Sous Trajan et Hadrien, les chrétiens avaient surtout su mourir : leur intrépidité devant les tourments et devant la mort avait été leur grande apologétique ; si plusieurs d'entre eux avaient publié des apologies, leur but avait été principalement de se défendre contre des calomnies et des injustices. D'Antonin le Pieux à Septime-Sévère, leur courage ne faillira pas devant les supplices ; mais leur apologétique prendra une plus grande envergure. Non contents de réfuter les accusations de leurs adversaires, ils travailleront à les conquérir ; ils chercheront aussi à défendre la pureté de leur foi contre les altérations de l'hérésie, et, dans le feu même du combat, ils inaugureront la première synthèse théologique de leurs croyances. I De l'avènement d'Antonin le Pieux au milieu du règne de Commode, la situation légale des chrétiens resta ce que l'avaient faite les rescrits de Trajan et d'Hadrien. L'Eglise eut presque toujours à subir la persécution en quelque endroit, tantôt en vertu d'accusations régulières, conformes aux rescrits impériaux, tantôt à la suite d'émeutes populaires, négligemment réprimées, parfois même encouragées ou suscitées par des magistrats. Du milieu du règne de Commode au milieu de celui de Sévère, les chrétiens purent enfin jouir d'environ quinze années de paix, qui formèrent comme une transition entre le régime de la persécution par rescrit, en vigueur pendant tout le IIe siècle, et celui de la persécution par édit, qui sévit avec intermittence pendant le IIIe[1]. Saint Polycarpe, sainte Félicité et ses fils, saint Justin, sainte Cécile, les martyrs de Lyon et les martyrs scyllitains furent les plus illustres victimes des persécutions de cette période. Nous savons malheureusement peu de chose des pontifes qui gouvernèrent l'Eglise pendant ce temps. La destruction de tous les registres de l'Eglise romaine qui eut lieu sous Dioclétien est, pour l'histoire du pontificat romain, une perte irréparable. Le Liber pontificalis, rédigé au VIe siècle, d'après des traditions orales et sans doute aussi d'après quelques documents écrits échappés aux investigations des persécuteurs, nous dit du successeur de saint Télesphore, saint HYGIN, qu'on n'a pas trouvé de trace de sa généalogie[2]. On suppose qu'il était philosophe et natif d'Athènes. La tradition lui attribuait l'organisation du clergé[3]. On a conjecturé que cette mention viserait l'institution des ordres mineurs[4]. Son successeur, saint PIE Ier, est donné comme le frère d'Hermas, dont nous aurons à parler plus loin. La note qui lui attribue l'usage de célébrer la fête de Pâques le dimanche[5] est certainement en défaut, car Hygin, Télesphore et Sixte sont cités par saint Irénée comme ayant observé cette coutume[6]. De saint ANICET, successeur de saint Pie Ier, nous ne savons à peu près rien, sinon qu'il naquit à Emèse, ville de Syrie, et qu'il fit des règlements sur la vie des clercs, à qui il interdit les soins excessifs de leur chevelure[7]. Saint SOTER, qui lui succéda, serait né en Campanie et aurait montré un grand zèle pour l'observation des règles liturgiques. Il aurait interdit aux femmes de toucher aux linges sacrés[8]. Une précieuse lettre de Denys de Corinthe, conservée par Eusèbe, nous montre aussi que ce pape, continuant les traditions généreuses de ses prédécesseurs, avait l'habitude de secourir abondamment les Eglises pauvres. Le témoignage de l'évêque de Corinthe mérite d'être noté, comme un hommage de ce temps à l'Eglise Mère, qui méritait toujours, comme à l'époque de saint Ignace, le glorieux surnom de Présidente de la charité. Voici ce que Denys écrivait aux Romains : Depuis le commencement, vous avez coutume de donner toutes sortes de secours à tous les frères. Vous envoyez aux nombreuses Eglises, dans chaque ville, des provisions de bouche Vous soutenez les confesseurs qui sont aux mines. Romains, vous gardez les traditions que vous ont laissées vos pères les Romains ; et, non seulement votre bienheureux évêque, Soter, les maintient, mais il les développe[9]. La fin de cette lettre montre la vénération avec laquelle on recevait toujours à Corinthe les documents venus du Siège apostolique : Aujourd'hui, continue l'évêque, nous avons célébré le saint jour du dimanche, pendant lequel nous avons lu votre lettre. Nous continuerons à la lire toujours, comme un avertissement, ainsi du reste que la première que Clément nous a adressée[10]. Saint ELEUTHÈRE, qui fut élu à la suite de saint Soter, est donné par le Liber pontificalis comme ayant négocié avec un roi anglo-saxon, ou plutôt avec un certain chef de clan[11], nommé Lucius, la conversion de la Grande-Bretagne. On a mis en doute l'historicité de ce fait[12]. Une correspondance plus authentique est celle qu'il eut avec les Eglises de Lyon et de Vienne à l'occasion du martyre de saint Pothin et de ses compagnons. C'est pendant le pontificat d'Eleuthère qu'Irénée mit la main à son grand ouvrage, où il devait reconnaître l'Eglise romaine comme la principale gardienne de la tradition apostolique. Avec le pape saint VICTOR, qui succéda à saint Eleuthère, et qui gouverna l'Eglise jusqu'à la fin du IIe siècle, l'histoire pontificale s'éclaire de documents plus nombreux. Avec lui nous verrons se dérouler les phases de la grande controverse baptismale et commencer les premiers débats de la controverse trinitaire. II La tradition fait de chacun de ces papes un martyr. Il est vrai que ce titre était parfois donné, dans les premiers siècles, non seulement à ceux qui avaient donné leur vie pour la foi, mais aussi à ceux qui avaient affronté les risques d'une situation périlleuse[13] ; mais rien n'est plus vraisemblable que la mise à mort des pontifes de Rome en un temps où le glaive de la persécution menaçait quiconque ne pratiquait pas la religion des empereurs, et le silence des documents écrits n'est point une raison de dénier, au nom de l'histoire, à ces pontifes vénérés de l'Eglise romaine, le titre glorieux que l'Eglise catholique leur donne dans sa liturgie. La Providence a, du moins, laissé parvenir jusqu'à nous les actes authentiques[14] du martyre de saint Polycarpe, évêque de Smyrne, disciple de saint Jean l'apôtre. Ce vénérable témoin des temps apostoliques fut victime, en 155, sous le proconsulat de Statius Quadratus et sous le gouvernement d'Antonin le Pieux, d'une de ces agitations populaires que provoquaient les ennemis des chrétiens. Il avait atteint l'âge de quatre-vingt-six ans. La foule l'escorta jusqu'au stade, où se tenait le proconsul, avec un tumulte indescriptible, au milieu duquel on distinguait surtout ce cri : Mort aux athées ! Mais laissons ici la parole au précieux document. Polycarpe, dit le proconsul, au nom du respect que tu dois à ton âge, repens-toi. Jure par le génie de César, et crie : Plus d'athées ! Polycarpe alors, promenant un regard grave sur la foule qui couvrait les gradins, la montra de la main : Oui, certes, dit-il, plus d'athées ! Et il leva les yeux au ciel, en poussant un profond soupir. Statius Quadratus lui dit : Jure, et je te renvoie. Insulte le Christ. Polycarpe répondit : Il y a quatre-vingt-six ans que je le sers, et il ne m'a jamais fait de mal. Comment pourrais-je insulter mon Sauveur et mon Roi ? — Jure par le génie de César. — Tu feins d'oublier qui je suis. Ecoute : Je suis chrétien. — J'ai des bêtes féroces... — Fais-les venir. Il m'est bon de passer des maux de cette vie à la justice suprême. — Puisque tu méprises les bêtes, je te ferai brûler. — Tu me menaces d'un feu qui dure une heure. Ne sais-tu pas qu'il y a le feu de la peine éternelle, réservé aux impies ? Pendant que Polycarpe disait ces choses et d'autres encore, la
grâce divine illuminait son visage. On remarqua alors que celui qui paraissait le plus troublé par l'interrogatoire, ce n'était pas
l'accusé, mais le proconsul. Au feu ! criait la foule, qui se répandit dans les boutiques et les bains, pour y chercher des fagots. Le bûcher fut préparé... On lia Polycarpe à un poteau, debout, et les mains derrière le dos. Il leva les yeux au ciel et dit : Seigneur, je te bénis et te rends gloire pour tous les bienfaits que j'ai reçus de toi, par le Pontife éternel, Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé, par lequel à Toi avec Lui et l'Esprit-Saint, soit la gloire, maintenant et dans les siècles futurs, Amen. Après qu'il eut dit Amen, les valets du bourreau mirent le feu au bois. Et nous fûmes alors témoins d'un prodige. La flamme, en montant, sembla s'arrondir en voûte au-dessus de la tête du martyr et présenter l'aspect d'une voile de navire gonflée par le vent. Un bourreau s'avança et frappa le saint vieillard d'un coup de couteau. Puis on brûla son cadavre. Onze chrétiens périrent martyrs comme lui. Daigne le Seigneur nous faire les compagnons de leur sort et de leur félicité[15]. Rien, on le voit, n'avait été changé dans la politique religieuse de l'empire sous Antonin le Pieux. Il avait succédé à l'empereur Hadrien en 138 et devait garder le pouvoir jusqu'en 161. Le surnom que le peuple romain lui donna et que l'histoire lui a conservé est fondé sur la vénération qu'il montra pour son père adoptif Hadrien, sur le culte qu'il professa pour les vieux souvenirs de Rome et sur la modération dont il fit preuve dans le gouvernement de l'empire. Antonin le Pieux conduisit la civilisation et la puissance de Rome à son apogée ; mais il partagea malheureusement le préjugé funeste de ses prédécesseurs, voyant dans la religion chrétienne l'ennemie de la civilisation romaine, et se borna à prescrire, sans les obtenir toujours, l'ordre et la régularité dans les poursuites exercées contre les disciples du Christ[16]. Son successeur, Marc-Aurèle, plus digne dans sa vie privée et publique que ses trois prédécesseurs, fut un esprit élevé, un cœur bon jusqu'à la faiblesse et tendre jusqu'à l'illusion. Il ne fit cependant qu'aggraver la situation des chrétiens dans l'empire. Les dix-neuf années de son règne furent les plus troublées et les plus cruelles que l'Eglise eût traversées[17]. Cette anomalie apparente s'explique, si l'on réfléchit à trois faits, constatés par tous les historiens. Le premier, c'est la désagrégation du monde antique qui s'opéra sous le gouvernement du nouvel empereur. Des hommes nouveaux, des aventuriers venus on ne sait d'où et subitement populaires, menaçaient à chaque instant cette succession héréditaire au trône, qui, par la filiation naturelle ou adoptive[18], semblait être le plus solide fondement du gouvernement impérial. En même temps, le lien le plus puissant de l'unité de l'empire, le vieux culte national, paraissait se détendre et se dissoudre au contact des cultes orientaux, de plus en plus envahissants. Un pouvoir en péril devient facilement un pouvoir tyrannique. Rien n'est plus commun dans l'histoire que les soubresauts de violence des institutions qui vont périr. L'empire romain n'échappait point à cette loi. La vieille société se souleva par une sorte d'instinct de conservation contre toutes les puissances où elle crut apercevoir un ennemi. Ce ne fut pas tout. Marc-Aurèle n'était pas seulement un empereur, c'était un philosophe. De toutes les forces religieuses ambiantes, du vieux culte national de Rome, si austère et si fort, de ce besoin de purification qui pénétrait les cultes d'Orient, de ce christianisme lui-même, qu'il détestait, en subissant en secret l'influence de sa morale pure, il s'était fait une philosophie très noble et très haute, toute faite d'emprunts, plus ou moins conscients, mais qu'il croyait autonome, et qu'il voulait défendre jalousement contre toute autre doctrine comme son bien propre. Le christianisme, à qui ses apologistes commençaient précisément à donner la forme d'une philosophie, lui apparut comme la plus redoutable de ces concurrences. Troisième fait enfin : des inondations, des disettes, des épidémies, des fléaux de toutes sortes s'étaient abattus sur Rome et sur l'Italie dès les premiers mois du règne de Marc-Aurèle. Quatre ans plus tard, la peste traversait l'empire dans toute sa longueur. Dans de pareilles conjonctures, le premier mouvement du peuple romain fut de chercher des auteurs responsables de ces calamités, pour les immoler aux dieux. Ces victimes étaient toutes trouvées. Les chrétiens n'étaient-ils pas la cause de tous les désastres ? Si le Tibre inondait Rome, si le Nil n'inondait pas les campagnes, s'il survenait une famine, une guerre, une peste, un cri s'élevait aussitôt : Les chrétiens aux lions ! A mort les chrétiens ![19] Marc-Aurèle était lui-même superstitieux. De plus, il était faible. Ce n'était pas sur lui qu'on pouvait compter pour réprimer de pareils soulèvements de la foule. Il devait les laisser se produire et aller jusqu'à leurs extrêmes conséquences. III Une des plus touchantes victimes de la superstition romaine fut une sainte et illustre veuve, sacrifiée à Rome, en 162, avec ses sept enfants, sainte Félicité. Demeurée veuve, racontent les Actes de son martyre[20], elle avait consacré à Dieu sa chasteté. Nuit et jour livrée à la prière, elle était un grand objet d'édification pour les âmes pures. Les pontifes, voyant que, grâce à elle, la bonne renommée du nom chrétien s'était accrue, parlèrent d'elle à Antonin Auguste[21], disant : Cette veuve et ses fils outragent nos dieux. Si elle ne vénère pas nos dieux, ils s'irriteront tellement qu'il n'y aura pas moyen de les apaiser. L'empereur manda Publius, préfet de la ville, et lui enjoignit de contraindre Félicité à sacrifier aux dieux. Aux premières sollicitations du préfet, la courageuse matrone répondit : Tes menaces ne sauraient m'ébranler, ni tes promesses me séduire. J'ai en moi l'Esprit-Saint, qui ne permettra pas que je sois vaincue par le démon. — Malheureuse ! s'écria Publius ; s'il t'est doux de mourir, laisse au moins vivre tes fils. — Je sais que mes fils vivront s'ils consentent à sacrifier aux idoles ; mais s'ils commettent ce crime, ils iront à la mort éternelle. Le lendemain, le préfet la convoqua avec ses sept fils : Prends pitié de tes enfants, lui dit-il. Alors la chrétienne, se tournant vers ses fils : Levez les yeux, mes enfants, s'écria-t-elle. Regardez le ciel. Jésus-Christ vous y attend avec ses saints. La mère et les enfants furent courageux jusqu'au bout. Une sentence de mort fut portée contre eux. L'aîné des jeunes gens fut assommé à coups de fouets garnis de plomb ; le second et le troisième succombèrent sous les coups de bâton qu'on leur asséna ; le quatrième fut précipité dans le Tibre. Les trois derniers et la mère eurent la tête tranchée[22]. Félicité et ses fils étaient morts victimes de la superstition populaire ; l'année suivante, Justin fut immolé à la jalousie des philosophes païens. Justin était né dans les premières années du IIe siècle, en Palestine, à Sichem, la Naplouse moderne. Son père Priscus et son grand-père Bacchius étaient Grecs d'origine et païens. Il avait été élevé lui-même dans le paganisme. D'une maturité précoce, il avait, de bonne heure, fréquenté les diverses écoles de philosophie. Dévoré de la soif de la vérité, il la demanda tour à tour au Portique, à l'Académie, à l'école de Pythagore. La doctrine de Platon, qu'il aborda ensuite, le retint plus longtemps, mais sans contenter pleinement son esprit et son cœur. Un vieillard, qu'il rencontra un jour dans une promenade solitaire, au bord de la mer, lui fit entrevoir, au delà des clartés que lui donnait l'étude des philosophes, celles qu'il trouverait dans la lecture des prophètes. Il lut la Bible. En se nourrissant des saintes Lettres, il comprit mieux comment la sagesse humaine lui avait paru si fade et si pauvre lorsqu'il lui avait demandé une raison de vivre. C'est lui-même qui nous a raconté ces choses dans des livres pleins de son expérience personnelle. Il a aussi raconté comment la vue des chrétiens, persécutés pour leur foi, et bravant tous les périls pour rester fidèles à leur religion, fit tomber tous les préjugés que son éducation païenne lui avait donnés sur les disciples du Christ[23]. Vers 135, il embrassa le christianisme. Sa conversion Justin n'abandonna point pour cela la philosophie ; il chercha seulement à la pénétrer d'esprit chrétien. Ou plutôt il s'efforça de montrer la doctrine chrétienne sur Dieu, sur l'homme et sur le monde, comme une philosophie nouvelle, la seule, disait-il, qui soit sûre et utile[24]. Il continua à porter à travers le monde le manteau des philosophes[25], défendant sa foi, par la parole et par la plume, contre tous venants, hérétiques, juifs et païens. Il était persuadé que pouvoir dire la vérité et la taire, c'est mériter la colère de Dieu[26]. Une de ses plus vigoureuses campagnes fut celle qu'il mena contre le philosophe cynique Crescent, qui, pour plaire à une multitude égarée, traitait les chrétiens d'athées et d'impies[27]. Non content de le poursuivre partout où il semait ses calomnies, de le provoquer à des discussions publiques, de le confondre devant le peuple, il lui proposa, sans l'obtenir, une conférence contradictoire devant l'empereur[28]. Au cours de sa campagne, il avait convaincu son adversaire de ne pas savoir le premier mot des sujets qu'il traitait[29]. Le cynique devait ne jamais pardonner au philosophe chrétien les humiliations publiques qu'il recevait de lui. Justin ne se faisait pas d'illusions. Je m'attends, écrivait-il, à
être poursuivi et attaché au bois du supplice par quelqu'un de ceux que j'ai
nommés, ou par Crescent, cet ami du bruit et de la parade[30]. Cette attente
se réalisa. Dénoncé à la justice romaine par Crescent ou à l'instigation de
Crescent[31],
avec six autres chrétiens, il fut, après un bref interrogatoire, battu de
verges et décapité. Le procès-verbal officiel de son interrogatoire est
parvenu jusqu'à nous. En voici quelques fragments : Le
préfet Rusticus : Quelle science étudies-tu ? — Justin : J'ai successivement
étudié toutes les sciences. Je me suis arrêté à la doctrine des chrétiens. —
Quelle est cette doctrine ? — La voici : Croire en un seul Dieu, créateur
de toutes
choses, et confesser Jésus-Christ, Fils de Dieu, juge futur du genre humain.
