal les distinctions honorifiques et les missions confidentielles qu'il s'était attribuées. Un bref du pape, daté du 31 juillet 1793. et adressé aux chefs de l'armée vendéenne, démasqua son imposture. Nous vous donnons avis, disait Pie VI, que vous évitiez cet homme comme un imposteur qui souille de la tache du sacrilège et de nullité tous les actes de juridiction qu'il se permet de faire. Guyot de Folleville dut s'abstenir désormais de tout acte épiscopal. Il resta néanmoins dans l'armée. Il devait être guillotiné à Angers le 5 février 1794. Un autre prêtre, d'une valeur bien supérieure, et que nous verrons, sous le Consulat, jouer auprès de Bonaparte un rôle des plus considérables, l'abbé Bernier, prenait part, à côté du prétendu évêque d'Agra, aux délibérations du conseil supérieur de l'armée. Fils d'un simple paysan, il était parvenu, bien jeune encore, par la seule force de son mérite, à l'une des premières cures d'Angers. L'abbé Bernier exerçait sur les paysans une influence presque sans bornes. Son activité était infatigable, mais sa conduite était trop souvent inspirée par une politique tout humaine[287], et ses conseils ne furent pas toujours heureux. C'est lui qui proposa de fabriquer, pour se procurer de l'argent, des assignats semblables à ceux de la République. Ses collègues du conseil supérieur firent preuve de délicatesse en refusant d'émettre cette fausse monnaie. L'arrêté de proscription rendu contre les hommes qui servaient la République et contre leurs familles, l'obligation, imposée aux républicains restés en Vendée, de prêter serment de fidélité à Louis XVII, sont des mesures dues à l'initiative de Bernier. Il est permis, avec un historien des guerres de Vendée, de faire à de pareilles mesures un triple reproche, d'injustice, de maladresse et d'impuissance[288]. L'échec de l'armée vendéenne devant Angers, sa défaite au Mans, accentuèrent le découragement des troupes. Elles se trouvèrent réduites de quarante mille à vingt-cinq mille combattants. L'insuccès d'une tentative faite pour traverser la Loire augmenta le désarroi. Néanmoins, la foi en Dieu restait admirable dans ces âmes fortement trempées ; elle survivait à toutes les déceptions et à tous les dissentiments. Un jour, deux cavaliers vendéens acharnés l'un contre l'autre, s'apprêtent à vider leur querelle en champ clos, le sabre en main. Un homme passe et leur dit : Jésus-Christ a pardonné à ses bourreaux, et un soldat de l'armée chrétienne veut tuer son camarade ! Ils s'embrassent sur-le-champ. La foi au roi, qui apparaissait à ces hommes comme le seul, défenseur de la cause religieuse, n'était pas non plus ébranlée. Le cri de Vive le roi accompagnait toujours le cri de Vive la religion, lorsque le soldat de l'armée catholique s'élançait au combat, ou lorsqu'il tombait, frappé à mort, dans la mêlée. Mais la confiance des paysans à l'égard des gentilshommes qui dirigeaient la guerre, avait sensiblement fléchi. Atteints et cernés à Savenay, leur dernier refuge, par les troupes aguerries de Kléber, de Westermann et de Marceau, les débris de l'armée vendéenne furent, non pas vaincus, mais exterminés. C'est à peine si les femmes et quelques fuyards parvinrent à se sauver par la route de Guérande. Partout, écrivait Westermann, on n'apercevait que monceaux de morts : dans la seule banlieue de Savenay, plus de six mille corps furent enterrés. C'était le 23 décembre 1793. La grande armée catholique et
royale avait péri, ensevelie dans ses triomphes et dans ses revers ; mais
elle avait sauvé l'honneur de la France chrétienne, et, malgré quelques
faiblesses inhérentes à la nature humaine, laissé pour enseignement et pour
souvenir de ses luttes les plus nobles exemples d'héroïsme, de probité et de
foi[289].
Ces exemples revivront dans les campagnes que poursuivront, à la tête de
troupes désormais indépendantes, Charette et La Rochejaquelein en Vendée,
Cadoudal en Bretagne. La Convention finira par capituler devant eux, en
accordant à la Bretagne et à la Vendée la liberté du culte catholique. XXIV Si, comme au temps de la Ligue, le soulèvement avait pu gagner la France entière, la Révolution, dans son œuvre antireligieuse du moins, pouvait être écrasée. Peut-être aussi eût-il fallu qu'un de ces princes, si ardemment appelés et si vainement attendus par les combattants de l'Ouest, vint prendre, comme l'avaient fait les princes de Guise pour la Ligue du XVIe siècle, le commandement de l'insurrection. Les départements où la foi religieuse était 'moins profonde ou moins générale, ne purent que tenter çà et là, de Bordeaux à Toulon, de Lyon à Marseille, quelques soulèvements partiels, aussitôt réprimés avec rigueur. Mais partout les persécuteurs rencontrèrent, lorsqu'ils voulurent forcer les chrétiens à renier leur foi, à désobéir à leurs chefs légitimes, une résistance héroïque, digne des premiers siècles du christianisme. Nous ne pouvons en citer tous les exemples. L'histoire de l'Eglise ne peut cependant passer sous silence le martyre de ceux que l'Eglise placera peut-être un jour au nombre de ses saints. Au premier rang de ceux-ci, il faut compter l'abbé Noël Pinot, mis à mort pour la foi, sur une place publique d'Angers, le 21 février 1794 ; la Sœur Marguerite Rutan, fille de la Charité, exécutée à Dax le 9 avril ; les trente-deux religieuses guillotinées à Orange du 6 au 26 juillet ; et les Bienheureuses carmélites de Compiègne, dont l'Eglise célèbre déjà la mémoire à la date de leur mort, le 17 juillet. Dans l'après-midi du 21 février 1794, la population d'Angers fut témoin d'un spectacle peut-être unique dans les annales du christianisme. Un prêtre, revêtu de ses habits sacerdotaux, soutane, aube, étole, manipule et chasuble, traversait la ville, les mains liées derrière le dos, escorté de gardes et de soldats. Le sinistre cortège, tambours en tête, se rendit sur la place du Ralliement, où un échafaud s'élevait, à l'endroit même où avait été le maitre-autel de Saint-Pierre. Ce prêtre s'appelait Noël Pinot, curé depuis 1788 de la paroisse du Louroux-Bétonnais, sur les bords de la Loire. Arrêté le 4 mars 1791, pour avoir déclaré en chaire qu'il ne se soumettrait jamais aux lois portées par l'assemblée sur le spirituel, quand il verrait son supplice préparé, il avait été, conformément au décret du 27 septembre 1790, déclaré déchu de ses droits de citoyen actif et incapable de remplir aucune fonction publique. Mais rien n'avait désarmé le zèle de ce vrai pasteur. Depuis ce temps, traqué comme un malfaiteur, passant les jours dans des greniers et des étables, où il dormait comme il pouvait, consacrant ses nuits à parcourir les sept mille hectares et les quinze hameaux de sa paroisse, confessant, prêchant, administrant les sacrements, célébrant la messe en cachette, changeant fréquemment de lieu de retraite pour ne pas compromettre les courageux paysans qui l'hospitalisaient, toujours en garde contre les battues des gardes nationaux et les visites domiciliaires, le courageux curé du Louroux avait été dénoncé par des malheureux qu'il avait nourris de ses aumônes. Il fut arrêté au village de la Milanderie, chez une pieuse veuve, au moment où il allait célébrer le saint sacrifice. Ses juges, relate l'abbé Gruget, témoin oculaire, lui demandèrent, pour donner plus d'appareil à son supplice, s'il ne serait pas bien aise d'y aller en habits sacerdotaux. Oui, leur répondit-il, ce sera une grande satisfaction pour moi. — Eh bien, lui répondirent ses bourreaux, tu en seras revêtu et tu subiras la mort dans cet accoutrement[290]. Arrivé devant l'échafaud, au moment de porter le pied sur le premier degré, le saint prêtre eut une inspiration sublime La vue des ornements sacerdotaux qui le revêtaient lui rappela le sacrifice de la messe, si semblable, dans son sens mystique, à celui qu'il allait accomplir. Elevant donc les yeux au ciel, il s'écria : Introibo ad altare Dei ; je monterai vers l'autel du Seigneur. A ces mots, les membres de la commission militaire qui l'avaient condamné, poussèrent le cri de : Vive la République ! C'était le signal ordinaire de l'exécution. Le prêtre se laissa attacher à la planche fatale, et le couteau tomba. L'abbé Noël Pinot avait été prêtre jusqu'au bout. La sœur Marguerite Rutan, qui mourut sur l'échafaud à Dax, dans les Landes, deux mois plus tard, le 9 avril, put aussi se rendre ce témoignage qu'elle avait été jusqu'au bout fille de la Charité. Née à Metz, en 1736, l'humble fille de Saint-Vincent-de-Paul, après maintes pérégrinations au service des pauvres, se trouvait employée à l'hôpital de Dax, quand parut le décret du 18 août 1792, supprimant toutes les congrégations religieuses, même celles uniquement vouées au service des hôpitaux. Sœur Rutan, communiquant soin esprit de décision à ses compagnes, les organisa alors en une association de Dames de Charité, où l'on observa du mieux qu'on put les règles de la vie religieuse. Mais le refus énergique qu'elle fit de prêter le serment constitutionnel, qu'on voulut lui imposer sous peine d'exclusion de l'hospice, attira sur elle l'attention du comité de surveillance. Elle fut dénoncée, arrêtée et condamnée à mort comme ayant, par son incivisme, cherché à corrompre et à ralentir l'esprit révolutionnaire, et comme étant indigne de remplir les fonctions humaines et bienfaisantes que l'on doit envers les hommes libres. Un témoin raconte que, tandis que l'on conduisait à la guillotine, au pas de charge et au bruit du tambour, la sœur Marguerite Rutan et le curé réfractaire Jean-Eutrope de Lannelongue[291], un des enfants que la sœur avait vus jouer à l'hospice jeta, de la chambre où il se trouvait enfermé, un coup d'œil curieux dans la rue. Ses yeux rencontrèrent ceux de la martyre, qui lui sourit avec tendresse. L'enfant avait près de lui sa mère ; dans un sentiment d'horreur, elle ferma brusquement la fenêtre et dit à son fils : Mets-toi à genoux et prie pour elle ; les malheureux vont la tuer. Le pauvre petit ne sut que donner cours à ses larmes ; le chagrin l'étouffait[292]. Le biographe de Marguerite Rutan n'hésite pas à penser que la pieuse fille de Saint-Vincent-de-Paul fut une véritable martyre, au sens le plus précis de ce mot. Martyres aussi furent les trente-deux religieuses mises à mort à Orange du 6 au 26 juillet x794. De ces trente-deux religieuses, vingt-neuf étaient nées à Bollène, petite ville du Comtat Venaissin. Elles étaient membres de deux communautés religieuses, les sacramentines et les ursulines. La tranquille et charmante cité regrettait le gouvernement doux et paternel du pape. On le savait à Avignon et même à Paris. Un envoyé de la Convention, le terrible Maignet, surnommé le bourreau du Midi, jura d'abattre toutes les têtes orgueilleuses qui n'avaient pas su s'abaisser devant le niveau de l'égalité. Ainsi s'exprimait-il dans une lettre. Les sacramentines et les ursulines, chassées de leurs couvents depuis le 13 octobre, s'efforçaient de conserver, dans leurs familles, ou dans une maison louée qui en abritait un certain nombre, les pratiques de leur vie religieuse. C'est là que des mandats d'arrêt nominatifs furent signifiés à chacune d'elles. Le 1er mai, vingt-huit sacramentines, sous la direction de leur supérieure, en de La Fare, sœur de l'évêque de Nancy, et quatre ursulines, qui reconnaissaient pour leur mère Mme de Troquart, montèrent dans des charrettes et furent conduites à Orange. Pauvres victimes conduites à la boucherie, s'écria, devant ce spectacle, un homme du peuple, lequel, pour son exclamation, fut appréhendé et emmené avec elles. Admirables de piété dans leur prison, dit un de leurs historiens[293], joyeuses au moment de l'appel au tribunal, superbes devant leurs juges et leurs exécuteurs, ces trente-deux religieuses furent tour à tour des apôtres et des anges de consolation au milieu des prisonniers. En arrivant au lieu de leur triomphe, lit-on dans les Relations de 1795, elles embrassèrent l'échafaud, remercièrent les juges, pardonnèrent à leurs bourreaux, et, la paix dans le cœur, la sérénité sur le front, elles consommèrent ainsi leur sacrifice. Et les spectateurs de murmurer : La religion seule peut inspirer tant de courage et de sécurité[294]. En se rendant au supplice, les religieuses de Bollène chantaient, dit-on, des cantiques. Le 17 juillet, Paris voyait une scène non moins touchante. Seize religieuses carmélites du monastère de Compiègne, les mains attachées derrière le dos, debout entre les ridelles de ces charrettes que le peuple avait appelées des tombeaux roulants, traversaient lentement la ville, du Palais de justice, où elles venaient d'être condamnées à mort, à la place du Trône, où elles allaient être exécutées. Toutes chantaient. Le long de ces rues qui avaient si souvent retenti des hymnes révolutionnaires, elles psalmodiaient pieusement le Miserere et le Salve Regina. Çà et là, quelques murmures sauvages se firent entendre ; mais, sur presque tout le parcours, les innocentes victimes furent saluées par le silence respectueux du peuple, qui les écoutait, subjugué par cette mélodie nouvelle. Elles terminèrent par le Veni Creator, puis renouvelèrent à haute voix leurs promesses de baptême et leurs vœux de religion. De toutes les victimes de la Révolution, il en est peu dont le caractère de martyres de la foi repose sur des preuves aussi convaincantes. Un arrêté du comité de surveillance de Compiègne, daté du 21 juin 1794, les avait dénoncées comme vivant toujours soumises au régime fanatique de leur ci-devant cloître[295]. On sait ce que signifiait le mot de fanatisme dans la bouche des terroristes. En plein tribunal, après avoir mis en avant d'autres motifs, l'accusateur public était revenu sur cette accusation de fanatisme. Une des religieuses eut la présence d'esprit de demander hardiment l'explication de ce mot. Après un torrent d'injures, l'accusateur, poussé à bout, répondit : J'entends par fanatisme votre attachement à des croyances puériles, vos sottes pratiques de religion. — Ma chère mère et mes sœurs, s'écria alors la vaillante religieuse, en se tournant vers ses compagnes, vous venez d'entendre l'accusateur vous déclarer que c'est pour notre attachement à la religion... Oh ! quel bonheur ! quel bonheur de mourir pour son Dieu ![296] Arrivée au pied de l'échafaud, la prieure, Marie-Thérèse
de Saint-Augustin, sollicita la grâce de mourir la dernière. La plus jeune, Constance Meunier, novice depuis 1789,
s'agenouilla devant sa mère, recueillit de ses lèvres (car ses mains étaient liées) les paroles de la bénédiction, puis, comme elle eût fait
au couvent, lui demanda une dernière permission, la permission de mourir.
