HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ALGÉRIE

TOME SECOND

 

LIVRE HUITIÈME. — LE MARÉCHAL BUGEAUD, GOUVERNEUR.

 

 

Expédition du général Baraguay d'Hilliers à Boghar et à Thaza. — Échange des prisonniers par l'entremise de l'évêque d'Alger. — Hostilité des tribus autour de la Métidja. — Le Gouverneur chez les Beni-Ménacer. — Il soumet les environs d'Alger. — Pointe du Gouverneur à l'est d'Alger. — Le Califat Mahiddin. — Tranquillité dans la province de Constantine sous le général Négrier. — Il pénètre sans coup férir à Msyla et à Tébessa. — Les Français envahissent l'Ouarenséris et le Dara. — Combats multipliés dans la Dara. — Fondation d'Orléansville et pacification du Dara. — Fondation de Téniat-el-Had et de Tiaret. — Soulèvement de plusieurs tribus de la province d'Oran. — Prise de la Smala d'Abd-el-Kader. — L'Ouarenséris envahi de nouveau. — La guerre se retire vers l'ouest. — Efforts désespérés d'Abd-el-Kader. — Combat de Sidy-Ioucef, et beau dévouement d'Escofier. — Le 11 novembre, l'infanterie de l'Émir est détruite par le général Tempoure. — Mort et biographie de Mohammet Ould-Sidy Embarreck. — Soumission de toute la régence.

 

Nous avons voulu renfermer dans un même cadre les événements décisifs qui, préparés en 1841, éclatèrent l'année suivante dans la province d'Oran. Il est temps que nous revenions au centre de nos possessions, qui avait eu aussi sa part de courses et de combats ; le général Bugeaud en partant d'Alger le 14 mai 1841, en avait confié le commandement au général Baraguay d'Hilliers, avec la mission de s'avancer au sud de Médéah, jusqu'à la limite du Désert, pour détruire les établissements que l'Émir avait formés de ce côté. En quittant Médéah, le général Baraguay traversa d'abord un pays frais et fertile, ressemblant aux paysages de la Touraine et de la Normandie, et couvert de prairies exhalant alors tous les suaves parfums du printemps ; ces plateaux élevés au-dessus du niveau de la mer d'une hauteur considérable, en acquièrent une température plus tempérée et plus humide que leur latitude ne semblerait le comporter. Entre les deux chaînes de l'Atlas, les orangers, les caroubiers, les cactus des environs d'Alger sont remplacés par les chênes, les ormes, les églantiers de l'Europe. Le soleil y est moins âpre, la lumière moins vive ; quelque chose de calme et de radouci règne dans tout l'aspect de la campagne ; le sol légèrement ondulé ne présente plus ces sauvages déchirures si communes aux bords de la mer ; une immense quantité de rosiers s'étendant en haies, se réunissant en groupes, couverts de fleurs de toutes les nuances, donnaient seulement à ce beau pays quelque chose d'étranger et d'oriental. Mais à mesure qu'on s'avance vers le sud, la végétation s'appauvrit, et le voisinage du Désert commence à se faire sentir ; sur une terre nue et sablonneuse les travaux de l'homme ne s'aperçoivent plus que de loin en loin, dans quelques champs d'orge et de blé, égarés au fond d'arides vallées. Les sources sont faibles et rares ; les Français descendirent une gorge profonde où l'Oued-Hackum roule un filet d'eau saumâtre, remontèrent le Chélif qui n'est plus là qu'un faible ruisseau, et arrivèrent ainsi jusqu'au pied d'une chaîne de montagnes, à travers laquelle sa course s'est ouvert un passage ; la rive gauche de la rivière était formée par une croupe abrupte et boisée, au sommet de laquelle se dressait la citadelle de Boghar semblable à un nid d'aigle, ou à quelque château d'un baron du moyen-âge ; en regard, de l'autre côté, apparaissait la ville de Ksar-el-Boghar, peuplée de réfugiés de Médéah, où l'Émir avait établi des ateliers de constructions pour des bois de fusils, des fabriques de toiles et de draps, et toutes les industries que pouvait nourrir l'état social de ses sujets ; un détachement français s'en empara sans résistance pendant que le gros de l'expédition suivait le fond de la vallée ; des tourbillons de fumée annoncèrent bientôt l'incendie de la ville, qui fut totalement détruite ; un autre détachement plus fort que le premier monta ensuite au fort de Boghar, où l'on craignait quelque opposition de la part de la garnison ; il fut en effet accueilli par une décharge de mousqueterie ; mais immédiatement après, l'ennemi se retira en nous livrant l'entrée des portes. On y trouva de belles constructions renfermant un hôpital, de grandes maisons percées de meurtrières, un moulin avec de très fortes meules et des engrenages assez complets et toute une manutention chargée de fournir du pain aux réguliers de l'Émir ; l'incendie allumé par les Arabes en se retirant avait eu peu de prise sur ces épaisses murailles ; la main de l'homme se chargea de compléter son œuvre ; Français et Arabes ne s'entendaient que pour détruire ; de ce point culminant nos soldats virent se dérouler à perte de vue une plaine de sable légèrement moutonnée, où les effets du mirage complétaient l'image de la mer ; la monotonie n'en était rompue que par des rubans verts, serpentant à travers la solitude, qui marquaient le cours du Chélif et de ses affluents ; sur quelques points de l'horizon, des cimes de montagnes semblables à autant d'îles, dominaient cette vue d'une immensité triste et solennelle : c'était le Sahara.

Toutes les troupes se réunirent de nouveau sur les bords du Chélif, qu'elles abandonnèrent bientôt pour s'enfoncer à l'ouest ; à droite s'élevait la chaîne de montagnes, à gauche s'étendait le Désert ; pas un arbre n'égayait la route, çà et là seulement végétaient tristement quelques touffes toute grillées de cytise et de tamarin ; enfin on rencontra un ruisseau coulant au nord ; on descendit son cours et bientôt on retrouva la végétation et les travaux de l'homme. Vers les six heures du soir du 25 mai, on aperçut le fort de Thaza, situé à mi-hauteur d'une montagne escarpée ; pas un Arabe ne se présenta pour le défendre ; il avait cependant une bonne enceinte, percée de meurtrières avec des tours aux angles : il renfermait à peu près les mêmes établissements que Boghar, mais plus en grand et plus perfectionnés ; au-dessus de la porte d'entrée, on lisait ces mots gravés en arabe sur une tablette de fer :

Bénédictions et faveurs sur l'envoyé de Dieu, Louanges à Dieu.

« Cette ville de Thaza a été construite et peuplée par le prince des croyants notre seigneur El-Hadj-Abd-el-Kader, que Dieu le rende victorieux : lors de son entrée, il a rendu témoignage à Dieu de ses œuvres et de ses pensées et il a dit : Dieu est témoin que cette œuvre est à moi, et que la postérité m'en conservera des souvenirs. Tous ceux qui viendront chercher dans mes heureux états la paix et la tranquillité y trouveront encore après moi le souvenir de mes bonnes œuvres et de mes bienfaits. »

 

Le général français fit enlever la plaque et l'envoya à Paris ; l'Émir, qui se promettait l'éternité, ne se doutait guère que sa ville, deux ou trois ans après sa fondation, serait détruite et que son inscription si ambitieuse servirait de trophée à ses ennemis ; il mit deux jours à miner les solides constructions de Thaza ; pendant tout le travail, ce plateau élevé fut constamment balayé par un vent glacial, d'autant plus sensible à nos soldats qu'ils sortaient de l'atmosphère embrasée du Désert.

Quand Thaza ne fut plus qu'un monceau de pierres, se confondant avec les rochers grisâtres de la montagne, l'armée reprit sa route au nord, partagée en trois colonnes ; l'une servant d'escorte aux bagages, suivait une gorge si étroite qu'on ne pouvait y marcher qu'un à un ; les deux autres couronnaient les crêtes à droite et à gauche ; on essuya quelques coups de fusil des Kabyles dont on troublait la retraite ; enfin la vallée s'élargit, et une riante verdure vint consoler l'œil fatigué de la monotonie du désert et des arides rochers de l'Atlas. On aperçut l'ennemi qui se tenait à distance. Après quelques courses et quelques coups de fusil on vint camper aux pieds des hauteurs que couronne Miliana, et le général monta vers la ville ; le premier objet qui frappa ses regards en y entrant fut une affiche de spectacle, placardée contre les murs de la Casbah et annonçant pour la soirée la représentation de l'Ours et le Pacha. Ces quelques mots disaient mieux que tous les rapports officiels, combien Miliana était changé depuis un an ; ce n'était plus cet amas de ruines, ce foyer d'infection qui avait été si funeste à la première garnison ; les rues étaient propres, les hôpitaux, les logements de troupes bien tenus et bien aérés : les jardins des environs parfaitement cultivés fournissaient en abondance des fruits et des légumes aux troupes, dont l'état sanitaire était très bon.

Le général et son escorte vinrent rejoindre dans la plaine l'armée qui reprit la route de Médéah en coupant court l'espèce de presqu'île formée sur la rive gauche du Chélif par un contour de la rivière ; aucune colonne française n'avait encore suivie cette direction ; arrivé non loin du col de Mouzaïa, M. Baraguay d'Hilliers détacha le général Changarnier pour prévenir les Arabes qui faisaient mine de vouloir s'en emparer ; ce mouvement fut exécuté sans coup férir ; enfin la colonne rentra le 2 juin à Blida par une pluie battante. Ce qu'il y eut de remarquable dans cette expédition c'est qu'elle fut exécutée sans combats, car on ne saurait donner ce nom aux quelques coups de feu échangés entre les Français et les indigènes ; l'ardeur belliqueuse de ces derniers commençait à s'épuiser : débarrassés de l'influence de l'émir, ils étaient peu soucieux de courir à des combats dans lesquels ils savaient bien qu'ils ne pouvaient pas vaincre. Sans liens entre elles, remplies de préjugés et d'ignorance, ces malheureuses populations, incapables également de traiter ou de se défendre, attendaient avec une résignation toute musulmane, ce qu'il plairait au sort de décider pour elles. La voix de quelques fanatiques, essayant encore de prêcher la guerre sacrée, se perdait dans le désert ; les convois de Médéah commencèrent à passer le Ténia, sans tirer un coup de fusil, et un mois après son retour le commandant par intérim parcourut tout l'ouest de la province sans éprouver nulle part de résistance.

Quittons un moment ces monotones narrations de marches et de contre-marches, ces tristes images de destructions et de ravages, pour un épisode d'un caractère plus doux et plus consolant. Notre contact avec les Arabes, bien qu'il ne se traduisit que trop souvent en combats, n'avait pas été cependant sans une influence sur leurs habitudes ; Abd-el-Kader, tout en nous faisant la guerre, avait une trop haute portée d'esprit pour ne pas sentir com- bien nous étions supérieurs à ses co-religionnaires, et la preuve en est dans les imitations de nos arts qu'il avait poussées aussi avant qu'il avait pu : l'adoucissement dans les mœurs des indigènes s'était surtout fait remarquer par l'humanité avec laquelle ils traitaient les soldats français que les chances de la guerre faisaient tomber entre leurs mains ; déjà quelques échanges de prisonniers avaient eu lieu entre les deux partis dès avant le traité de la Tafna, et le renouvellement des hostilités en 1859, avait été bientôt suivi de pourparlers tendant à régulariser une si bienfaisante mesure. Le général Bugeaud, absorbé par les soins de ses armées et de l'administration, avait confié la conduite de cette négociation à M. Dupuch, évêque d'Alger ; qui saisit avec ardeur cette occasion d'adoucir les maux inévitables de la guerre ; une convention positive fut rédigée et acceptée de part et d'autre le 6 avril 1841, sur les bords du Chélif ; mais les clauses de ce traité ne parent être immédiatement exécutées, et l'on avait presque perdu tout espoir à cet égard, quand le 15 mai, quatre cavaliers arabes, parfaitement équipés, se présentèrent tout-a-coup au poste de Douèra, et au qui-vive des sentinelles, répondirent qu'ils étaient Hadjoutes, qu'ils venaient de la part de Sidy-Mohammet, Califat du cercle de Miliana pour Abd-el-Kader, apporter une lettre à l'évêque d'Alger ; on les envoya sur-le-champ dans la ville avec un maréchal-des-logis pour escorte ; la lettre portait en substance que les prisonniers français seraient amenés le 18 mai prochain, à une heure après-midi à la ferme de Mouzaïa-Aga, à 8 lieues de Bouffarick, pour être rendus à leurs concitoyens, et qu'en échange Mohammet attendrait les prisonniers arabes : M. Dupuch voulut annoncer lui-même à ces malheureux leur prochaine délivrance, et monta dans les prisons de la Casbah, ou ils étaient renfermés ; il fut frappé de la profonde misère, de l'horrible état dans lequel ils gémissaient. Les femmes, les enfants surtout, attirèrent sa pitié ; des murs même de la prison, il adressa à ses fidèles un mandement pour implorer leurs aumônes en faveur des malheureux prisonniers ; on y lisait les touchantes expressions :

« Comment mesurer, comment trouver des paroles parmi les cris déchirants, parmi les sanglots et les jeux plus tristes encore de cette centaine de pauvres femmes et de petits enfants qui se pressent autour de nous sans comprendre notre langage, sans que nous entendions le leur, mais qui entendent si bien l'attendrissement de notre voix, la compassion de notre visage, de père, d'évêque, des plus pauvres et des plus délaissés surtout ! »

« Ah ! si vous étiez à nos côtés pendant que sur des ais dégoûtants nous essayons de vous écrire, si comme nous vous pouviez voir cette affreuse misère, ces enfants décharnés, ces pauvres mères. L'une d'elles n'a pas quinze ans, et minée par une fièvre continue, elle ne peut suffire à nourrir son misérable enfant. Hélas ! son sein n'est pas le seul tari, et si nous n'y apportons un prompt remède, avant quelques heures peut-être, elles auront pour la plupart perdu plus que leur patrie, plus que leurs cabanes dévorées par les flammes, plus que leur liberté, elles auront perdu leurs enfants, désormais leur unique consolation, d'autant plus chère que leurs frères ont péri, et que leurs pères ne sont plus. »

Tout fut bientôt prêt pour le départ des 130 prisonniers, qui comptaient par nombre à peu près égal des hommes, des femmes, des enfants : ils quittèrent la Casbah le 17 à 7 heures du matin ; des voitures avaient été mises à la disposition de l'évêque pour transporter les plus faibles et les plus malades ; M. Dupuch lui-même, à la tête de cette armée d'une nouvelle espèce, s'achemina pour avoir une entrevue personnelle avec le Califat Mohammet. Mais les combinaisons de la guerre dérangèrent encore celles de l'humanité ; à Douera, on apprit deux circonstances également désagréables ; le convoi ne contenait pas tous les prisonniers dont la délivrance avait été promise ; une quinzaine avait été gardés à Alger, on ne sait pas trop pourquoi, et c'était ceux-là même dont la liberté était le plus ardemment désirée par Mohammet ; en second lieu le général Baraguay d'Hilliers, qui partait alors pour son expédition de Thaza, avait donné ordre, par le télégraphe, à la garnison de Blida, d'occuper le col de Mouzaïa pendant la nuit : M. Dupuch résolut de ne pas pousser au-delà de Bouffarick ; ce n'était pas au milieu des expéditions, probablement des combats qui se préparaient, qu'une œuvre toute pacifique pouvait trouver place. Deux cavaliers furent expédiés à Sidy-Mohammet pour l'instruire de ce contretemps.

Cependant les Arabes, fidèles à leur parole, étaient en marche, dès le 18 au matin, pour la ferme de Mouzaïa, avec leurs prisonniers, qui se croyaient arrivés au terme de leur captivité, quand ils aperçurent un corps considérable de troupes s'avançant directement sur eux : c'était le général Baraguay déjà en marche ; les Arabes se crurent trahis : ils rebroussèrent chemin en toute hâte, entraînant à leur suite les malheureux prisonniers, dont il est plus facile d'imaginer que de peindre le désespoir. M. Dupuch fut instruit de toutes ces circonstances par une lettre de M. Massot, l'intendant-militaire qui se trouvait au nombre des prisonniers.

Toutes les apparences étaient contre notre bonne foi ; le détournent de quatre Français, MM. de Franclieu, Suchet, Berbrugger et Tostain, se chargea de les démentir. Ils veulent par une démarche éclatante mettre l'évêque à l'abri de tout soupçon et partent pour le camp de Mohammet, guidés par les deux cavaliers hadjoutes qui avaient apporté la lettre de M. Massot, emmenant avec eux un des principaux prisonniers arabes que l'évêque offrait au Califat en dehors de tout échange, et comme le présent qui pouvait lui être le plus agréable ; les Hadjoutes les conduisent par une marche rapide dans des sentiers à eux seuls connus ; ils passent la Chiffa, s'engagent dans un taillis épais, théâtre probablement de bien des scènes de meurtre et de pillage ; tout-à-coup ils distinguent des armes briller à travers les broussailles, et ils se trouvent entourés par les sentinelles qui veillaient autour du camp ennemi ; ils sont conduits devant le Califat d'Abd-el-Kader, qui reposait à l'ombre de magnifiques oliviers sauvages, entouré de ses serviteurs et de ses officiers. La noble démarche des Français trouva un écho dans le cœur de Mohammet, et ses craintes disparurent tout-à-fait quand on lui expliqua que l'évêque n'était pour rien dans le mouvement militaire qu'il avait pris pour une trahison. Après une courte discussion, il fut convenu que le chef arabe qui désirait voir M. Dupuch, conduirait lui-même ses prisonniers le lendemain à une portée de canon du camp de Bouffarick, et pour rassurer entièrement Mohammet, qui par cette démarche se mettait tout-à-fait à la disposition des Français, maîtres de Blida et de Coléah, les quatre députés s'offrirent à revenir servir d'otages pendant tout le temps que durerait la conférence, et promirent de plus qu'aucun soldat ne s'approcherait du lieu qui en serait le théâtre. Enfin, pour ne pas se laisser vaincre en générosité, le Califat renvoya sur le champ M. Massot à l'évêque français avec les députés. Le lendemain, à la pointe du jours, les quatre Français qui devaient servir d'otage partirent pour le camp arabe : ils rencontrèrent en route Mohammet avec les prisonniers, qui ne les avait pas attendu pour s'acheminer au lieu du rendez-vous ; il renvoya même ces messieurs au camp de Bouffarick, ne conservant que M. Berbrugger et Franclieu qui insistèrent pour remplir jusqu'au bout leur noble tâche ; en apercevant l'attelage de M. Dupuch, le chef arabe mit pied à terre, et laissant derrière lui l'escorte qui l'avait accompagné ; il s'avança seul vers le vénérable prélat, qui de son côté descendit de voiture ; les représentants des deux religions rivales se prirent les mains qu'ils se serrèrent longtemps avec effusion. Après une longue conversation qui se passa dans le carrosse de l'évêque, ils descendaient pour se retirer, quand soudain un coup de fusil jeta l'alarme parmi les assistants ; l'escorte arabe saisit ses armes. Un éclair de colère et de soupçon traversa la physionomie mobile de l'Arabe ; ce n'était qu'une perdrix que le jeune Caïd des Hadjoutes, cousin de Mohammet, n'avait pu résister au plaisir de tirer, pour l'offrir à l'évêque. La gravité musulmane fut un peu confuse de s'être laissée déconcerter pour si peu, mais l'alerte fut bientôt dissipée. Chaque parti retourna chez les siens, emmenant ses prisonniers. Les Français délivrés retrouvèrent à Bouffarick plusieurs parents et amis ; leur arrivée y avait causé un enthousiasme immense ; ils semblaient revenir au-delà du tombeau ; un Te Deum fut chanté dans la modeste église de la colonie. Les prisonniers retrouvèrent avec bonheur ces mille petits riens qui décèlent la patrie, et dont il faut avoir été longtemps privé pour en sentir tout le prix.

Quelques prisonniers musulmans étaient restés à Alger comme nous l'avons dit ; ils furent successivement rendus aux Arabes, qui de leur côté renvoyèrent neuf Français sous l'escorte de deux cavaliers hadjoutes ; ils apportaient à M. Dupuch la lettre suivante :

« Louanges, honneur à Dieu seul, prières à Jésus-Christ notre-seigneur, l'esprit, l'âme de Dieu.

« Sidy-Mohammet-Ben-Allal Califat, que Dieu le protège : Amen.

« Au serviteur de Dieu, au serviteur de Jésus-Christ l'évêque Antoine, notre bien-aimé, que Dieu le conserve, que la volonté de Dieu soit sur lui.

« Nous avons reçu tes lettres, nous en avons compris le contenu, nous avons reconnu avec bonheur ton amitié et la vérité ; les quatre prisonniers qui les apportaient sont heureusement arrivés ; il nous reste à te prier de t'occuper du soin de ceux qui sont encore à Alger ou ailleurs, et très particulièrement de Mohammet-Ben-Mockat. Les parents et les amis de ces pauvres prisonniers étaient venus avec nous le jour où nous nous sommes si doucement rencontrés ; quand ils ont vu que ceux qu'ils aiment n'y étaient pas, ils se sont mis à pleurer, mais quand ils ont su ce que tu nous avais promis et qu'ils ont vu ton écriture, ils se sont réjouis, l'amertume de leur cœur s'est changée en joie, persuadés qu'ils les reverront bientôt, puisque tu l'as dit.

