Pendant que les institutions hiérarchiques, la vie chrétienne et le symbole de foi se développaient à Jérusalem, à Antioche et dans les chrétientés qui dépendaient de ces deux métropoles, les apôtres et les missionnaires, sous la direction de Pierre et de Paul, avaient élargi le champ des conquêtes évangéliques. Pierre, sans cesser de veiller sur les communautés chrétiennes du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie, de la Bithynie et de la Mésopotamie, avait fondé l'Eglise de Rome ; et Paul, après un voyage à travers l'Asie Mineure avait, lui aussi, abordé en Europe et prêché la bonne nouvelle à Philippes, à Thessalonique, à Bérée, à Athènes et à Corinthe. De cette nouvelle expansion du christianisme et de toutes celles qui suivraient, Rome devait être le centre et le rester toujours désormais : la capitale de la civilisation gréco-romaine allait devenir la capitale du monde chrétien. I Si le christianisme était apparu au monde juif, terrestre et charnel, comme un scandale, il se présentait au monde païen, plein d'orgueil et de volupté, comme une folie[1]. Sans doute, au moment où Pierre entre à Rome, au moment où Paul harangue les Athéniens sur la colline de l'Aréopage, la vieille religion païenne de la Grèce et Rome semble frappée à mort. L'empire, en nivelant, sous son administration protectrice, les peuples qu'il a conquis, a enlevé aux vieux cultes officiels, qui incarnaient en eux l'âme de la cité et de l'Etat, leur principale force ; la philosophie païenne, en se vulgarisant, a perdu de son prestige ; la confiance en Platon n'a pas moins baissé que la foi en Pallas Athénè ; et, dans le vide immense et douloureux qui s'est produit autour des âmes, des rives de la Méditerranée au Pont-Euxin, une sorte de fermentation religieuse a commencé à bouillonner. L'expression ennui de vivre, tædiurn vitæ, passera avec Ulpien dans le langage sévère du droit romain[2]. Malheureusement la place laissée vacante par le vieux paganisme traditionnel est déjà prise. Les anciens cultes mystiques de l'Hellade ressuscitent. De l'Egypte, de l'Asie orientale, c'est comme une invasion de rites étranges, mystérieux, séduisants. Sous Caligula, vers l'an 38, le culte d'Isis a obtenu à Rome droit de cité. Après Isis, ce seront Adonis et Aphrodite de Byblos, Elagabal d'Emèse, le Baal de Dolichè et la Vierge céleste de Carthage, qui attireront les foules autour de leurs autels ; et les uns et les autres prépareront les voies à ce grand culte mithriaque, à cette adoration du dieu solaire, du Sol invictus, qui résistera le dernier à la religion de Jésus-Christ. L'empire de ces nouveaux cultes sur les âmes est, par un côté, plus puissant que celui des anciens cultes nationaux. Au peuple épris de fêtes, ils apportent les émotions de leurs processions tapageuses et de leurs épouvantes secrètes. Aux âmes tourmentées d'infini, ils ouvrent leurs mystères, ils font entrevoir, dans un au-delà bienheureux, on ne sait quelle fusion intime avec une ineffable Divinité, dont toutes les forces visibles ne sont que les aspects infiniment féconds et variés. On ne peut pas dire que l'idée de perfection morale soit tout à fait absente de cet effort vers la purification que les nouveaux mystères supposent ou doivent faire acquérir[3] ; mais cette purification est surtout rituelle, extérieure ; elle n'atteint pas le fond du cœur[4]. Quelques âmes d'élite pourront trouver dans les mythes légendaires que ces religions propagent l'occasion d'un élan vers un monde divin ; mais, en réalité, ces mythes sont les plus étranges et les plus obscènes de tout le paganisme[5]. Tandis que les cérémonies publiques et secrètes des nouveaux cultes, infestées de magie et d'immoralité, ne peuvent inspirer aux masses populaires que des idées religieuses très basses, ce grand Tout Infini, auquel les esprits élevés s'arrêtent, et où le mal et la laideur ont une place aussi essentielle que le bien et la beauté, ne peut leur suggérer l'idée d'une vraie vie morale et surnaturelle. Bref, en dépit de ressemblances extérieures qu'on a beau classer et rassembler avec soin[6], l'âme de ce monde païen apparaît comme essentiellement opposée à l'esprit de l'Evangile. C'est pourquoi celui-ci n'hésitera pas à se poser, consciemment et ouvertement, comme l'ennemi de tous ces cultes ; il en attribuera l'inspiration au diable, et ne cachera pas son intention de les combattre partout, comme on combat un ennemi mortel. II Un ingénieux écrivain a imaginé un dialogue entre l'apôtre Pierre, arrivant à Rome, pauvre et mal vêtu, et un de ces Romains oisifs et chercheurs de nouvelles, comme il s'en rencontrait tant alors. Le pêcheur galiléen avoue qu'il n'a ni or ni argent, qu'il a passé une bonne partie de sa vie à pêcher des poissons dans un lac de son pays et à raccommoder ses filets pour gagner son pain ; qu'il vient maintenant prêcher un Dieu, mort du dernier supplice, sur une croix, entre deux voleurs ; qu'il a l'intention de substituer le culte de ce Dieu à celui des démons et de le répandre par toute la terre. Le Romain hausse les épaules et passe son chemin, en murmurant : Pauvre fou ![7] La manière dont Tacite et Suétone parlent des chrétiens, le dédain que ceux-ci leur inspirent, donnent de la vraisemblance à un pareil dialogue[8]. Les vieilles traditions rapportent que Pierre vint à Rome, vers l'an 42, aussitôt après sa délivrance miraculeuse. Ces traditions paraissent vraisemblables. Un certain nombre de sarcophages romains très anciens représentent l'apôtre emprisonné. On peut conjecturer que l'Eglise primitive de Rome a voulu par là figurer la relation existante entre la prison de saint Pierre et sa venue dans la ville éternelle. Le livre des Actes dit qu'une fois délivré, Pierre partit pour un autre lieu[9]. Cet autre lieu ne serait-il pas Rome[10] ? On a tiré d'un passage de Suétone un autre argument. L'historien, parlant de l'expulsion des Juifs de Rome par l'empereur Claude, dit que cette mesure fut décidée à la suite d'une agitation provoquée parmi ces Juifs par un certain Chrestus[11]. Il y a là, semble-t-il, une confusion entre le fondateur du christianisme, le Christ, dont on modifie un peu le nom, et quelque chef important, dont la venue ou le séjour à Rome auraient donné une nouvelle impulsion à la propagande chrétienne. Si ce personnage n'est pas l'apôtre Pierre, auquel des apôtres ou des disciples de Jésus attribuera-t-on cet honneur d'avoir été confondu avec le Maître[12] ? En arrivant à Rome, Pierre dut y être accueilli par plus d'un frère dans la foi. Parmi les étrangers présents à Jérusalem au jour de la Pentecôte et baptisés par saint Pierre, saint Luc mentionne, en effet, des habitants de Rome[13]. Ces convertis, une fois retournés en leur pays, racontèrent, sans doute, les prodiges dont ils avaient été les témoins, et ceux de leurs compatriotes qui firent, les années suivantes, le même pèlerinage à Jérusalem, ne purent que confirmer ce que les premiers convertis avaient dit de la religion nouvelle. Il est de toute vraisemblance que quelques-uns de ces derniers se convertirent aussi et convertirent peut-être à leur tour quelques Juifs de Rome. En tout cas, dans les quartiers juifs de la porte Capène, du Champ de Mars, du Transtevere et de la Subure, où les fils d'Israël, étroitement unis entre eux, exerçaient les professions les plus diverses, savetiers, petits revendeurs d'objets à l'usage du peuple, ou grands commerçants dont l'aristocratie fréquentait les riches boutiques[14], on dut s'entretenir du prophète de Galilée, de sa mort, de sa résurrection et des étranges événements accomplis au jour de la Pentecôte. C'est dans un des quartiers pauvres habités par les Juifs que se fixa l'apôtre[15]. N'ayant ni science, ni dignité, ni rang social élevé, il ne fut point sans doute convié à parler dans les synagogues, comme plus tard saint Paul, à qui son titre de scribe valut cet honneur. Le premier représentant de Jésus-Christ dut conquérir les âmes une à une dans des entretiens familiers, témoignant à tous cette bonté compatissante, cette amitié de frère, cette indulgente charité accompagnée d'humilité et de douceur[16], qu'il devait recommander plus tard à ses disciples. Ses premières conquêtes se firent parmi ces pauvres et ces humbles. C'est pourquoi les philosophes de ce temps n'y virent qu'un ramas d'esclaves, de vils artisans et de vieilles femmes[17]. Autour des Juifs se groupaient à Rome tout un peuple d'Orientaux, Syriens, Egyptiens, habitants de l'extrême Asie, que la communauté de race et de traditions rapprochait. Chez tous, l'espérance messianique, plus ou moins déformée, était vivace. Dans tout l'Orient, dit Suétone, c'était une antique et ferme croyance que l'empire du monde appartiendrait vers ce temps à un homme parti de Judée[18]. Quelques-uns de ces hommes durent prêter l'oreille aux entretiens de Pierre. Dans le monde romain lui-même, les pauvres au moins écoutèrent avec ravissement les