Elle se détacha alors, monta l'escalier et se présenta au bourreau. Ainsi
firent tour à tour, au bruit des chants, qui continuaient en s'affaiblissant,
les autres religieuses, jusqu'à ce que la mère prieure, comme la mère des
Macchabées, montât la dernière, assurée de la fidélité de ses filles, à qui
la mort la rejoignit[297]. Tandis que la foi élevait les âmes des victimes jusqu'à ces hauteurs célestes, par un frappant contraste, l'esprit du mal faisait descendre celles des persécuteurs jusqu'aux derniers degrés de l'abjection. De ces âmes, il n'en est peut-être pas de plus hideuse que celle de Jean-Baptiste Carrier. En lui, suivant une expression de Taine, le jacobinisme furieux avait atteint son dernier terme[298]. Grand homme sec, dit Michelet[299], de teint olivâtre, dégingandé, d'un geste faux, l'œil inquiet, ahuri, égaré, cet être eût été ridicule s'il n'eût fait peur. Le moral était encore, chez Carrier, au-dessous du physique. Cet homme n'était pas une opinion, a écrit Lamartine, mais un instinct dépravé. Il n'avait point d'idée, mais la fureur. Le meurtre était sa seule philosophie, le sang sa seule sensualité[300]. Chez Carrier, comme chez le chien enragé, dit Taine, le cerveau tout entier était occupé par le rêve machinal et fixe, par des images incessantes de meurtre et de mort[301]. C'est à Nantes que ce terroriste opérait. La guillotine et la fusillade ne lui suffisaient pas. Un jour Carrier, qui choisissait ses instruments parmi les hommes les plus abjects de la lie du peuple, fit venir des mariniers aussi impitoyables que lui. Il leur ordonna de percer de soupapes un certain nombre de barques pontées. Un de ces mariniers lui demandait un ordre écrit. Ne suis-je pas représentant ? lui répondit Carrier. Pas tant de mystère, ajouta-t-il. Tu chargeras cinquante prêtres, et tu les laisseras tomber à l'eau au milieu du courant. Le lendemain, il écrivait à la Convention que cinquante prêtres avaient péri par un supplice nouveau. Les noyades de Nantes durèrent plusieurs mois. Carrier prit souvent plaisir à s'embarquer lui-même sur ces navires Pendant qu'il y menait joyeuse vie avec les compagnons de ses débauches, un gémissement étouffé lui annonçait que les victimes venaient de s'ensevelir sous ses pieds ; et il continuait son orgie[302]. Un peu en deçà de ce monstre, Le Bon à Arras, Collot d'Herbois à Lyon, Maignet dans le Comtat-Venaissin, Tallien à Bordeaux, Robespierre le Jeune à Vesoul, Saint-Just en Alsace, Fouquier-Tinville à Paris, s'étourdissaient de massacres ; mais plus d'une fois ils durent pâlir en entrevoyant, au bout de tant de crimes, quelque inévitable châtiment. Leurs victimes, au contraire, au moment même de mourir, tressaillaient d'espérance. Mon Dieu, s'était écriée au pied de l'échafaud l'une des seize carmélites de Compiègne[303], je serai trop heureuse si ce léger sacrifice de ma vie peut apaiser votre colère et diminuer le nombre des victimes. Onze jours plus tard, le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II), Robespierre et vingt-deux de ses complices étaient conduits à l'échafaud ; le lendemain, soixante-deux membres de la Commune étaient exécutés. La Terreur était finie. XXV Au point de vue religieux, les deux principales conséquences du coup d'Etat qui venait de s'accomplir furent la conclusion du traité de la Jaunis avec les chefs vendéens, et la réouverture d'un grand nombre d'églises. Pour an finir avec la résistance de la Vendée, le général en chef des troupes de la République en Vendée, Turreau, ci-devant baron de Garambouville, y avait organisé, depuis le 20 janvier 1794, douze colonnes mobiles, dites colonnes infernales, chargées de brûler tout ce qui pouvait être brûlé[304]. Mais le résultat se faisait attendre. Malgré les divisions regrettables qui s'étaient élevées entre les chefs vendéens, les quatre cent mille âmes[305] qui restaient encore en Vendée se montraient irréductibles. En avril, la Convention impatiente donna un mois à Turreau pour terminer[306]. Elle finit par comprendre, surtout après la mort de Robespierre, que la violence et la terreur ne pourraient jamais rien sur ces âmes de Vendéens et de Bretons, fermes comme le granit qui les portait. On commença à parler d'oubli, de concorde. On rejeta ce qui s'était fait sur le régime auquel le, 9 thermidor venait de mettre fin. Le général Hoche, placé à la tête des troupes de l'Ouest, fit de grands efforts pour éviter tout pillage. La liberté du culte fut, en quelque sorte, la base de son système. Rétablissez vos chaumières, disait-il, priez Dieu comme vous l'entendez et labourez vos champs. Hoche, esprit perspicace et modéré, joignait aux talents du général une véritable aptitude à gouverner. Cette politique nouvelle réussit dans les campagnes. Beaucoup de prêtres, ne regardant plus la cause de l'Eglise comme liée à la cause de la monarchie, recommandaient de se soumettre au gouvernement. Vers la fin de 1794, la majorité des paysans, sans traiter Charette en ennemi, refusaient de le servir, et gardaient une scrupuleuse neutralité. Le 2 décembre 1794, Carnot, comme membre du Comité de Salut public, proposa et fit adopter par la Convention le décret suivant : Toutes les personnes connues dans les arrondissements de l'Ouest, des côtes de Brest et des côtes de Cherbourg, sous le nom de rebelles de la Vendée et de chouans, qui déposeront leurs armes dans le mois qui suivra le jour de la publication du présent décret, ne seront ni inquiétées ni recherchées dans la suite pour le fait de leur révolte. De part et d'autre, les esprits étaient préparés à la paix. Le 17 février 1795, onze conventionnels d'une part et vingt officiers vendéens de l'autre, signèrent à la Jaunais, près de Nantes, un traité dont voici les trois premiers articles : Article Ier : Tout individu et toutes sections de citoyens quelconques peuvent exercer librement et paisiblement leur culte. Article 2 : Les individus et ministres de tout culte quelconque ne pourront être troublés, inquiétés ni recherchés pour l'exercice libre, paisible et intérieur de leur culte. Article 3 : Les autorités civiles et les commandants de la force armée sont chargés de tenir la main à l'exécution du présent traité. Le sang breton et vendéen n'avait pas coulé en vain. De même que la chute de
Robespierre avait amené la République à des idées d'humanité dont la Vendée
profita, de même la liberté religieuse accordée à la Vendée devait amener la
République à donner enfin la liberté des cultes, non plus seulement en
principe, mais en réalité, à la nation
[307]. Louis Veuillot
a pu écrire[308]
: La résistance de la Vendée ne fut pas un simple
épisode dans le vaste et tragique tableau de la chute de l'ancienne monarchie
; c'est le seul fait qui ait contrebalancé, pour l'avenir de la société
française, le fait victorieux de la Révolution. Royauté, noblesse,
institutions, lois, coutumes, tout a succombé. Ce que la Vendée défendait
avant tout, ce qui lui avait mis les armes à la main n'a point péri. Le
Vendéen combattait pour la croix. La révolution de thermidor n'avait pas, en effet, apporté la cessation immédiate de la persécution contre les prêtres. Deux mois après la chute de Robespierre on avait encore guillotiné à Paris des ecclésiastiques, accusés d'émigration ; ce furent les prêtres qui sortirent les derniers des prisons. En marge d'une demande de libération, on lit ces mots : Ajourné comme prêtre[309]. Modérés et jacobins se trouvaient d'accord quand il s'agissait de questions religieuses. Ce fut la volonté nettement affirmée des populations rurales, en faveur du rétablissement du culte, volonté manifestée non seulement dans l'Ouest, mais encore dans une partie de la Normandie, dans les départements du Massif central, en Franche-Comté et dans quelques parties du Midi, qui exerça sur la législation la première pression salutaire. Le traité de la Jaunais acheva le mouvement. La Convention, déclare M. Aulard[310], s'aperçut que le peuple était toujours catholique, qu'il réclamait à grands cris la réalisation du décret sur la liberté des cultes. La Révolution n'avait pu ni s'assimiler le catholicisme ni lb détruire ; il lui fallut bien se résigner à vivre côte à côte avec lui, à considérer les religions comme des sociétés particulières, qui ont le droit d'exister sous les lois sans faire partie de l'Etat, lequel restera laïque. Telle fut bien la pensée qui inspira la loi du 3 ventôse an III (21 février 1795), sur la liberté des cultes, et celle du 11 prairial (30 mai), sur la réouverture des églises non aliénées : Conformément à l'article 7 de la
Déclaration des Droits de l'homme, disait l'article Ier de la loi de
ventôse, l'exercice d'aucun culte ne peut être
troublé. Il est vrai que les neuf articles qui suivaient
s'appliquaient à restreindre la portée de cette liberté des cultes. Ainsi
l'article 5 défendait de paraître en public avec les
habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses,
l'article 8 interdisait aux communes toute
acquisition on location d'un local pour l'exercice des cultes, et
l'article 9 défendait de former aucune dotation,
perpétuelle ou viagère, et d'établir aucune taxe pour en acquitter les
dépenses[311]. La loi de
prairial décida que les citoyens des communes ou des
sections de commune auraient provisoirement le libre usage des édifices non
aliénés, destinés originairement aux exercices des cultes (art. 1er). Lorsque
des citoyens de la même commune ou de la même section exerceraient des cultes
différents, le local leur serait commun, chaque culte aurait des jours
et des heures fixés par les municipalités (art.
4). Nul ne pourrait, d'ailleurs, remplir le
ministère d'aucun culte dans lesdits édifices à moins d'avoir fait acte de
soumission aux lois de la République (art.