« Nous t'écrivons ceci parce que tous les jours ils viennent pleurer à la porte de notre tente ; ainsi seront-ils consolés ; car pour nous, nous te connaissons et nous savons bien qu'il n'est pas nécessaire que nous te fassions de nouvelles recommandations ; nous savons qui tu es et que ta parole d'évêque est sacrée.

« Nous t'envoyons la femme, la petite fille et les prisonniers chrétiens qui étaient restés à Tegdempt ou chez Milou-Ben-Aratch : quant au capitaine et aux autres prisonniers chrétiens qui sont avec lui, sois sans inquiétude pour eux, ils sont en toute sûreté sous la garde de Dieu : sans la sortie du général et des fils du roi, ils seraient déjà auprès de toi avec les autres ; la guerre seule nous empêche encore de te les envoyer, mais tu les auras tous bientôt. Je t'envoie en attendant le sauf-conduit dont tes amis pourraient avoir besoin ; ils feront bien d'abord d'aller chez le Caïd des Hadjoutes, les chemins ne sont pas sûrs.

« Je t'envoie vingt chèvres avec leurs petits qui tètent encore leurs mamelles pendantes ; avec elles tu pourras nourrir les petits enfants que tu as adoptés et qui n'ont plus de mère : daigne excuser le présent, car il est bien petit. »

Quelques jours après, M. l'abbé Suchet, grand vicaire de M. Dupuch, fut envoyé, par ce dernier, en mission auprès d'Abd-el-Kader qui fuyait alors devant nos armes ; accompagné d'un seul interprète, M. Suchet s'aventura à travers les tribus enflammées, les moissons ravagées, les populations irritées, et sa vie ne fut pas seulement menacée ; partout les Arabes qui veillaient des jours et des nuits de suite pour surprendre et massacrer le soldat égaré, s'inclinèrent avec respect devant le ministre d'un culte ennemi. Abd-el-Kader reçut avec émotion le premier prêtre chrétien qu'il eut encore vu ; l'abbé Suchet désirait obtenir qu'un de ses confrères pût résider auprès des prisonniers français, dans le cas où leur nombre viendrait à s'accroître. L'Émir accueillit volontiers sa demande et déjà il avait dispensé les chrétiens tombés entre ses mains de travailler le dimanche, afin qu'ils pussent remplir les devoirs de leur religion ; il accepta avec reconnaissance les présents que lui offrait l'abbé Suchet au nom de son évêque en disant qu'il n'en eut pas été de même, s'ils eussent été offerts par tout autre Français : l'Émir était-il sincère en paraissant excepter les prêtres de la haine qu'il portait aux chrétiens ? prêtre lui-même de la religion musulmane, éprouvait-il de la sympathie pour un collègue en sacerdoce, ou voulait-il simplement se ménager quelques partisans chez ce peuple dont il avait appris à redouter les armes, c'est ce qu'il serait assez difficile de décider ; tout ce qu'on peut dire, c'est que rien ne vint confirmer cette dernière supposition. En lisant de pareils traits, les réflexions naissent en foule ; on se demande si c'est à l'esprit du dix-neuvième siècle seul qu'il faut confier l'éducation morale des Arabes, de ce peuple si profondément religieux et que notre scepticisme étonne et repousse. Et cependant alors que l'Europe était sincèrement chrétienne, saint Louis, Charles-Quint, les Espagnols, échouèrent sur cette côte, où tout annonce que la civilisation moderne va définitivement s'établir. Cela tient sans doute à ce que les musulmans sont restés stationnaires, tandis que nous avons réalisé d'immenses progrès ; mais ces progrès eussent-ils eu lieu également si le Croissant eut remplacé la Croix, au Nord de la Méditerranée ? La suprématie actuelle de l'Europe sur le reste du globe, tient-elle à quelque circonstance de climat, de sol, de race, on bien à la série d'idées qui la domine depuis dix-huit siècles ? Jusqu'à présent, ce sont les idées chrétiennes qui ont civilisé les peuples modernes : nos lois, nos mœurs, notre respect pour l'indépendance et la dignité de l'homme, appartiennent au christianisme - plus que nous le pensons ; nous employons en Afrique un instrument nouveau ; il sera intéressant pour le moraliste d'observer les effets qu'il produira.

Les mesures employées par le général Bugeaud pour assurer la sécurité des environs d'Alger, avaient eu généralement un résultat avantageux. Cependant, le 20 juillet 1841, un corps de deux cents cavaliers arabes pénétra encore dans le Sahel, où il fut rencontré par une patrouille de cinquante chasseurs, commandé par le lieutenant Gailhard ; ce dernier, malgré l'infériorité du nombre, ne balança pas à fondre sur l'ennemi ; il s'ensuivit un combat très vif, à bout portant, après lequel les Arabes s'enfuirent avec une perte de douze hommes ; les chasseurs eurent deux hommes de tués et cinq blessés. Ce fut la dernière affaire que virent les collines d'Alger : malgré cette alerte qui n'eut pas de suite, la culture faisait quelques progrès ; la population européenne d'Alger augmentait surtout très rapidement. Le gouverneur passa, le 27 juillet, dans la plaine de Mustapha, une revue de la garde nationale, où elle mit en ligne quatre ou cinq bataillons forts de six cents hommes chacun ; elle faisait seule depuis longtemps le service de la place d'Alger, ce qui l'avait forcé à compléter avec plus de soin son organisation. Le gouverneur la convia à une excursion avec lui dans la plaine, excursion toute pacifique, du reste, puisqu'il ne s'agissait que de reconnaître les travaux d'enceinte continue, qu'on exécutait alors, d'après les idées du général Rogniat ; elle prenait naissance au bord de la mer, à Fouka, six lieues à l'ouest d'Alger, se dirigeait à peu près droit au sud à travers la plaine de la Mitidja, enfermait Blida dans un angle très aigu, retraversait une seconde fois la plaine pour rejoindre les bords de la mer, à l'embouchure de l'Aratch ; son profil consistait en un fossé de quatre mètres de large sur deux de profondeur, avec un parapet formé de terres provenant du déblai, dont la pente extérieure était plantée d'aloès. L'espace ainsi enceint renfermait 64.000 hectares ou quarante lieues carrées ; au centre, la capitale de la régence se complétait peu à peu de la plupart des établissements qu'on trouve dans les villes de France. Un collège dont le premier projet remontait à M. Genty de Bussy, réunissait en 1841 de nombreux élèves, auxquels on enseignait, à la fois les principes les plus élémentaires, et les branches les plus élevées des connaissances humaines ; parmi eux, on comptait beaucoup de jeunes Maures ou Arabes qui n'en étaient ni les moins studieux, ni les moins intelligents ; plusieurs furent couronnés dans la distribution des prix qui termina l'année scolaire. Quand on réfléchit que tout cela se passait dans un pays qui, il n'y avait que onze ans, était le repaire de la barbarie et du brigandage, il semble que de pareils progrès eussent dû satisfaire l'impatience la plus exigeante ; l'apparence extérieure de la ville s'était elle-même beaucoup embellie, et Hussein-Dey, s'il fût rentré dans sa capitale en 1841, eût eu de la peine à la reconnaître. Trois rues magnifiques qui n'ont d'analogue que la rue Castiglione à Paris, étaient alors complètement terminées ; les portes mauresques de la ville, si laides, si incommodes, avaient fait place, d'après les plans du général du génie Berthois, à de belles portes jumelles qui prévenaient tout encombrement pour l'entrée et la sortie.

Pendant l'automne 1841, et l'hiver qui le suivit, les seules expéditions qui eurent lieu dans la province d'Alger, avaient pour objet les ravitaillements de Médéah et de Miliana : on entassait à grands frais dans ces places, les cinq cents milles rations demandées par le maréchal Bugeaud, pour porter au-delà une guerre sérieuse ; quelques escarmouches signalaient souvent ces voyages qui ne pouvaient être exécutés que par de petites armées. Le général Changarnier eut, à la fin d'octobre avec les Arabes, un engagement qui leur coûta une centaine d'hommes ; mais il était plus facile de vaincre les Indigènes que de les attirer à notre cause. Ils continuaient à éviter obstinément tout commerce avec nous. Malgré les pertes cruelles qu'ils avaient éprouvées par les expéditions du général Baraguey-d’Hilliers, non-seulement le cercle de ces farouches montagnards, entourant la plaine comme une barrière de granit, restait toujours impénétrable pour les petits détachements, mais encore la sécurité dans l'intérieur même de nos lignes, était loin d'être complète. Le 15 avril 1842, la correspondance de Bouffarick à Blida, escortée de vingt-deux hommes commandés par le sergent Blandan, fut attaquée à l'improviste par un corps de deux ou trois cents ennemis. Un déserteur français qui se trouva parmi eux somma Blandan de se rendre : Blandan ne lui répondit que par un coup de feu qui renversa le traître rai de mort. Cet acte énergique fut le signal d'une mêlée terrible ; les vingt-deux Français se défendaient avec le courage du désespoir ; le bruit de la mousqueterie fut entendu enfin du camp de Bouffarick ; des troupes accoururent au pas de course sur le théâtre du combat, mais malheureusement il était déjà bien tard ; cinq Français seulement étaient encore debout, entourés de leurs camarades ou morts ou renversés par les plus graves blessures : Blandan avait été tué un des premiers ; cette action héroïque ajoutait un nouveau et brillant fleuron à la couronne de gloire que méritait l'armée d'Afrique, mais elle prouvait en même temps combien peu elle avait fait jusqu'alors pour la pacification.

Parmi ces ennemis, on distinguait les Beni-Menacer, qui, protégés par des rochers où jamais les Turcs n'avaient osé pénétrer, s'étaient vus exempts jusqu'alors de tous les maux de la guerre ; c'était parmi eux qu'était né un des Califats de l'Émir, Barkany, qui y possédait une grande influence. Le gouverneur partit le 1er avril 1842, pour le frapper dans les biens et l'habitation, berceau de sa famille ; ils étaient situés dans un joli vallon, profondément caché entre des rochers sauvages, couvert de jardins, et de bosquets d'orangers ; c'était là que la puissante famille des Barkany, si révérée dans le pays, habitait jadis une maison grande et bien bâtie, autour de laquelle s'étaient groupés d'autres habitations, moins somptueuses, mais également agréables. Les seigneurs de cette petite colonie ne s'y étaient fait connaître que par des bienfaits ; ils avaient l'habitude d'y rendre la justice ; ils y avaient fondé une école pour l'éducation religieuse des jeunes gens, en arabe une Zaouia. Quand le gouverneur pénétra dans ce repli si isolé, la plupart des guerriers du pays servaient au-dehors sous les drapeaux de leurs chefs ; tous ceux qui s'y trouvaient encore, essayèrent, sans espoir de succès, de défendre les approches de ce lieu vénéré ; vains efforts ! le pied des chrétiens souilla le sanctuaire des Barkany, et le musulman, en voyant que le ciel permettait une pareille profanation, dut se dire qu'il avait trouvé un maître. Cette expédition, du reste, n'eut d'autre résultat que la destruction de quelques murailles ; la colonne française revint à Cherchel, sans avoir obtenu une seule soumission des Kabyles dont elle avait parcouru le sauvage territoire.

Il fallait à tout prix briser cette hostilité acharnée, qui faisait autant de prisons de chacun de nos postes aux alentours d'Alger ; la pacification dans l'ouest avait fait tant de progrès que de simples courriers allaient sans danger de Mostaganem à Mascara, et il fallait des escortes de cent hommes pour traverser la Mitidja ; il ne s'agissait plus de poursuivre ces montagnards insaisissables ou de brûler des habitations dont ils avaient appris à se passer, il fallait, au moyen de forces nombreuses, envelopper tous leur pays comme dans un filet, et en faire tous les habitants prisonniers à la fois. Le gouverneur imagina d'y réunir pour quelques jours toutes les forces des tribus soumises de la province d'Oran ; indépendamment des secours qu'il devait trouver dans l'agile cavalerie des Arabes, il comptait sur un puissant effet moral à l'égard des populations à soumettre. Il voulut se charger lui-même d'une opération si importante, et se rendit à Oran, où il commença par rompre quelques commencements d'insurrection qui s'étaient manifestés chez les Beni-Amer, et régla ensuite les rapports des tribus soumises avec l'autorité française. A Mostaganem il reçut la soumission de la puissante famille des Arribis ; ce fut pour la France une excellente acquisition ; les Arribis, marabouts de père en fils, exerçaient sur le bas Chélif une immense influence, et leur chef Ben-Abd alla-Ould Sidy Arribi, commandait plus de 600 cavaliers ; l'Émir fut piqué au vif de la défection d'un personnage dont le pouvoir pouvait balancer le sien dans le Dara ; il voulut en tirer une vengeance éclatante ; Milou-Ben-Aratch et Mohammet-Ben-Allal-Ould-Sidy-Embarreck, réunirent toutes leurs forces régulières, convoquèrent le contingent des tribus qui leur obéissaient encore, et vinrent tomber tout-à-coup sur les populations soumises de la rive gauche des bas Chélif, qui trop faibles pour leur résister, se hâtèrent de mettre la rivière entre leurs tentes et les assaillants ; la belle et patriarcale demeure des Arribis fut réduite en cendre. Après cet exploit, les ennemis apprenant que le général Changarnier s'avançait du côté de Miliana, craignirent d'être pris entre deux feux, et se retirèrent rapidement au sud. Le gouverneur était encore à Mostaganem quand il apprit ces événements ; il hâta les préparatifs de la grande expédition qui devait remonter le Chélif, et se rendit le 14 mai 1842 à Mazéra, où sous la protection de trois bataillons d'infanterie se trouvait déjà réuni un convoi de 1.500 bêtes de somme, fournies par les tribus. Les forces qu'il amenait de Mostaganem comptaient, y compris la division d'Arbouville, un total de 4.000 baïonnettes. La cavalerie arabe avait reçu pour rendez-vous général un lieu nommé Sidi-Bel-Assel, où se trouvait un gué sur la Mina. Leurs fidèles contingents s'y réunirent au nombre de plus de 2.500 chevaux ; après un jour consacré à mettre un peu d'ordre dans une armée composée d'éléments si hétérogènes, le gouverneur franchit sans obstacle la Mina et le Chélif, et entra sur le terrain des Beni-Zérouel, tribu Kabyle puissante et fanatique, qui s'était constamment fait remarquer par son hostilité ; c'était un mauvais voisinage pour nos alliées, surtout au moment où leurs guerriers allaient s'engager dans une expédition lointaine. Pendant deux jours les Beni-Zérouel furent poursuivis, dispersés, traqués dans tous les sens ; on leur fit 250 prisonniers ; on leur prit 2.500 têtes de bétail, mais on ne put leur arracher un seul acte de soumission ; comptant sur la terreur répandue par ce châtiment, le général Bugeaud reprit sa route, marchant à petites journées, pour donner le temps aux tribus qui voudraient se soumettre de lui envoyer des députés. Ce retard fut à peu près du temps perdu ; ou a pu voir qu'Abd-el-Kader avait aussi des châtiments pour ceux qui abandonnaient sa cause ; c'était la première fois que le drapeau français remontait la vallée du Chélif ; les Arabes qui nous avaient vu tant de fois revenir sur nos pas, s'imaginaient que nous passerions comme un orage ; débarrassé d'Abd-el-Kader, qui pouvait encore ravager le pays mais non le gouverner, chaque chef de tribu, souverain dans son petit cercle, était peu pressé de se donner un nouveau maître.

Le gouverneur se détourna de sa route pour aller de sa personne visiter Mazouna, petite ville en ruines, à quatre lieues de la rive droite de la rivière, encore peuplée de près de 4.000 Turcs, Coulouglis ou Hadars. A l'approche des Français les Arabes les avaient forcé d'évacuer leurs maisons, et le général n'y trouva que deux ou trois cents malheureux, errans dans des masures qui déparaient les bois d'orangers et le délicieux paysage des alentours.

Le 24 mai 1842, la colonne entra sur le territoire des Sbéas, peuplade belliqueuse et pillarde, très redoutée de ses voisins ; deux des chefs en disgrâce sous le gouvernement de l'Émir vinrent au camp français faire des ouvertures qui donnaient à croire que tous leurs contingents allaient se soumettre ; mais cet espoir ne se réalisa pas, et le gouverneur, pressé d'arriver dans la Mitidja, prit alors le parti de borner son action immédiate à instituer dans le Dara un pouvoir rival de celui d'Abd-el-Kader ; il choisit pour ce but Abd-Allah Arribi qui fut élevé à la dignité de Califat du Dara. Le gouverneur voulut donner à son installation une pompe qui put agir sur l'imagination impressionnable des Arabes ; les cavaliers indigènes formèrent un grand demi-cercle, dont les Français occupèrent l'autre moitié : au centre se placèrent l'artillerie, la musique, l'état-major, enfin le gouverneur lui-même et le nouvel élu ; après des fanfares et des marches guerrières, le général Bugeaud à haute voix et au nom du roi des Français, proclama Ben-Allah Ould-Sidy-Arribi Califat du Dara, et lui donna pour aga Bou-Meddin, caïd des Mahallas : Les nouveaux dignitaires reçurent leurs burnous d'investiture, et la cérémonie se termina par des fantasias et des décharges de mousqueterie, passe-temps guerriers chéris des Arabes.

A peine la cérémonie était-elle terminée que l'on vit tout-à-coup arriver à bride abattue cinq cavaliers arabes blessés et dans un état pitoyable ; ils appartenaient aux Ouled-Crouidem, nouveaux alliés des Français. Ils s'étaient mis en marche sur l'ordre du gouverneur pour venir le rejoindre ; à une heure du camp les Sbéas étaient tombés sur eux, leur avaient tué leur caïd et plusieurs cavaliers, et les avaient forcé de rebrousser chemin. Il était urgent de châtier une pareille insolence. Le général Bugeaud partit de son camp le 26, à deux heures du matin ; au point du jour on rencontra les Sbéas qui fuyaient vers le sud. Nos auxiliaires arabes se battirent assez bien, mais une fois gorgés de butin, ils disparurent pour le mettre en sûreté, malgré tous les efforts de leurs chefs pour les ramener au combat. L'infanterie française se trouvant alors la première en ligne, jeta ses sacs pour courir plus vite après les Sbéas qui s'enfuirent pendant deux heures. On prit une immense quantité de bétail ; suivant l'habitude des Arabes, les Sbéas vinrent tirailler contre la colonne rentrant dans son camp. Des retours offensifs les repoussaient toutes les fois qu'ils approchaient de trop près ; ils perdirent plus de 200 cavaliers dans cette série d'escarmouches. Le lendemain, le gouverneur donna un jour de repos à ses troupes, espérant a chaque instant la soumission des Sbéas. Personne ne parut ; il fallut attendre un jour déplus, et le 28 seulement arrivèrent quelques chefs. Ils prièrent le général de leur pardonner ce retard, en disant qu'ils avaient passé toute la journée de la veille à enterrer leurs morts. Invités à suivre la colonne dans la Mitidja, ils s'excusèrent en disant que presque tous leurs gens les plus vigoureux avaient péri dans le combat, et qu'à peine s'il leur en restait assez pour faire la moisson ; plutôt que de perdre son temps à les poursuivre, le gouverneur n'insista pas davantage et continua sa route.

Le 29 mai, le bivouac fut établi sur le Fodda, et l'on apprit par quelques prisonniers arabes, qu'on avait aperçu la division d'Alger non loin des bords du Rouina ; impatient d'opérer la jonction des deux corps, le gouverneur ordonna le départ du camp pour le lendemain, à2 heures et demie du matin, et au grand jour, on découvrit en effet le général Changarnier qui opérait une razzia sur la rive opposée du Chélif ; il passa bientôt la rivière pour communiquer avec le gouverneur, et la réunion s'exécuta sur le Rouina, à deux journées de marche de Miliana ; les deux divisions se saluèrent mutuellement de 11 coups de canon. La gaîté et l'expansion française se manifestèrent dans des festins que l'abondance qui régnait au camp rendait faciles. Les soldats des deux colonnes se traitèrent mutuellement chacun à leur tour ; une journée de repos et de plaisir fit bien vite oublier les fatigues de toute une campagne.

Le général Changarnier, tout en ravitaillant les garnisons de Médéah et de Méliana, avait trouvé le moyen d'enlever bien assez de butin à l'ennemi ; le lendemain de la réunion avec le gouverneur, il le quittait de nouveau pour concourir à l'exécution du plan concerté entre eux, qui consistait à envahir, par les deux versants à la fois, l'enceinte des montagnes de la Métidja. Il essaya donc de pénétrer dans cette plaine à travers la chaîne qui sépare la mer de la vallée du Chélif, mais il trouva un terrain si boisé si tourmenté, si vigoureusement défendu, que ne pouvant faire aucun usage de sa cavalerie, il prit le parti de rentrer au camp avec quelque butin ; sans se laisser décourager il tenta une seconde fois le passage un peu plus à l'est par le col Mahali, qui coupe perpendiculairement le Zaccar ; il rencontra encore des chemins épouvantables, mais enfin il put franchir la crête supérieure, et déboucher dans la Métidja.

