I Pour qui eût mis toute sa confiance dans les combinaisons d'une organisation politique, la suprématie de la papauté était assurée au milieu du Xe siècle. Jean XII n'était pas seulement pape ; il était, comme héritier d'Albéric, le chef de la famille la plus en vue de l'aristocratie romaine ; plus encore, une sorte de prince temporel dans la Ville éternelle. Son père avait joué à Rome, avec l'assentiment tacite de la population, un rôle de potentat. On l'avait vu se donner les titres de Princeps et de Senator omnium Romanorum. Son nom avait figuré sur les monnaies conjointement avec celui du souverain pontife, remplaçant celui de l'empereur byzantin[1]. Jean XII, par cela seul qu'il obtenait le pouvoir ecclésiastique suprême au moment où il devenait le chef de la plus puissante des familles de Rome, semblait éteindre cet antagonisme de la noblesse et du clergé qui avait été la cause de tant de troubles. Le nouveau pape, d'ailleurs, ne manquait ni d'intelligence ni de sens politique, et paraissait décidé à ne céder à personne le rang qui venait de lui échoir. Ce furent précisément ces qualités d'intelligence et de sens politique qui montrèrent à Jean XII le péril de la situation. Elle était lamentable. Jamais peut-être on ne fut mieux à même de constater l'influence prépondérante de la morale sur l'ordre politique et social. Tandis que la papauté, déconsidérée par les vices du pontife régnant et de son entourage, perdait chaque jour de son prestige, le peuple, de plus en plus dominé par des préoccupations d'intérêts matériels et de plaisirs profanes, prenait un goût croissant aux coteries et aux factions, inquiétait le pouvoir par la menace perpétuelle d'une révolte ou d'un complot. Jean XII comprit qu'il ne pouvait par lui-même remédier à un pareil danger. La papauté avait besoin d'un protecteur comme au temps de Pépin et de Charlemagne. Où trouver ce protecteur ? Dans une situation un peu différente, mais non moins périlleuse, Jean XI l'avait cherché en Orient. L'Empire byzantin était alors gouverné de fait par Romain Lécapène. Le 2 février 933, quatre légats pontificaux, dont deux évêques, avaient sollicité l'alliance du parvenu impérial de Constantinople, en lui proposant des relations matrimoniales avec la famille de Marozie. Mais l'affaire avait échoué[2]. Du reste, l'empereur de Constantinople était bien loin, pour être un protecteur efficace ; la séparation religieuse de l'Orient d'avec l'Occident s'accentuait de plus en plus ; la papauté ne pouvait guère espérer trouver de ce côté l'appui moral dont elle avait besoin. C'est plutôt vers la restauration de l'Empire de Charlemagne que l'opinion se portait. Au milieu des guerres civiles et des invasions, les regards se tournaient d'instinct vers le souvenir du grand empereur. De magnifiques légendes s'étaient formées autour de son nom, et ravivaient sa mémoire[3]. Que n'était-il là, pour défendre, avec sa grande épée, la cause de l'Eglise et du droit ? Précisément, à cette heure même, le roi Otton de Germanie n'aspirait à rien de moins qu'à reprendre le rôle de Charlemagne. Il était alors dans la force de l'âge[4]. Ses brillantes qualités d'esprit et de corps, l'étendue de ses connaissances, son intrépide courage, la majesté même de son port, semblaient justifier une pareille ambition. Il avait déjà donné à la royauté saxonne un éclat incomparable. H avait réprimé les révoltes des seigneurs allemands ; il avait lutté avec un égal succès contre les Danois, les Hongrois, les Slaves du Nord et les troupes lombardes de Bérenger. Après la défaite de ce dernier, il s'était couronné roi d'Italie[5]. Par sa mère sainte Mathilde par sa femme, sainte Adélaïde, et par son frère saint Brunon, la sainteté faisait comme une auréole à sa grandeur. On raconte que, sur le champ de bataille de Mersebourg, où Otton brisa la puissance des Hongrois, l'armée teutonique s'était tournée tout à coup vers son roi victorieux en s'écriant tout d'une voix : Imperator Augustus, Pater patriæ[6]. Le pape Jean XII lui proposa de ratifier, par son autorité religieuse suprême, cette acclamation populaire, s'il consentait à mettre son épée au-service de l'Eglise de Dieu. Sans hésiter, Otton accepta l'offre du pontife. Au désir sincère de servir l'Eglise s'ajoutaient. chez lui, des motifs d'intérêt politique. Les plus grandes difficultés dont le roi de Germanie avait eu à souffrir jusque-là dans le gouvernement de son royaume lui étaient venues de la résistance des seigneurs féodaux. L'établissement de la hiérarchie féodale en Allemagne au Xe siècle avait été un progrès sur l'anarchie ; mais elle avait créé au fonctionnement régulier du pouvoir monarchique des obstacles presque insurmontables. La haute aristocratie, qui comprenait les ducs, ainsi que les trois archevêques rhénans, déniait au roi le pouvoir de s'immiscer dans sa juridiction, de l'empêcher de faire la guerre ou de former des ligues. Elle avait convoité souvent la couronne et résisté parfois ouvertement à celui qui la portait. Quand Otton entreprit en Italie la campagne qui devait aboutir à la défaite de Bérenger, les hauts feudataires, non contents de refuser de marcher à sa suite, avaient tenté de s'opposer à son expédition ; et des sanctions terribles avaient seules eu raison de leur mauvais vouloir. La noblesse de second ordre, comprenant les comtes, les margraves ou marquis, et les landgraves, relevait des ducs pour ses terres, et soutenait contre eux les mêmes luttes que ceux-ci soutenaient contre la couronne[7]. Au-dessous d'eux, les barons et les simples chevaliers, astreints à servir leurs suzerains dans des circonstances données, discutaient aussi leur concours quand aucun intérêt matériel ne les excitait. En devenant empereur, Otton exercerait un ascendant plus grand sur cette féodalité redoutable. Le sacre reçu du Pontife romain lui donnerait le pouvoir de parler et de commander au nom d'une autorité plus haute que celle qui lui venait de sa qualité de suzerain de terres féodales. Il parlerait enfin comme protecteur de la foi, comme chargé par l'Eglise d'une mission temporelle. Une conséquence inévitable de ce nouveau régime serait sans doute de donner au clergé, dans l'administration publique et à la cour, une plus grande importance qu'il n'en avait en jusque-là ; mais dans ce résultat même l'habile politique voyait l'avantage de contrebalancer l'influence de la noblesse militaire par celle de la noblesse ecclésiastique. Le sacre d'Otton Ier par le pape Jean XII eut lieu le 2 février 962, fête de la Purification. La reine Adélaïde fut couronnée en même temps que son époux. On aimerait à connaître les détails de la cérémonie qui fit le premier empereur d'Allemagne. Les annalistes du temps, dans leurs récits très succincts, mentionnent l'initiative du pape et l'acclamation du peuple[8]. Il semble que celle-ci ait été regardée comme essentielle pour l'élection, et celle-là comme inhérente à la cérémonie du sacre[9]. Nous sommes mieux renseignés sur les engagements
réciproques que prirent à cette occasion le pape et l'empereur. Ils ont été
consignés dans un document célèbre, le Privilegium Ottonis, daté du 13
février 962, et dont l'authenticité ne souffre aucune contestation[10]. L'empereur
promettait de procurer l'exaltation du pape et de
l'Eglise romaine, de ne jamais porter atteinte au corps et à la dignité du
pape, de ne jamais tenir à Rome de placitum sans le conseil du pape,
de ne jamais s'immiscer dans les affaires du pape et des Romains, de rendre
au pape tout ce qu'il détenait du patrimoine de saint Pierre, enfin d'exiger
du gouverneur à qui il avait confié le royaume d'Italie le serment de
protéger le pape et les biens de saint Pierre. En réponse à ce
serment, le pape et les Romains jurèrent, sur le corps de saint Pierre,
qu'ils n'appuieraient jamais les ennemis de l'empereur, et il fut établi qu'à
l'avenir le pape élu canoniquement ne pourrait être sacré qu'après avoir
fait, en présence de l'empereur ou de ses missi,
des promesses prouvant ses bonnes intentions[11]. Quand ces promesses solennelles eurent été échangées et que le procès-verbal qui les relatait, écrit en lettres d'or sur parchemin pourpre et muni d'un sceau d'or, eut été déposé aux archives pontificales, le peuple put croire qu'une ère définitive s'ouvrait pour l'Eglise. Quoiqu'il ignorât l'histoire de ce grand nom d'empereur, et qu'il fût incapable de comprendre quelle autorité il représentait, il semble avoir senti, par une sorte d'instinct, que le but mystérieux et irrésistible de la mission de l'empereur était le triomphe de la fraternité et de l'égalité chrétiennes, le règne de la paix et de la justice, la répression des puissants et la défense des faibles[12]. Telle est l'impression qui se dégage des récits des annalistes contemporains. Cent soixante ans plus tôt, dans le triclinium du palais de Latran, le pape Léon III avait fait construire une mosaïque où l'on voyait le Christ, ayant à sa droite le pape Sylvestre et à sa gauche l'empereur Constantin, remettre à l'un les clefs du ciel et à l'autre une bannière surmontée d'une croix. Autour du tableau se lisait la légende : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonæ volantatis. N'était-ce pas le cri qui devait désormais sortir de toutes les poitrines ? Autour de Jean XII, on parait avoir partagé ces brillantes prévisions. Otton, peut-être parce qu'il était moins loyal de son côté, fut moins confiant. On raconte qu'au moment d'être couronné, il dit à de ses fidèles, Ansfried, de Louvain : Aujourd'hui, quand je m'agenouillerai devant la tombe de saint Pierre, veille à tenir ton épée levée au-dessus de ma tête, car je sais bien tout ce que mes prédécesseurs ont eu à souffrir des Romains. Le sage évite le mal par la prévoyance. Pour toi, tu auras le temps de prier tant que tu voudras quand nous serons à Monte-Mario au milieu de nos armées. Quant à Jean XII, on ne sait au juste quelles furent ses impressions personnelles. Pur politique, il crut peut-être remédier suffisamment à des troubles politiques par la combinaison diplomatique qui avait eu son dénouement sur le tombeau des saints Apôtres. Le fils d'Albéric était sans doute incapable de comprendre l'étendue et la profondeur des plaies morales dont souffrait l'Eglise. Par bonheur, la Providence tenait en réserve, pour les guérir, d'autres remèdes que cette restauration solennelle de l'Empire. II Le malheureux pontife que les intrigues d'une famille ambitieuse avaient élevé au faîte des honneurs ecclésiastiques, et qui y avait apporté, avec le scandale des plus misérables trafics, celui d'une inconduite notoire, ne faisait que résumer en sa personne les trois fléaux dont souffrait alors presque partout l'Eglise de Dieu : l'investiture laïque, la simonie et l'incontinence. Dans la langue du Moyen Age, on donna le nom d'investiture à l'acte juridique par lequel le maître d'une église la confiait, à titre de bénéfice, à l'ecclésiastique qui devrait la desservir. L'évolution historique par laquelle des seigneurs et princes laïques en vinrent à disposer de ce droit, remonte à l'époque carolingienne. Rappelons-nous que, dès cette époque, la plupart des églises rurales étaient soumises à la propriété privée. Sur un grand domaine, s'élevait une église, qui en était l'accessoire, tout comme le moulin, le four ou la brasserie. On trouva naturel, dans ces circonstances, que le propriétaire, constructeur et bienfaiteur de cette église de campagne, intervînt dans la désignation du prêtre desservant qui devait vivre sur sa terre[13]. Souvent cette intervention fut souveraine et décisive. Peu à peu, elle s'étendit aux églises cathédrales elles-mêmes, les seigneurs et les rois affectant de se considérer comme les propriétaires des évêchés. Suivant les habitudes du droit germanique, cette investiture se fit par le moyen d'un symbole. Le symbole en usage, quand il s'agit d'évêchés, fui naturellement la crosse et l'anneau. En fait, le plus souvent, lorsqu'un évêché était vacant, voici comment les choses se passaient. Directement ou indirectement, le roi ou le seigneur choisissait le nouvel évêque, parfois en s'inspirant de considérations fort étrangères à celles du plus grand bien de l'Eglise et des âmes ; puis il lui accordait l'investiture en lui remettant la crosse et l'anneau. Désormais, au point de vue temporel, l'élu était maître de son évêché ; il ne lui manquait plus que la consécration, qui lui permettrait d'accomplir les fonctions spirituelles de l'ordre épiscopal. Pour l'obtenir, il s'adressait au métropolitain et aux évêques