5)[312]. Dans quelles conditions les citoyens des communes ou sections de communes obtinrent-ils le libre usage de leurs anciennes églises non aliénées ? La réponse à cette question comporterait presque autant de distinctions qu'il y eut d'églises ouvertes [313]. On voit à Paris, dans la paroisse Saint-Roch, M. Marduel, curé, gérer exclusivement par lui-même et par son vicaire toute l'administration financière de la paroisse ; mais ailleurs l'élément laïque intervient. A Saint-Thomas d'Aquin, à Saint-Eustache, à Saint-Laurent, à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à Saint-Etienne-du-Mont, des sociétés du culte se forment, qui prennent en mains l'administration temporelle de la paroisse, déployant un vrai zèle pour la réparation des églises, l'acquisition des objets indispensables au culte, l'entretien des ministres et des officiers, 'mais parfois dépassant les limites du droit canonique par leur ingérence excessive dans le gouvernement paroissial[314]. Dans les premiers mois de 1795, beaucoup de prêtres constitutionnels rétractèrent leurs erreurs et revinrent à l'Eglise. A Paris, les grands vicaires de M. de Juigné reçurent un grand nombre de ces rétractations[315]. L'élan ne fut pas moins marqué en province. On vit de toutes parts des prêtres abjurer le schisme ; les journaux du temps l'attestent[316]. Le grand nombre des rétractations est avoué par les constitutionnels eux-mêmes dans leur journal. C'est le sujet le plus ordinaire des dérisions et des plaintes qu'on y lit à chaque page. Ils traitent de lâches et d'ambitieux les prêtres qui abjurent le schisme[317]. Il est incontestable que la conduite de ceux qui s'étaient rétractés au lendemain de la condamnation de la Constitution civile par le pape, alors que le gouvernement réservait ses faveurs aux seuls assermentés, avait été autrement héroïque. Maintenant l'Etat abandonnait le clergé constitutionnel au droit commun, concurremment avec les catholiques fidèles au pape. Des membres du clergé constitutionnel s'étaient plaints amèrement de cette situation. Une pétition anonyme avait déclaré que la loi de ventôse rendait toute religion impossible faute de local, faute de ministres et faute de fonds[318]. L'abbé Audrein s'écriait[319] : Votre décret de ventôse a trop favorisé les insermentés qui prêchent le royalisme ; il a trop peu protégé les prêtres républicains. La conduite des rétractants n'en fut pas moins très méritoire, car l'Eglise veillait avec fermeté à l'observation des épreuves sévères que le pape avait exigées des prêtres assermentés avant de les admettre de nouveau dans les cadres de la hiérarchie[320] : abjuration publique, abdication de la paroisse usurpée, pénitence proportionnée au scandale donné, restitution des biens ecclésiastiques indûment perçus, etc. Le rétractant s'exposait aussi à encourir l'animadversion des autorités administratives, qui, somme toute, restaient favorables à l'Eglise constitutionnelle et surtout continuaient à détester l'Eglise romaine. Il ne faudrait pas, en effet, exagérer l'amélioration apportée à la situation du clergé catholique par la révolution du 9 thermidor. La réaction thermidorienne avait été plutôt une réaction politique qu'une réaction religieuse. Ceux-là mêmes qui triomphaient ne pouvaient être pour l'Eglise d'un grand secours. La réaction se personnifiait et s'affichait surtout dans cette jeunesse dorée, composée de jeunes gens girondins et royalistes, qui, portant l'habit carré des muscadins et le collet vert des chouans de Bretagne, se rendirent bientôt les maîtres du pavé de Paris. Ils se donnaient de joyeux rendez-vous au Palais-Royal, dans les salons de Mme Tallien et de Mme de Staël, sortaient de ces réunions pour attaquer à coups de canne les jacobins dans leurs clubs, et faisaient retentir les rues de couplets vengeurs : Le jour tardif de la vengeance Fait enfin pâlir les bourreaux ! Au théâtre, ils applaudissaient avec frénésie ces vers de Mahomet : Exterminez, grand Dieu, de la terre où nous sommes, Quiconque, avec plaisir, répand le sang des hommes. Ce fut au point que les princes émigrés, le comte d'Artois, le comte de Provence et le prince de Condé, se demandèrent si le moment n'était pas venu de rétablir la royauté, d'abolir l'œuvre entière de la Révolution. M. Paul Thureau-Dangin, dans son importante étude sur les lendemains du g thermidor, a raconté la série de projets, de pourparlers, d'aventures, qui devait aboutir à la fameuse proclamation de Vérone et à la malheureuse expédition de Quiberon[321]. L'Eglise ne pouvait attendre son salut d'une société frivole et sceptique, qui combattait les résultats de la Révolution en en perpétuant les causes profondes. La conséquence la plus claire de la réaction thermidorienne fut de provoquer des représailles contre le clergé. .ans la séance du 25 germinal an III (14 avril 1795), Rewbell demanda un redoublement de persécution contre les prêtres qui ne se contentaient pas, disait-il, de dire la messe dans les églises, mais qui voulaient faire de la France une nouvelle Vendée. Il ne faut pas poursuivre les prêtres comme prêtres, s'écria-t-il[322], mais comme séditieux, comme apôtres du royalisme. Le 1er nivôse, Marie-Joseph Chénier, dans un rapport rempli de déclamations contre les jacobins et contre les catholiques, proposa l'institution de fêtes civiques, et, le 17 pluviôse, Eschassériaux indiqua l'esprit de ces fêtes, où les hommes de tous les cultes se réuniraient pour célébrer l'Être suprême, entendre la douce morale de la patrie et oublier les illusions du fanatisme. Le projet de Chénier échoua. Au moment où il allait être voté par acclamation, un contradicteur inattendu apparut à la tribune. C'était Grégoire. Si vous étiez de bonne foi, s'écria-t-il[323], vous avoueriez que notre intention, manifestée jusqu'à l'évidence, est de détruire le catholicisme. Puis, pour démentir la prétendue alliance de l'Eglise avec la royauté, l'orateur s'efforça de démontrer la solidarité du catholicisme avec la République. C'était, pour réfuter une fausse allégation, tomber dans une erreur manifeste. L'assemblée passa dédaigneusement à l'ordre du jour. Le projet de Chénier devait être repris plus tard et triompher. Une loi du 27 brumaire avait affecté au service des écoles les presbytères non encore vendus. Le 14 pluviôse, Lecointre demanda à la Convention de vendre tous les presbytères et toutes les églises. Le but poursuivi apparaissait de plus en plus en évidence : établir, à la place du clergé dépossédé, comme une nouvelle espèce de curés, les instituteurs, constitués gardiens d'une nouvelle orthodoxie. Le projet de loi sur l'instruction publique, rapporté le 27 brumaire an III, par Lakanal, devait, suivant les intentions de ses auteurs, exercer une influence décisive sur la diffusion des lumières et la destruction des préjugés[324]. XXVI A ces épreuves, qui lui venaient des ennemis de toute croyance, se joignaient, pour l'Eglise, des peines plus intimes, occasionnées par le schisme obstiné des prêtres constitutionnels et par la renaissance des discussions entre les catholiques fidèles à propos de la dernière formule de serment. Au printemps de l'année 1795, l'Eglise constitutionnelle était en décadence. Sur quatre-vingt-deux évêques siégeant en 1792, dix étaient morts, dont six sur l'échafaud ; vingt-quatre avaient apostasié, dont six étaient mariés ; vingt-quatre avaient renoncé aux fonctions ecclésiastiques ; vingt-quatre étaient sortis à peu près intacts de la crise, ou, s'ils avaient livré leurs titres ecclésiastiques, ce n'était qu'après un long et déprimant emprisonnement. En tout cas, ces rares survivants du naufrage, dispersés, découragés, abandonnés par leurs prêtres, dédaignés par les fidèles, ignorés systématiquement par les autorités civiles, tremblaient encore en pensant que la Terreur pourrait bien recommencer[325]. La loi de ventôse, en établissant la liberté des cultes, en abolissant par conséquent virtuellement la Constitution civile du clergé, semblait avoir porté contre l'Eglise constitutionnelle son arrêt de mort[326]. C'eût été du moins son coup de grâce, sans l'énergie de Grégoire. Grégoire, dit un historien[327] que nous aimons à citer ici parce qu'il a eu sous les yeux tous les papiers de l'évêque du Loir-et-Cher, Grégoire émergeait du milieu de ces figures falotes, grandi par la fière attitude qu'il avait prise pendant la Terreur On peut contester ses mérites, on peut lui reprocher d'avoir été l'esclave de ses préjugés et de ses rancunes et de n'avoir jamais apporté dans l'exposition de ses idées le calme et l'impartialité qui préservent de l'exagération et de l'injustice ; on doit lui demander surtout un compte sévère de l'entêtement avec lequel il défendit jusqu'à la fin des opinions fausses et dangereuses ; mais il n'est pas moins certain qu'en 1795 il était l'homme qui personnifiait, sinon la religion, du moins le parti constitutionnel, et qu'ayant montré un grand courage au moment où tant d'autres rivalisaient de lâcheté, il semblait seul capable de relever son Eglise, en supposant qu'elle pût être relevée. Grégoire se donna à cette œuvre avec une persévérance inlassable. Pendant l'hiver de 1794-1795, il avait groupé autour de lui quatre de ses collègues ; Royer, de l'Ain, Saurine, des Landes, Gratien, de la Seine-Inférieure, et Desbois, de la Somme. Royer était une honnête nullité ; Saurine, un homme intelligent, mais fantasque Gratien, un savant aveuglé par tous les préjugés révolutionnaires ; Desbois, un prêtre de mœurs honorables, et surtout un bailleur de fonds[328]. Les cinq prélats formèrent, à l'instigation de Grégoire, un conseil permanent, qui s'appela lui-même le Conseil des évêques réunis. Ses premiers actes furent de fonder un journal du parti, qui prit le titre d'Annales de la religion, puis, avec l'argent mis à sa disposition par Desbois, d'établir rue Saint-Jacques une imprimerie-librairie-chrétienne, destinée à devenir le grand instrument de propagande de l'Eglise constitutionnelle[329]. Des laïques dévoués, Durand de Maillane, Lanjuinais, Isnard, Baudin, Lambert, mirent au service des Réunis toute l'ardeur qu'ils avaient déployée naguère en faveur de la Constitution civile. Le 25 nivôse an III (15 mars 1795), dix évêques constitutionnels publièrent un document intitulé : Lettre encyclique de plusieurs évêques de France à leurs frères les autres évêques et aux églises vacantes. Cette lettre contenait des déclarations dogmatiques et des décisions disciplinaires : on y professait de croire tout ce que l'Eglise croit, en faisant des réserves sur les pouvoirs du pape ; on y prescrivait ensuite des mesures sévères, inspirées par le rigorisme janséniste, à l'égard de ceux qui avaient participé au culte de la Raison[330]. Pour ramener les fidèles aux beaux jours de la primitive Eglise, on décidait que dans tous les chefs-lieux de diocèses dont l'évêque était mort ou avait disparu, les principaux curés, réunis en un conseil sous le nom de presbytère, prendraient en mains l'autorité directrice. En exécution de cette prescription, quatre curés de Paris organisèrent, le 31 mars 1795, le presbytère de Paris, qui dirigea, non sans orages, le clergé constitutionnel de Paris jusqu'au 3 novembre 1801[331]. Poussant plus loin la hardiesse, les évêques réunis s'installèrent, le 27 avril, dans l'église Saint-Médard, sans l'avoir ni achetée, ni louée, ni obtenue à aucun titre de l'administration. Plusieurs villes épiscopales de province, entre autres Versailles et Colmar, constituèrent des presbytères à l'instar de celui de Paris. Grégoire était l'âme de tout ce mouvement et s'y dépensait sans compter Mais le chef de l'Eglise constitutionnelle ne se contentait pas d'être audacieux envers les autorités civiles ; il était trop souvent agressif et hautain envers le clergé non assermenté. Rigide à l'égard des pécheurs repentants, il accusait les insermentés de morale relâchée, leur décochait des épigrammes renouvelées de Pascal. La loi du 11 prairial, qui permettait l'ouverture des églises, fut un nouveau sujet de conflits entre le clergé constitutionnel et le clergé fidèle au pape. Ici, les insermentés durent se retirer devant les assermentés ; là, les deux clergés durent se partager les heures de la journée ; partout les catholiques eurent à souffrir des attaques, des intrigues du parti dont Grégoire avait pris la direction, parti peu nombreux à la vérité, niais actif, remuant, dont plusieurs membres s'étaient compromis avec les hommes de la Révolution ; non seulement Durand de Mail-bue et Lanjuinais collaboraient avec Daunou et Boissy d'Anglas pour rédiger la fameuse constitution de l'an III, mais ils étaient toujours prêts à marcher d'accord avec eux quand il s'agissait de combattre l'ennemi commun : le clergé soumis au pape. Pendant ce temps, celui-ci souffrait de nouveau de douloureuses divisions, nées à l'occasion de la promesse de soumission aux lois de la République, que la loi du 11 prairial avait exigée des prêtres, pour leur permettre l'"usage des églises. Les uns la repoussaient avec horreur comme une apostasie ; d'autres la conseillaient, comme licite et utile. La religion et la justice, disaient les premiers, se réunissent pour interdire une pareille démarche. Et ils faisaient valoir : 1° que plusieurs lois de la République étaient incompatibles avec les lois les plus formelles de l'Eglise, telles que les lois autorisant le divorce, supprimant le repos du dimanche, consacrant le calendrier républicain et autorisant la vente des biens ecclésiastiques ; 2° que lors même que l'acte de soumission n'aurait aucun trait à la religion et serait purement civil, il serait encore illicite, car, en le faisant, les prêtres reconnaîtraient la République, reconnaissance incompatible avec là fidélité duc au légitime souverain[332]. Mais plusieurs ecclésiastiques, entre autres M. de Dausset, évêque d'Alais, l'abbé de Boulogne, directeur des Annales ecclésiastiques, et surtout M. Emery, supérieur de Saint-Sulpice, ne furent pas ébranlés par ce raisonnement. Pour prouver que la promesse de soumission était licite, M. Emery faisait valoir : 1° que la soumission promise devait être simplement considérée comme l'opposition à la révolte ; or les catholiques ont pour principe de ne pas se révolter, même contre les lois blâmables ; 2° que la soumission aux lois de l'Etat doit s'entendre d'une soumission aux lois civiles et politiques, et 3° que, d'ailleurs, cette soumission n'emporte ni l'approbation de ces lois ni même celle du pouvoir auquel on est soumis. A l'appui de son interprétation, il invoquait le texte d'une circulaire envoyée le 17 juin 1795 par le comité de législation aux directoires des départements : Il est inutile de vous faire remarquer, disait la circulaire, que la Constitution civile du clergé n'est plus une loi de la République. Au surplus, rappelez-vous toujours ce principe : que la loi entend assurer et faciliter de plus en plus le libre exercice des cultes. Quant à l'utilité de la démarche demandée, M. Emery la voyait dans la possibilité de prendre immédiatement possession des églises, convoitées par les Constitutionnels, menacées de désaffectation ou de ruine, et d'y reprendre l'exercice du culte catholique. Sur ces entrefaites, une loi du 7 vendémiaire an IV (20 septembre 1795) précisa davantage le sens de la promesse, imposant la formule suivante : Je reconnais que l'universalité des citoyens est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République. Les discussions continuèrent, inspirées de part et d'autre par d'ardentes convictions, de plus en plus âpres et pénibles. Cependant les travaux de Daunou, de Boissy d'Anglas, de Durand de Maillane et de Lanjuinais avaient enfin abouti, le 10 août, à la Constitution de l'an III, par laquelle on s'efforçait, sans revenir à la monarchie, d'éviter les inconvénients de la démagogie. Pouvoir exécutif, confié à un directoire de cinq membres élus pour cinq ans ; pouvoirs législatif et judiciaire, partagés entre deux conseils électifs périodiquement renouvelables ; système ingénieux d'élection à deux degrés : tout était combiné pour rendre impossible une dictature quelconque. Le 26 octobre 1795, la Convention se sépara ; dès le lendemain le gouvernement se constitua sur des bases nouvelles, et l'horizon s'ouvrit à des espoirs d'ordre et de paix. |
[1] DEBIDOUR, Histoire des rapports de l'Eglise et de l'Etat, de 1789 à 1870, p. 68.