Moi, homme débile, je ne puis parler comme il faut de sa divinité infinie.
C'est l'œuvre des prophètes, qui l'ont annoncé depuis des siècles, par une
inspiration d'en haut. — Où les chrétiens s'assemblent-ils ? — Là où ils peuvent
le faire ; car le Dieu qu'adorent les chrétiens est partout. — Tu es donc
chrétien ? — Je le suis. — On dit que tu es un philosophe éloquent. Si je te
fais fouetter et décapiter, penses-tu que tu monteras ensuite au ciel ? — Je
ne le pense pas, je le sais. J'en suis si assuré que je n'en doute d'aucune
façon. — Sacrifie aux dieux. — Un homme sensé n'abandonne pas la piété pour
l'erreur. Les compagnons de Justin, Evelpiste, Hiérax, Pœon, Libérien, Chariton, et une chrétienne, Charita, firent des réponses semblables. Evelpiste était un esclave. Et toi, lui dit avec dédain le juge, qu'es-tu ? — Je suis un esclave de César, répondit Evelpiste ; mais, chrétien, j'ai reçu du Christ la liberté, et j'ai la même espérance que ceux-ci. C'était la première fois qu'un esclave osait revendiquer, en public, devant un magistrat romain, sa dignité d'homme. Le préfet rendit la sentence suivante : Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux soient fouettés et emmenés pour subir la peine capitale[32]. La sentence fut exécutée sur-le-champ. C'était en 163[33]. Les corps des suppliciés purent être enlevés par les chrétiens et placés en lieu convenable, disent les Actes, pour pouvoir être honorés dignement par leurs frères. Quelques années plus tard, une sentence de mort atteignait, pour le même prétendu crime, une jeune Romaine, de race sénatoriale, Cécile, épouse du patricien Valérien. Par égard pour son rang, par pitié pour sa jeunesse, ou peut-être pour éviter de causer dans Rome une émotion trop vive, le juge ordonna que la sentence serait exécutée dans la maison même de la condamnée. Tacite, Suétone et des historiens postérieurs ont mentionné de nombreux exemples de ces exécutions à domicile. On commandait au condamné de s'ouvrir les veines, de se laisser mourir de faim, d'absorber du poison. Le préfet qui condamna Cécile à mourir, ordonna qu'elle serait asphyxiée dans la salle de bains de sa maison[34]. Mais la sainte survécut à ce supplice. Un licteur, envoyé pour lui couper la tête, lui entailla le cou par trois fois, et la laissa respirant encore. Elle agonisa pendant trois jours. Les chrétiens l'enterrèrent dans un domaine funéraire de la voie Appienne. Les Actes de sainte Cécile, rédigés après la paix de l'Eglise, dans un but d'édification, n'ont pas la même valeur historique, dans toutes leurs parties, que ceux de saint Justin. Mais le savant Jean-Baptiste de Rossi a pu, en effaçant quelques longs discours, évidemment amplifiés, et quelques circonstances qui lui ont paru légendaires, reconstituer historiquement le récit de l'arrestation, du procès et de la mort de sainte Cécile, et des découvertes archéologiques ont confirmé de tous points l'histoire de cette jeune martyre, si chère à la piété chrétienne[35]. IV Pendant que le plus pur sang romain était versé à Rome même pour la gloire du nom chrétien, le sang gaulois, grec, asiatique, coulait à flots, pour la même cause, dans la capitale de la Gaule lyonnaise. La Providence a permis que l'une des plus belles scènes de martyre dont l'Eglise puisse se glorifier nous ait été conservée par une pièce dont l'authenticité défie toute sérieuse controverse : la lettre écrite en 177 aux Eglises d'Asie et de Phrygie par les Eglises de Lyon et de Vienne[36]. Renan lui-même, en présence de ce mémorable document, n'a pu retenir un cri d'émotion profonde. C'est, dit-il, un des morceaux les plus extraordinaires que possède aucune littérature. Jamais on n'a tracé un plus frappant tableau du degré d'enthousiasme et de dévouement où peut arriver la nature humaine. C'est l'idéal du martyre, avec aussi peu d'orgueil que possible de la part du martyr[37]. La ville de Lyon était alors la métropole administrative des trois provinces des Gaules. Les délégués de soixante-quatre peuples y séjournaient, comme dans une ville fédérale[38]. Le culte de Rome et d'Auguste, desservi par un grand prêtre, qui représentait les trois provinces gauloises[39], y était célébré avec la plus grande solennité. On eût dit qu'au moment où, dans la ville éternelle, la religion romaine semblait reculer devant la philosophie envahissante, elle se reconstituait dans la grande ville gauloise un centre puissant[40]. D'autre part, le grand courant commercial établi depuis longtemps entre les ports de l'Asie Mineure et les villes gauloises de la vallée du Rhône était devenu, par la force même des choses, comme un sillon de fécond apostolat. Les chrétientés de Lyon et de Vienne se grossissaient d'éléments syriens et phrygiens, qui leur apportaient, avec les traditions chrétiennes de l'Orient, un incessant regain de vitalité. Le vénérable vieillard qui gouvernait, au milieu du He siècle, l'Eglise de Lyon, Pothin, et son principal auxiliaire, son bras droit, Irénée, étaient, l'un et l'autre, originaires d'Asie ; l'un et l'autre avaient été disciples de Papias et de Polycarpe, lesquels étaient disciples de saint Jean. L'Eglise lyonnaise, non contente de se nourrir de la plus pure doctrine par une correspondance active avec les Eglises d'Asie, avait rayonné à son tour. Les monuments archéologiques semblent indiquer entre les Eglises d'Autun, de Langres, de Châlons, de Tournus, de Dijon, d'une part, et l'Eglise de Lyon, d'autre part, des rapports, sinon de filiation proprement dite, au moins de quelque dépendance religieuse[41]. La colonie romaine avait son centre à Fourvières ; le fameux autel où se célébrait le grand culte de Rome et d'Auguste se trouvait au confluent du Rhône et de la Saône[42]. Le centre de la population chrétienne était probablement dans les îles du confluent, vers Athanacum, aujourd'hui Ainai. Entre les deux cultes, chrétien et païen, le choc était inévitable. Il paraissait d'autant plus imminent, qu'une population flottante d'ouvriers, d'employés, de gens tour à tour riches et indigents, oisifs et affairés, suivant les fluctuations du commerce, s'agitait dans la grande ville, toujours prête à soulever des émeutes. En 177, une cause inconnue, peut-être un mot d'ordre, venu on ne sait d'où, tourna tout à coup contre les chrétiens cette agitation populaire. On les insulta. Dans les rues, dans les chemins, dans tous les lieux publics, on les assaillait, on leur jetait des pierres. La population d'origine lyonnaise confondit aussi peut-être les chrétiens et leur mystérieuse liturgie, avec ces sectateurs d'un grossier gnosticisme, que le mouvement commercial de l'Asie avait jetés en grand nombre dans la grande ville des Gaules. Malheureusement, l'autorité romaine ne se préoccupa ni de réprimer ces haines ni de dissiper ces malentendus. En l'absence du légat impérial, le- tribun et les duumvirs cherchèrent seulement à mettre fin à l'agitation, en arrêtant un certain nombre de ceux que la voix publique désignait comme chrétiens. C'est ainsi que furent emprisonnés le vénérable évêque Pothin, le prêtre Zacharie, le diacre Sanctus, le néophyte Maturus, Attale, de Pergame, la jeune esclave Blandine, et plusieurs autres chrétiens. L'un d'eux fut mis en état d'arrestation à la première séance du tribunal. C'était un jeune homme de noble famille et de grande vertu, Vettius Epagathus. Indigné des tortures que l'on faisait subir aux accusés, il s'avança vers le juge. Je demande, s'écria-t-il, à plaider la cause de mes frères. Je prouverai qu'ils ne sont ni athées ni impies. Le juge se contenta de lui dire : Es-tu chrétien ?, et, sur sa réponse affirmative, il le fit saisir et mettre au nombre des accusés. Le légat impérial revint à Lyon sur ces entrefaites. L'instruction se poursuivit. On fit d'abord comparaître les esclaves des accusés et on les mit à la torture. On leur fit déclarer, presque sous la dictée, que les chrétiens commettaient, dans leurs réunions, les crimes les plus infâmes, les repas de Thyeste, dit la lettre des Eglises, les incestes d'Œdipe, et d'autres choses qu'il ne nous est permis ni de dire ni de penser[43]. Ces abominables mensonges portèrent à son comble la fureur populaire. Mais il s'agissait d'obtenir des accusés eux-mêmes l'aveu de ces crimes. Les bourreaux se surpassèrent. Dans l'amphithéâtre, en présence d'une foule immense, indignée, furieuse, avide d'émotions sanguinaires, les chrétiens furent battus à coups de fouet, assis sur des chaises de fer rougi, livrés aux morsures de bêtes féroces, qui les traînèrent dans l'arène, livrés à tous les supplices que les caprices d'une fouie insensée réclamait par ses cris. Le diacre Sanctus, à qui l'on voulait arracher la révélation des secrets de l'Eglise, se contenta de dire : Je suis chrétien. On n'obtint pas de lui une autre parole. Les bourreaux s'acharnèrent alors sur l'esclave Blandine. Elle était petite de taille et faible de corps. Les chrétiens ses frères, et en particulier sa maîtresse, arrêtée comme elle, tremblaient de la voir faiblir. Elle fut héroïque. Pendant une journée entière, elle brava les tortures les plus atroces, en disant : Je suis chrétienne. On ne fait rien de mal parmi nous. La plus grande angoisse des accusés n'était pas la pensée des supplices, c'était la crainte que quelques-uns, trop faibles, ne se laissassent aller à renier le Christ. Une dizaine de malheureux eurent cette faiblesse. Mais les arrestations continuaient tous les jours. Des chrétiens plus fidèles venaient prendre les places vides laissées par les apostats. Ceux qui résistaient, dit la lettre des Eglises, étaient sans hauteur, sans dédain à l'égard de ces pauvres frères... Ils ne condamnaient personne. Ils se contentaient de pleurer et de prier. Ils s'humiliaient sous la main de Dieu, à qui ils devaient leur constance, et si quelqu'un les appelait martyrs, ils refusaient ce titre, disant : Ceux-là seuls sont martyrs qui ont confessé le Christ jusqu'au bout. L'attitude du vénérable chef de l'Eglise de Lyon, Pothin, fut sublime. Le légat lui demanda quel était le Dieu des chrétiens. Tu le connaîtras si tu en es digne, répondit le vieil évêque. On le roua de coups, la populace lui lança tout ce qui lui tombait sous la main. Il fut jeté demi-mort dans un cachot, où il expira deux jours plus tard. Finalement, ceux qui se trouvaient être citoyens romains furent condamnés à avoir la tête tranchée ; les autres furent destinés aux bêtes. On réserva pour être immolés les derniers un jeune homme de quinze ans, nommé Ponticus, et l'esclave Blandine. On espérait qu'après avoir été témoins de tous les supplices de leurs frères, leur courage fléchirait. Ils furent l'un et l'autre admirables d'énergie. On épuisa sur l'enfant toute la série des supplices les plus raffinés. La douce parole de sa sœur Blandine l'aida, avec la grâce de Dieu, à tenir ferme jusqu'au bout. Blandine restait seule. Après avoir souffert les fouets, les bêtes, la chaise de feu, elle fut enfermée dans un filet, et on amena un taureau. La bête la lança plusieurs fois en l'air avec ses cornes. Elle ne paraissait rien sentir, tout entière à son espoir, et poursuivant un entretien intérieur avec le Christ. Pour finir, on l'égorgea. En vérité, disaient les Gaulois en sortant, on n'avait jamais vu, dans nos pays, tant souffrir une femme[44]. Quarante-huit martyrs périrent ainsi dans la métropole des Gaules[45]. V La lettre des Eglises de Lyon et de Vienne[46], à laquelle nous
avons emprunté tous les détails de ce martyre, se termine par ces mots : La grâce divine ne manquait pas aux martyrs ;
l'Esprit-Saint habitait au milieu d'eux. Les actes du martyre de
sainte Félicité, ceux du martyre de saint Justin, presque tous les autres
actes de cette époque, se terminent par une doxologie triomphante : Gloire à Dieu dans tous les siècles. Des deux
puissances qui s'étaient rencontrées dans la grande ville gauloise comme dans
la capitale de l'empire, c'était la puissance chrétienne qui triomphait.
