La politique pacificatrice qui avait permis à l'apôtre saint Jean de revenir à Ephèse, d'y publier son Evangile et d'y mourir en paix, au milieu d'une communauté toujours grandissante, s'était continuée pendant tout le règne de l'empereur Nerva, L'avènement de Trajan, en 98, sembla d'abord consolider la politique religieuse de son prédécesseur. Le premier acte du nouveau souverain avait été une longue lettre au sénat, dans laquelle il promettait de ne faire mourir aucun homme de bien[1]. Rome accueillit avec une sympathie marquée ce soldat, fils de soldat, couvert de gloire à quarante-deux ans, de tenue austère, malgré certaines faiblesses cachées[2], à la parole nette, précise et forte, malgré l'insuffisance de sa culture littéraire[3]. La vieille aristocratie sénatoriale se reconnut en ce prince, au bon sens robuste, mais court ; au patriotisme ardent, mais étroit ; à l'esprit conservateur, mais peu perspicace ; prêt à tout sacrifier à l'ordre romain et à l'unité de l'empire, mais n'ayant nullement le souci des choses de l'âme, ni le respect des libertés intérieures, ni le sens des délicatesses de la conscience ; bref, capable d'interpréter dans un esprit de judicieuse tolérance le devoir de rendre à César ce qui est à César, mais incapable de respecter et peut-être même de comprendre le devoir de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Tel fut Trajan. Pline lui fait gloire d'avoir, après les quinze ans de divinité de Domitien, refusé de se dire Dieu[4]. S'il eut un dieu, ce fut celui de l'unité romaine, et, comme cette unité reposait, à son avis, sur l'unité du culte religieux, il fut possible de prévoir, dès le début de son règne, que les chrétiens auraient tout à redouter de l'étroitesse de son patriotisme. Un esprit plus large et plus profond eût compris que le christianisme, loin de porter atteinte aux bases nécessaires de l'empire, pouvait les raffermir. Si les chrétiens n'étaient point disposés à donner à leurs souverains un hommage d'adoration, ils priaient pour eux d'un cœur sincère et ils leur obéissaient avec loyauté. Nous avons vu la belle prière pour l'empereur, communiquée aux chrétiens de Corinthe par le pape saint Clément au lendemain de la persécution de Domitien, et nous connaissons les leçons d'obéissance données par saint Paul aux fidèles de Rome sous la tyrannie de Néron. Trajan n'eut pas assez de perspicacité pour voir dans l'Eglise la grande école de respect[5], qui eût peut-être sauvé contre des dangers plus réels l'unité de l'empire. Ni plus ni moins que Néron, il vit l'ennemi là où était l'auxiliaire ; le christianisme resta pour lui l'odium generis humani[6]. Il est probable qu'il y eut des martyrs dès les premières années du gouvernement de Trajan[7] ; mais le rescrit où s'exprime la politique de l'empereur à l'égard des chrétiens est de 111 ou 112. Il importe de s'arrêter à cet acte impérial, dont les principes domineront toute la politique religieuse des Antonins. Vers l'automne de l'année 111[8], Trajan reçut du légat de Bithynie, qui était alors Pline le Jeune, une longue lettre, lui exposant la situation embarrassante faite au représentant de l'empereur par le développement considérable du christianisme, et lui demandant une règle à suivre. Les germes de foi semés dans les diverses provinces de l'Asie Mineure par la prédication de saint Pierre et de saint Paul s'y étaient extraordinairement développés. Les communautés chrétiennes, profitant de la législation romaine sur les hétéries, ou corporations professionnelles et religieuses, se multipliaient de toutes parts, faisaient reculer le paganisme devant elles. Les temples étaient désertés ; le commerce des animaux destinés aux sacrifices subissait une crise. De là, des plaintes réitérées auprès du légat. Presque partout, dans ses tournées à travers la province qui lui avait été confiée, Pline s'était trouvé en présence de quelqu'un de ces chrétiens, dont il ignorait la doctrine, se souciant peu d'ailleurs de la connaître. Il savait seulement, dit-il, qu'ils se réunissaient à des jours fixés, avant le lever du soleil, pour chanter entre eux alternativement un hymne à Christus comme à un Dieu, et pour s'engager par serment, non à tel ou tel crime, mais à ne pas commettre de vols, de brigandages, d'adultères, à ne pas manquer à la foi jurée, à ne pas nier un dépôt réclamé. En magistrat intègre, soucieux de ne poursuivre que des crimes classés par la loi de son pays, Pline n'avait point jugé à propos de sévir contre de telles gens. Mais des délateurs étaient intervenus, dont quelques-uns anonymes, si nombreux, si pressants, que le légat n'avait pu s'empêcher d'agir. Dans ces conjonctures, continue-t-il, j'ai cru nécessaire de procéder à la recherche de la vérité par la torture sur deux servantes, de celles qu'on appelle diaconesses. Je n'ai rien trouvé, qu'une superstition mauvaise, démesurée. Aussi, suspendant l'instruction, j'ai résolu de vous consulter[9]... Au long mémoire du fin lettré, Trajan répondit avec cette impériale brièveté[10], qu'il tenait de son âme guerrière et faite pour le commandement : Tu as suivi la marche que tu devais, mon cher Secundus. En pareille matière, on ne peut établir une règle fixe pour tous les cas. Il ne faut point rechercher les chrétiens ; mais s'ils sont dénoncés et qu'ils soient convaincus, il faut les punir ; de façon cependant que celui qui nie être chrétien et qui prouve son dire par des actes, c'est-à-dire en adressant des supplications à nos dieux, obtienne le pardon... Quant aux dénonciations anonymes, il n'en faut point tenir compte[11]. Tertullien a parfaitement remarqué ce qu'il y a d'illogique dans cette décision. Trajan, s'écrie-t-il, défend de rechercher les chrétiens comme innocents, et il ordonne de les punir comme coupables ![12] L'illogisme est frappant, en effet, si l'on se place au point de vue moral. Mais Trajan, en parfait juriste de la vieille Rome, ne connaît guère ce point de vue quand la raison d'Etat lui paraît être en jeu. Les chrétiens ne commettent, il est vrai, aucun délit de droit commun ; mais, par cela seul qu'ils n'accomplissent pas certaines cérémonies rituelles à l'égard des dieux de l'Etat, ils troublent l'ordre romain. C'est précisément pour cela qu'une simple supplication aux dieux leur fera tout pardonner. L'ordre romain ne paraît point exiger, par ailleurs, que des enquêtes soient organisées contre les chrétiens : ce serait un bouleversement que la situation n'impose pas. Le délit de christianisme ne deviendra punissable que s'il est rendu manifeste par une dénonciation précise. Tel est, du moins, l'avis de Trajan. Plusieurs de ses successeurs tireront de son principe des conséquences plus sévères ; ils ne le modifieront pas essentiellement. Cette raison d'Etat, si injustement invoquée contre les chrétiens, sera mise en mouvement, tantôt par la jalousie des sectes juives, tantôt par les monstrueuses calomnies que les païens imagineront à propos des mystères chrétiens ; mais, même lorsque les édits de persécution sembleront dictés aux empereurs par les fureurs du peuple, la raison dernière des poursuites contre le christianisme restera ce principe qui, par Trajan, remonte jusqu'à la première persécution de Néron : le chrétien est l'ennemi de la civilisation romaine, entendue à la manière païenne, il est un objet de haine pour le genre humain[13]. Par là s'expliquera cette étrange anomalie, déconcertante au premier abord, que les plus violents persécuteurs de l'Eglise ne seront pas toujours les plus détestables au point de vue moral. Ceux-ci se soucieront souvent fort peu de l'unité romaine, tandis que les plus dévoués à l'Etat seront parfois portés à en faire une sorte de divinité, à laquelle ils sacrifieront tout[14]. II Tel fut le cas de l'empereur Trajan. La gloire de son règne, si brillant sous plus d'un rapport, est maculée par le sang de trois saints pontifes : le chef de l'Eglise de Rome, le chef de l'Eglise de Jérusalem et le chef de l'Eglise d'Antioche ; saint Clément, saint Siméon et saint Ignace. Le récit de la condamnation, de l'exil et de la mort du grand pape saint Clément nous a été conservé dans la Passio Clementis[15], que cite Grégoire de Tours[16], et que semble connaître l'auteur de la notice sur Clément Ier dans le Liber pontificalis[17]. On a depuis longtemps relevé les traits évidemment légendaires de ce document. Mais, dit le judicieux Tillemont, dans les histoires les plus fausses, il y a d'ordinaire quelque chose de vrai pour le fond[18]. Voici, d'après les meilleurs critiques, les éléments historiques que renferme cette pièce : Sous le règne de Trajan, le pape Clément fut, à l'occasion d'une sédition populaire, exilé dans la Chersonèse. Il y trouva deux mille chrétiens, condamnés depuis longtemps aux pénibles travaux de l'extraction du marbre. Clément les consola et les encouragea. De nombreuses