Les Français à Alger.
- Le trésor de la Casbah. — Les Turcs bannis de la Régence. — Hussein Dey en
Europe, sa mort. — Les Beys de Tittery et de Constantine. — Organisation
provisoire du gouvernement d'Alger. — Révolution de Juillet. — M. de Bourmont
remplacé par le maréchal Clausel. - Les Indigènes sous la domination
française. — Expédition du nouveau gouverneur sur Medéah. — Il rentre en
France. — Les jeunes parisiens en Afrique. — Administration et combats de M.
de Berthezène. — Commencement de colonisation. — M. de Rovigo, gouverneur. —
Extermination des El Ouffias. - Améliorations de la ville, travaux de M.
Genty de Bussy. — La légion étrangère. — Nouvelle irruption des Arabes. — Bone
occupée et abandonnée deux fois. — Prise définitive de cette place. — M.
Monck d'Uzer. — Occupation d'Oran.
Les
Français, avec cette flexibilité de mœurs et cette facilité de caractère qui
semblent leur appartenir par un éternel apanage, ne furent pas longtemps à se
caser dans leur nouvelle conquête ; dès le lendemain, officiers et soldats
parcouraient tranquillement les rues de la ville, examinaient avec curiosité
les édifices et un peuple si nouveau pour eux ; les Algériens, de leur côté,
étonnés de la douceur de ces guerriers qu'ils avaient vus si terribles dans
les batailles, ne tardèrent pas à se familiariser avec nos soldats dont ils
venaient en foule admirer les armes et les costumes ; ils apportaient des
rafraîchissements, des provisions et s'étonnaient quand on voulait les payer
; ils offraient leurs services avec le même empressement, et le moindre tambour
put un moment se croire un personnage important, à voir le nombre des
domestiques qui briguaient l'honneur de lui appartenir, les Arabes demi-nus
dansaient au son de la musique de nos régiments et semblaient heureux d'avoir
changé de maîtres, les Juifs surtout, traités très rudement sous le règne des
Turcs, étaient au comble de la joie de se voir mis par les vainqueurs sur le
pied du reste des hommes. Tous les indigènes, quels que fussent leur race et
leur culte, manifestaient leurs sentiments avec cette vivacité de geste et
d'action naturelle aux peuples méridionaux ; ce qui, joint à la volubilité
d'un langage que nos soldats ne comprenaient pas, excitait souvent leur gaîté
et les empêchait de regretter trop vivement la patrie absente ; quelques pensées
mélancoliques venaient parfois se mêler aux joies du triomphe ; on songeait
aux braves dont le sang avait payé la victoire ; on citait bien des amis avec
lesquels on avait quitté la France et qui ne devaient plus la revoir j au
milieu des fusillades et du fracas du canon, il y avait peu de places pour
les souvenirs, l'action absorbait toutes les facultés et l'on avait peu de
regrets de la perte de compagnons, dont on pouvait bientôt partager la tombe.
Mais avec le calme et les loisirs étaient revenues la réflexion et la
sensibilité : dans le bonheur du triomphe, chaque soldat trouvait un motif de
regretter davantage ceux de ses amis qui ne pouvaient plus le partager, de ce
nombre furent le jeune Amédée de Bourmont et le chef de bataillon du génie
Chambaud, qui succombèrent à leurs blessures peu de jours après la reddition
de la place : du moins ils moururent avec la consolation que leur sang avait
arrosé une terre désormais française ; ici comme en Egypte la plupart des
blessés se rétablirent promptement ; c'est une remarque souvent faite que
dans les pays chauds, les blessures du corps humain se cicatrisent avec une
rapidité inaccoutumée ; depuis l'ouverture de la campagne, le total des
hommes mis hors de combat par les maladies ou le feu de l'ennemi était de 2.500
dont 400 morts et 1.900 envoyés aux hôpitaux ; le roi d'Espagne nous avait
prêté celui de Mahon ; on y avait évacué ceux qui semblaient devoir être le
plus de temps avant de pouvoir reprendre un service actif et qui, en même
temps, pouvaient supporter le transport. Dès le 8 juillet une partie notable
des blessés avait rejoint leurs compagnons. L'administration
de l'armée fut chargée de faire l'inventaire des richesses et des valeurs que
la capitulation avait acquises à l'État ; on s'occupa d'abord du trésor du
Dey d'Alger, formé de pièces d'or et d'argent de tous les États et de toutes
les époques, de lingots, de métaux précieux, de bijoux et de pierreries, de
vases et de vaisselle d'argent. Il était renfermé dans quatre appartements
voûtés, communiquant de l'un à l'autre, fermés par une seule porte en bois
très forte, et placés au rez-de-chaussée d'un bâtiment renfermé dans la
Casbah ; il y avait aussi des médailles et pièces rares qui furent envoyées à
la bibliothèque royale. Sous la surveillance des officiers de l'intendance
militaire, des hommes avec des pelles furent employés à recueillir le trésor.
On le séparait en tas de soixante kilogrammes qu'on renfermait dans une
caisse ou dans un baril ; chaque kilogramme valait à peu près trois mille
francs et par conséquent chaque caisse cent quatre-vingt mille francs ;
l'argent monnayé fut évalué à mille huit cents pieds cubes sans compter les
lingots. La valeur totale se montait à quarante-huit millions. Peu de jours
après la conquête, un bâtiment, le Marengo, armé en flûte, rapporta en France
treize millions de l'argent du Dey et de plus deux millions récemment arrivés
de France et qui devenaient inutiles ; le fruit de plusieurs siècles de
piraterie nous était échu dans un jour par droit de conquête. Comment Hussein
Dey ne fit-il aucun effort pour mettre en sûreté le tout ou une partie d'une
proie aussi riche ? Plusieurs raisons l'en empêchèrent ; d'abord, le chef
d'un gouvernement despotique, qui parait réunir tous les pouvoirs, est de
tous les souverains celui qui quelquefois a le moins de puissance réelle ; sa
volonté étant toute la loi vivante mais variable, aucune idée de légalité
fortement enracinée dans les esprits, ne protège sa vie sans cesse menacée
par toutes les ambitions qui l'entourent ; dépositaire d'un trésor, que tout
le monde lui envie, le pouvoir, il n'a que son adresse et sa valeur
personnelles sur lesquelles il puisse toujours et constamment compter pour se
défendre ; les hommes, instruments immédiats de sa puissance, sont presque
toujours ceux dont il doit le plus se défier ; les Strélitz à Moscou, les
Janissaires à Constantinople, la milice turque à Alger, ont toujours été
plutôt les maîtres de leurs souverains, que leurs souverains n'étaient leurs
maîtres. Si Hussein Dey eût voulu faire emporter le trésor de la ville, il
eût probablement excité une sédition qu'il eût payée de sa tête. Confiant
d'ailleurs dans la force du château de l'Empereur, n'ayant aucune idée de la
tactique et des moyens employés pour réduire une place, il était convaincu
que les Français s'épuiseraient en vains efforts aux pieds de ses murailles,
et que cette expédition finirait comme toutes celles qui l'avaient précédée ;
aussi, quand après une canonnade de quelques heures il vit s'écrouler cette
terrible forteresse, qu'il était réduit à faire sauter, passa-t-il subitement
à un découragement complet et jugea-t-il toute résistance inutile ; il fit
évacuer la Casbah avec tant de précipitation que ses femmes abandonnèrent
leurs écrins et leurs pierreries, et sur-le-champ il envoya son hadjia au
secrétaire d'Etat pour traiter de la paix. Après
le trésor du Dey, la valeur la plus importante était celle que nous offrait
l'artillerie ; on trouva dans Alger une grande quantité de poudre et de
projectiles, plus de deux mille bouches à feu dont une grande partie en
bronze ; comme les pièces de monnaie du trésor, elles étaient les dépouilles
de toutes les puissances européennes ; des fleurs de lys gravées sur
plusieurs canons en attestaient l'origine française ; c'était l'artillerie de
François Ier qui, perdue à la bataille de Pavie, avait été embarquée par
Charles-Quint lors de sa malheureuse expédition contre Barberousse, et
abandonnée par lui sur le rivage d'Alger. Celle-ci fut conduite en France et
placée devant les Invalides, glorieux trophée que la victoire nous rendait
après une perte de plusieurs siècles ; presque toutes les autres pièces
restèrent à la place qu'elles occupaient avant la conquête. Les magasins de
la marine, quoique dans le plus grand désordre, renfermaient aussi de
nombreux approvisionnements. Un inventaire approximatif en fut dressé par
l'amiral Duperré ; il visita aussi tous les navires qui se trouvaient dans le
port ; en grands bâtiments il n'existait qu'une frégate et qu'une, corvette
qui furent condamnées comme incapables de tenir la mer ; on y trouva sept
bricks ou goélettes susceptibles d'un bon service et qui prirent place dans
la marine française. En
voyant tomber cette ville qu'ils étaient accoutumés à regarder comme leur
capitale et leur souveraine, les Arabes furent consternés : toute idée de
résistance disparut pour le moment de leur esprit, et immédiatement après la
reddition d'Alger, l'armée française eût probablement pu traverser toute la
Régence sans tirer un coup de fusil ; les Turcs, naguère les maîtres du pays,
donnèrent eux-mêmes l'exemple de l'obéissance ; un officier et quelques
soldats, se présentant dans leurs casernes, suffirent pour les désarmer ;
ceux qui habitaient en ville au premier ordre apportèrent leurs fusils et
leurs yatagans au lieu qui leur avait été désigné ; ces derniers, au nombre
de mille, mariés et pères de famille, furent autorisés à rester à Alger. Mais
tous les célibataires qui comptaient encore deux mille cinq cents hommes,
habitant des casernes et soumis à une organisation tout à fait militaire,
furent condamnés à quitter la Régence pour être transportés par mer aux lieux
où ils voudraient se fixer. L'éducation du fatalisme, de bonne heure imprimée
aux Turcs, leur fit supporter cette décision avec un grand courage,
quoiqu'elle dût être pénible pour beaucoup d'entr'eux. Il y avait dans leurs
rangs des vieillards de soixante à soixante-dix ans, qui, fixés dans la ville
depuis quarante ans et plus, ne reconnaissaient point d'autre patrie ;
beaucoup avaient passé le milieu de la vie ; les plus jeunes et les plus
vigoureux s'étaient fait tuer dans les derniers combats. Le blocus rigoureux
que nous maintenions depuis longtemps avait rendu le recrutement très
difficile. La plupart de ces Turcs étaient nés dans l'Asie-Mineure et
demandaient à y être ramenés ; on leur paya les armes qu'on leur enlevait ;
on leur accorda cinq piastres à chacun, ce qui équivalait à deux mois de
solde ; ils reçurent cette gratification avec reconnaissance ; ils ne
s'attendaient qu'à de mauvais traitements ; dès le 12 juillet, mille deux
cents de ces soldats vaincus, étaient à bord de deux vaisseaux qui devaient
les transporter à Smyrne. Plusieurs d'entr’eux, mariés et pères de famille,
ne voulurent pas profiter de la permission qui leur était offerte de rester à
Alger. Il leur paraissait dur d'obéir dans une ville où ils étaient
accoutumés à commander. Ils craignaient le ressentiment des Juifs et des Maures,
jadis leurs sujets, maintenant leurs égaux ; avec leurs femmes et leurs
enfants, ils allèrent dans d'autres lieux chercher une nouvelle fortune. Le Dey
lui-même parut quelque temps hésiter sur le lieu qu'il choisirait pour sa
retraite ; la seule idée bien fixe dans son esprit était de s'assurer qu'il
ne serait pas remis entre les mains de son ancien souverain, l'empereur de
Constantinople, dont il redoutait le cordon pour avoir méprisé ses ordres du
temps de sa puissance. Il fut le 7 juillet faire une visite à M. de Bourmont
dans le palais où il régnait naguère, et il montra dans le long entretien
qu'il eut avec le général une modération et une philosophie à laquelle son
vainqueur était loin de s'attendre ; il lui donna des renseignements précieux
sur le caractère et les intentions des principaux personnages de la ville et
de la Régence, sur la foi qu'on devait ajouter à leur parole, enfin, sur les
tributs et les arrérages encore dus par les Beys de Constantine, d'Oran et de
Tittery ; on aurait dit un père abdiquant volontairement en faveur de son
fils et lui donnant des leçons sur l'art de régner. Revenant ensuite sur ce
qui le concernait personnellement, il témoigna le désir d'être conduit
d'abord à Mahon où il voulait purger sa quarantaine, ensuite à Naples et
enfin à Livourne ; il ajouta qu'il voulait aussi voir la France et Paris,
mais un peu plus tard, lorsque la curiosité dont il craignait d'être l'objet
serait un peu dissipée : il répugnait à montrer aux chrétiens un souverain
musulman détrôné par leurs armes ; on consentit à toutes ses demandes ; la
frégate la Jeanne-d'Arc, commandée par M. de Lettré, fut mise à sa
disposition. Il s'y embarqua le 10 juillet, avec une suite de soixante
courtisans, parmi lesquels se trouvaient ses deux gendres, et autant de
femmes dont plusieurs négresses ; elles étaient tellement enveloppées de
leurs voiles qu'il fallut les conduire par la main comme des enfants pour les
faire monter à bord. Toute cette petite cour le suivit partout et le traitait
comme aux jours de sa grandeur. Après quelque temps de séjour à Livourne,
Hussein Dey se souvint de la promesse qu'il avait faite de visiter la France
; il vint à Paris dans le courant de l'été 1831 ; il fut à l'Opéra, visita
nos principaux établissements avec intérêt, mais rien ne lui parut aussi
digne d'admiration que les belles manœuvres du 11e régiment d'artillerie,
alors en garnison à Vincennes ; tant il cpt vrai que l'image de la force
reçoit le culte de tous les esprits d'une civilisation peu avancée. Les
premiers froids ramenèrent le Dey d'Alger en Italie. Il y séjourna quelque
temps et vint à Alexandrie où il mourut. Les
Beys d'Oran, de Constantine et de Tittery s'étaient retirés chacun dans leur
province, même avant la capitulation d'Alger ; mais dès le lendemain, ce
dernier, le plus rapproché de nos armes, reconnut l'impossibilité d'en braver
l'effort, et nous envoya son jeune fils, à peine âgé de seize ans, pour nous
annoncer qu'il était prêt à se soumettre et qu'il viendrait lui-même en
donner l'assurance, si on l'autorisait à se présenter. Son jeune envoyé, dit
M. de Bourmont, remplit sa mission avec une naïveté qui rappelait les temps
antiques ; on lui remit un sauf-conduit pour son père qui, le jour suivant,
se rendit en effet dans la ville et remit à M. de Bourmont ses armes et son
yatagan qui étaient d'un grand prix ; c'était se démettre de sa dignité pour
la reprendre plus tard au nom et des mains du général français, aux mêmes
conditions qu'il la tenait du Dey en conséquence, quelques jours après on lui
rendit publiquement l'investiture de son gouvernement et on le ceignit d'un
yatagan donné par le général. Mais on prétend que cette nouvelle arme était
loin de valoir celle qu'il avait remise et qui s'était égarée, et peut-être
cette futile circonstance contribua-t-elle à l'indisposer contre nous et à le
déterminer à la rupture qui ne tard pas à éclater. Ackmet-Bey,
en retournant à Constantine, séjourna quelques jours, on ignore pour quels
motifs, dans les environs d'Alger. Plus tard, lui et ses Turcs furent
attaqués dans leur retraite par les Arabes dont ils traversaient le
territoire. Ils se défendirent vaillamment ; mais, sentant qu'il avait besoin
d'un appui pour se soutenir, il reconnut notre suzeraineté, et fit avec nous
un traité qu'il observa plus tard assez mal. Quelque chose d'analogue se
passait à Oran. Les Turcs, partout, étaient traités en ennemis par leurs
anciens sujets ; vainement le général en chef promit-il, par une
proclamation, une récompense aux Arabes, pour tous les Turcs épars dans la
Régence, qui tomberaient en leurs mains et qui seraient conduits sains et
saufs à Alger, très peu d'Arabes se mirent dans le cas de la recevoir. Pendant
tout le temps des combats, la température n'avait guère dépassé celle du Midi
de la France ; mais après le siège quelques bouffées du vent du désert firent
plusieurs fois monter le thermomètre jusqu'à 28 degrés Réaumur, et le climat
d'Afrique se fit enfin sentir. Cette chaleur excessive pour notre armée y
causa quelques maladies, mais peu dangereuses ; les plus fréquentes étaient
la dysenterie simple, sans aucun caractère d'épidémie, ni de malignité ; les
soldats atteints étaient traités au corps par leurs chirurgiens ; on comptait
tout au plus deux cents ou deux cent cinquante fiévreux dans l'armée ; la
campagne avait été courte, mais pénible, et les troupes ne s'y étaient pas
épargnées ; dans le temps du siège, surtout, on se battait le jour et l'on
travaillait la nuit. Le
premier soin des vainqueurs fut de remplacer l'autorité renversée. Chez un
peuple longtemps soumis à un pouvoir despotique, peu accoutumé aux abstractions
métaphysiques qui ont tant de part dans les gouvernements européens,
comprenant l'obéissance rendue à un homme, mais jamais celle dont une loi
était l'objet, il parut nécessaire de conserver un pouvoir fort et concentré.