[2] Adresse de l'Assemblée au peuple français, rédigée par Talleyrand, 11 février 1790.
[3] Cf. Albert SOREL, l'Europe et la Révolution française, 7e édition, t. II, p. 115. Les échafauds de la Terreur, dit Dom Leclercq, sont en germe, dans les décrets de 1790. Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. VI, p. 18.
[4] Tels sont les résultats des travaux de Ph. SAGNAC, Essai statistique sur le clergé constitutionnel et le clergé réfractaire, dans la Revue d'Histoire moderne et contemporaine, novembre 1906, p. 97-115, et de P. PISANI, l'Eglise de Paris et la Révolution, t. I, p. 184-189.
[5] Voir BRIDIER, Mémoires inédits de M. de Salmon, internonce à Paris de 1790 à 1802, 2e édit., Paris, 1892, pièces justificatives, n° 6. Pie VI, dans sa correspondance, fait souvent allusion à ces lenteurs et à l'étonnement qu'elles doivent causer. Cf. THEINER, Documents, t. I, p. 15, 34, 76.
[6] Voir lettre de Louis XVI, à la date du 6 septembre 1790, Archives des affaires étrangères, corresp. de Rome, reg. 913.
[7] Quatre cents électeurs s'étaient réunis à la cathédrale, et, au troisième tour, l'abbé Expilly avait été élu par 233 voix. Le 23 novembre, Montmorin écrivait à Bernis : Il nous parait que Sa Sainteté pourrait trouver un moyen quelconque de valider l'élection de Quimper... Sortis de cette série de difficultés, nous chercherions des solutions convenables chaque fois qu'il s'en présenterait de nouvelles.
[8] Les Révolutions de Paris, t. VI, p. 303-304, 13-20 novembre 1790. Expilly, consacré le 24 février suivant, conformément aux rubriques du Pontifical, par Talleyrand, fut un vrai évêque. Voir dans la Vie de M. Emery, t. I, p. 256, tes précautions que prit le supérieur de Saint-Sulpice pour s'assurer de la validité de tette consécration. Aussi n'a-t-on jamais contesté sérieusement le caractère épiscopal des prélats constitutionnels et la validité des ordinations qu'ils firent par la suite.
[9] A. SOREL, II, 115.
[10] Dans sa dépêche du 18 août 1790, Bernis écrivait à Montmorin : La Sanction royale ôte beaucoup de moyens au pape qu'il aurait pu utilement employer, car, m'a-t-il dit, toute décision pontificale au milieu des troubles dont la France est agitée, peut devenir infiniment dangereuse, et conduire, par la division des partis, au schisme et aux décisions funestes que l'or veut éviter.
[11] Moniteur du 6 novembre 1790, p. 1282-1283.
[12] P. DE LA GORCE, I, p. 313.
[13] P. DE LA GORCE, I, p. 314.
[14] Voir le tableau de ces protestations épiscopales dans un rapport de Voidel, Moniteur du 28 novembre 1790, p. 1320-1322.
[15] Les Révolutions de Paris, t. VI, p. 303-304.
[16] MATHIEZ, p. 386.
[17] Moniteur du 29 novembre 1790, p. 1378, col. 1.
[18] Id., p. 1372, col. 3.
[19] Moniteur du 29 novembre 1790, p. 1378, col. 1.
[20] Archives des affaires étrangères, cité par F. MASSON, Bernis, p. 489.
[21] Pièces trouvées au château des Tuileries, 3e recueil, pièce CLXXV.
[22] Révolutions de France et de Brabant, n° 57.
[23] P. DE LA GORCE, I, 346.
[24] Marquis DE BOUILLÉ, Souvenirs, t. I, p. 185.
[25] FLAMMERMONT, Négociations secrètes de Louis XVI et du baron de Breteuil, Paris, 1885, p. 8. Ne condamnons pas trop vite (cette démarche), écrit à ce propos N. Madelin. L'appel à l'étranger qui nous parait odieux aujourd'hui, était de tradition... Coligny, la Ligue, le grand Condé en avaient donné l'exemple D'autre part, il n'y avait rien d'anormal à ce que Louis XVI entretint avec les cabinets des relations fort différentes de celles que liait la diplomatie officielle. Il y avait toujours eu à Versailles un Secret du roi. Louis XVI ne doit nous étonner que par ses longs scrupules. MADELIN, la Révolution, Paris, 1911, p. 156.
[26] MADELIN, la Révolution, p. 157.
[27] Dans les cafés et lieux publics, écrit le nonce Dugnani au Secrétaire d'Etat, on parle plus que jamais de Rome. On dit que le pape excite les cours d'Europe à envoyer des troupes contre la France, et autres semblables calomnies. Je crois que les enragés avignonnais et nos autres ennemis capitaux répandent et cherchent à accréditer ces bruits, tendant à exaspérer le peuple et à faire regarder le Saint-Père comme le principal ennemi de la Constitution. Archives vaticanes, 23 août 1790, Cité par GENDRY, II, 130-131.
[28] M. Mathiez, qui croit à un mouvement tenté dans ce sens, ajoute : Il n'est cependant pas vraisemblable que cette action diplomatique, qu'on devine plus qu'on ne la saisit, ait été d'un grand poids dans la décision de Pie VI. MATHIEZ, op. cit., p. 295.
[29] L. MADELIN, la Révolution, p. 136.
[30] GENDRY, II, 131-132.
[31] Le Comtat Venaissin avait '&6 donné au Saint-Siège par saint Louis en 1228 ; Avignon lui avait été cédé par la reine Jeanne de Naples en 1348.
[32] Sur les origines historiques de la souveraineté des papes en Avignon, sur le régime politique qui y était en vigueur, et sur les manœuvres par lesquelles le parti révolutionnaire tenta de soulever le pays contre le pape, voir les discours prononcés à l'assemblée par l'abbé Maury, qui, originaire du Comtat, présenta l'exposé de la situation avec une particulière compétence. Voir surtout sa Seconde opinion sur la souveraineté d'Avignon. MAURY, Œuvres choisies, t. V, p. 237 et s.
[33] MATHIEZ, p. 54.
[34] PICOT, Mémoires, VI, 141.
[35] Cité par MATHIEZ, p. 58.
[36] PASSERI, Mémoires sur la révolution d'Avignon et du Comtat Venaissin, 2 vol., Rome, 1793, t. I, p. 56. Ne pas confondre ce Raphel, de Carpentras, avec Raphel, d'Avignon, dont il vient d'être parlé.
[37] Le baron de Sainte-Croix, né à Mormoiron, était membre de l'Académie des Inscriptions.
[38] MATHIEZ, p. 58-59.
[39] Le maire d'Arles, Antonelle, dénonça ce calcul égoïste dans sa brochure : Quelques réflexions sur la pétition du peuple avignonnais, Paris, Lejay, s. d.
[40] PASSERI, Mémoires sur la révolution d'Avignon et du Comtat Venaissin, t. I, p. 64.
[41] PASSERI, Mémoires sur la révolution d'Avignon et du Comtat Venaissin, t. I, p. 210.
[42] La discussion qui eut lieu à l'assemblée à ce sujet fut des plus mouvementées. Le discours de Maury, qui prit la défense du pape, fut haché par les interruptions de la gauche. Robespierre fut solennel et tragique. On nous a dit, s'écria-t-il, qu'Avignon était la propriété du pape ! Juste ciel ! Les peuples, la propriété d'un homme ! Et c'est de la tribune de l'Assemblée nationale qu'on a proféré ce blasphème. — A ces mots, dit le Moniteur du 20 novembre 1790, p. 1340, col. 2, l'assemblée applaudit à plusieurs reprises. C'était, pour les besoins de la cause et de l'effet oratoire, dénaturer à la fois le caractère des réclamations du Souverain Pontife, les principes du droit public international et les faits eux-mêmes. Pie VI, dit justement M. l'abbé Pisani, ne pouvait consentir du premier coup à se laisser dépouiller d'Avignon et du Comtat. L'autorité temporelle du pape ne ressemblait pas à la puissance absolue des princes héréditaires. Le serment qu'il avait prêté à son sacre l'obligeait à garder intact le patrimoine dont il avait la gestion. Il n'était donc pas libre d'aliéner Avignon ; ses résistances lui étaient dictées par un devoir supérieur. D'autre part, l'intérêt des Avignonnais ne demandait pas leur réunion à la monarchie française... Cela est si vrai que la grande majorité des Avignonnais et des Comtadins ne demandaient pas leur réunion à la France, Ils firent, au contraire, une opposition ouverte au mouvement des patriotes. P. PISANI, dans la Revue des questions historiques du 1er octobre 1911, p. 528.
[43] P. DE LA GORCE, I, 351.
[44] Ami de la Religion, t. XIII, p. 165.
[45] PICOT, Mémoires, t. VI, p. 52.
[46] Mercure de France du 8 janvier 1791.
[47] C'était Emmery. Il appartenait à la religion israélite.
[48] Lettre de M. de Béthisy, évêque d'Uzès, 5 janvier 1791, lue dans la séance de l'assemblée du 22 février 1791.
[49] Brienne n'attendit pas l'effet de la menace du pape. Il se démit de ses fonctions cardinalices, et cet ancien ministre de Louis XVI passa au jacobinisme.
[50] Bref Quod aliquantum, GUILLON, Brefs et Instructions de Pie VI, 2 vol. in-8°, Paris, 1798, t. I, p. 104-262.
[51] Bref Charitas, BARBERI, Bullarium,
t. IX, p. 11-18.
[52] BARBERI, Bullarium, t. IX, p. 13.
[53] BARBERI, Bullarium, t. IX, p. 17.
[54] BARBERI, Bullarium, t. IX, p. 17-18.
[55] Cité par SICARD, l'Ancien Clergé de France, t. II, p. 51. M. Picot nous dépeint l'impression que lui causa, en 1789, la vue de ce prélat tout fourré d'hermine et de soie, se drapant comme une femme pour la représentation, prélat de cour, qui n'avait rien de sérieux dans le caractère. Cité, Ibid., p. 50.
[56] Voir, sur M. de Savine, l'excellente monographie de Simon BRUGAL (Firmin BOISSIN), le Schisme constitutionnel dans l'Ardèche, La Font de Savine, 1 vol. Toulouse, 1889. Au milieu de ses égarements, Savine avait toujours conservé un fond de générosité et de bonté. Retiré à Paris, il eut l'honneur d'être emprisonné pendant sept mois à la Conciergerie pour avoir essayé de soustraire à la mort un innocent. C'est là que la grâce de la conversion le toucha. Les entretiens qu'il eut, dans sa prison, avec un vénéré prêtre, André-Georges Brumauld de Beauregard, ancien supérieur de la communauté des philosophes au séminaire de Saint-Sulpice, lui ouvrirent les yeux sur ses égarements. A l'âge de soixante-dix ans, il se retira à Embrun, dans l'hôtel de sa famille, et s'y livra aux austérités les plus rigoureuses, Sur le fait de la conversion de M. de Savine par M. de Beauregard, voir BERTRAND, Bibliothèque sulpicienne, t. III, p. 190-191.
[57] L. MADELIN, la Révolution, p. 154.
[58] Gobel, auxiliaire de l'évêque de Bâle pour la partie française de son diocèse, ne comptait pas parmi les prélats de l'Eglise de France, C'est pourquoi on ne compte généralement que quatre évêques jureurs : Talleyrand Jarente, Savine et Loménie de Brienne. Il faut y ajouter deux prélats non chargés d'un diocèse : Miraudot ; évêque de Babylone, et Martial de Loménie, coadjuteur de son frère à Sens.
[59] PISANI, Répertoire biographique de l'épiscopat constitutionnel, Paris, 1906, p. 5359. Cf. G. GAUTHEROT, Gobel, 1 vol. in-8°, Paris, 1911.
[60] D'après les calculs les plus sûrs, les prêtres assermentés du clergé de Paris durent être alors au nombre de 800. PISANI, t. I, p. 218. Beaucoup se rétractèrent dans la suite.