Il traversait ainsi le territoire de Beni-Menacer, et pour favoriser ses mouvements, le chef de bataillon Bisson, commandant à Miliana tentait alors contre eux un coup de main, qui bien qu'entrepris avec des forces trop inférieures et suivi de pertes cruelles, eut un grand retentissement en Afrique, par l'audacieuse valeur des troupes qui en faisait partie ; dans la nuit du 6 au 7 juin, le commandant Bisson avait quitté Miliana avec 500 hommes ; il parvint sans obstacle jusqu'à Mahil-Douar, principale bourgade des Beni-Menacer, qui fut livrée aux flammes ainsi que tous les hameaux qui l'entourent : on réunit un énorme butin et troupeau de 16 ou 18.000 bœufs ou moutons, qu'on ramenait à Miliana, quand les Kabyles réunis de toutes les montagnes environnantes, se précipitèrent sur l'arrière-garde avec un acharnement qui tenait de la fureur ; reçus à la baïonnette, ils les saisissaient avec la main pour empêcher les soldats de frapper ; pendant ce temps d'autres les attaquaient à coups de yatagan et de pistolet ; la mêlée fut terrible ; les Kabyles perdirent 200 hommes à cette première attaque et se retirèrent ; mais à peine la colonne réorganisée, se remettait-elle en marche qu'ils revinrent à la charge ; le commandant Bisson déjà atteint d'un coup de feu dans la poitrine, n'en conserva pas moins le commandement jusqu'à ce que deux nouvelles blessures l'eussent mis tout-à-fait hors de combat. Malgré les charges à la baïonnette, le nombre et l'acharnement des Kabyles croissant toujours, il fallut leur abandonner le troupeau dont on s'était emparé, et rentrer le plus vite possible à Miliana ; un tiers de la colonne avait été tué et blessé ; les Beni-Menacer de leur côté, avaient éprouvé des pertes bien autrement importantes. Peu de temps après, ils firent quelques ouvertures de paix qui n'eurent pas de suite, et l'on verra qu'il fallut bien d'autres combats pour les soumettre entièrement. Cependant depuis l'expédition du commandant, ils restèrent cantonnés dans leurs montagnes sans oser en sortir.

En arrivant dans la plaine le général Changarnier apprit la soumission des Mouzzaïas, ces montagnards jusqu'alors si indomptables, et qui plusieurs fois avaient essayé à eux seuls de défendre le Ténia contre les armes françaises ; toutes ses dispositions contre eux, devenant alors inutiles, il concentra tous ses moyens d'action sur les Beni-Menad, les Soumatas, les Boualouans ; ses troupes divisées en six corps se placèrent au pied des pentes nord des montagnes ; le Gouverneur pesté dans la vallée du Chélif, opérait un mouvement analogue sur les pentes sud ; le territoire des tribus rebelles était cerné par plus de 9.000 hommes ; avant de commencer la chasse le Gouverneur les prévint du sort qui les attendait et de l'inutilité de toute résistance ; cette dernière sommation resta sans réponse. Enfin le 9 juin 1842, un peu avant le jour, les deux divisions se mirent en même temps en marche sur les deux versants à la fois, brûlant les moissons et les habitations, faisant prisonnier tout ce qu'elles rencontraient ; bientôt des cris, des lamentations, des protestations de soumission vinrent arrêter nos soldats ; les chefs de Beni-Menad et des Soumatas se présentèrent devant les généraux. Des officiers furent sur-le-champ dépêchés pour arrêter la marche des troupes ; mais perdus dans un pays inconnu, difficile, ils furent quelque temps avant de pouvoir remplir leur bienfaisante mission ; cependant beaucoup de dévastations furent empêchées. L'armée française en fut, heureuse, car tout en châtiant sévèrement les Kabyles, elle admirait leur énergique fidélité : le soir même on rendit aux Soumatas les 7 à 800 prisonniers qu'on leur avait déjà fait ; on retint ceux des Beni-Menad et des Boualouans, parce que quelques portions des leurs n'avaient pas fait leur soumission ; elle fut complétée le lendemain. Les Beni-Sala et toutes les fractions des Hadjoutes imitèrent leur exemple ; pour la première fois depuis notre descente en Afrique, tous les montagnards qui dominent la Métidjah du haut de leurs rochers, reconnurent l'autorité de la France.

Si cette soumission avait été difficile à obtenir, du moins fut-elle sincère et durable ; dès le lendemain du 9 juin, la sécurité la plus complète régna dans les environs d'Alger ; non-seulement les deux divisions rentrèrent à Blida, sans essuyer un coup de fusil ; mais des voyageurs isolés traversèrent sans obstacle ces terribles montagnes tant de fois arrosées du sang de nos armées ; la population d'Alger si longtemps renfermée dans une étroite enceinte, courait avec délices visiter ces lieux dont le nom avait si souvent retenti à ses oreilles, mais qui jusqu'alors lui étaient restés aussi inconnus que les Oasis du Sahara ; des marchands surpris par la nuit la passèrent souvent à l'abri d'un arbre ou d'un rocher, sans qu'un seul accident vint démentir une sécurité d'aussi fraîche date. Le gouverneur était effrayé d'une pareille confiance ; longtemps il craignit que quelque catastrophe n'amenât un terrible réveil ; les chefs des tribus le prévenaient eux-mêmes qu'avec une pareille manière d'agir ils ne répondaient plus de rien ; plusieurs ordres du jour furent publiés pour recommander la prudence ; cette crainte était naturelle, mais rien ne vint la justifier ; le commerce comprimé pendant la guerre, prit tout-à-coup un essor prodigieux : les indigènes, sortant d'une vie de privations et de fatigues inouïes, heureux de cette paix inusitée, affluaient dans nos marchés ; des maisons de commerce d'Alger écoulèrent pour 150.000 fr. de marchandises pendant une semaine.

En réunissant de si nombreuses forces sous les montagnes d'Alger, en y faisant surtout concourir les cavaliers de l'ouest, venus de si loin pour combattre sous nos étendards, le gouverneur avait en vue surtout un effet moral, et le succès dépassa ses espérances ; l'ébranlement une fois donné, les soumissions arrivèrent en foule ; un caïd des environs de Médéah en donna le premier le signal, en attaquant El-Barkang, le battant, et le forçant de fuir presque seul dans le Désert. L'ennemi ne tenait plus nulle part la campagne ; le gouverneur en profita pour diviser ses forces et opérer sur plusieurs points à la fois ; les auxiliaires de l'ouest et la division d'Arbouville retournèrent dans la province d'Oran, ou leur secours ne fut pas inutile au général Lamoricière, qui luttait toujours contre Abd-el-Kader ; le général Changarnier descendit le Chélif et obtint la soumission de toutes les populations de la vallée ; puis il s'enfonça au sud-ouest, à la poursuite de Sidy-Embarreck, forcé d'évacuer, et qui entraînait dans sa fuite son gouvernement, vers le Désert, une immense émigration, composée de gens de sa suite, de fractions de tribus insoumises, soutenues par quelques troupes régulières encore organisées ; le 1er juillet 1842, le général français retrouvait le Chélif, dans la partie haute de son cours, qui se dirige directement du sud au nord ; il était près de huit heures du matin ; les alliés Musulmans avaient mis pied à terre, et se reposaient aux bords d'un petit ruisseau ; les troupes françaises établissaient leur camp, quand le général poussa son cheval sur une hauteur d'où son œil pouvait embrasser d'un regard tout le cours du haut Chélif ; tout-à-coup, sur la rive opposée, d'immenses nuages de poussière lui signalent la fuite de la grande émigration. A son ordre les 250 chasseurs qui l'accompagnent sautent à cheval en selle nue, et s'élancent à la poursuite des fugitifs : ils traversent d'abord la rivière, galopent pendant deux lieues, et se trouvent face à face avec une ligne imposante de cavaliers arabes qui protégeaient la retraite de leurs familles et de leurs troupeaux ; le colonel Korte, qui commandait cette poignée de braves, juge rapidement que la retraite serait aussi dangereuse que l'attaque, et que les ennemis qu'il n'aurait pas directement en tête ne quitteraient pas leurs femmes et leurs enfants pour prendre part à un combat qui ne les concernait pas immédiatement ; en conséquence, il fait sur-le-champ sonner la charge et s'élance sans hésiter sur cette multitude ; là où il donna, la mêlée fut courte, mais très vive ; cinq chasseurs furent tués à raides aux premiers coups, et onze plus ou moins grièvement blessés ; mais enfin, il parvint à couper une partie de l'émigration, et dès lors, les Français n'eurent plus affaire qu'aux cavaliers, dont les possessions étaient compromises ; une quarantaine furent tués ; le reste prit la fuite, et à trois heures après-midi, 5.000 prisonniers, 1.500 chameaux, 500 chevaux, 40 ou 50.000 têtes de bétail étaient ramenés au camp des vainqueurs ; le général Changarnier ne savait que faire de tant de butin ; une partie fut laissée en garde aux tribus alliées, l'autre ramenée lentement à Miliana ; le combat de Zouilan, la plus forte de toutes les razzias depuis le commencement de la guerre, eut un immense retentissement dans le Désert ; des prisonniers arabes en instruisirent le général Lamoricière, qui poursuivait alors les fugitifs de la province d'Oran ; du rocher de Gougilah on lui montra la chaîne de hauteurs au pied desquelles son compagnon de gloire avait eu une pareille bonne fortune.

Le général Changarnier n'eut pas un coup de fusil à tirer à son retour ; partout les populations soumises paissaient tranquillement leurs troupeaux le long de la colonne en marche, et les propriétaires semblaient avoir un air de paix et de confiance assez extraordinaire après la lutte dont on sortait à peine. Des silos pleins d'un blé appartenant à l'administration de l'Émir, furent livrés aux tribus, qui s'empressèrent de les vider, preuve qu'elles ne craignaient pas de rompre entièrement avec leur ancien maître. Pendant que le général Changarnier bivouaquait sur le Dardar, il apprit que Sidy-Embarreck, après l’affaire de Zouilan s'était retiré encore plus au sud sur le Taguin, que contre son attente il avait trouvé desséché ; quatre-vingts Arabes étaient morts de soif sur ses rives. Il était impossible à Sidy-Embarreck de faire vivre ses troupes dans le désert ; il fut forcé de remonter au nord, où il se trouva en contact avec les tribus du Serzous, alliées des Français, qui tombèrent sur ses soldats exténués, les désarmèrent et les retinrent dans leurs campements jusqu'à ce qu'ils prissent le parti de rentrer chacun chez eux ; tout le corps des réguliers de Sidy-Embarreck se trouva ainsi dissous. Le califat ne conserva, disait-on, que 8 cavaliers autour de lui.

Le général de Bar était parti en même temps que le général Changarnier, mais se dirigeant au sud-est de Médéah, dans un pays entièrement nouveau pour nous ; il menait à sa suite plusieurs chefs des tribus soumises, qui servaient de guides et de négociateurs avec les populations que nous allions visiter ; cette course ressembla plutôt à une promenade militaire qu'à une guerre ; le général de Bar s'avança jusqu'à une distance de vingt lieues de Médéah, à travers un pays ouvert, fertile, très peuplé, dont les habitants, plutôt agricoles que guerriers, firent en foule leur soumission. Une seule tribu qui avait négligé d'exécuter un ordre du général, fut punie d'une amende de 500 bestiaux, et le jugement fut exécuté au moyen d'une petite razzia, terminée sans résistance aucune de la part des coupables comme un châtiment qu'ils croyaient avoir mérité. Ces soumissions entamaient le territoire de Ben-Salem, califat du Sébaou, le seul des lieutenants de l'Émir qui eût encore à ses ordres un corps de 800 réguliers organisés, avec lesquels il maintenait sur une partie de son gouvernement, une autorité que l'influence de nos succès détruisait tous les jours ; El Barkany s'était retiré chez lui, dans le pays des Beni-Menacer, en faisant dire au gouverneur qu'il ne voulait plus s'occuper de guerre ni de politique, et que tout ce qu'il demandait, c'était le calme et le repos.

A peine le général Changarnier était-il de re, tour, que le commandant de Miliana partit à son tour avec une petite colonne, à peu près du même côté, mais en inclinant un peu plus au sud ; il pénétra dans des montagnes inconnues aux Turcs et aux Français, où il fut étonné de trouver, cachée dans les replis de rochers, une petite ville du nom espagnol de Medina Sébasna, composée de maisons très solides et très bien bâties ; ce n'était pas la première fois qu'on reconnaissait l'esprit industrieux et intelligent de la race kabyle ; les habitants se soumirent après quelque hésitation.

Les indigènes semblaient alors accourir d'eux-mêmes sous la domination française ; le 15 août 1842, on vit arriver à Alger des députés d'une partie du Dara, ou du moins des gens qui prenaient ce titre. Ils demandaient au gouverneur de former une confédération particulière, sous les ordres d'un chef qu'ils lui désignaient et sous la protection de la France. Leurs conditions ne pouvaient être admises, parce que leur pays devait dépendre du kalifat Sidy-Arriby ; cependant le maréchal leur promit d'examiner plus à loisir leur requête ; cette affaire n'eut pas de suite, parce que de retour chez eux, les députés furent très mal reçus par les populations au nom desquelles ils avaient parlé, et les événements qui suivirent firent évanouir ces espérances de paix.

Au nord-est de Tegdempt, entre cette ville et Thaza, s'étend une région montagneuse, hachée par une foule de vallées se croisant dans tous les sens. Elles sont ravagées par des torrents qui naissent sur leurs pentes, et par des cours d'eau plus considérables descendant des hauts plateaux qui séparent le désert de la région cultivée du Tell. Ce pays, nommé par les indigènes l'Ouarenséris, est peuplé de Kabyles nombreux, indociles, fanatiques, sur lesquels Abd-el-Kader lui-même, à l'époque de sa plus grande puissance, n'avait jamais pu établir son autorité aussi complètement que dans la plaine, et c'était sur eux qu'il comptait alors pour nourrir la guerre, parce qu'il avait su leur inspirer l'espoir d'être guidés par lui au pillage des tribus de la plaine, maintenant rangées sous la domination des Français. Jamais nos troupes n'avaient entamé ce difficile territoire, dernière retraite de l'Émir, d'où il était toujours prêt à fondre sur nos alliées, et à les châtier avec une cruauté que les mœurs de son pays faisaient regarder comme toute naturelle. Il y avait été rejoint dans les derniers jours de juillet par Sidy-Embarreck ; et la renommée de ces deux guerriers eut bientôt ramené autour d'eux beaucoup de jeunes soldats errant dans toute la Régence, qui servirent de point d'appui aux secours que recevait l'£mir des populations qui lui obéissaient encore ; ils surprirent, dévastèrent quelques tribus soumises que le départ des Français laissait sans défense ; l'épouvante se mit parmi nos alliés ; les chefs nommés par le gouverneur, sentant qu'ils n'avaient point de grâce à attendre d’Abd-el-Kader, tremblaient au nom seul d'un homme qu'ils étaient accoutumés à respecter ; notre aga de la portion sud du califat de Miliana, Ameur-Ben-Ferrah, pensait déjà, si on ne lui portait pas un prompt secours, à se retirer sur les bords du Chélif et peut-être même dans la Mitidja. Dans de pareilles circonstances une nouvelle démonstration était bien nécessaire ; aussi dès que les jours les plus brûlants furent passés, le 10 septembre 1842, le général Changarnier reprenait la campagne, et s'enfonçait, en remontant le Fodda, jusques au milieu des montagnes, boulevard des populations hostiles ; il menait avec lui Ameur-Ben-Ferrah qui commandait la cavalerie des alliés et qui secondait vivement une expédition qui devait lui rendre toute son autorité ; la vallée de Fodda suivie par la colonne varie en largeur de 60 à 200 mètres, et présentait par conséquent une route facile, mais dominée des deux côtés par les montagnes. Tout-à-coup des hauteurs de droite part une vive fusillade ; ce n'était que le prélude d'un combat plus sérieux ; de tous côtés les Kabyles, avertis par le bruit de la mousqueterie, accourent au secours de leurs concitoyens ; bientôt les ennemis comptent plus de quatre mille combattants ; enhardis par leur nombre et l'avantage de leur position, ils attaquent vigoureusement l'arrière garde ; et osent même descendre plusieurs fois en force dans la vallée et sur les pentes accessibles ; mais chaque fois un retour offensif de l'armée française leur fait payer cher leur audace ; cette journée, une des plus meurtrières pour la faiblesse du corps qui y prit part, nous coûta 122 hommes tués ou mis hors de combat ; le lendemain l'ennemi revint à l'attaque, mais d'une manière plus molle. Enfin l'armée franchit entièrement ce dangereux défilé, dont la longueur n'était pas moindre que cinq lieues, et dès que le terrain s'ouvrit un peu, les auxiliaires arabes se lancèrent dans toutes les directions pour piller les ennemis ? le général reçut quelques soumissions incomplètes, et s'avança jusqu'au sud de la Grande-Chaîne sur l'Oued-Belada, brûlant et dévastant les populations qui se montraient hostiles ; les ennemis particuliers de notre aga Ben-Ferrah surtout, ne furent pas épargnés : mais la colonne avait tourné la partie la plus sauvage de l’Ouarenséris sans l'attaquer ; elle n'avait pas des forces suffisantes pour une pareille entreprise ; Abd-el-Kader y établit son quartier général, bravant de là les armes des Français, et prêt a reparaître dès qu'ils seraient partis ; il savait qu'il n'aurait pas longtemps à attendre : en effet, le général Changarnier, après avoir distribué une part de ses prises aux alliés, les avoir exhorté à rester fermes dans leur fidélité aux Français, était de retour à Miliana le 26 septembre 1842.

Pendant qu'une partie de l'armée poussait cette reconnaissance meurtrière, une autre accomplissait use tâche moins brillante, mais non moins utile ; elle perçait à travers la gorge étroite et difficile appelée la Coupure la Chiffa, la route qui mit en communication les deux villes de Blida et de Médéah ; elle fut livrée à la circulation dans la mi-septembre et le col de Mouzaïa dès lors définitivement abandonné ; le nouveau chemin raccourcissait tellement les distances, qu'un cavalier pouvait le parcourir tout entier dans l'espace de 6 heures ; il traversait un pays où la nature s'était plu à rassembler toutes les difficultés possibles ; une cascade y tombait d'un plateau sur lequel, disait-on, jamais homme n'avait mis le pied ; les montagnes voisines étaient couvertes de bois, peuplées de singes et d'animaux sauvages, étonnés de voir les hommes troubler une retraite qu'ils croyaient leur appartenir.

Dans les premiers jours d'octobre 1842, MM. Carbuccia et Mantout, l'un commandant au 33e de ligne, en garnison à Médéah, l'autre négociant à Alger, renouvelèrent le trait de courage de MM. Lamoricière et Vialard qui les premiers, sous le général Woirol, avaient ouvert aux Français le marché de Bouffarick. Au point où le Chélif qui coule d'abord droit au nord, rencontre une première chaîne de hauteur qui le force à s'incliner à l'ouest, les Arabes ont établi un marché considérable, se renouvelant les jeudis de chaque semaine, et qui réunit souvent jusqu'à 10.000 personnes ; le lieu où il se tient se nomme Arba-Djendel ; ce que Bouffarick est pour Alger, Arba-Djendel l'est pour Médéah ; bien qu'éloigné seulement de 10 lieues de cette dernière ville, aucun Européen n'avait encore osé s'y rendre isolément ; parmi les Arabes qui le fréquentaient, les uns étaient encore décidément hostiles, les autres n'avaient avec nous qu'une amitié de bien fraîche date. MM. Mantout et Carbuccia voulurent prouver par leur expérience que les Français n'y couraient aucun danger ; ils partent le 29 au soir de Médéah, le premier vêtu en Arabe, le second portant le costume et les insignes de son grade ; quatre Mozabites leur servaient d'escorte ; le soir ils demandèrent l'hospitalité au Scheick de la tribu de Djendel, et le lendemain de très bonne heure se mirent en route pour le marché, souvent rencontrés par des indigènes qui les examinaient avec attention, mais sans leur adresser un mot. A leur première apparition au lieu de réunion, ils furent accueillis par des clameurs peu bienveillantes ; sans y prêter la moindre attention, le négociant entame ses achats ; le commandant se promène tranquillement entre les tentes ; l'argent répandu par M. Mantout, la contenance ferme et simple de M. Carbuccia, leur concilient de nombreux partisans : à midi ils quittent sans accident le marché, chassant devant eux les nombreux troupeaux, achetés à un très faible prix ; le soir même ils arrivent à Médéah très fatigués mais très heureux d'avoir prouvé l'ascendant que le courage exerce toujours sur les populations les plus farouches.

