HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA LUTTE CONTRE LES DOCTRINES HÉTÉRODOXES

CHAPITRE III. — LE GALLICANISME.

 

 

Au sortir des guerres de religion, tandis que les esprits restaient agités, on cherchait toujours, dit un historien de Richelieu[1], une formule d'apaisement... Cette solution, le XVIIe siècle allait la reconnaître bientôt dans la transaction gallicane. Présenter la politique religieuse de Louis XIV comme une transaction avec le protestantisme, peut sembler un paradoxe, après les récits que l'on vient de faire. Les théories gallicanes peuvent d'ailleurs, sous les diverses formes qU'elles ont revêtues, se réclamer d'origines bien antérieures à Luther et à Calvin. Il n'en est pas moins vrai que l'état d'esprit gallican, fait de méfiance à l'égard de Rome et d'attachement excessif à une autonomie religieuse nationale, n'est pas sans analogie avec un des caractères les plus essentiels de l'esprit protestant ; et qu'il pouvait apparaître à plusieurs, à la fin des guerres religieuses, comme une transaction acceptable.

 

I

Malgré son nom, l'erreur gallicane n'a pas été propre à la France. On a déjà vu, dans l'histoire du XIe siècle, la lutte contre Rome se déchaîner avec plus de violence en Allemagne, sous Henri IV, qu'elle ne l'a jamais fait en notre pays ; et l'on verra, à la fin du avine siècle, l'attachement aux rites nationaux revêtir un caractère plus obstiné en Autriche, sous l'empereur Joseph II. La mot de gallicanisme, qui a prévalu pour désigner cette doctrine, lui vint sans doute de ce fait, que l'esprit français, plus systématique et plus clair, avait su lui donner des formules plus précises et plus nettes.

Sous ce mot, d'ailleurs, sont comprises des doctrines diverses, parfois divergentes, qu'il importe de distinguer avec soin, si l'on veut éviter les confusions regrettables et les attributions injustes auxquelles les historiens n'ont pas toujours su échapper.

Il est un gallicanisme politique, qui tend à limiter la puissance politique de l'Église par la puissance de l'État, parfois à supprimer celle-là par celle-ci. Cette doctrine avait pris des farces dans le Grand Schisme d'Occident, et les régimes absolus qui s'étaient établis, après le XVIe siècle, dans l'Europe moderne, en avaient fait plus ou moins le principe de leur politique religieuse. Tout autre était le gallicanisme ecclésiastique, qui, dans l'intérieur même de l'Eglise, cherchait à limiter le pouvoir de la Papauté par celui de l'épiscopat, de la cléricature, ou même du corps des fidèles. Formulé aux conciles de Constance et de Bâle, le gallicanisme ecclésiastique avait survécu au grand Schisme et revêtu toutes les formes. Episcopalien avec Gerson[2], il était devenu presbytérien avec Richer[3], multitudiniste avec Marc-Antoine de Dominis[4]. Chez plusieurs, le gallicanisme n'était qu'une vague tendance, faite de méfiance à l'égard des empiètements possibles de la cour de Rome, d'attachement jaloux et trop exclusif aux coutumes ecclésiastiques nationales et aux prérogatives du pouvoir civil.

En France, depuis que les légistes étaient devenus une puissance, depuis surtout que les parlements, recrutés par voie d'hérédité, s'étaient constitués, en l'absence des Etats généraux, comme un pouvoir politique permanent, une nouvelle forme du gallicanisme était née qui, sans professer des doctrines nouvelles, mais en systématisant simplement les théories et la politique du gallicanisme politique, devait exercer, dans les XVIIe et XVIIIe siècles, l'opposition la plus redoutable contre la Papauté. La royauté chrétienne, comme on l'a justement remarqué, eût eu plutôt une certaine tendance à vivre en bon accord avec la Papauté. Mais les ministres des rois — ajoutons les juges des grandes cours, les fonctionnaires de tout ordre, qui n'avaient pas de relations diplomatiques à entretenir avec Rome —, ces fils et petits-fils de bourgeois ne négligeaient aucune occasion d'aigrir le levain de discorde qui existe toujours entre deux pouvoirs rivaux[5]. Dans la seconde moitié du XYIC siècle la cour de Rome en prenant ostensiblement le parti de l'Espagne, le Pape en s'arrogeant le droit de détrôner Henri IV pour crime d'hérésie, la Ligue en soutenant ses doctrines les armes à la main, avaient gagné, par réaction, à la thèse gallicane, une bonne partie du peuple, jusque-là étranger à de tels débats. On parvenait même, en rappelant habilement le souvenir de Jacques Clément, qui avait tué Henri III, de Jean Châtel, qui avait failli assassiner Henri IV, et de Ravaillac, qui ne l'avait pas manqué, à associer, dans l'imagination populaire, l'idée des prétentions de la Papauté avec le tableau de l'assassinat.

Richelieu, avec ce sens profond du gouvernement qui fait de lui un des plus grands hommes politiques des temps modernes, comprit qu'il était temps de maintenir le mouvement gallican dans de justes bornes ; mais, en même temps, par suite de sa préoccupation trop exclusive de l'intérêt national, toujours prêt à faire fléchir l'esprit catholique devant la Raison d'Etat, il se fit, se ce gallicanisme contenu et unifié, le défenseur irréductible.

Avec une égale énergie, on le voit poursuivre les libelles de ceux qui soutiennent encore les théories des Ligueurs sur le pouvoir temporel du Pape[6], et les doctrines gallicanes qui vont jusqu'à associer les simples prêtres au gouvernement de l'Eglise. Le 30 octobre 1625, il fait publier par le prévôt de Paris une sentence, portant que tout libelle séditieux sera brûlé en place de Grève, et prescrivant les peines les plus sévères contre tout imprimeur qui l'aura imprimé et tout libraire qui le vendra[7]. Le fer décembre suivant, il enjoint aux évêques de punir les auteurs des libelles, et à la suite des protestations du nonce Spada, saisit le parlement de l'affaire. Des évêques indépendants, ayant à leur tête l'archevêque d'Auch, M. de Trapes, protestent, déclarent fièrement que les questions religieuses les regardent seuls, et qu'ils font défense au parlement de s'en mêler à l'avenir[8]. Richelieu fait alors évoquer l'affaire par le roi, qui, le 26 mars 1626, blâme à la fois le parlement de son intervention et les évêques des termes de leur réponse. En cette même année, le P. Santarel, jésuite, publie à Rome un traité De hæresi, schismate et apostasia, où les doctrines romaines sont exposées en termes fort vifs. Le parlement fait saisir chez le libraire Cramoisy, à Paris, le ballot de livres destinés à la vente et ordonne à tous les jésuites présents Paris de signer les quatre propositions suivantes : 1° le roi France ne tient son pouvoir que de Dieu et de son épée ; 2° le Pape n'a aucune puissance sur les rois, ni coercitive ni directive ; 3° le roi ne peut être excommunié ; 4° le royaume ne peut être mis en interdit. L'intervention personnelle de Richelieu adoucit la sanction. Il est finalement décidé que les quatre supérieurs des maisons de la Compagnie de Jésus sises à Paris désavoueront les opinions du P. Santarel. La lettre du cardinal promulguant ce compromis est impérative et hautaine : Je vous avise, écrit-il[9], qu'il faut signer cela, ou sinon faire état de sortir du royaume.

Les libelles supprimés et les jésuites humiliés, Richelieu se tourne vers le péril gallican. Au cours de cette même année 1626, la Sorbonne, craignant de voir triompher parmi ses membres les doctrines romaines, avait fait défense aux religieux de prendre part à ses délibérations, et le parlement l'avait appuyée dans une certaine mesure. Le 2 novembre 1626, Richelieu fait signer au roi un édit déclarant que les religieux iront comme ils le faisaient les années précédentes' aux assemblées de la Faculté. Cette fois-ci, c'étaient la Sorbonne et le Parlement, les deux principaux tenants du gallicanisme, qui se trouvaient maîtrisés par la puissante main du grand ministre[10].

Une théorie particulière paraissait, aux yeux du cardinal et aux yeux de son fidèle confident, le P. Joseph, subversive entre toutes : c'était ce gallicanisme presbytérien, ou plutôt clérical d'Edmond Richer, d'après lequel le pouvoir, dans l'Eglise, appartiendrait non point au Pape ou aux évêques, mais à tous les clercs admis aux Saints Ordres. Richelieu pressentait une application possible à la politique de ce démocratisme' ecclésiastique ; le P. Joseph y voyait surtout une des plus graves atteintes qui pût être portée à la hiérarchie catholique. Le zélé religieux, par des démarches réitérées, parvint à obtenir d'Edmond Bicher, principal auteur de cette doctrine, une rétractation que tout porte à croire sincère[11].

La sécurité politique et religieuse était-elle acquise par ces condamnations, ces répressions 'et ces abjurations ? On put le penser autour du grand ministre. Pour lui, tout ce qu'il avait fait jusque-là n'était que le prélude de l'œuvre politique qu'il rêvait. Il méditait, en effet, de formuler, sur les rapports de l'Eglise it de l'Etat, une doctrine ferme et définitive accordant au Pontife romain le minimum des droits que l'orthodoxie lui reconnaissait et assurant au pouvoir civil le libre et plein exercice des fonctions souveraines que la tradition nationale lui attribuait. Après avoir fait sanctionner cette doctrine par le Pape et l'avoir fait accepter par l'opinion, il organiserait l'Eglise de France sur ces bases.

Pour réaliser son plan, Richelieu jeta les yeux sur un magistrat érudit, qui, par les ressources de son esprit, comme par la souplesse de son caractère, lui parut devoir être un auxiliaire précieux. Il s'appelait Pierre de Marca. Né en Béarn en 1594, d'une famille de grands seigneurs, il avait été président du parlement de Pau, et remplissait à Paris la charge de conseiller du roi. Sa vaste science et son brillant esprit l'avaient fait remarquer. Bossuet devait l'appeler un homme d'un très beau génie, mais versatile et glissant, et qui avait la malheureuse facilité de passer d'un sentiment à un autre à la faveur de quelques équivoques, et de traiter comme en se jouant des matières ecclésiastiques[12]. En 1641, le savant magistrat publia, sous ce titre : De concordia Sacerdotii et Imperii un fort volume in-folio. Avec une érudition remarquable, un style pur et châtié, l'auteur, dont la plume avait été manifestement guidée par Richelieu[13], établissait d'abord fortement la thèse de l'infaillibilité de l'Eglise. Mais où se trouve le siège de cette infaillibilité ? Marca se gardait bien de professer la doctrine de la supériorité du concile sur le Pape, ou celle de la suprématie des rois dans l'Eglise. Il se contentait de dire que, si le chef de l'Eglise est infaillible, cette faillibilité ne peut validement s'exercer que moyennant un certain consentement de l'Église elle-même, cum aliquo consensu Ecclesiæ. Il soutenait d'ailleurs que les rois tiennent leur puissance d'un droit divin, et, après avoir blâmé les interventions des empereurs d'Orient et du roi Philippe le Bel dans les affaires de l'Eglise, il proclamait légitime l'appel comme d'abus, c'est-à-dire le droit pour le prince de blâmer l'acte d'un ecclésiastique qui violerait, dans ses fonctions, les canons et décrets confirmés par le pouvoir royal.

Malgré toutes les précautions de style qu'on avait prises, le livre de Marca, qui n'admettait ni l'infaillibilité absolue du Pape, puisqu'il lui posait comme condition un certain consentement de l'Eglise, ni son pouvoir disciplinaire absolu, puisqu'il lui opposait le droit divin des rois, fut condamné à Rome[14]. Des négociations, ayant pour but de faire donner un siège épiscopal à Pierre de Marca, décidé à prendre les ordres, échouèrent[15]. Richelieu avait d'ailleurs en réserve d'autres moyens d'action.

On n'a jamais su au juste si l'idée émise autour de Richelieu par ses collaborateurs et ses amis, de faire ériger l'Eglise de France en patriarcat, ayant à sa tête le cardinal-ministre, ne fut qu'une manœuvre habile, destinée à intimider la cour de Rome, ou si le dessein fut sérieux. Ce qui est certain, c'est que Richelieu trouva un jésuite pour défendre ce projet, soutenir qu'une telle entreprise n'avait rien de schismatique, et que le consentement de Rome n'était pas plus nécessaire pour la création d'un patriarcat en France, qu'il ne l'avait été pour établir les patriarches de Constantinople et de Jérusalem. L'auteur de cette défense s'appelait Michel Rabardeau ; son ouvrage, qui avait pour titre Optatus Gallus, fut condamné par le Saint-Office, le 18 mars 9643.