paroles de paix, de pureté et de délivrance que leur adressa l'apôtre. De ce nombre furent les esclaves, ces hommes sans droits, sans défense et sans dignité, que le droit civil de Rome traitait comme des choses. On entend comme un écho de la voix de l'apôtre dans ce passage de l'épître qu'il devait écrire bientôt à leur adresse : Serviteurs, soyez soumis à vos maîtres avec toute sorte de respect, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais aussi à ceux qui sont rudes et fâcheux ; car c'est une grâce d'endurer, en vue de plaire à Dieu, des peines qu'on nous fait souffrir injustement. Quelle gloire y a-t-il si, souffletés pour avoir mal fait, vous l'endurez ? Mais si, faisant le bien, vous souffrez, et que vous l'enduriez, cela est digne de louange devant Dieu ; car c'est à quoi vous avez été appelés, puisque le Christ aussi a souffert pour vous, afin que vous suiviez ses traces... Par ses meurtrissures et ses plaies, vous avez été guéris[19]. Ces pauvres esclaves étaient, en effet, de ceux à qui Pierre adressait ces étonnantes paroles : Vous êtes une race élue, des prêtres rois, une nation sainte, un peuple que Dieu a fait sien, pour que vous annonciez les grandeurs de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière[20]. Peu à peu vinrent se ranger autour de l'apôtre, à côté des pauvres et des esclaves, un certain nombre de femmes païennes de condition moins humble. Ce furent peut-être quelques-unes de ces matrones que le poète latin nous montre, venant, comme affamées de purification morale, demander au culte d'Isis des ablutions multipliées et des pénitences sans fin, se plongeant trois fois chaque matin dans les eaux froides du Tibre, et se traînant autour du Champ de Mars sur leurs genoux ensanglantés[21]. Le christianisme montait peu à peu des bas fonds de la société, vers les hautes classes. Tacite raconte que, vers l'an 43, une matrone du plus haut rang, Pomponia Græcina, quitta le monde, à la suite, du meurtre de son amie Julie, fille de Drusus, victime des intrigues de Messaline. Elle vécut longtemps, dit Tacite, toujours dans la tristesse. Pendant quarante ans, elle ne porta que des habits de deuil[22]. La singularité de cette existence finit par éveiller des soupçons. Pomponia Græcina fut accusée de se livrer à des superstitions étrangères et remise au jugement de son mari. Celui-ci, qui était le consulaire Plautius, un des vainqueurs de la Bretagne, la déclara innocente, et le deuil obstiné de Pomponia, ajoute l'historien romain, non seulement resta impuni sous Claude, mais devint ensuite pour elle un titre de gloire[23]. Ce passage de Tacite avait depuis longtemps fait soupçonner que la noble matrone fût devenue servante du Christ. Les découvertes archéologiques faites par Jean-Baptiste de Rossi dans les cryptes de Lucine, entre autres l'inscription d'un Pomponios Grekeinos, neveu probable de la noble matrone, lui ont fait conjecturer que le cimetière dit de Lucine, l'un des plus anciens de la Rome chrétienne, était la propriété de Pomponia Græcina elle-même[24]. La grande dame romaine, non moins malheureuse au milieu de son luxe que les pauvres esclaves dans leurs chaînes, était venue, elle aussi, chercher la paix dans la doctrine prêchée par le pêcheur galiléen. Les conversions de ce genre furent, il est vrai, fort rares dans la première moitié du Ier siècle. Quand, vers l'an 51, l'empereur Claude, ému d'une agitation de faubourg dont on rendait responsable un certain Chrestus, ordonna à tous les Juifs de s'éloigner de Rome[25], suivant l'expression de saint Luc, la communauté chrétienne devait se composer, en grande majorité, d'Israélites pauvres. Ce n'était pas la première fois que le pouvoir dispersait la juiverie de Rome. Comme toujours, l'exil des Juifs fut de courte durée. Le tumulte apaisé, on les laissa rentrer peu à peu[26]. En quelques années, peut-être en quelques mois, la juiverie de Rome fut reconstituée, et le christianisme y reprit son mouvement d'expansion continue. III Pierre avait dû quitter la ville avec son troupeau de fidèles. Il devait n'y revenir que vers la fin de 63. Mais, tandis que le chef des apôtres évangélisait de nouveau l'Orient, Paul abordait en Europe. Vers l'an 51, pendant que l'apôtre des Gentils, à Troas, hésitait sur la voie qu'il devait suivre, il vit en rêve un Macédonien, debout près de lui, qui l'invitait et lui disait : Viens à notre aide. L'apôtre comprit que Dieu lui commandait de se diriger vers l'Europe. Il se décida à franchir la mer, accompagné d'un personnage qui apparaît pour la première fois dans la narration et qui sera l'annaliste de la nouvelle campagne apostolique. C'est Luc, un gentil, originaire d'Antioche, médecin de profession, d'une culture intellectuelle dont son récit témoignera. Avec Luc, le génie grec pénétrera l'œuvre de Paul ; il y apportera des dons inconnus à l'Orient et qui abondent aux belles rives vers lesquelles se dirigent les apôtres : l'harmonie, la grâce, les clartés sereines[27]. La troupe apostolique aborda successivement à Philippes, à Thessalonique, à Bérée, à Athènes et à Corinthe. Dans toutes ces villes, fières de leurs grands souvenirs historiques, mais peuplées d'âmes affamées de vérité religieuse, la parole des missionnaires fut écoutée avec avidité. Des conversions merveilleuses se produisirent dans toutes les classes. A Philippes, à Thessalonique, à Bérée, à Corinthe, des communautés chrétiennes s'organisèrent. Les dons surnaturels, prophétie, don des langues, s'y manifestèrent avec une extraordinaire abondance. Le repas du Seigneur ou l'Eucharistie y devint, comme à Jérusalem et à Antioche, le centre du culte. Le soir, après le coucher du soleil, à la lueur de nombreuses lampes[28], les fidèles s'assemblaient dans la haute salle qui formait communément le dernier étage des maisons. Comme dans le milieu juif, la liturgie commençait par un souper auquel on donnait le nom de repas de charité ou agape. Les Grecs, en particulier les Corinthiens, introduisirent malheureusement dans ce repas l'usage des associations grecques, qui voulait que chaque membre mangeât aux repas de corps ce qu'il y avait apporté. De là naquirent de fâcheux abus, contre lesquels saint Paul dut protester avec force[29] et qui hâtèrent le moment où l'agape fut séparée de l'Eucharistie, pour disparaître ensuite peu à peu du culte chrétien. Le souper fraternel achevé, les convives se saluaient d'un saint baiser de paix et de charité[30]. Le lieu de réunion n'était plus, comme naguère, la synagogue, mais la demeure de quelqu'un des frères, laquelle devenait à la fois un sanctuaire, animé par le Dieu de l'Eucharistie, un tribunal où tout différend s'accordait[31], un centre de société si bienfaisant, si aimable, qu'en être excommunié paraissait le plus redoutable châtiment. L'action de grâces était sur toutes les lèvres ; partout se trouvait un charme de vertu, une sérénité de joie incomparable[32]. La parole émue des païens à la vue de telles fraternités en était la juste louange et en expliquait bien l'attrait : Voyez comme ils s'aiment[33] s'écriaient-ils. Athènes seule devait résister presque complètement à la parole de l'apôtre et à la grâce de Dieu. Depuis la perte de son indépendance, depuis que la Grèce, devenue province romaine en 146 sous le nom d'Achaïe, avait Corinthe pour capitale, Athènes n'était plus qu'une ville d'écoles, comme le sont de nos jours Cambridge et Oxford. On n'y voyait que professeurs, philosophes, rhéteurs appliqués à instruire la jeunesse. Comme au temps de Démosthène, le lieu le plus fréquenté de la ville était toujours l'Agora. Les représentants des deux philosophies qui avaient alors le plus de vogue, l'épicurisme et le stoïcisme, s'y réunissaient d'habitude pour y discuter sur des questions de morale. Paul s'y présente, et dès les premiers mots de son discours, élève les pensées de ses auditeurs vers l'idée de la Divinité, de sa grandeur, du culte que l'homme doit lui rendre. La parole de cet étranger, grave, pathétique, convaincue, pique au vif la curiosité, mais elle éveille dans l'âme de ceux qui l'écoutent des impressions diverses. Les disciples d'Epicure, voyant qu'il s'agit d'une question religieuse, murmurent : C'est un vain discoureur. Les fidèles du Portique, moins dédaigneux, s'imaginent qu'on leur propose une nouvelle divinité. Finalement la curiosité l'emporte sur le scepticisme railleur. Pour mieux entendre la doctrine de l'étranger, on l'invite à monter à l'Aréopage, loin du tumulte de l'Agora. Là, en face de ce que l'hellénisme a recueilli de plus beau au point de vue de l'art et de plus glorieux au point de vue du passé, Paul improvise le discours admirable que nous a conservé le livre des Actes. Hommes d'Athènes, je constate qu'à tous égards, vous êtes éminemment religieux. Car, lorsqu'en passant je regardais les objets de votre culte, j'ai trouvé même un autel avec cette inscription : AU DIEU INCONNU. Celui que vous adorez sans le connaître, je viens vous l'annoncer. Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu'il renferme, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite point dans des temples faits de main d'homme ; il n'est point servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie, le souffle et toutes choses. D'un seul homme il a fait sortir tout le genre humain, pour peupler la surface de toute la terre, ayant déterminé pour chaque nation la durée de son existence et les bornes de son domaine, afin que les hommes le cherchent et le trouvent comme à tâtons : quoiqu'il ne soit pas loin de chacun de nous, car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ; et, comme l'ont dit aussi quelques-uns de vos poètes, ... de sa race nous sommes. Étant donc de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la Divinité soit semblable à de l'or, à de l'argent ou à de la pierre, sculptés par l'art et le génie de l'homme. Dieu ne tenant pas compte de ces temps d'ignorance, annonce maintenant aux hommes qu'ils aient tous, en tous lieux, à se repentir ; car il a fixé où il jugera le monde selon la justice, par l'Homme qu'il a désigné, et qu'il a accrédité auprès de tous, en le ressuscitant des morts[34]. Cette allusion à la résurrection du Christ, à un miracle si étrange pour des esprits grecs, rompt l'intérêt, mêlé de surprise, qu'on a d'abord accordé à la parole de l'apôtre. Il est brusquement interrompu. Epicuriens et stoïciens reviennent à leurs spéculations de pure morale. Quelques auditeurs cependant ont été touchés ; entre autres un certain Denys, membre du célèbre tribunal de l'Aréopage, en qui l'Eglise de Paris honorera plus tard son fondateur, et une dame de qualité appelée Damaris[35]. Malgré tout, le monde grec était saisi ; et le grand apôtre, qui avait su si bien rester Juif avec les Juifs, se faisait de plus en plus Grec avec les Grecs, pour les gagner tous à Jésus-Christ[36]. Ce Juif, fils de Juifs, ce pharisien, fils de pharisiens[37], ne craindra pas d'emprunter ses comparaisons à la vie, militaire ou civile, des citoyens de l'empire[38], il parera ses discours de vers d'Aratos, de Ménandre et d'Epiménide, et professera une admiration sincère pour la paix romaine et pour l'ordre impérial. Non point cependant que son idéal s'enferme dans un nouveau cadre. Sa pensée, débordant le cercle de l'empire comme celui du monde juif, n'aura pas d'autres bornes que celles de cette humanité pour laquelle son Maître est mort sur la croix : et son cœur s'ouvrira, — l'apôtre l'a dit, en paroles qui semblent avoir jailli toutes brûlantes de son âme embrasée d'amour, — à tout ce qui est vrai, à tout ce qui est vénérable, à tout ce qui est juste, à tout ce qui est aimable, à toute chose louable et à toute vertu[39]. IV Il n'est pas certain que, dans sa première mission en Europe, Paul soit allé jusqu'à Rome ; mais ce dont on ne peut douter, c'est que, depuis la persécution déchaînée par Claude, Paul n'ait pas cessé, soit de vive voix, soit par écrit, d'y entretenir des relations. En 58, pendant son séjour à Corinthe, il pensa que le moment était venu d'envoyer aux chrétiens de Rome, sous forme de lettre, le grand exposé doctrinal connu sous le nom d'épître aux Romains. La seule énumération des vingt-quatre personnes que l'apôtre salue à la fin de cette lettre, est comme une évocation de la communauté chrétienne de Rome, telle qu'elle était au milieu du Ier siècle. On y voit d'abord que, dès cette époque, un grand nombre des membres de l'Eglise romaine sont connus de l'apôtre, au moins par leurs noms, et qu'il y compte beaucoup d'amis. On constate en même temps que, depuis l'édit de Claude, la communauté chrétienne, d'abord recrutée sur place dans les juiveries et parmi quelques étrangers, au hasard des arrivages d'Orient, a fait comme une trouée hardie dans les plus nobles familles de l'empire. A côté de Juifs d'origine, tels que Prisque et Aquila, ou que les gens de la maison d'Aristobule, petit-fils d'Hérode, on y rencontre des Romains de race, comme Urbanus, Ampliatus, Rufus, Junia, sans parler des gens de la maison de Narcisse, et des Grecs authentiques, tels que Phlégon, Hermès, Epénète, Philologue et Nérée[40]. Nous n'avons aucun indice que, dans une assemblée composée d'éléments si disparates, des chocs douloureux se soient produits. Païens et Juifs, riches et pauvres fraternisaient en l'amour de Jésus-Christ. Il n'en est pas moins vrai que, de la juxtaposition de l'élément juif et de l'élément hellénique ou romain, des malentendus pouvaient naître. Le Grec et le Romain, fiers d'une civilisation matérielle dont on ne comptait plus les merveilles, et d'une culture intellectuelle dont ils sentaient la valeur, étaient naturellement portés à mépriser ce petit peuple juif, dont les pratiques rituelles semblaient si bizarres, dont la mission, en tout cas, paraissait finie. D'autre part, le Juif, non moins fier de son antique loi, qu'il tenait de Dieu lui-même, et des promesses faites à son père Abraham, se voyait avec peine mis sur le même pied que le Gentil au point de vue du salut. Paul avait une idée, qui lui était chère, qu'il appelait son Evangile, parce qu'il avait la conviction que Dieu l'avait chargé de la répandre et de la faire prévaloir. Cette idée, c'était que le paganisme sans la loi et le judaïsme avec la loi avaient également fait preuve d'impuissance, et qu'ils devaient l'un et l'autre céder la place à une forme supérieure de la religion par l'Evangile ; de telle sorte que la religion du Christ, se substituant à la loi d'Israël et à l'erreur des nations, jetterait dans les filets de l'Eglise simultanément et Juifs et Gentils[41]. C'est là toute la doctrine de l'épître aux Romains, la plus importante et la plus fortement rédigée des épîtres de Paul, celle qu'on peut considérer comme le résumé de sa théologie[42]. Devant Dieu, s'écrie l'apôtre, pas d'acception de personnes. Ceux qui ont péché sans la loi périront aussi sans la loi, et ceux qui auront péché avec la loi seront condamnés d'après la loi... Mais voici que maintenant, indépendamment de la loi, la justice selon Dieu s'est manifestée, justice selon Dieu qui vient par la foi en Jésus-Christ... Plus de distinction entre Juifs et Gentils. Tous ont péché, et c'est gratuitement qu'ils sont justifiés au moyen de la rédemption qui s'est accomplie par le Christ Jésus[43]. C'est dans cette pensée de la rédemption par le sang de Jésus-Christ, que Paul veut réconcilier Juifs et Gentils par l'amour ; c'est à cette pensée que son cœur tressaille et que s'échappent de son âme ces accents, les plus passionnés peut-être qui soient jamais sortis d'une âme humaine : Frères, qu'ajouter ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, comment ne nous donnera-t-il pas, dans sa bonté, toutes choses avec lui ?... Ah ! qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation ? L'angoisse ? La persécution ? La faim ? La nudité ? Le péril ? Le glaive ?... Pour moi, j'ai l'assurance que rien, ni mort, ni vie, ni anges, ni dominations, ni présent, ni avenir, ni ciel, ni enfer, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, manifesté dans le Christ Jésus Notre-Seigneur[44]. Dans les derniers chapitres de son épître, saint Paul tire de sa doctrine des conclusions pratiques, qu'il est important de noter pour bien marquer l'attitude de l'Eglise de Rome en face de l'Empire. Puisque désormais Juifs et Gentils sont fondus dans une seule société ouverte à tous, le temps est venu pour le Juif d'abjurer toute pensée de révolte. S'adressant particulièrement à ces Israélites dont le nationalisme toujours frémissant ne pouvait se résoudre à une fusion dans la grande unité romaine : Que toute âme, dit-il, soit soumise aux puissances. Qui résiste au pouvoir, résiste à l'ordre de Dieu. Le prince est le ministre de Dieu. Il faut lui être soumis, non seulement par crainte des châtiments, mais par devoir de conscience[45]. Quand l'apôtre écrivait ces lignes, Sénèque et Burrhus gouvernaient l'Empire sous le nom de Néron, et celui-ci n'avait encore donné à son peuple aucun sujet de le maudire. Mais peu importent les circonstances contingentes de la politique au moment où fut écrite l'épître aux Romains. Saint Paul proclamait un principe que l'Eglise devait répéter après lui avec la même énergie, à savoir, que le chrétien doit ne le céder à personne dans l'obéissance aux justes lois de son pays et dans le respect de ses magistrats. Ce commandement ne devait rendre que plus frappante son intransigeance irréductible lorsque les droits supérieurs de Dieu et de la justice seraient en jeu. De cette résistance héroïque, la jeune Eglise romaine et saint Paul lui-même allaient bientôt donner l'exemple le plus éclatant. V Quatre ans après avoir écrit aux Romains son épître, l'apôtre Paul entrait dans Rome en prisonnier. Assailli par une émeute à Jérusalem, où il était allé porter les offrandes recueillies en Achaïe pour les frères