L'orage qui avait successivement renversé les kalifats de l'Émir s'apprêtait à fondre sur le dernier de tous, le seul qui restât encore debout, Ben-Salem ; le maréchal Bugeaud voulut se charger en personne du soin de l'attaquer et d'installer chez lui une autorité indigène relevant de la France, qui put combattre son influence. Il partit, le 29 septembre 1842, de la Maison-Carrée, et, après trois jours de marche en pays ami, ses troupes arrivèrent au pont de Beni-Hini, sur l'Isser ; sur la rive opposée commençait le territoire hostile. Quelques Adouars voisins vinrent cependant faire leur soumission ; d'autres reçurent à coups de fusil la colonne française, remontant l'étroite vallée de l'Isser. Dans un retour offensif, le brave colonel Leblond, abordant les positions ennemies, reçut, à vingt-cinq pas, une décharge qui l'étendit raide mort ; l'ennemi n'en fut pas moins culbuté et dispersé dans toutes les directions, mais c'était un avantage chèrement acquis que celui qui nous coûtait un officier supérieur dont toute l'armée chérissait le courage et la loyauté.

L'armée quitta les bords de l'Isser pour remonter ceux du Soufflah, un de ses principaux affluents ; elle rencontra bientôt et détruisit un établissement de Ben-Salem, moitié habitation, moitié forteresse, où ce dernier avait entassé une foule de provisions. Le sui-lendemain, elle fit éprouver le même sort au château El-Arib, jadis construit par les Turcs, alors principale place d'armes de l'ennemi. Les populations environnantes n'opposaient aucune résistance, et voyaient peut-être même avec plaisir la destruction d'ouvrages bâtis pour les contenir ; il semble que par cela même nous aurions dû les conserver, d'autant plus qu'il n'y avait pas d'exemple que les Arabes eussent jamais osé défendre contre nous une seule muraille. Après avoir traversé Hamza, vieux fort une première fois visité par le maréchal Vallée lors de son expédition des Bibans, on arriva en face de beaux villages très bien bâtis appartenant à des Kabyles qui avaient pris une grande part aux combats livrés sur les bords de l'Isser. Le Gouverneur pouvait facilement les détruire, mais il se laissa toucher par les supplications des habitants et se contenta de leur imposer une amende de 6.000 boudjous et de 600 fusils. Pendant que cette rançon se traitait une tribu voisine vint au secours de celle qui venait de se soumettre. Nos nouveaux alliés marchèrent avec nous contre ces malencontreux protecteurs qui furent repoussés sans peine après avoir perdu une quinzaine d'hommes. La colonne revint ensuite sur ses pas ; en redescendant l'Isser on aperçut sur les pentes de la vallée, un rassemblement tumultueux, composé d'hommes en armes, et au milieu Ben-Salem, entouré de ses drapeaux, qui semblait les passer en revue et les exciter au combat. Le maréchal Bugeaud employa vainement toute espèce de moyens pour les attirer dans la plaine ; ils n'avaient garde de quitter la position avantageuse qu'ils occupaient et dans laquelle il fallut enfin les aller chercher. A peine l'artillerie eut-elle jeté quelques obus au milieu de cette multitude qu'elle se dispersa en poussant des hurlements épouvantables. Leur faible résistance rendit leur perte très légère ; elle ne fut que d'une vingtaine d'hommes ; le Gouverneur était de retour à Alger le 16 octobre 1842.

Il avait été rejoint durant sa campagne à l'est par un arabe nommé Mabiddin, d'abord nommé aga de Ben-Salem par Abd-el-Kader lui-même, mais qui, jugeant probablement que la fortune de son premier maître finirait par disparaître devant la notre, avait, bientôt après, fait sa soumission entre les mains du général Comman, alors commandant de Médéah. C'était un homme d'une intelligence et d'une portée d'esprit remarquables ; nul ne parut plus capable d'être opposé à Ben-Salem, et le Gouverneur le nomma Kalifat de Sébaou : c'est ainsi qu'on appelle la portion de la province d'Alger située à l'est de la capitale ; il fut reconnu en cette qualité par toutes les tribus soumises à la France, dans une assemblée où il sut vaincre les résistances qui s'opposaient à son élévation par un discours qui prouva que la race arabe peut encore briller par l'adresse et l'éloquence ; jamais, du reste, nous n'eûmes de plus fidèle allié, et le général eut bientôt en lui une telle confiance qu'il ne craignit pas de lui remettre, aux environs du Château-el-Arib, quatre-vingt-quatorze malades que les pluies et les fatigues de la route avaient donnés à l'armée française : il s'était chargé, sans hésiter, de les évacuer sur Alger, et s'acquitta exactement de sa commission au moyen de son frère, marabout très vénéré chez les Arabes, et de plus homme très capable. Toutes les ressources que pouvait offrir le pays : du lait, des fruits, de la viande fraîche, furent constamment prodiguées à nos soldats invalides. Quand les Kabyles eurent remis leur dépôt aux avant-postes français, on leur offrit de l’argent ; ils le refusèrent en faisant entendre que le kalifat et le marabout leur avaient défendu d'en accepter.

Mahiddin une fois établi dans son gouvernement, soutenu de l'influence française, sut bien vite recruter de nouveaux partisans et étendre son autorité aux dépens des ennemis ; Ben-Salem fut réduit à se réfugier dans les âpres rochers de Jurjura, où il réunissait encore quelques troupes régulières, et où il s'y renferma, du reste, dans l'inaction la plus complète. Les environs d'Alger furent donc entièrement débarrassés d'ennemis du côté de l'est ; cette sécurité complète donna un essor rapide du commerce et à l'agriculture. Le Gouvernement faisait de grands efforts pour attirer en Afrique de nouveaux colons. Le colonel Marengo, qui commandait les ateliers des condamnés militaires fut chargé de construire de nouveaux villages pour les y recevoir. Il obtint des résultats étonnants de ces malheureux expulsés naguères des rangs de l'armée pour leur inconduite, et parmi lesquels il avait su introduire l'ordre et l'amour du travail. Ils créèrent, dans cette année 1842, les villages de Drariah, de l'Achour, d'Aïn-Fouka, des Cheragas, de Kadour. Ainsi, les colons arrivant d'Europe trouvaient immédiatement à se loger, et recevaient dix à douze hectares de bonne terre, exempte d'impôts, pendant un temps très long ; pour surcroit de faveur, la marine accorda le passage gratis sur bateaux à vapeur, à tous les Européens qui viendraient se présenter à Toulon comme colons de l'Algérie. Avec de pareils avantages on ne conçoit pas comment tous les malheureux qui pullulent dans les terres encombrées de l'Europe ne vont pas chercher un refuge sur ce sol fertile, sous ce ciel enchanteur, où ils trouveraient ce qui attache l'homme aux pays les plus disgraciés de la nature, la propriété ; et quand on pense que tant d'avantages ne sont qu'à trois jours de navigation de l'Europe, qu'on peut y conserver presque tous les liens qui rattachent l'homme à sa famille et à son pays, on s'étonne de voir encore une première impulsion entraîner les populations suisses et allemandes au-delà de l'Atlantique, dans les vallées insalubres du Mississipi et de Missouri ; tant l'homme est conduit par l'habitude même dans les actions qui semblent devoir les rompre toutes.

Nous avons conduit les événements de la province de Constantine jusqu'au 21 février 1841, jour auquel le général Négrier en reprit le commandement ; les insurrections de 1840 et les combats qui en avaient été la suite avaient laissé quelques traces qui disparaissaient chaque jour. Bientôt la tranquillité la plus profonde régna dans toute la province où dominait l'influence, sinon l'autorité immédiate de la France. Les montagnards arabes de Bougie et de Gigelly conservaient seuls une indépendance absolue derrière leurs rochers et s'en servaient pour venir quelquefois essayer leurs forces contre les garnisons françaises, qui chaque fois leur faisait payer cher leur audace. Sauf ces deux points, la guerre était éteinte partout dans le courant de 1841 ; à la fin de cette année il s'éleva dans le Sahel de Constantine un prédicateur nommé Zi-Zerzoud, dont les déclamations y causèrent quelque agitation ; la fermentation alla toujours croissant dans les premiers mois de l'année suivante. Enfin, quatre mille fanatiques, conduits par le nouveau prophète, débouchent tout-à-coup de leurs montagnes et vinrent, le 12 mai 1842, assaillir le camp de l'Arrouch défendu seulement par 400 français ; le courage triompha encore une fois du nombre et de la fureur. Les Kabyles se firent inutilement massacrer dans les fossés du camp qu'ils remplirent de leurs cadavres. L'orage se dissipa du reste plus vite qu'il ne s'était amassé ; quelques jours après il n'était plus question de ce soulèvement qui menaçait de tout envahir ; son principal auteur, Zi-Zerzoud disparut de la scène et on le crut mort dans la mêlée ; on le vit reparaître plus tard aux environs de Bougie pour le malheur des populations qui prêtèrent l'oreille à ses conseils.

Le reste de la province ne s'était nullement ressenti de l'échauffourée du camp de l'Arrouch ; les récoltes étaient abondantes, grâces aux nombreuses terres que la tranquillité avait permis d'ensemencer ; les villes, sous l'administration réparatrice des Français, sortaient des ruines où l'incurie des Turcs les avaient laissées s'ensevelir ; les soldats consacraient à ces utiles travaux leurs bras que la guerre n'occupait plus. Philippeville, où la France avait repris l'ouvrage de Rome, marchait surtout vers une prospérité rapide ; au bout de deux ans d'existence, cette ville comptait déjà 6.000 habitants, et les importations y montèrent en 1842 à 15.000.000 de francs, rendant par les douanes un million de revenu à l'État. La route qui devait la réunir à Bone se perçait rapidement, et traversait le pays, peut-être le plus beau et le plus fertile de toute la régence. A l'autre extrémité de la province, la petite ville de Msylah avait reconnu d'elle-même l'autorité de la France. Livrés à leurs propres forces, les habitants avaient repoussé, dans le commencement de février 1842, un lieutenant de l’Émir qui voulait s'introduire dans leurs murs ; malheureusement leur caïd avait été tué à leur tête. Au premier bruit du danger que couraient nos alliés, le général Sillégue qui commandait à Sétif, se porta à leur secours ; sa seule approche fit fuir l'ennemi et il fut reçu dans la ville en libérateur : il y institua une garde urbaine, y nomma un nouveau Caïd et lui fit présent de trois mille cartouches et de quelques fusils ; il négocia ensuite un traité avec les belliqueuses tribus des environs qui lui promirent de ne pas s'écarter de Msylah pour être toujours prêtes à concourir à sa défense. Les Français n'étaient pas seulement puissants, ils se montraient aussi justes et conciliateurs. Celui qui a reçu l'éducation que donne une société civilisée, a de la peine à concevoir les étranges notions que se forment certains peuples, sur la justice et les principes qui doivent régler les rapports des hommes entr'eux ; le dernier sous-lieutenant de l'armée eût probablement fait un meilleur administrateur que le plus habile et le plus juste des indigènes ; aussi nos officiers prenaient tous les jours une influence plus décidée sur les populations qui les entouraient ; on en vit un exemple bien frappant à cette époque. Une tribu était en discussion avec son Scheick ; elle s'adressa au général Négrier, qui envoya le capitaine Montauban sur les lieux pour leur servir d'arbitre ; ce dernier parvint à concilier tous les différends, sans avoir besoin de faire usage de la force armée qu'il avait amenée avec lui pour parer à tout événement.

A la fin de mai 1842, le général Négrier partit pour aller visiter la ville de Tébessa, située à plus de soixante lieues au sud-est de Constantine, dont les habitants lui avaient plusieurs fois envoyé des députés. Dans l'anarchie où la destruction des Turcs laissait le pays, tout ce qui avait intérêt à l'ordre s'adressait à nous, comme au seul pouvoir capable de le maintenir : chemin faisant le général Négrier recueillit les contributions des tribus soumises, et arriva le 31 mai sous les murs de Tébessa sans avoir tiré un coup de fusil. Les Ulémas, les notables, ayant à leur tête leur caïd et leur cadi, c'est-à-dire, leur chef militaire et leur chef civil, se portèrent à la rencontre de la colonne, jusqu'à deux lieues de leurs portes ; un vieux marabout, chef de la Zaouia ou école de théologie musulmane, demanda au général la permission de le bénir suivant les rites de son culte, ce à quoi le général se prêta de fort bonne grâce. Le marabout accomplit la cérémonie avec une grave dignité, puis il adressa à Dieu une prière pour le Roi des Français, ajoutant, que chaque jour on en ferait une pareille dans toutes les mosquées de la ville.

Ces préliminaires terminés, le général s'occupa des intérêts plus temporels de l'organisation de la cité. Il confirma toutes les autorités dans leurs fonctions, leur en donna l'investiture au nom de la France, et prescrivit la formation d'une garde urbaine, pour veiller à la sûreté et à la défense de la ville ; elle réclamait avec instance un drapeau français, qu'on promit de leur envoyer de Constantine. Les chefs des Yaya-ben-Taleb, des Némenchaz, deux grandes tribus des environs, se rendirent à Tébessa pour voir de près ces étrangers, dont la renommée avait pénétré au fond de leurs déserts. Deux petites villes, Youckons et Beccaria, qui reconnaissaient Tébessa comme leur capitale, députèrent quelques-uns de leurs habitants, pour offrir aux Français du miel, l'aliment le plus doux, des gazelles vivantes, l'animal le plus pacifique de leurs contrées ; symboles touchants de leurs dispositions bienveillantes à leur égard. Ils soumirent au général le jugement de quelques contestations qui agitaient le voisinage, et qu'il parvint à concilier à la satisfaction générale.

Tébessa, bâtie à trente-cinq degrés et demi de latitude Nord, et à cinq degrés et demi de longitude Est, mais élevée à une hauteur considérable au-dessus du niveau de la mer, jouit d'une température constamment modérée. Elle occupe le centre d'un demi-cercle de montagnes, s'ouvrant au Nord-Ouest, et formé par la chaîne des Roumans, qui l'abritent des vents brûlants du Sahara. L'enceinte de la ville est entourée de jardins et de campagnes délicieuses, dont malheureusement la culture diminuait tous les jours depuis la retraite de la garnison turque, qui arrêtait les brigandages des montagnards. La Chabra, petite rivière formée par la réunion de toutes les sources qui surgissent du pied des montagnes, roule en serpentant autour de la ville ses eaux fraîches et limpides, gage assuré d'une merveilleuse fécondité. Au milieu de ce pays enchanteur, rien n'est plus triste que la misère des habitants, rendue plus frappante par les magnifiques monuments, encore debout, dont les Romains avaient couvert ce sol, occupé de leur temps par l'ancienne Thevesta. On y distingue une forteresse, formant un carré à peu près parfait, dont les côtés mesurent plus de deux cent cinquante mètres ; ils sont flanqués par quatre tours carrées, construites aux angles du bâtiment principal, et dans la longueur des côtés on en compte dix autres pareilles inégalement espacées. Les murs, en belles pierres de taille, dentelés par le temps, s'élèvent en certaines parties jusqu'à dix mètres de hauteur ; des temples presque entiers, des arcs de triomphe défigurés et masqués par d'ignobles constructions mauresques, mais vivant au milieu des ruines modernes, des inscriptions qui jonchent partout le sol, tout y transporte l'antiquaire aux siècles des Consuls et des Césars. Un vaste cirque, un aqueduc de sept cents mètres de long, assez bien conservé pour amener encore aujourd'hui les sources des montagnes au centre de la ville, attestent l'importance de la population qui y florissait jadis ; aujourd'hui Tébessa ne contient plus que douze ou quinze cents habitants, couverts de haillons, et cependant ceux qui s'élèvent au-dessus ; des dégradantes atteintes de la misère, conservent dans leur attitude et leur physionomie, cette noblesse, cette dignité calme et imposante, signe caractéristique des races orientales. Tébessa tire ordinairement de Tunis des tissus pour tapis et vêtements, et donne en échange les grains et les fruits de son fertile territoire.

La colonne française se reposa deux jours dans cette intéressante cité : son retour sur Constantine fut moins pacifique que l'arrivée ; la grande tribu des Hannéchas, naguère notre alliée contre Ackmet-Bey, ne voulait plus reconnaître notre autorité maintenant que nous étions maitres de la capitale, probablement parce que, avant tout, elle voulait conserver son indépendance. Elle servait de point de réunion à plusieurs populations encore dissidentes. Ces ennemis attaquèrent le général Négrier dans sa retraite le 7 juin. Ils furent repoussés sans peine, et la colonne se dirigea ensuite sur l'Oued-Méharés, à quinze lieues de Guelma ; elle y fit séjour pour surveiller la levée des impôts chez les Haractas, dont quelques fractions s'étaient joints aux Arabes hostiles et ne rentra à Constantine que lorsque tous les mouvements eurent cessé et que l'ordre eût été rétabli partout. De son côté le commandant de Sétif avait tenu la campagne pendant presque tout le mois de mai ; rentré dans ses quartiers en juin, il confia la conduite des hostilités au Kalifat Mokrany, auquel il donna une colonne mobile. Ben-Omar, l'ancien lieutenant d'Abd-el-Kader, avant que celui-ci eut désigné son frère pour le remplacer dans la Medjana, renouvelait alors ses tentatives ; El-Mokrany poussa son compétiteur dans le sud-ouest, Ben-Omar ne put nulle part organiser une résistance un peu sérieuse ; toutes les populations de ces contrées couraient au-devant de la domination française, auprès de laquelle se trouvaient la force et le bien-être ; les Scheicks des Portes de Fer, depuis longtemps nos alliés, se confirmaient de plus en plus dans leur amitié pour nous, et cette fameuse communication pouvait passer pour entièrement ouverte ; on ne s'en servit pas cependant, Id soumission des parties sud des provinces de Constantine et de Tittery permettant aux forces françaises de se donner la main au-delà de ce passage toujours difficile.

Quelques chefs kabyles des bords de la mer firent à cette même époque des ouvertures, désavouées bientôt par la masse de la population : la grande Kabylie resta donc en dehors de la domination française, enclavée dans nos possessions, mais n'en faisant pas partie. Ces sauvages contrées étaient le rendez-vous de tous les fanatiques de la province. Zi-Zerzoud vint y réchauffer le fanatisme musulman et ses prédications soulevèrent les montagnards qui essayèrent plusieurs fois d'enlever les villes que nous occupions aux bords de la mer : Gigelly surtout fut attaqué le 7 mai et le 25 août 1842, et les assaillants éprouvèrent des pertes qui auraient dû les dégoûter de ces vaines tentatives.

Ainsi le succès couronnait partout les armes françaises. Néanmoins, indépendamment de la grande Kabylie qu'on ne pensait pas encore à soumettre, deux vastes cantons, le Dara et l'Ouarenséris, conservaient encore une attitude hostile vers l'automne 1842. Celte dernière contrée avait été sillonnée par le général Changarnier en septembre, par le commandant de Miliana, en octobre, et enfin par le général Lamoricière qui, le 7 du même mois ; y avait livré le glorieux combat de Loha. Aucune soumission sérieuse n'avait été la suite de ces expéditions. Malgré l'époque avancée de l'année, à la fin de novembre, le maréchal comptant sur les beaux jours que l'apparence du ciel promettait encore, résolut d'envahir ce repaire pour en chasser l'Émir et son lieutenant Barkany qui paraissaient vouloir s'y cantonner pour l'hiver ; ce dernier avait déjà oublié la promesse qu'il avait faite de ne plus se mêler de politique.

Le gouverneur fit part de ses projets au commandant de la province d'Oran, en l'engageant à se porter en même temps chez les Flitas, qui, n'ayant jamais été entièrement soumis, se rattachaient par les montagnes boisées et difficiles, au pâté encore moins exploré de l'Ouarenséris. Bien que Miliana fût une base un peu éloignée du théâtre futur des opérations comme c'était la seule dont il pût alors disposer, il y avait entassé toutes les provisions nécessaires pendant 40 jours aux troupes expéditionnaires ; plus tard, pour avoir un petit, magasin de vivres plus rapproché, le gouverneur choisit une butte sur les bords du Fodda, dont il fit une redoute avec des caisses à biscuit ; un détachement l'occupait en permanence, pendant qu'un autre, conduisant une caravane de mulets, seul moyen de transport praticable dans un pays sans routes, allait et venait de Miliana à la redoute pour approvisionner cette dernière ; de cette manière, l'armée agissante eut constamment des vivres en abondance.

Le 25 novembre 1842, le gouverneur partit de Miliana avec toutes les forces que la tranquillité du pays laissé en arrière, rendait disponibles ; il s'était adjoint un détachement de la division de Médéah, commandé par le duc d'Aumale ; toutes ces troupes furent divisées en trois colonnes dites de droite, du centre et de gauche. Elles devaient chacune opérer isolément et se réunir ensuite sur un affluent de l'Isly[1], nommé la Kreschab, six lieues à l'est du grand pic Cheurfa, dont la cime domine toute la région.