L'empire touchait, de plus en plus, visiblement, à sa ruine. Marc-Aurèle s'en
rendait compte. Le philosophe qui était en lui avait beau se raidir, par pur
devoir, en se disant : Offre à Dieu, qui est
au-dedans de toi, un être viril, prêt à quitter la vie, quand l'heure sonne[47]. Si ce méditatif, transformé pendant une partie de son
règne en homme d'action, avait pu percer l'avenir, il eût prononcé avec plus
d'amertume encore la parole qu'il dit au tribun, venu pour la dernière fois
dans sa tente lui demander un mot d'ordre : Va au soleil levant, moi je me
couche. De tous côtés, des peuples barbares pesaient sur les frontières
romaines. Derrière eux, la grande nation des Goths commençait à s'ébranler.
Et sur tous ces peuples, qui allaient donner le coup de grâce au colosse
romain, le soleil levant de l'Evangile jetait ses clartés. Peut-être l'empereur
philosophe eut-il quelque pressentiment de l'avenir du monde, quand, à sa
dernière heure, d'un geste plus désespéré que stoïque, il se détourna de son
fils Commode, et se voila la tête, pour ne plus voir personne, et mourir seul[48]. Commode devait être l'antithèse absolue de son père. Nul souci de la patrie, nulle politique, si ce n'est celle de tous les tyrans, qui consiste à confisquer et à proscrire, par haine, par peur et par avarice. Cependant, de ce despote niais et sanguinaire, les chrétiens eurent moins à souffrir que de ses honnêtes et intelligents prédécesseurs. Incapable d'une idée suivie, il fut à la merci des événements. Tantôt il semble que le génie paternel l'emporte, que l'impulsion donnée par Marc-Aurèle se continue : le sang des martyrs coule. Tantôt une influence plus douce, celle des serviteurs chrétiens de son palais ou la prière toute-puissante d'une femme aimée, fait pencher vers la clémence son âme mobile[49]. L'épisode le plus connu des persécutions qui sévirent sous
son règne est celui des martyrs scillitains, dont les Actes sont comptés à bon droit parmi les monuments les plus
anciens et les plus purs de l'antiquité chrétienne[50]. En voici de
larges extraits, textuellement traduits : Le seize des calendes d'août (17 juillet 180), Speratus, Nartzalus et Cittinus, Donata, Secunda, Vestia, comparurent au greffe à Carthage[51]. Le proconsul Saturninus dit : Vous pouvez obtenir grâce, si vous revenez à la sagesse. Speratus. — Jamais nous n'avons fait de mal. Mais nous rendons grâce du mal qu'on nous fait, parce que nous obéissons à notre empereur. Le proconsul. — Nous aussi, nous sommes religieux, et notre religion est simple... Speratus. — Si tu veux bien me prêter une oreille attentive, je t'expliquerai le mystère de la vraie simplicité. Le proconsul. — Je ne prêterai pas l'oreille à tes impertinences... Puis, s'adressant aux autres accusés : Abandonnez cette vaine croyance. Cittinus. — Nous ne craignons qu'un Seigneur, notre Dieu qui est dans le ciel. Speratus. — Je suis chrétien. Tous les accusés se joignent à lui. Le proconsul. — Que gardez-vous dans vos archives ? Speratus. — Nos livres sacrés et les épîtres de Paul, homme juste. Le proconsul. — Prenez un délai de trente jours et réfléchissez. Speratus. — Je suis chrétien. Tous les accusés se joignent à lui. Le proconsul lit le décret sur la tablette : Speratus, Nartzalus, Cittinus, Donata, Vestia, Secunda et d'autres, ont déclaré vivre à la façon des chrétiens... Nous les avons condamnés à mourir par le glaive. Speratus. — Rendons grâces à Dieu. Nartzalus. — Aujourd'hui même, martyrs, nous serons dans le ciel. Grâces à Dieu[52]. On cite encore, parmi les chrétiens qui subirent le martyre sous Commode, le philosophe Apollonius[53], le sénateur Jules[54], et un grand nombre d'autres confesseurs de la foi[55]. Mais les chrétiens, de plus en plus répandus dans tous les rangs de la société, devenaient nombreux à la cour impériale. On connaît parmi eux le vieil eunuque Hyacinthe, prêtre de l'Eglise de Rome. Il fut le père nourricier de cette Marcia qui, ancienne esclave d'un neveu de Marc-Aurèle, entra dans le palais de Commode au même titre, en 183, par suite de la confiscation des biens de son maître. Elle devint promptement la favorite de l'empereur, qui l'éleva au rang et aux honneurs d'une véritable épouse, à l'exception du titre d'impératrice. On raconte, dit le contemporain Dion Cassius, que Marcia eut une vive sympathie pour les chrétiens, et se servit de sa toute-puissance sur Commode pour leur faire beaucoup de bien[56]. L'auteur des Philosophoumena rapporte qu'un jour Marcia, voulant faire une bonne œuvre, appela près d'elle le pape Victor, et lui demanda le nom des martyrs qui travaillaient aux mines de Sardaigne. Elle obtint alors des lettres de grâce, et les confia à son vieil ami, le prêtre Hyacinthe, en lui donnant de pleins pouvoirs pour les faire exécuter. Il y avait quelque chose de changé dans les relations de l'empire avec l'Eglise. Sans doute, ce n'était pas encore la reconnaissance officielle du christianisme, mais ce pape, mandé au Palatin pour y recevoir une communication relative à son Eglise, cette mission donnée à un prêtre chrétien auprès du Procurateur de Sardaigne, sont des faits qui montrent l'importance sociale acquise par l'Eglise et le cas que les pouvoirs publics étaient amenés à faire d'elle et de son organisation hiérarchique. VI Les chrétiens, pendant la seconde moitié du IIe siècle, ne s'étaient pas contentés de mourir avec courage. La simple lecture de leurs interrogatoires nous montre en eux un prosélytisme confiant et généreux. Parmi eux, et à côté d'eux, des apologistes, des théologiens, des catéchistes, s'étaient efforcés, non seulement de disculper le christianisme des accusations qu'on lui jetait à la face, mais encore d'en faire connaître l'harmonie, la beauté, la valeur morale, de le dégager des sectes hérétiques dont le mauvais renom le compromettait, d'en promouvoir l'action bienfaisante et sanctificatrice. Ce fut l'œuvre d'un groupe de chrétiens instruits, dont les plus illustres furent le martyr Justin, les philosophes Aristide, Tatien, Théophile d'Antioche, Athénagore, l'illustre évêque de Lyon, Irénée, l'auteur du Pasteur, Hermas, l'auteur inconnu de l'Epître à Diognète, et enfin le grand polémiste dont le IIe siècle ne devait connaître que les vaillantes luttes pour la défense de la foi, et que le siècle suivant allait voir tomber dans les pièges de l'erreur, Tertullien. Différents par le style, par le tempérament, par l'éducation, par le point de vue particulier où les circonstances les ont placés, tous ces défenseurs de la foi chrétienne sont mus par une même inspiration. Ils sentent que la lutte qui se livre entre le monde païen et le monde chrétien n'est pas seulement une lutte entre deux puissances qui se heurtent, mais qu'elle est surtout une lutte entre deux pensées qui se contredisent, entre deux attitudes morales qui s'opposent. C'est pour justifier la pensée et l'attitude morale des chrétiens, c'est pour les faire triompher parmi leurs contemporains, qu'ils prennent la parole. Le plan de l'apologie d'Aristide, philosophe athénien, est bien simple. Il est en même temps très hardi. L'injure que la populace lance aux disciples de Jésus, c'est le nom d'athées ; le grief que les tribunaux relèvent contre eux est celui d'athéisme et d'impiété ; Aristide veut prouver, à l'encontre de ces accusations, que seuls les chrétiens se font une juste idée de la Divinité et lui rendent des hommages dignes d'elle. Les hommes, dit-il, se partagent, au point de vue religieux, en quatre classes : les Barbares, les Grecs, les Juifs et les chrétiens. Les Barbares adorent les forces de la nature, le soleil et les vents. Les Grecs ont divinisé les énergies et les passions de l'homme. Les Juifs ont le culte des esprits supérieurs, des anges, mais ils ont le tort de les honorer plus que Dieu lui-même et de trop se confiner dans des pratiques rituelles tout extérieures. Les chrétiens seuls adorent Dieu en esprit et en vérité, non seulement par la pureté de leur foi, mais encore par la pureté de leur vie. L'écrit d'Aristide se termine, comme la Didachè, par un tableau touchant de la vie des chrétiens. Cette apologie, qui parut sous Antonin le Pieux[57], produisit sans doute chez les esprits droits une impression profonde[58]. Malgré la gravité des accusations contre les fausses religions, le ton de l'ouvrage était calme et digne, respectueux des philosophes et des poètes de la Grèce. Tout autre fut l'apologie que le philosophe assyrien, Tatien, publia peu après. On a appelé Tatien le fondateur de l'apologétique virulente[59]. Tatien, dit Bardenhewer, montre partout une raideur, une partialité, qui vont jusqu'à la passion. Il ne veut voir aucun des bons côtés de la culture hellénique. Toutes les vulgaires calomnies qui courent contre les philosophes grecs, il les répète sans examen. Autant il entraîne par la chaleur du discours et par la force de la conviction, autant il repousse par l'amertume de l'attaque[60]. Le fougueux apologiste, précurseur de Tertullien, finit, comme lui, par se séparer brusquement de l'Eglise. Vers 172, il retourna en Orient, pour y fonder la secte gnostique des Encratites, qui interdisaient le mariage, ainsi que l'usage du vin et de la viande, et qui, dans la célébration de l'Eucharistie, substituaient l'eau au vin ; d'où le nom d'Aquariens qu'on leur donna. Athénagore, philosophe chrétien d'Athènes, répudie franchement l'apologétique d'invectives, pour revenir à l'apologétique de simple exposition. Ce qu'il faut, dit-il, à tous ceux qui ont souci de la vérité et de leur propre salut, c'est l'exposé direct de la vérité[61]. Il convient, d'ailleurs, que cette exposition ne peut convertir que les âmes bien disposées[62]. L'apologiste aborde un grand nombre de preuves : innocence des chrétiens, perfection de leurs doctrines et de leur morale, infériorité dogmatique et morale du paganisme. 11 admet la possibilité pour toute intelligence de trouver en elle-même des vestiges de connaissance qui la rendront docile à l'enseignement chrétien. Athénagore est familier avec les poètes grecs, qu'il aime à citer. Par la pureté et la beauté de la langue, il est bien au-dessus d'Aristide et de Tatien ; mais il n'a pas encore cette puissante originalité qui groupe les arguments en un corps bien ordonné et leur communique comme une nouvelle vie. Théophile, païen converti à l'âge d'homme par la lecture des Théophile prophètes[63], et devenu évêque d'Antioche, oppose aussi la perfection d'Antioche. dogmatique et la sainteté du christianisme aux ignorances, aux contradictions et à l'infériorité morale du paganisme ; mais il insiste plus particulièrement sur les dispositions de l'âme de ses contradicteurs. Son apologétique est plus psychologique. Vous me dites : Montrez-moi votre Dieu. Moi, je vous dis : Montrez-moi l'homme que vous êtes, et je vous montrerai mon Dieu. Montrez-moi les yeux de votre âme, et qu'ils soient clairvoyants ; montrez-moi les oreilles de votre cœur, et qu'elles soient capables d'écouter[64]. C'est sans doute, dit-il ailleurs, parce que vous ne pratiquez pas le service de Dieu, que vous portez sur lui un si faux jugement[65]. Moi aussi, autrefois, je refusais de croire. Mais maintenant, après de meilleures réflexions, je crois... J'ai en Dieu ma garantie. Vous donc, si vous le voulez, soumettez-vous aussi à Dieu[66]. Théophile est le premier qui ait exprimé par le mot Trinité, Trias, la distinction personnelle du Père, du Fils et du Saint-Esprit en Dieu[67]. Vers la fin du IIe siècle parut encore un opuscule piquant, mais très superficiel, du philosophe chrétien Hermias, l'Irrisio gentilium philosophorum. On connaît aussi les noms de trois autres apologistes : Méliton, Apollinaire et Miltiade ; mais de Méliton de Sardes, nous n'avons plus que quelques fragments ; et d'Apollinaire et de Miltiade, il ne nous reste rien. Tout porte à croire que, comme ceux que nous venons de nommer, ils ne composèrent que des apologies de circonstance, rapidement écrites et, pour ainsi dire, des discours de combat. Avec Hermas, saint Justin, saint Irénée, Tertullien, nous nous trouvons en présence d'œuvres plus longuement mûries. VII Quatre grands problèmes préoccupaient, pendant la seconde moitié du ria siècle, les âmes qui appartenaient à l'Eglise et celles qui la considéraient du dehors avec une curiosité religieuse : un problème moral, un problème philosophique, un problème dogmatique et un problème proprement apologétique. Hermas, saint Justin, saint Irénée et Tertullien abordèrent successivement chacun de ces quatre problèmes. L'Eglise, en se répandant parmi les nations, en ouvrant largement ses bras aux convertis du paganisme, c'est-à-dire aux convertis d'une existence souvent voluptueuse ou frivole, s'était assimilé des éléments moins purs que ceux de ses débuts. L'enthousiasme des premiers jours soutenait moins la vertu des néophytes. Les grâces mystiques, dont la Providence avait été d'abord si prodigue à l'égard des chrétiens, étaient plus rares et moins fortes. Les communautés chrétiennes comptaient déjà dans leur sein quelques grands coupables, des homicides, des adultères, des apostats. De tels crimes pouvaient-ils être effacés par la Pénitence ? Deux opinions extrêmes se firent jour. Par une exagération
bien excusable, beaucoup parmi les premiers chrétiens s'étaient imaginé que