hiérosolymites, arrêté par la police romaine et traduit devant le gouverneur de Judée, Paul, après avoir déjà revendiqué ses droits de citoyen romain devant le tribun Claudius, n'avait pas hésité à prononcer la formule solennelle de l'appel à César. Son arrivée à Rome, en mars 62, après un premier emprisonnement à Césarée, coïncidait avec le début du gouvernement personnel de Néron. Burrhus venait de mourir et avait été remplacé par l'infâme Tigellin, le compagnon de débauches de l'empereur ; Sénèque s'était retiré des affaires, et Néron, comme on l'a dit, n'avait plus dès lors pour conseil que les Furies. Mais le prince fit sans doute peu attention à ce juif prisonnier et à la querelle de religion dans laquelle on le disait compromis. Paul dut attendre pendant deux ans la comparution devant l'empereur qu'il avait réclamée comme son droit de citoyen. Pendant ces deux années, il vécut dans une demi-liberté, sous la garde d'un prétorien, recevant librement ceux qui venaient le visiter. La communauté romaine s'était accrue. Une des lettres écrites par l'apôtre pendant sa captivité parle des chrétiens qui font partie de la maison de César[46]. Sa parole paraît avoir opéré des conversions nombreuses, même parmi les soldats. Dans la même lettre, Paul constate que ses chaînes sont devenues une prédication du Christ dans tout le camp prétorien auprès duquel il habitait[47]. C'est de là qu'il écrivit plusieurs de ses admirables épîtres ; vraisemblablement, le billet à Philémon, la lettre aux Eglises d'Asie connue sous le nom d'épître aux Ephésiens, l'exhortation aux frères de Colosses, et sûrement la lettre aux Philippiens[48]. Ces épîtres de la captivité se distinguent des autres par un accent de tendresse plus émue et par une doctrine mystique plus profonde. Les premières lettres de l'apôtre n'étaient qu'un écho de sa prédication missionnaire ; l'épître aux Romains condensait sa doctrine dogmatique fondamentale ; dans sa correspondance avec les Eglises d'Asie en général, avec les chrétiens de Colosses et de Philippes, son âme s'épanche en accents plus pathétiques. A la fin de sa lettre aux Philippiens, il trace ces lignes, pleines d'exquise délicatesse : Je vous envoie Epaphrodite, mon frère, le compagnon de mes travaux et de mes combats... Il a été malade, et malade à mourir ; mais Dieu a eu pitié de lui et aussi de moi[49]. Il écrit à Philémon : Etant ce que je suis, Paul, un vieillard, et maintenant un prisonnier du Christ Jésus, je t'adresse une prière en faveur de mon fils Onésime, que j'ai engendré dans les chaînes[50]. C'est dans ces épîtres de la captivité que se trouvent ces vues si élevées, si lumineuses sur la vie intérieure, sur le Christ considéré comme fondement de toutes choses, sur les abaissements du Fils de Dieu, sur la lutte que nous avons à livrer contre les puissances infernales, sur le vieil homme et sur l'homme nouveau, sur les rapports qui unissent le Christ à son Eglise. Rien n'égale
l'accent pathétique avec lequel l'apôtre supplie à genoux les fidèles de
fortifier en eux l'homme intérieur : Moi, Paul,
prisonnier du Christ pour vous, païens, je fléchis le genou devant le Père,
afin qu'il vous donne d'être puissamment fortifiés par son Esprit en vue de
l'homme intérieur, et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, afin
qu'enracinés dans la charité, vous deveniez capables de connaître l'amour du
Christ[51].
Car le Christ est le fondement de tout : Dieu, dans
sa bonté, s'est proposé de réunir en Jésus-Christ toutes choses, celles qui
sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre[52]. Et c'est ce
Christ qui, par amour pour nous, s'est abaissé si profondément ! Existant dans la forme de Dieu, il n'a pas regardé comme
une usurpation de se faire l'égal de Dieu, mais il s'est dépouillé lui-même,
prenant la forme d'un esclave... s'abaissant
plus encore, se faisant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la
croix[53].
Mais, hélas ! si d'un côté le Christ nous attire, de l'autre les
puissances du mal cherchent à nous séduire. Car nous
n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes,
contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre
les esprits mauvais répandus dans l'air[54]. Au fond, en
quoi consiste toute la vie chrétienne ? A nous
dépouiller, en ce qui concerne notre vie passée, du vieil homme corrompu par
les convoitises trompeuses, à nous renouveler dans notre esprit et dans nos
pensées, et à revêtir l'homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et
une sainteté véritables[55]. La parole de Paul n'est pas moins émue quand il parle de l'Eglise que quand il parle du Christ et de Dieu ; car si, pour lui, le Christ est le Dieu vivant, pour lui aussi l'Eglise et le Christ ne font qu'un. L'Eglise n'est autre chose que le corps du Christ ; c'est le Christ se survivant, à travers le temps et l'espace, par ses ministres et par ses sacrements. Si Dieu, dans son Eglise, a diversifié les ministères et les grâces, tout cela a été fait pour l'édification du corps du Christ, jusqu'à ce que nous soyons parvenus à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ, afin que, confessant la vérité, nous continuions à croître à tous égards dans la charité, en union avec celui qui est le chef, le Christ ; car c'est de lui que tout le corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa mesure d'activité, grandit et se perfectionne dans l'amour[56]. VI Le procès de Paul fut enfin jugé. En 63, il comparut, sinon devant l'empereur, du moins devant le conseil auquel ressortissait son appel[57]. Le tribunal impérial, assez indifférent aux querelles religieuses tant qu'elles ne troublaient pas l'ordre public, ne vit probablement dans la cause de Paul qu'un conflit de sectes juives, et acquitta l'apôtre, qui, suivant son expression, sortit délivré de la gueule du lion[58]. Remis en liberté, Paul se dirigea probablement vers l'Espagne, dont les origines chrétiennes semblent se rattacher à son apostolat. Il revit aussi les chrétientés de la mer Egée. Les lettres, dites pastorales, écrites à Tite et à Timothée, nous ont laissé quelques détails sur ce dernier voyage. En somme, le séjour du prisonnier à Rome avait été profitable au progrès de l'Eglise. Les chrétiens, réconfortés par la présence et par l'exemple de l'apôtre, se montraient plus confiants et plus courageux. Au moment même où Paul quittait la Ville éternelle, Pierre y arriva. L'historicité de ce second voyage du chef des apôtres à Rome ne peut faire aucun doute. Mais, comme on l'a remarqué fort à propos, le fait du séjour de Pierre à Rome a porté de telles conséquences et suscité de si grandes controverses, qu'il vaut la peine de se rendre compte de son attestation. Passé le milieu du IIe siècle, nous trouvons sur ce point une tradition précise et universelle... Toutes les controverses entre l'Orient et Rome laissent cette position intacte, et cela est bien remarquable... Mais on peut remonter beaucoup plus haut... Dans sa lettre aux Romains[59], saint Ignace d'Antioche vise leurs traditions apostoliques. Sans parler des traces que l'on a cru pouvoir relever dans l'Apocalypse et dans l'épître aux Hébreux, le dernier chapitre du quatrième Evangile[60] contient une allusion fort claire au supplice de l'apôtre... Saint Clément[61], dans son célèbre passage sur la persécution de Néron, réunit les apôtres Pierre et Paul avec les Danaïdes, les Dircès et autres victimes immolées à propos de l'incendie... Il n'est pas jusqu'à saint Pierre lui-même qui ne documente son séjour à Rome. Sa lettre aux chrétiens de l'Asie Mineure se termine par un salut qu'il leur envoie au nom de l'église de Babylone, c'est-à-dire de l'Eglise de Rome[62]. Si la réalité du séjour de saint Pierre à Rome est historiquement établie, on ne trouve sur ses travaux dans la Ville éternelle que des renseignements imprécis. Au Transtevere, dans le ghetto, sur l'Aventin, à Sainte-Prisque ; sur le Viminal, à l'endroit marqué par sainte Pudentienne ; sur la voie Nomentane, au cimetière ostrien, au lieu dit Ad nymphas sancti Petri, ou encore Ubi Petrus baplizabat ; dans la région vaticane, où il devait répandre son sang, à peine quelques souvenirs traditionnels permettent de suivre vaguement l'apôtre à la trace à demi effacée de ses pas[63]. Des documents historiques plus précis nous ont été conservés sur la terrible persécution qui troubla la fin du pontificat romain de saint Pierre. Le 19 juillet 64, un incendie, parti des boutiques qui entouraient le Grand Cirque de Rome, et poussé par un vent violent, dévora successivement les quartiers du Palatin, du Forum, du Cœlius, de l'Aventin et de l'Esquilin. Le feu dura six jours. Plus de la moitié de la vieille Rome fut brûlée. Le peuple, qui avait pu, en grande partie, échapper aux flammes en se réfugiant au Champ de Mars sous des abris provisoires, mais qui se voyait réduit par ce désastre au plus complet dénuement, se demanda aussitôt, comme