conversions s'opérèrent dans le pays. Avec les matériaux des temples abandonnés et des bois sacrés abattus, des églises furent bâties. Ces faits parvinrent aux oreilles de l'empereur, qui épargna la multitude des chrétiens, mais ordonna au vieux pape de sacrifier aux dieux, sous peine de mort. Clément ayant refusé d'obéir à l'injonction du prince, le juge donna l'ordre de lui attacher une ancre au cou et de le jeter à la mer. Ce récit, dit M. Paul Allard, n'a en soi rien d'incroyable[19]. Mgr Duchesne a démontré que la tradition du martyre de saint Clément était sûrement établie à Rome dès la fin du IVe siècle[20]. Aucun document historique ne permet de fixer la date du martyre de saint Clément ; mais nous connaissons la date de la mort de saint Siméon, évêque de Jérusalem, et de saint Ignace, évêque d'Antioche. Ils périrent l'un et l'autre l'an 107[21]. L'histoire des derniers jours du saint évêque de Jérusalem est racontée par Eusèbe, qui en emprunte les détails au récit d'Hégésippe. Ce dernier, juif converti du IIe siècle, était bien placé pour être exactement renseigné. Siméon, fils ou petit-fils de Cléophas, et cousin du Sauveur, était âgé de cent vingt ans. Il fut dénoncé par des Juifs et par des chrétiens judaïsants, au double titre de chrétien et de descendant du roi David. L'accusation fut accueillie par le légat consulaire de la Palestine, Tiberius Claudius Atticus, qui fit torturer le vénérable vieillard. Le courage du saint évêque fit l'admiration de tous les assistants. Il fut enfin mis en croix, et mourut dans l'attitude du Sauveur. Hégésippe ajoute que les enquêtes commencées sur les descendants de David ayant été poursuivies, ceux-là mêmes qui avaient dénoncé leur pasteur furent arrêtés et mis à mort comme convaincus d'appartenir à la même famille. La justice de Dieu s'exerça ainsi dès ce monde sur les vils dénonciateurs[22]. Nous ignorons complètement les circonstances qui donnèrent
lieu à l'arrestation et à l'exécution de saint Ignace ; nous ne connaissons
aucun détail de son martyre ; mais nous avons mieux que cela : les lettres
authentiques dans lesquelles le courageux confesseur de la foi, à la veille
d'être broyé par la dent des lions, révèle sa grande âme. L'antiquité chrétienne, a-t-on écrit, aucune antiquité sans doute, n'offre rien de plus beau[23]. Le voyage du
martyr, déjà condamné par le tribunal d'Antioche, pour se rendre à Rome, le
long des côtes d'Asie, de Macédoine et de Grèce, fut un triomphe. La
réputation du saint évêque était déjà répandue dans toutes les Eglises,
surtout en Asie Mineure. Pourquoi la justice romaine l'avait-elle désigné
pour être mis à mort à Rome même, dans l'amphithéâtre ? On sait que les
Romains avaient la coutume de choisir, pour ces spectacles, les plus beaux
hommes, et ce ne fut pas, sans doute, la moindre des épreuves qu'eurent à
subir les martyrs chrétiens, que d'être ainsi donnés, comme en pâture, à la
curiosité populaire. Mais, par delà les bêtes féroces rugissantes, par delà
la foule avide d'émotions, ils contemplaient, comme le diacre Etienne, les
cieux ouverts. C'est l'exemple que donna saint Ignace. Dans la lettre qui
devait le précéder à Rome ; il écrivait à ses frères bien-aimés : Demandez pour moi la force, afin que je ne sois pas
seulement appelé chrétien, mais trouvé tel quand j'aurai disparu de ce monde.
Ce qu'on voit est temporaire ; ce qu'on ne voit pas est éternel... J'écris aux Eglises, je mande à tous que je veux mourir
pour Dieu, si vous ne m'en empêchez[24]. Laissez-moi être la nourriture des bêtes, par lesquelles
il me sera donné de jouir de Dieu. Je suis le froment de Dieu : il faut que
je sois moulu par la dent des bêtes pour que je sois trouvé pur pain du
Christ... Feu et croix, troupes de bêtes,
dislocation des os, mutilation des membres, broiement de tout le corps, que
tous les supplices du démon tombent sur moi, pourvu que je jouisse de
Jésus-Christ... Faites-moi grâce, mes frères
; ne me privez pas de la vraie vie ; ne me condamnez pas à ce qui pour moi
est une mort. Je veux être à Dieu ; ne mettez pas le monde entre lui et moi.
Laissez-moi recevoir la pure lumière ; c'est quand j'arriverai là que je
serai vraiment un homme... Si quelqu'un porte
Dieu dans son cœur, il comprendra ce que je veux[25]. C'est avec raison qu'on a vu dans cette épître l'idée parfaite du martyre chrétien. Le martyr chrétien n'est pas seulement, en effet, le témoin d'un fait dogmatique ; il est aussi, et par là même, suivant l'expression de saint Thomas, le témoin de la foi[26], le témoin du Christ qui vit en lui, le témoin de cette vie éternelle dont le martyre lui ouvre la voie et vers laquelle il s'élance de toute la force de son espérance et de son amour[27]. Les épîtres écrites par saint Ignace aux diverses Eglises ont une portée plus grande encore. Deux grands courants hétérodoxes traversaient alors les Eglises d'Orient. Les uns, s'attaquant à la personne divine du Sauveur, le considéraient simplement comme un homme ; tels étaient les ébionites et les cérinthiens. Les autres, s'attaquant à sa nature humaine, enseignaient que le Verbe de Dieu ne s'était incarné et n'était mort qu'en apparence ; c'étaient les docètes. La première hérésie s'était surtout répandue dans les Eglises de Magnésie et de Philadelphie ; la seconde avait surtout fait des progrès dans celles de Tralles, de Smyrne et d'Ephèse. Or, de toutes ces Eglises, arrivaient à l'évêque de la grande Eglise d'Antioche, au glorieux confesseur de la foi, des demandes de conseils. Les admirables épîtres aux Magnésiens, aux Philadelphiens, aux Tralliens, aux Smyrniotes et aux Ephésiens furent les réponses à ces demandes. Il n'y a qu'un Dieu, qui s'est manifesté par Jésus-Christ son Fils[28], écrit-il aux Magnésiens ; et il les exhorte à agir, selon la doctrine du Seigneur et des apôtres, en union avec le Père, le Fils et l'Esprit[29]. Jésus-Christ, dit-il, est le Verbe de Dieu, sorti du silence pour manifester le Père[30]. Mais après avoir si nettement affirmé la divinité de Jésus-Christ, Ignace n'en affirme pas moins la réelle humanité. Jésus-Christ, dit-il, est vraiment de la race de David selon la chair... vraiment né d'une Vierge... vraiment percé de clous pour nous dans sa chair[31]. Et cette chair, Jésus-Christ ne s'en est pas dépouillé après sa résurrection, Jésus-Christ a été en chair et je crois qu'il l'est encore[32]. Les deux hérésies que combat le confesseur de la foi se rattachent à une même racine, l'esprit judaïsant. Le saint évêque dénonce le péril. Si quelqu'un vous prêche le judaïsme, écrit-il aux Philadelphiens, ne l'écoutez pas[33]. Ne vous laissez pas séduire. Revenir sur vos pas, ce serait renoncer à la grâce que vous avez reçue. On invoque les anciens prophètes ; mais les prophètes étaient déjà des disciples du Christ par leur attente... Se dire chrétien et judaïser, c'est une chose absurde[34]. Mais il ne suffisait pas de défendre, contre le naturalisme de Cérinthe, la divinité du Christ ; contre l'idéalisme fantastique des docètes, la réalité de son incarnation rédemptrice[35] ; en un mot, contre les étroites conceptions d'une synagogue déchue, la large et pleine doctrine de l'Evangile. Il fallait de plus proclamer le grand principe qui préserve l'Eglise du schisme et de l'hérésie. C'est sur ce point que les épîtres de saint Ignace ont une importance capitale. Comme Clément de Rome, Ignace d'Antioche ne connaît qu'une garantie de l'orthodoxie, c'est l'obéissance à la hiérarchie. Mais il ne cherche pas seulement, comme le pontife romain, à prouver la légitimité de cette hiérarchie par son institution apostolique. Ignace est un mystique. Pour lui l'évêque est la grâce de Dieu, et le collège presbytéral est la loi de Jésus-Christ[36]. Les prêtres doivent être accordés à l'évêque comme les cordes d'une lyre, afin que toute l'Eglise chante d'accord, comme un chœur et d'une seule voix[37]. Les fidèles sont membres du Christ ; qu'ils se maintiennent dans l'unité immaculée, pour participer à Dieu même[38]. Attachez-vous à l'évêque, s'écrie-t-il, et au corps des prêtres, et aux diacres[39]. Les évêques sont la pensée de Jésus-Christ comme Jésus-Christ est la pensée du Père[40]. Pour la première fois, ici, se rencontre, dans la littérature chrétienne le nom d'Eglise catholique[41]. Mais de cette Eglise catholique, le saint évêque d'Antioche reconnaît-il un chef suprême ? La réponse affirmative n'est pas douteuse. Les deux principes fondamentaux de son ecclésiologie, la hiérarchie et l'unité, supposent l'existence d'une autorité unique ; et le texte de son épître aux Romains montre que c'est à Rome qu'il voit le siège de cette suprême autorité. Le début de sa lettre aux Romains, ou plutôt à l'Eglise
romaine, est significatif. Il l'adresse à l'Eglise
aimée et illuminée, à celle qui préside dans
le pays des Romains, à celle qui préside à la
charité[42].
