Le général Woirol,
gouverneur provisoire. — Prise de Bougie. — Commission d'enquête en 1834. —
Discussions de tribune. — Le général Drouet-d'Erlon, gouverneur-général avec
une nouvelle organisation du pouvoir. — Essai du système pacifique. —
Commencements d'Abd-el-Kader. — Il étend sa domination. — Sa paix avec le
général Desmichels. — Affaire funeste de la Macta.
Le duc
de Rovigo, partant malade pour Paris, avait laissé au général Avizard le
commandement par intérim de la Régence. Au bout de quelques jours, ce dernier
fut remplacé par. le général Woirol, autre commandant en chef provisoire. Ce
régime, qui laissait tout en suspens, dura jusqu'à la fin de septembre 1854 ;
bien que la mort du gouverneur en titre, arrivée le 2 juin 1855, eût permis
de lui donner dès lors un successeur. Malgré les inconvénients d'un pareil
état de choses, la seule présence d'une armée française devait être, et fut,
en effet, une source d'améliorations lentes, mais très réelles dans un pays
naguère ravagé et barbare. Le caractère du nouveau gouverneur presque en tout
l'opposé du duc de Rovigo, contribua beaucoup à cette prospérité, Alger
s'embellissait et s'assainissait. Un service régulier de bateaux à vapeur,
partant tous les dix jours de Toulon pour Alger, fut définitivement organisé
aux frais de l'État ; avantage immense pour la population européenne de cette
dernière ville. La culture faisait des progrès, mais se renfermait dans les
avant-postes, c'est-à-dire dans un rayon de deux lieues. Quelques colons
détachés de cette population flottante que les armées traînent à leur suite,
s'étaient définitivement établis dans les villages de Kouba et de
Dely-Ibrahim. Le maréchal Clausel avait vu, dans la Régence, une véritable
terre promise, le général Berthezène, un pays maudit, dont nous ne nous
débarrasserions jamais assez vite. Ni l'une ni l'autre de ces opinions
n'était entièrement vraie ; l'Afrique est généralement fertile, elle pourra
devenir pour la France une source de richesses et de puissance, mais en 1853,
elle ne produisait presque rien, et bien des années s'écouleront encore avant
qu'elle puisse couvrir les frais qu'elle nous occasionne. Comme dans tous les
pays connus, les terres les plus fertiles s'étendent dans le fond des
vallées, sur le bord des rivières, qui, livrées à des débordements annuels,
engendrent une foule de marais, foyers d'infection et d'insalubrité. Sans
doute la main de l'homme peut corriger une partie de ces inconvénients, mais
que de travaux, que d'argent ne faudra-t-il pas y engloutir ? Les
dessèchements des marais coûtent, en France, quelquefois plus qu'ils ne
produisent ; que doit-ce être dans un pays qui n'offre aucune des ressources
d'une civilisation avancée ? La sagesse commandait de ne marcher que pas à
pas dans une pareille carrière ; d'établir les populations et les cultures
dans des lieux salubres, parce que rien ne remplace un pareil avantage, de livrer
les plaines humides, telles que la Métidja, aux prairies, dont le produit
spontané peut se recueillir dans un temps assez court pour que les
travailleurs, ne soient pas éprouvés par l'air dangereux qu'on y respire. Les
terrains consacrés aux herbages ne sont pas d'ailleurs ceux dont le revenu
net est le moindre, et les plantes fourragères poussent avec une rare vigueur
sur les bords de l’Hamise et de l’Aratch. On peut s'en convaincre dans l'été
1833, où l'armée campée dans la plaine récolta dans quelques jours de quoi
nourrir ses chevaux pendant toute l'année ; aucun ennemi ne vint
troubler ses rustiques travaux, qui se Aient avec autant d'ordre que de
sécurité. Les tribus voisines s'accoutumaient insensiblement à notre
présence, en voyant que nous n'abandonnions point notre conquête, comme elles
s'en étaient longtemps flattées : la soumission à la force, la résignation au
destin est un des dogmes de leur religion. Pour la première fois depuis
l'occupation d'Alger, le mois de septembre se passa sans agression de la part
des indigènes, bien qu'une légère fermentation suivie de l'assassinat d'un de
nos caïts eût signalé cette époque ordinairement si orageuse. Il est possible
que notre domination eût continué de faire de pacifiques progrès, qui lui
eussent soumis peu à peu toute la Régence, si l'ambition et le fanatisme d'un
ennemi implacable n'étaient venus se jeter à la traverse d'une situation qui
s'améliorait chaque jour. Une
noble et intéressante figure commence à se dessiner dans les premières années
de l'occupation française, celle du jeune officier qui fut depuis le général
Lamoricière, et qui, la France l'espère, est appelé à des destinées bien plus
brillantes encore. Issu d'une famille distinguée de Bretagne, Léon Juchault
de Lamoricière naquit à Nantes, dans l'année 1805. Comme son compatriote
Duguesclin, c'était dans ses premières années un enfant vif et remuant, mais
très entêté. Reçu à l'école Polytechnique en 1824, ses camarades se
rappellent encore sa figure bienveillante, son obligeance à toute épreuve,
son inaltérable bonne humeur et son opiniâtreté au travail ; classé dans un
rang qui n'avait rien de brillant lors de son entrée, il jura qu'il sortirait
un des premiers et tint parole. Le trait saillant de M. de Lamoricière, comme
celui de tous les grands hommes de guerre, est une énergie indomptable de
volonté servie par un tempérament de fer. La réunion de ces deux avantages
pouvait seule soutenir les excès de travail, bases -de ses succès à l'école,
et les fatigues constantes qui, l'ont assailli plus tard dans sa carrière
militaire. Cette santé néanmoins lui faillit un moment à l'école de Metz où
deux fièvres cérébrales, précédant ses examens de sortie, menacèrent une vie
qui plus tard, devait échapper à l'assaut de Constantine ; il se rétablit
promptement, sortit le premier de la promotion du génie, et fut classé à ce
rang dans un régiment de cette arme. Désigné bientôt après pour l'expédition
d'Afrique, il vit avec un sentiment exalté mais réfléchi de joie et de
bonheur, s'ouvrir devant lui une occasion de développer tout le jeune
courage, toutes les éminentes qualités qu'il sentait renfermées dans son âme.
Simple lieutenant du génie au siège de Château-l'Empereur, il fut chargé
d'exécuter un boyau de tranchée tracé par son capitaine ; l'œil perçant du
jeune homme s'aperçut bien vite que l'ouvrage projeté allait être enfilé par
les feux de la place. Il en avertit son capitaine qui n'y fit pas grande
attention. A une nouvelle observation, ordre péremptoire d'obéir. « Je
mourrai s'il le faut pour exécuter vos ordres, répondit M. de Lamoricière,
mais il n'en sera pas moins vrai que le tracé est mauvais. » Le tracé
fut examiné de nouveau, reconnu défectueux, et rectifié par la fermeté du
jeune lieutenant. La
révolution du juillet, coup de foudre plus inopiné encore pour les vainqueurs
d'Alger que pour le reste de la France, surprit l'armée au milieu de son
triomphe. Lamoricière appartenait par son père à cette opinion qu'un vieux
dévouement ralliait aux Bourbons vaincus, par son éducation h cette jeunesse
ardente et généreuse, dont les pensées sont tournées vers l'avenir plutôt que
vers le passé. Ces deux impressions contraires durent se livrer bien des
combats dans son âme ferme et loyale. Il se décida pour un parti qu'auraient
dû suivre, ce me semble, tous ceux qui se trouvaient dans une situation
analogue ; il consacra sa jeune épée à son pays, jura dans son cœur de rester
fidèle aux nouveaux serments qu'il allait prêter ; mais résolut de renfermer
son avenir dans l'accomplissement de ses devoirs purement militaires. Rester
étranger aux factions qui pouvaient déchirer sa patrie, la servir sur la
terre étrangère par ses talents et son courage, tel fut le plan qu'il se
proposa dans le principe, et qu'il suivit comme tous ses projets avec un rare
esprit de suite et d'énergie. 4 En Bretagne, disait-il alors, il faut être ou
chouan ou révolutionnaire, et je ne veux être ni l'un ni l'autre. » Par suite
de cette résolution, il quitta l'arme du génie où l'avaient appelé les études
de sa première jeunesse, entra comme capitaine dans le corps des zouaves
qu'on organisait alors, et dévoua sa vie à cette Afrique qui devait en retour
lui donner tant de gloire, Il dut bien lui en coûter cependant pour
abandonner presque toutes les affections de famille, dont nul plus que lui
n'éprouvait le charme et le bonheur ; mais sa résolution prise, rien ne décela
plus chez lui ni hésitation ni même un regret, On se souvient encore à Alger
du temps où, officier subalterne d'un corps composé d'hommes à moitié
sauvages, et qui pouvaient à chaque instant massacrer le petit nombre de
