HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LE PROTECTORAT IMPÉRIAL

CHAPITRE II. — LE PONTIFICAT DE SYLVESTRE II. - LA RÉORGANISATION DE L'ÉGLISE. (999-1003).

 

 

I

Le métropolitain de Ravenne, Gerbert, que l'empereur Otton III présenta au clergé et au peuple de Rome comme le candidat de son choix, et qui fut élu pape sous le nom de SYLVESTRE II, aux premiers jours d'avril 999[1], était né à Aurillac, en Aquitaine, vers 945[2]. Le clergé catholique ne comptait pas de savant plus renommé, d'homme politique plus en vue ; et l'empereur était persuadé qu'il n'y avait pas, dans l'Eglise, un clerc plus dévoué à sa cause. La science de Gerbert était étendue et profonde : il l'avait puisée, non pas, comme on l'a prétendu, aux écoles musulmanes de Grenade et de Cordoue, mais à l'école épiscopale d'Ausona, aujourd'hui Vich, dans la marche d'Espagne[3]. Sa science était telle en mathématiques et en astronomie que ses ennemis n'eurent pas de peine à le faire passer auprès des esprits crédules, pour un magicien. Sa connaissance approfondie des œuvres de Victorinus, de Martianus Cappella et surtout de Boèce lui valut les titres de rhéteur et de philosophe. Sa renommée arriva bientôt aux oreilles de l'archevêque de Reims, Adalbéron, qui le chargea de diriger l'école établie dans sa ville épiscopale, et l'on vit aussitôt, dit le moine Richer[4], des légions de disciples accourir à ses savantes leçons. La méthode de son enseignement vaut la peine qu'on s'y arrête. Voici, continue Richer[5], quel était l'ordre de ses leçons. Il débutait par la dialectique... Ce travail préliminaire était, à ses yeux, une initiation nécessaire à l'étude de la rhétorique proprement dite. Quant à celle-ci, il avait pour principe qu'on ne saurait jamais atteindre la perfection de l'art oratoire si l'on ne commençait à se former le style par la lecture des grands poètes, tels que Virgile, Stace, Térence Horace, Lucain. Il abordait ensuite l'étude de la rhétorique d'après le manuel de Victorinus. Enfin il mettait ses élèves aux prises avec la sophistique dans des discussions solennelles, où ils devaient soutenir chacun leur thèse avec tant d'art que l'art ne s'y fit point remarquer ; ce qui constitue le plus haut point de perfection où puisse atteindre un orateur. Qui ne voit là déjà toute la forte méthode qui devait triompher dans nos grandes universités du Moyen Age ?

Les disciples de Gerbert, venus de partout, répandirent sa réputation dans tous les monastères et dans toutes les cours de l'Europe. L'empereur Otton II, qui l'avait remarqué à Rome, alors qu'âgé de vingt-cinq ans, le jeune moine y étudiait les sciences exactes, voulut l'attacher à sa cour et lui confia l'éducation de son fils Otton III.

L'étude passionnée des sciences abstraites n'affaiblit jamais, chez Gerbert, ni la vivacité des sentiments du cœur ni la claire vue des choses de la vie concrète. La reconnaissance qu'il devait aux Ottons et, plus encore, la conviction qu'il avait du rôle pacificateur et protecteur que pouvait exercer la puissance impériale au milieu des troubles de la chrétienté, l'inclinèrent vers la cause de l'Empire.

S'il travailla pour le triomphe d'Hugues Capet, ce fut sans doute qu'il voyait dans la famille de Robert le Fort l'instrument providentiel du relèvement de la France ; ce fut aussi — sa correspondance en fait foi — parce que ce triomphe avait l'agrément du pouvoir impérial.

Mais Otton III, dont les rêves ambitieux, loin de s'évanouir sous le coup de ses précédents échecs, s'amplifiaient de jour en jour, ne sut plus, quand il vit son illustre précepteur assis sur la chaire de saint Pierre, mettre une borne à ses visées grandioses. Le fils de Théophano, l'ami de Gerbert, vit son empire, s'appuyant à la fois sur Byzance et sur Rome, répandre dans le monde entier la civilisation dont il se croyait le représentant suprême[6]. Les événements allaient le détromper. Quant au moine qui venait de monter sur la chaire de saint Pierre, il devait faire passer désormais avant toute chose les intérêts de l'Eglise et la primauté de Rome. S'il avait accepté, dans un moment d'oubli, les décisions du malheureux synode de Saint-Basle, si jusque-là Otton avait pu se flatter de le compter comme un conseiller politique, le sentiment de sa nouvelle dignité et les grâces d'état attachées à sa charge suprême allaient le transformer. Le pape Sylvestre IL allait faire oublier les défaillances momentanées du moine Gerbert[7].

 

II

Le nouveau pape, si l'on s'en rapporte à un portrait fort ancien Son portrait, que nous a conservé Ciacconius, avait, dans sa physionomie très accentuée, un cachet d'intelligence et de ténacité, auquel se mêlait cette teinte de mélancolie et cette expression de bienveillance que donne aux âmes bien nées l'expérience des choses de la vie humaine. Sylvestre II joignait au bon sens, à la volonté tenace des habitants de l'Auvergne, l'habileté, la souplesse qui, sous des dehors un peu rudes, ne leur firent jamais défaut[8].

L'ancien précepteur d'Otton, en prenant en main le pouvoir suprême, avait, lui aussi, son rêve, moins chimérique, mais non moins grands projeta' grand que celui de l'empereur. Ce qu'il ambitionnait avant tout c'était de ranimer dans le clergé et dans le peuple chrétien le véritable esprit de l'Evangile ; c'était de susciter, dans les classes élevées de la société, cette culture des hautes sciences par laquelle le monde arabe cherchait alors à éblouir l'Occident. S'il jetait, à son tour, les yeux sur l'Orient, c'était surtout pour y conquérir le Saint-Sépulcre : et s'il désirait, comme Otton, rendre plus étroits, dans une Rome plus magnifique, les liens qui attachaient le pape et l'empereur, c'était pour les associer plus efficacement dans la lutte en faveur de ces saintes causes.

La noble et ferme attitude du nouveau pontife ne tarda pas à se révéler. Trois affaires, engagées sous les précédents pontificats, étaient restées pendantes à la mort de Grégoire V : c'étaient celles de Wido du Puy, d'Adalbéron de Laon et d'Arnoul de Reims.

Sans attendre la mort du vénérable Wido ou Guy, évêque du Puy, dont nous avons vu les nobles efforts pour l'abolition des guerres privées, son neveu Etienne, grâce à l'appui de quelques seigneurs gagnés à prix d'argent, s'était assuré sa succession épiscopale ; et, au lendemain du décès de Guy, malgré l'opposition du clergé et du peuple, s'était emparé de l'évêché à main armée. Un concile de 998, présidé par Grégoire V, avait condamné l'intrusion d'Etienne, et ordonné de procéder à une élection canonique, laquelle avait promu un prêtre vertueux, nommé Théotard. Mais Etienne avait tenu bon. Une aristocratie puissante, menaçante, se disait prête à le défendre par tous les moyens. Déjà des évêques voisins, ralliés par la peur ou par les présents, s'étaient déclarés pour l'intrus. Sylvestre II n'hésita pas à braver cette opposition redoutable.

Il écrivit à Théotard[9] : Les causes ecclésiastiques se définissent par les sentences des conciles... Un concile romain a condamné l'intrus Etienne... Le choix des clercs du Puy-en-Velay s'est canoniquement porté sur vous. Nous confirmons votre élection en vertu de notre autorité apostolique. Appuyez-vous sur elle, et bravez toutes les vaines sentences d'excommunication que l'intrus pourrait, dans son audace téméraire, lancer contre votre personne ou contre votre Eglise. Par cet acte de vigoureuse autorité, qui fit reculer l'intrus et ses adeptes, Sylvestre Il manifestait sa volonté de faire prévaloir l'autorité du Saint-Siège malgré toutes les oppositions locales qui pourraient se produire contre elle.