Aussi le général en chef se réserva-t-il la haute-main sur toutes les
questions importantes, même sur celles purement civiles et administratives ;
mais la France devait tendre à infiltrer peu à peu quelque idée de légalité
chez les Algériens ; on nomma clone une commission présidée de M. Deniée,
intendant-général de l'armée, qui décida qu'on choisirait, parmi eux,
quelques notables pour en former une municipalité, qui aurait voix
consultative et même certaines portions d'autorité réelle et définitive sur
ce qui concernait l'intérieur et la police de la ville. Elle renfermait des
hommes éclairés qui parurent s'attacher sincèrement à notre fortune. Plus
tard, une ordonnance royale du premier décembre mil huit cent trente-un, par
un essai qui ne fut pas heureux, créa un intendant civil tout à fait indépendant
du pouvoir militaire ; magistrat suprême de la Régence, il réunissait sous sa
juridiction tous les services administratifs, financiers et judiciaires, et
correspondants directement avec le président du conseil et tous les ministres
du cabinet français ; au-dessus des deux pouvoirs civils et militaires fut
alors établi un conseil supérieur du gouvernement, composé du général en
chef, président ; de l'intendant civil, vice-président ; et des principaux
agents que ces deux grands chefs de service avaient sous leurs ordres ; à ces
autorités on adjoignit un maire dont les fonctions étaient analogues à celles
du même nom dans l'intérieur de la France ; quoique ses attributions fussent
purement locales, et que ses rapports dussent principalement avoir lieu avec
les indigènes de la ville, on désespéra de trouver parmi eux quelqu'un qui
entendit assez les affaires pour pouvoir en remplir les fonctions, et il fut
donc décidé qu'il ne pourrait être que Français. Ces règlements compliqués et
qui ne parurent que successivement, à mesure qu'on croyait en sentir le
besoin, frappaient bien moins l'esprit des Algériens que la douceur et
l'équité avec lesquelles dès le principe les traitèrent leurs nouveaux
maîtres ; aussi, dès le lendemain de la conquête, la confiance fit-elle chez
eux de rapides progrès. Le troisième jour de notre prise de possession, les boutiques
commencèrent à se rouvrir ; beaucoup de Maures qui avaient quitté la ville
s'empressèrent d'y rentrer, et si plus tard les émigrations recommencèrent,
la cause en fut due à la force des choses bien plus qu'aux fautes des hommes. Trompé
par les apparences pacifiques de tout ce qui l'entourait, attiré par de
fallacieuses promesses, M. de Bourmont voulut faire, le 25 juillet, avec une
escorte de mille quatre cents hommes, une promenade militaire jusqu'à Blidah
; mais les Arabes qui venaient volontiers chez nous, ne voulaient pas nous
permettre d'aller chez eux. M. de Bourmont, reçu dans la ville avec toutes
les apparences du respect et du dévouement, y fut investi pendant la nuit par
plus de vingt mille Musulmans, qui ne prétendaient riens moins qu'à le faire
prisonnier avec tous les Européens qu'il avait à sa suite ; au point du jour,
la petite troupe française fondit avec impétuosité sur cette multitude
d'ennemis, s'y fraya un passage et rentra le même jour dans Alger ; harassée
de fatigue, mais victorieuse. La mêlée néanmoins avait été si chaude que M.
de Bourmont fut, dit-on, forcé de mettre lui-même l'épée à la main pour sa
sûreté personnelle. Le Bey de Vittery qui avait le premier reconnu l'autorité
de la France, était le principal auteur de cette perfidie. Il fomentait en
même temps une conspiration parmi les Turcs mariés restés à Alger. Il avait
pris le titre de Dey et nourrissait la folle ambition de recueillir
l'héritage du souverain détrôné. On saisit aux portes de la ville des Arabes
qui apportaient des munitions aux conspirateurs et qui furent pendus comme
espions. Il existait assez ; de preuves contre les principaux Turcs pour en
envoyer une centaine à la mort ; le général Bourmont se contenta de les
expulser de la ville. Notre
établissement de Sidy-Ferruch devenait inutile, il Renfermait encore
plusieurs pièces du siège restées sans usage et qui furent directement rembarquées
pour la France. L'Amiral Duperré avait définitivement établi son pavillon
sous les murs d'Alger pour être en communication journalière avec le général
en chef, et avoir constamment l'œil sur les magasins de la marine. M,
Deloffre, nommé directeur du port, eut beaucoup de peine à y établir un peu
d'ordre. Il était aidé dans cette pénible tâche par une bande de travail leurs
arabes, qui, pour un prix très modique, rendirent de grands services. On
démontait en même temps les blockhaus qui assuraient la route de Sidy-Ferruch
à la ville ; enfin les fortifications passagères qui formaient l'isthme
furent abandonnées, la presqu'île entièrement évacuée, et ce lieu, théâtre
pendant quelques jours de tant d'activité et de mouvement, retomba tout à
coup dans sa solitude primitive. Le 12
août, M. de Bourmont passa une revue générale de toute l'armée ; elle s'y
montra très brillante, avec l'apparence de préparer plutôt que de finir une
campagne sanglante et périlleuse ; l'artillerie surtout n'avait presque - pas
perdu de chevaux ; les indigènes vinrent en foule admirer nos manœuvres, et,
sans pouvoir s'en rendre un compte bien exact, y puisèrent une légère idée de
notre force et de notre supériorité. Les spectacles sont toujours les
meilleurs moyens d'action sur les hommes peu accoutumés à réfléchir. Telles
étaient les occupations de M. de Bourmont en Afrique, lorsque la nouvelle des
ordonnances de juillet se répandit dans l'armée française. Bien que des
soldats et officiers eussent servi avec dévouement le général en chef,
Charles X s'était grossièrement trompé, s'il avait cru pouvoir s'en faire un
instrument pour l'exécution de ses projets ; l'opinion des Français d'Alger
était l’écho de celle de leur patrie, et le coup d'État de juillet y fut
généralement reçu avec chagrin et indignation. Beaucoup d'officiers donnèrent
même sur-le-champ leur démission, ne voulant pas servir davantage sous un
gouvernement qui violait les libertés de leur pays. M. de Bourmont, plus
intéressé que personne dans les grandes questions qui se trouvaient posées,
se renferma dans un rôle purement militaire et ne témoigna ni peine ni
plaisir en apprenant une nouvelle qui agitait toute l'armée ; il sentait
qu'une désapprobation dans sa bouche serait suspecte, et il avait trop de
tact et de portée politique pour se jeter à corps perdu dans un parti qu'il
devait pressentir près de sa ruine. En effet, les rapides événements qui
suivirent les ordonnances parcoururent les mers, et Alger en fut bientôt instruit.
Dès que le général en chef ne put plus douter des faits accomplis, il
convoqua un conseil de guerre pour délibérer sur les mesures à prendre, mais
au premier aspect, il s'aperçut que toute idée de résistance était inutile,
et le 17 août, il adressait au maréchal Gérard, ministre de la guerre du
nouveau gouvernement, un rapport où il reconnaissait le duc d'Orléans pour
lieutenant-général du Royaume et qui renfermait les lignes suivantes : « Les
armées de terre et de mer ont arboré aujourd'hui le drapeau tricolore. Les
troupes ont quitté la cocarde blanche : elles prendront les nouvelles
couleurs lorsque tous les corps » pourront le faire à la fois. » Il se
trompait néanmoins s'il croyait, par son adhésion au nouvel ordre des choses,
désarmer le ressentiment qui veillait contre lui en France. Déjà son
remplacement était décidé et son successeur désigné dans les conseils du
cabinet qui gouvernait alors la France. Quatre jours après l'ordre du jour
qui faisait prendre les nouvelles couleurs aux troupes d'Alger, elles
savaient déjà que le général Clausel venait les commander. En effet, dès le 4
septembre, il était dans les eaux d'Alger, à bord de l'Algésiras, d'où il
adressa une proclamation à l'armée. Immédiatement après il prit terre et
reçut sans obstacle le commandement des mains de M. de Bourmont dont le rôle
était fini. Ce dernier quitta cette terre qu'il avait conquise à la France,
emportant avec lui le corps de son fils, en souvenir de sa campagne
d'Afrique. Ses trois autres fils et quelques officiers partirent avec lui. Le
reste des troupes cependant et surtout les officiers n'étaient pas sans
inquiétude ; éloignés du théâtre d'événements qui surgissaient avec une
importance et une rapidité sans pareilles, que de nouvelles révolutions
pouvaient se presser entre l'arrivée de deux courriers qui ne se succédaient
qu'à de longs intervalles ! la moindre de leurs craintes était qu'au milieu
de tant de justes préoccupations le nouveau gouvernement n'oubliât leurs
services et les récompenses, qu'avec raison, ils croyaient avoir méritées. Le
général Clausel fit tous ses efforts pour les rassurer, et comme tous les
nouveaux pouvoirs, iL promit beaucoup et tint ce qu'il put. Après s'être
occupé de l'armée, il songea aux habitants de la ville et de la Régence,
auxquels il fit part de son avènement au commandement, par une nouvelle
proclamation qui fut traduite en arabe ; mais le nouveau gouverneur prenait
en cela une peine inutile ; les changements arrivés en France n'eurent, et ne
pouvaient avoir, que de faibles retentissements parmi les Arabes ; ils ne
connaissaient ni Charles X ni Louis-Philippe ; les mots de charte et de
constitution n'avaient pour eux aucun seps, et tout se réduisit pour eux à un
changement de cocarde. Ils continuèrent à fréquenter les marchés d'Alger où
ils trouvaient une source de richesses ; chaque jour voyait rentrer quelque
émigré de la ville, confiant dans la bonne-foi française, que rien ne pouvait
démentir. De jeunes Algériens rapprochés par la conformité de leur âge, se
lièrent avec les lieutenants de l'armée ; au bout de peu de jours, les
officiers trouvèrent que le séjour d'Alger en valait à peu près un autre.
L'état sanitaire de l'armée était assez bon, elle ne comptait que 1.500
malades, tant dans les hôpitaux militaires que dans les ambulances établies à
la suite des régiments. Cette proportion n'avait rien d'extraordinaire sur
une armée de 50.000 hommes ; les maladies régnantes étaient les dysenteries
et les fièvres d'accès ; aucun secours du reste ne manquait, le pays
fournissait en abondance de la viande fraîche ; les autres provisions
arrivaient de France. Mais le
nouveau gouvernement n'entrait pas dans les projets de M. de Bourmont, pour
l'occupation des principales villes de la côte ; dès lors, une grande partie
des troupes qui avaient fait la conquête d'Alger y devenait inutile, et
plusieurs régiments furent rappelés en France dans le courant de septembre.
Il était bon d'exécuter ces mouvements avant la-saison des pluies, qui
bientôt allait commencer : on prit aussi des précautions pour que les troupes
restantes n'eussent pas trop à souffrir de la mauvaise saison. Des navires
allèrent chercher de la paille à Naples et en Sicile, pour coucher les
soldats ; des maisons furent préparées pour les recevoir, des provisions
rassemblées pour les nourrir. Des régiments de cavalerie nouvellement
organisés, qui ne devaient plus quitter la Régence, s'appelèrent Chasseurs
d'Afrique ; on établit des écuries pour leurs chevaux, ainsi que pour ceux de
l'artillerie ; sous le nom de gendarmes Maures, et moyennant une solde
journalière assez forte, plusieurs Musulmans durent se monter, s'armer à
leurs frais pour être prêts à marcher partout où l'autorité française
voudrait les employer. Ce corps, qui rendit de grands services, fut l'asile
de beaucoup de Turcs qui, de toutes les parties de la Régence, se réfugiaient
à Alger ; ils avaient éprouvé le sort de toutes les puissances vaincues ; on
les détesta sitôt qu'on cessa de les craindre. Déjà plusieurs de ces
malheureux avaient été égorgés par leurs anciens sujets, quand un massacre
général de presque tout ce qui restait de cette nation ensanglanta les murs
de Constantine ; cent quatre-vingts Turcs cependant échappèrent aux yatagans
des Arabes, et vinrent réclamer l'hospitalité française ; ils furent
transportés dans l'Asie-Mineure, ou bien ils entrèrent dans les gendarmes
Maures. Les indigènes furent aussi admis dans un corps d'infanterie
nouvellement créé, auquel on donna le nom de Zouaves, de celui d'une tribu
dont les membres fournissaient jadis au Dey beaucoup de braves soldats, qui
passèrent à notre solde lors de la conquête d'Alger. Quelques officiers
français se vouèrent à la pénible tâche de les commander ; ce fut pour
plusieurs le point de départ d'une brillante fortune militaire. Le
général gouverneur joignait les travaux de la paix à ceux de la guerre ; à
une municipalité organisée sur les bases que nous avons indiquées plus haut,
fut adjointe une police qui dut s'entendre avec elle pour veiller au bon
ordre et à la sûreté de la ville ; on nomma différentes commissions, les unes
chargées des routes à ouvrir, les autres des terres à distribuer, et des
fermes à créer ; ces Maures d'Alger, si paisibles, si indolents, se
trouvèrent tout à coup transportés au milieu de l'activité européenne ; notre
bruyante civilisation allait les assaillir de son tumulte jusqu'au fond de
leurs mystérieuses retraites où ils se barricadaient en vain, pour échapper'
à ces mœurs dont le contact leur était si pénible ; les Français d'ailleurs
plus riches que les indigènes, consommant incomparablement davantage, avaient
été la cause d'un renchérissement dans le prix des denrées qui ruinaient la plupart
des anciens habitants accoutumés à vivre avec de faibles revenus ; aussi
beaucoup d'anciennes fortunes moyennes s'empressèrent-elles d'émigrer, et ne
resta-t-il généralement dans la ville que ceux assez riches pour continuer à
y vivre, ou trop pauvres pour avoir les moyens de la quitter, et qui d’ailleurs
trouvaient, dans l'augmentation du salaire, une compensation à celle du prix
des subsistances. C'est aussi à cette époque qu'il faut rapporter un premier
essai de colonisation tenté par le maréchal Clausel. D'après les pouvoirs qui
lui avaient été confiés, il autorisa une compagnie, qui, au capital de deux
cents mille francs divisés en quatre cents actions de cinq cents francs
chacune, fut mise en possession de mille hectares de terrain, situés sut' les
bords de l'Araeth, dans la Métidja. Au milieu se trouvait un assez vaste
bâtiment, connu sous le nom de ferme du Dey ; la compagnie, au moyen d'un
loyer assez faible payé à l'État et de M- faculté d'acquérir plus tard pour
un prix convenu d'avance, dut faire des essais de culture d'indigo, de coton
et de garance ; mais les souscripteurs ne se présentèrent qu'en petit nombre
; les colons furent décimés par les fièvres, sur ce point, le plus malsain
peut-être de toute la Régence ; le loyer de l'État ne fut pas payé ; celui-ci
reprit possession du sol qu'il avait aliéné, et le nom de ferme-modèle, donné
pompeusement à cet établissement, sur lequel on avait fondé de si brillantes
espérances, resta comme une sanglante ironie de l'état où il fut bientôt
réduit. Le
général en chef, au milieu de ses travaux, reçut des ambassadeurs du Bey de
Tunis, avec lequel nous voulions conserver des relations de bon voisinage ;
on leur fit voir nos nouveaux établissements. Un bal fut donné pour leur
arrivée, et on y invita les principaux d'entre les Juifs et les Musulmans. On
cherchait à leur imprimer l'idée de la puissance et du bon vouloir de la
France. L'alliance qui nous unissait aux princes Tunisiens décida le
gouverneur à leur donner l'investiture des Beylicks d'Oran et de Constantine
; mais les nouveaux élus ne tentèrent aucun effort pour s'emparer de leur
gouvernement, et cette nomination n'eut aucune suite ; nous terminâmes aussi
vers cette époque quelques démêlés que nous avions avec Tripoli. M. de
Rosamel, après son expédition de Bone, dont nous parlerons bientôt, vint
jeter l'ancre sous les murs de la capitale de cette Régence et offrit au Bey
qui la commandait des propositions de paix qui furent acceptées. Mais
les indigènes des environs d'Alger, fiers d'avoir vu M. de Bourmont reculer
devant eux, enhardis par la retraite d'une partie des troupes françaises,
cessèrent d'avoir le même respect pour les armes qui venaient de les vaincre.