Le maréchal Bugeaud ayant à ses ordres le jeune prince, commandait en personne la colonne de droite. Il remonta la vallée du Fodda, passa ensuite dans celle du Tigaout, sans rencontrer de résistance sérieuse, et son aile droite commandé pas Youssouf, poussa des razzias jusque sur les bords de l'Isly pour châtier des populations qui, après une première soumission, s'étaient de nouveau rangées sous les drapeaux de l’Émir ; on ramassa de nombreux troupeaux et plusieurs centaines de prisonniers, que le gouverneur fit relâcher pour leur prouver que nous ne voulions rien moins que l’extermination des Indigènes, comme l’Émir le leur avait fait croire. La colonne s'engagea ensuite de plus en plus dans les montagnes, et repoussa les molles attaques de quelques Kabyles qui vinrent tirailler avec l'arrière-garde ; mais retardée par toutes ces opérations, elle n'arriva que le 2 décembre sur la Kreschab, où tout le reste de l'armée était déjà réuni. La colonne du centre commandée par le général Changarnier, avait remonté la Rouina, puis obliqué à l'ouest, en recevant la soumission des populations dont elle traversait le territoire et qui pourtant étaient en grande partie celles qui l'avaient si rudement accueilli lors de son expédition précédente, La deuxième colonne rencontrant que peu d'obstacles, ayant une route moins longue que les autres, arriva la première au rendez-vous.

La troisième colonne sous les ordres du colonel Korte, avait une tâche plus rude à remplir. En quittant Miliana, elle marcha d'abord droit au sud, traversa successivement le Chélif, et l'Ouarenséris dont elle balaya les pentes sud par une marche parallèle à celle du général Changarnier. Le pays était entièrement nouveau pour les Français qui eurent à y livrer plusieurs combats : quelques soumissions incomplètes en furent le fruit ; la guerre fut surtout profitable pour nos alliés de l'Agaliçk du sud de Médéah, qui, marchant avec le colonel Korte se chargèrent de butin aux dépens des ennemis.

Le temps continuant à s'annoncer beau pour au moins quelques jours, le gouverneur se décida à battre la suite des montagnes à l'ouest et les trois colonnes se séparèrent de nouveau chacune dans une direction analogue à celle qu'elle avait déjà suivie : elles devaient se réunir au Kamis des Beni-Ourack[2], sur le Rihou ; le gouverneur redescendit au dépôt des vivres sur le Fodda, et obtint la soumission des Beni-Rached, sur la rive droite du Chélif ; il traversa ensuite l'Isly et remonta le Rihou, guidé sur les traces d'une grande émigration par l'immense colonne de poussière qu'elle soulevait sur son passage ; bientôt on entendit une vive fusillade qui ne pouvait provenir que du général Changarnier, et l'on manœuvra de manière à prendre l'ennemi entre deux feux ; sans avoir pu le joindre, le général Bugeaud arriva au rendez-vous le 9 décembre à trois heures après-midi ; il y trouva le général Changarnier dont la course avait offert des épisodes plus intéressants ; après quelques soumissions obtenues sans peine, il avait appris par ses espions qu'Abd-el-Kader, de retour d'une razzia contre nos alliés au sud de Médéah avait rejoint Barkany au confluent de l’Ardjeu et du Temelat, et qu'il s'y tenait en observation avec douze cents hommes. Animé par l'espoir de joindre enfin cet insaisissable ennemi, le général Changarnier avec sa cavalerie se porta vers la colonne de gauche en prit tous les cavaliers et quelques fantassins et réunit ainsi une force assez imposante et très mobile avec laquelle il marcha droit à l'Émir ; celui-ci redoutant un combat inégal, ne garda avec lui que sa cavalerie et s'enfuit dans le Désert ; Barkany resté avec l'infanterie arabe, se glissa dans des montagnes inaccessibles aux chevaux français et se déroba aussi à nos coups ; trompé dans son attente, le général Changarnier surprit et ravagea les Adouards des Beni-Tigrin qui, malheureusement pour eux, se trouvaient à sa portée, et délivra quelques habitants de Médéah, retenus prisonniers par les Kabyles ; puis n'espérant plus rien de cette pointe, il rejoignit sa colonne qui arriva le 8 au lieu du rendez-vous. Un fourrage qu'elle exécuta le lendemain sur les pentes des monts des Béni-Ourack, fut l'occasion d'un combat où l'ennemi perdit une trentaine d'hommes.

La colonne de gauche avait eu à traverser un territoire dont les habitants fanatisés par le séjour qu'Abd-el-Kader venait de faire parmi eux, avaient montré une hostilité acharnée. Le colonel Korte n'en continua pas moins sa marche, combattant sans cesse et brûlant plusieurs adouars, et les petites villes kabyles de Karnachil et d'Hardigaïl : le 10 décembre au matin, au moment où le colonel venait de recevoir quelques ouvertures pacifiques, son arrière-garde fut attaquée par des bandes se ruant sur elle avec une telle animosité qu'il fallut les repousser à la baïonnette ; un mulet qui portait un obusier de montagne, fut tué d'un coup de feu. La pièce roula dans les précipices ; les Kabyles se précipitèrent en force pour s'en emparer ; les difficultés du chemin avaient forcé d'allonger tellement la colonne, que le gros des troupes n'entendait rien de ce qui se passait à l'arrière-garde ; le capitaine d'artillerie Persac et ses braves canonniers firent des prodiges de valeur pour sauver leur obusier. Un bataillon des voltigeurs d'Afrique, qui se trouvait à portée, les secondait de son mieux, quand le capitaine d'état-major Spitzer, apercevant enfin le danger que courait l'arrière-garde, s'élance à son secours avec toutes les forces qu'il trouve sous sa main, et parvient enfin à la dégager ; l'obusier fut sauvé, mais plusieurs canonniers étaient morts et leur capitaine avait reçu trois blessures dont il expira quelques jours après : tous ces combats avaient ralenti la colonne de gauche qui n'arriva au rendez-vous qu'après un jour de retard.

Il fallait à tout prix écraser ce foyer de résistance ; le gouverneur envoya un détachement chercher le convoi de vivres qu'il avait laissé dans la vallée du Chélif, puis fondit les trois colonnes en deux pour cerner par les deux versants les hautes montagnes des Béni-Ourack, et le pic Cheurfa ou Korchef sur les flancs duquel s'étaient groupées toutes les populations ; la première colonne sous les ordres du gouverneur en personne, remonta le Rihou jusqu'au Daoussa et revint par un crochet aborder le Cheurfa par l'ouest et le sud ; la seconde, commandée par le général Changarnier, appuya à gauche en quittant le Kamis des Béni-Ourack, suivit la vallée du Teleta affluent du Rihou et attaqua l'ennemi par le nord. Des rochers impraticables couvraient tous les points que les Français n'occupaient pas. Le gouverneur commençait à s'élever sur la base des montagnes quand il rencontra la queue des populations fugitives : au même moment, on lui annonce que leur chef s'est présenté à l'avant-garde, et demande à lui parler ; le maréchal voit s'avancer un homme auquel son titre de vaincu n'a rien ôté de son calme et de sa fermeté : c'est Mohammet-Bel-Hadj, caïd des Béni-Ourack. Le Kabyle implore la pitié du gouverneur pour cette multitude de familles que le sort de la guerre avait mises entre ses mains : « enfin, dit-il, en concluant son discours, j'ai été votre ennemi le plus acharné, et vous m'avez vaincu ; je me soumets, et si vous êtes humains pour les populations que je commande, je serai aussi fidèle à la parole que je vous donne, que je l'ai été envers Abd-el-Kader ; sachez que jamais Béni-Ourack n'a manqué à sa promesse ; tous les Arabes savent ce qu'il en est ; je dirai à Abd-el-Kader que je lui ai sacrifié six fils, morts dans les combats, que la tribu a perdu tout ce qu'elle possédait, qu'elle ne peut maintenant plus rien pour lui, puisqu'il ne peut plus lui-même nous protéger » ; le gouverneur lui répondit qu'il n'aurait pas à se repentir d'avoir eu confiance dans la générosité des Français, qu'ils voyaient bien eux-mêmes qu'on pouvait compter sur un homme comme lui, et que, dès le lendemain, les troupes allaient se retirer sur le Rihou ; Mohammed-Bel-Hadj, demanda alors la permission d'aller rassurer sa tribu plongée dans les plus poignantes inquiétudes, et offrit en otage un des fils qui lui restait. « Ta parole me suffit, reprit le Gouverneur. D'ailleurs notre force, notre courage valent mieux que tous les otages pour reconquérir les positions que nous allons abandonner, dans le cas où il faudrait en revenir aux armes. Je t'attends demain sur Rihou pour régler les conditions de notre alliance : » ordre fut sur-le-champ donné au général Changarnier d'arrêter aussi sa colonne. Le fils de Mohammet en fut le porteur et guida le général vers le Gouverneur par une route courte et facile. Le maréchal avait bien jugé à qui il avait à faire. Mohammet fut exact au rendez-vous avec les chevaux de soumission. Ce même jour arrivèrent au camp français les chefs et la cavalerie des Sbéas, grande tribu à cheval sur le Chélif et dont l'hostilité avait jusqu'alors intercepté les communications entre Miliana et Mostaganem. Pendant la journée que le Gouverneur passa sur Rihou bien d'autres peuplades vinrent jurer dans- ses mains fidélité à la France et guerre à l'Émir s'il tentait de rentrer sur leur territoire.

Ce même jour le maréchal reçut des dépêches annonçant le résultat des mouvements des généraux Lamoricière et Gentil ; ce dernier, successeur de M. d'Arbouville dans le commandement de Mostaganem, avait cerné par le nord la tribu des Flitas, dont seulement quelques faibles parties s'étaient antérieurement soumises ; la division de Mascara leur fermait au sud l'entrée du désert ; les Flitas ne pouvant plus s'enfuir dans leur refuge ordinaire, les montagnes des Beni-Ourack, occupées par le gouverneur, essayèrent quelques subterfuges pour tromper la surveillance des Français. Enfin leurs principaux chefs vinrent se remettre entre les mains du général Lamoricière, et n'eurent pas plus à se repentir de leur confiance que les chefs des Beni-Ourack de la sienne à l'égard du maréchal. Une partie néanmoins de leurs populations, glissant entre les colonnes françaises, fut rejoindre l’Émir sur le plateau du Serzous, où le général Lamoricière ne jugea pas à propos de les poursuivre dans une saison pareille : ces émigrés rentrés plus tard dans leur pays, y livrèrent le combat dans lequel fut tué le général Mustapha, un des plus anciens et des plus braves de nos alliés indigènes. L'Ouarenséris pacifié, le gouverneur résolut d'attaquer encore avant les plus grands froids, cette bande de terre, comprise entre le Chélif et la mer, appelée le Dara, qui ne forme pour ainsi dire qu'une seule arête de montagne. Il comptait commencer par l'occupation du Ténez, son port principal, et faisait depuis longtemps préparer à Mostaganem, tous les objets nécessaires aux troupes qui devaient commencer cet établissement : après avoir renvoyé le Duc d'Aumale et sa division à Médéah, il conduisit le reste de l'armée se ravitailler à un magasin de vivres, près d'un pont qu'on bâtissait alors sur la Mina, et poussa de sa personne jusqu'à Mostaganem. Le général Changarnier, pendant l'absence du maréchal resté à la tête de l'armée active, passa la Chélif, et marcha sur Ténez par un chemin que les Français foulaient pour la première fois ; on s'attendait à une vigoureuse résistance de la part des Kabyles : il n'en fut rien : nos succès dans le sud les avaient frappés de terreur. Arrivé à Ténez sans brûler une amorce, le général Changarnier n'y trouva que de misérables masures incapables d'abriter les hommes et point de ressources pour nourrir les chevaux. Jugeant qu'il était impossible d'hiverner dans un lieu pareil, il revint à Cherchell par la route en corniche qui longe les bords de la mer ; il ne fut point inquiété dans ce retour à l'est ; les Kabyles venaient se mêler aux soldats pour leur apporter des vivres ; la suite fit bientôt voir quelle confiance on devait avoir dans ces démonstrations amicales.

Il était temps que nos troupes prissent quelque repos ; mais elles avaient à faire à un ennemi, qui, n'en ayant pas besoin pour lui-même, n'en voulait point accorder aux autres. Les populations soumises renfermaient une foule d'hommes inquiets, fanatiques qui, ayant une égale horreur pour la paix et pour le nom des chrétiens, fuyaient une domination odieuse et accouraient en foule sous les drapeaux d'Abd-el-Kader, et celui-ci voyait d'autant plus augmenter son armée, qu'il perdait davantage de territoire. A peine les colonnes françaises ont-elles évacué l'Ouarenséris qu'il y reparaît du fond du Sahara, à la tête de troupes nombreuses et dévouées ; en vain le fidèle Mohammet-Bel-Hadj le conjure de quitter un pays où il ne peut plus porter que la ruine et la désolation « Dieu, ajoute-t-il, est avec les Français : nous nous exposerions à de grands malheurs en essayant de lutter contre eux ; si vous voulez nous y contraindre, nous saurons repousser la force par la force. Mais Mohammet menaçait l'Émir d'un pouvoir qui déjà ne lui appartenait plus. Débordé par l'insurrection, trahi, il tombe entre les mains de ce dernier, qui l'envoie à sa Smala, dans le désert. L'incendie allumé sous les pas d'Abd-el-Kader descend des crêtes de l'Ouarenséris et embrase la vallée du Chélif. Le champion de l'Islamisme, à la tête d'une multitude armée qui le suit, moitié de gré moitié de force, passe la rivière et entre dans le Dara, à peine entamé par nos armes, habité par une race belliqueuse, dévouée à sa cause, et qui se croyait inattaquable derrière ses affreuses montagnes. En vain la grande tribu des Alafs veut rester fidèle au serment qu'elle vient de nous prêter ; accablée par le nombre, elle essuie une sanglante défaite, et voit périr ses plus braves cavaliers. Les Caïds des Braz et des Ben-Ferrah essaient à leur tour d'opposer une digue au torrent. Leurs propres sujets les livrent à l'Émir, qui leur fait couper les pieds et les mains ainsi qu'à leurs enfants ; il voulait opposer la terreur de ses supplices à celle de nos armes, et ses derniers revers lui avaient inspiré une cruauté qui ne semblait pas lui être naturelle. Profitant de l'influence séculaire que la famille des Barkany possédait aux environs de Cherchell, il les y jette avec quelques troupes, et cette petite force devient le noyau d'un rassemblement immense. Le commandant de Cherchell l'attaque avec 700 hommes, le dissipe et rejette les Barkany dans les grandes montagnes de l'ouest. Rejointe par le général de Bar, qui lui amène un renfort de trois bataillons et en prend le commandement, la division de Cherchell marche contre Abd-el-Kader lui-même, qui s'avançait au secours des Barkany, le bat deux fois, le chasse de la vallée de Misselmoun où il s'était établi, et le refoule dans les âpres montagnes des Gourayas. Mais le général de Bar, s'enfonçant à l'ouest, sentait l'insurrection gronder sur ses derrières, dans la grande tribu des Béni-Menacer, qui n'avait jamais été que très partiellement soumise, et fermenter jusque dans le cercle de montagnes qui entourent la Métidja ; il s'en rapprocha pour servir de point d'appui aux populations qui voudraient rester fidèles ; limité par sa présence le soulèvement ne dépassa pas les Beni- Ménacer. Le général français fut rejoint dans son camp par Sidy-Aly-Embarreck, cousin du Kalifat de l'Émir, et par Ben-Tiphour Caïd, de ces terribles Hadjoutes, si longtemps la terreur de la plaine, et qui cette fois s'armèrent pour la défendre. Les Chénouans amenèrent aussi leur contingent. Ces forces maintinrent la domination française dans les environs d'Alger où la sécurité ne cessa pas d'être complète.

Justement inquiet des nouvelles qui lui arrivaient coup sur coup dans la capitale, le Gouverneur se rendit, le 26 janvier, à Cherchel, amenant avec lui toutes les troupes dont il pouvait disposer. Il s'aperçut bien vite que le mal était bien moindre qu'on ne le lui avait fait. L'insurrection était déjà dans sa période décroissante, et plusieurs personnages importants des tribus les plus acharnées s'étaient rendus à Cherchel, afin d'implorer sa pitié pour de malheureuses populations égarées par de perfides intrigues. Se réservant de faire grâce lorsque toute résistance aurait été vaincue, le général Bugeaud s'avança vers l'ouest, où un châtiment sévère, exercé sur deux tribus, répandit la terreur dans tout le pays. Deux petites villes kabyles, Aghbel et Tazerout, envoyèrent des députés pour détourner la foudre qui s'apprêtait à fondre sur elles ; on allait attaquer le cœur de l'insurrection quand un temps épouvantable força l'expédition française à descendre des régions élevées où elle opérait. Abd-el-Kader et son Kalifat profitèrent de ce répit pour reprendre la campagne et menacer les populations soumises. Les habitants d'Aghbel s'armèrent, repoussèrent l'Émir et demandèrent du secours aux Français. Dès que le temps devint supportable, le général de Bar reprit les projets du Gouverneur dans le Dara. L'ennemi avait déjà entièrement vidé le territoire d'Aghbel ; de sorte que le général n'eut qu'à féliciter cette bourgade de son courage. Il entra ensuite dans Tazerout dont les habitants complétèrent avec empressement la soumission qu'ils avaient commencée, le fournirent de vivres, et promirent d'obéir au Caïd qu'on leur imposa. Après d'autres succès, le général de Bar tourna au nord et fondit sur les Beni-Zioui, d'où était parti le signal de l'insurrection. Leur principal village Ghilanzero fut occupé sans coup férir ; les habitants s'étaient réfugiés dans les profonds ravins du versant nord des montagnes. Le lendemain ils vinrent faire leur soumission. Le général De Bar rentra à Cherchell, le 25 février, après de nombreux succès achetés par de très faibles pertes. En poursuivant l'insurrection dans les montagnes de l'ouest il avait laissé les colonels Picouleau et Bisson parlementant avec les Beni-Ménacer qui ne voulaient pas se soumettre ; il fallut recourir à la force ; le 14 et le 16 février furent marqués par des combats sanglants pour l'ennemi et qui nous coûtèrent une douzaine d'hommes. Le gouverneur avait proscrit la famille des Barkany et réuni leurs biens au domaine de l'État pour les punir d'avoir faussé la promesse faite par leur chef de ne plus se mêler de politique. Cette famille, nombreuse et puissante, combattait avec l'énergie du désespoir pour une cause qui lui était devenue personnelle, et entretenait les Beni-Ménacer dans leur résistance ; il fallut y revenir à plusieurs fois, et les traquer dans leurs rochers comme de véritables bêtes fauves. A la fin leur énergie s'épuisa ; les cinq grandes fractions qui composaient la tribu se débarrassèrent de l'influence qui pesait sur eux depuis tant d'années, et firent chacune leur soumission. Mais les Barkany ne pouvaient se résoudre à quitter pour la dernière fois le berceau de leur race ; ils se réfugièrent dans des replis de montagnes recélant des populations dont nous ne soupçonnions pas même l'existence. Averti que les proscrits foulaient encore le territoire de Cherchell, le gouverneur donna la commission au colonel Saint-Arnaud de les poursuivre à toute outrance. Celui-ci, avec une petite colonne, remontait l'étroite vallée de l'Harrar, dans les premiers jours de mars, quand tout à coup il éprouva une résistance à laquelle il était loin de s'attendre ; il la surmonta, mais avec une perte assez notable pour le petit nombre d'hommes qu'il avait avec lui. Un des membres de la famille des Barkany fut pris, les autres s'échappèrent de nouveau et parvinrent, en suivant les crêtes les plus difficiles, à se réfugier au centre du cercle de résistance qui se maintenait encore dans la partie ouest du Dara.

L'Émir semblait avoir adopté pour maxime, de soulever constamment contre la domination française des populations qu'il savait bien que nous écraserions sans peine, mais qu'il espérait devoir user notre énergie et notre patience à force de combats : peut-être même voyait-il, avec un secret plaisir, détruire la puissance de plusieurs grandes tribus, qui souvent avaient voulu secouer le joug qu'il leur avait imposé ; pour lui, il n'avait garde d'engager sérieusement ses troupes régulières, qu'il conservait sans doute pour la fin de la lutte, comme un corps de réserve capable de lui assurer une prépondérance définitive ; ainsi ne parut-il presque point dans les combats provoqués par son apparition dans le Dara ; en vain sur la nouvelle qu'il était campé sur les bords du Bedda avec huit cents cavaliers et quelques Kabyles, le général Changarnier, chargé d'attaquer par le sud le pays insurgé, descendit-il le Chélif, pour lui couper la retraite : la colonne française fut contrariée par le mauvais temps ; Abd-el-Kader eut vent de son approche, et s'enfonça dans les montagnes du nord-ouest ; puis quand il jugea l'incendie suffisamment attisé de ce côté, il en abandonna tout-à-fait le théâtre, et vint avec ses réguliers, essayer d'en rallumer un autre dans les tribus du cercle de Tegdempt ; mais il s'adressait à des populations déjà épuisées par la guerre et qui, cette fois, repoussèrent ses ouvertures ; il entretenait en même temps une correspondance active avec les Hachems-Garabas, qui vivaient tranquilles dans leur ancien pays, soumis à l'autorité française, et nous verrons bientôt dans quel abîme de malheurs il plongea de nouveau ses crédules concitoyens. Toutes ces menées ne suffisaient pas encore à son activité ; il était, le 13 février, de retour avec ses troupes, sur la rive droite du Chélif, où il attaquait la ville de Mazouna, qui ne voulait pas de sa domination ; le général Gentil marcha contre lui de Mostaganem, et le força à s'éloigner. On était alors dans la saison des pluies et le Chélif grossissait tous les jours ; la division de Mostaganem, en restant sur la rive droite pouvait être coupée de ses magasins. Son commandant prit donc le parti de repasser la rivière en engageant les habitants de Mazouna à le suivre sur la rive gauche ; ceux-ci composés de Turcs et de Coulouglis, accoutumés par conséquent à mépriser les Arabes, demandèrent à rester chez eux, se faisant fort de repousser toute nouvelle tentative de l'Émir ; bientôt du reste les deux rives eurent une communication prompte et facile ; le général Lamoricière envoya le colonel Géry bâtir un pont de chevalets sur le Chélif et l'ouvrage fut terminé, malgré plusieurs attaques des Béni-Zérouels toujours repoussés avec perte pour les agresseurs, il est vrai, mais qui prouvaient combien les Kabyles nous étaient constamment hostiles.