de la province. Ceux-ci, en général, ne pouvaient ou ne voulaient courir les risques d'un grave conflit en refusant leur concours. Ainsi la consécration intervenait en dernier lieu comme une cérémonie accessoire. En réalité, un tel régime était organisé pour répandre partout l'impression que le prince fait l'évêque et lui communique ses pouvoirs spirituels et temporels[14]. La simonie était la conséquence inévitable de ce régime. Ce droit de propriété que s'étaient arrogé les princes et les seigneurs sur les paroisses rurales, puis sur les plus illustres évêchés, les portait à exploiter leur prétendu domaine, soit eu vendant leur choix, soit en se réservant une partie des bénéfices que l'Eglise procurait. Enfin ce que pouvait être la vertu du titulaire d'une église, qui avait acheté son bénéfice à prix d'argent et qui était devenu l'homme lige d'un patron laïque, on le conçoit sans peine. Du droit d'investiture" et de la simonie, l'incontinence était la suite fatale. De solides habitudes chrétiennes, une foi fortement trempée, étaient. chez beaucoup, un préservatif efficace ; mais le triple fléau faisait, dans la chrétienté tout entière, de lamentables ravages. Par certain côté, le rétablissement de l'Empire aggrava le mal. Un des bons résultats du pacte de 962 fut de soustraire l'élection pontificale aux interventions des seigneurs italiens et à tous les abus qui s'ensuivaient. Mais, d'autre part, Otton, en dotant les évêques de son Empire et en les faisant entrer dans la hiérarchie féodale, les rendit plus dépendants de son autorité. Désormais l'union, en un même personnage, des deux qualités de seigneur temporel et de pasteur des âmes, rendait la situation plus inextricable. La solution ne pouvait être obtenue que par l'intervention d'une grande force morale. Cette force morale se rencontra dans la vie monastique, et en particulier dans le monastère de Cluny. Quand, au mois de septembre de l'an 909, le vieux duc Guillaume d'Aquitaine résolut de fonder, sur ses terres du Mâconnais, en sa villa seigneuriale de Cluny, le monastère qui devait rendre ce nom si fameux dans l'histoire, il stipula que les moines y auraient la faculté et la liberté d'y élire un abbé, suivant le bon plaisir de Dieu et la règle de saint Benoît, sans qu'aucun pouvoir pût contredire ou empêcher cette élection religieuse. Dès ce jour, déclare-t-il, les moines réunis à Cluny ne seront soumis ni aux faisceaux de la grandeur royale ni au joug d'aucune puissance terrestre. Par Dieu, en Dieu et tous ses saints, et sous la menace du dernier jugement, je prie, je supplie que ni prince séculier, ni comte, ni évêque... ne se permette d'établir sur eux un chef contre leur volonté ![15] Depuis lors la transmission et la collation des dignités dans l'ordre de Cluny n'avaient jamais donné lieu à un trafic quelconque. La simonie ne s'y était introduite sous aucune forme ; la pureté des mœurs s'y était maintenue sans tache[16], et le dévouement à la papauté s'y était manifesté d'une manière constante. À deux reprises, sous les pontificats des papes Léon VII et Etienne VIII, le saint abbé Odon de Cluny, mandé à Rome pour y servir d'arbitre entre les factions rivales, y avait fait prévaloir un esprit de conciliation et de paix ; par plusieurs bulles, les deux pontifes avaient exprimé leur reconnaissance à la jeune congrégation et à son abbé[17]. Le pape Jean XII et l'empereur Otton ne méconnurent pas les trésors de sainteté et de fécond apostolat que tenait en réserve l'institution monastique. Mais Jean XII paraît s'être contenté, dans les moments où la grâce le sollicitait à se convertir, de se recommander humblement aux prières des monastères[18], et Otton croyait avoir tout fait pour eux en les comblant de bienfaits et d'honneurs temporels. Ni l'empereur ni le pontife ne semblent avoir compris que la vraie réforme de l'Eglise viendrait de ces asiles bénis de Dieu où la vie chrétienne se conservait dans sa pureté primitive. III Tout entier à ses projets ambitieux, Otton rêvait de reprendre et d'amplifier l'œuvre de Charlemagne. Jean XII, en plaçant sur la tète du roi de Germanie la couronne impériale, ne s'était pas proposé autre chose que d'écarter du Saint-Siège les factions italiennes. Il n'avait vu dans le titre d'empereur qu'un honneur suprême, pareil à ceux dont s'étaient parés les derniers Carolingiens et les ducs de Spolète. Mais Otton entendit, dès le début, exercer toutes les prérogatives de sa nouvelle dignité, et il comprit cette dignité comme un titre à la domination du monde et à la suzeraineté sur le Saint-Siège. La poursuite de ces deux objectifs devait remplir tout son règne. Empereur d'Allemagne et roi de Germanie, sa nouvelle dignité ne se substituait pas à l'ancienne ; et, comme on l'a dit fort justement, cette union en une seule personne de deux caractères, union personnelle d'abord, officielle ensuite, est la clé de toute l'histoire de l'Allemagne et de l'Empire[19]. Sans doute, dès le lendemain de son couronnement, les titres qu'il s'arrogea semblaient indiquer son désir de faire disparaître le roi derrière l'empereur. Au lieu des formules, employées par lui jusqu'alors, de Rex Francorum, de Rex Francorum orientalium, ou encore de Rex tout court il ne se donne plus que le nom d'Imperator Augustus ; mais qu'on étudie de près sa politique ; on y verra que, pour lui, l'Empire n'est considéré que comme l'extension de la Germanie. Nul plus que le premier empereur n'a travaillé à faire l'unité du royaume de Germanie. Ce fut Otton qui fit des Germains, restés jusque-là à l'état de tribus confédérées, un seul peuple, qui leur donna la solidité d'un véritable corps politique, qui leur apprit enfin à s'élever à la conscience d'une vie nationale[20]. Mais dans la pensée d'Otton, la nation des Germains ou des Francs orientaux[21], ne devait être que le centre d'un cercle plus vaste qui constituerait le domaine de l'Empire. Son ambition s'étendait plus particulièrement sur l'Italie, la Hongrie, les Etats scandinaves, la France, et même sur l'Orient. Son plan devait échouer partiellement. Nous avons vu qu'il avait obtenu en Italie, en Hongrie et dans les Etats du Nord des succès importants. Il devait avorter en France. Tout au plus parvint-il à occuper la Lotharingie ou Lorraine, sans pouvoir aucunement se l'assimiler[22]. Les Francs occidentaux allaient bientôt inaugurer, avec Hugues Capet, la France moderne, où les prétentions du Saint-Empire ne seraient plus admises désormais. Toujours pour continuer Charlemagne, Otton Ier voulut nouer des relations avec l'Orient. En 968, il chargea Luitprand, évêque de Crémone, d'aller demander à l'empereur Nicéphore Phocas la main de Théophano, fille de Romain II, pour son fils Otton II. Luitprand a raconté les pittoresques déconvenues de son ambassade : l'accueil hautain de Nicéphore Phocas, ses railleries sur la gloutonnerie germanique, puis sa réponse dédaigneuse : Si ton maître veut obtenir la grande faveur que tu demandes, qu'il commence par nous donner ce qui nous convient : Rome, Ravenne et tout ce qui en dépend[23]. Cependant, trois ans plus tard, Nicéphore Phocas ayant été assassiné, son meurtrier, Jean Zimiscès, devenu empereur, ne fit pas de difficultés pour remettre à une nouvelle ambassade d'Otton la jeune et savante Théophano, qui fut couronnée par le pape le 9 avril 972[24]. Otton voulut aussi entrer en rapports avec les Arabes, et subit, à cette occasion, de 953 à 956, de la part du calife de Cordoue, Abd-er-Rahman II, des humiliations tout aussi désagréables que celles qu'il avait eu à supporter de l'empereur d'Orient[25]. Au fond, chez les Arabes comme chez les Byzantins et chez les Francs occidentaux, la dignité impériale conférée à Otton avait éveillé plus de rivalité que de déférence. Il n'en était pas de même dans les Etats de l'Eglise, où l'on avait acclamé le nouvel empereur comme un protecteur providentiel au milieu de l'anarchie qui désolait le domaine de saint Pierre. Malheureusement le premier fauteur de ces désordres était Jean XII lui-même. Nous avons eu déjà l'occasion de constater comment, par une protection manifeste de la Providence, la doctrine n'eut jamais à souffrir des écarts de ce malheureux pontife. En plus d'une occasion même, comme dans la protection qu'il accorda aux monastères les plus réguliers. il fut l'instrument d'une renaissance religieuse Mais son attitude politique fut toujours, comme sa vie privée, d'une inconsistance déplorable. Otton avait à peine regagné la Haute Italie après son sacre, que Jean XII, au mépris de ses engagements les plus formels, se mettait en relations avec les ennemis les plus acharnés de l'empereur, en particulier avec Adelbert, fils de Bérenger II[26]. L'empereur assiégeait Bérenger dans le château de Montefeltre, près de Rimini, quand il apprit cette nouvelle. Sa colère fut extrême. Le pape lui envoya des ambassadeurs, parmi lesquels se trouvait le protoscriniaire Léon, le futur antipape Léon VIII. Ils déclarèrent à l'empereur : 1° que Jean XII, entraîné par sa jeunesse. avait agi à la légère et qu'on ne reverrait rien de pareil à l'avenir ; 2° que, du reste, l'empereur, ayant à se reprocher des méfaits équivalents, tels que celui d'avoir traité comme ses biens propres les biens de l'Eglise romaine et d'avoir accueilli auprès de sa personne d'infidèles serviteurs du pape, ne pouvait légitimement faire un grief au pontife d'une attitude que celui-ci était prêt à désavouer. Mais Otton discuta ces arguments. Les pourparlers s'aigrirent Bref, le 2 novembre 963, l'empereur se trouva devant Borne à la tète d'une armée. Une partie de la ville se déclara pour lui, l'autre pour le pape. Jean XII revêtit le casque et la cuirasse, à côté d'Adelbert[27] ; mais les troupes pontificales furent vaincues, et les Romains durent promettre par serment de ne jamais élire et consacrer aucun pape en dehors du consentement et du choix de l'empereur et de son fils le roi Otton[28]. La première conséquence de cette capitulation des Romains fut la réunion et la présidence par l'empereur Otton d'un prétendu concile qui s'ouvrit, le 6 novembre 963, sans l'assentiment du pape, dans la basilique de Saint-Pierre de Rome. L évêque de Crémone, Luitprand, qui y joua un rôle important, nous a laissé la relation des faits qui s'y accomplirent. On y comptait quarante évêques, des clercs de toute dignité, des employés d'église, des laïques de toute condition, la milice, et un soi-disant député du peuple. Le récit pittoresque et vivant de l'évêque de Crémone donne une idée du tumulte d'une pareille assemblée[29]. L'empereur demanda qu'on spécifiât les accusations portées contre Jean XII. Aussitôt des clameurs s'élevèrent de toutes parts. L'un s'écria que le pape avait ordonné des prêtres à prix d'argent ; l'autre, qu'il allait publiquement à la chasse. Celui-ci affirma qu'il vivait dans la débauche ; celui-là qu'il avait bu à la santé du diable en jouant aux dés. L'empereur les fit adjurer, par l'évêque Luitprand, de n'apporter que des accusations reposant sur des témoignages sûrs. Le peuple et le clergé présent crièrent alors comme un seul homme : Si le pape Jean n'a pas commis tous les crimes énoncés, s'il n'en a pas commis beaucoup d'autres plus honteux et plus exécrables, que Pierre, le prince des apôtres, nous ferme les portes du ciel ! Jean XII était absent de Rome. On le somma de comparaître devant le pseudo-concile pour s'y défendre. Il se contenta de répondre : Nous apprenons que vous voulez élire un autre pape. Si vous le faites, nous vous excommunions au nom du Tout-Puissant, en sorte que nul d'entre vous ne puisse désormais faire une ordination ou célébrer la messe[30]. Cette réponse irrita l'assemblée, qui, le 4 décembre 963, avec le consentement de l'empereur, prononça la déposition de Jean XII, et élut pour pape le protoscriniaire Léon, simple laïque[31], qui, deux jours après, reçut les saints ordres et prit le nom de Léon VIII. Tout porte à croire, dit le savant historien Héfélé[32], qu'Otton avait préparé cette élection. Par cet acte illégal, suggéré à une assemblée irrégulière, Otton inaugurait les pires agissements de l'Empire. Certes, une lourde responsabilité retombe sur l'indigne pontife, dont la vie avait rendu possibles les terribles accusations dont il fut l'objet ; mais si coupable qu'il pût être, Jean XII était le pape légitime. En le déposant et en lui donnant un successeur de sa propre initiative, Otton créait un précédent qui devait devenir, pour ses successeurs, une tradition. Ceux-ci chercheront désormais à traiter le Saint-Siège comme un simple évêché de Germanie. Le Saint-Empire, dans sa grande conception chrétienne si justement admirée, ne date donc point de l'empereur Otton. Il datera du triomphe de la papauté sur le vieil esprit impérial. 