Ainsi donc, entre les deux autocrates associés naguère, les armes allaient décider lequel serait désormais le maître absolu de Rome. A cette heure où va s’ouvrir la guerre, il convient de voir comment entre eux s’établit la balance des forces. Et tout d’abord la puissance de César avait sa base dans
l’empire même qu’il exerçait, sur son parti. Concentration pure des idées
monarchiques et démocratiques, son empire n’était rien moins que l’œuvre
d’une coalition que le hasard aurait formée et que le hasard eût pu dissoudre
: il avait ses racines au plus profond de la démocratie non représentative,
l’une et l’autre idée rencontrant en sa personne sa plus haute et dernière
expression. Dans la politique intérieure, dans les choses de la guerre, César
tranchait tout en premier et suprême ressort. En quelque honneur qu’il tint
tel ou tel instrument, d’ailleurs utile, c’était un instrument toujours qu’il
avait dans la main : à la tête de son parti, il marchait sans collègue ni
rival : n’ayant à ses côtés que des aides de camp militaires et civils tout
ensemble, qui, sortis presque tous des rangs de l’armée, et façonnés à
l’école du soldat, obéissaient sans demander ni le motif ni le but. Aussi, à
l’heure décisive de l’explosion de la guerre civile, tous, officiers et
soldats, tous, sauf un seul, se montrèrent passivement soumis ; et, chose
qui. démontre l’empire de César sur ses troupes, c’est que celui-là qui fit
résistance était précisément le premier entre ses lieutenants. Titus Labienus
avait partagé avec lui les dures épreuves des temps de la conjuration de
Catilina, et les gloires éclatantes de la conquête des Gaules : le plus
souvent il avait eu des commandements indépendants, et la moitié de l’armée
sous ses ordres : comme il était sans conteste le plus ancien, le plus habile
et jusque là le plus fidèle des auxiliaires du proconsul, il était aussi le
plus haut placé et le plus honoré. En 704 [50 av. J.-C.] même, César lui avait
confié Cette unité du commandement, elle se manifestait dans sa pleine énergie par l’efficacité même des instruments employés. L’armée venait en première ligne : elle comptait encore neuf légions d’infanterie (50.000 hommes au plus), qui toutes avaient vu l’ennemi en face, et dont les deux tiers avaient fait toutes les campagnes des Gaules. La cavalerie se composait de soldats venus de Germanie et du Noricum, éprouvés et façonnés par les combats avec Vercingétorix. Une guerre de huit années, traversée par mille vicissitudes, contre la nation des Celtes, brave assurément, si inférieure qu’elle fût aux Italiques sous le rapport militaire, avait fourni au proconsul l’occasion de donner à ses troupes l’organisation que, seul, il était capable d’achever. Tout service utile chez le soldat suppose sa vigueur physique : César en recrutant exigeait avant tout la force et la souplesse du corps : avoir du bien, de la moralité, n’était que secondaire. Une armée est une savante machine : facilité, rapidité du mouvement, voilà les conditions essentielles de son bon fonctionnement. Toujours prêts à lever le camp à toute heure, courant plutôt que marchant, les soldats de César sous ce rapport atteignaient la perfection. Ils ont été égalés peut-être, jamais surpassés. Parmi eux, sur toute chose naturellement, le courage avait son prix. César était passé maître dans l’art d’inspirer à ses hommes l’esprit de corps et l’ardeur de la rivalité guerrière : pour ceux mêmes qui restaient en arrière, le rang, les récompenses décernés à tel soldat isolé, à telle section de légion, constituaient la hiérarchie nécessaire des braves. Il les accoutumait à ne rien craindre, ne leur faisant point connaître, lorsqu’il le pouvait sans danger sérieux, l’imminence de l’attaque ou du combat, et les mettant soudain en face de l’ennemi. A côté de la valeur, il exigeait l’obéissance. Le soldat agissait sur l’ordre du chef, sans savoir ni pourquoi, ni comment : maintes fatigues inutiles lui étaient imposées, uniquement pour qu’il se façonnât à la dure école de la soumission aveugle, passive. La discipline était forte, mais non pénible : inflexible devant l’ennemi ; ailleurs et surtout après la victoire, César détendait les rênes : permis alors à tout bon soldat d’user de parfums, d’armes brillantes ou d’autres parures. Que s’il se commettait quelque brutalité, quelque violence grave, la chose n’intéressant point le service militaire, César fermait les yeux : excès de fols plaisirs ou même criminels, il tolérait tout, et n’entendait pas les plaintes des provinciaux victimes. La mutinerie en revanche ne rencontrait jamais de pardon, que les meneurs fussent isolés ou qu’un corps tout entier fût coupable. Mais pour le. vrai soldat, ce n’est point assez que d’être actif, brave et soumis : il doit l’être volontairement, librement, si je puis dire, et il n’est donné qu’au génie d’imprimer un mouvement puissant et vif à cette machine animée qu’il dirige par l’exemple, par les espérances, avant tout par la conscience qu’elle a de son utilité même. Le capitaine, pour demander aux siens la bravoure, a besoin d’avoir vu, avec eux, le danger face à face : César, à ce compte, n’avait-il pas plus d’une fois tiré l’épée ? N’avait-il pas combattu à l’égal des meilleurs ? En fait de fatigues et d’activité incessante, il n’exigeait de personne à beaucoup près autant que de lui-même. Il avait soin que la victoire, toujours et aussitôt profitable au général, offrit à ses soldats une moisson d’espérances et de gains. Il savait aussi, nous l’avons dit ailleurs, enflammer les siens de l’enthousiasme démocratique, si tant est qu’en ces temps prosaïques, il y eût place encore pour un enthousiasme quelconque. Il montrait aux milices transpadanes la contrée où elles étaient nées, promue un jour au partage de l’égalité civique avec les autres pays de l’Italie propre. Il va de soi que les récompenses matérielles ne manquaient point non plus à ses troupes, tant celles particulières données à tout fait d’armes saillant, que celles plus générales advenant au soldat exact et éprouvé : les officiers étaient dotés, les légionnaires recevaient des cadeaux, et devant leurs yeux s’ouvrait la perspective de largesses à profusion, venant le jour du triomphe. Mais où César, chef d’armée, n’avait point d’égal, c’était dans l’art de faire pénétrer dans tous les rouages de son immense machine guerrière, les plus minces comme les plus petits, la conscience de leur vraie fonction. L’homme ordinaire est destiné à servir : il ne regimbe point contre son lot, dès qu’il se sent sous la main du maître. Présent partout et à toute heure, le regard d’aigle du général planait sur l’armée. Impartial et, juste, qu’il eût à punir ou à récompenser, montrant à l’activité d’un chacun les routes les meilleures à suivre dans l’intérêt de tous, jamais il n’eût joué ou fait d’expérience avec les sueurs et le sang du plus mince de ses hommes. Il lui demandait au contraire un dévouement sans réserve et jusqu’à la mort, en cas de nécessité. Sans ouvrir tout l’appareil et le mobile de ses desseins, il ne lui déplaisait point qu’on eût autour de lui nommé un pressentiment de la situation politique et. militaire : par là, tous le saluaient général et homme d’État : il devenait leur idéal à tous. Il ne les traitait point en égaux, mais en hommes qui, ayant droit à la vérité, sont capables de l’entendre et doivent prêter foi aux assurances, aux promesses du chef, sans crainte d’un mensonge, sans souci des bruits qui circulent. Il les traitait en vieux camarades de guerre et de victoire : pas un, peut-être, qu’il ne connût par son nom, ou qui, d’une manière ou d’une autre, ne lui fût attaché par quelque lien personnel. Parmi tous ces bons compagnons il allait en pleine confiance, se jouant et conversant, leur témoignant cette familiarité accorte et vive qui était dans son génie. S’ils avaient à lui obéir, il avait à leur rendre service pour service : venger leur mort ou l’injustice soufferte était sa dette la plus sacrée. Jamais peut-être il ne s’est rencontré armée qui fût aussi complètement que celle-ci ce qu’il faut que soit toute armée, un instrument apte à son but, y concourant de son vouloir, toute dans la main du chef qui place en elle sa propre force et ses moyens d’action. Les légions de César étaient, en réalité, et se sentaient de pair avec un ennemi décuple. Ajoutons qu’aux beaux jours de la tactique romaine, où la lutte corps à corps et à l’épée tenait la principale place, les légionnaires exercés l’emportaient sur les recrues bien plus encore que sous le régime de l’art moderne[2]. Et quand déjà leur bravoure leur donnait sur tout adversaire un incontestable avantage, leur inébranlable et touchante fidélité envers César les plaçait dans l’estime même de l’ennemi à une hauteur où il ne pouvait atteindre. Fait inouï dans l’histoire, quand César les appela à le suivre sur la route de la guerre civile, nul ne le délaissa, officier ou soldat romain, nul, si ce n’est Labienus, ainsi que nous l’avons dit. Ses antagonistes avaient compté sur la désertion en masse de ses hommes[3]. Ils furent déçus. N’avaient-ils pas déjà misérablement échoué quand ils avaient voulu naguère disloquer son armée, à l’exemple de celle de Lucullus. Labienus lui-même arriva au camp de Pompée sans un seul légionnaire, ne menant derrière lui qu’une troupe de cavaliers celtiques et germains. Et comme s’ils tenaient à montrer que la guerre civile était leur affaire propre autant que celle,du général, les soldats césariens décidèrent entre eux qu’ils lui feraient crédit, et jusqu’à la fin, de la solde doublée qu’il leur avait promise au début des opérations : ils voulurent, à frais communs, subvenir aux nécessités des plus pauvres : enfin, chaque officier de troupe entretint de ses deniers un cavalier. César possédait la chose avant tout nécessaire : il avait