L'affaire d'Adalbéron, évêque de Laon, également connu sous le nom d'Ascelin, ne mettait plus le pape en présence d'un groupe de seigneurs turbulents, mais en face d un homme également redoutable par la violence et par la ruse, par le caractère épiscopal, qui lui conciliait la crainte révérentielle du peuple chrétien, par sa plume mordante, exercée au pamphlet, par une audace incroyable qui le portait à tout braver. Dans un poème satirique, où il se représentait dialoguant avec le roi Robert le Pieux, Adalbéron, indigne évêque de Laon, n'avait pas craint d'essayer de jeter le discrédit sur l'institution monastique, et en particulier sur le saint abbé de Cluny, l'illustre Odilon. Pressentant que la vraie réforme viendrait du célèbre monastère, il se faisait l'organe de tous ceux que pouvait menacer le rétablissement des mœurs. Habilement, il tentait d'opposer à ce qu'il appelait la horde des moines, rustres, grossiers, paresseux, difformes et abreuvés de honte, l'épiscopat, gardien des vieilles traditions[10]. Ancien élève de Gerbert, qui l'avait initié à l'art d'écrire, c'est ainsi que l'étrange prélat utilisait des talents jadis cultivés par son savant maître. Dans l'événement politique qui avait amené la dynastie capétienne au pouvoir. Adalbéron de Laon n'avait pas joué un rôle moins odieux. Protégé des Carolingiens, ami de Charles de Lorraine, il avait indignement trahi ce dernier en un complot dont le moine Richer nous a conservé le vivant récit : Une nuit, pendant que tout le monde dormait au palais habité par le duc de Lorraine, Ascelin enleva du chevet de Charles et d'Arnoul leurs épées et les cacha, puis, appelant l'huissier, qui ignorait son stratagème, il lui ordonna de courir vite chercher quelqu'un des siens, promettant de garder la porte pendant ce temps. L'huissier sortit. Ascelin se plaça lui-même sur le milieu de la porte, tenant son épée sous son vêtement. Bientôt aidé des complices de ses crimes, il fit entrer tout son monde. Charles et Arnoul reposaient, alourdis par le sommeil du matin. Lorsqu'en se réveillant, ils aperçoivent leurs ennemis réunis en troupe autour d'eux, ils sortent du lit et cherchent à se saisir de leurs armes, qu'ils ne trouvent pas. Ascelin leur dit : Vous m'avez forcé de m'exiler de cette ville, nous vous chassons à votre tour, mais d'une autre manière : je suis resté mon maître, et vous, vous passerez au pouvoir d'autrui. Charles se jette avec fureur sur le traître. Mais des hommes armés l'entourent, le poussent sur son lit, et l'y retiennent. Ils se saisissent aussi d'Arnoul, qui avait assisté à cette scène dans une stupeur silencieuse. On traîne ensuite les deux prisonniers dans une tour, qu'on ferme à clé et dont on fait garder les portes. Cependant les cris des femmes, les clameurs des enfants et des serviteurs, réveillent et troublent les bourgeois de Laon. Les partisans de Charles se hâtent de prendre la fuite. À peine en eurent-ils le temps, car Ascelin avait donné ordre de fermer toutes les portes. Un fils de Charles, âgé de deux ans et portant le même nom que son père, fut soustrait aux recherches et échappa à la captivité[11].

En 995, trois ans après la mort de Charles de Lorraine, son fils Louis servit encore de prétexte à une intrigue ourdie par l'évêque de Laon et le comte de Blois pour livrer la France à Otton III[12]. Le peuple n'appelait plus Adalbéron que le vieux traître, vetulus traditor. Le triomphe de la dynastie pour laquelle il avait conspiré et l'avènement de son ancien maitre au souverain pontificat ne mirent pas un terme à ses pratiques criminelles. Sylvestre II gouvernait l'Eglise depuis un an à peine[13] quand on lui dénonça Ascelin pour une nouvelle trahison. Recevant les soldats du roi, à qui il devait livrer les tours de sa métropole, il les avait arrêtés et chargés de fers. Sylvestre ne trembla pas plus devant ce monstre de perfidie qu'il n'avait tremblé devant les seigneurs du Velay. Il lui écrivit une lettre commençant ainsi : Sylvestre, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Ascelin de Laon. Ne vous étonnez pas si vous ne trouvez en tête de notre lettre ni salut ni bénédiction apostolique. Sous le nom d'évêque, vous avez, à force de crimes, cessé d'être un homme Si la fidélité élève un homme jusqU'à Dieu, la perfidie le ravale au niveau des brutes. Le souverain pontife sommait ensuite le traître de comparaître à Rome, dans la semaine sainte, pour expliquer sa conduite. Il lui déclarait que ni la longueur ni les dangers de la route ne pourraient excuser son absence. S'il était malade, il devait le faire constater par des témoins dignes de foi. S'il ne se justifiait pas des accusations qui lui étaient intentées, il faudrait qu'il se soumît à la décision des juges[14]. L'histoire ne dit pas comment se termina cette affaire. Il est probable que le vieux traître se soumit, qu'il fit semblant du moins, car on le retrouve sur le siège épiscopal de Laon jusque vers l'an 1030, époque de sa mort.

La question d'Arnoul et de l'archevêché de Reims était autrement délicate. Sylvestre II allait-il rompre avec son passé, blâmer le concile de Saint-Basle, qui l'avait élu évêque à la place d'Arnoul ? Allait-il casser la décision de son prédécesseur, Grégoire V, qui avait rétabli son compétiteur dans la métropole rémoise ? Il est permis de conjecturer, d'après la teneur du rescrit pontifical qui nous a été conservé, que le pape exigea préalablement d'Arnoul une lettre de soumission et de repentir. Il lui répondit aussitôt : Cher fils en Jésus-Christ, il appartient au siège apostolique non seulement de prendre les pécheurs en miséricorde, mais de relever ceux qui sont tombés et de rétablir les pénitents au même degré d'honneur d'où ils étaient déchus... Voilà pourquoi nous vous tendons la main, à vous, Arnoul, archevêque de Reims. Vous aviez, pour certains excès, été privé de la dignité épiscopale : mais votre abdication ne fut point approuvée par Rome, et nous tenons à fournir la preuve que la charité de l'Eglise romaine peut couvrir toutes les fautes, réhabiliter toutes les déchéances... Déjà la crosse et l'anneau vous ont été rendus ; nous vous concédons, par ce présent privilège, le droit de remplir toutes les fonctions archiépiscopales, de jouir de toutes les prérogatives attachées au siège de Reims... Si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, entreprenait de violer notre présent décret, émané du Siège apostolique de Rome, qu'il soit anathème[15].

Dans sa lettre à l'évêque de Laon, Sylvestre II avait montré son indomptable énergie ; dans celle qu'il écrivait à l'archevêque de Reims, il révélait, en même temps que sa charitable condescendance, l'admirable souplesse de son esprit. Il ne se prononçait pas sur la gravité ni même sur le caractère des motifs[16] qui avaient provoqué la déposition d'Arnoul, et par là il évitait de revenir sur la brûlante question de l'assemblée de Saint-Basle ; mais en invoquant, pour ratifier la réintégration de l'archevêque de Reims, cette seule raison, que son abdication n'avait pas eu l'assentiment de Rome, tua abdicatio romano assensu caruit, il reconnaissait catégoriquement, quoique d'une manière implicite, le tort qu'il avait eu autrefois de se prévaloir d'une telle abdication ; et, sur ce point, Sylvestre II corrigeait noblement l'erreur de Gerbert.

 

III

Mais ce n'était encore là, pour ainsi dire, que l'œuvre négative du pontificat de Sylvestre II. Les liens d'amitié qui l'unissaient à l'empereur Otton lui firent espérer qu'il pourrait, de concert avec lui, entreprendre. dans un esprit catholique, une restauration de l'Empire romain — restauratio imperii romani, comme disent les médailles de l'époque, — qui permettrait au pape et à l'empereur, résidant l'un et l'autre dans la ville de Rome, de s'entendre pour donner à la Ville éternelle une nouvelle splendeur et pour répandre au loin la foi chrétienne.

D'après l'acte passé entre les deux contractants, l'empereur, maître du monde, devait gouverner dans l'intérêt commun, se préoccuper du sort des faibles, constituer à ses côtés un ministère des pauvres et des délaissés. La rénovation de l'Empire se liait, dans l'esprit de Sylvestre et d'Otton, à l'idée de protéger les frontières contre les invasions des barbares du nord et de l'est de l'Europe par la création de royaumes alliés qui recevraient la civilisation avec la doctrine de l'Evangile[17]. D'autre part, un document dont il nous reste deux fragments publiés, l'un par Mabillon, l'autre par Pertz[18], nous décrit le cérémonial qui devait régler l'étiquette à la cour du nouveau César chrétien. Ce qui donne un puissant intérêt à ce document, c'est moins la reproduction des vieilles cérémonies empruntées au code théodosien, que le dessein de faire vivre l'empereur et le pape dans la ville de Rome, de continuer l'alliance des deux pouvoirs suprêmes pour la pacification du monde. Rien ne manquait à la pompe de la nouvelle cour. Le César était entouré dans son palais, sur le mont Aventin, du protospathaire, de l'hyparque, du protovestiaire, du comte du sacré palais. Il y avait un logothète, un archilogothète, un maître des milices impériales, un préfet de la flotte. À la réception d'un juge, l'empereur lui faisait jurer d'être incorruptible. Il le revêtait d'un manteau de pourpre, et lui remettant un exemplaire des lois de Justinien, il lui disait : Juge Rome, la cité léonine et le monde entier.

Il est facile de distinguer, dans cet accord, la part qui revenait à Sylvestre II et celle qui appartenait à Otton III. C'est à Sylvestre qu'appartenait la conception d'un Empire dévoué à la défense de la religion et des pauvres. C'est le fils de Théophano qui avait imaginé l'inauguration à Rome, autour du pape et de l'empereur, d'une pompe orientale, qui ne pouvait que raviver, contre l'un et l'autre, les jalousies mal éteintes des seigneurs italiens.

Sous le voile de la générosité, en invoquant son affection pour Sylvestre II, Otton avait déjà attribué à l'Eglise huit comtés de la marche d'Ancône, jusque-là disputés entre le pape et l'empereur. Mais, dans les considérants de l'acte, il prenait à l'égard de la papauté le ton d'un protecteur hautain, presque insolent. Les papes, disait-il, ont perdu leurs possessions par leur faute, et ils ont ensuite accusé les empereurs. Les titres de la grandeur de l'Eglise se sont effacés par l'incurie et par l'ignorance des papes, qui ont vendu ce qui était à saint Pierre et ce qu'ils avaient reçu des empereurs[19].

Une entente établie sur de pareilles équivoques devait produire à la fois de bons et de mauvais résultats. La sagesse de Sylvestre sut affermir les bons, et, dans une large mesure, conjurer les mauvais.

