HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA LUTTE

CHAPITRE VI. — DE L'AVÈNEMENT DE DIOCLÉTIEN À L'AVÈNEMENT DE CONSTANTIN (284-306).

 

 

Quelques empereurs, hostiles à l'idée chrétienne, mais peu soucieux d'exposer la tranquillité de l'Etat et celle de leur propre puissance aux secousses d'une persécution religieuse, avaient feint d'ignorer l'Eglise. Cette attitude n'était plus possible à la fin du me siècle. Dioclétien essaya en vain de la tenir lorsqu'il prit le pouvoir en 284 ; et une pareille politique parut, chez lui, dictée par la bienveillance plutôt que par le dédain. Mais bientôt, forcé de reconnaître la grande situation sociale du christianisme, il se vit amené à choisir entre trois politiques possibles : absorber l'Eglise dans l'Etat, l'exterminer par la violence, lui donner pleine liberté. La première politique convenait à ses goûts centralisateurs ; il essaya de l'appliquer tant qu'il fut seul à la tète de l'empire. Au temps de la tétrarchie, l'influence néfaste de Galère le conduisit à la persécution violente. Cette seconde politique fut continuée, après son abdication, par Maximin et par Galère ; mais ce dernier dut reconnaître lui-même son inefficacité. Galère mort, et quand il fut bien avéré que tous les systèmes d'oppression avaient usé leurs forces contre l'Eglise, un nouvel empereur, Constantin, convaincu personnellement d'ailleurs de la vérité du christianisme, jugea que le moment était venu d'assurer sa complète liberté dans l'empire romain.

 

I

Par son entourage, par son caractère même, l'empereur Dioclétien semblait offrir aux chrétiens des garanties de sa bienveillance. Sa femme Prisca et sa fille Valeria étaient, sinon chrétiennes, au moins catéchumènes[1] ; et lui-même, au rapport d'Eusèbe, témoin contemporain, paraissait avoir une grande inclination pour la vraie foi[2].

Que dirai-je, ajoute l'historien, de ceux de nos coreligionnaires qui servaient dans le palais ? A eux, à leurs femmes, à leurs enfants, à leurs esclaves, on laissait la faculté de suivre ouvertement leur religion. Libres de se glorifier de leur foi, ils étaient préférés par le souverain à tous ses autres serviteurs[3]. Eusèbe note encore les égards, le respect, les grands honneurs accordés aux évêques de chaque Eglise par tous les magistrats et gouverneurs[4]. Et, tout frémissant encore d'une joie qu'il avait partagée avec tous ses frères, il s'écrie : Comment dépeindre les entrées innombrables dans l'Eglise qui se produisirent alors ? On se pressait en foule aux assemblées ; les maisons de prière débordaient. Aussi résolut-on de ne plus se contenter désormais des édifices d'autrefois. Dans chaque ville, on vit comme sortir du sol de vastes églises. Aucune haine n'empêchait les travaux d'avancer, aucun démon dans sa malice n'était capable d'entraver cet élan, tellement la main de Dieu couvrait et gardait son peuple du haut du ciel[5]. Les chrétiens profitèrent de cette sécurité pour faire de grands travaux dans les catacombes. Vers les dernières années du m' siècle, l'architecture intérieure des cimetières souterrains se transforme. Les chambres funéraires s'agrandissent, prennent parfois l'aspect de petites basiliques. Les papes, prévoyant sagement que l'ère des persécutions peut encore s'ouvrir, font procéder à l'excavation de nouvelles galeries et de nouvelles salles, recevant l'air et le jour par des luminaires, et communiquant entre elles par groupes de trois ou de quatre[6].

Les chefs de l'Eglise avaient d'autant plus raison de prévoir de mauvais jours, qu'une sécurité exagérée s'était emparée des âmes. Il arriva, dit Eusèbe, que les choses parmi nous tournèrent à la mollesse et à la nonchalance... Alors le jugement de Dieu s'exerça sur son peuple[7].

En quoi consistait le relâchement dont parle Eusèbe ? L'évêque de Césarée, qui raconte ce qui se passait sous ses yeux, en Orient, mentionne surtout les jalousies, les vaines disputes, les ambitions, les rivalités et les intrigues. Nous nous jalousions les uns les autres, dit-il, nous nous lancions de grossières injures. L'hypocrisie maudite montait jusqu'au plus haut degré de malice[8].

La décadence de la vie chrétienne en Occident nous est indiquée avec plus de précision par le célèbre concile d'Elvire[9], tenu vers l'an 300[10], et qui, soit par les documents précieux qu'il nous fournit, soit parce qu'il ouvre la série des fameux conciles d'Espagne, soit parce qu'il est le premier concile dont les Actes nous soient parvenus, mérite de retenir notre attention. Le concile d'Elvire, dit dom Leclercq, est d'une importance considérable pour l'étude de la société chrétienne à la veille de la dernière persécution. On y prend sur le vif l'esprit mondain chez les fidèles et les principes qui guidaient les chefs de la communauté. Mais, remarquons-le bien, si nous trouvons dans le concile une énumération si complète et si précise des fautes qui affligeaient la société chrétienne à la fin du me siècle, nous y trouvons aussi une sévérité de répression bien propre à nous donner une haute idée de l'idéal moral représenté par les prélats de ce temps et réalisé, en somme, dans leurs Eglises. On n'aurait pas été si dur envers les pécheurs s'ils avaient été bien nombreux, s'ils avaient trouvé quelque appui dans l'opinion ou dans la coutume[11].

Parmi les catégories de chrétiens que le concile- frappe de peines sévères, on remarque d'abord ceux qui ont accepté la charge de flamine, c'est-à-dire de prêtre du culte municipal ou provincial de Rome et de l'empereur. Le sens honorifique de cette dignité était sans doute beaucoup plus en vue que son sens religieux, mais le flaminat pouvait amener les fidèles à participer à des sacrifices idolâtriques. Le concile décide : 1° que tout acte positif d'idolâtrie entraînera l'exclusion de la communauté chrétienne, sans espoir d'y rentrer[12] ; 2° que si le flamine, sans prendre part aux sacrifices païens, avait cependant donné des jeux publics à ses frais, par exemple des jeux de gladiateurs ou des représentations immorales, comme c'était l'usage, il pourrait, après avoir fait pénitence, recevoir la communion à la fin de sa vie[13], 3° qu'un flamine, simple catéchumène, qui se serait mis dans ce dernier cas, ne pourrait être baptisé qu'après trois ans d'épreuve[14]. Les canons suivants établissent des pénalités spirituelles pour la femme qui, dans un moment de violence, frappe sa servante avec des étrivières[15], pour ceux qui se livrent à des pratiques de magie et de sorcellerie[16], pour les femmes qui abandonnent leur mari et pour les maris qui délaissent leur femme[17], pour les parents qui livrent leurs enfants à la débauche[18], pour les vierges consacrées qui manquent à leurs vœux[19]. Le concile blâme les mariages des chrétiens avec les hérétiques, les juifs et les païens ; mais il ne porte de peines disciplinaires que pour les unions contractées avec les hérétiques et les juifs, parce que ceux-ci se montraient moins indifférents que les païens pour la religion de leurs épouses, et moins conciliants pour l'éducation des enfants dans la pratique de la foi[20]. Dans le même esprit, le concile édicte des sanctions pénales contre les fidèles qui font bénir leurs récoltes par des juifs ou qui dînent à leur table[21] ? Toutes ces prescriptions, on le voit, ont pour objet d'éliminer l'esprit juif ou païen des communautés chrétiennes et d'empêcher son infiltration dans ces mêmes communautés.

Plusieurs canons font voir que le clergé lui-même avait besoin d'être protégé contre de pareilles influences. Les Pères d'Elvire se préoccupent de la continence des clercs. Le canon 27 défend aux ecclésiastiques d'avoir chez eux d'autres femmes que leurs sœurs ou leurs propres filles[22] ; et le célèbre canon 33 défend à tous ceux qui sont employés au service de l'autel, s'ils étaient mariés en entrant dans les ordres, d'avoir un commerce conjugal avec leurs femmes, sous peine de déposition[23]. Le canon 20 interdit aux clercs de pratiquer l'usure, c'est-à-dire, d'après le langage du temps, de prêter de l'argent à intérêt, et le canon 48 défend aux baptisés de jeter de l'argent dans le bassin qui sert de baptistère.

Le canon 32 rappelle l'ancienne discipline remettant à l'évêque seul le droit de réintégrer un pénitent dans l'Eglise ; mais un esprit de miséricorde évangélique se manifeste aussitôt dans le canon 38, qui affirme-le droit qu'a le simple fidèle d'administrer le baptême en cas de nécessité, dans le canon 39, qui permet au païen en danger de mort de se faire administrer en même temps le baptême et la confirmation par l'évêque, et dans l'article 42, qui permet d'abréger le temps du catéchuménat pour les malades. La discipline pénitentielle.

Le canon 58 nous renseigne sur l'organisation de la hiérarchie ecclésiastique en Espagne. Elle paraît à peu près semblable à celle que nous avons constatée en Afrique au temps de saint Cyprien. Les droits métropolitains ne sont pas attachés à des villes déterminées ; ils appartiennent toujours à l'évêque le plus ancien de la province, dont l'évêché s'appelle alors prima sedes[24].