le pouvoir absolu, militaire et politique : il avait une armée sûre et
excellente au combat. Mais sa puissance ne s’étendait que sur un territoire
restreint : son assiette principale consistait dans la province de César entrait dans la lice, simple proconsul des Gaules,
n’ayant pour tous moyens d’action que d’habiles lieutenants, qu’une armée
fidèle et une province dévouée. Pompée, au contraire, en commençant le combat,
se pouvait dire, en réalité, le chef de toute On subissait donc chez Pompée, dans une énorme mesure, tous les inconvénients qui s’attachent aux coalitions formées entre pouvoirs ennemis pourtant, la coalition anti-césarienne ne laissait pas que d’être très puissante. Maîtresse des mers, sans conteste, elle avait aussi tous les ports, tous les vaisseaux, tout le matériel naval. Les deux Espagnes, apanage militaire de Pompée au même titre que les deux Gaules étaient celui de César ; se montraient fidèles et dévouées : des lieutenants surs et habiles y commandaient. Dans les autres provinces, partout, sauf dans les deux Gaules, les prétures et les proprétures avaient été, au cours des dernières années, confiées à des personnages également sûrs, créatures de Pompée ou de la minorité sénatorienne. Quant aux États clients, tous ils prenaient énergiquement parti pour Pompée contre César. Les princes les plus importants, les grandes cités, en contact fréquent avec Pompée aux anciennes époques de son active carrière, tenaient à lui par mille attaches personnelles et intimes. Compagnon d’armes des rois de Numidie et de Mauritanie pendant les guerres de Marius, il avait de sa main replacé le premier sur son trône : au cours des guerres contre Mithridate, il avait, sans compter une multitude d’autres principicules spirituels et temporels, rétabli les rois du Bosphore, d’Arménie et de Cappadoce, créé un royaume galate pour Dejotarus : tout récemment, enfin, et à son instigation, un de ses lieutenants avait porté la guerre en Égypte et restauré l’empire des Lagides. Il n’était pas jusqu’à Massalie, dans la province même de César, qui redevable d’ailleurs envers celui-ci de maintes faveurs, n’eût également reçu de Pompée, durant la guerre contre Sertorius, des extensions considérables de territoire : l’oligarchie y était toute puissante, et naturellement en alliance constante, fortifiée par cent rapports étroits, avec l’oligarchie romaine. Et comme si ce n’était point assez contre César de tant de contacts et de liens personnels, de ce nimbe de victoire rapporté des trois continents et refoulant dans l’ombre la gloire du conquérant des Gaules, le nom de celui-ci n’était-il pas le nom d’un héritier de Gaius Gracchus, connu jusqu’en ces lointaines contrées pour l’audace de ses idées et de ses projets sociaux, tenant pour nécessaire la réunion à Rome des États libres, et professant l’utilité des colonisations dans les provinces ? Parmi les dynastes indépendants, nul ne se voyait en proche péril autant que Juba, le roi des Numides. Jadis, du vivant d’Hiempsal, son père, il avait eu avec César lui-même une violente querelle[7]. Et Curion, ce même Curion qui aujourd’hui se plaçait au premier rang entre les lieutenants du proconsul, il avait tout récemment proposé au peuple l’annexion pure et simple du royaume africain. Que si, un jour, on devait voir entrer dans la lutte les voisins et les princes, le seul roi qui fût fort, celui des Parthes, concluait à ce moment alliance avec le parti aristocratique : Bibulus et Pacoros négociaient sur la frontière. César, au contraire, était de cœur trop haut, trop romain, pour jamais composer, dans un intérêt de faction, avec les vainqueurs de Crassus, son collègue et son ami. En Italie, nous l’avons dit, la grande majorité des citoyens se montrait hostile. Les aristocrates marchaient en tête avec leur nombreuse clientèle, puis la haute finance, non moins mal disposée : elle ne pouvait, au milieu des réformes complètes projetées par César, garder ses tribunaux de jury, accessibles aux passions de parti, et son monopole des extorsions financières. La cause démocratique ne comptait point de partisans chez les petits capitalistes, chez les propriétaires fonciers, et enfin dans toutes les classes ayant quelque chose à perdre : dans ces couches sociales, à vrai dire, on n’avait cure que d’une chose, la rentrée des intérêts à la due échéance, ou la réussite des semailles et des moissons[8]. L’armée que Pompée allait conduire consistait
principalement dans les troupes d’Espagne, en tout sept légions faites à la
guerre et solides sous tous les rapports : il y pouvait ajouter divers corps
stationnés alors en Syrie, en Asie, en Macédoine, en Afrique, en Sicile et
ailleurs, faibles pour la plupart et éparpillés au loin. En Italie, il
n’avait encore sous la main et prêtes au combat que les deux légions, naguère
reprises à César, dont l’effectif n’allait pas au delà de sept mille hommes.
Leur fidélité était plus que douteuse. Levées dans C’est dans ces conjonctures que la guerre commença aux
premiers jours de janvier 705 [49 av. J.-C.]. César n’avait sous la main qu’une seule
légion qui fût prête, soit 5.000 hommes d’infanterie et 300 chevaux. Il était
à Ravenne avec elle, à 50 milles (allem. = 100 lieues) environ de Rome, par la grande chaussée
publique [ Cependant César s’était mis en marche[15]. Deux routes
conduisaient alors de toute la garnison, se soulevant, arrête ses chefs et les livre à César, eux, l’armée et la ville (20 février)[27]. Là-dessus, 3.000 hommes cantonnés à Alba mettent bas les armes : 4.500 recrues, à Terracine, en font autant, lorsque paraissent les premiers cavaliers de César ; et auparavant déjà, un troisième corps de 3.500 hommes a dû capituler à Sulmo[28]. César maître du Picenum, Pompée regardait l’Italie comme perdue, et ne songeait plus à s’y maintenir : ce qu’il voulait, c’était différer son départ par mer, pour sauver le plus de monde possible. Il marcha donc lentement vers Brundisium, le port le plus voisin. Là, se concentrèrent enfin les deux légions de Lucérie, les recrues hâtivement levées dans l’Apulie, pays mal peuplé comme on sait, celles ramassées en Campanie par les consuls et leurs délégués (on les avait aussitôt dirigées vers la mer) : là foisonnaient les fugitifs de Rome et les plus notables sénateurs, accompagnés de leurs familles. L’embarquement se fit : il n’y avait point assez de vaisseaux pour emmener à la fois toute cette foulé qui comptait encore 35.000 têtes. Il fallut bien partager l’armée. La plus forte moitié partit (le 4 mars) ; et avec la moitié plus faible (10.000 hommes environ), Pompée attendit le retour de sa flotte ; car si désirable qu’il fût de rester maître de Brindes en vue d’une tentative ultérieure sur l’Italie, on ne savait que trop qu’il n’était pas possible d’y tenir longtemps devant César[29]. César arrive, et aussitôt commence le siége. Il tenta surtout de fermer le port à la bouche, par des digues et des ponts flottants, et d’empêcher la flotte républicaine d’y rentrer : mais Pompée avait armé en hâte tous les navires marchands qui se trouvaient sous la main : il réussit d’ailleurs à garder sa communication ouverte jusqu’à l’arrivée des galères. Quelle que fût la vigilance des assiégeants, en dépit du mauvais vouloir des gens de la ville, il fit très habilement sortir ses troupes intactes jusqu’au dernier homme, et les transporta en Grèce, hors de portée des coups de César (17 mars). Celui-ci, dépourvu de flotte, n’avait pu ni investir la place, ni poursuivre les Pompéiens. Ainsi, après deux mois de campagne, sans livrer même une seule grande bataille, César avait poursuivi, mis à néant une armée de dix légions, dont la moitié à peine avait précipitamment fui au delà de la mer. Toute la péninsule italique était tombée dans les mains du vainqueur, y compris la capitale, le trésor public, et les approvisionnements immenses partout amoncelés. Les vaincus ne disaient que vrai quand ils déploraient la stupéfiante rapidité, la vigilance et la vigueur du monstre ![30] Quoi qu’il en soit, l’évacuation de l’Italie, tout en étant pour César un grand gain ne laissait pas que d’être aussi un grand embarras. Militairement parlant, des moyens d’action considérables allaient faire défaut à Pompée pour affluer chez son rival. Dès le printemps de 705 [49 av. J.-C.], son armée, renforcée d’une multitude de contingents levés partout en masses, comptait un grand nombre de légions nouvelles ; en sus de ses neuf vieilles légions. Mais il lui fallait laisser en Italie une garnison puissante : il lui fallait prendre d’immédiates mesures pour empêcher le blocus auquel Pompée, maître absolu des mers, ne manquerait pas de tenir aussitôt la main : il fallait écarter de Rome la disette, suite de ce blocus. Toutes complications graves qui venaient s’ajouter à la tâche guerrière de César, déjà difficile par elle-même. Pour ce qui était des finances, il avait eu cette chance heureuse qu’on lui laissât le trésor public. Mais les principales sources de revenu lui étaient fermées : les tributs orientaux allaient se verser chez l’ennemi. Les besoins démesurément accrus de l’armée, les approvisionnements nécessaires à la population affamée de Rome, dévorèrent en un clin d’œil les sommes dont s’empara César, quelque grosses qu’elles fussent. Il se vit obligé bientôt de recourir au crédit privé, et ce moyen ne pouvant lui donner qu’un court répit, déjà l’on s’attendait à la seule issue qui semblait ouverte, au régime fatal des confiscations en masse[31]. Sous le rapport politique, César, en mettant le pied en