La rénovation de l'Empire fut le point de départ de nouvelles conquêtes pacifiques pour la foi chrétienne On doit y rattacher notamment les origines chrétiennes des royaumes de Pologne et de Hongrie. Ces deux pays avaient déjà reçu des missionnaires, qui y avaient fondé plusieurs évêchés. Au chef-lieu d'un de ces évêchés, à Gnesen, le duc de Pologne, Boleslas, fit transporter les restes du glorieux apôtre de la Prusse, saint Adalbert, massacré par les populations qu'il évangélisait. Une des premières démarches de l'empereur Otton III fut d'aller vénérer à Gnesen les reliques du saint qui avait été son ami. Le duc de Pologne fit un brillant accueil à l'auguste pèlerin. Otton le dégagea des liens de vassalité qui le rattachaient à l'Allemagne ; puis une bulle du pape érigea la ville de Gnesen en archevêché, ayant pour suffragants les évêchés de Cracovie, de Colbrech et de Breslau, et relevant directement du Saint-Siège[20]. Telles furent les premières origines de la nation polonaise, destinée tant d'héroïsme et à tant de malheurs.

Celles de la Hongrie, cet autre boulevard de la chrétienté au Moyen Age, se rattachent également à l'intervention de Sylvestre II. Le pape, dit un vieux chroniqueur[21], avait préparé une couronne d'or, qu'il devait poser sur le front de Boleslas, quand, durant la nuit, un ange du Seigneur lui apparut et lui dit : Réserve cette couronne pour un autre duc, dont les ambassadeurs viendront demain te visiter. Le lendemain, en effet, on annonça au pape l'arrivée du vénérable évêque de Colocza, Astric, qui venait, accompagné d'une députation de Hongrois, prier le pontife de bénir la Hongrie, de la recevoir comme un don fait à saint Pierre, d'élever au rang de métropole l'église de Gran, de confirmer la fondation de certaines abbayes. et enfin de donner le titre de roi au duc de Hongrie, Etienne, lequel, naguère converti par saint Adalbert de Prague, avait lui-même propagé parmi ses sujets, avec une ardeur infatigable, la foi de Jésus-Christ. Sylvestre accepta l'offrande du royaume. Il en laissa toutefois la libre administration à Etienne et à ses successeurs. Le duc fut créé roi, et reçut du pape une couronne portant l'image du Christ entouré des douze apôtres. Cette couronne, réunie à une autre, qu'un des prédécesseurs du prince avait revue de Constantinople, fut dès lors considérée comme le palladium sacré de la Hongrie.

Par delà les nations de l'Europe, les regards de Sylvestre n'avaient jamais cessé de se porter vers la Terre Sainte, occupée par les infidèles Précisément à l'heure où il se réjouissait des progrès de la foi et de la civilisation en Europe, la nouvelle lui vint que des pèlerins de Terre Sainte avaient été l'objet de violents attentats de la part du fanatisme musulman. Il profita de l'indignation causée dans le monde chrétien par cette nouvelle, pour implorer la charité des fidèles et au besoin le secours de leurs armes. Il le fit sous la forme d'une lettre écrite par l'Eglise de Jérusalem à l'Eglise de Rome. La ville sainte rappelait sa splendeur passée, et suppliait, du fond de sa misère, l'Eglise universelle de lui venir en aide : À l'œuvre ! soldat du Christ ! Prends le drapeau, combats ! Si tu ne peux le faire par les armes, viens à notre secours par tes conseils, par ton argent. Qu'est-ce donc que tu donnes, et à qui donnes-tu ? De ton abandon tu donnes peu de choses à Celui qui t'a donné gratuitement tout ce que tu possèdes ; et il ne le reçoit pas gratuitement. il multiplie cette offrande, il la récompense dans l'avenir[22].

L'Europe n'était pas prête encore à répondre à cet appel ; mais c'est l'honneur de Sylvestre II d'avoir fait entendre, le premier de tous, le cri des croisades.

 

IV

Cependant les grandes seigneuries italiennes, toujours jalouses de leur indépendance, et menacées plus que jamais par la puissance grandissante que prenaient, au milieu d'elles, l'Empire et la Papauté, s'agitaient sourdement, saisissaient tous les prétextes pour faire échec au pape et à l'empereur.

Des désordres se produisaient, soit dans les Etats mêmes du Saint-Siège, soit dans des seigneuries voisines.

À la fin du Xe siècle, les possessions de l'Eglise de Rome, sans compter lès bénéfices dispersés dans l'Europe chrétienne, s'étendaient en Italie, à l'ouest, depuis Terracine jusqu'à la Toscane. Orvieto lui appartenait. Elles comprenaient ; à l'est, une partie de la Romagne et de la marche d'Ancône... Sylvestre était doux et bienveillant ; il se préoccupait du sort de ses sujets[23]. Mais si les intentions du pape étaient excellentes, ses agents ne s'y conformaient pas toujours. De là des troubles[24]. Vers l'an 1000, la ville de Césène se révolta, et le pape dut se mettre à la tête d'une armée pour la faire rentrer dans le devoir[25]. Une autre fois, à Rome même, les plaintes d'une pauvre femme contre son juge aigrirent les mécontents. On prétendit qu'elle insultait le comte. Les épées furent dégainées dans le lieu saint[26].

En dehors des Etats de l'Eglise, des troubles plus graves se produisirent à l'instigation de quelques grands seigneurs. Nous connaissons les ambitions héréditaires qui se transmettaient dans la famille de Tusculum. Diverses branches de la famille de Théophylacte s'étaient taillé de larges domaines, dont Tusculum, sur la montagne albaine, Préneste, Arci en Sabine, Galera sur la route de Toscane, étaient les centres et les forteresses principales[27]. Ce ne fut pas cependant de ce côté que vinrent, pour le moment, les plus graves difficultés. La ville de Tivoli, grâce à la conservation de vieilles constitutions municipales qui remontaient à l'antique Tibur, grâce surtout à l'activité de son évêque Grégoire, était alors la plus prospère et la plus fière des cités. En 1001, on ne sait au juste pour quel motif, les gens de Tivoli se révoltèrent contre l'empereur. Celui-ci prit les armes pour les châtier. Les Romains prirent part à l'expédition. Le conflit pouvait être terrible. Dans un esprit de paix, le pape décida l'empereur à pardonner à la cité rebelle. Otton se contenta de détruire une partie des murs de la ville et d'exiger des otages pour garantir la fidélité des habitants[28]. Mais les Romains, irrités de la douceur avec laquelle on venait de traiter leurs redoutables rivaux, se révoltèrent à leur tour. Les portes de la ville furent fermées ; les rues se couvrirent de barricades. La cour fut assiégée dans le palais du mont Aventin. Il fallut l'approche d'une armée, commandée par Henri de Bavière, pour calmer les esprits. Otton pardonna aux rebelles. Mais il leur adressa ces paroles, empreintes d'une amère tristesse : N'êtes-vous pas mes Romains ? Par amour pour vous, j'ai renoncé aux Saxons, à tous mes Allemands, à mon sang ! Je vous ai adoptés pour mes enfants. La préférence que je vous ai donnée a excité contre moi la haine de tous mes sujets, et voilà que vous avez repoussé votre père ![29]

Après avoir prononcé ce discours, Otton s'éloigna de Rome, emmenant avec lui le pape Sylvestre. Ils se dirigèrent vers le nord, donnant, confirmant l'un et l'autre des privilèges aux églises, aux monastères, afin de se rendre le ciel favorable[30]. L'année précédente, l'empereur avait rencontré au Mont Gargan le grand ermite saint Nil, chassé de Calabre par l'invasion sarrasine, et à Ravenne, un autre patriarche monastique, saint Romuald. Les entretiens qu'il avait eus avec ces hommes de Dieu lui revenaient en mémoire ; il songea alors, dit-on, à renoncer à la couronne pour s'enfermer dans un cloître.

Les nouvelles qui lui arrivaient d'Allemagne ne pouvaient que le confirmer dans la pensée de dire adieu aux affaires du monde. Un interminable procès entre l'évêque de Mayence et l'abbé de Hildesheim, au sujet du célèbre monastère de Gandersheim[31], avait pris des proportions énormes, et divisé l'aristocratie ecclésiastique et laïque de l'Allemagne. D'autre part, la féodalité avait profité de l'absence de l'empereur pour couvrir l'Allemagne de ses châteaux, de ses forteresses, d'où elle ruinait toute sécurité par ses guerres privées, ses violences et ses convoitises. Dans de pareilles circonstances, suivant leurs habitudes, les Slaves du nord et de l'est, les Sarrasins du midi, avaient franchi les frontières, recommencé leurs audacieuses incursions. Otton fit ordonner aux évêques allemands de venir en Italie, avec des troupes, avant les fêtes de Noël. Un concile trancherait les difficultés de Gandersheim. Puis on marcherait contre les ennemis de l'Empire.

Le concile fut ouvert à Todi le 27 décembre 1001, mais il ne s'y présenta que trois évêques allemands. Otton, dont les forces étaient épuisées par une fièvre lente, tomba dans un profond découragement. Il voyait s'évanouir comme un songe ses magnifiques projets. Rome lui fermait ses portes ; les ducs, les comtes allemands, tramaient contre lui une conspiration qui était approuvée par les évêques[32].