A cette date, le cardinal de Richelieu était déjà mort, et son étonnant projet, si tant est qu'il en eût eu la pensée sérieuse, était tombé avec lui. Mais les résultats de sa politique religieuse subsistaient et devaient se développer dans la suite. De ce gallicanisme, dont le grand cardinal n'avait voulu faire peut-être qu'un instrument de pacification, Louis XIV va Taire une arme de guerre. L'université et le parlement s'en serviront pour discréditer les doctrines romaines ; la diplomatie, pour menacer le Pape jusque dans ses Etats ; le roi, pour violenter les évêques et les réguliers ; et il faudra toute la sagesse et toute l'autorité de Bossuet pour arrêter sur la pente du schisme une grande assemblée de prélats.

 

II

En 1661, au moment où Louis XIV inaugura son gouvernement personnel, le gallicanisme avait son armée, son programme et son chef.

Le premier élément de cette armée, et le plus solide, était la magistrature. La magistrature, dit M. Lavisse[16], était anticléricale. Le magistrat et le clerc portaient tous les deux une robe romaine, mais qui ne venait pas de la même Rome. Le magistrat et le clerc étaient des juges concurrents. Depuis le Moyen Abe, le magistrat travaillait à arracher le justiciable à la juridiction du clerc ; étant laïque, il était laïcisateur, et convertissait les libertés à l'égard du Pape en servitude envers la couronne.

Dans la Sorbonne, rebâtie en 1629 par les soins de Richelieu, et où reposait le corps du grand ministre, la tradition anti-romaine était ancienne. Si on y comptait des partisans résolus de l'infaillibilité pontificale[17], la dépendance dans laquelle la faculté se trouvait à l'égard du roi faisait d'elle un instrument, parfois trop docile, de la politique royale.

Le bas clergé gardait toutes ses sympathies et tout son dévouement à l'Église de Rome, mais le haut clergé, recruté suivant le concordat de 1516, sous l'influence prépondérante du roi[18], apparenté aux grandes familles de la magistrature et de la noblesse, résidant souvent à la cour[19], était peu préparé à résister aux injonctions du roi.

Le gallicanisme avait un programme désormais bien formulé. Le livre des Libertés de l'Eglise gallicane, de Pierre Pithou, était devenu comme le Manuel, le Catéchisme ou le Code du parti. Ses 83 maximes, à force d'être invoquées et appliquées par les tribunaux, étaient entrées dans le corps des lois de l'Etat. C'étaient des maximes courantes, que le roi n'a pas de supérieur au temporel, qu'il ne peut être excommunié, qu'aucun de ses sujets ne peut être jugé hors du royaume, etc. Et les commentateurs de ces principes renchérissaient encore. Pussort, conseiller d'Etat, oncle de Colbert, déclarait que le roi est le maître des biens de tous ses sujets, principalement des biens ecclésiastiques[20], et l'habile légiste Le Vayer de Boutigny, qui devait être nommé plus tard intendant de Picardie, écrivait dans son Recueil de droit civil et canonique, que les évêques tiennent de l'Etat tout le temporel qu'ils ont[21].

Le gallicanisme enfin avait son chef, non plus un ministre si puissant qu'il fût, mais le roi lui-même. Louis XIV, dès le début de son gouvernement personnel, avait manifesté très nettement deux volontés : gouverner seul et gouverner par les lois les plus générales. Pour gouverner seul, il avait résolu de réduire les trois puissances organisées qui se dressaient en face de son pouvoir : l'Eglise protestante, le parlement et le parti janséniste. Mais le clergé catholique, rallié autour du Pape, pouvait se poser comme un obstacle redoutable à son système de gouvernement. La politique royale ne perdit jamais de vue cette perspective. Pour combattre l'influence romaine, Louis XIV n'hésita pas à faire, le cas échéant, appel au parlement lui-même. Son esprit logique, systématique, épris de lois générales et communes à tous ses sujets, hostile à toutes juridictions exceptionnelles et à toutes situations privilégiées, ne cessa jamais de travailler en ce sens.

Un incident de peu d'importance apparente, la soutenance d'une thèse de théologie, déchaîna la guerre. Le 16 décembre 1661, un jésuite flamand, le P. Coret, soutint, au collège de Clermont, une thèse de théologie où il était dit que le Pape a reçu l'infaillibilité de Jésus-Christ, et que cette infaillibilité s'étend aux faits aussi bien qu'au droit. Y avait-il là une habile tactique du jésuite ? Les jansénistes soutenaient alors que l'Augustinus échappait en fait aux condamnations infaillibles du Saint-Siège ; et les gallicans combattaient avec acharnement l'infaillibilité du Pontife romain. Soutenir l'infaillibilité pontificale, c'était fournir des armes au roi pour combattre le jansénisme, mais en frappant au cœur le gallicanisme. Quoi qu'il eu soit de l'intention du jeune docteur, sa thèse ne réussit qu'à provoquer la colère des jansénistes et des gallicans à la fois. Arnauld publia un violent opuscule intitulé : La nouvelle hérésie des jésuites, bientôt suivi du Factum des curés de Paris contre la thèse des jésuites, des Illusions des jésuites dans leur explication de la thèse, des Pernicieuses conséquences des hérésies des jésuites, et finalement de La défense des libertés de l'Eglise gallicane contre la thèse des jésuites, à tous les parlements de France. Le roi, si opposé qu'il fût aux jansénistes, se prononça nettement contre la thèse du jésuite. L'intervention du P. Annat, confesseur du roi, et surtout un mémoire habile de M. de Marca, archevêque de Toulouse, le savant à qui on avait recours dans les cas difficiles, mirent fin à l'incident[22]. Mais les passions avaient été excitées, et elles devaient se réveiller plus tard ; le roi avait été blessé, et il devait s'en souvenir[23].

Cette affaire était à peine terminée, que Louis XIV profita d'un autre incident pour s'en prendre directement au Pape et le traiter avec hauteur. Le 20 août 1662, trois Français à moitié ivres, appartenant à la maison de l'ambassadeur de France à Rome, le due de Créqui, se querellèrent avec les Corses de la garde pontificale. Des soldats corses vinrent au secours de leurs camarades, et s'en allèrent tirer des coups de feu sur le palais Farnèse où résidait l'ambassadeur. Créqui rentrait en carrosse : une balle tua un page sur le marchepied, une autre balle effleura la joue de l'ambassadrice. Le roi de France apprit, le 29, la nouvelle de l'incident. Il ordonna aussitôt au nonce de quitter la cour. Le lendemain, il écrivit au Souverain Pontife, le menaça de tirer vengeance d'un attentat dont jusqu'ici il n'y avait pas eu d'exemple chez les barbares mêmes. Il se plaignit à toute l'Europe de l'attitude du Pape, qui, paraît-il, tardait à donner les réparations exigées. Au fond, sa colère était feinte ; il avoua à M. de Witt que cette affaire était une pure bagatelle, et il écrivit à Créqui : Je dois vous dire qu'en même temps que je fais grand éclat et beaucoup de bruit... je souhaite que l'éclat et, le bruit me suffisent[24]. L'éclat et le bruit ne suffirent pas. Le roi fut amené, pour atteindre son but, à aller plus avant. Il fit saisir Avignon et parla d'envoyer des troupes en Italie. Le pape Alexandre VII fut contraint de faire présenter des excuses à Versailles par son neveu, le cardinal Chigi, et d'élever à Rome une pyramide en souvenir de l'offense et de la réparation.

Cette malheureuse affaire eut pour conséquence de révéler les sentiments hostiles que nourrissaient contre le Pape certains évêques, la plupart des légistes et presque tous les jansénistes. L'archevêque de Toulouse, M. de Bourlemont, n'avait pas craint de s'adresser à Colbert pour lui demander de faire peur au Saint-Père. J'espère, écrivait-il à son collègue de Béziers[25], que l'on demandera au Pape des choses plus solides que le châtiment de quelques Corses. La Gazette de France, dans de longues correspondances de Rome, présenta les faits en cherchant à rendre odieuse la conduite du Souverain Pontife[26]. Au commencement de 1663, une nouvelle thèse, soutenue en Sorbonne, allait soulever de nouveaux orages et mettre en demeure la Faculté de théologie de Paris de se prononcer pour ou contre les doctrines romaines.

Le 19 janvier de l'année 1663, raconte le P. Rapin[27], un jeune bachelier de Sorbonne, nommé Gabriel Drouet de Villeneuve, Breton, qui avait pris chez les jésuites, où il avait étudié les humanités, des sentiments un peu moins durs à l'égard du Pape qu'on n'en avait en Sorbonne, fit une thèse, moins pour dire ce qu'il en pensait que pour apprendre ce qu'on en devait penser. Sa première proposition portait que Jésus-Christ avait donné à saint Pierre et à ses successeurs une souveraine autorité sur l'Eglise ; la seconde, que les Papes avaient, pour de bonnes raisons, accordé des privilèges à certaines Eglises, comme à celle de France ; la troisième proposition, enfin, que les conciles généraux étaient utiles, mais pas absolument nécessaires.

La soutenance de cette thèse provoqua, suivant l'expression de Sainte-Beuve[28], comme une subite levée de boucliers dans le sens des libertés gallicanes. L'avocat général, Denis Talon, dénonça au Parlement la Faculté de théologie de Paris comme occupée par une cabale puissante de moines et de quelques séculiers liés avec eux par intérêt et par faction[29]. Le procureur général, Achille de Harlay, alla trouver le roi. Celui-ci lui ayant demandé ce qui l'amenait au Louvre : Sire, reprit le magistrat, c'est pour savoir de Votre Majesté si elle veut que le Pape ait le pouvoir de lui ôter la couronne de dessus la tête quand il lui plaira. A ces mots, dit un contemporain, le roi ouvrit de grands yeux[30]. Harlay lui expliqua que tel était le sens de la thèse soutenue en Sorbonne. Le 22 janvier 1663, le parlement rendit un arrêt défendant à la Faculté de souffrir que de pareilles propositions fussent soutenues dans aucune thèse, et ordonna que cet arrêt fût inscrit sur les registres de la Faculté.

En présence d'une pareille injonction, la Sorbonne montra une courageuse indépendance. Elle se refusa à l'inscription pure et simple d'un arrêt porté sur des matières théologiques, et réclama le droit de le mettre préalablement en délibération. La Faculté, nous le savons, comptait un certain nombre de docteurs fermement acquis à la doctrine de l'infaillibilité pontificale : ils résistèrent jusqu'au bout. Les autres finirent par s'entendre sur une formule de juste milieu : on ne niait pas que le Pape fût infaillible, mais on contestait que l'infaillibilité pontificale fût certaine.

Le roi décida que l'affaire en resterait là Il eût été dangereux Intervention d'exaspérer les docteurs de Sorbonne ou de les mettre en conflit de Louis XIV. violent avec le parlement. Je crus, dit Louis XIV dans ses Mémoires, que le plus court était de leur laisser écrire ce qu'il leur plairait dans leurs prétendus registres. Mais il ne dépendait pas de la volonté d'un souverain, même absolu comme le roi de France, d'étouffer une question pendante, où les principes les plus essentiels du gouvernement de l'Eglise se trouvaient en gagés. La discussion se continua sourdement, comme on le voit par la correspondance du nonce Bargellini[31]. C'est tantôt à propos d'un conflit de juridiction entre réguliers et séculiers, tantôt, à propos d'une intervention du parlement dans les affaires religieuses, tantôt à propos d'une thèse nouvelle, que la question gallicane renaît, agite les esprits, semble prête à déborder, comme naguère, sur le terrain politique. Au mois de mars 1669, le nonce écrit à Rome : J'ai le roi, les ministres, les évêques, tout le monde contre moi.

Gallicans et jansénistes, en effet, se trouvaient ligués, depuis l'affaire de Drouet de Villeneuve, contre les partisans de l'infaillibilité pontificale. Un nouvel incident les désassocia et retourna vivement contre le roi deux des hommes dont le parti janséniste se glorifiait le plus et au plus juste titre.