Italie, y rencontrait des difficultés encore plus sérieuses, nées de l’état
des choses. L’inquiétude était partout dans les classes qui possédaient : on
croyait à un bouleversement anarchique. Amis et ennemis voyaient, dans César
un second Catilina, et Pompée croyait ou affectait de croire qu’il n’avait
été poussé à la guerre civile que par l’impossibilité de payer ses dettes,
pensée tout simplement absurde. En réalité, les antécédents de César
n’étaient rien moins que rassurants ; et l’on s’effrayait bien plus quand on
jetait les yeux sur les hommes à sa suite ou de son entourage. Perdus tous de
mœurs et de réputation, tous débauchés notoires, les Quintus Hortensius[32], les Gaius Curion, les Marcus Antonius, ce
dernier beau-fils du catilinarien Lentulus, exécuté jadis par ordre de
Cicéron, se tenaient au premier rang à ses côtés : les postes de haute
confiance étaient donnés à des hommes qui depuis longues années ne songeaient
plus même à faire le compte de leurs dettes ; et l’on voyait les lieutenants
du proconsul, non pas seulement entretenir des danseuses — combien d’autres
en faisaient autant ! — mais parader en public avec des courtisanes[33]. Quoi d’étonnant
à ce que les citoyens sérieux, étrangers aux partis politiques, ne
présageassent que proclamations d’amnistie en faveur des criminels les plus
éhontés, naguère exilés de Rome, que radiation des livres de créance, que
confiscations ; proscriptions et meurtres, que pillages en règle par la
soldatesque gauloise lâchée dans les rues de Rome ? Mais le monstre en cela donna le démenti à ses amis
et ennemis. Et tout d’abord, en mettant le pied dans la première ville
d’Italie, dans Ariminum même, il avait défendu au simple soldat de se montrer
en armes, en dedans des murs : il avait protégé contre les excès toutes les
cités, quelles qu’elles fussent, qu’il y eût trouvé un bon ou un hostile
accueil. Quand le soir, sur le tard, la garnison révoltée lui livrait la
ville de Corfinium, il voulut, en dépit des traditions militaires, différer
l’occupation jusqu’au lendemain matin, craignant d’exposer les habitants à la
colère de ses soldats et aux hasards d’une entrée de nuit [B. C., 1, 21].
Les prisonniers faits sur ses adversaires étaient-ils de simples soldats ?
Comme il les savait indifférents en matière de politique, il les fondait dans
ses propres troupes. Avait-il affaire aux officiers ? Non content de les
épargner, il les relâchait sans distinction de personnes, sans exiger d’eux
aucune promesse ; et ce qu’ils réclamaient comme leur appartenant leur était
rendu sans difficulté, sans regarder de près au bien ou au mal fondé de leur
demande. Ainsi agit-il envers Lucius Domitius[34] : il renvoya
même à Labienus, jusque dans le camp ennemi, et son argent et ses bagages.
Malgré son extrême pénurie d’argent, il ne saisit jamais les biens énormes de
ses adversaires, absents ou présents ; et plutôt que de s’aliéner la classe
des propriétaires, en remettant en vigueur les contributions foncières,
légalement dues, mais tombées en désuétude, il aima mieux emprunter à ses
amis. A ses yeux, vaincre l’ennemi ne constituait que la moitié, moins que la
moitié de sa tâche ; et à l’entendre lui-même ; il ne pouvait imprimer à son
œuvre le cachet de la durée, qu’en faisant grâce aux vaincus[35]. De même on le
voit, le long de la route de Ravenne à Brindes, renouveler sans cesse auprès
de Pompée, et la demande d’une entrevue, et la proposition d’un arrangement acceptable[36]. Mais, de même
qu’auparavant elle n’avait rien voulu entendre ; de même, après son
émigration inattendue et honteuse, l’aristocratie, dans sa colère,
s’emportait jusqu’au délire ; et les menaces de vengeance dans la bouche du
vaincu faisaient étrangement contraste avec l’attitude conciliante du
vainqueur. La correspondance tous les jours échangée entre le camp des
émigrés et leurs amis restés en Italie, ne parlait plus d’autre chose que des
confiscations et des proscriptions futures, que de l’épuration du Sénat et de
l’État : auprès de ces beaux projets la restauration de Sylla n’avait été que
jeu d’enfants ; et les modérés du parti en ressentaient une juste épouvante.
Tant de folie à côté de tant d’impuissance, tant de modération au contraire et
de sagesse chez le plus fort, ne tardèrent point à produire leur effet. La
foule des gens pour qui l’intérêt matériel passait avant l’intérêt politique
se jeta dans les bras de César. Dans les villes de l’intérieur on portait aux
nues la loyauté, la douceur, la sagesse
du vainqueur : et ses adversaires eux-mêmes reconnaissaient qu’un tel hommage
lui était dû. La haute finance, les publicains et les chevaliers-juges, au
lendemain du désastreux naufrage du parti constitutionnel en Italie,
n’inclinaient aucunement à se confier plus longtemps à d’aussi tristes
pilotes : les capitaux revenaient sur l’eau et les
riches retournaient au travail quotidien de leurs registres d’échéances !
Et dans le Sénat, la grande majorité, quant au nombre tout au moins, — car, à
vrai dire, on n’y comptait que bien peu de sénatoriaux considérables et
influents, — en dépit des ordres de Pompée et des consuls, demeurait en
Italie, beaucoup même dans Rome, et s’accommodait du gouvernement césarien.
En se montrant indulgent au delà de toute mesure, César avait calculé juste :
bientôt se calmèrent les frayeurs et les angoisses des classes qui
possédaient, et le désordre ne menaça plus. C’était là un gain d’immense
conséquence pour l’avenir. Écarter l’anarchie, écarter les non moins dangereuses
terreurs de son attente, était la condition première et nécessaire de la
réorganisation de l’État. Pour le moment, cependant, la douceur de César lui
faisait plus de mal que s’il eût recommencé les fureurs des temps de Cinna et
de Sylla : ses ennemis ne se changeaient point en amis : ses amis lui
devenaient hostiles. Tous les Catilinariens à sa suite murmuraient, ne
pouvant ni tuer ni piller : tous ces enfants perdus, ces coureurs désespérés
d’aventures, hommes de talent souvent, ne donnaient que trop à prévoir les
plus dangereux écarts. Quant aux républicains de toutes nuances, le pardon du
vainqueur n’amenait ni leur conversion, ni leur apaisement. Selon le Credo
du parti catonien, le devoir envers la patrie déliait de tous les autres
devoirs : César vous faisait-il grâce de la liberté, de la vie ? Vous n’en
restiez pas moins en droit, vous étiez obligé même de reprendre aussitôt les
armes, ou tout au moins de comploter contre lui. Certaines fractions plus
modérées du parti constitutionnel s’arrangeaient assez de recevoir paix et
protection du nouveau monarque, elles n’en maudissaient pas moins du fond du
coeur et le monarque et la monarchie. Plus se manifestait en plein jour le
système nouveau de gouvernement, plus les sentiments républicains allaient s’affirmant
dans les consciences de la grande majorité des citoyens, aussi bien chez les
citadins de la capitale, davantage ouverts à la vie politique ; que chez les
populations plus énergiques des villes et des campagnes italiennes ; et les
constitutionnels de Rome pouvaient sans exagération mander à leurs amis dans
l’exil que toutes les classes, tous les individus étaient nettement
pompéiens. Cette disposition fâcheuse des esprits s’aggravait encore par la
pression morale que les hommes importants et énergiques du parti, tous en
émigration, exerçaient sur la cohue des petits et dés tièdes. L’homme honnête
se sentait un remords à ne point quitter l’Italie[37]. A ne point
prendre la route de l’exil, en compagnie des Domitius et des Metellus ; à
s’en aller s’asseoir au Sénat, à côté des mannequins de César, les demi
aristocrates se seraient cru retombés dans la plèbe. Il n’était pas jusqu’à
l’indulgence du maître qui ne donnât à cette opposition d’abord passive un
accent plus prononcé : César ne voulant pas du régime de la terreur, ses
adversaires cachés s’enhardissaient sans grand danger jusqu’à l’hostilité
déclarée. Il en fit promptement l’expérience, et cela au sein du Sénat. Il
avait commencé la lutte, voulant délivrer ce même Sénat, que ses oppresseurs
menaient par la peur. Le but une fois atteint, il voulut obtenir un bill
d’indemnité et en même temps faire voter la continuation de la guerre. En
conséquence, dés qu’il arriva devant les portes de Rome (fin mars), les
tribuns du peuple, ses adhérents, convoquèrent pour lui César. alors de proposer que le Sénat se fit auprès de
Pompée l’intermédiaire de ses offres de paix. A cela, nulle objection : mais
les menaces des émigrés contre quiconque restait neutre les glaçaient tous
d’effroi, et il ne se trouva personne qui voulût être l’envoyé de paix [B. civ., 1, 33].
