HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA PREMIÈRE EXPANSION

CHAPITRE II. — JÉRUSALEM, L'ÉGLISE NAISSANTE ET LE MONDE JUIF (30-42).

 

 

I

Plus d'une fois, dans ses discours et dans ses paraboles, Jésus avait annoncé que le Royaume de Dieu, repoussé par les Juifs, serait accepté par les Gentils. Mais le peuple d'Israël n'en restait pas moins le peuple élu, la nation de la promesse. C'est à Jérusalem, dans un groupe de Juifs de race, que l'Eglise devait avoir son berceau. Les premiers disciples de Jésus-Christ devaient conserver avec religion la plupart des observances juives, et ne s'en détacher que peu à peu, avec infiniment de respect. La Synagogue, même après les défections et les trahisons de ses fils, devait être ensevelie avec honneur.

Elles avaient été si grandes, devant Dieu et devant les hommes, les destinées des enfants d'Abraham et de Jacob ! Le Seigneur, par l'alliance qu'il avait contractée avec eux, par les prophètes qu'il avait suscités au milieu de leur nation, par les prodiges qu'il avait multipliés en leur faveur le long des siècles, avait fait pour eux ce qu'il n'avait accompli pour aucun autre peuple. De leur côté, dispersés au milieu des nations, ils y avaient porté leur fidélité aux deux grands dogmes dont le Seigneur leur avait confié le dépôt : la croyance à l'unité de Dieu et l'espérance messianique. Athènes pouvait revendiquer pour elle la gloire d'un art sans pareil ; Rome, celle d'une science politique incomparable ; Jérusalem était le centre du culte le plus pur qui eût été offert à la Divinité.

La domination romaine, établie en Judée l'an 63 avant Jésus-Christ, n'avait pas eu pour effet d'enlever au peuple juif toute indépendance. Sous la domination des Hérode, les fils d'Israël avaient gardé une semi-autonomie, qui leur permettait de rester fidèles à la religion révélée à leurs pères, de célébrer dans leur temple de Jérusalem let, grandes cérémonies reçues par la tradition de leurs ancêtres. Mais de funestes divisions intestines avaient jeté le trouble dans la nation. Le parti le plus prépondérant, par le nombre comme par le prestige de ses adeptes, restait toujours le parti des pharisiens[1]. Minutieux observateurs de la Loi, parfois hypocrites, comme ceux qu'avait maudits le Christ, ils étaient aussi parfois purs et droits, comme ceux qui le suivirent en bravant tout respect humain. A côté d'eux, les voluptueux sadducéens, les ambitieux hérodiens, amis de la vie facile, acceptaient volontiers les mœurs de la Grèce et de Rome[2]. Tout à l'opposé, les esséniens, rêveurs, exaltés, fanatiques, superbement dédaigneux de toutes les autres sectes, se regardaient comme les seuls héritiers des promesses célestes, et poursuivaient la réalisation d'une pureté surhumaine[3]. Les plus rigides de ces derniers affectaient de ne point fréquenter le temple de Jérusalem, qu'ils regardaient comme souillé par leurs compatriotes dégénérés ; mais ils n'étaient point suivis en ceci par le corps de la nation. Pour le peuple d'Israël, le temple était resté, malgré tout, le lieu sacré où la nation juive prenait conscience, en offrant ses traditionnels sacrifices, de la grandeur de sa surnaturelle mission. Il était fier de ce grand édifice, dont la reconstruction, commencée par Hérode le Grand, devait être achevée, l'an 64, par Agrippa II. Quand, du sommet du mont des Oliviers, le fils d'Israël contemplait, par delà la muraille gigantesque, qui donnait au monument l'aspect d'une énorme forteresse, toute la série des terrasses, communiquant entre elles, puis, au sommet, le sanctuaire, dont la toiture, couverte de lames dorées, étincelait au soleil[4], son orgueil national s'exaltait ; une sourde irritation fermentait en son âme contre l'usurpateur étranger ; le souvenir des héroïques Macchabées, qui, un siècle plus tôt, avaient reconquis le temple et la liberté religieuse en Palestine, ravivait en lui, à la fois, le patriotisme et la religion.

Les fidèles disciples que la prédication de Jésus et les prodiges de la Pentecôte avaient conquis parmi le peuple juif, s'associaient à ces nobles sentiments. Comme leur Maître leur en avait donné l'exemple[5], ils montaient régulièrement au temple et s'y mêlaient à la foule des adorateurs. Pour eux, la religion nouvelle n'était pas l'adversaire, mais le fruit de l'ancienne. Ils jugeaient à bon droit que les âmes saintes de l'un et de l'autre Testament ne constituaient, en réalité, qu'une seule et même Eglise autour d'un même Messie, méconnu des uns, acclamé par les autres, mais objet unique des espérances d'Israël... C'était à Dieu, l'auteur même de l'ancienne Alliance, qu'il appartenait de signifier à tous, en laissant détruire le temple et la nationalité d'Israël, que la fin légale du mosaïsme était venue[6].

 

II

Le miracle de la En attendant, la prédication des apôtres obtenait dans le monde juif des succès extraordinaires. Quelques jours après le baptême des trois mille convertis de la Pentecôte, deux mille personnes se rattachaient à l'Eglise à la suite d'un miracle dont les Actes des apôtres nous ont conservé le récit.

C'était vers trois heures de l'après-midi. Pierre et Jean montaient ensemble au temple pour y prier. Or il y avait un homme, boiteux de naissance, qui se faisait transporter. On le posait chaque jour près de la porte du temple appelée la Belle-Porte, pour qu'il pût demander l'aumône à ceux qui entraient dans le temple. Cet homme, ayant vu Pierre et Jean qui allaient y entrer, leur demanda l'aumône. Pierre, ainsi que Jean, fixa les yeux sur lui et dit : Regarde-nous. L'infirme les regarda, s'attendant à recevoir d'eux quelque chose. Pierre lui dit alors : Je n'ai ni or ni argent ; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. Et le prenant par la main, il l'aida à se lever. Au même instant, ses jambes et ses pieds devinrent fermes ; d'un bond il fut debout et il se mit à marcher. Puis il entra avec eux dans le temple, marchant, sautant et louant Dieu.

Tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. Et reconnaissant que c'était celui-là même qui se tenait assis à la Belle-Porte du temple pour demander l'aumône, tous furent stupéfaits et hors d'eux-mêmes de ce qui lui était arrivé. Comme il ne quittait pas Pierre et Jean, tout le peuple étonné accourut vers eux au portique de Salomon.

Voyant cela, Pierre dit au peuple : Enfants d'Israël, pourquoi vous étonnez-vous ? et pourquoi tenez-vous les yeux fixés sur nous, comme si c'était par notre propre puissance ou par notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ? Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de vos pères a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, alors que celui-ci était d'avis qu'on le relâchât. Vous, vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez sollicité la grâce d'un meurtrier. Vous avez fait mourir l'auteur de la vie, que Dieu a ressuscité des morts, nous en sommes tous témoins. C'est à cause de la foi reçue de lui que son nom a raffermi l'homme que vous voyez et connaissez ; c'est la foi qui vient de lui qui a opéré devant vous tous cette parfaite guérison. Je sais bien, frères, que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos magistrats. Mais Dieu a accompli de la sorte ce qu'il avait prédit par la bouche de tous les prophètes, que son Christ devait souffrir. Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés, afin que des temps de rafraîchissement viennent de la part du Seigneur, et qu'il envoie celui qui nous a été destiné, Jésus-Christ, que le ciel doit recevoir jusqu'aux jours du rétablissement de toutes choses, jours dont Dieu a parlé anciennement par la bouche de ses saints prophètes. C'est à vous premièrement que Dieu, ayant suscité son Fils, l'a envoyé pour vous bénir, lorsque chacun de vous se détournera de ses iniquités[7].

L'apôtre parlait encore quand survinrent les prêtres qui se trouvaient de service en ce moment dans le temple. Un groupe de sadducéens les accompagnait. Les disciples de Jésus n'avaient pas d'ennemis plus acharnés que ces derniers. La négation de la résurrection était un de leurs principaux dogmes. Entendre prêcher la doctrine de la survivance, non plus seulement comme une espérance, mais comme une vérité établie par la résurrection du Christ, avait attiré leur fureur. Ils firent remarquer aux prêtres de service que parler au peuple dans le péristyle de la maison de Dieu, sans mission de l'autorité hiérarchique, était une témérité coupable. Mettre la main sur les deux apôtres et les conduire en prison fut l'œuvre d'un instant. C'était le soir. Il était trop tard pour organiser un jugement. On remit au lendemain la suite de la procédure. Mais beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours de Pierre crurent à Jésus-Christ. A partir de ce moment, cinq mille hommes composèrent l'Eglise naissante de Jérusalem.

Le lendemain, les chefs du peuple, les anciens et les scribes, se réunirent. On remarquait dans l'assemblée Anne, le grand prêtre[8], Caïphe, Jean et Alexandre[9]. Le tribunal, qui naguère avait condamné le Maître, se retrouvait au grand complet : il allait maintenant juger les disciples.

Les juges firent placer au milieu d'eux Pierre et Jean, et leur dirent : Par quel pouvoir et au nom de qui avez-vous fait cela ?[10] La scène était, dans sa simplicité, d'une grandeur sans pareille. Pour la première fois, les humbles disciples du Christ, hommes sans lettres et du commun du peuple[11], se trouvaient en présence de ces puissances ennemies que leur Maître leur avait fait entrevoir. Mais le secours d'En-Haut, qui leur avait été promis, ne leur fit pas défaut. Le président du sanhédrin n'avait pas osé prononcer les mots de miracle ou de guérison. Il avait appelé le prodige : cela.

Le Saint-Esprit, disent les Actes, remplit alors l'âme de Pierre[12]. Regardant en face ses juges, d'un regard simple et droit, le chef des apôtres leur dit : Chefs du peuple, et vous, anciens d'Israël, vous nous interrogez sur le service que nous avons rendu à un pauvre paralysé. Vous voulez savoir au nom de qui nous l'avons guéri. Eh bien, sachez-le, et que tout Israël le sache : c'est par le nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité d'entre les morts. Jésus est la pierre, que vous avez rejetée en bâtissant ; il est devenu la pierre angulaire de l'édifice ; et il n'y a pas sous le ciel d'autre nom parmi les hommes qui puisse nous sauver.

Lorsque les juges, continue le livre des Actes, virent l'assurance de Pierre et de Jean, ils furent étonnés, sachant que c'étaient des hommes du peuple sans lettres ; et ils les reconnurent pour avoir été avec Jésus. Mais comme ils voyaient là, près d'eux, l'homme qui avait été guéri, ils n'avaient rien à répliquer. Ils leur ordonnèrent de sortir du sanhédrin, et ils délibérèrent entre eux... Puis, les ayant rappelés, ils leur défendirent absolument de parler et d'enseigner au nom de Jésus[13].

Fermer la bouche aux deux apôtres, empêcher à tout prix la divulgation d'un fait qui glorifiait le nom de Jésus : telle était donc la seule sanction que le despotisme persécuteur avait trouvée.

Mais la fermeté de Pierre, assisté de l'Esprit-Saint, ne se démentit pas. Nous vous faisons juges, s'écria-t-il : est-il juste d'obéir à vous plutôt qu'à Dieu ? Nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu. Le Non possumus, tant de fois répété par les successeurs de Pierre devant les puissances de ce monde, retentissait pour la première fois dans l'enceinte d'un tribunal. Les chefs religieux de Jérusalem purent se convaincre, ce jour-là, qu'une nouvelle puissance venait de surgir sur la terre. Rendez à César ce qui est à César, avait dit le Maître, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Les membres du sanhédrin ne surent que faire des apôtres. Ils leur adressèrent des menaces, dit saint Luc, et les renvoyèrent, ne trouvant aucun moyen de sévir contre eux, à cause du peuple, parce que tous parlaient avec transport de ce qui était arrivé au paralytique[14].

 

III

 Aussitôt relâchés, les apôtres revinrent auprès de leurs frères. Ils leur racontèrent tout ce que les chefs des prêtres et les Anciens leur avaient dit. Puis, tous ensemble, dit le livre des Actes, ils élevèrent la voix vers Dieu, en disant : Seigneur, toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, c'est toi qui as dit, par la bouche de David, ton serviteur : Pourquoi ce tumulte parmi les nations et ces vaines pensées parmi les peuples ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur, et contre son Christ. Seigneur, vois leurs menaces et donne à tes serviteurs de prêcher avec une pleine assurance, en étendant ta main, pour qu'il se fasse des guérisons, des miracles et des prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus. Quand ils eurent prié de la sorte, le lieu où ils étaient assemblés trembla ; et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec assurance.