Nos marchés devinrent presque déserts. Le Bey de Tittery avait définitivement
levé le masque ; non seulement il n'envoyait pas le tribut qu'il avait
promis, mais il excitait les Arabes à la guerre et voulait, disait-il, jeter
les Chrétiens à la mer ; il se plaignait aussi, peut- être avec raison, qu'on
n'avait pas tenu toutes les promesses qu'on lui avait faites ; en vain le
gouverneur lui proposa-t-il d'ouvrir de nouvelles conférences pour la paix ;
on sut qu'il se formait, dans la plaine de Métidja, de nombreux
rassemblements commandés par son fils en personne. Le général Boyer, avec
quelques troupes, y poussa une reconnaissance et n’y rencontra ce jour-là
qu'une bande de deux ou trois cents Arabes, qu'un coup de canon suffit pour
disperser ; cette petite expédition n'était que le prélude d'une autre bien
plus importante que préparait le maréchal Clausel. A cet effet, voulant que
tous les régiments eussent leur part de gloire et de dangers, il prit un
bataillon dans chacun d'eux, en forma trois brigades composées chacune de
quatre bataillons et commandées par les généraux Achard, Monck-d'Uzer et
Hurel. On joignit à l'expédition un détachement de Zouaves, les Chasseurs
d'Afrique ; une batterie dû campagne composée de huit pièces, une autre de
montagne et enfin deux compagnies du génie. De grandes voitures appelées
prolonges, au service de ces deux dernières armes, furent chargées de tentes
destinées à mettre les soldats à couvert des pluies torrentielles qui
inondent l'Afrique dans cette saison ; des mulets de bât portaient des outils
de toute espèce, pour redresser les routes, et déblayer les décombres ; enfin
les troupes, composant un total de six mille hommes, étaient munies de vivres
pour quinze jours. Un nombre à peu près égal de Français restait dans la
ville ou aux environs pour la garder, force bien suffisante pour tenir en
bride une population depuis longtemps façonnée à obéir à des maîtres. Le 17
novembre dans la matinée, le corps expéditionnaire se mit en mouvement sur la
route de Blida, et vint camper le soir auprès du puits appelé Bouffarick,
lieu fameux par lès marchés qui tiennent les Arabes, et qui coupe en deux
parties égales la longueur en demi-cercle de la plaine de la Métidja, qui
entoure le Sahel comme d'une ceinture. A partir de ce point marécageux, le
sol se relève à mesure qu'on marche au midi ; d'abord insensiblement, enfin
par une pente plus prononcée, jusqu'à quinze lieues d'Alger où l'on rencontre
le petit Atlas. C'est au pied de cette chaîne entourée de jardins délicieux,
voilée par des bosquets d'orangers et de jasmins, que se cache la ville de
Blida, autrefois florissante, mais bien déchue de sa splendeur depuis un
tremblement de terre, qui la détruisit presque entièrement en 1825 ; elle
comptait cinq ou six mille âmes en 1850. Ses tranquilles habitants, comme
tous ceux de l'Algérie, redoutaient beaucoup les turbulentes tribus établies
aux environs, et, malgré leur haine pour le nom chrétien, nous auraient
peut-être ouvert leurs portes, s'ils avaient cru trouver en nous protection
efficace et constante ; mais au premier bruit de l'approche de M. Clausel,
comme lors de la visite de M. de Bourmont, les montagnards envahirent la
ville et imposèrent leurs secours à des alliés qui les redoutaient plus que
les ennemis eux-mêmes ; forcés par eux, les habitants de Blida s'armèrent et
vinrent réunis à leurs coreligionnaire, s'établir à une lieue de distance de
leurs murailles. Leur droite s'appuyait au petit Atlas, et leur gauche à la
route de Blida à Coléah. Bientôt ils virent approcher les Français, qui
n'avaient quitté leurs tentes que très tard dans la matinée du 18 novembre, à
cause d'une pluie battante qui avait régné toute la nuit. En vain le maréchal
leur envoya un interprète pour les engager à mettre bas les armes ; ils lui
répondirent qu'ils étaient bien décidés à lui défendre rentrée de la ville. M.
Clausel fit sur-le-champ son plan d'attaque ; la brigade Achard dut tourner
la position de la droite, au-delà de la route de Coléah, celle de M.
Monck-d'Uzer l'attaquer en face, et enfin, celle du général Hurel, gardant
les équipages, restait en réserve. Malgré les épaisses broussailles qui
couvraient le sol, et les murs de clôture entourant la ville, d'où l'ennemi
tirait presque à bout portant sur nos troupes, les deux brigades d'attaque
pénétrèrent presque en même temps dans les rues, que l'ennemi évacuait à
mesure que nous approchions. On n'y trouva que quelques vieillards incapables
de fuir ; les Arabes avaient pillé les boutiques en se retirant. Le général
établit des postes dans l'intérieur des murailles, mais le reste des troupes
bivouaqua en dehors des jardins, aux points où les routes d'Alger et de
Coléah pénétrèrent dans l'enceinte ; le jour suivant fut consacré à un séjour
dans la ville, où l'on voulait installer une garnison, et à châtier les
tribus qui s'étaient mises à la tête de la résistance que nous avions
rencontrée ; celle des Beni-Salah occupe les pentes boisées de la montagne
qui dominent la plaine. Ses guerriers se glissaient à travers les
broussailles, jusqu'à portée de fusil des murs de la ville, et de là
faisaient feu sur nos sentinelles qui succombaient sous les coups d'un ennemi
invisible. Deux bataillons furent détachés, qui envahirent rapidement le territoire
de cette tribu ; on coupa les arbres, on brûla les habitations ; on saisit
même quelques hommes qui furent fusillés comme rebelles : rigueur peut-être
peu politique, quoiqu'elle ne fut qu'une représaille, puisque lors de la
conquête, tous les soldats qui tombaient entre les mains des Arabes avaient
été impitoyablement égorgés, mais la suite prouva qu'en employant un
traitement plus doux à l'égard de ces féroces peuplades, nous pouvions les
amener graduellement à quelque chose qui ressemblât au droit des gens des
nations civilisées ; quoi qu'il en soit, la terreur répandue par les armes
françaises amena la soumission de quelques-uns des principaux habitants de
Blida, qui, la veille, avaient quitté la ville ; ils y - rentrèrent dans la
soirée du 19, amenant avec eux leurs muphys ou prêtres principaux qui, eux
aussi, vinrent nous faire des protestations de fidélité. Quelques heures
après, beaucoup de familles qui erraient dans la campagne imitèrent leur
exemple, et la ville se repeupla un peu ; le colonel de Rulhières y fut
établi avec deux bataillons et deux pièces de canon ; son rôle était de tenir
les communications ouvertes avec Alger et de rassembler des vivres et des
fourrages que les troupes devaient reprendre à leur retour. Le 20
au matin, le reste de l'armée se mit en marche, vers l'ouest, conservant à sa
gauche les flancs de la montagne et à droite la plaine de la Métidja. Au bout
de trois heures, on rencontra une gorge profonde qui sépare deux contreforts
et qui, par conséquent, conduit le voyageur qui la remonte jusqu'à l'un de
ces passages qui traversent les chaînes, de montagnes et que nous appelons
Col en France et les Arabes Ténia. A l'entrée de cette gorge et comme pour la
défendre s'élevait sur une hauteur un grand bâtiment carré, connu sous le nom
d'Haouch-Mouzaïa-Aga, c'est-à-dire ferme de l'Aga de Mouzaïa. Entouré d'un
bon mur, commandant tout le pays d'alentour, il parut susceptible d'une
facile défense ; on y fit quelques réparations provisoires ; un bataillon du
21e de ligne fut désigné pour l'occuper avec quatre pièces d'artillerie- de
campagne pour lesquelles les chemins allaient devenir impraticables ; le
reste de l'armée y passa la nuit. Le lendemain, dès la pointe du jour, on se
dirigea droit au sud par un chemin formant un angle presque droit avec celui
parcouru la veille. Il suit quelque temps le fond de la gorge, puis gravit
doucement le contrefort de gauche en traversant plusieurs ravins secondaires
tombant dans le principal, à la droite de l'armée. Comme le jour de l'attaque
de Blida, le général Achard commandait l'avant-garde, Monck-d'Uzer le centre
et Hurel l'arrière-garde, Le général en chef avait des guides avec lui ; mais
soit ignorance, soit mauvais vouloir, leurs renseignements se trouvèrent
presque toujours inexacts, ce qui du reste n'entraîna aucune suite fâcheuse. Vers
midi, on arriva sur un plateau que les guides désignaient comme le point le
plus élevé du passage ; le général accorda là une halte à ses troupes, leur
fit faire face vers la France, et les soldats envoyèrent à leur patrie des
cris d'amour et de dévouement ; puis une salve de vingt-cinq coups de canon
de montagne annonça aux échos de l'Atlas qu'une nation civilisée foulait
cette terre depuis si longtemps plongée dans la barbarie ; après cet instant
donné à ses souvenirs, l'armée continua sa marche, avec une ardeur nouvelle,
rencontra plusieurs plateaux semblables au premier, où l'ennemi aurait pu
essayer de se défendre avec avantage ; la route était étroite, et suivait
alors une pente assez rapide ; enfin à une heure et demie après-midi, on
aperçut le Ténia ou Col de Mouzaïa et les préparatifs de défense organisés
par le Bey de Tittery. Le passage est formé par une profonde coupure qui
n'est que le prolongement de la gorge, dominée à gauche et à droite par des
cimes beaucoup plus élevées, occupées alors par douze ou quinze cents Turcs,
sous les ordres du Bey en personne. Deux pièces de canon étaient en batterie
de chaque côté du passage, pour foudroyer directement les agresseurs ; des
tirailleurs embusqués dans chaque buisson, derrière chaque rocher, jusqu'à
une distance d'une lieue en avant du Col, formaient les éclaireurs et
l'avant-garde de ce système de défense, qui ne manquait ni de calcul ni
d'intelligence ; enfin des groupes d'Arabes se montraient en armes sur toutes
les hauteurs qu'on pouvait apercevoir, mais semblaient plutôt vouloir jouer
le rôle de spectateurs que d'acteurs dans la scène qui allait s'ouvrir. Le
maréchal Clausel leur envoya quelques marabouts pris à Blida pour les assurer
de ses dispositions bienveillantes à leur égard ; ces avances ne furent pas
toujours très bien reçues. L'avant-garde de l'armée française, composée du
bataillon du 14e de ligne sous les ordres du colonel d'Armaillé, se trouva
bientôt à portée des tirailleurs ennemis avec lesquels elle engagea une vive
fusillade ; mais le général en chef, voulant prendre une mesure plus
décisive, lui ordonna de gravir les crêtes du contrefort de gauche qui
dominent le Col lui-même et toutes les positions d'alentour. Cette manœuvre
fut rapidement exécutée malgré une décharge terrible de l'ennemi, malgré les
pentes ardues du sol et les broussailles épaisses qui le recouvraient. Le
bataillon qui suivait immédiatement pouvait alors attaquer un petit mamelon
occupé par les Turcs et qui barrait la route ; une compagnie, celle de M. La
Fare, traversa le ravin à droite pour prendre l'ennemi de flanc, pendant que
le reste du bataillon l'attaquerait de front. M. La Fare exécuta cette tâche
périlleuse et difficile avec beaucoup d'intrépidité, mais il y fut tué et son
sous-lieutenant grièvement blessé. Le reste de la première brigade reçut
l'ordre de suivre, sur les pentes à gauche de la route, le bataillon du 14e,
pour en soutenir le mouvement offensif et surtout en couvrir les derrières,
menacés par des nuées d'Arabes qui se glissaient sur le terrain que les
assaillants venaient de quitter. Le
général en chef avait surtout recommandé aux troupes qui s'écartaient peu de
la route, de modérer leur marche pour se tenir en ligne avec leurs camarades,
détachés à gauche et à droite, mais cet ordre fut mal exécuté ; dès qu'elles
entendirent battre la charge et tirer des coups de fusil sur les ailes, elles
s'élancèrent en avant sur le mamelon occupé par l'ennemi. En un instant,
cette position est enlevée, et les tirailleurs Arabes débusqués de partout ;
M. Monck-d'Uzer s'avançait pour soutenir l'attaque ; un tiers de sa brigade
suivit le mouvement du milieu de la ligne de bataille, un autre celui de
l'aile gauche, et enfin, un troisième continua d'occuper le point central
d'où avaient rayonné toutes ces attaques. La
colonne avançait au milieu des Arabes, qui s'ouvraient à son passage, et qui
se refermaient immédiatement derrière elle. La brigade Hurel sut constamment
les tenir à une distance respectueuse ; les chasseurs d'Afrique chargèrent
deux ou trois fois et sabrèrent tout ce qui voulut s'approcher de trop près.
