Dans le domaine de la religion et de la philosophie, nul
élément nouveau ne s’est produit. La religion d’État romano-hellénique, la
philosophie officielle du portique indissolublement liée avec elle,
constituaient pour tout gouvernement, oligarchie, démocratie ou monarchie, un
instrument commode, mieux que cela, indispensable. Construire l’État à neuf
sans l’élément religieux, eût été chose impraticable, autant qu’inventer une
religion nouvelle à mettre à la place de l’ancien culte approprié à
l’ancienne Rome. Parfois, sans doute, on avait vu rudement s’abattre le balai
révolutionnaire sur les toiles d’araignée du système augural, mais l’appareil
pourri et disloqué n’en avait pas moins survécu au tremblement de terre où
s’abîma Cependant, à côté de la foi incroyante maintenue par les
seules convenances politiques, on se rattrapait largement ailleurs.
L’incroyance et la superstition, ces deux prismes divers du même phénomène
historique, allaient de pair et se donnant la main dans le monde. Il ne
manquait point de gens même, qui les réunissaient en eux, niant les dieux
avec Épicure, priant et sacrifiant devant la moindre chapelle. Naturellement
il n’était plus question que des seuls dieux orientaux : à mesure que la
foule accourait des provinces grecques en Italie, ceux-ci, en nombre toujours
croissant, inondaient l’Occident à leur tour. Nous savons quelle importance
avaient conquise les cultes de Phrygie : les hommes déjà sur l’âge, Varron et
Lucrèce, nous l’attestent par leurs attaques et les plus jeunes nous le
disent de même : témoins les glorifications du poétique Catulle qui,
d’ailleurs ; conclut par une prière caractéristique : Déesse, éloigne de moi tes fureurs, et jette-les sur les autres !
[Cat., carm.,
63. Atys.] A côté des dieux de Phrygie, vinrent se ranger ceux
de L’éducation de la jeunesse continue à se mouvoir dans le
programme, ailleurs décrit, de la précédente époque, dans les humanités
comprenant les deux langues. Toutefois plus le temps marche, et plus le monde
romain, dans sa culture générale ; va s’assujettissant aux formes instituées
par les Grecs. On délaisse les exercices de la balle, de la course et de
l’escrime, pour la gymnastique perfectionnée de Mais si l’éducation grecque et latine a gagné en étendue,
pet en rigueur d’école, elle a perdu beaucoup du côté de la pureté et de la
délicatesse. La science grecque, recherchée avec une irrésistible ardeur, a
donné sans doute un vernis plus savant à la culture. Mais expliquer Homère ou
Euripide n’est point un art après tout. Élèves et maîtres trouvèrent leur
compte à la poésie Alexandrine : celle-ci, les choses étant ce qu’elles
étaient dans le monde romain, s’accommodait à l’esprit de tous, bien mieux
que la vieille et vraie poésie nationale de En même temps que le programme des études grecques, le
programme latin, s’élargit, lui aussi, résultat pur et simple, en partie, du
mouvement de l’hellénisme. Les Latins, au fond, recevaient des Grecs et
l’impulsion et la méthode. Bientôt sous l’influence des idées démocratiques,
la tribune du Forum s’ouvrit à toutes les classes, et appela la foule. Les
conditions politiques de Ainsi le système d’éducation de la jeunesse demeurait au fond le même : seulement, par l’effet de la décadence nationale, bien plus que par le vice du système, le bien y étant plus rare qu’au temps jadis, le mal s’y montrait plus souvent. Cependant, là encore, César apporta sa révolution. Tandis que le Sénat romain avait combattu d’abord la culture littéraire, puis n’avait fait que la tolérer, le nouvel Empire Italo-Hellénique, dont l’humanité (humanitas) constitue l’essence, la prend en main et entend l’a diriger d’en haut. César octroie la cité à tous les maîtres ès-arts libéraux, à tous les médecins dans Rome [Suet., Cœs., 42] : ce premier pas annonce la création future de grands établissements où la haute instruction sera dispensée dans les deux langues à la jeunesse romaine, et qui seront l’expression complète et puissante de la culture nouvelle dans l’État nouveau. Puis bientôt, le régent décide la fondation dans la capitale d’une bibliothèque publique grecque et latine ; et il nomme pour son conservateur le plus érudit des Romains, Marcus Varron, faisant voir aussi par là qu’il ouvre à la littérature universelle ce royaume de Rome qui s’étend sur le monde[10]. Pour ce qui est de la langue en elle-même, son évolution se rattache à deux éléments tout opposés, au latin classique des cercles cultivés d’une part, et de l’autre, au latin vulgaire de la vie usuelle. Le premier est le produit de la culture italienne. Déjà dans le cercle des Scipions, parler le pur latin a été une règle favorite ; la langue maternelle n’y a plus toute sa naïveté première, et tend à se distinguer du langage de la foule. Mais dès le début du siècle, il se manifeste une réaction remarquable contre le classicisme affecté des hautes classes et de leur littérature, réaction se rattachant étroitement, au dehors et au dedans, à celle toute semblable qui se fait à la même heure chez les Grecs. Déjà en effet, Hégésias de Magnésie, rhéteur et romancier[11], et tous les rhéteurs et lettrés d’Asie-Mineure à la suite avaient fait leur levée de bouclier contre l’atticisme orthodoxe. Ils demandèrent droit de bourgeoisie pour la langue. usuelle, que le mot ou la phrase vinssent d’Athènes, de Carie ou de Phrygie : ils parlèrent et écrivirent, non pour les coteries des élégants, mais pour le goût du gros publie. Le précepte était bon, à coup sûr, mais tant valait le public d’Asie-Mineure, tant valait la pratique : or, chez les Asiatiques de ce temps, le sens de la pureté sévère et sobre s’était absolument perdu, l’on ne visait qu’au clinquant, à la mignardise. Sans m’étendre ici sur les genres bâtards et les productions de cette école, romans, histoires romanesques et autres, disons seulement que le style des Asiatiques était tout haché, sans cadence ni période, mol et tourmenté tout miroitant de paillettes et de phœbus, trivial d’ailleurs, et par-dessus tout maniéré. Qui connaît Hégésias, s’écrie Cicéron, n’a pas à chercher loin un sot ! [Orat., 67] Et pourtant la nouvelle manière fit son chemin dans le monde latin. La rhétorique à la mode chez les Grecs ayant, comme on l’a vu, envahi les programmes de l’éducation latine à la fin de l’époque précédente, en était arrivée à ses fins au commencement du siècle actuel. Avec Quintus Hortensius (640-704 [114-50 av. J.-C.]), le plus illustre des avocats du temps de Sylla, elle avait occupé la tribune aux harangues. On la vit alors, usant de l’idiome latin, s’accommoder servilement au faux goût importé de Grèce. Le public n’avait plus l’oreille sage et chaste du temps des Scipions : il applaudit tout naturellement le nouveau venu, habile qu’il se montrait à couvrir sa vulgarité d’un vernis factice. L’événement avait sa haute importance. De même qu’en Grèce la lutte littéraire s’était concentrée dans l’école des rhéteurs, de même à Rome, la langue judiciaire, bien plus encore que la littérature proprement dite, donna la règle et la mesure du style ; et le prince des avocats eut pour ainsi dire juridiction sur le ton du langage, et sur la manière d’écrire selon la mode du jour. La vulgarité asiatique d’Hortensius chassa la forme classique de la tribune romaine et en partie des autres genres littéraires[12]. Mais bientôt la mode change et en Grèce et à Rome. Et d’abord les maîtres rhodiens, sans l’école revenir tout à fait à la chasteté austère du style. attique, de Rhodes. essayent de se frayer une voie moyenne entre la forme ancienne et la formé nouvelle ; et sans rigoureusement s’astreindre à la correction exacte de la pensée et de l’ex-pression, ils n’en visent pas moins à la pureté de la langue et de la phrase : ils s’appliquent au choix des mots et du tour, ils recherchent la cadence dans la période. En Italie, Marcus Tullius Cicéron se lève (648-711 [-106/-43]). Imitateur dans sa jeunesse de la manière d’Hortensius, ramené par les leçons des Rhodiens et son goût plus mûr à de meilleurs préceptes, il se fait lui aussi et pour toujours zélateur de la pureté exacte de la langue ; il s’adonne à la période et au rythme oratoire. Ses modèles favoris, il les cherche avant tout dans les cercles de la haute société romaine, que n’a point infectés la vulgarité moderne : or, comme nous l’avons dit plus haut, bien qu’ils soient devenus rares, plusieurs ont survécu. Certes, la vieille littérature latine, et la bonne littérature grecque, quelle qu’ait été d’ailleurs l’influence de celle-ci sur l’allure nombreuse de la phrase, n’étaient plus qu’au second rang ; et dans l’épuration tant prônée du langage il fallait voir bien moins la révolte de la langue écrite contre la langue vulgaire, que la révolte de la langue parlée, à l’usage des gens instruits, contre le jargon du faux ou du demi savoir. César ici encore se montra le plus grand maître du temps : il se fit l’expression vivante du classicisme romain et de son dogme fondamental : dans ses discours, dans ses écrits, évitant les mots étrangers, avec la sollicitude, du nautonier qui se dirige au milieu des écueils, il rejetait de même les mots purement poétiques, ceux oubliés de la vieille littérature, les termes de l’idiome rustique, les tours empruntés à la vie familière ; et nommément ce bagage de phrases et de mots grecs, entrés en si grand nombre (les correspondances du temps en témoignent) dans le courant du langage usuel[13]. Quoiqu’il en soit, le classicisme cicéronien ne trahissait que trop les expédients artificiels de l’école. Il était à celui des Scipions ce qu’est la faute confessée à l’innocence, ce que sont les classiques napoléoniens aux Molière et aux Boileau du Grand siècle des Français. Au temps des Scipions on avait puisé à même à la source de vie : aujourd’hui l’on recueille du mieux que l’on peut le souffle expirant d’une génération irrémissiblement condamnée. Tel qu’il est d’ailleurs, le classicisme nouveau se propage vite. Avec la royauté du barreau, la dictature de la langue et du goût passe d’Hortensius à Cicéron, et celui-ci dans ses multiples et vastes œuvres en tous les genres, donne à la littérature ce qui lui manquait jusque là, les textes modèles de la prose. Il est en effet le vrai créateur de la prose latine moderne : c’est à lui, artisan habile du style, que se rattache étroitement l’école classique ; c’est au styliste, bien plus qu’au grand écrivain, bien plus qu’à l’homme d’État surtout, que les représentants les meilleurs de la forme nouvelle, César et Catulle, adressent un éloge excessif, sans doute, mais qui n’est pas vaine phrase[14]. Le progrès va plus loin. Ce que fait Cicéron, dans le domaine de la prose ; une jeune pléiade le fait dans la poésie. Catulle est le plus brillant champion du vers néo-romain. Les Grecs Alexandrins ne sont point encore démodés. Mais ici de même, la langue usuelle de la haute société a répudié les réminiscences archaïques acceptées naguère sans compter ; et comme, la prose recherche aujourd’hui le nombre de la période Athénienne, la poésie Latine se range peu à peu sous la règle métrique, règle étroite, pénible souvent, de l’école Alexandrine. A dater de Catulle, il ne sera plus permis de commencer le vers par un monosyllabe, ou par un dissyllabe qui ne soit pas d’un poids tout particulier, ni de clore à ce même endroit la phrase commencée dans le vers précédent. Enfin vient la science, qui fixe les lois de la grammaire Mais pendant que le classicisme nouveau, ou pour mieux
dire, pendant que le latin régulier, marchant de pair autant qu’il le peut
avec le grec modèle et devenu modèle lui-même, est sorti de la résistance
tentée à bon escient contre les vulgaires des hautes classes et de la
littérature, pendant qu’il se fixe lui aussi par la littérature et les
formules grammaticales, son adversaire ne vide point le champ. Il ne s’étale
pas seulement naïvement dans les œuvres d’individus subalternes, égarés par
hasard dans le camp des écrivains, dans le Mémoire sur la deuxième Guerre
Espagnole à la suite des Commentaires de César, par exemple[20], nous le
retrouvons aussi dans la littérature proprement dite, marquant plus ou moins
de son cachet le mime, le roman et jusqu’aux œuvres esthétiques de Varron.
Chose caractéristique, c’est dans les genres populaires qu’il se soutient de
préférence, et en même temps, les hommes qui s’en font les champions sont
comme Varron, des conservateurs purs. De même que la monarchie est édifiée
sur la ruine de la nationalité, de même le classicisme s’appuie sur la langue
mourante des Italiens : il n’était que logique que ceux en qui s’incarnait
encore Dans le domaine propre de la littérature, l’époque actuelle, comparée avec celle qui précédé, se signale à Rome par un mouvement, marqué et croissant. Depuis. longtemps l’activité littéraire des Grecs ne se mouvait plus dans la large atmosphère de l’indépendance civile : il lui fallait les établissements scientifiques des grandes villes et surtout des cours des rois. Condamnés à la faveur où à la protection des grands, puis successivement chassés des sanctuaires des muses, quand viennent à s’éteindre les dynasties de Pergame (621 [133 av. J.-C.]), de Cyrène (658 [-96]), de Bithynie (679 [-75]) et de Syrie (690 [-64]), et quand s’efface l’éclat de la cour des Lagides[22] ; ayant vécu forcément en cosmopolites depuis la mort d’Alexandre le Grand ; véritables étrangers d’ailleurs aussi bien chez les Égyptiens et les Syriens que chez les Latins, les lettrés grecs tournent de plus en plus les yeux vers la capitale Latine. Auprès du cuisinier, de l’éphèbe prostitué et du parasite, au milieu de l’essaim d’esclaves grecs dont s’entoure alors le Romain des classes riches, on rencontre au premier rang, le philosophe, le poète et l’historiographe. Des littérateurs distingués acceptent cette humble condition témoin l’Épicurien Philodème, le philosophe domestique de L. Pison (consul de 696 [-58]), dont les ingénieuses épigrammes édifient les initiés sur l’épicuréisme grossier du maître[23]. De tous les côtés affluent dans Rome en nombre croissant à toute heure les plus notables représentants de l’art et du savoir hellénique : le mérite littéraire y prospère plus que nulle part ailleurs ; on s’y coudoie avec le médecin Asclépiade, que Mithridate tente en vain d’y attirer à son service[24], avec l’érudit en toutes choses Alexandre de Milet, surnommé le Polyhistor[25], avec le poète Parthénius de Nicée en Bithynie[26], avec Posidonius, d’Apamée, illustre à la fois comme voyageur, professeur et auteur, venu plein d’années de Rhodes à Rome (en 703 [-61])[27], et bien d’autres encore. Une maison comme celle de Lucius Lucullus, à l’instar du Muséum d’Alexandrie, était à la fois un asile pour la culture hellénique, et un lieu de rendez-vous pour les lettrés grecs. Dans ces salles consacrées à la richesse et à la science, la puissance de Rome et le dilettantisme grec avaient rassemblé un incomparable trésor de sculptures et de peintures des maîtres anciens et contemporains, une bibliothèque soigneusement choisie et magnifiquement installée. Quiconque était d’esprit cultivé, quiconque était Grec, s’y voyait le bienvenu ; et l’on y rencontrait souvent le maître se promenant sous les splendides portiques, en échange de conversation et d’idées philologiques ou philosophiques avec ses savants hôtes. Hélas ! les Grecs n’apportaient point seulement en Italie les merveilles civilisatrices, ils y arrivaient avec leurs vices, avec leur souplesse servile ! Un jour l’un de ces savants vagabonds, Aristodème de Nysa, (700 [-54]) l’auteur d’une rhétorique de la flatterie se recommandait à la faveur de son maître, en démontrant cette proposition, qu’Homère était né Romain ![28] Du reste l’amour des lettres et l’activité littéraire à
Rome vont progressant avec l’affluence et le mouvement des savants venus de Les penchants littéraires du siècle n’étaient point simples et ne pouvaient l’être, le siècle se partageant lui-même entre la science ancienne et la nouvelle. De même que dans la politique, les tendances nationales et italiennes des conservateurs, les tendances helléniques et italiennes, ou si l’on aime mieux, cosmopolites des monarchiens nouveaux sont en lutte ouverte, de même les idées littéraires ont leurs batailles. Les uns s’appuient sur la vieille latinité qui revêt décidément le caractère classique au théâtre, dans l’école, dans les recherches de l’érudition. Si le goût abaissé, l’esprit de parti est plus énergique qu’au temps des Scipions ; on porte aux nues Ennius, Pacuvius, Plaute surtout. Les feuilles Sibyllines sont en hausse, à proportion de leur rareté plus grande : jamais les poètes du VIe siècle, leur nationalisme relatif et leur fécondité relative ne rencontrèrent faveur plus marquée qu’en ce siècle d’Épigones raffinés. Pour ceux-ci, en littérature comme en politique ; l’ère des guerres d’Hannibal est l’âge d’or de Rome, l’ère du passé, irrévocable, hélas ! Nul doute qu’à cette admiration des vieux classiques il ne se mêlât pour bonne part la même dévotion creuse qui se trouve au fond des idées conservatrices d’alors. Et puis, il ne manquait point d’hommes tenant pour les opinions moyennes. Cicéron, par exemple, le champion principal des tendances nouvelles dans la prose, Cicéron professait pour l’ancienne poésie nationale le même respect quelque peu réchauffé que celui dont il fait parade envers la constitution aristocratique et la science augurale : le patriotisme, le veut, s’écrie-t-il, lisez, plutôt que l’original, telle traduction de Sophocle notoirement mauvaise ! Donc, pendant que l’école nouvelle, affiliée aux idées de la. monarchie démocratique, comptait aussi bon nombre d’adhérents muets parmi les admirateurs fidèles d’Ennius, il ne manquait point non plus de juges plus audacieux malmenant dans leurs propos la littérature indigène tout aussi bien que la politique sénatoriale. Ceux-ci reprenaient pour leur compte les critiques sévères de l’école des Scipions. Térence seul trouvait grâce devant eux : Ennius et ses disciples étaient condamnés sans appel ; bien plus, les jeunes et les téméraires, dépassant les bornes dans cette levée hérétique de boucliers contre l’orthodoxie littéraire, osaient qualifier Plaute de grossier bouffon, et Lucilius de mauvais marteleur de vers. Ici l’école moderne tourne le dos à la littérature nationale, et se donne tout aux Grecs nouveaux, à l’Alexandrinisme, ainsi qu’il s’appelle. Il nous faut bien parler avec quelques détails de cette
curieuse serre chaude de la langue et de l’art helléniques : nous n’en dirons
rien pourtant qui ne soit utile pour l’intelligence de la littérature romaine
à l’époque où nous. sommes et aux temps postérieurs. La littérature
Alexandrine s’est édifiée sur les ruines de l’idiome pur de Jusqu’alors l’Italie s’était réellement défendue contre
les Alexandrins. Elle avait eu relativement sa floraison littéraire au temps
qui précède et qui suit les guerres puniques ; mais Nævius, Ennius, Pacuvius
et toute l’école des écrivains nationaux purs romains jusqu’à Varron et
Lucrèce, dans tous les genres de la production poétique, y compris le poème
didactique lui-même, tous s’étaient tenus à distance de leurs contemporains
grecs ou de leurs prédécesseurs immédiats ; tous, sans exception, avaient
puisé aux sources d’Homère, d’Euripide, de Ménandre, et des autres maîtres de
la littérature vivace et populaire de là Grèce ancienne. Jamais les lettres
romaines n’ont eu là fraîcheur de la nationalité : encore est-il vrai que
tant qu’il y a eu un peuple romain, les écrivains de Rome ont pratiqué des
modèles vivants et nationaux, et que sans copier dans la perfection les
meilleurs, ils copiaient tout au moins d’après l’original. Les premiers
imitateurs qu’ait eus à Rome la littérature grecque post-Alexandrine (nous ne comptons point ici
les essais en petit nombre du temps de Marius), se rencontrent parmi
les contemporains de Cicéron et de César : à ce moment l’invasion se
précipite irrésistible. La cause en partie gît dans les faits extérieurs. Les
contacts plus fréquents chaque jour avec L’extinction de la nationalité latine, absorbée dans le grand Empire Césarien, fit tomber la feuille mère de l’arbre de la littérature latine. Quiconque a le sentiment des affinités intimes de l’art et de la nationalité, délaissera Cicéron et Horace pour Caton et pour Lucrèce : il n’a pas fallu moins qu’une critique historique et littéraire également vieillie dans les routines de l’école pour décerner le titre d’âge d’or à l’époque artistique qui débute avec la nouvelle monarchie. Que si pourtant l’Alexandrinisme romano-hellénique des temps de César et d’Auguste doit céder le pas à l’ancienne littérature de Rome, si imparfaite qu’elle soit restée, il n’en demeure pas moins décidément supérieur à l’Alexandrinisme du temps des Diadoques, de même que l’édifice solide de César l’emporte sur l’éphémère construction du roi macédonien. Et nous le montrerons en son lieu, si on la compare avec celle des successeurs d’Alexandre qui lui est apparentée, la littérature, décorée du nom d’Auguste, est bien moins qu’elle œuvre de philologie, elle est bien plus qu’elle œuvre d’empire ; et par ainsi dans les hautes classes sociales elle a sa durée et son champ d’influence autrement étendus qu’il n’en a jamais été pour l’Alexandrinisme hellénique. Dans le genre dramatique nous constatons la plus lamentable pauvreté. Dès avant l’époque actuelle, le drame, tragédie et comédie, se mourait à Rome. Au temps de Sylla, le public y court encore, on le sait par les reprises fréquentes des fables de Plaute, avec les titres et noms changés des personnages. Mais les directeurs prennent soin de dire qu’il vaut mieux voir une bonne vieille comédie, qu’une méchante pièce moderne. De là à ne plus ouvrir la scène qu’aux poètes morts, il n’y a qu’un pas, et ce pas est fait au temps de Cicéron, sans que les Alexandrins tentent de lutter. Au théâtre, leurs productions sont pires que s’il n’y en avait point. Jamais, en effet, l’école alexandrine n’a connu la poésie dramatique ; mais s’essayant dans des œuvres bâtardes uniquement écrites pour la lecture et non pour l’exécution scénique elle obtient pour elles droit de cité en Italie ; puis bientôt, comme elle les a lancées jadis à Alexandrie, elle les. lance dans le public de Rome. Au milieu des vices civilisés, de la capitale, écrire sa tragédie devient manie chronique. Ce qu’étaient de telles productions, il est facile de le conjecturer en voyant Quintus Cicéron, pour guérir homéopathiquement les ennuis de ses quartiers d’hiver dans les Gaules, achever quatre tragédies, en seize jours[32]. C’est dans le mime ou tableau vivant que va s’égarer désormais l’unique branche vivace encore de la littérature nationale, la farce Atellane avec les divers rejetons éthologiques (Mimi ethologici : Cic., de orat., 59) de la comédie grecque auxquels les Alexandrins se sont exclusivement adonnés, et où leur élan poétique et leur succès s’y montrent de meilleur aloi. Le mime tire ses origines de la danse à caractère avec
accompagnement de flûte, depuis bien longtemps en usage, et en de fréquentes occasions,
devant les convives attablés, par exemple, ou plus souvent encore durant les
entractes, pour amuser le parterre des théâtres[33]. Au besoin, on y
ajoutait le discours, ce qui conduisit facilement à encadrer le ballet dans
une fable quelque peu réglée, et à l’assaisonner d’un dialogue conforme :
alors il se changea en un petit drame comique, différent d’ailleurs de
l’ancienne comédie ou de l’Atellane en ce que la danse, avec ses inséparables
lascivités, y gardait, comme devant, le principal rôle. A vrai dire, le mime
n’était point tant spectacle de théâtre que passe-temps. accommodé au
parterre : il rejeta bien loin l’illusion scénique, le masque, le brodequin (plano pede) ; et, innovation grande, il admit les
femmes à représenter les personnages féminins. C’est vers 672 [82 av. J.-C.]