Or, la multitude de ceux qui croyaient ne formait qu'un cœur et qu'une âme, et tout était commun entre eux. Les apôtres rendaient avec beaucoup de force témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus. Et une grande grâce reposait sur eux tous. Il n'y avait parmi eux aucun indigent. Tous ceux qui possédaient des maisons ou des champs les vendaient, apportaient le prix de ce qu'ils avaient vendu, et le déposaient aux pieds des apôtres. Et l'on faisait des distributions à chacun selon ses besoins[15].

En ces quelques lignes, le livre des Actes nous esquisse le tableau de la première communauté chrétienne. Essayons de le compléter à l'aide des divers documents que l'archéologie, la tradition, l'histoire sacrée et profane nous fournissent.

Il est visible d'abord, d'après ce que nous venons de constater, que la petite société a un chef. Ce chef, c'est celui qui, après l'Ascension, a présidé à l'élection de Mathias en remplacement de Judas, pour compléter le collège des Douze ; c'est celui qui, au jour de la Pentecôte, a parlé à la foule au nom du collège apostolique ; c'est celui qui a défendu les droits de la prédication chrétienne devant le sanhédrin ; c'est Simon, fils de Jonas, à qui Jésus a donné le pouvoir de lier et de délier, c'est-à-dire de gouverner son Eglise ; c'est Pierre, chargé de garder les clefs du royaume et de confirmer ses frères dans la foi.

L'ardente foi du pêcheur galiléen, la promptitude de son zèle, la clairvoyante intuition de son âme, qui lui a fait proclamer, le premier de tous, sa croyance au Christ, Fils du Dieu vivant, le témoignage trois fois répété de son amour envers Jésus, peuvent l'avoir disposé à cette mission de chef ; en réalité, il la tient du libre choix de son Maître. Aussi cette mission est-elle religieusement acceptée de tous. La tradition paulinienne, représentée par saint Luc[16], et la tradition johannine, représentée par le quatrième évangile[17], aussi bien que la tradition palestinienne, dont l'écho se trouve en saint Matthieu[18], et que la tradition romaine, exprimée en saint Marc, s'accordent à placer Simon Pierre à la tête de l'Eglise naissante.

Une autre autorité, il est vrai, semble planer en même temps sur la communauté des disciples de Jésus : c'est l'autorité de l'Esprit-Saint. Rien n'est remarquable comme la fréquence des mentions qui sont faites de l'Esprit-Saint dans les Actes des apôtres Tout ce qui se fait de grand dans l'Eglise naissante[19] est attribué à l'inspiration de cet Esprit.

Le nom de l'Esprit-Saint est un des premiers mots qui se trouvent sur les lèvres de Pierre au moment où il prend, pour la première fois, la parole devant les disciples assemblés pour le remplacement de Judas[20]. C'est de l'Esprit-Saint que les apôtres reçoivent le don des langues[21]. C'est à l'action de l'Esprit-Saint que Pierre attribue toutes les manifestations surnaturelles du jour de la Pentecôte[22]. L'apôtre reprochera à Ananie d'avoir menti au Saint-Esprit[23], et à Saphire d'avoir tenté l'Esprit du Seigneur[24]. Le premier martyr, Etienne, sera qualifié d'homme rempli de foi et d'Esprit-Saint[25], l'Esprit de Dieu parlera par sa bouche[26]. Plus tard nous verrons le Saint-Esprit mettre à part Paul et Barnabé[27], et empêcher Paul et Silas de passer en Asie[28].

Cet Esprit est d'ailleurs représenté comme un Esprit de paix, de charité et de joie[29]. Sous son influence et sous la paternelle autorité du chef des apôtres, la communauté naissante s'organise et se développe comme la plus unie des familles.

Qui l'observerait du dehors, et d'un regard superficiel, y verrait peut-être un simple groupe de juifs pieux, ou encore quelque institution cénobitique semblable à celles des esséniens et des thérapeutes[30]. Les disciples de Jésus gardent encore les observances mosaïques, prient aux heures voulues[31] et se montrent scrupuleusement fidèles à la Loi. Aussi le peuple les aime-t-il à cause de leur vie simple, pieuse et douce[32]. Les princes des prêtres l'ont bien vu, lors de l'arrestation de Pierre et de Jean. Un parfum d'amabilité, d'honnêteté, de saine gaieté rayonne autour du petit groupe. Le travail y est honoré, les pauvres y sont accueillis avec bonté, les déshérités du sort y trouvent tous les charmes d'une famille agrandie, qui leur ouvre avec largesse tous ses trésors d'affection en même temps que ses ressources matérielles. Les membres de la communauté s'appellent frères, pour marquer la tendre charité qui les unit. Les portiques du temple, les galeries qui font partie de cet édifice sont le lieu habituel de leurs réunions pendant le jour[33]. Ils y retrouvent le souvenir des plus doux entretiens de leur Maître. Le soir, on les voit rentrer à leur quartier, et, divisés par petits groupes[34], prendre part à un mystérieux repas qui leur rappelle, d'une manière plus intime encore, les derniers moments de Jésus. Le peuple désigne leur réunion par le mot hébreu de Kahal, appliqué aux assemblées de ce genre ; mais eux-mêmes prennent plutôt le nom grec d'Ecclesia, Eglise, par lequel les vieilles cités helléniques désignaient la convocation du peuple pour délibérer sur les affaires de la cité.

 

IV

Pénétrons plus avant dans la vie intérieure de cette Eglise. Nous y découvrirons une organisation autonome, capable de la faire vivre par elle-même, si le peuple juif se détache un jour de Jésus-Christ.

A côté de Pierre, les apôtres exercent sur les simples fidèles une autorité incontestée. Confidents du Sauveur, spécialement choisis par lui pour l'accompagner et pour l'aider, ils sont, à ce titre, à l'égard des nouveaux convertis, les témoins authentiques du Maître disparu. C'est à eux que l'on va demander la relation autorisée de ses discours, de ses promesses, de ses bénédictions, de ses exemples. Le mystère de la Pentecôte, en les désignant comme remplis, d'une manière toute particulière, du Saint-Esprit, le don des miracles, qui leur est plus spécialement réservé[35], les ont revêtus d'une autorité tout exceptionnelle. Quand Pierre passe, on apporte des malades au-devant de lui, on les place sur des lits et des couchettes, afin qu'au moins son ombre couvre quelqu'un d'eux[36]. De tels privilèges rendent leur autorité absolue et leur enseignement irréformable[37]. Jésus ne leur a-t-il pas, d'ailleurs, positivement confié le pouvoir d'enseigner[38], et, sous la dépendance de Pierre, le pouvoir de gouverner les fidèles ?[39]

Au-dessous des apôtres, il est possible que, pendant un temps très court, la communauté n'ait possédé que le ministère des prophètes directement inspirés par l'Esprit de Dieu. Mais si cet état embryonnaire a jamais existé, il a duré fort peu[40]. Les apôtres ne tardent pas à intervenir et à instituer une autorité de gouvernement, souvent confiée aux privilégiés de ces communications mystiques.

Un conseil d'anciens (presbyteri, prêtres) et un collège de sept diacres compléteront cette organisation.

Après la dispersion des apôtres, l'un d'eux, Jacques, frère du Seigneur, les remplacera à lui seul à Jérusalem et prendra le rôle de chef de l'Eglise locale. A sa mort, en 61, on lui donnera un successeur, lui aussi parent du Seigneur, Siméon, lequel vivra jusqu'en 110 environ. Cette hiérarchie hiérosolymite nous offre exactement les mêmes degrés qui seront plus tard d'usage universel[41].

L'Eglise primitive de Jérusalem n'a pas seulement une hiérarchie propre ; un examen attentif montre que, en dehors des exercices pieux auxquels les disciples de Jésus prennent part au temple avec leurs frères israélites, des pratiques spéciales les unissent dans les maisons particulières où se tiennent leurs assemblées. On se répète surtout les discours et la vie du Maître. Ces récits divers, mille fois redits, finissent par affecter la rédaction orale uniforme, qui en fait une sorte de catéchisme traditionnel. L'Evangile revêt ainsi sa première forme authentique et autorisée ; et il ne faut pas chercher d'autre cause à l'identité d'expressions et de tournures de phrase qui caractérisera les trois évangiles synoptiques[42]. D'une manière plus précise, cette prédication primitive prend deux formes qu'elle emprunte aux traditions de la synagogue ; c'est tantôt l'agada, sorte de narration ou discours historique, et tantôt l'alaka, forme d'enseignement dogmatique ou moral[43]. Les évangiles synoptiques se rattacheront à l'agada ; les épîtres apostoliques appartiendront plutôt au genre de l'alaka, et l'évangile de saint Jean tiendra de l'une et de l'autre.

La doctrine de la religion nouvelle est d'abord tout entière dans ces récits et ces enseignements. Une théologie spéculative fût demeurée sans aucune prise sur des intelligences peu préparées à l'entendre. Il est possible cependant de dégager les trois principaux dogmes qui émergent, avec précision et netteté, de la foi de ces premiers âges. Ce sont les dogmes fondamentaux de l'Incarnation, de la Trinité et de la Rédemption.

Les premiers fidèles croient d'abord fermement à l'Incarnation du Fils de Dieu. Les affirmations de saint Paul, de saint Jean et de l'auteur de l'épître aux Hébreux à ce sujet, ne sont que l'épanouissement d'une croyance commune, encore indigente en formules, mais profonde et résistante... L'essentiel de cette croyance est dans les âmes chrétiennes dès la première génération... Les livres chrétiens supposent tous cette croyance fondamentale, universellement acceptée et solidement ancrée dans la tradition[44]. La foi au dogme de la Trinité n'est pas moins nette dans cette première communauté. Admettre que Jésus-Christ et l'Esprit-Saint sont Dieu, c'était admettre qu'ils participent à l'essence même du Dieu unique, qu'ils lui sont respectivement identiques, sans cependant être dépourvus de certaines spécialités. Ceci, c'est la Trinité chrétienne, non sans doute à l'état de formulation qu'elle atteindra plus tard et que l'on opposera à des hérésies passagères, mais à l'état où elle pénètre la conscience commune des chrétiens et réclame l'adhésion de leur foi. Le commun des chrétiens, au er siècle, au temps même des apôtres, en est, sur ceci, à peu près au même point que le commun des chrétiens d'à présent[45]. Mais Jésus n'est pas seulement Messie et Fils de Dieu. Il est encore le Sauveur des hommes... Il est leur Rédempteur et c'est par sa mort sur la croix qu'il a conquis ses droits sur eux. Il ne faut pas croire que cette idée, sur laquelle saint Paul insiste si souvent et si fortement, soit un simple produit de sa réflexion individuelle... Saint Paul nous atteste[46] que, se trouvant à Jérusalem, après sa première mission, il exposa aux chefs de l'Eglise, Pierre, Jacques, Jean et autres, la doctrine qu'il enseignait aux païens, afin, dit-il, de ne pas courir en vain... Comme on ne lui fit pas d'objections, il faut admettre que l'efficacité rédemptrice de la mort du Seigneur était dès lors chose reçue parmi les apôtres[47].

Il est donc vrai de dire que, dès les premières origines, si le christianisme a ses racines dans la tradition juive, il la dépasse et s'en distingue, comme un rejeton puissant qu'animerait une sève nouvelle. Il garde les Livres sacrés de l'Ancien Testament, mais pour les éclairer et pour les compléter par les lumières d'une foi qui lui est propre. Et cette foi ne repose ni sur une inspiration mystique collective ni sur une illumination tout intérieure de chaque individu, mais sur un enseignement ferme, qui constitue le message des apôtres, que ceux-ci ont communiqué et imposent avec autorité à tout membre de la communauté chrétienne. C'est la Tradition, la Paradosis, ou encore l'Enseignement des apôtres, la Didachè tôn apostolôn[48]. Cette règle de foi se fonde, en définitive, sur l'autorité divine de Jésus. Jésus est le Christ ; Jésus est le Seigneur. Christ, il réalise l'espérance messianique d'Israël ; Seigneur, il est la Voix, le Verbe même du Père céleste, qui l'a déclaré tel au jour de sa première manifestation : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le[49].

L'autonomie de l'Eglise chrétienne se révèle enfin dans ses rites. Les Actes nous font distinctement connaître trois de ces rites : le baptême, l'imposition des mains, la fraction du pain. Même à supposer, comme on l'a prétendu quelquefois et un peu gratuitement, que ces trois rites fussent déjà usités en Israël avant le Christ, ils sont pratiqués dans la communauté chrétienne suivant le mode très particulier qu'enseignent les apôtres et avec une signification spécifiquement chrétienne. C'est, en effet, le baptême au nom du Seigneur Jésus ; c'est l'imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit ; c'est la fraction du pain renouvelant le mystère de la dernière Cène[50].