Cette vue générale sur la vie chrétienne et ecclésiastique en Orient et en Occident à la fin du ne siècle nous fera mieux comprendre la répercussion produite parmi le clergé et le peuple par les mesures persécutrices de Dioclétien.

 

II

En disant que les désordres des fidèles et des clercs furent punis par le jugement de Dieu, Eusèbe parait faire surtout allusion aux édits de persécution publiés par Dioclétien à partir de 302. Mais d'autres épreuves avaient affligé l'Eglise dès les dernières années du IIIe siècle.

Le caractère des unes et des autres s'explique par la nouvelle orientation que venait de prendre la politique impériale.

Depuis plus de quatre-vingts ans, l'empire romain n'était plus gouverné que par des Barbares. Maximin avait été Goth ; Philippe, Arabe ; Dèce, Aurélien, Probus, Pannoniens ; Emilien, Africain. Dioclétien était Dalmate, et les auxiliaires qu'il allait se donner viendraient des bords du Danube. Ces empereurs n'avaient aucun goût pour Rome, ses institutions et ses souvenirs. C'est à peine s'ils étaient venus, une ou deux fois pendant leur vie, dans la Ville éternelle. Ils avaient peu de respect pour ses divinités et faisaient peu de cas de son sénat ; mais ils voyaient dans l'immense empire romain un moyen de déployer ces fières énergies qui les avaient rendus maîtres du monde civilisé. De là, une manière nouvelle d'entendre le patriotisme. S'il faut comprendre par là le culte des traditions nationales, ils manquèrent absolument de sens patriotique ; mais si l'on veut appeler patriotisme la défense jalouse des frontières et la passion de l'unité nationale, ils furent patriotes au plus haut degré. Dioclétien, dont l'esprit net et l'intelligence ferme, étaient faits- pour le commandement, devait être le plus éminent représentant de cette nouvelle politique.

race barbare. Il parait être arrivé au pouvoir avec un plan de gouvernement systématiquement arrêté. Deux mots en résument le programme : la centralisation administrative et la défense de l'unité impériale ; un mot en résume l'esprit : l'absolutisme. Par là, il est le vrai fondateur du Bas-Empire. On le vit d'abord, pour abolir plus sûrement toute vie politique locale, toute franchise traditionnelle, remanier de fond en comble la division administrative de l'empire. Le monde romain comprenait une soixantaine de provinces ; il en porta le nombre à quatre-vingt-seize. Il groupa ensuite ces provinces en circonscriptions plus étendues, appelées diocèses ; chaque diocèse fut gouverné par un vicaire, c'est-à-dire par un représentant du préfet du prétoire impérial. Le sénat fut réduit au rôle d'un conseil municipal. Une sorte de Conseil d'Etat, appelé consistoire, et un Conseil de cinq ministres placés sous la direction immédiate de l'empereur, expédièrent les affaires. L'Eglise ne tarda pas à s'adapter à cette organisation. Il était peut-être difficile de faire autrement. Les groupements d'évêques s'organisèrent suivant les circonscriptions provinciales. L'évêque de la ville où résidait le gouverneur fut le chef des évêques de sa province. Ce système offrait des commodités pratiques incontestables, mais il faisait perdre à l'institution ecclésiastique beaucoup de son autonomie. L'autorité impériale se substituait d'une manière insensible à l'autorité apostolique. C'est grâce à cette centralisation politique et religieuse autour du pouvoir civil que les successeurs de Constantin pourront faire sentir si lourdement à l'Eglise le poids de leur autorité. Tels furent les premiers effets de l'absolutisme centralisateur de Dioclétien. La manière dont il comprit la défense nationale devait entraîner aussi, mais d'une manière plus indirecte, des conséquences bien autrement funestes à la religion.

Instruit par les événements qui avaient donné lieu à la période dite des trente tyrans, Dioclétien se rendit compte qu'une division régulière et hiérarchique de l'empire serait le moyen le plus efficace d'empêcher ces dislocations arbitraires et violentes, dont des ambitions personnelles ou des poussées d'instincts populaires renouvelaient constamment la menace. Il partagea l'empire entre deux empereurs en titre, qui reçurent le nom d'augustes, et deux héritiers présomptifs, mais déjà associés au pouvoir, qu'on appela césars. C'est ce qu'on appela la tétrarchie. Elle fut définitivement établie en 292. Le gouvernement de l'Occident fut confié à Maximien Hercule, qui eut sous ses ordres, en qualité de césar, Constance Chlore ; Dioclétien, en qualité de premier auguste, se réserva l'Orient, où il fut secondé par le césar Galère. Barbare lui-même, Dioclétien s'était choisi comme auxiliaires trois soldats barbares. Le choix de Galère, général habile et courageux, mais politique sans scrupule, devait être particulièrement malheureux pour l'Eglise. Brutal et rusé, comme beaucoup de montagnards de sa race, sachant d'instinct manier les hommes par le jeu combiné de l'astuce et de la terreur, haïssant par tradition de famille le christianisme et les chrétiens, Galère fut le mauvais génie du nouveau régime impérial. Dioclétien avait eu beau hiérarchiser les pouvoirs des quatre souverains ; il n'avait pas réfléchi que, dans les associations de ce genre, un seul élément de violence entraîne presque fatalement à sa suite, aux heures de trouble, les éléments de modération. C'est le fait qui ne tarda pas à se produire.

L'œuvre de défense nationale entreprise par Dioclétien ne visait pas seulement les ennemis intérieurs, elle avait surtout en vue les adversaires du dehors. Sur toutes les frontières, partout menacées par de nouveaux Barbares, il avait placé un fort cordon de troupes de couverture (limitanœi, riparienses), et, par derrière, un groupe de solides réserves. La rigueur de la discipline devait être d'autant plus stricte que le danger était plus menaçant. Or, en aucun point peut-être la poussée des Barbares n'était plus forte que du côté des provinces danubiennes dont Galère avait le commandement. Celui-ci profita de cette circonstance pour assouvir la haine qu'il portait aux chrétiens. L'historien Lactance nous montre, derrière lui, sa vieille mère, païenne fanatique, et peut-être fort jalouse des princesses chrétiennes de la cour de Dioclétien, Prisca et Valeria, lui soufflant la haine contre les disciples du Christ[25].

 

III

La ruse de Galère consista à demander à Dioclétien, sous prétexte de raffermir la discipline dans l'armée, le rétablissement des sacrifices aux divinités nationales. Ce rétablissement obtenu, Galère enjoint aux officiers chrétiens de sacrifier aux dieux de l'empire. Beaucoup refusent ; ils sont cassés de leur grade. Quelques refus plus énergiques sont punis par la mort. Dioclétien recule devant l'effusion du sang ; Constance Chlore suit son exemple ; mais Maximien Hercule montre une sévérité presque aussi grande que Galère et n'hésite pas à infliger la sanction capitale pour punir les refus de sacrifier.

Parmi les martyrs de cette première persécution, nous citerons saint Marcel et saint Cassien, dont nous possédons les Actes authentiques.

En 298, pendant qu'on célèbre à Tanger l'anniversaire de la naissance de Maximien Hercule, le centurion Marcel s'approche des drapeaux qu'on a formés en trophée pour recevoir l'encens et les adorations. Mais, au lieu de les adorer, il jette devant lui sa ceinture militaire en s'écriant : Je suis soldat de Jésus-Christ, le roi éternel. Il rejette aussi le cep de vigne, insigne de son grade, et ses armes, ajoutant : A partir de ce jour, je cesse de servir vos empereurs, car je ne peux adorer vos dieux de bois et de pierre, sourdes et muettes idoles. A ces mots, les assistants sont d'abord frappés de stupeur, puis ils saisissent le centurion et le conduisent au préfet légionnaire. Le 30 octobre suivant, il comparaît devant le tribunal. Voici le procès-verbal officiel de son interrogatoire, recueilli par les chrétiens de Tanger : As-tu prononcé les paroles relatées dans le rapport du préfet ?Oui. — Tu servais comme centurion ordinaire ?Oui. — Quelle fureur t'a fait renoncer au serment militaire et parler ainsi ?Il n'y a pas de fureur en ceux qui craignent Dieu. — As-tu prononcé toutes les paroles consignées dans le report ?Oui. — As-tu jeté les armes ?Oui. Il ne convenait pas qu'un chrétien qui sert le Seigneur Christ servît dans les milices du siècle. — La conduite de Marcel, dit alors le lieutenant du préfet du prétoire, Agricola, doit être punie selon les règlements. Et il dicte la sentence : Marcel, qui servait comme centurion ordinaire, a renoncé publiquement à son serment, et a prononcé d'autres paroles furieuses. J'ordonne qu'on lui coupe la tête[26].

En entendant le prononcé de cette sentence, Cassien, greffier d'Agricola, est saisi d'indignation. Il lance à terre poinçon et tablettes. Les appariteurs sont stupéfaits. Marcel sourit. Agricola bondit de son siège, tremblant de colère, et demande au greffier ce que ce geste signifie. Cassien dit : Tu as rendu une sentence injuste. Le lieutenant du préfet le fait enlever de son siège et mettre en prison. Le jour même, Marcel est décapité. Cassien comparaît, le 3 décembre, au lieu même où il a siégé comme greffier, et, ayant donné des réponses pareilles à celles de Marcel, il est exécuté comme lui[27].