Français entrés dans leurs rangs, campé sur les bords de la Métidja, si
terribles pour les Européens, miné par la fièvre que la force de sa
constitution lui fit plus tard surmonter, n'ayant pour tout abri qu'une tente
brûlante le jour et glacée la nuit, il consacrait à l'étude opiniâtre de la
langue et des mœurs de ses nouveaux soldats, tout le temps qu'il pouvait
dérober à ses devoirs militaires, sans jeter un regard sur cette patrie
abandonnée pour une terre, qui jusqu'alors ne lui avait offert que des
souffrances et des déceptions. Mais le jour des dédommagements ne tarda pas à
luire pour lui. Le cabinet français, plus tranquille du côté de l'Europe,
commençait à porter ses regards au-delà des flots de la Méditerranée ;
cependant il ne paraît pas qu'il se soit formé dès lors un plan de conduite
bien fixe et bien soutenu ; les hommes sont conduits par les événements et
cela est vrai, surtout pour les affaires d'un État constitutionnel où
personne n'a le droit positif de dire : « Je ferai. » L'opinion publique, le
désir des officiers, qui ne cherchaient que des occasions de se distinguer,
la honte de paraître abandonner une conquête de la Restauration, contribuèrent
beaucoup à jeter le gouvernement dans une série d'entreprises dont il
n'appréciait peut-être pas bien toute la portée, mais qui, en définitive,
tourneront à la puissance de la France et au bien de l'humanité. Le général
Trézel, arrivé en Afrique en même temps que M. de Rovigo, persuada au
ministre de la guerre d'entreprendre une expédition contre Bougie et fut
chargé de la diriger ; mais on manquait de renseignements sur les alentours
et les fortifications de la place ; M. de Lamoricière s'offrit d'aller seul
la reconnaître. Il s'embarque sur un brick avec trois Musulmans, de la
fidélité desquels il était sûr, se fait jeter avec eux sous les murs de
Bougie, fait le tour de l'enceinte, en impose par son sang-froid à quelques
Kabyles qui arrivaient avec des dispositions menaçantes, et ne rentre à bord
qu'après avoir terminé sa mission. Pendant ce temps, le canot du brick
exécutait des sondages sur toute l'étendue de la rade, pour reconnaître les
points où pourraient s'embosser les navires, qui devaient de leurs feux
protéger le débarquement des troupes de terre ; muni de ces précieux
renseignements, le général Trézel vint à Toulon avec le jeune officier qui
les lui avait fournis, organiser et presser l'expédition qui se préparait ;
ils étaient accompagnés de quelques Musulmans, habitants de Bougie ou des
environs, chassés de chez eux à cause des relations qu'ils avaient formées
avec nous ; d'après les données qu'ils fournirent, les montagnards que nous
allions combattre étaient très braves et très belliqueux. Le 59e régiment,
quelques bataillons étrangers, des détachements d'artillerie et du génie
partirent de Toulon le 20 septembre, à bord de la Victoire et du Cigne, qui
devaient être ralliés en mer par d'autres bâtiments portant des troupes
prises à Alger. Contrariée par des vents, la flottille ne put se trouver que
le 29 à la pointe du jour, en rade de Bougie ; le défaut de vent, la
nécessité de ne s'avancer qu'avec précaution sur des rivages presque
inconnus, donnèrent le temps aux tribus des environs et aux habitants de la
ville de se préparer à la défendre. Le général Trézel avait divisé sa petite
armée en trois colonnes, dont chacune avait sa tâche bien fixée. A peine nos
navires se trouvèrent-ils à portée des canons de la place, qu'ils furent
accueillis par un feu très vif d'artillerie, qui ne pût être éteint par celui
des vaisseaux français que vers les 10 heures du matin ; alors seulement les
canots de débarquement furent mis en mer malgré une grêle de balles qui
tuèrent quelques hommes. Les trois colonnes débarquées enlèvent d'emblée
toutes les positions désignées à leur attaque et la ville est en grande
partie occupée ; mais les Kabyles, embusqués derrière les haies, les murs des
jardins, ne cèdent du terrain que pied à pied. A mesure que nous avançons, le
cercle du combat s'élargit, et pour faire face partout, de nouvelles troupes
deviennent nécessaires : la marine fournit deux cents matelots dont
l'héroïque bravoure supplée à l'inégalité du nombre ; la nuit arrive, on se
fusille au clair de lune ; mais l'ennemi cède sur tous les points, et le
lendemain le corps expéditionnaire s'établit et se fortifie dans les
positions conquises la veille. Cependant la nouvelle de la prise de Bougie,
de la ville sainte, se répand comme un coup électrique parmi les tribus
musulmanes qui habitent les hautes vallées du Jurjura ; les Marabouts
prêchent partout la guerre sacrée. Ces populations fanatiques s'émeuvent,
descendent de leurs rochers sauvages et viennent, indignées et frémissantes,
établir un camp immense à une demi-lieue de la ville. Le premier octobre
elles nous assaillent avec fureur dans nos avant-postes ; partout la bravoure
organisée écrase l'énergie aveugle des Africains : les baïonnettes françaises
couronnent quelques-unes des crêtes qui enceignent le bassin de l'Adouse, et
des blockhaus immédiatement élevés nous en assurent la paisible possession.
Restait encore à conquérir le poste important de Gouraya, situé sur la cime
extrême de la hauteur au nord de la ville ; de là, les ennemis plongeaient
jusques dans le centre de nos possessions. Une colonne française part au
milieu de la nuit du 11 octobre et parvient à quatre heures du matin au pied
du marabout qui renferme les Kabyles. TI est enlevé à la baïonnette. Tous les
autres postes nécessaires à la sûreté de la place sont occupés cette même
nuit ; notre ligne de blockhaus se complète, et la garnison peut enfin se
livrer à des travaux intérieurs sans craindre que les balles ennemies
viennent la frapper jusques dans l'enceinte des murailles. Cependant les Kabyles
revinrent plusieurs fois à la charge dans les premiers jours de novembre, ou
plutôt l'occupation de Bougie ne fut dans son principe qu'une suite
continuelle de combats ; mais la sûreté de la place désormais n'en pouvait
être atteinte. Le général Trézel en confia le commandement au lieutenant-colonel
Duvivier et vint reprendre à Alger les fonctions de chef d'état-major de
l'armée d'Afrique. Peu de jouas après, le capitaine Lamoricière, qui s'était
distingué à la prise de Bougie, fut nommé officier supérieur dans les
Zouaves. Cependant
le gouvernement, tout en accordant quelque chose à l'impatience de l'armée,
qui réclamait de nouveaux champs de bataille, n'avait alors aucune idée fixe
sur la valeur réelle de ses possessions africaines, auxquelles nous avions
déjà prodigué tant d'argent et de sang. Beaucoup de plaintes s'étaient
élevées contre la conduite de quelques agents de l'autorité, et bien qu'elles
fussent généralement mal fondées ou peu importantes, le ministère, éloigné du
théâtre des événements, en présence d'une situation sans précédents, ne
savait pas comment il devait les apprécier. Pour s'éclairer, il prit le parti
de nommer une commission qui dût se transporter en Algérie pour l'examiner de
près et sur tous les points de vue ; elle était composée de six membres : M.
le général Bonnet, président, du général du génie Montfort, et de MM.
Laurence, Piscatory, de la Pinçonnière et Reynard, membres de la Chambre des
Députés. Elle devait remplir les cadres d'une foule de questions et de
documents qu'on lui avait, confiés, mais tout pouvoir d'action lui était
refusé. C'était un moyen de réponse tout naturel aux demandes et réclamations
dont on prévoyait bien qu'elle allait être assaillie. Débarquée à Alger dans
les premiers jours de septembre 1854, la commission y reçut la visite et les
observations de tous les hauts fonctionnaires de la Régence, et même de tous
les habitants qui crurent avoir quelque chose à lui communiquer. Elle
recueillit une foule de notes et de renseignements qu'elle renferma dans un
secret impénétrable ; puis une colonne de 3 à 4.000 hommes fut mise à sa
disposition pour l'escorter jusqu'à Blida, et lui faire connaître un peu
l'intérieur du pays. Dans cette excursion, elle put admirer la belle route
exécutée, dans le courant de l'été par l'armée, de Dely-Ibrahim à Bouffarick,
à travers les tableaux accidentés de Douèra. La petite expédition française
ne rencontra point d'ennemis jusqu'à Blida, dont les habitants la reçurent
avec un respect qui ne témoignait que leur terreur. Au retour, des coups de
fusil furent tirés contre nos troupes ; quelques légères blessures en furent
la suite ; mais près des Dix-Ponts, un affreux spectacle vint glacer les
regards de nos soldats. Des traînards suivant la colonne à une trop grande
distance, surpris par un parti d'Hadjoutes, avaient été égorgés et décapités.