Une déclaration royale du 10 février 1673[32], décidant que le droit de régale appartient universellement au roi dans tous les évêchés du royaume, fut l'origine du nouveau conflit. On appelait droit de régale le droit que s'attribuait le roi de France, pendant la vacance d'un évêché, d'en percevoir les revenus et de nommer aux bénéfices qui en dépendaient jusqu'à ce que le nouveau titulaire eût prêté serment de fidélité et fait enregistrer ce serment à la Chambre des Comptes. Les légistes distinguaient deux éléments dans ce droit : le droit de percevoir les revenus, ou la régale temporelle, et le droit de nommer aux bénéfices vacants, ou la régale spirituelle. La régale temporelle avait ses origines dans une coutume immémoriale. Dans le haut Moyen âge, lorsqu'il était à craindre que la vacance d'un siège épiscopal ne fût l'occasion de pillages ides biens confiés à l'évêque, le prince temporel, comte, duc ou roi, en qualité de suzerain du prélat défunt, se chargeait du maintien de l'ordre dans les domaines épiscopaux, et percevait, en compensation, les revenus de l'évêché vacant. Les Papes n'avaient pas protesté contre l'exercice de ce droit, qui paraissait fondé sur les services rendus. Il en avait été autrement du prétendu droit de régale spirituelle. On sait, par la querelle des Investitures, avec quelle énergie les Papes avaient combattu l'ingérence du pouvoir temporel dans la nomination aux bénéfices. De Charles le Simple à Charles VII[33], bien des empiètements s'étaient renouvelés en ce sens de la part des rois de France. Mais on connaît les protestations solennelles d'Innocent III et de Clément IV[34]. Une déclaration du IIe Concile de Lyon, en 1274, porta l'excommunication latæ sententiæ contre ceux qui usurperaient le droit de régale, et exhorta ceux qui étaient en possession de ces droits, par la fondation des Eglises ou par une ancienne coutume, à ne pas en abuser[35]. Or, Louis XIV non seulement proclamait le droit de régale, comme un droit inhérent à sa couronne, mais il l'étendait abusivement à tous les diocèses de son royaume, attribuait aux parlements la compétence exclusive des questions y afférentes, et donnait à son édit un effet rétroactif. Les évêques des diocèses exempts de la régale étaient requis de faire enregistrer leurs serments de fidélité dans le délai de deux mois à la Chambre des Comptes : faute de quoi, la régale serait ouverte dans leurs diocèses.

 

III

Deux évêques, s'appuyant sur le texte du concile de Lyon, qui interdisait aux princes l'extension du droit de régale, déclarèrent ne pouvoir obéir aux ordres du roi : les biens d'Eglise qui leur avaient été confiés étaient, disaient-ils, un dépôt sacré, qu'ils voulaient garder intact à leurs successeurs. Ces deux évêques étaient Nicolas Pavillon, évêque d'Alet, et François de Caulet, évêque de Pamiers.

Nicolas Pavillon, né à Paris en 1597, d'un officier de la Chambre des Comptes, était un ancien disciple de saint Vincent de Paul. Le Fondateur de la Mission l'avait employé pendant cinq ans dans ses différentes œuvres. Il aimait, dit-on, à l'appeler son bras droit. La parole de Pavillon était simple, austère et apostolique, comme sa vie. Nommé, en 1637, évêque d'Alet, il s'était donné tout entier à l'évangélisation de ce pauvre diocèse, où il avait trouvé pour cité épiscopale un bourg de cent soixante feux, pour palais une maison en ruines, pour cathédrale un ancien réfectoire au sol sans pavage et à la voûte pourrie. Dans ce canton sauvage des Corbières, depuis longtemps abandonné par ses évêques, il avait rencontré encore plus de misères spirituelles que de misères corporelles. Paysans et seigneurs, laïques et prêtres mêmes étaient tombés dans un état lamentable d'ignorance et d'immoralité. L'organisation de son séminaire lui avait paru devoir être son œuvre capitale. Il en garda la direction effective jusqu'à sa mort. La vie de l'évêque fut d'ailleurs pour ses diocésains la meilleure des prédications. Il prenait son repos dans une sorte de grenier ; la frugalité de ses repas déconcertait ses visiteurs ; on trouva sur lui, après sa mort, la marque sanglante de ses mortifications. Ses amis les plus fidèles, tels que saint Vincent de Paul, n'avaient pas été, d'ailleurs, sans relever ce qu'il y avait d'excessif, de rude, dans l'austérité de l'évêque d'Alet. Excessifs pareillement étaient son esprit d'indépendance, son inflexibilité dans la défense de ses prérogatives d'évêque, son assurance dans l'affirmation de ses prétendus droits. Il croyait que la clef de la science et du discernement est jointe essentiellement au caractère épiscopal[36]. Ni roi, ni Pape, sauf le respect qui leur était dû, n'avaient action ni prise sur M. Pavillon[37]. Arnaud d'Andilly, l'ayant entendu prêcher, s'était déclaré son admirateur. Les jansénistes l'avaient aussitôt entouré. Un tel évêque pouvait être un aide précieux, peut-être un chef pour le parti. Nicolas Pavillon ne s'intéressait guère aux pies-lions de pure doctrine[38]. Il finit par répondre aux avances de Port-Royal, mais après plusieurs années d'attente ; ce fut pour' s'unir à l'opposition de Port-Royal et pour la dépasser même, quand se posa la fameuse question du Formulaire.

Son voisin, l'évêque de Pamiers, était M. de Caulet. Né à Toulouse en 1610, fils d'un président au parlement du Languedoc, élevé par les jésuites de La Flèche, il était venu achever ses études à Paris et s'était mis sous la direction du P. de Condren, qui l'avait adressé à M. Olier. Celui-ci l'avait d'abord employé aux missions d'Auvergne, puis à la fondation du séminaire de Vaugirard. En 1642, quand il prit la cure de Saint-Sulpice, M. Olier confia à M. de Caulet la direction du séminaire. Deux ans plus tard, lé roi, sur la proposition de saint Vincent de Paul, le nommait évêque de Pamiers[39]. Ce diocèse était un de ceux que les guerres ile religion avaient le plus profondément troublés. Tandis que l'hérésie protestante y exerçait ses ravages, les catholiques, le clergé lui-même, y avaient perdu trop souvent la régularité et la gravité des mœurs chrétiennes[40]. M. de Caulet avait compris, à l'école du Fondateur de Saint-Sulpice, que la base de toute restauration religieuse est la réforme du clergé : il se consacra à cette réforme avec une énergie indomptable. Muni de bulles du Pape et de lettres patentes du roi, il ne conféra le canonicat qu'aux prêtres qui s'engageaient à vivre en communauté suivant la règle des chanoines réguliers. Le chapitre de Pamiers, qui avait été le grand scandale du diocèse sous M. de Sponde, devint, sous M. de Caulet, un modèle. Le zélé pasteur fonda deux séminaires, où il reçut les enfants dès l'âge le plus tendre ; et, sous le même nom de séminaire, il créa une sorte d'école normale d'institutrices, qui fournit à la région des maîtresses d'écoles pleines de zèle. La vie du prélat était la plus efficace des prédications. Il n'y avait dans sa demeure, dit un contemporain[41], ni écuyer, ni homme de chambre, ni aumônier. Des meubles fort vieux ou fort simples. Point de riches tableaux ; rien que des images en papier. Son règlement de vie, qu'il faisait partager à toute sa maison et à ses hôtes, était à peu près celui qu'il avait suivi au séminaire de Saint-Sulpice : lever à cinq heures, à l'appel de la cloche ; méditation ; messe, que tous entendaient ; repas frugal, où l'on faisait toujours une lecture, bien qu'il y eût des personnes de la première qualité ; après le souper, deux ou trois jours par semaine, catéchisme ou instruction aux domestiques ; prière du soir en commun et lecture d'un sujet de méditation pour le lendemain[42]. L'évêque eut bientôt un renom de sainteté. Bossuet n'hésitait pas, dit-on, à déclarer à Louis XIV lui-même que le peuple du pays de Foix regardait M. de Caulet comme un saint[43]. Comme Nicolas Pavillon, François de Caulet refusa, en 1665, de signer le Formulaire par lequel on déclarait condamner les cinq propositions de Jansénius au sens de leur auteur : Il donnait pour raison que l'Eglise a toujours fait une grande différence entre les dogmes révélés et les faits non révélés, qu'exigeant une soumission de foi pour les premiers, elle se contente d'une déférence respectueuse pour les seconds[44]. Cette attitude a fait ranger Caulet parmi les prélats jansénistes. Mais il n'est pas certain qu'il mérite cette qualification[45]. Théologien plus avisé que Pavillon, on ne peut lui reprocher aucune opinion hétérodoxe, et les biographes des deux évêques racontent que l'évêque d'Alet, faisant lire à sa table la Fréquente Communion d'Arnauld et les Lettres de Saint-Cyran, interrompait cette lecture tout le temps que l'évêque de Pamiers était à Alet, sachant que ce prélat ne pouvait en souffrir la lecture[46].

La déclaration de 1673, assujettissant à la régale tous les évêchés de France, n'avait suscité dans le haut clergé que quelques vagues murmures[47], dont il semblait facile d'avoir promptement raison. Pour arriver à ce résultat, Louis XIV renouvela solennellement ses ordres en 1675. Une assemblée générale du clergé se tenait précisément à Paris en ce moment. Nulle protestation ne s'éleva de son sein. Les légistes royaux triomphaient. Mais, le 27 avril 1677, l'évêque de Pamiers publia une ordonnance par laquelle il déclara que, conformément au concile général de Lyon, il ne pouvait consentir à l'extension de la régale, qui n'avait jamais eu lieu dans son diocèse ; il ajouta que son église cathédrale étant régulière et réformée, c'était encore une nouvelle raison qui l'empêchait d'admettre ce droit. Cette ordonnance fut cassée par un jugement de l'archevêque de Toulouse. M. de Pamiers répondit à ce jugement par un acte du 18 octobre 1677 ; et, le 26 du même mois, il fit signifier à cet archevêque un appel de son jugement au Saint-Siège[48]. Le Pape connaissait déjà la pureté du zèle de M. de Caulet. Le ter décembre 1676, il avait rendu hommage à sa piété et à sa vertu[49]. Le 2 mars 1678, ce n'est plus seulement la remarquable piété du prélat, singularem pietatem, qui est l'objet des éloges du Pape, c'est le zèle enflammé de l'évêque pour la restauration de la discipline, ad disciplinam instaurandam incensum zelum ; c'est par-dessus tout une soumission admirable et évidente envers le Saint-Siège, eximiam perspectamque in Sanciam Sedem observantiam[50]. Mais la démarche de l'évêque de Pamiers avait irrité la cour. Ses revenus furent saisis.

Nicolas Pavillon était mort le 8 décembre 1677, à l'âge de 80 ans, après 39 ans d'épiscopat. François de Caulet restait seul sur la brèche. Pendant trois ans ce petit homme, comme l'appelle ironiquement le P. Rapin, évêque' d'un diocèse perdu dans le midi, soutint une lutte sans Crève contre le roi, contre le parlement, contre l'intendant Foucault ; qui, envoyé par le roi pour saisir le temporel de l'évêque, exécuta la saisie avec tant' de rigueur que le prélat se prit réduit à la mendicité. Sire, écrivait le vieillard à Louis XIV, voici quinze mois que je suis privé des revenus de mon évêché, qui sont le patrimoine de Jésus-Christ. On ne m'a pas même laissé les choses les plus nécessaires à la vie, lesquelles on ne refuse pas aux plus criminels. Quelques catholiques dévoués, touchés de cette misère, lui envoyèrent des secours. La justice royale les poursuivit. On raconte cependant que Louis XIV empêcha que l'on conduisît à la Bastille un gentilhomme qui avait secouru l'évêque de Pamiers. Il ne sera pas dit, s'écria-t-il[51], que j'ai fait mettre à la Bastille quelqu'un pour avoir fait l'aumône.

A trois reprises Innocent XI écrivit au roi de France pour le rappeler au respect de l'épiscopat et des biens d'Église. Son troisième bref, daté du 27 décembre 1679, se terminait par ces mots : Nous ne traiterons plus désormais cette affaire par lettres ; mais aussi nous ne négligerons pas les remèdes que la puissance dont Dieu nous a revêtus met entre nos mains. Vous verrez un étrange Pape, écrivit Mme de Sévigné à Mme de Grignan en lui communiquant le résumé de la lettre[52]. Comment ? Il parle en maitre ! Vous diriez qu'il est le père des chrétiens. C'était bien une menace, en effet, qu'entendait faire le Souverain Pontife. Le roi le comprit. Il attendit six mois ; il obtint alors de l'Assemblée générale du Clergé, réunie en juillet 1680, une lettre dans laquelle on se disait lié à Sa Majesté par des liens que rien ne serait capable de briser, et on exprimait un certain déplaisir de la lettre pontificale ; puis le roi fit savoir au Pape qu'il lui envoyait le cardinal d'Estrées pour parler de la régale. Ce fut un moment d'accalmie : Mais de nouveaux incidents surgirent. M. de Caulet était mort, le 7 août 1680, âgé de soixante-dix ans. Le saint évêque de Pamiers est mort, écrivait Mme de Sévigné à la date du 21 août ; voilà l'affaire de la régale finie... Les cinq à qui l'on voulait faire le procès seront devant le grand Juge, qui les aura traités avec plus de bonté qu'on n'a fait en ce monde[53]. En ce monde, ce fut, hélas ! pour le pauvre diocèse de Pamiers, la reprise des anciennes rigueurs. Le chapitre ayant élu vicaire capitulaire un chanoine dépossédé par le roi, le roi fit enlever ce vicaire. Le terrible Foucault se rendit à Pamiers avec plusieurs compagnies de cavalerie et y fit comme un essai de dragonnades. Le Pape protesta de nouveau. Cette fois-ci ses protestations ne réveillèrent aucun écho à la cour de France. La situation était de plus en plus tendue entre les deux pouvoirs.