Si l'on pèse ces expressions, si on les compare à celles qu'Ignace emploie
dans ses lettres aux autres Eglises, le doute n'est pas possible ; il y est
question de la primauté de l'Eglise de Rome sur l'Eglise catholique tout
entière. L'Eglise de Rome préside dans le pays des
Romains, elle préside à la charité. Si le martyr s'était adressé à l'évêque de Rome,
écrit Mgr Duchesne, ces présidences pourraient être
interprétées comme locales : dans son Eglise, c'est toujours l'évêque qui
préside. Mais ici il ne s'agit pas de l'évêque, il s'agit de l'Eglise. A quoi
préside l'Eglise romaine ? A d'autres Eglises dans une circonscription
déterminée ? Mais Ignace n'a pas l'idée d'une délimitation de ce genre.
D'ailleurs y avait-il alors en Italie des communautés chrétiennes distinctes,
dans leur organisation, de la communauté romaine ? Le sens naturel de ce
langage, c'est que l'Eglise romaine préside à l'ensemble des Eglises[43]. III Ce siège de Rome, dont le martyr parle avec une telle magnificence, était alors occupé par le second successeur de saint Clément, saint Alexandre. Son premier successeur avait été saint EVARISTE. Sur ces deux papes, nous n'avons aucun document contemporain. Le Liber pontificalis, rédigé au VIe siècle[44], fait naître saint Evariste à Bethléem, d'un père juif. Ce pape aurait ordonné quinze évêques, dix-sept prêtres, deux diacres, et aurait divisé administrativement la ville de Rome en titres ou paroisses. Il ne faudrait pas s'imaginer, d'après ces expressions, que le successeur de saint Clément ait fait construire ou consacré dans Rome des églises paroissiales proprement dites. Il s'agissait probablement de maisons particulières, telles que celle du sénateur Pudens, dont saint Pierre avait fait, dit-on, le centre de réunion des premiers fidèles, ou celles de quelques autres chrétiens dont l'Ecriture ou la tradition nous ont conservé les noms : Prisque et Aquila, Lucine, Eudoxie, Pammachius, Fasciola[45]. Par le fait qu'une maison ou une pièce de la maison était consacrée au culte liturgique, on la marquait par un signe ou titre (titulus), analogue aux signes ou titres par lesquels les agents du fisc marquaient les domaines réservés au service de l'empereur. Telle est l'explication la plus vraisemblable de ce terme, destiné à passer dans la langue de l'Eglise et aujourd'hui réservé aux églises dont les cardinaux sont titulaires[46]. Selon le Liber pontificalis, on devrait encore au pape Evariste la loi d'après laquelle l'évêque devait être, dans sa prédication, assisté de sept diacres, chargés d'attester la formule authentique de sa parole contre les allégations possibles des hérétiques[47]. On a conjecturé que la prédication dont il est ici question ne serait autre chose que la récitation de la Préface et du Canon. Les Préfaces, en effet, variaient alors à chaque messe ; on y introduisait parfois, outre le souvenir de la fête, des exhortations adaptées aux circonstances[48]. Evariste aurait occupé le siège de saint Pierre pendant huit ans et serait mort martyr ; mais la tradition, pas plus que l'histoire écrite, ne donne aucun détail sur son martyre[49]. Son successeur, ALEXANDRE, aurait gouverné l'Eglise pendant dix ans, de 105 à 115. Le Liber pontificalis lui attribue l'insertion dans la liturgie[50] de la formule Qui pridie quam pateretur qui précède les paroles commémoratives de l'institution de l'Eucharistie, et fait remonter jusqu'à lui l'usage de bénir l'eau mêlée au sel pour en asperger les maisons[51]. La notice officielle qui lui donne le titre de martyr paraît dépendre d'une Passio Alexandri, qui n'est pas contemporaine des événements et ne mérite qu'une confiance relative. D'après ce document, Alexandre aurait été décapité et enseveli dans une catacombe de la voie salarienne[52]. Ce pape put être témoin des fêtes triomphales données à Rome pendant cent vingt-trois jours, en 106 ou 107, pour célébrer la victoire de Trajan sur les Daces. Pline raconte que dix mille bêtes féroces y périrent et que dix mille hommes y combattirent en l'honneur de celui qui fut appelé le plus clément des empereurs[53]. Plus d'un chrétien, sans doute, y subit le dernier supplice. Pendant les années suivantes, le chef de l'Eglise de Rome put voir les grands travaux exécutés pour l'embellissement de la Ville éternelle : les thermes de Titus agrandis ; de nouvelles eaux, les Aquæ trajanæ, amenées à Rome par un gigantesque aqueduc ; les deux cent soixante mille places du cirque augmentées de cinq mille places nouvelles ; et enfin, sur un nouveau Forum, orné d'un arc triomphal et d'une riche colonnade, la fameuse colonne trajane, haute de 42 mètres, au sommet de laquelle se dressait la statue de l'empereur en habit de guerre et le javelot à la main. Trajan ne se doutait pas qu'il travaillait pour la Rome chrétienne, et qu'un jour sa statue serait remplacée par la statue de saint Pierre, l'humble pêcheur de Galilée, plus grand conquérant que lui, puisqu'il avait conquis, non des corps, mais des âmes. IV Le chef de l'Eglise, élu pour succéder à saint Alexandre, s'appelait SIXTE. Il était romain. Le peuple et le clergé de la ville concoururent sans doute à son élection. A prendre à la lettre les expressions d'Eusèbe, les quatre premiers papes après saint Pierre auraient été nommés par leur prédécesseur, savoir Lin par saint Pierre, Clet par Lin, Clément par Clet, et Evariste par Clément[54]. Si ce mode de nomination a prévalu pendant un demi-siècle, il ne parait pas s'être longtemps continué. Il est établi, en effet, par un ensemble de documents certains, qu'au IIIe siècle, les élections des évêques de Rome, bien que leur primauté fût universellement reconnue, étaient soumises aux mêmes règlements que celle des autres évêques, et les canons des conciles d'Arles, en 314, et d'Antioche, en 341, font entendre qu'ils ratifient une coutume antique quand ils décrètent que le choix de l'évêque relève de l'assemblée et du jugement de ses collègues[55]. Il est certain, d'autre part, que les prêtres et le peuple prenaient part à l'assemblée dont il est ici parlé[56]. L'élection de Sixte Ier dut se faire à la fin du règne de Trajan, car le Liber pontificalis se contente de dire qu'il gouverna l'Eglise au temps de l'empereur Hadrien[57]. L'empereur Hadrien, petit-neveu et fils adoptif de Trajan, à qui il succéda en 117, devait présider aux destinées de l'empire pendant vingt et un ans. Il y eut deux hommes dans Hadrien. Ce fut d'abord le politique avisé, plus sage que son prédécesseur, qui, sut renoncer à toute ambition de conquêtes en Asie, pour se renfermer dans un rôle d'administrateur attentif et diligent, qui se fit son propre ministre des finances, de la justice, de la guerre et de l'intérieur, et qui remplit chacune de ces fonctions avec une incontestable supériorité. Son caractère. Il y eut aussi en lui l'artiste, le voyageur curieux de toute nouveauté, qui ne craignit point d'offenser les dieux de son pays en se faisant initier à tous les mystères des religions orientales. Sous ces deux aspects, semble-t-il, Hadrien devait, moins que Trajan, persécuter le christianisme. L'homme d'Etat qui avait résolument fait le sacrifice de toute entreprise ambitieuse à la tranquillité de l'empire, le philosophe sceptique à l'égard de toute confession religieuse, n'allait-il pas laisser la religion chrétienne se développer librement à Rome et dans les provinces ? Un rescrit important, publié par Hadrien vers 124[58] sembla donner raison à ces prévisions. Un proconsul d'Asie, Lucinius Granianus, s'était plaint de ce que les fureurs populaires amenaient souvent les magistrats à condamner à mort des hommes