Leurs cadavres, noyés dans une mare de sang, encombraient la route qui
serpente à travers les broussailles ; l'armée indignée voulait revenir sur
ses pas pour brûler la ville de Blida ; les généraux ne continrent qu'avec
peine son ressentiment. Ce, fut, du reste, le seul accident de la journée. Un
intérêt romanesque fut attaché à cette expédition insignifiante, par
l'épisode d'une jeune fille de douze ans, qui, après avoir embrassé le corps
de ses parents massacrés sous ses yeux, au moment même où le yatagan allait
lui trancher la tête, s'était jetée à travers les broussailles, et s'était
ainsi réfugiée dans un Adouar de la plaine. Elle y fut rencontrée par les
épouses des meurtriers de sa famille, et parvint à faire vibrer chez elles un
sentiment de pitié qui ne s'éteint jamais chez la femme. Recueillie et bien
traitée d'abord, elle fut plus tard ramenée aux avant-postes français, par
une tribu qui voulut s'en faire un bouclier pour conjurer notre vengeance. Le
courage et la piété filiale de Lucie Brutto devint l'objet de l'entretien de
toute l'armée ; une souscription fut ouverte parmi les officiers pour doter
la jeune héroïne ; elle fut enfin adoptée par une famille, heureuse de
remplacer celle que l'orpheline avait perdue. En
partant d'Alger, la commission parcourut les autres points de la côte occupés
par des troupes françaises ; à Oran, elle prit part à une expédition
militaire suivie d'un combat contre Abd-el-Kader. Le général Montfort, un de
ses membres, avait reçu et exécuté une mission particulière, consistant à
suivre toutes les côtes depuis Bone jusqu'au Maroc, pour examiner l'état des
places où flottait le drapeau tricolore, et reconnaître les points où il
serait utile d'établir de nouveaux postes, servant de comptoirs pour notre
commerce avec l'intérieur du pays, et d'abris aux navires battus du mauvais
temps. Chaque membre de la commission avait aussi une étude spéciale à suivre
et une tâche à terminer. Tous ces travaux prirent place dans un rapport
général, et la commission elle-même, de retour d'Afrique, se fondit dans une
autre beaucoup plus nombreuse, établie à Paris, qui, par la diversité de ses
avis, sembla compliquer la question au lieu de l'éclairer. Un abandon entier
et définitif était sans doute le dernier mot de beaucoup de députés, mais
aucune voix n'osa l'énoncer ; le public s'accoutuma dès lors à regarder Alger
comme une terre définitivement française. Il s'y créait des intérêts qui
formaient autant de liens entre la colonie et la mère patrie ; cette opinion
se répandant chez les Musulmans, réalisait déjà un pas immense vers la
sécurité et la pacification générale. Une petite expédition dirigée par le
général Trobriant contre les Hadjoutes ne trouva aucune résistance ; elle
avait pour but de venger les assassinats commis à Bouffaric ; lors de la
course de la commission à Blida ; les habitations de cette tribu insolente
furent brûlées, en châtiment de ses nombreux méfaits. La
commission générale avait du reste assez bien apprécié, et les avantages que
nous pouvions tirer plus tard de notre conquête, et les difficultés que nous
trouverions pour y réussir ; mais tout le monde en savait à peu près autant,
et aucune idée nouvelle n'avait jailli de ses discussions. Les réunions
d'hommes apprécient, jugent, sentent surtout, mais n'inventent rien ; la
commission se montra sévère, quelquefois même injuste pour les faits passés
et les hommes qui les avaient accomplis, et ne put elle-même formuler une
direction quelconque pour l'avenir ; il n'était donc pas étonnant que les
pouvoirs bornés, éphémères, qui s'étaient succédés plutôt qu'ils n'avaient
agi en Afrique, eussent partagé la même impuissance. Peut-être même eût-ce
été trop exiger du gouvernement lui-même que de lui demander un système
complet et des faits constamment en rapport avec son exécution. N'était-il
pas toujours à la merci d'une majorité, c'est-à-dire de la chose du monde la
plus insaisissable, la plus fugitive ? L'équilibre des trois pouvoirs a de
grands avantages, mais qui dit équilibre, dit absence d'action ; aussi
sommes-nous restés dix ans en Afrique sans y faire un pas, et les seules
mesures un peu importantes prises par le cabinet l'ont été sous sa
responsabilité personnelle, persuadé qu'il était que le sentiment d'honneur
national ne lui ferait pas défaut, et en cela il ne s'est pas trompé. La
seule puissance toujours énergique eu France, est celle de l'opinion
publique, mais qui éprouve, à un degré encore plus fort qu'une assemblée,
l'impossibilité de rien inventer, rien coordonner par elle-même, tout en
s'appropriant avec une force irrésistible les idées, les projets qui lui
conviennent ; et quand on réfléchit à tous les maux que la passion ou
l'erreur d'un seul pouvoir, soit homme, soit assemblée, sont parvenus à
entasser sur l'humanité, on est conduit à penser qu'un gouvernement à
plusieurs têtes est le meilleur possible, quoique avec lui on ne doive
s'attendre à aucune entreprise hardiment conçue, parfaitement exécutée,
rapidement terminée. La
commission, par un sentiment honorable de protection due à la faiblesse,
s'était fait trop facilement l'écho des plaintes de quelques Maures d’Alger
qui, s'apercevant du respect que nous avions pour leurs personnes et leurs
biens, en avaient facilement abusé, comme d'une chose à laquelle le
gouvernement des Turcs ne les avait pas accoutumés. Blessés dans leur
orgueil, menacés dans leurs intérêts du moment par le seul fait de notre
présence en Afrique, ils exhalaient leurs récriminations avec le chagrin et
l'amertume naturels aux vaincus. Leurs plus grands griefs étaient le
déplacement de leurs tombeaux, et l'usurpation par la voie publique ou par
l'autorité militaire de quelques maisons, avant que le prix en eût été
intégralement payé aux propriétaires : mais dans un pays où les environs des
villes étaient entièrement envahis par les tombeaux, au travers desquels
circulaient à peine quelques sentiers tortueux, praticables seulement pour
les bêtes de somme, fallait-il priver à jamais les vivants de communications
plus commodes, par respect pour des morts la plupart inconnus ? Quant aux
maisons démolies sans indemnité préalable, c'était une mesure nécessaire pour
rendre quelques rues d'Alger accessibles à nos voitures et à notre artillerie
; et si quelquefois les officiers s'emparèrent, pour loger leurs troupes,
d'habitations la plupart abandonnées par leurs propriétaires, on doit se dire
que pour une armée, comme pour les individus, la première loi est de vivre,
et qu'un abri est nécessaire pour cela en Afrique comme partout ailleurs. Il
eut été absurde et de plus impossible d'exiger de nos soldats qu'ils
restassent exposés aux pluies torrentielles d'un hiver d'Afrique, en face de
maisons commodes et désertes. Ils ont assez prouvé qu'ils savaient souffrir
patiemment quand il le fallait, pour qu'on dût leur épargner toute peine
inutile. Les dommages qui résultèrent de leur occupation furent soldés plus
tard ; c'était tout ce qu'on pouvait demander ; jamais les intérêts ni même
les préjugés les plus absurdes des Musulmans ne furent froissés sans de très
grands motifs ; l'armée brave dans le combat fut patiente après la victoire,
et sauf M. de Rovigo qui usa du pouvoir avec une fermeté peut être outrée,
tous les gouverneurs furent non-seulement justes, mais encore constamment bienveillants
à l'égard des indigènes. Alarmée
de ce qu'on voulait bien appeler les effets du despotisme militaire, la
commission avait proposé de confier la suprême autorité en Afrique à un
pouvoir civil ; c'eut été la plus grande faute qu'on eût pu commettre, et
heureusement le cabinet français combattit ce projet de toutes ses forces et
parvint à le faire abandonner. Après de longues discussions dans les
chambres, il fut enfin décidé qu'un chef militaire continuerait à gouverner
la Régence avec une suprématie positive sur tous les autres pouvoirs, mais
l'exerçant d'après les règles tracées d'avance ; c'était le seul parti
raisonnable ; cette sage décision n'eut qu'un défaut, c'est d'être arrivée
trop tard. Ce
point décidé, comme la paix régnait dans toute la Régence, qu'on voulait se
borner aux points -déjà occupés, on crut pouvoir confier le poste de
gouverneur général à M. Drouet d'Erlon, général illustré sous l'empire, mais
qui depuis lors, s'était plutôt fait connaître par l'esprit de conciliation
et de douceur qui lui avait servi à apaiser les troubles de la Vendée, que
par les qualités qui constituent l'homme de guerre. Sa nomination officielle
fut annoncée dans le Moniteur du 3 août 1834. Quelques jours après parurent
une foule d'ordonnances réglant le gouvernement supérieur et l'administration
de la justice en Afrique. Le conseil supérieur était maintenu et les membres
augmentés d'un commandant général de la force armée, agissant directement
sous les ordres du gouverneur, dont le titre et les fonctions venaient d'être
nouvellement créés. On maintenait les trois espèces de tribunaux déjà existants,
français, musulmans, israélites, jugeant chacun suivant les lois de leur
nation, mais ne pouvant appliquer des peines plus fortes que celles admises
par la législation française. Au-dessus d'eux tous, était établi un tribunal
supérieur français pour juger les appels des tribunaux inférieurs, et dont
les décisions ne pouvaient être réformées que par la cour de cassation, et
suivant les règles admises pour les possessions françaises d'au-delà des
mers. L'ancienne législation était un mélange confus de coutumes musulmanes,
d'ordonnances des anciens gouverneurs, d'arrêtés des intendants civils. Pour
préparer le passage de cet ancien ordre de choses au nouveau, on nomma un
commissaire spécial de la justice, charge de fonctions transitoires, qui
consistaient à établir peu à peu les règles et les manières nouvelles de
procéder, sans trop froisser les habitudes déjà prises par les juges et la
population. L'intendance civile fut confiée à M. Le Pasquier, préfet du
Finistère, que des liens d'amitié et d'administration unissaient déjà au
nouveau gouverneur général. Tous les nouveaux fonctionnaires débarquèrent en
Afrique le 27 septembre 1834, et entrèrent immédiatement en exercice ; dans
leurs discours d'installation, ils eurent soin de répéter plusieurs fois que
jamais la France n'abandonnerait Alger, et ces paroles officielles
retentirent jusqu'au désert, comme un gage de protection pour nos amis et de
menace pour nos ennemis. C'était
surtout par la paix que le nouveau gouverneur voulait asseoir, en Afrique,
l'influence française ; si les indigènes n'eussent pas été aveuglés par le
fanatisme, ils eussent reçu avec reconnaissance cette domination étrangère
qui les comblait de bienfaits, et tendait à établir définitivement l'ordre et
la justice dans leur pays. Le reste de l'année 1834, vit plusieurs nouvelles
créations toutes tendant à ce but. Alors fut formé le corps des Spahis,
composé principalement de cavaliers indigènes enrégimentés, dont le
commandement fut confié au lieutenant-colonel Marey ; il reçut aussi quelques
jours après le titre d'Aga des Arabes. Les fonctions de ce titre renfermaient
tous les rapports existant entre l'autorité française et les Musulmans,
habitant au-delà de nos avant-postes. M. Marey devait veiller à la sûreté des
communications, châtier les crimes et délits commis dans les tribus, toutes
les fois qu'un corps d'armée ne serait pas nécessaire pour la punition des
coupables ; comme moyen d'action il avait directement à sa disposition, tous
les indigènes non enrégimentés, entretenus à la solde de France. Ce fut
le 14 décembre 1854, que fut définitivement organisé le conseil municipal
d'Alger. Il comptait 19 membres nommés par le gouverneur-général, dont 10
Français, 6 Musulmans et 3 Juifs. Il avait voix délibérative sur tout ce qui
concernait les recettes et les dépenses de la ville, les alignements des
rues, les projets d'embellissement, les acquisitions, les aliénations
d'immeubles, les procès à intenter ou à soutenir. Ses délibérations n'étaient
exécutoires qu'après l'approbation de l'intendant civil. Dans la séance
d'installation, chacun des membres jura fidélité au roi des Français,
obéissance aux lois ; en faisant le serment, les Musulmans avaient la main
Sur l'Alcoran, les Juifs sur le Pentateuque ; les Européens seuls
n'invoquèrent aucun symbole en prononçant le leur. L'intendant civil prit
ensuite la parole, et dans un discours sage et éloquent, il s'étendit sur les
devoirs des nouvelles autorités, et les sentimens qui devaient présider à
leur accomplissement. Alger
renfermait alors tout ce qui caractérise une ville européenne ; une société
coloniale était déjà organisée depuis deux ou trois ans ; mais, comme
beaucoup d'autres réunions d'agriculture et d'industrie, ses séances
n'étaient pas toujours suivies avec beaucoup d'assiduité ; Mes quelques
hommes capables qu'elle renfermait firent à cette époque de grands efforts
pour lui donner une vie nouvelle. Elle se réunit avec une certaine solennité
le 19 novembre 1834 ; le baron Vialar, un de ses membres les plus distingués,
prononça, dans cette séance, un discours plein d'une juste appréciation des
faits accomplis et d'espérance pour l'avenir. Après
un séjour de quelques semaines au centre de son gouvernement, le général
d'Erlon s'était embarqué pour visiter Bone et Bougie. La dernière de ces
places, depuis son occupation par les Français, avait été sans cesse en butte
aux attaques des Kabiles, constamment repoussées par la garnison. Une bande
de 5 à 6.000 assaillants était venue encore se briser au pied de ses
avant-postes, dans le courant de novembre : le lieutenant-colonel Du vivier y
préludait à cette réputation de courage et d'art militaire depuis si
justement acquise, mais sur ce point, la culture et la colonisation n'avaient
pu faire aucun progrès. Il n'en était pas ainsi aux environs de Bone, où la
situation n'avait cessé d'être prospère et pacifique. L'année 1854 s'était
écoulée à peu près sans combats ; en vain dans le mois de septembre,
Achmet-Bey s'était approché de la ville avec des forces considérables, pour
lever des tribus, et soulever les Arabes contre les Français ; il avait'
échoué dans tous ses projets, et s'était vu forcé de retourner à Constantine.