il arrive en pareil cas, quel était l'auteur responsable du fléau. Un nom se trouva sur toutes les lèvres : celui de l'empereur[64]. Néron venait, en effet, de dévoiler sa nature cruelle, vaniteuse et fantasque. Déjà, lorsque, trois ans plus tôt, pour venger le meurtre du préfet de Rome, Pedanius Secundus, il avait fait mettre à mort les quatre cents esclaves de la victime, l'indignation populaire s'était manifestée par une émeute, difficilement contenue par la police[65]. Depuis lors, les crimes du tyran s'étaient multipliés, Burrhus était mort, et la voix publique avait accusé Néron de l'avoir fait disparaître ; Octavie, abreuvée de honte, avait pareillement disparu : Sénèque, dans la retraite, attendait à chaque heure un arrêt de mort ou de torture ; l'affreux Tigellin gouvernait tout. L'empereur, grisé par les basses flatteries de son entourage, mêlait étrangement, à ses cruautés sanguinaires, des rêves de gloire littéraire, et endormait ses remords, disait-on, si tant est que le monstre fut susceptible d'en avoir, eu déclamant des vers. Le bruit se répandit qu'on avait vu Néron, en habit d'acteur, contempler l'incendie du haut d'une tour en chantant la ruine de Troie. Une idée, suggérée peut-être à l'empereur par quelques-uns des nombreux Juifs dont il s'entourait[66], traversa l'esprit du despote. Accuser les chrétiens de l'attentat, c'était à la fois détourner de sa personne une fâcheuse rumeur, et se donner une occasion de ces exécutions collectives que son esthétique transformait en odieuses réjouissances. Mais l'enquête commencée révéla bientôt l'existence d'une multitude immense[67] de chrétiens. Les rendre tous responsables de l'incendie était braver trop ouvertement les vraisemblances. Un prétexte s'offrit de les condamner en masse : n'étaient-ils pas, dans leur ensemble, des ennemis du genre humain, c'est-à-dire de la civilisation romaine ? Ils furent convaincus, dit Tacite, moins de l'incendie que de la haine du genre humain[68]. On ajouta, continue l'historien, la dérision au supplice. Quelques-uns furent couverts de peaux de bêtes et déchirés par des chiens ; d'autres furent attachés à des croix ; d'autres furent allumés comme des torches, pour servir, quand le jour tombait, à éclairer la nuit. Néron avait prêté ses jardins à ce spectacle, et, en même temps, il donnait des jeux dans le cirque, se mêlant parmi le peuple en habit de cocher, en conduisant des chars[69]. Un passage de l'épître de saint Clément aux Corinthiens ajoute quelques détails aux détails déjà si affreux que nous donne Tacite. Il paraît que Néron, dont le goût dépravé bravait toute pudeur, avait introduit l'usage de faire jouer aux condamnés à mort des rôles empruntés à la mythologie. Le peuple avait tantôt le spectacle d'Hercule arrachant avec douleur de son corps une tunique de poix enflammée, tantôt d'Orphée mis en pièces par un ours ou de Dédale précipité du ciel. Des femmes chrétiennes furent obligées de jouer le rôle des Danaïdes, d'autres celui de Dircé. Les premières durent passer, avant de mourir, par une série de supplices sur lesquels nous ne pouvons que faire des conjectures ; les autres furent attachées aux cornes de taureaux indomptés et traînées ainsi dans l'amphithéâtre[70]. Ces horribles supplices furent le signal d'une persécution qui s'étendit dans les provinces et qui se continua à Rome jusqu'à la mort de Néron arrivée en 68[71]. Les plus illustres victimes de cette persécution furent les apôtres saint Pierre et saint Paul. La tradition fixe leur martyre à l'an 67. Au Ier et au IIe siècle, saint Jean, saint Clément de Rome et saint Denys de Corinthe parlent du martyre de saint Pierre sans en indiquer le mode ; mais au siècle suivant, Origène dit clairement que le chef de l'Eglise romaine fut crucifié la tête en bas[72]. Ainsi fut accomplie la prédiction que lui avait faite le Sauveur : Tu étendras tes mains, et un autre te ceindra et te conduira où tu ne veux pas[73]. Le supplice de saint Paul fut différent. Il eut la tête tranchée. C'était le supplice réservé aux citoyens romains, dont Paul avait revendiqué les droits[74]. VII Si les Juifs avaient été auprès de Néron les premiers inspirateurs de la persécution néronienne, ils n'allaient pas tarder à subir à leur tour, de la part d'un empereur romain, la plus humiliante des défaites, consommée par l'incendie de leur temple et la ruine de leur ville sainte. Vers l'an 62, peu de temps après le martyre de saint Jacques le Mineur, un simple paysan, Jésus, fils d'Ananus, s'était mis à parcourir nuit et jour les rues de Jérusalem, en proférant des malédictions terribles contre la ville et contre le temple. Voix de l'Orient, voix de l'Occident, criait-il, voix contre Jérusalem, voix contre le temple, voix contre les peuples ! Il ne devait cesser de répéter ces menaces que sept ans plus tard, en 70, quand une pierre, le frappant au front, l'étendit mort, pendant le siège de la ville[75]. Jérusalem était dans un état de surexcitation sans exemple. Un odieux massacre de 3.000 Juifs, commandé, en 66, par le procurateur romain Gessius Florus, provoqua une révolte générale de la population hiérosolymite contre l'autorité romaine. Un des derniers actes de Néron, en 68, fut d'envoyer en Palestine Vespasien, chargé de réduire à tout prix les rebelles. Le général était arrivé déjà sous les murs de Jérusalem quand l'acclamation des légions de Syrie le porta à l'empire, laissé vacant par les morts successives de quatre empereurs, Néron, Galba, Othon et Vitellius, disparus en dix-huit mois. Il laissa le soin de poursuivre la guerre à son fils Titus, qui au bout de sept mois d'un des sièges les plus sanglants dont parle l'histoire, s'empara de Jérusalem. Le temple fut détruit. Les assiégés survivants furent faits prisonniers ou vendus comme esclaves. Le voile du Saint des Saints, le chandelier à sept branches, le livre de la loi et la table des pains de proposition furent emportés à Rome comme trophées. Ce fut l'abomination de la désolation prédite par les prophètes. Ce fut l'accomplissement de la prophétie du Sauveur : Ah ! si, du moins, en ce jour, tu reconnaissais celui qui seul peut te donner la paix ! Mais à l'heure présente tout cela est voilé à tes regards... Des jours viendront durant lesquels tes ennemis t'environneront de tranchées... Ils te jetteront à terre, toi et tes enfants ; et de tes murs, ils ne laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas discerné le temps où tu as été visitée[76]. La destruction du temple de Jérusalem eut sur les destinées de l'Eglise chrétienne une influence considérable. Désormais l'observance des rites mosaïques devenait impossible dans ses éléments les plus essentiels. Le sacerdoce d'Aaron, le sacrifice perpétuel, et les rites secondaires qui en dépendaient, tombaient à la fois, non plus seulement en droit, mais en fait. Les chrétiens n'avaient pas été les témoins de la chute suprême de la Ville sainte. En voyant les enseignes romaines arborées autour de la cité, ils s'étaient souvenus des conseils du Maître : Quand vous verrez l'abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel, que ceux qui habitent la Judée s'enfuient vers les montagnes[77]. Ils s'étaient retirés dans la ville de Pella, en Pérée, près de la rive gauche du Jourdain. Ils y vécurent pauvrement de leurs épargnes, pleins de confiance dans l'immortelle vitalité de leur Eglise ; mais quand Jérusalem tomba, cette effroyable chute leur inspira une douleur pareille à celle qu'inspire, malgré tout, à une enfant pieuse, la mort d'une mère dénaturée. Même envers la Synagogue déicide et persécutrice, une sorte de piété filiale se retrouvait parmi ces chrétiens[78]. Trente ans plus tard, l'auteur de l'épître attribuée à saint Barnabé[79] cherchera à consoler les Juifs qui pleurent la perte de Sion et la fin de leurs antiques observances, en leur montrant que les holocaustes de l'ancienne loi n'étaient que les figures d'un sacrifice qui s'accomplit et s'accomplira toujours, et que tous les rites du judaïsme avaient un sens caché qui, en se révélant, les abrogeait. L'horreur des viandes impures, leur dit-il, se survivra dans l'éloignement que l'on gardera à l'égard des hommes vicieux[80] ; le serpent d'airain, les bras étendus de Moïse seront honorés dans l'image du Christ, dont ils étaient les figures[81]. Les Juifs, pareils aux Gentils, avaient mis leurs espérances dans un temple matériel[82]. Le temple vient d'être détruit par leurs ennemis ; mais ces ennemis se chargeront eux-mêmes d'élever à Dieu son véritable temple, un édifice spirituel[83]. VIII La chaîne providentielle qui reliait l'Eglise chrétienne à ses origines juives ne devait être jamais rompue ; mais les communautés chrétiennes se dégageaient de plus en plus, dans leur hiérarchie comme dans leurs rites et dans la forme même de leur enseignement doctrinal, des traditions de la Synagogue. Les trois épîtres pastorales de saint Paul, dont il faut placer