dont tout le crime était dans le nom qu'ils portaient et la secte religieuse à laquelle ils appartenaient. Il y avait là, sinon une demande de révision du rescrit de Trajan, du moins une plainte sur les abus de son application. La réponse de l'empereur philosophe fut ondoyante. Il interdit les pétitions et les clameurs tumultueuses, par lesquelles les foules hostiles aux chrétiens assiégeaient les magistrats ; mail il ne se prononça point sur la question de savoir sir le nom seul de chrétien était un crime punissable, ou s'il fallait, pour encourir la rigueur des tribunaux, s'être rendu coupable d'un délit spécialement qualifié. Qu'on punisse les personnes accusées, disait-il, ordonnez même des supplices si quelqu'un prouve qu'elles ont commis quelque infraction aux lois[59]. En somme, en un langage moins ferme que Trajan, Hadrien s'en tenait à la considération de l'ordre extérieur. Ses décisions semblaient plus libérales que celles de son prédécesseur ; elles ne furent pas moins funestes aux chrétiens. En effet, de la jurisprudence qui, depuis Néron, considérait le seul nom de chrétien comme un outrage aux institutions nationales, il n'abolissait rien ; des fureurs populaires qui, depuis Domitien, flétrissaient de l'accusation d'athéisme et d'immoralité les disciples du Christ, il ne blâmait rien ; de la règle posée par Trajan, qui ordonnait aux magistrats de condamner tout chrétien qui refuserait de sacrifier aux dieux de l'empire, il ne retirait rien. Les accusations populaires devinrent moins bruyantes, mais elles se multiplièrent ; et, si les magistrats se montrèrent un peu plus exigeants sur la valeur des accusations, ils continuèrent à condamner sans pitié les accusés dénoncés comme chrétiens et convaincus de l'être. C'est ainsi que le règne d'Hadrien ne fut pas moins funeste aux chrétiens que celui de Trajan. Les actes de saint Faustin et de ses compagnons, des saints Alexandre, Hermès et Quirinus, de saint Getulius, des saintes Sophia, Pistis, Elpis et Agapé, des saintes Sabine et Sérapie, des saints esclaves Hesperus et Zoé, de l'esclave sainte Marie, de sainte Symphorose et de ses fils, témoignent du sang versé sous le gouvernement de cet empereur. Pour retrouver la vérité historique qui fait le fond des Actes de ces martyrs, il est souvent nécessaire de les dégager de multiples légendes brodées par l'imagination populaire ; mais des monuments archéologiques d'une authenticité absolue ne permettent pas de douter de leur substantielle véracité et de la réalité de certains détails caractéristiques[60]. L'esclave Marie, au service d'un décurion, fut accusée d'être chrétienne. Un peuple frémissant demandait sa mort en criant : Qu'un feu terrible la dévore toute vive ! Le juge lui dit : Pourquoi, étant esclave, ne suis-tu pas la religion de ton maître ? — Question bien romaine, ajoute l'historien des persécutions. Telle est l'idée que les Romains se faisaient de la conscience d'un esclave. L'esclave, avait écrit Sénèque, n'a jamais le droit de dire non[61]. Symphorose était la veuve du martyr Getulius, mis à mort, au début du règne d'Hadrien, pour avoir évangélisé le pays sabin. Sacrifie aux dieux tout-puissants, lui dit l'empereur, ou je te sacrifierai avec tes enfants. — D'où me vient ce bonheur, répondit-elle, que je sois digne d'être offerte en hostie à Dieu, avec mes fils ? — Choisis, de sacrifier à nos dieux ou de mourir. — Je ne désire, reprit Symphorose, que me reposer avec mon époux Getulius, que tu as tué pour le nom du Christ. Hadrien, après lui avoir fait subir plusieurs tortures, ordonna de la précipiter dans l'Anio avec une pierre au cou. Le lendemain, l'empereur fit périr, par des supplices variés, ses sept enfants[62]. V Sur un point, le sceptique empereur semble avoir rendu la condition des chrétiens meilleure. Il les poursuivit et les fit condamner aux derniers supplices, mais il les laissa parler. Sous son règne, les plaidoyers en faveur de la religion chrétienne se multiplièrent. Ces plaidoyers ou apologies étaient adressés tantôt à l'empereur, tantôt au sénat, tantôt à l'opinion publique. Eusèbe nous a conservé ce fragment de l'apologie qu'un disciple des apôtres en Asie Mineure, Quadratus, présenta à l'empereur Hadrien : Les œuvres de notre Sauveur n'ont jamais cessé d'être visibles, parce qu'elles étaient vraies. Les malades qu'il a guéris, les morts qu'il a ressuscités, ne se sont pas montrés seulement au moment de leur guérison ou de leur résurrection. Bien longtemps après son passage sur cette terre, ils vivaient encore ; plusieurs même ont vécu jusqu'à nos jours[63]. Quelques années plus tard, peu de temps après 135, parut une autre apologie, plus célèbre parmi les Pères, et qui semble même avoir servi de base à l'œuvre apologétique de saint Justin. C'est le Dialogue de Jason et de Papiskos, par Ariston de Pella. L'auteur, personnifiant dans un juif, Jason, toute la série des objections que les païens faisaient à la religion chrétienne, paraît avoir conçu le plan d'une apologétique complète. Eusèbe. Origène, Celse et saint Jérôme parlent de cette œuvre importante d'Ariston. Malheureusement ni l'original grec du livre ni aucune traduction ne sont parvenus jusqu'à nous[64]. L'artifice qui consistait à mettre dans la bouche d'un juif toutes les calomnies colportées par le peuple contre le christianisme se comprend à cette époque. Les chrétiens se souvenaient que les plus terribles des persécutions contre leur foi avaient été déchaînées par les dénonciations des Juifs. D'autre part, les Israélites venaient de se rendre odieux à l'empire, et les montrer comme les ennemis jurés du nom chrétien pouvait être une heureuse tactique. En 132, un mouvement de fanatisme désespéré avait soulevé la Judée. Un certain Bar-Cozbad (fils du menteur), qui changea son nom peu glorieux en celui de Bar-Cochébas, ou fils de l'étoile, prétendit être l'étoile annoncée par Balaam, c'est-à-dire le Messie. Les quatre-vingt-cinq jubilés d'Elie, suivant le calcul des rabbins, touchaient à leur terme. Le plus illustre de ceux-ci, le savant Akiba, depuis vénéré parmi les Juifs comme un second Moïse, donna l'onction royale à Bar-Cochébas et le plaça sur un cheval dont lui-même tint l'étrier. Toute la race juive, en dehors de ceux qui avaient reconnu le vrai Messie en Jésus, bondit d'espérance. Le danger de l'empire apparut si grave, qu'Hadrien appela du fond de la Bretagne le plus habile de ses généraux, Julius Severus. La répression de la révolte fut sans pitié. La Palestine fut soumise et dévastée avec une froide et inexorable rigueur. Tout ce qui avait échappé à la mort sur les champs de bataille fut mis en vente comme esclave aux marchés de Térébinthe et de Gaza. L'homme, dit-on, s'y vendit au prix du cheval. Ceux qui ne trouvèrent pas d'acheteurs furent emmenés en Egypte comme esclaves[65]. Ce qui restait de Jérusalem fut détruit ; l'emplacement du temple, labouré à la charrue et semé de sel, en signe de malédiction et de stérilité. A la place de la Ville sainte s'éleva la ville toute païenne d'Hadrien, Ælia Capitolina, portant sur le sol même jadis occupé par le temple la statue de l'empereur à côté de celle de Jupiter[66]. Pendant cette terrible campagne, de nombreux chrétiens convertis du judaïsme avaient subi le martyre de la part de leurs compatriotes pour avoir refusé de prendre part à leur révolte. Ces impitoyables rigueurs avaient profondément ému leurs frères issus de la gentilité, et l'on comprend que leur malédiction se soit un moment rencontrée avec celle des païens de Rome à l'égard du peuple déicide et fratricide qui les poursuivait depuis si longtemps de sa haine.