Deux mois plus tard, un corps de ses troupes vint attaquer et dévaliser une
tribu soumise à la France ; nos troupes marchèrent au secours de leurs
alliés, battirent l'ennemi, reprirent les bestiaux enlevés, et les
restituèrent à leurs légitimes possesseurs. Le 21
février 1835, l'intendant civil désigna une commission composée du gérant de
la colonisation, du lieutenant de gendarmerie, chargé de l'extérieur, enfin
d'un propriétaire important pris dans chaque canton. Elle avait pour
fonctions de diviser en communes le massif d'Alger, renfermé dans nos avant-postes,
et comprenant environ 43.000 hectares. Cet espace forma quinze communes ayant
chacune une moyenne de 3.533 hectares ; toutes eurent un maire et un conseil
municipal nommé par l'intendant civil. C'était beaucoup d'avoir organisé des
autorités locales, qui enveloppaient la campagne d'un réseau d'ordre et de
surveillance. La légalité s'établissait peu à peu dans ce pays qui
jusqu'alors en avait été si complètement dépourvu. La fin
de janvier et les premiers jours de février 1835 furent signalés par
d'immenses sinistres maritimes, sur toutes les côtes de la Régence ; Bone fut
la première à s'en ressentir. Le 24 janvier, après le coucher du soleil ; un
vent de nord-est, qui soufflait depuis la matinée, augmenta successivement de
violence. D'énormes nuages noirs roulaient dans les cieux, signes
infaillibles d'une horrible tempête ; en effet, vers minuit elle éclata avec
fureur ; deux bricks de l'État et douze bâtiments de commerce se trouvaient
alors en rade ; à six heures et demie du matin, huit navires étaient jetés à
la côte ; trois furent bientôt entièrement brisés sans qu'il en restât un
seul vestige. Un brick de l'État lutta longtemps contre les flots, mais
enfin, vaincu par la force toujours croissante du vent, on le vit s'échouer
sur un banc de sable, à l'embouchure de la Seybouse. Aussitôt les
embarcations du port partirent pour aller lui porter secours. On sauva les
hommes du bord, mais le bâtiment fut perdu. Les équipages des navires de
commerce furent moins heureux : ils perdirent deux capitaines et dix matelots
; quelques jours après, un nouvel ouragan se déchaîna sur Bone, et avec plus
de violence peut-être encore que le 24 janvier. Alger cette fois eut sa part
de désastre. Des bâtiments furent brisés jusque dans l'intérieur de la
Darse', et si le vent qui se maintint au nord-ouest eût passé au nord-est,
comme on le craignit un instant, il est probable qu'on n'eût pu en sauver un
seul. La Marne, grosse corvette de charge, menaça longtemps d'écraser de sa
masse tous les navires qui se trouvaient dans le port, mais enfin on parvint
à la maintenir sur ses amarres, ce qui prévint des pertes énormes ; en total
cependant dix-sept navires, grands et petits, furent perdus dans les journées
des 11 et 12 février. Un capitaine d'artillerie, M. de Livois, périt dans
cette dernière journée en voulant porter secours à un navire naufragé. Sa
perte fut vivement sentie de toute la ville qui avait appris à l'aimer et à
l'apprécier. Son corps ne put être retrouvé, et un monument vide, élevé par
les regrets de ses camarades, rappelle sur cette terre éloignée, le souvenir
de ce jeune homme qu'attendaient les plus brillantes espérances. Les
Hadjoutes, toujours turbulents, furent encore l'occasion, durant l'année
1855, de beaucoup de combats sans grande importance. La destruction des
récoltes, l'incendie de quelques misérables huttes de roseaux, voilà quel en
était le résultat le plus positif. A la terrible réputation qui s'attachait à
cette tribu on aurait pu croire qu'elle renfermait dans son sein une
nombreuse population. Il n'en était rien cependant ; jamais elle ne compta
plus de trois à quatre cents hommes en état de porter les armes, recrutés de
tous les vagabonds et aventuriers que pouvaient fournir les tribus
environnantes ; mais par cela même que leurs Adouars étaient détruits, ils
battaient constamment la campagne, paraissaient et disparaissaient avec la
même facilité, toujours prêts à piller partout où l'occasion s'en présentait,
se multipliant par la mobilité de leurs mouvements et la terreur qu'ils
inspiraient. La
session de la chambre des députés de 1835 fut encore signalée par les
discussions auxquelles donna lieu notre séjour en Afrique. Les différentes
opinions se manifestèrent par une abondance de discours où les faits les plus
contradictoires furent successivement énoncés. Autour des deux opinions
extrêmes, qui se résolvaient en évacuation ou en conquête totales, et qui
eurent rarement le courage de se montrer à découvert, se groupaient une foule
d'avis intermédiaires qui se réfugiaient dans une occupation plus ou moins
étendue, avec une influence sur les tribus extérieures aussi grande que nous
pourrions l'établir. Au premier aspect, ce plan semblait le plus sage ; dès
qu'un centre de civilisation aurait été positivement établi sur un point
quelconque de la Régence, il était probable que, par sa seule force
expansive, il l'envahirait bientôt tout entière. Ce genre de conquête
successif, se développant au fur et à mesure des besoins, eût été sans doute,
non-seulement le plus digne de nos idées de modération et de justice, mais
aussi le plus avantageux sous le point de vue uniquement financier. Les
conquêtes militaires ne valent presque jamais ce qu'elles coûtent. Les
chambres s'associèrent complètement au système d'une occupation restreinte,
qui dominait alors ; mais, pour réussir, il demandait sagesse et modération
dans les hommes chargés de rappliquer, et chez les populations avec
lesquelles nous étions en contact. C'était ce qu'on ne pouvait
raisonnablement espérer ; aussi dans cette occasion, comme il arrive presque
toujours pour le malheur de l'homme, les résolutions les plus modérées furent
forcées de céder la place aux plus extrêmes. Le
maréchal Clausel, dont l'esprit actif avait besoin d'aliment, fit à cette
époque une visite à la Régence, comme simple particulier, et sans mission
officielle de l’Etat ; il s'occupait toujours beaucoup de ce pays, où il
avait acquis de grandes propriétés, et qu'il défendait chaleureusement dans
les discussions de la chambre des députés. Il accompagna le gouverneur dans
une visite que fit ce dernier à tous les avant-postes, jusqu'au pied des
montagnes au sud de la Métidja, et parut satisfait des progrès qu'avaient
faits la culture et la sécurité. En effet, quelques tribus voisines de nos
avant-postes étaient entrées dans nos rangs comme auxiliaires. Les Arabes du
Faz, c'est-à-dire de la banlieue d'Alger, faisaient depuis quelques temps la
police des avant-postes ; on avait choisi parmi eux des cavaliers qui, sous
le nom de Spahis d'El-Faz, reçurent un permis de port d'armes et une solde
journalière payée par la France, pour veiller à la sûreté des portions
éloignées de notre territoire, tâche dont ils s'acquittèrent constamment avec
zèle et fidélité. De simples sous-officiers français, avec trois ou quatre
hommes, purent parcourir la plaine et s'avancer jusque sur les pentes des
montagnes qui la terminent. Au
printemps 1834 avait été conclu un traité de paix avec Abd-el-Kader, que nous
désignerons dorénavant sous Je nom d'Emir : bien que ce fameux chef de la
province d'Oran n'eût pas encore étendu son autorité directe sur celle
d'Alger, la pacification de l'ouest ne pouvait avoir qu'une heureuse
influence pour celle du centre. Un chef Hadjoute, un de nos ennemis les plus
fanatiques, fut tué par un de ses coreligionnaires qu'il avait insulté ; une
nouvelle démonstration vigoureuse contre ces brigands, tant de fois châtiés,
les détermina à la paix : ils reçurent un caït de notre main ; dans une
conférence, on engagea le nouveau chef à venir à Alger ; il murmurait les
noms de Meçaoud et d'Arbi-Ben-Moussa et refusait ; un officier français se
remit entre les mains des Hadjoutes pendant que leur chef se rendait à Alger
; la paix parut cimentée ; la plaine fut dès lors tout-à-fait sûre ;
malheureusement une rupture renouvela bientôt les ravages, mais peut-être ne
dut-elle pas être tout-à-fait mise sur le compte des Arabes. Plusieurs
fois, le nom de Bouffarick est venu se placer dans notre narration, sans que
probablement on se soit fait une idée exacte du lieu qui s'appelle ainsi et
de la célébrité qui s'y rattache. Au milieu de la vaste plaine de la Métidja,
qui de ce côté a cinq lieues de large, qu'on se figure une grande et belle
prairie, traversée par la route d'Alger à Blida ; de là, l'œil se
repose, au nord sur les collines du massif d'Alger, au midi sur les pentes du