Tout d'abord nous voyons que nul ne peut être admis dans la communauté sans passer par un rite d'initiation ; c'est l'ablution liturgique, ou le baptême de l'eau. Le postulant eût-il déjà été favorisé d'une effusion directe du Saint-Esprit, il ne peut se dispenser du rite sacramentel. A l'exemple de son divin Maître, qui voulut recevoir une initiation semblable du Précurseur, le catéchumène descendra dans une eau courante, ainsi que l'eunuque de la reine Candace[51], ou recevra une effusion sur sa tête inclinée, comme dut le faire l'apôtre saint Paul lorsqu'il reçut le baptême par les mains d'Ananie[52] et le geôlier que saint Paul, à son tour, baptisa dans sa prison[53]. Ce rite signifiera la mort à la vie profane et la naissance à une vie nouvelle qui incorporera le nouveau fidèle au Christ Jésus en le constituant membre de l'Eglise. Saint Paul parle de l'ensevelissement qui s'opère par le baptême[54] ; et c'est bien au rite baptismal que la tradition a toujours attribué les paroles de Jésus à Nicodème, lorsqu'il lui parlait de la nécessité de renaître à une nouvelle vie. Aussi l'Eglise demande-t-elle au néophyte deux conditions préalables : la pénitence et la foi. Faites pénitence, s'écrie saint Pierre, au jour de la Pentecôte, et vous serez baptisés[55]. Tu peux être baptisé, dit le diacre Philippe à l'eunuque de la reine Candace, si tu crois de tout ton cœur[56]. Que, toutes ces conditions soient réunies, et le néophyte, dépouillant le vieil homme, voit naître en lui, avec la grâce intérieure et le caractère indélébile du chrétien, l'homme nouveau. Il fait partie désormais d'un peuple de saints[57] ; il peut se dire de race royale[58], et même de race divine[59].

Aussi les apôtres s'appliquent-ils à faire ressortir le caractère unique et transcendant du baptême chrétien. Ils l'opposent au baptême de Jean, et se plaisent à l'appeler le baptême de Jésus[60]. Leur insistance est si grande sur ce point, que des auteurs se sont demandé si la formule primitive du baptême n'était pas la suivante : Je te baptise au nom de Jésus[61] ; mais cette opinion doit être rejetée ; la seule raison de l'insistance des apôtres dans l'emploi de pareilles expressions s'explique suffisamment par leur désir de bien marquer le caractère distinctif du baptême chrétien.

L'imposition des mains perfectionne le caractère du chrétien en lui conférant l'Esprit-Saint. Pierre et Jean, rencontrant à Samarie des habitants convertis et baptisés par le diacre Philippe, imposent les mains sur eux pour leur conférer le Saint-Esprit[62]. Saint Paul, trouvant à Ephèse quelques disciples de Jean-Baptiste, les baptise d'abord, puis leur impose les mains[63]. Les théologiens voient dans ce rite le sacrement de confirmation. A l'âge apostolique, des signes merveilleux, souvent désignés sous le nom de charismes, accompagnent l'effusion du Saint-Esprit.

L'Esprit parle par la bouche des nouveaux confirmés ; l'Esprit prophétise l'avenir ; l'Esprit leur donne des ordres, soulève leurs bras, illumine leur regard ; l'Esprit se manifeste en visions, en extases, en prières, en chants pieux. L'Esprit se répand en dons étranges, parfois inexplicables, comme le don des langues[64]. L'épître aux Hébreux invoquera le témoignage donné par Dieu à son Eglise par des signes, des prodiges et toutes sortes de miracles, ainsi que par les dons du Saint-Esprit, répartis selon sa volonté[65]. Nous nous trouvons, en effet, ici en présence de ces dons mystiques dont le caractère essentiel est d'être au-dessus de toutes les industries et de tous les efforts de l'homme[66] et de dépendre uniquement du bon plaisir de Dieu. On sait aussi que la règle à suivre, pour ceux que Dieu favorise de pareils états, est de subordonner toutes ces voies extraordinaires à l'autorité de l'Eglise hiérarchiquement constituée[67]. Il est bon, du reste, de remarquer que les dons communiqués par le Saint-Esprit aux premiers fidèles ne diffèrent pas essentiellement de ceux que Dieu répartira plus tard à ses grands mystiques, à un François d'Assise, à une Catherine de Sienne, à une Thérèse de Jésus. Tout au plus peut-on constater que l'Eglise ne rencontrera jamais plus, dans la suite, des grâces aussi fréquentes et aussi extraordinaires. Aussi bien, ces dons mystiques dureront peu de temps. On ne les retrouvera plus au delà de l'âge apostolique ; et, durant cette période, ils seront énergiquement subordonnés à deux principes : d'abord la foi reçue et authentique, ensuite l'édification commune[68]. Quand bien même, écrit saint Paul, un ange venu du ciel vous annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème[69]. Si quelqu'un croit être prophète ou riche en dons spirituels, qu'il reconnaisse que les choses que je vous ai écrites sont des commandements du Seigneur. Le seul but de la Providence, autant qu'il nous est permis de le conjecturer, avait été, semble-t-il, en prodiguant à son Eglise des dons divins si éclatants et si nombreux, de bien indiquer qu'une société nouvelle venait de naître, marquée du sceau de la vérité et manifestement assistée par l'Esprit divin.

Mais nous n'avons pas encore pénétré dans le sanctuaire le plus sacré de l'Eglise naissante. Quand, vers le soir, des groupes de disciples viennent pieusement rompre le pain dans la maison et prier avec assiduité[70], ils ont conscience d'accomplir le rite le plus solennel et le plus émouvant de leur religion. En célébrant la dernière Cène avec ses disciples, Jésus leur avait ordonné d'en renouveler la mémoire. Ils sont fidèles à ce commandement. Le rite qu'ils vont célébrer n'a rien de commun, quoi qu'on en ait dit, avec ces agapes fraternelles dont l'usage s'était répandu parmi les membres des diverses corporations ou confréries dans le monde gréco-romain. Les repas de charité, ou agapes chrétiennes, ne s'introduiront dans l'Eglise que plus tard. Le repas religieux auquel les fidèles vont d'abord prendre part est simplement la commémoration de celui que le Sauveur a pris avec ses disciples la veille de sa mort. La modification apportée par Jésus à la célébration de la Pâque juive, l'a divisée en deux parties bien distinctes, dont la première n'est plus qu'une préparation à la seconde. De cette première partie, les disciples du Christ ont cru devoir conserver, non les mets symboliques, qu'ils remplacent par d'autres, mais seulement le formulaire de prières. C'est en vue de ce premier repas en commun, pour lequel chacun apporte sa quote-part, que saint Paul prescrira aux riches d'attendre l'arrivée des pauvres, afin qu'on n'ait pas ce scandale de voir les uns manger abondamment et les autres manquer de vivres[71].

Ce repas fini, la célébration proprement dite de l'Eucharistie commence[72]. Par le baptême, le chrétien a eu le sentiment d'être incorporé à la personne mystique du Christ, se survivant en l'Eglise ; par la confirmation, il s'est vu pénétré de l'action de l'Esprit sanctificateur. Ici, c'est Jésus lui-même, Jésus présent sous les espèces du pain et du vin, qui va s'unir à lui de la manière la plus intime. Le nouveau converti se sentira l'égal, en quelque sorte, du disciple qui a reposé sur la poitrine du Sauveur bien-aimé. Ineffable mystère ! Il apparaît si grand, et il atteint des fibres si intimes du cœur, qu'on évitera d'en parler devant les profanes. Instinctivement, et d'un commun accord, les premiers fidèles observeront cette loi du secret ou de l'arcane, qui préservera leur culte des profanations sacrilèges et des curiosités indiscrètes[73]. En même temps, dans ce mystère, l'Eglise retrouvera, ineffaçable, la ligne de démarcation qui la sépare du mosaïsme. Que les disciples l'aient senti ou non dès la première heure, la Croix s'est levée, de plus en plus inexorable, entre eux et les Juifs, rejetant ceux-ci en arrière et commandant à ceux-là d'aller de l'avant. Jésus mort, c'est le crime des uns et le salut des autres... C'est la Croix qui a tué la Synagogue et édifié l'Eglise, et son mémorial vivant et efficace n'est autre que l'Eucharistie[74].

 

V

Séparés du monde juif et du monda païen par leur hiérarchie, par leurs croyances et par leurs rites, les disciples de Jésus ne veulent pas cependant avoir, dans la société où ils vivent, une attitude de révoltés ou de boudeurs. Et moi aussi, écrira saint Paul dans son épître aux Corinthiens, et moi aussi, je suis juif ![75] Et, devant le tribun de Rome, il s'écriera fièrement : Je suis citoyen romain ![76] Rendez à César ce qui est à César[77], a dit le Christ ; l'apôtre ajoute : Que chacun de vous soit soumis à l'autorité supérieure, car toute autorité vient de Dieu[78].

Les autorités temporelles avec lesquelles l'Eglise naissante se trouve en contact sont celle des chefs de la nation juive et celle des empereurs romains. Depuis l'an 40 avant l'ère chrétienne, le titre de roi de Judée est l'apanage de la famille des Hérodes, qui, grâce à l'appui des Romains, ont supplanté les Macchabées. Désormais le sceptre est sorti de Juda ; l'étranger règne dans le pays de la promesse. La politique des Hérodes tend bien, sans doute, à constituer un royaume indépendant, dont le judaïsme assurerait l'unité : mais, La politique pour réaliser ce dessein, ils ont besoin de la protection de Rome ; de là l'équivoque de leur attitude. Les brusques nominations et dépositions des grands prêtres, qu'ils subordonnent aux vicissitudes de leurs calculs politiques, déconsidèrent le sacerdoce, et les ménagements qu'ils gardent à l'égard des autorités romaines favorisent l'introduction des mœurs païennes dans la Palestine[79].

L'attitude des premiers chrétiens à l'égard des autorités et des lois est nette et franche ; ils célèbrent les fêtes nationales et les jours fériés[80], prennent part au culte du temple et de la synagogue[81], et s'abstiennent soigneusement de toute souillure légale[82]. Ils obéissent à toutes les lois, fiscales ou autres, et, sauf les différends qui s'élèvent entre eux, et qu'ils réservent au jugement de leur communauté, ils portent leurs causes devant les juridictions civilement compétentes. Cette rigoureuse loyauté leur attire l'estime et l'admiration du peuple[83].

Rome, qui exerce en Palestine un protectorat mal défini, est représentée à Jérusalem par un procurateur, qui se réserve le jus gladii, ou jugement des affaires capitales ; mais il exerce rarement ce droit suprême, et pratique souvent, comme Pilate, la politique de non-intervention, peu soucieux de mettre son pouvoir au service des coteries locales et des rancunes sacerdotales.

L'attitude des chrétiens à l'égard des lois et des autorités impériales n'est pas moins loyale qu'à l'égard des pouvoirs juifs. Ils paient les impôts prélevés au profit de la métropole romaine ; ils obéissent à leurs maîtres, s'ils sont esclaves[84], et ne craignent pas d'évoquer leur cause au tribunal de Rome, quand leur titre de citoyen romain leur en donne le droit[85].

Cependant les autorités juives, comme les autorités romaines, ne vont pas tarder à montrer leur hostilité contre les chrétiens. Celles-ci, conformément à leurs habitudes, se montreront plus discrètes sur le territoire palestinien ; mais la haine mal contenue de la caste sacerdotale, qui a fait mettre à mort Jésus, ne va pas tarder à éclater contre ses disciples.

La famille sadducéenne du grand prêtre, qui a fait condamner le Christ, détient toujours le pouvoir. Jusqu'en 36, le souverain pontificat appartient réellement à Caïphe, qui en abandonne l'exercice effectif à son beau-père Anne et à ses parents Alexandre et Jean[86]. Ces ambitieux intrigants, ces hommes sans pitié voient avec peine l'accroissement continu d'une communauté se réclamant d'un homme qu'ils ont fait crucifier. La faveur même de la foule, qui s'attache aux disciples de Jésus, ne les rend que plus suspects au pouvoir. D'ailleurs, si plus d'un, en voyant leurs œuvres de charité, s'écrie : Voyez comme ils s'aiment ! d'autres, — le livre des Actes l'insinue, — sont pris, à la vue des miracles qu'ils opèrent, d'une sorte de terreur[87]. Les disciples du Christ vont à la synagogue et montent au temple, sans doute ; mais ils ont aussi des réunions intimes dans des maisons particulières, et y créent des centres d'activité religieuse indépendants de l'autorité sacerdotale. Ainsi raisonnent surtout les sadducéens, qui ont toujours nourri contre le Christ la haine la plus tenace et que la prédication de la résurrection exaspère. Un certain nombre d'hérodiens et de pharisiens se laissent gagner par les mêmes appréhensions et les mêmes rancunes. L'arrestation des apôtres, la lapidation de saint Etienne, la décapitation de saint Jacques, l'emprisonnement de saint Pierre seront les suites de cette sourde coalition.