VI Les uns et les autres se seraient trompés cependant s'ils avaient cru que la Synagogue était morte. Au lendemain même de la grande catastrophe, elle allait faire preuve de vitalité. Le savant Aquila, en livrant à ses compatriotes une traduction nouvelle de la Bible, destinée à remplacer celle des Septante, allait donner un nouvel élan à l'étude de la loi juive ; et l'union de l'esprit juif avec l'esprit grec allait déterminer le gigantesque mouvement de la Gnose. La nation juive venait d'être cruellement châtiée, mais la synagogue juive était libre. Sa foi n'était pas proscrite dans l'empire romain, ses lieux de prière restaient debout, ses assemblées licites[67]. Parmi les païens qui avaient travaillé, sous Hadrien, à la construction d'Ælia Capitolina, se trouvait, dit-on, un Grec, originaire de la province du Pont, et parent de l'empereur. Il s'appelait Aquila. L'étendue de sa science et l'énergie de son caractère l'avaient désigné au choix de l'empereur pour la direction des immenses travaux projetés. La vue des vertus et des miracles qui se produisaient parmi les chrétiens le frappa. Il demanda et reçut le baptême[68]. Mais son cœur n'était point purifié par l'humilité. La science semblait restée son dieu suprême. On le reprit de la passion qu'il avait pour l'astrologie. Il s'irrita. On l'excommunia. Chrétien, il ne voulait plus l'être ; païen, il aurait eu honte de le redevenir ; il se fit juif ; et il rêva d'un judaïsme qui, brisant tous les liens qui rattachaient la religion de Moïse à la religion du Christ, opposerait la loi ancienne à la loi nouvelle. C'est pour cela, dit saint Epiphane, qu'il composa une version grecque de la Bible, supprimant des saintes Lettres les témoignages favorables à Jésus-Christ[69]. Le savant rabbin Akiba l'aida dans son entreprise[70]. Telle fut l'origine de la fameuse Bible grecque d'Aquila, œuvre importante, soignée, ingénieuse, dénotant une connaissance approfondie de la langue hébraïque, mais d'une littéralité généralement trop servile, et ouvertement tendancieuse dans les passages messianiques, comme l'ont remarqué saint Justin, saint Irénée, Origène et saint Jérôme[71]. Les Juifs l'opposèrent à la traduction des Septante et s'en servirent pour répandre leurs doctrines dans le monde grec. Ils l'utilisèrent aussi pour corrompre le christianisme et alimenter, dans l'Eglise, cet esprit judaïsant, qui, sous les formes de l'ébionisme et de l'elkésaïsme, ne tendait à rien de moins qu'à ramener la religion du Christ à une interprétation très grossière de l'Ancien Testament. La secte ébionite, que nous avons vue naître dès le début du christianisme, avait pris, par sa fusion avec la secte essénienne, vers l'an 100, un nouveau développement. On trouve l'exposé de sa doctrine dans la série des homélies et des récits d'aventures publiés sous le nom de saint Clément de Rome[72]. Suivant l'ébionitisme essénien, Dieu a une forme, et il possède des membres, car tout être est fini et limité. Les êtres créés se divisent en bons et mauvais. Il y a même de bons et de mauvais prophètes. Ceux-ci descendent d'Eve, l'élément féminin et mauvais du monde. Les bons prophètes descendent d'Adam. Jésus est le plus grand d'entre eux. Il est fils de Dieu, mais il n'est pas Dieu, car Dieu, c'est l'Inengendré, l'Innascible, et Jésus est l'engendré et le fils[73]. Les elkésaïtes, dont les idées et les pratiques nous sont connues par Origène, saint Epiphane et les Philosophoumena, tenaient leur doctrine du livre d'Elkésaï, révélé la troisième année de Trajan, l'an 100, par un ange gigantesque, appelé le Fils de Dieu, ayant à ses côtés une épouse de dimensions analogues, l'Esprit-Saint. Un étrange baptême, accompagné de formules magiques et d'incantations bizarres, donnait l'initiation à cette secte. Toutes les lois rituelles juives étaient maintenues. Le Christ, né de Marie comme naissent les autres hommes, n'avait fait, disait-on, que se réincarner, car il avait déjà passé par plusieurs corps et porté plusieurs noms. Les Philosophoumena ajoutent que les elkésaïtes avaient aussi des croyances et des pratiques secrètes. Ces sectes étranges devaient occuper peu de place dans le mouvement religieux de l'humanité. Elles ne tardèrent pas à disparaître. Leur singularité les signale surtout à l'attention. Elles ont cependant une signification symbolique. L'ébionite, comme l'elkésaïte, c'est le Juif orgueilleux, inconsolable de la perte de sa nationalité, de l'échec de son grossier messianisme, et cherchant à se faire une compensation dans un rêve grandiose où il tente d'entraîner les nations à sa suite[74]. VII La Gnose. Un succès moins éphémère devait couronner les
entreprises de ceux qui cherchèrent à revivifier l'esprit juif par son union
avec l'esprit hellénique. Ce fut l'origine de la Gnose. La Gnose, dit Mgr
Duchesne, n'est que l'évolution de la pensée juive
sous l'excitation de la curiosité philosophique des Grecs[75]. Cela est vrai
particulièrement de la première phase de l'hérésie gnostique ; car si l'on
prend la Gnose dans l'ensemble de son histoire, on doit y voir aussi bien un
effort de la pensée grecque pour absorber en soi le judaïsme et le
christianisme, qu'un effort de la pensée juive pour s'assimiler, sans se
transformer, la pensée chrétienne et la pensée grecque. Ne peut-on pas y
découvrir aussi, d'un troisième point de vue, un effort de l'esprit chrétien
lui-même, effort légitime dans son principe, mais dévoyé dans sa marche, pour
donner aux dogmes et aux pratiques du christianisme une expression
philosophique, ou, si l'on veut, pour transposer dans le langage de la
philosophie antique le dogme et la morale des Livres saints ? Tertullien
remarque que, sous la bizarrerie de ses formules et de ses symboles, la Gnose
abordait, au fond, les plus grands problèmes qui puissent passionner l'esprit
humain : Quels sont les rapports qui peuvent exister entre Dieu et le monde ?