Il ne paraît pas que les victimes de cette première persécution aient été très nombreuses[28], mais le premier pas était fait. Galère pouvait espérer entraîner plus loin la volonté, une fois ébranlée, de l'empereur.

En 302, il se rend à Nicomédie, résidence habituelle de Dioclétien. Il y reste jusqu'aux premiers mois de 303. Toujours poussé par sa mère, il met tout en mouvement pour arracher à l'empereur un édit de persécution. Le bon sens de Dioclétien résiste. A quoi bon, dit-il, mettre le trouble partout, verser des torrents de sang ? Les chrétiens n'ont pas peur de la mort[29]. Galère insiste. Dioclétien consent enfin à réunir un conseil d'amis et de fonctionnaires. Les avis sont partagés, mais bientôt, comme il arrive souvent dans les assemblées délibérantes, lorsqu'une main ferme n'en dirige pas les débats, les hésitants se rangent au parti des violents. La persécution est décidée. Dioclétien obtient seulement que le sang ne sera pas versé.

Un édit est préparé. Mais Galère, comme s'il craignait un retour de l'empereur ou de son conseil sur la résolution prise, n'a point la patience d'attendre la promulgation de l'édit. Le 7 des calendes de mars (23 février 303), le peuple païen doit célébrer la fête des Terminalia, ou des limites des champs, par des sacrifices à Jupiter Terminus. Avec ce mélange de superstition et de scepticisme qui caractérise cette époque, le césar déclare que cette date est tout indiquée pour faire entendre au christianisme qu'il est enfin arrivé à son terme[30]. Chose étrange, Dioclétien, esprit froid et calculateur, se montre accessible à une pareille considération. Lui aussi ne se défera jamais de ses tendances superstitieuses. Le 23 février, aux premières lueurs du jour, une troupe armée envahit la grande église de Nicomédie, pille le mobilier, saisit les livres sacrés et les jette au feu. Puis une escouade de prétoriens s'avance en ordre de bataille, munie de haches et d'autres instruments de démolition, et, avec cette incomparable habileté des soldats romains, habitués à construire et à démolir avec promptitude édifices, routes et tunnels dans leurs campagnes[31], la troupe s'attaque aux murs de la cathédrale, qui, en quelques heures, est complètement rasée.

 

IV

L'empereur ne peut plus reculer. Le lendemain, 24 février, un édit est publié, ordonnant la destruction des églises et des livres sacrés, la cessation des assemblées chrétiennes et l'abjuration de tous les chrétiens, sous peine, pour les nobles, d'être dégradés de leurs dignités, pour ceux d'humble condition, d'être réduits en esclavage, et pour les esclaves, de ne pouvoir plus jamais être affranchis[32].

L'habile politique qu'est Dioclétien s'imagine qu'il pourra ainsi, sans effusion de sang, par de simples mesures administratives ou pénalités de déchéance sociale, abolir enfin ce christianisme qu'il a favorisé autrefois. Galère, toujours poussé par sa vieille mère, le lui a montré, par des insinuations et des calomnies chaque jour répétées, comme dissolvant la discipline des armées, corrompant la magistrature, envahissant son palais, conspirant partout, et prêt à s'attaquer à sa personne sacrée elle-même. Le colosse impérial donne l'impression d'une machine dont les rouages fonctionnent de plus en plus péniblement. L'empereur en souffre chaque jour davantage. Sa santé, que l'âge commence à miner, s'altère. Qu'un attentat positif, en surexcitant son inquiétude, lui montre le danger du côté des chrétiens, il se rendra aux raisons de Galère.

Or, par l'imprudence d'un chrétien, et, bientôt après, par la perfidie de Galère lui-même, plusieurs attentats se produisent coup sur coup. Dans un mouvement d'indignation, un chrétien a mis en pièces l'exemplaire de l'édit affiché au forum. Il périt aussitôt sur le bûcher. On n'a pas pu lui trouver de complices. Mais bientôt un incendie éclate dans le palais impérial. Les chrétiens n'en seraient-ils pas les auteurs ? Pendant qu'on enquête chez eux sans résultat, le feu prend une seconde fois. Galère feint la panique, et tandis que l'opinion publique le désigne du doigt comme l'auteur ou l'instigateur du sinistre, il quitte brusquement Nicomédie, déclarant qu'on en veut à sa vie et à celle de l'empereur.

Cette fois-ci, la colère de Dioclétien est déchaînée. Galère peut bientôt mesurer la portée du revirement qui s'est produit dans l'esprit de l'empereur. Systématique et méthodique, Dioclétien, s'il entreprend l'extermination des chrétiens, la poursuivra jusqu'au bout, réunissant contre eux toutes les forces de l'Etat, comme il l'a fait pour la centralisation de son empire et pour la défense de ses frontières.

Les premières mesures de rigueur ont pour objet les membres de sa propre famille et les serviteurs de son propre palais. La vieille mère du césar Galère dut tressaillir d'aise en voyant ses deux rivales, l'impératrice Prisca et sa fille Valeria, contraintes à sacrifier[33]. Par bonheur, leur défaillance ne fut pas contagieuse. Les chefs de la domesticité de l'empereur, dit Lactance, ceux sur qui reposait tout le palais se laissèrent tuer plutôt que d'apostasier[34]. Eusèbe a décrit le supplice du chambellan Pierre. Par le récit de son martyre, dit-il, je laisserai entendre ce qui est arrivé aux autres. On lui ordonna de sacrifier. Il refusa. On l'éleva alors sur un chevalet, et avec des fouets on lui déchira tout le corps. Comme il souffrait tout cela sans en être ébranlé, on se mit à arroser ses plaies avec du vinaigre mêlé de sel. Il méprisa encore ces souffrances. On traîna un gril, sous lequel on alluma du feu, comme on fait pour les viandes qu'on veut manger. On exposa ce qui restait de son corps à la flamme, non pas brutalement, mais petit à petit, afin de lui donner le temps de consentir à ce qu'on demandait. Mais il garda sa résolution, et, vainqueur de ces tortures, il rendit l'âme, inébranlable comme son nom[35]. Des officiers, des magistrats, l'évêque de Nicomédie, Anthime, des prêtres, des diacres, de simples fidèles, soupçonnés sans preuves d'avoir contribué à l'incendie du palais impérial, furent brûlés ou noyés en masse. Les chrétiens se crurent revenus aux temps de Néron.

De Nicomédie, la persécution s'étendit dans les provinces. Mais elle n'y eut pas d'abord le même caractère de féroce cruauté. En bien des endroits, la bienveillance des magistrats, chrétiens ou favorables au christianisme, en atténua les rigueurs. On se contenta, du reste, d'appliquer l'édit, qui ne portait pas la sanction de la peine capitale contre sa violation. Quelques chrétiens cependant furent mis à mort pour avoir refusé de livrer les livres ou le mobilier des églises. De ce nombre fut saint Félix, évêque de Tibiuca en Afrique, dont les actes sont d'une autorité incontestée.

Félix, convaincu d'avoir refusé la livraison des livres saints, fut traduit, le 24 juin 303, devant le proconsul Anulinus.

Le proconsul lui dit : Pourquoi ne livres-tu pas tes vaines Ecritures ? Félix répondit : Je les ai et je les garde. Anulinus le fit mettre au cachot souterrain. Après seize jours, on l'en tira, toujours enchaîné. Il était dix heures du soir. Anulinus lui dit : Pourquoi ne donnes-tu pas les Ecritures ? Félix répondit : Je ne les donnerai pas. Le 25 juillet, Anulinus rendit une sentence qui renvoyait Félix au tribunal de Maximin. En attendant le départ, Félix fut reconduit en prison et mis aux fers. Il partit neuf jours après, et fut conduit à Venouse, dans l'Apulie, au pied de l'Apennin.

Le préfet du prétoire d'Italie fit enlever ses chaînes et lui dit : Pourquoi ne donnerais-tu pas les Ecritures du Seigneur ? Ne les aurais-tu pas ? Félix répondit : Je les ai, mais je ne les donne pas. Le préfet dit : Qu'on lui coupe la tête. Félix répondit : Je vous rends grâces, ô mon Dieu, qui daignez me délivrer. On le conduisit au lieu de l'exécution. C'était le 30 août. Félix leva les yeux au ciel, et dit à haute voix : Mon Dieu, je vous rends grâces. J'ai cinquante-six ans. J'ai conservé la virginité. J'ai gardé vos Evangiles. J'ai prêché la foi et la vérité. J'incline devant vous ma tête, ô mon Dieu, pour être immolé[36].

Un certain nombre de chrétiens, soit en usant de ruse, soit en profitant de la connivence des autorités locales, ne livrèrent, au lieu des livres sacrés, que des papiers insignifiants[37]. D'autres se soumirent aux ordres de l'édit. Ils furent flétris du nom de traditeurs.