le baptême et l'Eucharistie conféraient une sorte d'impeccabilité. Le don de
Dieu n'avait-il pas le pouvoir de communiquer une vie incorruptible ! Etait-il
possible, du reste, qu'un homme raisonnable, admis à se nourrir de son Dieu,
parvînt à cet excès d'ingratitude, de l'offenser gravement désormais[68] ? Aussi, lorsque
ces chrétiens furent témoins des premières apostasies, ils ne virent qu'une
sanction possible à l'abominable défection : l'exclusion de l'Eglise, la
malédiction, ou tout au moins l'abandon à la justice de Dieu. Ces chrétiens
prenaient strictement à la lettre les paroles de l'Épître aux Hébreux
: Il est impossible que ceux qui ont été illuminés (par le baptême),
qui ont goûté le don céleste (de
l'Eucharistie), qui ont eu leur part du
Saint-Esprit, et qui sont tombés, soient une seconde fois renouvelés et
convertis... Quand une terre est abreuvée par
la pluie qui tombe souvent sur elle, elle produit une herbe utile, elle
participe à la bénédiction de Dieu ; mais si elle produit des épines et des
ronces, elle est réprouvée et près d'être maudite, et sa fin est d'être
brûlée[69]. Mais la dureté d'une pareille solution provoqua une réaction radicale en sens contraire. De prétendus docteurs soutinrent que toute faute du chrétien devait être tenue pour indifférente. A côté de l'Eglise, les disciples de Carpocrate n'enseignaient-ils point que l'homme se sauve par la foi et par la charité, et que le reste ne compte pas[70] ? Certains valentiniens n'affirmaient-ils pas qu'une fois qu'on a fait la part de l'esprit, pour la donner à l'Esprit, la chair a droit à la chair[71] ? Ces doctrines, qui s'infiltraient lentement dans le corps des fidèles, parurent être à plusieurs la vraie solution. Comme il arrive d'ordinaire, les affirmations nettes, le ton tranchant de l'une et de l'autre doctrine, faisaient des adeptes parmi le peuple, toujours prêt à préférer la doctrine, même choquante, qui s'affirme avec force et netteté, à la doctrine sage, qui use de nuances pour se formuler. Les âmes faibles et sincères, qui avaient succombé au péché, ou qui tremblaient de faiblir, souffraient d'indicibles angoisses. Saint Irénée nous a fait, d'après ce qu'il avait vu de ses yeux, le tableau de ces pauvres âmes brûlées comme au cautère, les unes désespérant silencieusement de la vie de Dieu, d'autres renonçant au christianisme, d'autres enfin, hésitant, se tenant entre deux, n'étant ni dedans ni dehors[72]. Or, vers le milieu du IIe siècle, entre l'an 140 et l'an 154, suivant les conjectures des meilleurs critiques[73], parut à Rome un livre, qui avait pour but de rendre la paix aux consciences troublées, de réfuter les deux doctrines radicales, et de donner au problème une solution prudente, conforme à l'esprit de justice et de miséricorde de l'Evangile. Ce livre portait le titre de Poïmèn, le Pasteur. Il avait pour auteur le frère même du pape Pie Ier[74]. Le style en était simple, imagé, populaire. L'auteur racontait d'abord son histoire. Esclave de naissance, vendu par son maître à une matrone romaine nommée Rhode, puis affranchi par elle et marié, il avait acquis dans le commerce une grande fortune, mais, hélas 1 en même temps, perdu la foi et la vertu. Châtié par Dieu, privé de ses richesses, il avait eu, disait-il, la grâce de se soumettre sous la main du Seigneur qui le frappait. Or, pendant qu'il cultivait un champ modeste, aux portes de la ville, un ange de Dieu lui apparut sous les traits d'un berger. Cet ange lui donna les conseils de morale qu'il devait communiquer à ses frères. Ces conseils se trouvent répartis dans les trois livres qui composent son volume : le livre des Visions, le livre des Similitudes et le livre des Préceptes. Hermas n'est pas un controversiste, mais il est un apologiste, en ce sens qu'il veut défendre l'Eglise et la faire aimer. Ce qu'il désire, c'est confondre et rejeter, loin du peuple saint, les hypocrites et les méchants, afin que l'Eglise de Dieu, ainsi purifiée, ne soit qu'un corps, qu'une pensée et qu'un amour[75]. Une inspiration traverse tout l'ouvrage : rendre l'espoir du salut au chrétien tombé. Sa thèse générale est le pardon des péchés à la suite d'une sincère repentance. Le Seigneur est magnanime, dit-il, il n'a point de ressentiment contre ceux qui reconnaissent leurs fautes, et il leur est miséricordieux[76]. Toute faute est rémissible, suivant l'enseignement d'Hermas. Ni le meurtre, ni l'adultère, ni l'apostasie, ces trois péchés que quelques-uns voudront plus tard exclure du pardon, ne sont réservés. L'auteur pose cependant au pardon deux conditions : 1° il faut que le pénitent, une fois converti, fasse souffrir son âme, s'humilie et se purifie[77] ; 2° le pénitent ne pourra se convertir qu'une fois[78]. Hermas paraît dire aussi que le pardon offert n'est qu'une grâce exceptionnelle, accordée seulement en vue de la fin prochaine du monde[79]. Telle est la doctrine morale du Pasteur. Elle fut accueillie au milieu du IIe siècle comme une voix de miséricorde. Elle nous paraîtrait sévère aujourd'hui. Mais nous devons, pour l'apprécier, nous placer par la pensée au temps où parut cet ouvrage[80]. En une époque où le martyre menaçait tout chrétien, on conçoit qu'une prédication populaire, — car tel est bien le caractère du livre d'Hermas, — sans viser à de trop grandes précisions théologiques, ait fait entendre aux fidèles qu'on demandait à tous une âme prête à l'héroïsme. Les précisions théologiques, Hermas ne les a ni lorsqu'il parle de la fin du monde, qu'il croit imminente, ni lorsqu'il disserte de la Trinité, qu'il semble mal comprendre[81] ; mais il aime et vénère l'Eglise de tout son cœur. L'Eglise, dit-il, a été la première de toutes les créatures ; pour elle, le monde a été fait[82] ; elle est établie sur le Fils de Dieu comme sur un rocher et lui appartient comme à un maître[83]. Et cette Eglise, c'est bien l'Eglise hiérarchisée, avec ses chefs divers, évêques, prêtres, diacres, apôtres ou missionnaires[84]. Sa mission est d'enseigner les fidèles, de former les élus[85]. Cette Eglise unique, catholique, se superpose aux Eglises locales et les comprend toutes. Cette Eglise a un chef suprême. Quand la femme âgée qui figure l'Eglise apparaît à Hermas, elle lui remet un livre ; or, ce livre, Hermas a mission de le remettre à Clément, le chef de l'Eglise de Rome, qui le fera parvenir aux villes du dehors[86]. Le Pasteur d'Hermas se répandit rapidement parmi les fidèles. Sa diffusion est attestée par saint Irénée, par Tertullien, par saint Cyprien, par plusieurs versions latines et par une version éthiopienne. Certaines Eglises allèrent jusqu'à le faire figurer, avec l'Epître de saint Clément aux Corinthiens, dans le canon de leurs livres sacrés. VIII Les angoisses morales qui avaient torturé les âmes des fidèles se calmèrent peu à peu ; mais les esprits cultivés se posaient avec anxiété un autre problème. Les contemporains lettrés de Marc-Aurèle se piquaient presque tous de philosophie. Quelques apologistes crurent pouvoir présenter hardiment le christianisme comme une philosophie nouvelle. Mais en quoi cette nouvelle philosophie se rattachait-elle aux anciennes ? En quoi s'en séparait-elle ? Quels étaient ses éléments constitutifs et ses doctrines ? Pouvait-on en présenter une synthèse intelligible à l'esprit d'un disciple des philosophes grecs ? Donner une réponse à ces questions était une tâche redoutable. Justin le Philosophe s'y donna comme à un devoir. Hermas était probablement prêtre. Justin n'était pas sorti des rangs des laïques[87]. Mais il avait approfondi les dogmes. On l'avait même vu ouvrir à Rome une sorte d'école théologique. Son admirable effort de synthèse ne devait pas être exempt d'inexactitudes et même d'erreurs, mais ce premier essai de philosophie religieuse devait exercer une immense influence sur les esprits de son temps et sur ceux du siècle suivant. On place généralement vers l'an 150 la publication de sa première apologie. La seconde parut quelques années après, vers 155[88], et le Dialogue avec Tryphon quelques années plus tard, vers 160[89]. Si l'on dégage la doctrine philosophique de ces documents de tout ce qui y est discussion proprement dite, argument ad hominem, revendication de droits actuels, on peut la réduire à ceci : Le christianisme est la vraie religion, parce qu'il est la religion universelle et absolue. Si le Verbe s'est manifesté pleinement dans le Christ, le monde ancien, en tout temps et partout, en a possédé la semence[90]. Le grand jour de l'Incarnation a été précédé d'une aurore immense et grandissante. Justin prend pour base de sa thèse deux paroles sacrées. L'une est de saint Paul : Quand les Gentils, qui n'ont pas la loi, font naturellement les choses que la loi commande, ils sont à eux-mêmes la loi..... car leur conscience leur rend témoignage[91]. L'autre parole est de saint Jean : (Le Verbe est) la lumière qui éclaire tout homme[92]. Tous les hommes, dit Justin,
participent au Verbe divin, dont la semence est
implantée dans leur âme[93]. C'est en vertu de cette raison séminale dérivant du Verbe
que les anciens sages ont pu, de temps à autre, enseigner de belles vérités...
Car, tout ce que les philosophes et les législateurs
ont dit ou trouvé de bon, ils le devaient à une vue ou connaissance partielle
du Verbe... Socrate, par exemple, connaissait
le Christ d'une certaine manière, parce que le Verbe pénètre toute chose de
son influence... Voilà pourquoi les doctrines
de Platon ne sont pas tout à fait contraires à celles du Christ ; bien
qu'elles ne leur soient pas absolument semblables, non plus que celles des
stoïciens, des poètes et des historiens... Aussi
nous pouvons dire que tout ce que les anciens ont eu de bon nous appartient,
à nous chrétiens... Bien plus, tous ceux qui
ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, quoiqu'ils aient été regardés comme
athées : tels étaient Socrate et Héraclite chez les Grecs, et, parmi les
étrangers, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël et Elie, ainsi que beaucoup
d'autres... Toutefois comme ils n'ont connu
le Verbe qu'en partie, ils n'ont pas eu cette science élevée, à l'abri de
tout reproche, qui est notre partage. C'est pourquoi le Verbe s'est fait
homme... Autre est posséder une semence du
Verbe seulement, autre le Verbe lui-même, dont la communication nous est
accordée par sa grâce[94]. Telle est, ajoute Mgr Freppel, après avoir ainsi résumé la théorie de saint Justin sur le Verbe, telle est cette doctrine lumineuse et féconde qui va ouvrir à l'école d'Alexandrie ces vastes perspectives où Clément et Origène se plongeront avec hardiesse et non sans quelque péril. C'est tout un programme de philosophie chrétienne, qui embrasse à la fois la théorie de la connaissance humaine, la condition intellectuelle de l'ancien monde et ses rapports avec le christianisme[95]. Remarquons, d'ailleurs, qu'en considérant l'humanité comme un grand tout dont les différentes parties sont ramenées à l'unité par le Christ, qui en est l'âme et le centre[96], Justin est loin d'admettre la suffisance de la raison naturelle, ou même la suffisance absolue de la raison aidée par la grâce intérieure, à l'exclusion de toute révélation extérieure, pour arriver à la foi qui sauve. Nul n'a montré avec plus de force le rôle capital de la révélation extérieure dans la genèse de la foi. Il va jusqu'à admettre une influence directe des livres de Moïse sur l'enseignement des philosophes grecs et paraît attribuer à la seule foi révélée tout ce que la sagesse hellénique a eu de vrai. En un mot, ses expressions n'ont pas toujours la précision désirable. Si telles d'entre elles semblent pouvoir être interprétées dans le sens d'un subjectivisme hétérodoxe, d'autres paraissent inspirées, au contraire, par un extrinsécisme suspect. Qu'en conclure, sinon que Justin, ainsi que l'a montré un de ses éloquents commentateurs, ayant voulu embrasser, dans un effort dont on ne peut qu'admirer la grandeur, tous les éléments objectifs et subjectifs d'une croyance à laquelle il voulait adhérer avec toute la soumission du fidèle sans abdiquer aucun des droits de sa raison philosophique, a été plus d'une fois trahi par ses forces, ou du moins n'a pas su trouver, pour exposer la foi catholique, ces formules précises que l'Eglise, assistée du Saint-Esprit, devait employer après lui[97] ? Des défaillances d'expression et de pensée, plus frappantes encore et non moins explicables, se remarquent dans les écrits de Justin lorsqu'il parle de la Trinité, des anges, de la fin du monde. Nettement il professe l'existence d'un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Les néophytes, dit-il, sont baptisés au nom de Dieu, le Père de toutes choses, et de Jésus-Christ notre Sauveur, et du Saint-Esprit[98]. Dans toutes les offrandes que nous faisons, dit-il encore, nous bénissons le Créateur de l'univers par son Fils Jésus-Christ et par l'Esprit-Saint. Dans ces textes, Justin entend simplement exprimer et professer la foi de l'Eglise ; et rien n'est plus orthodoxe. Mais lorsqu'il entreprend des essais d'explication philosophique, il s'exprime, comme Hermas, en des termes que les décisions postérieures de l'Eglise ne permettraient plus d'employer. Entre le Père et le Fils, il semble admettre une certaine subordination, difficile à comprendre, dans l'unité parfaite de volonté et d'essence divine[99]. Il croit que les anges ont un corps aérien, et, quoique des chrétiens orthodoxes pensent le contraire, il est convaincu que la résurrection de la chair se prolongera pendant mille ans dans Jérusalem rebâtie[100]. En d'autres termes, il professe, comme opinion particulière, le millénarisme. Mais si les assertions de Justin ne peuvent être admises sans réserve quand il parle comme philosophe[101], elles doivent être accueillies avec la plus grande vénération lorsqu'il s'exprime en qualité de témoin de la foi de l'Eglise. A ce titre, son témoignage au sujet du Sacrifice de l'Eucharistie est un des plus précieux que nous ait légués l'antiquité chrétienne. Jusqu'à lui, nous l'avons vu, la mesure de haute prudence qu'on a appelée plus tard la loi du secret n'avait point permis la divulgation du plus saint des mystères. Mais Justin ayant cru nécessaire de montrer aux païens le christianisme avec toute l'économie de ses dogmes, de ses rites et de ses pratiques morales, ne pouvait dissimuler que l'Eucharistie est le centre des uns comme des autres. Trop longtemps d'ailleurs le peuple et les philosophes eux—mêmes avaient cru ou feint de croire que le secret des chrétiens cachait des ignominies. Justin jugea que le moment était venu de tout dévoiler. Voici, dans leur intégrité, les deux célèbres passages où le philosophe chrétien révéla pour la première fois au grand public les rites sacrés du sacrifice eucharistique. Quand les prières sont terminées,