Comment le Pur Esprit, l'Etre infini peut-il connaître, produire et gouverner
le matériel et le fini ? Quelle est l'origine du mal, et comment, une fois
commis, peut-il se réparer[76] ? L'histoire du mouvement gnostique comprend, d'ailleurs, deux phases distinctes. C'est surtout pendant la seconde phase, vers la fin du IIe siècle et au delà, que nous rencontrerons cette pullulation de systèmes, aux noms étranges, aux rites mystérieux et parfois infâmes, aux théories nuageuses, où la théurgie, la prétendue illumination et la magie ont plus de place que la philosophie. La première phase, qui apparaît sous Hadrien et se prolongera sous Antonin le Pieux, est caractérisée, au contraire, par la valeur intellectuelle et la tenue morale relative des chefs du mouvement. Grands L'idée inspiratrice de la Gnose a quelque chose de grandiose. Le monothéisme juif en est visiblement le point de départ. On veut avant tout, se faire de la Divinité une idée très pure et très élevée. Pour la rendre aussi pure que possible, on la débarrassera de tout concept applicable à la nature humaine, et l'on arrivera à ne plus pouvoir en parler, sinon pour l'appeler le Grand Silence, Sighè. Pour rendre cette idée aussi élevée que possible, on concevra Dieu comme un Etre infiniment éloigné, infiniment séparé de l'homme et de la nature, et on l'appellera l'Abîme, Buthos. Un éternel silence problèmes dans les profondeurs d'un abîme infini : tel est, dira-t-on, le seul concept digne de la Divinité. Mais la matière est là, palpable et grossière ; le mal est là, sensible et déchirant ; le cœur de l'homme est là, aspirant à la purification, au dégagement de la matière, à l'union avec Dieu... Comment résoudre l'effrayant dualisme ? C'est ici que les écoles se partagent. Déjà, au temps de Trajan, un certain Saturnil d'Antioche, dont parlent Hégésippe[77] et saint Justin[78], avait enseigné qu'entre le Dieu suprême, que nul ne peut connaître ni nommer, et le monde visible, étaient des esprits intermédiaires, créés par Dieu. D'après une image brillante, fugitive comme un éclair, qui leur vint de Dieu, ceux-ci créèrent, ou plutôt essayèrent de créer l'homme. Ils ne produisirent qu'une créature incomplète, rampante. Tel fut l'homme primitif. Mais Dieu, y reconnaissant quelque image de lui-même, en eut pitié ; il lui envoya une étincelle de vie, qui acheva de le constituer et fut destinée à rejoindre un jour le principe divin. Ce n'était là que l'ébauche des grands systèmes qu'élaborèrent, sous Hadrien, Basilide, Carpocrate et Valentin. Basilide, né en Syrie, enseigna sa doctrine à Alexandrie[79]. Il la donna comme un enseignement traditionnel remontant aux apôtres ; il se recommandait de saint Pierre par l'intermédiaire d'un certain Glaucias, et invoquait aussi l'autorité de saint Matthieu[80]. Sa théorie ne fut guère autre chose qu'une amplification et une exposition plus systématique de la doctrine de Saturnil : l'idée d'une Divinité inaccessible, d'un monde mauvais, et d'esprits intermédiaires dont Dieu se servirait pour agir sur le monde, forme la base de sa philosophie religieuse. Il y ajoute l'idée d'une division des esprits en anges bons et mauvais, et il donne un rôle particulièrement important aux opérations magiques[81]. Carpocrate, d'Alexandrie, contemporain de Basilide, est franchement platonicien. Selon lui, le principe premier de toutes choses est la Monade, où tout esprit ira un jour s'absorber dans la parfaite félicité. Toutes les âmes, avant leur existence terrestre, ont contemplé les vérités éternelles ; mais les unes en ont conservé une mémoire plus vive que les autres. Les grands hommes sont ceux chez qui ces souvenirs sont plus parfaits. Ceux-là possèdent la Science, Gnosis, laquelle est le bien suprême. La lignée des grands hommes comprend Pythagore, Platon, Aristote, et enfin le plus éminent de tous, Jésus, en qui les idées éternelles, jadis perçues dans le sein du Père, furent si présentes et si vivantes. La vertu, selon Carpocrate, est une ascension vers la Monade, ou vers le Père par une libération progressive des conventions humaines et des lois. On voit à quels excès pouvait conduire une telle doctrine. Les disciples de Carpocrate firent de l'immoralité un moyen de salut[82]. Valentin, de Rome, fut un esprit vraiment puissant. Métaphysicien, psychologue et poète, il se proposa de donner de Dieu, de l'homme, de la nature, des diverses forces qui meuvent les êtres et de leurs antinomies les plus profondes, une explication totale, capable de satisfaire le philosophe par sa logique fortement liée, et de parler au peuple par des images vivantes[83]. Pour lui Buthos et Sighè, l'Abîme et le Silence, ne sont point deux noms du premier Être, mais le Couple divin, la suprême Syzygie d'où tout émane. Pas plus que ses prédécesseurs, Valentin ne se dissimule l'antinomie fondamentale qui existerait entre l'esprit et la matière, Dieu et le monde visible. Tout son effort consiste précisément à montrer comment cette infinie distance est comblée par une infinité d'êtres intermédiaires inégalement parfaits, comment cette opposition radicale est corrigée par un assouplissement graduel des forces ascendantes et descendantes, et par l'intervention de certains êtres de pacification et d'harmonie, mis dans le monde par le Couple suprême qui règne au sommet de toutes choses. De l'Abîme et du Silence sont nés l'Esprit et la Vérité. C'est la Tétrade ou Quaternité première : Buthos, Sighè, Nous, Aléthé. Mais l'Esprit, uni à la Vérité, a donné naissance au Verbe, Logos, et à la Vie, Zoé ; et ceux-ci ont communiqué l'existence à l'Homme et à l'Eglise. La bienheureuse Ogdoade est ainsi constituée. Sans doute, à mesure que les êtres vont s'éloignant du Principe premier, ils perdent, par une dégradation insensible, quelque chose du divin ; ils restent féconds néanmoins, et leurs générations forment une série d'êtres supérieurs ou Eons, dont l'ensemble constitue la Plénitude, ou Plérôme. Dans ce Plérôme, tout Eon aspire à la compréhension complète de l'Abîme ; et cette aspiration fait sa vie et sa joie. Elle a fait, hélas ! aussi, le malheur du monde. Car les Eons inférieurs, ceux qui étaient descendus jusqu'aux confins du Plérôme, ont été jaloux de l'Esprit parfait, ou du Nous. En vain les génies des Confins ont essayé de rétablir l'harmonie dans le Plérôme ; une Sagesse inférieure, une Raison dégradée, est née au milieu de ces luttes. C'est Achamoth. Exilée du Plérôme, Achamoth s'est unie au Chaos ; d'elle et de lui est né le Démiurge, ou Créateur du monde matériel, et l'ensemble du monde matériel a constitué le Kénôme, ou le Vide, le Rien. La décadence ne s'est plus arrêtée, elle est allée jusqu'au Mal suprême, à Satan, à Belzebuth, au Maître du monde inférieur. C'est entre ces deux mondes que se trouve l'homme. Le Démiurge l'a fait matériel, mais la Sagesse lui a infusé l'esprit. Sur les limites du Kénôme, mais aspirant au Plérôme, l'homme est comme écartelé entre deux mondes. Qui le sauvera P Un être supérieur, Jésus de Nazareth, que l'Esprit épure peu à peu et qui parviendra à entraîner avec lui l'élite de l'humanité dans le Plérôme. Il s'est produit, en effet, par suite de tous ces troubles, une division dans l'humanité. Elle comprend désormais les Matériels ou Hyliques, les Animaux ou Psychiques, et les Spirituels ou Pneumatiques. Ces derniers n'ont plus besoin de bonnes œuvres ni de vertus ; ils ont la Science, la Gnose. Qui connaît les mystères, possède le salut ; qui sait l'énigme du monde, est libéré de toute règle ; qui a la Science, n'a plus besoin de foi ni de loi[84]. VIII On devine les conséquences immorales qui devaient résulter d'une pareille doctrine. On ne les aperçut pas au premier abord. Le saint pape qui occupait alors le siège de Rome, saint TÉLESPHORE, semble pourtant s'être vivement préoccupé de maintenir parmi les chrétiens l'austérité de la vie. Télesphore était Grec, nous dit le Liber pontificalis, et avait, avant son pontificat, mené la vie d'anachorète. Faut-il entendre par là qu'il avait vécu de la vie érémitique et que le peuple et le clergé de Rome étaient allés le chercher au désert ? Doit-on croire qu'il faisait simplement partie d'un groupe de prêtres vivant d'une vie ascétique plus parfaite que celle des autres membres du clergé ? Il est certain du moins que, par sa vie antérieure, le Pape qui prit le gouvernement de l'Eglise vers l'an 125, était préparé à se faire le défenseur de la régularité des mœurs parmi les chrétiens. Le Liber pontificalis lui attribue l'institution du jeûne du carême[85]. Il faut entendre par ces mots la réglementation de la pénitence quadragésimale : car nous savons, par un témoignage formel de saint Irénée, que les observances du carême étaient bien antérieures à cette époque[86]. Il y eut, du reste, même après le pape saint Télesphore, une grande diversité dans la durée du jeûne comme dans la mesure des privations qu'on s'imposait pour imiter le jeûne du Sauveur, et l'uniformité de ces observances ne fut universellement obtenue que dès le début du IVe siècle par le cinquième canon du concile de Nicée. Le Liber pontificalis attribue encore à saint Télesphore l'institution de la messe de minuit à Noël et l'introduction du Gloria in excelsis à cette messe. La célèbre lettre de Pline à Trajan[87], citée plus haut, nous apprend que les chrétiens avaient l'habitude de s'assembler avant le jour pour célébrer le saint Sacrifice. Le clergé oriental a conservé l'usage de dire la messe aux premières lueurs du jour. En Occident, dès que l'Eglise eut reconquis la paix, l'heure de tierce[88] fut l'heure réglementaire du saint Sacrifice. Le Liber pontificalis fait allusion à cet usage, et suppose qu'il existait à Rome au temps de saint Télesphore. Saint Irénée nous dit que ce pape termina sa vie par un glorieux martyre[89] ; mais aucun détail ne nous est parvenu sur ses derniers moments. L'Eglise d'Occident l'honore au 5 janvier et celle d'Orient au 22 février. |
[1] XIPHILIN, XLVIII, ap. CHAMPAGNY, les Antonins, t. I, p.