que le genre nouveau avait fait son apparition à Rome. Il absorba vite
l’arlequinade populaire, à. laquelle il ressemblait par tant de côtés ; et il
servit d’intermède, ou de petite pièce après la tragédie des anciens poètes (exodium)[34]. Peu importait
naturellement la fable : sans lien d’intrigue et plus folle encore que
l’Atellane, pourvu que tout y fût mouvement et bigarrure, que le mendiant s’y
changeât soudain en Crésus, et vice versa[35], on ne comptait
point avec le poète, qui brisait le nœud faute de le délier. Le sujet
d’ordinaire était d’affaires d’amour, le plus souvent de la pire et de la
plus impudente sorte : les maris, par exemple, avaient contre eux l’auteur et
le public, sans exception, et la morale du poème consistait à bafouer les
bonnes mœurs. Comme les Atellanes, le mime tire son attrait artistique de la
peinture de la vie des plus humbles et viles classes[36] : les tableaux
rustiques y sont désertés pour les scènes populaires, pour les faits et
gestes des petits citadins ; et le bon peuple de Rome, à l’exemple de celui
d’Alexandrie dans les pièces grecques analogues, y vient applaudir à son
propre portrait. Bon nombre de scénarios appartiennent au monde des métiers :
ici encore nous retrouvons l’inévitable foulon, le cordier, le teinturier,
le saunier, la tisseuse, le valet de chiens, défilent
tour à tour : ailleurs on rencontre des rôles à caractère l’oublieux,
le hâbleur, l’homme aux cent mille sesterces[37] ; ailleurs
l’auteur s’en va à l’étranger, et en ramène la femme
étrusque ; les Gaulois, les Crétois, l’Alexandrine, [Alexandrea]
: puis viennent les fêtes et rendez-vous populaires, les Compitales,
les Saturnales, l’Anna Perenna[38], les Thermes.
Ailleurs encore, dans le Voyage aux Enfers, dans le lac Averne,
le mime travestit la mythologie. Les bons mots et les mots piquants sont les
bienvenus, comme aussi les proverbes vulgaires et les brèves sentences,
faciles pour la mémoire et de facile application[39] : les plus
absurdes propos y ont droit de cité, comme de juste. C’est le monde renversé
: on y demande à Bacchus de l’eau claire, et du vin à Au moment où disparaît la littérature dramatique, le jeu
théâtral et la mise en scène se développent et croissent en magnificence. Les
spectacles. tiennent leur place régulière dans la vie publique, à Rome et
dans les villes de province. Pompée a donné à Rome son premier théâtre
permanent. Autrefois le spectacle se passait en plein air : aujourd’hui on emprunte
à Dans le genre du récit, les chroniques versifiées à l’instar, d’Ennius ont été nombreuses. Leur meilleure critique, je la trouve dans un vœu plaisant d’une jeune galante, dans Catulle. Déesse sainte, ramène dans mes bras cet amant affolé de méchants vers politiques, et je ne ferai qu’un feu de joie de la plus choisie de ses tristes héroïdes ![46] En réalité la vieille école nationale et romaine ne compte qu’un représentant parmi les poètes récitatifs de l’époque : mais celui-là vaut plus que la peine qu’on le nomme, et son œuvre est l’une des plus importantes de toute la littérature latine. Je veux parler du poème de la nature [de rerum natura]. Son auteur, Titus Lucretius Carus (655-699 [90-55 av. J.-C.]) appartenait aux cercles choisis de la société de Rome : mais soit disposition maladive, soit répugnance, il se tint à l’écart de la vie publique, et mourut dans la force de l’âge (à 44 ans), peu avant l’explosion de la guerre civile. Dans son vers il demeure fidèle à l’école d’Ennius et à l’école grecque classique. Il se détourne avec mépris de l’hellénisme creux de son temps, et se confesse de toute son âme et de tout son cœur le disciple des Grecs austères, à ce point que le pieux et sérieux accent de Thucydide a trouvé un digne écho jusque dans l’un des plus célèbres épisodes du poème romain[47]. Ennius a puisé la sagesse chez Épicharme, et Évhémère, Lucrèce emprunte les formes de son exposition philosophique à Empédocle, cette perle glorieuse de l’île féconde de Sicile[48] et pour le fond, s’en va recueillant et mettant ensemble les paroles d’or des volumes d’Épicure, dont l’éclat rejette les autres sages dans l’ombre, autant que le soleil obscurcit les étoiles[49]. Comme Ennius, Lucrèce n’a que dégoût pour l’érudition mythologique dont s’affuble la poésie alexandrine il ne demande rien à son lecteur que la connaissance des légendes les plus couramment acceptées[50]. En dépit du purisme nouveau, qui exclut les mots exotiques, notre poète, à l’instar d’Ennius, délaisse l’expression latine, quand elle est plate ou obscure, pour le terme grec à sens précis. Dans le tissu de son mètre nous rencontrons souvent l’antique allitération : il n’aime l’enjambement ni du vers ni de, la phrase, et son rythme obéit à l’ancienne forme oratoire ou poétique. Plus mélodieux qu’Ennius, ses hexamètres ne se déroulent point, à l’instar de ceux de la nouvelle école, qui vont fuyant et bondissant comme l’onde murmurante du ruisseau : ils marchent lents et puissants, semblables à un fleuve d’or liquide. Au point de vue philosophique et matériel, c’est encore à Ennius que Lucrèce se rattache, Ennius, le seul maître qu’il célèbre dans ses chants. La profession de foi du poète de Rudies (IV, p. 241) est aussi tout son catéchisme religieux : Pour moi, je l’ai dit et le dirai toujours, il y a des Dieux au ciel : mais je tiens qu’ils n’ont nul souci du genre humain ! — C’est donc à bon droit qu’il s’annonce comme confirmant dans ses vers : Les chants de notre Ennius, qui le premier rapporta du riant Hélicon la couronne à l’éternel feuillage, qui lui fait une brillante auréole parmi les peuples de l’Italie ![51] Une fois encore, et pour-la dernière fois, éclatent dans cette poésie étrange l’orgueil et la gravité des maîtres du VIe siècle : comme s’il se retrouvait face à face avec le Carthaginois terrible, avec les grands Scipions, le poète en de telles visions ; semble transporté vivant en ces temps anciens, bien plutôt qu’il ne vit à son époque abâtardie[52]. Le chant qui s’épanche gracieux de sa riche fantaisie, auprès des vers des autres poètes, résonne aussi à son oreille comme le fugitif chant du cygne à côté du cri des grues. Lui aussi en écoutant les mélodies qu’il invente, il sent son cœur se gonfler d’un espoir de gloire. Comme Ennius enfin, qui promettait l’immortalité à ceux à qui il versait les vers enflammés coulant de sa poitrine, il défend qu’on pleure sur la tombe du poète immortel ! Par un phénomène étrange, ce rare génie, dont la veine poétique remonte aux sources primitives, et qui rejette dans l’ombre tous ou presque tous ses devanciers, le sort le fait naître en un siècle où il sera comme perdu et étranger[53] : de là sa prodigieuse méprise dans le chou de son sujet. Il se fait l’adepte d’Épicure, qui transforme le monde en un vaste tourbillon d’atomes, qui tente d’expliquer par la causalité purement mécanique et le commencement et la fin des choses, ainsi que les problèmes de la nature et de la vie, système bien moins fou, d’ailleurs, que le syncrétisme historique et mythique essayé par Évhémère et ensuite par Ennius, système grossier et glacé, après tout. Mais vouloir mettre en vers de telles spéculations cosmiques, c’était prodiguer au plus ingrat des sujets et l’art, et l’inspiration douée de vie. Pour qui le lit en philosophe d’ailleurs, le poème didactique de Lucrèce ne touche pas aux points les plus délicats du système ; on y constate à regret l’exposé trop superficiel des controverses, la distribution défectueuse des matières, les répétitions ; et quant à ceux qui n’y cherchent que la poésie, ils se fatiguent vite de ces dissertations mathématiques condamnées au mètre du vers, et rendant vraiment illisible une bonne partie du livre. Pourtant en dépit de ces énormes vices, sous lesquels eût inévitablement succombé un écrivain ordinaire, Lucrèce peut à bon droit se vanter d’avoir conquis, dans cette Arabie Pétrée de la poésie une palme que les muses n’avaient encore donnée à nul autre avant lui[54]. Et qu’on ne dise point qu’il la doit seulement à quelques comparaisons heureuses, à quelques descriptions puissantes, et jetées ça et là dans son œuvre des grands phénomènes physiques et des passions humaines ! Non, l’originalité de ses vues, sur les choses de la vie ou de l’idéal tient au fond à son incroyance même : c’est en ne croyant pas qu’il marche et peut marcher de son pas victorieux, la vérité en main, armé de toutes les forces vivantes de la. poésie, contre la fausse dévotion et les superstitions maîtresses de la société romaine. Du
hideux fanatisme esclaves consternés Les
mortels dans ses fers gémissaient prosternés : La
tête de ce monstre, aux plaines du tonnerre, Horrible,
d’un regard épouvantait la terre. Noble
enfant de Le
premier vers le ciel osa lever les yeux. Le
péril l’enhardit : en vain la foudre gronde Il
brise, impatient, les barrières du monde : Aux
champs de l’infini, par l’obstacle irrité Son génie a d’un vol franchi l’immensité ![55] Ainsi le poète veut jeter à bas les Dieux, comme Brutus
avait fait les rois. Il veut briser l’étroite prison
qui se ferme sur la nature ; mais ce n’est point contre le trône
depuis longtemps renversé de Jupiter qu’il lance la flamme de ses vers : de
même qu’Ennius, il s’attaque en réalité à ces Dieux venins de l’étranger, à
la superstition des foules, et par exemple, au culte de la Magna Mater[56], aux auspices
niais de l’Étrurie qui lisent dans l’éclair et le tonnerre ! Lucrèce n’a
qu’horreur et dégoût pour ce monde effroyable dans lequel il vit, pour lequel
il écrit : là est son inspiration. Il composa son poème en ces temps de
désespoir, où l’oligarchie était précipitée du pouvoir, où César n’avait
point encore conquis le trône, en ces heures lentes et grosses d’orages, où
l’attente de la guerre civile obsédait les esprits. Certaines inégalités,
certains troubles dans l’exécution, trahissent sans doute les anxiétés d’un
homme qui croit à toute. minute voir fondre sur lui-même et sur son œuvre les
tumultes et les écroulements d’une révolution : qu’on n’oublie pas pourtant,
à le voir envisager ainsi et les hommes et les choses, quelles choses et
quels hommes il avait devant lui ! Dans Quoiqu’il eût reçu de ses contemporains éclairés le poésie
grecque juste tribut d’admiration dû à son génie et à son talent à la mode.
de poète, Lucrèce, rejeton posthume d’une autre école, demeura un maître sans
disciples. Au contraire, la poésie grecque à la mode se recruta de nombreux
élèves qui s’essayèrent à l’envi à rivaliser avec les têtes de colonne de
l’armée des Alexandrins. Les mieux doués parmi ceux-ci, et ils avaient en
cela fait preuve de tact, s’étaient gardés de toucher aux grandes œuvres, aux
genres purs de la haute poésie, drame, épopée, ode : leurs productions les
plus heureuses, comme aussi chez les néo-Latins, se bornaient à des travaux de courte haleine, et de préférence, aux
genres mixtes placés sur les frontières de l’art, sur celle si large entre
autres qui sépare le récit et le poème lyrique. Les poésies didactiques ne se
comptaient plus. Mais les compositions favorites étaient les petites héroïdes
amoureuses, et plus particulièrement l’élégie érotique et érudite, ce
fruit de l’été de Telle était l’évangile littéraire que les maîtres
prêchaient à la jeunesse romaine ; et la jeunesse d’accourir en foule pour
entendre, et s’essayer à son tour : dès l’an 700 [54 av. J. -C.], les poèmes amoureux
d’Euphorion, et toute Là révolution littéraire était faite : mais, sauf une ou
deux exceptions, elle ne donna que des fruits forcés en serre chaude, dénués
de maturité ou de saveur. Les poètes de la
mode nouvelle étaient légion : mais la poésie, où la trouver ?
Comme toujours, quand il y a presse sur les avenues du Parnasse, Apollon
éconduisait son monde sans forme de procès. Parmi les longs poèmes, jamais
rien qui vaille : chez les petits, c’est rareté. Vrai fléau de ce siècle
littéraire, la poésie courante se débite partout, en toute occasion ; et
bientôt on semble se moquer, à s’envoyer entre amis, à titre de cadeau de
fête, tel paquet de mauvais vers, tout frais achetés chez le libraire, et
dont la reliure galante et le papier glacé trahissent à trais pas la
provenance et la valeur. De public réel, de ce publie qui, fait cortège à la
littérature nationale, oncques n’en eurent les Alexandrins ni de Grèce, ni de
Rome : toute leur œuvre n’est que poésie de coterie, ou plutôt que poésie
d’un certain nombre de coteries dont Ies membres se tiennent, mettent à mal
tout intrus, lisent et critiquent pour eux seuls le poème nouveau, saluent à
leur manière et en vers, vrais Alexandrins qu’ils sont, telle ou telle production
plus ou moins heureuse, et forts de leur camaraderie louangeuse lui
dispensent une gloire fausse et éphémère. Professeur renommé de littérature
latine, adepte fécond lui-même de la poétique nouvelle, Valérius Caton
semble avoir alors exercé une, sorte de patronat d’école sur les plus
notables membres de ces cercles. il aurait été constitué le juge suprême du
mérite relatif des poésies du jour[59]. Auprès des
modèles grecs, tous ces versificateurs romains se comportent en imitateurs,
souvent même en élèves serviles, et leurs compositions pour la plupart n’ont
guère été, ce semble, que les fruits verts ou avortés d’une poésie d’écoliers
bégayant encore ou qui de longtemps n’auront point le congé du maître.