[61] Henri Grégoire, né à Veho, près de Lunéville, le 4 décembre 1750, couronné à 23 ans par l'Académie de Nancy pour un Éloge de la poésie, peu après par celle de Metz pour son Essai sur la régénération des Juifs, était curé d'Emberménil quand le clergé lorrain l'envoya siéger aux états généraux. Devenu le chef de l'Eglise constitutionnelle, Grégoire entretint avec ses partisans, évêques, prêtres et laïques, une immense correspondance. Les milliers de lettres qu'il en reçut ont été sauvées de la destruction. Classées méthodiquement par département, elles sont aujourd'hui en la possession de M. Gazier, professeur à la Sorbonne, et c'est grâce à la communication de ces lettres que M. l'abbé Pisani a pu, dans son Répertoire biographique de l'épiscopat constitutionnel, Paris, 1907, puis dans ses quatre volumes sur l'Eglise de Paris et la Révolution, Paris, 1908-1912, renouveler la biographie de plus d'un prélat de cette époque et l'histoire de plus d'un événement. Révolutionnaire, Grégoire ne manqua jamais une occasion de se le dire ; mais, philosophe à la manière de Voltaire, de Rousseau et des encyclopédistes, il ne le fut jamais. Nul n'a flétri la doctrine morale et religieuse de ces hommes avec plus d'indignation. J'ai vu, écrit-il dans ses Mémoires, que ces philosophes, toujours parés des grands mots d'humanité, de probité, avaient deux doctrines différentes, l'une pour la théorie, l'autre pour la pratique. Jean-Jacques a fait les Confessions et son hypocrite Vicaire savoyard ; l'auteur du Dictionnaire philosophique est aussi celui de la Pucelle ; Diderot écrit des impiétés et un roman impur ; Wilkes et Lewis sont incrédules ; Parny, dans un même ouvrage, réunit ce que l'impiété et le crime contre nature ont de plus hideux. GRÉGOIRE, Mémoires, 2 vol. in-8°, Paris, 1837, t. II, p. 3.
[62] P. DE LA GORCE, I, 410-411.
[63] Voltaire avait raillé la mode récente des prélats de son temps, qui commençaient, disait-il, à monseigneuriser.
[64] Sous le consulat, cependant, nous voyons que les évêques constitutionnels ne reçoivent plus le titre de Monseigneur, mais celui de Révérendissime. D'Orlodot, évêque de Laval, intitule ainsi un de ses mandements : Mandement du Révérendissime évêque de Laval. On désigne alors les prêtres par le titre de vénérable, on dit : le vénérable Coisnard. Isidore BOULLIER, Mémoires ecclésiastiques, 1 vol. in-8°, Laval. 1846, p. 357.
[65] Voir PISANI, Répertoire biographique, p. 335-337. Porion, évêque du Pas-de-Calais, ancien curé de Saint-Nicolas, apostasia, livra ses lettres de prêtrise, se maria, et eut pour successeur, en 1797, Asselin, curé du Saint-Sépulcre à Saint-Omer, qui fut sacré à Paris le 8 octobre. Asselin faisait ses courses monté sur un âne, pour se distinguer des fastueux évêques de l'ancien régime. Cette manière patriarcale de voyager lui valut le surnom d'évêque à baudet (Note communiquée par M. le chanoine Bled, de Saint-Omer). Cf. DERAMECOURT, le Clergé du diocèse d'Arras pendant la Révolution, t. IV, p. 164-177, 200-274.
[66] Deville fut évêque des Pyrénées-Orientales (diocèse d'Aleth) ; Rodrigue, de la Vendée.
[67] Voir cependant, sur Villar, BOULLIER, Mémoires ecclésiastiques, p. 60-61, 319-320.
[68] P. PISANI, Répertoire biographique, p. 25.
[69] Il y avait 83 évêques constitutionnels, autant que de départements.
[70] PISANI, Répertoire biographique, p. 70-71.
[71] PISANI, Répertoire biographique, p. 377-382.
[72] Plusieurs jansénistes, d'ailleurs, combattirent la Constitution civile ; tels furent Jubineau et Maultrot ; d'autres, comme M. de Noé, évêque de Lescar, le P. Tabarand, oratorien, le P. Lambert, dominicain, et un certain nombre de parlementaires, combattirent la Révolution elle-même. D'autre part, Dufraisse et Volfius, tous les deux anciens jésuites, restèrent toujours des adversaires des jansénistes, même lorsqu'ils eurent adhéré pleinement aux principes de la Révolution et qu'ils furent entrés dans l'épiscopat constitutionnel, le premier comme évêque du Cher, le second comme évêque de la Côte-d'Or. S'appuyant sur ces faits, le constitutionnel Mounier a soutenu Sue le jansénisme n'avait eu aucune influence sur la Révolution. J.-J. MOUNIER, De l'influence attribuée aux philosophes, aux francs-maçons et aux illuminés sur la Révolution de France, un vol. in-8°, Paris, 1828, 2e édition, p. 6364. La conclusion de Mounier est inexacte.
[73] PISANI, op. cit., p. 377-382. M. Pisani cite in extenso son curieux testament. Le Répertoire biographique de M. Pisani est désormais la base de toute étude sur l'épiscopat constitutionnel. Chaque notice est accompagnée d'une bibliographie abondante et sûre.
[74] On verra cependant tel prélat émigré refuser plus tard d'accepter le concordat, ou refuser au pape la démission qui lui sera demandée.
[75] M. d'Aviau fut le premier évêque qui rentra en France.
[76] PISANI, Répertoire, p. 17. Quinze évêques refusèrent, malgré toutes les sollicitations de leurs amis, malgré les périls extrêmes de la situation, d'abandonner leurs diocèses.
[77] TAINE, les Origines, t. V, p. 34-38.
[78] TAINE, les Origines, t. V, p. 147.
[79] Le décret du 20 novembre 1792, établissant le divorce, débute ainsi : L'Assemblée nationale, considérant combien il importe de faire jouir tous les Français de la faculté du divorce, qui résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte, décrète : 1° Le mariage est dissous par le divorce ; 2° le divorce a lieu par consentement mutuel des époux.
[80] Décrets du 18 juin et du 25 août 3792.
[81] Décret du 19 juin 1792.
[82] Cité par TAINE, V, 157.
[83] Moniteur, séance du 22 juin 1792.
[84] Moniteur, décret du 8 février.
[85] Au club des Girondins, le 9 avril, Vergniaud, président, accueillit et complimenta ces galériens.
[86] Moniteur, séance du 14 janvier 1792.
[87] Mercure de France du 23 décembre, séance du 13 décembre.
[88] Mercure de France du 12 novembre, séance du 31 octobre 1792.
[89] Moniteur, séance du 5 janvier 1792.
[90] Moniteur, séances du 3 avril, du 26 août, du 13 novembre.
[91] Comme Sieyès, Bernis était entré au séminaire de Saint-Sulpice et avait été prié par ses maitres d'en sortir.
[92] GENDRY, Pie VI, t. II, p. 152.
[93] Ce traitement lui était dû aux termes de l'article 3 du décret du 24 juillet 1790.
[94] F. MASSON, Bernis, p. 504-505.
[95] GENDRY, Pie VI, t. II, p. 156-155.
[96] F. MASSON, Bernis, p. 560.
[97] Cette lettre, reproduite par le Journal ecclésiastique de Barruel en juin 1792, ne parvint sans doute pas à son adresse. Voir PICOT, Mémoires, t. VI, p. 173-175, et Isidore BOULLIER, Mémoires ecclésiastiques concernant le clergé de Laval, 1 vol. in-8°, Laval, 1846, p. 103-105.
[98] Voir PICOT, VI, 176-177, d'après une brochure intitulée : Exposé sincère de la situation des catholiques à Luçon.
[99] Nouveau compte-rendu au roi, brochure in-8° de 32 pages. Moniteur du 26 avril 1792.
[100] Sur ce point, voir GENDRY, II, 155-157.
[101] GENDRY, II, 181.
[102] GENDRY, II, 182.
[103] Torné était un ancien doctrinaire. Le 5 février 1792, on avait pu lire dans les Révolutions de Paris, sous la plume de Prudhomme, qui avait pourtant des lettres, cette ineptie : Jésus-Christ n'a pas porté l'habit religieux. En voulez-vous la preuve ? Allez voir les tableaux de Jouvenet à Saint-Martin-des-Champs.
[104] PICOT, VI, 183.
[105] PICOT, VI, 183.
[106] D'après la loi du 22 décembre 1789, les membres des directoires de département et de district étaient choisis par une élection à deux degrés, au scrutin secret et à la majorité des voix. La loi du 27 mai 1792 fut surpassée en rigueur par la loi du 26 août de la même année.
[107] On estime que plus de 1.600 individus périrent, à Paris seulement, et, sur ce nombre, 217 ecclésiastiques qui se répartiraient ainsi : 113 aux Carmes, 76 à Saint-Firmin, 24 à l'Abbaye, 4 à la Force, 2 ailleurs. M. Lenotre (Massacres de septembre, Paris, 1907, p. 283) propose le chiffre approximatif de 1.614 victimes.
[108] Abbé CARON, les Confesseurs de la foi, t. I, p. 1.
[109] A l'occasion de ce tragique événement, M. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, publia, le 10 août 1792, une touchante instruction pastorale. Il y déplorait amèrement la faute qu'il avait commise en apposant le sceau royal sur la Constitution civile. Voir des passages de cette instruction dans JAGER, Histoire de l'Eglise de France pendant la Révolution, t. III.
[110] MOLLIER, Saints et pieux personnages du Vivarais, Privas, 1895, p. 197 et s. ; F. MOURRET, la Vénérable Marie Rivier, Paris, Desclée, 1898, 1 vol. in-8°, p. 67-68.
[111] CARON, les Confesseurs de la foi, t. I, p. 155.
[112] PICOT, Mémoires, t. VI, p. 191.
[113] CARON, les Confesseurs de la foi, t. I, 25 ; GUILLON, les Martyrs de la foi, au mot Pochet.
[114] PICOT, Mémoires, VI, 192 ; GUILLON, Les Martyrs de la foi, au mot Chaudet.
[115] L. MADELIN, p. 246.
[116] L. MADELIN, p. 246.
[117] Le directoire de Paris, suspect de modération, avait dû donner sa démission le 23 juillet. Les jacobins, dont l'influence était toute-puissante sur les quarante-huit sections, firent décider que chaque section nommerait un ou plusieurs commissaires, pour aider au gouvernement de Paris. Le 9 août, ces commissaires se constituèrent en une assemblée qui, sous le nom de Commune de Paris, s'éleva au-dessus de l'Assemblée législative, s'empara du pouvoir exécutif, organisa la persécution et les massacres. Marat y régnait en maitre. Danton, qui n'aimait point Marat ni la Commune, lesquels gênaient son pouvoir, se sentit débordé ; il laissa faire ; bien plus, il favorisa la Commune et Marat, devint sciemment leur complice, et se glorifia de cette complicité. Cf. MADELIN, p. 253-255, 259.
[118] Sur l'abbé Savine et sur son arrestation, voir GOSSELIN, Vie de M. Emery, t. I, p. 290, 285-286. La communauté des clercs de Saint-Sulpice était établie dans la rue Cassette, à la troisième maison à gauche, en entrant par la rue du Vieux-Colombier. Cf. DOM LECLERCQ, les Martyrs, XI, 46-48.
[119] Sur l'invasion du séminaire d'Issy, voir GOSSELIN, t. I, p. 288-294.
[120] Cité par JAGER, Histoire de l'Eglise catholique en France, t. XIX, p. 512, édit. de 1873.
[121] Sur le séminaire des Robertins qui avait pris ce nom d'un de ses supérieurs, M. Robert, voir FAILLON, Vie de M. Olier, t. III, p. 100, et GOSSELIN, t. I, p. 58. Sur l'arrestation de M. Gallais, voir GOSSELIN, t. I, p. 295-298.
[122] PICOT, VI, 213 ; MADELIN, 253.
[123] MICHELET, Histoire de la Révolution, t. LV, p. 121.
[124] SENAR, Relations puisées dans les cartons des comités de salut public et de sûreté générale, mss., ch. VII ; GUILLON, les Martyrs de la foi, t. I, p. 169.
[125] Journal des Jacobins, n° 201.
[126] Souvenirs inédits de M. Letourneur, cités par Alexandre SOREL, le Couvent des Carmes, 2e édition, 1 vol. in-12, Paris, 1864, p. 78.
[127] Relation de l'abbé Montfleury (Archives du Séminaire de Saint Sulpice, Papiers Emery, t. III, p. 3.777).
[128] G. LENOTRE, les Massacres de Septembre, Paris, 1907, p. 9.
[129] G. LENOTRE, les Massacres de Septembre, p. 331.
[130] G. LENOTRE, les Massacres de Septembre, p. 331.
[131] Il en reste d'importants fragments et une façade intacte, qu'on peut apercevoir en pénétrant dans la cour de la maison portant le n° 14 bis de la rue de l'Abbaye.
[132] MÉHÉE, dans LENÔTRE, les Massacres de Septembre, p. 177.
[133] D'après les documents publiés par GRANIER DE CASSAGNAC dans son Histoire des Massacres de Septembre, on croyait, jusqu'à ces dernières années, que le massacre avait eu lieu sur le seuil même de la prison. La publication faite en 1896 par M l'abbé BRIDIER des Mémoires de M. de Salamon, internonce, qui fut lui aussi spectateur des assassinats, a prouvé qu'ils eurent lieu au cœur même de l'Abbaye, dans la cour du jardin, sous les fenêtres du bâtiment des hôtes. Voir le plan dans LENÔTRE, p. 168-569.