la composition tout à la fin de sa vie[84], et qui sont comme un testament spirituel de l'apôtre, nous donnent, en quelques traits nettement accusés, le tableau de l'organisation hiérarchique de l'Eglise à cette époque. Au sommet se trouve l'évêque. L'évêque est le dispensateur de Dieu[85] dit saint Paul. A ce titre, il doit être comme un modèle de perfection au milieu des fidèles : sobre, chaste, aimable, bienveillant, juste, sans morgue, hospitalier, afin que ceux du dehors eux-mêmes lui rendent un bon témoignage[86]. Les diacres doivent être des hommes d'une vertu éprouvée : probes, incapables de duplicité, désintéressés, gardant le mystère de la foi dans une conscience pure[87]. Pour des fonctions aussi difficiles, une épreuve est nécessaire. Qu'on ne les ordonne qu'après une épreuve préalable, une sorte de noviciat[88]. Les pieuses veuves ont, à cette époque, un rôle spécial à remplir dans l'Eglise. On leur confie la direction de certaines œuvres. On ne doit admettre à de pareilles fonctions que des femmes âgées d'au moins soixante ans, n'ayant été mariées qu'une fois, recommandables par leurs bonnes œuvres, par la manière dont elles ont élevé leurs enfants, par le zèle qu'elles ont mis à exercer l'hospitalité, à laver les pieds des saints[89]. Quant aux simples chrétiens, un conseil de l'apôtre résume tous leurs devoirs : qu'ils soient fidèles aux obligations de leur condition et de leur état. Chaque chrétien est un membre du grand corps social de l'Eglise. Que chacun exerce avec conscience les fonctions qui lui sont imposées par la place qu'il occupe. Que les vieillards soient attentifs à conserver en eux la foi, la charité et la patience[90]. Que les femmes âgées fuient la médisance et gardent la tenue extérieure qui convient à la sainteté[91]. Que les jeunes femmes aiment leur mari et leurs enfants et se gardent chastes, retenues, occupées aux soins domestiques, soumises à leur mari, afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée[92]. Que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres ; qu'ils montrent en tout une parfaite docilité, afin de faire honorer en tout la doctrine de Dieu, notre Sauveur[93]. Cette simple énumération des devoirs, si touchante qu'elle soit, ne donne pas encore ce qui est, suivant l'apôtre, l'âme de la vie chrétienne. Cette âme, c'est la piété, une piété fidèle, ardente, attachée avant tout à la foi reçue du Christ par la tradition des apôtres et des anciens. L'évêque doit s'exercer à la piété, puisque la piété est utile à tout[94]. Les veuves doivent persévérer nuit et jour dans les supplications et les prières[95]. Et cette piété ne doit pas s'égarer dans des rêveries individuelles. Comme il y a un centre hiérarchique de l'Eglise, il y a un dépôt de la foi. Ô Timothée, s'écrie l'apôtre, garde le dépôt[96], garde le bon dépôt[97]. Demeure ferme dans ce que tu as appris et ce que tu as cru, sachant de qui tu l'apprenais[98]... Ce que tu as écouté de moi, en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes fidèles, qui soient capables d'en instruire les autres[99]. Paul dénonce les mauvais docteurs, les insubordonnés et vains discoureurs, qui enseignent ce qu'on ne doit pas enseigner[100]. L'Eglise rejette de son sein les docteurs qui trahissent l'enseignement salutaire[101] ; car l'Eglise, maison de Dieu, est la colonne et la base de la vérité[102]. IX Quand saint Paul donnait ces conseils si fermes et si
précis, les fidèles savaient depuis longtemps où trouver ce dépôt de la foi, dont leur parlait l'apôtre. Ils
l'avaient d'abord cherché et trouvé dans la prédication des témoins du Christ, de ceux qui avaient recueilli
les enseignements de ses auditeurs immédiats. Le vénérable Papias, cet homme antique, disciple de Jean, familier de Polycarpe,
dont parle saint Irénée[103], déclare que
tout son souci avait toujours été de chercher à
savoir ce que disaient André, ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques,
ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur, car,
ajoute-t-il, — et ceci est remarquable comme expression de la règle de foi de
ces temps primitifs, — je ne croyais pas que ce
qu'il y a dans les livres me fût aussi profitable que d'entendre les choses
exprimées par une parole vivante[104]. Or ce même
Papias nous raconte avoir appris de son maître Jean
l'Ancien que la prédication de Pierre fut mise par écrit par un de ses
disciples, Marc. Le fragment précieux qui nous apprend ces choses est trop
important pour qu'on ne le transcrive pas ici tout entier. Jean l'Ancien disait ceci : Marc étant l'interprète de
Pierre, a écrit exactement, mais sans ordre, tout ce qu'il s'est rappelé des
paroles ou des actions du Christ ; car il n'avait ni entendu ni accompagné le
Sauveur. Plus tard, ainsi que je l'ai rappelé, il a suivi Pierre. Or celui-ci
donnait son enseignement selon les besoins et sans nul souci d'établir une
liaison entre les sentences du Seigneur. Marc ne se trompe donc pas en
écrivant selon qu'il se souvient ; il n'a eu qu'un souci, ne rien laisser de
ce qu'il avait entendu et ne rien dire de mensonger[105]. Nous
découvrons ici, comme pris sur le vif, le procédé de rédaction de l'évangile
de saint Marc. Papias dit, d'autre part, que Matthieu
réunit les sentences (de Jésus) en langue hébraïque et que chacun les traduisit comme il
put[106].
Nous savons d'ailleurs, par le prologue de saint Luc, que ce dernier,
disciple de saint Paul, chercha à mettre, dans l'histoire de Jésus, cet ordre
chronologique, dont le vieux témoin de ces temps constate l'absence en saint
Marc. Nous avons là toute l'histoire de la composition des trois évangiles
appelés synoptiques. Quant à l'époque de leur rédaction, elle semble fixée
par là même. L'apparition des trois évangiles ayant précédé l'apparition du
livre des Actes, et le livre des Actes, rédigé par saint Luc, ayant été
publié vers 62-64, les environs de l'an 60 paraissent indiqués comme la date
extrême de la composition des trois synoptiques[107]. Peu de temps après, on voit se former un autre recueil, celui des Epitres catholiques, c'est-à-dire des épîtres adressées à l'ensemble de l'Eglise. On y admettra, suivant les lieux, un plus ou moins grand nombre d'épîtres. Finalement on s'arrêtera au nombre de sept. Ces sept lettres seront les trois épîtres de saint Jean, les deux de saint Pierre, celle de saint Jude, enfin celle de saint Jacques. Avec l'évangile de saint Jean et son Apocalypse, dont nous allons bientôt parler, le canon, ou la liste officielle des livres du Nouveau Testament, sera fixé ; la Bible chrétienne sera complète[108]. A côté de ces recueils, dont l'Eglise devait plus tard proclamer l'authenticité, d'autres écrits avaient paru. De tous côtés, les fidèles s'empressaient de fixer les récits des anciens, de recueillir leurs enseignements. Saint Luc, au début de son évangile, fait allusion à cette abondante végétation littéraire. Elle devait se multiplier plus encore dans la suite. Les évangiles apocryphes, — c'est ainsi qu'on nomme les histoires de Jésus que l'Eglise écarte de son canon, eurent tantôt le caractère puéril des légendes populaires, tantôt la tendance perverse de l'hérésie. Le seul contraste de leurs récits fantastiques et artificiels avec la grave et religieuse sobriété des évangiles canoniques suffirait à démontrer la véracité de ceux-ci[109]. Certes, chacun des trois auteurs adoptés par l'Eglise a son style propre et son but déterminé. Le style de saint Matthieu est simple, uniforme, peu soigné ; et l'on voit bien qu'il a pour but de montrer à ses compatriotes, les chrétiens de Palestine, l'accomplissement des prophéties en Jésus-Christ. Saint Marc est vivant, pittoresque, et ne perd jamais de vue le monde romain, à qui il veut rappeler la toute-puissance de Dieu dans ses nombreux miracles. Les récits de saint Luc révèlent une culture littéraire très supérieure à celle de ses prédécesseurs, et son intention de répandre les idées universalistes de son maître saint Paul est manifeste. Mais les trois écrits se ressemblent par leur caractère vivant et précis. C'est toute la Galilée et toute la Judée d'avant la ruine de Jérusalem qui ressuscitent aux yeux de celui qui les lit. Sadducéens sceptiques, hypocrites pharisiens, timides disciples de Jésus, défilent tour à tour, sur les bords de ce lac de Tibériade, si pittoresque avec sa population de pêcheurs, sur ces routes que le soleil brûle, au milieu des moissons blanchissantes, et dans cette grande Jérusalem, où les scribes discutent sous les portiques. Quant au portrait de Jésus, que tracent ces illettrés, il est si parfaitement inimitable, que le cri arraché au philosophe incrédule s'échappera toujours des lèvres de quiconque lira ces Evangiles avec un cœur sincère et droit. Leurs paroles parlent au cœur, et les inventeurs en seraient plus étonnants que le héros[110]. |
[1] Judæs
quidam scandalum, Gentibus autem stultittam. (Première épître aux
Corinthiens, I, 23.)