 

IV

Le gallicanisme était partout triomphant : au parlement et à la Sorbonne, qui avaient proscrit toutes thèses favorables à l'infaillibilité du Pape ; à Rome, où le duc de Créqui avait imposé ses conditions à la cour pontificale ; dans tous les diocèses de France, où la régale semblait définitivement établie ; à l'assemblée du clergé de France, qui n'avait pas craint, au milieu des derniers incidents, de manifester son attachement à l'autorité royale. Dans l'affaire de la régale, les défenseurs jusque-là les plus dévoués du pouvoir pontifical, les jésuites, s'étaient prononcés contre les deux évêques réfractaires et pour le roi. C'est alors que Louis XIV, comme s'il avait voulu attaquer la dernière puissance qui pût mettre un obstacle à sa souveraineté absolue, mit la main sur une institution que le concordat de 1516 semblait avoir voulu soustraire à l'autorité civile : les monastères de religieuses.

Une telle prétention nous paraîtra moins étrange si nous nous représentons le tableau d'une grande abbaye de femmes à la fin du XVIIe siècle. C'est une vraie puissance sociale, presque une puissance politique. Une abbesse s'intitule abbesse par la grâce de Dieu, tout comme le roi. Aux grandes cérémonies, un officier porte devant elle sa crosse, comme on porte un sceptre royal.

Dans certaines villes, l'abbesse a un tribunal : elle exerce parfois une juridiction sur les clercs, comme à Remiremont ; sur les religieux, comme à Fontevrault. Les abbayes de Fontevrault, en Poitou, ou de Chelles, en l'Île de France, sont si importantes qu'on les réserve à des princesses de sang royal. Or, le concordat de 1516, qui avait donné au roi de France le droit de pourvoir aux abbayes d'hommes, avait conservé le mode de l'élection pour les abbayes de femmes. En fait, les rois avaient trouvé le moyen de tourner la loi. Ils désignaient une personne de leur choix ; en suite de quoi le Pape rédigeait une bulle déclarant que, le roi lui ayant écrit en faveur d'une telle personne et la communauté l'acceptant, il l'instituait abbesse ou prieure. Le Souverain Pontife ne se prêtait pas toujours, il est vrai, à ce subterfuge ; le roi nommait alors sa protégée, non pas abbesse, mais économe du, temporel. Celle-ci -obtenait du moins, à ce titre, les revenus de l'abbaye : ce qui, dans plus d'un cas, avait été le vrai but convoité.

L'absolutisme de Louis XIV ne put se contenter de ces expédients. Toujours désireux de fonder son gouvernement sur des principes généraux, le roi demanda à ses légistes et à ses théologiens d'établir juridiquement et canoniquement le droit de la royauté sur les monastères de femmes. Les légistes furent les plus prompts et les plus catégoriques dans leurs réponses. Le docte et complaisant Baluze écrivait au roi, le 11 décembre 1669 : J'ai dressé un petit mémoire touchant les bénéfices. J'y ai ajouté une copie de la Déclaration Verbale du roi Henri III pour la nomination aux abbayes et prieurés électifs de filles... Ces sortes de nominations (par le roi) ont passé en lois du royaume. On rappelait en faveur du droit royal sur les monastères de filles le subtil argument du jurisconsulte Charles Dumoulin : Quand on parle au masculin, s'il s'agit de choses favorables (favorables au droit du roi), il faut entendre les femmes[54]. La réponse de la Sorbonne fut moins catégorique et plus embarrassée. Il se trouva pourtant, six docteurs qui crurent pouvoir se tirer de peine par un artifice de procédure. Ils déclarèrent que, si le roi de France ne possédait pas incontestablement le droit de nommer les abbesses, les supérieurs ecclésiastiques des couvents, évêques ou provinciaux, pouvaient, en cas de péril imminent des biens, nommer une économe pour le temporel et même lui donner, en attendant les bulles nécessaires, une commission pour le spirituel.  Or, il appartenait au roi, ajoutait-on, de déclarer le péril imminent des biens d'une communauté.

Ces consultations firent tomber les scrupules juridiques de Louis XIV. On le vit distribuer à ses protégés les meilleures abbayes. Le fameux intendant Foucault, dont nous connaissons les services, écrit dans ses Mémoires : 20 mars 1675. Ma sœur aînée est nommée à l'abbaye de Jarcy, moyennant 1.500 livres de pension. — Décembre 1675. Le roi a donné à ma sœur puînée, Anna Foucault, l'abbaye vacante par la mort de ma sœur Claude. — 18 décembre 1680. J'écris au P. de la Chaise pour le supplier de ne pas enlever ce bénéfice à ma famille[55]. En1670, les deux abbayes de Chelles et de Fontevrault étaient gouvernées  par deux filles naturelles d'Henri IV. La mort, en 1670, de l'abbesse de Fontevrault : Jeanne-Baptiste de Bourbon, fût l'occasion pour Louis XIV de la remplacer par une jeune sœur de Mme de Montespan[56]. Quelques années plus tard, un des signes du crédit de Mlle de Fontanges, qui remplaçait Mme de Montespan auprès du roi, fut la nomination de sa sœur Catherine à l'abbaye de Chelles, en remplacement de Mme de Brissac dont on obtint la démission[57].

L'affaire du monastère de Charonne, occupé par les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, montra jusqu'où pouvait aller l'audace du roi et de ses légistes. Les circonstances spéciales de la fondation de ce monastère semblaient lui avoir donné toute la sécurité désirable contre les empiètements du pouvoir laïque. Après son établissement dû à la générosité de Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, en 1613, et son approbation par lettres patentes de Louis XIV, le Pape avait réglé par un bref les conditions d'élection de la supérieure. Il statuait qu'après la mort de la supérieure fondatrice, celles qui lui succéderaient seraient nommées et renouvelées de trois en trois ans par le chapitre et par voie d'élection. Ce règlement n'arrêta pas le roi. En 1677, après la mort de la deuxième supérieure, Mme de Kerveno, Louis XIV déclare prendre sous sa protection le monastère de Charonne, et lui impose pour supérieure une religieuse cistercienne, Mme de Grandchamp. Les religieuses protestent. L'expulsion de quatre d'entre elles, que l'on conduit à la frontière, sous prétexte qu'elles sont Lorraines et qu'elles pourraient être de connivence avec l'ennemi, n'abat pas les courages. Le 18 janvier 1680, les sœurs, prévenues de l'arrivée de Mme de Grandchamp, se barricadent et refusent d'ouvrir les portes du monastère à la protégée du roi. En même temps, elles tiennent te Pape au courant de l'affaire. Par un bref du 7 août 1680, Innocent XI annulé la nomination de Mme de Grandchamp et ordonne le rappel des quatre sœurs exilées. Les religieuses, confirmées dans leurs convictions par cette décision pontificale, élisent alors une supérieure, la sœur Levesque. En vain Louis XIV saisit le parlement de l'affaire, lui fait porter une déclaration d'abus contre le bref du Pape ; en vain le chancelier Michel Le Tellier, au nom du roi, intime aux religieuses l'ordre de se séparer. Au mois de septembre, un second bref du Souverain Pontife confirme l'élection de la Mère Levesque, et, le 18 décembre 1680, mi troisième bref censure l'arrêt du parlement. Mais le roi s'était trop avancé pour reculer. Le 14 janvier 1681, le parlement déclare le monastère de Charonne saisi par ses créanciers et le supprime. Quelques jours après, l'archevêque de Paris, M. de Harlay, prescrit les mesures nécessaires pour séculariser le lieu consacré, retirer le Saint Sacrement, faire l'exhumation des défunts, etc.[58] Cette violente exécution, faite malgré les protestations du Pape, ouvrit le plus grave des conflits.

 

V

On se souvient que le troisième bref d'Innocent XI, publié à propos de l'affaire de la régale, contenait cette menace : Nous ne traiterons plus cette affaire par lettres, mais nous ne négligerons pas les pouvoirs que Dieu nous a mis en mains. Depuis cette lettre, la situation s'était aggravée. La dispersion du monastère de Charonne n'allait-elle pas déterminer le Pape à exécuter sa menace ? Chez Louis XIV et parmi son entourage, la crainte d'une excommunication fut sérieuse. L'archevêque de Reims, Charles-Maurice Le Tellier, écrivait[59] : Le Pape ne serait pas détourné de ce dessein (de fulminer une excommunication) par les maximes des officiers de Sa Majesté, qui prétendent que le roi ne peut être excommunié, et que les censures portées contre sa personne sacrée sont nulles et abusives. Les sentiments des Romains sont tout à fait opposés, et ils ne manquent ni de décrétales, ni de canonistes pour appuyer leur doctrine.

Dans ces conjonctures, le roi résolut de mettre entre le Pape et lui le clergé de France[60]. Louis XIV savait qu'il pouvait compter, dans cette affaire, pour la défense des prérogatives de la couronne, sur M. de Harlay, archevêque de Paris. François de Harlay, de la branche de Champvallon, né à Paris en 1625, abbé de Jumièges à vingt-cinq ans, archevêque de Rouen à vingt-six ans, transféré au siège de Paris en mars 1671, créé duc et pair en 1671, commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit et membre de l'Académie Française, est le type achevé du grand prélat d'Ancien Régime. Le duc de Saint-Simon a bien discerné cet esprit étendu, juste, solide, et toutefois fleuri, qui, pour la partie du gouvernement, en faisait un grand évêque, et, pour celle du monde, un grand seigneur fort aimable et un courtisan parfait[61] ; mais, ajoute-t-il, son profond savoir, l'éloquence et la facilités de ses sermons, l'habile conduite de son diocèse, jusqu'à sa capacité dans les affaires et l'autorité qu'il y avait acquise dans le clergé, tout cela fut mis en opposition de sa conduite particulière, de ses mœurs galantes, de ses manières de courtisan[62]. La frivolité de sa vie privée n'était un secret pour personne. On murmurait sur son passage :

A Paris comme à Rouen.

Il tait tout ce qu'il défend[63].

La profondeur et la sûreté de sa science théologique, la justesse et la promptitude de son coup d'œil dans les affaires, lui avaient donné, malgré tout, une grande autorité dans le clergé et à la cour. Il présida six assemblées du clergé de France. Le roi lui donnait, chaque semaine, quelques heures pour discuter les intérêts de l'Église de Paris. Harlay fut un des principaux instigateurs des mesures prises par Louis XIV contre les jansénistes et contre les protestants. Il avait déjà été un des plus fermes soutiens du pouvoir royal dans l'affaire de la régale. C'est lui qui avait fait voter par l'assemblée de 1680 la fameuse adresse où le clergé de 'France déclarait a roi que rien ne le séparerait de lui. L'on a été jusqu'à dire de M. de Harlay que, dans l'histoire du XVIIe siècle, il apparaît comme l'homme qui tient le fil de presque toutes les affaires[64]. En tout cas, dans le projet que méditait Louis XIV et qui devait aboutir à la rédaction des quatre articles de 1682, c'est bien M. de Harlay qui devait jouer le principal rôle.

Ce fut lui, on a tout lieu de le supposer, qui suggéra au roi l'expédient qui permit de porter l'affaire pendante devant une assemblée du clergé. La prochaine assemblée ne devait se tenir qu'en 1685. Celle de 1680 était dissoute. Or, l'assemblée seule avait autorité pour régler la date de ses réunions. On profita de la présence à la cour d'un certain nombre d'évêques. Le roi conseilla aux agents généraux du clergé dé les convoquer pour aviser aux moyens de pacifier toutes choses. On en trouva cinquante-deux : ce qui prouva, comme le dit Racine :

Que nous avions cinquante-deux prélats

Qui ne résidaient pas[65].

Ce fut ce qu'on appela la Petite Assemblée. On demanda à ces prélats de cour, qui ne se trouvaient si promptement à la disposition, du roi que parce qu'ils n'étaient pas à leur devoir d'évêques, de convoquer d'urgence une assemblée générale du clergé. On attribua à cette assemblée extraordinaire un caractère exceptionnel : elle fut définie Assemblée générale extraordinaire représentant le Concile. Ce titre indiquait bien le but visé par le roi et par Harlay, qui était de faire trancher des questions relatives à la discipline et au dogme[66]. Il importait, d'autre part, de s'assurer d'une, assemblée docile. La Petite Assemblée de 1681, avait réglé suivant l'usage que l'Assemblée générale se composerait de deux députés du premier ordre et de deux députés du second ordre par chaque province. Des lettres de cachet furent envoyées, dans un grand nombre de diocèses, sous la formule suivante : Nous vous faisons cette lettre pour que... vous ne fassiez choix d'un autre que le député N. Car tel est notre bon plaisir[67]. Les faits de pression exercés à cette occasion par le roi et son chancelier ne pouvaient faire l'ombre d'un doute[68]. Bossuet lui-même, qui devait être la gloire de cette assemblée, n'y vint que par ordre. On veut que j'en sois, écrit-il à Rancé le 22 septembre 1681[69]. Ce pronom indéterminé désigne le roi. Le roi, écrit Fleury dans ses notes[70], voulut que l'évêque de Meaux en fût.