[134] Relation de l'abbé Sicard, reproduite par DOM LECLERCQ, les Martyrs, t. XI, p. 70.
[135] Relation de Méhée de Latouche, reproduite par LENÔTRE, p. 178-182.
[136] MÉHÉE, ap. LENÔTRE, p 182.
[137] Relation de l'abbé BERTHELET DE BARBOT.
[138] L'original du procès-verbal de cette séance a été trouvé aux Archives du palais de justice par Dom Leclercq et publié par lui pour la première fois en 1912, dans les Martyrs, t. XI, p. 67.
[139] Relation de l'abbé BERTHELET DE BARBOT, reproduite par LENÔTRE, p. 253.
[140] GUILLON, les Martyrs de la foi, t. III, p. 39.
[141] C'est l'opinion de M. Alexandre SOREL, dans son ouvrage sur le Couvent des Carmes, p. 132. Il y a une analogie saisissante entre le procédé employé aux Carmes et celui que Maillard fera prévaloir, deux heures plus tard, à l'Abbaye. Cf. LECLERCQ, p. 77.
[142] A la Force fut immolé l'abbé Jean-Baptiste Bottex, dont M. Dementhon a publié la très intéressante biographie. DEMENTHON, Vie de l'abbé Bottex, un vol. in-8°, Paris, Lecoffre, 1903.
[143] Relation de Méhée, LENÔTRE, p. 187.
[144] Cf. LENÔTRE, p. 191-192.
[145] Cf. TAINE, les Origines, t. VI, p. 56-57 ; MORTIMER-TERNAUN, Histoire de la Terreur, t. III, p. 399, 592, 602-606. Un procès d'information a été entrepris, en 1901, par l'ordre de S. E. le cardinal Richard pour la canonisation des prètres mis à mort pour la foi pendant les journées de Septembre 1792. Les recherches de Mgr de Teil ont abouti à la présentation d'une liste de 217 martyrs. Voir cette liste dans LECLERCQ, les Martyrs, t. XI, p. 137 et s. Les découvertes faites par Mgr de Teil aux Archives nationales lui ont permis de relever plusieurs inexactitudes échappées aux patientes études d'Alexandre Sorel, L'érudit prélat a fait remarquer, dans un intéressant rapport du 5 juillet 1904, que les martyrs de Septembre apparaissent comme une représentation de la France ecclésiastique. Ils appartiennent à tous les degrés de la hiérarchie ; le clergé séculier y est associé aux ordres religieux ; Bayonne et Nancy, Brest et Lyon, Boulogne-sur-Mer et Embrun y sont également représentés. Voir A.-C. SABATIÉ, les Massacres de septembre : les Martyrs du clergé, un vol. in-8°, Paris, Beauchesne, 1912.
[146] La responsabilité de Danton dans les massacres de Septembre, responsabilité niée par M. AULARD, Histoire générale, t. VIII, p. 152, 155-156, a été longuement étudiée par M. Seligman, dans un mémoire lu à la séance du 27 janvier 1912 de l'Académie des sciences morales et politiques. Des documents indiqués par M. Seligman, il résulte que Danton, comme Roland, a d'abord laissé faire les massacres. Il n'est intervenu que lorsqu'il a vu les girondins menacés d'être atteints. Son intervention auprès de Robespierre a alors amené la fin des massacres, qui s'arrêtèrent le 6 septembre. En tout cas, ainsi que l'a fait observer M. Welschinger dans la même séance, on ne saurait trop insister sur la responsabilité personnelle de Danton comme ministre de la justice.
[147] Cité par PAPON, Histoire de la Révolution, t. VI, p. 277.
[148] PICOT, VI, 220.
[149] PICOT, VI, 221.
[150] PICOT, VI, 222.
[151] Voir PICOT, VI, 223. A Gacé, en Normandie (Orne), quatre ecclésiastiques, se rendant au Havre, furent égorgés ; le père Valframbert, capucin, fut mis à mort à Alençon avec des raffinements atroces de cruauté ; l'abbé Loiseau fut jeté dans une rivière et retenu dans l'eau jusqu'à ce qu'il expirât ; quatre prètres de Saint-Sulpice se dirigeant vers la frontière de l'Est, furent assommés à Couches, près d'Autun ; l'abbé Cartier, vicaire de Sainte-Madeleine, à Aix, fut massacré à Antibes en se rendant en Italie. On pourrait ajouter bien d'autres noms à cette liste. Sur le meurtre du P. Valframbert, voir DOM PIOLIN, l'Eglise du Mans pendant la Révolution, t. II, p. 144 et s., et DOM LECLERCQ, les Martyrs, t, XI, p. 151 et s.
[152] TAINE, t. VI, p. 65.
[153] Pendant les massacres de Septembre, Danton avait sauvé la vie à l'abbé Lhomond, son ancien professeur ; Robespierre, ancien élève de l'abbé Bérardier, l'avait également arraché à la mort ; Maillard lui-même contribua, par un semblant de tribunal improvisé, à sauver la vie à plusieurs prisonniers. LENOTRE, les Massacres de Septembre, p. 331. Robespierre aimait à faire l'aumône aux pauvre (LENÔTRE, Vieilles maisons, II, 62-63) ; Hébert écrivait le Père Duchesne à côté de sa femme en prière (ibid., II, 377-378) et Fouquier-Tinville portait au cou une médaille de la Vierge (ibid., II, 289). Sur ce dernier, voir A. DUNOYER, Fouquier-Tinville, un vol. in 8°, Paris, 1953.
[154] Annales catholiques, t. I, p. 466.
[155] MÉRIC, Histoire de M. Emery, t. I, p. 273 et s.
[156] MÉRIC, Histoire de M. Emery, I, 272.
[157] La Compagnie de Saint-Sulpice comptait, en 1791, cent cinquante membres environ. De 1792 à 1794, dix-huit d'entre eux versèrent leur sang pour la foi. Voir GOSSELIN, Vie de M. Emery, t. II, p. 451 et s. Presque toutes les communautés religieuses furent représentées dans le sanglant martyrologe. Les jésuites, dispersés depuis vingt-cinq ans, se trouvèrent présents au moment où il fallut offrir sa vie à la cause de Dieu et de l'Eglise. Sur les deux cent dix-sept martyrs des Carmes, au 2 Septembre, on compte vingt-quatre jésuites, soit le huitième des victimes.
[158] MÉRIC, Histoire de M. Emery, I, 326-327.
[159] Dom PIOLIN, dans son ouvrage l'Eglise du Mans pendant la Révolution, t. II, p. 93, a prétendu que Pie VI avait, par une décision adressée au chapitre de Chambéry, condamné le serment de liberté-égalité comme formellement coupable. M. MISERMONT, dans un article de la Revue des études historiques de janvier-février 1910, a publié le texte de cette décision, et, abandonnant l'opinion de Dom Piolin, conclut seulement que le pape, tout en respectant les personnes de ceux qui ont juré, est nettement contraire au serment lui-même. Nous ne saurions partager cette conclusion. Le pape déclare seulement : 1° que le serment devra être tenu pour mauvais s'il se trouve, de par les circonstances, faire corps avec les autres décrets hérétiques et schismatiques qui ont pour fin d'anéantir l'Eglise ; 2° que ceux qui ont prêté le serment avec une conscience douteuse auront à se mettre en règle avec leur conscience. Ce sont là deux solutions particulières de cas de conscience que M. Emery n'eut sans doute jamais la pensée de mettre en question, car elles ne sont que l'application des principes les plus généraux de la théologie morale. Voir saint Alphonse de LIGUORI, Théol. morale, I. III, n° 148. Sur la question du serment, voir, outre les ouvrages déjà cités, J. MEILLOC, les Serments pendant la Révolution, publié par l'abbé UZUREAU, 1 vol. in-12, Paris, 1904.
[160] Nous avons sous les yeux une feuille qui circula parmi les fidèles à cette époque. La barque de Pierre, y dit-on, est violemment agitée, et la tempête répand une telle obscurité qu'à peine voit-on à se conduire... Pierre et André rament d'un côté, Jacques et Jean rament de l'autre ; tous les quatre ont sans doute intention de sauver la barque, mais ils la mettent peut-être en grand péril. Où serons-nous en sûreté ? C'est sans doute au milieu. Demeurons entre les quatre rameurs ; ne faisons schisme avec personne. Oui, tenons-nous au milieu, aux pieds de Jésus-Christ qui semble y dormir. Eveillons-le par nos prières. Crions-lui : Seigneur, sauve-nous, nous périssons, afin qu'il se lève, qu'il commande à la tempête et qu'il nous rende le calme. Ainsi prièrent les catholiques. Les francs-maçons n'avaient pas eu de telles anxiétés. Dans une adresse non datée, mais composée à l'occasion de la fête de la Fédération, la loge de Draguignan s'exprimait ainsi : Nous jurons, foi de maçons, de maintenir de tous nos moyens la Constitution, et, s'il le faut, de combattre avec le glaive flamboyant l'aristocratie, le despotisme et tous les tyrans de la terre... Dans notre vaste république de frères, nos liaisons peuvent devenir les conducteurs de cette électricité civique qui doit établir, dans la machine du monde, un équilibre de bonheur. Archives nationales, C 123, n° 398, cité dans la Revue des questions historiques, t. LXXXVIII, 1910, p. 532-534.
[161] On doit à la Convention l'institution du grand livre de la dette publique, l'unité des poids et mesures, la création de l'Institut, de l'Ecole normale, de l'Ecole polytechnique, de l'Ecole centrale des travaux publics, du Conservatoire des arts et métiers, de l'Institut national ou Conservatoire de musique et du Bureau des longitudes, l'organisation définitive de l'Institut des jeunes aveugles et l'ouverture du Musée du Louvre.
[162] MATTHIEU, I, 23.
[163] L. MADELIN, op. cit., p. 159. Chateaubriand a exposé d'une manière saisissante le cas de conscience que le patriotisme des émigrés se posait, et les réponses qu'ils donnaient à leurs doutes, Voir CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, édit. Edmond Biré, t II, p. 33-35, et aussi Essai sur les Révolutions, p. 428-434.
[164] PACCA, Œuvres, t. II. p. 261-262.
[165] GENDRY, Pie VI, t II, p. 195-196. Tout le chapitre XXX de cet ouvrage (p. 195-220), écrit uniquement sur des documents d'archives, est consacré à cette émigration du clergé et aux mesures prises par le pape Pie VI à cette occasion.
[166] DESDEVISES DU DÉZERT, dans l'Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. VIII, p. 727.
[167] DESDEVISES DU DÉZERT, dans l'Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. VIII, p. 728.
[168] DESDEVISES DU DÉZERT, dans l'Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. VIII, p. 729.
[169] Archives vaticanes, Nunziat. di Madrid, cité par GENDRY, Pie VI, t, II, p. 196.
[170] Dépêche du nonce d'Espagne, citée par GENDRY, Pie VI, t, II, p. 197.
[171] Voir le témoignage donné de ce fait par l'abbé Nicard dans l'Ami de la Religion, t II, 1814. Cf. BARRUEL, Histoire du clergé, p. 342.
[172] C'est le chiffre que donne M. l'abbé J. CONTRASTY dans son intéressante étude : le Clergé français exilé en Espagne (1792-1802), 1 vol. in-8°, Toulouse, 1910.
[173] SAYOUS, dans l'Histoire générale, t. VIII, p. 644.
[174] Edmond BURKE, Réflexions sur la Révolution de France, traduction française par J.-A. A., 1 vol. in-8°, Paris, 1819, p 109, 137, 207, 225 et passim.
[175] L'évêque de Saint-Pol-de-Léon, poursuivi par la maréchaussée, s'y était rendu en 1791 et s'était fixé à Londres. Il y demeura presque seul jusqu'au mois d'adit 1792. Abbé DE LUBERSAC, Journal historique et religieux, de l'émigration et de la déportation du clergé de France en Angleterre, 1 vol. in-8°, Londres, 1802, p. 1-2.
[176] BARRUEL, Histoire du clergé pendant la Révolution française, 1 vol. in-8°, 2e édition, Londres, 1794, p. 349.
[177] PICOT, VI, 241. Voir les détails dans LUBERSAC, Journal de l'émigration, p. 16-30. Voir aussi BARRUEL, op. cit., p. 351-355.
[178] Une des chapelles élevées alors à Londres fut fondée par François-Emmanuel Bourret, prêtre de Saint-Sulpice, sous l'invocation de Notre-Dame de l'Annonciation, King-Street. LUBERSAC, Journal de l'émigration, p. 46.
[179] CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, édition Edmond Biré, t. I, p. 178. Sur l'abbé Carron, voir une note d'Edmond Biré, ibid., p. 178-179.
[180] ANTONIN (DE SAINT-GERVAIS), Histoire des émigrés français, 3 vol. in-8°, Paris, 1828, t. II, p. 9, 13.
[181] CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 190. L'abbé DE LUBERSAC dans son Journal de l'émigration a un long chapitre intitulé : Liste des principaux ecclésiastiques français qui, pendant leur émigration à Londres, ont publié des ouvrages sur la religion, ou qui y ont quelque rapport ; courtes analyses de ces ouvrages, p. 188-275.
[182] Abbé DE MADAUNE, la Renaissance du catholicisme en Angleterre, 4e édition, p. 7-8.
[183] GENDRY, Pie VI, t. II, p. 197. M. Gendry cite plusieurs autres brefs envoyés à Mgr de Lamarche, à Edmond Burke, à André Stuart, etc.