L’aristocratie répugnait à aider César à bâtir son trône ; et le Collège
suprême montrait la même inertie qu’au jour tout récent encore où, grâce à
cette inertie même, le Triumvir avait pu rendre absolument illusoire la
nomination de Pompée à la dignité de généralissime de la guerre civile.
Demandant à son tour le même titre, il échoua pareillement. D’autres
obstacles étaient aussi devant lui. Voulant régulariser sa position quand
même, il souhaita la dictature, mais comment le faire dictateur ? Aux termes
de César, sans perte de temps, reprit les opérations
militaires. Il devait ses premiers succès à son système d’offensive, et il
entendait la continuer. La situation de son adversaire était singulière.
L’attaque subite partie du Rubicon ayant réduit à néant le premier plan de
Pompée, qui consistait à prendre César entre deux feux entre l’Italie et Ses adversaires ne s’y étaient point endormis. Le
proconsul désigné naguère par le Sénat pour lui succéder dans Mais celui-ci était déjà dans les Gaules : s’arrêtant de
sa personne devant Massalie investie, il mettait en mouvement la plus grande
partie de l’armée du Rhône, faisait filer six légions et sa cavalerie sur la
grande voie romaine, par Narbonne et Rhodè (Rosas), et devançait heureusement
l’ennemi. Quand Afranius et Petreius arrivèrent aux Pyrénées, déjà les
Césariens les occupaient en force : la ligne était perdue pour eux[47]. Ils prirent
alors position à Ilerda (Lérida), entre la chaîne au nord, et l’Èbre au sud.
Ilerda est à 4 milles [allem.
= 8 lieues] du fleuve sur la rive droite du Sicoris ( L’armée pompéienne dissoute, l’Espagne citérieure était
dans la main du vainqueur. Dans Presque à la même heure, Massalie faisait sa soumission.
Les Massaliotes investis avaient soutenu le siège avec une héroïque énergie :
ils avaient aussi lutté sur mer contre César. Là, ils étaient sur leur
élément et pouvaient espérer de puissants secours envoyés par Pompée,
celui-ci demeurant le maître incontesté de Pendant que dans l’ouest, et après maintes graves vicissitudes, la guerre se décidait en faveur de César par la soumission des Espagnes et de Massalie, et lui mettait ainsi dans les mains, captive jusqu’au dernier homme, la principale armée de Pompée, le sort des armes tournait de même pour lui sur un autre théâtre, où il avait jugé à propos, l’Italie une fois conquise, d’aller prendre aussi l’offensive. Nous avons dit déjà que les Pompéiens voulaient affamer
l’Italie. Ils avaient tous les moyens de le faire. Ils étaient maîtres de la
mer : partout, à Gadès, à Utique, à Messine, et principalement en Orient, ils
travaillaient avec ardeur à augmenter leurs flottes. Ils possédaient toutes
les provinces d’où la capitale pouvait tirer ses subsistances. Ils avaient
Marcus Cotta[65]
en Sardaigne et en Corse, Marcus Caton en Sicile. L’Afrique obéissait à Attius
Varus, qui s’y était improvisé général en chef, et à son allié, le roi
Juba, de Numidie. Il était d’absolue nécessité pour César de prévenir
l’ennemi et de lui enlever les provinces à blé. Quintus Valerius[66] alla en
Sardaigne avec une légion et força le commandant pompéien à quitter l’île[67]. S’emparer de Ainsi finit l’expédition envoyée par César en Sicile et en
Afrique. Elle ne laissait pas que d’avoir atteint son but principal. On ne peut savoir que par conjectures quelle influence les
faits de guerre de l’an 705 [49 av. J.-C.] exercèrent sur l’ensemble des plans de Pompée,
et surtout quel rôle il avait réservé à ses grands corps d’armée de l’ouest,
après la perte de l’Italie. Au camp d’Ilerda le bruit avait couru qu’il
appellerait à lui l’armée d’Espagne par la voie de terre, par l’Afrique et Si considérables que fussent les succès de la flatte
pompéienne en Illyrie, ils n’influaient pourtant pas puissamment sur
l’ensemble des opérations : ils semblent se réduire même à néant, quand l’on
voit que dans toute cette année 705 [49 av. J.-C.], si remplie d’événements immenses, ils
furent les seuls faits militaires à placer au compte des forces de terre et
de mer qui obéissaient directement à Pompée. Rien ne vint de l’Orient, où
tout s’amassait contre César, général en chef, Sénat, deuxième grande armée,
grandes flottes, approvisionnements militaires, énormes ressources
financières. A l’heure du besoin, l’Occident ne reçut nul secours. Sans
l’excuser, tout à fait, on expliquera, je le veux, cette inaction funeste des
soldats de terre, par l’absence de concentration des forces militaires
éparpillées encore dans toute la moitié orientale de l’Empire, par la méthode
même de Pompée, qui ne voulut jamais se mettre en mouvement, tant qu’il
n’avait pas la supériorité écrasante du nombre, par son indécision et sa
lenteur naturelle, par les dissensions même des coalisés entre eux. Encore
avait-on la flotte maîtresse sans conteste de La direction des préparatifs militaires, dans le camp de Macédoine, appartenait au général en chef. Difficile et entourée d’entraves qu’elle était par elle-même, la situation de Pompée n’avait fait qu’empirer après les événements malheureux de l’an 705 [49 av. J.-C.]. Aux yeux du parti, la faute en revenait principalement à lui : mais le parti jugeait mal, à beaucoup d’égards. L’issue malheureuse de bien des combats était due, sans nul doute, à l’ineptie, au défaut d’autorité des lieutenants, de Lentulus et de Domitius entre autres. Du jour où Pompée avait pris le commandement en personne, il avait habilement et bravement conduit l’armée : tout au moins avait-il sauvé du naufrage des forces considérables. C’était se montrer injuste que de lui reprocher de n’être point égal à César, en qui tout le monde aujourd’hui reconnaissait un génie supérieur. Quoi qu’il en soit, le succès seul en décidait. Ayant foi naguère en Pompée, lés constitutionnels avaient rompu avec César : aujourd’hui les suites déplorables de la rupture retombaient sur l’homme de leur choix. Non qu’ils songeassent à donner le commandement à un autre (chez les autres chefs on n’eût trouvé qu’incapacité notoire), mais la confiance dans le général en chef était comme paralysée désormais. Aux douleurs des défaites subies venaient s’ajouter les funestes effets de l’émigration. Parmi les fugitifs affluant au camp, on comptait beaucoup d’excellents soldats, beaucoup d’officiers capables, notamment ceux de l’ancienne armée d’Espagne : mais le nombre était petit de ceux qui venaient pour servir et se battre : ils disparaissaient perdus dans la foule énorme, effrayante, des généraux de salon qui se disaient Proconsuls, Imperators, au même droit que Pompée, et des élégants du beau monde, jetés plus ou moins à contrecœur dans la vie militaire active. Ils avaient apporté au camp les habitudes de la capitale, chose fâcheuse pour l’armée : leurs tentes se changeaient en aimables cabinets de verdure, au sol recouvert de frais gazons, aux parois garnies de lierre : la vaisselle d’argent chargeait leurs tables ou, dès le jour levant, circulaient les coupes. Quel contraste entre ces guerriers parfumés et les rudes grognards nourris d’un pain grossier à faire peur à leurs adversaires, quand encore à défaut de pain, ils ne vivaient pas de racines, et jurant qu’ils mâcheraient l’écorce des arbres, avant de céder d’une semelle [B. c., 3, 96,49]. Tenu déjà à toutes sortes d’égards nécessaires envers d’autres magistrats ses collègues, envers tout un corps mal affectionné à sa personne, Pompée se sentait les bras liés, et ce fut bien pis encore, quand il les vit se réunir jusque dans son prétoire, pour ainsi dire et dans de longues séances épancher les âcres venins que l’émigration fomente. Ajouterai-je qu’il n’était ni assez haut d’intelligence, ni de cœur assez ferme pour surmonter l’obstacle ? Il allait comme toujours, lent, embarrassé, caché. M. Caton, sans doute, avait une autorité morale suffisante, et en cas qu’on requît son assistance, son bon vouloir était de même assuré. Mais loin de l’appeler à l’aide, Pompée, méfiant et jaloux, le tenait à l’arrière-plan : dans la question si importante du. commandement en chef de la flotte, il lui avait préféré Bibulus, l’homme incapable, à tous les points de vue. Ainsi, en tout ce qui tient à la politique, autant d’actes, autant de fautes, fautes conformes à son génie ; et sous sa main, les choses, en mauvaise voie déjà, s’en allaient de mal en pis. Ailleurs pourtant, il fit preuve d’un louable zèle ; et quand il s’agit de l’organisation des forces militaires, disséminées mais nombreuses, des constitutionnels, il se montra à la hauteur de sa tâche. Le noyau de son armée consistait dans les troupes amenées
d’Italie : grossies des soldats de César capturés en Illyrie ; et des Romains
résidant en Grèce, elles formaient cinq légions. Il lui en vint trois autres
d’Orient, les deux légions de Syrie, formées des débris de l’armée de
Crassus, et une troisième comprenant les deux faibles légions de la station
cilicienne fondues dans ses cadres. Nul inconvénient au rappel de ces corps.