Le livre des Actes nous raconte le premier de ces faits. Le grand prêtre et ceux qui étaient avec lui, à savoir les sadducéens, mirent la main sur les apôtres et les consignèrent dans la prison publique. Mais, pendant la nuit, l'ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison, les fit sortir et leur dit : Allez, tenez-vous dans le temple, et annoncez au peuple toutes les paroles de vie. Ayant entendu cela, ils entrèrent dès le matin dans le temple et se mirent à enseigner. Cependant le grand prêtre et ceux qui étaient avec lui assemblèrent le conseil et envoyèrent chercher les prisonniers... Mais quelqu'un survint et leur dit : Les hommes que vous aviez mis en prison, les voilà dans le temple, et ils enseignent le peuple. Un capitaine partit avec des officiers, et il amena les apôtres sans leur faire violence, car eux-mêmes avaient peur d'être lapidés par le peuple. Le grand prêtre leur dit : Nous vous avons défendu expressément d'enseigner en ce nom-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre doctrine. Prétendez-vous donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ? Pierre et les apôtres répondirent : On doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Furieux de ces paroles, ils voulaient les faire mourir. Mais un pharisien, nommé Gamaliel, docteur de la loi, estimé de tout le peuple, se leva dans le sanhédrin et ordonna de faire sortir un instant les apôtres. Puis il dit : Hommes d'Israël, prenez garde à ce que vous allez faire à l'égard de ces gens... Si cette entreprise ou cette œuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même ; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne courez pas le risque d'avoir combattu contre Dieu. Ils se rangèrent à cet avis. Ayant appelé les apôtres, ils les firent battre de verges, leur signifièrent de ne plus jamais prêcher au nom de Jésus et les relâchèrent. Et ceux-ci s'en allèrent joyeux de la séance du conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus. Et chaque jour, dans le temple et dans les maisons, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer Jésus-Christ[88].

 

VI

Ces événements se passaient vers la fin de l'an 32. Le droit de juger et de faire fouetter de verges les accusés, que le sanhédrin s'attribue ; les velléités visibles de leur intenter une action capitale ; les événements qui vont suivre, où l'on verra le diacre Etienne mis à mort sans aucune protestation de l'autorité romaine et Saül envoyé en mission avec des lettres patentes du sanhédrin, révèlent suffisamment que Tibère, déjà malade et tout à ses honteuses passions de vieillard lubrique et de tyran odieux, avait laissé prévaloir au loin une politique plus libérale à l'égard des provinces soumises à l'empire. Pilate était encore à Jérusalem ; mais il se préoccupait de l'agitation qui commençait à se produire en Samarie et qu'il devait, quelque temps après, étouffer dans le sang par d'horribles massacres[89].

Profitant de cette accalmie politique, l'activité religieuse de la communauté chrétienne venait de prendre un nouvel élan.

Les douze apôtres, surchargés par les œuvres de charité, que le nombre croissant des fidèles rendait de plus en plus absorbantes, avaient réuni la multitude des disciples et leur avaient demandé de leur désigner des aides remplis de l'Esprit-Saint et de sagesse, capables de les suppléer. La multitude tout entière agréa cette proposition. On choisit donc sept auxiliaires, à la tête desquels fut Etienne, homme plein de foi et de l'Esprit-Saint[90]. C'était l'institution d'un nouvel ordre de ministres, le diaconat.

Si l'on rapproche du passage des Actes, où il est parlé de l'institution du diaconat, les autres passages des Livres saints où il en est question, notamment les épîtres de saint Paul, on a l'impression qu'il s'agit, non d'un ministère transitoire, établi par une volonté purement humaine, mais d'une institution plus haute, ayant un caractère définitif et suggérée par l'Esprit-Saint. L'importance majeure qu'attachent les apôtres au choix des sept premiers diacres, la préoccupation visible qu'ils apportent à marquer les conditions que doivent remplir les futurs élus, la solennité dont ils entourent l'institution nouvelle, l'énumération des rares qualités qu'exige saint Paul de la part des diacres et l'étroite association qu'il établit entre eux et les évêques, ne s'expliquent que par cette haute conception du diaconat. Même au point de vue strictement historique, tout nous porte donc à croire qu'en imposant les mains sur les nouveaux élus, les apôtres leur conférèrent la grâce sacramentelle qui les aiderait à remplir dignement leurs importantes fonctions[91].

L'Ecriture mentionne trois de ces fonctions : en premier lieu, le service des tables[92], c'est-à-dire la distribution faite chaque jour aux pauvres, et spécialement aux veuves, d'aliments divers, fournis par les ressources des riches ; puis l'administration du baptême[93] et la prédication[94].

Nul ne s'acquittait avec plus de zèle et plus d'éclat de cette dernière fonction que le diacre Etienne. Son ministère s'exerçait particulièrement au milieu des Juifs hellénistes, auprès desquels les apôtres avaient probablement moins d'accès. La force de sa parole[95], le don des miracles qui l'accompagnait[96], lui avaient valu de grands succès auprès des foules, qui se groupaient autour de sa personne. Ses ennemis commencèrent par discuter avec lui, mais ils ne pouvaient résister à sa sagesse et à l'Esprit par lequel il parlait[97]. Alors ils subornèrent des gens qui dirent : Nous l'avons entendu proférer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu. Ils ameutèrent ainsi le peuple, les Anciens et les Scribes, et tous ensemble se jetant sur lui, ils le saisirent et l'entraînèrent au sanhédrin. Et ils produisirent de faux témoins, qui dirent : Cet homme ne cesse de proférer des paroles contre le lieu saint et contre la loi. Car nous l'avons entendu dire que Jésus, ce Nazaréen, détruira ce lieu et changera les institutions que Moïse nous a données. Tous ceux qui siégeaient dans le conseil avaient les yeux fixés sur Etienne, et son visage leur parut comme celui d'un ange. Le grand prêtre lui demanda : En est-il bien ainsi ? Etienne répondit : Hommes à la tête dure, incirconcis de cœur et d'oreilles, vous résistez toujours au Saint-Esprit. Tels furent vos pères, tels vous êtes. Quel prophète vos pères n'ont-ils pas persécuté ? Ils ont même tué ceux qui annonçaient d'avance la venue du Juste ; et vous, aujourd'hui, vous l'avez trahi et mis à mort, vous qui avez reçu la Loi, en considération des anges qui vous l'intimaient, et vous ne l'avez pas gardée !...

En entendant ces paroles, la rage déchirait leurs cœurs, et ils grinçaient des dents contre lui. Mais Etienne, qui était rempli de l'Esprit-Saint, ayant fixé les yeux au ciel, vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de son Père. Et il dit : Voici que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. Les Juifs poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles, et se jetèrent tous ensemble sur lui. Et l'ayant entraîné hors de la ville, ils le lapidèrent. Les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saül. Pendant qu'ils le lapidaient, Etienne priait en disant : Seigneur Jésus, recevez mon esprit ! Puis, s'étant mis à genoux, il s'écria d'une voix forte : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. Après cette parole, il s'endormit dans le Seigneur[98].

Ainsi mourut le premier martyr chrétien. Comme son Maître, il expira en remettant son âme entre les mains du Père céleste et en priant pour ses bourreaux.

 

VII

Les persécuteurs triomphèrent. Débarrassés de celui qu'ils considéraient comme le plus redoutable de leurs adversaires, ils espérèrent avoir facilement raison des autres en les terrifiant. Le procurateur avait laissé s'accomplir le meurtre du diacre Etienne ; l'événement accompli, il ne soulevait aucune protestation. On pouvait donc aller de l'avant. L'annaliste de ces premiers temps raconte qu'après la mort d'Etienne une grande persécution se déchaîna contre l'Eglise qui résidait à Jérusalem. Tous, à l'exception des apôtres, furent dispersés dans les localités de la Judée et de la Samarie[99].

Tous ces misérables calculs furent déjoués. Un fait se produisit, qui devait se renouveler, avec la régularité d'une loi, dans le cours des siècles : la dispersion violente des chrétiens fut l'occasion d'une diffusion plus rapide du christianisme.

L'évangélisation de la Samarie par le diacre Philippe, et la conversion de Saül, le futur apôtre de la gentilité, furent les deux premiers fruits du martyre d'Etienne.

La province de Samarie, située au centre de la Palestine entre la Galilée et la Judée, était habitée par une population mélangée, formée des restes de l'ancien royaume d'Israël, détruit par Salmanasar en 721, et des colons assyriens que le vainqueur y avait transportés[100]. Ces colons étrangers avaient conservé, dans leur nouvelle résidence, le culte de leur ancienne patrie. Quelque temps après, les Samaritains, effrayés d'un fléau qu'ils considérèrent comme une vengeance du dieu du pays méconnu par ses nouveaux habitants, réclamèrent un des anciens prêtres israélites transportés en Assyrie, pour leur enseigner le culte de Jéhovah. Celui-ci vint s'établir à Béthel ; mais, tout en adoptant le culte de Jéhovah, chacun des groupes ethniques continua à servir les dieux de son pays d'origine ; il y eut ainsi en Samarie une multitude de cultes, et chaque ville eut sa religion propre[101]. La religion du pays était donc un judaïsme plus ou moins corrompu et mélangé de paganisme. Au retour de la captivité, le refus opposé par les Juifs d'accepter le concours des Samaritains dans la réédification du temple de Jérusalem, accentua l'antipathie qui existait entre la Samarie et les deux autres provinces. C'est vraisemblablement à cette époque qu'il faut faire remonter le culte du Garizim, rival de Jérusalem[102]. Nous savons par l'Evangile qu'une vive inimitié persistait, au temps de Jésus-Christ, entre les Juifs et les Samaritains[103]. Jésus cependant avait eu, à leur égard, de touchantes paroles de miséricorde[104], et avant de remonter au ciel, il avait exprimé le désir que l'évangélisation de la Samarie vint en second lieu, après celle de Jérusalem et de la Judée, mais avant celle de tous les pays de la gentilité[105].

Vers l'an 33, à l'époque du martyre de saint Etienne, la population de la Samarie était extrêmement agitée par le prosélytisme d'un homme, qui, exploitant l'inquiétude religieuse de ce peuple, toujours prompt à accueillir de nouveaux envoyés de la divinité, se donnait pour un être surhumain[106]. Il s'appelait Simon. Il était né au bourg de Gitton, dans les environs de Sichem[107] et avait la réputation d'un magicien extraordinaire. Si l'on s'en rapporte aux Homélies clémentines[108], il avait été élevé en Egypte ; il s'y était familiarisé avec ces théories vagues et grandioses où tendait le judaïsme alexandrin, et qui devaient se formuler bientôt dans les différentes sectes gnostiques. Par l'étrangeté de ses rêves, par le prestige de ses sortilèges, par l'audace de ses affirmations, cet homme exerçait une sorte de fascination sur les masses. Voici la grande vertu de Dieu, se disait le peuple en le voyant paraître[109] ; et lui-même, au rapport de saint Jérôme, disait à qui voulait l'entendre : Je suis la parole de Dieu, je suis la Beauté, je suis la Consolation, je suis la Toute-Puissance, je suis le Tout de Dieu[110].

En quittant Jérusalem, le diacre Philippe, le second des sept élus, s'était rendu à Sébaste[111] pour y prêcher l'Evangile. Sur cette terre, réfractaire à l'autorité de Jérusalem, il avait l'assurance d'échapper à la persécution des prêtres juifs. Les diacres, dégagés, par suite de la dispersion, des soins de la communauté, qui avaient constitué leurs principales fonctions jusque-là, se vouaient désormais au ministère de la prédication. Le missionnaire ne tarda pas à se trouver en présence du magicien.

Nous savons peu de chose de Philippe. Originaire, à ce qu'il semble, de Césarée[112], père de quatre filles qui l'aidaient dans son ministère en catéchisant les néophytes, et qui paraissent avoir rempli un rôle important dans les œuvres charitables de ces temps primitifs, il avait reçu de Dieu, d'une manière peu commune, le don des miracles. Son nom semble indiquer une origine helléniste, qui dut rendre plus faciles ses rapports avec les populations étrangères à Judée.