Dans le bassin de la Métidja, les Béni-Ménad soumis en juin 1842 n'avaient pas trempé positive- * meut dans l'insurrection de l'hiver dernier, mais ils fréquentaient peu les marchés d'Alger ; ils évitaient généralement tout contact avec les Chrétiens et plusieurs de leurs membres avaient rejoint les drapeaux ennemis ; le gouverneur savait d'une manière certaine que leurs chefs continuaient d'entretenir une correspondance avec l'Émir. Sans vouloir punir toute la tribu d'un crime dont quelques individus seulement étaient coupables, le maréchal tenait à lui prouver qu'il avait constamment l'œil ouvert sur elle et que rien ne lui serait plus facile, que de la châtier sévèrement, si jamais il en voyait la nécessité ; en conséquence, le 5 mars, trois détachements entourèrent complètement le territoire des Beni-Ménad, sans brûler une amorce, sans faire de mal à personne ; les habitants et les troupeaux en furent réunis sur un seul point ; pour toute vengeance, le gouverneur leur reprocha leurs intrigues et choisit trente-six de leurs personnages les plus importants, qu'il conserva comme otages de la fidélité de leurs concitoyens.

Leurs voisins, les Beni-Ménacer, cernés par les garnisons de Cherchell et de Miliana, étaient alors entièrement soumis et payaient l’impôt ; pour compléter la pacification de Dara, il n'y avait plus qu'à détruire le noyau de résistance, encore organisé à l'ouest, et dont les Barkany étaient l'âme et le centre ; afin d'y réussir d'une manière durable l'on en revint au projet de l'occupation de Ténez et de la création d'un poste correspondant dans la vallée du Chélif ; l'on choisit dans ce dernier but un lieu nommé El Esnam, sur la rive gauche et à proximité de la rivière ; le 20 avril, le gouverneur était à Miliana, avec un grand convoi composé de cent trente voitures qui avaient franchi la première chaîne de l'Atlas par une route improvisée par le zèle et l'intelligence de l'armée ; le 26, il arrivait sans encombre à El Esnam avec ses immenses bagages ; le lendemain le général Gentil le rejoignit de Mostaganem, conduisant un autre convoi, et des troupes qui devaient concourir à l'occupation des nouveaux postes ; le même jour le maréchal reconnut l'emplacement du camp à construire ; après ces premiers soins, il se dirigea droit au nord, sur Ténez avec une partie des troupes qu'il avait sous la main, et qu'il dissémina sur un long espace, afin de travailler en même temps à plusieurs des parties les plus défectueuses de la route ; deux ou trois fois les montagnards essayèrent de l'y inquiéter ; alors la cavalerie fondait sur eux, leur tuait quelques hommes, les dispersait, et revenait immédiatement sur ses pas, pour être toujours à portée des travailleurs : on arriva ainsi jusqu'à Ténez, dont la population, composée en grande partie de Turcs et de Coulouglis, persécutée naguère par Abd-el-Kader pour avoir accueilli le général Changarnier en 1842, ne vit dans les Français que des libérateurs ; le gouverneur fixa le camp d'occupation sur l'emplacement d'une ville romaine, dont les ruines attestaient l'antique grandeur ; ce point était fortifié naturellement des deux côtés, et de là l'artillerie pouvait commander la plage et le port de la ville moderne ; la route ouverte, il fallait l'assurer, et pour cela soumettre les populations qui la longent ; la grande tribu des Sbéas fut la première sur laquelle tomba l'effort des armes françaises ; le gouverneur l'envahit par le sud, et le colonel Pélissier par le nord ; les Sbéas, après quelques vains stratagèmes pour éviter une rencontre et un combat dans lequel ils perdirent une trentaine d'hommes, essuyèrent une des plus considérables razzias, qui eussent encore signalé nos guerres d'Afrique ; 1.900 personnes de tout âge et de tout sexe, et 12.000 têtes de bétail en furent le fruit ; nos auxiliaires arabes suivant leur habitude s'en adjugèrent la plus grande partie ; les Sbéas se soumirent et leur exemple entraîna huit ou dix tribus moins importantes ; un camp fut établi sur le Boubara, au milieu de l'espace qui sépare Ténez d'Orléansville, nouveau nom que reçut El Esnam : de là les soldats n'avaient plus qu'un court trajet pour arriver aux points de la route encore à réparer. Cependant les Barkany tenaient toujours dans la partie la plus difficile de ces âpres montagnes et leur nom servait de ralliement aux nombreux partisans de l’Émir ; les événements dont la plaine d'Égris venait d'être le théâtre, et que nous raconterons bientôt, agitaient de nouveau ces populations, si promptes à s'exagérer les moindres événements favorables à leur cause ; leur espoir cette fois ne fut pas de longue durée : deux mouvements combinés, l'un du gouverneur, l'autre du commandant de Cherchell, marchant à la rencontre l'un de l'autre, cernèrent enfin de tous côtés le dernier foyer de résistance armée, les Barkany, craignant de tomber entre les mains des Français, vidèrent complètement le pays pour se réfugier dans l'Ouarenséris ; les derniers vestiges de l'insurrection disparurent avec eux ; toute la contrée, sauf quelques petites tribus établies au bord de la mer, où elles vivaient isolées, reconnurent l'autorité de notre Aga Goberini, désigné pour l'administrer ; les colonnes françaises battirent la contrée sans éprouver plus d'obstacles que dans une promenade militaire ; jugeant alors sa présence inutile sur ce point, le maréchal revint à Orléansville, d'où il repartit le 7 juin, remontant le Rihou, et cherchant à se mettre en communication avec le général Lamoricière ; communication qui ne put avoir lieu que quelques jours plus tard.

Ce n'était pas seulement dans la Dara, que la domination française se consolidait par l'établissement de nouveaux postes destinés à une occupation permanente ; les succès du Gouverneur avaient rendu disponible, dès le commencement de mai 1843, la colonne du général Changarnier ; ce dernier se porta aussitôt dans l'est de l'Ouarenséris dont les habitants, lors du retour d'Abd-el-Kader, avaient oublié leurs promesses de l'hiver dernier ; la première opération du général fut le choix d'un point nommé Teniat-el-Had, non loin de Thaza et des sources du Deurdeur, pour y former un camp retranché destiné à devenir un poste permanent. Puis, divisant le reste de ses troupes en deux parties, elles battirent simultanément tout le pays insurgé ; les populations en furent acculées à une longue chaîne de rochers d'une hauteur perpendiculaire de 200 mètres, qui leur ôtait toute issue d'un côté, pendant que les troupes françaises les bloquaient de l'autre ; quelques sentiers étroits et excessivement rudes conduisaient aux ennemis ; le colonel d'Illens en gravissait les premières pentes quand une décharge le renversa mort, ainsi que cinq de ses soldats ; puis les montagnards se mirent à faire rouler de grosses pierres qui menaçaient de rendre l'assaut meurtrier ; le général Changarnier jugea avec raison qu'il était inutile de prodiguer davantage le sang de ses troupes ; et se contenta de garder étroitement tous les passages par où pouvait s'échapper cette multitude, convaincu que la faim et la soif ne tarderaient pas à la lui livrer à discrétion : les Musulmans avaient avec eux beaucoup de troupeaux, hissés à grande peine dans ces rochers et qui bientôt devinrent aussi affamés que leurs maîtres ; dès le lendemain 19 mai, les pourparlers commencèrent ; les Kabyles descendirent de leur nid d'aigle ; et le général se trouva maître de 2.000 prisonniers qu'il remit sur-le-champ en liberté, ne se réservant que les troupeaux et les munitions. Après avoir déposé ses prises à Teniat-el-Had, et livré quelques nouveaux combats qui durent convaincre les indigènes de la supériorité de nos armes, toute résistance active cessa ; cependant les Barkany tenaient encore dans le pays et y maintenaient un reste d'inquiétude ; l'Émir lui-même errait sur les limites du désert avec ses troupes régulières, qu'il avait le talent de faire paraître très redoutables aux yeux de ses concitoyens ; le manque de vivres ramena le général Changarnier à Miliana, où il laissa trois bataillons chargés de travailler à la route qui devait relier cette place au nouveau poste de Teniat-el-Had ; peu de jours après il parcourait de nouveau la portion est de l'Ouarenséris ; pendant cette dernière course, il ne tira pas un coup de fusil ; toutes les tribus avaient fait leur soumission ou s'étaient réfugiées dans des crêtes presque inabordables, en proie à la faim et à la misère qui les décimaient tous les jours.

La division de Mascara n'était pas non plus restée inactive pendant l'hiver qui venait de s'écouler : nous l'avons laissée coopérant par son expédition contre les Flittas, à la fin de 1842, aux mouvements du Gouverneur dans l'Ouarenséris : après le retour de ce dernier dans Alger, le général Lamoricière avait recommencé ses courses vers la haute Mina ; mais ces rapides mouvements, en forçant les tribus à se soumettre, les laissaient ensuite exposées aux coups de l'Émir reparaissant bientôt du fond du désert, altéré de butin et de vengeance ; nos alliés ne pouvaient plus ensemencer leurs terres, et il était à craindre que s'ils ne jouissaient pas d'un peu de repos, ils n'éprouvassent une affreuse famine dans l'année qui venait de commencer. Le général sentit que le seul moyen de les attacher à la France, était de leur offrir une protection toujours efficace et constante ; en conséquence, au mois de janvier 1845, à l'époque des semailles pour ces contrées, il établit un camp au centre du pays des Krallafas et des Flittas, dans un lieu nommé Djelali-Ben-Amar, où se trouvait un gué sur la Mina et y laissa une garnison de 1500 hommes ; des convois d'Arabes se chargèrent de les approvisionner avec des vivres pris à Mascara, et s'acquittèrent fidèlement de leur tâche ; le mauvais temps, suite ordinaire de la saison, dérangèrent les opérations ultérieures du général sans les arrêter tout-à-fait, et dès les premiers beaux jours de printemps, il envoya le colonel Géry bâtir un pont de chevalets sur le Chélif, et nous avons vu avec quel succès cet officier s'était acquitté de sa mission ; quelques jours après M. de Lamoricière, mettant en exécution les projets du Gouverneur qui consistaient à enlacer tout le pays dans une chaîne de postes fortifiés, désigna l'emplacement d'un nouveau camp à Tiaret, à quelques lieues nord-est de Tegdempt ; enfin, il s'établit de sa personne sur ce point, pour surveiller lui-même la construction de la route qui devait le relier à Djelali-Ben-Amar et à Mascara. L'Émir jugea alors que le moment était venu d'exécuter un projet préparé de longue main ; depuis longtemps ses émissaires agitaient les Djaffras soumis le printemps dernier et même nos anciens alliés de la Iacoubia ; mais c'était chez les Hachems-Garabas, berceau de sa famille, que se croisaient tous les fils de ses intrigues. Tout-à-coup il quitte les environs de Gougilah, où résidait alors le centre nomade de son Gouvernement ; il se dirige rapidement à l'ouest avec un noyau de cavaliers réguliers, qui se grossit en route d'individus ramassés dans toutes les tribus ; bientôt il a sous ses ordres 1.800 chevaux, avec lesquels il se présenta le 18 avril 1845 à l'ouest de la plaine d'Égris ; le général Lamoricière qui, de son camp de Tiaret, surveillait attentivement tous les mouvements de son redoutable adversaire, avait donné l'ordre à Mustapha de venir avec ses Douairs renforcer la garnison de Mascara ; il avait écrit en même temps au colonel Géry, qui commandait dans cette place, de se tenir sur ses gardes ; mais Mustapha n'avait pas eu le temps d'arriver, et le colonel, trompé par des éclaireurs indigènes, ignorant de quel côté se dirigeait l'Émir, avait envoyé en observation, sur le Froha, seulement deux bataillons sous les ordres du commandant de Morry ; ce petit détachement arrivant à sa destination fut, en un instant, enveloppé par la cavalerie ennemie, à la tête de laquelle marchait Abd-el-Kader lui-même et tous ses drapeaux ; l'Émir avait une telle supériorité numérique, qu'il ne craignit pas cette fois d'engager lui-même le combat ; le feu des obusiers et de l'infanterie française tint l'ennemi à distance ; mais dès les premiers coups de fusil, les Hachems avaient abandonné leur Aga, et replié leurs tentes avec ordre et promptitude comme à un signal convenu ; puis toute la tribu se mit en marche vers l'ouest suivie par quelques ennemis, qui semblaient la chasser devant eux sans beaucoup de peine ; la petite troupe du commandant de Morry tenue en échec par les forces nombreuses de l'Émir, n'avait pu empêcher cette défection ; cependant la plupart des chefs Hachems se réunirent aux bataillons français et rallièrent 120 membres de leur tribu ; ce petit nombre de fidèles alliés combattit vaillamment avec les Français et effectua en même temps qu'eux sa retraite en bon ordre, sur Mascara ; à une lieue de la ville ils rencontrèrent le colonel Géry qui leur amenait lui-même des renforts ; on reprit sur-le-champ l'offensive ; Abd-el-Kader se replia sans combattre sur le Tagria, et conduisit les transfuges chez les Ouled-Krabb, où se trouvait, disait-on, son infanterie régulière ; tous les Djaffras se soulevèrent en masse à sa voix, et envahirent immédiatement leurs voisins de la Iacoubia ; ceux-ci trop faibles pour tenir tête à l'orage, moitié de gré, moitié par force, se réunirent en grande partie aux insurgés ; tous leurs chefs s'étaient retirés chez les Arars et firent dire au général Lamoricière, que leurs concitoyens n'avaient cédé qu'à la contrainte, et que leur cœur était toujours avec lui, assurance que la suite confirma assez mal.

Le colonel Géry, en poursuivant l'Émir, poussa vers l'ouest jusque sur les bords de la Maoussa où il resta en observation ; attendant chaque jour Mustapha déjà parti d'Oran ; au premier bruit de l'insurrection, le général Bedeau, dont les troupes n'avaient pas fait la guerre depuis près d'un an, partit de Tlemcen pour tomber sur les derrières de l'ennemi ; les Assassénas, fraction des Iacoubias, et les Beni-Amers prirent les armes pour maintenir leur fidélité à la France. Le générai Lamoricière, rassuré par les obstacles que rencontrait l'insurrection, jugeant qu'avant tout if fallait protéger ses alliés du cercle de Tegdempt, ne se laissa pas distraire de ses travaux de Tiaret ; il savait aussi qu'il devait avec sa division coopérer aux mouvements du gouverneur dans l'Ouarenséris. Heureusement l'incendie ne fit plus de progrès. Quelques Adouars défectionnaires étaient rentrés dans leurs cantonnements dès le 22 avril ; le général Bedeau arrivé le lendemain sur les bords de la Mékerra, passa cette rivière, entra sur le territoire des Djaffras, les battit deux fois et fit prisonnier leur chef nommé Sidy-Zeitoun, que l'Émir venait de nommer son kalifat, et mit ainsi fin aux honneurs du nouveau dignitaire ; ce personnage sembla au général français un homme d'un esprit plutôt politique que guerrier ; il fut très sensible aux prévenances que lui témoignèrent les vainqueurs, parut se rallier à leurs intérêts et usa de toute son influence auprès des membres de sa tribu pour les engager à cesser une résistance inutile : il ne réussit qu'en partie. De son côté, le colonel Géry, qui agissait isolément afin que les armes françaises pussent frapper sur plusieurs points à la fois, atteignit le 2 mai, sur l'Oued-el-Tat la queue d'une colonne émigrante, appartenant aux Iacoubias rebelles et leur fit éprouver de grandes pertes ; vingt jours après, il tomba à différentes reprises sur les Béni-Méniarin, les Ouled-Aouf, qui furent sévèrement châtiés de leur récente révolte ; mais déjà l'Émir abandonnait un pays sur lequel il avait attiré encore une fois la ruine et la désolation ; traînant à sa suite les Hachems-Garabas et une foule d'Adouars de diverses tribus, il revint dans le désert de Gougilah dont les sables inhospitaliers dévorèrent en foule les malheureux émigrés ; il s'y retrouva en face de deux adversaires, dont le plus jeune et celui qui semblait le moins redoutable, lui porta le coup le plus terrible peut-être de toute la guerre, par la prise de la Smala.

Le duc d'Aumale, rentré à Médéah après sa course à la suite du gouverneur, dans l'Ouarenséris, avait repris isolément la campagne pour marcher, dans les premiers jours de janvier 1845, contre Mohammet-Ben-Allal. Le kalifat ennemi, réunissant sous ses ordres la cavalerie régulière de son maitre, et le contingent des tribus au sud de l'Ouarenséris, et jusqu'au-delà du Nahr-Ouassel qui lui obéissaient encore, avait tenté d'envahir les populations du sud de Tittery, fidèles à leurs serments à la France. Le duc d'Aumale repoussa Mohammet, et par une pointe hardie et rapide qui fut comme le prélude de l'expédition qui devait l'illustrer quatre mois plus tard, lui enleva ses magasins, ses provisions son centre d'opération. Il attaqua ensuite Ben-Salem : sa marche contre ce nouvel adversaire fut constamment contrariée par un temps détestable qui fit briller encore davantage le courage et la patience de nos soldats, heureux de servir sous un jeune prince qui se montrait digne de les commander. Sauf la petite affaire de Dra-el-Abbas qui fut assez chaude et dans laquelle les ennemis perdirent vingt-neuf hommes, cette expédition fut toute pacifique : les Indigènes dont on traversait le territoire étaient moins belliqueux et moins fanatiques que ceux de l'ouest, et participaient du goût de l'agriculture et du commerce qui distinguait leurs voisins de la province de Constantine.

Une querelle survenue entre deux tribus et qui, s'envenimant de plus en plus, pouvait fournir à l'Émir l'occasion de troubler de nouveau le pays, ramena le jeune prince au sud-est de Médéah : employant tour à tour les menaces et les promesses, il parvint à faire accepter sa médiation aux deux parties ; mais craignant avec raison de blesser par son jugement particulier les mœurs ou les préjugés encore peu connus de ces populations irritables, il voulut s'aider du conseil de sept cadis dont il ne fit que confirmer la décision et termina le débat à la satisfaction générale. Puis s'avançant encore davantage au sud, il se mit en rapport avec la grande tribu des Ouled-Nayl, qui campe ordinairement dans le désert, mais dont les immenses troupeaux effleurent quelquefois les collines du Tell ; M. Mantout l'aventureux voyageur que nous avons vu ouvrir aux Européens le marché de Djendel, profita de la course du prince pour parcourir le pays, tantôt à la suite de la colonne française, tantôt entièrement seul ; le soin de ses affaires le conduisit jusqu'au désert, sans éprouver même l'apparence d'un danger ; il trouva les Arabes à peu près tels que la tradition nous les dépeint, âpres au gain, entendant fort bien leurs intérêts il eut cependant moins à se plaindre de leur-mauvaise foi qu'il ne s'y était attendu.

Jusqu'alors le désert avait été pour Abd-el-Kader une sorte de place forte, lieu de refuge lorsqu'il était serré de trop près, repaire dont il s'élançait avec une effrayante rapidité pour désoler les tribus soumises, dès que nos troupes étaient rentrées dans leurs cantonnements ; c'était derrière ces remparts de sable qu'il avait établi sa Smala, ville de tentes que les chameaux emportaient loin des atteintes des ennemis en lui faisant franchir des espaces de vingt-cinq lieues dans un seul jour : elle renfermait sa famille, celles de ses principaux officiers, ses trésors, ses archives, les agents non militaires de son gouvernement, c'était en un mot sa véritable capitale, depuis qu'il avait successivement perdu tous les centres fixes de son pouvoir ; le gouverneur pensa enfin à frapper au cœur cette insaisissable puissance, et confia la mission d'atteindre la Smala au duc d'Aumale, dont le quartier-général, à portée du désert, n'en était séparé que par des populations alliés dont le secours pouvait établir une communication facile entre la vallée du Chélif et la colonne agissante. Le jeune général commença par établir des magasins à Boghar, pour en faire la base d'opération de sa course aventureuse à travers cette mer de sable où il n'avait aucune ressource à espérer ; il quitta cette forteresse le 10 mai, accrue de quelques renforts que lui avait confié le général Changarnier, et emmenant avec lui le colonel Yousouf, l'homme sans contredit le plus capable de le seconder par son courage, son activité et la connaissance parfaite qu'il avait des habitudes et des moyens d'action de l'ennemi ; le général Lamoricière avait reçu l'ordre de s'avancer aussi vers le sud et d'opérer à l'ouest du prince : les deux généraux munis d'instructions très détaillées devaient ou séparer ou combiner leurs mouvements, suivant les occasions et les chances de la guerre.