Toutefois, si dans la grammaire et le mètre, ils se serraient, plus
étroitement que les anciens nationaux, contre la robe de leurs précurseurs
dans La même époque voit aussi naître la prose poétique. Auparavant une loi immuable et toujours obéie de l’art naïf et vrai, comme de l’art ayant conscience de lui-même, prescrivait le mariage du sujet poétique et du mètre : l’un appelait l’autre. Mais dans le mélange et la confusion des genres qui caractérisent le siècle, cette loi fléchit. — Du roman je, n’ai rien à dire, si ce n’est que l’historien le plus renommé d’alors, Sisenna, ne crut pas déroger en traduisant pour la foule les Contes Milésiens d’Aristide[73], ces nouvelles à la mode, de la plus obscène et plus folle espèce. Viennent ensuite les écrits esthétiques de Varon,
apparition plus heureuse et plus originale, et se plaçant comme les
précédentes sur le terrain indécis de la prose poétique. Non content de se
faire le représentant principal des études latines historiques et
philologiques, Varron est aussi l’un des plus féconds et des plus
intéressants auteurs, dans les belles-lettres pures. Issu d’une famille
plébéienne, originaire du pays Sabin et depuis deux cents ans admise dans le
sénat de Rome, élevé selon la tradition de la discipline et de l’honneur
antiques[74],
Marcus Terentius Varron, de Réaté (638-727 [116-27 av.
J.-C.]), avait atteint l’âge mûr au commencement de la période
actuelle. Il se rangea, comme bien on pense, parmi les constitutionnels, et
prit énergiquement, honorablement, sa part dans leurs faits et gestes et
aussi dans leurs souffrances. Homme de lettres, il lutte à coups de brochures
contre la première coalition le monstre à
trois têtes : soldat, nous l’avons vu commandant de l’Espagne
ultérieure, à la tête d’une armée Pompéienne. Quand la république a péri, le
vainqueur le reçoit à merci et le prépose dans Rome à Dans ses Ménippées, Varron ne se montre pas moins original
dans le fond et dans la formé. Par un coup d’audace inconnu aux Grecs, il
entremêle dans ces satires les vers à la prose ; et la pensée tout entière
s’y imprègne d’une sève purement romaine, je dirais presque, d’un goût de
terroir sabin. Comme les Essais, les Ménippées ont pour sujet ou une
moralité, ou un thème quelconque à l’usage du grand public : voyez-en les
titres plutôt : les Colonnes d’Hercule ou de Certes, jamais malade en délire
n’a rêvé de folies, qu’un philosophe n’ait déjà enseignées ! N’est-ce point chose amusante que de voir l’homme au
museau velu (le
stoïcien faiseur d’étymologies) peser
attentivement ses mots au trébuchet ? Mais rien ne vaut une bonne
querelle de philosophes ! Quelle pluie de soufflets
entre athlètes approche d’une mêlée stoïcienne à coups de poings ?
Dans la satire intitulée la ville de Marcus ou du gouvernement (Marcopolis, περί
άρχής), Marcus s’est construit une
Néphélococcygie[87] selon son cœur :
tout réussit au paysan, comme dans la comédie athénienne, tout aussi va mal
pour le philosophe : l’homme alerte-à-la-preuve-par-un-seul-membre (celer-δί-ένός-λήμματος-λόγος)[88], Antipatros,
fils du stoïque, y accommode d’un coup de bêche la tête (retro caput displanat) à son adversaire, le bi-membre
philosophique (l’homme
au dilemme évidemment). A ces tendances morales et disputeuses
tout ensemble, à ce don de l’expression caustique et pittoresque qui ne
l’abandonna jamais, même aux jours de l’extrême vieillesse (les personnifications et
le dialogue du Traité de l’agriculture (de re rustica) écrit à
quatre-vingts ans, en sont la preuve), Varron joignait de la façon la
plus heureuse la connaissance incomparable des mœurs et de la langue
nationales. Cette science, qui ne se manifeste plus que sous forme de
spicilèges dans les écrits purement philologiques des derniers temps de sa
vie, se déploie au contraire ici directement, dans sa plénitude et sa verdeur
première. Varron, dans le sens le meilleur et complet du mot, est le prince
de l’érudition locale. Il sait son pays par cœur, pour l’avoir étudié
lui-même pendant de nombreuses années, aussi bien dans les particularités et
les traditions exclusives du temps jadis, que dans les dissipations et
l’abâtardissement des temps actuels. Il sait de première main les mœurs et la
langue nationales : il a complété et approfondi son savoir par d’infatigables
recherches dans les archives de l’histoire et de la littérature[89]. Ce qui lui
manqua nécessairement en érudition ; en aperception claire et vraie, selon
nos idées modernes, il y suppléa à force d’étude sagace et de vif sentiment
de la poésie. Il ne courut point après les aras de l’antiquaire, après les
mots surannés ou poétiques[90] : il resta
l’homme antique et de souche franche, presque un rustique, aimant à converser
tous les jours et de longue habitude avec les classiques nationaux. Aussi, il
ne pouvait pas se faire qu’il ne s’étendît maintes fois dans ses écrits sur les
coutumes de ses pères, aimées de lui par dessus tout et qui lui étaient
familières ; que son discours ne débordât de tours et d’adages grecs et
latins, de bons vieux mots restés usuels dans le langage courant de Pas plus que le poème didactique de Lucrèce, les esquisses morales de Varron ne firent école : aux causes générales de cet insuccès, il faut ajouter d’ailleurs la caractère tout individuel de ces compositions, caractère inséparable de l’âge mûr de leur auteur, de sa rusticité et de la nature même de son érudition. Mais il en fut tout autrement des satires Ménippées, bien supérieures, à ce qu’il semble, par le nombre et’ l’importance à ses écrits plus sérieux : ici, la grâce et la fantaisie du poète enchaînèrent chez les contemporains et dans lès âges postérieurs, quiconque prisait l’originalité et la verve patriotique ; et nous-mêmes, à qui il n’est plus donné de les lire nous pouvons, en parcourant les trop rares fragments qui en restent nous rendre compte encore de leur réel mérite Varron sut rire et badiner avec mesure ! Dernière émanation, de l’honnête et naïf génie de la bourgeoisie romaine, dernier rejeton verdissant de la poésie nationale latine, Varron, dans son testament poétique, a justement légué ses enfants Ménippéens à quiconque porte dans son cœur Rome florissante et le Latium ! Les satires occupent une place honorable dans la littérature et l’histoire du peuple italique[93]. Rome n’a jamais possédé l’histoire critique et nationale
des temps classiques d’Athènes, l’histoire universelle telle qu’elle a été écrite
par Polybe. Même sur un terrain plus favorable, le récit des événements
contemporains ou récents n’y a jamais été tenté que d’une façon plus ou moins
incomplète : depuis les temps de Sylla jusqu’à ceux de César, c’est à peine
si l’on rencontre une seule œuvre à comparer à celles, peu considérables
d’ailleurs, de la période antérieure, aux travaux d’Antipater et d’Asellius[94]. La seule
production en ce genre qui mérite qu’on la nomme, est l’Histoire de la
guerre sociale et de la guerre civile, de Lucius Cornelius Sisenna
(préteur, 676 [78 av.
J.-C.]). Ceux qui le lurent, attestent qu’il y eut dans son œuvre bien
plus de vie et d’intérêt que dans les sèches chroniques d’autrefois, mais que
son style, absolument sans pureté, dégénérait en maniérisme enfantin : aux
quelques bribes qui nous en restent, on voit qu’il se complut dans le détail
de l’horrible[95],
et qu’il fit emploi à tout propos du néologisme et des mots tirés de la
langue familière. Ajouterai-je que Sisenna se donna pour modèle, et, je dirai
presque pour modèle unique, Clitarque[96], cet auteur
d’une biographie d’Alexandre le Grand, moitié histoire, moitié fable, en tout
semblable au roman publié plus tard sous le nom de Quinte-Curce ? On
en conclura sans hésiter que ce récit trop vanté de Naturellement, les choses allaient plus mal encore sur le terrain de la chronique générale ou locale. Le mouvement imprimé à l’étude des antiquités aurait pu faire attendre du dépouillement des titres, et de la recherche des sources dignes de foi, la rectification du récit ayant cours : cet espoir ne se réalisa pas. Plus et plus on fouillait, plus et plus se laissait voir. quelle entreprise c’était que tenter d’écrire l’histoire critique de Rome. Incommensurables étaient les obstacles qui nuisaient aux études et à l’exposé scientifique ; et parmi les plus grands il ne fallait point compter seulement ceux purement littéraires. L’histoire conventionnelle des premiers temps de Rome, telle qu’on la racontait ou y prêtait foi depuis tantôt dix générations d’hommes, avait du moins pris naissance et grandi en intime accord avec la cité vivante et agissante : mais, pour quiconque apportait dans l’examen attention et loyauté, ce n’était point seulement tel détail qu’il convenait de modifier çà et là, il fallait renverser l’édifice de fond en comble, comme chez les Francs, pour l’histoire de Pharamond ; comme chez les Anglais, pour l’histoire du roi Arthur. Que si le critique, Varron, par exemple, appartenait aux conservateurs, il ne pouvait se faire à la pensée de mettre la main au travail ; et se fît-il rencontré pour cela un esprit assez fort et osé, tous les bons citoyens auraient aussitôt sonné la croisade contre le révolutionnaire téméraire qui enlevait son passé au parti de la constitution. Ainsi l’érudition philologique et antiquaire détournait de l’histoire nationale au lien d’y pousser. Varron et les autres sagaces reconnaissaient franchement qu’il n’y avait plus de chronique de Rome : tout au plus, l’un d’eux, Titus Pomponius Atticus, s’essayait-il à dresser, sans grande prétention d’ailleurs, le tableau et les listes des magistrats et des gentes, travail par qui s’acheva d’ailleurs le synchronisme du comput gréco-romain, tel que les siècles postérieurs l’ont conventionnellement admis [Corn. Nep. Attic. 18]. En attendant on n’en continue pas moins à fabriquer des chroniques
romaines : à la collection déjà grande des ennuyeux et fastidieux écrits
de ce genre, s’ajoutent tous les jours des contributions nouvelles, et en
vers et en prose, sans que les faiseurs de livres, simples affranchis pour la
plupart ; se soucient le moins du monde de remonter aux sources. De ces
livres, dont nous n’avons plus que quelques titres (aucun d’eux n’étant venu jusqu’à nous),
on peut dire qu’ils étaient tous d’un mérite plus que secondaire, et presque
tous aussi imprégnés d’un courant d’impur mensonge. Citerons-nous la
chronique de Quintus Claudius Quadrigarius (vers 676 ? [78 av. J.-C.]),
écrite d’un style vieillot, assez bon pourtant, et qui se distinguait du
moins par une louable brièveté dans son exposé des temps fabuleux[98] ? Citerons-nous Gaius
Licinius Macer (mort
prétorien en 688 [-66]), père du poète Licinius Calvus ? Nul
autant que ce zélé démocrate et chroniqueur n’affichait de telles prétentions
à la profondeur de la critique, à la recherche savante des titres : et
néanmoins ses livres de lin [libri lintei], comme
tout ce qui se rattache à lui personnellement, ne peuvent que rester suspects
au plus haut degré. Ces livres n’ont guère été, j’imagine, qu’un remaniement
opéré sur une grande échelle, dans un but et avec des tendances absolument
démocratiques, de l’ensemble des chroniques antérieures. Les annalistes
postérieurs s’en sont approprié les interpolations[99] — Vint ensuite Valerius
d’Antium, qui dépassa tous ses devanciers par la prolixité et l’enfantillage
de sa fable. Les faussetés chronologiques s’y poursuivaient systématiquement
jusqu’aux temps contemporains ; et l’histoire primitive de Rome empruntée aux
platitudes de l’ancien récit, y enchérissait encore sur elles : on y
lisait comme quoi le sage Numa, conseillé par la nymphe Égérie avait enivré
de vin les dieux Faunus et Picus ; on y lisait ensuite, le bel entretien du
même Numa avec le dieu Jupiter[100]. De tels récits
ne savaient être trop instamment recommandés à tous les amis de l’histoire légendaire
de Rome. On pensait par là les affermir dans leur croyance, quand au fond
même, cela s’entend, t’eût été bien merveille si les faiseurs de nouvelles et
romans grecs se fussent tenus à l’écart devant de tels matériaux amassés
exprès pour eux. Aussi plus d’un lettré grec, se mit-il à accommoder
l’histoire de la ville en roman : Alexandre Polyhistor, déjà nommé
plus haut parmi les maîtres helléniques établis en Italie, publia cinq livres
sur Rome, mélange nauséabond de traditions historiques usées, et
d’inventions triviales, érotiques pour la plupart. Le premier, à ce que l’on
conjecture, il aurait dressé une liste de rois fainéants, comme il s’en
rencontre en si grand nombre chez les chronographes égyptiens et grecs, et
tentant de rétablir la concordance chronologique sollicitée par la légende
chez les deux peuples, il aurait le premier voulu combler la lacune de 500
ans entre la chute de Troie et la fondation de Rome. C’est lui encore, selon
toute apparence, qui aurait lancé dans le monde les rois Aventinus et Tiberinus
et A côté de l’histoire locale, l’histoire universelle, ou à
mieux dire, la compilation historique romano-hellénique, fait son entrée
première dans la littérature latine. Cornelius Nepos débute en
publiant aux alentours de l’an 704 [54 av. J.-C.] (entre 654 et 725 [-104/-29]) une chronique générale
; il écrit ensuite une sorte de biographie universelle, ordonnée selon
certaines catégories, où l’on voit défiler les hommes illustres de
Rome et de En résumé l’historiographie, bien qu’elle témoigne d’une activité remarquable et grandement caractéristique, ne s’élève pas au-dessus du triste niveau de l’époque. Nulle part autant qu’ici ne se manifeste la complète fusion des littératures grecque et romaine : des deux côtés, pour le sujet et pour la forme, elles se sont mises tout d’abord sur un pied d’égalité : enfin chez les Grecs et chez les Latins, l’enfant même reçoit de ses maîtres un enseignement uniforme, commun aux deux nations, et selon la méthode adoptée longtemps avant par Polybe. Mais, s’il est vrai de dire que l’État méditerranéen a rencontré son historien avant même d’être en conscience de sa propre vie historique, convenons aussi qu’au jour où il s’est senti vivre, l’homme lui a manqué, en Italie et en Grèce, qui aurait dû lui donner sa vraie expression. Une histoire de Rome ! s’écrie Cicéron, je n’en connais pas ! [de leq., 4, 2]. Et autant qu’à nous autres modernes il est donné d’en juger, Cicéron a dit vrai. L’érudition a tourné le dos à la composition historique : celle-ci a tourné le dos à l’érudition, et l’historiographie est restée hésitante entre le manuel d’écolier et le roman. Tous les genres de l’art pur littéraire, épopée, drame, lyrique, histoire sont à néant dans ce siècle du néant : mais où trouver plus qu’ici le reflet attristant et trop clair de la décadence intellectuelle de l’ère où vécut Cicéron ? Quoi qu’il en soit, au milieu d’innombrables œuvres
médiocres et publiées, la petite littérature historique compte du moins une
production de premier ordre, j’entends parler des Mémoires de César,
ou mieux du rapport militaire adressé par le général démocratique au
peuple de qui il tient ses pouvoirs. La partie la plus achevée de ces
mémoires, la seule que son auteur, ait publiée en personne, le Commentaire
sur la guerre des Gaules, allant jusqu’en l’an 702 [52 av. J.-C.],
a visiblement pour objet la justification, si possible, de l’entreprise de la
conquête d’un grand pays, commencée en violation de la constitution, sans
mission formelle de l’autorité compétente, et des recrutements sans cesse
renouvelés au profit de l’armée conquérante. Ce Commentaire fut écrit
et lancé dans le public en 703 [-51], à l’heure où l’orage éclatant dans Rome, César
était sommé d’avoir à licencier ses troupes, et à répondre de sa conduite[103]. Comme il le
dit lui-même, l’auteur des mémoires écrit en soldat : il évite de noyer son
récit purement militaire sous les digressions peut-être dangereuses qui
auraient trait à l’organisation, politique et à l’administration. Dans sa
forme spéciale, cet ouvrage de circonstance et de parti n’en est pas moins un
document égal aux bulletins de Napoléon : il n’est pas d’ailleurs, il ne
devait pas être une œuvre d’histoire dans le sens réel du mot : le
fonctionnaire y a seul son objectif, lequel n’est en rien l’objectif
historique. Quoi qu’il en soit, étant données ces limites modestes, les
commentaires sont rédigés de main de maître ; ils atteignent la perfection
comme pas une autre composition dans la littérature romaine. Le récit est
toujours simple, sans pauvreté, toujours net sans négligence, toujours animé
et transparent, sans manière et sans raideur. La langue s’y montre absolument
pure d’archaïsme et de vulgarité : elle a le cachet de l’urbanité moderne.