Il se dirigea vers le sud de l'Italie. Mais l'aggravation de sa maladie le força de s'arrêter, à peu de distance de Rome, au pied du mont Soracte, à Paterno. Le mal faisant des progrès de jour en jour, dit le chroniqueur Thangmar[33], il communia au corps et au sang du Seigneur, puis, entouré de quelques évêques, au milieu de la douleur de tous, doux et humble, il rendit le dernier souffle. On était au 23 janvier de l'an 1002. Otton n'avait pas encore accompli sa vingt-deuxième année. Le chroniqueur ne donne le nom d'aucun des prélats qui se trouvèrent à son lit de mort On a conjecturé que le pape Sylvestre devait être présent, et qu'Otton III, avant de paraître devant son juge, reçut le saint Viatique par la main de celui à qui, après Dieu, il devait ce qu'il avait eu de meilleur. Avec lui s'éteignit la descendance masculine d'Otton le Grand.

Sylvestre II survécut peu de temps à Otton III Nous n'avons pas de détails sur ses derniers jours. Il mourut à Rome le 12 du mois de mai de l'année 1003. Il avait gouverné l'Eglise pendant quatre ans et trois mois seulement ; mais peu de pontificats ont été plus féconds. Un de ses successeurs, Sergius IV, dans l'épitaphe qu'il fit placer sur son tombeau, résuma ainsi son œuvre : Par lui, tout le siècle fut réjoui, et tout crime fut écrasé.

Gaudet omne seclum, frangitur omne reum.

Sans doute bien des causes de tristesse lui survécurent dans le monde chrétien, et tout mal ne disparut pas avec lui ; mais, par son culte de la science et des arts, il préluda au grand mouvement scientifique, littéraire et artistique du xiie siècle, et, par son zèle à revendiquer les droits de l'Eglise, à défendre la pureté des mœurs dans le clergé, il fut le digne précurseur de saint Grégoire VII et d'Innocent III : Gerbert, a-t-on dit[34], est un de ces hommes privilégiés qui doivent être rangés, par l'histoire impartiale des civilisations, entre ceux dont elle doit retenir le nom. Son œuvre mérite qu'on s'y arrête pour en apprécier l'étendue et la valeur.

 

V

La science, l'art et la vertu, le vrai, le beau et le bien, furent de bonne heure les passions de. Gerbert, et, jusqu'à son dernier soupir, il combattit pour ces trois nobles causes.

La culture gréco-romaine, transformée par le christianisme, devait se transmettre au Moyen Age par les Byzantins, par les Arabes et par les Occidentaux. Plus tard ces trois courants se mêleront. Gerbert, nous l'avons vu, et l'on pourrait en faire la preuve scientifique[35], puisa exclusivement sa science au courant occidental, dont les noms de Boèce, d'Isidore de Séville, d'Alcuin, de Raban Maur, de Servat Loup, de Scot Erigène, d'Odon de Cluny, marquent les principales étapes. Odon, avant de gouverner l'abbaye de Cluny, avait dirigé le monastère de Saint-Géraud d'Aurillac, où Gerbert, en 972, apprit la logique.

C'est surtout par son enseignement, ses lettres et ses écrits, dit M. Picavet[36], que Gerbert révéla à ses contemporains ses connaissances, supérieures à celles des plus savants d'entre eux. Alcuin avait timidement montré que les sept arts peuvent servir à la vie pratique et devenir des auxiliaires précieux pour la religion. Raban Maur avait surtout enseigné les sciences sacrées ; Servat Loup, les lettres profanes ; Jean Scot Erigène fut un humaniste remarquable. Heiric et Remi d'Auxerre laissèrent amoindrir, mais cependant conservèrent, en bonne partie, l'héritage qui leur avait été transmis. Gerbert le reprit et l'augmenta.

Les sciences que Gerbert a surtout cultivées sont la théologie, la philosophie, les mathématiques, l'astronomie, la physique et la médecine.

Pour Gerbert, dont l'orthodoxie ne fut jamais en défaut, la théologie est la première des sciences, et il aime à y ramener toutes les autres ; il considère d'ailleurs la théologie comme une philosophie des données de la foi, et, tout en s'inclinant sous l'autorité de la révélation, il affirme fièrement le rôle de la raison. La divinité, écrit-il à Arnoul[37], a fait un présent inestimable aux hommes en leur donnant la foi ; mais elle ne leur a jamais dénié la science. La foi fait vivre le juste, mais il est bon qu'il y joigne la science, puisqu'on dit de ceux qui ne l'ont pas qu'ils sont des sots. Dans son traité De corpore et sanguine Domini[38], il reprend, en en corrigeant les expressions suspectes et les idées trop hardies, la théorie que Paschase Radbert avait enseignée sur l'Eucharistie, et, à ce propos, il émet sur la Trinité, sur l'Incarnation, sur la personne du Christ et sur sa résurrection, des doctrines qui accusent une connaissance approfondie des Pères de l'Eglise. Il aime l'Eglise avec passion. Il déclare qu'il donnerait sa vie afin de la maintenir unie au Seigneur[39]. Comme Hincmar. de Reims, dont il s'inspire souvent dans ses œuvres, il professe que l'unité de l'Eglise est symbolisée et garantie par l'unité de commandement ; que celle-ci réside dans le successeur de saint Pierre, chef de tous les évêques et supérieur aux rois dans le domaine spirituel. Il admet cependant plus explicitement qu'Hincmar que les empereurs, chargés de défendre l'Eglise, au nom de qui ils exercent leurs pouvoirs, n'ont le droit d'exiger, des évêques et des abbés, aide, fidélité, assistance, et surtout obéissance que dans la mesure stipulée par le contrat féodal[40].

De l'œuvre philosophique de Sylvestre II nous n'avons que des fragments, entre autres le Libellus de rationali et ratione uti, où l'on trouve, à côté de certaines questions qui nous paraissent futiles, une vraie conception de la philosophie, entendue comme la science des choses divines et humaines. Hauréau y a vu un curieux essai de conciliation entre le platonisme et le péripatétisme. Il aurait pu ajouter, écrit M. Picavet[41], que Gerbert y a employé une méthode destinée à un grand avenir ; qu'il a discuté à tous les points de vue et complètement traité un problème indiqué et non résolu par Porphyre ; qu'il a ainsi doublement montré la voie à ceux qui, un siècle plus tard, abordèrent la question des universaux.

Nous savons que Sylvestre II voulut faire de la mathématique une auxiliaire de la théologie et de la philosophie, qu'il en démontra l'utilité théorique et pratique à Otton Ier, à Otton III, à Jean XIII[42]. L'étude des mathématiques, dit son élève le moine Richer, lui coûta beaucoup de peine[43]. Il nous reste de lui trois ouvrages essentiels : la Regula de abaco computi, le Libellus de numerorum divisione et le Liber abaci. Ce dernier fut écrit après son élévation au pontificat[44]. Dans quelle mesure Sylvestre II fut-il, en mathématiques, un initiateur ou même un inventeur ? C'est une question, dont la solution, encore obscure, a été diversement donnée dans des travaux spéciaux[45]. De l'aveu de tous, les travaux de Gerbert forment, au moins, dans l'histoire des mathématiques, une étape importante ; nul ne conteste qu'il n'ait servi de précurseur à la science moderne[46].

C'est avec une vraie admiration que le moine Richer s'attache à nous apprendre ce que son maître enseignait en astronomie. Il ne sera pas hors de propos, dit-il, de dire quelle peine il prit pour expliquer l'astronomie, afin de faire remarquer la sagacité d'un si grand homme, et pour que le lecteur apprécie mieux la puissance de son génie. Cette science à peine intelligible, il en donna la connaissance, à l'étonnement général, au moyen de certains instruments. Il figura d'abord le monde par une sphère pleine en bois, qui, dans ses petites proportions, offrait l'image exacte de la nôtre. Il plaça la ligne des pôles dans une direction oblique par rapport à l'horizon, et, près du pôle supérieur, il représenta les constellations du nord ; près du pôle inférieur, celles du sud. Il régla cette position au moyen du cercle que les Grecs appellent horizon. Sa sphère ainsi placée sur l'horizon, de façon qu'il pût montrer, d'une manière pratique et convaincante, le lever et le coucher des astres, il initia ses disciples à la disposition des choses et leur apprit à connaître les constellations. Car il s'appliquait, dans les belles nuits, à étudier les étoiles, et les faisait remarquer, tant à leur lever qu'à leur coucher, obliquant sur les diverses parties du monde[47].

De ces connaissances, il n'y a pas de raison pour dire, comme y seraient assez portés les auteurs de l'Histoire littéraire, que Gerbert ait, en se servant de lunettes à longue vue, devancé Galilée. Ce qui est incontestable, c'est qu'il observait les étoiles et leurs situations respectives ; c'est que, pour les apercevoir plus aisément et pour mieux les suivre, il employait des tubes bien unis à l'intérieur[48]. La physique et la médecine complétaient ses études scientifiques. Il lisait Pline et Celse. Il décrivait, en homme qui les observe de près, les phénomènes météorologiques, auxquels il ne cherchait que des explications naturelles. S'il ne pratiquait pas l'art des médecins, il connaissait la science sur laquelle ils s'appuyaient ; il décrivait les maladies, et discutait la manière dont on doit examiner les malades comme le mal dont ils souffrent ; même il ne renonçait pas à chercher des remèdes qui pussent les guérir[49].