petit Atlas. Des deux autres côtés, tout aussi loin que la vue peut
s'étendre, elle s'égare sur l'immensité de la plaine sans rencontrer ni
village, ni maison, ni même une cabale ; seulement à gauche de la route
s'élève un petit marabout, à droite, un puits ombragé par un bouquet
d'oliviers gigantesques ; ce lieu est ordinairement désert ; mais tous les
lundis, vers les sept heures du matin, les tribus des environs y viennent
pour quelques heures dresser leurs tentes et s'y livrer au petit nombre
d'échanges que nécessite leur état de société. De tous les points de
l'horizon, on voit d'immenses troupeaux de bœufs, de chèvres, de moutons
s'acheminer vers ce centre commun, à la file les uns des autres. Des
caravanes de chameaux arrivent chargés de tissus, de burnous, de beurre,
d'huile et de toutes les productions que les Arabes tirent de leurs Haouchs
ou Adouars (fermes et villages). Entre les tentes circulent des multitudes d'hommes aux traits
basanés, à la figure sombre et énergique, drapés avec une certaine grâce dans
leurs longs burnous qui laissent voir des bras et des jambes maigres, mais
nerveux et bien modelés. Presque tous ces hommes sont remarquables par une
contenance fière et digne, que rehausse encore leur fidèle fusil, attaché sur
des épaules que le travail n'a point courbées. C'était
au milieu de ces mœurs farouches et indépendantes que le général Woirol avait
cherché à introduire peu à peu le commerce européen et la suprématie de la
France. La force eut été un mauvais moyen ; elle eut fait fuir les
populations qu'il s'agissait d'apprivoiser. Trois ou quatre officiers se
dévouèrent à cette tâche périlleuse ; suivis de quelques indigènes dont ils
étaient sûrs, ils osèrent paraître tout-à-coup au milieu des Arabes. Leur
présence excita un étonnement qui pouvait tourner facilement en envie de leur
faire payer cher leur audace. Un chirurgien, M. Giscard, se mit à donner des
soins à quelques Arabes malades ; ils s'en montrèrent reconnaissants ; tout
se passa tranquillement ; les jeunes officiers revinrent sains et saufs de
leur excursion périlleuse, plusieurs colons s'empressèrent de les imiter ; la
glace était rompue, ils purent le faire sans danger. Bientôt les officiers de
santé des régiments, qui constamment mirent leurs talents au service de
l'humanité, dressèrent une petite tente au milieu du marché pour y donner des
consultations à des malades, venus souvent de très loin pour les chercher.
Sous leur protection, les Européens vinrent fréquenter le marché, où leurs
sombres costumes tranchaient avec les grandes draperies des indigènes. Plus
tard, M. Drouet-d'Erlon profita de ces heureuses dispositions pour établir auprès
de Bouffarick, un camp auquel il donna son nom ; il fit par-là reconnaître
l'autorité de la France au milieu de ce grand marché qui ne cessa point
d'être fréquenté. Un caït nommé par le gouverneur jugeait sommairement les différends
qui s'élevaient souvent au milieu de tant de transactions. Quatre ou cinq
gendarmes, se promenant au milieu des tentes, suffirent pour maintenir un
ordre parfait, absolument comme en France. Chaque jour les mœurs
s'adoucissaient ; les idées d'ordre et de subordination s'infiltraient peu à
peu chez ces hommes intelligents quoique ignorants et grossiers. L'influence
des bienfaits répandus par nos chirurgiens s'étendait au-delà de l'Atlas ; on
admirait la science de ces étrangers venus de si loin pour soulager les
enfants d'Allah. Du contact journalier des deux populations naissaient
nécessairement pour les indigènes une foule d'idées et d'impressions
nouvelles ; nous n'eûmes plus dès lors à repousser les rapides incursions de
quelques tribus vagabondes et pillardes. La guerre que nous soutiendrons plus
tard contre Abd-el-Kader aura un autre caractère. Elle existera entre la
France et une confédération parfaitement organisée, obéissant à un chef qui
veut l'empire pour lui et sa race ; mais si l'Émir put réunir tous les Arabes
contre nous, ce fut en les pliant à un régime d'ordre dont nous lui avions
probablement inspiré le plan. Son pouvoir renversé, nous avons profité de ses
travaux. Décider si par-là, il n'a pas sans le vouloir rendu autant de
services à notre cause, qu'il lui a fait de mal par la guerre acharnée qu'il
a soutenue contre elle, est un problème que nous ne nous flattons pas de
résoudre ; mais quelles actions de grâce son pays et l'humanité n'auraient-ils
pas à lui rendre, s'il avait voulu comprendre que nous seuls nous étions en
Afrique les propriétaires naturels et légitimes de ces idées d'organisation
qu'il voulait introduire parmi les siens, et qu'une alliance étroite avec
nous était le vrai moyen de les puiser directement à leur source, dans toute
leur force et sans altération ? Le
gouverneur affectionnait beaucoup le camp de Bouffarick, ou camp d'Erlon,
dont il était le créateur ; il y faisait de fréquentes apparitions, et chaque
visite était le signal de quelque amélioration. Ce poste était établi dans
une situation magnifique, entouré de terrains très fertiles, mais
malheureusement malsains. La station intermédiaire de Douera, beaucoup moins
favorablement située, avait au moins l'avantage de la salubrité. Un village
s'était groupé à l'abri de chaque camp, d'abord pour satisfaire aux besoins
de l'armée, puis ensuite la culture s'y était peu à peu établie, mais d'une
manière lente et peu avantageuse. Le 4
juin 1845, le général d'Erlon s'embarqua pour visiter la province d'Oran où
il n'avait pas encore paru. La prospérité y avait fait quelques progrès, sous
l'influence bienfaisante de la paix conclue par le général Desmichels. Le
gouverneur revenait très satisfait de son voyage, lorsque les nouvelles de la
Macta vinrent tout-à-coup le surprendre à Alger. Un retour sur nos pas est
nécessaire pour raconter les événements qui précédèrent cette funeste
affaire, et Abd-el-Kader occupera désormais une si grande place dans notre
narration que nous commencerons par un précis de son histoire. Le
Marabout Mahiddin, dont nous avons prononcé le nom en racontant les
insurrections de 1832 à Oran, appartenait à la puissante tribu des Hachems,
qui cultive la plaine d'Egrès au sud de Mascara ; sa famille y jouissait
d'une grande célébrité religieuse, s'étendant sur presque-tout le monde
musulman ; elle faisait remonter une filiation non interrompue jusqu'aux
déserts de l'Arabie, sa patrie primitive, et un de ses membres, du nom devenu
si célèbre d'Abd-el-Kader, était vénéré depuis des siècles dans les environs
de Damas, où il avait passé sa vie et où il existe dit-on, plusieurs
chapelles consacrées à sa mémoire ; Mahiddin lui-même n'était pas un
enthousiaste inintelligent et vulgaire. Déjà du temps des Turcs, il
nourrissait quelques projets de débarrasser les Arabes de l'Algérie du joug
de leurs maîtres, de les constituer en corps de nation, et de s'en faire
probablement Je chef et le souverain ; ses menées attirèrent l'attention du
Bey d'Oran, qui faillit les lui faire payer de sa tête ; pour détourner l'orage,
il se mit à voyager, emmenant avec lui son second fils, nommé Abd-el-Kader,
en souvenir de son aïeul ; celui-ci se trouva dès lors initié, presque dès
son adolescence, aux vastes desseins et à l'ambition de son père ; ils
visitèrent ainsi la Mecque, l'Asie Mineure, l'Egypte, où le jeune
Abd-el-Kader s'inspira des créations de Méhémet-Ali. Ils rentrèrent dans leur
patrie enrichis des connaissances recueillies dans leur pèlerinage, de
légendes en l'honneur de leurs aïeux, de récits de miracles opérés sur leurs
tombeaux, avec lesquels ils amusèrent la crédulité de leurs concitoyens ; et
peut-être en renversant les Turcs en 1850, les Français ne firent-ils
qu'avancer leur chute de quelques jours. Mahiddin reprit naturellement tous
ses projets contre les nouveaux conquérants ; mais soit qu'il fut poussé par
une tendresse paternelle, assez commune chez les Arabes, soit qu'il eut
reconnu dans son fils Abdel-Kader des talents supérieurs, ce ne fut plus que
pour ce dernier qu'il parut désirer le pouvoir sur les tribus environnantes ;
elles s'étaient émues à la nouvelle de l'entrée des Français dans la capitale
: il n'eut pas de peine à les conduire à l'attaque des infidèles ; ses fils
se signalèrent dans les combats qui se livrèrent à cette occasion : l'aîné scella
de son sang son amour pour la religion de ses pères. Quand le danger commun
fit sentir aux Arabes la nécessité de se donner un chef suprême, nul ne leur
sembla plus digne de les commander que le fils de l'illustre marabout j, le
frère du héros mort en combattant l'étranger, le jeune Abd-el-Kader, à peine