[2] Digeste, l. XXVIII,
tit. III, 6-7.
[3] Voir P. FOUCART, les Grands Mystères
d'Eleusis, p. 110.
[4] Voir JUVÉNAL, Satire VI, V, 519-595.
Cf. saint JÉRÔME, Epistola ad Lætam, c. VII.
[5] Gaston BOISSIER, la Religion romaine,
d'Auguste aux Antonins, t. II, p. 384.
[6] Sur cette tactique et ces
prétentions, voir Bernard ALLO, l'Evangile en face du
syncrétisme païen, 1 vol. in-12°, Paris, 1910. Nous avons beaucoup
emprunté, dans l'exposé que nous faisons ci-dessus, à cet excellent ouvrage. On
trouvera, sur l'état moral et religieux du monde gréco-romain, de précieux
renseignements dans HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, t.
I, p. I, c. I. Cf. DÖLLINGER, Heidentum und Judentum.
Vorhalle zur Gesch. des Christentums, Regensburg, 1857.
[7] GERBET, Esquisse de Rome
chrétienne, t. I, p. 14-17.
[8] TACITE, Annales, XV, 44 ; SUÉTONE, Claude, 25.
[9] Actes, XII, 17.
[10] MARUCCHI, Eléments d'archéologie
chrétienne, Paris, 1900, t. I, p. 11.
[11] Judæos impulsore Chresto
assidue tumultuantes Roma expulit. (SUÉTONE, Claude, 25). Le nom de
Chrestus était assez commun à Rome parmi
les esclaves et les affranchis. On doit ajouter à ces deux arguments le
témoignage des écrivains ecclésiastiques qui, depuis saint Jérôme, attribuent
unanimement au pontificat de saint Pierre une durée de vingt-cinq ans, qu'ils
appellent les années de Pierre. Il est vrai que
les uns, comme l'auteur du catalogue des papes, dit philocalien, placent le
point de départ de ces vingt-cinq ans au jour de l'Ascension, que d'autres,
tels que le pseudo-Ambroise, dans ses commentaires de saint Paul (Patr. lat.,
t. XVII, col. 45-46), laissent entendre qu'on ne faisait pas dépendre ce point
de départ de la venue de saint Pierre à Rome, mais de la fondation de la
communauté romaine, et que d'autres enfin, comme Lactance, déclarent que ces vingt-cinq années désignent l'espace de temps consacré
par les apôtres à l'évangélisation des cités et des provinces, et après lequel,
sous Néron, Pierre vint à Rome. (LACTANCE, De mort. persecutorum,
2). Aucun de ces témoignages, dit Mgr Duchesne,
ne remonte au delà du IVe siècle. Mais comme la
chronique philocalienne dépend, en ce qui regarde le catalogue des papes, de la
chronique de saint Hippolyte, rédigée à Rome en 235, comme la chronique de
saint Hippolyte dépend elle-même de listes pontificales plus anciennes, on est
conduit à croire que les vingt cinq années de saint Pierre figuraient déjà sur
les catalogues épiscopaux de Rome vers la fin du IIe siècle. Il n'est pas
possible de remonter plus haut. Ainsi des témoignages anciens et indépendants
nous donnent le chiffre de vingt-cinq ans et le mettent en rapport avec
l'apostolat de saint Pierre, mais l'accord qu'ils présentent sur le chiffre
lui-même cesse quand on veut savoir au juste à quoi il s'applique. (DUCHESNE, les Origines chrétiennes,
p. 28.)
[12] Paul ALLARD, Histoire des persécutions,
t. I, p. 15.
[13] Actes, II, 10.
[14] MARTIAL, II, 17 ; V, 23 ; VI, 66 ; IX,
60 ; X, 87, etc.
[15] Probablement dans une des
ruelles où s'entassaient les Juifs du Transtevere et de la Porte Capène. FOUARD, Saint Pierre, ch.
XVIII, p. 461.
[16] Première épître de Pierre,
III, 8.
[17] TATIEN, Adversus Græcos, 33 ;
MINICIUS
FELIX,
Octavius, 16 ; ORIGÈNE, Contra Celsum, 60.
[18] SUÉTONE, Vespasien, IV ; TACITE, Histoires, V, 13.
[19] Première épître de Pierre,
II, 18-24.
[20] Première épître de Pierre,
II, 9.
[21] JUVÉNAL, VI, 511. Cf. TIBULLE, I, 3, 23-32.
[22] TACITE, Annales, XIII, 32.
[23] TACITE, Annales, XIII, 31-32.
[24] DE ROSSI, Roma sotterranea, t.
I, p. 306-315 ; Paul ALLARD, Rome souterraine, p
181-186, et Hist. des persécutions, t. I, p. 24-27. Cf. MARUCCHI, Eléments d'arch.
chrétienne, p. 13-14.
[25] Actes, XVIII, 2.
[26] Paul ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 18-22.
[27] FOUARD, Saint Paul, t. II, p.
132.
[28] Actes, XX, 8.
[29] Première épître aux
Corinthiens, XI, 17 et s.
[30] Première épître aux
Corinthiens, IV, 20 ; Première épître de Pierre, V, 14.
[31] Première épître aux
Corinthiens, VI, 1-7.
[32] Première épître aux
Thessaloniciens, V, 12-21. FOUARD, Saint Paul, II,
265-266.
[33] TERTULLIEN, Apologétique, XXXIX.
[34] Actes, XVII, 22-31.
[35] Cf. TOUSSAINT, au mot saint Paul,
dans le Dict. de la Bible.
[36] Première épître aux
Corinthiens, IX, 21.
[37] Épître aux Philippiens,
III, 5.
[38] Cf. PRAT, la Théologie de saint Paul,
t. I, p. 90.
[39] Épître aux Philippiens,
IV, 8.
[40] Épître aux Romains,
XVI.
[41] LE CAMUS, op. cit., III, 314.
[42] LE CAMUS, op. cit., III, p. 315.
[43] Épître aux Romains, II,
11-12 ; III, 21-24.
[44] Épître aux Romains,
VIII, 31, 32, 35, 38.
[45] Épître aux Romains,
XIII, 1, 2, 4, 5.
[46] Épître aux Philippiens,
IV, 22.
[47] Épître aux Philippiens,
I, 13.
[48] Chacune de ces lettres fait
allusion à une captivité de l'apôtre. L'épître aux Philippiens date
certainement de la captivité romaine. Il serait possible que les autres épîtres
eussent été écrites par saint Paul pendant qu'il était en prison à Césarée. Cf.
JACQUIER,
Histoire des livres du Nouveau Testament, t. IV, p. 282.
[49] Épître aux Philippiens,
II, 25-27.
[50] Épître à Philémon,
9-10.
[51] Épître aux Éphésiens,
III, 14-19.
[52] Épître aux Éphésiens,
I, 10.
[53] Épître aux Philippiens,
II, 5-12. Cf. A. DURAND, la Divinité de J.-C. dans saint Paul, Revue
biblique, 1903, p. 550-570.
[54] Épître aux Éphésiens,
VI, 12.
[55] Épître aux Éphésiens,
IV, 22-24.
[56] Épître aux Éphésiens,
IV, 1-26. On a donné à dessein une traduction aussi littérale que possible de
cette phrase, où le style de saint Paul se révèle dans ce qu'il a de plus
personnel, de plus grammaticalement compliqué, de plus dense et de plus
puissant.
[57] WILLEMS, le Droit public romain,
p. 475.
[58] Seconde épître à Timothée,
IV, 17.
[59] S. IGNACE, ad Épître aux Romains,
4.
[60] Jean, XXI, 18-19.
[61] I Clem., 5-6.
[62] DUCHESNE, Histoire ancienne de
l'Eglise, t. I, p. 61-63. Cf. FOUARD, Saint Pierre, p.
535-536 ; P. MARTIN, dans la Rev. des quest. hist., t. XIII (1873) ; J.
GUIRAUD,
Quest. d'hist. et d'archéol. chrétienne, la Venue de saint Pierre à
Rome ; P. DE SMEDT, Dissertationes selectæ in
prirnam ætatem Ecclesiæ, p. 12-22 ; P. GRISAR, Histoire de Rome et des
papes au moyen âge, t. I, p. 229 et s. ; M. Ch. GUIGNEBERT, dans un volumineux ouvrage, la
Primauté de Pierre et la venue de Pierre à Rome, Paris, 1909, a prétendu
rouvrir la question et soumettre à une révision complète les titres de la
tradition chrétienne à la certitude historique. Voir une critique serrée de cet
ouvrage par A. FLAMION, Saint Pierre à Rome, examen de la thèse et de la
méthode de M. Guignebert, dans la Revue d'histoire ecclésiastique, des
15 avril et 15 juillet 1913.
[63] L. GONDAL, Au temps des apôtres,
1 vol. in-12°, Paris, 1904, p. 239.
[64] TACITE, Annales, XV, 44. Cf. Ann.,
XV, 67 ; SUÉTONE, Néron, 38 : PLINE, Hist. Nat., XVII, 1.