Ce savant aimait le beau : l'art oratoire, la musique, la poésie. Avec Cicéron, il voulait que l'orateur se formât par l'étude des dialecticiens et des poètes, qu'il raisonnât et qu'il saisit, qu'il argumentât et qu'il fit voir. Avec saint Augustin, il entendait que l'on frit plus occupé de convaincre, de toucher et de faire agir que de montrer l'art dont on a fait l'étude. Lui-même, dans ses discours et dans ses lettres, citait les Paralipomènes après Horace, les Psaumes après l'Enéide, saint Paul après Lucain.

Sur les connaissances musicales de Sylvestre II, nous avons peu de documents. On lui attribue un cantique en l'honneur du Saint-Esprit, une prose en l'honneur des anges[50]. Il s'offrait à fournir des renseignements sur tout ce qui concerne la musique en général et le maniement des orgues en particulier. Il distinguait les symphonies en tons, demi-tons, ditons (tierce majeure) et dièses (demi-ditons). Il classifiait les sons dans les différents tons. Nous savons que Jean XIII et Otton le Grand furent frappés de ses connaissances musicales. Mais a-t-il innové en musique ? S'est-il contenté de recueillir ce qu'on savait de son temps ? Nous sommes réduits, sur cette question, à des conjectures.

Du poète, il y a peu de choses à citer. Seuls, les vers qui précèdent le Libellus de rationali, peut-être aussi ceux qu'il a composés sur Boèce, méritent d'être rappelés. Mais le prosateur est, comme Scot Erigène, un humaniste remarquable, dont les lettres et les discours fourniraient des pages curieuses à une anthologie des écrivains latins au Moyen Age. Il sait être éloquent et pathétique ; mais ce qui domine en lui, c'est l'énergie, la précision, parfois même une concision et une sobriété voisines de l'atticisme[51].

Passionné pour la science et pour l'art, mais convaincu que le vrai et le beau n'ont toute leur splendeur que dans le bien, Gerbert subordonna toujours la science et l'art à la vertu, et chercha la vertu dans l'union à Dieu et à l'Eglise.

En Sylvestre II, le caractère fut au moins au niveau de l'intelligence ; le chrétien, le pontife, valurent le savant. Dans un temps où des plaintes amères et trop fondées retentissaient contre les mœurs du clergé, ses ennemis les plus acharnés ne lui reprochèrent pas une faiblesse dans sa vie[52]. Ses mœurs furent irréprochables. Il parle de l'austérité en termes d'autant plus expressifs qu'ils sont en parfait accord avec tous ses actes. Abbé, il veut que ses moines, comme ses vassaux ou ses puissants fermiers, suivent fidèlement l'ordre et la règle ; mais il s'indigne de les voir manquer de nourriture et de vêtements ; il n'use pas contre eux de tous ses droits. Archevêque, il penche généralement vers l'indulgence quand il s'agit des humbles et des pauvres. Pape, il proclame qu'un des attributs de la chaire pontificale. c'est de relever ceux qui sont tombés[53].

Pour Sylvestre II, la justice ne consiste pas seulement dans le respect des droits individuels, dans les rapports avec les personnes que les circonstances mettent en notre présence. Il poursuit la réalisation de la justice dans l'organisation d'un état social qui faciliterait et garantirait le respect de tous les droits. Cette organisation sociale, il croit la trouver dans la société féodale, telle qu'il l'a observée au pays des Francs. Le contrat féodal, par lequel le vassal engage sa foi au suzerain, tandis que celui-ci s'oblige à le maintenir dans son bénéfice et à le protéger, apparaît à Gerbert comme l'idéal de la justice sociale dans la société où il se trouve. C est pourquoi il cherche à introduire en Italie le système féodal des Francs. Mais cette importation des mœurs franques ne peut faire violence aux mœurs locales, et le système de concession de terre par baux emphytéotiques, ou de culture au moyen de colons fixés au sol, continue à être en vigueur en Italie[54].

Le système féodal avait les préférences de Sylvestre II, parce qu'il y voyait une protection plus efficace des droits des humbles, une garantie plus sûre de l'accomplissement des devoirs des grands ; il l'aimait surtout parce qu'il le concevait comme une vaste hiérarchie ayant à sa tête le Christ et à chacun de ses degrés le pouvoir régulateur et bienfaisant de l'Eglise pour faire réaliser le règne du Christ. À ce point de vue encore. Sylvestre II doit être considéré comme un précurseur de la société du Moyen Age qui mit sur ses monnaies le fameux exergue : Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat. L'histoire n'a pas toujours rendu justice à ce grand pape. Baronius, trompé par les calomnies de quelques anciens chroniqueurs, l'a jugé sévèrement. Mais le XIXe siècle a reconnu la grandeur de son œuvre ; et l'un des historiens qui ont le plus attentivement et le plus impartialement étudié Sylvestre II, M. Julien Havet[55], a pu écrire de lui : Il fut toujours bon et généreux, autant que loyal et intègre. Dans toutes les charges dont il fut successivement revêtu, on ne saurait, je crois, citer un seul acte de son autorité ou de son influence qui ne lui ait été dicté uniquement par le sentiment de son devoir, par le zèle pour la justice ou par le souci du bien public.

 

VI

Sylvestre II fut le plus illustre, mais non pas le seul représentant de la science, de l'art et de la sainteté à la fin du Xe siècle. On a parfois attribué la renaissance religieuse et intellectuelle de cette époque à la sécurité qui suivit la prétendue panique universelle de l'an mille ; mais nous verrons qu'elle devança cette date. Avec plus d'apparences de raison, on a voulu en faire honneur à la dynastie des Ottons. Il est vrai que les trois empereurs de ce nom, hantés par l'ambition d'imiter Charlemagne, cherchèrent à grouper autour d'eux les hommes éminents de leur époque. Comme on avait vu Alcuin, Théodulphe, Clément, Claude de Turin, Paul Warnefried, accourir autour du grand empereur franc, on vit arriver à la cour des Ottons l'Italien Gunzan, les Anglais Faranol, Marc-Allan, Fingard et Meinwerk , les Français Adalbéron et Gerbert ; mais ils ne firent qu'y apparaitre ; les centres du mouvement ne furent point là ; ils se formèrent autour des grandes abbayes de Saint-Gall, de Cluny, de Fleury, surtout autour de Gerbert et c'est ce dernier qui doit en avoir la principale gloire.

Quand Sylvestre II prit possession du siège de saint Pierre, Labéon Notker, presque aussi célèbre que son devancier Notker le Bègue, s'acquérait une immortelle renommée par ses ouvrages de mathématiques, de musique et de poésie, dans le couvent de Saint-Gall[56] ; saint Odilon, l'incarnation de toutes les vertus de son ordre et de son époque[57], gouvernait le monastère de Cluny, et Abbon, non moins célèbre par sa science que par sa sainteté, dirigeait, près d'Orléans, les moines de Fleury ; mais l'école de Reims, où l'écho de la voix de Gerbert résonnait encore, était alors un foyer de science plus éclatant[58]. C'est là que, vers l'an mille, un ancien élève de Gerbert, le moine Richer, écrivait, en un style remarquable de vie, de couleur et d'entrain, ses Historiæ, dont la découverte, en 1833[59], a renouvelé l'histoire du Xe siècle[60].

A la même époque, de grandes œuvres anonymes prenaient une portée plus haute encore.

La plupart des archéologues font commencer à la fin du Xe siècle l'architecture romane. Voici quelle en fut l'origine. Avec leurs hautes tours, qui appelaient le feu du ciel, leurs charpentes apparentes et leurs tentures, qui aidaient à la propagation rapide des flammes, les églises carolingiennes les mieux construites étaient sans cesse exposées, même en temps de paix, à être réduites en cendres[61]. Les invasions des Normands, qui pendant plus d'un siècle promenèrent le pillage et l'incendie dans les plus riches provinces ; puis les guerres féodales, qui replongèrent l'Europe, au Xe siècle, dans l'état d'insécurité et de barbarie dont le génie de Charlemagne l'avait tirée ; enfin la mauvaise exécution de la plupart des édifices rebâtis ou restaurés hâtivement après le passage des Normands, aggravèrent le péril. Les chroniques de la fin du Xe siècle sont remplies du récit des catastrophes qui anéantissaient en quelques heures les plus beaux monuments. En 975, le feu dévaste la célèbre abbaye de Saint-Martial à Limoges ; en g88, celle de Charroux, en Poitou, est victime d'un sinistre pareil ; en 992, un incendie consume l'abbaye du Mont-Saint-Michel ; en 997, la basilique de Saint-Martin de Tours et vingt-deux autres églises périssent de la même manière[62]. Le nombre et la gravité de ces désastres, qui coûtèrent parfois la vie à des centaines de fidèles, inspirèrent l'idée de chercher à prévenir les incendies en couvrant les églises de voûtes en pierre. Ce fut l'origine de l'art roman. Les dernières années du Xe siècle virent bâtir ou restaurer, entre autres, les églises de Bourgueil[63], de Saint-Pierre de Melun[64], de Lagny[65], de Saint-Riquier[66], de Fécamp[67], de Saint-Ouen de Rouen[68], de l'Île-Barbe[69]. Personnellement le roi Robert le Pieux fonda ou releva, à l'aide de subsides généreusement accordés à ceux qui les restauraient, de nombreuses églises. On peut citer, pour ne parler que de celles qui n'ont pas totalement disparu, Saint-Benoit-sur-Loire, Notre-Dame d'Etampes, Notre-Dame de Melun, l'église de Poissy, Saint-Aignan d'Orléans et Saint-Germain-des-Prés de Paris[70]. Ce mouvement de ferveur religieuse et artistique devait se continuer pendant tout le XIe siècle ; il s'accentuera même depuis Philippe Ier avec les progrès de l'art de bâtir ; il arrivera à son apogée au xii siècle, sous Louis VII et Philippe-Auguste, après avoir couvert la France d'un nombre incalculable d'édifices dont chacun marque un progrès sur les précédents[71].