L'Assemblée se réunit le 1er Octobre 1681. Harlay de Champvallon la présida. Bossuet fut désigné par le roi pour y faire le discours d'usage : Les deux influences de Harlay et de Bossuet allaient désormais se trouver en présence et se mesurer. La physionomie de l'évêque de Meaux offrait un saisissant contraste avec celle de l'archevêque de Paris. Le fort de M. de Harlay était l'habileté, la souplesse, une distinction fascinatrice : Toutes les grâces de son esprit et de son corps, qui étaient infinies, dit Saint-Simon[71], lui étaient parfaitement naturelles. Le faible de Bossuet était une timidité candide, presque naïve[72]. Esprit simple, lucide et franc, sans brutalité comme Sans flatterie, nul n'était plus éloigné du tortillage, et du mensonge[73]. La dignité de sa vie était reconnue de tous, et la plus odieuse des méchancetés a pu seule s'attaquer à sa réputation après sa mort[74]. Né en 1621, d'une famille de noblesse de robe, ayant du sang de parlementaire dans les veines[75], on admirait en lui le jugement net et ferme, le sentiment du juste et la notion du possible, un robuste bon sens qu'il devait porter jusqu'au génie, et cette splendeur du sens commun, qui est l'éloquence. Des fortes études de son enfance et de sa jeunesse, il 'avait conservé ce que Désiré Nisard a si bien appelé l'alliance des deux antiquités, le goût des lettres antiques et l'amour de la haute théologie, le culte de l'Iliade et celui de la Bible. Sa première thèse, brillamment soutenue en 1648, devant le grand Condé, ses premières controverses contre les protestants de Metz, sa Réfutation du catéchisme de Paul Ferry, parue en 1655, sa prédication devant.la cour à partir de 1662, la publication, en 1669 et 1670, de ses oraisons funèbres d'Henriette d'Angleterre et d'Henriette de France, les fonctions de précepteur du Dauphin, qu'il venait de remplir avec tant de conscience, de 1670 à 1679, lui avaient donné un prestige unique parmi les évêques de France. Ses doctrines étaient restées en 1681 ce qu'elles étaient au collège de Navarre. Profondément attaché à la primauté du Pontife romain, il redoutait, en même temps, que le Saint-Siège n'empiétât sur le temporel des Etats. Il avait peur aussi que les Réformés, dont il avait cherché à provoquer la réunion à l'Eglise depuis les débuts de son ministère sacerdotal, ne fussent écartés du catholicisme par cette crainte. Il me semble, écrivait-il le 1er décembre 1681 au cardinal d'Estrées[76], qu'il n'y a rien de plus odieux que les opinions des ultramontains, ni qui puisse apporter un plus grand obstacle à la conversion des rois hérétiques ou infidèles... J'ai toujours eu dans l'esprit qu'en expliquant l'autorité du Saint-Siège de manière qu'on ôte ce qui la fait plutôt craindre que révérer à certains esprits cette sainte autorité, sans rien perdre, se montre aimable à tout le monde, même aux hérétiques et à tous ses ennemis.

L'Assemblée, étant donné la pression sous laquelle elle avait été élue, se montrait nettement gallicane[77]. Non-seulement elle était décidée à approuver la conduite du roi dans les affaires de la régale et du monastère de Charonne, mais elle paraissait, dans son ensemble, résolue à voter pour la supériorité des conciles sur le Pape. Plusieurs tenaient pour l'indépendance des Eglises nationales et pour leur assujettissement aux pouvoirs civils. Tout pouvait faire craindre un schisme.

Quelle attitude allait prendre l'évêque de Meaux ? Personnelle ment, il aurait désiré que l'Assemblée, au lieu de se prononce sur la question brûlante de l'infaillibilité du Pape, proclamât, suivant une formule qui lui était chère, l'infaillibilité du Saint-Siège. Mais, quelque séduisante que fût cette théorie de l'infaillibilité, quelque confiance que Bossuet eût en elle, il avait plus de confiance encore dans la paix, et il n'aurait pas voulu qu'on soulevât de telles questions. S'il avait parlé librement, il aurait blâmé avec une égale force et les prétentions du roi, et la résistance obstinée de Rome. Et il essaya d'abord de faire l'accord[78].

Le discours d'ouverture, qu'il prononça le 9 novembre 1681, à la messe du Saint-Esprit, dans l'Eglise des Grands-Augustins, sur fut un chef-d'œuvre d'éloquence, de sagesse et de mesure. Il salua dans la chaire de Pierre, la plénitude de la puissance apostolique ; car, dit-il la foi romaine est toujours la foi de l'Eglise, on croit toujours ce qu'on a cru ; la même voix retentit partout, et Pierre demeure dans ses successeurs le fondement des fidèles. Mais il ajouta que si tout dépend du chef, c'est avec un certain ordre, et que c'est par les évêques qu'on doit venir au Saint-Siège. Il rappela la parole de saint Bernard qu'on ferait un monstre du corps humain si on attachait immédiatement tous les membres à la tête[79]. Passant ensuite aux droits des princes et aux libertés de l'Eglise gallicane sagement entendues, il proclama que marcher sur les traces de saint Louis et de Charlemagne, ce n'est pas se diviser d'avec le Saint-Siège, c'est au contraire conserver avec soin jusqu'aux moindres fibres qui tiennent les membres unis avec le chef ; ce n'est pas diminuer la plénitude de la puissance apostolique ; car l'océan même a ses bornes dans sa plénitude, et s'il les outrepassait sans mesure aucune, sa plénitude serait un déluge qui ravagerait tout l'univers. Le Pape, les évêques et le roi furent satisfaits. Bossuet, avec la conscience de sa maîtrise de parole et de pensée, écrivit le lendemain au cardinal d'Estrées : Je fis hier le sermon de l'Assemblée ; et j'aurais prêché dans Rome ce que j'y dis, avec autant de confiance que dans Paris[80].

Mais l'accord, relativement facile sur les principes généraux, Be rompait dans les questions particulières. L'archevêque de Parie, François de Harlay, l'archevêque de Reims, Charles-Maurice Le Tellier, fils du chancelier, l'évêque de Tournai, Choiseul-Praslin, le P. de la Chaise lui-même, et surtout Colbert, qui excitait les esprits par derrière, voulaient trancher d'abord, au profit de l'autorité royale, la question de la régale. Le Pape nous a poussés, disait-on ; il s'en repentira[81]. Bossuet, désespérant d'empêcher le débat, fit tous ses efforts pour que la décision de l'Assemblée ne fût pas blessante à l'égard de Rome. II y réussit à peu près...On décida que le droit de régale serait étendu à tous les évêchés, mais que les bénéficiers à charge d'âmes nommés par le roi devraient demander l'autorisation canonique. La régale temporelle était étendue ; mais la régale spirituelle était à peu près abolie : le droit canonique semblait essentiellement sauvegardé[82]. Aussitôt après avoir voté cette résolution, le 3 février 1682, l'Assemblée écrivit au Pape une lettre où elle se félicitait d'avoir travaillé à l'union si nécessaire entre le sacerdoce et l'Empire. Avec une hauteur un peu naïve, elle ajoutait : Très saint Père, nous vous prions d'être attentif pour considérer un peu quel roi nous avons. Le Souverain Pontife ne répondit pas.

Un grand débat sur le fond même de toutes les questions agitées, c'est-à-dire sur l'autorité du Pape, était inévitable. Il eut lieu : Bossuet eut besoin de toute sa sagesse et de toute son éloquence pour l'empêcher d'aboutir à une déclaration schismatique ou suspecte de schisme. A la suite d'un long rapport de l'évêque de Tournai, où le droit divin des rois avait été fermement affirmé et les prétendus empiètements des Papes vivement blâmés, l'Assemblée fut invitée à voter une déclaration qui refusait l'indéfectibilité. L'évêque de Meaux protesta. L'indéfectibilité du Saint-Siège dans la foi lui semblait péremptoirement établie par les paroles mêmes du Sauveur à saint Pierre : Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua[83]. Il distinguait du reste soigneusement entre tel ou tel Pape, qu'il croyait capable d'une erreur passagère, et le Saint-Siège, qu'il jugeait préservé de toute erreur permanente[84].

On chargea l'évêque de Meaux de résumer la doctrine gallicane. Il le fit dans les fameux Quatre articles de 1682. On y déclarait en substance : 1° que saint Pierre et ses successeurs n'ont reçu aucune autorité sur le temporel des rois ; 2° que le Pape est inférieur au concile, comme l'a déclaré le concile de Constance en ses sessions IV et V ; 3° que le Pape ne peut exercer son autorité que dans les limites des canons de l'Eglise universelle et conformément aux maximes de l'Eglise gallicane ; 4° Que les décisions des Papes, même en matière de foi, ne sont irréformables qu'après que le consentement de l'Eglise les a confirmées[85].

Ces quatre articles, furent votés le 19 mars 1682 par les soixante-douze membres de l'Assemblée. Ils ont été par un savant jurisconsulte dans les termes suivants : De ces quatre articles, dit M. Chénon, deux au moins portaient sur des questions dogmatiques qu'un concile œcuménique seul pouvait résoudre et qui sortaient de la compétence d'une Assemblée, même générale, du clergé français[86]. En droit, la déclaration était nulle quand même elle eût été exacte en fait. En était-il ainsi ? Un rapide examen des quatre articles va nous le montrer.

Le premier article déclare que le pouvoir séculier est indépendant du pouvoir spirituel, que les rois ne sont soumis dans les choses temporelles à aucune puissance ecclésiastique, que le Pape ne peut les déposer ni directement, ni indirectement, et peut délier leurs sujets du serment de fidélité ; à l'appui, l'Assemblée invoque le texte évangélique : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il y a sur ce premier article deux observations à faire : 1° l'Eglise a toujours enseigné que les deux puissances temporelle et spirituelle sont souveraines chacune dans leur domaine ; mais il y a une double condition à observer. Il faut que l'indépendance soit réciproque, et que chaque puissance reste bien dans son domaine. C'est ce qui n'avait pas toujours lieu autrefois, où les parlements empiétaient souvent sur le domaine réservé à l'Eglise ; 2° l'article ne spécifie pas laquelle des, deux puissances, quand il s'agit d'une matière mixte et qu'il y a conflit, dit avoir le dernier mot ; or, c'est là le point important. Sur cm point, les Papes du Moyen Age avaient élaboré et voulu imposer lm théorie du pouvoir direct de l'Eglise sur l'État : cette théorie, l'article 1er la repousse nettement. Mais, au XVIIe siècle, la plupart des théologiens soutenaient une autre théorie, plus exacte, celle du pouvoir indirect de l'Eglise. Ces théologiens disaient : en cas de conflit, l'Eglise ne peut déposer directement les rois, mais elle peut et elle doit indiquer aux fidèles quel est leur devoir ; c'est alors aux fidèles, comme citoyens. à l'accomplir s'ils le peuvent. Ils sont avertis que le prince a excédé ses pouvoirs, qu'il est sorti des limites de sa souveraineté : à eux d'agir pour l'y faire rentrer. Ce que l'Eglise ne peut pas faire, la Nation peut le faire, soit en résistant au prince, soit en le révoquant[87]. L'article 1er de la déclaration de 1682 ne s'expliquait pas clairement sur cette théorie, absolument irréprochable.

L'article 2 proclame qu'en matière spirituelle, le Pape, vicaire de Jésus-Christ, a toute puissance ; mais sous la réserve que les décrets du concile de Constance rendus dans les sessions 4 et 5, sur l'autorité des conciles généraux, demeureront dans leur force et vertu ; il ajoute qu'on doit repousser l'opinion des théologiens qui les considèrent comme douteux, ou non approuvés, ou comme se rapportant seulement au temps du Schisme. — Ces décrets, on le sait, admettaient la supériorité des conciles œcuméniques sur le Saint-Siège. L'assemblée de 1682 en s'appropriant ces décrets, à la suite de la pragmatique de Bourges, commettait donc une double erreur.

L'article 3, assez vague, se borne à dire qu'on doit observer vis-à-vis du Pape les canons inspirés de Dieu et consacrés par le respect du monde entier, et aussi les règles, coutumes et constitutions admises dans le royaume de France et dans l'Eglise gallicane. L'article, du reste, ne définissait pas exactement ce qu'il fallait entendre par les coutumes de l'Eglise gallicane ; et, à ce sujet, il y eut conflit entre les parlements et les évêques. Les parlements prétendaient que les coutumes visées n'étaient autres que les 83 articles du code de Pithou ; les évêques et Bossuet affirmaient, au contraire, qu'il avait voulu exclure les abus introduits par les magistrats contre les droits de l'Eglise. Leurs protestations furent vaines ; et, en fait, les parlements regardèrent le Code de Pithou comme consacré législativement par la déclaration de 1682.