11 sera l'œuvre des papes, et non des empereurs germaniques. IV Si abaissés que fussent les esprits à cette époque, deux mois s'étaient à peine écoulés depuis la déposition de Jean XII, que le clergé et le peuple romains s'étaient ressaisis. Au concile de décembre 963, Otton avait blessé à la fois le sentiment national et le sentiment catholique. Il était venu, lui, étranger, entouré de troupes armées, déposer le chef des Etats de saint Pierre ; et il avait voulu faire juger celui qui, si indigne soit-il, juge tout et ne peut être jugé par personne. Le 3 janvier 964, les Romains, profitant du départ de l'empereur et de l'absence d'une grande partie de ses troupes, firent une émeute, dressèrent des barricades sur le pont Saint-Ange. Un prompt retour des troupes impériales suffit à réprimer la rébellion. Les barricades furent enlevées, et les insurgés furent massacrés en grand nombre. Mais la réaction prit bientôt une autre forme. Le 26 février 964, une assemblée d'évêques, de cardinaux et d'ecclésiastiques de différents ordres, dont la majorité avait fait partie de l'assemblée de 963, se réunit à Saint-Pierre sous la présidence de Jean XII, et, considérant que le pape Léon avait été élu en violation des lois de l'Eglise, déclara son élection nulle et de nulle valeur[33]. L'empereur, informé de l'événement, se préparait à marcher de nouveau sur Rome, quand il apprit la mort de Jean, frappé mystérieusement dans son lit, d'aucuns dirent par le diable[34], d'autres par un personnage qu'il aurait indignement outragé[35]. Aussitôt après la mort de Jean XII, les Romains, sans informer l'empereur, sans se préoccuper de la convention de 962, procédèrent à l'élection d'un nouveau pape. Leur choix se porta sur le diacre de Benoît. Le moine du Mont Soracte vante sa science. Ses connaissances en grammaire lui avaient valu le surnom de Benoît le Grammairien. C'était, au surplus, un ecclésiastique de bon renom. Les fluctuations que certains historiens ont relevées dans sa conduite, pour lui en faire un reproche, sont susceptibles d'explication. On l'avait vu, dans l'assemblée de 962, se faire le porte-parole des accusateurs de Jean XII ; puis, dans le concile de 963, défendre avec énergie l'autorité de ce même pontife. C'est qu'il pensait sans doute que les crimes d'un pape n'autorisent pas un empereur à le déposer pour y substituer une de ses créatures. Le nouvel élu fut sacré le 22 mai sous le nom de BENOÎT V. L'empereur mécontent mit le siège devant Rome, qui, réduite par la famine et par la peste, livra Benoît aux vainqueurs. Il fut déposé, privé de l'exercice de ses fonctions sacerdotales, et envoyé en Germanie, sous la garde de l'évêque de Hambourg, qui le traita avec toutes sortes d'égards. Il y mourut peu de temps après, dans les sentiments d'une grande piété. Benoît V n'a point de numéro d'ordre dans la liste communément reçue des souverains pontifes ; mais beaucoup d'historiens le regardent comme un pape légitime[36], et on ne voit pas la raison de lui refuser ce titre. L'assemblée d'évêques réunis vers la fin de juin 964 par l'empereur, pour déposer Benoît V, réintégra dans ses fonctions l'antipape Léon VIII, qui survécut peu de temps à sa restauration. H mourut à Rome en mars 965[37]. On ne cite, du pseudo-pontificat de Léon VIII, qu'un acte important : une bulle insérée par Gratien dans le Corpus juris canonici[38], et accordant à l'empereur d'Allemagne, non seulement le droit de se choisir un successeur au titre de roi d'Italie, mais encore le droit de donner l'investiture au pape et aux évêques. Ou a longtemps discuté sur l'authenticité de cette bulle. Les études de Floss et de Bernheim ont démontré le caractère apocryphe du document. La base de cet écrit serait une bulle authentique de Léon VIII, excluant le peuple romain de l'élection d'un pape, d'un roi ou d'un patrice. Un faussaire du XIe siècle, partisan de l'antipape Guibert, aurait transformé le document en y ajoutant les privilèges exorbitants attribués à l'empereur. Les chroniqueurs du temps n'incriminent point la conduite privée de l'antipape Léon VIII ; mais il fut jusqu'à sa mort l'homme lige d'Otton, et il expira sans avoir renié l'acte sacrilège qui avait fait de lui un révolté ; il mérite la malédiction qui s'attache à ceux qui ont souillé la dignité de leur sacerdoce dans l'ambition ou la lâcheté. Le peuple et le clergé de Rome n'osèrent plus, cette fois, procéder à l'élection d'un nouveau pape, sans avoir, conformément à l'acte de 962, prévenu l'empereur. Celui-ci désigna à leur choix un parent de Jean XII, Jean, évêque de Narni, fils de Théodora la Jeune, neveu par conséquent de la célèbre Marozie. On revenait, avec l'agrément de l'empereur, à la maison de Théophylacte[39]. Otton, qui voyait le sentiment national des Romains se révolter de plus en plus contre ses ingérences, espéra sans doute, par cette combinaison politique, satisfaire le plus puissant des partis d'opposition. Il était trop tard. Jean de Narni fut élu sans difficultés et installé le 1er octobre 965 sous le nom de JEAN XIII. Mais trois mois ne s'étaient pas écoulés depuis son installation qu'une révolte, causée, dit-on, par la sévérité du nouveau pape à l'égard de la noblesse romaine, mais dirigée en réalité contre le pouvoir impérial, éclata. Elle avait à sa tète le comte Rodfred, le préfet de la ville, Pierre, et un employé de la maison du pape, nommé Etienne. C'était comme la coalition de tous les partis, mis en mouvement à la fois. Jean XIII, rendu solidaire de la politique d'Otton, fut arrêté, enfermé au château Saint-Ange, puis exilé ; mais bientôt la nouvelle que l'armée impériale marchait, pour la quatrième fois, sur Rome répandit la terreur dans la cité. Jean XIII lui-même, à la tête de troupes importantes, se présenta le 14 novembre 966 devant la ville, qui le reçut sans protester. Le moine du Mont-Soracte, qui avait vu passer la terrible armée, termina mélancoliquement sur ce fait sa chronique, comme s'il y voyait la fin de l'indépendance de l'Eglise et de sa nation[40]. Cette épouvante était justifiée. Les représailles de l'empereur furent cruelles. Le préfet de la ville, Pierre, fut suspendu par les cheveux à la fameuse statue équestre de Marc-Aurèle, puis promené par la ville sur un âne, à rebours, la queue de l'animal entre les mains, et coiffé d'une outre en guise de diadème. Il fut enfin exilé. Le comte Rodfred avait été assassiné, et le clerc Etienne avait péri on ne sait comment. Otton fit déterrer leurs cadavres, qu'on jeta à la voirie. Le meurtrier du comte Rodfred était un certain Jean Crescentius, fils de la fameuse Théodora la Jeune. C'est par ce meurtre que la famille des Crescentius, qui devait jouer dans la suite un si triste rôle dans les élections des papes, fit son entrée sur la scène du monde[41]. Jean XIII gouverna l'Eglise pendant près de sept ans. La paix ne fut plus gravement troublée pendant son pontificat. Ce fut un pape intègre, pieux, actif. Dans un concile tenu après les fêtes de Pâques de l'année 967, l'empereur le remit en possession de la ville et du territoire de Ravenne, qui avaient été soustraits depuis longtemps à l'autorité du Saint-Siège ; et le jour de Noël de la même année, le fils de l'empereur Otton Ier, âgé de treize ans, reçut de Jean XIII la couronne impériale et fut associé au trône paternel[42]. Cette nouvelle fut transmise aux ducs et préfets de la Saxe en ces termes : Notre fils a été élevé par le seigneur apostolique à la dignité impériale[43]. C'était reconnaître le droit du pape pour le choix et le couronnement des empereurs. Les plus redoutables compétiteurs d'Otton, Bérenger II et son fils Adelbert, étant morts l'année précédente, une paix relative régnait dans l'Empire comme dans l'Eglise. L'empereur et le pape en profitèrent pour réformer, d'un commun accord, an certain nombre d'abus. Le registre de Jean XIII, composé de trente-trois pièces intégralement conservées, nous présente un intéressant tableau de ces réformes. On voit le pontife ordonner, sous peine d'anathème, à tous les ducs, marquis, comtes et juges du territoire de Bologne, de cesser leurs injustes vexations contre les clercs[44] ; expédier en Germanie une sentence d'excommunication contre l'archevêque Hérold de Salzbourg, qui s'était allié aux Magyars pour piller avec eux les cités, les monastères, les églises et les campagnes de son propre pays[45]. D'une manière générale, il soutient une lutte incessante contre les entreprises des laïques sur les églises ou les monastères, et contre l'esprit d'indiscipline qui se manifeste parmi le clergé et dans les couvents eux-mêmes comme au milieu du peuple. En toutes ces réformes, il déclare et il veut que toute la catholicité sache que le Siège apostolique, si longtemps livré aux fureurs des impies, n'a dû, après Dieu, sa délivrance qu'aux magnanimes efforts de l'empereur Otton[46]. Le pape rendait le même témoignage au roi d'Angleterre Edgard Ier. Nous vous félicitons, lui écrivait-il, d'avoir compris que la bienveillante sollicitude dont vous entourez les églises est la meilleure preuve que vous puissiez donner à vos sujets de votre paternelle tendresse à leur égard[47]. Le roi Edgard avait, en effet, dans un concile tenu à Brandford vers 964, restitué aux évêques et aux monastères tous les biens qui leur avaient été enlevés ; il avait abrogé les ordonnances hostiles à l'Eglise rendues par son frère Edwin[48]. En 969, de concert avec son ami Dunstan[49], archevêque de Cantorbéry, il avait convoqué un concile national très important, qui avait opéré une réforme générale dans le clergé anglais, tant régulier que séculier[50]. Jean XIII mourut le 6 septembre 972. Il fut, dit l'épitaphe gravée sur sa tombe dans la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs[51], un pasteur vigilant et sage. Il se préoccupait de l'heure de sa mort, et, de son vivant, il choisit ce lieu pour sépulture... Que les cieux lui soient ouverts par les mérites du sublime Paul. Nous ne sommes pas renseignés sur la manière dont se fit l'élection du successeur de Jean XIII. Nous savons seulement que l'élu fut un cardinal-diacre romain, nommé Benoît, et que son ordination n'eut lieu qu'en janvier 973. Il reçut le nom de BENOÎT VI. Les uns ont conjecturé que ce long retard fut dû à un échange de communications entre Rome et l'Allemagne en vue d'obtenir la ratification de l'empereur ; d'autres estiment que cette longue vacance est une preuve de l'intervention impériale à cette occasion[52], Quelques mois plus tard, le 7 mai 973, Otton Ier mourut. Les Allemands, qui lui ont donné le nom d'Otton le Grand, le considèrent comme le fondateur de la nation allemande. Il eut cette ambition, comme aussi celle d'être le protecteur de l'Eglise. Mais, à ces deux points de vue, son œuvre fut plus brillante que durable. En Germanie, une puissante féodalité avait déjà poussé de trop profondes racines pour qu'il fût possible de la réduire autour d'tin pouvoir central ; et à Rome, la main d'Otton avait été trop dure pour ne pas soulever de sourdes révoltes contre son autorité. À l'encontre d'un historien allemand, qui voit toute la gloire d'Otton le Grand dans ses vertus guerrières et conquérantes[53], nous verrions plutôt la grandeur de son règne dans la protection qu'il accorda aux lettres et aux sciences et dans les exemples de sainteté qui rayonnèrent autour de son trône. Otton connaissait à peine le latin ; mais il encouragea les savants qui cultivaient les lettres latines. On doit citer parmi eux le célèbre Luitprand, qui composa auprès de l'empereur son Antapodosis, où il raconta les événements accomplis en Italie depuis 888. Plus tard, récompensé de ses services par l'évêché de Crémone, il se montra, dans sa Vita Ottonis et dans sa Legatio Constantinopolitana, courtisan servile du pouvoir impérial ; mais on doit lui reconnaître un esprit délié, une érudition peu commune, une verve puissante ; et ses récits, quand on sait faire la part de son évidente partialité, sont des plus précieux qu'on puisse consulter pour l'histoire de ce temps. Le cardinal Baronius y a beaucoup puisé pour écrire ses Annales, et a même excédé dans la confiance qu'il a accordée au prélat historien. À côté de Luitprand, mais dans un rang inférieur, l'évêque de Vérone, Ratier, non moins courtisan, a laissé aussi des écrits curieux et vivants