Cependant les Turcs, avec leurs quatre pièces de canon, occupaient encore la
partie la plus élevée de la gorge ; les pentes qui restaient à gravir, pour
arriver jusqu'à eux, étaient excessivement rapides ; l'artillerie ennemie
croisait ses feux sur une route étroite, difficile et raboteuse ; mais tous
les obstacles ne firent qu'augmenter le courage des assaillants ; nos jeunes
soldats jetèrent leurs sacs pour être plus lestes, et montèrent au sommet du Col,
sous le feu de l'ennemi. Les Turcs étonnés de tant d'audace, attaqués de
front, menacés de flanc par les troupes qui avaient gravi la crête du contrefort,
et qui arrivaient sur leur droite, lâchèrent pied, se jetèrent sur les pentes
méridionales de la montagne, et disparurent dans les ravins. Quelques Arabes
s'échappèrent sur notre droite en lâchant des coups de fusil, qui furent les
derniers tirés dans la journée ; avant le coucher du soleil, nous étions
maître de toutes les positions, et le drapeau tricolore flottait sur ces
cimes fameuses, qui avaient vu passer tant de peuples et de révolutions. Les
Français bivouaquèrent sur les sommets qui dominent le Col et le général en
chef leur adressa la proclamation suivante ; « Soldats, les feux de vos bivouacs,
qui des cimes de l'Atlas semblent se confondre avec la lumière des étoiles,
annoncent à l'Afrique la victoire que vous achevez de remporter sur ses
barbares défenseurs et le sort qui les attend. « Vous
avez combattu comme des géants et la victoire vous est restée. Vous êtes
soldats de la race des braves, les dignes émules des armées de la Révolution
et de l'Empire. « Recevez
le témoignage de satisfaction, de l'estime, de l'affection de votre général
en chef. » On a
beaucoup ri des feux de nos soldats qui se confondaient avec la lumière des
étoiles. On ne peut nier cependant que le style du maréchal Clausel n'eût un
certain reflet de celui du grand’maître, qu'il se proposait pour modèle ;
seulement, les victoires de Napoléon méritaient un peu mieux les images
gigantesques, dont il aimait à les revêtir, que le passage d'une montagne,
défendue par cinq ou six mille ennemis indisciplinés, et qu'au bout de ce
compte, malgré leur vive résistance, ne nous tuèrent que vingt hommes et en
blessèrent quatre-vingts. Le 12
au matin, la brigade du général Monck-d'Uzer fut laissée à la garde du Col,
avec les blessés, et une grande partie des équipages ; le reste de l'armée
descendit les pentes du sud sans rencontrer d'ennemis pendant les deux
premières heures de marche ; puis on aperçut un groupe de 12 à 1.500 Arabes,
dont plusieurs à cheval ; la cavalerie se disposait à les charger, quand ils
prirent la fuite et disparurent dans la campagne. Avant la nuit, l'armée
française arriva sous les murs de Médéah, dont les principaux habitants
sortirent à notre rencontre. Ces
populations ne demandaient qu'un gouvernement régulier, et se jetaient entre
les bras de tout pouvoir qui avait l'air de promettre ; malheureusement elles
ne trouvèrent pas toujours en nous la protection qu'elles espéraient ; dans
les premières années qui suivirent l'occupation, le cabinet français n'avait
guère le temps de s'occuper de l'Afrique, et comme les gouverneurs se
remplaçaient avec une rapidité désespérante, chacun d'eux, arrivant avec ses
plans et ses projets, passait le plus souvent le temps de son pouvoir à
défaire les œuvres de son prédécesseur ; ainsi, occupation et abandon des
villes de l'intérieur, promenades militaires, qui n'avaient d'autres
résultats que la dévastation ou l'incendie, expéditions entreprises à la
légère, qui ne réussirent pas toujours, et qu'il fallait ensuite venger, sans
résultat pour un avenir fixe et déterminé : voilà ce qui remplit les
premières pages de notre guerre d'Afrique. Avant
son départ d'Alger, M. Clausel avait désigné un Maure d'Alger nommé
Mustapha-Ben-Omar, pour commander à Médéah, en qualité de Bey. Le 25, toute
la ville le reconnut comme son maître ; les troupes françaises campaient en
dehors des murs, suivant leur habitude, pour ne pas choquer les mœurs
retirées des Musulmans. L'ancien Bey s'était réfugié dans un Marabout, c'est-à-dire
dans une de ces demeures sanctifiées par l'habitation d'un solitaire
Musulman, et qui acquièrent, de la vénération portée à leur propriétaire, le
privilège d'une inviolabilité rarement démentie. Cette retraite était à
quatre lieues de la ville ; cependant, s'y croyant mal à l'abri des Kabyles,
qui battaient la campagne, pillant amis et ennemis, le Bey fit offrir au
général français de se mettre entre ses mains, et se présenta le soir même au
camp avec ses femmes et le reste de sa famille. Les journées des 24 et 25
furent employées par les Français à la reconnaissance de leur nouvelle
conquête ; le général poussa jusqu'à la maison de campagne du Bey, dernier
point occupé par l'ennemi. Nulle part on ne trouva de résistance. Après
s'être assuré que la ville était tenable, et en avoir organisé les habitants
en force armée, le général les passa en revue et les mit sous la protection
de la petite garnison française qu'il comptait leur laisser. Elle se
composait de deux bataillons et du détachement de Zouaves, le tout sous les
ordres du colonel Marion. Enfin le 26, le corps expéditionnaire emmenant à sa
suite l'ancien Bey, sa famille et environ deux cents Turcs désarmés, repassa
le Ténia de Mouzaïa sans éprouver de résistance, vint coucher à la ferme de
l'Alga et le 27 à Blida, après avoir dispersé quelques groupes qui s'étaient
encore montrés sur la route ; la petite garnison laissée dans cette dernière
ville avait aussi sa part de combats et de gloire. Le colonel Rulhières, qui
la commandait, attaqué par des forces supérieures, avait laissé l'ennemi
s'engager dans les rues de la ville, pendant que deux compagnies de
grenadiers envoyées sur les derrières allaient lui couper la retraite. Les
Musulmans qui avaient déjà planté deux de leurs drapeaux dans l'intérieur,
attaqués en tête et en queue par les Français, se défendirent avec le courage
du désespoir, mais finirent par essuyer une sanglante défaite ; leurs
drapeaux furent pris, leurs cadavres jonchèrent les rues, et l'on n'avait pas
encore eu le temps de les enlever, lors du retour de l'expédition. Le
lendemain de son arrivée le général et toute l'armée quittèrent Blida,
emmenant avec eux la plus grande partie de la population, qui aima mieux
s'exiler avec nous que de s'exposer au pillage de ses coreligionnaires. Ce
fut longtemps un triste sort que celui des habitants des villes de l'Algérie
; incapables de résister aux armes des Français, pillés et incendiés par les
Arabes pour nous avoir reçus, ils étaient forcés de se réfugier, ou parmi les
chrétiens que leur religion leur faisait détester, ou parmi les Arabes dont
la vie nomade convenait mal à leur paresse. A quelque distance de Blida
l'armée se divisa en deux corps. Les brigades Hurel et Monck-d'Uzer
rentrèrent dans leurs cantonnements ; M. Clausel avec celle du général Achard
descendit la rive droite du Massafran, en reconnut tous les affluents, et
revint dans Alger, en suivant à peu près la route tracée lors de la conquête. L'imprévoyance
française, qui met souvent sa gloire à négliger les précautions les plus
utiles, fut alors la cause d'un accident, que nous verrons se renouveler trop
souvent par-là seule. A son départ pour Médéah le maréchal Clausel avait
chargé vingt-cinq canonniers d'apporter des munitions de guerre à la garnison
qu'il comptait laisser à Blida ; il leur fallut s'aventurer dans la Métidja,
pour trouver une route praticable aux voitures ; on eût dû prévoir le danger
qu'éprouverait un si faible détachement au milieu de populations hostiles et
belliqueuses ; les malheureux canonniers, surpris près de Bir-Touta, furent
exterminés jusqu'au dernier, après un combat dont les détails restèrent
ignorés ; le convoi fui enlevé ; les Français arrivés enfin pour les secourir,
ne trouvèrent que des cadavres entièrement dépouillés, sans têtes, dont le
nombre égalait celui des hommes du détachement ; les Arabes avaient enlevé
leurs morts. Cette
expédition, indépendamment du résultat matériel que nous avions obtenu, la
destruction d'une puissance ennemie établie dans le voisinage, prouva aux
populations de l'intérieur que ni les montagnes, ni la distance ne les
mettraient à l'abri de nos coups quand nous voudrions sérieusement les
atteindre. Elle nous fournil quelques données sur un pays entièrement inconnu
que nous devions néanmoins considérer comme une partie de notre conquête. Les
officiers du génie levèrent le plan des villes de Blida et de Médéah ; leur
véritable position, celle de l'Haouch Mouzaïa-Aga et du Col du Ténia fut
fixée sur la carte par des observations géodésiques. Ces quatre points
jalonnaient la route que nous avions suivie et qui ne put être étudiée que
par une connaissance rapide. Les populations que nous avions rencontrées se
divisaient en deux classes bien distinctes, différentes de mœurs, d'habitudes
et d'origine ; les habitants des villes étaient doux, affables et prévenants
; ceux de la montagne, sauvages, fanatiques et féroces ; bien accueillis par
les premiers, nous semblions être pour les seconds l'objet d'un repoussement
invincible ; les uns et les autres étaient également grands, robustes et bien
constitués et semblaient ne manquer ni d'énergie ni d'intelligence, à travers
l'ignorance absolue dans laquelle ils avaient également vécu. Il faut
que nous parlions ici de quelques bruits fâcheux qui coururent alors en
France, sur un prétendu pillage du trésor trouvé à la Casbah, lors de
l'entrée des troupes françaises. Il est vrai que dans le premier mouvement do
désordre qui suivit notre prise de possession, quelques Juifs, quelques
Maures, quelques Français, appartenant la plupart aux rangs inférieurs de
l'armée, s'étaient approprié des bijoux, des armes, des habillements et même
de l'argent monnayé trouvé dans les liardes abandonnées par les femmes et les
officiers du Dey. C'était fâcheux, sans doute, mais c'était la suite presque
inévitable des chances de la guerre ; quant au trésor de la Régence, des
gardes furent apposées dès notre entrée à la Casbah, aux portes des
appartements qui le contenaient ; ces portes ne s'ouvrirent jamais que devant
une commission chargée d'en faire l'inventaire, composée de plusieurs membres
; ils furent constamment aidés dans leurs opérations par une foule d'agents
subalternes. Il faudrait supposer ; dans un cas de vol, une complicité
partagée par un grand nombre d'hommes dont plusieurs étaient pris dans les
rangs supérieurs de la société, ce qui n'est guère probable. Lors de
l'arrivée du maréchal Clausel, une commission d'enquête fut nommée pour
remonter à la source de ces bruits. Elle procéda avec ordre, exactitude et
impartialité ; les résultats de ses investigations furent à peu près tels que
nous venons de l'annoncer. Le gouverneur en fit part à l'armée par un ordre
du jour du 22 octobre ; mais c'eût été bien peu connaître les hommes que de
croire couper court par cette mesure à toutes les rumeurs malveillantes ;
elles ne s'arrêtèrent pas devant le général en chef lui-même. Déjà ce dernier
commençait à s'ennuyer du théâtre circonscrit dans lequel on prétendait le
renfermer ; il demanda son rappel, et le gouvernement ne fut pas fâché de se
débarrasser d'un gouverneur dont le caractère actif et aventureux cadrait mal
avec les idées encore indécises du cabinet sur la question d'Alger. On
conçoit en effet qu'au milieu de la conflagration générale dont l'Europe
était alors menacée ; quand la Belgique chassait ses princes à coups de fusil
; quand la Pologne entreprenait une lutte dernière et désespérée avec le
colosse qui pesait sur elle depuis tant d'années, et que nul ne pouvait
prévoir où s'arrêterait l'incendie allumé sur différents points de l'Europe,
la France était peu jalouse d'engager ses hommes et ses ressources dans des
expéditions derrière l'Atlas. M. Clausel s'embarqua pour la France dans les
premiers jours de mars, après avoir remis le commandement au
lieutenant-général de Berthezène. C'était un homme déjà sur le déclin de la
vie ; d'un caractère sage, modéré, d'une probité que jamais la malveillance
n'avait osé attaquer, mais qui manquait peut-être un peu trop de cet esprit
d'entreprise dont son prédécesseur avait un excès. Cependant
la révolution de juillet avait électrisé les têtes françaises. Beaucoup de
Parisiens se crurent tout-à-coup des héros pour avoir respiré pendant trois
jours l'odeur de la poudre. Une multitude de jeunes ouvriers, fatigués de
leurs travaux journaliers, ne trouvaient plus que le mousquet digne de peser
dans leurs mains. C'étaient les successeurs directs de ces carmagnoles de 92,
dont Dumouriez faisait une si ample consommation et avec lesquels il avait
gagné les batailles de Jemmapes et de Valmy. Leur pétulance, leur bravoure,
la générosité dont ils avaient fait preuve pendant le combat, la sincérité de
leurs exigences après la victoire, leur ignorance complète des premiers
principes qui doivent régir un Etat gênaient le gouvernement dans la marche
qu'il se proposait de suivre et il désirait avant tout se débarrasser d'amis
aussi incommodes. Les hommes les plus propres à renverser un trône sont
ordinairement les plus incapables d'en édifier un autre ; l'Afrique, fort
heureusement, se trouva là pour les recevoir ; on leur persuada de souscrire
des enrôlements volontaires ; on leur distribua des effets et des équipements
militaires, et, munis de leur feuille de route, ils s'acheminèrent gaiement
pour Toulon en chantant la Marseillaise et la Parisienne. Les uns voyageaient
isolément ; d'autres, sous la conduite d. officiers provisoires choisis par
eux, et qui J, n'exerçaient par conséquent qu'une autorité précaire et peu
exigeante. La plupart vendirent leurs effets en route et arrivèrent à Toulon
dans le dénuement le plus complet ; on les habilla de nouveau et surtout oh
les embarqua promptement pour l'Afrique, où, fondus dans un nouveau régiment,
le 67e, la discipline militaire parvint enfin à calmer leur effervescence.
Plusieurs entrèrent dans le corps des zouaves et prirent les larges culottes,
la veste courte et le turban de leurs camarades musulmans. Chose étrange !
les Parisiens et les Arabes furent bientôt des frères d'armes parfaitement
d'accord. Ils avaient un goût égal pour la vie des camps, la guerre
d'avant-poste, l'existence à peu près nomade qu'ils menèrent longtemps
ensemble ; beaucoup de ces jeunes gens firent d'excellents soldats, précieux
surtout par leur audace, leur inaltérable bonne humeur, les ressources d'un
esprit ingénieux et actif, dans un pays où souvent il devait suppléer à tout. M. de
Berthezène s'occupa d'abord de quelques détails de l'administration
intérieure. C'est à son gouvernement qu'il faut rapporter le premier
établissement d'un service public de santé et l'organisation des douanes de
la Colonie. Un coup de vent d'une violence extraordinaire qui régna les 7, 8
et 9 janvier 1831, avait causé plusieurs désastres jusque dans l'intérieur du
port d'Alger. Les pertes du commerce eussent été bien plus grandes encore,
sans le dévouement de la marine militaire à lui porter secours. Il fut dès
lors bien établi que la Darse d'Alger était loin d'être sûre et l'étude des
travaux à faire pour le mettre à l'abri des coups de la mer fut livrée aux
ingénieurs des ponts et chaussées. Maintenant que nous étions maîtres des
côtes Qui produisent le corail, on fit quelques efforts pour en utiliser la
pêche au profit de l'État. Mais le caprice de la mode en réduisit bientôt le
prix si bas, qu'à peine suffisait-il quelquefois pour couvrir les frais
d'extraction. La
première sortie du général en chef fut une incursion à Test d'Alger, sur les
bords de l'Hamise, où il châtia, avec une juste sévérité, plusieurs tribus
qui interceptaient les communications et égorgeaient les voyageurs. Il rentra
par Blida dans Alger sans avoir éprouvé de perte ; quelques jours auparavant,
il avait également exécuté une reconnaissance sur les bords de la Chiffa, de
l'Oued-Ger et du Mazafran sans tirer un coup de fusil ; pendant ce temps se
préparait une nouvelle expédition sur Médéah ; la garnison que nous y avions
laissée l'année précédente s'y trouvait étroitement bloquée ; la fidélité de
quelques habitants eux-mêmes, semblait douteuse ; s'ils parvenaient à
s'entendre avec les ennemis extérieurs, la sûreté des Français et de leurs
partisans pouvait être compromise ; le Bey établi par nos armes et qui nous
fut constamment dévoué ne jouissait d'aucune autorité ; il fallait remédier à
un pareil état de chose. Le mieux sans doute eût été de renforcer la garnison
pour asseoir définitivement notre puissance de l'autre côté des montagnes ;
mais il n'était ni dans le pouvoir, ni peut-être dans la volonté du