Le 4e article, très court, tranche une question de dogme importante : Quoique le Pape ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets s'adressent à toutes les, Eglises set à chacune d'elles, cependant son jugement n'est irréformable que si le consentement de l'Eglise s'y ajoute. En d'autres termes qui seront mieux compris de nos jours, le Pape, même dans les questions de foi et quelle que soit à cet égard sa grande autorité, n'est pas infaillible. Cet article était contraire à l'enseignement de saint Bernard et de saint Thomas d'Aquin, fort net sur ce point[88] : il était contraire aussi aux définitions données par les conciles œcuméniques de Lyon (1245) et de Florence (1439), et, ce qui est plus piquant, aux déclarations faites en 1625 et 1653 car deux assemblées générales du clergé de France lui-même. Néanmoins, pour employer les expressions des canonistes, la doctrine de l'infaillibilité du Pape, non sanctionnée par l'anathème, n'était pas encore de fide ; elle était seulement prope fidem. Il n'en reste pas moins acquis que, sur les quatre articles de 1683, deux au moins n'étaient pas conformes à la doctrine commune de l'Eglise[89].

 

IV

L'intervention de Bossuet avait fait écarter de la Déclaration du Clergé de France toute formule schismatique ; mais on était toujours sur la pente du schisme. Il avait été relativement facile à Louis XIV d'arracher à une Assemblée soigneusement choisie, des déclarations conformes à ses vues ; le roi devait trouver dans le parlement la même docilité, mais il allait rencontrer dans les ordres religieux, dans la Sorbonne, dans tous ceux qu'animait un sens catholique plus profond, dans cette force anonyme avec laquelle les rois absolus eux-mêmes doivent toujours compter, l'opinion publique, et surtout dans le Chef de l'Eglise, une opposition irréductible ; et, finalement, on allait voir, une fois de plus, dans l'histoire, un pouvoir temporel tout puissant s'amender devant une autorité spirituelle désarmée.

Dès le 22 mars 1682, le roi confirma la déclaration par un édit que le parlement s'empressa d'enregistrer. Cet édit faisait défense à tous les sujets du roi d'enseigner ou d'écrire aucune chose contraire à la doctrine contenue dans la Déclaration, et enjoignait à tous les professeurs de théologie de la commenter chaque année. Cet ordre était d'une exceptionnelle gravité. La Faculté de Paris, à elle seule, comptait, en 1682, 753 docteurs. Les maisons de Sorbonne, de Navarre, des Cholets, de Saint-Sulpice, etc., et les diverses communautés qui florissaient à Paris et qui composaient le corps de la Faculté, formaient la plupart des évêques et des prêtres de l'Eglise de France[90]. Si le vœu du roi et de ses conseillers eût été obéi, c'en était fait de la croyance à l'infaillibilité pontificale parmi le clergé de France. Mais celui-ci n'avait pas oublié que, suivant la parole de saint Thomas, la publication d'un symbole de foi appartient uniquement au Pontife romain[91], et la meilleure partie des prêtres croyait à l'infaillibilité du Pape. En France, déclare loyalement le gallican Fleury, on ne trouve guère de réguliers qui ne soient persuadés de l'infaillibilité ; et non seulement les religieux, mais les communautés de prêtres, quoique sans privilèges et soumis aux évêques, inclinent de ce côté comme plus conforme à la piété[92]. La Sorbonne résista. Le 2 mai, une délégation du parlement vint lui ordonner l'enregistrement de la Déclaration et de l'édit. Le doyen d'âge, M. Bétille, affaibli par les années et sur la faiblesse de qui on avait sans doute compté, prononça ces seuls mots : Gratias agimus amplissimas. Et, sur une nouvelle injonction, il ajouta : Facultas pollicetur obsequium (la Faculté promet le  respect). Puis il se leva et sortit[93]. Le 16 juin, le greffier de la Faculté, mandé au parlement, enregistra de force la déclaration, sous la dictée du greffier de la cour. Huit docteurs furent exilés en province, par lettres de cachet. Le 29 juin une lettre de cachet supprima les assemblées de Sorbonne. Bref, las de toutes ces tracasseries, les professeurs de théologie finirent par se résigner à commenter les quatre articles, mais ils les commentèrent à leur façon, et un certain nombre n'hésitèrent pas à combattre le sens qu'avait voulu leur donner l'Assemblée. Louis XIV devait déclarer, dans une lettre écrite en 1713, il n'avait obligé personne à soutenir ; contre sa propre opinion, les propositions du clergé de France[94].

Au milieu de ces luttes, l'opinion publique s'était rangée du côté du clergé indépendant. Les couplets satiriques n'avaient pas ménagé les prélats et abbés courtisans de l'Assemblée. A leur départ on leur avait chanté :

Prélats, abbés, séparez-vous ;

Laissez un peu Rome et l'Eglise !

Un chacun se moque de vous,

Et toute la cour vous méprise.

C'était de plus en plus vrai. En 1685, Mme de Sévigné, rappelant une thèse dédiée au roi, où on le comparait à Dieu, mais d'une manière où l'on voyait clairement que Dieu est la copie, s'écriait : Trop est trop ![95]

Pendant la lutte engagée entre le parlement et la Sorbonne, les chansons redoublèrent. On chanta, sur l'air de la prose pascale :

Harlay, La Chaise et Champvallon

Et le président de Novion

N'ont voulu que le roi cédât

Alléluia !

Qu'on nous tienne pour insensée

S'ils sont jamais canonisés,

A moins d'un bon mea culpa :

Alléluia !

Le roi se préoccupa de ces critiques, comme en témoigne la lettre suivante du marquis de Seignelay à La Reynie : Sa Majesté a été informée qu'on a fait plusieurs chansons sur le fait de la régale et de l'Assemblée du clergé. Elle m'ordonne de vous écrire pour que vous fassiez toute diligence pour en découvrir les auteurs[96].

Innocent XI ne jugea pas à propos de condamner, pour le moment, les quatre articles. Il se contenta de refuser les bulles d'institution à tout ancien membre de l'Assemblée que le roi nommait à un évêché ou à un archevêché. Louis XIV s'appliqua à ne proposer que ceux-là ; le Pape tint bon ; si bien qu'en janvier 1688, trente-cinq sièges furent vacants.

Mais à cette époque un nouvel incident avait encore aigri les rapports de la cour de France avec la Papauté. Lès ambassadeurs catholiques résidant à Rome avaient peu à peu étendu 'à tout leur quartier le droit d'asile et de franchise dont jouissait leur hôtel. C'était un abus qui permettait aux criminels de se, soustraire aux recherches de la justice. Les franchises, écrit M. Hanotaux[97], étaient devenues le plus sérieux obstacle à la pacification et à la moralisation publiques. Innocent voulut les abolir. Il obtint facilement le consentement de tous les autres princes. Mais Louis XIV répondit avec orgueil que Dieu l'avait établi pour servir d'exemple aux autres et non pour se régler sur l'exemple d'autrui. Son nouvel ambassadeur, le marquis de Lavardin, entra insolemment dans Rome avec deux cents hommes armés pour occuper le quartier Farnèse. Le Pape l'excommunia[98]. Louis XIV fit saisir Avignon, et, le 24 septembre, en présence du P. de la Chaise son confesseur, et de M. de Harlay, archevêque de Paris, il donna ordre au Procureur Général d'interjeter appel au futur concile de toutes procédures faites ou à faire par le Pape contre lui.

Alexandre VIII, qui succéda à Innocent XI en août 1689, non seulement persista à refuser les bulles d'institution dans les cas prévus par son prédécesseur, mais accentua son attitude. Par la bulle Inter multiplices, qu'il publia le 4 août 1690, il déclara les actes de l'Assemblée de 1682 nuls, invalides et sans force. Cette bulle était accompagnée d'une lettre touchante, écrite par le vieux Pape sur son lit de mort, et par laquelle il suppliait le roi de France de revenir sur ses décisions. Un moment après, il expirait.

Ce fut le point de départ d'une détente. Louis XIV désirait, depuis quelque temps, mettre fin au conflit. La mort de Colbert, en 1683, et la formation de la Ligue d'Augsbourg, en 1686, avaient Multiplié les embarras de. sa politique intérieure et extérieure. D'autre part, depuis 1685, l'influence de Mme de Maintenon avait réveillé ses sentiments religieux. En 1685, Louis XIV avait choisi la Pape pour servir d'arbitre entre lui et l'empereur à l'occasion d'une contestation territoriale, et ce fut en partie, nous l'avons vu, pour lui prouver son orthodoxie, qu'il avait hâté la révocation de l'Edit de Nantes. Des négociations, engagées en 1690, se poursuivirent pendant deux ans. Le Pape pi omit de donner des bulles aux évêques nommés qui déclareraient se repentir du fond du cœur de ce qu'ils avaient fait à l'Assemblée de 1682 et réprouver tout ce qui y avait été fait contre la puissance pontificale. Le 11 septembre 1693, le roi écrivit lui-même à Innocent XII : Très Saint-Père, je suis bien aise de faire savoir à Votre Sainteté que j'ai donné les ordres nécessaires pour que les choses ordonnées par mon édit de 1682... ne soient pas observées[99]. Et Bossuet, obligé de remanier la Défense de la Déclaration, s'écria : Abeat ergo Declaratio quo libuerit ! Que la Déclaration s'en aille où elle voudra ![100]

Peu de temps après, en avril 1695, Louis XIV rendait un long édit qui mérite d'être spécialement analysé, parce qu'il devait être appliqué sans modification sensible jusqu'à la Révolution[101].

Cet édit réglait la condition juridique des personnes et des biens d'Eglise, soit au point de vue judiciaire, soit au point de vue administratif. Au point de vue judiciaire, il consacrait d'ordre judiciaire, définitivement la situation de plus en plus réduite faite aux tribunaux ecclésiastiques par une foule d'ordonnances antérieures[102]. Louis XIV déclara qu'à partir de la publication de son édit, la compétence des juges d'Eglise s'étendrait exclusivement à la connaissance des causes concernant les questions doctrinales, l'administration des 'sacrements, l'observation des vœux de religion, le règlement des honoraires dus aux clercs et employés d'Eglise et à la discipline ecclésiastique. En dehors de ces cas, le juge civil restait seul compétent. La juridiction temporelle qui, depuis Constantin, avait toujours appartenu, dans une mesure plus ou moins large, aux gens d'Eglise, leur échappait désormais totalement. Quant à la juridiction spirituelle, en apparence elle, restait tout entière aux tribunaux ecclésiastiques, et ceux-ci avaient même le droit de recourir, en cas de besoin, à l'autorité séculière pour faire exécuter leurs sentences. Mais n'oublions pas une restriction importante, que l'édit de 1695 rappelait expressément. Les jugements reniais par les officialités étaient bien sanctionnés par le pouvoir civil, mais à la condition que la sentence rendue ne fût pas déclarée abusive par le parlement du ressort. Le roi, en effet, tout en défendant aux juges séculiers de s'immiscer dans les questions religieuses ou disciplinaires, leur permettait d'en connaître sous prétexte d'abus ; l'exception détruisait à peu près la règle. Au Moyen Age, on avait reproché aux cours d'Église d'empiéter sur la justice civile ; le reproche, au XVIIe siècle, pouvait être retourné[103].

Il faut reconnaître toutefois que le règlement des questions d'ordre administratif était inspiré par un esprit libéral et accordait à l'Église une vraie indépendance. Les archevêques et évêques seront nommés par le roi, mais institués canoniquement par le Pape. On leur reconnaît le droit de donner leur visa, après enquête, aux bénéficiers pourvus en cour de Rome, de visiter ou faire visiter leur diocèse, de donner et de révoquer les pouvoirs des prédicateurs et des confesseurs, de régler par eux-mêmes tout ce qui concerne le service divin, les sépultures, la bonne conduite des curés, tant réguliers que séculiers. Ils auront aussi le droit de visiter les monastères non exempts pour y remédier aux abus, et ce, s'il le faut, en requérant l'aide du pouvoir civil dans la mesure où ils le jugeront à propos. Les marguilliers et les fabriciens devront obtempérer à leurs ordres. Les précepteurs, régents, maîtres et maîtresses d'école seront approuvés par les curés, examinés sur le catéchisme par l'évêque et révocables par lui.

Les évêques auront enfin le droit de fixer les honoraires dus pour fonctions ecclésiastiques, en y apportant la modération convenable, d'instituer ou de supprimer à leur gré toutes fêtes religieuses et de veiller sur l'administration des hôpitaux et établissements de bienfaisance.