Quant aux livres relatifs à Les Correspondances échangées entre les politiques et les lettrés du temps, constituent un genre voisin. Elles ont été recueillies soigneusement et publiées au cours du siècle qui suivit. Nous citerons pour exemples les lettres familières de César, de Cicéron, de Calvus, etc. Ce serait leur faire tort aussi que de les classer au rang des productions littéraires, à proprement parler : elles forment toutefois une riche mine pour les études historiques et autres ; elles sont le miroir fidèle d’un temps où allèrent se perdant et se dissipant en petites tentatives tant de trésors amassés dans le passé, tant de génie, d’habileté, de talent[104]. Le Journalisme, dans le sens actuel, les Romains ne l’ont point connu : la polémique littéraire avait recours à la brochure ;’elle s’aidait en tous cas de la pratique très répandue alors des notices inscrites au pinceau ou à la pointe dans les lieux publics, pour l’instruction des passants. En outre, on donnait mission à quelques subalternes de renseigner les notables absents sur les événements du jour et les nouvelles de la ville ; enfin César durant son premier consulat, avait pris des mesures pour la publication par extraits des débats du sénat (Suétone, César, 20). Les envois privés de ces penny-a-liners[105] de Rome, et ces notices officielles courantes donnèrent bientôt naissance à une sorte de feuille à la main (acta diurna), où les curieux pouvaient lire le résumé des affaires traitées devant le peuple ou dans la curie, les naissances, les décès, et mille autres détails. Ces actes constituèrent des documents historiques assurément importants : mais sans obtenir jamais de signification politique ou littéraire. L’éloquence et les harangues écrites appartiennent aussi de droit aux accessoires historiques. La harangue, bonne ou mauvaise, éphémère de sa nature, n’est point en soi chose littéraire : pourtant, comme un compte-rendu, comme une correspondance, et plus facilement qu’eux encore, elle peut, soit par la gravité des circonstances, soit par le génie puissant de l’orateur, prendre rang aussi parmi les joyaux de la littérature nationale. A Rome, les discours prononcés devant le peuple ou les jurés, et les développements qu’ils contenaient sur les matières de la politique, avaient depuis longtemps pris une place importante dans la vie publique. On se souvient aussi que les harangues de Gaius Gracchus, pour ne nommer que lui, comptaient à juste titre parmi les chefs-d’œuvre classiques. Au siècle actuel, il se fait partout un changement étrange. La harangue politique populaire, et même la harangue délibérative de l’homme d’État, vont en dégénérant. La première avait atteint son apogée dans les autres cités antiques, et Rome surtout, au sein de l’assemblée du peuple : là rien n’enchaînait l’orateur, ni les ménagements dus à des collègues, ni l’obstacle des formes sénatoriales, ni, comme devant les prétoires, l’intérêt de l’accusation ou de l’accusé, chose étrangère le plus souvent à la politique. Là, seulement, il se levait portant haut le cœur, et tenait suspendu à ses lèvres le grand et puissant auditoire du Forum romain. Ces grands jours étaient passés, non qu’il manquât d’orateurs, ou qu’on eût cessé de publier les discours tenus devant les citoyens, bien au contraire, les écrits politiques en tous genres commencent à pulluler, et au grand ennui des convives, l’amphitryon leur inflige même à table la lecture de son dernier discours parachevé. Publius Clodius débite en brochures ses allocutions populaires, comme avait fait Gaius Gracchus : mais de ce que deux hommes agissent de même, s’ensuit-il qu’ils font la même chose ? Les princes et chefs de l’opposition, César tout le premier, ne parlèrent plus que bien rarement au peuple, et ne publièrent plus leurs. harangues : ils donnèrent à leurs pamphlets politiques une autre forme que celle des traditionnelles concions : on vit paraître les éloges de Caton et les critiques anti-catoniennes remarquables spécimens du genre. Gaius Gracchus avait parlé au peuple : on s’adresse aujourd’hui à la populace : tel l’auditeur, tel le discours. Qu’on ne s’en étonne pas, l’écrivain politique en réputation évite l’ornement désormais. A quoi bon ? il est censé ne parler que devant les foules amoncelées au Forum. Cependant, au moment même où l’éloquence, au point de vue de son importance littéraire et politique tombe et se flétrit, comme toutes les autres branches des belles lettres jadis florissantes au souffle de la vie nationale, voici venir un genre nouveau, le plaidoyer, genre singulier, étranger le plus souvent à la politique. Jusqu’alors on ne s’était point douté que les discours des avocats fussent débités pour d’autres que les juges et les parties, et qu’ils dussent prétendre à l’édification littéraire des contemporains et de la postérité. Jamais homme du barreau n’avait fait recueillir et publier ses plaidoiries, sauf dans les cas exceptionnels où traitant de matières qui se rattachaient aux affaires d’État, il y avait un intérêt de parti à leur divulgation. Quintus Hortensius (610-704 [114-50 av. J.-C.]), le plus illustre avocat romain, au commencement de la période, n’avait donné les mains qu’à un fort petit nombre de ces publications, alors, je le répète, que le sujet était tout ou à moitié politique. Mais son successeur dans la royauté du barreau ; Marcus Tullius Cicéron (618-711 [-106/-43]), en même temps qu’il parlait chaque jour devant les tribunaux, était aussi non moins fécond écrivain : le premier il prit soin d’éditer régulièrement ses plaidoyers, même quand la politique n’y avait pas trait, ou ne s’y rattachait que de loin. Certes il n’y a point là progrès : à mon compte, c’est décadence au contraire et chose contre nature. De même à Athènes, l’entrée du genre plaidoyer dans la littérature n’avait été qu’un fâcheux symptôme : à Rome, le mal était doublement grand. A Athènes, dans un milieu livré à l’exaltation de la rhétorique, il était sorti, l’on peut dire, de la nécessité des choses : mais à Rome, la déviation se produisait par la fantaisie du malade : elle n’était qu’une importation étrangère absolument contraire aux saines traditions nationales. Néanmoins, le genre nouveau se fit vite accepter, soit qu’il obéit à l’influence de ses nombreux contacts avec la harangue politique ; soit que les Romains, gens sans poésie, ergoteurs et rhéteurs par instinct, offrissent à la nouvelle semence un terrain tout propice. N’est-il pas vrai qu’aujourd’hui encore fleurit en Italie une sorte de littérature de prétoire et de plaidoiries ? Ce fut donc par Cicéron que l’éloquence, dépouillant cette fois son enveloppe politique, obtint droit de cité dans la république des lettres romaines. Bien souvent déjà nous avons rencontré cette personnalité aux multiples aspects. Homme d’État sans pénétration, sans vues, sans desseins, Cicéron est tour à tour démocrate, aristocrate et instrument passif de la monarchie : il n’est en somme rien autre chose qu’un égoïste myope. Paraît-il vigoureux à l’action, c’est que déjà la question a été résolue. Le procès de Verrès, il l’entreprend contre la juridiction sénatoriale, après que cette juridiction est tombée. Discute-t-on la loi Gabinia ? il se tait : la loi Manilia ? il la soutient ! Et quand il tonne contre Catilina, déjà le départ de Catilina est constant. Je m’arrête. Contre une fausse attaque, il est grand et puissant, il emporte à grand fracas les forteresses de carton : mais, en bien comme en mal, quelle affaire sérieuse a été décidée jamais par son initiative ? Il a fait exécuter les Catilinariens ! Non pas, il a seulement laissé faire ! Dans la littérature, il est bien vraiment le créateur de la prose latine moderne, je l’ai dit ailleurs : son art du style est sa meilleure gloire, son style fait sa haute importance ; et ce n’est que comme écrivain qu’il a la sûre conscience de sa force. Sous le rapport de la conception littéraire, je ne le place pas plus haut que le politique. Il s’est essayé dans les travaux les plus divers : il a chanté les grands exploits de Marius et ses minces hauts faits à lui-même dans d’innombrables hexamètres : il a voulu mettre hors de champ ; dans ses discours, Démosthène, dans ses dialogues philosophiques, Platon : le temps seul lui a manqué, sans quoi, sans doute, il eût battu Thucydide aussi dans l’histoire[106]. Avant tout, possédé de la rage d’écrire, peu lui importait le terrain, pourvu qu’il le labourât. Nature de journaliste dans le pire sens du mot : trop riche en paroles, c’est lui qui l’avoue, pauvre en pensée au-delà de ce qu’on peut dire, il n’était point de genre littéraire, où ; s’aidant de quelques livres, traduisant, compilant, il n’improvisât une œuvre de commode lecture. Son portrait fidèle se retrouve dans sa correspondance. D’habitude on la loue, comme intéressante, comme pleine de verve : je l’accorde, en tant qu’elle est le journal de la ville et de la campagne, et le miroir du grand monde. plais prenez l’auteur laissé à lui-même ; prenez-le en exil, en Cilicie, après la bataille de Pharsale, il devient aussitôt terne et vide, pareil à un feuilletoniste égaré loin de son milieu. Qu’un tel politique, qu’un tel lettré ne put être. qu’un homme superficiel et de cœur faible, avec sa mince couche d’élégant vernis, j’estime inutile d’en fournir la preuve. Nous occuperons-nous de l’orateur ? Tout grand écrivain est de fait un grand homme : c’est chez le grand orateur surtout que les convictions et la passion débordent à flots clairs et sonores des, profondeurs de la poitrine. Autrement en est-il de la foule des indigents parleurs, qui ne font que nombre et ne sont point. Or, de conviction, de passion, Cicéron n’en a pas ; il n’est qu’un avocat ; et pour moi, un médiocre avocat. Il expose bien le point de fait, le relève d’anecdotes piquantes ; il excite sinon l’émotion, du moins la sentimentalité de son auditoire : il avive la sécheresse du sujet juridique par son esprit et par le tour souvent personnel de sa plaisanterie. Ses bons discours, enfin, sont d’une lecture facile et agréable, quoiqu’ils n’atteignent point tant s’en faut, au libre enjouement, à la sûreté de trait des chefs-d’œuvre du genre, des mémoires de Beaumarchais par exemple ; mais aux yeux du juge sévère, ce ne sont là que des qualités d’un douteux mérite, et quand vous constatez à la charge de Cicéron l’absence complète du sens de l’homme d’État dans ses écrits politiques, de la déduction logique et juridique dans ses écrits judiciaires ; quand vous vous heurtez sans cesse à cette infatuation de l’avocat, perdant sa cause de vue pour ne songer qu’à lui-même, à ce triste vide de la pensée, enfin, vous n’achevez pas la lecture sans une révolte de votre cœur et de votre esprit. Ce que j’admire ici, c’est moins le plaidoyer que l’admiration qu’il a suscitée. Dégagée de toutes préventions, la critique en a bientôt fini avec Cicéron. Mais le cicéronianisme est un problème dont on ne saurait, à proprement parler, fournir la solution : on la tourne seulement quand l’on pénètre dans le grand secret de l’humaine nature, en tenant compte de la langue, et, de l’effet de la langue sur l’esprit. Au moment même où la fin du latin était proche, en tant qu’idiome populaire, voici venir un styliste souple et habile, qui rassemble et résume ce noble langage ; il le dépose dans ses nombreux écrits. Aussitôt de ce vase imparfait, il s’échappe quelque chose du parfum puissant de la langue, quelque chose de la piété qu’elle éveille. Avant Cicéron, Rome ne possédait point de grand prosateur : César, comme Napoléon, n’avait écrit que par accident. Quoi d’étonnant dès lors si, à défaut du prosateur, on se prend à honorer le génie du parler latin dans les compositions de l’artisan de style, si les lecteurs de Cicéron, à l’instar de Cicéron lui-même, se demandent comment il écrit, et non pas quelle œuvre il a écrite ? L’habitude, les routines d’école achevèrent ce que la langue avait commencé. Toutefois, chez les contemporains de Cicéron, cet étrange engouement alla moins loin, on le comprend, que chez les hommes de la postérité. La manière Cicéronienne domina tout un tiers de siècle dans le monde du barreau ; comme auparavant avait dominé l’école bien inférieure d’Hortensius mais les meilleurs esprits ; César, entre autres, ne s’en rapprochèrent point, et, dans la génération, tout ce qui comptait comme talent doué de vie et de sève ouvrit une opposition décidée contre l’éloquence hermaphrodite et énervée du maître. On reprochait à Cicéron de ne parler ni simplement ni avec force, ses froids lazzis, le désordre et l’ambigu de ses divisions, et par dessus tout l’absence de la flamme, qui seul fait l’orateur. Délaissant les éclectiques de Rhodes, on voulait remonter aux vrais Athéniens, à Lysias, à Démosthène, introniser enfin dans Rome l’éloquence forte et mâle. A cette école appartinrent Marcus Junius Brutus, discoureur grave, mais empesé[107] (669-712 [85-42 av. J.-C.]), les deux chefs de parti Marcus Cœlius Rufus (672-706 [-82/-48]), et Gaius Scribonius Curio († 705 [-49]), tous les deux orateurs, pleins de souffle et d’action ; Calvus, également réputé comme poète, et le coryphée littéraire de ce jeune cénacle (672-706 [-82/-48]), et enfin le sévère et consciencieux Asinius Pollio[108] (678-757 [-76/+4]). On ne peut nier que cette école nouvelle ne fit preuve de plus de goût et de génie qu’il n’y en eut jamais chez les Hortensiens et les Cicéroniens réunis. Malheureusement les orages révolutionnaires emportèrent bientôt la jeune et brillante milice, à l’exception du seul Pollion, et nous ne pouvons pas estimer quels fruits ces beaux germes eussent pu produire. Le temps, hélas ! leur a manqué. La monarchie nouvelle n’eut rien de plus pressé que de faire la guerre à la liberté de la parole, et d’étouffer bientôt après la tribune. Le genre très secondaire du plaidoyer judiciaire persista, mais la haute éloquence, et la langue de la tribune ne vivent que de la vie politique ; elles s’éteignirent nécessairement et s’ensevelirent dans le même tombeau. La période césarienne se signale enfin, par un autre
mouvement dans la littérature esthétique, par de nombreuses compositions
artistiques, dont les sciences diverses font le sujet, compositions
empruntant la forme du dialogue à effets de style. Ce genre, on le sait,
avait trouvé grande faveur chez les Grecs, et à Rome même il avait, dans le siècle
précédent, fourni déjà quelques spécimens isolés. C’est Cicéron encore qui,
dans ses écrits nombreux sur la rhétorique et la philosophie, adopta ce cadre
et s’efforça d’y réunir le traité didactique et le livre. Parmi ces écrits,
nous nommerons les principaux : le Dialogue de l’orateur [De oratore] rédigé en 699 [55 av. J.-C.], auquel il
convient de rattacher le Brutus [ou de claris
oratoribus] ou l’histoire de l’éloquence romaine (rédigé en 708 [-46]),
et quelques, autres dissertations qui le complètent : le Dialogue politique de
l’État [De republica] (écrit en l’an 700 [-54]),
avec le traité des Lois [De legibus] son
pendant (702 [-52]),
imitation avouée de celui, de Platon. Grandes œuvres d’art,
incontestablement, mais où les qualités de l’auteur étant mieux mises en
relief, ses défauts ressortent moins. Les écrits sur l’art oratoire
n’atteignent point, il s’en faut, à la rigueur instructive des principes, à
la netteté de conception de Que s’il convient de reconnaître un vrai mérité à ces écrits de rhétorique et de politique avec leur enduit superficiel de philosophie, on n’en saurait dire autant des compilations nombreuses, œuvre de la fin de la vie de Cicéron (709-710 [45-44 av. J.-C.]). Pour occuper ses loisirs forcés, il s’adonna tout particulièrement à la philosophie proprement dite, entassant en une couple de mois, par exemple, toute une ennuyeuse et rapide série d’ouvrages, toute une bibliothèque de la science. La recette était simple. Imitant grossièrement les écrits populaires d’Aristote, ceux où le stagyrite use aussi de la discussion dialoguée dans l’exposé critique des anciens systèmes, Cicéron s’amuse, à son tour, à coudre ensemble, à mesure qu’ils lui viennent sous la main ou qu’il se les procure, les divers écrits des Épicuriens, des Stoïciens ou des Syncrétiques débattant le même problème ; et voilà son prétendu dialogue achevé, sans qu’il y ait rien mis de son fond, si ce n’est telle ou telle introduction qu’il va chercher dans sa grande boite à préfaces [loci communes] toutes prêtes pour ses futurs livres, si ce n’est ces quelques allusions, expédient de popularité facile, et ces exemples puisés chez les Romains, et cousus en hors-d’œuvre, familiers et agréables à l’auteur ou au lecteur (citerai-je à ce sujet, dans l’Éthique (De officiis, I, c. 37), une digression singulière sur les convenances oratoires ?) si ce n’est encore ce badigeon littéraire sans lequel le simple lettré, étranger à la pensée ou même au savoir philosophique, n’ayant pour lui que l’assurance et la rapidité de la plume, ne s’aventurera jamais à reproduire une argumentation dialectique. Aussi, que de gros livres pouvaient à la minute sortir d’une telle officine ! Ce ne sont que transcriptions et copies, dit Cicéron lui-même dans une lettre à un ami qui s’étonne de cette fécondité sans pareille, et qui me donnent peu de peine, je n’ai que les mots à y mettre, et des mots, j’en possède à revendre ! Après cet aveu, il ne nous reste rien à dire : mais à qui va chercher une œuvre classique dans un tel amas d’écrits, il n’est qu’un conseil à donner, celui d’un beau silence en matière de critique littéraire[109]. Parmi les sciences, nul mouvement, si ce n’est dans une seule, la philologie latine. Stilon avait élevé jadis un édifice considérable, inauguré la recherche de la linguistique et des faits sur le terrain même de la nationalité latine : Varron, entre autres, qui fut son disciple, agrandit puissamment l’œuvre commencée. On vit paraître des travaux étendus sur tout le corps de la langue, les vastes commentaires grammaticaux de Figulus, le grand ouvrage de Varron sur la langue latine[110], d’autres monographies grammaticales et de philologie historique, comme les traités, aussi de Varron, sur le latin usuel, sur les synonymes, sur l’antiquité des lettres alphabétiques, sur les origines du latin[111] ; des Scholies sur l’ancienne littérature, sur Plaute, notamment ; des travaux relatifs à l’histoire littéraire, des Biographies des poètes, des recherches sur le vieux théâtre, sur la division scénique des comédies plautines, et enfin sur leur authenticité[112]. — La philologie réelle latine[113], laquelle comprenait toute l’histoire des Antiquités romaines, et attirait dans son domaine le droit sacrai qui n’avait rien de commun avec la jurisprudence pratique, fut déposée et embrassée tout entière dans le livre fondamental, demeuré tel pour tous les temps, de Varron, et intitulé les antiquités des choses humaines et divines[114] (il le mit au jour entre 687 et 709 [-67/-45]). Dans la première section, il retraçait les temps primitifs de Rome, les divisions en quartiers de la ville et de la campagne, la connaissance des années, des mois et des jours, enfin les événements publics intérieurs et les faits de guerre. Dans la seconde section, consacrée aux choses divines, on lisait l’exposé de la religion officielle : collèges des experts sacrés, leur nature et leur caractère, lieux saints, fêtes religieuses, sacrifices et offrandes pieuses, enfin les dieux divers, tout était réuni dans, ce vaste tableau. Ajoutez à cela une multitude de monographies sur l’origine du peuple romain, par exemple, sur les gentes originaires de Troie, sur les Tribus[115]. Ce n’est pas tout, Varron voulut encore donner à son grand ouvrage, sous la forme d’une publication indépendante, un grand et important supplément. Il écrivit la vie du peuple romain, essai remarquable d’une histoire des mœurs latines, où étaient décrits les usages domestiques, les finances et la civilisation de Rome, sous les rois, sous la première république, au temps d’Annibal, et au temps lé plus récent. Pour de semblables travaux, il a fallu à cet homme une érudition colossale autant que variée, dépassant le savoir de tous ses devanciers ou de tous ceux qui vinrent après lui ; il lui a fallu la connaissance de, tous les faits relatifs au monde romain et au monde grec limitrophe ; il lui a fallu tout ensemble et l’examen pris sur le vif, et les- études littéraires les plus approfondies. Aussi est-il vrai et mérité l’éloge des hommes de son siècle ! A les entendre ; Varron a été un guide sûr pour ses compatriotes, étrangers et comme perdus sur leur propre sol : il leur a montré qui ils étaient, et où ils étaient[116] ! Mais ne lui demandez ni critique, ni système. Ce qu’il
sait de Au mouvement très considérable qui se produit dans la
philologie ne répond point une activité productive égale dans le domaine des
autres sciences. Quelques travaux philosophiques non sans importance,
l’exposition de l’épicuréisme par Lucrèce, revêtue du costume primitif des
vers selon la formule anté-socratique, et les écrits académiques, les
mieux réussies des œuvres de Cicéron[120], ne portent
coup et ne conquièrent leur public qu’en dépit du sujet, et que grâce à la
forme esthétique qu’ils affectent : quant aux innombrables traductions des
livres épicuriens, quant aux traités pythagoriciens, comme le gros livre de
Varron sur les principes des nombres[121], quant à celui
plus volumineux encore de Figulus sur les Dieux [De Deis], ils n’eurent, à n’en point douter, ni la
valeur scientifique ni le mérite de la forme. — Les sciences professionnelles
sont de même faiblement cultivées. Le dialogue de Varron sur l’agriculture[122], montre plus de
méthode que les œuvres de ses devanciers, Caton et Saserna, sur qui aussi,
soit dit en passant, mainte critique et maint blâme pourraient justement
tomber. Mais il sent davantage le travail de cabinet, quand ceux-ci, au
contraire, sont dictés uniquement par l’expérience des champs. Varron encore[123], et un
consulaire de l’an 703 [51
av. J.-C.], Sulpicius Rufus[124], ont publié des
études juridiques. Nous n’en dirons qu’une chose ; elles sont un tribut payé
à l’enjolivement dialectique et philologique de la jurisprudence romaine.