Il fallut longtemps pour donner aux voûtes leur formule définitive ; le XIe siècle n'y suffit pas, et une partie du XIIe se passa en tâtonnements ; mais ces tâtonnements mêmes développèrent l'habileté des ouvriers, stimulèrent le génie des architectes, les amenèrent à s'affranchir des vieilles traditions et à substituer à des pratiques surannées une foule d'inventions ingénieuses qui donnèrent naissance à un art plein de sève et d'originalité.

La formation de cet art coïncidant avec l'époque où les langues romanes commençaient à se dégager du latin, on a eu l'heureuse idée d'appeler roman, par analogie, cet art nouveau, issu de l'art latin forcément mélangé d'éléments byzantins et barbares[72].

L'architecture romane, dit M. Enlart, coordonne, épure, simplifie et développe les éléments que lui fournit l'art carolingien. On l'a très justement comparée aux langues romanes. Elle repose sur un fond latin ; elle admet, comme elles, certains apports d'éléments étrangers ; enfin elle forme de nombreuses écoles comparables aux dialectes des langues romanes[73].

Dans l'édifice carolingien existaient déjà une nef centrale avec deux bas côtés plus étroits ; un transept figurant les bras de la croix ; un chœur séparé de la nef et du transept par des clôtures de pierre et un peu surélevé, de manière à permettre l'établissement de la crypte voûtée où les saints reposaient ; un portail d'entrée placé en face du chœur. Tous ces éléments essentiels de la construction basilicale, l'architecte roman n'avait qu'à les prendre comme points de départ. Il n'eut même pas à imaginer la voûte, qui apparaît, sous des formes variées, dans les monuments de l'art latin. Mais il l'appropria aux besoins de la construction religieuse, employant surtout cette arcade de plein cintre prolongée qu'on appelle la voûte en berceau, et ce système à compartiments reposant sur des angles saillants qui constitue la voûte d'arêtes.

Pour remédier aux inconvénients de la poussée des voûtes sur les murs latéraux, il fallut non seulement rendre ces murs plus épais et diminuer la surface des fenêtres, ainsi que leur nombre, mais encore soutenir la voûte au dedans par des cintres de pierre ou arcs doubleaux ; au dehors, par des contreforts symétriques, renforcer les piliers intérieurs, multiplier les faisceaux de pilastres et de colonnes, en un mot diminuer l'air et l'espace pour obtenir la solidité. Les besoins de la défense expliquent, d'autre part, la construction de ces clochers massifs, d'abord ronds, puis carrés ou polygonaux, véritables donjons d'église, d'où le guetteur voit l'ennemi de loin, où l'on peut, au besoin, se retrancher et soutenir quelque temps l'attaque. Et pourtant il y a, dans la construction romane, un élan qui révèle clairement les aspirations les plus élevées de la pensée religieuse. Ces arcs et ces voûtes montent, tout en s'arrondissant et se brisant. Habitués jusqu'ici aux lignes horizontales du temple antique, les yeux se prennent à l'attrait plus grand de la ligne verticale, poussée énergiquement vers le ciel. Déjà commence cette ascension de la pierre qui, dans la période de l'art gothique, deviendra prodigieuse d'essor et d'audace[74].

Dans ces églises restaurées, se fait entendre un chant liturgique que le génie d'un moine de Saint-Gall, Notker le Bègue, vient d'enrichir de nouveaux éléments, pleins de grâce et d'harmonie. On attribue à Notker le mérite d'avoir, par ses œuvres, composées vers la fin du IXe siècle, assuré la conservation du chant religieux, surtout du plain-chant, dans toute sa pureté, durant le moyen âge ; ou lui doit sûrement le développement des séquences et des proses[75].

Après le mot Alleluia, qui suit l'Epître, on vocalisait une mélodie plus ou moins longue, appelée jubilus, parce qu'elle exprimait les sentiments joyeux de l'âme, et séquence, parce qu'elle était comme la suite de l'Alleluia. Ces longues séries de notes groupées étaient difficiles à retenir. On imagina, à l'abbaye de Jumièges, de joindre des paroles à ces neumes. À chaque groupe de sons répondit un mot ayant autant de syllabes que le groupe avait de notes. Notker composa un grand nombre de textes ainsi adaptés à la mélodie primitive, et même développa musicalement cette mélodie, ce qui permit d'allonger le texte chanté. Il composa ainsi de véritables pièces littéraires qu'on appela proses. Elles constituaient, en effet, des phrases successives d'une prose fortement rythmée et quelquefois rimée, mais non pas une prose mesurée comme une pièce de vers. Le Victimæ paschali laudes peut nous en donner une idée[76].

Suivant la voie frayée par Notker[77], de nombreux artistes chrétiens enrichirent de paroles et de mélodies nouvelles d'autres parties de l'office divin. La fin du Xe siècle est marquée par une efflorescence de compositions musicales anonymes, remarquables par le sentiment mélodique et l'expression. L'offertoire Elegerunt, diverses antiennes de la procession des Rameaux, les versets alleluiatiques : Justus germinabit, Pretiosa, l'office de la Trinité et le magnifique Libera de l'office des morts, sont de cette époque[78]. Le roi de France Robert le Pieux, qu'on voyait parfois, à la basilique de Saint-Denis, diriger l'exécution des offices avec son sceptre en guise de bâton cantoral, composa lui-même les paroles et la musique de plusieurs répons. Les Chroniques de Saint-Denys racontent comment il fit hommage d'un de ces répons, Cornelius centurio, au pape Sylvestre II : Un jour estait à Rome, le jour de la feste de saint Pierre ; et présent estait aussi le seigneur apostolique et les cardinaux ; et le roi s'en alla vers l'autel, et fit semblant comme s'il faisoit offrande de grand'chose ; et ce fut un rouleau, où le répons était écrit et noté[79].

A la même époque, des théoriciens, non contents d'enseigner leur art à leurs élèves, voulurent aussi consigner par écrit ce qui faisait l'objet de leurs leçons. Leurs ouvrages, dont beaucoup sont inédits, renferment un grand nombre de détails intéressants sur la tonalité et le rythme. On y distingue facilement trois courants : celui de la musique gréco-romaine, qui, faisant partie du quadrivium, avait pénétré dans les écoles avec l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie ; puis le courant de la musique liturgique, dérivant de l'ancienne musique, mais à peu près comme la langue romane dérivait du latin ; enfin le courant de la musique polyphonique et mesurée, née de la cantilène populaire, et qui, pénétrant dans lés écoles de chant, en devait peu à peu chasser la musique plane et non mesurée, au grand détriment du rythme grégorien[80].

Les langues populaires, en effet, avaient, en se formant, donné naissance à un art musical fondé sur leurs propres caractères. La poésie rimée des cantilènes, remplaçant le mètre par le rythme, se préoccupant moins de dessiner le mouvement du vers que d'en caractériser fortement la fin, eut sa répercussion sur l'art populaire religieux. Le jongleur les chantait devant le porche des églises, à l'issue des offices ; et leur rythme, se mêlant, dans l'oreille des fidèles et des clercs, à l'écho des séquences et des proses qu'ils venaient d'exécuter à l'intérieur du temple, opérait, entre le chant liturgique et le chant profane, cette fusion dont le XIe et le XIIe siècle allaient voir les effets.

L'apparition de la cantilène, d'ailleurs, ne fut pas le seul résultat du développement des langues romanes ; la fin du Xe siècle vit naître le roman et l'épopée. Dès la fin du Xe siècle, dit Dom Rivet, presque toutes les provinces de France eurent leurs trouvères et leurs romanciers. Le Languedoc, le Dauphiné et l'Aquitaine se signalèrent les premiers ; et les troubadours ou trouvères de Provence furent les princes de la romancerie, qui, de France, se communiqua, avec le temps, aux pays voisins. C'est des Français, en effet, que l'Italie et l'Espagne, qui ont été si fertiles en l'art de romaniser, ont emprunté ce secret[81]. Cantilène, roman et épopée eurent d'ailleurs, à leurs débuts, ce commun caractère, d'être des compositions religieuses.

De la cantilène et du roman, naquit l'épopée. Nous sommes très portés à croire, dit Léon Gautier[82], qu'il y eut réellement des chansons de geste dès le Xe siècle. Une seule grande composition nous reste du commencement du XIe siècle, la Vie de saint Alexis[83]. C'est un vrai poème : il commence solennellement à la façon d'un long récit poétique ; il a ces proportions savantes et ce dénouement préparé qui sont le propre des œuvres littéraires. Si on lui refuse le nom d'épopée, il mérite au moins celui, qu'on lui a donné, de chanson épique, genre de transition entre la romance populaire et l'épopée.