En somme, la distinction des deux pouvoirs, spirituel et temporel, s'opérait dans un esprit plus équitable. Mais le gallicanisme à demi vaincu laissait vivante en France une doctrine plus  partie comme perturbatrice de l'ordre chrétien, et qui, partie comme lui d'un prétendu esprit de conservation, d'un soi-disant retour au christianisme primitif, travaillait plus efficacement en cure la ruine de l'Eglise ; nous voulons parler du jansénisme.

 

 

 



[1] G. HANOTAUX, Histoire du cardinal de Richelieu, t. II, p. 17.

[2] Sur GERSON, voir Hist. gén. de l'Eglise, t. V. En réalité, Gerson admet que les curés participent au pouvoir des évêques.

[3] Edmond Richer, né à Chource, dans le diocèse de Langres, en 1560, mort à Paris en 1631, nommé syndic de la Faculté de Théologie de Paris en 1608 publia l'ensemble de ses doctrines, en 1611, dans un livre intitulé De la puissance ecclésiastique et politique. Voir PUYOL, Edmond Richer, 2 vol. in-8°, Paris, 1876. Richer assigna comme siège de la Puissance ecclésiastique totum ordinem hierarchicum, episcopali et sacerdotali ordini constantem. Libellus de aulor. et polit. potestate, c. II, cf. PUYOL, op. cit., t. I, p. 251 et s. et Appendice.

[4] Marc-Antoine de Dominis, né 1566, sur la côte de Dalmatie, d'abord religieux de la Compagnie de Jésus, puis prêtre séculier et archevêque de Spalatro, soutint dans son livre De Republica christiana, paru en 1617, que l'autorité de l'Eglise est dans l'ensemble des fidèles. Totam Ecclesiam esse columnam et firmamentum veritatis, et hanc Ecclesiam totam non esse in solis episcopis et presbyteris... et consensus totius Ecclesiæ intelligitur etiam in laïcis. De Rep. Christ., l. I, G. XII, n. 10, 42.

[5] G. HANOTAUX, Hist. du Card. de Richelieu, t. II, p. 26. La doctrine du gallicanisme parlementaire se trouve exprimée dans le fameux ouvrage de Pierre PITHOU, Les libertés de l'Eglise gallicane, 1 vol. in-12, 1594. C'est un véritable Code, en 83 articles, du gallicanisme. On reconnaît au roi de France, entre autres, les droits suivants : empêcher les évêques de communiquer avec le Pape, leur défendre de sortir du royaume, vérifier et supprimer au besoin les Décrétales pontificales, interdire les appels à Rome et les réunions des conciles en France, s'opposer à la réception en France des conciles même œcuméniques. Pierre Pithou, jurisconsulte éminent de la fin du XVIe siècle, lettré fin et délicat, édita un grand nombre de vieux textes juridiques, publia des œuvres de Quintilien, de Pétrone et de Salvien, et collabora à la Satire Ménippée, qui lui doit, dit-on, le discours de Daubray. Pendant les guerres de religion, il se rangea d'abord dans le parti calviniste, et n'échappa au massacre de la Saint-Barthélemy qu'en se sauvant par les toits de la maison qu'il habitait. Il se rallia ensuite au parti d'Henri IV et fit son abjuration en même temps que le roi. Il eut dès lors toutes les faveurs.

[6] Sur ces libelles, qui s'attaquaient, pour la plupart, directement à Richelieu, voir HUBAULT, De politicis in Cardinalem Richelieu libellis, 1 vol. in-8°, et MAYNARD, Saint Vincent de Paul, t. IV, p. 1 et s.

[7] E. PUYOL, Edmond Richer et La rénovation gallicanisme au XVIIe siècle, II, p. 259.

[8] E. PUYOL, Edmond Richer et La rénovation gallicanisme au XVIIe siècle, II, p. 264-265.

[9] E. PUYOL, Edmond Richer et La rénovation gallicanisme au XVIIe siècle, II, p. 280-281.

[10] E. PUYOL, Edmond Richer et La rénovation gallicanisme au XVIIe siècle, II, p. 242-245.

[11] D'après MORÉRI, Dictionnaire, au mot Richer, la rétractation de Richer lui aurait été arrachée, le poignard sous la gorge, au milieu d'une scène dramatique, organisée par le P. Joseph, dans la chambre même du capucin. Ce récit, encore reproduit dans l'Encyclopédie des sciences religieuses, au mot Richer, a son origine dans une prétendue lettre d'un sieur Morizot, évidemment calomnieuse. — Voir PUYOL, Edmond Richer, t. II, p. 375-381. Richer mourut en 1631, après avoir protesté solennellement de la liberté de sa rétractation.

[12] BOSSUET, Gallia orthodoxa, § XV, édit. Lachat, t. XXI, p. 24.

[13] C'est ce qu'on a le droit de conclure de divers indices, notamment de l'examen du manuscrit conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Mss. Ef, 13. Les passages trop favorables au Souverain Pontife ont été biffés.

[14] D'abord le 7 avril 1642, puis le 5 novembre 1664.

[15] Pierre de Marca, entré dans les ordres après la mort de sa femme, fut nommé archevêque de Toulouse en mars 1655.

[16] E. LAVISSE, Hist. de France, t. VII, IIe partie, p. 16.

[17] De nombreux documents, entre autres la correspondance de Bargellini, nones de France, confirment ce fait, parfois méconnu. Voir GAUCHIE, Le gallicanisme en Sorbonne, dans la Revue d'Hist. ecclés. de Louvain, d'octobre 1902, janvier et juillet 1903.

[18] On sait que le concordat de 1516 avait aboli les élections dans les églises cathédrales et métropolitaines. Les nominations épiscopales étaient faites par le roi de France, sous la double condition d'avoir atteint vingt-sept ans d'âge et d'être muni du brevet de docteur ou de licencié. Un mérite exceptionnel, la qualité de religieux mendiant, ou encore celle de prince du sang ou de grand seigneur dispensait de la seconde condition. Le Pape n'avait le droit de nommer qu'après trois nominations irrégulières faites par le roi, ou pour la succession des prélats décédés en cour de Rome.

[19] Louis XIV ayant voulu, un jour, avoir une assemblée des évêques de France, put fixer an lendemain la date de la réunion, car il trouva à la cour même cinquante-trois prélats, Racine composa à cette occasion l'épigramme suivante :

Un ordre, hier venu de Saint-Germain,

Veut qu'on s'assemble : on s'assemble demain,

Notre archevêque et cinquante-deux autres

Successeurs des Apôtres,

S'y trouveront. Or de savoir quel cas

S'y traitera, c'est encore un mystère :

C'est seulement chose très claire

Que nous avons cinquante-deux prélats

Qui ne résident pas,

[20] Cf. Mémoires de Louis XIV, p. 118, cité par Ch. GÉRIN, Recherches historiques sur l'Assemblée de 1682, 2e édition, p. 52.

[21] Cité par GÉRIN, op. cit., p. 51. Ce Le Vayer était d'ailleurs un homme fort intelligent et très actif. On lui doit le Code de la marine et un grand nombre d'actes du ministère de Colbert, dont il fut le collaborateur dévoué.

[22] Le mémoire de M. de Marca, adressé à Louis XIV, n'a jamais été publié. M. BOUIX, dans son traité De Papa, t. I, p. 568, avait prétendu que le mémoire était garde dans la bibliothèque du séminaire de Saint-Sulpice, et que les sulpiciens se gardaient de le mettre au jour à cause de la vigueur avec laquelle les théories romaines y étaient affirmées et démontrées. Dom GUÉRANGER, dans son traité De la monarchie pontificale, p. 13, avait soutenu aussi que le mémoire était conçu dans un sens très ultramontain. Mgr Puyol a découvert le manuscrit de M. de Marca à la bibliothèque Sainte-Geneviève et en a donné l'analyse. L'auteur, comme il était vraisemblable de le supposer, étant donné le but qu'il se proposait, y expose le système d'un gallicanisme modéré. PUYOL, Edmond Richer, t. II, p. 466.

[23] Louis XIV, voulant récompenser M. de Marca de ses services, le fit nommer archevêque de Paris ; mais le prélat mourut trois jours après avoir reçu ses bulles, le 29 juin 1662. Un plaisant lui composa cette épitaphe :

Ici git Monsieur de Marca

Que le plus grand des rois marqua

Pour le prélat de son Eglise ;

Mais la mort, qui le remarqua,

Et qui se plaît à la surprise,

Tout aussitôt le démarqua.

[24] Cité par LAVISSE, Hist. de France, t. VII, IIe partie, p. 270. Voir le récit de cet épisode, fait d'après les Archives du ministre des Affaires étrangères de France et d'après les Archives du Vatican, dans GÉRIN, Louis XIV et le Saint-Siège, 2 vol. in-8°, Paris, 1894, et Revue des Questions historiques, t. X, p. 66-147.

[25] Bibl. nationale, Mélanges Colbert, t. XI, cité par GÉRIN, op. cit., p. 13.

[26] Voir les principaux extraits de ces correspondances dans HERMANT, Mémoires, édit. Gazier, Paris, 1908, t. V, p. 516-563, 612-687.

[27] RAPIN, Mémoires, t. III, p. 195.

[28] SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. IV, p. 152.

[29] GÉRIN, Recherches historiques sur l'Assemblée de 1682, 2e édition, p. 20.

[30] GÉRIN, Recherches historiques sur l'Assemblée de 1682, 2e édition, p. 21.

[31] CAUCHIE, Le gallicanisme en Sorbonne, dans la Revue d'hist. ecclés. de Louvain, oct. 1902, janvier et juillet 1903.

[32] ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XIX, p. 67-69.

[33] La lettre de l'Assemblée de 1632 à Innocent XI essayera de faire remonter à Clovis l'origine de la régale (Mémoires du Clergé, t. XI, col. 213-214). Mais cette opinion n'a aucun fondement historique.

[34] Voir FLEURY, Histoire ecclésiastique, l. LXX, ch. XXXIV ; 1. LXXVI, ch. LXI ; l. LXXXV, ch. XLIV et LVIII.

[35] Le concile déclare excommuniés ipso facto... universos et singulos qui regalia de novo usurpare conantes, bona ecclesiarum... occupare præsumunt. MANSI, t. XXIV, col. 90. Le texte du concile, on le voit, s'applique expressément à la régale temporelle, et non pas seulement à la régale spirituelle. Toutefois il ne paraît pas que le concile ait voulu trancher par là la grave question des droits de l'Etat sur les Liens ecclésiastiques. Voir Jules LOYSON, L'Assemblée du clergé de France de 1682, 1 vol. in-8°, 1850, p. 4-5.

[36] Voir la Vie de M. Pavillon, rédigée d'après des mémoires originaux, par M. PANIS, prêtre, 3 vol., 1738.

[37] SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. IV, p. 358.

[38] Voir sa lettre à Innocent XI, citée par DEJEAN, Un prélat indépendant, Nicolas Pavillon, 1 vol. in-8°, Paris, 1909, p. 270.

[39] Petit homme, dit le P. Rapin, parvenu à l'épiscopat je ne sais par où ni comment. RAPIN, Mémoires, t. III, p. 444. On sait de source certaine que ce fut sur la proposition de saint Vincent de Paul, qui parla de Caulet à la reine Anne d'Autriche. Caulet n'accepta l'épiscopat qu'après plusieurs mois de résistance. Il fut sacré à Saint-Sulpice en 1645. Voir BERTRAND, Bibliothèque sulpicienne, t. III p. 2.

[40] Voir les détails dans G. DOUBLET, F. de Caulet, 1 vol. in-8°, Paris, 1895, p. 6-31, Cf., du même, Un diocèse pyrénéen sous Louis XIV, in-8°, 1895.

[41] Cité par DOUBLET, F. de Caulet, p. 177.

[42] DOUBLET, F. de Caulet, p. 178-179.

[43] DOUBLET, F. de Caulet, p. 30. Plus tard, dans une lettre du 26 août 1683, Antoine Arnauld écrivait à M. de Vaucel qu'une dame s'était recommandée à feu M. de Pamiers dans la même vue que la mère de Samuel. Cité par SAINTE-BEUVE, Port-Royal, 4e édition, t. V, p. 449.

[44] BERTRAND, Bibliothèque sulpicienne, t. III, p. 25.

[45] Ce point nous paraît établi par l'étude de M. BERTRAND dans sa Bibliothèque sulpicienne, t. III, p. 22-25. M. Bertrand reproduit intégralement le mandement publié par l'évêque de Pamiers à l'occasion du Formulaire proscrit par Alexandre VII. Ibid., p. 24-26.

[46] BESOIGNE, Vie des quatre évêques engagés dans la cause de Port-Royal, pour servir de supplément à l'Histoire de Port-Royal, en 6 vol., Cologne, 1756, t. II, p. 156 ; Vie de M. Pavillon, t. I, p. 205 ; Journaux de M. Deslyons, année 1659, p. 192.