gouverneur d'en agir ainsi. Il se décida pour l'évacuation. Il partit en
conséquence le 25 juin, avec un corps de cinq mille hommes environ, et une
batterie d'artillerie de montagne ; comme lors de l'expédition précédente, il
laissa des détachements à la ferme de l'Aga et au Ténia qu'il avait occupé
sans coup-férir ; mais, arrivé devant Médéah, il fut reçu à coups de fusil
par deux ou trois cents cavaliers qui du reste se dispersèrent du premier
choc. Des
murs de la ville, le général en chef fit partir plusieurs messagers pour
sommer toutes les tribus environnantes de venir faire leur soumission ;
quelques-uns obéirent, - d'autres refusèrent ; on se mit à incendier les
récoltes et à détruire les habitations des plus turbulentes, châtiments sans
résultat puisqu'on devait évacuer le pays ; les troupes éprouvèrent peu de
pertes dans ces excursions autour de Médéah ; le lendemain, elles reprirent
la route d'Alger, ramenant avec elles la garnison de la ville ; le retour ne
fut pas aussi tranquille que l'avait été l'arrivée ; près de quarante tribus,
réunissant plus de 12.000 hommes, s'étaient groupées sur les croupes de
l'Atlas, dans les gorges qui conduisent au Ténia. L'armée française eut à
franchir un défilé long de trois lieues où l’on ne pouvait passer qu'un à un
; les ennemis profitèrent de la difficulté des lieux pour attaquer plusieurs
fois la colonne avec un acharnement extraordinaire. Le capitaine qui
commandait l'arrière-garde fut tué ; ses soldats éprouvèrent un moment
d'hésitation : la position était critique, l’armée entière pouvait se
débander, et devant un pareil ennemi une défaite eût été un horrible massacre
; heureusement qu'elle se raffermit bien vite, reprit l'offensive et repoussa
vigoureusement ces hordes indisciplinées que leur fanatisme ne laissait pas
que de rendre redoutables. Un bataillon du nouveau régiment, le 67e, composé
de volontaires parisiens, entouré par les Arabes, se fit constamment
remarquer par sa belle contenance et sa brillante bravoure. Les Arabes
continuèrent à harceler la colonne jusqu'au bord de la plaine où ils
abandonnèrent enfin leur poursuite ; une halte de neuf heures passée
tranquillement, permit aux troupes de goûter un repos bien nécessaire après
une si pénible journée. Cependant l'ennemi avait été s'établir en force sur
le passage ordinaire de la Chiffa pour nous fermer le retour d'Alger ; Je
général Berthezène tourna cette position, alla traverser cette rivière en
prenant la route d'Oran et rentra dans le Sahel sans obstacle ; mais toute
cette expédition ressemblait beaucoup à une retraite. Nos ennemis ne s’y
trompèrent pas et en conçurent une telle audace qu'ils vinrent nous attaquer
Jusque dans nos avant-postes ; un des principaux chefs des montagnes de
l'est, le fameux Ben, Zamoun, dressa ses tentes sur la rive gauche de l'Hamse
; puis le 17 juillet, il passa l'Arateh et vint avec 2.000 hommes attaquer, à
dix heures du matin, un poste de 150 Français établit à la ferme Modèle ;
la brigade Feuchères s'y porta aussitôt, culbuta l'ennemi, qui se retira
précipitamment, abandonnant une part je de ses morts. Mais le lendemain dès
la pointe du jour, nouvelle attaque, nouvelle défaite essuyée par l'ennemi. Cette
fois le général Berthezène, en personne, repoussa les Arabes jusqu'au-delà de
l'Arateh où ils se dispersèrent et laissèrent la plaine libre ; plusieurs
petits combats se livrèrent les jours suivants dans le Sahel et quelques
coups de fusil retentissaient encore sur la côte quand le prince de
Joinville, qui faisait son apprentissage de marin, vint débarquer dans le
port de la ville ; le gouverneur en chef rentra pour l'y recevoir ; le
lendemain le jeune prince passa en revue les troupes disponibles et remonta
le soir même sur son bâtiment qui reprit la route de Mahon. La visite du
prince fut un petit épisode parmi les combats que nous livrions tous les
jours. Ben-Zamoun avait combiné son mouvement avec le fils de l'ancien Bey de
Tittery que nous retenions prisonnier ; ce jeune homme, réunissant sous son
commandement plusieurs tribus de l'ouest et du sud d'Alger, dégoûté de
l'attaque de la ferme par le mauvais succès de son allié, dirigea tous ses
efforts contre un simple blockhaus, sur les bords de l’Oued-el-Kermas ou
rivière des Figuiers. Les Arabes, poussés par un courage qui tenait de la fureur,
essayèrent longtemps d'ébranler avec leurs mains et leurs épaules les
palissades et les madriers à l'abri desquels quinze ou vingt Français
tiraient sur eux à bout portant. Ils se lassèrent enfin de se faire massacrer
sans résultats et se bornèrent à s'établir sur la route d'Alger pour couper
nos communications ; le lieutenant-colonel du 20e marcha contre eux avec un
bataillon, les repoussa sur les pentes de l'Oued-el-Kermas, pendant que le
colonel D'Arlanges sortait de la ferme pour leur couper la retraite. Cette
multitude confuse se précipita vers le pont de l'Oued-el-Kermas, seule porte
de salut qui lui restât. L'artillerie française tirait sur eux à mitraille et
leur fit éprouver des pertes énormes. Mais rien ne pouvait décourager le
fanatisme des barbares. Ils revinrent encore le lendemain à la charge sans
pourtant oser s'avancer autant que la veille ; bien leur en prit, car des
forces nombreuses avaient été dirigées sur la ferme Modèle pour leur couper
entièrement la retraite ; après une courte résistance, ils se retirèrent ce
jour-là par la route de Blida, poursuivis par l'infanterie française et de
plus près encore par les chasseurs d'Afrique qui en sabrèrent un grand
nombre. Ces
derniers poussèrent jusqu'à Bouffarick et nettoyèrent entièrement la rive
gauche de l'Aratch ; dans les différents combats de juillet 1851, les ennemis
perdirent plus de 800 hommes, parmi lesquels plusieurs personnages
importants, si l'on en juge d'après les armes dont ils étaient couverts ;
cette journée termina la série des combats qui nous avaient valu notre
évacuation de Médéah, Cependant
plusieurs centaines d'Européens s'étaient déjà rendus dans la Régence, pour
s'y établir sous la protection de nos armes. Indépendamment des Français qui
en composaient la plus grande partie, ces émigrants comptaient beaucoup
d'Espagnols, bien assez d'Allemands, quelques Italiens et très peu d'Anglais
: ce n'est généralement ni la portion la plus aisée d'une nation ni la plus
morale qui s'exile ainsi, et les nouveaux colons ne trouvèrent pas toujours
en Afrique la fortune qu'ils venaient y chercher. Beaucoup périrent, détruits
par l'intempérance ou par l'insalubrité des lieux où ils s'étaient fixés : La
mortalité fut surtout grande parmi les Allemands, dont le tempérament
lymphatique s'accommodait mal de la température d'Afrique ; toutes les
colonies ont eu de pénibles commencements, et l'impatience française aurait
dû s'alarmer moins qu'elle ne le fit des obstacles que rencontrait notre
premier établissement ; on se plaignit du gouvernement ; quelques journaux
qui auraient voulu compléter dans un an l'œuvre de plusieurs siècles,
demandaient qu'il entreprît lui-même la colonisation sur une grande échelle :
ç'eût été une grande faute ; il est de l'essence de tout gouvernement de ne
savoir rien faire qu'à force d'argent, en fait d'agriculture, d'industrie et
de commerce ; il doit protéger toujours, n'exécuter jamais ; une colonie se
fait, on ne la fait pas. Tout ce qu'on peut reprocher avec justice au cabinet
français, c'est de n'avoir pas déclaré dans le principe et d'une manière qui
n'admit point d'équivoque, que jamais il n'abandonnerait l'Afrique ; cette
déclaration faite et prouvée, la sécurité et la protection de bonnes lois
assurées aux cultivateurs établis dans le rayon qu'on voulait occuper, sa
tâche était finie ; le reste a toujours été et sera toujours l'affaire de
l'industrie particulière. Si
l'administration de M. Berthezène, qui ne dura du reste que quelques mois, ne
fut marquée par aucune belle conquête, du moins fut-elle conduite toujours
avec justice, fermeté et probité ; les Arabes repoussés du Sahel reprirent
bientôt avec nous des relations de commerce qui leur réussissaient mieux que
le parti de la guerre ; plusieurs fois même ils ramenèrent des soldats qui
avaient déserté ou qui s'étaient égarés parmi eux. Les tribus des environs
d'Alger semblaient dépouiller peu à peu une partie de la haine féroce
qu'elles portaient aux Chrétiens. C'est de ce moment que date la première
tentative pour gouverner le pays au moyen des indigènes ; il existait à
Coléah une famille puissante par son influence et par la réputation de
sainteté dont elle jouissait depuis des siècles ; c'était les Embarrecks,
dont plusieurs figureront dans l'histoire de la colonie ; un des leurs, nommé
Mahiddin-el-Seghir, accepta le titre d'aga des Arabes au nom de la France, et
reçut à ce titre une somme de 12.000 fr., par mois. On profita de cet
intervalle de repos pour examiner les ressources du pays et les différentes
cultures dont était susceptible le sol que nous occupions ; on reconnut bien
vite l'erreur du maréchal Clausel, qui voulait introduire dans la Régence les
plantes des tropiques ; les nouveaux Colons durent se borner aux produits du
midi de la France et de l'Italie, auxquels on pourra peut-être adjoindre par
la suite l'indigo, le coton et la 1 cochenille. La laine semblait aussi
pouvoir devenir par la suite un objet important d'exportation j mais rien de
cela n'existait encore qu'en espérance, et sauf quelques troupeaux qui
nourrissaient les troupes, tout ce que consommait l'armée lui venait de
France ; c'était l'objet d'un commerce important qui fut une source de
richesses pour l'es départements méridionaux et surtout pour Marseille.
Jamais cette ville n'avait vu son port si fréquenté ni la prospérité de sa
population s'accroître aussi vite ; les habitants avaient bien vite appris le
chemin d'Alger, et, chose plus remarquable, de jeunes Algériens se
proposaient de venir étudier de près la patrie de leurs vainqueurs. L'esprit
d'entreprise qui commençait à se manifester de part et d'autre eût pris un
bien plus vigoureux essor si le gouvernement eût fait quelque chose pour le
favoriser ; mais, forcé de combattre plusieurs fois à Paris pour son
existence, incertain de ses projets ultérieurs pour l'Afrique, il ne répondit
aux pressantes interpellations de la Chambre des Députés que sur un refus de
s'engager dans des promesses d'occupation définitive. Ces discussions de
tribune traversant les mers, encouragèrent les ennemis de notre domination en
Afrique plus que n'eussent pu le faire les plus sanglants revers. Une
malheureuse indécision nous fit perdre plusieurs fois le fruit de la bravoure
et du sang de nos soldats ; nos partisans même ne se confiaient plus qu'en
tremblant à notre fortune. A M. de Berthezène, succéda le duc de Rovigo,
vieux serviteur de l'empire qui, après quinze ans de repos, vint prendre le
commandement de l'armée d'Afrique dans le courant de décembre 1831. Imbu des
traditions de l'empire, il exerça le pouvoir avec une fermeté qui souvent
dégénérait en despotisme, quelquefois même en cruauté ; peut-être était-ce le
meilleur moyen de conduire ces peuplades féroces, ne reconnaissant d'autres
droits que la force, toujours portées à mettre sur le compte de la peur, ce
qui ressemblait à de la modération. Mais nos mœurs européennes s'accommodent
mal de traits semblables à celui du massacre des El-Ouffias qui eut lieu au
printemps de 1852 ; voici quelle en fut l'occasion : Le fameux Scheik
Ben-Ferrhat, commandant une grande partie du désert, au sud de Constantine,
était souvent en guerre avec Achmet, Bey de cette dernière ville, que nous
avions aussi pour ennemi ; pensant qu'une alliance avec nous lui serait
utile, il nous envoya des députés qui arrivèrent heureusement auprès du
gouverneur. Fêtés, choyés, comblés de présents, ils retournaient chez eux
après leur mission remplie, quand en traversant le territoire de la tribu
El-Ouffia, établie à deux ou trois lieues de nos avant-postes du côté de
l'est, ils furent dépouillés, probablement par les habitants du pays, et
obtinrent à grand'peine la permission de retourner presque nus auprès du duc
de Rovigo. Ce dernier avait eu déjà plusieurs fois à se plaindre de quelques
méfaits commis de ce côté, et jamais les réclamations auprès de l'Aga, nommé
et soldé par nous, n'avaient eu de résultat, soit impuissance, soit mauvaise
volonté de sa part. Voulant frapper un coup décisif, le gouverneur tint
secret et le retour des députés, et les nouvelles qu'ils apportaient ; et le
6 avril 1852, à neuf heures du soir, il fit monter à cheval tout ce qu'il put
réunir de cavaliers, au nombre de 285 chevaux, sous les ordres du colonel de
Schawembourg. Le général Faudoas qui devait commander toute l'expédition
partit avec lui, et se recruta sur la route de deux compagnies d'infanterie,
prises au poste de la maison Carrée ; cette petite expédition avait de bons
guides ; elle se dirigea droit aux tentes des El-Ouffias, qui furent
entourées au milieu de la nuit et avant qu'aucun de leurs habitants eût pu
donner l'alarme. Les gendarmes maures commencèrent une attaque qui n'éprouva
pas de résistance ; tout fut égorgé avant le réveil, et à peine six ou sept
Arabes purent-ils s'échapper en sautant à cheval demi-nus. L'armée française
rentra dans Alger à neuf heures du matin, après avoir coupé quatre-vingts
à" cent têtes et traînant à sa suite quelques femmes et quelques
vieillards échappés au massacre ; le Scheik de la tribu était au nombre des
prisonniers ; il fut exécuté quelques jours après à Alger, parce qu'on avait
trouvé sous les tentes de les administrés deux soldats de la légion étrangère
décapités et déjà froids, qui manquaient depuis quelques jours aux appels, et
qu'on reconnut seulement à leurs vêtements. Cependant on n’avait point
rencontré chez les El-Ouffias, les objets appartenant aux députés du désert
qu'on les accusait d'avoir pillés. On s'adressa aux chefs des Krachenas, un
de nos alliés les plus fidèles, qui les renvoya par des hommes de sa tribu,
en disant que les El-Ouffias, les premiers voleurs, avaient été dépouillés
par d'autres Arabes, auquel lui-même les avait enlevés ; ce n'est qu'en
Afrique qu'on peut trouver une pareille succession de vols exécutés dans si
peu de temps sur les mêmes objets. Quoi qu'il en fût de cette version, tout,
jusqu'à l'argent volé, fut retrouvé et remis entre les mains des légitimes
possesseurs. Cette sanglante exécution frappa de terreur toutes les tribus de
la plaine : le bruit en retentit jusqu'au fond du désert où les députés de
Ben-Ferrath retournèrent bientôt. Mais la haine dut sans doute se mêler à la
crainte de la part des indigènes. L'ordonnance
du 1er décembre 1851 avait organisé à Alger une intendance civile, calquée
sur l'administration d'un département français et entièrement indépendante de
l'autorité militaire ; mais les deux pouvoirs rivaux ne tardèrent pas à
s'entrechoquer, et les fonctionnaires, chargés des affaires civiles,
n'avaient signalé leur court passage en Afrique que par des conflits
d'autorité avec le duc de Rovigo, ce qui arrêtait les affaires et laissait
tout dans une incertitude fâcheuse. Par une nouvelle ordonnance, rendue dans
le courant de 1832, l'intendance civile fut subordonnée au pouvoir militaire,
bien qu'elle conservât dans ses attributions à peu près tout ce qu'elle
renfermait auparavant ; seulement les relations diplomatiques, les mesures
politiques ou de haute police furent exclusivement confiées au général en
chef, et, pour tempérer un peu le pouvoir presque despotique qu'on remettait
à ce dernier, on appela de nouveaux membres dans le conseil supérieur de la
Régence qui dût dorénavant réunir : Le
général en chef, président ; le général commandant en second, vice-président
; le général commandant la place d'Alger ou l'officier chargé de le remplacer
; l'intendant civil ; l'intendant militaire ; le magistrat le plus élevé dans
l'ordre judiciaire ; l'inspecteur général des finances ; le directeur des
domaines ; enfin tous les chefs de service que le gouverneur jugerait à
propos d'y appeler. Toutes
les décisions en matières purement civiles, financières, commerciales,
administratives et judiciaires lui furent soumises. Des sous-intendances
civiles furent également établies à Bone et à Oran, qui, par l'incertitude et
la difficulté de communications uniquement maritimes, étaient deux centres
d'action tout à fait séparés. Leurs rapports, avec le général commandant la
province, furent réglés d'une manière analogue à ceux de l'intendant d'Alger
avec le général gouverneur. M. Genty de Bussy fut le premier intendant civil
qui vint en remplir à Alger les fonctions ainsi modifiées ; de concert avec
le duc de Rovigo, il imprima à l'administration une impression vigoureuse, et
publia une foule de règlements sur le commerce, la justice et la police qui