Point n'est besoin de rappeler que, de tous ces progrès de l'architecture religieuse, de la musique d'église et du cantique populaire, les monastères du Xe siècle furent les principaux foyers. Mais ils le furent surtout du sentiment chrétien qui inspira toutes ces œuvres. Parmi ces asiles, qu'un historien, François Mignet, a si justement appelés des concentrations du christianisme, Cluny tenait toujours le premier rang, De Jean XII à Sylvestre II, son importance sociale et son influence religieuse n'avaient cessé de grandir. En 999, Grégoire V, ayant accordé à la congrégation de Cluny une bulle portant confirmation de ses privilèges, énumérait les biens qu'elle possédait dans les comtés d'Auvergne, d'Autun et de Mâcon, dans les diocèses de Viviers, d'Uzès, de Troyes, d'Orange, de Gap, de Valence, de Vienne, de Lyon et de Lausanne[84].

Mais la puissance territoriale de Cluny était la moindre de ses gloires. La renommée de Cluny était pure. Une règle austère y trempait vigoureusement les caractères ; une piété vivante et joyeuse y dilatait les âmes. Ses abbés semblaient s'y être transmis la sainteté avec les insignes de leur charge. Après saint Odon, dont la vertu fut vénérée de l'Eglise entière, saint Mayeul y avait tenu la crosse abbatiale pendant quarante ans, de 954 à 994, majestueux et bon, toujours égal, toujours maître de lui en face des pires contradictions, imposant à tous son ascendant avec un tel prestige, que son successeur, saint Odilon, a pu écrire de lui que les rois et les princes de la terre l'appelaient seigneur et maître, et qu'il était véritablement lui-même le prince de la religion monastique. Dans toute la chrétienté, on disait : Je suis moine de Cluny avec la même fierté que jadis : Je suis citoyen romain.

Tout l'opposé de son prédécesseur par son aspect physique, Odilon, petit de taille, à la figure pâle et maigre, mais non moins imposant dans toute sa manière d'être, par le sentiment qu'il avait de l'importance de sa charge et de l'étendue de ses devoirs[85], devait gouverner le monastère pendant cinquante-cinq ans, de 994 à 1049, en voir grandir l'influence et les possessions, y promouvoir les études et y maintenir sans défaillance l'austérité des premiers jours. Bref, sous son gouvernement, au temps du pape Sylvestre, Cluny était déjà, dans l'Eglise, la grande institution qui, sous la main des papes, apparaissait comme capable de régénérer la chrétienté.

Ainsi, dans les arts comme dans les sciences, dans le domaine des institutions sociales comme dans celui des institutions ecclésiastiques, la grande réforme catholique, qui devait avoir son plein épanouissement au siècle d'Innocent III, avait déjà son germe au siècle de Sylvestre II.

Malheureusement les forces réfractaires à toute œuvre réformatrice étaient nombreuses et puissantes. Après la mort de Sylvestre II, elles se relevèrent, et suscitèrent à la papauté tant d'obstacles que, peu d'années après, cette œuvre parut plus compromise que jamais, et qu'il fallut tout le génie du moine Hildebrand pour la reprendre[86].

 

 

 



[1] JAFFÉ, n. 3899.

[2] RICHER, Hist., t. III, 43, P. L., t. CXXXVIII, col. 101.

[3] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, un vol. in-4°, Clermont-Ferrand et Paris, 1867, p. 28. Les haines de race et de religion avaient creusé, entre les Espagnols et les Musulmans, un grand abime. Il est possible cependant, dit Olleris, que, par des voies secrètes et ignorées, les écrits des Arabes de la péninsule aient franchi les frontières du califat. L'activité scientifique des Arabes était alors remarquable. Un palais de Cordoue contenait une bibliothèque de six cent mille volumes. Un catalogue de quarante-quatre volumes fut dressé pour faciliter les recherches. (OLLERIS, loc. cit.)

[4] RICHER, Hist., t. III, 45, P. L., t. CXXXVIII, col. 102. Nous résumons ici, en traduisant aussi exactement que possible les expressions mêmes du chroniqueur, le texte de Richer.

[5] RICHER, Hist., t. III, 46-48.

[6] James BRYCE, le Saint-Empire romain germanique, p. 192.

[7] Sur la vie de Gerbert antérieure à son pontificat, voir les travaux indiqués dans la Revue des Questions historiques de décembre 1869, p. 440-523. Cf. Etudes (1869), t. III, 83-110, 248-279, 451-462, 604-617 ; Ul. CHEVALIER, la France chrétienne dans l'histoire, p. 133-142.

[8] OLLERIS, Vie de Gerbert, premier pape français, un vol. in-12°, Clermont-Ferrand, 1867, p. 343. Cette vie n'est que la reproduction de la préface mise par M. Olleris aux Œuvres de Gerbert.

[9] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, lettre 216, p. 146-147.

[10] P. L., t. CXLI, col. 771-786.

[11] RICHER, t. IV, P. L., t. CXXXVIII, col. 143-144.

[12] Histoire de France de LAVISSE, t, II, 2e partie, p. 150.

[13] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, p. CLXXVII.

[14] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, lettre 221, p. 151-152.

[15] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, lettre 225, p. 145.

[16] Il se contentait d'invoquer, dans sa lettre, certains excès. Quibusdam excessibus, disait-il.

[17] OLLERIS, op. cit., p. CLXXI-CLXXII.

[18] Blume rheinisches Museum für Jarisprudenz, t. V, p. 125.

[19] L'authenticité de cet acte a été attaquée par des écrivains modernes, mais Pertz le réimprime comme authentique. (Monum. Germ. hist., Leges, t. II, 2a pars. p. 162. Cf. OLLERIS, op. cit., p. CXLVIII.)

[20] Scriptores hist. polon., p. 60 et s.

[21] Acta sanctorum, 2 septembre, vie de saint Etienne.

[22] OLLERIS, Œuvres de Gerbert, lettre 219, pp. 149-150. Quelques auteurs, entre autres Jaffé, ont mis en doute l'authenticité de ce document. M. Ulysse Chevalier trouve que leurs raisons ne sont pas convaincantes. (Ulysse CHEVALIER, Gerbert, dans la France chrétienne dans l'histoire, p. 143.) M. Olleris maintient le document dans les Œuvres de Gerbert. M. Julien HAVET le maintient aussi. On a mis en doute, dit-il, mais sans motifs suffisants, l'authenticité de cette lettre. Il émet l'hypothèse qu'elle serait une sorte de circulaire destinée à être colportée par un quêteur qui sollicitait des aumônes pour les établissements chrétiens de Jérusalem. (Julien HAVET, Lettres de Gerbert, un vol. in-8°, Paris, 1889, p. 22, note 3.) Mais ce n'est là qu'une hypothèse.

[23] On aimerait trouver des documents concernant l'administration des biens du Saint-Siège par Sylvestre II ; mais la création des Archives pour conserver les bulles et les lettres du Saint-Siège date de la fin du XIIe siècle, sous le pontificat d'Innocent III.

[24] OLLERIS, p. CLXXVIII.

[25] S. PIERRE DAMIEN, Vita S. Mauri, P. L., t. CXLIV, col. 950.

[26] OLLERIS, p. CLXXIX.

[27] DUCHESNE, les Premiers temps de l'État pontifical, p. 366.

[28] THANGMAN, Vita S. Bernwardi, col. 25, P. L., t. CXL, col. 413.

[29] THANGMAN, Vita S. Bernwardi, col. 25, P. L., t. CXL, col. 414.

[30] MURATORI, Antiq. ital., t. V, p. 489.

[31] C'est à Gandersheim que Hroswitha avait cultivé la poésie avec tant de succès.

[32] OLLERIS, p. 183 ; THIETMAR, Chron., t. IV, 30, P. L., t CXXXIX, col. 1267.

[33] THANGMAR, Vita S. Bernwardi, n. 37, P. L., t. CXL, col. 422.

[34] F. PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. VII.

[35] Voir, sur ce point, F. PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, un vol. in-8°, Paris, 1897, pp. 1-19, 34-38.

[36] F. PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, p. 70.

[37] Lettre 190 à Arnoul.

[38] OLLERIS, p. 279.

[39] Lettre 181.

[40] Lettre 183 à Otton III. Cf. JAFFÉ, pp. 496-499. J. HAVET, op. cit., p. 33 ; PICAVET, op. cit., p. 195-197 , OLLERIS, p. 556 et s.

[41] F. PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, un vol. in-80, Paris, 1897, p. 157-158.

[42] F. PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, p. 181.

[43] RICHER, III. 49.

[44] OLLERIS, p. 357.

[45] CHASLES, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1839-1843 : Th.-H MARTIN, Hist. des mathématiques ; Victor MORTET et Paul TANNERT, Un nouveau texte des traités d'arpentage et de géométrie d'Epaphroditus et de Vitruvius Rufus, Paris, 1896.

[46] PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, p. 181.

[47] RICHER, t. III, 50.

[48] La lettre de Gerbert à Constantin (OLLERIS, p. 479) est caractéristique sur ce point.

[49] PICAVET, p. 190-191.

[50] OLLERIS, p. 568.

[51] PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, p. 132.

[52] OLLERIS, op. cit., p. CCIII.

[53] PICAVET, Gerbert, un pape philosophe, p. 191-192.

[54] Voir H. DE L'EPINOIS, le Gouvernement des papes dans les Etats de l'Eglise, un vol. in-12°, Paris, 1866, p. 35 ; SARTORI, Storia legislazione e stato attuale dei feudi, Venise, 3e édit., 1857 ; POGGI, dans Archivio storico, nuova ser., VI. 27.

[55] Julien HAVET, Lettres de Gerbert, un vol. in-8°, Paris, 1889, Introduction, p. XXXVIII.