Les Pompéiens alors étaient en bonne intelligence avec les Parthes ; et l’on
aurait pu même en venir à l’alliance formelle, si Pompée n’avait point, à
contrecœur peut-être, refusé d’en payer le prix demandé, à savoir, la
rétrocession de la province de Syrie, jadis annexée par lui à l’Empire[93]. César, de son
côté, avait voulu envoyer deux de ses légions en Syrie, pour y reconduire le
prince Aristobule, qu’il avait trouvé captif dans Rome, et pour soulever de
nouveau les Juifs[94]. Mais diverses
causes, et surtout la mort d’Aristobule, firent échouer son projet. La flotte n’était pas moins nombreuse. On y voyait les
vaisseaux romains amenés de Brindes ou construits plus tard, ceux des rois
d’Égypte, des princes de Dans l’intention de Pompée, la flotte et l’armée devaient se tenir le long de la côte et dans les eaux d’Épire, massées et reliées ensemble pendant tout l’hiver (705-706 [49-48 av. J.-C.]). Déjà, Bibulus, son amiral, avait gagné son nouveau poste de Corcyre, avec 110 vaisseaux. Mais l’armée de terre, qui, pendant l’été, avait stationné à Berrhœa, sur l’Haliacmon[99], restait encore en arrière : elle se mouvait lentement sur la grande voie [Egnatienne] qui va de Thessalonique à la côte occidentale et à Dyrrachium, ses futurs quartiers ; et quant aux deux légions que Metellus Scipion amenait de Syrie, elles hivernaient en Asie-Mineure, à Pergame, attendant la venue du printemps. C’était en prendre bien à son aise. Les ports de l’Épire, au premier moment, n’avaient, pour se défendre, outre la flotte, que les milices locales, et les quelques levées faites dans les pays voisins. Ainsi l’on s’explique comment César, ayant eu sur les bras
dans l’intervalle la rude guerre espagnole, arrivait encore à temps pour
prendre l’offensive. Lui, du moins, il ne perd pas une heure. Il avait, de
longue main, préparé ses transports et réuni des navires de guerre à Brindes.
Aussitôt la capitulation de l’armée d’Espagne et de Massalie, ses plus
solides troupes, devenues disponibles, furent dirigées vers ce point. Il
avait demandé à ses hommes des efforts inouïs. Aussi, les fatigues, bien plus
que les combats, avaient diminué leurs rangs. L’une de ses quatre plus
vieilles légions, la neuvième, passant par Plaisance, s’était laissée aller à
la mutinerie, dangereux symptôme de l’état des esprits dans son armée : à
force de présence d’esprit, d’énergie et d’autorité, il comprima le mal[100], et rien ne
s’opposait plus à leur départ. Mais, de même qu’en mars précédent, il n’avait
pu poursuivre Pompée, de même, le petit nombre de ses navires paralysait
aujourd’hui l’expédition projetée. Les vaisseaux commandés dans les arsenaux
des Gaules, de Sicile et d’Italie n’étaient pas prêts encore, ou n’étaient
point arrivés à Brindes : l’escadre de l’Adriatique avait péri, l’année
d’avant, dans les eaux de Curicta : il n’avait sous la main que 12 vaisseaux
de guerre, et quelques navires de charge, à peine en nombre. suffisant pour
recevoir et transporter en Grèce le tiers de son armée, qui comptait alors 12
légions et 10.000 chevaux. L’ennemi avec ses nombreuses flottes commandait
toute l’Adriatique, tous les ports et les îles de la côte orientale. On se
demande, les choses étant ainsi, pourquoi César, au lieu de la voie de mer,
n’avait pas pris celle de terre par l’Illyrie[101] : il
évitait par là, tous les dangers qui le menaçaient du chef de l’amiral
ennemi, et pour ses troupes, revenant la plupart des Gaules, le chemin eût
été plus court que le détour par Brundisium. Sans doute, l’Illyrie était
affreusement rude et pauvre : mais, combien d’armées ne l’ont pas traversée
peu après ! Et puis, était-ce là un obstacle qui dût paraître invincible au
conquérant des Gaules ? Sans doute, j’imagine, César a pu craindre que,
pendant qu’il s’avancerait péniblement en ‘contournant le fond de
l’Adriatique, Pompée ne se jetât avec, toutes ses forces de l’autre côté de
lamer, et renversant les rôles, n’allât occuper l’Italie, pendant que son
adversaire s’enfonçait en Macédoine. Mais, chez Pompée, l’homme lent par
excellence, un mouvement si brusque, un tel coup d’audace était-il bien à
prévoir ?[102]
Peut-être qu’en prenant son parti, César avait espéré, pouvoir réunir à temps
une flotte respectable : peut-être aussi ne connut-il le véritable état des
choses. qu’à son retour d’Espagne, alors qu’il était trop tard pour modifier
ses plans. Peut-être enfin (très vraisemblablement, devrait-on dire, quand l’on songe à son
génie plein d’ardeur et de rapide décision), qu’il céda, ce jour-là, à
l’irrésistible tentation qui s’offrait de se jeter soudain, témérairement
même, à la traverse du dessein de Pompée, et d’occuper à l’improviste la côté
de l’Épire, où, sous peu, l’ennemi voulait se, porter en masse. Quoi qu’il en
soit, le 4 janvier 706 [48
av. J.-C.][103], César mit à la
voile avec six légions, fort affaiblies [in fréquentiores]
par l’excès des fatigues et des maladies, et avec 600 cavaliers [B. c., 3, 2].