[47] Des évêques de quelques provinces, qui ne se croyaient pas sujets au droit régale, firent quelque difficulté d'obéir à la déclaration du roi. MORÉRI, Dictionnaire historique, au mot Caulet.

[48] MORÉRI, Dictionnaire historique, au mot Caulet.

[49] BERTHIER, Innocentii Papæ XI epistolæ, Romæ, 1890, in-fol., t. I, p. 61.

[50] BERTHIER, Innocentii Papæ XI epistolæ, Romæ, p. 157-158.

[51] GÉRIN, p. 76.

[52] Mme DE SÉVIGNÉ, Correspondance, dans la Collection des Grands Ecrivains, t. VI, p. 525.

[53] Mme DE SÉVIGNÉ, Correspondance, t. VII, p. 36-37. Mme de Sévigné veut parler des quatre évêques qui avaient refusé de signer le Formulaire : Pavillon, Caulet, Arnauld, Buzenval, et probablement de Vialard, évêque de Châlons, qui avait pris de quelque manière leur défense.

[54] DUMOULIN, De resignatione. Cf. THOMASSIN, Ancienne et nouvelle discipline, t. IV, p. 401.

[55] Voir d'autres exemples dans GÉRIN, Recherches historiques sur l'Assemblée de 1682, 2e édition, p. 63 et s.

[56] P. CLÉMENT, Une abbesse de Fontevrault au XVIIe siècle, dans la Revue des Questions Historiques de 1869, p. 483-484.

[57] Mme DE SÉVIGNÉ, Lettre du 11 septembre 1680, Correspondance, t. VII, p. 71. Monsieur de Rennes, qui a repassé par ici en revenant de Lavardin, m'a conté qu'au sacre de Mme de Chelles, les tentures de la couronne, les pierreries au soleil du Saint-Sacrement, musique exquise, les odeurs, et la quantité d'évêques qui officiaient, surprirent tellement une manière de provinciale qui était là s'écria tout haut : N'est-ce pas ici le Paradis ?Ah ! non, Madame, dit quelqu'un, il n'y a pas tant d'évêques. Le Mercure de septembre 1680 contient une longue description de la cérémonie et du régal qui la suivit. On servit cinq tables en deux différentes salles, quatre de vingt-quatre couverts et une de quinze. Mercure de sept. 1680, p. 167-176. Moréri appelle l'abbesse de Chelles Jeanne et non Catherine.

[58] Ch. GÉRIN, p, 109-111.

[59] Cité par GÉRIN, p. 114.

[60] Le recueil le plus curieux et le plus complet de pièces originales concernant l'Assemblée de 1682 est le manuscrit 2288 de la bibliothèque de l'Arsenal : Recueil de pièces qui concernent les affaires traitées dans les Assemblées du clergé, 1680, 1681, 1682, en 4 volumes, avec deux tables générales. Ce manuscrit, qui provient de la Bibliothèque du Séminaire de Saint-Sulpice, est souvent cité sous le nom de Manuscrit de Saint-Sulpice.

[61] SAINT-SIMON, Mémoires, ann. 1695, édit. de Boislisle, t. II, p. 350.

[62] SAINT-SIMON, Mémoires, t. II, p. 349.

[63] Dans sa fameuse lettre à Louis XIV, écrite en 1693, Fénelon disait au roi : Vous avez un archevêque corrompu, scandaleux, incorrigible, faux... Vous vous en accommodez parce qu'il ne songe qu'à vous plaire par ses flatteries. Lettre de Fénelon à Louis XIV, édit. de 1825, p. 23-24. Tallemant des Réaux a fait de M. de Harlay le héros de plusieurs de ses Historiettes. Il mourut, frappé subitement d'apoplexie, dans son beau jardin de Conflans, où, selon Saint-Simon, à mesure qu'il se promenait, des jardiniers le suivaient à distance pour effacer ses pas avec des râteaux. (SAINT-SIMON, Mémoires, édit. Boislisle, t. II, p. 351). Le P. Gaillard, jésuite, fut chargé de faire son oraison funèbre. On connaît le mot de Mme de Coulanges à ce propos : On prétend qu'il y a deux petites bagatelles qui rendent cet ouvrage difficile : c'est la vie et la mort. — Il est vraisemblable que les jansénistes, que M. de Harlay avait poursuivis avec acharnement, aient quelque peu exagéré ses torts.

[64] SAINTE-BEUVE, Nouveaux Lundis, t. V, p. 173.

[65] C'est à cette occasion, en effet, que Racine composa l'épigramme citée plus haut.

[66] Le projet était ancien. Dès 1670, le complaisant Baluze, dans un mémoire rédigé pour le roi, disait : Je me suis un peu étendu sur l'autorité spirituelle des Assemblées, pour examiner si, dans certaines occasions, elles peuvent avoir le pouvoir d'un Concile national... Il peut arriver que le Roi soit bien aise de pouvoir opposer cette autorité aux entreprises de la cour de Rome. Cité par GÉRIN, p. 168.

[67] GÉRIN, p. 171.

[68] Voir un certain nombre de faits cités par GÉRIN, d'après des documents d'Archives, p. 171-200.

[69] URBAIN et LEVESQUE, Correspondance de Bossuet, t. II, p. 256.

[70] FLEURY, Nouveaux opuscules, 2e édition, p. 210.

[71] SAINT-SIMON, Mémoires, édit. De Boislisle, t. II, p. 350.

[72] F. BRUNETIÈRE, dans la Grande Encyclopédie, au mot Bossuet. Il est plus facile, a dit La Rochefoucauld, de connaître l'homme en général que de connaître les hommes en particulier. Il n'y a pas, au XVIIe siècle, de grand écrivain de qui cette observation soit plus vraie que de Bossuet. Aussi ne l'a-t-on jamais accusé, comme Bourdaloue, d'avoir fait dans ses sermons des portraits ou des caractères, BRUNETIÈRE, Ibid.

[73] LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édition, p. 370.

[74] Voir J. GAIGNET, Le prétendu mariage de Bossuet, Paris, Bloud, 1907.

[75] BRUNETIÈRE, dans la Grande Encyclopédie, au mot Bossuet.

[76] Correspondance de Bossuet, t. II, p. 280-281.

[77] Voir dans GÉRIN, op. cit., les chap. VII et VIII : Dénombrement des membres de l'Assemblée, p. 208-304.

[78] F. STROWSKI, Bossuet, Paris, Lecoffre, 1901, p. 285-284.

[79] S. BERNARD, De consideratione, l. III, c. IV.

[80] BOSSUET, Correspondance, édit. Urbain et Levesque, t. II, p. 268.

[81] Ces paroles sont attribuées à M. de Harlay et au P. de la Chaise par FLEURY, dans ses précieuses Anecdotes sur l'Assemblée de 1682. FLEURY, Nouveaux opuscules, 2e édition, p. 210.

[82] Ces décisions de l'Assemblée furent communiquées au roi, qui, dit la Gazette de France du 24 janvier 1682, les approuva par sa Déclaration qui fut lue à l'Assemblée le 15 de ce mois. C'est à cet acte de Louis XIV que fit allusion Bourdaloue, lorsque, dans son deuxième sermon sur la Purification, prononcé le 2 février 1682, à Saint-Germain-en-Laye, célébra cette déclaration si authentique, si sensée, si pleine de l'esprit chrétien, si propre à concilier le sacerdoce et la royauté. C'est à tort qu'on a voulu voir dans ces paroles une allusion à la Déclaration des quatre Articles ; celle-ci ne fut votée que le 15 mars. C'est également à tort que M. Feugère (Bourdaloue et son temps, p. 196), déclare que Bourdaloue s'est toujours abstenu sur la question du gallicanisme, et que le P. Lauras voit dans les paroles du prédicateur une réserve et presque une leçon donnée au Roi. Le compliment du 2 février, dit le P. Griselle, est à la fois plus clair et plus banal. Il est superflu d'y chercher un témoignage de gallicanisme, mais excessif d'y vouloir découvrir des réserves et une leçon indirecte. Voir sous cette question E. GRISELLE, Bourdaloue, Histoire critique de sa prédication, 2 vol. in-8°, Paris, 1901, p. 537-542, 616-617.

[83] Luc, XXII, 32.

[84] C'est la célèbre distinction inter Sedem et Sedentem, aujourd'hui condamnée par le Concile du Vatican, mais qui pouvait être alors librement débattue entre catholiques. Cf. FÉNELON, De Summi Pontificis auctoritate, Paris, Gaume, 1848, t. II, p. 11-15.

[85] Voir le texte intégral des quatre Articles dans DENZINGER-BANNWART, Enchiridion, n. 1322-1326.

[86] Les évêques de France ne visaient pas, disaient-ils, à donner une décision dogmatique, ils entendaient seulement déclarer quel était le sentiment de l'Eglise de France sur ces matières. Mais le seul fait de poser, en face de nome, et comme sous la protection du roi de France, une pareille Déclaration, constituait une hardiesse suspecte.

[87] C'est ce que Fénelon appelle le pouvoir directif ou déclaratif de l'Eglise. Voir son traité De Summi Pontificis auctoritate, c. XXXIX. FÉNELON, Œuvres complètes, Paris, 1848, t. II, p. 46.

[88] Voici le texte de saint Thomas : Appartient-il au Souverain Pontife d'ordonner un symbole de foi ? — Je réponds en disant qu'une nouvelle édition du symbole est nécessaire pour éviter les erreurs qui le concernent l'édition du symbole appartient à l'autorité de celui-là à l'autorité duquel il appartient de déterminer finalement les choses qui sont de foi, afin qu'elles soient tenues par tous d'une foi ferme : or, cela appartient à l'autorité du Souverain Pontife, à qui les plus importantes et les plus difficiles questions de l'Eglise sont soumises... La raison de cela est que la foi doit être une dans toute l'Église, selon saint Paul (Ire ad Cor., 1), ce qui ne pourrait avoir lieu, la question de foi soulevée n'était pas tranchée par celui qui préside à toute l'Eglise, et de telle façon que sa décision soit tenue fermement par toute l'Eglise. (Secunda secundæ, questio I, art. 10).

[89] E. CHÉNON, professeur à la Faculté de droit de Paris, Les rapports de l'Eglise et de l'Etat, du Ier au XXe siècle, Paris, 1904, p. 144-147. — Les mêmes appréciations se trouvent exposées par M. CHÉNON dans l'Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. VI, p. 255-257.

[90] GÉRIN, p. 373.

[91] Summa teologiæ, 2a 2ae, qu. I, art. 10.

[92] FLEURY, Nouveaux opuscules, 2e édition, p. 154.

[93] GÉRIN, p. 383, d'après la relation d'un témoin oculaire.

[94] Citée par GÉRIN, p. 502.

[95] Lettres de Mme de Sévigné, édition des Grands Ecrivains de la France, t. VII, p. 402, lettre du 13 juin 1685 à Mme de Grignan.

[96] DEPPING, Correspondance diplomatique sous le règne de Louis XIV, t. II, p. 571.

[97] HANOTAUX, Recueil des instructions, données aux ambassadeurs, t. I, p. 234-235.

[98] Louis XIV lui-même fut excommunié le 18 novembre 1687 par Lettre d'Innocent XI, mais le secret de cette peine canonique, demandé au pape par Louis XIV, fût strictement gardé. Voir DUBRUEL, L'Excommunication de Louis XIV, dans les Études du 5 décembre 1913, p. 608-635.

[99] Le texte de cette lettre, autrefois contestée, a été publié par M. ARTAUD DE MONTOR, dans son Histoire de Pie VII, 3e édition, t. II, p. 171.

[100] Ces mots ne signifient nullement que Bossuet avait abandonné la doctrine gallicane de la Déclaration. Le contexte indique qu'il était resté fidèle à cette doctrine : Manet inconcussa, écrit-il, et censurm omnis expérs prisco illa sententia Parisiensium. Bossuet resta toujours opposé à l'infaillibilité du Pape et partisan de l'indéfectibilité du Saint-Siège, entendue d'ailleurs de plus en plus dans un sens favorable au Pontife romain.

[101] ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XX, p. 243-257.

[102] On sait que la compétence juridique des cours d'Eglise s'était très étendue au Moyen Age ; elle avait atteint son apogée au XIIIe siècle, et, en somme, cette extension avait été un bienfait pour la société, les juges ecclésiastiques se trouvant être les plus instruits et les plus équitables. Les conditions nouvelles des sociétés modernes nécessitaient un remaniement de cette organisation judiciaire. Malheureusement, la passion politique s'en mêla. De Philippe le Bel à François Ier, non seulement les légistes enlevèrent aux tribunaux d'Eglise la connaissance des questions immobilières, des successions et de plusieurs délits ; mais la plupart des causes bénéficiales, grâce à des subtilités juridiques, furent portées devant les juridictions royales.

[103] CHÉNON, dans l'Hist. Générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. VI, p. 260.