nous nous donnons le baiser de paix. Ensuite on apporte à celui qui préside
l'assemblée des frères du pain et une coupe de vin trempé d'eau. Il les
prend, et glorifie le Père de l'univers par le nom du Fils et du
Saint-Esprit, puis il fait une longue eucharistie ou action de grâces pour
tous les biens que nous avons reçus de lui. Quand il a terminé ces prières,
tout le peuple présent s'écrie : Amen. Lorsque celui qui préside a
fait l'eucharistie, et que tout le peuple a répondu, les ministres que nous
appelons diacres distribuent à tous les assistants le pain, le vin et l'eau consacrés,
et ils en portent aux absents. Nous appelons cet aliment Eucharistie,
et personne ne peut y prendre part s'il ne croit à la vérité de notre
doctrine, s'il n'a reçu dans le baptême une seconde naissance avec le pardon
des fautes, et s'il ne vit pas selon les préceptes du Christ. Car nous ne
prenons pas ces dons comme un pain ou comme un breuvage ordinaire ; mais de
même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ notre Sauveur a été fait chair,
a pris un corps et du sang pour notre salut, ainsi l'aliment consacré par la
prière formée des paroles du Christ, cet aliment qui doit nourrir par
assimilation notre sang et notre chair, est la chair et le sang de Jésus
incarné. Telle est notre doctrine. En effet, les apôtres, dans leurs
Mémoires, qu'on appelle Evangiles, nous rapportent que Jésus leur fit ces
recommandations : il prit du pain, et, ayant rendu grâces, il leur dit : Ceci
est mon corps ; il prit ensuite du vin et dit : Ceci est mon sang. Et il
les leur donna à eux seuls. Telle est la première description de la
sainte Messe que fait l'apologiste ; mais, comme s'il craignait de ne pas
avoir suffisamment décrit cet acte capital de la religion, il revient,
quelques lignes plus loin, sur le même sujet : Le
jour qu'on est convenu d'appeler le jour du soleil, dit-il, tous ceux qui
habitent les villes ou les campagnes se réunissent en un même lieu. On lit
les Mémoires des apôtres et les écrits des prophètes dans la mesure que le
temps permet. Après que le lecteur a terminé, celui qui préside l'assemblée
adresse une exhortation aux frères pour les porter à imiter ces belles
choses. Ensuite nous nous levons tous et nous faisons la prière ; après quoi
l'on présente le pain et le vin mêlé d'eau, comme je le disais tout à
l'heure. Le chef de l'assemblée adresse à Dieu des actions de grâces de toute
l'ardeur de son âme, et le peuple répond Amen. Chaque assistant participe aux
dons consacrés que les diacres vont porter aux absents. On fait une quête, à
laquelle contribuent tous ceux qui en ont le désir et les moyens. Cette
collecte est remise au chef de l'assemblée, qui vient au secours des veuves
et des orphelins, des pauvres et des malades, des prisonniers et des
étrangers ; en un mot, il prend soin de tous les indigents. Or nous nous
réunissons le jour du soleil, parce que c'est le premier jour de la création
et celui où Jésus-Christ notre Sauveur est ressuscité d'entre les morts[102]. Il est facile de reconnaître là
le sacrifice de la Messe dans toutes ses parties essentielles ou intégrantes
: l'offertoire, la consécration et la communion. Un seul officiant avec des
diacres, la lecture d'un fragment de l'Ancien et d'un fragment du Nouveau
Testament, une exhortation aux fidèles sur ce thème, l'oblation du pain et du
vin mêlé d'eau comme matière du sacrifice, des actions de grâces rendues à
Dieu par celui qui préside et des hymnes de louanges auxquelles toute
l'assemblée mêle sa voix, une longue prière faite par le célébrant seul et
pendant laquelle il consacre les dons par les paroles mêmes du Sauveur, le
changement du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ, de
nouvelles actions de grâces entrecoupées par l'acclamation du peuple, qui
exprime d'un mot sa participation à l'acte accompli par le célébrant, le
baiser de paix, signe public de la fraternité chrétienne, la communion
distribuée aux assistants et portée par les diacres aux infirmes et aux
absents, une quête ou collecte faite au profit des pauvres : tout ce tableau
de la liturgie chrétienne au milieu du IIe siècle est évidemment celui du
sacrifice de la Messe tel qu'il est célébré aujourd'hui dans l'univers entier
; la description de saint Justin répond trait pour trait à la grande action
qui fait le centre du culte catholique, et l'on imaginerait difficilement une
condamnation plus éclatante du protestantisme que ce témoignage d'un des
premiers apologistes de la religion chrétienne[103]. Nous savons
que le courageux plaidoyer de Justin n'arrêta point le cours de la persécution
et ne le préserva pas lui-même de la mort. Son œuvre n'en fut pas moins très
féconde, certaines calomnies ne luttent plus être répétées contre les
chrétiens que par les gens de mauvaise foi ; il fut aussi avéré désormais que
la pensée chrétienne pouvait sans crainte aborder le terrain philosophique et
y figurer avec honneur[104]. IX La philosophie païenne, qui attaquait en face le christianisme, était un des grands périls de l'Eglise à la fin du siècle. Les sectes gnostiques, qui, en empruntant les dehors et les formules de l'esprit chrétien, ne tendaient à rien moins qu'à le dissoudre, n'étaient pas un danger moins grave. Un nouvel apologiste vit le péril et le conjura. Ce fut l'évêque de Lyon, saint Irénée. Le prêtre qui avait été choisi, en 177, pour succéder au glorieux martyr saint Pothin sur le siège de Lyon, était né à Smyrne ou dans les environs de cette ville, vers 130. Les relations qu'il avait eues dans sa jeunesse avec l'illustre évêque de Smyrne, Polycarpe, et avec le vénérable Papias, sa vaste culture littéraire, sa haute vertu, lui avaient fait de bonne heure, dans le clergé lyonnais, une situation très en vue. Déjà, sous le pontificat de saint Pothin, le clergé de Lyon et de Vienne l'avait député à Rome, auprès du pape Eleuthère, pour traiter de graves affaires, en le recommandant comme un zélateur du testament du Christ[105]. Nous ne savons presque rien de son ministère épiscopal et de sa mort. Saint Jérôme lui donne une fois le titre de martyr. Sa mort dut avoir lieu pendant la persécution de Septime Sévère, en 202. Mais sa lutte contre la fausse Gnose, objet capital de son zèle, suffirait à le rendre illustre et vénérable entre tous les évêques de la vieille Gaule. Son traité : Contre les hérésies est un monument impérissable[106]. Tout le mouvement hérétique du siècle revit dans ce livre, comme toute la révolution protestante revit dans l'Histoire des variations de Bossuet. Le gnosticisme, en passant des écoles de Basilide, de Carpocrate et de Valentin à celles de leurs premiers disciples, avait bien dégénéré. Ou plutôt, ces derniers avaient logiquement tiré des doctrines primitives leurs conséquences fatales. Les rêveries d'une métaphysique imaginée à plaisir avaient enfanté les excentricités d'une morale livrée au caprice. Secundus, en cherchant l'origine du mal, ne s'était pas arrêté à Achamoth, il était remonté jusqu'au sein même du Plérôme. Marcus avait fait entrer dans son système les spéculations de la Kabbale. Les Ophites, en une doctrine complexe, qui devait absorber toutes les autres au IIIe siècle, avaient prétendu expliquer tout le système du monde par la lutte d'un mystérieux serpent (Ophis), contre le Créateur, Ialdabaoth, à l'effet de rapprocher l'homme du Dieu inaccessible et bon. Les Caïnites, exaltant l'énergie, même dans le mal, avaient composé leur Olympe de tous les scélérats qui avaient déshonoré l'espèce humaine, depuis Caïn jusqu'à Judas. Quelques gnostiques avaient essayé, il est vrai, d'arrêter le mouvement qui emportait la nouvelle secte vers toutes les révoltes et toutes les dépravations. Mais les efforts tentés en ce sens, soit par Ptolémée, philosophe à l'esprit clair et précis, soit par Théodote et Alexandre, âmes vraiment éprises de purification morale et d'ascétisme, avaient été sans grand résultat. Une branche importante de la secte gnostique s'était montrée, suivant l'expression de Mgr Duchesne, favorable aux plus dégoûtantes aberrations[107]. Les anciens Pères, et saint Irénée tout le premier, rapprochent des maîtres du gnosticisme, un homme qui, parti d'un point de vue tout opposé, était venu rejoindre leurs théories et avait même émis la prétention d'en dégager un système plus précis et plus clair. Cet homme, c'est Marcion. Marcion était né à Synope, sur le Pont-Euxin. Enrichi dans la navigation, il était venu à Rome vers 140, et avait même fait don à l'Eglise romaine d'une assez forte somme, 200 sesterces (environ 40.000 fr.)[108]. La première idée de Marcion fut de réagir contre ce mélange de christianisme et de grossier judaïsme, que les fondateurs du gnosticisme avaient professé. Mais, parce que la rectitude de son jugement était loin d'égaler la chaleur de ses convictions, son zèle l'emporta au delà des limites de la modération et de la vérité. Comme Luther, dont il est une ébauche frappante, il finit par attaquer le dogme, sous prétexte de vouloir corriger un abus[109]. L'antithèse signalée par saint Paul entre la foi et la loi, entre l'Ancien Testament et la Nouvelle Alliance, devint pour lui un antagonisme radical. Il résulte de cette opposition, disait Marcion dans un livre publié par lui sous le titre d'Antithèses, que le Dieu de l'Evangile, Père des miséricordes, ne peut être que l'ennemi du Dieu des Juifs, auteur de la création et de la loi. Ainsi, par une voie toute différente, Marcion aboutissait au dualisme des gnostiques. Sans doute, disait-il, la Rédemption a eu pour but d'arracher les hommes de l'œuvre mauvaise de la création ; mais le Dieu bon qui s'est incarné n'a rien voulu devoir au Créateur. Voilà pourquoi il n'a eu qu'une apparence d'humanité. Par cette seconde idée, Marcion, après avoir maudit le créateur et la loi, arrivait, comme on l'a dit, à volatiliser l'histoire évangélique en un docétisme absolu[110]. Telles sont les doctrines que l'évêque de Lyon entreprit
de démasquer et de réfuter. Nous n'essaierons pas de suivre, dans tous les
détours de ses investigations et de ses raisonnements, celui que Tertullien a
appelé un explorateur très curieux de toutes les
doctrines[111].
Contentons-nous de donner, d'après un de ses plus sagaces interprètes, un
résumé succinct de son grand traité. Avec une logique à la fois très souple
et très serrée, Irénée montre que les gnostiques sont acculés à deux
explications suprêmes : le dualisme ou le panthéisme. Il les poursuit dans ces deux retranchements. Ou vous séparez Dieu du
monde, leur dit-il, ou vous confondez Dieu
avec le monde, et, dans l'un et l'autre cas, vous détruisez la vraie notion
de Dieu. Si vous placez-la création hors de Dieu, quelque nom que vous
donniez à la matière éternelle, Vide, Chaos ou Ténèbres, peu importe, vous
limitez l'être divin. Ce qui revient à le nier. Vous avez beau dire que le
monde a pu être formé par des anges. Ou ils ont agi contre la volonté du Dieu
suprême, ou d'après son commandement. Dans la première hypothèse, vous
accusez Dieu d'impuissance ; dans la seconde, vous êtes amenés malgré vous à
la doctrine chrétienne, qui voit dans les anges des instruments de la volonté
divine. Que si, au contraire, vous placez la création en Dieu, de telle sorte
qu'elle se réduise à un pur développement de sa substance, vous entrez dans
une voie encore plus inextricable. Alors, tout ce qu'il y a dans les
créatures d'imperfections et de souillures retombe sur Dieu lui-même, dont la
substance devient la leur. Vous dites que le monde est le fruit de
l'ignorance et du péché, le résultat d'une déchéance ou d'une chute du
Plérôme, une dégénération progressive de l'Etre, ou, suivant votre métaphore
favorite, une tache sur la tunique de Dieu. Mais ne voyez-vous pas que, dans
cette confusion de l'Infini avec le fini, c'est la nature divine elle-même
qui déchoit, qui dégénère, qui est entachée de vice ou d'imperfection ?