Après cela, irons-nous mentionner les Tournons enfin les yeux du côté des arts. Ici, comme dans
les autres branches de la vie intellectuelle du siècle, rien qui réjouisse le
regard. La crise financière des derniers jours de la république a porté le
coup de mort aux travaux publics. Mais déjà nous avons dit le luxe des
constructions privées élevées par les grands. Les architectes avaient
récemment appris à employer le marbre : les diverses sortes colorées, le jaune
de Numidie (Giallo antico), et bien d’autres
s’étalent à l’envi : on exploite, pour la première fois, les carrières de Luna
(Carrare).
On parquette les chambres en riche mosaïque, on revêt les murailles de
plaques de marbre, ou on les enduit d’un stuc qui les imite, et ce début
conduira plus tard aux peintures murales des appartements intérieurs. Toutes
magnificences dispendieuses qui ne profitent point au bel art. Tel avocat
affectait la simplicité catonienne à parler devant les juges des
chefs-d’œuvre d’un certain Praxitèle[131] : mais tout le
monde voyageait, et regardait. Le métier de Cicerone ou d’Exégète,
comme il s’appelait alors, rapportait gros. On faisait littéralement la
chasse aux objets d’art, moins peut-être aux statues et aux tableaux, qu’aux
ustensiles divers, aux curiosités de la table ou de l’ameublement. La
grossièreté romaine, amoureuse de l’étalage, y trouvait son compte. Déjà l’on
s’était mis à fouiller les vieux tombeaux grecs de Capoue et de Corinthe,
pour y ravir les vases d’airain ou d’argile, placés aux côtés des morts. Tel
bronze, statuette ou figurine se payait 40.000 HS (3.000 thaler = 11.500 fr.) : telle
paire de tapis précieux, 200.000 HS (15.000 thaler = 56.250 fr.). Telle marmite de bronze d’un bon
travail se payait au prix d’un domaine rural. Combien de fois le riche
amateur, ce barbare en quête de joyaux d’art, n’était-il pas volé par ses
marchands ? Toutefois, le pillage et la ruine de l’Asie Mineure, qui
regorgeait de chefs-d’œuvre, valurent à Rome la possession des morceaux
antiques les plus précieux : Athènes, Syracuse, Cyzique, Pergame, Chios,
Samos, et toutes les anciennes capitales de l’art étaient dépouillées pour le
marché de Rome. Tout ce qui était à vendre, et même ce qui ne l’était pas,
partait pour les palais ou les villas des grands de Rome. On sait quelles
merveilles recelait la maison de Lucullus, à qui l’on fit un jour le reproche
qu’il avait trahi ses devoirs de chef d’armée pour le seul intérêt de son
dilettantisme artistique. Les curieux y affluaient comme aujourd’hui à la villa
Borghèse, et comme aujourd’hui aussi se plaignaient de l’internement, de
l’emprisonnement des trésors de l’art dans les palais et les campagnes des
grands, où la visite en était difficile et exigeait d’habitude une
autorisation particulière accordée par le maître. — En revanche, les
bâtiments publics ne s’étaient en aucune façon enrichis des œuvres des
illustres sculpteurs ou peintres de A l’intérieur, des maisons, et au grand air de la vie publique, la musique et la danse croissent en faveur. Nous avons vu que la musique scénique et le ballet se sont créé au théâtre un rôle indépendant et considérable. Ajoutons à cette indication un autre fait non, moins important. Désormais, le théâtre public s’ouvre fréquemment aux représentations données par les, musiciens, les danseurs et déclamateurs venus de Grèce, pareils à ceux qui parcouraient depuis longtemps l’Asie Mineure, et toutes les contrées helléniques ou hellénisantes[133]. Ces mêmes musiciens, danseurs et danseuses, louaient leurs services pour amuser les convives à table et dans d’autres occasions : les riches entretenaient aussi chez eux pour leur chapelle, des joueurs de luth et d’instruments à vent, et des chanteurs. Non contents de cela, les gens du bel air se mirent eux-mêmes à jouer et à chanter. Aussi voit-on la musique entrer désormais dans le programme universellement admis des branches diverses de l’éducation ; et pour ce qui est de la danse, il n’est pas, sans parler des femmes, jusqu’à des consulaires, à qui l’on n’ait pu, un jour, jeter à la face de s’être donnés en spectacle dans quelque ballet de société. Faut-il le dire ? Avec les débuts de la monarchie, déjà se manifestent à la fin de la période actuelle les commencements d’une ère meilleure pour les arts. Nous avons raconté dans le précédent chapitre quel puissant essor, sous l’impulsion de César, l’architecture a pris et devait prendre bientôt dans la capitale et dans tout l’empire. Il en est de même de la gravure monétaire. Celle-ci se transforme vers l’an 700 [54 av. J.-C.] : l’empreinte, souvent grossière et négligée de l’ancienne médaille, fait place désormais à la finesse et à la netteté du relief. Nous assistons à la fin de la république romaine. Nous
l’avons vu, durant cinq cents ans, commander à l’Italie et à la région
méditerranéenne : nous l’avons vue s’en allant en ruine, non sous le coup des
voies de fait du dehors, mais par le vice intérieur de sa décadence politique
et morale, religieuse et littéraire, et laissant la place à la nouvelle monarchie.
Dans ce monde romain, tel que César le trouva, beaucoup de nobles choses
survivaient, legs des siècles passés, amoncellement infini de grandeurs et de
splendeurs. D’âme, il n’y en avait presque plus ; de goût, bien moins encore
: dans la vie, et autour de la vie, plus de joies. Ce monde était vraiment
vieux et le génie patriote de César ne pouvait le refaire jeune. L’aurore ne
revient pas, tant que la nuit noire n’a pas achevé de tout envahir. Avec
César cependant, les riverains de Fin de l’Histoire romaine |
[1] [Antiochus d’Ascalon, le fondateur de
[2] [Tarutius de Firmum, mathématicien et
astrologue (in primis chaldaicis rationibus
eruditus, dit Cicéron, de divin., 2, 117), fixait le jour
natal de Rome aux fêtes de Palés (Parilia,
le 11e jour avant les calendes de mai, ou 21 avril), alors que la
lune était dans le signe de
[3] [A ce portrait de Nigidius Figulus, nous voudrions ajouter
quelques détails purement biographiques. On ne sait ni la date ni le lieu de sa
naissance. Mais il appartenait au Sénat, où en l’an 691 [63 av. J.-C.], il
appuya les motions de Cicéron, son ami, contre les Catilinariens (Cicéron, Pro
Sull., 14. – Plutarque, an seni sit gerenda respubl., 27). Préteur
en 695 [-59], il est exilé, on l’a vu plus haut, par César (709 [-45]), et
meurt loin de Rome vers 710 [-44]. Eusèbe (Chron., 184) lui donne les
titres de Pythagoricus et Magus ; et de fait, au dire de Cicéron,
d’Aulu-Gelle et d’autres, il passait pour l’un des plus savants hommes de son
temps, quoique Aulu-Gelle lui, reproche aussi le défaut de clarté dans le style
et l’exposition (Ætas M. Ciceronis et C. Cæsaris…
doctrinarum multiformium variarumque artium quibus humanitas erudita est,
culmina habuit M. Varronem et P. Nigidium.... Nigidianæ autem commentationes
non proinde in valgus exeunt... et obscuritas subtilitasque earum, tanquam
parum utilis, derelicta est. Noct. att. 19. 14). M. Egger (Latin.
serm, vetust. reliq. pp. 59 et s.) a réuni quelques fragments de Nigidius
disséminés dans les livres des grammairiens postérieurs, dans Aulu-Gelle
surtout. — Quant à ses recherches sur la physique et la philosophie, V. entre
autres le témoignage de Cicéron, au prologue de son exposition du Timée, où
Nigidius figure comme l’un des interlocuteurs (fuit
enim ille vir quum ceteris artibus quæ quidem dignæ libero essent, ornatus
omnibus, tum acer investigator et diligens earum rerum quæ a natura involutæ
videntur). On y lit que quand le consulaire se rendit en Cilicie,
Nigidius, qui venait de quitter son gouvernement, l’attendit à Éphèse, où
Cratippe vint aussi le retrouver. — Nous connaissons par des fragments assez
nombreux, je le répète, les Commentarii Grammatici de Nigidius, en
[4] [Cicéron lui-même avait la sienne. Ad. Atticus, passim. — Mais les Romains confondirent bientôt les gymnases et les palestres. L’un et l’autre mot chez eux devinrent synonymes.]
[5] [IX libri disciplinarum : il n’en reste rien ou presque rien.]
[6] Ces sept sciences constituent, comme on sait, les sept arts libéraux, lesquels, sauf la distinction à faire quant aux époques entre les trois arts plus anciennement reçus en Italie, et les quatre arts plus récemment introduits, se sont perpétués dans les écoles du moyen-âge.
[7] [Aratos, contemporain d’Aristarque de Samos et
de Théocrite (IIIe siècle avant J.-C.), vécut à la cour d’Antigone Gonatas,
le macédonien. Grammairien et philosophe, il mit en vers les deux traités en
prose d’un auteur plus ancien (Eudoxos), sous les titres de Phénomènes,
et de Pronostics. Ces ouvrages qui n’ont qu’un intérêt scientifique
assez mince, sont élégamment écrits, et Quintilien les loue (X, 1). Ils
trouvèrent grande faveur à Rome, et furent traduits trois fois en vers latins.
La première traduction des Phénomènes est due à Cicéron, très jeune encore,
lorsqu’il exécuta son travail (de Nat. Deorum, 2. 41) : la seconde à César
Germanicus, petit-fils d’Auguste : la troisième à Festus Avienus. Il
nous reste des fragments des unes et des autres : on les trouvera réunis
dans l’édition d’Aratus, de Buhle,
[8] [Euphorion, fils de Polymnète, né à
Chalcis d’Eubée vers l’an 480 [244 av. J.-C.], au temps des guerres de Pyrrhus
en Italie. — Il vécut à la cour d’Antiochus le Grand, dont il fut le
bibliothécaire, et mourut en Syrie. Philosophe, grammairien et polygraphe, il
composa aussi de très nombreux poèmes, épiques, mythologiques et élégiaques,
dont il ne nous reste que les noms. L’Anthologie nous a gardé de lui deux
épigrammes, du genre érotique : il eut, dans ce genre, Cornelius Gallus,
Tibulle et Properce pour imitateurs. — Cicéron, vengeant la gloire oubliée d’Ennius,
s’attaquait vivement aux prôneurs de l’obscur et fade poète (cantores
Euphorionis Tuscul., 3. 10, et de Divin., 11, 64). Meinecke a écrit une
étude de Euph. Chalcid. vita et scriptis, qu’on pourra lire dans ses Analecta
Alexandrina, Berlin, 1843. (V. aussi l’Anthologie grecque, traduite,
éd. Hachette, Paris, 1863, t. I, pp. 114 et 427, t. II, notice p. 424, et
l’épigramme de Cratès, t. I, p. 422). — Callimaque
est plus connu. Appartenant à une branche des Battiades de Cyrène, il vécut à
Alexandrie, sous les Ptolémées Philadelphe et Évergète, il fut préposé en chef
à la bibliothèque d’Alexandrie. Grammairien, philologue, poète et critique, il
écrivit, dit-on, huit cents ouvrages ou traités, dont, sauf pour quarante
environ, nous n’avons même plus les titres. Comme Euphorion il accumulait et
compilait les curiosités mythologiques et légendaires. — Citons parmi ses reliquiæ,
six hymnes dans le genre épique, poèmes érudits et péniblement écrits, non
moins pénibles à lire ; soixante-trois épigrammes, insérées dans l’Anthologie ;
et des fragments d’élégies, dont l’une a été imitée par Catulle (de coma
Berenices). Il servit aussi de modèle à Ovide et Tibulle. — Parmi ses
livres en prose, il faut regretter surtout sa Bibliothèque
littéraire, véritable catalogue chronologique des ouvrages conservés
au Musée d’Alexandrie. — Les causes (αϊτια)
auxquelles fait allusion M. Mommsen étaient un poème didactique en quatre
chants sur les mythes, les rites, et les traditions pieuses. Nous en
connaissons quelques vers. — Apollonius de
Rhodes, l’auteur du poème des Argonautes, comptait parmi les
disciples de Callimaque. Imitateur d’Homère et des Anciens, il se permit contre
son maître une acerbe critique (V. Anthologie, éd. Hachette, I, p. 420)
: Callimaque y répondit par l’Invective de l’Ibis
qu’Ovide a imitée. En résumé, s’il fut le prince de
l’élégie (Quintilien, 10, 58), il montra plus d’art que de génie, et
la postérité a ratifié le jugement d’Ovide : Quamvis
ingenio non valet, arte valet. (Amor., 1, 15). Les éditions de
Callimaque sont nombreuses. Citons celle d’Ernesti, Leyde, 1761, et la
dernière, de Blomfield, London, 1815. — De Lycophros, de Chalcis aussi, nous dirons seulement qu’il
fut de même attaché au Musée d’Alexandrie sous Ptolémée Philadelphe, qu’il eut
pour mission de classer les manuscrits des comiques, et qu’il écrivit sur eux
un livré érudit malheureusement perdu. Il fut de
Sur tous ces poètes, et sur
[9] [Ainsi firent Pompée, César, Cicéron, même dans leur âge mûr. — Ces deux derniers reçurent à Rhodes les leçons d’Apollonius d’Alabanda (en Carie), plus connu sous le nom de Molon. Brutus, 90-91. – Suétone, César, 4.]
[10] [C’est de l’ancienne bibliothèque d’Asinius Pollion, qu’il s’agit.]
[11] [Contemporain des Lagides, et de Timée (IIIe siècle). Rhéteur et historien, mais jetant en effet le roman dans l’histoire, il avait, écrit une vie d’Alexandre, dans le style asiatique, marqué par la recherche précieuse, la minutie puérile, et l’amour du merveilleux. Cicéron le prend à partie pour sa manière saccadée et hachée (quid... tam fractum, tam minutum. Brut., 83 : et ailleurs : saltat, incidens particulas. Orat., 67,69). Strabon et Denys d’Halicarnasse confirment son opinion. Enfin Aulu-Gelle dit de son histoire : libri miraculorum fabulorumque pleni, res inauditæ, incredulæ (Noct. Att., 9. 4). Quelques lignes nous en ont été conservées par Photius, et Denys d’Halicarnasse (de compar. verb., 4).]
[12] [Quintes Hortensius Hortalus (640-704 [114-50 av. J.-C.]), de huit ans l’aîné de Cicéron, nous est connu surtout par les écrits de celui-ci. Il appartenait à la gens plébéienne des Hortensii, dont le nom aurait indiqué l’origine professionnelle (jardiniers). Avocat, uniquement avocat, il n’a rien laissé derrière lui, que la renommée d’une souplesse de talent merveilleuse, se prêtant à la défense de toutes les causes politiques ou civiles. Sa mémoire, lés ressources de sa dialectique, étaient inépuisables. Travailleur infatigable, à la voix sonore, au geste et à l’attitude pleins d’art, il n’omettait rien de ce qui pouvait profiter à sa cause. Épicurien de mœurs et de caractère, usant de tous les moyens pourvu qu’il réussit, il pratiqua souvent les juges, et gagna maint procès par la corruption, et à coups d’argent fourni par ses riches clients. A 19 ans, il plaide son premier procès, et comme tout d’abord on salue une statue de Phidias (Brut., 64), il est reconnu pour un maître. Il alla ensuite aux armées pendant la guerre sociale et fut promu au tribunat militaire (Brut., 89). De retour à Rome, il se donne au parti aristocratique, il est l’avocat ordinaire des optimates accusés de concussion et d’extorsion. En 668 [-86], il défend Pompée accusé d’avoir détourné partie du butin d’Asculum (Brut., 64). Pendant longtemps, roi incontesté du barreau (rex judiciorum. Cic., in Q. Cœcil., 7), il vit un jour se lever en face de lui l’homme qui l’allait détrôner. Cicéron accusa Verrès, qu’Hortensius défendit en vain. Déjà, avant son voyage à Athènes et dans le procès de Quinctius (673 [-81]), le jeune avocat l’avait eu pour adversaire (pro Quinct., 1, 2 ; 22, 24, 26). — Questeur, édile, préteur urbain, Hortensius obtint enfin le consulat en 685 [-69]. On le vit plus tard s’opposer aux lois Gabinia et Manilia, qui conféraient à Pompée l’omnipotence en Orient. Après le consulat de Cicéron, les deux rivaux marchent d’accord : ils défendent ensemble Rabirius et Murœna, et sont amis désormais (noster Hortensius : ad Att., 1, 14), amis peu sincères au fond. Ils luttent ensemble contre Clodius. — Après le retour de Pompée, Hortensius quitte la scène politique, et se consacre exclusivement aux affaires du barreau : il plaide avec Cicéron encore, pour Flaccus, pour Sextius : seul, il défend Lentulus Spinther, Valerius Messala à l’occasion duquel il est sifflé par le peuple au théâtre (ad fam., 8, 2), et enfin Appius Claudius, accusé de majestate et ambitu par Dolabella, le futur gendre de Cicéron. Il meurt peu après, laissant quelques écrits au-dessous de sa réputation (intra famam Quint. 3, 8), quelques travaux historiques passables (ad Att. 12, 5), et des poésies sans valeur. — J’ai dit qu’Hortensius était épicurien dans ses goûts et sa vie : par son caractère, et ses habitudes, il offre avec Atticus une ressemblance frappante : il aime la richesse, l’élégance ; il a sa maison à Rome, sur le Palatin (celle qu’habitera un jour Auguste - Suet., Aug., 72) ; il a de superbes villas, à Bauli, à Tusculum, à Laurentum. Il fait de grosses récoltes en vin (Pline, h. nat., 14, 6, 17) ; il possède des garennes immenses, d’où sort un esclave vêtu en Orphée, et conduisant devant ses convives, au son de la cithare, des bandes d’animaux charmés (Varr., de re rust., 3. 13) ; des viviers enfin où nagent ses murènes apprivoisées, et dont il pleure la mort (Pline, h. nat. 9, 55) ! Il laisse à sa mort 10.000 amphores de vin étranger dans sa cave.