[65] TACITE, Annales, XIV, 42 et s.
[66] Saint Clément de Rome, faisant
allusion aux massacres de chrétiens ordonnée par Néron, les attribue à la jalousie
(I Clem. ad Cor., V). On sait, d'autre part, que Néron s'était entouré
de Juifs (JOSÈPHE, Ant., XVIII, XIX, XX). Un fait digne de remarque,
c'est que les Juifs, ordinairement confondus avec les chrétiens, dans les
mesures légales de cette époque (TACITE, Ann., XV, 44 ; Hist.,
V, 5), furent nettement distingués de ceux-ci dans les persécutions
néroniennes. Carlo PASCAL, dans son livre, l'Incendio di Roma e i primi cristiani, Milan, 1900,
et BOUCHÉ-LECLERCQ, dans son ouvrage l'Intolérance
religieuse et la politique, Paris, 1911, n'ont pas craint d'attribuer
l'incendie de Rome au fanatisme de quelques chrétiens, dont Néron et sa cour
auraient fait servir l'exaltation criminelle à l'accomplissement d'un odieux
dessein. DI CRESCENZO, dans sa riposte, Un difensore
di Nerone, Naples, 1901, et SEMERIA, dans son étude, Il primo
sangue cristiano, Rome, 1901, n'ont guère eu de peine à réfuter cette
thèse, en contradiction formelle avec les textes de Suétone, de Pline, de
Tacite et de Dion. Renan et Havet avaient à peine osé insinuer une pareille
accusation. RENAN, l'Antéchrist, p. 153 et s. ; HAVET, le Christianisme et ses
origines, t. IV, p. 228.
[67] Multitudo ingens (TACITE, Annales, XV, 44.)
[68] Haud
perinde in crimine incendii quam odio generis humani convicti sunt.
(TACITE,
Annales, XV, 44.) Tertullien attribue à Néron un édit dont le sens se
résumerait par ces mots, qu'on retrouve dans plusieurs documents contemporains
des persécutions : Christiani non sint. Qu'il n'y ait plus de chrétiens. Tertullien appelle
cet édit : institutum neronianum. TERTULLIEN, Apol. 5 ; ad nat.,
I, 7. Le mot institutum n'a point
nécessairement, en droit romain, le sens d'édit. La phrase de Tertullien, prise
en elle-même, pourrait bien signifier seulement que Néron inaugura la période
des sévices contre le christianisme (CEZARD, Histoire juridique des
persécutions, Paris, 1911, p 18) ; mais le rapprochement de ce texte avec
celui de Sulpice Sévère (II, 41), et la manière générale de parler des anciens
écrivains chrétiens, porte à croire que Tertullien vise une mesure spéciale
prise par Néron contre les chrétiens en tant que chrétiens.
[69] TACITE, Annales, XV, 44.
D'après le vieux droit romain, le châtiment des incendiaires était le feu ou la
mort dans les jeux du cirque. Voir la loi des XII Tables ; GAIUS, au Digeste, XLVII, 9-9
; CALLISTRATE,
au Dig., XLVIII, 19, 28, § I2 ; PAUL, Sent., V, 20. Cf. CEZARD, op cit., p. 13.
[70] I Clem. ad Cor., 6. Un
texte et une fresque de Pompéi semblent prouver que ce dernier supplice était
souvent infligé aux femmes condamnées à mort.
[71] Voir les arguments donnés par
Tillemont, dom Ruinart et J.-B. de Rossi, M. Paul Allard les a reproduits dans
son Hist. des persécutions, I, 58-76.
[72] Dans EUSÈBE, l. III, ch. I. Ce fait
n'était pas sans exemple. Voir SÉNÈQUE, Consol. ad Marc., 20.
[73] Il
dit cela, ajoute l'apôtre saint Jean, pour
marquer par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. Jean,
XXI, 18-59.
[74] Une tradition recueillie par
saint Jérôme place le martyre de saint Paul au même jour que celui de saint Pierre.
Une autre tradition, représentée par saint Augustin, met un an d'intervalle
entre la mort des deux apôtres. Denys de Corinthe, Tertullien et le prêtre
Caïus se contentent de les associer dans leur martyre. Voir EUSÈBE, Hist., l. II, ch. XXIV. La
tradition la plus sûre place le martyre de saint Pierre au Vatican ; celle qui
le place sur le mont Janicule n'a pris naissance qu'au moyen âge. Voir MARUCCHI, Et. d'arch. chrét., t.
I, p. 11.
[75] JOSÈPHE, Bell. jud., l. VI, ch.
V, n. 3.
[76] Luc, XIX, 41-45.
[77] Matthieu, XXIV, 15-16.
On sait que par l'abomination de la désolation,
les meilleurs interprètes entendent les enseignes romaines, que Tacite appelle les dieux des légions. (TACITE, Annales, II, 17.) Voir
VIGOUROUX,
Dict. de la Bible, au mot Abomination, t. I, col. 71.
[78] Comte de CHAMPAGNY, Rome et la Judée, t.
II, p. 312.
[79] Funk et Bardenhewer
conjecturent que l'Epître de Barnabé a été écrite de 96 à 98.
[80] Barnabæ epistula, XI
[81] Barnabæ epistula, XII.
[82] Barnabæ epistula, XVI.
[83] Barnabæ epistula, XVI.
[84] Cf. PRAT, I, 465-469.
[85] Épître à Tite, I, 7.
[86] Première épître à Timothée,
III, 1-7. Tandis que l'épître parle des diacres au pluriel, elle parle de
l'épiscope au singulier. L'emploi des mots d'épiscope et de presbytre est
toujours fait indistinctement, mais cette confusion verbale ne doit pas donner
le change sur la distinction réelle des fonctions de l'évêque et de celles du
prêtre. Voir sur ce point le P. PRAT au mot Évêques, dans le
Dict. de théologie catholique.
[87] Première épître à Timothée,
III, 8-9.
[88] Première épître à Timothée,
III, 10.
[89] Première épître à Timothée,
V, 9-10.
[90] Épître à Tite, II, 2.
[91] Épître à Tite, II, 3.
[92] Épître à Tite, II, 4-5.
[93] Épître à Tite, II,
9-10.
[94] Première épître à Timothée,
IV, 8.
[95] Première épître à Timothée,
V, 6.
[96] Première épître à Timothée,
VI, 20.
[97] Seconde épître à Timothée,
I, 4.
[98] Épître à Tite, III,
9-11.
[99] Seconde épître à Timothée,
II, 2.
[100] Épître à Tite, I, 11.
[101] Seconde épître à Timothée,
IV, 3.
[102] Première épître à Timothée,
III, 15.
[103] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. III, ch. XXXIX, n. 1, trad. Grapin, t. I, p.
453.
[104] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. III, ch. XXXIX, n. 4, trad. Grapin, t. I, p.
359.
[105] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. III,
ch. XXXIX, n. 15, p. 359.
[106] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. III,
ch. XXXIX, n. 16, p. 136.
[107] Voir BATIFFOL, Orpheus et l'Evangile,
1 vol. in-12°, Paris, 1910, p. 732 ; M. LEPIN, au mot Evangiles, dans
le Dict. apol. de la foi catholique, t. I, p. 1612. M. Harnack lui-même
s'est rangé à l'opinion que nous venons d'émettre. HARNACK, Die Apostelgeschichte,
1908, p. 221. Quelques auteurs catholiques, se fondant sur un texte de saint
Irénée (Hœres., l. III, c. I, P. G., t. VII, col. 845) préfèrent
placer la composition des évangiles de saint Marc et de saint Luc après le
martyre de saint Pierre et de saint Paul. Mais le texte sur lequel ils
s'appuient est un texte tronqué et n'a pas le sens qu'on lui prête, ainsi que
la démontré le R. P. CORNELY, Introductio ad Novum
Testamentum, t. III, p. 76-78.
[108] Sur la formation du canon du
Nouveau Testament, voir BATIFFOL, Orpheus et l'Evangile,
p. 55-80.
[109] Cf. LEPIN au mot Apocryphes, dans
le Dict. apol. de la foi catholique.
[110] J.-J. ROUSSEAU, Emile, l IV, Œuvres complètes, édit. Didot, in-4°, t. II, p. 597. Quant à l'ordre de composition des trois évangiles, le P. J. LEBRETON résume ainsi les dernières conclusions de la critique, lesquelles reviennent simplement aux positions traditionnelles : La catéchèse primitive prend corps dans l'évangile araméen de saint Matthieu, et, en grec, dans la prédication de saint Pierre. Cette dernière est suivie par saint Marc, tandis que le recueil de saint Matthieu nous est conservé dans l'évangile de saint Luc et, plus fidèlement, dans l'évangile grec de saint Matthieu. Ces deux autres évangiles utilisent aussi les récits de saint Marc et quelques sources secondaires. J. LEBRETON, les Evangiles synoptiques, dans les Recherches des sciences religieuses, 1910, p. 505. Cf. V. H. STANTON, The Gospels as historical documents, Part. II, The synoptic Gospels, Cambridge, 1909.