Des renseignements dignes de foi, sans préciser exactement la position de la Smala, la plaçaient aux environs de Gougilah, bourgade déjà visitée par la division de Mascara ; la colonne du prince dirigée par d'excellents guides, se glissa le long d'une étroite vallée, parallèle à celle de Nahr-Ouassel, et par une marche de nuit cerna Gougilah le 14 au matin, sans qu'un seul habitant eût pu s'échapper pour prévenir l'ennemi du coup suspendu sur sa tête ; d'après les plus récentes nouvelles recueillies sur ce dernier point, la Smala campait alors à quinze lieues au sud-ouest, dans un lieu nommé Oussek-on-Rekaï ; c'était quelque chose que d'en être venu là sans donner l'alarme à un ennemi toujours sur ses gardes, mais le plus difficile restait encore à faire ; dans la nuit du 14 au 15, la colonne décampa sans bruit de Gougilah et se dirigea sur Rekaï ; quelques prisonniers saisis dans la route apprirent que la Smala, inquiète de l'apparition du général Lamoricière, avait fait pour l'éviter un mouvement vers l'est, se rapprocher des bords du Taguin, et gagner ensuite le Djebel-Amour, où elle espérait trouver de l'eau, des bois et des moissons déjà mûres ; le duc d'Aumale, confiant dans l'ardeur et la bonne volonté de ses troupes, résolut alors de franchir par une seule marche, les vingt lieues qui le séparaient encore du Taguin, soit pour tomber tout-à-coup sur la Smala, si on avait le bonheur de l'y surprendre, soit pour la rejeter à l'ouest sur le général Lamoricière, si ce qui était plus probable, elle prenait l'alarme avant qu'on pût la joindre. Mais il était impossible que le gros de l'infanterie et le convoi, exécutassent une marche aussi rapide. Le général prit donc le parti de les laisser en arrière, et de se composer une petite colonne excessivement mobile, avec la cavalerie, l'artillerie, quelques mulets de charge pour porter les bagages indispensables, et enfin les zouaves, troupe admirable de courage et de dévouement, et dont le tempérament trempé par leur long séjour en Afrique, semblait défier les privations et la fatigue. La séparation des deux parties de l'expédition eut lieu dans la nuit du 15 au 16, après une halte de trois heures accordée à la fatigue des troupes ; les sources du Taguin furent désignées pour point de ralliement ; ces préparatifs terminés, le duc d'Aumale se mit à la tête de la colonne agissante, et se lança sur la route du Taguin.

Le 16, à la pointe du jour, on avait déjà surpris quelques traînards de la Smala ; animé par rapproche de la proie qu'il croit déjà saisir, le jeune général prend avec lui 500 de ses meilleurs cavaliers, et trompé par les renseignements qu'il vient de recevoir, il pousse droit au sud, une pointe de trois lieues qu'il reconnaît bien vite l'éloigner de son but ; puis, par une heureuse inspiration il reprend la route du Taguin, regagnant par la rapidité de sa course le temps qu'il venait de perdre : il était onze heures du matin, quand l'Aga des Ouled-Aida, envoyé en éclaireur, revient au galop, annonçant que toutes les tentes de la Smala, cachées par un pli de terrain, sont tranquillement dressées aux sources mêmes du Taguin, à un quart de lieue des Français ; le jeune prince se donne quelques instants de réflexion ; il fallait au moins deux heures pour que les zouaves et l'artillerie pussent le rejoindre, et dans deux heures la Smala pouvait s'envoler dans le désert, et l'occasion cherchée avec tant d'ardeur était perdue peut-être pour toujours ; calculant rapidement les effets sur l'ennemi, d'une attaque aussi imprévue, confiant dans l'indomptable valeur de la poignée de cavaliers qu'il a sous la main, il forme son plan d'attaque et le communique aux officiers ; en vain les arabes auxiliaires le conjurent-ils de réfléchir à l'énorme disproportion du nombre des combattants, il ne les écoute pas et divise ses cavaliers en deux détachements pour envelopper l'ennemi ; celui de gauche composé de spahis envahit sur-le-champ les tentes de la famille d'Abd-el-Kader, et culbute l'infanterie régulière, qui, quoique surprise, se défend avec le courage du désespoir ; le détachement de droite traverse au galop tout le campement ennemi, et se porte à la tête de la Smala pour couper la retraite aux fuyards qui déjà se précipitent vers le sud ; la cavalerie ennemie arrive de ce côté et veut rouvrir le passage : on se bat à coups de sabre et de pistolet ; l'ennemi avait en tout près de cinq mille hommes en état de porter les armes ; il perd trois cents hommes tués raides, le reste se disperse : on les poursuit à peu de distance, et l'on revient rapidement s'assurer de l'immense population que la victoire a mis entre nos mains ; nous avions 9 hommes de tués et 12 blessés ; jamais victoire si importante n'avait coûté de si faibles pertes, tant il est vrai que contre les Arabes, les attaques les plus fermes et les plus décidées sont aussi les moins meurtrières ; à quatre heures arrivent les zouaves et l'artillerie, fatigués mais en excellent ordre, et sans avoir laissé un seul homme en arrière ; ils aidèrent les vainqueurs à contenir cette multitude, frémissante de honte, quand elle vint à compter ceux dont elle était prisonnière. On retrouva parmi les Arabes le fidèle Mohammet-Bel-Hadj, que la Smala traînait à sa suite dans le désert, et auquel l'Émir avait ordonné de couper la tête, ordre barbare qui allait être exécuté, lorsque ses geôliers devinrent eux-mêmes prisonniers des Français. Le 17 on fit séjour sur le lieu du combat pour ramasser le butin, et brûler ce qui ne valait pas la peine d'être emporté. Le lendemain la colonne commença une retraite rendue lente et difficile par tous les bagages qu'il lui fallait traîner avec elle ; une partie des troupes restait constamment libre pour repousser toute tentative de l'ennemi, mais il était trop découragé pour oser rien entreprendre ; le jeune prince conduisit ses prisonniers dans la Métidja sans tirer un coup de fusil ; on comptait parmi eux quelques-uns des principaux fonctionnaires de l'Émir, ses trésoriers, des prêtres musulmans, toute la famille de Sidi-Embarreck, une foule de femmes appartenant aux chefs des tribus ; les prisonniers de distinction furent logés à la Casbah ; les autres, bien diminués par les suites de la faim et de la misère, qu'ils avaient éprouvée dans leurs émigrations successives, mais comprenant encore 3.100 individus, furent établis auprès de la Maison-Carrée, où ou leur laissa leur tentes, leurs meubles et une partie de leurs troupeaux ; leur captivité ne fut ni longue ni dure ; quelques jours après le gouverneur renvoya la plupart de ces malheureux dans la province d'Oran, dont ils étaient originaires et où ils retrouvèrent leurs anciens campements ; presque toutes les tribus avaient fourni des fractions à l'émigration ; les personnages logés à la Casbah, ayant une importance politique, furent embarqués pour l'île Sainte-Marguerite, où l'on devait les garder jusqu'à la fin de la guerre.

Bien que le général Lamoricière n'eût pas eu l'occasion de combattre, il recueillit une partie des fruits de la victoire du Taguin. La division de Mascara, après une première pointe, rendue pénible par le manque d'eau et de fourrage, repartait de Tiaret, le 19 au matin, quand un nègre et une famille des Hachems-Garabas, échappés au désastre de la Smala, vinrent tomber dans les rangs français et donnèrent au général tous les détails de la journée du 16. Il pressa la marche pour atteindre les fuyards, et bientôt il saisit quelques misérables à moitié morts de faim, et qui prouvèrent qu'on ne faisait pas fausse route. La cavalerie partit au galop et rencontra, non loin de la division, une masse de population qui fut entourée et faite prisonnière sans résistance. Cependant elle avait avec elle l'Émir et ses réguliers, mais ceux-ci disparurent après quelques coups de fusil tirés par eux sur cette multitude inerte, comme pour la punir de ne vouloir ou de ne pouvoir ni fuir ni se défendre ; on recueillit 2.500 malheureux et quelques troupeaux aussi exténués que leurs maîtres ; on laissa aux prisonniers cette triste et dernière ressource. Les Français avaient reconnu parmi eux beaucoup de ces Hachems-Garabas qui combattaient naguère dans leurs rangs. A la demande du général, les tribus alliées leur fournirent quelques vivres provisoires ; on les achemina vers la plaine d'Egris ; les voitures de l'administration partirent de Mascara pour venir à leur rencontre et fournir des moyens de transport aux femmes, aux enfants et aux malades. De retour chez eux, on leur rendit une partie de leurs moissons séquestrées lors de leur fuite du 19 avril dernier. Ceux des émigrés qui tombèrent entre les mains des arabes auxiliaires furent loin d'avoir un sort aussi heureux ; on doit dire du reste que les Hachems se montrèrent reconnaissants de tant d'indulgence, et que ce fut la dernière fois qu'ils tentèrent de se soustraire à la domination de la France[3].

La prise de la Smala et des populations émigrées dans le désert, l'établissement des postes de Ténez, d'Orléansville, de Téniat-el-Had, de Tiaret, qui faisaient partout l'action immédiate de nos armes, portèrent un rude coup à l'influence de l'Émir. Cependant, débarrassé du soin de protéger une multitude inutile un jour de combat, réunissant autour de sa personne une poignée de cavaliers d'une agilité surprenante et d'un dévouement fanatique, il pouvait encore sinon balancer la fortune du moins rendre terribles à ses anciens sujets les dernières convulsions de son pouvoir expirant. Il avait déjà attaqué une fois les Arars, et continuait de les inquiéter en leur interdisant les pâturages nécessaires à leurs nombreux troupeaux, quand le général Lamoricière récompensa la fidélité de ces anciens amis en les établissant provisoirement dans la belle plaine d'Egris presque déserte par l'émigration des Hachems ; puis il partit le 18 juin pour rejoindre le Gouverneur dans l'Ouarenséris en partie encore insurgé, malgré les succès du général Changarnier. Le pays ennemi se trouva bientôt inondé de forces françaises. Le général Lamoricière l'attaquait à l'ouest, le maréchal au centre, le général Changarnier à l'est. Ces différents chefs se renvoyaient mutuellement les populations émigrantes, qui n'évitaient une colonne que pour tomber dans une autre. Le Gouverneur retrouva chez les Beni-Ourack le fidèle Mohammed-Bel-Hadj, à peine échappé au cimeterre de l'Emir, et qui fut nommé Aga de l'ouest de l'Ouarenséris. Les tribus se soumettaient en foule ; le Gouverneur les réunit dans une assemblée générale, leur reprocha vivement leur - trahison de l'hiver dernier et finit par leur dire qu'il leur pardonnait en considération de leur concitoyen Bel-Hadj. Un célèbre marabout qui, depuis quelques jours, marchait à la suite de l'armée française, prit ensuite la parole pour recommander aux bons Musulmans la fidélité à leurs nouveaux serments. Ces deux discours, soutenus de la vue des baïonnettes, parurent produire beaucoup d'effet, mais de nombreuses populations manquaient encore à cette assemblée : l'apparition du Gouverneur avait déterminé une immense émigration composée de plus de quarante mille âmes appartenant à diverses tribus. Entre Loha et le Rihou, elle fut rencontrée par le général Lamoricière qui l'attaqua vigoureusement, et ne put cependant en couper et en enlever qu'une partie ; le reste se sépara en deux ou trois tronçons, dont l'un, forcé de rebrousser chemin, retomba entre les mains du maréchal Bugeaud. Il serait trop long de suivre tous les mouvements de cette guerre, où les colonnes françaises communiquèrent et se séparèrent plusieurs fois de suite. Ce que désirait surtout le Gouverneur était d'expulser définitivement du pays les Kalifats Barkang et Mohammet Ben-Allai qui défendaient avec fureur les dernières espérances de leur maître et offraient encore un point de ralliement aux populations insoumises longtemps poursuivies en vain. Ils furent enfin amenés à une petite affaire qui fut le dernier combat livré dans l'Ouarenséris. Peu de jours après, ils furent rappelés dans l'ouest par Abd-el-Kader qu'ils rejoignirent en suivant la lisière du désert. Leur départ fut le signal de la cessation des hostilités. N'ayant plus d'ennemis organisés qui pussent inquiéter leurs opérations, les troupes françaises battirent le pays dans tous les sens ; tout se soumit, sauf deux ou trois chétives tribus errant et mourant de faim dans d'affreux rochers où il était à peu près impossible de les suivre. Le général Changarnier rentrait à Miliana le 5 juillet, le Gouverneur à Orléansville le 12 ; ce dernier eut encore un combat assez sérieux à livrer contre les Sindjes, comme il quittait le pied des montagnes pour entrer dans la vallée du Chélif ; cette levée de boucliers n'eut du reste aucune suite. La division de Mascara rentra aussi à la même époque à son quartier-général, mais elle ne fit pour ainsi dire que le traverser, et eut bientôt à recommencera guerre dans le pays Djaffras, où l’Émir s'était réfugié.

Nous avons laissé ce dernier errant sur le plateau de Serzous après la prise de la Smala. Il recula vers l'ouest dans le courant de juin 1845 ; il avait encore avec lui trois agas de cavalerie, commandant chacun 200 ou 250 hommes, dont un tiers à pied pour manque de chevaux ; à peu près 500 fantassins organisés, en tout 1.000 à 1.200 hommes. Le colonel Géry prévenu par le général Lamoricière le suivait dans sa retraite, et après une marche de nuit des plus fatigantes, le surprit au point du jour à vingt-cinq lieues au sud de Mascara. L'ennemi pouvait être enlevé avant d'avoir songé à combattre ; malheureusement les cris de nos nouveaux auxiliaires, qui se trouvaient les premiers en ligue, lui donnèrent trop tôt l'alarme ; il eut le temps de se mettre en défense, et une première attaque fut vigoureusement repoussée par l'Émir. Celui-ci conservait jusques dans ses revers cet ascendant sur les indigènes qui ne se démentit jamais que devant les Douairs de Mustapha. Dans cette nouvelle rencontre, le vieux rival d'Abd-el-Kader fondit sur le flanc de l'ennemi, le culbuta du premier choc. L'Émir s'enfuit au galop jusqu'à un mamelon, où il parvint à rallier son infanterie pour en faire un point d'appui aux fuyards ; il s'y réunit en effet un corps de cavalerie, et il fallut charger une seconde fois ce noyau de résistance. Il fut enfin de nouveau et définitivement écrasé, et 250 ennemis restèrent sur le champ de bataille ; on fit de plus 140 prisonniers.

Malheureusement une perte bien sensible vint ternir la joie causée par cette suite de succès ; notre fidèle allié Mustapha, dont la bravoure avait tant contribué à les assurer, tomba, dans son retour à Oran, au milieu d'une embuscade dressée par les Flitas insoumis. Abandonné par ses troupes qui, gorgées de butin, voulaient avant tout le mettre en sûreté, il succomba ; sa tête et sa main furent coupées et apportées à l'Émir, qui les paya largement. Le commandement des Douairs fut d'abord donné à son neveu Mézary, puis à un officier français, M, Walsin Esterhazy, transformé en caïd arabe, et les Douairs se montrèrent constamment satisfaits de ce commandement étranger.

Ce fut donc en fugitif qu'Abd-el-Kader arriva chez les Djaffras, et cependant tel était le dévouement qu'il avait su inspirer à ces populations fanatiques, que toute la tribu s'apprêta à subir de nouveau les plus cruelles extrémités pour soutenir sa fortune chancelante. Bientôt il eut rallié 400 chevaux, avec lesquels il pénétra, le 50 juin, dans la plaine d'Égris, où il essaya vainement une razzia contre les Hachems-Garabas, réinstallés dans leurs anciens cantonnements. Pour avoir quelques forces de plus à sa disposition, il lui fallut rappeler auprès de sa personne ses deux lieutenants Barkany et Embarreck, qui jusqu'alors avaient offert un point d'appui aux insurgés de l'Ouarenséris ; c'était un aveu tacite qu'il commençait à se défier de sa fortune. Il savait bien que les habitants de ces montagnes, privés de tout secours, ne pourraient plus continuer la lutte.

Ainsi, dans le cœur de l'été 1843, l'Émir voyant son drapeau évacuer successivement presque toute la régence, concentrait les débris de ses troupes dans l'ouest, où secondé de tous ses Kalifats, trouvant son point d'appui dans la grande tribu des Djaffras, qui entraînait à sa suite plusieurs agglomérations moins importantes, il se préparait à recommencer la guerre avec une nouvelle énergie. Le colonel Géry, les généraux Bedeau, Tempoure, enfin M. de Lamoricière lui-même qui arriva chez les Djaffras au mois d'août, commandaient chacun une force capable d'écraser les dernières ressources de l'ennemi, si on pouvait l'amener à un combat un peu sérieux ; ce n'était que par des prodiges d'adresse et d'activité qu'Abd-el-Kader pouvait soutenir encore quelque temps une lutte si inégale ; mais ces prodiges lui étaient familiers, et s’il ne fit pas plus de mal à ses adversaires, c'est qu'il trouva constamment chez eux une bravoure, une prévoyance au moins égales à la sienne ; ainsi glissant sa redoutable cavalerie entre les corps Géry et Bedeau, il vint surprendre, dans le courant de juillet, à huit lieues au nord de Mascara, un détachement de 200 hommes qui travaillaient à la route joignant cette ville à Oran ; la prudence de leur chef qui avait voulu renfermer son bivouac dans un retranchement en pierres sèches, bien que rien ne sembla motiver une pareille précaution, sauva les troupes d'une affaire qui eût pu devenir désastreuse : abrités derrière cette faible barrière, les 200 Français surent, par un feu bien nourri, tenir à distance tous les cavaliers arabes, qui furent enfin forcés a une retraite honteuse. Peu de jours après, l'Émir, par une de ces pointes hardies dont il avait seul le secret, vint tomber au milieu des campements des Beni-Amer, qu'il ravagea après avoir essayé vainement de les pousser à la révolte ; tant de mouvements ne pouvaient s'exécuter sans rencontrer quelques-unes des colonnes françaises, et alors l'avantage ne pouvait lui rester ; deux fois il se heurta contre le colonel Géry, qui chaque fois lui fit éprouver des pertes cruelles ; les fuyards tombèrent ensuite sur le général Lamoricière qui en prit un grand nombre ; l'ennemi n'avait presque plus ni vivres, ni munitions, ni chevaux ; tous ceux des partisans de l'Émir qui n'étaient pas doués d'une constance pareille à la sienne, s'étaient retirés dans le Maroc, abandonnant une cause qui leur semblait désespérée. Abdel-Kader sut cependant encore se rendre redoutable ; surpris le 22 septembre, à Sidy-Youcef, par 550 chevaux, avant-garde de la division Lamoricière, il range rapidement son infanterie en bataille ; le chef des cavaliers français, le colonel Morris, charge l'ennemi avec quatre escadrons pendant que deux autres restent en réserve ; mais l'infanterie arabe exécute un feu si bien nourri, que dès les premiers coups, plusieurs chasseurs sont renversés par terre ; il y a un instant de désordre parmi les Français ; Abd-el-Kader saisit ce moment, débouche sur leur flanc gauche et les attaque vigoureusement avec 400 chevaux ; le colonel Morris à la tête de deux escadrons essaie de lui tenir tête ; écrasé par le nombre, il est forcé de reculer, abandonnant les chasseurs démontés aux premières décharges : parmi eux le capitaine de Cotte allait être pris par l'ennemi qui s'avançait rapidement ; le trompette Escoffier saute en bas de son cheval : « mon capitaine, dit-il, prenez mon cheval ; ce n'est pas moi, mais bien vous qui pouvez rallier l'escadron ; » le brave Escoffier fut fait prisonnier avec quatre chasseurs démontés ; mais son capitaine, remis en selle, grâce à son dévouement, rallia en effet son escadron : la réserve qui n'avait pas encore donnée arrêta l'effort de l'ennemi : derrière cet abri, les chasseurs se reformèrent, reprirent l'offensive ; les Arabes furent repoussés, perdirent le champ de bataille et un drapeau, mais emmenèrent les cinq Français prisonniers ; le 15e léger dont la tête de colonne commençait à paraître détermina la retraite complète de l'Émir ; le noble mouvement d'Escoffier avait peut-être sauvé à son régiment une' défaite sanglante et désastreuse ; heureuse l'armée dont les derniers rangs renferment des hommes capables de traits semblables[4].