227.
[2] TILLEMONT, Histoire des empereurs,
édit. de 1691, t. II, p. 118.
[3] DION, LXVII, 7 ; AURELIUS VICTOR, Épitomé, 13.
[4] PLINE, Lettres, X, 25, 97.
[5] Cette expression est de
Guizot. Les principes du christianisme bien gravés
dans le cœur, a écrit Montesquieu, seraient
infiniment plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus humaines
des républiques, et cette crainte servile des Etats despotiques. (MONTESQUIEU, Esprit des lois.)
[6] Sur la compatibilité du
christianisme avec les institutions romaines et la sécurité de l'empire romain,
voir l'étude publiée par M. Paul ALLARD, dans la Revue des
questions historiques de juillet 1912.
[7] Paul ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 142.
[8] Quelques auteurs disent 112. La
date a peu d'importance au point de vue de l'histoire générale.
[9] Une longue controverse a
autrefois divisé les érudits à propos de l'authenticité de cette lettre. Elle a
été contestée par AUBÉ, Histoire des persécutions, p. 219 ; DESJARDINS, les Antonins d'après
l'épigraphie dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1874 ;
Ernest HAVET, le Christianisme et ses origines, t. IV, p.
425-431. L'authenticité de la lettre est universellement reconnue aujourd'hui.
Voir Gaston BOISSIER, dans la Revue archéologique, t. XXXI (1876), p.
114-125 ; RENAN, les Evangiles, p. 476, note 3 ; P. ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 116-142 et s. ; HARNACK, Gesch. der altchr. Litter., t. II, p. 866 ; LIGHTFOOT, Apostolic Fathers, 2e
partie, I, 51.
[10] Imperatoria
brevitate, dit Tacite, en parlant de Galba. (TACITE, Hist.,
l. I, ch. XVIII.)
[11] Dans PLINE, Lettres, X, 98, Trajanus
Plinio.
[12] TERTULLIEN, Apologétique, 2.
[13] M. Paul Allard a parfaitement
montré, soit dans ses Dix leçons sur le martyre, 1 vol. in-16, Paris,
1906, p. 129-131, soit, avec plus d'ampleur, dans une étude publiée par la
Revue des questions historiques en juillet 1912, que la liberté du
christianisme, loin d'être une cause d'affaiblissement pour l'empire romain,
eût été, dès l'époque de Néron, un élément de paix et de sécurité.
[14] Sur les causes des
persécutions, voir Paul ALLARD, Dix leçons sur le martyre,
p. 117-133, et la Situation légale des chrétiens pendant les deux premiers
siècles, dans la Rev. des quest. hist., t. LIX, 1896, p. 5-43 ; LE BLANT, Sur les bases juridiques
des poursuites ordonnées contre les chrétiens, dans le Compte rendu de
l'Ac. des Inscr., 1866, p. 358-373, et surtout CALLEWAERT, De la base juridique des
premières persécutions, dans la Rev. d'hist. ecclés., t. XII, 1911,
p. 5-16, 633-651.
[15] Voir ce document dans Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. I, p.
189-192.
[16] GRÉGOIRE DE TOURS, De glor. mart., 35-36.
Cf. Missale gothicum, dans MABILLON, De liturgia gallicana,
p. 218.
[17] Liber pontificalis, éd.
DUCHESNE,
t. I, p. 124, note 10.
[18] TILLEMONT, Mémoires, éd. de 1694,
t. II, p. 139. Tillemont fait cette remarque à propos des actes des saints
Nérée et Achillée. Il n'ose point, par ailleurs, se prononcer nettement sur
l'authenticité de la Passio Clementis. Nous
souhaiterions, écrit-il, que ces choses fussent
aussi assurées qu'elles sont célèbres. (Ibid., p. 174.) Mais les
difficultés qui arrêtaient le savant critique ont été, ce semble, élucidées en
grande partie par M. Paul ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 170-172, et par J.-B. DE ROSSI, Bull. di arch. crist.,
1864, p. 5-6.
[19] P. ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 170.
[20] DUCHESNE, Liber pontificalis, I,
124. Cf. Ibid., Introduction, p. XCI. Le savant historien constate
d'ailleurs que ni saint Irénée, ni Eusèbe, ni saint Jérôme ne parlent du
martyre de ce grand pape. Tant il est vrai que le silence des auteurs les mieux
informés sur un événement des plus importants ne peut être regardé comme une
preuve décisive contre la réalité historique de cet événement.
[21] Eusèbe fixe le martyre de
saint Siméon à la dixième année de Trajan, c'est-à-dire en 107. Sur la date du
martyre de saint Ignace, voir Paul ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 189-192.
[22] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXII,
n. 1-4. Cf. Acta sanctorum des BOLLANDISTES, février, t. III, p. 53-55.
[23] ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 183.
[24] Saint Ignace craignait
peut-être que l'intervention des chrétiens de Rome ne lui obtint la grâce de
l'empereur, ou plutôt que l'instance de leurs prières ne lui ravît la couronne
du martyre.
[25] FUNK, Patres apostolici, t. I, p. 255-261. Une traduction française des
lettres de saint Ignace, accompagnée du texte grec, a été publiée par M.
Auguste LELONG, agrégé de l'Université, 1 vol. in-16°, Paris, Picard.
[26] Saint THOMAS D'AQUIN, Secunda Secundæ, qu.
CXXIV, a. 4. Martyr dicitur, quasi testis fidei christianæ,
per quam visibilia pro invisibilibus contemnenda proponuntur.
[27] FREPPEL, les Pères apostoliques et
leur époque, 18e leçon, 4e édition, p. 397-419. Cf. A. DE POULPIQUET, O. P., le Témoignage des
martyrs, dans la Revue prat. d'apol. des 15 mars et 1er avril 1909.
[28] Magnésiens, VIII, 8.
[29] Magnésiens, XIII, 1.
[30] Magnésiens, VIII, 2.
Voir d'autres citations, dans TIXERONT, Histoire des dogmes, t.
I, p. 135-136.
[31] Smyrniotes, I, 1-2.
[32] Smyrniotes, III, 1-3.
[33] Philadelphiens, VI, 1.
[34] Magnésiens, IX, 1 ; X,
3.
[35] Le dogme de la rédemption est
expressément enseigné en plusieurs endroits des épîtres de saint Ignace. (TIXERONT, Histoire des dogmes,
t. I, p. 139.) La présence réelle de la chair du Sauveur dans l'Eucharistie est
nettement affirmée. Smyrniotes, VII.
[36] Magnésiens, II et III.
[37] Éphésiens, IV.
[38] Éphésiens, IV, 2.
[39] Philadelphiens, IV.
[40] Éphésiens, II, 2.
[41] BATIFFOL, l'Eglise naissante, p.
166-167.
[42] FUNK, Patres apostolici, t,
I, p. 152.
[43] DUCHESNE, Eglises séparées, p.
127-128. Cf. Dom CHAPMAN, Saint Ignace d'Antioche et l'Eglise romaine, dans
la Revue bénédictine, t. XIII, 1896, p. 385-400. Non est dubium, dit Funk, Ignatium, hoc loto de Ecclesiæ primatu loqui. Patres
apost., t. I, p. 253. Plusieurs protestants admettent cette interprétation,
entre autres Lightfoot, Jülicher et Harnack. Harnack essaie seulement de
prouver que la prééminence de l'Eglise de Rome viendrait uniquement de la prééminence
de sa charité. (Voir la réfutation de cette explication dans BATIFFOL, l'Eglise naissante, 2e
édition, p. 168-170.) La netteté des affirmations de saint Ignace sur les
dogmes essentiels de l'Eglise catholique a porté depuis longtemps les
protestants et les rationalistes à suspecter l'authenticité de ses lettres.