Au bout de quelque temps, Philippe avait guéri un si grand nombre de possédés, de paralytiques, de boiteux, d'infirmes de toute sorte, que beaucoup de Samaritains demandèrent à recevoir le baptême chrétien. Simon lui-même demanda et obtint l'initiation à la foi de Jésus-Christ.

Le diacre avait la faculté de baptiser, mais non de donner le Saint-Esprit. Ce dernier pouvoir était réservé aux apôtres. Ceux-ci, n'ayant pas tardé à apprendre le succès accordé par Dieu à la prédication de Philippe, jugèrent qu'il y avait lieu de conférer aux nouveaux chrétiens le complément des grâces sacramentelles que recevaient les initiés à la foi du Christ. Pierre et Jean se rendirent an milieu de la jeune chrétienté de Sébaste, imposèrent les mains sur chacun des membres de la nouvelle communauté, et leur conférèrent le Saint-Esprit.

Il est à croire que l'effusion de grâces spirituelles qui se produisait ordinairement à Jérusalem sur les nouveaux confirmés se renouvela en Samarie avec un éclat tout particulier. Un saint enthousiasme s'emparait de ceux à qui la grâce de l'Esprit venait d'être conférée. Leurs paroles étaient impuissantes à rendre la sainte joie qui faisait battre leurs cœurs, l'extase qui soulevait leurs âmes vers je ne sais quelle contemplation mystique. Tout en eux, l'expression de leur visage, les mots inachevés qui expiraient sur leurs lèvres, et les gestes qu'ils ébauchaient, ne laissaient aucun doute sur l'efficacité opérante du rite sacramentel[113]. L'assistance avait l'impression irrésistible d'une présence et d'une action particulières de Dieu au milieu d'elle. Simon fut témoin de ces scènes émouvantes. Le malheureux, dont la conversion n'avait peut-être pas été exempte de toute arrière-pensée d'ambition, sentit alors se réveiller en son cœur les plus mauvaises tentations de sa vie passée. Il y céda. Hardiment, il se présenta devant Pierre, et, lui offrant de l'argent, il lui dit : Communique-moi ton pouvoir, afin que ceux à qui j'imposerai les mains, reçoivent aussi le Saint-Esprit. Le premier pape se trouvait, pour la première fois, en face du premier hérésiarque. Le livre des Actes nous a conservé son admirable réponse : Que ton argent périsse avec toi, s'écria Pierre, puisque tu as pensé que le don de Dieu s'acquiert à prix d'argent ![114] Le magicien s'inclina, et feignit de se repentir. Mais on le vit bientôt, impénitent et révolté, courir le monde, suivi d'une malheureuse femme, du nom d'Hélène, qu'il appelait la Pensée éternelle, qu'il prétendait délivrer, et qu'il associa à ses œuvres de sorcellerie. On lui attribua plus tard tout un système de philosophie théologique. Ce n'est probablement que la synthèse, faite par ses disciples, des idées propagées par lui, et destinées peut-être à couvrir simplement l'immoralité de sa conduite. Simon aurait admis comme principe de toutes choses un feu spirituel, éternel et invisible. De ce premier principe, disait-il, sont émanés des esprits inférieurs, graduellement hiérarchisés, de moins en moins éthérés, les éons. Ils ont été chargés de créer et de conserver le monde. Seulement ces esprits retiennent captive la Pensée éternelle de Dieu, dont ils sont l'œuvre. Qui la délivrera, cette divine Ennoia ? Ce sera Simon, le Suscité, le Verbe, la grande Force de Dieu ; et toute la mission de celui-ci est de travailler à cette délivrance[115]. Si les idées que nous venons de résumer sont bien celles de Simon, toutes les rêveries du gnosticisme étaient en germe dans le cerveau de ce novateur.

L'homme néfaste, qui, presque au lendemain de la mort du Sauveur, s'était ainsi dressé en face de l'Eglise, captieux et violent, intelligent et dépravé, s'attaquant à la fois à la discipline et à la foi, devait laisser un profond et lugubre souvenir dans les premières générations chrétiennes, qui lui attribuèrent une foule de crimes et d'aventures, merveilleuses et sinistres[116]. Son nom survivra dans la langue de l'Eglise ; elle appellera simonie le crime de ceux qui trafiquent des choses spirituelles.

 

VIII

Les prosélytes de la porte. Par l'évangélisation de la Samarie, l'œuvre de la propagation du christianisme avait fait un grand pas. L'Eglise avait débordé par delà le monde juif proprement dit. Elle allait bientôt recevoir dans son sein le premier païen. L'honneur de cette conversion appartient encore au diacre Philippe.

 Celui qui fut l'objet de cette nouvelle conquête faisait déjà partie de cette catégorie d'étrangers qui, sans être soumis à la circoncision ni s'astreindre aux prescriptions de la loi mosaïque, avaient subi la profonde influence du monothéisme juif. On les désignait généralement sous le nom de prosélytes ou d'hommes craignant Dieu. Libérés à la fois des superstitions de l'idolâtrie et de la foi à la divinité abstraite des philosophes, ils allaient adorer le vrai Dieu, vivant et personnel, au temple de Jérusalem. C'était un ministre de la reine d'Ethiopie. Au retour de son pieux pèlerinage à la cité sainte, il suivait, assis sur son char, la route qui longe la Méditerranée et conduit en Egypte. Philippe, intérieurement poussé par l'Esprit de Dieu, l'aborde, et l'entend qui lit le prophète Isaïe. Crois-tu comprendre ce que tu lis ? lui dit-il. — Comment le pourrai-je, répond le ministre, si personne ne me l'explique ?[117] Philippe s'assoit sur son char, à côté de lui, et, interprétant le texte du prophète, lui annonce Jésus-Christ. En avançant sur la route, ils arrivent à une fontaine. Voici de l'eau, dit l'officier ; quel est l'obstacle qui m'empêcherait d'être baptisé ? Philippe répond : Si tu crois de tout ton cœur, tu peux l'être. L'officier reprend : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Philippe descend alors dans l'eau avec lui et le baptise[118].

Nous saisissons là, dans cette scène si vivante que nous rapportent les Actes, la méthode suivie pour l'initiation des âmes de bonne volonté dans l'Eglise. Une grâce intérieure et de bons exemples les ont poussées à prier et à lire le livre saint ; mais il faut qu'un ministre de Dieu leur interprète les paroles divines, les catéchise, et, après s'être assuré de leur instruction suffisante et de leur foi, les soumette au rite sacramentel.

Le nouveau baptisé fit-il des prosélytes en Ethiopie ? Aucun document ne l'indique. Nous savons seulement que Philippe prêcha Jésus, en se rendant d'Azot à Césarée, dans les villes à peu près païennes de l'ancien pays des Philistins ; mais là encore, il paraît ne s'être adressé qu'à des hommes de race juive, ou à des étrangers qui, comme l'officier de Candace, adoraient le Dieu d'Israël, sous le nom de prosélytes de la porte[119].

Tel fut le premier résultat de la persécution dans laquelle périt le premier martyr. Le supplice d'Etienne en obtint un second : la conversion d'un de ses persécuteurs, Saül de Tarse.

Pendant que le diacre Philippe évangélisait la Samarie, le jeune homme que le récit des actes nous a montré gardant les vêtements de ceux qui lapidaient Etienne, et consentant au meurtre qui se commettait[120], Saül, ne respirant encore que menaces et carnage contre les disciples du Seigneur, était allé trouver le prince des prêtres, et lui avait demandé des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s'il y rencontrait des hommes et des femmes engagés dans cette voie, il les ramenât enchaînés à Jérusalem[121].

Celui que la Bible appelle ici un jeune homme pouvait avoir trente ans[122]. Le monde n'a peut-être pas vu d'âme plus ardente. Son incroyable ardeur s'est déjà dépensée à défendre, avec un acharnement et une persévérance inlassables, les plus pures traditions pharisaïques. Né dans un centre helléniste, à Tarse de Cilicie, d'un père citoyen romain, il avait peu subi l'influence de la Grèce et de Rome. Hébreu, fils d'hébreux ; pharisien, fils de pharisiens[123] : c'est ainsi qu'il se qualifie lui-même. J'ai vécu en pharisien, s'écrie-t-il encore, selon la secte la plus stricte de notre religion[124]. Caractère tout d'une pièce, incapable de se donner à demi, il avait tout accepté de ce réseau de prescriptions minutieuses et de traditions compliquées, qui faisaient de la vie du pharisien une véritable servitude. Et quiconque lui avait paru vouloir briser ce réseau, atténuer ces traditions, avait été pour lui un ennemi à combattre. C'est dans la synagogue des Ciliciens qu'il avait dû entendre pour la première fois l'exposition de la doctrine du Christ, et défendre la cause du Temple et de la Loi avec cette dialectique subtile, qu'il tenait de son maître Gamaliel, dans cette langue vive, heurtée, entraînante, incorrecte et singulièrement puissante, qu'il ne tenait d'aucune étude, qu'il semblait avoir prise dans la vie plus que dans les livres, dans son âme plus que dans les influences d'une école ou l'ambiance d'un pays[125].

Le procès et l'exécution d'Etienne, dont il avait été témoin, avaient déchaîné sa fureur. Par suite de circonstances difficiles à préciser, mais que la logique la plus élémentaire oblige à admettre, Saül n'avait rien vu des prodiges survenus au Calvaire, à la Résurrection et à la Pentecôte. Les récits qu'on put lui en faire parurent sans doute, à son esprit prévenu, des fables ridicules et d'odieuses inventions. Pour lui, Etienne est un imposteur ou un fou. En tous cas, les chrétiens sont des adversaires de la tradition pharisaïque ; il faut les exterminer à tout prix. Dans la description qu'il nous laissera plus tard de sa fureur religieuse, il se comparera à la bête fauve, qui ravage tout[126]. Il ne lui suffira pas plus désormais d'assister au supplice de la victime, il pénétrera dans les maisons particulières et en arrachera les habitants, hommes et femmes, pour les traîner dans les cachots. Mais bientôt, faute d'aliment, la persécution s'est éteinte à Jérusalem. Voilà pourquoi Saül a supplié le grand prêtre Caïphe[127] de l'investir d'une mission officielle pour rechercher et faire enchaîner les chrétiens de Damas. C'est là que la grâce de Dieu attend le féroce persécuteur.

Pendant que Saül de Tarse s'achemine vers Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. Il tombe par de cette vision terre, et entend une voix qui lui dit : Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ?Seigneur, qui êtes-vous ?Je suis Jésus que tu persécutes, reprend la voix. Il n'est pas bon pour toi de regimber contre l'aiguillon. Tremblant et saisi d'effroi : Seigneur, s'écrie Saül, que voulez-vous que je fasse ?Lève-toi, entre dans la ville. Là on te dira ce que tu dois faire. Saül se relève, aveugle. On le conduit par la main, à Damas, où le chef de la communauté chrétienne, Ananie, le guérit, le baptise et le présente aux frères assemblés.

Tel est l'événement historiquement indiscutable[128], qui, non seulement a donné saint Paul à l'Eglise, mais encore a exercé sur la théologie du grand apôtre, et par là sur toute la théologie catholique[129], une influence considérable. Jésus, le crucifié de Jérusalem, s'est manifesté à Saül comme un Etre toujours vivant, et, pour lui reprocher de persécuter son Eglise, il lui a dit : Saül, pourquoi me persécutes-tu ? Ces deux idées, du Christ toujours vivant et du Christ s'identifiant avec son Eglise, resteront comme deux idées maîtresses dans l'enseignement de l'apôtre, et, par lui, elles se transmettront dans l'enseignement de l'Eglise entière[130].

 

IX

Tandis que ces événements se passaient à Damas, les autorités hiérosolymites ne cessaient de méditer de nouvelles mesures contre les disciples de Jésus.

Jusque-là, les princes des prêtres avaient toujours reculé devant une exécution capitale[131]. On peut croire que la crainte du peuple avait été pour beaucoup dans ces hésitations. Il paraît aussi que le procurateur Ponce Pilate, depuis la concession lamentable qu'on lui avait arrachée au sujet de Jésus-Christ, se montrait peu disposé à en faire de nouvelles aux autorités religieuses de Jérusalem. Mais les événements qui survinrent au cours des années 36 et 37 permirent aux ennemis du nom chrétien de pousser plus loin leur audace.