La persécution s'étendit à l'Italie. A Rome, les livres saints furent saisis, les archives dispersées, les biens d'Eglise confisqués. Malheureusement ces faits ne sont connus que par quelques allusions du Liber pontificalis[38], ou par les dires suspects des donatistes. Eusèbe, vivant en Orient, sait peu de chose de ce qui se passe à Rome. Au pape Eutychien, mort le 7 décembre 283, martyr ou confesseur, avait succédé Caïus. Il ne parait pas avoir quitté Rome pendant les persécutions ; il se tint sans doute, la plupart du temps, caché dans les catacombes. La tradition lui attribue la conversion de beaucoup de païens, et sa tombe, au cimetière de Calliste, devint l'objet d'une grande vénération[39]. Quant au pape MARCELLIN, qui gouverna l'Eglise après Caïus, de 296 à 304, on aimerait le connaître autrement que par les écrits de ses adversaires, les donatistes, II sauva de la profanation, dans le cimetière de Calliste, en la comblant de terre, l'aire de la catacombe où avaient été inhumés les papes du ne siècle et de nombreux martyrs[40] ; mais il eut la douleur de voir les archives du Saint-Siège à peu près complètement détruites. L'existence de ces archives et de la bibliothèque pontificale, situées dans un des lieux les plus fréquentés de la ville, près du théâtre de Pompée, était connue de tous. Sans doute, l'autorité municipale n'eut besoin d'aucun délateur pour s'emparer d'un dépôt déjà considérable à cette époque et que sa richesse même n'avait pas dû permettre de déménager facilement[41]. Ce fut une perte irréparable pour l'histoire du pontificat romain. S'il nous reste si peu de documents sur le siège de Rome, à cette époque, c'est à cet événement que nous devons attribuer cette lacune. Les donatistes ont voulu rendre responsable le pape Marcellin de ce désastre. Ils l'ont appelé traditeur, mais aucune pièce n'a été apportée à l'appui de cette odieuse accusation. Saint Augustin en a fait la remarque[42]. Il est probable que Marcellin mourut sous les coups des bourreaux ou en prison. C'est ce que semble indiquer la vénération dont son tombeau fut l'objet dans la catacombe de Priscille, nécropole privée, où il avait fait faire de grands travaux afin de suppléer aux cimetières communs supprimés en vertu de l'édit.

Mais ceux qui avaient engagé Dioclétien dans la voie de la persécution étaient attentifs aux moindres prétextes qui leur permettaient d'obtenir de lui des aggravations de pénalité. Des tentatives de révolte en Syrie et en Arménie leur fournirent l'occasion de montrer à l'empereur la conspiration chrétienne gagnant les provinces. Deux nouveaux édits furent promulgués dans cette même année 303. Le premier ordonnait de mettre en prison tous les membres du clergé : évêques, prêtres, diacres, lecteurs, exorcistes ; le second enjoignait de les punir de mort s'ils refusaient de sacrifier. Les prescriptions de ces édits ne furent pas rigoureusement appliquées dans quelques provinces, mais dans certaines autres elles furent dépassées. Des actes authentiques nous montrent de simples fidèles punis de mort pour avoir assisté à la messe le dimanche.

Tel fut le cas des martyrs Félix, Dative, Ampèle et de leurs compagnons, parmi lesquels dix-huit femmes, qui subirent la mort à Carthage, le 11 février 304, en même temps que le prêtre Saturnin. Ils furent mis sur des chevalets et subirent la torture des ongles de fer, qui déchiraient leurs flancs, faisaient voler des lambeaux de leur chair. Aucun d'eux ne faiblit. On réserva pour la fin un tout petit enfant, Hilarion, surpris dans l'assemblée eucharistique avec son père et ses frères. Le magistrat lui dit : As-tu suivi ton père et tes frères ? Hilarion grossit sa voix pour dire : Je suis chrétien, c'est de moi-même que je suis allé à l'assemblée. Le proconsul essaya d'intimider l'enfant : Je vais t'arracher les cheveux, le nez et les oreilles. — Comme tu voudras. Je suis chrétien. — Qu'on le mette en prison. — Deo gratias ! s'écria l'enfant[43]. n Après avoir été torturés, les accusés furent reconduits en prison, où le proconsul les oublia volontairement. Ils y moururent de faim l'un après l'autre.

De tels supplices étaient aussi odieux qu'ils étaient illégaux ; les édits de 303, comme celui de Valérien, ne visaient que le clergé. Mais un quatrième édit, rendu en 304, atteignit tous les fidèles. Il reproduisait à peu près, dans sa teneur, celui de Dèce. Tout chrétien, de tout pays, fut tenu d'aller offrir un sacrifice public aux divinités de l'empire[44]. C'était la mise en demeure, faite à tous les chrétiens, d'apostasier. La persécution ne fut pas seulement universelle, elle fut acharnée et brutale.

Nous avons vu nous-même, écrit Eusèbe, étant sur les lieux, un grand nombre de chrétiens subir en masse, les uns la décapitation, les autres le supplice du feu[45]... Il était permis à tous ceux qui le voulaient de les maltraiter. Les uns les frappaient avec des bâtons, d'autres avec des verges, d'autres avec des fouets. Les uns étaient liés, les mains derrière le dos, et attachés à une pièce de bois, tandis que les bourreaux leur travaillaient tout le corps... D'autres étaient suspendus à un portique par une main : de toutes les souffrances, c'était la plus cruelle, parce qu'ils avaient les articulations et les membres distendus... Après ces souffrances, les uns étaient mis dans des entraves, les deux pieds écartés ; d'autres jetés à terre, gisaient, brisés par la rigueur des tortures[46]... Quelques-uns, dans le Pont, souffrirent des douleurs dont le récit fait frémir. Aux uns on perçait les doigts en enfonçant sous l'extrémité des ongles des roseaux pointus ; pour d'autres, on faisait fondre du plomb et on leur arrosait le dos avec cette matière bouillante et ardente ; on leur brûlait les parties du corps les plus délicates[47]... Nous avons connu nous-même plusieurs de ceux qui se sont rendus illustres en Palestine, en Phénicie... Après les fouets, c'était le combat contre les fauves : léopards, ours, sangliers, taureaux aiguillonnés par le feu et le fer. Nous avons nous-même assisté à ces scènes[48]. Il y eut de vrais massacres. Les habitants d'une petite ville de Phrygie avaient tous embrassé le christianisme. On mit le feu à l'église au moment où la population y était réunie. Elle y périt tout entière, avec son curateur, ses duumvirs et ses autres magistrats[49]. Les lois de la procédure étaient impunément violées. Un chrétien n'avait plus de droits. A tout chrétien qui voulait soutenir un procès pour un intérêt privé, il suffisait d'opposer l'exception résultant de sa religion, pour écarter sa demande. Tout était permis contre sa personne et contre ses biens. S'il osait se plaindre, on le déclarait incapable de plaider au civil, et on retenait sa cause au criminel pour le punir comme chrétien. C'était l'anarchie dans la terreur ; c'étaient les législations sanguinaires de Néron, de Valérien et de Dèce, livrées à l'arbitraire de la magistrature, de la police et de la populace elle-même.

 

V

En 305, un grave événement politique amena un changement important dans la situation des chrétiens de l'Occident. La santé de Dioclétien dépérissait de jour en jour. Quand, après une grave maladie, l'empereur se montra en public, le 1er mars 305, on eut peine à le reconnaître. Son esprit s'était affaibli comme son corps. Galère lui persuada alors que le moment était venu de se démettre. L'ambitieux césar avait déjà, par la menace d'une guerre civile, amené Maximien Hercule à la même résolution. Cette double démission élevait Galère et Constance à la dignité d'augustes. Ils se choisirent deux césars : Flavius Sévère, soldat ivrogne et brutal, el Maximin Daïa, barbare débauché, neveu de Galère. Les deux nouveaux césars étaient les créatures du premier auguste, et Constance, d'humeur pacifique et de santé débile, lui paraissait facile à dominer. Galère avait d'ailleurs pris la précaution de retenir à Nicomédie, comme otage, le fils de Constance, Constantin. Mais, peu de temps après, ce dernier se rendait en Gaule pour y rejoindre son père. Ni le père ni le fils n'étaient disposés à suivre la politique persécutrice de Galère. La Gaule et la Bretagne, placées jusque-là sous la juridiction de Constance, avaient joui d'une paix relative. L'Espagne, qui leur fut annexée après le remaniement de la tétrarchie, participa aux avantages de cette situation. Sévère, subordonné du tolérant Constance, suivit sa politique. Les provinces occidentales échappèrent dès lors à peu près à la persécution[50], qui, en Orient, sous le grossier Galère et le licencieux Maximin, prit un caractère de brutalité et d'immoralité sans bornes. Un grand nombre de chrétiennes subirent le martyre pour échapper à de honteuses propositions de leurs juges ; quelques-unes se donnèrent la mort pour échapper aux ignobles attentats de leurs bourreaux[51].

On doit probablement placer à cette époque le martyre de sainte Agnès. Agnès, dit M. Paul Allard, est une des plus gracieuses et Sainte Agnès, des plus poétiques figures du martyrologe chrétien ; mais c'est une de celles sur lesquelles on possède le moins de documents certains. Cependant, même en négligeant tout à fait ses Actes, qui sont postérieurs au IVe siècle, et en combinant seulement les renseignements puisés dans la tradition orale par saint Ambroise, par saint Damase et par Prudence, on arrive à se faire, croyons-nous, une idée assez nette de son histoire.