formèrent la véritable législation de la Régence. Avant lui, tous les arrêts
des pouvoirs, tant civils que militaires, étaient épars et disséminés ; il
les réunit dans un recueil qu'on pouvait consulter à volonté ; par ses soins,
une mosquée de la ville fut consacrée au culte catholique, et, chose bizarre,
les Maures virent sans peine la religion de leurs vainqueurs venir s'établir
en rivalité à côté de la leur. Les prêtres musulmans, consultés sur ce
changement, répondirent : « Nous ne pouvons qu'être flattés des égards que
vous nous témoignez ; vous nous demandez un temple que vous pourriez prendre
; consacrez-le au culte de votre Dieu, qui est aussi le nôtre ; nous ne
différons que sur la manière de le servir : lui rendre l'adoration qui lui
est due, est la meilleure manière de prouver qu'on peut avoir en vous toute
confiance. » Rien ne les choquait dans les Français comme le peu d'empire que
les idées religieuses paraissaient exercer sur la plupart d'entre eux. La
nouvelle église, avec ses belles colonnes de marbre d'un style oriental, les
longues chaînes d'argent qui suspendaient des lampes ardentes lors des fêtes
du Beyram, les devises du Coran tracées en lettres d'or sur les murailles
intérieures, remplies les jours de solennité d'Espagnols, d'Italiens, d'Allemands,
de Français, chacun dans leur costume national, offrait le spectacle le plus
pittoresque et le plus touchant ; elle semblait proclamer la grande
fraternité de tous les peuples du monde, par la nécessité qu'ils sentent tous
de reconnaître une puissance supérieure à la leur. Les nations méridionales
ont besoin d'une religion sensible ; malheureusement elle n'arrête pas
toujours chez elles les vices ni les crimes. Chez elles, l'homme ignorant
sent beaucoup plus vivement et ne raisonne pas davantage que dans les climats
plus froids ; l'équilibre de ses facultés en est plus souvent rompu, et les
choses les plus disparates peuvent trouver facilement place chez lui. Ce fut
à cette époque qu'il faut rapporter le premier établissement d'une garde
nationale, dont les fonctions étaient d'occuper les postes de la ville, et de
rendre disponible, en cas d'attaque, la presque totalité des forces de
l'armée. On commença aussi à s'occuper des communications. Avant notre
arrivée, les environs d'Alger n'avaient que des sentiers étroits, serpentant,
raboteux, propres seulement LUX bêtes de somme, seul moyen de transport usité
chez les indigènes ; sous la direction du génie militaire, les compagnies de
discipline, et les troupes dans leurs moments de repos, construisirent, pour
les voitures, des routes à lacets dont la pente, habilement ménagée,
conduisait sans fatigue, ces portes de la ville jusqu'aux sommets des
plateaux supérieurs qui forment Je massif d'Alger. On désigna l'emplacement
de quelques villages pour peupler le cercle de deux ou trois lieues de rayon
assuré par notre ligne de blockhaus ; au milieu de la ville, on déblaya une
place centrale, d'où durent partir trois grandes rues conduisant aux trois
portes principales, et qui furent tracées et construites peu à peu sur un
plan uniforme et très beau, malgré quelques réclamations particulières qui,
degré ou de force, finirent par céder à l'intérêt général. Les chaleurs de l'été
de 1852 n'arrêtèrent pas ces utiles travaux ; elles furent cependant
excessivement fortes cette année, et malgré les précautions minutieuses
prises par les chefs des corps, elles causèrent bien assez de maladies parmi
les soldats ; mais heureusement la mortalité ne fut pas en rapport, et
c'étaient presque toujours les mêmes hommes qui, entrant et sortant plusieurs
fois de suite, encombraient les hôpitaux militaires ; les postes établis le
long de la Métidja étaient ceux qui donnaient le plus de malades ; on finit
par en confier la garde à quelques indigènes, mesure très sage et qu'on
aurait dû prendre plu tôt. Les émanations de cette plaine fétide, malgré les
travaux de dessèchement entrepris, seront longtemps encore sinon toujours,
excessivement pernicieuses aux Européens, et sont loin d'être sans action sur
les indigènes eux-mêmes. Les
tentatives de révolution qui, au contrecoup de juillet, avaient agité presque
tous les États de l'Europe, l'esprit d'inquiétude et d'aventure que beaucoup
d'hommes apportent en naissant, avaient jeté parmi nous une foule
d'étrangers, population active, turbulente, qui, disséminée sur le sol
français, eût pu devenir un sujet d'appréhension pour le gouvernement ; on
utilisa toutes les existences - énergiques, mais qui n'étaient propres qu'aux
armes, en les enrôlant dans un corps organisé en régiment, et-qui prit le nom
de légion étrangère ; elle compta dans certains moments jusqu'à quatre à cinq
mille hommes. Un bataillon composé d'Espagnols servait à Oran sous les ordres
du général Boyer ; d'autres où s'étaient groupés les Polonais et les
Allemands occupaient différents postes aux environs d'Alger, entr'autres
celui de la maison Carrée, d'où ils poussaient des reconnaissances dans les
environs pour éclairer la campagne. Un de ces détachements, fort d'une
trentaine d'hommes, fut tout à coup surpris dans un ravin par 600 Arabes,
Issers et Amraouas, et entièrement massacré avant de pouvoir faire la moindre
résistance ; quelques-uns, restés encore debout, entr'autres l'officier et le
tambour, aimèrent mieux mourir que prononcer les paroles sacramentelles qui
forment la profession de foi musulmane, et subir le dur esclavage qu'on leur
proposait. Un seul, le nommé Waguener, Saxon d'origine, blessé et étendu par
terre, fit acte de soumission et fut entraîné dans l'intérieur à la suite de
ses nouveaux maîtres. Echu en partage à un chef de tribu, il fut employé à
cultiver la terre et parvint enfin à s'échapper, et à revenir à la maison
Carrée dans un état affreux ; après treize jours passés dans la campagne,
vivant d'herbes et de racines. Pendant sa captivité, Waguener avait rencontré
dans les tribus onze déserteurs de la légion étrangère réduits à la plus dure
captivité : sous ses yeux, cinq de ces malheureux avaient été horriblement
tourmentés, et enfin massacrés pour avoir tenté de s'échapper ; afin de mieux
les reconnaître, en cas d'évasion, les Arabes leur coupaient le nez et les
oreilles. Ces malheureux, repoussés des avant-postes français par la rigueur
des lois militaires, ne voyaient plus que la mort qui pût mettre un terme à
leurs souffrances. Waguener fit le récit de ses malheurs devant son bataillon
assemblé en carré, et cette peinture énergique ne contribua pas peu à mettre
un terme aux désertions assez nombreuses, qui avaient eu lieu parmi ces
hommes supportant impatiemment le joug de la discipline. Cinquante soldats et
un officier étaient déjà passés à l'ennemi. Ce massacre, que plusieurs
personnes regardèrent comme une représaille de celui des El-Ouffias, fut le
seul acte d'hostilité commis pendant cet été 1852 ; le duc de Rovigo, qui
s'était montré si cruel envers une tribu peut-être innocente, ne tira aucune vengeance
des Issers qui en étaient les auteurs. Une escadre montée par quelques
troupes fut envoyée le long des côtes qu'ils habitent ; mais elles n'essayèrent
même pas de débarquer ; vaine tentative qui ne pouvait que nous nuire dans
l'esprit des Africains. Le
temps des récoltes et l'emmagasinement des blés dans les silos, fut toujours
pour les Arabes une époque de calme et de tranquillité. Nous en avions
profité pour exécuter toutes les améliorations intérieures dont nous avons
rendu compte ; mais dès les premiers jours de septembre, de sourdes rumeurs
de rassemblements et de projets d'attaque de la part des tribus commencèrent
à circuler dans Alger : on s'apprêta à bien les recevoir ; les populations de
l'est Vêtaient concertées avec celles de l'ouest pour s'ébranler en même
temps. Les premières marchaient sous les ordres du fils de Ben-Zamoun que
nous retrouvons encore à la tête de nos ennemis. Les secondes se soulevaient
à la voix d'un nommé Sidy-Saady, dont les intrigues parvinrent à ébranler la
fidélité de l'Aga indigène, établi à Coléah par le général Berthezène ;
quoique dans les rangs ennemis, il osa écrire au gouverneur pour protester de
son innocence. La mort d'un chef important, tué par M. de Signy, lieutenant
au premier régiment de chasseurs, dans une escarmouche d'avant-postes, avait
décidé les tribus de l'est à retourner chez elles, lorsque Sidy-Saady parvint
à les retenir sous les armes, en leur promettant qu'il attaquerait les postes
français de l'ouest avant le 28 septembre, En effet quelques jours
auparavant, le camp de Déli-Ibrahim fut assailli par une centaine de
vagabonds que quelques coups de canon suffirent pour disperser. Ce ne fut là
que le prélude des mouvements ennemis toutes les troupes françaises
disponibles s'étaient groupées près des points menacés, laissant la ville
entre les mains de la garde nationale, qui, nouvellement organisée et ne
comptant que 450 hommes, rendit dans cette occasion de véritables services. Son
secours n'était pas de reste, car nous n'avions que 5.000 hommes de valides à
opposer à la masse d'ennemis qui allaient fondre sur nous. On était dans
l'attente des événements quand, le 26 septembre, à onze heures du soir, une
fusée partie du blockhaus du gué de Constantine sur l'Aratch, suivie
immédiatement d'une canonnade bien nourrie, annonça le commencement des
hostilités. Les Arabes passèrent la rivière sous le feu de nos avant-postes,
arrivèrent à l'aube du jour à la ferme Modèle dont ils essayèrent de
s'emparer, en incendiant une porte de derrière qui donnait sur la campagne.
Les troupes qui occupaient le poste furent pendant quelque temps dans le plus
grand danger. Dans le moment même, le duc de Rovigo arrivait à Birkadem, lieu
de rassemblement d'une partie des troupes, à une lieu en arrière de la ferme,
et d'où l'on entendait distinctement les décharges répétées de l'artillerie
et de la mousqueterie ; les troupes hâtèrent leur marche et arrivèrent au
moment où la porte entièrement consumée allait succomber sous les efforts des
assaillants. Les Arabes se mirent en retraite sur le pont de l'Oued-el-Kermas
au moment où on allait leur barrer le chemin. Le général Faudoas les
poursuivit une lieue au-delà, et sur l'ordre du gouverneur revint coucher à
Birkadem. Les tribus de l'est s'en tinrent là pour cette fois ; un Scheik,
rival de Ben-Zamoun les décida à quitter ses étendards ; tranquille de ce
côté, l'armée reprit les, armes avec un nouveau courage pour attaquer les
Arabes au centre et à l'ouest. Le général en chef se proposait deux résultats
: l'un était d'enlever de la ville de Coléah, à dix lieues à l'ouest d'Alger,
le perfide Aga qui avait tourné contre nous l'influence que nous lui avions
donnée ; l'autre, de dissiper le rassemblement d'Arabes qui s'était formé aux
environs de Bouffarick, au milieu de la Métidjah. Cette vaste plaine se
divise en deux bassins, celui de la rivière de Bouffarick, affluant de
Mazagran, et coulant au nord-ouest ; celui de Chébeck, qui se joint à
l'Aratch, se dirige au nord-est ; ces deux cours d'eau prennent leur source
dans un terrain marécageux, couvert de hautes broussailles et traversé par
une route sinueuse qui conduit à Bouffarick ; elle est coupée par une
multitude de ruisseaux, qu'on passe sur des ponts mal construits et en ruine,
d'où ce passage a pris le nom de Dix-Ponts : il eût pu devenir dangereux pour
une colonne aussi faible que la nôtre de s'engager bien avant dans le défilé,
mais l'ennemi nous en évita la peine. Il osa s'aventurer en deçà du passage,
dans la partie découverte de la plaine, il y fut rencontré dans la nuit du
1er octobre, par les 2.000 hommes du général Faudoas qui s'avançait pour le
surprendre ; on se fusilla dans les ténèbres ; on repoussa les Arabes. L'aube
du jour qui vint à paraître permit à la cavalerie française de sabrer
l'ennemi. Il s'enfuit à la hâte et repassa le défilé des Dix-Ponts. Le
général français arrêta sa poursuite à l'entrée du passage ; il cherchait à
attirer de nouveau l'ennemi dans un terrain découvert ; en conséquence, il
simule une retraite, et vient prendre un peu en arrière une bonne position
couverte par l'artillerie et la cavalerie. Les Arabes donnent dans le piège ;
leur infanterie s'avance jusqu'à une bonne portée de canon. Soudain
l'artillerie ouvre son feu, écrase cette multitude confuse que la cavalerie
poursuit et sabre jusqu'aux ponts de Bouffarick. On enlève un drapeau
appartenant à la ville de Blida. La colonne française se retire de nouveau et
prend une seconde position un peu en arrière de la première ; les Arabes
ressortent de leurs broussailles et viennent se faire mitrailler encore une
fois. Il n'entrait pas dans les plans du duc de Rovigo de pousser plus loin
nos succès ; l'armée était fatiguée d'avoir marché toute la nuit et combattu
tout le jour ; elle revint coucher à Birkadem. Nous n'eûmes, dans cette
journée, que sept hommes tués et une douzaine de blessés ; l'ennemi perdit,
dit-on, plus de quatre cents hommes, ce qui s'explique par les ravages de
l'artillerie. Le
général Brossard, chargé de l'expédition de Coléah, était parvenu à une lieue
de la ville sans tirer un coup de fusil, lorsqu'il fût rencontré par une
députation de Maures ayant à leur tête Sidy-Mahomet, homme habile et vénéré,
et qui appartenait à cette famille des Embarreck, Marabouts de Coléah, dont
l'influence était héréditaire. Nous verrons plusieurs de ses membres figurer
dans cette narration. Mahomet supplia le général de ne pas pousser plus loin sa
reconnaissance, protestant de l'attachement du pays pour la France. M. de
Brossard n'en tint compte et vint fouiller toute la ville de Coléah sans y
trouver l'Aga, but de son expédition. Ce dernier, se sentant coupable,
s'était retiré dans la tribu de Soumata. Pour le remplacer, on s'empara des
quatre principaux habitants de la ville, au nombre desquels était le marabout
Sidy-Mahomet lui-même. Conduits à Alger, ils devaient servir d'otages de la
conduite de leurs - concitoyens. Ils ne furent relâchés que par le général
Woirol après une captivité de près de deux ans. Découragés
par le mauvais succès de leurs tentatives, aussi prompts à faire de nouvelles
promesses qu'à les violer, les Arabes essayèrent quelques voies
d'accommodement auprès du général en chef. Les citadins de Blida, ayant plus
à perdre par les chances de la guerre, redoutaient surtout les suites de
l'échauffourée du premier octobre, à laquelle ils avaient pris part, en
partie forcés par les Arabes, en partie par haine pour les chrétiens ; sans
cesse flottant entre la crainte de nos armes et l'espérance que nous finirions
par quitter le pays, ils s'étaient donné pour chefs les deux scheiks Masaoud
et Arbi-Ben-Moussa, ennemis déclarés du nom Français, et peu de jours après,
effrayés de quelques démonstrations du duc de Rovigo, ils voulurent, ou ce
dernier exigea, qu'ils fussent mis à la tête d'une députation nommée pour
venir traiter de la paix. Masaoud et Arbi-Ben-Moussa hésitèrent longtemps à
se charger d'une pareille mission ; enfin, rassurés par un sauf conduit que
leur obtint notre fidèle allié, le Scheik des Kreschenas, accompagnés d'une
douzaine de leurs concitoyens, ils vinrent trouver le duc de Rovigo pour
entamer cette négociation difficile. Ce dernier les reçut en séance publique
et d'un air si sévère. « Si, dit-il, vous n'êtes pas décidés à remplir toutes
les conditions que je vous imposerai, vous pouvez partir ; les chemins sont
libres ; si, au contraire vous êtes revenus à de meilleurs sentiments, venez
prendre mes ordres demain matin. » La députation protesta de sa soumission
absolue, et se retira. Dans la nuit, un de ses membres fit réveiller le
général en chef pour lui dire que la députation avait délibéré la veille,
toute la soirée ; qu'il avait été convenu, sous l'influence des deux chefs,
que l'on promettrait tout ce que l'on voudrait au général, afin de pouvoir
retourner à Blida ; mais qu'une fois libres, ils n'agiraient plus que comme
bon leur semblerait. Le Maure ajouta qu'il fallait arrêter les deux
instigateurs du désordre ; qu'avec eux on n'aurait jamais la paix. Le général
prit sur-le-champ son parti. Il fit rédiger en arabe les plaintes qu'il avait
à faire et les réparations qu'il exigeait, et, quand la députation vint le
trouver le lendemain, il lui intima ses conditions, en demandant au Scheik
des Kreschenas, qui avait accompagné ses protégés, s'il voulait se rendre
caution de l'exécution de leurs promesses ; celui-ci, tout en intercédant
vivement pour eux, répondit que sa confiance en leur sincérité n'allait pas jusque-là.
Le général lui dit alors qu'il était, dans ce cas, forcé de se conserver des
otages et lui rendit compte de ce qui s'était passé la veille dans le
conciliabule des envoyés. En même temps, les gendarmes entrèrent et
s'emparèrent de Masaoud et d'Arbi-Ben-Moussa, qui furent conduits en prison.