On fit route droit sur la côte d’Épire. C’était le pendant de l’imprudente
descente en Bretagne. Ce nouveau dé jeté, le coup fut d’abord heureux. On
atterrit sous les roches Acrocérauniennes (ou de Chimara)[104], dans la rade
infréquentée de Paleassa (Paljassa
aujourd’hui). Les Pompéiens avaient vu passer la flottille, et
d’Oricum (baie d’Avlona),
où ils avaient 18 vaisseaux à l’ancre, et aussi du quartier général de la
flotte, à Corcyre. A Oricum, on se crut trop faible : à Corcyre, on n’était
point prêt à mettre à la voile. Le premier convoi s’effectua sans
empêchement, et les troupes débarquèrent. Pendant que ses navires se
remettaient en mer pour aller prendre un second chargement, César franchit le
soir même les Monts Aerocérauniens. Ses succès, au début, furent grands,
aussi grands que la surprise de l’ennemi. Nulle part les milices épirotes ne
font résistance : les places maritimes importantes d’Oricum (Eriko) et d’Apollonie [à l’embouchure de l’Aoiis,
aujourd’hui Mais la suite de la campagne ne répondit point à ses débuts éclatants. Bibulus, coupable de négligence à la première heure, redoubla d’efforts et répara ses fautes en partie. Capturant d’abord trente transports environ qui s’en retournaient à Brindes, il les fit tous brûler, corps, biens et équipages : puis, il établit sur toute la côte, de l’île Sason (Saseno) à Corcyre, la surveillance la plus étroite, malgré la rigueur de la saison, malgré la difficulté du ravitaillement de ses croiseurs, auxquels il fallait tout apporter de Corcyre, jusqu’au bois et à l’eau. Il mourut bientôt, épuisé par tant de fatigues inaccoutumées [B. c., 3, 7-8 & 18]. Libo, son successeur, parvint à bloquer quelque temps le port de Brindes, jusqu’à ce qu’enfin le manque d’eau le chassât lui-même de l’îlot placé au débouché du port, où il s’était posté. Impossible aux officiers de César de lui amener le second corps d’armée [B. c., 3, 23-24]. Quant à lui, il n’avait pas pu s’emparer de Dyrrachium. Les messagers de paix qu’il avait envoyés à Pompée avaient appris à celui-ci les préparatifs de son adversaire, et sa descente prochaine sur la côte de l’Épire[105]. Accourant à marches forcées, il avait pu se jeter encore à temps dans l’importante place d’armes. La position de César devenait critique. Quoiqu’il s’étendit en Épire aussi loin que le lui permettait l’exiguïté de ses forces, ses subsistances n’étaient ni faciles ni assurées, pendant que les Pompéiens, en possession des magasins de Dyrrachium et maîtres de la mer, avaient toutes choses en abondance. A la tête de quelque 20.000 au plus, comment offrir le combat à une armée du double supérieure ? César dut s’estimer heureux d’avoir affaire à un antagoniste méthodique, comme était Pompée. Celui-ci, au lieu d’en venir aux mains sans tarder, avait planté, son camp d’hiver sur la rive droite de l’Apsos [Beratino], entre Dyrrachium et Apollonie. Là, ayant César en face de lui sur la rive gauche, il attendait le printemps, comptant l’écraser alors sous le poids irrésistible de ses forces, augmentées des légions qui arrivaient de Pergame. Les mois se passaient. S’il laissait la belle saison s’ouvrir ; s’il recevait enfin les puissants renforts, attendus, et retrouvait le libre usage de sa flotte, la position de César n’ayant point changé, celui-ci semblait voué à la destruction, emprisonné qu’il était avec sa petite armée dans les rochers de l’Épire, entre les innombrables navires de l’ennemi, et sa grosse armée de terre. Déjà l’hiver tirait à sa fin. On n’avait plus d’espoir que dans les transports : comment, sans témérité folle, tenter de forcer les lignes du blocus, soit les armes à la main, soit à l’aide de la ruse ? Et pourtant, après l’audace inouïe du premier débarquement, une seconde et pareille audace était devenue nécessité. César, mieux que personne, sentait quel jeu désespéré il jouait. Un jour, dit-on, il voulut, impatient des retards de sa flotte, retraverser la mer, tout seul ; dans une barque de pêcheur, et s’en aller chercher son monde à Brindes. Entreprise insensée, qu’il aurait abandonnée faute d’un nautonier[106] ! Quoi qu’il, en soit, il n’était pas besoin qu’il se
montrât en Italie. Le fidèle lieutenant qu’il y avait laissé, Marc Antoine,
n’hésita pas à dégager et sauver son chef à tout prix. Les transports
quittèrent une seconde fois le port Brindes, portant k légions, 800
cavaliers, et par une heureuse fortune, fuyant devant un vent violent du sud,
elles défilèrent devant les galères de Libon. Mais, en même temps qu’il
protégeait l’escadre, le vent l’empêchait d’aborder, comme elle en avait
l’ordre, sur la côte d’Apollonie : elle passa en vue des camps de César et de
Pompée, et gouverna, au nord de Dyrrachium, sur Lissos, dont les habitants
heureusement encore tenaient pour César[107]. A la hauteur
de la rade de Dyrrachium, les galères rhodiennes s’élancèrent à force. de
rames à sa poursuite : Antoine n’eut que le temps d’entrer dans le port de
Lissos ; déjà l’escadre ennemie se mon-trait. A ce moment le vent tourna tout
à coup, et refoula les croiseurs ; quelques uns même allèrent aux rochers de
la côte. Par un prodige de bonne fortune, le second convoi des Césariens
avait pu atteindre l’Épire. Antoine et César étaient ; il est vrai, à quatre
jours de marche l’un de l’autre, Dyrrachium et toute l’armée de Pompée entre
les deux. Mais Antoine accomplissant une marche périlleuse par les passes du
Graba Balkan, tourna la forteresse et rejoignit, sur la rive droite de
l’Apsos, César qui de son côté venait à lui. Pompée avait en vain tenté
d’empêcher la réunion des deux corps ennemis, et de contraindre Antoine à
subir seul le combat[108]. Il s’en alla
se poster ailleurs, près d’Asparagion, sur le Genusos (Uschkomobin), torrent qui coule parallèlement
à l’Apsos, entre celui-ci et Dyrrachium : là, il se tint de nouveau immobile[109]. César se
sentait assez fort maintenant pour livrer bataille : il ne put y entraîner
son adversaire. En revanche il sut le tromper, et répétant avec ses troupes,
meilleures marcheuses, la manœuvre d’Ilerda, il se glissa entre la place et
le camp de Pompée, qui s’appuyait sur elle. La chaîne du Graba Balkan, qui va
de l’Est à l’Ouest, se termine à l’Adriatique, en y projetant l’étroit
promontoire de Dyrrachium : à trois milles à l’est de la ville, il s’en
détache un tronçon qui, décrivant une ligne courbe vers le sud-est, va
pareillement vers la mer : entre la chaîne principale et son prolongement
secondaire, s’étend une petite plaine fermée jusqu’aux récifs du rivage. Là
Pompée alla planter son camp ; et quoique séparé de Dyrrachium par les
Césariens, du côté de terre, il restait par sa flotte en communication
constante avec la place ; il en tirait facilement et en abondance tous les
approvisionnements dont il avait besoin. Quant aux Césariens, malgré les
forts détachements qu’ils lançaient dans le pays derrière eux, malgré tous
les efforts de leur général, leurs hommes du train ne marchaient pas
régulièrement, tant s’en faut, et par suite les munitions ne leur arrivaient
point à heure fixe : de là la gêne et la souffrance : au lieu du blé de
froment, nourriture habituelle des troupes, il leur fallait souvent vivre de
viande, d’orge ou même de racines[110]. César veut
avoir raison de l’obstination passive de son flegmatique rival. Il occupe
tout le cercle des hauteurs qui environnent la plage où campe Pompée dans son
camp. Il annulera ainsi la cavalerie ennemie, supérieure à la sienne ; il
pourra sans crainte opérer contre Dyrrachium, ou encore il obligera Pompée à
se battre ou même à s’embarquer. Mais déjà la moitié presque des Césariens
avait été détachée à l’intérieur, et c’était courir une dangereuse aventure
que de vouloir tenir assiégée une armée du double environ plus nombreuse,
compacte et s’appuyant sur la mer et sur sa flotte[111]. Les vétérans
de César ne s’en mirent pas moins à l’œuvre. Au prix d’indicibles labeurs,
ils enfermèrent le camp pompéien dans une ligne de redoutes de trois milles
et demi [allem. = 7
lieues] : puis, comme à Alise, à cette circonvallation intérieure, ils
ajoutèrent une contrevallation au dehors, pour se couvrir contre la garnison
de Dyrrachium et les attaques à revers, si faciles pour Pompée, grâce à sa
flotte. Celui-ci tenta souvent, se jetant sur une redoute, puis sur une
autre, de rompre les lignes : mais il n’en vint point à la bataille
générale, et loin d’empêcher son propre investissement, il construisit à son
tour devant son camp un certain nombre de redoutes, réunies entre elles par
un retranchement continu. Des deux côtés on se fortifiait, poussant devant
soi aussi loin que faire se pouvait. Interrompus sans cesse par les combats
partiels, les travaux n’avançaient que lentement. Les Césariens, d’autre
part, avaient affaire sur leurs derrières aux gens de Dyrrachium : César
avait noué des intelligences dans la place et espérait s’en rendre maître :
la flotte ennemie l’en empêcha. Ainsi, sur tous les points on avait les armes
à la main : un jour, le plus chaud de tous, on se battit en six endroits à la
fois. Habituellement, grâce à leur valeur éprouvée, les soldats de César
avaient le dessus dans ces escarmouches ; et l’on vit même une simple
cohorte, dans ses lignes, tenir tête durant plusieurs heures à quatre-
légions, qui reculèrent enfin lorsque arriva du secours[112]. D’aucun côté,
nul succès décisif : mais peu à peu les Pompéiens investis souffraient. En
détournant les ruisseaux qui tombaient des montagnes dans la plaine, César
les réduisait à l’eau des sources, rare et mauvaise à boire [B. c., 3, 49.].