Nous n’ajouterons rien à ce que dit M. Mommsen de son style d’orateur. Cicéron, et d’autres l’ont assez fait connaître (V. surtout le Brutus, 88). —Enfin nous renvoyons aux Notices plus étendues de Drumann, III, pp. 81-108.]
[13] [Il n’est presque
pas une lettre de
[14] [V. par ex., le fragment d’une lettre de César à Cicéron, cité au Brut., 72. — Catulle, carmen 50.]
[15] Exemple : génitif senatuis et senatus, datif senatui et senatu.
[16] Maxumus, maximus.
[17] [On a pour les suppléer le c et l’x.]
[18] [Ils l’omettent ou la laissent subsister, selon le besoin de la prosodie : ex., legibus : legibu.]
[19] Citons Varron (de re rust. 1, 2) : In aedem Telluris veneram, rogatus ab aeditimo, ut dicere didicimus u patribus nostris, ut corrigimur a recentibus urbanis, ab aedituo. [Aeditimus, aedituus, gardien du temple.]
[20] [Œuvre fruste, on le sait, mal composée, mal écrite, inculte et souvent inintelligible, on l’a dit déjà.]
[21] [Je traduis mot à mot l’allusion à la vieille ère des poètes franconiens dans la littérature allemande.]
[22] Citons
Puisque
seul, dit-on, parmi les rois de ce temps, tu sais faire o le don de la faveur
royale ; je me suis résolu d’en tenter l’expérience : je -viens et je veux voir
ce que c’est qu’un roi. L’oracle d’Apollon m’y enhardit, et je m’approche à bon
droit de ton foyer, devenu presque, sur un signe de loi, le commun asile des
savants !
[Apollodore l’Athénien,
florissait vers l’an 614 [-140], peu après la date de la chute de Corinthe.
Élève d’Aristarque, de Panætius, il publia plusieurs livres sur la grammaire,
l’histoire et les antiquités sacrées et profanes. On trouvera à son nom (Dict.
de Smith, et dans Pauly - Real encyclopédie) l’indication des titres de
ses nombreux ouvrages, dont il ne nous reste rien ou à peu près rien, si ce
n’est trois livres de sa Bibliothèque (Βιβλιοθήxη),
écrits en vers iambiques, et contenant
un essai érudit sur les anciens mythes théogoniques et cosmogoniques de
Quant à Scymnos,
de Chios, il avait composé, on ne sait à quelle époque, une description de la
terre, citée par Étienne de Byzance et autres. Elle était écrite en prose. La périégèse
en vers, publiée sous son nom (Müller, Gœographi Gr. minores, coll.
Didot), ne lui appartient pas (v. Letronne, Scymnus et Dicœarque, Paris,
1840 ; et Meinecke, Berlin, 1846). — Le Nicomède de
[23] [Philodème de Gadara, en Cœlésyrie, poète et grammairien. Il nous est surtout connu par l’Invective de Cicéron (in Pison, 28, 29) contre son patron L. Pison Cœsoninus, l’ancien proconsul de Macédoine, et le beau-père de César, cet homme de ténèbres, de boue et d’ordures (Ibid., 26). — Cicéron, tout en le trouvant en si triste compagnie, atteste du moins que Philodème est homme d’esprit et de savoir (ingeniosunt... alque eruditum) ; mais il ne sut que chanter en vers délicats les infamies, la luxure et les adultères de son Mécène (omnes libidines, omnia stupra, omnia eænarum genera conviviorumque, adulteria denique ejus delicatissimis versibus expresserit, 29). Peut-être tout cela est-il exagéré, mais le fond est vrai. — Il ne nous reste des nombreux écrits de Philodème que quelques fragments déchiffrés dans les manuscrits d’Herculanum (rhétorique, morale et philosophie épicurienne, et musique), et une trentaine d’Épigrammes de l’Anthologie, dont plusieurs sont agréables, mais obscènes ou érotiques pour la plupart. — L’une d’elles s’adresse à Pison lui-même et le convie à un banquet célébré à l’occasion de la nativité d’Épicure (V. Anthologie, éd. Hachette, 1, p. 97.]
[24] [Asclépiade de Pruse, en Bithynie, vint à Rome au temps de Pompée (Pline, hist. n., 26, 7), y enseigna la rhétorique, puis se fît médecin, sans avoir étudié la médecine. Il n’en fut pas moins célèbre et fit école (Pline, l. c., 25, 3 et 14, 9. - 20, 20. - 22, 61). Charlatan fieffé, il n’admettait pas qu’un vrai médecin pût être malade (ne medicus crederetur si unquam invalidas ullo modo fuisset ipso). Il mourut fort vieux d’une chute du haut d’une échelle (Pline, h. n., 7, 37). Il ne manquait pas d’une certaine habileté de diagnostic, et, distingua le premier les maladies aiguës des affections chroniques. Les quelques fragments qui restent de ses écrits épars chez les écrivains spéciaux ont été publiés par Gumpert (Ascl. Bilhyn, fragm. - Weimar, 1794. — V. aussi Raynaud, de Ascl. Bith. medico ac philos. Paris, 1868).]
[25] [Alexandre de Milet, ou plutôt de Myndos, en Carie ; disciple de Cratès, esclave de Cornelius Lentulus Sura, le Catilinarien, et plus tard son affranchi, mourut à Laurentum, incendié dans sa propre maison. La connaissance de l’antiquité lui valut son surnom de Polyhistor (Suet., ill. gramm. 1, 1). Il accompagna. M. Crassus, et lui donna des leçons. Il écrivit de nombreux traités périégétiques, une histoire des philosophes, des animaux, etc., etc. (V. Muller, Hist. græc. fragm. 3e éd. Didot).]
[26] [Parthénios de Nicée, fait prisonnier dans les guerres contre Mithridate, vécut, dit-on, jusque sous Tibère, qui fit mettre ses œuvres et ses statues dans les bibliothèques. — Il aurait eu l’honneur d’enseigner le grec à Virgile (Macrobe, Saturn., 5, 17), qui l’aurait imité dans le Moretum. Ses poèmes, pour la plupart érotignes ou mythologiques, se distinguaient, dit-on, des Alexandrins et des Asiatiques par la clarté. — Il s’est conservé de lui un fragment en prose sur les malheurs amoureux, dédié à C. Gallus, qui fut aussi son élève.]
[27] [Posidonios d’Apamée, le demi stoïcien, surnommé le Rhodien, disciple de Panœtius à Athènes. Il vint s’établir à Rhodes, après de longs voyages en Espagne et en Italie, y ouvrit école, devint prytane, et fut envoyé à Rome en qualité d’ambassadeur (668 [86 av. J.-C.]). Cicéron et Pompée voulurent l’entendre. Il serait mort vers 703 [-61]. Il écrivit de nombreux traités sur la géographie, la physique, la philosophie morale, et une grande histoire, qui continuait Polybe. De toutes ces compositions, il ne reste que quelques phrases que Bake a recueillies Posidonii Rhod. relliquiæ doctrinæ, Leyde, 1810)].
[28] [Aristodème de Nysa, qui donna des leçons à Pompée, et fut l’instituteur de ses fils. On n’a rien de lui.]
[29] [Lucullus était l’auteur d’une histoire grecque de la guerre marsique (ad Att., 1, 19. – Plutarque, Lucullus, 1.
Atticus, le correspondant de Cicéron, avait écrit en grec une histoire du Consulat de ce dernier, et Cicéron lui-même en avait fait autant. Ces deux Commentaires, sont perdus (ad Att., I, 2).
Q. Scœvola, fils de l’Augure, faisait partie de la cohorte des amis de Cicéron, et l’accompagna en Asie-Mineure. — Il est plusieurs fois cité dans la correspondance familière.]
[30] [Tarse, de Cilicie, n’avait pas été seulement une ville importante sous le rapport politique et commercial. Après le siècle d’Alexandre, elle devint le siège d’une grande école de philosophie et de science : Strabon donne la longue liste des maîtres qui l’ont illustrée. C’est là aussi que saint Paul, appartenant à une famille juive fixée en ce lieu, recevra les leçons qui le prépareront à son enseignement et à son rôle d’apôtre des Gentils.]
[31] [Suréna leur produisit les livres impudiques d’Aristides, qui sont intitulés les Milésiaques, qui n’était pas chose faussement supposée, car ils avoient été trouvez et pris entre le bagage d’un Romain nommé Rustius : ce qui donna grande matière à Suréna de se moquer fort outrageusement et villainement des mœurs des Romains, qu’il disoit être si désordonnez que en la guerre mesme ils ne se pouvaient pas contenir de faire et de lire telles villenies, Plutarque, Crassus, 32 (trad. d’Amyot).]
[32] [Quintus Tullius Cicéron, le puîné de l’orateur et le beau-frère d’Atticus. — Élevé avec son frère, il l’accompagna dans sa jeunesse à Athènes (675 [79 av. J.-C.]). Préteur en Asie, il s’attira plus tard par ses fautes une lettre de réprimande restée célèbre (ad. Q. frat., 1, 1). On le retrouve lieutenant de César, en Gaule, où il se distingue par sa bravoure et sauve une partie de l’armée. Il passe aux Pompéiens, reproche à son frère sa mollesse politique, puis bientôt, non moins versatile lui-même, il se réconcilie avec César, à Alexandrie. Nous avons dit qu’il périt dans la proscription de 711 [-43], avec tant d’autres sénateurs. Sous le rapport littéraire, Quintus Cicéron n’était pas non plus, il s’en faut, sans valeur. Cicéron le regarde comme son maître dans l’art des vers priores partes tribuo (ad Q. frat., 3, 4), et nous raconte le tour de force des 4 tragédies, composées ou plutôt imitées du grec en seize jours (ibid., 3, 5). Rien ne nous reste de Quintus, si ce n’est une vingtaine d’hexamètres (de signis), dont la provenance est contestée, une ou deux jolies épigrammes contre les femmes (V. Anth. latin. et les éditions de Cic. l’aîné, aux fragm. poétiques), la déclamation bien connue de Petitione Consulatus, ce triste catéchisme de la brigue électorale à Rome, et enfin trois lettres à Tiron et une à son frère (ad famil., 8, 16, 26, 27 ; et 16, 16. — Nous renvoyons à sa notice détaillée, aux Dict. de Smith et de Pauly, et au t. VI de Drumann).]
[33] [Le mot parterre est inexact. C’est le paradis qu’il faudrait dire : mimosas ineptias et verba ad summam caveam spectantia (Sénèque, de tranquill., 11.)].
[34] Cicéron nous atteste en effet que le mime a supplanté l’Atellane (ad fam., 9, 1.6), d’accord en cela avec ce fait qu’au temps de Sylla les acteurs-mimes, hommes et femmes, se produisent pour la première fois (ad Herenn. 1, 14. 2, 13. - Atta, fr. 1, éd. Ribbeck. — Pline, hist. n., 118, 158. — Plut., Sylla, 2, 36). D’ailleurs, le mot minus, usité aussi dans une acception inexacte, désignait tout comédien, quel qu’il fût. Ainsi aux fêtes Apolliniennes de 542-543 [212-211 av. J.-C.], il est question d’un mime (Festus : V° salva res est : cf. Cicéron, de orat., 2, 59), simple acteur de palliata : à cette époque, il n’y a pas de place sur la scène romaine pour les mimes véritables. — On sait d’ailleurs que le mime romain ne se rattache en aucune façon au anime des temps grecs classiques : celui-ci consistait en un dialogue en prose, formant tableau de genre, et le plus souvent du genre pastoral. — [V. sur le Mime gréco-sicilien et latin, l’excellent article de Witzchel, R. Encyclopedie de Pauly, t. 5.]
[35] [Persona de mimo, modo egens, repente dives (Cicéron, Philippiques, 2. 65).]
[36] [Illud vero tenendum est mimos dictos esse a diuturata imitatione vilium rerum et levium personarum, dit Euanthius, commentateur de Térence au IVe siècle ap. J.-C. — Et Donatus, son contemporain et confrère, fait la même remarque : planipedia autem dicta ab humilitatem argumenti ejus ac vilitatem actorum.]
[37] Quiconque possède 100.000 HS, on se le rappelle, entre par cela même dans la première classe des électeurs ; et son héritage tombe sous le coup de la loi Voconia. Grâce à ce cens, il a franchi la limite qui sépare l’homme de condition des humbles (tenuiores). C’est pour cela que Furius, le client pauvre de Catulle (23, 26) demande sans cesse 100.000 sesterces aux Dieux.
[38] [Divinité populaire italique, dont la fête tombait le 15 mars : le peuple lui demande ut amare perennareque commode licent (Macrobe, Saturnales, 1, 12). Plus tard, la légende l’a identifiée avec l’Anna soror du 4e livre de l’Énéide, qui vint en Italie après la mort de Didon, excita la jalousie de Lavinia, et avertie par un songe, se jeta dans le Numicius (Ovide, Fastes, 3, 523, etc., 657. — V. Preller, Mythol. Rom.).]
[39] [Telles que les Sentences publiées sous les noms de Syrus et de Varron. — Publius Syrus fut esclave, et originaire d’Asie, son nom l’indique. Aux jeux donnés par César en 709 [45 av. J.-C.], il lutta contre Laberius, et l’emporta, ce qui valut à celui-ci cette apostrophe de César : Favente libi me victus es, Laberi, a Syro ! Ses mimes avaient été publiés, et jouirent d’une haute faveur dans le monde littéraire de Rome : Sénèque, Aulu-Gelle et Macrobe les citent souvent. La grâce, l’ingénieux du tour et de la pensée faisaient le principal mérite de son style. — Il paraît avoir vécu jusque sous Auguste.]
[40] Dans le Voyage aux enfers de Laberius, on voit passer toutes sortes d’individus qui ont vu des prodiges et des signes : à tel d’entre eux, est apparu un mari à deux femmes. - Sur quoi un voisin se récrie que c’est chose plus étonnante encore que les six édiles vus en songe par un devin ! Or, à en croire les commérages du temps, César aurait voulu établir la polygamie (Suétone, César, 52) ; et l’on sait qu’en réalité il porta les édiles de quatre à six. Il ressort aussi de là que si Laberius s’entendait au rôle de fou du prince, César, de son côté, lui laissait pleine carrière.
[41] [Les fragments qui nous restent de Laberius sont bien peu nombreux. Ils ont été publiés, notamment par Ziegler (de Mimis Romanoruam : Gœttingue, 1788, et par Bothe, Poetae scenici lat. t. V). Né vers 644, il serait mort à Pouzzoles, en 711 [43 av. J.-C.]. A en juger par le fragment fameux du Prologue (pp. 50 et 59), il se serait placé, par le style, entre Plaute et Térence : plus vigoureux et éloquent que ce dernier, vif et incisif comme le premier. Nous renvoyons à Macrobe, Saturnales, 2, 7. Il faut lire tout le chapitre où est rapporté l’incident reproché à César : il y cite et le prologue et quelques vers énergiques du poète, tels que ceux-ci, jetés le même jour à la face de l’Imperator :
A
çà donc, Romains, c’en est fait de la liberté !
Il
faut bien qu’il craigne le grand nombre, celui que le grand nombre craint !
[42] [Un jour les spectateurs admirent au cirque, un velum de soie des Indes, étendu au-dessus de leurs têtes (Pline, Hist. nat., 9, 57).]
[43] Le Sénat pour ses feux, par chaque représentation, lui allouait 1.000 deniers (300 thaler = 1.125 fr.), non compris la troupe, qui était également défrayée. Plus tard, il refusa personnellement tout honoraire. — [C’est ici le lieu de faire connaître les deux fameux acteurs.
Æsopus Claudius, l’acteur tragique, affranchi, sans doute, de quelque personnage de la gens Claudia. Il avait profondément étudié, et suivait au Forum les plaidoiries d’Hortensius et autres : plein de poids dans son débit et son geste (gravis Æsopus (Horace, Epist. 2, 1, 82 : gravior : Quintilien, Inst. orat. 11, 3, § 111), plein de feu et d’expression (tantum ardorem vulluum atque motuum. Cicéron, de Divin., 1, 37), il avait atteint les sommités de son art (summus artifex), et se fût fait partout sa place (Cicéron, pro Sest., 56). Comme Roscius, il fut le familier de Cicéron (noster familiaris :ad. Quint. frat. 1, 2) ; et jouant un jour le rôle de Télamon exilé d’Accius, il sut rappeler au public le souvenir du grand consulaire, fit applaudir sa hardiesse, et fut mille fois rappelé (millies revocatum est : pro Sest., 56-58). Lors de l’ouverture du théâtre de Pompée, il avait quitté la scène : il voulut y remonter dans cette occasion, mais la mémoire lui manqua (ad famil. 7, 1). Il laissa son immense fortune à son fils Clodius, qui la dévora rapidement (Smith. Dict. V° Æsopus. - Pauly’s Real Encycl. ibid.)
Q. Roscius Gallus naquit dans l’esclavage à Selontum, près Lanuvium (vers 625 [139 av. J.-C.]). Il acheta sa liberté, eut une sœur mariée à Quintius (pro Quint., 24, 25), et devint le comique favori des Romains. On a vu, par l’épigramme citée plus haut, qu’il était beau de visage et bien fait de corps. Son talent fit l’admiration de tous. Son caractère lui avait concilié l’amitié des plus grands parmi les Romains, Sylla, Cicéron, etc. Comme Ésope, il suivit les plaids du Forum, les leçons des rhéteurs, et s’exerçait à la déclamation avec les grands avocats. Entre lui et Cicéron surtout l’intimité était des plus étroites (amores et deliciae). Chacun aussi connaît le procès civil qu’il eut à soutenir contre Fannius et que plaida le même Cicéron, vers l’an 686 [-68] (pro Roscio). Il était savant (doctus : Hor., epist. 2, 1, 82) et écrivit un Traité où il comparait l’éloquence et l’art du comédien. Il avait le débit plus rapide qu’Ésope (citatior, Quintilien, Inst. or. 11, 3, § 111), excellant dans les rôles à mouvement et à passion, sans jamais cesser d’être noble. Le decere était pour lui la perfection de l’art. Il mourut vers 692 [-62].]