alors âgé de 28 ans ; il fut proclamé chef et prince des croyants dans une
réunion de tribus, et dès le 14' décembre 1852, le nouvel élu se trouva assez
fort pour faire une entrée triomphante dans la ville de Mascara, qui
jusqu'alors s'était gouvernée en république ; il la choisit dès lors pour sa
résidence principale, et il en fit le centre de son pouvoir et de ses
opérations. Actif, ambitieux, très habile surtout à exploiter l'ignorance de
ses concitoyens, affectant un rigorisme extrême dans toutes les pratiques du
mahométisme, il serait difficile de décider s'il voulait faire servir sa
religion à l'accomplissement de ses projets, ou ses projets à la gloire de sa
religion ; jamais il ne vit dans un premier avantage qu'un moyen d'en obtenir
un second, et malheureusement presque toutes ses premières entreprises furent
couronnées de succès. La
puissante tribu des Garabas, la plus belliqueuse de la province, fut une des
premières à se ranger sous son autorité, et pour nous opposer un ennemi
toujours présent, il la décida à quitter ses anciens cantonnements, situés
sur le Sig, pour venir dresser ses tentes dans la fertile vallée du Tlelat, à
six lieux d'Oran. Voulant se débarrasser de ces dangereux voisins, le général
Desmichels poussa le 8 mai 1833 une excursion de ce côté, et il enleva aux
ennemis un grand nombre de troupeaux. A peine cette nouvelle est-elle
parvenue à Mascara, que le père d'Abd-el-Kader se met à parcourir les tribus,
prêchant la guerre sainte, promettant une victoire sûre et facile contre les
infidèles. Toute la population s'ébranle encore une fois, et le 25 mai une
masse de 8 à 10.000 cavaliers vient camper à trois lieues d'Oran. Le général
français faisait alors construire quelques fortifications sur le rideau des
hauteurs qui entoure la place à une distance d'une demi-lieue. Le 27, l'armée
arabe s'avance pour tomber sur les travailleurs ; toute la garnison d'Oran,
comprenant 15 ou 1,600 hommes, sortit pour la repousser. La supériorité de
notre tactique et de notre organisation nous assura constamment l'avantage
dans les combats qui s'ensuivirent. Toute cette masse de cavalerie vint se
briser sur les quelques centaines de baïonnettes françaises, liées entre elles
par l'ordre et la discipline. A trois heures du soir, l'ennemi était en
retraite sur tous les points après une perte considérable, en hommes et en
chevaux. Le 28, une troupe d'Arabes vint, pendant la nuit, reconnaître un blockhaus
dont la rapide érection leur semblait tenir du prodige ; elle voulait
l'attaquer dès le lendemain, mais une pluie battante la força de remettre son
projet au jour suivant ; trois ou quatre cent frénétiques, traînant après eux
une pièce de canon, usèrent encore une fois toute leur énergie contre un si
faible obstacle. Découragées de tant d'échecs, toutes les tribus profitèrent
d'une nuit épaisse pour lever leurs tentes, et s'enfoncer dans l'intérieur,
abandonnant dans leur précipitation leurs bestiaux et quelques-uns des
misérables meubles qui garnissaient leurs tentes. Abd-el-Kader,
déjoué dans ses attaques contre la ville d'Oran, tourna ses tentatives contre
ses coreligionnaires ; de gré ou de force il rangea presque toute la province
sous son autorité qu'il eut l'art de rendre le drapeau de la foi musulmane.
Il convoitait surtout la ville de Tlemcen, alors au pouvoir de deux partis
constamment en guerre, les Turcs et les Coulouglis maîtres de la citadelle ou
Mechouar, et les Maures ou Hadars, qui occupaient le reste de la ville ; les
premiers, d'après l'impulsion donnée par le Bey d'Oran, reconnaissaient de
nom, sinon de fait, la suzeraineté de la France. Antipathiques aux Arabes,
l'Emir tenta vainement de les rallier sous ses étendards ; il fut plus
heureux auprès des Maures qui, après une légère résistance, se soumirent à sa
puissance. La possession de Tlemcen, quoique incomplète, valut à Abd-el-Kader
la domination de tout l'ouest de la province. Tranquille de ce côté, il
reporta ses efforts vers l'est où il obtint encore quelques avantages
importants. Il voulait se rabattre ensuite sur Mostaganem et Arzew, dont il
comptait faire les ports de son empire ; il était parvenu à s'emparer du caït
de cette dernière ville et l'avait fait mourir dans ses prisons ; le neveu et
successeur du malheureux caït, redoutant un pareil sort, était venu à Oran
implorer l'assistance des Français qu'il reconnaissait comme ses maîtres, et
qui payaient sa petite armée turque. Le 5 juillet, le général Desmichels
dirigea, par terre et par mer, une expédition qui occupa Arzew et mit ce
poste en état de résister à une attaque des Arabes. Mostaganem, situé à une
quinzaine de lieues plus à l'est, était au pouvoir d'une garnison de Turcs
commandés par un nommé Ibrahim, dans les intentions duquel le général
Desmichels avait cru découvrir quelque chose d'équivoque. Bien qu'il fût
soldé par la France, craignant sa sympathie pour une cause qui s'annonçait
comme celle de l'Islamisme, le commandant d'Oran résolut de le surprendre
dans sa ville, pour ne pas laisser à l'ennemi et à nos douteux alliés le
temps de former une alliance qu'ils méditaient peut-être. La suite prouva que
ces soupçons étaient mal fondés. Le général Desmichels s'embarqua, le 23
juillet, avec 1,400 hommes, des vents contraires le retinrent longtemps en
mer et finirent par le jeter 8 lieues à l'ouest du point où il voulait
débarquer. Il prit sur-le-champ son parti, fit le reste de la route à pied,
dissipant à coups de fusil les quelques Arabes qui voulaient lui barrer le
passage. Ibrahim et ses Turcs le reçurent avec des protestations de fidélité
à la France ; on occupa sans obstacle tous les forts, tous les postes de la
ville, dont une partie néanmoins fut exclusivement réservée aux Musulmans
qu'on voulait ménager. Les troupes travaillèrent activement à la mettre en
état de défense, et le général Desmichels, de retour à Oran, où il avait
amené Ibrahim et ses Turcs, y renvoya le colonel Fitz-James pour commander la
place et quelques troupes pour renforcer la garnison. Cette précaution
n'était pas inutile, car la confédération d'Abd-el-Kader vint quelques jours
après essayer toutes ses forces contre notre nouvelle conquête. Tous les
postes n'avaient pas encore reçu le complément de défense qui leur était
destiné ; néanmoins la petite garnison française suffit à repousser partout
les Arabes, qui mirent dans cette nouvelle attaque un acharnement annonçant
qu'une main puissante commençait à les diriger et à les façonner à la
discipline. Pour la première fois, leurs fantassins s'approchèrent assez des
nôtres pour que ceux-ci eussent à croiser la baïonnette et à combattre corps
a corps. Les combats qui se succédèrent depuis les premiers jours d'août
jusqu'au 9 du même mois eurent toujours le même résultat ; ce jour-là
l'ennemi disparut des environs de la ville. De son côté, la garnison d'Oran,
apprenant la défection des Smélas et des Douairs, tribus qui jusqu'alors nous
avaient été si fidèles, exécuta une rapide expédition qui nous rendit maîtres
de beaucoup de troupeaux et d'une centaine de femmes et d'enfants appartenant
à cette tribu ; Leurs chefs effrayés implorèrent la clémence du général
Desmichels, qui leur pardonna à condition qu'ils combattraient désormais sous
les drapeaux français, et que trois de leurs principaux personnages
viendraient avec leur famille se fixer à Oran pour servir d'otages de leurs
promesses. Ce traité, quoiqu’imparfaitement exécuté, donna quelque reposa la
garnison d'Oran qui, depuis l'occupation de la ville, avait eu constamment
les armes à la main. Les Arabes ne se montrèrent plus jusqu'au jour où la
commission chargée par le cabinet français d'examiner nos établissements
d'Afrique, fut conduite par le général Desmichels jusqu'à Miserghuin. Elle y
rencontra Abd-el-Kader, qui sembla vouloir protester contre les apparences de
paix qu'offrait la province par un combat livré devant les envoyés du
gouvernement. Cependant une nouvelle affaire qui eut lieu quelques jours
après à Tamezouat, et dans laquelle il vil ses troupes bien supérieures en
nombre écrasées par l'artillerie française, sabrées par les chasseurs
d'Afrique, fit sentir à l'orgueilleux Emir la différence qu'il y avait entre
des troupes organisées et les hordes sauvages et indisciplinées qui
obéissaient à ses ordres. Il commença dès lors à penser qu'une trêve dans la
guerre implacable qu'il nous avait déclarée dans son cœur, pourrait lui être
utile pour asseoir sa domination, et discipliner les troupes régulières et
soldées qu'il voulait établir à l'instar des puissances européennes.