[184] En 1793, Fichte publie la Revendication de la liberté de la pensée, adressée aux princes de l'Europe qui l'ont approuvée jusqu'ici ; en 1794, il donne au public la Rectification des jugements du public touchant la Révolution française.
[185] Klopstock, l'auteur de la Messiade, avait glorifié en vers les états généraux de France, de la même plume qui venait de célébrer l'avènement du Christ.
[186] Albert SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 175, 177-181 ; G. BLONDEL, dans l'Histoire générale, t. VIII, p. 715-722. Sur le mouvement de la philosophie politique et sociale en Allemagne à cette époque, voir Paul JANET, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, 2e édition, t. II, p. 620-684 ; Harald HÖFFDING, Histoire de la philosophie moderne, traduction Bordier, 2 vol., Paris, 1906, t. II, p. 1-17, 91-96, 139-143 et passim.
[187] B. PACCA, Relation sur sa nonciature de Cologne dans ses Œuvres complètes, trad. Queyras, 2 vol. in-8°, Paris, 1845, t. II, p. 350.
[188] PACCA, Œuvres complètes, t. II, p. 250.
[189] ANTONIN (DE SAINT-GERVAIS), Histoire des émigrés français, t. I, p. 112.
[190] PACCA, Œuvres complètes, t. II, p. 262.
[191] P. DE VAISSIÈRE, Lettres d'aristocrates, Paris, 1907.
[192] PACCA, Œuvres complètes, t. II, p. 361.
[193] PACCA, Œuvres complètes, t. II, p. 361.
[194] GENDRY, II, 199.
[195] PICOT, VI, 237, d'après un mémoire manuscrit de l'abbé de Sagey, grand vicaire du Mans, témoin oculaire des faits racontés par lui.
[196] BARRUEL, Histoire du clergé pendant la Révolution française, p. 343, 345.
[197] Un certain nombre de prêtres s'étaient aussi réfugiés en Belgique, en Hollande et en Russie.
[198] Dans un voyage en Italie, Kant se plaignait de ne pas trouver l'esprit français de sociabilité et de société. Cité par A. FOUILLÉE, Esquisse psychologique des peuples européens, 1 vol. in-8°, Paris, 1903, p. 93. Un Italien vaut plus qu'un Allemand, dit l'historien italien Ferrero, mais quatre Allemands ensemble valent plus que douze Italiens. FERRERO, l'Europa giovane, p. 376.
[199] FOUILLÉE, op. cit., p. 89.
[200] C. CANTU, les Hérétiques d'Italie, trad. Digard et Martin, t. X, p. 46-50.
[201] PINGAUD, dans l'Histoire générale, t. VIII, p. 762.
[202] Pour les détails, voir AURIBEAU, Mémoires pour servir à l'histoire de la persécution, Rome, 1794, IVe partie.
[203] GENDRY, II, 198.
[204] Voir le résumé précis de ces règlements dans GENDRY, II, 200-203.
[205] GENDRY, II, 206.
[206] LYONNET, Vie de Mgr d'Aviau.
[207] A. GUASCO, dans les Missions catholiques, 4 vol. in-4°, Paris, Armand Colin, t. I, p. 165.
[208] G. ANDRÉ, dans le Dictionnaire de théologie de VACANT-MANGENOT, au mot Amérique, t. I, col. 1054-1055. M. Guasco, loc. cit., signale aussi un couvent de carmélites térésiennes.
[209] MÉRIC, Histoire de M. Emery, t. I, p. 104-105.
[210] Edit. BIRÉ, t. I, p. 310. Un autre récit de cette traversée, rédigé par l'un des compagnons de M. Nagot, l'abbé de Mondésir, et conservé parmi les manuscrits du séminaire de Saint-Sulpice, fonds Emery, a été publié par M. Victor GIRAUD, dans ses Nouvelles études sur Chateaubriand, 1 vol. in-12, Paris, 1912, p. 156-174.
[211] G. MOREAU, les Prêtres français émigrés aux Etats-Unis, 1 vol. in-12, Paris, 1856 p. 81-87.
[212] Sur Gabriel Richard, prêtre de Saint-Sulpice, né à Saintes le 15 octobre 1767, de François Richard et de Marie-Geneviève Bossuet, voir BERTRAND, Bibliothèque sulpicienne, t. II, p 107 et s. La ville de Détroit a élevé une statue à Gabriel Richard, comme à l'un des hommes les plus éminents de l'Etat du Michigan.
[213] GENDRY, II, 156. Le mémoire envoyé par le pape à tous les nonces, à ce sujet, est du 29 mai 1791.
[214] Par exemple, dans l'affaire Ratter et Chinard, voir GENDRY, II, 222. Mackau avait été envoyé à Naples par Dumouriez, comme ministre plénipotentiaire, le 30 avril 1792.
[215] GENDRY, II, 184, note 2, 223, note 1.
[216] F. MASSON, les Diplomates de la Révolution.
[217] GENDRY, Pie VI, t. II, p. 226 ; ARTAUD DE MONTOR, Histoire des Souverains Pontifes, t. VIII, p. 309-311. Moniteur du 4 février 1793, p. 166, col. 2 et 3.
[218] GENDRY, I, 228-232. Le Moniteur du 4 février 1793 reproduit la relation de Digne, consul de France à Reine, qui reconnaît en substance les faits relatés ci-dessus.
[219] Voir leurs noms dans PICOT, Mémoires, VI, 265-266.
[220] Albert SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 269-270.
[221] THEINER, Documents inédits relatifs aux affaires religieuses de France, 1790-1800, Paris, 1857, t. I, p. 177-191.
[222] Moniteur du 12 mars, p. 324, col. 2.
[223] Moniteur du 12 mars, p. 325, col. 3.
[224] Voir le texte complet du décret dans le Moniteur du 12 mars, p. 326, col. 2 et 3.
[225] Moniteur du 12 mars, p. 326, col. 2 et 3.
[226] Moniteur du 12 mars, p. 368, col. 3.
[227] Moniteur du 20 mars 1793, p. 357, col. 3.
[228] Lud. SCIOUT, Hist. de la Constitution civile du clergé, t. III, p. 378.
[229] Moniteur du 2 brumaire an II (23 octobre 1793), p. 128, col. 3 ; 129, col. 1.
[230] L. SCIOUT, Hist. de la Constitution civile du clergé, t. III, p. 378.
[231] Cité par SCIOUT, Hist. de la Constitution civile du clergé Hist. de la Constitution civile du clergé, t. III, p. 279-382.
[232] MANSEAU, les Prêtres et religieux dépariés dans la Charente-Inférieure, 2 vol. in-8°, Paris, Lille, Desclée, 1886. Cf. Em. SEVESTRE, La déportation du clergé orthodoxe pendant la Révolution. Registre des ecclésiastiques insermentés embarqués dans les principaux ports de France (1792-1793), Paris, un vol. in-8°, 1913.
[233] Moniteur du 2 brumaire an II (23 octobre 1793), p. 129, col. 1.
[234] Moniteur du 2 brumaire an II (23 octobre 1793), p. 129, col. 1.
[235] Moniteur du 19 septembre 1793, p. 1111, col. 1.
[236] Bulletin des lois, no 1, t. I, p. 1-7.
[237] GRÉGOIRE, Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme, séance du 14 fructidor an II, réimprimé à Caen en 1867. Voir notamment p. 44 et s.
[238] PICOT, VI, 311.
[239] TAINE, VIII, 66.
[240] TAINE, VIII, p. 82.
[241] Paroles de Desmoulins, citées par TAINE, VIII, 82.
[242] Sur le vandalisme de la Convention, voir les détails donnés dans les Nouvelles ecclésiastiques du 25 novembre 1793 ; voir aussi PICOT, Mémoires, t. VI, p. 314-317, GOSSELIN, dans sa Notice sur les instruments de la passion qui se conservent à l'église métropolitaine, raconte comment les reliques de la vraie croix et de la sainte couronne d'épines, vénérées à Notre-Dame, furent soustraites aux profanateurs.
[243] D'HOLBACH, Système de la nature, t. II, ch. XIII.
[244] H. WALLON, la Terreur, études critiques sur l'histoire de la Révolution française, 2 vol. in-12, Paris, 1885, 2e édition, t II, p. 283. Le calendrier républicain était l'œuvre du mathématicien Romme et du poète Fabre d'Eglantine. L'an premier dut commencer le 22 septembre 1792, jour de la proclamation de la République. Il a été publié un Manuel de concordance des calendriers républicains et grégoriens, 1 vol. in-12, Paris, Renouard, 1806. En voici le résumé :
AUTOMNE |
PRINTEMPS |
Vendémiaire
(septembre-octobre). |
Germinal
(mars-avril). |
Brumaire
(octobre-novembre). |
Floréal
(avril-mai). |
Frimaire
(novembre-décembre). |
Prairial (mai
juin). |
HIVER |
ÉTÉ |
Nivôse
(décembre-janvier). |
Messidor
(juin-juillet). |
Pluviôse
(janvier-février). |
Thermidor
(juillet-août). |
Ventôse (février-mars). |
Fructidor
(août-septembre). |
A chaque fin d'année, il y avait cinq jours complémentaires ou épogomènes.
[245] C'est le chiffre donné par M. PISANI, Répertoire biographique, p. 28.
[246] Moniteur du 8 novembre 1793, p I95, col. 3. Le rapporteur déclara à ce propos que le législateur ne reconnaissait de culte que celui de la liberté, d'autel que celui de la patrie, de pontifes que les magistrats du peuple. Ibid. Ces mots, dit le Moniteur, furent applaudis par l'assemblée.
[247] Nous possédons trois relations des événements qui se cassèrent dans cette nuit tragique : celle de Gobel lui-même, celle de l'abbé Grégoire et celle d'un vicaire général de Gobel, Amable Lambert. Voir le récit de ce dernier dans l'Ami de la religion, t. CXXXVI, p. 239-242. Ces trois récits diffèrent sur certains détails, mais s'accordent à reconnaître que Gobel ne céda qua par la terreur à l'ultimatum qui lui fut brutalement signifié.
[248] Nouvelles ecclésiastiques, 11 septembre 1793 ; AULARD, le Culte de la Raison, p. 446 ; Moniteur du 9 novembre 1793, p. 199, col. 1.
[249] Sieyès ne fit son abjuration que le 9 novembre. Citoyens, dit-il, j'ai abdiqué depuis un grand nombre d'années tout caractère ecclésiastique... Je n'ai point de démission à vous donner ; mais j'ai une offrande à faire à la patrie, celle de 10.000 livres de rentes que la loi m'avait conférées. Moniteur du 11 novembre, p. 208, col. 2. Julien de Toulouse était un ancien pasteur protestant.
[250] GAZIER, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, p. 212-214. Le Moniteur du 19 brumaire, p. 200, col. 2, donne une version différente, que GRÉGOIRE, dans son Histoire des sectes religieuses, traite d'odieuse falsification. On a bien des preuves, en effet, que le Moniteur, rédigé par des hommes de parti, a souvent falsifié les discours des orateurs. Le texte que noua donnons est celui que donne Grégoire. N'a-t-il pas remanié son discours ? C'est possible. M. Gazier le reconnaît. Mais ce qui est acquis, c'est que Grégoire, sommé d'apostasier, refusa énergiquement. PISANI, II, 65.
[251] On n'a pu identifier la personne qui figura la Raison dans cette circonstance Ce fut probablement une chanteuse de théâtre. James GUILLAUME, Etudes révolutionnaires, Ire série, p. 54-55 Ce n'est que par métaphore oratoire qu'on a pu parler de femme légèrement vêtue et assise sur l'autel. PISANI, II, 70. Le spectacle, tel qu'il eut lieu, est assez douloureux pour qu'on n'en exagère pas les circonstances.
[252] Les écrivains les plus favorables à la Révolution, écrit un historien libéral, ne s'attardent plus guère à justifier ces excentricités. Ils se bornent à invoquer pour elles des circonstances atténuantes. M. Mulard prétend qu'il n'y faut voir qu'un expédient employé par la Révolution pour vaincre l'Eglise insurgée contre l'Etat... Le mieux est peut-être encore de voir dans la fête de la Raison une farce énorme. DESDEVISES DU DÉZERT, l'Eglise et l'État en France (1598-1801), Paris, 1907, p. 313. On doit y voir de plus un horrible sacrilège.
[253] Voir, au chapitre précédent, le discours de Robespierre prononcé pendant la discussion de la Constitution civile.
[254] Le 9 juillet, la Convention déclare qu'aucune loi ne privera de leur traitement les prêtres mariés ; le 29 du même mois, elle décrète que les évêques qui apporteront quelque obstacle au mariage des prêtres, seront déportés ou remplacés ; le 12 août, elle annule toutes les destitutions qui auraient été prononcées contre des prêtres à l'occasion de leur mariage ; le 17 septembre, elle ordonne que si un prêtre est inquiété à l'occasion de son mariage, il pourra se retirer ailleurs et toucher son traitement aux frais de la commune qui l'aura persécuté ; la loi du 15 novembre, enfin, déclare que les ministres du culte catholique qui se trouvent mariés ne seront pas sujets à la déportation ni à la réclusion, quoiqu'ils n'aient pas prêté les serments prescrits.
[255] Cf. PICOT, VI, 320-322.