Est-il possible d'altérer plus gravement la notion de Dieu ?[112] Mais le saint évêque ne veut pas se contenter de réfuter l'erreur. Le but de son œuvre va plus loin. Il tient à donner à ses lecteurs la règle de foi par laquelle doit se juger toute opinion particulière ; il exposera ensuite, dans une grande synthèse, toute la doctrine catholique. C'est par là qu'Irénée n'est point seulement un apologiste. Il est aussi théologien. On a même pu l'appeler, à juste titre, le père de la théologie catholique. Rien de plus net et de plus ferme que la règle de foi
posée par saint Irénée. La vérité religieuse se trouve dans la tradition de
l'Eglise : tel est le résumé de sa doctrine. L'authenticité de la foi
actuelle est prouvée par ce fait, que ceux qui l'enseignent actuellement
l'out reçue des apôtres. Son infaillibilité absolue est garantie par
l'assistance indéfectible de l'Esprit-Saint. Voici quelques-unes des paroles
mêmes du saint évêque L'Eglise, disséminée à travers
le monde, jusqu'aux extrémités de la terre, professe la foi qu'elle a reçue
des apôtres et de leurs disciples[113]... C'est la règle invariable que nous acceptons au baptême[114]... Si nous la tenons des apôtres, en effet, nous la tenons du
Fils de Dieu, qui leur a donné la mission d'enseigner en son nom[115]... L'Eglise est
l'Eglise de Dieu[116]... Là où est l'Eglise, là est l'Esprit de Dieu[117]. Et le centre
de cette Eglise est à Rome : Rome, l'Eglise très
grande, très antique, connue de tous, fondée et constituée par les très
glorieux apôtres Pierre et Paul[118]... ; Rome, dont les pasteurs se rattachent au prince des apôtres par
une série ininterrompue de pontifes légitimes[119] ; Rome enfin avec qui toute Eglise doit s'accorder à cause de sa
principauté supérieure[120]. Après avoir ainsi établi la règle de foi de l'Eglise catholique, saint Irénée donne, dans une ample synthèse, le contenu essentiel de cette foi. Toute la théologie du grand évêque s'inspire de cette parole de saint Jean : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[121]. Certes, il est bon d'insister sur la distance infinie qui nous sépare de Dieu ; mais prenons garde, en exaltant son Essence suprême, de faire de Lui la suprême Impuissance et la suprême Indifférence. De quel droit interdire à l'Etre infini la faculté de produire, en dehors de Lui, un monde qui, sans être Lui, dépende de Lui dans ses opérations et dans sa substance ? Qu'on s'en tienne plutôt à ce dogme de la création, qui, tout mystérieux qu'il est, renferme la seule solution raisonnable, parce que, distinguant ce qui ne doit être ni séparé ni confondu, il échappe au double écueil du dualisme et du panthéisme. Mais l'Etre infini n'a pas eu seulement le pouvoir de produire de vraies créatures, il a eu celui de se faire connaître d'elles, celui de les racheter de leurs fautes et de leurs misères, celui de les élever jusqu'à Lui par une sorte de déification. Le Médiateur de tous ces mystères divins est le Christ. Jésus-Christ, Sagesse de Dieu incarnée, vraiment Dieu[122] et vraiment homme, est à la fois le Révélateur de Dieu[123], le Rédempteur de l'homme[124], déchu en Adam[125], et le Déificateur de celui qui s'abandonne à sa grâce[126]. Ces trois idées résument la christologie de saint Irénée. Cette révélation, cette rédemption et cette déification ne produisent leurs pleins effets qu'après cette vie, dans le règne de la gloire, mais dès ici-bas, l'Eucharistie, où Dieu et l'homme se rencontrent et s'unissent dans un épanchement d'amour ineffable, est le sceau divin de l'œuvre révélatrice, rédemptrice et déificatrice. Cet exposé serait incomplet si nous omettions de mentionner la grande place reconnue par saint Irénée, dans l'économie rédemptrice, à la Sainte Vierge Marie. Saint Justin avait déjà mentionné la participation effective et volontaire de la Sainte Vierge à l'œuvre de la Rédemption. Saint Irénée insiste avec force sur ce rôle. De même que saint Paul avait opposé à l'œuvre du premier Adam celle du second Adam, Jésus-Christ, l'évêque de Lyon oppose à la première Eve, qui a perdu le genre humain, la seconde Eve, Marie, qui l'a sauvé. Marie, dit-il, a dénoué les nœuds formés par la faute d'Eve. L'une avait résisté aux ordres de Dieu, l'autre s'y soumet. Eve écoute la parole du démon, Marie prête l'oreille à la voix de l'ange. Le genre humain, voué à la mort par une vierge, a été sauvé par une autre Vierge[127]. On ne saurait trop insister sur l'importance du rôle rempli par saint Irénée dans l'histoire de l'Eglise. Le premier des théologiens catholiques est le dernier élève des propres disciples des apôtres ; celui qui a fait la première synthèse raisonnée de notre foi avait encore dans l'oreille les derniers échos de l'enseignement apostolique ; son œuvre est comme l'anneau d'or qui relie l'esprit de l'Evangile à la doctrine des Pères[128]. X Le traité de saint Irénée avait porté un coup mortel à l'hérésie gnostique. Le valentinianisme, le marcionisme et l'ophitisme ne survécurent à une pareille attaque qu'en se transformant. Héracléon, Appelle et, pour ce qui regarde l'ophitisme, un théologien inconnu[129], furent les auteurs de ces transformations, qui retardèrent quelque temps la ruine définitive de ces sectes. Mais l'Eglise avait encore en face d'elle le judaïsme et le paganisme, toujours menaçants, toujours prêts à lui disputer les âmes, toujours prêts à s'unir aux débris du gnosticisme pour leur communiquer une nouvelle vie. Les défenseurs du christianisme se rendirent compte qu'il ne suffisait pas de repousser les attaques de l'adversaire. Une tâche plus importante s'imposait à l'apologétique : ruiner à fond la barrière de préjugés que le juif et le païen opposaient à l'Eglise catholique ; pénétrer sur le terrain de l'ennemi ; s'imposer aux masses par des œuvres fortes, alertes et vivantes ; employer la langue de Cicéron, en même temps que celle d'Homère ; viser le juriste et le lettré de culture latine, aussi bien que le philosophe nourri de Platon. En un mot, l'apologétique nouvelle devait être conquérante, sous peine de rester inefficace. Tertullien, Minutius Felix et l'auteur grec de l'Epître à Diognète furent les principaux représentants de cette apologétique. Tertullien, fils d'un centurion romain encore païen, était né à Carthage vers i6o. Il reçut une éducation soignée, étudia à fond la langue grecque et le droit, et exerça pendant quelques années la profession d'avocat[130]. Peu avant 597, il se convertit au christianisme, fut bientôt après ordonné prêtre, et commença aussitôt à déployer contre les ennemis de l'Eglise une activité incroyable. Tertullien est avant tout un polémiste. Esprit vigoureux, d'une érudition peu commune, parfaitement maître de sa langue, à laquelle il donne des mots et des tours nouveaux, il a la riposte prompte et la phrase incisive ; mais sa dialectique est plus éblouissante que sûre, et son argumentation est souvent inspirée par la passion. Malheureux, s'écrie-t-il quelque part, je suis toujours dominé par la fièvre de l'impatience ![131] Comme saint Justin, Tertullien a éprouvé le fort et le faible de bien des philosophies avant de se fixer dans la foi chrétienne[132]. Mais, tandis que Justin se retournait avec quelque sympathie vers les systèmes qu'il avait quittés, Tertullien n'a point assez de sarcasmes pour les philosophes païens, ces bateleurs, ces contempteurs de Dieu et des hommes[133], ces patriarches de toutes les hérésies[134], ces animaux de gloire[135]. Le dernier historien de la philosophie de Tertullien[136] a pu, en utilisant les travaux de M. Nœldechen et de M. Monceaux, fixer d'une manière à peu près certaine la date des premières œuvres du célèbre prêtre africain. Il a dû composer en 197 ses deux Livres aux nations et son Apologétique ; en 197 et 200, son Témoignage de l'âme ; vers 200, son traité de la Prescription[137]. Les Livres aux nations sont une apologie de la religion chrétienne adressée aux peuples païens ; l'Apologétique est un plaidoyer adressé aux magistrats provinciaux de l'empire ; le traité de la Prescription, son chef-d'œuvre, est dirigé contre toutes les hérésies. Déjà, dans ces premiers ouvrages, Tertullien dévoile son triple but : confondre le paganisme, réfuter le judaïsme et poursuivre les derniers restes de l'hérésie gnostique. L'apologétique de Tertullien contient, parmi des beautés incomparables, des lacunes regrettables et des hardiesses suspectes. Lorsqu'il cherche un témoignage sincère sur l'homme, on peut trouver qu'il rejette avec un dédain trop absolu celui de la philosophie[138] ; mais avec quelle pénétration et avec quelle vigueur il analyse les aspirations profondes de ce qu'il appelle l'âme des simples ! Les témoignages de l'âme sont d'autant plus vrais qu'ils sont simples, dit-il ; d'autant plus simples qu'ils sont vulgaires ; d'autant plus vulgaires qu'ils sont communs ; d'autant plus naturels qu'ils sont divins[139]... Or ce qui vient de Dieu n'est jamais anéanti, mais seulement obscurci ; et le fond divin de l'âme éclate en des témoignages de cette sorte : Dieu bon ! Dieu voit cela, et Je me recommande à Dieu. Donc, quand l'âme parvient à la foi... elle ne fait qu'apercevoir enfin toute sa propre lumière[140]. On se tromperait cependant en croyant que, dans la voie qu'il propose pour conduire les âmes à la foi, Tertullien fait fi de l'élément rationnel[141]. Sur la divinité du Christ, dont il fait le centre de toute son argumentation, il invoque, en somme, trois preuves : le témoignage des prophéties de l'Ancien Testament, le témoignage des miracles évangéliques et le témoignage des annales de l'Eglise primitive[142]. Sans doute, dans l'exaltation paradoxale de sa verve hautaine, on le verra se glorifier des bassesses de l'Evangile et du scandale de la raison, jusqu'à écrire, sinon le Credo quia absurdum, Je crois, parce que c'est absurde, qui n'est ni de lui ni de saint Augustin, du moins une phrase équivalente : Credibile est quia ineptum ; certum est, quia impossibile[143]. Il veut dire que l'objet de la foi est ce dont la raison n'apercevrait pas même, sans la Révélation, la convenance ou la possibilité. Le fougueux apologiste est d'ailleurs si ardemment convaincu, et sent sa conviction avec une telle vivacité, qu'il ne suppose pas que la vérité, si claire pour lui, ne se manifeste point pareillement aux autres. Il a cependant écrit cette phrase digne d'un vrai psychologue : La foi, destinée à une grande récompense, ne s'acquiert qu'au prix d'un grand travail[144]. La superbe péroraison de l'Apologétique de Tertullien peut donner une idée de son éloquence nerveuse et entraînante : Vos tribunaux, dit-il en s'adressant aux magistrats romains, vos tribunaux sont des champs de bataille où nous luttons pour la vérité. Parfois mort s'ensuit. C'est notre victoire à nous. Allez donc, dignes magistrats, immolez des chrétiens ; la foule vous en saura gré. Tourmentez, torturez, condamnez, broyez ; votre iniquité révélera notre innocence. C'est pourquoi Dieu vous laisse faire. Quand votre main nous moissonne, nous nous multiplions ; le sang chrétien est une semence[145]. Vos philosophes ont fait moins de disciples par leurs écrits que les chrétiens par leurs exemples. On vient à nous par curiosité ; on s'attache à nous par conviction ; puis on souhaite de souffrir pour laver ses fautes dans son sang ; car le martyre efface tout. Etrange contraste des choses divines et humaines : quand vous nous condamnez, Dieu nous absout. Dans ses deux Livres aux nations, dans son traité du Témoignage de l'âme et dans son Apologétique, Tertullien avait eu en vue les païens et les juifs ; son traité de la Prescription s'adresse aux hérétiques. Avec une merveilleuse pénétration, Tertullien conçoit deux manières de réfuter les hérésies : l'une analytique, reposant sur une discussion détaillée des textes et des points de doctrine ; l'autre synthétique, tranchant la question d'ensemble par la simple constatation d'un fait. Il emploiera plus tard la première manière, en défendant l'idée de Dieu contre le dualisme de Marcion et le panthéisme de Valentin, en défendant l'idée de création contre la doctrine d'Hermogène ; mais il tient d'abord à montrer comment toute hérésie, c'est-à-dire toute doctrine reposant sur le choix individuel (aïrèsis), en d'autres termes sur le libre examen, peut être écartée par une question préalable. Tertullien fait appel à sa science juridique. Il sait qu'il est, devant les tribunaux, des fins de non-recevoir, des exceptions, comme les appelle le droit romain, parmi lesquelles la principale est la prescription, exception péremptoire par laquelle un possesseur, placé dans certaines conditions, écarte, sans autre forme de procès, toute prétention d'un tiers à sa propriété. Tertullien plaidera la prescription contre toute hérésie, quelle qu'elle soit. Il pose son point de départ dans une série de faits incontestables, à savoir que Jésus-Christ a confié sa doctrine à ses apôtres, que ceux-ci l'ont transmise aux Eglises qu'ils ont fondées, et que de ces Eglises apostoliques sont sorties toutes les autres, comme autant de rejetons inséparables de leur souche commune. En d'autres termes, le mode institué par le Christ pour la propagation de sa doctrine est la tradition, et l'organe authentique de cette tradition est l'Eglise, en tant qu'elle se rattache aux apôtres par une chaîne ininterrompue. Dès lors, nul n'est admis à venir invoquer contre elle son interprétation personnelle. Tertullien lui criera : Qui êtes-vous ? Que faites-vous dans mon bien, vous qui n'êtes pas des nôtres ? Quand et d'où êtes-vous venu ? A quel titre, Marcion, coupez-vous ma forêt ? Qui vous a permis, Valentin, de détourner mes canaux ? C'est mon bien. Je suis en possession depuis longtemps. Je suis l'héritier des apôtres[146]. Il est difficile d'imaginer une verve plus entraînante. Cette verve, il est vrai, a parfois un accent âpre et rude, où la passion de l'homme se mêle trop au zèle du chrétien. Dans son traité Des spectacles, paru vers 200, le dur Africain ne peut réprimer un cri de satisfaction à la pensée des futurs châtiments des persécuteurs. Tu veux des spectacles, s'écrie-t-il. Pense à ceux que te montrera l'avenir. Quel plus beau spectacle que l'arrivée triomphante, superbe, du Seigneur ! Quelle plus belle scène que celle du dernier jugement ! Quels sujets d'admiration, de sourire, de joie ! Voir tous ces rois expier dans les ténèbres la gloire de leur apothéose ! Voir tous ces proconsuls dévorés par des flammes plus cruelles que celles des bûchers qu'ils out allumés pour les chrétiens ! ces sages, ces philosophes, confondus ! ces poètes frissonnant de terreur devant le tribunal de Jésus-Christ ! ces tragédiens, dont les hurlements seront autrement dramatiques qu'ils ne l'étaient sur la scène, et ces histrions, si souples, dont les corps s'assoupliront encore en se tordant au milieu des flammes ![147]... L'apologétique chrétienne faisait entendre une note plus douce avec l'Octavius de Minutius Felix et l'Epître à Diognète. La publication de l'Octavius a-t-elle précédé ou suivi la publication de l'Apologétique de Tertullien ? La critique n'a point encore donné une réponse définitive à cette question, mais elle a fixé la composition de l'ouvrage aux dernières années du IIe siècle. L'auteur de cet opuscule, écrit en forme de dialogue, était avocat comme Tertullien, et peut-être aussi Africain. Mais le contraste entre les deux apologistes est frappant. Minutius Felix évite tout ce qui pourrait choquer les préjugés des lettrés païens à qui il s'adresse. Il relève toutes les turpitudes du polythéisme et venge le christianisme des calomnies amassées contre lui ; mais il fait appel, pour établir ses arguments, aux sages de la Grèce et de Rome, plutôt qu'aux écrivains sacrés. Les mystères de la foi chrétienne sont laissés dans l'ombre. Le but de l'auteur n'est pas d'introduire son lecteur dans l'intérieur du temple, mais d'en faciliter les abords. Même lorsqu'il critique le plus vivement les horreurs païennes, son langage respire une douceur communicative. L'art de la composition et l'élégance du style ont fait appeler ce petit dialogue la perle de l'apologétique chrétienne. Les meilleurs écrivains profanes du IIe siècle, un Fronton, un Aulu-Gelle et un Apulée ne sauraient contester le premier rang à l'auteur de l'Octavius[148]. Le même charme de style et la même douceur de sentiment se trouvent dans un autre opuscule, écrit en grec, dont l'auteur est inconnu et dont la date ne peut être fixée avec précision, mais qu'on peut vraisemblablement placer, avec Zeller et Funk, à la fin du IIe siècle ou aux premières années du IIIe : l'Epître à Diognète[149]. Le principal argument de l'auteur consiste à décrire la vie toute surnaturelle que mènent les vrais chrétiens, puis à montrer comment l'Eglise, dépositaire du trésor de la Révélation et dispensatrice de la grâce par les sacrements, n'est pas seulement l'économie divinement organisée pour la sanctification d'une société choisie, mais qu'elle est aussi, soit par l'influence rayonnante de ses vertus, soit par les bénédictions qu'elle attire sur le monde, un instrument de salut pour l'humanité tout entière. Rien de plus profond que les paroles suivantes : A parler simplement, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde... La chair déteste l'âme et lui fait la guerre, parce qu'elle est empêchée par l'âme de se livrer aux plaisirs ; le monde à son tour, et pour la même raison, déteste les chrétiens... L'âme est enfermée dans le corps, et elle- même contient le corps ; les chrétiens sont dans le monde comme dans une prison, et eux-mêmes contiennent le monde[150]. |
[1] P. ALLARD, Hist. des pers., t. I,
Introduction, p. III.
[2] Liber pontificalis, I,
131.
[3] Clerum composuit, loc. cit.
[4] Clerum composuit, loc. cit.,
note 3.
[5] Clerum composuit, loc. cit.
[6] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXIV.
[7] Il ne
peut être question de la tonsure, qui était encore au VIe siècle un insigne
épiscopal. (DUCHESNE, Lib. pont., I, 134,
note 3.)
[8] Liber pontificalis, I,
135.
[9] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch.
XXIII, n. 10.
[10] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch.
XXIII, n. 11.
[11] La Grande-Bretagne était alors
province romaine, et ne pouvait avoir de roi proprement dit.