Sur l'indication d'un imposteur, qui prétendait connaître et indiquer l'endroit où Moïse avait enfoui des vases précieux, des Samaritains s'étaient assemblés en grand nombre sur le mont Garizim. Pilate vit dans ce rassemblement, quelque peu tumultueux, un commencement de révolte, et fit impitoyablement massacrer ces malheureux. Il semble bien que le procurateur romain, cédant aux impulsions de son tempérament inquiet et sombre, ait dépassé, dans cette circonstance, la mesure d'une juste répression. Les princes des prêtres, qui le détestaient à cause du peu de bonne volonté qu'ils rencontraient en lui pour servir leurs rancunes, profitèrent de cette occasion pour le dénoncer au légat de Syrie, Vitellius. Lucius Vitellius, dont le fils devait occuper, sous le même nom, le trône impérial, apparaît dans l'histoire comme le type d'un vulgaire ambitieux. Pour le moment, il cherchait à gagner par tous les moyens la faveur des populations qu'il administrait. L'historien Josèphe raconte qu'une de ses premières mesures fut de faire rendre aux Juifs les vêtements pontificaux qui, depuis Hérode le Grand, étaient gardés dans la tour Antonia[132]. Le légat impérial accueillit avec empressement les réclamations des autorités juives, et manda Pilate à Rome.

Celui-ci y reçut notification de son exil à Vienne, dans les Gaules. S'il faut en croire Eusèbe, le procurateur déchu y termina par le suicide son existence, qui, depuis la scène du prétoire, avait été étrangement tourmentée[133]. Sur ces entrefaites, la mort de Tibère, le 16 mars de l'an 37, et son remplacement par Caligula, ne firent qu'encourager les projets criminels des Juifs. La politique du nouvel empereur, avant que la folie n'eût altéré ses facultés, fut de rendre aux peuples d'Orient leur autonomie et leurs chefs indigènes[134]. On savait aussi qu'il avait eu pour ami et pour compagnon de débauches Agrippa, frère d'Hérodiade. Vitellius installa, à la place de Pilate, son ami Marcellus, tout acquis à sa politique. La situation fut surtout menaçante pour les chrétiens quand la faveur impériale eut restauré la royauté à Jérusalem en la personne d'Hérode Agrippa Ier. Le petit-fils d'Hérode le Grand s'appliqua d'abord, grâce à la protection de Caligula, à reconstituer territorialement le royaume de son aïeul. L'attitude rampante qu'il eut à l'égard de l'empereur Claude acheva sa fortune. Sa politique à l'égard de ses sujets israélites ne fut pas moins honteuse. On vit ce vil débauché, pour gagner l'estime des prêtres, s'astreindre hypocritement à toutes les moindres prescriptions de la loi de Moïse ; et, pour capter la faveur populaire, faire remise aux habitants de Jérusalem du tribut que chaque foyer devait au roi[135]. D'un tel monarque, les chrétiens ne pouvaient attendre qu'une recrudescence de persécution.

La persécution cette fois s'abattit sur la tête d'un apôtre. Agrippa s'imagina-t-il que Jacques, le fils de Zébédée, était à la tête de la communauté chrétienne ? II est vraisemblable que ce fils du tonnerre était un des plus ardents prédicateurs de la nouvelle foi. Le roi de Judée le fit mettre à mort dans des circonstances dont le détail ne nous a pas été rapporté. Nous savons seulement qu'il fut, non pas lapidé, suivant la loi juive, mais décapité, suivant l'usage romain[136]. Sa mère avait un jour demandé qu'il eût une place de choix dans le royaume messianique ; son martyre fut la réponse du Maître : Jacques, fils de Zébédée, fut le premier des apôtres qui versa son sang pour Jésus-Christ[137].

Les rancunes des Juifs et la haine d'Agrippa visaient plus haut.

Au milieu des fêtes de Pâques de l'an 42[138], la nombreuse foule des hiérosolymites pieux et des pèlerins étrangers venus à Jérusalem pour célébrer la grande solennité juive, apprit tout à coup que Pierre, le chef des Douze, venait d'être mis en état d'arrestation. Agrippa avait calculé les circonstances de cet habile coup de main, par lequel il faisait parade devant tous de son zèle pour la religion de ses sujets, tandis qu'il satisfaisait ses haines personnelles.

Le jugement solennel, et l'exécution qui s'ensuivrait, furent remis à quelques jours plus tard. L'astucieux monarque préparait sans doute quelque nouvel effet théâtral, capable d'impressionner les foules. Pendant ce temps, nous dit saint Luc, l'Eglise entière s'étant mise en prière, ne cessait d'implorer Dieu pour son chef[139]. Etroitement surveillé par quatre escouades, qui se relevaient de faction à chacune des quatre veilles de la nuit, lié par des chaînes aux soldats qui le gardaient, Pierre attendait, plein d'abandon à Dieu, l'heure de la délivrance ou l'heure du martyre, quand soudain une lumière éclatante remplit la prison. Pierre entend une voix : Lève-toi promptement. Les chaînes tombent de ses mains. Un ange est là devant lui sous une forme humaine. Pierre se demande s'il n'est pas le jouet d'une hallucination. Mais l'ange l'a prié de le suivre, et, marchant devant lui, l'a conduit jusqu'à la porte de fer de la prison, qui s'ouvre d'elle-même. L'apôtre est libre ! Il se dirige aussitôt vers une maison amie, où les fidèles se réunissaient d'ordinaire pour la prière commune : la maison de Marie, mère de Jean-Marc, et il raconte à la famille, stupéfaite de le voir, le miracle de sa délivrance. Puis il ajoute : Allez porter cette nouvelle à Jacques et aux frères[140].

Jacques, dont il est ici question, n'était autre que l'évêque de Jérusalem. D'après des récits qui paraissent très anciens, le fils de Cléophas et de Marie aurait été préposé au gouvernement de la métropole juive en 42, lorsque les apôtres se dispersèrent pour prêcher au loin l'Evangile[141]. Il fut le premier évêque de la ville sainte[142]. Sa piété ardente, sa fidélité aux anciennes prescriptions de la loi, ses longues prières dans le temple et son esprit de justice, l'avaient rendu vénérable aux Juifs comme aux chrétiens. Le peuple l'avait surnommé le Juste et le Rempart de la nation[143]. L'apôtre Paul lui parlait un jour, avec joie, de tout ce que Dieu avait fait pour les Gentils ; Jacques lui répondit, avec une fierté nationale non dissimulée : Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la Loi[144]. Mais Jacques était un témoin du Ressuscité, c'en était assez pour le rendre insupportable à la secte sadducéenne. Un farouche sadducéen, Anne le jeune, fils du grand prêtre Anne, qui avait contribué plus que tout autre à la mort de Jésus, devait, sous le règne d'Agrippa II, assouvir la haine ancestrale en faisant mettre à mort, en l'an 62, le saint évêque de Jérusalem, Jacques le Mineur.

 

X

Ne vous troublez pas, avait dit le Maître, quand on vous traînera devant les tribunaux et les synagogues[145] ; mais il avait aussi prédit que l'Ennemi sèmerait l'ivraie dans le champ du père de famille, et que, du milieu du peuple, de faux prophètes surgiraient[146]. Les schismes et les hérésies ne devaient pas plus être épargnés à l'Eglise que les persécutions. La communauté naissante de Jérusalem connut les uns comme les autres.

Dès la première heure, deux courants s'étaient dessinés parmi les disciples du Christ : celui des Juifs de Palestine et celui des Juifs hellénistes. On appelait de ce nom les Juifs qui, pendant la période de la dispersion, avaient adopté la langue et, en partie, les coutumes helléniques[147]. L'institution du diaconat fut décidée à la suite de réclamations des hellénistes, se plaignant de ce que leurs veuves étaient négligées dans le service des tables[148]. La sourde opposition des deux partis devait rester comme une source permanente de conflits dans la communauté.

Des difficultés plus graves lui vinrent du fait de son organisation économique. Nous savons déjà que, par un mouvement naturel de charité, la plupart des premiers fidèles avaient vendu de leurs biens tout ce qu'ils pouvaient et en avaient versé le prix dans le trésor de la communauté. Au temps du Maître, les apôtres n'avaient-ils pas eu bourse commune P On essayait simplement de continuer, dans un cercle plus agrandi, cette primitive tradition. Le christianisme s'était surtout propagé parmi les pauvres ; la mise en commun des biens était le moyen le plus délicat qu'eussent les riches de venir en aide à leurs frères déshérités de la fortune[149]. Or un homme nommé Ananie, avec Saphire sa femme, vendit un champ et retint une partie du prix, avec le consentement de sa femme ; puis il apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit : Ananie, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit ? Si ton champ n'eût pas été vendu, ne te restait-il pas ? Et après qu'il a été vendu, le prix n'était-il pas à ta disposition ?... Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. Ananie, en entendant ces paroles, tomba et expira... Trois heures plus tard, sa femme entra : Comment, lui dit Pierre, vous êtes-vous entendus pour tromper l'Esprit du Seigneur ? Entends-tu les pas de ceux qui viennent d'ensevelir ton mari ? Ils t'emporteront à ton tour. Au même instant, Saphire s'affaissa et mourut... Et une grande crainte saisit tous ceux qui apprirent ces choses[150]. Par ce terrible exemple, Dieu montrait aux fidèles de l'Eglise naissante qu'on ne trompe pas impunément ses ministres, et que rien n'est plus indigne d'un chrétien que d'essayer de se soustraire à un devoir, et même à un conseil, par une déloyauté.

Des faits pareils ne devaient jamais se renouveler ; le régime économique de l'Eglise primitive allait bientôt disparaître, rendu impossible par le fait même de son développement ; mais une source de conflits plus durables allait surgir bientôt, à propos de l'introduction des païens dans l'Eglise.

 

XI

Le Sauveur, parlant à ses disciples des signes avant-coureurs de la ruine de Jérusalem, leur avait dit : Il faut qu'auparavant l'Evangile soit prêché dans toutes les nations[151]. Les apôtres profitèrent de toutes les circonstances qui s'offrirent à eux pour faire avancer l'œuvre de la prédication évangélique.

Pierre résidait habituellement à Jérusalem ; mais sa charge de chef de l'Eglise l'obligeait à visiter les chrétientés fondées en divers lieux[152]. Les régions évangélisées par le diacre Philippe furent les premières où il jugea opportun de se transporter, pour y consolider et y étendre l'œuvre si heureusement commencée. Dieu bénissait son apostolat par de nombreux miracles. A Lydda, vers le sud de la riche plaine de Saron, il rencontra un homme, du nom d'Enée, qui était paralytique. Lève-toi, lui dit l'apôtre, et dispose ton lit. Le paralytique se leva. Et tous ceux qui habitaient Lydda et Saron le virent et se convertirent au Seigneur[153]. A Joppé[154], port de mer important et qui paraît avoir été un centre pour le christianisme, il ressuscita une veuve, Tabitha, femme admirable qui donnait tous ses soins aux pauvres et paraît avoir consacré sa fortune aux besoins de l'Eglise naissante[155].

Dans ces villes très mêlées, le problème de l'admission des païens dans le sein de l'Eglise se posait avec des difficultés que l'apôtre ne se dissimulait point. La question n'était pas de décider si les infidèles devaient entrer dans le royaume de Dieu ; le Maître l'avait nettement résolue dans le sens de l'affirmative ; mais à quelles conditions devaient-ils y être admis ? Etait-il nécessaire de devenir juif pour devenir chrétien ? Fallait-il passer par le judaïsme pour arriver à l'Evangile P Tel était le point du débat. Les Juifs de Jérusalem, les Hébreux, comme ils s'appelaient, tendaient visiblement à résoudre la question par l'affirmative ; mais les Juifs hellénistes, les Grecs, penchaient pour la négative. Peu à peu, les opinions s'affirmèrent d'une manière de plus en plus tranchée. Il ne faut pas s'étonner si la bataille fut longue et acharnée. Le christianisme et le judaïsme semblaient combattre pour leur existence. Si les païens entrent directement dans l'Eglise (disaient les Hébreux), s'ils y obtiennent, par leur foi seule, le même rang et les mêmes privilèges que les Juifs eux-mêmes, que deviennent les droits d'Israël ? Quel avantage a le peuple élu sur les autres nations ? N'est-ce pas la négation la plus radicale de la valeur absolue du judaïsme ? D'un autre côté, si la circoncision est imposée aux païens convertis, disaient les Grecs, la foi au Christ n'est-elle pas déclarée, par cela même, insuffisante pour le salut L'Evangile est-il autre chose qu'un élément du mosaïsme ? N'est-ce point la négation de la valeur absolue de l'œuvre de Jésus-Christ ?[156]

Pierre était fortement préoccupé de ce problème, quand une vision céleste vint lui apporter la lumière. Un jour qu'il priait à Joppé, sur la terrasse de la maison d'un tanneur qu'il avait choisie pour sa résidence, ayant devant lui cette mer par laquelle l'Evangile devait se répandre dans le monde païen, il eut une extase prophétique. Le ciel s'ouvrit à ses yeux, et une sorte de grande nappe parut en descendre. Elle était nouée aux quatre coins et suspendue au firmament par des liens invisibles. Or, il lui fut donné de regarder dans cette nappe, et il y vit toutes sortes de quadrupèdes, de reptiles et d'oiseaux. Et il entendit une voix qui lui dit : Pierre, lève-toi et mange. — Je n'aurai garde, Seigneur, répondit Pierre, car je n'ai rien mangé de profane ni d'impur. On sait que d'après la loi mosaïque certains animaux étaient taxés d'impurs, et qu'on ne pouvait en manger sans devenir impur soi-même. Le mélange des animaux purs et impurs dans la grande toile en faisait un ensemble impur. La voix reprit : Ce que Dieu a purifié, tu ne peux le tenir pour impur. La chose se répéta par trois fois, puis la toile fut ramenée dans le ciel.