Agnès était toute jeune, presque une enfant, quand elle fut arrêtée. Elle avait douze ou treize ans, ce qui faisait déjà à Rome l'âge nubile[52]. Le dépit d'un prétendant évincé contribua-t-il à son arrestation ? On peut l'induire du récit de saint Ambroise. Espérer me fléchir, disait-elle, serait faire injure à mon divin époux. Périsse ce corps, qui peut, malgré moi, être aimé par des yeux charnels ! On essaya de la torture. Elle se tenait debout, intrépide dans son fier courage, et offrant volontiers ses membres aux durs tourments. Un supplice plus horrible lui fut proposé. J'exposerai ta pudeur dans un mauvais lieu, lui dit le magistrat. Agnès ne se trouble point. Le Christ, dit-elle, n'est pas tellement oublieux des siens, qu'il laisse perdre notre précieuse pudeur. Tu plongeras dans mon sein un fer impie, mais tu ne souilleras pas mes membres par le péché. Saint Damase raconte, en effet, que la vierge ayant été conduite sous les arcades du stade d'Alexandre Sévère, là où s'élève aujourd'hui son église de la place Navone, ses cheveux répandus autour d'elle couvrirent comme un manteau les membres de la vierge. Agnès fut condamnée à être décapitée. Elle se tint debout, dit saint Ambroise, et baissa la tête en priant[53]. Un seul coup, dit Prudence, suffit à détacher la tête, et la mort vint avant la douleur[54]. Ainsi, conclut M. Paul Allard, finit cette jeune fille, dont on sait au moins deux choses certaines : elle vécut pure et mourut martyre[55].

Cependant la tétrarchie se disloquait. Constance-Chlore étant mort en 306, les légions acclamèrent son fils Constantin comme son successeur ; encouragé par cet exemple, Maxence, fils de Maximien Hercule, profita de l'impopularité de Sévère pour se faire proclamer empereur par le peuple de Rome uni aux prétoriens ; et le vieil Hercule, qui avait abdiqué à contrecœur, profita de l'anarchie pour reprendre le titre d'auguste. Il y eut dès lors six empereurs en présence. La mort de Sévère en 307, celle d'Hercule en 310, et le choix d'un nouvel auguste, Licinius, n'améliorèrent pas sensiblement la situation politique, et la situation religieuse demeura à peu près la même : elle resta paisible en Occident, et fort troublée en Orient.

En Occident, où l'abdication de Dioclétien en 305 avait amené une grande diminution de la persécution, la paix complète régnait en Occident, depuis la proclamation de Maxence comme empereur en 306, en ce sens que toute poursuite contre les chrétiens et tout attentat contre les biens ecclésiastiques avaient cessé. Mais cette paix n'avait pas été tout d'abord la sécurité. La situation du nouvel empereur ne paraissait pas inébranlable, et l'on pouvait s'attendre à voir Galère, son terrible rival, revenir prendre sa place. Ces craintes expliquent comment le pape Marcellin, mort en 304, ne fut remplacé qu'en 308. Le nouvel élu, MARCEL, sur lequel on n'a guère d'autre document que l'épitaphe que lui a consacrée le pape Damase à la fin du IVe siècle et la notice du Liber pontificalis, écrite au VIe siècle, aurait organisé les vingt-cinq titres (tituli) que renfermait la ville de Rome en autant de paroisses (diœceses) pour la réception, par le baptême et la pénitence, des multitudes qui se convertissaient à la foi et pour la sépulture des martyrs[56]. Ces expressions, se référant à l'organisation ecclésiastique que le rédacteur de la notice avait sous les yeux au Ve siècle, ne doivent pas être prises à la lettre. Il n'y avait pas de paroisses proprement dites à cette époque : le sens des mots diœcesis et parœcia a, au IVe siècle, une très grande élasticité et désigne une portion quelconque de territoire soumise à un administrateur[57]. Ce qui est vraisemblable, c'est que Marcel organisa le service du culte dans les édifices provisoires qui servaient alors aux assemblées chrétiennes, en attendant la restitution des églises, et peut-être aussi qu'il établit un lien entre les lieux de culte et les lieux de sépulture. Nous savons par Eusèbe que les églises et les cimetières ne furent rendus à l'Eglise que sous le pape Miltiade en 311. L'inscription de saint Damase nous apprend que le pape Marcel fut victime de troubles suscités dans Rome par un apostat. Ce renégat, qui avait renoncé au Christ en pleine paix[58], reprochait au pape de n'accepter dans l'Eglise, qu'après une pénitence proportionnée à leurs fautes, ceux qui avaient renié la foi pendant la persécution. Un groupe d'apostats, exigeant leur réintégration sans conditions, suscitèrent de vraies émeutes dans les assemblées chrétiennes et dans la rue. Les ennemis de Marcel le rendirent responsable du désordre et le dénoncèrent à Maxence, qui l'exila pour ce fait. Il mourut en exil, et fut remplacé, vers la fin de 309 ou le commencement de 310, par un prêtre grec, EUSÈBE[59], qui ne siégea que quatre mois. L'inscription que saint Damase lui a consacrée nous apprend que les troubles suscités sous le pontificat de son prédécesseur continuèrent et s'aggravèrent sous son gouvernement. Le parti des apostats révoltés se choisit un chef, Héraclius, qui opposa sa prétendue autorité à celle d'Eusèbe. Maxence, cette fois-ci, exila le pape et l'antipape. Eusèbe, relégué en Sicile, y mourut peu de temps après[60]. Il fut remplacé, le 2 juillet 311, par le prêtre africain MILTIADE, qui obtint enfin de Maxence la restitution des églises et des cimetières confisqués. L'acte officiel de cette restitution nous est connu par la mention qu'en fait saint Augustin dans son récit des polémiques donatistes[61].

En Orient, la persécution n'avait pas cessé de sévir. Eusèbe cite parmi les principales victimes le savant Pamphyle, fondateur de la bibliothèque chrétienne de Césarée et compilateur d'éditions critiques de la Bible ; l'évêque de Thmuis, en Egypte, Philéas, ancien magistrat, apparenté aux premières familles de la province ; et l'un des plus hauts fonctionnaires impériaux d'Alexandrie, Philorome[62]. Des jeunes gens, des jeunes filles furent impitoyablement torturés ; les supplices se multiplièrent. A Césarée, les abords de la ville devinrent un charnier où se rassemblaient les oiseaux de proie[63]. Mais la caractéristique de cette phase de la persécution fut la condamnation des chrétiens aux travaux forcés dans les mines de la Cilicie, de la Palestine et de Chypre. Avant de les envoyer travailler dans les mines, dit Eusèbe, aux uns on brûlait l'œil droit, ou bien on le leur crevait avec un poignard, aux autres on paralysait avec le feu les articulations d'une de leurs jambes, car on avait moins en vue le produit de leur travail que de les maltraiter et de les rendre malheureux[64].

 

VI

Un événement inattendu vint tout à coup mettre un terme à ces violences. Le cruel Galère, atteint d'une maladie affreuse, à demi  dévoré par les vers[65], avait en vain recouru à la science des plus savants médecins et aux réponses des oracles lès plus réputés. Dans un repentir sans grandeur, il se tourna vers le Dieu des chrétiens et rédigea ce singulier édit qui commence par insulter les chrétiens et finit par leur demander de prier leur Maître pour lui[66]. Après avoir, en effet, reproché aux disciples du Christ leur mauvaise volonté, leur insoumission, leur folie, et leur athéisme, l'empereur Galère, dans un langage où transpiraient à la fois l'orgueil et la peur, promettait aux chrétiens son extrême clémence ; il leur pardonnait tous leurs crimes et permettait qu'ils existassent désormais et qu'ils rétablissent leurs assemblées, à la condition qu'ils ne feraient rien contre le bon ordre ; et il leur demandait en retour de son indulgence, de prier leur Dieu pour son salut, celui de l'Etat et le leur propre[67].

 L'édit fut publié en même temps, au printemps de 311, dans les Etats de Galère, de Constantin et de Licinius. Maximin Daïa y adhéra. Sa promulgation était inutile dans les Etats de Maxence, où les chrétiens n'étaient plus persécutés. Eusèbe et Lactance, témoins oculaires, décrivent la joie des chrétiens : les prisons s'ouvrant, les mines se vidant, les confesseurs de la foi oubliant leurs plaies vives ou leurs infirmités pour se hâter vers la patrie, les processions de ces glorieux mutilés le long des routes, au chant des cantiques. A leur aspect, les faibles reprennent courage, ceux qui ont eu le malheur de faiblir pendant la tourmente saisissent la main de ces frères héroïques et leur demandent d'obtenir de Dieu leur pardon. Tous s'empressent autour de leurs églises, bientôt relevées de leurs ruines matérielles et morales, et les païens, à de tels spectacles, s'écrient : Il est seul grand, il est seul vrai, le Dieu que les chrétiens adorent[68]. Pendant ce temps, Galère, l'auteur responsable de tous les maux dont les chrétiens souffraient depuis près de dix ans, expirait au milieu d'atroces douleurs.

La mort de Galère amena d'importants remaniements dans le partage de l'empire. Les provinces qu'il gouvernait en Occident furent le partage de Licinius, mais les Etats bien plus importants qui relevaient de lui en Asie devinrent la part de Maximin. Ce dernier fut dès lors le maître de tout l'Orient.