Ils devaient être relâchés plus tard si leurs concitoyens restaient fidèles à
leur parole, sinon ils demeuraient responsables, sur leur tête, de tout ce
qui pourrait arriver. Le reste de la députation eut la liberté de retourner à
Blida. Il ne
parait pas que les engagements, pris dans ces conférences par les habitants
de Blida, aient eu un grand résultat ; le fait est que cette malheureuse
ville, livrée à l'anarchie, n'avait aucune autorité réelle, capable de tenir
en bride la population fanatique et turbulente des environs, qui nous avait
juré une guerre éternelle ; le général voulait les punir à la manière des
Arabes, par une razzia, c'est-à-dire par un pillage à main armée ; procédé
odieux puisqu'il tombait sur des gens qui n'avaient d'autres torts que de
n'être pas assez puissants pour résister à nos ennemis, et que nous ne
pouvions protéger nous-mêmes. Le 21 décembre, le général Faudoas partit de
Birkadem, vers les quatre heures du matin, accompagné du corps
expéditionnaire. Douze heures après il était aux portes de Blida sans avoir
tiré un coup de fusil ; la campagne était déserte ; les plus riches habitants
de la ville l'avaient vidée avec tout ce qu'ils avaient pu emporter ; ce qui
restait fut livré au pillage. On apprit que les bagages des ennemis avaient
été transportés dans un village situé dans la gorge d'une montagne, à une
demi-lieue de la ville ; il fut immédiatement investi, et tout ce qu'il
contenait tomba au pouvoir des Français, sans que personne essayât de le
défendre ; seulement, en s'en retournant, nos troupes essuyèrent quelques
coups de fusils tirés d'assez loin. De retour à Blida, M. de Faudoas fit dire
aux habitants que, s'ils brûlaient une seule amorce, il reviendrait mettre le
feu aux quatre coins de la ville ; ils-promirent de rester tranquilles et
tinrent parole ; le corps expéditionnaire rentra dans Bei quartiers sans
avoir laissé un seul homme en arrière, mais plus chargé de butin que de
gloire. Cependant
les deux Scheiks, arrêtés en novembre, étaient toujours dans les prisons
d'Alger. M. de Rovigo voulut en faire un exemple ; une commission militaire
fut instituée pour les juger, on prouva facilement qu'ils étaient les auteurs
du meurtre de plusieurs Européens égorgés aux environs d'Alger. Il parait
aussi qu'ils avaient pris part au massacre des trente canonniers qui avaient
péri dans la Métidja, lors de l'expédition du général Clausel derrière
l'Atlas ; mais c'était leur manière de faire la guerre ; c'était la seule qui
se pratiquât dans la Régence de temps immémorial. Notre justice officielle de
France ne pouvait guère s'appliquer à des gens de mœurs et d'habitudes si
différentes des nôtres. Ce qui reste à peu près prouvé, c'est qu'ils nous
avaient fait une guerre cruelle et perfide, et qu'au moment même où ils
venaient, disaient-ils, traiter de la paix à Alger, ils étaient bien
déterminés à nous faire tout le mal qui leur serait possible. Une politique
également cruelle les condamna à mort et fit exécuter la sentence. L'année
1835 fut très peu fertile en événements militaires en Afrique. M. de Rovigo
rentra bientôt en France, rappelé par une maladie affreuse qui l'enleva le 2
juin, à Paris. Les Arabes la regardèrent comme une punition du Ciel. Le
général Woirol fut mandé de France pour prendre, par intérim, le gouvernement
de la colonie, en attendant que les graves questions qui commençaient à
s'agiter à l'égard de l'Afrique, eussent reçu une solution définitive. Il est
temps que nous abandonnions le centre de nos possessions d'Afrique, afin de
nous occuper des autres portions de la Régence. Les projets de M. de Bourmont
étaient de l'occuper tout entière ; naturellement les villes situées sur la
côte avaient les premières attiré son attention, et, sur son invitation, M.
Duperré, dans le courant de juillet 1850, avait envoyé dans les eaux de Bone
la corvette l'Echo, commandée par M. de Graëb, ayant à son bord plusieurs
habitants de cette dernière ville, qui se trouvaient à Alger lors de la
capitulation. Ils s'étaient adjoints quelques Algériens notables, et M.
Rimbert, ancien agent Français dans les concessions d'Afrique. Ils étaient
porteurs d'une proclamation de M. de Bourmont, traduite en Arabe, qu'ils
étaient chargés de répandre dans la ville et les environs pour en sonder les
populations et préparer une réception pacifia que à l'expédition armée qui
devait les suivre. Pendant ce temps, l'amiral organisait, sous les ordres de
M. de Rosamel, une escadre qui devait prendre à son bord deux régiments de
ligne, une batterie d'artillerie, personnel et matériel, et deux obusiers de
montagne. Toutes ces mesures eurent le plus heureux succès. Les habitants de
Bone, déterminés par les conseils de nos députés, par la nouvelle de nos
succès, et surtout par la crainte du pillage de la part des Arabes, qui se
trouvaient libres de toute autorité par la chute des Turcs, virent en nous
des protecteurs plutôt que des ennemis, et ne formèrent plus qu'un vœu, celui
de voir leur ville occupée le plus tôt possible. Déjà une troupe de Kabiles
s'était présentée aux portes de la place en en demandant la reddition au nom
du Bey de Constantine. Les citadins, quoique ne comptant que 1.500 hommes,
avaient bravement fermé leurs portes et refusé toutes les demandes qu'on leur
adressait ; ils reçurent au contraire, avec empressement, le général
Damrémont, qui commandait l'expédition française. Le débarquement se fit avec
autant d'ordre que de promptitude ; le 6e de ligne occupa la Casbah, située à
300 mètres de la ville sur une hauteur isolée ; le 49e s'établit sur la route
de Constantine. On construisit des batteries pour couvrir cette position, et
on les arma avec des canons trouvés dans la place et les forts qui en
dépendent. Les Arabes couvraient la campagne, mais, jusqu'au 6 septembre, ils
se bornèrent à bloquer la ville et à intercepter les substances. Ce jour-là
même, les troupes françaises firent une vigoureuse sortie et les chassèrent
sur tous les points ; l'artillerie, tirant plusieurs fois à mitraille, leur
fit éprouver de grandes pertes ; mais ce premier échec ne les découragea
point. Le 7 septembre, accrus de nouveaux renforts, ils vinrent eux-mêmes
nous chercher dans nos retranchements. Si l'attaque fut vive, la défense ne
le fut pas moins ; officiers et soldats rivalisèrent d'intrépidité et de
sang-froid. Couverts par notre position, notre perte fut minime ; celle de
l'ennemi dût être très forte, ce qui ne l'empêcha pas de revenir plusieurs
fois à la charge. Des deux redoutes qui couvraient la ville, l'une où se
trouvait le général en personne, était complètement terminée ; l'autre
établie un peu en arrière seulement ébauchée. Ce fut contre cette dernière
que les Arabes dirigèrent tous leurs efforts. Au milieu de la nuit du 11
août, ils s'en approchèrent à la faveur de l'obscurité, de légers plis de
terrain et de quelques bois qu'on avait oublié d'abattre. Tout à coup ils
s'élancèrent sur les parapets en poussant des hurlements féroces. Accueillis
par un feu de mousqueterie et de mitraille à bout portant, ils plièrent, mais
revinrent bientôt avec plus de fureur encore ; quelques-uns franchirent les
fossés de nos redoutes, et vinrent se faire tuer à coups de baïonnettes sur
les parapets et dans les embrasures des batteries. Enfin ils abandonnèrent la
partie, laissant 86 cadavres sur le champ de bataille. Il est probable que
leur perte était beaucoup plus grande, car On sait tous les efforts dont ils
sont capables pour enlever leurs morts. Le beau-père du Bey de Constantine,
qui les commandait, y perdit la vie ; les Arabes, depuis lors, continuèrent à
rôder par bandes dans la plaine, sans plus oser s'approcher de nos postes. Mais à
la nouvelle des événements de juillet, M. de Bourmont voulut concentrer à
Alger les troupes qu'il avait rousses Ordres, afin de jeter plus facilement
leur poids dans la balance, si la guerre civile venait à se prolonger en
France ; l'évacuation de Bone fut donc par lui résolue. Il ne réfléchit ni au
contre-coup fâcheux qu'un pas rétrograde allait avoir sur l'esprit des
Arabes, ni mix malheureux habitants de cette ville, compromis pour nous, que
nous allions livrer à un ennemi féroce. Ce fut le 18 août que parvint à M. de
Damrémont un ordre de retour, qui dut lui faire verser des larmes de
désespoir. Une escadre était en rade prête à recevoir les hommes et le
matériel ; le général Dit dans la triste opération de l'embarquement autant
de prudence qu'il avait montré d'intrépidité dans les combats précédents. Une
très forte brise la rendit plus longue et plus difficile qu'on ne l'aurait
supposé, et ce ne fut que te 20 au soir que les troupes purent commencer de
monter à bord. L'ennemi, enhardi par cette retraite qu'il attribuait à la
crainte, fondit sur nous avec une nouvelle fureur, et nos soldats, combattant
avec un courage digne d'une meilleure occasion, eurent plus de peine à
évacuer la ville qu'il ne leur en aurait fallu pour la conserver. Les Arabes
occupaient nos positions à mesure que nous les abandonnions et s'en servaient
pour faire feu sur nous. Des compagnies d'élite passèrent encore à terre la
nuit du 20 août et eurent à combattre jusqu'au dernier moment ; elles eurent
le bonheur de n'éprouver aucune perte, mais il n'en fut pas de même de notre
influence dans la Régence. Abandonnés
par nous, les habitants de Bone ne s'abandonnèrent pas eux-mêmes ; ils
repoussèrent à coups de canon le Bey de Constantine qui voulait s'emparer de
leur ville, et qui, après plusieurs tentatives avortées, se contenta de les
bloquer étroitement ; les citadins à bout de vivres et de munitions, eurent
recours à M. de Berthezène qui leur envoya cent vingt-cinq zouaves et
quelques officiers dont l'aventureux courage ne cherchait que des dangers ;
ce premier secours, sous le commandement du chef de bataillon Huder, n'était
que l'avant-garde d'une expédition plus considérable qui devait débarquer
bientôt après. Reçu en libérateur, l'officier français distribua sa petite
troupe dans la ville et la Casbah ; mais trop confiant dans les dispositions
d'une population que notre faiblesse n'encourageait pas à se dévouer pour
nous, il ne s'aperçut pas des germes de mécontentement et d'insurrection que
quelques hommes fanatiques fomentaient dans la ville. Il s'y trouvait alors
un nommé Ibrahim, ancien Bey de Constantine, homme actif et remuant, et qui
n'avait pas assez attiré l'attention de M. Huder ; il en profita pour se
ménager un parti parmi les habitants, et, suivi de quelques Musulmans
dévoués, il parvint, le 26 septembre, à s'introduire dans la Casbah et s'en
rendit maître après avoir fait prisonnier l'officier qui y commandait et
massacré les vingt-cinq ou trente Français qui en formaient toute la garnison
: il s'en servit pour battre la ville à coups de canon. A l'instant, ses
partisans se déclarèrent ; le commandant français courut aux armes, et, à la
tête de sa troupe, se battit courageusement dans les rues de la ville. L'Adonis
et la Créole, deux bricks de guerre qui se trouvaient en rade, envoyèrent des
marins à son secours ; mais s'apercevant bientôt que la ville était intenable
sous le feu du château, il se détermina enfin à l'évacuer dans la matinée du
29 septembre ; il allait descendre dans le canot qui devait le conduire à
bord, quand il fut tué d'un coup de tromblon. La marine fit des prodiges de
courage et de dévouement pour ramener à bord le détachement des troupes de
terre, et elle y parvint, non sans payer ce succès du sang d'une partie des
équipages. Le soir de cette malheureuse affaire, arrivait le commandant
Duvivier avec le 2e bataillon de zouaves qui devait renforcer la garnison ;
cet officier supérieur jugea qu'en de telles circonstances le débarquement
était inutile ; il revint à Alger sans avoir mis pied à terre, et Bone fut
abandonnée une seconde fois. Ce fut dans les rues de la ville que fut tué
alors le capitaine Bigot, jeune officier de la plus belle espérance. La
valeur française devait réparer encore les fausses mesures qui deux fois nous
avaient fait perdre la ville de Bone. Cette place après la mort du commandant
Huder tomba entièrement entre les mains d'Ibrahim Bey, qui aurait bien voulu
s'y créer un état tout à fait indépendant ; mais les habitants, toujours
portés pour la France, demandèrent du secours au gouverneur d'Alger ;
celui-ci, n'ayant point de troupes disponibles, se contenta de leur envoyer,
le 12 février 1852, M. D'Armandy, capitaine d'artillerie, qui, par des
voyages et un long séjour en Perse et dans tout l'Orient, avait acquis une
connaissance assez exacte de la langue turque et des mœurs musulmanes. Deux
sous-officiers et un soldat d'artillerie voulurent partager la gloire et les
dangers de leur capitaine ; quelques zouaves se joignirent à eux et
complétèrent une force de douze fusils ; et c'est avec elle que M. d'Armandy
entreprit de se maintenir dans une ville où le commandant Huder venait de
trouver la mort. Il entama des négociations avec Ibrahim, et ne désespéra pas
de l'amener à remettre lui-même la Casbah aux mains des Français. Mais ce
dernier, qui ne voulait que gagner du temps et se procurer des vivres pour
approvisionner sa citadelle, ne se pressait pas de conclure, et M. D'Armandy
vit bientôt qu'il faudrait avoir définitivement recours à une démonstration
hostile. La situation fut encore compliquée par l'invasion de Bone par
Ben-Aissa, lieutenant du Bey de Constantine, auquel quelques habitants
avaient ouvert les portes de leur ville ; M. D'Armandy fut contraint de se
retirer sur un bâtiment français à l'ancre dans la rade. Il y
avait alors à la solde de la France un jeune homme qu'une grande beauté, une
naissance mystérieuse, une bravoure qui rappelait les temps de la chevalerie,
commençaient déjà à recommander à la renommée. Il ignorait lui-même quel pays
l'avait vu naître quoique plusieurs données semblassent déceler une origine
italienne. Embarqué dès sa plus tendre enfance, il avait vu périr tous ses compagnons
dans un naufrage et jeté sur les côtes de Tunis, il avait été élevé à la cour
du Bey de cette ville, d'où il s'enfuit à l'âge de 18 ans, à la suite d'une
aventure galante avec la fille du souverain. Il s'était jeté dans les bras de
la France qui lui ouvrit les rangs de son armée, et qu'il servit avec une
fidélité et un dévouement qui ne se démentirent jamais. Tout le monde a nommé
Youssouf. Chargé par le duc de Rovigo de négocier un achat de chevaux dans la
Régence de Tunis il avait fait la traversée d'Alger à Bone avec M. D'Armandy ;
ces deux hommes, pendant les entretiens qui trompent les heures d'une ennuyeuse
navigation, avaient concerté ensemble le projet qui finit par donner pour
toujours Bone à la France. Youssouf, revenant de Tunis à bord de la
Béarnaise, retrouva M. D'Armandy dans les eaux de Bone ; leur parti fut
bientôt pris ; ils demandèrent à M. Fréard, commandant la Béarnaise, trente
marins auxquels s'adjoignirent MM. Ducouédic, jeune lieutenant de frégate, et
de Cornulier de Lucinière, élève de 1re classe. Les noms de ces braves
devraient être signalés à toute la France. Le 25 mars 1832, ils se font jeter
à terre aux environs de Bone, parviennent à travers mille dangers jusqu'au
pied des murs de la Casbah dont Ibrahim s'était absenté pour chercher du
secours, et là Youssouf, s'abouchant avec les Turcs qui la gardaient, et
parmi lesquels il s'était ménagé des intelligences, les décide à lui tendre
des cordes, au moyen desquelles les Français escaladent la forteresse, et une
fois introduits dans l'intérieur, ils forcent les Musulmans à leur jurer
fidélité et obéissance. Ils arborent le drapeau tricolore sur les murs de la
place, et un salut de neuf coups de canon vint annoncer aux habitants de Bone
que la France était maîtresse de leur citadelle. A cette vue, les troupes
d'Achmet désespèrent de se maintenir dans la ville ; elles pillent toutes les
maisons et allument l'incendie, forcent les habitants à les suivre ou les
massacrent, et s'enfuient dans l'intérieur. M. D'Armandy était témoin, du
haut de la Casbah, de cette scène de désolation et s'indignait de ne pouvoir
rien pour l'empêcher ; il était lui-même ainsi que ses compagnons à la merci
des Musulmans qui les avaient reçus dans la Casbah ; ces derniers complotent
pour s'en défaire. Youssouf a deviné leurs projets ; il appelle le chef de la
conspiration dans un réduit intérieur où les Français s'étaient retranchés,
et sur ses explications embarrassées lui porte un premier coup de poignard.