Ce combat, où 350 chevaux avaient attaqué sans hésiter une force triple en nombre, occupant une position avantageuse, ne nous laissa qu'une victoire chèrement achetée ; l'ennemi s'était retiré plutôt qu'il n'avait fui ; la perte des deux côtés avait été de 30 à 35 hommes ; mais parmi les morts de l'Émir on comptait un de ses kalifats, Ben-Baki, et 6 officiers de sa cavalerie régulière. Le général Lamoricière passa la nuit sur l'emplacement même du camp ennemi ; le manque d'eau et de fourrage le forcèrent à rétrograder dès le lendemain, mais non sans avoir ruiné toutes les ressources que les Arabes pouvaient trouver dans le pays. Après divers mouvements de part et d'autre, Abd-el-Kader, profitant d'un moment où les colonnes françaises avaient été se ravitailler, envahit le pays des Ouled-Brahim, fraction des Beni-Amer ; et leur enleva une vingtaine de tentes. Bientôt après les Brahim, soutenus par l'approche d'une force française, reprirent courage, poursuivirent Abd-el-Kader, auquel cette expédition faillit devenir fatale ; un des guerriers des Brahim le serrait de si près, qu'il fit feu sur lui à trois pas de distance ; malheureusement son fusil rata, et l'Émir se retournant l'étendit raide mort d'un coup de pistolet. Toutes ces tentatives épuisaient le peu de forces et de ressources qui lui restaient ; repoussé du désert par la faim, n'ayant pas une heure de repos à donner à ses troupes, exténuées par des marches forcées, réduit à vivre de brigandage et à moissonner quelques champs de blé échappés par hasard aux vainqueurs, il vit enfin le découragement et la désertion se glisser parmi ces cavaliers jusqu'alors si dévoués. Un nouveau poste que le général Lamoricière établit à Sidy-Bel-Abbès, à portée du pays insurgé, prouvait aux Arabes que la France était bien décidée à obtenir leur soumission. Les Iacoubias, les Djaffras et les Beni-Méniarin, chez lesquels la guerre sévissait depuis le milieu de l'été, étaient arrivés au dernier degré d'épuisement et de misère ; tous firent leur soumission, excepté quelques fractions des Djaffras ; la grande confédération des Beni-Amer se fortifiait de plus en plus dans sa fidélité à la France. L'Émir voyait se rétrécir chaque jour le cercle où il pouvait espérer de nourrir la guerre. Débarrassé momentanément du général Lamoricière, qui, après le combat de Sidy-Ioucef, était rentré à Mascara pour donner enfin un peu de repos à ses troupes, il avait encore à lutter contre les trois corps des généraux Bedeau et Tempoure, et du colonel Géry ; ces deux derniers s'étaient entendu pour que l'un des deux au moins fût toujours à la poursuite de l’Émir, de manière à ne lui laisser ni repos ni trêve.

Indépendamment de son corps de troupes agissant et combattant, Abd-el-Kader avait formé, des débris de la Smala, un petit centre de population, pour servir de point d'appui à ses partisans, et d'asile à leurs familles et à leurs serviteurs. Cette troupe nomade, chassée des déserts de la province d'Alger, par la crainte de se voir couper toute retraite, campait habituellement derrière son armée active, qui lui servait d'avant-garde et de rempart ; elle était, en octobre 1845, au sud de Tlemcen, dans le pays des Angads, que l'Émir essayait vainement d'entraîner à la guerre contre les Chrétiens ; bien plus, quelques tribus du Désert, peu jalouses de conserver des hôtes qui pouvaient attirer sur elles les armes françaises, mues peut-être aussi par leur amour instinctif du pillage, se livrèrent à quelques démonstrations contre les émigrés ; l'Émir en fut bientôt instruit ; cet incident compliquait encore ses affaires déjà si délabrées ; remettant à un autre moment la poursuite de la guerre contre les Français, il confie son infanterie à son kalifat Embarreck, avec ordre de la tenir cachée dans une grande forêt qui couvre une partie du pays des Assassenas, et, prenant avec lui 300 cavaliers, il se porte de sa personne auprès de la Smala pour la protéger, et mêler un peu la force aux moyens de persuasion dont il s'était jusqu'alors servi auprès des habitants du Désert ; s'apercevant bientôt que ses 300 cavaliers ne pouvaient pas jeter un grand poids dans la balance, il se décide à écrire à Embarreck d'abandonner tout-à-fait un pays où ils ne peuvent plus se soutenir, et de venir, avec toute son infanterie, le joindre sur le plateau d'El-Gor, où il se trouvait alors ; sur l'ordre de son maître, le kalifat se mit en route, en faisant tous ses efforts pour dérober sa marche aux colonnes françaises ; mais le général Tempoure, campé alors à Ouizert, fut informé, et du départ d'Embarreck, et de la route qu'il devait tenir ; il forme sur-le-champ une colonne mobile composée de 800 hommes d'infanterie, de la cavalerie et de trois pièces d'artillerie, et laissant le reste de ses troupes le suivre d'aussi près qu'elles le pourront, il se lance, au milieu de la nuit du 9 novembre, à la poursuite de l'ennemi ; il occupe le 10, à neuf heures du matin, un village arabe où il recueille de nouveaux renseignements, qui lui prouvent qu'il ne fait pas fausse route ; après une halte de trois heures, accordée à des troupes que le mauvais temps avait excessivement fatiguées, il repart vers midi, guidé par les traces de souffrance et de misère que la colonne ennemie laissait partout sur son passage ; bientôt il rencontre deux malheureux Djaffras, détachés de l'émigration du sud, qui erraient à travers un pays ruiné, pour y chercher quelques glands, seules ressources qu'ils espéraient y rencontrer ; il en reçoit de nouveaux détails sur le corps du kalifat, qui n'est plus qu'à peu d'heures de distance ; électrisées par l'espérance d'un combat, les troupes françaises trouvent la force de faire encore une marche de nuit, au milieu d'une pluie battante, qui pénètre profondément le terrain et le rend horriblement difficile ; au point du jour du 11 novembre on arrive sur les bords de la Kracebba, et, quelques instants après, on rencontre le dernier bivouac ennemi, dont les feux brûlent encore ; à cette vue la colonne française ne sent plus de fatigue ; elle n'avait alors autour d'elle qu'un pays entièrement inconnu, couvert de grands bois, coupé de torrents et de ravins profonds, sans route ni même un sentier pour se guider ; enfin elle aperçoit une forte colonne de fumée s'élevant lentement au-dessus d'une forêt, près des sources d'une petite rivière ; plus de doute, l'ennemi est là ; le général fit halte un instant derrière un pli de terrain et forme son ordre de bataille : ses seize escadrons de cavalerie sont divisés en quatre détachements égaux ; l'un attaquera directement les Arabes ; les autres les envelopperont à droite et à gauche : le quatrième marchera derrière le premier pour servir de réserve ; trois cent cinquante fantassins d'élite et un obusier de montagne prennent place immédiatement derrière la réserve de cavalerie ; le reste suivra le mouvement le plus rapidement possible, à l'exception d'un détachement laissé à la garde des bagages.

Ainsi préparé, le général Tempoure glisse sa petite armée, avec calme et sans précipitation, à travers tous les accidents de terrain qui pouvaient encore dérober sa marche. Heureusement que Ben-Allal, préoccupé seulement du général Bedeau, avait envoyé ses vedettes du côté de l'ouest, et laissé entièrement découvert son flanc gauche, par où allait commencer l'attaque ; et pour comble de bonheur, une petite colline masquait entièrement les Français qui s'avançaient guidés par la colonne de fumée. Le général Tempoure n'était plus qu'à un petit quart de lieue des Arabes et pas un être vivant n'avait paru s'apercevoir de sa marche ; tout-a-coup un cavalier s'élance de derrière un rideau de broussailles, tire un coup de fusil sur la colonne, et s'enfuit au galop du côté de Ben-Allal, en poussant de grands cris ; l'alarme est donnée : il ne s'agit plus que de fondre à toute bride sur l'ennemi. La cavalerie gravit rapidement la colline ; du sommet elle aperçoit les Arabes à portée de fusil, mais déjà en retraite, et se dirigeant vers une colline boisée et rocheuse qui promet une bonne position à leur infanterie. Les escadrons de chasseurs chargent sans perdre un moment. Le kalifat s'aperçoit que le temps lui manque pour gagner la colline, il s'arrête et fait face en arrière ; sans tirer un coup de fusil la cavalerie française met le sabre en main et tombe sur les Arabes avec une ardeur et un ordre admirables ; le plan du général Tempoure est exécuté dans tous ses détails ; malgré un feu bien nourri, l'ennemi est culbuté, sabré, écrasé ; les porte-drapeaux arabes sont tués les premiers. Épouvanté de l'horrible massacre de son infanterie, désespérant de rétablir le combat, Ben-Allal s'enfuit tout seul vers les pentes qui bornent la vallée au sud-est. Le capitaine Cassaignoles, accompagné de trois chasseurs, se lance à sa poursuite. Entouré de quatre hommes à cheval, Ben-Allal semblait ne plus devoir chercher à se défendre, et déjà un des cavaliers s'apprêtait à recevoir son fusil de ses mains, quand, par un mouvement aussi rapide que la pensée, le kalifat en dirige le bout contre la poitrine du Français, qui tombe mort percé d'une balle ; le sabre du capitaine Cassaignoles allait le venger, un coup de pistolet du Musulman abat son cheval entre ses jambes ; le troisième poursuivant assène un premier coup sur la tête de Ben-Allal et allait redoubler, un second coup de pistolet le renverse grièvement blessé ; dépourvu de tous ses feux, l'Arabe essayait de se défendre avec son yatagan contre le seul de ses adversaires qui fût encore debout, quand celui-ci mit fin à cette lutte désespérée, en lui tirant à bout portant un coup de pistolet qui le renverse raide mort. Cependant le capitaine, débarrassé de son cheval, ignorait encore à quel ennemi il venait d'avoir affaire ; seulement il avait remarqué la richesse de ses vêtements, son courage, son adresse à manier ses armes ; ce ne fut qu'en examinant de plus près le cadavre qui gisait sanglant à ses pieds, qu'il s'aperçut qui lui manquait un œil : plus de doute, c'était bien là Mohammet-Ben-Allal-Quld-Sidy-Embarreck, le borgne, comme l'appelait les Arabes, parce qu'il avait en effet perdu un œil dans son enfance ; sa tête fut coupée et apportée aux pieds du général.

L'issue de cet épisode, digne d'un combat du moyen-âge, compléta le désastre de l'infanterie arabe : 404 cadavres furent comptés sur le champ de bataille, 360 prisonniers restaient entre nos mains ; les drapeaux de Sidy Embarreck, d'El-Barkany, d'Abd-el-Kader lui-même, six cents fusils, des chevaux tout harnachés devinrent des trophées de la victoire ; par un rare bonheur, cette journée si sanglante pour l'ennemi ne nous avait coûté qu'un seul homme ; le cavalier tué par Sidy Embarreck.

Ainsi périt à l'âge de 32 ans le lieutenant le plus redoutable de l'Émir et son homme de guerre par excellence ; Mohammet était né en 1811 à Coleah de l'illustre famille des Embarreck, dans laquelle le titre de marabout était héréditaire ; dans son enfance, il s'était fait remarquer par sa pétulance et sa vivacité d'esprit ; lorsque son cousin Séghir Embarreck, l’Aga établi à Coléah par le général Berthezène, trahit la cause française sous le duc de Rovigo, le père de Mohammet fut accusé d'avoir trempé dans ses menées, et compta ainsi que son jeune fils dans les otages que le général Brossard ramena de cette ville ; il paraît que durant sa captivité qui ne fut ni longue ni pénible, Mohammet contracta des gouts européens, car, rendu à la liberté, on le revit plusieurs fois depuis à Alger, aimant et recherchant le plaisir et la dissipation ; il était alors observateur très peu rigide de cette foi musulmane, pour laquelle il devait sacrifier sa vie ; la mort de son père donna un tour plus grave à ses idées ; son humeur devint sombre et enthousiaste ; il voulut se rendre digne du titre de Marabout par l'austérité de ses mœurs, et finit par se retirer dans un ermitage entre Coléah et Miliana ; c'est là qu'il fut rencontré par Abd-el-Kader alors au faîte de sa puissance, et qui devina sur-le-champ l'illustre guerrier, sous le jeune homme fantasque et bizarre : nommé par lui Kalifat de Miliana, après la mort d'El-Séghir, Mohammet se montra immédiatement à la hauteur de sa position ; l'entrevue et la correspondance de l'évêque d'Alger avec le marabout musulman, leur traité pour l'échange des prisonniers, rapportèrent un moment l'attention publique sur la personne de Sidy Embarreck ; mais le fracas des armes qui reprit bientôt avec plus de fureur que jamais fixa toutes les idées sur les événements qui signalaient une lutte acharnée ; elle ne devait se terminer qu'avec la vie de Mohammet : tel était le prestige de son nom chez les indigènes et même sur nos alliés, que personne parmi les Arabes ne voulut croire à sa mort ; il fallut promener dans toutes les tribus sa tête bien connue pour convaincre les plus incrédules : le général Bugeaud fut le premier à rendre hommage à la mémoire de son ennemi ; il rendit ses dépouilles mortelles à son cousin Sidy-Embarreck qui combattait dans nos rangs, afin qu'elles fussent inhumées avec tous les rites de la foi musulmane, dans le tombeau de leur famille à Coléah ; la garnison de la ville lui rendit les mêmes honneurs qu'à un général français.

La brillante affaire du 11 novembre, qui s'était passée dans un lieu si désert qu'on ne sut quel nom lui donner, fut le coup de grâce pour la fortune de l'Émir : il présidait une réunion des chefs du désert, et leur prêchait la guerre sainte, quand quelques malheureux échappés au sabre des chasseurs, portèrent jusqu'à lui la nouvelle du désastre de son infanterie ; Abd-el-Kader avait refusé d'abord de croire à leur récit ; puis forcé de se rendre à l'évidence, il s'était renfermé dans sa tente sans vouloir voir personne ; l'ardeur de ses hôtes pour sa cause s'était subitement refroidie ; sur la nouvelle de l'approche de la colonne française, l'Émir fugitif s'enfonça encore au sud-ouest ; il n'y fut cependant pas poursuivi ; le général Tempoure, craignant que le mauvais temps n'interrompit ses communications, était revenu à Sidi-Bel-Abbès où il s'établit ; le général Bedeau qui s'était lancé lui-même à la poursuite de l’Émir, avait rétrogradé pour les mêmes causes ; Abd-el-Kader, peut-être pour la première fois depuis la guerre, semblait épuisé par ses défaites ; il passa la frontière du Maroc avec le peu d'adhérents qui lui restaient encore, et envoya Milou-Bell-Arateh et Ben-Thamy, à la cour de l’Empereur, pour tâcher de l'armer en sa faveur.

En quittant la Régence, Abd-el-Kader la laissa entièrement soumise à l'autorité française, hors deux points où flottait encore son drapeau. Biscara restait occupé par un de ses lieutenants qui commandait un bataillon régulier de 500 hommes ; mais la capitale du Ziban, perdue au milieu des sables du désert, appartenait à peine à l'Algérie ; un autre bataillon régulier soutenait dans le Sébaou l'autorité chancelante de Ben-Salem, qui se renfermait dans l'inaction et la retraite ; les trois quarts de son territoire était déjà envahis par Mahiddin, le compétiteur que nous lui avions donné, et qui sans autres ressources que ses talents et notre influence morale ; avait assis son autorité d'une manière régulière, percevait les impôts et en versait les produits à Alger ; à l'ouest de cette capitale, le Dara, grand foyer de l'insurrection de l'hiver dernier, ne manifestait plus aucun signe d'hostilité, et acceptait au moins par un consentement tacite, l'organisation que nous lui avions donnée ; de petites colonnes parcourant dans tous les sens cette région si difficile, recevaient partout des montagnards une hostilité empressée ; l’Ouarenséris se remettait de toutes les insurrections et de tous les ravages qu'il avait essuyés. Le Gouverneur était lui-même rentré dans ce canton au commencement d'octobre ; nulle part les populations ruinées, décimées par la guerre n'avaient opposé de résistance sérieuse ; elles semblaient au contraire jalouses pour la plupart, d'effacer, par des marques de soumission et de confiance, le ressentiment que le maréchal devait éprouver de leurs promesses deux fois violées ; les tribus soupiraient après l'ordre et le repos ; mais privées de leurs chefs par la mort des uns et la fuite des autres, n'ayant pas encore reçu de Gouvernement positif des Français, en remplacement de celui qui avait été renversé, elles étaient tombées dans l'anarchie la plus complète, et n'offraient plus de pouvoir régulier avec lequel on put traiter ; le Gouverneur convoqua une grande assemblée de toutes les personnes notables du pays, sur les bords de la Kreschab, au pied du grand pic de l'Ouarenséris, et désigna pour Aga de toute la partie Est du pays Hadj-Hamet-Ben-Férah, homme qui était venu à nous dans le principe et qui depuis lors n'avait cessé de nous servir avec une fidélité et un dévouement à toute épreuve ; chaque tribu reçut aussi le chef qui devait la gouverner ; le bruit du canon et le son des fanfares consacrèrent cette imposante solennité ; les autorités nommées par Abdel-Kader, acceptèrent, ainsi que leur famille, l'ordre d'émigrer et de venir s'établir, soit auprès du camp français à Orléansville, soit auprès du Kalifat du Dara, Ould-Sidy-Arribi, qui devait répondre de leur soumission et de leur tranquillité. Les anciens partisans de l'Émir proclamaient, du reste, qu'ils ne désiraient plus rien que le repos, et qu'ils renonçaient pour jamais à toute part dans l'administration de leur pays. Une seule tribu n'avait pas été représentée à la grande réunion du 7 octobre. Peu de jours après elle fit aussi sa soumission. Le Gouverneur détacha du camp de la Kreschab une colonne sous les ordres du colonel Eynard, pour parcourir la portion ouest de l'Ouarenséris, gouvernée par notre ancienne connaissance Mohammet-Bel-Hadj ; ce fidèle allié de la France se rendit auprès du colonel dès qu'il le sut arrivé dans ses montagnes ; il avait avec lui Mohammet-Ben-Marabit, autre personnage important dévoué à notre cause. L'influence de ces deux hommes croissant tous les jours amena au camp français beaucoup de chefs qui jusqu'alors s'étaient tenus à l'écart. Aidé par les sages conseils de Bel-Hadj, le colonel parvint à accommoder quelques misérables différents, qui depuis longtemps travaillaient diverses tribus et menaçaient de faire encore couler le sang. Enfin, avant de quitter le pays, il passa en revue 400 cavaliers Beni-Ourack, tous bien montés et équipés, qui, commandés par Mohammet, paraissaient très capables de maintenir dorénavant l'ordre dans le pays.

De l'Ouarenséris, le gouverneur se dirigea vers l'ouest, complétement pacifié par la victoire du Il novembre ; il y fut reçu en triomphateur. Il s'avança jusqu'aux frontières du Maroc, continuellement escorté par les tribus dont il traversait le territoire. Ce brillant cortège n'oubliait ni les fantasias, ni les décharges de mousqueterie avec lesquelles les Indigènes ont l'habitude de célébrer tous les événements importants. Avec la mobilité ordinaire à leur race, ceux des Arabes dont la résistance avait été la plus opiniâtre, étaient précisément ceux qui nous témoignaient le plus de dévouement. La conquête de l'Algérie semblait terminée ; les troupes pouvaient espérer un peu de repos, après tant de périls et de fatigues ; le maréchal rentra enfin dans Alger, heureux de la grande œuvre à laquelle il avait attaché son nom ; trois mois après, le gouverneur d'Oran ramenait son quartier général dans la capitale de la Province, après une résidence à Mascara, de deux ans, qui n'avaient été qu'une suite continuelle d'expéditions et de combats. A son retour à Oran, le général Lamoricière donna quelques fêtes brillantes, délassements bien dus à ses jeunes officiers, qui retrouvaient avec délices les plaisirs d'une vie civilisée ; on soupçonnait peu que la vieille ville, partie musulmane, partie espagnole et partie française, pût contenir la société choisie qu'on vit se presser dans les salons du gouverneur. Longtemps la guerre avait arrêté toute colonisation de ce côté ; mais depuis que nos forces avaient éloigné l'ennemi de nos ports de mer, la population en avait appris peu à peu les chemins. L'Espagne, surtout, que d'anciens souvenirs rattachaient à Oran, dont les côtes n'en sont qu'à quarante lieues, lui fournissait beaucoup d'émigrants ; dans sa dernière course à l'ouest, le maréchal avait examiné les constructions qui s'élevaient au village nouvellement fondé de la Sémira, et parut satisfait de ses premiers essais ; Mostaganem, dont les alentours sont très fertiles, commençait aussi à prendre son essor ; mais tous les essais d'établissement et de culture européenne ne s'éloignaient pas encore des bords de la mer : l'autorité ne permettait alors à la population civile de s'établir, ni à Tlemcen, ni à Mascara ; il semble qu'il eût été temps, cependant, de commencer à repeupler cette dernière ville, qui, entre les mains des Européens, douée d'un sol excessivement riche, eut été bientôt en voie de reprendre son ancienne splendeur.

 

 

 



[1] Rivière toute autre que celle devenue si fameuse par la grande bataille.

[2] On nomme ainsi le lieu où les Beni-Ourack tiennent leur marché.

[3] Ceci a été écrit avant la grande insurrection de 1845.

[4] On sait qu'Escoffier, après une captivité pénible mais supportée avec courage, est enfin rentré en France, où il a reçu la plus noble et la mieux méritée des récompenses, la Croix d'Honneur.