sur les événements et les mœurs de son époque. Dans les monastères dotés et protégés par Otton, le moine Widukind, de la Nouvelle-Corbie, écrivit, sous le titre de Res gestæ saxonicæ, l'histoire de la Saxe depuis ses origines jusqu'à son temps ; et la religieuse Hroswitha, du couvent de Gandersheim, composa, en imitant Virgile et Térence, des poèmes et des drames sur les légendes des saints[54]. Mais le plus grand titre à la reconnaissance du monde savant que se soit acquis Otton le Grand, c'est d'avoir deviné, encouragé et protégé le jeune moine qui devait être l'illustre Gerbert, le grand pape Sylvestre II. Ce fut aussi un savant que ce frère puîné d'Otton. Brunon, archevêque de Cologne, qui nous a laissé des Vies de saints et un Commentaire sur les évangélistes et sur les livres de Moïse[55]. Mais ce fut surtout un saint. En lui, dit son premier biographe[56], se trouvèrent réunies des qualités trop souvent inconciliables : la splendeur du rang et des dignités, la plénitude de la science, avec une humilité de cœur et une douceur de caractère telles qu'on n'en vit jamais de plus profondes. Saint Brunon était le digne fils de l'admirable reine mère, sainte Mathilde, qui, pendant que l'empereur parcourait en armes la Hongrie, l'Italie et les pays du Nord, allait de ville en ville, de hameau en hameau, apaisant les discordes, réparant les injustices et semant les aumônes à pleines mains[57]. Fils d'une sainte et frère d'un saint, Otton avait eu également le bonheur d'épouser une sainte. L'Allemagne et l'Italie durent à l'impératrice Adélaïde de nombreuses fondations, d'innombrables œuvres de bienfaisance. La plus admirable de ses œuvres fut, sans doute, l'acte d'abnégation par lequel, lors de la chute de la maison de Bérenger, elle prit à sa cour les deux filles de son ennemi pour leur servir de mère. Si répréhensibles que fussent certains actes politiques d'Otton le Grand, de telles influences, émanant de la cour, contribuaient à maintenir, dans les consciences chrétiennes, ce sens des vertus évangéliques qui permettrait à la réforme de trouver des points d'appui dans les âmes, au jour où Dieu la susciterait dans son Eglise. V Le fils et successeur d'Otton le Grand, Otton II, dit le Roux, ne manquait pas d'intelligence et de courage. Instruit par des maîtres habiles, il surpassa son père par sa culture intellectuelle, mais il lui fut inférieur par son caractère, qui fut mobile, faible et de peu d'élévation. Agé de dix-huit ans seulement au moment où il prit possession du trône impérial, les conseils de sa sainte mère Adélaïde eussent pu le préserver de bien des écueils ; mais il avait à peine ceint la couronne que les intrigues de la jeune impératrice Théophano, soutenue par une faction de courtisans, amenèrent la disgrâce de la reine mère, qui dut quitter la cour et se réfugier en Italie. Avec la pieuse veuve d'Otton le Grand, le génie de l'empire sembla disparaître. Ce fut la décadence manifeste des deux grandes œuvres du premier empereur germanique. D'une part, dès le lendemain de la mort d'Otton Ier, toutes les ambitions, toutes les convoitises, refoulées un moment par sa main puissante, s'étaient donné libre carrière. Tandis qu'Henri de Bavière, s'alliant aux ducs de Bohème et de Pologne, aspirait à ruiner, à son profit, la suprématie de la Saxe, les descendants des anciens ducs de Lorraine relevèrent la tête, et les Danois au nord, les Slaves à l'est, recommencèrent leurs invasions. La première partie du règne d'Otton II, de 972 à 980, se passa à réprimer ces soulèvements, D'autres préoccupations l'attirèrent alors eu Italie. Là aussi des passions, tenues en bride par la main ferme du premier Otton, momentanément apaisées par la sage modération de Jean XIII, s'étaient déchaînées. Un parti, qui se disait national, parce qu'il combattait l'influence allemande en Italie, mais qui travaillait en somme pour satisfaire l'ambition de quelques seigneurs, avait à sa tête ce Crescentius, ou Censius, que nous avons rencontré lors de l'avènement de Jean XIII. Comme en 965, on résolut, pour abattre l'hégémonie impériale en Italie, de s'attaquer à celui qu'on regardait comme sa créature, le pape I3enoît VI. On tenait en réserve, pour le remplacer, un cardinal-diacre, qui s'était distingué par les mauvais traitements qu'il avait infligés à Benoît V, Boniface Franco. Ce que fut le drame machiné par Crescentius, nous le savons par la notice, d'un laconisme amer, consacrée au pape Benoît VI dans le Liber Pontificalis : Benoît, né à Rome et fils d'Hildebrand, y est-il dit[58], siégea un an et six mois. Il fut arrêté par un certain Cencius, fils de Théodora, et enfermé dans le château Saint-Ange, où il fut étranglé, à l'instigation du diacre Boniface, qu'on avait déjà fait pape, lui vivant. Le registre de Benoît VI nous le montre attentif à favoriser la vie monastique et à défendre les droits des Eglises contre les empiétements des seigneurs. Dans un rescrit adressé au moine Eldrad, abbé de Vézelay, il ne craint pas de dire : Si quelque roi, évêque, prêtre, abbé, juge ou comte enfreint les présentes dispositions, qu'il soit frappé d'anathème, déchu de sa dignité et privé de la participation au corps sacré de Notre-Seigneur Jésus-Christ, jusqu'à ce qu'il ait expié son injustice[59]. La puissance de gouverner l'Eglise entière, écrit-il à l'évêque Frédéric de Salzbourg, n'a pas été donnée seulement au bienheureux apôtre Pierre, mais à tous ses légitimes successeurs[60]. Dans cette même lettre, il semble pressentir la triste fin qui l'attendait. Pour nous, dit-il, notre plus vif désir est de maintenir les lois de nos prédécesseurs, tant que nous le permettra la malice des hommes de ce temps[61]. Le tragique événement qui mit fin au pontificat de Benoît VI eut lieu au mois de juillet 973. Crescentius put jouir quelque temps du fruit de son crime. Bonizo nous apprend qu'il s'arrogea le titre de patrice et exerça dans Rome une autorité tyrannique[62]. Mais son pouvoir fut de courte durée. Franco, intronisé sous le nom de Boniface VII, ne tarda pas à devenir l'objet de l'indignation populaire, Boniface VII, qui changea son nom de Bonifacius (le bienfaisant) en celui de Malifacius (le malfaisant)[63]. L'empereur, informé des événements, avait envoyé à Rome un représentant, le comte Sicco, qui rallia la population, assiégea le château Saint-Ange, s'en rendit maitre, et fit déposer dans les formes le pape intrus[64]. Celui-ci put néanmoins s'enfuir à Constantinople[65], emportant avec lui les trésors du Vatican, et méditant de nouveaux crimes. Il devait revenir plus tard à Rome et y créer de nouvelles difficultés au légitime successeur de Benoît VI, BENOÎT VII. Ce dernier, précédemment évêque de Sutri, fut élu pape en octobre 974, avec l'assentiment d'Otton II[66]. Il devait gouverner l'Eglise pendant neuf ans. C'était un homme d'une activité et d'une énergie remarquables. Le premier de ses soins fut de réunir à Rome un concile qui frappa d'anathème Boniface Franco[67]. Dans deux autres conciles, tenus l'un à Ravenne, vers 974, l'autre à Rome, vers 981, il fit condamner énergiquement la simonie[68]. 11 avait conscience que là était le mal essentiel de cette triste époque. Par la simonie entraient dans l'Eglise les pasteurs mercenaires, qui ravageaient le troupeau du Christ, en le divisant par leurs intrigues et en le scandalisant par leur inconduite. Par ailleurs, les scènes tragiques qui avaient ensanglanté le trône pontifical avaient eu leur retentissement dans l'Eglise entière. En Italie, des seigneurs, à l'exemple de Crescentius, chassaient les officiers impériaux, se constituaient en États indépendants et y exerçaient un pouvoir despotique. En France, les maux résultant de l'inféodation seigneuriale des évêchés se compliquaient de la crise dont souffrait la dynastie régnante : entre la vieille race carolingienne, décrépite, incapable de défendre le pays, et la jeune maison des ducs de France, les meilleurs Français, les évêques eux-mêmes se divisaient. En Angleterre, au milieu des guerres sanglantes qui éclatèrent pour la succession au trône, après la mort du roi Edgard, les clercs déposés pour inconduite ou simonie s'étaient révoltés, et, soutenus par un grand parti politique, avaient déjà chassé un grand nombre de moines établis à leur place. En Allemagne, les troubles suscités après le décès d'Otton le Grand n'étaient pas apaisés. Les Slaves de l'Est et du Nord s'agitaient sourdement. En Orient, l'antipape Boniface, qui s'y était réfugié, multipliait ses menées, cherchant à exploiter contre son rival les vieilles jalousies byzantines. L'Empire et l'Eglise étaient à la fois menacés. Otton prétendit prendre la défense de l'un et de l'autre. Sa vie privée le rendait de moins en moins digne d'une si haute mission. Les scandales de son inconduite s'étalaient maintenant au grand jour. En 980, il se dirigea vers l'Italie. À Pavie, il rencontra sa pieuse mère Adélaïde, dont la tristesse toucha son cœur, et se réconcilia avec elle. Quand il parvint à Rome, au début de 981, l'apaisement s'y était fait, grâce aux mesures prudentes et fermes qu'y avait prises Benoit VII. La pacification de la Basse Italie lui demanda plus d'efforts et obtint moins de succès. Les Grecs et les Sarrasins se coalisèrent pour le repousser de l'Italie méridionale, tandis que les Slaves, profitant de son éloignement, pillaient Hambourg, ruinaient les évêchés d'Havelberg et de Brandebourg, détruisaient les fondations d'Otton le Grand. L'intervention de Benoît VII fut plus pacifique et plus féconde. Tandis que quatre conciles romains, tenus sous sa présidence effective, de 974 à 981, réglaient les affaires d'Italie et les affaires générales de l'Eglise[69], des conciles tenus sous son inspiration, en France, en Angleterre et en Allemagne, travaillaient à rétablir l'ordre et la discipline dans ces différents pays. En 974, il envoya en France un légat spécial, le diacre Etienne, qui présida, à Reims, un concile important. On y déposa Théobald, évêque d'Amiens, usurpateur du siège épiscopal[70]. Les archevêques de Reims, par suite de la prérogative dont ils jouissaient de sacrer les rois de France, exerçaient sur tout le pays une influence prépondérante. Le siège de Reims était alors occupé par un homme d'une valeur éminente, Adalbéron, que des traditions et des affections de famille liaient à la personne d'Otton. Adalbéron avait salué avec enthousiasme la restauration de l'Empire. Il y avait vu le moyen le plus efficace de défendre l'Eglise contre le flot tempétueux de la féodalité naissante, la papauté contre les agressions des princes italiens. Mais l'archevêque de Reims était avant tout homme d'Eglise. Pour lui, l'extirpation des abus, la réforme des institutions ecclésiastiques et monastiques, la restauration de la piété, primèrent tous les autres soucis. Les 41 lettres que nous possédons de lui nous révèlent l'étendue et la pureté de son zèle, ainsi que ses sentiments de profonde obéissance au pontife romain[71]. Les embellissements dont il orna sa cathédrale et l'éclat qu'il sut donner à l'école de Reims en la plaçant sous la direction du savant Gerbert, suffiraient à illustrer le nom d'Adalbéron[72]. L'Angleterre eut aussi, sur le siège de Cantorbéry, son grand réformateur, saint Dunstan. Quatre conciles, tenus à Winchester en 975, à Kirlington vers 977, à Calne en 978 et à Ambresbury vers 979, cherchèrent à remédier aux maux dont l'Église anglaise souffrait[73]. Au concile de Winchester, comme certains évêques parlaient de revenir sur certaines sanctions, jugées trop sévères, une ancienne tradition rapporte que le crucifix suspendu à la paroi de la salle des séances aurait dit à haute voix : Non fiet, non fiet ; judicastis bene, male mutaretis. Cela ne sera pas, cela ne sera pas ; vous avez bien jugé, ne changez rien, vous feriez mal. Le concile de Calne eut une issue tragique. Le plancher de la salle s'étant effondré, tous les membres de l'assemblée furent plus ou moins grièvement blessés, sauf Dunstan, qui n'eut aucun mal. Beaucoup y virent la preuve que Dieu était avec l'archevêque, et que la réforme, dont il était le plus ardent promoteur, devait être acceptée avec docilité. Benoît VII n'eut pas à intervenir directement dans la politique des souverains d'Orient. Pour répondre aux empiétements des Grecs dans l'Italie méridionale, il y maintint fermement l'organisation des provinces latines que Jean XIII avait établies à Capoue, Bénévent, Salerne, Naples et Amalfi. On eût dit d'ailleurs que Dieu se chargeait de faire suivre d'un châtiment providentiel