Abd-el-Kader est un homme fin, intelligent, bien supérieur à tout ce qui
l'entoure, sans avoir ces talents supérieurs dont notre courtoisie française
a bien voulu le gratifier. Le génie le plus heureusement doué ne pourra
jamais se passer de cette masse de faits positifs, de ces notions générales
qui forment l'héritage naturel de tout homme qui a reçu l'éducation regardée
comme complète dans une nation civilisée. Toute la carrière de notre célèbre
rival n'a été qu'une longue erreur, qu'un sens juste eût dû facilement lui
faire éviter ; la tâche qu'il a entreprise est tout-à-fait au-dessus de ses
forces. Dans une lutte entre des puissances très inégales, la plus faible
doit redouter les succès autant que les revers, parce qu'elle peut être sûre
qu'on les lui fera payer avec usure. C'est à une chimère qu'Abd-el-Kader a
sacrifié la position brillante que nous lui avions concédée, le bonheur de
son pays mis à feu et à sang, enfin la vie de presque tous ses amis morts en
défendant une cause désespérée ; la supériorité française lui pesait comme un
joug insupportable ; il avait assez d'intelligence pour la sentir, et trop
d'orgueil pour s'y soumettre définitivement et sans réserve. Mais au
commencement de 1833, menacé dans sa résidence de Mascara par notre
établissement de Mostaganem, privé d'un port qui pût servir d'écoulement aux
denrées qui encombraient son pays. il ajourna ses projets ambitieux et prêta
l'oreille aux propositions de paix que lui faisait le général Desmichels. On
conclut bientôt un traité de paix assez mal défini, dont quelques articles
restèrent secrets, mais qui laissait à l'Emir tout le pays qu'il commandait
sans lui assigner aucune limite ; ce ne fut que plus tard que le général
Woirol voulut borner son territoire au Chélif ; de son côté il promettait
d'arrêter les hostilités et les brigandages de toutes les tribus de son territoire,
d'approvisionner nos marchés, de ramener les déserteurs qui tenteraient de
s'échapper dans l'intérieur. Les Européens pouvaient commercer, circuler,
s'établir tant dans les villes que dans les campagnes du territoire dont le
commandement lui était réservé ; il leur devait protection, justice, et
s'engageait à les indemniser de tous les torts qu'ils pourraient y éprouver.
Enfin des officiers de l'armée devaient résider à Mascara, pour lui servir
d'intermédiaire avec le commandant de la province ; il pouvait aussi avoir
des résidents à Oran, qui serviraient en même temps d'otages pour l'exécution
de ses promesses ; les paroles données, les prisonniers lurent rendus de part
et d'autre. Ce
traité, qu'Abd-el-Kader parut d'abord exécuter avec d'autant plus de bonne
foi que les conditions lui en étaient plus favorables, fut reçu avec
espérance et satisfaction dans toute la colonie. On sentait que la guerre
n'était pour nous qu'un moyen d'arriver à la pacification du pays, et que
plutôt on obtiendrait ce dernier résultat, mieux cela vaudrait pour la
civilisation et l'agriculture que nous voulions introduire en Afrique. Notre
supériorité sur les Arabes était peut-être encore plus incontestable dans les
arts de la paix que dans ceux de la guerre ; et une fois en contact libre et
journalier avec les indigènes, nos populations nombreuses, actives et
opulentes devaient pénétrer bien vite ces tribus éparses, les enlacer par des
besoins nés de notre industrie et de notre commerce, et peu à peu sans secousse
et sans violence, les entraîner à notre suite dans une marche progressive,
dont chaque jour marquerait un pas également favorable aux deux peuples. En
effet, les résultats du traité furent immédiats et avantageux. Les officiers
français envoyés au camp d'Abd-el-Kader, sur le Sig, furent reçus avec les
plus grands honneurs ; l'Emir les invita à le suivre à Mascara, et durant leur
voyage et leur séjour dans la ville, les traita avec tous les égards qui
pouvaient témoigner de son désir de vivre désormais avec nous en bonne
intelligence. A leur retour ils trouvèrent les environs d'Oran, qu'ils
avaient laissés entièrement déserts, peuplés de nombreuses tribus que la paix
avait ramenées dans leurs anciens cantonnements. Des marchands de Tlemcen et
de Mascara revinrent en foule renouer avec ceux des ports de mer des
relations trop longtemps interrompues. Des parents, des amis de l'Emir
s'établirent dans les villes d'Oran, de Mostaganem. Ce dernier s'offrit même,
dit-on, à venir conférer avec le général français, sur quelques points encore
à régler. Mais cette entrevue n'eut pas lieu : Abd-el-Kader, qui prétendait
trancher du souverain indépendant, prétention à laquelle le traité lui
donnait bien quelques droits, ne voulait pas paraître devant le général
français sur un pied d'égalité, seules bases, il le sentait bien, d'après
lesquelles une conférence était -possible. Evitant donc tout contact avec ses
odieux étrangers, il profita du répit que lui laissaient leurs armes, pour
marcher dans la vallée du Chélif qu'il soumit à son pouvoir, après quelque
résistance ; il fit chèrement acheter la paix aux vaincus, et les nombreuses
contributions qu'il en tira, lui servirent à commencer les divers
établissements qu'il projetait à Mascara. Quelques
articles du traité du général Desmichels, tenus d'abord secrets, divulgués
bientôt, ayant paroi au gouverneur peu compatibles avec la dignité de la
France, le général négociateur fut rappelé dans le commencement de 1835 ; il
fut remplacé à Oran par le général Trézel qui dut s'arrêter dans les
concessions faites à l'Emir, tout en observant celles déjà accordées par son
prédécesseur. Les relations avec les Arabes étaient pacifiques, les routes
assez sûres, le commerce assez actif, et le gouverneur général qui vint
visiter Oran en juin 1835 n'en rapporta que des impressions favorables.
Cependant un œil attentif eût pu dès lors s'apercevoir que la paix n'était
pas établie sur des bases bien fixes. Abd-el-Kader était trop ambitieux pour
ne pas chercher à augmenter son pouvoir, et le traité de paix laissait
quelques points en litige, qu'il voulait interpréter à son avantage. Il était
même ouvertement sorti de ses limites en envahissant les villes de Miliana et
de Médéah, qui dans leur anarchie avaient imploré sa protection ; le
gouverneur général avait fermé les yeux ; mais bientôt surgirent de nouveaux
sujets de querelle. Les Douairs et les Smélas, ces fières tribus qui
servaient jadis au Bey d'Oran d'armée permanente pour gouverner la province
et percevoir les impôts, avaient hérité du mépris des Turcs pour les autres
Arabes ; ils refusèrent de se soumettre à l'Emir, et leur chef Mustapha
s'était déclaré hautement son compétiteur. Abd-el-Kader d'abord battu,
entouré de révoltes, presque écrasé, avait fini par prendre sa revanche, et
Mustapha poursuivi à outrance, s'était vu forcé d'abandonner tout-à-fait la campagne
et de se réfugier dans la citadelle de Tlemcen, où une poignée de Turcs et de
Coulouglis, jaloux comme lui du pouvoir de l'Emir, bravaient depuis longtemps
tous ses efforts. Les populations, dont Mustapha était le chef, se retirèrent
dans leur ancien territoire, sous le canon d'Oran, où elles implorèrent la
protection française. Un traité complémentaire fut conclu, par lequel elles
s'engagèrent en grande partie sous notre drapeau ; Abd-el-Kader les regardait
comme des sujets rebelles que nous devions lui livrer, le général Trézel
comme de fidèles alliés, malheureux à la guerre, et auxquels nous devions
aide et secours, du moment qu'ils voulaient vivre en paix sur notre
territoire. Des communications assez aigres commencèrent à s'échanger à ce
sujet entre les deux partis ; enfin le général fi ançais fit intimer
positivement à l'Emir d'abandonner toute autorité sur les Arabes qui
voudraient vivre sur notre territoire ; Abd-el-Kader répondit qu'il irait
arracher les Musulmans à la domination des Chrétiens jusque dans les murs
d'Oran. Dans l'espérance de vaincre sa résistance par la crainte, le
commandant d'Oran, sans être positivement autorisé par le gouverneur général,
dirigea toutes les troupes dont il pouvait disposer, sur le Tlélat où il
établit son camp. Cette démonstration n'ayant pas produit le résultat qu'il
en attendait, il résolut de faire un pas en avant et de s'avancer jusqu'au
Sig, sur la route de Mascara, afin que l'Emir eût à trembler de plus près
pour sa capitale. Le 26 juin l'armée s'ébranla, et parvint sans rencontrer
d'ennemis jusqu'à un défilé très étroit dans la forêt de Muley-Ismaë, dominé
à droite et à gauche par des pentes très raides, couvertes de broussailles
épaisses et élevées. L'infanterie arabe s'y était logée. Des cavaliers
défendaient la route directe et tous les espaces un peu découverts. Des
détachements furent envoyés par le général Trézel pour couronner les hauteurs
à droite et à gauche, et débusquer l'ennemi des positions avantageuses qu'il occupait.
Les Arabes reculent d'abord, mais lentement et en maintenant un feu
excessivement vif. Les deux têtes des colonnes françaises demandent des
renforts pour se maintenir ; elles en reçoivent, mais elles restent
flottantes, perdent même une trentaine de pas de terrain. Pour reprendre
l'offensive, il devient nécessaire que l'artillerie entre en ligne et que la
cavalerie de la colonne essaie une charge à fond sur le milieu de la route.