Ils souffraient davantage encore du manque de fourrage pour les bêtes de
train et les chevaux, la flotte n’y pouvant suffisamment pourvoir. Comme les
animaux mouraient en masse, on les fit transporter à Dyrrachium : mais là
aussi ils trouvèrent la disette [Ibid., 3, 58]. Pompée ne pouvait plus différer. A tout
prix, il lui fallait frapper un grand coup et se dégager d’une position
devenue difficile. A ce moment il apprit par des transfuges gaulois que César
avait omis de fermer sur la plage par une muraille transversale ses deux
lignes de redoutes, distantes de César n’avait pas seulement fait de sensibles pertes et vu d’un seul coup tomber ses lignes et ces travaux de géants qui lui avaient coûté quatre mois : au lendemain des derniers combats livrés, il se trouvait juste ramené au point de départ. Plus que jamais, la mer lui était fermée, surtout depuis que l’aîné des fils de Pompée, Gnæus, surprenant quelques navires de guerre Césariens dans le havre d’Oricum, les avait hardiment attaqués, brûlés en partie, en partie capturés, puis, presque aussitôt, avait de même réduit en cendres les transports laissés dans Lissos [B. c., 3, 40]. Impossible désormais d’attendre de Brindes de nouveaux renforts venant par mer. La cavalerie nombreuse de Pompée, dégagée maintenant de tous les obstacles, se répandait aux alentours et allait couper César de ses approvisionnements déjà si difficiles. Il y avait eu plus que de l’audace à. César à prendre, sans flotte, l’offensive contre un ennemi qui tenait la mer, et l’insuccès était complet. Sur le terrain qu’il s’était choisi, il s’était heurté contre des obstacles défensifs invincibles. Il ne fallait plus songer à donner l’assaut à Dyrrachium ou à livrer à l’armée pompéienne une bataille décisive. Pompée, au contraire, n’était-il pas le, maître de choisir l’occasion et l’heure et de se jeter sur son rival en péril de famine ? La guerre était à son solstice. Jusque là, Pompée avait joué, ce semble, sans avoir son jeu à soi, arrangeant sa défense selon l’attaque de chaque jour. En quoi il n’était point dans son tort, car à faire durer la guerre il façonnait ses recrues, il laissait à ses réserves le temps d’accourir, il assurait et développait la prépondérance écrasante de sa : flotte dans les eaux de l’Adriatique. Néanmoins les échecs de César devant Dyrrachium n’eurent point les conséquences fatales que son rival était fondé, peut-être, à en attendre : quand on les croyait en pleine dissolution, sous l’étreinte de la faim ou par l’effet de la révolte, les vétérans de César attestèrent cette fois encore leur magnifique énergie militaire. Quoi qu’il en soit, César était battu sur le champ de bataille, battu dans sa grande opération stratégique : il semblait qu’il ne pût ni se tenir là où il campait, ni changer utilement sa position : Pompée était vainqueur à lui appartenait maintenant
l’offensive et il voulait la saisir. Trois moyens lui étaient ouverts pour faire
fructifier sa victoire. Le premier, le plus simple de tous, consistait à ne
pas laisser le vaincu respirer, à le poursuivre à outrance s’il quittait le
terrain. Pompée pouvait aussi laisser César en Grèce avec sa principale armée
et passer lui-même en Italie, ainsi qu’il s’y était de longue main préparé,
emmenant le gros de ses troupes. Là, il avait pour lui le vent de l’opinion,
décidément hostile à César, et anti-monarchique. Après le départ pour Si Pompée avait le choix, il n’en était point de même pour
César. Battu deux fois de suite, il fit retraite vers Apollonie[121]. Pompée le
suivit pas à pas. Ce n’était point chose facile que de défiler ainsi de
Dyrrachium à Apollonie, sur une route difficile, coupée de nombreux torrents,
avec une armée vaincue, avec le vainqueur sur ses talons : mais César était
là, dirigeant la marche avec son habileté ordinaire, et ses infatigables
fantassins lassèrent Pompée qui s’arrêta après quatre jours d’une inutile,
poursuite. Qu’allait-il décider ? Allait-il essayer la descente en Italie ?
Valait-il mieux rentrer dans l’intérieur du pays ? La première entreprise
était tentante : beaucoup la conseillaient[122]. Mais Pompée ne
voulut pas abandonner le corps de Metellus Scipion. D’ailleurs, en prenant
cette direction, il espérait rencontrer et détruire Domitius Calvinus. A
cette heure, en effet, celui-ci, placé sur la voie Égnatienne, sous Héraclée
de Lyncestide, se trouvait pris entre Scipion et Pompée. César, retiré
sous Apollonie, était beaucoup plus loin de lui que la grande armée des
constitutionnels. Calvinus ne savait rien d’ailleurs des événements de
Dyrrachium ni même de son propre danger. Après les revers récents, tout le
pays s’était retourné vers Pompée, et les messagers de César étaient partout
enlevés. L’armée de Pompée n’était plus qu’à peu d’heures de lui quand il
apprit l’état des choses par le récit des avant-postes ennemis. Aussitôt et à
la minute extrême, il se dérobe à l’orage qui va fondre sur lui et se jette
vers le sud. Pompée du moins avait dégagé Scipion[123]. Cependant
César était arrivé à Apollonie sans combats nouveaux. Après la catastrophe de
Dyrrachium, il prit de suite son parti. Il lui importait de changer le
terrain de la lutte et de quitter la côte pour l’intérieur : ainsi faisant,
il mettait hors de jeu la flotte de Pompée, cause finale des échecs subis
dans toutes ses récentes entreprises. En regagnant Apollonie où étaient ses
dépôts, il n’avait qu’un but : y mettre ses blessés en lieu sûr, et y payer
leur solde à ses troupes. Cette tâche accomplie, il se remit aussitôt en
marche pour Ainsi s’annulaient pour Pompée les résultats premiers de
ses deux victoires. Avec toute sa lourde armée, avec sa nombreuse cavalerie,
il n’avait pu suivre son rapide ennemi jusque dans le massif des montagnes.
César et Calvinus s’étaient dérobés tous les deux, s’étaient rejoints et
occupaient en sûreté le pays de Thessalie. Peut-être eût-ce été le moment
pour les coalisés de s’embarquer en masse et sans délai pour l’Italie. Le
succès les y attendait. Une division de la flotte avait pris les devants et
mis le cap sur Il avait toute son armée sous la main. César, au contraire, attendait encore sa division de près de deux légions, détachée naguère en Étolie et en Thessalie sous les ordres de Quintus Fufius Calenus[129], en, ce rhument posté en Grèce, et les deux légions de Cornificius qui, venant d’Italie par terre, arrivaient justement en Illyrie. L’armée de Pompée, comptant 11 légions ou 47.000 hommes et 7.000 chevaux, était deux fois plus forte que celle de César en infanterie, et sept fois supérieure en cavalerie : les 8 légions de César, décimées par les fatigues et les combats, ne pouvaient mettre chacune que 2.200 hommes en ligne, soit moitié de leur effectif normal. Pompée, vainqueur jusque-là, avec sa cavalerie nombreuse et ses magasins remplis, faisait vivre son monde dans l’abondance : les Césariens, avaient peine à subsister : ils n’attendaient de meilleures ressources que de la moisson prochaine. Les Pompéiens, dans la récente campagne, s’étaient façonnés à la guerre : ils avaient pris confiance dans leurs chefs : l’esprit du soldat était excellent. Donc, chez Pompée, puisqu’on avait tant fait que de marcher droit à César en Thessalie, la raison militaire commandait d’en venir sans tarder au combat décisif : mais plus encore que la raison militaire, l’impatience, qui est le propre de toute émigration, se faisait jour dans le conseil : officiers nobles et gens du beau monde à la suite de l’armée ; tous voulaient la bataille. A leurs yeux, depuis les affaires de Dyrrachium, le triomphe de leur parti était chose accomplie : déjà l’on se disputait le Grand-Pontificat au lieu et place de César ; déjà l’on donnait commission à Rome de louer les maisons voisines du Forum, en vue des élections futures[130]. Et Pompée, s’il hésitait à attaquer, c’est qu’il voulait commander plus longtemps à la foule des prétoriens et des consulaires : c’est qu’il voulait se perpétuer dans son rôle d’Agamemnon ! — Pompée céda. César ne croyait point qu’il en adviendrait ainsi ; il avait projeté un mouvement sur le flanc de l’ennemi, et se disposait à marcher sur Scotussa : mais, voyant les Pompéiens faire leurs préparatifs, et lui offrir le combat sur la rive gauche, il rangea aussitôt ses légions. Ainsi fut livrée la bataille de Pharsale (9 août 706 [48 av. J.