Maximin n'avait adhéré qu'à regret à l'édit de pacification de Galère. Le violer ouvertement était impossible ; il résolut de le tourner et de reprendre, l'une après l'autre, les diverses concessions faites aux chrétiens. L'édit de Galère, tout en leur donnant la liberté, permettait de réprimer toute faute commise par eux contre le bon ordre. Il s'agissait de trouver un moyen de les poursuivre comme perturbateurs de l'ordre public. Dès le mois d'octobre 311, une ordonnance impériale interdit les assemblées que les chrétiens tenaient le soir dans les cimetières au jour tombant, parfois même la nuit, à la lueur des torches. Maximin, dont les orgies étaient le scandale de son entourage[69], feignit de voir dans ces réunions une cause de désordre. Un de ses plats courtisans, Théotecne, curateur de la ville d'Antioche, homme violent et rusé, capable, selon Eusèbe[70], de tous les crimes et de tous les forfaits, lui fournit le moyen de généraliser ses mesures d'oppression.

Parcourir les provinces, devancer l'empereur dans toutes les villes où celui-ci devait se rendre, suggérer aux magistrats que le meilleur moyen de faire leur cour au souverain était de se plaindre des chrétiens, organiser des pétitions en ce sens, provoquer des réunions et des conférences, soudoyer au besoin les meneurs de la populace et provoquer ainsi des manifestations hostiles au christianisme : tel fut le plan, aussi odieux qu'habile, que Théotecne, d'accord avec Maximin, mit aussitôt à exécution[71]. Les vieilles calomnies jadis colportées contre les chrétiens et depuis longtemps oubliées furent reproduites. Des affiches, contenant, sous forme de procès-verbal de dépositions officielles, des accusations infâmes, furent apposées dans les villes par l'autorité municipale[72]. De prétendus Actes de Pilate, parodie blasphématoire de l'Evangile, composés quelques années auparavant, furent répandus à profusion jusque dans les villages. Les instituteurs durent les mettre entre les mains de leurs élèves, en faire l'objet de récitations, de commentaires, de devoirs écrits et de déclamations orales[73]. Julien l'Apostat imitera plus tard cette tactique, en prolongera plus longtemps l'application, mais ni lui ni ses magistrats n'atteindront jamais le cynisme de Théotecne et de Maximin.

Quand il crut l'opinion suffisamment préparée par cette agitation factice, l'empereur reprit la persécution. On arrêta en masse des gens du peuple, on les condamna sans procès, on les mutila[74] ; mais on chercha surtout à terrifier les disciples du Christ en s'emparant de leurs chefs, et en les faisant comparaître devant l'empereur en personne, qui les envoyait aussitôt à la mort. Ainsi périrent l'évêque Pierre d'Alexandrie, l'évêque Méthode d'Olympie, qui avait réfuté Porphyre et composé en l'honneur de la virginité un dialogue imité de Platon, et l'un des membres les plus célèbres de l'école d'Antioche, le prêtre Lucien, qui, après avoir partagé quelque temps les erreurs de Paul de Samosate, était rentré humblement dans l'Eglise et consacrait son talent à réviser la version des Septante[75]. Saint Athanase raconte que l'ermite Antoine, ayant appris dans son désert que la persécution renaissait, accourut des bords du Nil, pour réconforter ses frères dans la foi et recevoir ensuite, si Dieu le permettait, la couronne du martyre. Mais la police de Maximin dédaigna ce mendiant vêtu d'une bure grossière. Le fondateur de la vie cénobitique put, après la tourmente, regagner sa solitude et y continuer sa vie de pénitence et de contemplation[76].

 

VII

Pendant qu'il frappait ainsi les chefs de l'Eglise, Maximin, pour abolir plus sûrement la religion du Christ, essayait de relever le prestige du culte païen. Il fit ériger en grande pompe une statue de Jupiter, l'Ami des hommes, Zeus Philios, institua des rites d'initiation et de purification empruntés aux mystères des religions orientales, tenta d'organiser les prêtres païens sur le modèle des prêtres chrétiens, voulut en faire, à l'exemple de ces derniers, des prédicateurs et des missionnaires, se fit prédicateur lui-même, envoya à tous les magistrats de l'empire une sorte d'encyclique[77]. Rien ne ressuscita le paganisme expirant. Mais une pareille attitude réveilla le zèle de quelques rhéteurs païens, plus excités par la haine du nom chrétien que par l'amour de la religion nationale.

Arnobe cite un sophiste dont il ne donne pas le nom, et qui, pendant que les bourreaux versaient le sang des chrétiens, les attaquait dans ses conférences. Apôtre éloquent de la pauvreté théorique, dit un historien, on le voyait circuler en manteau court, la crinière en désordre ; mais on savait que ses domaines s'arrondissaient sans cesse grâce à la faveur des gens en place ; que chez lui on dînait mieux qu'au palais impérial, et que d'ailleurs on n'y pratiquait aucun genre d'austérité. Il exposa au public que le rôle des philosophes est de redresser les erreurs des hommes et de leur indiquer la bonne voie, loua fort les empereurs d'avoir pris la défense de la vieille religion et entreprit vigoureusement la nouvelle, qu'il ne connaissait guère : on s'en aperçut. Le public, d'ailleurs, s'accorda à trouver que le moment était mal choisi pour ce genre d'exercices et qu'il est honteux de piétiner ainsi sur des proscrit[78]. Le peuple, qui avait respecté l'ermite Antoine, siffla le sophiste.

Un second rhéteur parut bientôt après lui. C'était Hiéroclès, ancien gouverneur de Phénicie, futur gouverneur de Bithynie, grand personnage entre tous, conseiller de l'empereur. On lui attribuait une part de responsabilité dans la première persécution de Dioclétien[79]. Ce qui est certain, c'est que, dans l'exercice de ses fonctions de gouverneur, il se plaisait à condamner les vierges chrétiennes à des traitements pires pour elles que le dernier supplice. Eusèbe raconte qu'un jour, l'entendant prononcer une sentence de ce genre, un chrétien courageux, Œdesius, bondit vers le tribunal, souffleta le juge, le renversa par terre et le piétina[80]. Mais Hiéroclès ne se contenta pas de condamner les chrétiens aux supplices, il résolut de ruiner leurs croyances. Avec une connaissance si exacte des Ecritures, que Lactance s'est demandé s'il n'avait pas été chrétien dans sa jeunesse, il publia deux livres intitulés : Discours véridique aux chrétiens. Disciple de Celse et de Porphyre, il s'attachait à découvrir de prétendues contradictions ou de grossières naïvetés dans les saints Livres, représentait les auteurs sacrés et les apôtres comme des ignorants et des imposteurs, qui avaient exalté sans mesure les actions de leur maître. Celui-ci n'avait été, en somme, osait-il affirmer, qu'un chef de brigands palestiniens. Le comble de ses injures était l'odieux parallèle qu'il faisait entre Jésus et Apollonius de Tyane, entre la religion chrétienne et la religion païenne. Des miracles de Jésus, peu nombreux et rapportés par des hommes incultes, ne pouvaient soutenir la comparaison, disait-il, avec les innombrables prodiges que de très savants philosophes rapportaient d'Apollonius de Tyane. Quant au christianisme, après l'avoir odieusement caricaturé et représenté comme un athéisme déguisé, il le mettait en présence d'un paganisme épuré, où toutes les beautés de la nature et toutes les grandeurs de l'homme se trouvaient affirmées et subordonnées à un Être suprême infiniment bon et grand.

On répandait en même temps les écrits de Porphyre.

La religion chrétienne trouva des défenseurs. Méthode d'Olympie, le futur martyr, et Eusèbe de Césarée, le futur annaliste de cette époque, avaient déjà réfuté Porphyre. On répandit leurs ouvrages, tandis qu'Eusèbe et deux récents convertis du paganisme, Arnobe et Lactance, prenaient la défense du christianisme contre Hiéroclès.

Saint Méthode d'Olympie, qu'Eusèbe ne nomme pas, sans doute par prévention pour Origène, dont Méthode combattit les tendances, doit être proclamé, suivant Bardenhewer, comme le plus grand écrivain de son temps. Chacun de ses écrits témoigne de son beau talent et de sa culture classique[81]. Dans une langue brillante et savante, écrit saint Jérôme, Méthode composa les Livres contre Porphyre, le Banquet des dix vierges, un ouvrage excellent Sur la résurrection contre Origène, et beaucoup d'autres écrits qui sont en toutes les mains[82].

L'important ouvrage, en trente livres, d'Eusèbe de Césarée contre Porphyre, dont saint Jérôme connaissait encore vingt livres, a totalement péri ; mais nous avons encore sa mordante riposte à Hiéroclès[83]. Après avoir établi le vrai caractère des sources où le sophiste a puisé ses renseignements, il démontre que les affirmations d'Hiéroclès ne reposent que sur un tissu de fables, et que les prétendus miracles d'Apollonius ne sont que de pures inventions ou que des illusions diaboliques.