Le Turc poursuivi d'un feu de mousqueterie expire en fuyant. Les Musulmans
les plus compromis sont saisis et décapités sur-le-champ ; le reste n'ose
plus bouger ; pour leur ôter tout espoir d'introduire de nouveau Ibrahim dans
la Casbah, Youssouf en fait murer les portes. Mais la Mm, cet ennemi contre
lequel toute la valeur est inutile, tourmente la petite garnison. Youssouf,
pour se procurer des vivres, se met à la tête de ces mêmes Turcs qui voulaient
le massacrer, sort de la place, et, arrivé en rase campagne, fait jurer de
nouveau à toutes ses troupes fidélité au drapeau français ; un seul semble
hésiter, Youssouf lui fait sauter la tête d'un coup de pistolet, et ce dernier
exemple, d'une terrible énergie, lui procure un ascendant irrésistible sur le
reste de ses soldats. Avec eux, il s'empare des ruines de Bone, y arbore les
couleurs françaises, en chasse une tribu d'Arabes qui voulait piller ce qui
avait échappé aux soldats d'Achmet, et s'y maintient jusqu'à l'arrivée du
brick la Surprise qui lui apportait des renforts et des munitions. Le général
Monck-d'U zer, qui descendit à Bone à la fin de mai avec 3.000 hommes,
embarqués à Toulon, sut nous conserver l'ascendant acquis par l'audace de
quelques braves. Youssouf, à la tête de ses cent Turcs, toujours à cheval,
punissait les Arabes rebelles et soutenait ceux qui avaient fait leur
soumission. Les indigènes des environs semblaient moins féroces et moins
fanatiques que ceux du reste de la régence. Bientôt il n'y eut plus d'ennemi
déclaré de la France, de ce côté, que le Bey de Constantine, qui ne devait
être écrasé que beaucoup plus tard. Cependant
Achmet-Bey, en quittant Bone, ne nous avait laissé que des ruines. Le premier
soin du général devait être de déblayer ce tas de décombres qu'on appelait la
ville ; à peine si les soldats avaient pu trouver quelques maisons encore
debout pour s'abriter ; les rues étaient étroites et presque sans air,
encombrées d'immondices et de cadavres, exhalant une odeur fétide et les
miasmes les plus dangereux. De la porte de Constantine à celle de la Casbah,
on commença par percer une large rue divisée en deux par une grande et belle
place d'armes. Des Arabes que nous avions pris comme travailleurs, des
soldats montrant une patience et un dévouement à toute épreuve, étaient
occupés à ces pénibles travaux. La fatigue, la chaleur, l'insalubrité de ces
ruines causèrent une foule de maladies que toutes les prévoyances, les soins
paternels des chefs ne purent prévenir. Tout en rebâtissant la ville on
travaillait à la fortifier ; les maisons adossées contre les remparts furent
abattues pour pouvoir facilement surveiller la défense en cas d'attaque ;
quelques forts extérieurs furent complétés. Il fut question d'établir un
aqueduc pour conduire à la ville l'eau dont elle avait besoin. M.
Monck-d'Uzer, pour ménager les finances de la mère patrie, fit recueillir,
par l'armée, les foins nécessaires à la cavalerie. Ces travaux champêtres
étaient des parties de plaisir pour nos soldats qui y retrouvaient les
occupations de leur enfance. On partait avec des faucheurs des charretiers et
une escorte de deux à trois cents hommes bien armés pour défendre les
travailleurs à tout événement. La campagne des environs était magnifique, le
sol d'une fertilité admirable, couvert d'oliviers, d'orangers, de figuiers,
de palmiers et d'une foule d'autres arbres inconnus à la France. Cette
province avait toujours été la plus florissante et la plus riche de la
Régence, comme le prouvent le blé, les cuirs et la cire qu'en exportait le
commerce. Bâtie sur le penchant de collines peu élevées, en face du soleil
levant, la ville de Bone voit se dérouler au sud une grande et riche plaine
arrosée par la Seybouse et la Meffrah, jadis parfaitement cultivée ; elle est
coupée par une rangée de Collines s'élevant à un mille des portes de Bone,
sur lesquelles on pense qu'était autrefois bâtie la ville d'Hyppone. Les
inondations des rivières que l'in curie des barbares à laissé longtemps
divaguer dans ce beau pays, en ont couvert une partie de marais insalubres,
que l'industrie française commence à dessécher et a rendre à la culture par
des digues renfermant les eaux dans un lit fixe et infranchissable. La
Seybouse, d'une navigation facile, pourra devenir ainsi une artère puissante
pour le commerce de la province, dont les habitants ont un esprit industriel
et rnercantile, C'est dans les environs de Bone que se trouve La Calle, chef-lieu
des anciens établissements français sur ces côtes ; notre séjour antérieur y
avait laissé quelques traces, et nos soldats trouvèrent avec plaisir une
tribu dont quelques membres entendaient et parlaient le provençal ; elle se
maintint constamment en paix avec nous. Cependant
il fallut bientôt reprendre les armes ; l'ancien possesseur de Bone, Ibrahim
Bey, depuis son expulsion de la ville, errait de tribu en tribu, cherchant
partout à soulever le pays contre les nouveaux conquérants ; il s'associa un
marabout fanatique qui, par ses exhortations, parvint à réunir 4 à 5.000
hommes prêts à marcher avec lui contre les infidèles. L'attaque de la ville
fut résolue pour le 22 août. Quelques jours auparavant, Ibrahim et son
prophète s'étaient rendus sur les bords d'un lac, à cinq lieues de Bone, et
se préparaient à quelque cérémonie religieuse en l'honneur de Mahomet, quand
le prédicateur de la guerre sainte tomba de cheval et se cassa la clavicule.
Il fut forcé d'abandonner l'expédition et cet accident dérangea pour un
moment les projets de notre ennemi ; quelques-uns de ses auxiliaires
l'abandonnèrent ; mais enhardi par notre inaction, encore soutenue de 12 à 1.500
hommes, il se présenta le 8 septembre sous les murs de la ville pour tenter
un coup de désespoir. Dès les huit heures du matin, il jeta ses troupes
indisciplinées dans les jardins qui dominent les hauteurs de la Casbah. Trois
coups de canon, tirés de cette citadelle, avertirent la garnison de la ville
de l'approche de l'ennemi ; les troupes rentrèrent aux quartiers, attendant
les ordres de leurs chefs ; Ibrahim s'engageait de plus en plus. Bientôt deux
bataillons du 55e, forts chacun de 600 hommes, furent prêts à marcher. On
leur adjoignit à chacun une section de deux pièces. Une première colonne
sortit par la porte de Damrémont ; une autre réunie aux Turcs commandés par
Yousouf, par celle de Constantine. L'ennemi, attaqué à droite et à gauche, ne
fut pas longtemps à se débander ; il eut 50 hommes de tués, 20 ou 50 de pris,
et beaucoup de blessés ; son camp fut enlevé, la tente d'Ibrahim et tout ce
qu'elle contenait tomba au pouvoir de nos soldats. Tout fut terminé en moins
de deux heures ; l'ennemi s'enfuit par les montagnes dans un pays si
difficile qu'il fut impossible de l'y poursuivre ; nous ne perdîmes que
quatre ou cinq hommes, Turcs ou Français, dans cette affaire qui fut la
dernière dans laquelle l'ennemi osa se présenter sous les murs de Bone. Les
combats suivants furent amenés par l'offensive que nous prîmes, afin de
châtier quelques tribus coupables de vols et de déprédations aux dépens de
nos alliés. Dans ces rapides coups de main, le capitaine Yousouf montra son
audace et son activité ordinaires ; il devint la terreur des Arabes que le
général Monck-d'Uzer nous gagnait peu à peu par sa justice et sa modération.
On poussa dans l'intérieur, jusqu'à 15 ou 20 lieues de la côte, plusieurs
promenades militaires, qui furent effectuées sans tirer un coup de fusil, et
firent découvrir un pays d'une richesse et d'une beauté surprenantes. Les
tribus apprêtaient des rafraîchissements à nos soldats, et leurs Scheiks
étaient admis à la table du général Monck-d'Uzer. La route de Constantine fut
parcourue et reconnue praticable pour l'artillerie jusqu'à une grande journée
de marche de Bone. Les Arabes se détachaient d'Achmet Bey, qui essaya
vainement plusieurs fois de rallumer la haine des Musulmans pour le nom
chrétien, prête à s'éteindre. Plusieurs Européens naufragés sur les côtes
furent recueillis par les Arabes des bords de la mer, traités avec tous les
égards possibles et remis entre les mains du capitaine de la Franconnière,
chargé par le général de les recueillir. Le nom de M. Monck-d'Uzer était
resté en vénération parmi les tribus des Felfellé et du Cap-de-Fer, depuis le
combat du 8 septembre 1832, à la suite duquel il avait fait soigner les
prisonniers blessés qu'il avait renvoyés ensuite dans leurs tribus
respectives. La ville d'Oran, jadis fortifiée par les Espagnols, avait éprouvé des vicissitudes analogues à celles de Bone, quoique moins sanglantes ; M. le capitaine de frégate Le Blanc, commandant le brick le Dragon, avait reçu à son bord, dans les derniers jours de juillet 1850, le fils de M. de Bourmont, officier d'ordonnance de son pète, député vers le Bey d'Oran pour l'engager à se soumettre à l'autorité française. Le Bey n'était pas éloigné de prendre ce parti, mais il était maîtrisé par la milice turque, turbulente et fanatique, qui rêvait une indépendance impossible pour la province. M. Le Blanc avait rallié à lui MM. Ropert et Nonay, commandant, l'un le Voltigeur, l'autre l'Endymion, deux bricks qui veillaient au blocus de la place. Ces trois officiers se concertèrent pour aller jeter l'ancre sous le fort Mers-el-Kébir, qui com mande la rade du même nom, véritable port d'Oran, et où se trouve le mouillage peut-être le plus sûr de toutes les côtes de la Régence. Tout à coup 150 marins débarquent au pied des murs ; ils se présentent devant la porte du fort que la garnison turque évacue immédiatement et sans résistance ; cent matelots s'y logent et y arborent les couleurs de la France ; on y trouva 40 pièces de canon. Bien que cette garnison fut très faible, elle suffisait à une défense provisoire, parce que le feu des bâtiments de guerre pouvait se croiser sur l'étroite langue de terre qui réunit le fort à la terre ferme. Un régiment fut alors embarqué d'Alger pour Oran, mais il fut rappelé par M. de Bourmont avant d'être parvenu à sa destination ; le Bey promit de tenir la ville et les forts à la disposition de la France. Plus tard, en effet, la ville d'Oran fut remise par lui, sans coup férir, à une petite garnison française, qui s'y maintint, sans événements importants, jusqu'aux premiers jours de septembre 1851, époque à laquelle le lieutenant-général Boyer vint prendre le commandement de la place. Un bataillon de la légion étrangère fort d'un millier d'hommes y débarqua presqu'en même temps ; ce renfort n'était pas inutile pour les graves circonstances qui allaient se présenter. Un des premiers soins du général Boyer fut d'étendre son autorité sur les deux villes d'Arzew et de Mostaganem petits ports de mer situés à l'est d'Oran, occupés par des garnisons de Turcs et de Coulouglisis qui se soumirent sans résistance, et entrèrent à la Solde de France, en Conservant la garde de ces deux postes. L'automne et l'hiver, du reste, se passèrent tranquillement jusqu'au mois d'avril 1832, que les Arabes essayèrent quelques tentatives d'embauchage sur les Espagnols de la légion étrangère ; elles furent châtiées par le général avec une rigueur qui justifiait le surnom de Pierre-le-Cruel, acquis par lui dans les guerres d'Espagne sous l'empire. Dans les premiers jours du mois de mai suivant, toutes les tribus des environs se soulevèrent à la voix d'un Marabout fanatique, nommé Mahiddin, père du célèbre Abd-el-Kader, qui commençait alors ses premières armes contre nous. Une multitude confuse vint se ruer sur les forts avancés qui couvrent les approches d'Oran. Repoussée avec perte, elle fut bientôt ralliée par toutes les tribus de l'intérieur, ce qui porta le nombre des combattants à plus de 12.000 hommes : Profitant d'un brouillard épais qui couvrait la côte, cette masse forcenée s'avança plusieurs fois jusques sous les murs de la place, dont elle remplit les fossés de ses cadavres ; le détail de tant de combats serait fastidieux ; ils durèrent, avec quelque intermittence, depuis le 2 jusqu'au 8 mai. Ce jour-là les tribus découragées s'enfoncèrent dans l'intérieur pour ne plus revenir ; quelques bandes armées continuèrent à roder autour de la ville, mais sans rien tenter d'important. La masse des populations revint à nos marchés qu'elle fournissait abondamment de denrées et de bestiaux. L'État achetait les plus beaux chevaux qui se présentaient pour monter le 2e régiment de chasseurs d'Afrique, qu'on organisait alors et qui ne devait plus quitter la province d'Oran. Les quelques Turcs qu'elle renfermaient encore s'étaient ralliés à notre cause avec une fidélité qui ne se démentit jamais. Dans l'intérieur du pays, la citadelle de Tlemcen, occupée par une population guerrière et amie de l'ordre, composée en grande partie de Coulouglis, avait reconnu d'elle-même notre suzeraineté. Les Arabes des environs l'approvisionnaient en vivres, et vivaient en paix avec elle. La marine avait établi un navire de guerre en croisière le long des côtes, pour intercepter les munitions de guerre que les Arabes auraient pu recevoir par la voie de mer. En même temps, des officiers relevaient la plage, et rectifiaient les anciennes cartes qui fourmillaient d'erreurs ; on recueillait avidement toutes les notions qui nous arrivaient sur les peuplades de l'intérieur et les lieux qu'elles habitent. Ce fut dans le commencement de juillet 1852 que le grand Scheik de la tribu des Douairs, le fameux Mustapha-Aga-Ben-Ismaël se mit une première fois en rapport avec le commandant de la province ; quoique rien ne fût alors défensivement conclu, les bases furent jetées d'une alliance qui devait plus tard devenir indissoluble. De temps en temps quelques bruits d'attaque arrivant de l'intérieur venaient donner une alerte à la garnison d'Oran. Les tribus hostiles exhalaient leurs ressentiments en vaines menaces, qu'elles n'entreprenaient même que très rarement d'exécuter ; désespérant de nous réduire par les armes, elles essayèrent de le faire par la famine et s'embusquèrent autour de la ville, pour détrousser les arabes qui nous apportaient des vivres et satisfaire également leur amour du pillage et leur haine pour les chrétiens. Une nouvelle attaque fut même résolue ; elle fut facilement repoussée, et l'intérêt, plus fort que la haine, ramena bien vite à nos marchés la grande majorité des indigènes. Bientôt on eut assez de chevaux pour monter entièrement le 2e régiment de chasseurs, et, le 8 août, il reçut son drapeau des mains du général Boyer, qui lui adressa une courte mais énergique allocution. A cette occasion les officiers du nouveau régiment donnèrent un bal qui termina gaiement cette journée mémorable. La variété des costumes qui s'y montrèrent, le mélange des danses françaises, mauresques et espagnoles, lui donnèrent une physionomie piquante et éminemment pittoresque. Il fut brillamment terminé par un fandango exécuté par deux dames espagnoles, s'accompagnant de leurs castagnettes, et qui mit dans tout son jour la grâce et la légèreté de ces ravissantes femmes de la Péninsule ; la guerre et les plaisirs n'empêchèrent pas les Français d'Oran de s'occuper de travaux pacifiques et sérieux. On entreprit la réparation des fortifications de la ville et surtout celles du fort Saint-Philippe qui en est la clef, construites par les Espagnols sur un très bon plan, elles étaient délabrées par la négligence de leurs maîtres musulmans. On traça et commença la route qui devait relier Cran au grand port de Mers-el-Kébir ; mais le calme ne pouvait régner longtemps ; nos turbulents voisins, les Garabas, Joutèrent d'enlever à main armée le troupeau de bœufs qu'on nourrissait dans la plaine pour la subsistance des troupes ; on leur tua cinq cavaliers, on les chassa, sans que ce succès nous coûtât la perte d'un seul homme. Leurs tentatives se renouvelèrent néanmoins le 25 octobre et le 10 décembre 1852. Dans un de ces combats un peloton du 2e chasseurs, sous les ordres du sous-lieutenant Tremblay, s'avança seul dans la plaine pour y attirer les Arabes par l'amorce d'un succès facile. Entouré un moment par toutes les forces ennemies, il se défendit avec une résolution calculée, qui donna le temps au colonel de L'Estang d'exécuter avec le reste du régiment plusieurs charges qui devinrent très meurtrières pour l'ennemi. Le frère d'Abd-el-Kader, fils aîné du marabout Mahiddin, fut au nombre des morts. Enfin les Arabes découragés ne combattaient plus que pour enlever leurs morts et leurs blessés dont, malgré tous leurs efforts, une partie resta entre nos mains. Nous perdîmes dans cette suite de petits combats une vingtaine d'hommes ; ils furent les derniers livrés en 1832. Bientôt le général Boyer, qui affectait une indépendance qui choqua le général en chef, dut quitter Oran pour retourner en France et fut remplacé dans son commandement par le général Desmichels. |