chacun des attentats des empereurs orientaux contre les papes. En 975, le basileus Zimiscès, dédaignant toute aide de l'Occident, rêve de refouler, à lui seul, l'empire du Croissant jusque dans les déserts de l'Arabie, son berceau. Il entre en Syrie, où les Arabes se sont établis et fortifiés, s'empare d'Apamée, d'Emèse et de Baalbek, reçoit la soumission de l'émir de Damas, descend en Phénicie et la conquiert. Il se dispose à emporter d'assaut Jérusalem, fier d'accomplir par ses propres forces l'œuvre gigantesque pour laquelle Otton le Grand lui-même avait demandé le concours de l'Occident, quand son premier ministre, Basile, met fin à ses victoires et à sa vie en mêlant du poison à son breuvage[74]. Sous son successeur Basile II, un gouverneur grec, ayant reconquis, dans la basse Italie, sur les Sarrasins, les villes de Brindes et de Tarente, profite de sa victoire pour soustraire les Églises de ces deux villes à la juridiction du Pape et les placer sous la dépendance du patriarcat byzantin. Cette fois-ci, le châtiment vient des Bulgares, qui se révoltent sur toute l'étendue de leur territoire et tiennent en échec pendant quatre ans toutes les forces de l'Empire. Le registre de Benoît VII, l'un des plus complets qui nous soient restés dans la période si tourmentée du Xe siècle, montre la sollicitude attentive de ce pontife pour tous les besoins de l'Eglise. La plupart des grands monastères de la Gaule, de l'Allemagne et de l'Italie, Vézelay, Saint-Pantaléon de Cologne, le Mont-Cassin, Saint-Pierre de Pérouse, Corbie, Saint-Valéry, Subiaco, sont l'objet de sa prédilection. Mais il semble que ses regards se portent plus attentivement sur Cluny, comme sur la principale source de la restauration religieuse qu'il désire : La congrégation que vous dirigez, écrit-il à son abbé, n'a pas de plus dévouée protectrice que cette Eglise romaine, qui voudrait la dilater dans le monde entier et qui tient à la défendre contre tous ses ennemis[75]. Benoît VII mourut le 10 juillet 983. Sur sa tombe, qui se trouve dans l'église Sainte-Croix de Jérusalem, on peut lire l'inscription suivante : Dans ce sépulcre, reposent les dépouilles mortelles de Benoît, VIIe de ce nom. Il renversa l'orgueil du cruel usurpateur Franco... Il frappa les déprédateurs de la sainte Eglise romaine... Il fut l'appui des veuves et le père des pauvres ; il considéra les délaissés comme ses propres enfants[76]. VI Le successeur de Benoît VII fut le chancelier Pierre, évêque de Pavie, qui, par respect pour le prince des apôtres, changea son nom en celui de Jean, et devint JEAN XIV[77]. En obtenant des Romains l'élection du chancelier de son empire, l'empereur Otton se flatta sans doute, et tous ceux qui comptaient beaucoup sur l'efficacité des calculs politiques se flattèrent aussi d'avoir enfin réalisé l'idéal d'un Saint-Empire pacifié et triomphant. L'illusion était naturelle, Nul prélat n'était plus habitué que le nouveau pape au maniement des affaires publiques ; nul ne connaissait mieux les ressorts de la politique internationale, les sourdes menées de Constantinople, les forces du monde musulman ; nul ne pouvait mieux résoudre les multiples difficultés du gouvernement de l'Italie méridionale. Possédant la confiance du clergé romain et celle de l'empereur, son pontificat devait éteindre dans leur germe tous les conflits possibles entre le sacerdoce et les pouvoirs civils. Les événements ne répondirent pas à ces prévisions. Otton II n'avait que quelques semaines à vivre, et le pontificat de Jean XIV allait se terminer, sept mois plus tard,-par une tragédie semblable à celle qui avait mis fin aux jours de l'infortuné Benoit VI. Nous ne possédons, du pape Jean XIV, Titane seule lettre authentique, datée du 6 décembre 983, par laquelle il concède le pallium au métropolitain de Bénévent. Montrez-vous miséricordieux, lui dit-il, soyez l'appui des opprimés, opposez la modération et le calme aux violences des oppresseurs... Et puissions-nous, après les amères tristesses de cette vie, parvenir ensemble aux conditions de l'éternelle béatitude[78]. Les amères tristesses dont parle ici le pape ne devaient pas lui être épargnées. Le lendemain du jour où il écrivit cette lettre, il fut appelé auprès du lit de mort de l'empereur Otton. Après avoir tenu une diète à Vérone, dit Thietmar[79], l'empereur, laissant sa vénérable mère, l'impératrice Adélaïde, à Pavie, s'était rendu à Rome. Or, dans les premiers jours du mois de décembre 983, il tomba gravement malade. Les uns attribuèrent cette maladie au chagrin qu'il éprouva d'une défaite subie à Tarente ; d'autres dirent qu'une blessure, reçue dans ce funeste combat, se rouvrit. Il sentit qu'il allait mourir. Il fit partager son trésor impérial en quatre portions, font l'une fut assignée aux églises, la seconde aux pauvres, la troisième à sa sœur bien-aimée la princesse Mathilde, dévote servante du Christ dans l'abbaye de Quedlimbourg ; la quatrième fut distribuée de ses mains à ses soldats et à ses serviteurs, qui fondaient en larmes. Il fit ensuite à haute voix et en latin la confession de ses fautes devant le seigneur apostolique, les évêques et les prêtres. Il sollicita et reçut d'eux l'absolution, et le 7 décembre il fut ravi à la lumière de ce monde. Jean XIV ne perdait pas seulement son protecteur. Il entrevoyait avec effroi l'avenir ouvert par la disparition d'Otton II : la minorité d'un empereur au berceau, les périls d'une régence, et peut-être les guerres civiles qui allaient éclater de toutes parts. Le chroniqueur Thietmar, archevêque de Prague, nous apprend, eu effet, qu'aussitôt après la mort de l'empereur, l'ambitieux Henri de Bavière, emprisonné pour avoir deux fois attenté à la couronne, se fit mettre en liberté par l'évêque d'Utrecht, prit possession de la régence, et s'empara du jeune Otton III[80]. Bientôt l'Allemagne, séparée en deux camps ennemis, fut en feu. Le contrecoup de ces agitations se fit sentir en Italie. De l'abbaye de Bobbio, qu'il gouvernait alors, Gerbert écrivait à Jean XIV : De quel côté tournerai-je mes pas, père très pieux ? J'ai beau en appeler au siège apostolique : les ennemis en armes occupent toutes les routes[81]. Le moment était propice à l'antipape Boniface pour exécuter ses criminels desseins. Les Grecs, ses protecteurs, rendus maîtres de l'Italie méridionale par la victoire de Tarente, favorisèrent ses projets. Au mois d'avril 984. Boniface, accompagné de Crescentius et escorté par une escouade de soldats byzantins, fit son entrée dans Rome. Le pape, aussitôt arrêté, fut emprisonné au château Saint-Ange, où pendant quatre mois, dit le Liber Pontificalis, il souffrit atrocement de la maladie et de la faim, et où enfin, s'il faut en croire ce qu'on rapporte, il mourut assassiné[82]. Le triomphe de Boniface fut insolent. Un de ses premiers actes fut de donner en location, à un riche particulier, pour une somme annuelle de dix solidi d'or, un grand domaine de l'Etat pontifical[83]. Cette rapacité, d'autres défauts encore, dont il donna le sacrilège spectacle pendant un an, soulevèrent contre lui l'indignation populaire. Il mourut subitement en juillet 985. Les Romains l'avaient en telle haine, dit l'annaliste pontifical, qu'ils se jetèrent sur son cadavre, le percèrent à coups de lance, et, l'ayant mis à nu, le traînèrent par les pieds jusqu'au cheval de Constantin, c'est-à-dire jusqu'à la statue équestre de Marc-Aurèle. Le lendemain, des clercs vinrent recueillir ses restes affreusement mutilés, et les ensevelirent[84]. VII La période de l'histoire pontificale qui suit la mort de l'antipape Boniface est particulièrement obscure[85]. JEAN XV, fils de Léon, qui paraît avoir été élu en août ou septembre 985[86], dut-il sa promotion à l'élection du clergé et du peuple de Rome, comme le pense Héfélé[87], ou au choix de Crescentius, comme le conjecture Mgr Duchesne[88] ? Entre le pontificat de Jean XV et celui de son prédécesseur, faut-il placer un autre Jean, fils de Robert, qui serait mort avant d'avoir été sacré[89] ? Ces problèmes n'ont pas encore reçu de solution certaine. Jean XV tint le siège apostolique pendant onze ans. Il réunit plusieurs conciles sans grande importance pour l'histoire générale de l'Eglise. Les lettres que nous avons de lui[90] témoignent de son zèle pour la prospérité des institutions monastiques. Le biographe de saint Adalbert de Prague, premier apôtre des Prussiens, mort martyr de son zèle en 997, nous dit que son héros recevait les réponses de Jean XV comme les paroles de Dieu même[91]. Nous devons à ce pape la plus antique bulle de canonisation qui soit parvenue jusqu'à nous. C'est la bulle qui, le 11 juin 993, déclara digne d'un culte public dans l'Eglise saint Ulric, évêque d'Augsbourg[92]. En 990, par amour pour le Dieu tout-puissant et pour le Bienheureux Pierre, prince des apôtres, il obtint du roi d'Angleterre Ethelred et de Richard, duc de Normandie, la conclusion d'un traité de paix[93] qui est considéré comme inaugurant la grande institution connue sous le nom de Trêve de Dieu. Jean XV, en agissant ainsi, répondait à un désir universel de la chrétienté. Un concile tenu à Carroux, près de Poitiers, en 989, et un concile tenu à Narbonne, en 990, avaient déclaré anathème contre ceux qui pillent les biens des pauvres[94]. Vers l'an 994, l'annaliste Adhémar de Chavannes raconte que l'évêque de Limoges, pour punir les mauvaises actions des seigneurs, ordonna que les églises et les monastères cesseraient le culte divin[95]. Gerbert écrivait à la même époque à un grand seigneur : Nous vous supplions de considérer que la paix de l'Eglise ne peut exister sans la paix entre les princes[96]. L'acte important du souverain pontife encouragea puissamment le mouvement qui se dessinait. Avant de mourir, en 996, il put apprendre avec joie que neuf évêques du Midi de la France, Wido du Puy, Pierre de Viviers, Wigo de Valence, Bégo de Clermont, Raymond de Toulouse, Dieudonné de Rodez, Fredelo de Perpignan, Fulcran de Lodève et Guy de Glandève, réunis en concile avec un grand nombre de grands seigneurs, avaient rédigé la première formule solennelle du Pacte de paix ou Trêve de Dieu : Au nom de Dieu, souveraine et indivisible Trinité... à partir de ce jour, que nul désormais ne fasse irruption dans une église... que rien ne soit enlevé à ses légitimes propriétaires... que nul ne moleste un villageois ou une villageoise ou ne les mette à rançon... Si quelque ravisseur maudit rompt cette institution de paix, qu'il soit excommunié, qu'aucun prêtre ne chante pour lui la messe, ni ne lui donne la communion[97]. Telle fut la première promulgation de la Trêve de Dieu : Charta qua Treuga Dei confirmatur[98]. Une autre grande institution de bienfaisance sociale vit le jour sous le pontificat de Jean XV. Le fils d'un noble seigneur des environs d'Annecy, Bernard de Menthon, archidiacre d'Aoste, témoin, dans ses courses apostoliques, des dangers que les pèlerins d'Angleterre, de France et de Germanie avaient à courir en allant à Rome au milieu des neiges et des glaciers des Alpes, fonda, sur la cime des Alpes Pennines, entre le Valais et la vallée d'Aoste, et au sommet des Alpes alors appelées Alpes grecques (Graiæ), entre la Savoie et le val d'Aoste, les deux célèbres monastères du Grand et du Petit Saint-Bernard, dont il fut le premier supérieur et où il mourut en 1008, âgé de quatre-vingt-cinq ans. Jean XV eut enfin le bonheur de voir sous son pontificat deux événements d'une grande importance au point de vue de la civilisation générale et de l'avenir du christianisme : la conversion complète des Russes à la foi chrétienne et l'avènement en France d'une dynastie qui devait donner à l'Eglise plusieurs de ses plus dévoués défenseurs. La foi chrétienne avait été prêchée en Russie dès le siècle précédent, et y avait fait de nombreux adeptes. Mais au milieu du x6 siècle, les chrétiens y étaient encore durement persécutés par le pouvoir. Le tsar \Vladimir, surnommé le Grand ou le Saint, qui régna de 98o à 1015, fut le premier chef chrétien de l'empire russe. Cette grande nation devait malheureusement subir l'influence de Constantinople, la suivre dans le schisme de Michel Cérulaire, et, tout en gardant la foi au Sauveur Jésus-Christ, se séparer de son ministre ici-bas, le souverain pontife. Il en devait être autrement de la monarchie qui se fonda
en France, l'an 987, avec Hugues Capet. Des historiens ont vu dans
l'avènement de la troisième dynastie des rois de France une victoire de la
nationalité française. Sous cette formule, l'assertion parait trop absolue.