[12] DUCHESNE, Lib. pont., t. I,
Introduction, p. CII-CIV.
[13] Saint Cyprien donne au pape
Corneille le nom de martyr pour le seul fait d'avoir accepté
de siéger à Rome dans la chaire apostolique, au moment où le tyran lançait les
plus terribles menaces. (P. L., t. III, col. 774-775.)
[14] Ces
actes, dit Dom Leclercq, défient la critique.
Ils furent écrits moins d'un an après l'événement. Dom LEGLERCQ, les Martyrs, I, 66.
[15] FUNK, Patres apostolici, t.
I, p. 314-345. Sur l'authenticité de ce récit, voir ibid., p. CI-CV.
[16] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch. XIII,
cite un édit par lequel Antonin aurait interdit de poursuivre et de punir un
chrétien sous la seule inculpation de christianisme. Tillemont n'avait pas
hésité à admettre l'authenticité de cette pièce ; mais elle était généralement
abandonnée de nos jours, et M. Paul Allard croyait pouvoir écrire, en 1885, Hist.
des pers., I, 293 : Le caractère apocryphe de
cette pièce n'a pas besoin d'être démontré. Il est évident. M. Harnack,
en 1895, a soumis le document à un nouvel examen, et, de son étude, il a cru
pouvoir conclure que le document est composé de plusieurs fragments, les uns
authentiques et les autres interpolés. Le savant critique s'est appliqué
ensuite à reconstituer le texte authentique sous les remaniements que nous
possédons. Il en résulterait que l'empereur ne permettait pas de poursuivre un
chrétien sous l'inculpation de christianisme, mais qu'on pouvait le faire sous
celle d'athéisme, laquelle aurait été une inculpation de droit commun. Sur
cette opinion du savant allemand, voir Louis SALTET, l'Edit d'Antonin, dans
la Revue d'hist. et de lit. rel., C. I, 1896, p. 383-392.
[17] P. ALLARD, op. cit., I, 329.
[18] Le pouvoir impérial, transmis
par l'hérédité sous les Césars et les Flaviens, se transmettait par adoption
sous les Antonins.
[19] TERTULLIEN, Ad Nat., I, 9 ; Apol., 40.
[20] Ces actes ne sont point les
actes originaux, c'est-à-dire la transcription pure et simple des
procès-verbaux judiciaires dressés par les païens et vendus aux fidèles par les
agents du tribunal (voir, sur ces actes originaux, E. LE BLANT, les Actes des martyrs,
dans les Mémoires de l'Académie des Inscr. et Bell.-Lett., t. XXX, 2e
partie) ; mais ils en dépendent étroitement et ont dû être rédigés un an après
l'événement. Ces Actes, dit Tillemont, n'ont rien que de bon. TILLEMONT, Mémoires, t. Il, p.
352. Cf. P. ALLARD, Hist. des pers., I, 342 et s. ; ROSSI, Bolletino, 1863, p. 19
; Dom LECLERCQ, les Martyrs, I, 210 et s.
[21] Il s'agit de Marc-Aurèle. Voir
ROSSI,
ALLARD
et LECLERCQ,
loc. cit. Le nom d'Antonin était donné à tous les princes de la dynastie
des Antonins.
[22] LECLERCQ, les Martyrs, I,
210-214.
[23] Deuxième Apologie, ch.
XII.
[24] Dial., ch. VIII.
[25] EUSÈBE, H. E., 1. IV, ch. XI ;
JUSTIN,
Dial., ch. 1.
[26] Dial., ch. LXXXII.
[27] Deuxième Apologie, ch.
III, n. 2.
[28] Deuxième Apologie, ch.
III, n. 5.
[29] Deuxième Apologie, ch.
III, n. 4.
[30] Deuxième Apologie, ch.
III, n. 1.
[31] TATIEN, Orat. ad Grec., XXX ; EUSÈBE, H. E., l. IV, ch. XVI, n.
8.
[32] LECLERCQ, op. cit., I, 86-89.
[33] Renan a fait de vains efforts
pour disculper Marc-Aurèle, l'empereur philosophe, de la mise à mort de Justin,
le premier philosophe chrétien. Sa tentative pour reculer le martyre de saint
Justin jusqu'au règne d'Antonin le Pieux, n'a pas convaincu les savants. Voir ALLARD, Hist. des pers., I,
265-266.
[34] Voir dans MARTIGNY, Dict. d'archéol. chrét.,
au mot Balneum, une figure faisant comprendre de quelle manière
l'asphyxie pouvait être déterminée par un dégagement de vapeur brûlante dans
une salle de bains de l'ancienne Rome. Cf. ALLARD, op. cit., 423-424.
[35] Sur le martyre de sainte
Cécile, voir P. ALLARD, op. cit., I, 419-430 ; ROSSI, t. II, p. XXXIII, 150, 155,
161 ; Dom GUÉRANGER, Sainte Cécile, Paris, 1874. On place la date du
martyre de sainte Cécile de 177 à 180.
[36] A l'exception d'Ernest Havet,
dont on connaît les extraordinaires partis pris, tous les historiens des
premiers siècles de l'Eglise, les anciens comme les modernes, Tillemont, Renan,
Harnack, Aubé, Gaston Boissier, Mgr Duchesne, etc., eut considéré cette lettre
comme étant d'une authenticité incontestable. Un professeur de l'Université de Chicago,
James Westfall TOMPSON, vient d'essayer de contester cette authenticité dans The
American Journal of Theology, t. XVI, juillet 1912, p. 359-384. Son
principal argument est qu'avant Eusèbe, c'est-à-dire avant le IVe siècle, aucun
historien, soit païen, soit chrétien, n'a parlé des fidèles martyrisés à Lyon
en 177. M. Paul ALLARD, dans la Revue des quest. hist. du 1er janvier
1913, p. 53-67, réfute cette théorie paradoxale en montrant, après le P. DE SMEDT (Principes de la crit. hist.,
ch. XIII et XIV), HARNACK (Mission, I, 381), et BOISSIER (Fin du pagan., I,
242-247), que l'argument négatif ne saurait être par lui-même une preuve
historique.
[37] RENAN, Marc-Aurèle, p. 340.
[38] A. DE BARTHÉLEMY, les Assemblées nationales
dans les Gaules, dans la Revue des quest. hist., de juillet 1868, p.
14-22.
[39] Il était appelé sacerdos trium provinciarum Galliæ. ORELLI, 184.
[40] BOISSIEU, Inscriptions antiques de
Lyon, p. 467 ; Aug. BERNARD, le Temple d'Auguste et la
nationalité gauloise, Lyon, 1863, p. 30.
[41] TILLEMONT, Mémoires, t. III, p.
35 et s., 38 et s. Cf. BULLIOT, Essai historique sur
l'abbaye de Saint-Martin d'Autun, p. 47-50.
[42] A l'endroit où la pente de la
Croix-Rousse devient abrupte, vers l'ancien Jardin des Plantes.
[43] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. I, n. 13.
[44] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. I, n. 56.
[45] Voir leurs noms dans le Martyrologe
hiéronymien, édit. ROSSI-DUCHESNE, p. 73, et dans LECLERCQ, les Martyrs, I,
106-107. On remarque que la moitié environ des martyrs portent des noms grecs,
la moitié des noms latins ; ce qui permet de conclure à une pareille proportion
numérique dans la chrétienté lyonnaise.
[46] Sur la distinction des Eglises
de Lyon et de Vienne, admise par HARNACK, Die Mission, n. 327,
et niée par Mgr DUCHESNE, Fastes épiscopaux, 2e édit., p. 41, voir E. VACANDARD, dans le Bulletin
d'ancienne littérature et d'archéologie, 1912, p. 128-131.
[47] MARC-AURÈLE, Pensées, III, 5.
[48] P. ALLARD, op. cit., I, 433 et s.
[49] P. ALLARD, op. cit., I, 435.
[50] P. ALLARD, op. cit., 436. Cf. LECLERCQ, op. cit., 108 et s. ; Analecta
bolland., XI, p. 102.
[51] La colonie romaine de
Scillium, en Afrique, dépendait de Carthage.
[52] LECLERCQ, op. cit., p. 109-111.
[53] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
t. I, p. 251-252 et note.
[54] ALLARD, op. cit., p. 442 ; Acta Sanctorum, août, III, 700.
[55] Saint IRÉNÉE, Hæres., IV, 33.
[56] DION, LXXII, 4.
[57] EUSÈBE place cette apologie au temps
d'Hadrien. On n'en possédait, jusqu'en 1889, qu'un fragment arménien. A cette
époque, un Américain, Rendel Harris, en a découvert, au couvent de
Sainte-Catherine du Sinaï, une fidèle traduction syriaque, qui a conduit les
savants à placer sa composition à l'époque d'Antonin.
[58] L'apologie d'Aristide a laissé
des traces dans l'ancienne littérature arménienne ; elle a été reproduite dans
la fameuse Vie de Barlaam et Joasaph. Voir BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise,
I, p. 142.
[59] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
I, 212.
[60] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise,
trad. Godet et Verschaffel, t. I, p. 169.
[61] ATHÉNAGORE, De la résurrection, n.
11
[62] ATHÉNAGORE, De la résurrection, n.
1.
[63] THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Ad Autolycum, l. I,
ch. IV.
[64] THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Ad Autolycum, l. II,
ch. I.
[65] THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Ad Autolycum, l. I,
ch. I.
[66] THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Ad Autolycum, l. I,
ch. XIV.
[67] THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Ad Autolycum, l. II,
ch. XV. Théophile appelle les trois personnes : Dieu, le Verbe et la Sagesse.
[68] Voir Acta Thomæ, édit,
Max BONNET,
p. 73.
[69] Hébreux, VI, 4-8.
[70] Saint IRÉNÉE, l. I, ch. IXV, n. 5.
[71] Saint IRÉNÉE, l. I, ch. VI, n. 3.
[72] Saint IRÉNÉE, l. I, ch. XIII, n. 7.
[73] FUNK, Patres apostolici, t.
I, p. CXXX.
[74] Qu'Hermas, frère de Pie Ier,
soit l'auteur du Pasteur, on ne le met plus en doute. Mais on se demande si le
même auteur ne s'y serait pas repris à plusieurs fois pour écrire son livre.
Cette hypothèse de rédactions successives a été défendue, en 1910, par M. GROSSE-BRAUKMANN dans sa brochure De
compositione Pastoris Hermæ, Göttingen, in-8°.
[75] HERMAS, Simil., IX, 18, 3-4.
[76] HERMAS, Simil., IX, 23.
[77] HERMAS, Simil., IX, 23-5 ; VII, 1.
[78] HERMAS, Préceptes, IV, 1-8. Cf. IV, 3-6.
[79] HERMAS, Visions, I-II. Cf.
III, 2-7 ; Simil., VIII, 9-4.
[80] Voir Adhémar D'ALÈS, La discipline
pénitentielle d'après le Pasteur d'Hermas, dans les Recherches de
science religieuse, 1911, p. 105-139, 240-263. L'œuvre
d'Hermas, dit le P. d'Alès, n'est pas un
document officiel, mais c'est un document privé de très haute valeur, parce
qu'il reflète avec une grande naïveté les préoccupations des pasteurs de
l'Eglise romaine au IIe siècle et les expédients de leur zèle... Aux catéchumènes, on comprend qu'elle jugeât inopportun de
détailler toutes les chances qu'ils pouvaient avoir de se réconcilier avec Dieu
s'ils venaient à pécher après le baptême. Aux chrétiens tombés après le
baptême, nommément aux adultères et aux apostats (ou idolâtres), elle offrait
pour une fois, moyennant pénitence, non seulement le pardon divin, mais encore,
— tout le livre d'Hermas en témoigne, — la réconciliation ecclésiastique. En
même temps, elle avait soin de les avertir que cette grâce ne se renouvelait
pas. A ceux qui, après une première réconciliation, venaient à retomber, on ne
voit pas bien ce qu'elle offrait, mais sans aucun doute elle ne les désespérait
pas. Or, quelles que soient les sévérités du Pasteur pour les
δίψυχοι, si une chose ressort clairement de
ce livre, c'est que quiconque a la volonté de faire pénitence, peut rentrer en
grâce avec Dieu (p. 265).
[81] Hermas
ne se sert jamais des noms de Verbe ou de Jésus-Christ pour désigner le
Sauveur. Il le désigne toujours par le terme de Fils de Dieu, ou encore de
Seigneur (Vis., ni, 7-3). Ce Seigneur est, pendant sa vie mortelle, composé de
deux éléments, une humanité ou une chair, et un Esprit-Saint qui habite en elle
(Simil., V, 6, 5, 6). Dès lors, la question qui se pose est celle-ci :
Hermas ne confond-il pas l'élément divin uni à la chair de Jésus-Christ, avec
l'Esprit-Saint ? TIXERONT, Histoire des dogmes,
I, 127-128. Il parait bien n'y avoir là qu'une imprécision de langage. Dans la
préface de sa traduction du Pasteur d'Hermas, Paris, Picard, 1912, M. Auguste LELONG prétend qu'avant Hermas
l'Eglise n'usait pas de miséricorde envers les pécheurs, et que son changement
d'attitude est dû à Hermas. Ces assertions, toutes gratuites, et contraires
même aux inductions les plus sûres, ont été vivement et victorieusement
combattues par A. D'ALÈS, dans les Etudes, t.
CXXXII, 1912, p. 87-93. Cf. A. D'ALÈS, la Discipline
pénitentielle au Ils siècle en dehors d'Hermas dans les Recherches de
science religieuse, de mai-juin 1913, p. 201-222.
[82] Vis., II, 4, 1. Cf. Vis.,
I, 1-6 ; III, 3-5.
[83] Simil., IX, 12, I, 7,
8.
[84] Vis., II, 2-6 ; II, 4-3
; III, 1-8 ; III, 5, 1.
[85] Vis., III, 9, 7, 10.
[86] Vis., II, 3. Pourquoi
cette mention de Clément de Rome, alors qu'Hermas écrivait sous le pontificat
de Pie, son frère ? Les uns ont supposé qu'Hermas n'avait fait que reprendre et
amplifier une œuvre ancienne, remontant au pontificat de saint Clément, et
depuis plusieurs fois rééditée et retouchée. D'autres pensent qu'il a
simplement voulu donner à son œuvre un aspect archaïque. Clément de Rome, grand
Pape, ne personnifiait-il pas la Papauté ? On a remarqué, d'autre part, que la
description de la hiérarchie romaine donnée dans le Pasteur se réfère
pareillement à une époque ancienne.
[87] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise,
I, 147.
[88] PAUTIGNY, Justin, Apologies, texte
et traduction, Paris, 1904, p. XII-XIII.
[89] ARCHAMBAULT, Justin, Dialogue, texte et
traduction, Paris, 1909, t. I, p. LXXXIV.
[90] C'est ce que saint Justin
appelle λόγος
σπερματικός,
σπέρμα τοΰ
λόγου. Deuxième Apologie, VIII.
[91] Épître aux Romains, II,
14-15.
[92] Jean, I, 1.