Arnobe était un rhéteur païen, que les excès des persécuteurs et le courage des martyrs amenèrent à la foi chrétienne. Quand il vit les magistrats ordonner la destruction des édifices qui n'avaient abrité que des assemblées de prière et de charité et faire brûler des livres qui ne contenaient que de hautes et pures pensées, tandis qu'on laissait subsister des théâtres déshonorés par des pièces obscènes et circuler des poèmes pleins d'outrages aux bonnes mœurs, son âme généreuse se révolta[84]. La vue du courage des martyrs et aussi, dit-on, une vision mystérieuse, achevèrent sa conversion[85]. Les fidèles, qui avaient été témoins de son scepticisme, se méfièrent d'abord de la sincérité de sa foi. L'ouvrage courageux qu'il publia, pendant les premières années du IVe siècle, en pleine persécution, sous le titre d'Adversus nationes, les rassura. Les païens rendaient le christianisme responsable de toutes les calamités de l'empire, parce qu'il attaquait la vieille religion nationale, par laquelle toutes les institutions romaines subsistaient. Arnobe réfute cette erreur. Il démasque les allégories et les mythes par lesquels les défenseurs du paganisme s'évertuaient à voiler les hontes de leur mythologie et à idéaliser leur vieux culte ; puis il essaie de montrer la grandeur, l'harmonie, les bienfaits de la religion de Jésus-Christ. Mais autant sa critique est sûre et vigoureuse quand il attaque la religion païenne, autant son apologétique est faible lorsqu'il veut expliquer une religion dont il n'a pas assez étudié les dogmes. Son exposé est plein d'obscurités, de confusions et d'erreurs. L'apologétique de Lactance, son disciple, converti comme lui par le spectacle des persécutions, a une tout autre valeur. Sa conversion le fit descendre de la chaire de rhéteur qu'il occupait à Nicomédie. Désormais, il vécut pauvre, dit saint Jérôme, jusqu'à manquer souvent du nécessaire. Il consacra sa plume à la défense du christianisme. Son œuvre maîtresse, publiée en 308, a pour titre les Institutions divines. Elle comprend deux parties : l'une polémique, très courte, l'autre dogmatique, où il entreprend d'exposer la substance de toute la doctrine chrétienne[86]. La science théologique de Lactance, plus solide et mieux informée que celle d'Arnobe, manque parfois cependant d'exactitude et de profondeur, mais par la beauté du style aussi bien que par l'originalité de la pensée, les deux derniers livres sont hors de pair[87]. On l'a surnommé le Cicéron du christianisme[88].

La lutte contre le paganisme n'avait pas été la seule épreuve de l'Eglise.

 En 306, Pierre, évêque d'Alexandrie, ayant publié un certain nombre de canons, pleins à la fois de miséricorde et de sagesse, pour régler la réintégration dans l'Eglise des chrétiens qui avaient failli[89], un évêque de la Haute-Egypte, Mélèce de Lycopolis, connu par son rigorisme intransigeant, fit entendre une véhémente protestation. Les décisions de l'évêque d'Alexandrie, selon lui, étaient trop condescendantes ; elles étaient, d'ailleurs, ajoutait-il, prématurées, la question de la réhabilitation des faillis étant de celles qui ne pouvaient se régler qu'après la fin de la persécution. Peu de temps après, Pierre, ayant jugé prudent, à l'exemple de son illustre prédécesseur saint Denys le Grand, de se retirer dans une retraite inconnue des persécuteurs, Mélèce n'hésita pas à s'ingérer dans le gouvernement du diocèse d'Alexandrie, y faisant des ordinations, y remplaçant les pasteurs en fuite ou emprisonnés par des hommes de son choix. Quatre évêques, Philéas, Théodore, Hesychius et Pacôme, avaient été incarcérés pour la foi. L'entreprenant évêque de Lycopolis s'attribua le droit d'exercer le pouvoir épiscopal dans leurs diocèses. Les prélats captifs protestèrent. L'évêque d'Alexandrie excommunia l'intrus. L'emprisonnement de Pierre et son martyre, pas plus que le martyre des quatre évêques précédemment incarcérés, ne mit point fin aux intrigues du malheureux révolté. Arrêté lui-même et envoyé aux mines de Phœno, il en revint bientôt, le cœur non moins irrité, l'esprit encore plus fier ; il se donnait à lui-même et à quelques-uns de ses compagnons de bagne, relâchés comme lui, le titre de martyr. Il eut même l'audace d'organiser, en regard des églises occupées par les successeurs de Pierre, de Philéas et de leurs collègues morts pour la foi, des assemblées qu'il appela les églises des martyrs. Ces conventicules devaient être le noyau de toute une hiérarchie schismatique que nous retrouverons en Egypte dans la suite de cette histoire.

Décimée par la persécution, calomniée par les rhéteurs et les philosophes, déchirée par le schisme, l'Eglise catholique était, vers l'an 312, accablée d'épreuves. Elle restait pourtant, et plus que jamais, la grande force morale de ce temps. Les âmes droites et sincères ne tardèrent pas à s'en apercevoir. Tandis que Maximin se glorifiait d'avoir assuré, par l'extermination des chrétiens, le salut et la prospérité de l'empire, la famine et la peste éclatèrent tout à coup. Lactance et Eusèbe nous ont dépeint les deux épouvantables fléaux : le blé atteignant des prix exorbitants ; les pauvres gens réduits à manger de l'herbe ; des pères et des mères cédant leurs enfants pour un peu de nourriture ; puis le terrible charbon de la peste se communiquant de proche en proche, se propageant avec une rapidité effrayante ; les rues et les places encombrées de corps sans sépulture ; les chiens devenant féroces par l'habitude de se nourrir de chair humaine[90]. Les chrétiens se vengèrent comme ils s'étaient vengés pendant la peste qui dévasta l'empire au lendemain de la persécution de Dèce. On les vit accomplir simultanément les deux principales œuvres de miséricorde. Pendant que les uns s'occupaient de donner la sépulture aux morts abandonnés, les autres rassemblaient dans chaque ville les indigents et leur distribuaient du pain[91]. Les païens se sentirent touchés de tant de charité. On se redisait avec émotion la bonté des chrétiens ; la renommée publiait leurs actes de charité et toutes les voix, dit Eusèbe, proclamaient que les seuls hommes vraiment religieux sont ceux qui savent ainsi prouver leur religion par leurs actes[92].

Devant cette apologétique vivante, plus efficace que les réfutations d'Arnobe et de Lactance, les vaines accusations des rhéteurs païens s'évanouissaient, et la persécution contre la religion du Christ apparaissait comme une œuvre de pure politique, qui tomberait le jour où seraient tombés ceux qui en étaient les instigateurs. Ce jour approchait. Eusèbe nous apprend qu'en cette même année 312, Maximin fut obligé d'aller combattre dans les montagnes d'Arménie une nation jadis alliée des Romains, mais qui, tout entière convertie au christianisme, ne voulait plus de l'alliance du persécuteur. Il en revint bientôt humilié par la défaite[93]. Peu de temps après, l'étendard du Christ, ouvertement déployé, triomphait en Occident avec Constantin. C'était la fin des persécutions sanglantes[94] ; c'était le début d'une ère nouvelle dans l'histoire de l'Eglise.

 

 

 



[1] LACTANCE, De mort. pers., 15.

[2] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 2.

[3] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 3.

[4] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 5.

[5] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 5-6.

[6] ROSSI, Roma sotterranea, t. III, p. 422-423, 425, 488 et passim. Cf. Dom LECLERCQ, au mot Catacombes, dans le Dict. d'archéol. chrét., et P. ALLARD, au mot Catacombes, dans le Dict. apol. de la foi cathol.

[7] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 7.

[8] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. I, n. 7.

[9] Illiberris, aujourd'hui Grenade, en Espagne.

[10] Sur la date du concile d'Elvire, voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. I, 215-216.

[11] Dom LECLERCQ, l'Espagne chrétienne, t. I, p. 60-61.

[12] Canons 1 et 2.

[13] Canon 3.

[14] Canon 4.

[15] Canon 5.

[16] Canon 6.

[17] Canons 7, 8, 9, 10, 11.

[18] Canon 12.

[19] Canon 13. Cf. canon 14.

[20] Canons 15 et 16.

[21] Canons 49 et 50.

[22] Le but de ce canon parait avoir été d'exclure particulièrement les sœurs agapètes, et les mulieres subintroductæ, dont il a été parlé plus haut. Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, t. I, p. 201, note 2, et p. 236. — Cf. DUGUET, Conf. eccles., t. I, p. 431-443.

[23] Sur les origines du célibat ecclésiastique qui, avant d'être un objet de législation positive, était une inspiration évangélique généralement suivie par le clergé, voir VACANDARD, Etudes de critique et d'hist. relig., p. 71-120.

[24] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, I, 253-254.

[25] LACTANCE, De mort. pers., 10.

[26] Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 157-158.

[27] Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 159-160.

[28] EUSÈBE, H. E., I. VIII, ch. IV, n. 5.

[29] LACTANCE, De morte pers., 11.

[30] LACTANCE, De mort. pers., 12.

[31] Sur l'extrême habileté des soldats romains dans ces travaux, voir LACOUR-GAYET, Antonin le Pieux, p. 165-171.

[32] LACTANCE, De mort. pers., 10, 11, 12 ; EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. II ; l. IV, ch. X ; Vie de Constantin, l. II, ch. L, LI.

[33] LACTANCE, De mort. pers., 15.

[34] LACTANCE, De mort. pers., 15.

[35] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. VI, n. 2-3.

[36] LECLERCQ, les Martyrs, II, 195-196.

[37] Saint AUGUSTIN, Contra Cresconium, III, 30.

[38] Liber pontificalis, éd. DUCHESNE, t. I, p. CI et 182.

[39] Liber pontificalis, t. I, p. XCVIII, 161 ; JAFFÉ, t. I, p. 25 ; ROSSI, Roma sotterranea, t. III, p. 114.