Pierre se demandait quel était le sens de cette vision, quand trois hommes se présentèrent à lui et lui annoncèrent qu'un centurion romain nommé Corneille, homme juste et craignant Dieu, et auquel toute la nation juive rendait un bon témoignage, avait été averti par un ange de venir le trouver en sa maison et d'écouter ses paroles.

Les yeux de Pierre s'ouvrirent. Il vit le dessein de Dieu : les observances légales abolies ou du moins frappées de mort par le sacrifice du Christ ; la Loi ancienne s'évanouissant peu à peu devant la Loi nouvelle ; et, comme conséquence immédiate, la gentilité entrant dans l'Eglise par le seul baptême, sans passer par la circoncision.

Pierre alla trouver le centurion et l'instruisit des principales vérités de la foi. Il se disposait à lui conférer le baptême, ainsi qu'à tous ceux de sa maison, quand le Saint-Esprit, devançant cette fois le rite de l'initiation chrétienne, descendit sur les catéchumènes. Les grâces mystiques de la prophétie et du don des langues (glossolalie) se renouvelèrent tout à coup en ces âmes encore païennes. Dieu lui-même venait de les purifier d'une manière manifeste. Aucune hésitation n'était plus possible. Peut-on refuser l'eau, s'écria Pierre, à ceux qui viennent de recevoir le Saint-Esprit aussi bien que nous ? Et il versa l'eau du baptême sur le front du païen Corneille, et baptisa pareillement tous ceux de sa maison[157].

La nouvelle de cet événement parvint bientôt en Judée et y causa un grand émoi. Quand Pierre fut de retour à Jérusalem, les hommes de la circoncision, comme parle l'Ecriture, lui firent de grands reproches. Pourquoi es-tu entré chez des incirconcis, lui dirent-ils ? Pourquoi as-tu mangé avec eux ? L'apôtre tint tête à l'orage. Il raconta le détail de tout ce qui s'était fait : la vision sur la terrasse, l'apparition de l'ange au centurion romain, la descente du Saint-Esprit sur la maison du centurion non encore baptisé. Ce simple et ferme exposé calma les murmures. Pierre conclut : Du moment que Dieu faisait aux Gentils le même don qu'à nous, qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je, moi, pour l'interdire à Dieu ?[158]

Les mécontents se turent. Mais ceux de la circoncision devaient bientôt renouveler leurs plaintes, récriminer avec éclat et faire le premier schisme dans l'Eglise naissante.

D'autre part, ceux qu'un zèle ardent pour la diffusion de l'Evangile poussait vers des terres nouvelles, ceux qui, au souvenir des paroles du Sauveur, se sentaient brûler du désir d'annoncer l'Evangile à toute créature, furent saisis d'un nouvel enthousiasme, en voyant les horizons qui s'ouvraient devant eux. Sur la côte phénicienne, à Tyr, à Sidon, à Bérite, à Byblos, les missionnaires de l'Evangile, après avoir prêché dans les synagogues, avaient rencontré des païens travaillés par l'inquiétude religieuse, le désir d'une Purification et le tourment de la vérité. Il en avait été de même dans l'île de Chypre, où les Juifs s'étaient établis en grand nombre au temps des Macchabées[159]. Mais il était une ville où le monde juif se trouvait plus mêlé encore au monde païen : c'était la capitale de la Syrie, Antioche.

Au moment de la dispersion qui suivit le martyre d'Etienne, des apôtres et des disciples s'y étaient réfugiés et y avaient prêché dans les synagogues la bonne nouvelle[160]. Peu de temps après, des chrétiens venus de Chypre et de Cyrène, plus familiers avec le milieu de la gentilité, y avaient annoncé l'Evangile aux païens eux-mêmes[161]. En apprenant que Pierre avait baptisé un centurion romain, ils redoublèrent de zèle. C'est dans la troisième ville du monde[162], dans la métropole de l'Orient, que l'Eglise allait, pour la première fois, prendre un large contact avec le monde gréco-romain.

 

 

 



[1] E. BEURLIER, le Monde juif au temps de Jésus-Christ et des apôtres, t. I, p. 44-47. Cf. E. STAFFER, la Palestine au temps de Jésus-Christ, p. 271 ; DŒLLINGER, Paganisme et judaïsme, trad. française, t. IV, p. 528.

[2] BEURLIER, le Monde juif au temps de Jésus-Christ et des apôtres, t. I, p. 43.

[3] BEURLIER, le Monde juif au temps de Jésus-Christ et des apôtres, t. I, p. 48-49.

[4] Sur le Temple de Jérusalem voir LESÊTRE au mot Temple dans le Dict. de la Bible. Cf. MELCHIOR DE VOGÜÉ, le Temple de Jérusalem ; PERROT ET CHIPIEZ, Hist. de l'Art dans l'antiquité, t. IV, p. 205-211 ; STAPFER, la Palestine au temps de Jésus-Christ, p. 388 et s.

[5] S. THOMAS, Summ. theol., III, q. 37, o ; q. 40, 4, o ; q. 47, 2 ad I.

[6] Mgr LE CAMUS, l'Œuvre des apôtres, 3 vol. in-12°, Paris, 1905, t. I, p. 46.

[7] Actes, III, 1-26.

[8] Les Romains avaient enlevé depuis longtemps à Anne la grande sacrificature et l'avaient donnée à Caïphe. Mais on sait que, pour les vrais Juifs, un décret de l'étranger ne pouvait enlever au pontife son droit, réputé inaliénable. Le nom de grand prêtre lui fut conservé, quoique en fait il n'en remplit pas les fonctions.

[9] Actes, IV, 5-6.

[10] Actes, IV, 7.

[11] Actes, IV, 13.

[12] Actes, IV, 8.

[13] Actes, IV, 13-18.

[14] Actes, IV, 21.

[15] Actes, IV, 23-35.

[16] Luc, XXII, 31.

[17] Jean, XXI, 15.

[18] Matthieu, XVI, 18.

[19] LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, 1 vol. in-8°, Paris, 1910, p. 284-288.

[20] Actes, I, 16.

[21] Actes, II, 2.

[22] Actes, II, 17.

[23] Actes, V, 3.

[24] Actes, V, 9.

[25] Actes, VI, 5.

[26] Actes, VI, 10.

[27] Actes, XIII, 2, 4.

[28] Actes, XVI, 6 On a pu appeler le livre des Actes l'Evangile de l'Esprit-Saint. Cf. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, 1 vol. in-8°, Paris, 1910, p. 285.

[29] Actes, XIII, 52.

[30] Sur les associations pieuses des esséniens et des thérapeutes, voir HERGENRŒTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, t. I, l. I, ch. II, § 3. Cf. PHILON, Traité de la vie contemplative, et MASSEBIAU, le Traité de la vie contemplative et la question des thérapeutes, dans Revue de l'hist. des religions, année 1887, p. 170 et s., 284 et s.

[31] Actes, III, 1.

[32] Actes, II, 47 ; IV, 33 ; V, 13, 26.

[33] Actes, II, 46 ; V, 12.

[34] Actes, II, 46.

[35] Actes, V, 12.

[36] Actes, V, 15.

[37] J. BAINVEL, au mot Apôtres, dans le Dict. de théologie de VACANT-MANGENOT, t. I, col. 1651-1658.

[38] Matthieu, XVIII, 18 et s. ; Marc, XVI, 16.

[39] Matthieu, XVIII, 17, 18 ; Épître aux Ephésiens, IV, 113. Cf. Première épître aux Corinthiens, XII, 28 ; Première épître de Pierre, V, 2 ; Actes, XX, 28.

[40] F. PRAT, S. J., au mot Évêque, dans le Dictionnaire de VACANT-MANGENOT, t. IV, col. 1657.

[41] DUCHESNE, Hist. ancienne de l'Eglise, t. I, p. 86. L'auteur suppose que Jacques, le frère du Seigneur, est distinct de Jacques l'apôtre, fils d'Alphée. Cette distinction, soutenue par un certain nombre de savants modernes, ne parait pas prouvée. Voir ERMONI, au mot Jacques, dans le Dict. de la Bible, t. III, col. 1085.

[42] LE CAMUS, l'Œuvre des apôtres, t. I, p 51.

[43] VIGOUROUX, Manuel biblique, 12e édition, t. I, p. 338.

[44] DUCHESNE, Hist. ancienne de l'Eglise, I, p. 42.

[45] DUCHESNE, Hist. ancienne de l'Eglise, I, p. 43.

[46] Épître aux Galates, II, 1-2.

[47] DUCHESNE, Hist. ancienne de l'Eglise, I, p. 44-45.

[48] Actes, II, 42.

[49] Matthieu, III, 17. Sur la Tradition, règle de foi de l'Eglise primitive, voir BATIFFOL, l'Eglise naissante, p. 83, 118, 151, 204, 206, 207-209, 215, 225, etc.

[50] Yves DE LA BRIÈRE, au mot Eglise, dans le Dict. apol. de la foi catholique, t. I, col. 1252.

[51] Actes, X, 44-48 ; XI, 15-17. Il paraît bien que le baptême a dit être administré, dès le début, par immersion, d'une manière habituelle et accidentellement par effusion Voir Dict. de théol. de VACANT-MANGENOT, t. II, col. 171.

[52] Actes, IX, 18.

[53] Actes, XVI, 33.

[54] Épître aux Romains, VI, 4.

[55] Actes, II, 38.

[56] Actes, VIII, 37.

[57] Épître aux Romains, XV, 26.

[58] Première épître de Pierre, II, 9.

[59] Actes, XVII, 28.

[60] Actes, II, 38 ; VIII, 12 ; X, 48 ; XIX, 5.

[61] Par exemple, P. Lombard et Cajétan, SAINT THOMAS, Summ. theol., III, q. LXVI, a. 6., ad 1, restreint l'emploi valide de cette formule au Ier siècle, et croit que les apôtres ont usé d'une dispense spéciale en la substituant à la formule ordinaire.

[62] Actes, VIII, 19-18.

[63] Actes, XIX, 1-6.

[64] Voir les explications données par les théologiens ou présentées par les rationalistes dans PRAT, la Théologie de saint Paul, 2 vol. in-8°, Paris, 1908-1910, t. I, p.175-184 ; LESÊTRE, au mot Langues (don des), dans le Dict. de la Bible, t. IV, col. 74-81.

[65] Épître aux Hébreux, II, 3-4.

[66] SAINTE THÉRÈSE, Chemin de la perfection, ch. XXXII.

[67] SAINT JEAN DE LA CROIX, Montée du Carmel, l. II, ch. XXX.

[68] BATIFFOL, L'Eglise naissante, p. 36.

[69] Épître aux Galates, I, 8.

[70] Actes, II, 42-46. Cf. I Corinthiens, X, 16-21 ; XI, 23-34.

[71] Sur l'Eucharistie et l'agape chez les premiers chrétiens, voir BATIFFOL, Etudes d'hist. et de théol. positive, Ire série, p. 283-325 ; FUNK, l'Agape, dans la Revue d'hist. ecclés. de 1903 ; Dom LECLERCQ, au mot Agape dans le Dict. de théol. cathol.

[72] On a pu, non sans vraisemblance, voir la continuation de cette partie du rite primitif dans notre avant-messe actuelle.

[73] Sur la loi du secret, qui ne fut point une mesure législative de l'autorité ecclésiastique, comme on l'a cru longtemps, mais une simple coutume, dont on st départit toutes les fois qu'on y vit une sérieuse utilité, voir BATIFFOL, Etudes d'hist. et de théol. positive, Ire série, p. 1-41.