[93] Deuxième Apologie,
VIII. Le résumé que nous donnons ici de la doctrine de saint Justin sur le
Verbe est emprunté à Mgr FREPPEL, les Apologistes chrétiens
du IIe siècle, 3e édit., p. 327-328. Ce résumé lui-même est fait d'emprunts
textuels à saint Justin.
[94] Première Apologie, XLVI
; Deuxième Apologie, VIII, XVI, XIII, XIV. FREPPEL, les Apologistes du IIe
siècle, 3° édit., p. 327-328.
[95] FREPPEL, les Apologistes du IIe
siècle, 3e édit., p. 328.
[96] Conformément aux paroles de la
Sainte Ecriture : Christus hodi, hodie et in sæcula
(Hébreux, XIII, 8). In ipso omnia constant.
(Colossiens, I, 17.)
[97] Voir sur ce sujet FREPPEL, Saint Justin, p.
224-227.
[98] Dial., 56, 60, 61, 126,
127 ; Apologie, I, 13.
[99] Sur le subordinationisme de
saint Justin, voir TIXERONT, Histoire des dogmes,
t. I, p. 237-239.
[100] Dial., trad. ARCHAMBAULT, t.
II, p. 37.
[101] M. A. PUECH, dans son savant ouvrage sur
les Apologistes grecs du IIe siècle, 1 vol. in-8°, Paris, 1912, a
démontré que si saint Justin et les autres apologistes de cette époque
cherchent à exprimer le dogme chrétien dans le langage philosophique de leur
temps, ils ne sont point pour cela des philosophes à la manière des païens. Ce
sont des chrétiens avant tout, des disciples de Jésus, allant d'abord chercher
la vérité dans les Evangiles. M. Puech conclut ainsi son étude : C'est une révélation interprétée par la raison qu'ils nous
invitent à accepter ; mais c'est d'abord une révélation. (PUECH, op. cit., p. 307.) Le
travail le plus important sur la théologie de saint Justin est celui du P. FEDER, S. J., Justins des
Martyrers von Jesus Christus, dem Messies und dem Menschgewordenen Sohne Gottes,
Fribourg-en-Br., Herder, 1906. A la suite de Petau, de Newman et de Mgr
Duchesne, le R. P. Feder ne peut se refuser,
nous dit-il, à voir dans les expressions de Justin des
traces de ce subordinationisme moyen qui, tout en rejetant l'arianisme, apporte
des restrictions à l'égalité parfaite de nature ou comporte une dépendance de
la personne. Le silence relatif de Justin sur la nature de la troisième
personne de la Trinité s'explique, nous dit le P. Feder, par le but de ses
écrits.
[102] Apologétique, XLV,
XLVI, XLVII.
[103] FREPPEL, les Apologistes chrétiens
du IIe siècle. Saint Justin, 3e édit., p. 304-305. De savants travaux sont
venus compléter la description donnée par saint Justin. En comparant cette
description soit avec les quelques indications données par la Didachè et
l'Epître de saint Clément, soit avec les divers monuments archéologiques et
liturgiques que la science a mis au jour, on a pu reconstituer, dans ses
grandes lignes, l'histoire de la formation des cérémonies de la Messe. Le court
récit tiré de l'Evangile, qui s'étend, au rite romain, des mots Qui pridie à Hoc
facite in meam commemorationem, c'est-à-dire le récit de la première
consécration faite par Jésus-Christ à sa dernière Cène, a formé ce qu'on
pourrait appeler le noyau de la Messe et même le noyau de toute la liturgie.
Pour se préparer à renouveler le grand acte du Sauveur, les premiers chrétiens,
à l'exemple de Notre-Seigneur lui-même, adoptèrent le rituel qui présidait aux
réunions juives, et qui consistait en lectures choisies de la Bible, chant de
psaumes, prédication et prière finale. Ils y ajoutèrent seulement la lecture
des Epitres apostoliques et des Evangiles quand ils furent écrits. Ce fut
l'origine de la partie que les liturgistes ont appelée l'Avant-Messe, ou la
messe des catéchumènes. Après le renvoi de ceux-ci, la Messe proprement dite
commençait. Le prêtre louait d'abord Dieu le Père, Créateur de toutes choses.
Ce fut l'origine de la Préface et du Sanctus. Le récit de la Cène rappelait
ensuite l'Incarnation de Dieu le Fils, et sa Passion suivie de sa Résurrection
glorieuse. Une invocation à l'Esprit sanctificateur ou Epiclèse acheva le rite
d'hommage à la Sainte Trinité. Restait la communion des fidèles. On la fit
précéder de l'Oraison dominicale et suivre d'une action de grâces. Toute la
trame de la Messe fut ainsi fixée. Mais il faut bien remarquer que dans la
messe primitive deux parties seulement étaient immuables : le récit de la Cène
et le Pater. En dehors de ces deux parties, le prêtre se livrait aux
improvisations de sa piété. Cette liberté ne tarda pas à faire place dans
chaque Eglise à des rites déterminés. Ces rites prirent en Orient un type fixe
; l'Occident présenta, au contraire, une grande variété, qui se manifesta par
les liturgies milanaise, africaine, hispano-gothique ou mozarabe, celtique et
gallicane ; mais de toute cette variété liturgique, le récit de la Cène restait
toujours le noyau. De tous les développements que la liturgie de la messe a
pris au cours des âges, s'il faut en croire les liturgistes, il n'y en aurait
pas un seul qui ne se rattachât à ce premier récit ; en d'autres termes,
suivant la pittoresque expression de M. Vigourel, toute
la complexité de la Messe se réduirait à projeter, agrandi sur l'écran des
siècles, un des éléments de la photographie minuscule que nous offre le récit
liturgique de la Cène. A. VIGOUREL, un Essai de synthèse
liturgique, dans la Revue du clergé français du 15 mai 1906, p. 579.
Cf. VIGOUREL,
Cours synthétique de liturgie, 1 vol., Paris, 1904, et la Liturgie et
la vie chrétienne, Paris, 1909.
[104] J. RIVIÈRE, Saint Justin et les
apologistes du IIe siècle, 1 vol. in-16°, Paris, 1911.
[105] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. IV,
n. 2.
[106] Le vrai titre de l'ouvrage est
celui-ci : la Fausse science (gnose) démasquée et réfutée ; mais
il est ordinairement cité sous ce titre plus bref : Adversus hæreses.
L'ouvrage de saint Irénée a été écrit en grec, mais nous ne l'avons que dans
une vieille traduction latine.
[107] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
I, 192. Le chapitre de Mgr Duchesne sur le gnosticisme a été reproduit par le
R. P. d'Alès dans son Dictionnaire apologétique de la foi catholique, au
mot Gnosticisme.
[108] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
I, p. 183.
[109] FREPPEL, Saint Irénée, 3°
édit., p. 287.
[110] FREPPEL, Saint Irénée, 3°
édit., p. 185.
[111] TERTULLIEN, Adv. Valent., 5. P.
L., II, 548.
[112] FREPPEL, Saint Irénée, 3e
édit., p. 357-358. L'ouvrage de Mgr Freppel,
dit M. Dufourcq, est toujours à consulter. (DUFOURCQ, Saint Irénée,
collection des Saints, p. 189.) On peut, du reste, vérifier l'exactitude
du résumé fait par Mgr Freppel on lisant l'Adversus hæres., l. II, c.
XXX. M. Dufourcq a donné une traduction française de ce passage dans son Saint
Irénée, collection de la Pensée chrétienne, p. 88-92. Ce dernier
ouvrage donne la substance de tout le livre de saint Irénée, dont les
principaux passages sont littéralement traduits.
[113] Hær., l. I, ch. X, n. 1.
[114] Hær., l. I, ch. IX, n. 4.
[115] Hær., III, præf.
[116] Hær., l. I, ch. VI, n. 3 ; ch. XIII, n.
5.
[117] Hær., l. III, ch. I, n. 1.
[118] Hær., III, ch. III, n. 2.
[119] Hær., l. III, ch. III, n. 2-3. C'est par saint
Irénée surtout que nous connaissons la liste des premiers pontifes romains. Il
l'avait probablement empruntée à Hégésippe. Cf. Dom CHAPMAN, la Chronologie des
premières listes épiscopales de Rome dans la Revue bénédictine,
XVIII, 1901, p. 399-417 ; XIX, 1902, p. 13-17 et 145-170 ; MICHIELS, Origine de l'épiscopat,
p. 306-336.
[120] Ad
hanc enim Ecclesiam, propter potentiorem principalitatem necesse est omnem
convenire Ecclesiam, Hœres., l. III, ch. III, n. 2. Voir un
excellent commentaire de ce texte dans BATIFFOL, l'Eglise naissante, 5e
édit., p. 250-253. Il est difficile de trouver,
a écrit Mgr Duchesne, une expression plus nette : 1°
de l'unité doctrinale dans l'Eglise universelle ; 2° de l'importance unique,
souveraine de l'Eglise romaine, comme témoin, gardienne et organe de la
tradition apostolique ; 3° de sa prééminence supérieure dans l'ensemble des
chrétientés. (DUCHESNE, Eglises séparées, p.
109.) Sur l'exégèse de ce texte et surtout des mots qui suivent, hoc est eos qui sunt undique fideles, in qua semper ab his
qui sunt undique conservata est ea quæ est ab apostolis traditio,
voir Dom MORIN, Revue bénédictine, 1908, p. 515-520. Harnack,
Duchesne et Funk rapportent in qua non pas à l'Eglise romaine, mais aux Eglises
autres que la romaine. Le savant bénédictin met en pleine lumière que sunt undique, dans l'incise, est une erreur de
copiste : ces deux mots tiennent la place d'autres qui désignaient les chefs de
l'Eglise (præsunt, sunt undecim ?) Dès
lors, rien ne s'oppose à ce qu'on rattache in qua à l'Eglise romaine, et le
texte ainsi compris rend un hommage plus éclatant encore à la primauté du Siège
apostolique.
[121] Jean, XVII, 3.
[122] On a relevé dans saint Irénée
quelques expressions subordinatiennes, c'est-à-dire semblant favoriser la
théorie de la subordination du Fils au Père, par exemple, l. III, ch. VI, n. 1
; l. V, ch. XVIII, n. 2 et 3. Mais saint Irénée ne fait guère que répéter dans
ces passages les expressions des Evangiles et de saint Paul. Il faut
reconnaître, d'ailleurs, que ses expressions, comme celles d'Hermas et de saint
Justin, n'ont point la précision qu'auront celles des Pères après les
définitions du Concile de Nicée. S'il peut être disculpé de l'erreur
subordinatienne, saint Irénée ne peut l'être de l'erreur millénariste, due,
sans doute, à sa déférence excessive à l'égard de l'autorité de Papias. (Hœres.,
l. V, ch. XXVIII. FREPPEL, op. cit., p. 486 ; TIXERONT, op. cit., p. 260.)
[123] Hœres., l. III, ch. V,
n. 6.
[124] Hœres., l. III, ch. XVI, n. 9 ; ch. XVIII, n. 1-2. Sur
l'explication de la Rédemption par saint Irénée, voir RIVIÈRE, Histoire du dogme de la
Rédemption. M. Rivière montre qu'on a souvent interprété les expressions de
saint Irénée dans un sens trop étroitement littéral. Le
relief qu'il donne à Satan est pour lui le moyen de concevoir et d'exprimer les
lois de la Providence divine que l'économie du salut révèle à la raison.
J. RIVIÈRE, la Doctrine de saint Irénée sur le rôle du démon dans la
Rédemption, dans le Bulletin d'ancienne littérature et d'archéologie
chrétienne, 1911, p. 169-200. D'ailleurs, lors même qu'on devrait prendre
plus à la lettre la question du rachat de l'homme des mains du démon, et
admettre que, suivant saint Irénée, le démon a un rôle positif dans le drame de
la Rédemption, ce rôle serait, d'un bout à l'autre, celui de l'usurpateur et de
l'imposteur. De Dieu à lui, on pourrait dire que la justice s'exerce, mais comme elle s'exerce du justicier au larron qu'il démasque et
force à rendre gorge. Cette seconde interprétation est donnée par P. GALTIER dans les Recherches de
science religieuse, 1911, p. 1-24, 1912, 345-355. Cf. la discussion qui
s'est élevée à ce sujet entre J. Rivière et P. Galtier dans Recherches de
science religieuse, mai-juin 1913, p. 263 et s.
[125] Hæreses, l. V, ch. XXXVI, n. 2.
[126] Hæreses, l. V, ch. II.
[127] Hær., l. III, ch. XXII ; l. V, ch. XIX. Sur cette conception de la
dévotion à Marie et les origines de la dévotion à la Sainte Vierge, voir NEWMAN, du Culte de la Sainte
Vierge, lettre au Dr Pusey, trad. Dupré de Saint-Maur, Paris, 1866, p.
36-51.
[128] Voir A. DUFOURCQ, Saint Irénée,
collection des Saints, p. 184, et Saint Irénée, collection de la Pensée
chrétienne.
[129] DE FAYE, Introduction à l'étude du
gnosticisme dans la Revue de l'histoire des religions, t, XLVI,
1902, p. 166-167.
[130] Il est douteux qu'on doive lui
attribuer les passages introduits dans les Pandectes sous le nom de
Tertullien.
[131] TERTULLIEN, De patientia, ch. I.
[132] Apologétique, XLVI.
[133] Ad nationes, l. I, passim.
[134] De anima, III.
[135] De anima, I. Adhémar D'ALÈS, la Théologie de Tertullien,
1 vol. in-8°, Paris, 1905, p. 2.
[136] A. D'ALÈS, op. cit.
[137] A. D'ALÈS, op. cit., p. XIII.
[138] De test. anim., I.
[139] De test. anim., I.
[140] De anima, XLI.
[141] Sur les assertions, en ce
sens, de GUIGNEBERT, Tertullien, Paris,
1901, p. 256, et de COURDAVEAUX, Revue de l'histoire des
religions, t. XXIII. 1891, p. 1-35, voir D'ALÈS, op. cit., p 34, et Dom
CARROL,
dans la Science catholique, t. V, 1891.
[142] Voir l'analyse de ces trois
preuves dans A. D'ALÈS, op. cit., p. 5-33.
[143] De carne Christi, V.
[144] Apologétique, XXI.
[145] Le texte exact de ce mot, si
souvent cité, est celui-ci : Semen est sanguis
christianorum. Apologétique, IV. Une savante traduction de
l'Apologétique de Tertullien, accompagnée d'un commentaire analytique et
historique et de trois appendices, a été publiée à Louvain, en 1910, par J.-P.
WALTZING,
professeur à l'Université de Liège.
[146] De præscr., XXXVII.
[147] De spectac., XXX.
[148] Une savante édition critique
de l'Octavius par P. WALTZING a paru à Leipzig en 1912. Une
traduction française a été publiée par F. RECORD, Paris, Bloud, 1911.
[149] Le manuscrit qui nous a
conservé l'Epître à Diognète, et, que le bombardement de Strasbourg a
détruit en 1870, ne datait que du XIIIe siècle. Sur la date de sa composition,
voir FUNK,
Patres apostolici, t. I, p. CXIII. Cf. BARDENHEWER, t. I, p. 130-138.
[150] Ep. à Diognète, VI, I, 5-7.