Bardenhewer, après avoir fait l'histoire des controverses qui se sont élevées à
ce sujet, conclut ainsi : L'authenticité des sept
lettres de saint Ignace, attestée par une chaîne ininterrompue de témoignages
qui remontent aux premières années du IIe siècle, ne saurait, pour un esprit
impartial, être mise en question. (BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise,
trad. Godet et Verschaffel, t. I, p. 109-110.)
[44] Les trois premiers siècles
sont les plus pauvres de documents sur les papes. Les quelques lignes que le Liber
pontificalis consacre à chacun d'eux ne sont pas à l'abri de toute
critique. La dernière persécution de Dioclétien détruisit systématiquement les
livres des chrétiens, leurs registres, les actes des martyrs, et ce fut une
perte irréparable. Il ne reste de ces documents que quelques débris sans suite
et sans ordre. Dans ces conditions, le champ des conjectures et des
vraisemblances est forcément plus vaste que celui de la vérité pleinement démontrée.
Nous recueillerons néanmoins avec soin, par respect pour la part de vérité
qu'elles peuvent contenir, ces conjectures précieuses ; et les donnant comme
telles, nous aurons conscience de ne rien trahir de la vérité historique.
[45] MARTIGNY, Dict. des antiquités
chrétiennes, au mot titre.
[46] C'est le sens vraisemblable de
l'expression obscure : propter stylum veritatis.
(Liber pontificalis, I, 126.)
[47] DUCHESNE, Liber pontificalis, I,
126, note 4.
[48] DUCHESNE, Liber pontificalis, I,
126, note 4.
[49] JAFFÉ, Regesta pontificum, t.
I, p. 4-5.
[50] In prædicatione sacerdotum,
L. P., I, 127.
[51] In prædicatione sacerdotum, L. P.,
I, 127. Sur
ce rite, voir le Sacramentaire gélasien dans MURATORI, Lit. rom. vet., t. I,
p. 738-741, et les Constit. apost., VIII, 29.
[52] Voir Acta Sanctorum,
mai, t. I, p. 371 et s. Sur la valeur de ce document, voir TILLEMONT, Mémoires, t. II, p.
590, et DUCHESNE, Liber pontificalis, t. I, Introduction, p. XCI-XCII. Il
parait très probable, écrit Dom Chamard, que le
rédacteur du Liber pontificalis a confondu le pape Alexandre avec un martyr
célèbre du même nom, enterré sur la voie Nomentane... Néanmoins, il est également probable qu'il avait sous les
yeux un autre document où il a puisé la notion plus certaine du martyre du
pontife. Dom CHAMARD, les Origines de l'Eglise
romaine, ch. VII. On a remarqué que la plupart des papes des trois premiers
siècles sont qualifiés de martyrs. Mais lorsque cette qualification n'est pas
expliquée par des détails précis, elle peut avoir un sens très large. Voir S. CYPRIEN, P. L., t. III, col.
774-775. Cf. TILLEMONT, Mémoires, t. IV, p. 364 ; DE ROSSI, Roma sotterranea, t.
II, préface ; Dom CHAMARD, loc. cit.
[53] PLINE, Lettres, VIII, 4. DION, XV.
[54] EUSÈBE, H. E., l. III, ch.
XIII et XXXIV.
[55] Conc. Antioch., can.
23, HEFELE-LECLERCQ, Histoire des conciles,
t. I, p. 721.
[56] R. PARAYRE, Comment on devient pape,
dans l'Université catholique du 15 décembre 1912, p. 332-334. Cf. Canones
Hippolyti, can. 7-28, ap. DUCHESNE, Orig. du culte chrétien,
2e édit., p. 505.
[57] Liber pontificalis, I,
128.
[58] La critique est unanime
aujourd'hui à reconnaître l'authenticité de ce rescrit, reproduit par saint
Justin à la suite de sa première Apologie. Voir WADDINGTON, Fastes des provinces
asiatiques, 1872, p. 197-199 ; ALLARD, Hist. des persécutions,
I, 242 ; RENAN, l'Eglise chrétienne, p. 32, note 2.
[59] S. JUSTIN, Première Apologie, 68.
[60] Voir la critique de chacun de
ces Actes dans P. ALLARD, Hist. des pers., p. 202-234, 266-280.
[61] Servus
non habet negandi potestatem, SÉNÈQUE, De beneficiis, III,
19. Sur l'authenticité substantielle des Actes de sainte Marie, voir Ed. LE BLANT, les Actes des Martyrs,
p. 184.
[62] RUINART, Acta sincera, p. 18-20
; Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. I, p. 207-209.
[63] EUSÈBE, Hist. ecclésiastique,
l. III, ch. III ; FUNK, Patres apostolici, Tubingue, 1901, p. 371. Funk, loc.
cit., fixe la date de la composition de cette apologie en 125 ou 129. Il
est évident que les mots jusqu'à nos jours ne
visent pas la date même de l'apologie, mais l'époque de l'enfance de l'auteur,
les années de 80 à 100, par exemple. Cf. DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
t. I, p. 203.
[64] Sur Ariston, voir BATIFFOL, Anciennes littératures
chrétiennes, la littérature grecque, p. 89-90.
[65] Saint JÉRÔME, In Zachariam, II ; ORIGÈNE, contra Celsum, VII, in
fine.
[66] Comte DE CHAMPAGNY, les Antonins, t. II,
p. 71-74.
[67] Comte DE CHAMPAGNY, les Antonins, t. II,
p. 85. Des sépultures judéo-romaines de cette époque nous sont restées, avec la
palme, le candélabre, les titres de père et de mère de la synagogue.
[68] Saint EPIPHANE, De mensuris et ponderibus,
ch. XIV, P. G., t. XLIII, col. 361.
[69] Saint EPIPHANE, De mensuris et ponderibus,
ch. XIV.
[70] Saint JÉRÔME, In Isaiam, 49, P. L., t. XXIV, col. 466.
[71] Voir BATIFFOL, au mot Aquila, dans le
Dict. de la Bible, t. I, col. 811-812. Origène a fait figurer la
traduction d'Aquila dans ses Hexaples.
[72] Les Recognitiones sont
un vrai roman populaire. On trouve les œuvres pseudo-clémentines dans les deux
premiers volumes de la Patrologie grecque de Migne.
[73] TIXERONT, Histoire des dogmes,
t. I, p. 179-184.
[74] TIXERONT, Histoire des dogmes,
t. I, p. 185-187.
[75] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise,
t. I, p. 154.
[76] TERTULLIEN, Præscript., VII. Cf. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Excerpta a Theodoto,
78.
[77] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch.
XXII, n. 5.
[78] Saint JUSTIN, Dial., 35.
[79] Basilide enseigna vers
133-155. HARNACK, Chronologie, p. 290-291.
[80] Ou de saint Mathias, suivant
les diverses leçons des manuscrits.
[81] Telle est la description
donnée par saint IRÉNÉE, Hœres., P. G., t. VII, col. 675-680.
L'auteur des Philosophoumena, l. VIII, c. XIV et s., donne une autre
interprétation, mais tout porte à croire qu'il s'agit d'une évolution de la
doctrine de Basilide, telle qu'elle était au use siècle. Voir DUFOURCQ, Saint Irénée, 1 vol.
in-16°, Paris, 1903, p. 62-64.
[82] S. IRÉNÉE, P. G., VII, 680-686 ;
DUFOURCQ,
Saint Irénée, p. 64-66.
[83] La propagande des idées de
Valentin à Rome a dû commencer vers 135, HARNACK, Chronologie, p. 291.
[84] S. IRÉNÉE, Hœres., P. G.,
t. VII, col. 560-576 ; DUFOURCQ, Saint Irénée, p.
48-53.
[85] Liber pontificalis, I,
129.
[86] EUSÈBE, H. E., l. V, c. XXIV.
Sur les origines du jeûne du Carême, voir une longue note de Mgr DUCHESNE, Liber pontificalis, t.
I, p. 129-130, note 2.
[87] PLINE, Lettres, X, 97.
[88] On sait que les anciens
appelaient heure de prime l'intervalle qui s'écoule de 6 heures du matin à g
heures ; heure de tierce, le temps qui se passe de 9 heures à midi ; heure de
sexte, celui qui va de midi à 3 heures, et heure de none, celui qui va de 3
heures à 6 heures.
[89] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. VI.