Les Mérovingiens et les Carolingiens furent des Français aussi bien que les
Capétiens. Mais les Mérovingiens n'avaient pu former dans le pays franc une
centralisation durable, et les Carolingiens avaient embrassé un objet bien plus
vaste : la restauration de l'Empire d'Occident. La désagrégation de cet
Empire, sous les coups des pirates du Nord et des Sarrasins, détermina le
premier développement d'une organisation nouvelle, l'idée d'une royauté
franque, capable à la fois de donner à la nation cette cohésion que la race
de Mérovée n'avait pu lui procurer, et de défendre, dans un cercle plus
restreint mais plus solide, les frontières que les descendants de Charlemagne
avaient laissé déborder. Depuis un siècle, depuis la mort de Charles le Gros,
en 887, une maison s'était montrée à la hauteur d'une pareille mission.
Originaire d'Allemagne, et se rattachant au fameux Witikind suivant les uns,
pure de toute alliance étrangère suivant les autres[99], ses exploits
guerriers, ses vastes possessions, l'avaient élevée au premier rang. D'elle
étaient sortis des hommes héroïques qui, tels que leur premier ancêtre,
Robert le Fort, défendant la France contre les Normands, et Eudes, son fils,
sauvant Paris de la ruine, avaient, au milieu des bouleversements intérieurs
et des invasions barbares, assuré la paix dans les villes, dans les monastères,
dans le pays tout entier. Trois de ses membres avaient reçu le titre de roi,
mais de chacun d'eux on avait pu dire ce que le moine Gerbert écrivait en 995
de son dernier rejeton, Hugues, surnommé Capet : Il
est roi en réalité. Le Carolingien, le roi Lothaire, ne l'est que de nom[100]. Les
Carolingiens, en effet, presque entièrement dépouillés de toute puissance
territoriale, en un temps où toute autorité reposait sur la terre, sentaient
leur échapper peu à peu tout pouvoir. Enfin, et ceci fut la cause déterminante
qui acheva la chute de la dynastie ancienne et l'avènement de la nouvelle,
l'Eglise de France, par la voix de son plus puissant évêque, Adalbéron de
Reims, et de son plus illustre moine, Gerbert, se prononça pour la cause de
Hugues[101].
Tout concourut donc à assurer l'élévation du
personnage qui, en fait, se trouvait être le véritable représentant de la
nation des Francs occidentaux, le seul capable de diriger ses destinées et de
la défendre centre l'étranger[102]. Dans une
assemblée des grands du royaume tenue à Compiègne en 987, Hugues Capet fut
élu roi. Il fut couronné et sacré le 3 juillet de la même année, probablement
à Noyon[103].
Telle fut l'origine de la dynastie capétienne, qui devait donner au Moyen Age
le plus saint de ses rois, le plus ferme et le plus sage des défenseurs de
l'Eglise, saint Louis. L'avènement de cette dynastie en France coïncidait avec une décadence de la dynastie impériale en Allemagne. Le règne d'Otton II n'avait pas égalé celui d'Otton le Grand, et Otton III allait se montrer inférieur à son père. Au lendemain de la mort d'Otton II, l'impératrice Théophano, exclue de la tutelle de son fils, s'était rendue à Pavie auprès de sa belle-mère sainte Adélaïde[104]. Les deux princesses, réconciliées un moment, avaient mêlé leurs larmes. Au fond, l'ambitieuse Théophano, écartée du gouvernement, cherchait un appui pour ses intrigues. Elle fut déçue. Moins que jamais la pieuse Adélaïde, en qui l'exil n'avait fait que confirmer les vertus simples et droites qu'elle avait pratiquées jusqu'alors, n'était décidée à se prêter à de pareils projets. Théophano se dirigea alors vers Rome. L'ancien rival de l'empereur, Crescentius, venait d'y mourir[105]. Mais il laissait un fils, appelé aussi Crescentius, qui avait repris hardiment le titre de patrice des Romains. Il y a lieu de croire que l'impératrice s'entendit avec lui et ne lui contesta pas son patriciat[106]. De son côté, Crescentius ne paraît pas lui avoir disputé le titre de souveraine, qu'elle prenait à Rome. Son but, disait-elle, était de maintenir l'autorité du Saint-Empire sur la péninsule italique. Dans les chartes de ce temps-là, on rencontre le nom de Crescentius, patrice, et celui de Théophano, qualifiée d'impératrice des Romains[107]. Cependant le régent Henri de Bavière, à force de mécontenter les seigneurs par ses prétentions insolentes, avait dû se retirer devant une coalition des féodaux. Adélaïde et Théophano revinrent prendre leur place auprès du jeune empereur, l'une pour l'édifier par sa sainteté, l'autre pour le jeter dans les plus folles entreprises. Sur ces entrefaites, au mois d'avril 996, le pape Jean XV mourut. Peu de temps avant sa mort, lassé des agissements de Crescentius, il avait invité l'empereur à se transporter à Rome. Otton s'était mis en route aussitôt. Il était à Pavie quand il apprit la mort du pape. VIII L'empereur d'Allemagne comptait alors seize ans à peine. Son règne devait être court, triste, plein de brillantes promesses qui ne furent pas remplies[108]. Il avait eu pour précepteur l'illustre Gerbert, qui lui avait appris quels sont les devoirs d'un monarque chrétien ; mais, par sa mère Théophano, il s'était pénétré des traditions absolutistes de Byzance. Il caressait le projet, à l'occasion du millénaire solennel de la fondation du christianisme auquel on allait atteindre, de rajeunir la majesté de Rome, d'en refaire encore la capitale d'un empire du monde, victorieux comme celui de Trajan, despotique comme celui de Justinien, sacré comme celui de Constantin. Son jeune esprit de visionnaire était trop ébloui par les magnifiques créations de son imagination pour voir le monde tel qu'il était : l'Allemagne grossière, l'Italie inquiète, Rome agitée par les factions[109]. On raconte qu'avant de se mettre en voyage pour la Ville éternelle, il s'était rendu à Aix-la-Chapelle, qu'il y avait fait ouvrir le tombeau de Charlemagne, qu'il avait contemplé le grand empereur assis sur un trône de marbre, revêtu de sa robe et de sa couronne, et que, touchant la main du mort, détachant de son cou la croix d'or, il s'était fait donner, pour ainsi dire, l'investiture de l'Empire par celui qu'il considérait comme son grand précurseur. Parvenu à Ravenne, Otton reçut une ambassade qui se
présentait à lui au nom des princes romains et de tout l'ordre sénatorial. Les princes, dit l'auteur contemporain qui a écrit
la vie de saint Adalbert, manifestaient la douleur
qu'ils éprouvaient de la mort du seigneur apostolique, et priaient l'empereur
de leur transmettre ses intentions relativement au choix d'un successeur. Or
parmi les clercs de la chapelle royale, se trouvait un petit-fils d'Otton le
Grand, nommé Brunon. Fort instruit dans les lettres humaines — il
parlait trois langues : le latin, l'allemand et le roman ou gaulois vulgaire
—, sa naissance lui assurait une grande
considération ; son caractère était noble et généreux ; on n'aurait pu lui
reprocher que sa jeunesse, car il n'avait que vingt-trois ans. Otton, son
cousin, avait pour lui une vive affection. Il le désigna aux envoyés comme le
candidat de son choix. L'élection se fit selon le désir royal, et, le 3 mai
996, Brunon fut proclamé pape[110]. Le 21 du même
mois il sacra solennellement son cousin. Comme naguère la maison italienne de
Théophylacte, la maison allemande des Ottons tenait en ses mains les pouvoirs
suprêmes du Sacerdoce et de l'Empire ! Mais la nouvelle combinaison politique
n'eut pas plus de succès que l'ancienne. Le candidat de l'empereur n'eut
aucun des vices de Jean XII, mais Otton III devait être le dernier empereur
de sa race. Le nouvel élu, en témoignage de sa vénération pour saint Grégoire le Grand, prit le nom de GRÉGOIRE V. Personnellement, dit Héfélé[111], il était vertueux, zélé pour le droit et l'équité, fort instruit et rempli de ces grandes vues qui avaient inspiré Grégoire le Grand et Nicolas Ier. Deux grandes préoccupations dominèrent son pontificat : affranchir Rome des menées de Crescentius, et mettre fin à un conflit pénible où se trouvaient mêlés les plus hauts dignitaires de l'Eglise de France. Dès l'arrivée de l'empereur à Rome, le soi-disant patrice des Romains avait compris que sa cause était perdue s'il n'essayait de la sauver par la ruse. Manifestant un repentir hypocrite, il s'était remis entre les mains d'Otton, qui, après l'avoir judiciairement convaincu d'usurpation de pouvoirs et d'autres méfaits, s'était contenté de le condamner à l'exil, puis, sur l'intercession du pape, lui avait fait grâce. Mais, trois mois après, l'empereur ayant repassé les Alpes, une révolte éclatait à Rome. Crescentius, exploitant le sentiment national des Italiens, et représentant Grégoire V comme l'homme du parti allemand, cherchait à reprendre son pouvoir perdu. Quand l'empereur apprit ces faits, il était déjà engagé dans une guerre contre les Slaves. Grégoire dut quitter Rome, et se réfugia à Pavie, où, au début de 997, il tint un concile dans lequel les rebelles furent excommuniés[112]. Crescentius répondit aux excommunications de Grégoire V en lui suscitant un rival. L'homme de son choix fut un certain Philagathe, archevêque de Plaisance, Calabrais, Grec d'origine, qui, l'année précédente, avait été envoyé à Constantinople pour y négocier l'alliance de l'empereur Otton III avec la princesse Hélène, fille de Constantin VIII. La famille de Crescentius avait toujours cherché à s'appuyer sur l'influence byzantine, alors très puissante dans l'Italie méridionale, et à l'opposer à l'ingérence des souverains allemands[113], et l'on a conjecturé avec beaucoup de vraisemblance que, dès ce voyage, l'indigne prélat, déjà vendu à Crescentius, avait tramé un complot avec le gouvernement de Constantinople ; Crescentius, maître du pouvoir à Rome, s'y conduirait comme lieutenant général des souverains de Byzance. En chassant le pape de Rome, le patrice avait pris possession du Château Saint-Ange, d'où il dominait la ville. Les grandes sommes qu'apportait Philagathe de Constantinople[114], comme prix de sa trahison, servirent à acheter un certain nombre de membres du clergé et du peuple qui acclamèrent l'intrus sous le nom de Jean XVI. On était au mois d'avril de l'année 997. Mais le bruit se répandit bientôt que l'empereur Otton, victorieux des Slaves, faisait route vers l'Italie. Aussi fourbe que son complice, Philagathe essaya de gagner le pape par des déclarations hypocrites. Il n'avait, disait-il, accepté que sous la pression violente de Crescentius un titre qui lui était odieux, et n'attendait qu'une occasion pour échapper au joug dont il souffrait[115]. Le saint abbé Nil, ermite de la Calabre, persuadé par ces déclarations, vint à Rome intercéder pour son malheureux compatriote[116]. Le pape et l'empereur lui firent grâce de la vie, à la condition qu'il consentît à passer le reste de ses jours dans un couvent, en expiation de ses fautes. Mais comme, pris de panique, le malheureux s'enfuyait, la foule, qui le rejoignit sur les chemins de Campanie, s'empara de lui, et, moins clémente que le pape, lui arracha les yeux et la langue, lui coupa le nez et les oreilles, et le ramena, ainsi mutilé, assis sur un âne, jusqu'à Rome, où il fut déposé. Il ne mourut qu'environ quinze ans plus tard, probablement dans l'abbaye de Fulda. Pendant que ces terribles scènes se déroulaient, Crescentius, plus audacieux, se barricadait dans le Château Saint-Ange, où il avait fait bâtir, comme un nid d'aigle qu'il croyait imprenable, une tour élevée, qu'il nommait