[256] Cité par H. WALLON, la Terreur, t. I, p. 256-257.
[257] Cité par H. WALLON, la Terreur, t. I, p. 256-257. Le clergé constitutionnel de France s'accrut alors de quelques prêtres allemands, imbus des idées rationalistes. Le cardinal Pacca, dans ses Mémoires, donne des détails d'un grand intérêt sur deux de ces apostats qu'il avait personnellement connus : le P. Dereser, carme déchaussé, et le P. Schneider, franciscain. Ce dernier, d'abord vicaire épiscopal de l'évêque de Strasbourg, puis accusateur public près le tribunal criminel du Bas-Rhin, se signala par les pires excès. Il fut exécuté le le' avril 1794, convaincu d'être émissaire de l'ennemi. PACCA, Œuvres complètes, trad. Queyras, t. II, p. 267-269.
[258] Quand, après le concordat, le cardinal Caprara fut chargé de régler la situation les prêtres mariés qui demandaient à être réhabilités, il se montra justement sévère pour ces ecclésiastiques assez lâches pour avoir essayé de sauver leur vie par un simulacre de mariage.
[259] PISANI, II, 88-91.
[260] F. DE LAMENNAIS, Réflexions sur l'état de l'Église en France.
[261] BOUTARD, Lamennais, t. I, p. 14-15.
[262] Omnes partes apostolici muneris, quas sexas ferret, implebat. Décret de la Congrégation des Rites du 13 juin 1890. Cf. F. MOURRET, la Vénérable Marie Rivier, 1 vol. in-8°, Paris, 1898, p. 72-73, 93-95, 110-111, 346.
[263] Firmin BOISSIN, le Camp de Jalès, p. 156. M. Boissin démontre, dans cette étude, que, des trois fédérations de Jalès, les deux premières, composées de 80 à 40.000 hommes, en 1790 et 1791, eurent un caractère surtout catholique. La troisième, composée de 2.000 hommes seulement, fut incontestablement un mouvement royaliste, mais elle mit au premier rang de son programme la défense de la religion. Cf. Ernest DAUDET, les Conspirations royalistes sous la Révolution, Paris, 1881, p. 1 et s.
[264] GUILLON, Histoire du siège de Lyon, 2 vol. in-8°, Paris, 1797.
[265] G. LENÔTRE, le Marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne.
[266] Nous appelons Vendée, en opposant ce mot à Bretagne, l'Anjou et le Poitou. On désigne sous le nom de Vendée militaire une région bien plus étendue, comprenant les départements suivants : Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, Sarthe, Mayenne, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-du-Nord, Orne, Calvados et Manche (DENIAU, Carte de la Vendée militaire en tête de son Histoire de la Vendée.)
[267] Abbé Félix DENIAU, Histoire de la guerre de Vendée, 3 vol. in-4°, Angers, 1906-1908, t. I, p. 93 et s. Les trois premiers membres du clergé qui se réunirent au tiers état, le 13 juin 5789, étaient trois curés du bas Poitou, DENIAU, op. cit., p. 97.
[268] POUJOULAT, Histoire de la Révolution française, t. II, p. 43. Cf. MORTIMER-TERNAUX, Histoire de la Terreur, t. VI, p. 360-268.
[269] Cf. Abbé GRUGET, Histoire de la Constitution civile dans l'Anjou, écrite en 1794, et publiée dans l'Anjou historique, t. III.
[270] Cette parole, digne d'un martyr, fut prononcée dans un combat du 2 mai par un paysan de Saint-Christophe-de-Ligneron, nommé Guillon. Elle a été attestée par les gendarmes mêmes à qui elle fut adressée, et qui en furent vivement frappés. Voir DENIAU, I, 211.
[271] DUCHEMIN-DESCEPEAUX, Souvenirs de la chouannerie, 1 vol. in-8°, Laval, 1852, p. 45-47. Ce volume est la seconde édition des Lettres sur l'origine de la chouannerie, publiées en 1825.
[272] DUCHEMIN-DESCEPEAUX, Souvenirs de la chouannerie, p. 10-11.
[273] Voir de longs passages de ce rapport dans DENIAU, op. cit., I, 267-268. M. DE PRESSENSÉ, l'Eglise et la Révolution, p. 9, s'est fait l'écho de l'histoire impartiale en écrivant : Ces paroles d'un des chefs de la Gironde renferment la plus sincère condamnation de toutes les mesures de la Révolution. Elles prouvent que la guerre civile pouvait être évitée par une pratique loyale de la Constitution.
[274] DENIAU, Histoire de la Vendée, t. I, 429-431.
[275] F. DENIAU, Jacques Cathelineau, 1 vol. in-8°, Angers, 1886.
[276] F. CHARPENTIER, Jacques Cathelineau, Paris, Bloud, 1911, p. 23.
[277] Voir leurs noms dans DENIAU, I, 439.
[278] Voir René BLACHEZ, Bonchamp et l'insurrection vendéenne, d'après des documents originaux, 1 vol. in-16, Paris, 1902.
[279] DENIAU, Histoire de la Vendée, t. I, 625-626 ; Cf. Henri de La Rochejaquelein et la guerre de Vendée, Paris, Champion, 1890.
[280] Voir Eugène BOSSARD, Cathelineau, généralissime de la grande armée catholique et royale, 1 vol. in-8°, Paris, 1893.
[281] Eugène VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, 3e édition, p. 55-56. Voir l'appréciation que fait de Charette Napoléon dans le Mémorial de Sainte-Hélène, 8 novembre 1816, édit. de 1840, t. VII, p. 231. Cf. BITTARD DES PORTES, Charette et la guerre de la Vendée.
[282] La plupart des historiens fixent la date de la mort de Cathelineau au 14 juillet 1793 ; d'autres au 19. M. Célestin Port, membre de l'Institut, archiviste de Maine-et-Loire, a cru pouvoir établir qu'il est mort le 4 juillet. C. PORT, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, au mot Cathelineau. M. DENIAU maintient la date du 14 juillet, Histoire de la Vendée, t. II, 277.
[283] MORTIMER-TERNAUX, Histoire de la Terreur, t. VI, p. 269-272.
[284] C. PORT, loc. cit.
[285] Abbé DENIAU, Histoire de la Vendée, t. II, p. 233.
[286] Moniteur du 2 août 1793, p. 914, col. 2.
[287] Ses belles qualités, dit l'abbé DENIAU, Histoire de la Vendée, II, 114, étaient ternies par une ambition démesurée, un désir insatiable de tout gouverner, et par le goût de semer des divisions.
[288] Eugène VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, 3e édition, p. 137-138. L'arrêté qui obligeait les républicains à prêter serment à Louis XVII, dut bientôt être abrogé. Il n'aboutissait qu'à faire des parjures.
[289] JAGER, Histoire de l'Eglise catholique en France, t. XX, p. 146.
[290] Marquis DE SÉGUR et Ch. SAUVÉ, Un admirable martyr sous la Terreur, 1 vol. Paris, 1904, p. 153 ; UZUREAU, Noël Pinot, 1 vol. in-8°, 1912.
[291] L'abbé de Lannelongue, prêtre héroïque, qui exerçait son ministère au péril de sa vie, portait encore les habits de paysan dont il était revêtu lors de son arrestation.
[292] P. COSTE, Une victime de la Révolution, Sœur Marguerite Rutan, 1 vol. in-8°, Paris, 1904. On peut citer encore les quatre Filles de la Charité d'Arras, guillotinées à Cambrai par ordre de Le Bon. Elles ont été déclarées Vénérables par Pie X.
[293] H. CHÉROT, Figures de martyrs, 1 vol. in-8°, Paris, 1907, p. 147.
[294] Abbé REDON, vicaire général à Avignon, Les Trente-deux religieuses guillotinées à Orange en 1794, 1 vol. in-16, Avignon, 1904 p. 105. A Valenciennes, onze ursulines furent aussi conduites à l'échafaud. Leur cause est introduite en cour de Rome.
[295] Voir le texte de l'arrêté dans Alexandre SOREL, les Carmélites de Compiègne, 2 vol. in-8°, Compiègne, 1878, p. 27-28.
[296] Victor PIERRE, les Seize carmélites de Compiègne, p. 144-145.
[297] V. PIERRE, les Seize carmélites de Compiègne, p. 152.
[298] TAINE, les Origines, t. VII, p. 341.
[299] MICHELET, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 81. Comparer cette description au portrait que donne G. Lenôtre au frontispice de son livre, les Noyades de Nantes, Paris, 1911.
[300] LAMARTINE, Histoire des Girondins, liv. LIII, § 1, édit., Le Chevalier, t. III, p. 281.
[301] TAINE, VII, 340.
[302] Sur Carrier, voir G. LENÔTRE, les Noyades de Nantes, 1 vol. in-12, Paris, 1911.
[303] Mgr JAUFFRET, évêque de Metz, Mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution, 2 vol. in-8°, Paris, 1803, t. II, p. 353.
[304] Voir son ordre du jour au général Huché, en date du 2 ventôse, dans VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, p. 265-.266.
[305] C'est l'estimation que donne le conventionnel Lequinio. VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, p. 268.
[306] VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, p. 293.
[307] BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la littérature de l'Eglise, p. 1135.
[308] Cité par Eugène VEUILLOT, les Guerres de la Vendée et de la Bretagne, p. 7.
[309] PISANI, l'Eglise de Paris et la Révolution, t. II, p. 153. M. Emery, supérieur de Saint-Sulpice, ne fut mis en liberté que le 4 brumaire an III (25 octobre), et M. Duclaux, son futur successeur, resta en prison jusqu'en janvier 1795.
[310] AULARD, Etudes et leçons sur la Révolution française, t. II, p. 139.
[311] Bulletin des lois, t. III, n° 665, p. 4-5.
[312] Bulletin des lois, t. IV, n° 150, p. 10-11.
[313] J. GRENTE, le Culte catholique à Paris, de la Terreur au Concordat, 1 vol. in-4°, Paris, 1903, p. 20.
[314] GRENTE, le Culte catholique à Paris, de la Terreur au Concordat, p. 21-24 ; Victor PIERRE, l'Eglise Saint-Thomas d'Aquin pendant la Révolution, Paris, 1887 ; L. SOOTIF, Une société du culte catholique à Paris pendant la première séparation, extrait de la Revue des questions historiques, année 1903 ; A. MATHIEZ, l'Exercice du culte sous la première séparation, dans la Revue politique et parlementaire du 10 janvier 1907.
[315] Michel PICOT, dans ses Mémoires, VI, 132-133, déclare avoir lu la longue liste de ces rétractations dans un registre spécial conservé à l'archevêché de Paris. Ce registre a été perdu dans la dévastation de 1830. Picot avait remarqué, parmi les noms des rétractants, ceux de deux vicaires épiscopaux de Gobel : Gérard et Mille.
[316] Voir les Annales de l'abbé de Boulogne, t. III, p 255.
[317] Annales de la religion, t. II, p. 597, t. IV, p. 121, 145 ; PICOT, Mémoires, t. VI, p. 433-434.
[318] Cité par GAZIER, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, Paris, 1887, p. 258.
[319] Cité par GAZIER, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, p. 258.
[320] Voyez les brefs de Pie VI du 13 avril 1791 et du 13 juin 1792, HULOT, Collectio brevium Pii VI, p. 223, 278, 316, 329, etc.
[321] P. THUREAU-DANGIN, Royalistes et républicains, la Question de monarchie ou de république du 9 thermidor au 18 brumaire, p. 347.
[322] Moniteur du 17 avril 1795, p. 846, col. 2.
[323] GAZIER, Histoire religieuse de la Révolution, p. 242-244, 341-365.
[324] AULARD, Histoire politique de la Révolution, p. 535. Cf. Albert DURUY, l'Instruction publique et la Révolution ; A. PERRIN, Quelques grands ancêtres de nos manuels scolaires, dans la Revue pratique d'apologétique du 15 juillet 1911. Cf. l'ouvrage anonyme paru en 1817, le Génie de la Révolution considéré dans l'éducation ou Mémoires pour servir à l'histoire de l'instruction publique depuis 1789, par l'auteur de l'Itinéraire de Buonaparte, 3 vol. in-8°. Cet ouvrage a pour auteur Jean-Baptiste FABRY (1780-1821), fondateur en 1805 du Spectateur français.
[325] PISANI, II, 190.
[326] M. Aulard a nié que la Constitution civile ait été abolie par les lois de 1795 (Revue la Révolution française, t. LII, janvier 1907) ; mais ne dit-il pas dans son Histoire politique de la Révolution, p. 539, qu'en 1795 le clergé constitutionnel n'avait plus d'existence légale ?
[327] PISANI, II, 192.
[328] Sur ces évêques, voir PISANI, Répertoire biographique de l'épiscopat constitutionnel.
[329] Les Annales de la religion parurent jusqu'en 1803. Sur leur fondation, voir GAZIER, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, p. 282-288. Les abbés Sicard et Jauffret fondèrent en février 1796, pour combattre les Annales de la religion, les Annales religieuses et littéraires, qui devinrent bientôt, sous la direction de l'abbé de Boulogne, les Annales catholiques.
[330] Voir le texte de cette lettre dans les Annales de la religion, l. I, p. 49-58.
[331] Le registre des délibérations du presbytère de Paris est conservé dans les archives de M. Gazier.
[332] Avertissement publié par une partie de l'épiscopat, et cité par SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du clergé, t. VI, p. 398-399.