[40] ROSSI, Roma sotterranea, I, 2-3 ; II, 106, 251, 270, et 2e partie, p. 52-58.

[41] ALLARD, Hist. des persécutions, III, 185 ; ROSSI, De origine et historia scrinii et bibl. Sedis apost., p. XXXVII ; la Biblioteca della Sede apostolica, dans Studi e documenii di Storia e Diritto, 1884, p. 334.

[42] Saint AUGUSTIN, Contra litt. Petil., II, 202 ; De unico baptismo, 7. Une légende, insérée au Liber pontificalis, va plus loin, et dit qu'il offrit de l'encens aux dieux. (Liber pontificalis, I, 162). Le Liber pontificalis ajoute, il est vrai, qu'il se repentit et mourut martyr. (Ibid. Cf. Ibid., p. LXXIV, XCIX.) La légende qui accuse saint Marcellin d'avoir sacrifié aux idoles est empruntée à une Passio apocryphe. Le récit qu'elle fait est certainement faux : elle parle d'un concile d'évêques qui aurait été tenu à Sinuessa ; or pareille réunion était impossible au temps de la persécution. Toutefois il semble bien que Marcellin, s'il ne s'est pas rendu coupable d'apostasie, ait eu une certaine responsabilité dans la tradition des Livres saints. Saint Augustin ne le défend que faiblement, sans même prononcer son nom, contre les attaques de Pétillien : Episcopos nominas, quos de traditione codicum soletis arguere. De quibus et nos solemus respondere : Aut non probatis, et ad neminem pertinet ; aut probatis, et ad nos non pertinet. (H. MARUCCHI, Monuments d'archéologie chrétienne, t. I, p. 63-64.)

[43] LECLERCQ, op. cit., p. 218.

[44] EUSÈBE, De martyribus Palæstina, 3.

[45] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. IX, n. 4.

[46] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. X, n. 4, 5, 7, 8.

[47] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XII, n. 6.

[48] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. VII, n. 1.

[49] LACTANCE, Div. Inst., V, 11 ; EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XI.

[50] EUSÈBE, De mart. Pal., 13.

[51] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XII, n. 4. Sur ces vierges martyres, voir S. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie LI ; saint AUGUSTIN, De civitate Dei, I, 26.

[52] Voir DAREMBERG et SAGLIO, Dict. des ant. grecques et rom., art. Matrimonium.

[53] AMBROISE, De virginibus, I, 2.

[54] PRUDENCE, Peri stephanon, XIV, 89-90.

[55] P. ALLARD, Hist. des persécutions, t. III, p. 385-394. Voir TILLEMONT, Mémoires, édit. 1702, t. V, p. 344-723 ; l'article Agnès, dans le Dict. d'hist. et de géog. ecclés. et dans le Dict. d'arch. chrét. ; FRANCHI DE' CAVALIERI, Santa Agnese nella tradizione et nella leggenda, Rome, 1899 ; JUBARU, S. J., Sainte Agnès, vierge et martyre, d'après de nouvelles recherches, Paris, 1907 ; Revue des quest. hist., janvier 1909, p. 169 et s. Le P. Jubaru soutient qu'il y a eu deux martyres appelées Agnès : celle qu'ont célébrée saint Damase et saint Ambroise, et celle qu'a chantée Prudence. Le pseudo-Ambroise les aurait confondues.

[56] Liber pontificalis, t. I, p. 164.

[57] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, II, 22-23, note.

[58] Christum qui in pace negavit. Voir l'inscription damasienne dans MARUCCHI, Eléments d'arch. chrét., I, 229, et Liber pontificalis, I, 166.

[59] Liber pontificalis, t. I, p. 167.

[60] Voir l'inscription dans le Liber pontificalis, I, 167, et MARUCCHI, Eléments d'arch. chrét., I, p. 231.

[61] Saint AUGUSTIN, Breviculus collationis cum donatistis, III, 34-36 ; P. L., t. XLIII, col. 645-646.

[62] Voir les Actes de Philéas et de Philorome dans LECLERCQ, II, 291-296. On a contesté l'authenticité de ces Actes. Tillemont dit : Je ne vois pas lieu de douter qu'ils ne soient très authentiques. (TILLEMONT, Mémoires, t. V.)

[63] EUSÈBE, De mort. Pal., 9.

[64] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XII, n. 10.

[65] Voir dans EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XVI, n. 4-5, dans LACTANCE, De mort. pers., 32, et dans ZOSIME, Hist., II, 11, les détails répugnants de cette maladie.

[66] A. DE BROGLIE, l'Eglise et l'empire romain au IVe siècle, t. I, p. 182.

[67] EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XVII ; LACTANCE, De mort. pers., 34.

[68] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. I ; LACTANCE, De mort. pers., 35.

[69] Sur les vices de Maximin Daïa, voir TILLEMONT, Histoire des empereurs, t, IV, p. 25-86.

[70] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. II.

[71] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. II, IV, VI, VII, IX.

[72] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. V.

[73] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. I. Cf. l. I, ch. IX.

[74] LACTANCE, De mort. pers., 36-37.

[75] De la vie de Lucien d'Antioche, que l'Eglise vénère comme un saint, mais que les ariens ont toujours revendiqué comme leur patron, nous savons peu de chose. De ses œuvres on n'a presque rien conservé. Sozomène nous apprend que les évêques rassemblés à Antioche en 341, à l'occasion de la dédicace de l'Eglise d'Or, avaient trouvé un symbole de Lucien, qu'ils adoptèrent, et qui fut dès lors considéré comme la profession de foi authentique de leur concile. Mais l'assertion de Sozomène repose sur des bases bien fragiles, et le mystère plane toujours sur l'œuvre de ce personnage, que l'arianisme a considéré comme son précurseur, et qui, pourtant, n'hésita pas à donner sa vie en témoignage de la vérité catholique. Voir G. BARDY, le Symbole de Lucien d'Antioche, dans les Recherches de science religieuse, 1912, p. 139-155, 230-244.

[76] Saint ATHANASE, Vie de saint Antoine, 15.

[77] Voir la singulière épître impériale, communiquée à toutes les provinces, dans EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VII, n. 2-15.

[78] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. II, p. 53-54.

[79] EUSÈBE, Mort. Pal., 5.

[80] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VII, n. 2-15.

[81] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise, t. I, p. 288-289.

[82] S. JÉRÔME, De viris, 83. Nous n'avons que des fragments des Livres contre Porphyre.

[83] Contra Hieroclem, P. G., t. XXII, col. 795-868.

[84] ARNOBE, Adv. nationes, IV, 18-36.

[85] S. JÉRÔME, De viris, 79.

[86] Institutiones, V, 4, 3.

[87] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise, II, 367.

[88] En 313, Lactance écrivit le livre De mortibus persecutorum. Personne aujourd'hui ne lui discute plus la paternité de cet ouvrage. DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. II, p. 55. Rien de plus terrible, dit Michelet, que le tableau que nous a laissé Lactance de la tyrannie de Galère, en particulier de cette lutte meurtrière entre le fisc affamé et la population impuissante, qui pouvait souffrir, mourir, mais non payer. MICHELET, Histoire de France, t. I, ch. III ; CHÂTEAUBRIAND, dans le livre XVIIIe de ses Martyrs, n'a presque fait que traduire, en l'abrégeant, cette admirable peinture des cruautés de Galère.

[89] Voir ces canons dans ALLARD, Hist. des persécutions, t. V, p. 32-33 et dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des conciles, t. I, p. 498-499.

[90] LACTANCE, De mort., 23, 37 ; EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VIII.

[91] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VIII, n. 13-14.

[92] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VIII, n. 14 ; P. ALLARD, Hist. des persécutions, t. V, p. 195-196.

[93] EUSÈBE, H. E., l. IX, ch. VIII, n. 2-4. Cf. S. VAILHÉ, Formation de l'Eglise arménienne, Echos d'Orient, mars-avril, 1913.

[94] Les anciens auteurs comptaient généralement dix persécutions se fondant moins sur des recherches exactes que sur une analogie avec les dix plaies d'Egypte et les dix cornes de la bête de l'Apocalypse. Lactance cependant ne compte que six grandes persécutions. M. Paul Allard se contente de constater que l'Eglise a traversé six années de souffrances au Ier siècle, quatre-vingt-six au IIe, vingt-quatre au IIIe et treize au commencement du IVe. L'Eglise aurait été persécutée pendant cent vingt-neuf ans et aurait goûté cent vingt années de paix relative ; mais ce repos ne fut jamais que précaire. De telle sorte qu'on est dans le vrai en parlant de trois siècles de persécutions. Paul ALLARD, Dix leçons sur le martyre, p. 86. Quant au nombre total des martyrs, il est évident qu'on ne peut songer à l'établir en additionnant simplement les noms de ceux qui sont contenus dans des documents authentiques. Nous savons qu'il y eut beaucoup d'exécutions en masse, beaucoup de victimes d'émeutes populaires. Si on en tient compte, comme il est juste de le faire, et si on ajoute aux martyrs condamnés à mort, ceux qui ont encouru le bannissement, la déportation ou les travaux forcés, on arrive, en écartant tout récit légendaire ou douteux, à une multitude qu'on doit juger innombrable. Voir P. ALLARD, Dix leçons, leçon IV sur le nombre des martyrs, p. 134-149.