Dès les premiers pas, le brave colonel Oudinot tombe mort frappé d'une balle
dans la tête ; le désordre se met parmi ses cavaliers : un trompette sonne la
retraite ; la cavalerie recule, mais l'artillerie et les bataillons
d'infanterie se trouvaient derrière ; l'armée se raffermit, fait un effort
général, et après une lutte des plus opiniâtres, qui coûte à l'ennemi des
pertes énormes, le chasse enfin de toutes ses positions et le disperse dans
la plaine, où il continue de tirailler sur les flancs et l'arrière-garde. On
arrive ainsi sur le Sig, où quelques broussailles fournirent encore à l'ennemi
l'occasion d'une résistance bientôt surmontée. Le général Trézel établit son
camp sur les bords de la rivière et y reçut deux fois les envoyés
d'Abd-el-Kader, protestant de son amour pour la paix, mais ne voulant pas
souscrire aux conditions qui lui avaient été proposées. Cependant
les Arabes étaient établis en force à une lieue du camp français ; ils
recevaient journellement des renforts ; la bravoure et l'intelligence qu'ils
avaient montrées dans les combats du 26, commençaient à faire pressentir au
général qu'il était bien possible qu'il se fût engagé trop avant. Un nombreux
convoi d'approvisionnements et de blessés encombraient sa marche ; ainsi
embarrassé, il n'avait aucun espoir d'atteindre les Arabes et ceux-ci, au
contraire, restaient maîtres de l'attaquer dès qu'ils y verraient leur
avantage. Il résolut donc de se retirer sur Arzew, le long des rives du Sig,
qui prend le nom de la Macta, après sa jonction avec l'Habra. On chemina
pendant deux heures au milieu d'une nuée d'Arabes que l'artillerie tenait à
distance. Bientôt malheureusement la plaine fit place à un passage étroit,
formé à droite par les bords marécageux de la Macta, à gauche, par des
collines couvertes de bois épais : l'Emir montrait une malheureuse
intelligence dans le choix de ses points d'attaque. A peine engagés dans le
défilé, les Français sont accueillis par une fusillade que soutenaient des ennemis
invisibles. Pour les combattre, il fallut porter des troupes nombreuses sur
les crêtes des hauteurs ; les convois et les blessés ne furent plus protégés
que par une faible arrière-garde. L'ennemi, en force partout, l'attaqua avec
fureur : un escadron de chasseurs, qui suivait immédiatement le convoi,
fléchit vers les marais de la droite, et laissa un espace découvert entre les
dernières voitures et une partie du 66e qui marchait immédiatement après la
cavalerie. Les Arabes se précipitent dans cette trouée, et massacrent
plusieurs voitures de blessés ; les troupes en arrière se croient coupées ;
l'épouvante les gagne ï elles se jettent à droite et à gauche pour rejoindre
le reste de la colonne ; le désordre est à son comble. Cependant une portion
de la cavalerie qui marchait en avant du convoi fait face en arrière et
charge vigoureusement l'ennemi ; l'escadron, poussé vers la droite, se rallie
et rentre en file dans la colonne. Le convoi est dégagé, mais il offrait,
alors un affreux spectacle, des attelages dont les chevaux étaient morts, des
voitures inondées de sang, renversées pêle-mêle avec des morts et des
blessés. Des cris déchirants partaient de dessous ces horribles débris ; les
blessés, qui voyaient s'enlever leurs moyens de transport, imploraient la
mort comme le seul terme à leurs souffrances, et au milieu de tout cela, les
balles arabes tombaient, comme la grêle, sur ce petit espace où étaient déjà
réunies tant de douleurs. Sans perdre un instant, on entassa tout ce qu'on
put de blessés sur les attelages qui restaient encore, et l'armée reprit sa
marche, semant sa route de cadavres. Quelques officiers dévoués parvinrent
cependant à réunir de petits détachements avec lesquels ils tenaient ferme de
temps en temps pour donner au reste de l'armée le temps de s'écouler. L'artillerie,
qui à force d'adresse et de dévouement avait conservé toutes ces pièces hors
une seule, faisait feu toutes les fois qu'elle trouvait un espace assez
découvert pour se mettre en batterie ; elle contribua puissamment à ce que
cette funeste retraite ne devînt pas une complète déroute. Enfin on arriva
dans la plaine découverte qui s'étend sur les bords de la mer ; les corps s'y
reformèrent ; l'ennemi fut tenu à distance, et l'on marcha vers Arzew en
s'appuyant sur le rivage : l'armée y arriva vers les sept heures du soir,
épuisée de fatigue ; le lendemain, les états fournis par les différents corps
accusèrent une perte de 262 morts et 508 blessés, éprouvée dans les combats
des 26 et 28 juin. On était si découragé qu'on embarqua l'infanterie pour regagner
Oran ; heureusement que M. de Lamoricière, envoyé par le gouverneur pour lui
rendre compte de la situation des choses dans l'ouest, relâchait alors à
Arzew ; témoin de l'abattement des troupes, il poussa jusqu'à Oran, y réunit 300
Turcs ou Douairs, se mit à leur tête, et revint par terre rejoindre le
général Trézel à Arzew ; cet acte d'une heureuse audace, que l'ennemi ne
punit pas, redonna du cœur à la cavalerie française, qui rentra à Oran sans
tirer un coup de fusil. Telle
fut cette malheureuse affaire de la Macta, la plus sanglante que nous ayons
encore éprouvée en Afrique. Le rapport du général Trézel au ministre se
terminait ainsi : « J'ai vu perdre dans ce fatal combat des espérances qui me
paraissaient raisonnables ; je suis oppressé par le poids de la
responsabilité que j'ai prise, et me soumettrai sans murmure au blâme et à
toute la sévérité que le gouvernement du Roi jugera nécessaires à mon égard,
espérant qu'il ne refusera pas de récompenser les braves qui se sont
distingués dans ces deux combats ; les jours de désastre font connaître les
hommes fermes et je ne signalerai que ceux-là aux a bontés du Roi. » A ces
nobles accents, toute l'armée d'Afrique reconnut le général Trézel ; chaque
officier ressentit cet échec, comme s'il l'eût éprouvé lui-même, tant il
était aimé et respecté. Cinq ans de séjour en Afrique lui avaient inspiré une
trop grande idée de la supériorité de ses troupes sur l'ennemi ; noble erreur
qu'il paya trop chèrement. Jamais les Arabes n'avaient montré autant
d'ensemble et de bravoure ; ils commençaient à se former à notre école.
Dorénavant, en effet, la guerre se fera avec plus d'ensemble de part et
d'autre. Nous conserverons toujours notre supériorité, mais il faudra
l'acheter par un plus grand déploiement de forces. Il eût peut-être été à
désirer que le brave général, qui venait d'éprouver cet échec, eût conservé
un commandement qui lui eût permis de prendre sa revanche. Rome entière fut
complimenter le consul Varron après la bataille de Cannes. Certes, il y avait
peu de rapports entre cette célèbre journée et l'affaire de la Macta, mais un
sentiment noble peut se manifester dans les petites comme dans les grandes
choses. Le général Trézel, au contraire, fut immédiatement destitué ; son successeur,
le général d'Arlanges, arriva le 17 juillet à Oran ; quelques jours après, il
reçut le commandement des mains de son prédécesseur qui rentra en France sans
vouloir toucher terre à Alger. Celui-ci reparut plus tard en Afrique pour
assister aux désastres de la première campagne de Constantine, où son courage
fut mis à de nouvelles épreuves. Cependant Abd-el-Kader, à la suite de ses succès, s'était avancé jusqu'à cinq lieues d'Oran, qu'il enveloppait dans trois ou quatre camps. L'ancien caït de Mostaganem, Ibrahim et ses Turcs, les Douairs et les Smélas, nos alliés Musulmans, qui l'avaient reconnu comme leur chef, occupaient le poste de Miserghuin, à trois lieues de la ville. Le 28 août, le général d'Arlanges les fit rentrer dans les murs d'Oran, soit pour les mettre à l'abri des attaques d'Abd-el-Kader, soit pour leur ôter la possibilité de le rejoindre, si par hasard ils en prenaient envie. Il en était temps, car le lendemain l'ennemi se présentait devant tous nos avant-postes. Nos auxiliaires furent les premiers à le charger vigoureusement, et lui tuèrent quelques hommes. L'artillerie française arriva bientôt sur le champ de bataille et ses boulets suffirent pour disperser entièrement l'ennemi. Nos alliés firent encore plusieurs petites expéditions nocturnes, dans lesquelles ils coupèrent quelques têtes. Abd-el-Kader avait déjà perdu bien assez de monde dans ces petits combats. Jugeant que de nouvelles affaires n'auraient d'autres résultats que d'augmenter ses pertes, il décampa, mettant sa retraite sur le compte du choléra qui désolait alors la Régence. Assez embarrassé de sa victoire sur la Macta, il comptait sur les intentions pacifiques du général Drouet, pour conclure un traité avantageux, mais le commandement de ce dernier ne survécut pas longtemps à cette rupture. H sentit dès lors que son rôle était fini en Afrique ; homme de paix et de conciliation, il était peu propre, par son âge et son caractère, aux luttes violentes qu'il voyait poindre à l'horizon. Il avait espéré conduire les Arabes par la douceur ; les événements lui donnaient un sanglant démenti. Les circonstances demandaient essentiellement un homme d'épée, et dès le 8 juillet, le cabinet français avait désigné le maréchal Clausel pour le remplacer. Le dernier acte du général d'Erlon fut la réorganisation et l'embarquement, pour l'Espagne, de la légion étrangère, où elle allait soutenir le trône chancelant de la jeune Isabelle, dont le cabinet avait demandé aide et protection à la France. Quoique combattant sous les drapeaux espagnols, les officiers de cette légion avaient leurs grades et leurs honneurs garantis en France. Ces braves soldats signalèrent leur courage contre les partisans de Charles V, arrosèrent de leur sang les champs de bataille de Huesca et de Barbastro ; puis la légion, réduite à quelques centaines d'hommes, rentra en France pour s'y recruter d'éléments pareils à ceux qui avaient présidé à sa première formation, et retourner de là sur le théâtre de ses premiers combats, en Afrique, où elle continua à rendre de bons services à sa patrie adoptive. Le général d'Erlon avait quitté Alger le 8 août ; deux jours après son successeur prenait terre ; le premier acte de celui-ci fut de proclamer Ibrahim, Bey de Mascara, à la place d'Abd-el-Kader déchu de sa dignité, à cause de sa félonie ; Ibrahim fut un des quatre ou cinq Beys qui sortirent tous improvisés des mains du maréchal Clausel. Ces nominations ne produisirent point les résultats qu'on s'en était promis ; presque jamais les Arabes ne voulurent les reconnaître. Quand nos armées s'emparaient, par la force, d'un canton dont nous avions antérieurement désigné le chef indigène, ce dernier s'effaçait bientôt devant l'autorité française où résidait la véritable puissance, et laquelle le dignitaire Musulman servait tout au plus d'enseigne. Il traînait ainsi, dans nos camps un titre que personne ne prenait au sérieux. |