l'Entre-ciel. Il fallut, pour en avoir raison, organiser un vrai siège, mettre en mouvement des machines de guerre, et enfin livrer un assaut à la forteresse, qui succomba le 29 avril 995. Crescentius, fait prisonnier, fut décapité sur les créneaux, à la vue de tout le peuple, puis son corps et ceux de douze de ses complices furent suspendus à des gibets. Mais la famille des Crescentii n'était pas éteinte. Le patrice laissait des collatéraux, et son fils, appelé Jean Crescentius comme lui, allait bientôt reprendre les sinistres traditions de sa race. Parallèlement aux scènes de cette lugubre tragédie, le pape Grégoire V avait dû poursuivre les phases d'un procès complexe et pénible. La révolution qui avait eu pour résultat de substituer, en France, la dynastie des Capétiens à celle des Carolingiens, avait été surtout l'œuvre de Gerbert[117], le conseiller favori, l'inspirateur toujours écouté d'Adalbéron. Or, à la mort de ce dernier, qui avait désigné Gerbert pour lui succéder sur le siège de Reims, Hugues Capet avait estimé plus habile de conférer cet archevêché à un fils naturel de Lothaire, Arnoul, jeune homme sans talent ni vertu, qui n'avait d'autre titre à celle dignité que son origine scandaleuse. Mais, plus tard, Arnoul, ayant, en violation de ses serments, livré la ville de Reims à Charles de Lorraine, un concile national (si l'on peut appeler de la sorte une assemblée qui ne compta que treize évêques), qui se tint au monastère de Saint-Basile, près de Reims, les 17 et 18 juin 991, déposa Arnoul et le remplaça par Gerbert. Gerbert avait eu le tort d'accepter une élection anticanonique, mais il était peut-être le plus éminent des personnages ecclésiastiques de son époque et l'ami de l'empereur ; Arnoul ne méritait point les sympathies par ses qualités personnelles, mais sa situation paraissait canoniquement plus régulière. Jean XV avait entamé, au sujet de cette affaire, une procédure, qui, au bout de six ans, restait encore inachevée. Grégoire V trouva le moyen de maintenir les principes en ménageant les personnes. Lors de la déposition d'Arnoul, les évêques francs avaient mis en question et l'autorité du Saint-Siège et l'unité de l'Eglise[118]. Le moment était venu de prouver que la primauté de Pierre restait assez forte pour s'affirmer en dépit de tous[119]. Pour ces motifs, en un concile tenu dans la basilique de Saint-Pierre, en présence d'Otton III, au mois de mai 996, le pape publia un édit rétablissant Arnoul dans l'archevêché de Reims ; puis, dans les premiers mois de 998, il éleva spontanément Gerbert sur le siège de Ravenne, un des premiers de la chrétienté[120]. Ce fut l'issue d'un différend qui, pendant près de dix ans, avait vivement agité, en France et en Allemagne, l'Eglise et l'Etat. Dans toute cette affaire, le roi de France, Hugues Capet, avait énergiquement combattu la cause d'Arnoul. À l'assemblée de Saint-Basie, les évêques qui avaient soutenu avec tant de véhémence ce qu'on appela, aux temps modernes, la tradition gallicane, parlèrent sous son inspiration. Son fils, Robert le Pieux, qui lui succéda en 996, se montra plus conciliant. Etait-ce conviction de sa part ? Espérait-il, par cette attitude, se concilier le pape, et lui faire ratifier son mariage avec une de ses parentes au degré prohibé, Berthe, fille du comte de Blois ? Grégoire V ne fit point fléchir, pour complaire au roi de France, les lois de l'Eglise. Un concile tenu à Saint-Pierre, sous sa présidence, et auquel prit part le nouveau métropolitain de Ravenne, Gerbert, déclara nulle l'union, condamna Robert et Berthe à faire, sous peine d'anathème, sept mois de pénitence, et déclara suspens Erchembald, archevêque de Tours, et tous les évêques qui avaient accepté cette union incestueuse, jusqu'à leur comparution à Rome pour y donner satisfaction de leur conduite[121]. Peu de temps après, le 18 février 999, le pape Grégoire V mourut à la fleur de l'âge, n'ayant pas encore terminé sa vingt-septième année. On a dit, sans preuve, qu'il était mort empoisonné[122]. On doit reconnaître que le pontificat du premier pape allemand, Grégoire V, fut digne et fécond. Il préludait au grand pontificat du premier pape français, Sylvestre II. |
[1] DUCHESNE, les Premiers temps de l'État pontifical, 2e édition, Paris, 1904, p. 331.
[2] Sur cette affaire, nous sommes renseignés par un document découvert par le cardinal Pitra et publié dans ses Analecta novissima, t. I, p. 469.
[3] Sur ces légendes, voir Gaston PARIS, Hist. poétique de Charlemagne, Paris, 1865 ; Léon GAUTIER, les Epopées françaises, t. III, 2e édition, Paris, 1880. Vers 968, le moine du Mont-Soracte fait le récit d'un voyage de Charlemagne en Palestine (Monumenta Germanicæ, Scriptores, t. III, p. 708).
[4] Otton était né le 22 novembre 912.
[5] Nous possédons des médailles de cette époque, où Otton prend le titre de roi d'Italie.
[6] WITIKIND, Annales, dans Pertz.
[7] James BRYCE, le Saint-Empire romain germanique, un vol. in-8°, Paris, 1890, p. 158-160.
[8] Acclamatione totius romani populi, dit le CONTINUATEUR DE RÉGINON, imperator vocatur et ordinatur (P. L., t. CXXXII, col. 137). Benedictionem a damna apostolico Joanne, dit TRIETMAR, cujus rogatione huv venit, cum sua conjuge promeruit imperialem (P. L., t. CXXXIX, col. 1207). A papa imperator ordinatur, dit HERMANNUS CONTRACTUS, non solum romano sed et pœne totius Europæ populo acclamante (P. L., t. CXLIII, col. 219).
[9] Les cérémonies du sacre impérial ne furent nettement fixées qu'au XIIe siècle.
[10] M. DE SICKEL (Das privilegium Ottos I für die römische Kirche) a établi que nous possédons de ce document une copie contemporaine, actuellement conservée aux Archives du Vatican. Le Privilegium Ottonis se trouve reproduit dans les Monumenta Germaniæ, LL. 2, 29, 159-166 ; sect. IV, 1, 20 et s. ; DD. Reg et imp. I, 324. Il a été inséré dans le Corpus juris canonici, dist. LXIII, c. XXXIII. Jaffé l'a donné dans ses Monumenta gregoriana, Berlin, 1865, p. 13, en le faisant suivre de trois formules falsifiées. Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t, IV, p. 792-797.
[11] Si l'on étudie attentivement cette formule dans son contexte, et si on la compare avec les actes antérieurs réglant les rapports de la papauté avec l'autorité impériale, on est amené à conclure, avec Mgr DUCHESNE (les Premiers temps de l'Etat pontifical, p. 344-345), qu'en ce qui regarde l'élection du pape, il semble qu'on remette en vigueur, purement et simplement, le droit du IXe siècle, et que, par conséquent, ci dans sa teneur générale le privilège d'Otton n'indique aucun progrès dans l'autorité impériale à Rome, soit pour les élections, soit pour autre chose e. Dire, avec M. Ch. BAYET (Hist. gén. de LAVISSE et RAMBAUD, t. I, p. 540), que par le privilège d'Otton, la papauté devenait vassale de l'empire, est donc une exagération manifeste. En réalité, l'élection des papes échappait, en principe, à l'influence des factions italiennes, C'était le but immédiat qu'on voulait atteindre. Ce but fut-il vraiment atteint, et le remède apporté n'eut-il pas ses dangers ? Ce sont des questions différentes, auxquelles les événements postérieurs devaient répondre.
[12] J. BRYCE, le Saint Empire romain germanique, p. 169.
[13] Sur ces origines, voir P. FOURNIER, Yves de Chartres et le droit canonique, dans la Revue des Questions historiques, 1898, IIe série, t. XIX, pp. 51-98. 384-405. Cf. Nouv. Rev. Hist. du droit français et étranger, 1897, t. XXI, p. 486-506 ; Dom LECLERCQ, au mot Chapelle, dans le Dict. d'archéol. chrét. et de liturgie ; Paul THOMAS, le Droit de propriété des laïques sur les églises et le patronage laïque au moyen âge, un vol, in-8°, Paris, 1906.
[14] P. FOURNIER, Yves de Chartres et le droit canonique. Remarquons que la crosse, bâton du pasteur, et l'anneau, marque de la fidélité due à l'Eglise, apparaissaient comme les symboles du pouvoir spirituel de l'évêque.
[15] La charte de fondation de Cluny a été publiée dans bien des collections, notamment dans la Bibliotheca Cluniacensis, et dans le Recueil des Chartes de l'abbaye de Cluny, publié par A. BRUEL, Paris, 1876, t. I, p. 1 24 et s. L'abbé O. DELARC en a donné une traduction française dans son Histoire de saint Grégoire VII, t. I, pp. XIV-XIX. Cf. H. PIGNOT, Hist. de l'ordre de Cluny, 3 vol. in-8°, Autun et Paris, 1868. t. I, p. 20 ; P. LORAIN, Essai historique sur l'abbaye de Cluny, un vol in-8°, Dijon, 1839. p. 23 ; F. CHAUMONT, Histoire de Cluny, 2e édition, un vol. in-8°, Paris, 1910.
[16] UDALRICI CLUNIACENSIS MONACHI, Consuetudines cluniacenses, dans P. L., t. CXLIX, col. 732 et s.
[17] JAFFÉ, Regesta, II, 3598-3600, 3603, 3605 ; P. L., t. CXXXII, col. 1068, 1069, 1074, 1082 (ce dernier texte doit être corrigé suivant les indications de JAFFÉ, n.3600) ; t. CXXXIII, col. 64, 93.
[18] Le 10 mai 958, Jean XII demande aux moines de Subiaco d'offrir des messes pour le salut de son âme et de réciter chaque jour, à la même intention, cent fois les invocations : Kyrie eleison, Chrisie eleison. (JAFFÉ, t. I, p. 3684.)
[19] J. BRYCE, le Saint Empire romain germanique, p. 155.
[20] J. BRYCE, le Saint Empire romain germanique, p. 108. Les historiens, lorsqu'ils parlent en général du Moyen Age, confondent habituellement les deux notions de royauté germanique et d'empire. L'absorption du second titre dans le premier ou du premier dans le second a toujours été dans la tendance des souverains allemands. Mais cette tendance a toujours rencontré des opposants. Voir, sur cette question, Mario KRAMMER, Der Reichsqedanke des staufischen Kuiserhause, in-8°, Breslau, 1908, et A. LEROUX, dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. LXX (1909), pp. 370-374.
[21] Luitprand appelle les Francs orientaux Franci Teutonici, pour les distinguer des Francs romanisés de la Gaule, Franc occidentaux, Francigenæ, ou Franci latini.
[22] M. Parisot, le plus récent et le plus savant historien de la Lorraine, a mis au-dessus de toute contestation que la Lorraine est restée, par sa civilisation plus avancée, par ses mœurs et ses aspirations, par son esprit particulariste, par la langue française qu'elle parlait, par ses sentiments traditionnels enfin, un pays profondément distinct de la Germanie. Voir sur cette question J. FLACH, La première réunion à l'Allemagne de la Lorraine et de l'Alsace était-elle fondée en droit public ? dans la Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1914, pp. 281-294.
[23] P. L., t. CXXXVI, col. 910-938.
[24] SCHLUMBERGER, l'Epopée byzantine à la fin du Xe siècle, un vol. in-8°, Paris, 1900. Il ne faut pas confondre cette impératrice Théophano avec une autre Théophano, également impératrice, la femme de Léon le Sage, dont il est question dans les Figures byzantines, de CH. DIEHL, in-12°, Paris, 1906, p. 217-243, et dans les Regards historiques et littéraires, de M. DE VOGÜÉ, in-8°, Paris, 1892, p. 189.
[25] Les incidents de cette négociation sont racontés dans la vie du moine Jean de Gonze, qui fut ambassadeur du pape dans cette affaire. Voir P. L., t. CXXXVII, col. 239 et s. ; Monum. Germ., SS., t, IV, p, 335 et s. La biographie du Bienheureux Jean de Vendière, abbé de Gorze, est un des écrits les plus remarquables du Xe siècle pour le talent qu'il révèle et pour les renseignements précieux qu'il fournit à l'histoire. Voir sur cet ouvrage l'Histoire littéraire de la France, t. VI, pp. 428-429.