[44] [Les danseuses et les femmes-mimes étaient le plus souvent, comme chez nous, modernes, de riches courtisanes. On cite encore parmi les nobilissimae meretrices de l’époque, les mimes Arbuscula, Origo, etc. (Hor., Sat., 1, 2, 55, 57). Hortensius, à cause de sa mollesse efféminée, avait été nommé par dérision du nom de Dyonisia.]
[45] [Selon la
tradition allemande, M. Mommsen critique chez nous un état de choses qui n’est
plus exact. La montre de notre auteur retarde ; et chacun sait que le théâtre
français actuel n’a plus ni son Talma, hélas ! ni ses abonnés de l’École
classique. — Je reconnais d’ailleurs que la farce absurde a envahi les
scènes de second ordre : mais les Allemands et princes allemands ne sont-ils
pas des premiers, et chez eux et chez nous, à courir en foule aux
représentations de
[46] [La traduction de M. Mommsen est fort libre. Voici le texte de la pièce intitulée : in annales Volusii :
Annales de Volusius, sale papier pour le cabinet, à vous de payer pour le vœu de ma belle. Elle l’a promis à Vénus sainte et à Cupidon ! Si je lui suis rendu, si je cesse de lancer mes iambes ardents, elle va livrer au Dieu boiteux du feu les écrits les plus choisis du plus mauvais des poètes, elle les brûlera au bûcher de malheur ! …… Mais c’est vous qu’il faut jeter au feu, Annales de Volusius, pleines de rustiques balourdises, sale papier pour le cabinet ! (Cat., 36).
Du Volusius à qui s’adresse l’épigramme on ne sait rien. Il est question dans les lettres de Cicéron d’un Cnœus, ailleurs d’un Quintus Volusius qui l’aurait accompagné en Cilicie (703 [51 av. J.-C.], ad Att., 5, 21. - Ad fam., 5, 10, et 5, 20), et aurait enseigné l’éloquence. — D’autres critiques croyaient qu’il y a faute dans le texte catullien, et qu’il s’agit ici de Tanutius Geminus, nommé par Suétone (César, 9), et auteur d’une historia, Sénèque dit aussi combien elle est lourde et de quel nom où l’appelle (Tonusii scis quam ponderosi sint et quid vocentur - ep. 93). N’a-t-il pas en souvenir la cacata charta de Catulle ?]
[47] [M. Mommsen fait allusion à l’épisode de la peste d’Athènes (Thucydide, liv. 2, 47 et s.). Lucrèce a magnifiquement repris et imité l’énergique tableau du maître grec (de nat. rer., 6, 1136 et s.)].
[48] [De nat. rer., 1, 717 et s. — Il faut lire tout le magnifique passage terminé par ces vers :
Rebus
opima bonis, malta munito virum vi,
Nil
tamen hoc habuisse viro prœclarius in se
Nec sanctum magis, et mirum carumque videtur.]
[49] [De nat. rer., 3, 1056.]
[50] Sauf pourtant, il
semble, quelques exceptions. Ainsi il parlera du pays de l’encens,
[51] De nat. r., I. 57 et s. ; et II, 118 et s.
[52] Quoi de plus naïf, en effet, que ces peintures guerrières, de flottes brisées par les tempêtes, d’éléphants furieux écrasant leurs propres soldats, toutes images évidemment empruntées aux guerres puniques ? Lucrèce y parle comme s’il an était le témoin oculaire. — Cf. 2, 41 ; et 5, 1226, 1303, 1339.
[53] [Chose singulière, Cicéron ne parle de lui qu’en ternes froids : Ovide ne lui paye qu’un tribut vague, et Quintilien ne le comprend pas. Cicéron, ad Quint. frat., 2. 11. Lucrelii poemata... non multis tuminibus ingenii, multae tamen artis. – Ovide, de art. am., 1. 15. 23. – Quintilien, 10, 1, 81. — Mais Virgile et Horace l’ont souvent pratiqué. Aulu-Gelle, 1, 21.]
[54] [De rer. nat., 1, 521 et s.]
[55] Quelle distance entre le vers latin s’étalant dans sa grandiose harmonie et l’éclat de ses couleurs, et la plie imitation de M. de Pongerville. Tradutore, traditore !
Humana
ante oculos foede cum vita jaceret
In
Terris, oppressa gravi sub Relligione,
Quœ
capot a cœli regionibus ostendebat,
Horribili
super aspectu mortalibus instans,
Primus
Graius homo mortales tollere contra
Est
oculos osus, primusque obsistere contra.
Quem
nec fama Deum, nec fulmina, nec minitanti
Murmure
compressif cœlum ; sed eo magis acrem
Virtutem
inritat animi, confringere ut arcta
Naturœ
primas portarum claustra cupiret.
Ergo
vivida vis animi pervicit, et extra
Processit
longe flammantia mœnia mundi
Algue
omne immensum peragravit mente animoque.
Lucrèce nomme nettement la religion, les dieux, le ciel contre qui se dresse son philosophe (de nat. rer., 1, 63).]
[56] [De nat. rer., 2, 598 et s.]
[57] [Nous n’ajouterons rien aux pages brillantes qui précèdent. Rappelons seulement que Lucrèce, né à Rome vers 659, se serait suicidé, à 43 ans, en 703 [51 av. J.-C.], le jour même où Virgile prenait la robe prétexte. Saint Jérôme (in Euseb. Chronic. ann. 1918) prétend qu’il était devenu fou, ayant pris un philtre d’amour ; que dans les intervalles lucides, il aurait écrit plusieurs des livres de son poème ; que Cicéron les aurait ensuite corrigés, Mais c’est là un pur roman.
Si Gœthe, chez les Allemands, a voulu traduire Lucrèce, rappelons que chez nous Voltaire et Diderot le tinrent en haute estime, et que surtout Molière l’a imité dans une tirade fameuse du Misanthrope.]
[58] Vraiment, dit Cicéron (Tuscul., 3, 19) à propos d’Ennius, nos récitateurs à la mode des vers d’Euphorion tiennent en mépris le grand poète ? Et ailleurs, dans une lettre à Atticus (7, 2) : Je suis heureusement arrivé : le vent qui vient d’Onchesme [port de Chaonie, en Epire, en face de la pointe N. de Corcyre], nous a été on ne peut plus favorable, et nous a poussés d’Épire ici. Mais n’ai-je pas commis là un spondaïque ? Vends le comme tien à qui tu voudras parmi nos jeunes gens !
[59] [Valerius Cato, affranchi gaulois, fut à la
fois grammairien et poète. Il enseigna les lettres à Rome. (Suétone, Illust.
gramm., 11). Il avait une vogue énorme, et était surnommé
Il mourut vieux et pauvre, étant tombé en déconfiture,
et ayant fait à ses créanciers l’abandon de sa villa de Tusculum. — On connaît
de lui les titres d’un poème ou deux en vers épiques :
[60] [P. Terentius Varro Alacinus (né sur les bords de l’Aude, en Narbonnaise : 672-718 [82-36 av. J.-C.]), lettré grec et poète latin que, Velleius (1, 36) met sur la même ligne que Lucrèce et Catulle. Il écrivit un poème de Bello sequanico, paraphrasa l’Argonauticon d’Apollonius de Rhodes (Quintilien, 8, 1, 87), et copia Ératosthène, dans sa Chorographia ou Iter. Il avait laissé des satires, des élégies, des épigrammes (Anthol. lat., V, 48, 49). V. Wüllner, - Comment. de P. T. Varr. Alac. vira et scriptis, Munster, 1829.). - Ératosthène, de Cyrène, né vers 478 [-276], alla en Égypte et fut conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie. Devenu aveugle et fatigué de la vie, il se laissa mourir de faim, à 80 ans (558 [-196]). Il eut un immense savoir, inventa les cercles armillaires, le cribrum arithmeticum, et le premier voulut mesurer la terre par la méthode encore suivie de nos jours. Tous ses ouvrages d’astronomie, de géographie, d’histoire, de philosophie et de grammaire sont perdus, sauf de minces fragments, épars ça et là.]
[61] [Æmilius Macer, confondu souvent, et à tort, avec son homonyme, l’homériste, ami d’Ovide (Ovide, amor., 2, 18. Pontic. 2, 10) traducteur du traité en vers de Viribus herbarum (Ovide, Trist., 4, 43, Quintilien, 1, 56, 87 et 6, 3, 96), il serait mort en Asie, en 738 [16 av. J.-C.]. — Nicandros, poète, grammairien et médecin, natif de Claros en Ionie (565-619 [-189/-135)). De ses nombreux ouvrages, il nous reste deux poèmes sur les poisons et venins, et sur les antidotes.]
[62] [Millia quum interea quingenta Hortensius uno... etc. (Catulle, 94).]
[63] Né vers 640 [140 av. J.-C.] ; poète médiocre, dont il reste de très minimes fragments (v. Weichert, poet. lat.). Il avait publié des Anacreontica (Aulu-Gelle, 2, 21, 19, 9), ou ερωτοπαίγνια (Ausone, Cento nupt., 13), en iambiques dimètres.
[64] Helvius Cinna, il était des amis de Catulle, qui prédit l’immortalité a son poème.
Smyrna
mei Cinnæ nonarn post denique mensem
Quain
cœpta est, nonamque edita post hiemem
...............
Smyrnam incana diu sæculo pervoluent. (Cat., 94.)
[Le sujet de
[65] [Sic, la pièce 94,
sur
[66] [V. la pièce 64, de Berecynthia et Aty.]
[67] [V. l’Epithalame, pièce 65.]
[68] [V. le Carmen seculare ad Dianam, 35 ; Carmen nuptiale, 62.]
[69] [32, Ad Sirmionenn peninsulam, cf. 36.]
[70] [69, Ad Manlium, cf. 100, inferiœ ad fratris tumulum.]
[71] [62, Tulliœ et Manlii epithalamium.]
[72] [Nugæ, 1 : et ailleurs, ineptias.]
[73] [Aristide, l’auteur des Milesiaca, ou contes milésiens, fameux dans l’antiquité, et dont il nous reste un spécimen dans les métamorphoses d’Apulée et le Lucius de Lucien. A quelle époque a-t-il vécu ? Quelle fut sa vie ? on l’ignore.]
[74] Quand j’étais enfant, écrit-il quelque part (Catus, de liber. educ.), j’avais sur le dos une simple tunique, avec une toge sans bandelettes ; j’allais pieds nus dans ma chaussure : point de selle sur le dos de mon cheval ; le bain chaud ; pas tous les jours, le bain dans le fleuve, rarement. — Il fit ses preuves de bravoure, d’ailleurs, et commanda une subdivision de la flotte durant la guerre contre les pirates ; il y gagna la couronne navale.
[75] Héraclide fut disciple de Platon, à Athènes ;
et le maître, parlant pour
[76] [Ménippe, de Gadara (Syrie), esclave d’abord, s’adonna à la philosophie cynique (Diogène Lærte, 6, 99) : de ses écrits satiriques, et persifleurs, il ne reste rien que le nom qu’il a laissé, nom adopté par Varron, par Lucien, par J. Lipse chez les modernes (Satyr. Ménipp.), et, par notre fameuse Satire Ménippée. — Il est cité par Aulu-Gelle, 2, 18, Macrobe, 1, 11 ; et Cicéron, qui le mentionne dans ses Académiques (1, 2). — Frey, de vita scrisptisque Men. cynici et de sat. T. Varr. Coloniæ, 1843.]
[77] Quoi de plus enfantin que le tableau Varronien des diverses philosophies ? Varron commence par éliminer tout système qui ne se propose pas le bonheur de l’homme comme fin dernière ; puis cette distinction faite, il n’énumère pas moins de 288 philosophies diverses. L’habile homme était trop érudit pour convenir qu’il ne pouvait et ne voulait pas lui-même être philosophe. Aussi le voit-on, sa vie durant, danser une sorte de danse des œufs plus que maladroite entre le Portique, le Pythagoréisme, et le Cynisme (de Philosophia).
[78] [La laudatio Porcia, par exemple. — Il a écrit aussi cent cahier d’Hebdomades ou Imagines (Portraits historiques).]
[79] [L. Cœcilius Metellus Pius, bien souvent cité dans cette histoire. — Préteur en 665 [89 av. J.-C.], et l’un des chefs dans la guerre sociale : officier de Sylla contre Marius : consul en 674 [-80] : puis proconsul en Espagne, où il guerroie contre Sertorius. Il mourut en 691 [-63], grand pontife, et eut J. César pour successeur.]
[80] [De cultu Deorum. — C. Curio Scribonianus, le père du tribun et lieutenant de César. Il avait défendu Clodius dans le procès des Mystères de la bonne déesse ; il mourut en 701 [53 av J.-C.].]
[81] [Marius, de fortuna. — Sisenna, de historia.]
[82] [De scenicis originibus. Il s’agit ici du Marcus Æmilius Scaurus, qui fut lieutenant de Pompée en Judée. Édile curule en 696 [58 av. J.-C.], il donna à cette occasion des jeux d’une magnificence inouïe. Il fut ensuite préteur, puis propréteur en Sardaigne, qu’il pilla odieusement. Traduit pour concussion, défendu par Cicéron, Hortensius et autres, il est acquitté. Plus tard encore, en 702 [-52], il est accusé de brigue, et cette fois une condamnation le frappe.]
[83] [Atticus, de numeris.]
[84] [Atilius Serranus, consul en 648 [106 av. J.-C.]. Probablement Varron l’avait pris pour sujet, quoique stultissimus homo, au dire de Cicéron : il avait été élu contre Q. Catulus.]
[85] [V. tous ces titres et les fragments, dans l’édit. Bipontine du de lingua latina, de Varron (1788), I, pp. XX et 385, et s.]
[86] Veux-tu donc bredouiller (gargaridans), dira-t-il, les belles images et les vers de Clodius, l’esclave de Quintius, et t’écrier comme lui : ô sort ! ô destinée ! (Epistol, ad Fuflum). — Et ailleurs : Puisque Clodius, l’esclave de Quintus, a su faire tant de comédies sans l’aide de la muse, ne pourrais-je pas, moi, fabriquer aussi, comme dit Ennius, un unique petit livre ? (Bimarcus) — Ce Clodius, inconnu d’ailleurs, semble avoir été quelque pauvre imitateur de Térence. Je ne sais dans quelle comédie de Térence, en effet, se retrouve l’exclamation dont Varron se moque : ô sort ! ô destinée ! — Dans l’Âne joueur de luth, Varron met dans la bouche d’un poète, le portrait qui suit : On m’appelle élève de Pacuvius, qui fut élève d’Ennius, le disciple de la muse : pour moi, je me nomme Pompilius. N’y avait-il point là quelque parodie de l’introduction du poème de Lucrèce ? Varron avait rompu avec l’épicuréisme et s’était fait son ennemi : il dut se sentir peu de penchant pour Lucrèce, et ne le cite, que nous sachions, nulle part.
[87] [Chacun connaît la ville comique des Nuées d’Aristophane.]
[88] [Étrange devancier qu’ont eu les puritains anglais, Loue-Dieu-Barebone et autres !]
[89] [Il fut, a-t-on dit spirituellement, un glouton de livres (helluo librorum), le Gabriel Naudé de son temps : Il avait tant lu, qu’on s’étonne qu’il ait eu le temps d’écrire : il a tant écrit, qu’on a peine à croire, qu’il ait pu tant lire (S. Augustin, de civ. Dei., 6, 1.]
[90] Il dit quelque part, avec un grand sens, que sans aimer beaucoup les vieux mots, il en use assez souvent, et qu’aimant beaucoup les mots poétiques, il n’en use point.
[91] [De lingua
latina, en
[92] Nous empruntons les vers qui suivent à son esclave de Marcus (Marcipor) :
Soudain,
vers le temps de
Ailleurs, dans la ville humaine (Anthropopolis), il s’écrie :
Ni
l’or, ni les trésors ne te font la poitrine libre ; les montagnes d’or du
Perse, laissent le mortel en butte aux soucis et la crainte : et les portiques
du riche Crassus ne l’en exemptent pas !
Notre poète n’est pas moins heureux dans les vers légers. Dans la satire intitulée au Pot sa mesure, nous lisons un joli éloge du vin.
Le
vin pour tous est la plus agréable boisson ! Il est le remède qui guérit le
malade. Il est la douce semence de la joie ; il est le ciment qui unit les
convives !
Ailleurs enfin, dans la machine à forer le monde, le voyageur qui revient au pays natal, clôt par ces mots son adresse aux matelots :
Laissez
carrière au doux zéphyr, tandis que son aile légère nous ramène dans la chère
patrie !
[93] Les esquisses varroniennes ont une si haute importance historique et même poétique, elles sont connues d’un si petit nombre d’érudits, à raison de l’état fruste dans lequel nous sont parvenus. les trop rares débris qui nous permettent de les juger ; enfin il est si pénible d’arriver à les déchiffrer, qu’on nous saura gré peut-être d’en donner ici quelques passages rapprochés les uns des autres, en y ajoutant en petit nombre les restaurations indispensables pour leur intelligence. La satire du Matinal (Nanius), nous offre le tableau d’une maison rustique. Matinal réveille et fait lever son monde avec le soleil, et le conduit au travail. Les jeunes gens font eux-mêmes leur lit, que la fatigue leur rendra doux, et disposent la cruche d’eau et la lampe. Leur boisson vient de la source claire et fraîche ; pour nourriture, ils ont le pain, pour assaisonnement, les oignons. A la maison, et aux champs tout marche à souhait. La maison n’est point une œuvre d’art, mais un architecte y apprendrait la symétrie. Pour les champs, on veille à ce qu’ils soient en ordre et bien tenus, à ce qu’ils ne dépérissent point par négligence ou mauvaise culture. Cerès reconnaissante, protége les fruits contre tout dommage, et les meules hautes et fournies réjouissent le cœur du cultivateur. Là aussi l’hospitalité règne encore, et quiconque a sucé le lait d’une mère est le bienvenu. Chambre au pain, tonneaux à vin, saucissons pendus en foule à la poutre, clefs et serrure, tout est mis au service du voyageur, et les plats s’entassent devant lui : rassasié bientôt, l’hôte est assis, ne regardant ni devant, ni derrière, joyeux et approuvant de la tête, devant le feu de la cuisine. Va-t-il se coucher, on étend pour lui les plus chaudes peaux, de brebis à la double toison. Ici, l’on obéit, en bon citoyen, à la juste loi qui ne fait jamais tort à l’innocent par défaveur, et par faveur ne pardonne jamais au coupable. Ici l’on ne dit point de mal du prochain ! Ici, on ne salit point le foyer sacré avec les pieds ! Mais on honore les Dieux par le recueillement et les sacrifices : on offre au dieu lare son morceau de viande sur la petite assiette à ce destinée, et quand meurt le martre, on accompagne sa bière des prières déjà dites aux funérailles du père et de l’aïeul.