[74] LE CAMUS, l'Œuvre des apôtres, t. I, p. 44-45.

[75] II Corinthiens, XI, 22.

[76] Actes, XXII, 25-28.

[77] Matthieu, XXI, 22.

[78] Épître aux Romains, XIII, 1.

[79] Sur l'organisation politique de la Palestine à cette époque, voir E. BEURLIER, le Monde juif à l'époque de J.-C. et des apôtres, 2 vol. in-16°, Paris, 1902, et MOMMSEN, Histoire romaine, t. XI, p. 81 et s.

[80] Actes, II, 1 ; XVIII, 18 ; XX, 6 ; Épître aux Romains, XIV, 5.

[81] Actes, II, 46 ; III, 1 ; V, 42 ; X, 9.

[82] Actes, X, 14.

[83] Actes, V, 13.

[84] I Corinthiens, VII, 21.

[85] Actes, XXII, 25-28 ; XXV, 11-12.

[86] Actes, IV, 6.

[87] Actes, II, 43.

[88] Actes, V, 17-42.

[89] LE CAMUS, I, 97.

[90] Actes, VI, 1-6.

[91] On sait que le Concile de Trente a déclaré que le diaconat est d'institution divine : Si quis dixerit in Ecclesia catholica non esse hierarchiam divina ordinatione institutam, quæ constat in episcopis, presbyteris et ministris, anathema sit. Sess. 23. can. 6.

[92] Actes, VI, 2.

[93] Actes, VIII, 38.

[94] Actes, VII, 2-53.

[95] Actes, VI, 8.

[96] Actes, VI, 8.

[97] Actes, VI, 10.

[98] Actes, VI, 11 ; VII, 60. Cf R. P. LAGRANGE, O. P., Saint Etienne et son sanctuaire à Jérusalem, in-8°, Paris, 1894.

[99] Actes, VIII, 1.

[100] IV Rois, XVII, 5 ; XVIII, 9. Esdras, IV, 10.

[101] IV Rois, XVII, 21-44. Cf. VIGOUROUX, la Bible et les découvertes modernes, Paris, 1896, t. III, p. 575-586.

[102] Voir le mot Garizim, dans le Dictionnaire de la Bible, t. III, col. 111.

[103] Jean, IV, 9 ; VIII, 48.

[104] Jean, IV ; Luc, X.

[105] Actes, I, 8.

[106] Actes, VIII, 9.

[107] S. JUSTIN, Apologie, I, 26.

[108] Homélies clémentines, II, 22.

[109] Actes, VIII, 10.

[110] S. JÉRÔME, In Matthieu, XXIV, 5.

[111] C'était l'ancienne Samarie, capitale de la province de ce nom. Le nom de Sébaste ou Augusta lui avait été donné en souvenir d'Auguste, qui en avait fait don à Hérode.

[112] Les Actes, XXI, 8, le montrent plus tard habitant Césarée avec ses quatre filles.

[113] Un auteur protestant a écrit à propos de ces faits : C'est bien là la notion sacramentelle et magique qui a prédominé depuis dans l'Eglise catholique. MONNIER, Notion de l'apostolat, p. 170. Disons autrement : C'est bien là la notion de l'efficacité sacramentelle, ex opere operato, laquelle remonte ainsi jusqu'aux premières origines du christianisme.

[114] Actes, VIII, 20.

[115] Ce système se trouve développé dans la Grande Exposition, dont les Philosophoumena nous ont conservé de curieux fragments. Philosophoumena, IV, 7 ; VI, 1 ; X, 4.

[116] Les détails fantaisistes sur Simon le magicien se trouvent surtout dans le fameux roman des Reconnaissances et dans les Homélies clémentines. Des renseignements plus digues de foi se rencontrent dans HÉSÉGIPPE, cité par EUSÈBE, Hist. ecclés., IV, 22 ; dans saint JUSTIN, Apologie I, 31 et 56 ; Dial. Tryph., 70-71 ; saint IRÉNÉE, Adv. hœr., I, 22-23 ; TERTULLIEN, De anima, 34 ; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, II ; VII, 17 ; et l'auteur des Philosophoumena, VI, 7-20.

[117] Actes, VIII, 26-40.

[118] Actes, VIII, 26-40.

[119] Sur les prosélytes de la porte à l'âge apostolique, voir Dictionnaire de la Bible, t. V, col. 772-773.

[120] Actes, VIII, 58.

[121] Actes, IX, 1-2.

[122] On sait que les anciens faisaient durer la jeunesse jusqu'à 30 ans. La vieillesse commençait à 60 ans. Entre 30 et 60 ans, c'était l'âge mûr. Cicéron qualifie de jeune homme Antoine, alors que celui-ci avait 30 ans. Philippiques, II, 21.

[123] Actes, XXIII, 6.

[124] Actes, XXVI, 5.

[125] Le panorama riant et grandiose de Tarse semble n'avoir laissé aucune trace dans l'imagination de Paul... A ce point de vue, il est l'antipode des prophètes et des évangélistes... Il ne voit la nature inanimée que dans ses rapports avec l'homme. Son domaine est la psychologie. PRAT, la Théologie de saint Paul, t. I, p. 19-20.

[126] Actes, VIII, 3.

[127] Caïphe ne fut déposé qu'en 36 par Vitellius, gouverneur de Syrie. Or la conversion de saint Paul a dû avoir lieu en 33. L'épître aux Galates semble imposer cette date. L'épître affirme qu'il fit son second voyage de Jérusalem quatorze ans après sa conversion ; or il faut faire coïncider ce voyage avec la famine qui eut lieu vers 47 D'une manière générale, la chronologie de l'âge apostolique, c'est-à-dire de la période qui va de la Passion du Sauveur à la ruine de Jérusalem, a fait l'objet d'innombrables études. On trouvera le résumé de ces études dans un article de F. PRAT, la Chronologie de l'âge apostolique, publié par les Recherches de science religieuse, 1912, p. 372-392. M. A. BRASSAC, se fondant sur une récente découverte, a aussi publié dans la Revue biblique de janvier et d'avril 1913, une étude ayant pour titre Une inscription de Delphes et la chronologie de saint Paul. Voici quels seraient, d'après notre savant confrère M. LEVESQUE, les principaux jalons de cette chronologie :

Martyre de saint Etienne. Conversion de saint Paul

33

Première visite de saint Paul à Jérusalem

36

Deuxième visite à Jérusalem

46-47

Différend d'Antioche

50

Deuxième mission

51-54

Arrivée à Corinthe

51 ou 52

Rencontre avec le proconsul Gallion

52 ou 53

Troisième mission

54-58

Epître aux Romains

57-58

Commencement de la captivité à Césarée

58

Arrivée de Festus

60

Fin de la première captivité à Rome

63

 

[128] Arguer des différences qui se trouvent dans les trois relations (Actes, IX, 1-22 ; XXII, 1-21 ; XXVI, 9-20) pour nier le caractère historique du récit, nous parait un procédé violent et arbitraire. Réussirait-on parfaitement à les concilier ou même n'existeraient-elles pas du tout, ceux qui ne veulent point admettre le miracle ne repousseraient pas avec moins de décision le témoignage du livre des Actes... leur négation tient à une conception philosophique, dont la discussion ne rentre pas dans le cadre des recherches historiques. Ainsi s'exprime le protestant Auguste SABATIER, l'Apôtre Paul, p. 42-43. Cf. ibid., p. 39-52.

[129] C'est un fait notoire que la théologie d'Augustin, et par Augustin celle de saint Thomas, et par saint Thomas toute la scolastique, dérivent en droite ligne de la doctrine de Paul. F. PRAT, la Théologie de saint Paul, t. I, p. 17.

[130] F. PRAT, la Théologie de saint Paul, t. I, p. 50-62.

[131] Le meurtre d'Etienne avait été censé la conséquence d'une émeute spontanée. Il ne fut ni approuvé officiellement ni poursuivi par les autorités juives et romaines.

[132] JOSÈPHE, Antiquités, l. XV, ch. XX, n. 4 ; l. XVIII, ch. IV, n. 2.

[133] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. II, ch. VII, édit. Grapin, t. I, p. 145. Cf. le mot Pilate dans le Dictionnaire de la Bible, t. V, col. 433.

[134] JOSÈPHE, Antiquités, l. XVIII, ch. V, n. 3 ; SUÉTONE, Caius, 16.

[135] JOSÈPHE, Antiquités, XXX, VI, 3.

[136] ABDIAS, Hist. des apôtres, dit : Cervicem spiculatori porrexit.

[137] Sur saint Jacques, fils de Zébédée, appelé communément Jacques le Majeur, voir ERMONI, les Eglises de Palestine aux deux premiers siècles, dans la Revue d'hist. ecclés., 2e année, 18 janvier 1901, p. 16, et le mot Saint Jacques le Majeur, dans le Dictionnaire de la Bible.

[138] Voir les raisons qui portent à adopter cette date, dans FOUARD, Saint Pierre, p. 527-530.

[139] Actes, XII, 5.

[140] Actes, XII, 1-19.

[141] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. V, ch. XVIII, n. 14, rapporte que les apôtres restèrent douze ans à Jérusalem après l'Ascension. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, VI, constate la même tradition. On place généralement l'Ascension, dans la chronologie rectifiée, en l'an 30.

[142] EUSÈBE, Hist. ecclés., l. II, ch. I et XXIII ; l. II, ch. V ; l. IV, ch. V ; l. VII, ch. XIX. Cf. S. JÉRÔME, De viris illustribus, P. L., t. XXIII, col. 609.

[143] EUSÈBE, Hist. ecclés., II, XXIII.

[144] Actes, XXI, 20.

[145] Marc, XIII, 9-11.

[146] Matthieu, XIII, 25 ; Marc, XIII, 22.

[147] F. PRAT, au mot Hellénistes, dans le Dictionnaire de la Bible, t. III, col. 576.

[148] Actes, VI, 1.

[149] On voit, dit Renan, la ressemblance surprenante de tels essais d'organisations du prolétariat avec certaines utopies qui se sont produites à une époque peu éloignée de nous. RENAN, les Apôtres, p. 112. Mais qui ne voit, au contraire, entre cette vie commune des premiers chrétiens et l'organisation rêvée par le communisme, des différences profondes ? Ici et là, sans doute, la répartition est faite en proportion des besoins de chacun, non de son apport ; mais chez les chrétiens, l'oblation est spontanée : nulle espèce de contrainte ; les paroles de Pierre à Ananie ne laissent aucun doute à ce sujet. Nulle mention, du reste, n'est faite du produit du travail. Restait-il la propriété du travailleur ou entrait-il dans l'apport social ? Le texte est muet. Au surplus, entre l'âme communiste, tout entière préoccupée de la répartition des biens terrestres, et l'âme chrétienne, dont la pensée est dans le ciel, tout rapprochement est factice. Quant à traiter d'utopie cette organisation primitive, et à dire que l'Eglise s'est empressée de l'abandonner, dès qu'elle en a vu la chimère, l'erreur ne serait pas moindre. En réalité, l'Eglise n'a jamais abandonné cet idéal ; il tient au fond de son esprit. Et Renan, un peu plus loin, est bien forcé de l'avouer : Quand des pays entiers se firent chrétiens, la règle de la première Eglise se réfugia dans les monastères. La vie monastique n'est, en un sens, que la continuation de cette Eglise primitive. Le couvent est la conséquence de l'esprit chrétien ; il n'y a pas de christianisme parfait sans couvent, puisque l'idéal évangélique ne peut se réaliser que là. Ibid., p. 128.

[150] Actes, V, 1-11.

[151] MARC, XIII, 10.

[152] Actes, IX, 32.

[153] Actes, IX, 32-35.

[154] Aujourd'hui Jaffa.

[155] Actes, IX, 35-42.

[156] A. SABATIER, l'Apôtre Paul, p. 116-119.

[157] Actes, X, 1-48.

[158] Actes, XI, 17.

[159] I Macchabées, XV, 23.

[160] Actes, XI, 19.

[161] Actes, XI, 20-21. On ne sait pas le nom de ces premiers apôtres. On conjecture que Lucius, dit le Cyrénéen, Manahen, frère de lait d'Hérode Antipas, et Simon le Noir, dont il est question Actes, XIII, 1, furent les principaux d'entre eux, Saint Luc note qu'un des sept premiers diacres, Nicolas, était d'Antioche, Actes, IV, 5.

[162] Rome et Alexandrie étaient les deux premières. Voir JOSÈPHE, Guerres des Juifs, l. III, ch. II, n. 4. Cf. STRABON, l. XVI, ch. II, n. 5.