[56] Il ne nous reste qu'une partie des œuvres de Labéon Notker. Ces œuvres occupent le premier rang parmi les sources du haut allemand. (Dict. de théol. de WETTER et WELTE, trad. GOSCHLER, t. IX, p. 268.)

[57] A. BAUDRILLART, Cluny et la papauté, dans la Rev. prat. d'apol., 1910, t. XI, p. 14.

[58] Hist. litt. de la France, t VI, p. 24.

[59] Le texte découvert en 1833, à Bamberg, par Pertz, a été reproduit par Migne, P. L., t. CXXXVIII.

[60] En l'an 1000, le moine basilien saint Nil fondait le monastère de Grotta Ferrata, destiné à devenir un foyer d'études orientales. Sur cette fondation, voir Acta sanctorum, sept., t. VII, p 282.

[61] R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France à l'époque romane, un vol. in-4°, Paris, 1912, p. 226.

[62] R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 226-227.

[63] Gallia christiana, t. XIV, col. 654.

[64] Gallia christiana, t. XII, col. 171.

[65] Gallia christiana, t. VII, intr., col. 30.

[66] Gallia christiana, t. X, col. 1248.

[67] Gallia christiana, t. XI, col. 202.

[68] WILLELMI-GERNETII, Hist. Norman, t. IV, 19. (Recueil des hist. de France, t. X, 184.)

[69] WILLELMI-GERNETII, Hist. Norman, t. IV, 225.

[70] R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 229.

[71] R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 229.

[72] R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France à l'époque romane, p. 227.

[73] Camille ENLART, Manuel d'archéologie française, t. I, arch. religieuse. Paris, 1902. p. 199.

[74] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de Lavisse, t. II, 2e partie, p. 200.

[75] A. GASTOUÉ, l'Art grégorien, un vol. in-18°, Paris, 1911, p. 77, 182. Cf. Léon GAUTIER, la Poésie liturgique, Paris, 1886, p. 19 et s.

[76] Plus tard, à partir du XIe siècle, on composa des proses à rythme beaucoup plus régulier, qui devinrent une forme spéciale de versification, telles que le Veni sancta Spiritus, le Lauda Sion, le Dies iræ, le Stabat.

[77] Les œuvres musicales de Notker ont été recueillies par Pertz et publiées dans les Monumenta Germanie, Scriptores, t. II.

[78] A. GASTOUÉ, l'Art grégorien, p. 83.

[79] Recueil des historiens de la France, t. X, p. 305.

[80] Cf. Dom LECLERCQ, à l'article Chant grégorien, dans le Dict. d'arch. chrét. et de lit., t. I, col. 315.

[81] Histoire littéraire de la France, t. VI, p. 15. Cf. Gaston PARIS, Histoire poétique de Charlemagne, p. 47-48 ; Léon GAUTIER, les Epopées françaises, un vol. in-4°, Paris, 1878, p. 64 et s.

[82] Léon GAUTIER, les Epopées françaises, p 67.

[83] Léon GAUTIER, les Epopées françaises, p. 83. Du Xe siècle, nous avons la Vie de saint Léger, complainte populaire écrite en strophes de six pieds. Elle a été publiée par Gaston PARIS dans la revue Romania, t. II, p 252.

[84] JAFFÉ, n. 3896 ; P. L., t. CXXXV II, col. 932.

[85] BAUDRILLART, Cluny et la papauté, Rev. prat. d'apol., 1910, t. XI, p. 14. Cf. HÉFÉLÉ, au mot Cluny, dans le Dict. de théologie de WETZER et WELTE.

[86] Nous avons fait l'histoire du mouvement religieux, politique et intellectuel, qui s'est accompli sous le pontificat de Sylvestre II, sans tenir aucun compte de l'émotion qu'aurait produite l'échéance de l'an mille, considérée, dit-on, comme devant être la date de la fin du monde. Comme cette légende de l'an mille est encore défendue par quelques historiens, il ne sera pas hors de propos de reproduire ici l'excellente critique qu'en a faite, en quelques pages très condensées, M. Ch. PFISTER : Entre les années 960 et 970, quelques illuminés professaient l'opinion que le monde allait bientôt sombrer. Mais leur erreur, combattue par l'Eglise, n'eut point d'adeptes. De 970 à l'an 1000, absolument aucun texte ne nous autorise à dire que les hommes, quittant tout travail, n'attendaient que la catastrophe finale, et avaient, selon l'expression d'un grand historien, Michelet (Histoire de France, 1835, t. II, p. 132), l'effroyable espoir du jugement dernier. Nous possédons environ cent cinquante bulles pontificales expédiées dans cet intervalle, et nous affirmons que dans aucune on ne trouve la moindre allusion à une fin prochaine du monde. Nous avons aussi des bulles qui ont suivi l'an 1000, et dans aucune il n'y a un cri de reconnaissance à Dieu pour avoir détourné le terrible malheur. Des synodes nombreux se sont réunis pendant la même période de 970 à 1000, et, dans leurs actes, il n'est jamais question de l'anéantissement de la terre. On y croyait si peu qu'en 998 le concile de Rome imposa au roi Robert une pénitence de sept années (LABBE, Concilia, t. IX, col. 772). On nous oppose les canons du concile de Trosly : Il approche dans sa majesté terrible, ce jour où tous les pasteurs comparaîtront avec leurs troupeaux devant le Pasteur éternel. Et qu'alléguerons-nous alors ? (LABBE, t. IX, 523.) Mais le concile de Trosly a été tenu en 911. On nous cite encore les chartes des particuliers, donnant leurs biens sus églises ou aux couvents, parce que les ruines se multiplient, ou parce que la fin du monde approche, appropinquante mundi termino. Mais de semblables formules ont été employées dés le vue siècle (MARCULFE, Formula, t. II, n. 3), et, depuis cette date, on les trouve dans les actes du centre et du midi de la France (DELOCHE, Cartulaire de Beaulieu ; GERMER, Cartulaire du chapitre de l'église cathédrale de Nîmes, n° 27, 34, 41, 44, 781 ; ces chartes ont été rédigées en 925, 928, 93u, 943, 934. Elles sont très rares dans les chartes du nord. Si, des documents proprement dits, nous passons aux chroniqueurs, nous lisons dans Guillaume Godelle : En bien des lieux sur la terre, le bruit courut, jetant dans le cœur de beaucoup d'hommes la crainte et l'abattement, que la fin du monde approchait. Les plus sages, tournés au dessein de leur salut, s'étudièrent plus attentivement à corriger leur vie. (Recueil des historiens de la France, t. X, p. 262.) Mais cette phrase se rapporte à l'an 1010, non à l'an 1000. Après l'émotion causée en Europe par la nouvelle de la prise du Saint-Sépulcre, les vrais chrétiens se replient sur eux-mêmes et songent davantage à l'éternité. D'ailleurs Guillaume Godelle écrivait après l'année 1145. Reste Raoul Glaber, qui, après la description d'une famine terrible, ajoute : On croyait que l'ordre des saisons et les lois des éléments qui jusqu'alors avaient gouverné le monde étaient retombés dans un éternel chaos et l'on craignait la fin du genre humain. (Raoul GLABER, t. IV, 4, Rec. des hist. de la France, t. X, col. 49.) Mais Raoul place l'histoire de cette famine vers 1033, longtemps après que l'année fatale se fut écoulée. En un autre endroit, le même Raoul dit : Vers l'année 1003, il arriva que presque dans tout l'univers, et principalement en France et en Italie, on se mit à rebâtir les églises, bien que beaucoup d'entre elles, solidement construites, n'en eussent nul besoin, mais chaque nation chrétienne voulait posséder les plus belles. C'était comme si le monde, recouvrant sa vétusté, avait revêtu le blanc manteau des églises. (Raoul GLABER, III, 4, Rec. des hist. de la France, t. X, p. 29.) Qu'est-ou en droit de conclure de ce passage ? Simplement qu'au début du XIe siècle beaucoup d'églises furent construites. Au XVIIIe siècle, quelques archéologues se sont demandé quelles étaient les causes de ce mouvement artistique, et alors, interprétant à la légère les textes que nous venons de citer, ils ont inventé la légende des terreurs qui auraient précédé l'an topo et de la joie qu'auraient ressentie les peuples, le terme funeste une fois passé. Cette joie se serait traduite au dehors par la construction de belles églises. Peut-être, en étudiant leur sujet de plus près, auraient-ils vu que beaucoup de ces édifices se sont élevés aux approches mêmes de l'an 1000. Nous alléguera-t-on encore la prose de Montpellier : Ecoute, terre... Il vient, il est proche, le jour de la colère suprême... Mais, à supposer que ce chant soit du Xe siècle, que prouverait-il ? Ce que prouve le Dies ira : que le christianisme a cru à la fin du monde et au jugement dernier, tomme il y croit encore... L'Eglise n'a donc pas cru à une conflagration universelle qui aurait embrasé le monde en l'an mille. Entre les années 960 et 970, quelques illuminés ont enseigné, il est vrai, que le monde allait finir, mais leur hérésie, en somme, ne présentait aucun danger. (Ch. PFISTER, Etudes sur le règne de Robert le Pieux, in-8°, Paris, 1885. p. 32u.323.) Voir la question traitée avec plus de développements dans Frédéric DUVAL, les Terreurs de l'an mille (collection Science et Religion), Paris, 3e édit., 1908.