Dans une autre satire, un Affaire des anciens (Gerontodidascalus), se présente : la dépravation des temps en fait sentir le besoin plus que d’un maître de la jeunesse. Il enseigne comment autrefois tout était chaste et pieux dans Rome, tandis qu’aujourd’hui les choses sont bien changées. Mon œil me trompe-t-il ? Ne vois-je pas des esclaves en armes contre leurs maîtres ? — Jadis, quiconque ne se présentait pas à la levée des milices, était vendu à l’étranger comme esclave : maintenant le censeur de l’aristocratie, qui laisse faire les lâches, et laisse tout se perdre, est appelé un grand homme (magnus censorem esse) : il récolte l’éloge, dès qu’il ne vise point à se faire un nom en tracassant ses concitoyens ! — Jadis le paysan romain se faisait raser une fois la semaine [entre deux nondines] ; maintenant l’esclave des champs ne se trouve jamais assez propret. — Jadis, on trouvait sur le domaine une grange pour dix récoltes, de vastes celliers pour les tonneaux, et des pressoirs à l’avenant ; actuellement le maître a des troupes de paons, il incruste ses portes de bois de cyprès d’Afrique. Jadis la ménagère filait la laine de ses mains, tout en ayant l’œil au feu et à la marmite, et veillant à ce que la purée ne brûlât pas : aujourd’hui (et nous prenons ceci dans une autre satire) la fille mendie de son père une livre pesant de joyaux, et la femme un boisseau de perles de son mari. Jadis, dans la nuit des notés, l’homme se tenait coi et niais : aujourd’hui la femme se donne au premier bon côcher venu. Jadis les enfants étaient l’orgueil de la femme ; aujourd’hui, quand le mari souhaite des enfants, celle-ci de répondre : ne sais-tu pas ce que dit Ennius : Mieux vaut exposer sa vie dans trois batailles, qu’engendrer une seule fois ! — Jadis c’était joie complète pour la femme, quand une ou deux fois par an, le mari la menait à la campagne, sur un char sans coussins (arcera) ! Maintenant, ajoutait sans doute Varron (cf. Cicéron, pro Mil., 21, 55), la dame se fâche quand il part sans elle, et elle se fait suivre en route par sa valetaille élégante de Grecs, et par sa chapelle de musique ; jusqu’à la ville. — Dans un essai moral, Cacus ou de l’éducation des enfants (Cacus, vel de liber. educand.), Varron entretient l’ami qui lui demande conseil, des divinités auxquelles selon l’usage, antique, il convient de sacrifier pour le bien de l’enfant : de plus, il fait allusion au système intelligent des anciens Perses, à sa propre jeunesse élevée à la dure ; il défend l’excès de la nourriture et du sommeil, le pain trop fin, les mets trop délicats : les jeunes chiens, dit le vieillard, ne sont-ils pas aujourd’hui nourris plus judicieuse-ment que nos enfants ! – Et puis, à quoi bon tant de sorcières et tant de momeries, quand il faudrait au lit du malade le conseil du médecin ! — Que la jeune, fille se tienne à sa broderie, pour apprendre à s’y connaître un jour en broderie et en tissus : qu’elle ne quitte point trop tôt le vêtement de l’enfance ! — Ne menez point ces enfants aux jeux des gladiateurs : le cœur s’y endurcit vile et y apprend la cruauté !
Dans le Sexagénaire (Sexagesis) Varron se pose en Epiménide : endormi à l’âge de dix ans, il se réveille au bout d’un demi-siècle. Il s’étonne dé se retrouver avec la tête chauve au lieu de sa tête d’enfant court tondue, avec son affreux museau, avec le poil inculte d’un hérisson ; mais ce qui l’étonne le plus, c’est Rome tant changée. Les huîtres du Lucrin, jadis un plat de noces, se servent à tous les repas : en revanche, le débauché perdu de dettes apprête sa torche dans l’ombre (adest fax involuta incendio). Jadis le père pardonnait au fils : c’est le fils aujourd’hui qui pardonne à son père... en l’empoisonnant ! Le comice électoral n’est plus qu’une bourse le procès criminel, qu’une mine d’or pour le juré. On n’obéit plus qu’à une loi, une seule, ne rien donner pour rien. Les vertus ont disparu ; et notre homme à son réveil est salué par de nouveaux hôtes (inquilinœ), le blasphème, le parjure, la luxure. « Oh ! malheur à toi, Marcus, malheur à ton sommeil, et à ton réveil ! » A lire cette esquisse, on se reporte aux journées de Catilina. Et de fait, c’est peu de temps après Catilina, que notre vieil auteur l’a écrite (vers 697 [57 av. J.-C.]), et le dénouement plein d’amertume de la satire n’est point sans un fond de vérité. Marcus, rabroué comme il faut pour ses accusations intempestives et ses réminiscences sentant l’antiquaille (ruminaris antiquitates), est jeté du haut du pont dans le Tibre, comme un vieillard inutile. C’est la parodie d’une coutume primitive de Rome. De fait, il n’y avait plus de place à Rome pour de tels hommes.
[Pour ce qui est des Ménippées, nous renvoyons à l’édition spéciale d’Œhler, Leipzig, 1844. Enfin nous recommandons la lecture d’un article instructif et aimable de M. Charles Labitte, Revue des Deux-Mondes : août 1845.]
[94] [M. Caelius Antipater : Asellius, ou mieux P. Sempronius Asellio. Le premier avait écrit sept livres d’annales sur la seconde guerre punique : Asellio avait publié le récit de la guerre de Numance, à laquelle il avait assisté.]
[95] Voici un passage d’une harangue : Tu saisis ces innocents, tremblants de tous leurs membres, et tu les fais massacrer, au crépuscule du matin, sur la haute rive du fleuve ! On trouve chez lui passablement de phrases pareilles, bonnes au plus à mettre dans une nouvelle d’album de nouvel an.
[96] Clitarque, contemporain d’Alexandre de Macédoine, l’accompagna en Orient, et écrivit l’Histoire de ses guerres, en 12 liv. (Cicéron, Brut., 11. - de legib., 1, 2). Quintilien (10, 11, 74) dit que s’il se montre habile, en revanche, il ne mérite pas créance (fades improbatur). Quelques fragments nous en restent, mélange de fable et de merveilleux. Son style est chargé et emphatique (Sainte-Croix, Exam. crit. des hist. d’Alexandre, p. 41).
[97] [De la vie de L. Cornelius Sisenna, contemporain d’Hortensius, on sait seulement qu’il fut préteur, l’année où Sylla mourut (676 [78 av. J.-C.]). Il épousa la cause de Verrès (Cicéron, in Verr., 2, 45 : 4, 20). Enfin il fut lieutenant de Pompée dans la guerre des pirates. — Ses Historiæ, eurent grand succès, et Cicéron les proclame supérieures aux écrits plus anciens. Mais il blâme sa recherche de style et son penchant aux néologismes (Brutus, 76). — On n’a rien gardé de lui, que quelques mots sauvés par les grammairiens.]
[98] [Ses Annales allaient de l’incendie de Rome par les Gaulois à la dictature de Sylla.]
[99] [M. Mommsen a
souvent mentionné le nom de cet annaliste, l’une des principales-sources de
Tite-Live et de Diodore. Tribun en 681 [173 av. J.-C.], il accuse Rabirius, et
excite le peuple contre Sylla. Préteur
plus tard, il commet des concussions dans sa province, est accusé par Cicéron :
Crassus le défend. Condamné, il se suicide (Val. Maxime, 1, 1). Au jugement des
anciens, il ne se montre ni historien impartial, ni annaliste exact, tant s’en
faut, au point de vue chronologique surtout. Tite-Live raconte (4, 20, 23 et
[100] [Valerius Antias, contemporain de Sylla, souvent cité par Tite-Live, qui pourtant se méfie de ses inexactitudes chronologiques et de ses fables. Ses annales (il est fait mention des 74e et 75e livres), allaient de la fondation de Rome à Sylla. — V. Lieboldt, de Valer. Ant. annalium scriptore, Naumbourg, 1840).]
[101] [Poète et romancier prussien (1777-1843), bien connu en France, par le conte d’Ondine.]
[102] [On ne sait
presque rien de Cornelius Nepos,
si ce n’est qu’il était originaire de
[103] Il y a longtemps qu’on a, pour la première fois, émis la conjecture que le commentaire sur la guerre des Gaules a été publié d’un seul trait ; et la preuve en est dans ce fait, que dès le premier livre (28), on voit les Boïens et les Éduens mis sur le même pied, bien qu’au septième (10), les premiers soient indiqués encore comme sujets et tributaires des seconds. Ce n’est qu’à raison de leur conduite et de celle des Éduens dans la guerre contre Vercingétorix qu’ils ont été faits les égaux de leurs anciens maîtres. D’un autre coté, pour qui tient note attentive des événements, une allusion faite ailleurs à l’échauffourée milonienne (7. 6), montre assez que le livre a été publié avant l’explosion de la guerre civile : non pas, il est vrai, parce que César y loue Pompée, mais bien parce qu’il y approuve les lois d’exception de l’an 702 [52 av. J.-C.]. Il le pouvait et devait faire, tant qu’il avait l’espoir d’un accommodement avec son rival. Après la rupture, lorsqu’il cassa les condamnations prononcées aux termes de ces mêmes lois, devenues gravement dommageables à sa cause, l’éloge n’avait plus sa raison d’être. Donc, c’est bien à l’année 703 [-51], qu’il convient de placer la publication du Commentaire. — Pour ce qui est de l’objet et des tendances du livre, ils se manifestent clairement dans les efforts constants de César pour colorer par de spécieux motifs ses diverses expéditions utilitaires. A l’entendre, ce ne sont là que des actes défensifs nécessités par la situation des choses ; efforts, comme on sait, souvent malheureux, surtout en ce qui touche l’irruption en Aquitaine (3. 11). On sait qu’au contraire, les ennemis de César blâmaient comme absolument non provoquées ses attaques contre les nations celtes et germaines (Suétone, César, 24).
[104] [Il faut lire ces Lettres dans l’édition de Schulze, classées selon l’ordre chronologique (Hallé : 1811). — V. aussi le livre d’Abeken, Cicero in seinen Briefen (Cicéron dans ses lettres), Hanovre, 1835.]
[105] [Écrivains à un sou la ligne de la petite presse anglaise.]
[106] [Cicéron, effectivement, a écrit un nombre énorme d’ouvrages : on les classe d’ordinaire ainsi : 1° Rhétorique et Traités oratoires. 2° Traités politiques. 3° Philosophie morale. 4° Philosophie spéculative et métaphysique. 5° Théologie. 6° Discours et plaidoyers. 7° Correspondance générale. 8° Œuvres poétiques. 9° Œuvres historiques et Mélanges. — Quant au poème de Marius, auquel M. Mommsen fait allusion, il appartient à sa jeunesse et est antérieur à 682 [72 av. J.-C.]. On n’en connaît guère que quelques vers, parmi lesquels le magnifique fragment (cité par Cicéron lui-même, de Divinat., 1, 47), où Marius voit un aigle combattre et tuer un serpent, et s’envoler dans les airs vers le soleil levant. Il a cité aussi (ibid. 1, 11), une tirade de 71 hexamètres du poème sur son consulat. Il y énumère les prodiges avant-coureurs des crimes des Catilinariens. Enfin, un autre poème en trois chants, sur son temps (de meis temporibus), antérieur à 700 [-54], célébrait son exil, ses souffrances et son retour. Cicéron faisait bien les vers, et les cultiva toute sa vie à titre de passe-temps. Mais là encore, il laisse percer ses vanités et ses faiblesses. Témoin l’hexamètre dont Juvénal (10, 122), s’est moqué :
O
fortunatam natam me consule Romam !
Des Dialogues philosophiques, nous ne dirons rien. On ne peut nier qu’ils n’aient un grand charme de style : quant aux œuvres historiques ou mélangées, elles étaient nombreuses : citons des mémoires sur, sa conduite politique (de meis consiliis), sur son consulat : un panégyrique de César, un autre de Caton (dont il a été déjà parlé), un travail sur les Économiques de Xénophon, une Chorographie, etc.]
[107] [Il s’occupa de
travaux historiques, abrégea Fannius et Caelius Antipater, et, à la veille de
Pharsale, faisait des extraits de Polybe. Il écrivit aussi plusieurs traités
moraux, sur les Devoirs,
[108] [Il y a exagération encore dans cette assertion tranchante, d’une opposition littéraire anti-cicéronienne, chez tous les hommes de talent contemporains. Pour ne citer qu’un seul témoignage, remet-tons sous les yeux du lecteur un aimable envoi de Catulle (50): Le plus éloquent des Romains, passés et à venir, le meilleur de tous les avocats. — Voilà comme il l’appelle !
[109] [Il y a un fond vrai dans tout ce jugement ! Mais quelle exagération, quelle sévérité à outrance ! Nous n’y reviendrons pas, l’ayant maintes fois signalée. Sans doute, pour ne parler que de l’Éthique (de officiis), elle est un remaniement, une imitation du traité perdu de Panælius sur le Devoir. C’est Cicéron lui-même qui en convient (de off., 3, 7 : ad fam., 3, 11, 4 ; cf. de off., 1, 9), mais d’abord, il était toute une partie du livre grec restée inachevée, et que Cicéron a écrite de son propre fond (3, 34), nous voulons parler du conflit entre la vertu et l’utile. De plus, tout en suivant les divisions de son modèle, il s’écarte souvent de ses doctrines, et se montre indépendant jusque dans son éclectisme. — M. Mommsen a beau dire, le traité des Devoirs reste un chef-d’œuvre à lire et à méditer sans cesse.]
[110] [De lingua latina, déjà cité, en
[111] [De sermone latino. — De synonimis. — De antiquitate literarum. — De originibus lingue latinæ.]
[112] [Quœstiones Plautinae. — De comædiis Plautinis. — De scenicis originibus. — De actibus scenicis.]
[113] [Expression allemande d’école. Elle désigne les recherches des institutions et des antiquités, et l’explication matérielle des mots qui s’y rattachent.]
[114] [Antiq. rerum human. et divin, cité par Augustin de civit. Dei, VI, 2.]
[115] [De gente populi Rom. — De initiis surb. Rom. — De familiis Trojan.]
[116] [De vita popul. Rom. — De republ. — Nam nos in nostra urbe peregrinantes errantesque tanquam hospices tui libri quasi in domum perduxerunt, ut possemus aliquando, qui et ubi essemus, agnoscere (Cicéron, Acad., 1). Il faut lire tout le passage qui énumère les travaux et les services de Varron : mais qui finit par un coup de patte de rival en philosophie : ad impellendum salis, ad docendum parum. — Cf. Brut., 15.]
[117] On en trouve un remarquable exemple au traité de re rustica (2, 1). Il y divise la science du bétail en neuf fois trois fois trois (neuf) parties : plus loin il parle des cavales d’Olisipo (Lisbonne) que le vent rend fécondes. Tout le chapitre contient un étrange pêle-mêle de notions philosophiques, historiques et d’économie rurale.
[118] C’est ainsi qu’il fera dériver facere de facies, parce que faire, c’est donner figure à une chose : Volpes, renard, vient, dit-il avec Stilon, de volare pedibus, voler des pieds. — Gaius Trebatius, autre philologue et juriste contemporain, dérive sacellum de sacra cella ; Figulus, frater de fere alter, etc., etc. Et ce ne sont point là des faits isolés : la manie étymologique constitue au contraire l’élément principal de la philologie d’alors ; elle ressemble fort à la méthode naguère encore usitée dans la linguistique comparée ; alors que la théorie de la formation des langues demeurait encore un mystère, et qu’on n’avait point chassé les empiriques du temple.
[119] [De analogia, ou, selon Cicéron (Brut., 72)
de ratione loquendi, en
[120] [Les Académiques, les Tusculanes, le De finibus, etc.]
[121] [De principiis numerorum, en
[122] [De re rustica, en
[123] [De jure civili,
[124] [Pomponius parle
des nombreux ouvrages (quelque chose comme
[125] [Columelle, 12, 4, 2 et 44.]
[126] [Et l’un des affidés de César !]
[127] [Propert., 4, 3, 36.]
[128] [De re rust., 3, 3, 4.]
[129] [Cette construction singulière avait été élevée par Curion, le futur lieutenant de César. Pline, H. nat., 36, 24, 8.]
[130] [De sphaera barbarica et graecanica. — De animalibus. — De ventis. — De hominum naturalibus.]
[131] [V. Cicéron, in Verrem., act. 4, de signis, passim.]
[132] [Sic, au texte. — Pline, Hist. n., 35, 37.]
[133] [On se rappelle
la scène décrite par Plutarque, et les Bacchantes d’Euripide jouées par
des comédiens grecs devant le roi Parthe, au moment où on lui apporte la tête
de Crassus.]. Les Jeux grecs, en effet,
n’étaient pas seulement à la mode dans les villes grecques de l’Italie, comme à
Naples (Cie. pro Arch. 5,10 ; Plutarque, Brut. 21), par exemple :
ils avaient encore conquis droit de cité à Rome (Cie. ad fam. 7, 1 : ad
Att. 16, 5 : Suet. Cæs. 39 : Plut. Brut. 21). Nous
objectera-t-on l’inscription tumulaire bien connue de Licinia Eucharis, morte à
l’âge de 14 ans, inscription qui parait de la fin de l’époque actuelle (Corp.
Insc. Lat. n° 1049, p. 220), et où il est dit que cette jeune fille bien élevée, instruite dans tous les arts des muses, aurait donné, en sa qualité de danseuse, des
représentations privées dans les maisons du grand inonde ; et qu’elle se
serait, la première, produite en public, sur la scène grecque, à Rome (modo nobilium ludos decorari choro, et Græca in scena prima
populo apparui) ? Ceci ne veut dire qu’une chose, c’est qu’elle a
été la première jeune fille, qu’on ait vue à Rome monter sur le théâtre grec
public : et, en effet, c’est vers cette époque que les femmes commencent à se
montrer sur les planches. — Du reste, les Jeux
grecs ne paraissent point avoir été de vraies représentations
scéniques : ils appartenaient plutôt au genre de la déclamation accompagnée de
musique, qui fut aussi fréquemment pratiquée plus tard dams