[26] BARONIUS, Annales, ad ann. 963, n 4.
[27] JAFFÉ, n. 3696.
[28] BARONIUS, Annales, ad ann. 963, n. 11 ; WATTERICH, Pontificum romanorum vitæ, 1861, t. I, p 52 et s. Sur l'insertion qui fut faite de cette formule dans le texte du Privilegium Ottonis et sur les problèmes critiques que cette insertion soulève, voir DUCHESNE, les Premiers temps de l'Etat pontifical, 2e édition, pp. 344-348.
[29] NOËL ALEXANDRE (Hist. ecclés., in-f°, Venetiis, sect. X, diss. XVI, t. VI, p. 434 et s.) et FLOSS (Die Papswahl unter den Ottonen, p. 7-9) n'ont pas eu de peine à prouver que cette assemblée ne fut pas un concile et ne put avoir aucune autorité canonique.
[30] JAFFÉ, n. 3697.
[31] Peut-être était-il tonsuré, comme le conjecture Mgr Duchesne. À coup sûr, il n'était pas dans les ordres.
[32] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 810.
[33] Les actes de ce concile nous ont été conservés. Voir MANSI, t. X VIII, col. 471.
[34] C'est la version de Luitprand, reproduite par Baronius : Quadam nocte, extra Romam, dum se cujusdam viri uxore oblectaret, in temporibus a diabolo est percussus (BARONIUS, Annales, ad ann. 964, n. 17).
[35] BOWER, Gesch. der Papste, t. VI, p. 307 ; DUCHESNE, les Premiers temps de l'État pontifical, p. 351.
[36] ROURBACHER, Hist. univ. de l'Église catholique, l. LXI, édit. Guillaume, Paris, 1885, t. V, p.486 ; H. HEMMER, au mot Benoît V, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. II, col. 649.
[37] BARONIUS, Annales, ad ann. 964, n. 16 et s. ; MANSI, t. XVIII, col. 477.
[38] Corpus juris canonici, dist. LXIII, c. 23 ; JAFFÉ, n. 3704-3705 ; Liber Pontificalis, t. I. p. 250, note 1 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, pp. 820-824.
[39] Voir la généalogie de la maison de Théophylacte dans DUCHESNE, Liber Pontificalis, t. I, p. 253.
[40] P L., t. CXXXII, col. 173. Cf. DUCHESNE, les Premiers Temps de l'Etat pontifical, p 364-385.
[41] Sur la généalogie des Crescentii, voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 826-827, et Liber Pontificalis, t. I, p. 253.
[42] MANSI, t. XVIII, p. 529 et s. ; JAFFÉ, n. 3713.
[43] WIDUKIND, Res gestæ Saxoniæ, l. III,
c. 70 ; P. L., CXXXVII, col. 207 ; M. G., SS., III, 465.
[44] P. L., t. CXXXV, col. 931.
[45] P. L., t. CXXXV, col. 954.
[46] P. L., t. CXXXV, col. 931.
[47] P. L., t. CXXXV, col. 985.
[48] MANSI, t. XVIII, col. 475.
[49] Saint Dunstan, né en 925, archevêque de Cantorbéry en 959, mort le 19 mai 988.
[50] MANSI, t. XIX, col. 15 ; LINGARD, Hist. d'Angleterre, t. I, p. 276 et s. ; Antiquités de l'Eglise anglo-saxonne, p. 248 et s.
[51] Voir le texte de l'épitaphe dans DUCHESNE, Liber Pontificalis, t. I, p. 254. Cette épitaphe est maintenant dans le musée épigraphique de l'abbaye.
[52] DUCHESNE, les Premiers Temps..., p. 356.
[53] GIESEBRECHT, cité par Ch. BAYET dans l'Hist. générale de Lavisse et Rambaud, t. II, p. 548.
[54] P. L., t. CXXXVII, col. 939 et s. ; M. G., SS., t. IV, p. 302-305 ; MAGNIN, Théâtre de Hroswitha, Paris, 1845.
[55] Dom CEILLIER, Hist. des aut. ecclés., t. XIX, p. 625 et s.
[56] Acta sanctorum, octobre, t. V, p. 698 et s. ; M. G., SS., t. VI, p. 252-275.
[57] Acta sanctorum au 14 mars ; M. G., SS., t. IV, p. 282-302.
[58] Liber Pontificalis, t. I, p, 155.
[59] P. L., t. CXXXV, col. 1086.
[60] P. L., t. CXXXV, col. 1081.
[61] P. L., t. CXXXV, col. 1081-1082.
[62] P. L., t. CL, col. 815.
[63] Liber Pontificalis, t. I, p. 257.
[64] Liber Pontificalis, t. I, p. 257, note 1.
[65] JAFFÉ, n. 3823.
[66] Des chroniqueurs ont fait mention d'un pape nommé Domnus ou Donus entre Benoît VI et Benoît VII. Ce nom ne se trouve pas dans les plus anciens et les meilleurs catalogues des papes. Les chroniqueurs qui l'ont mentionné ont sans doute pris l'expression Domnus papa, qui dans les documents désigne Benoît VI, pour le nom propre d'un nouveau pape. Ni Jaffé, ni Héfélé, ni Mgr Duchesne, n'admettent l'existence du pape Domnus. Voir JAFFÉ, n. 3778 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 833 ; DUCHESNE, Liber Pontificalis, t. I, 256, note 4.
[67] MANSI, t. XIX, col. 57 ; JAPPÉ, n. 3778.
[68] MANSI, t. XIX, col. 59, 71 et s.
[69] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 834, 835, 836.
[70] MANSI, t. XIX, 132.
[71] P. L., t. CXXXVII, col. 503 et s.
[72] Hist. littéraire, t. VI, 444 ; Dom CEILLIER, Hist. des aut. ecclés., édit, de 1754, p. 675 ; Marius SEPET, Adalbéron et l'Eglise de Reims dans la France chrétienne dans l'histoire, p. 119-132.
[73] Nous ne possédons les actes que des conciles de Winchester et de Calne, MANSI, t. XIX, 61 et s., 63 et s.
[74] Cf. G. SCHLUMBERGER, l'Epopée byzantine à la fin du Xe siècle, Paris, 1896.
[75] P. L., t. CXXXVII, col. 332.
[76] Liber Pontificalis, t. I, 258. Mgr Duchesne a remarqué que cette épitaphe est un centon. fabriqué avec celles des prédécesseurs de Benoît VII : Etienne VI, Serge III, Benoît IV (ibid.).
[77] C'était la seconde fois qu'un pape changeait de nom à son avènement. Nous avons vu Octavien prendre le nom de Jean XII.
[78] P. L., t. CXXXVII, col. 360.
[79] THIETMAR, Chronicon, l. III, n. 15 ; P.
L., t. CXXXIX, col. 1241 ; M. G., SS., III, 767.
[80] THIETMAR, Chronicon, l. III, n. 15. P.
L., t. CXXXIX, col. 1241-1242.
[81] P. L., t. CXXXIX, col. 205.
[82] Liber Pontificalis, t. I, p. 259.
[83] JAFFÉ, n. 3825.
[84] Liber Pontificalis, t. I, 259.
[85] DUCHESNE, les Premiers Temps..., p. 360.
[86] JAFFÉ, n° 3825.
[87] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 836.
[88] DUCHESNE, les Premiers Temps..., p 360. Il s'agirait du fils du Crescentius dont il a été parlé plus haut.
[89] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 836.
[90] P. L., t. CXXXVII, col. 825-852.
[91] P. L., t. CXXXVII, col. 872. Ce biographe, probablement Jean Canaporius, a écrit sa biographie sers l'an 1000.
[92] MANSI, t. XIX, p. 169 ; P. L., CXXXVII, 845. Le mot canonizatio ne se trouve pourtant pas dans cette bulle. Ce mot ne parait pas avoir été employé avant le XIIe siècle. Voir DUCANGE, Glossarium, édit. Henschel, Paris, 1850, t. II, p. 107, et Dict. de théol. de VACANT-MANGENOT, au mot Canonisation, t. II, col. 1635.
[93] P. L., t. CXXXVII, col. 843.
[94] LABBE, t. IX, col. 733,
[95] ADRÉMAR, Hist.,
t. III, 35 ; P. L., t. CXLI, col. 52.
[96] GERBERT, ép. 97, édit. OLLÉRIS, p. 54. Sur les origines de la Trêve de Dieu, voir Revue d'Hist. ecclés., t. XIV (1913), p. 350-354.
[97] P. L., t. CXXXVII, col. 854.856. Cf. P. VIOLLET, Hist. des instit. pol. et adm. de la France, in 8°, Paris, 1893, t. II, p. 143.
[98] C'est bien, en effet, la première fois que l'on rencontre cette expression de Treuga Dei, Trêve de Dieu. Mais, au fond, est-ce bien de la Trêve de Dieu, telle qu'elle a été comprise plus tard, telle que nous l'entendons communément, qu'il a agit ici, dans ces conciles de Carroux, de Limoges, du Puy, comme dans la lettre de Jean XV au roi Ethelred Pli ne parait pas. Jean XV demande un traité de paix au nom du Dieu de paix, et les conciles ne font que rééditer, avec plus d'insistance, les plaintes déjà entendues et les mesures déjà prises par des conciles antérieurs. Voyons plutôt dans ces documents des préliminaires de la Trêve de Dieu.
[99] On peut concilier ces deux opinions, en supposant, avec M. Luchaire, que les alleux robertiniens n'étaient, en réalité, que des bénéfices conférés, comme tant d'autres, sur l'ordre de Charlemagne, au chef d'une de ces familles saxonnes que le roi franc avait fait transplanter en si grand nombre dans l'intérieur du pays gaulois, où elles se seraient alliées avec les plus puissantes familles de la région. (A. LUCHAIRE, Hist. des institutions monarchiques de la France, 2 vol. in-8°, Paris, 1891, t. I, p. 3.)
[100] A. OLLÉRIS, Œuvres de Gerbert, un vol. in-4°, Clermont-Ferrand et Paris, 1867, lettre XLVIII, p. 32.
[101] Des historiens ont, à propos de la conduite d'Adalbéron et de Gerbert à cette occasion et dans leurs rapports avec l'Empire germanique, incriminé leur patriotisme. Voir les réponses à ces imputations diverses dans SEPET, Adalbéron, l'Eglise de Reims et l'avènement de la monarchie capétienne (la France chrétienne dans l'histoire, Paris, 1896, p. 119-132), et dans Ulysse CHEVALIER, Gerbert, le premier pape français (la France chrétienne, p. 133-147). Cf. F. LOT, les Derniers Carolingiens, p. 239-240. Disons seulement, avec M. BAYET (Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 413), qu'invoquer la nationalité en cette occasion, c'est attribuer aux hommes du Xe siècle les sentiments d'autres époques et dénaturer l'histoire, et, avec M. F. LOT (op. cit., p. 240), qu'à la fin du Xe siècle, les évêques et quelques savants clercs, les seuls qui eussent quelque pensée politique, ne voyaient pas dans la domination des Ottons un empire allemand, mais la continuation pure et simple de l'empire romain chrétien fondé par Constantin.
[102] A. LUCHAIRE, Hist. des institutions monarchiques de la France, t. I, p. 20.
[103] Julien HAVET, les Couronnements des rois Hugues et Robert, dans la Revue historique, 1891, t. XLV, p. 1241.
[104] THIETMAR, Chronicon, P. L., t.
CXXXIX, col. 1241.
[105] Il mourut sous l'habit monacal. Son épitaphe le recommande aux prières
Ut tandem scelerum veniam
mereatur habere.
[106] DUCHESNE, les Premiers Temps de l'Etat pontifical, p. 360.
[107] DUCHESNE, les Premiers Temps de l'Etat pontifical, p. 360.
[108] James BRICK, op. cit., p. 187.
[109] James BRICK, op. cit., p. 187-188.
[110] P. L., t. CXXVII, col. 880.
[111] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t IV, p. 883.
[112] MANSI, XIX, 207.
[113] DUCHESNE, Liber Pontificalis, t. I, p. 262.
[114] Episcopum de urbe Constantinopolitana cum magna pecunia redeuntem in papatum intrusit. (Liber Pontificalis, t. I, p. 263.)
[115] BONIZO, Hist. Pontificalis, P. L., t. CL, col. 867.
[116] Acta sanctorum, 26 septembre.
[117] Ulysse CHEVALIER, la France chrétienne dans l'histoire, p. 136.
[118] Voir des extraits des discours prononcés à cette occasion dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 856 et s.
[119] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t IV, p. 884.
[120] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 889.
[121] MANSI, Concilia, Supplem., t. I, col. 1207.
[122] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 801.