-C.]), sur le même lieu, où 200 ans avant, l’épée de Rome avait conquis l’Empire de l’Orient. Pompée tenait sa droite appuyée à l’Énipée. César, en face de lui, assurait sa gauche sur le terrain coupé en avant du ruisseau : les deux autres ailes ennemies s’étendaient dans la plaine, couvertes chacune par la cavalerie et les troupes légères. Le plan de Pompée était simple. Tenir son infanterie sur la défensive : lancer sa cavalerie sur les faibles escadrons qui lui faisaient face, mêlés à des fantassins légers, selon la mode des Germains. Une fois ceux-ci enfoncés et dispersés, il tournerait et prendrait à dos l’aile droite des Césariens. Son infanterie, en effet, soutint bravement le choc de César : au centre la bataille était indécise. Labienus, après une brave mais courte résistance, rompit la cavalerie césarienne, et se développant sur sa gauche, se mit en devoir de tourner les fantassins. Mais César avait prévu que ses cavaliers ne pourraient lutter, et derrière eux, sur le flanc menacé, se tenaient 2.000 de ses meilleurs légionnaires. Quand les escadrons de Pompée, poussant et chassant leurs adversaires, arrivèrent en tourbillonnant sur ses lignes, ils se heurtèrent contre une muraille vivante. Les légionnaires sans peur marchaient à eux, et leur attaque à la fois inattendue et insolite les rejeta en désordre[131]. Ils vidèrent le champ à bride abattue. Les Césariens font main basse sur les sagittaires livrés sans défense, se précipitent ensuite sur la gauche ennemie, et la prennent à revers à leur tour. Au même moment César, sur tout le front de bataille, pousse en avant sa troisième ligne tenue jusque-là en réserve. A cette défaite inattendue des meilleures troupes de Pompée, armée et général, celui-ci avant tous, perdent courage, et le courage de l’ennemi s’accroît. A peine a-t-il vu ses cavaliers battre en retraite, que Pompée, qui n’a jamais eu confiance dans son infanterie, quitte lui-même aussitôt le terrain, et se réfugie dans son camp, sans même attendre l’issue de l’attaque générale de César. Ses légions hésitent, et bientôt elles aussi, repassant le ruisseau, elles rentrent au camp, non sans d’énormes pertes. La journée était perdue : nombre de bons soldats gisaient à terre. Pourtant le gros de l’armée était sauf. César, après sa défaite devant Dyrrachium, avait’ couru de plus grands dangers. Mais il avait appris, dans les vicissitudes de sa vie, que si la fortune aime à se dérober parfois à ses favoris, c’est qu’elle veut être contrainte à force d’opiniâtre énergie. Pompée jusque-là ne l’avait connue que comme une déesse sans inconstance : il douta d’elle et de lui-même, dès qu’elle lui échappa. Chez les grandes natures, chez César, le désespoir ne fait qu’accroître l’effort : il écrase les Pompée et autres minces génies, et les précipite dans l’abîme sans fond de leur misère. Jadis, déjà, commandant l’armée contre Sertorius, Pompée avait songé à la désertion devant un ennemi plus fort. De même en ce jour, quand il vit ses légions repasser l’Énipée, il rejeta les trop lourds insignes du commandement, et remontant à cheval, s’enfuit par la route, la plus courte jusqu’à la mer, où il demanda un vaisseau. — Cependant son armée démoralisée et sans chef (Scipion, son collègue, revêtu comme lui de l’Imperium, n’était général que de nom), espérait trouver un abri derrière les murailles du camp. César ne lui laisse point de repos : en dépit de leur résistance opiniâtre, les gardes thraces et romaines sont assaillies et enfoncées, et les masses compactes des Pompéiens se retirent en désordre sur les hauteurs dé Crannon et de Scotussa, au-dessus du camp. De là, se tenant sur les crêtes, elles veulent regagner Larisse : mais les légions de César, oublieuses du butin et de la fatigue, s’avancent dans la plaine par des sentiers meilleurs, et bientôt leur ferment la route. Sur le soir, quand les fugitifs s’arrêtent, elles creusent leur fossé devant eux, et les coupent de l’unique ruisseau qui coule dans le voisinage. Ainsi finit la journée de Pharsale. L’armée de Pompée n’était point seulement battue : elle était détruite. Elle laissait 45.000 morts ou blessés sur le terrain, tandis que les Césariens avaient à peine perdu 200 hommes. Pour le reste, 20.000 au moins, il mit bas les armes le lendemain matin. Bien peu, et parmi ceux-ci les principaux officiers, cherchèrent un refuge dans la montagne : des onze aigles de l’ennemi, il en fut rapporté neuf à César. Quant à lui, de même qu’avant le combat, il avait invité les siens à épargner leurs concitoyens dans leurs adversaires, de même il ne traita pas ses prisonniers comme avaient fait Bibulus et Labienus : pourtant, dans une certaine mesure, il crut qu’il était besoin de se montrer sévère. Les simples soldats, il les enrôla dans son armée : les gens de meilleure condition subirent l’amende et la confiscation : les sénateurs et les chevaliers de marque furent mis à mort, sauf de rares exceptions. Les temps de l’indulgence étaient passés : à la laisser se prolonger, la guerre civile grandissait en atrocité irréconciliable[132]. Il s’écoula quelque temps, avant que les résultats de la
bataille du 9 août 706 [48
av. J.-C.] se manifestassent complètement. Ce dont il n’y avait point
à douter, tout d’abord, c’était de voir passer à César, quiconque, parmi les
adhérents de Pompée, n’avait en lui cherché que le plus fort. La défaite
était si décisive, que tous coururent au vainqueur, tous, hormis ceux qui,
par volonté ou par devoir, luttaient encore, même pour une cause perdue. Les
rois, les peuples et les villes de la clientèle pompéienne s’empressent de
rappeler leurs flottes, leurs contingents en soldats, et refusent asile aux
fugitifs du parti vaincu. Ainsi firent l’Égypte, Cyrène, les cités de Syrie,
de Phénicie, de Cilicie et d’Asie-Mineure, Rhodes, Athènes et tout l’Orient.
Sur le Bosphore, le roi Pharnace, à la nouvelle du désastre de Pharsale,
pousse le zèle jusque-là que non content d’occuper Phanagorie, ville que
Pompée a déclarée libre autrefois, et les territoires des princes de Colchide
installés aussi par le Romain, il s’empare en outre du royaume de
l’Arménie-Mineure, que Dejotarus tenait de la même main. Presque seuls, la
petite ville de Mégare et Juba firent exception. Mégare assiégée par les
Césariens fut emportée d’assaut. Quant à Juba, il savait de longue date que
César songeait à annexer Nul ne jugea mieux la situation que Marcus Caton.
Inaccessible à la peur et à l’espoir, lui seul il vit clair dans les
douloureuses épreuves du moment. Après les journées d’Ilerda et de Pharsale,
il avait acquis la conviction que la monarchie ne pouvait plus être évitée.
Assez ferme et honnête pour se faire cet aveu plein d’amertume et pour agir
en conséquence, il hésita d’abord et se demanda si les constitutionnels
devaient rester sous les armes. La cause étant perdue, la guerre allait
coûter cher à bien des victimes qui ne sauraient même plus pour qui se
consommait leur sacrifice. Il se décida pourtant à lutter encore, non pour
vaincre, mais pour tomber plus vite et plus honorablement. Toutefois dans la
lutte nouvelle, il s’appliqua à n’entraîner personne qui pût survivre à la
mort de Pompée, lui-même, ne voulait point la paix. S’il eût été à la hauteur de la situation qu’il avait occupée, il semble qu’il aurait dû comprendre que qui a. mis la main sur la couronne ne peut plus rentrer dans l’ornière de la vie commune, et qu’ayant manqué le but, il n’y a plus de place pour lui ici-bas. Non qu’il se sentit le cœur trop fier pour demander merci au vainqueur, celui-ci étant assez magnanime ; peut-être pour ne point le repousser : loin de là, j’estime plutôt qu’il était au-dessous d’une telle pensée. Soit qu’il ne pût prendre sur lui de s’abandonner à César, soit que, comme toujours, hésitant, ballotté et voyant mal clair au milieu de ses indécisions continuelles, déjà il se reprit à l’espoir quand s’effaçait la première et immédiate impression du désastre de Pharsale : il voulut, lui aussi, continuer la lutte et s’en aller la ponter sur un autre théâtre. Ainsi la guerre rentrait dans sa même route sanglante : quoi que fit César pour apaiser la fureur de ses adversaires ou diminuer leur nombre, sa prudence, sa modération étaient en pure perte. Cependant les chefs du parti avaient pour la plupart combattu à Pharsale, et quoique sains et saufs, tous, à l’exception de Lucius Domitius Ahenobarbus, tué dans la déroute, ils s’étaient dispersés et n’avaient pu se concerter en commun sur le plan à suivre dans la future campagne. Les uns fuyant par les sentiers déserts des montagnes de Macédoine et d’Illyrie, les autres avec le secours de la flotte, ils finirent par se rejoindre à Corcyre, où Caton commandait les réserves. Là se tint, sous sa présidence, une sorte de conseil de guerre où assistaient Metellus Scipion, Titus Labienus, Lucius Afranius, Gnæus Pompée le fils, et d’autres encore : on ne put s’entendre, soit à cause de l’absence du général et de l’incertitude cruelle où l’on était sur son sort, soit à cause des divisions même du parti. Chacun s’en alla de son côté, avisant au mieux de ses intérêts propres ou de ceux de la cause. Véritables fétus de paille surnageant encore, auquel fallait-il se rattacher ? Lequel tiendrait le plus longtemps sur l’eau ? Le choix était difficile. La journée de Pharsale coûta tout d’abord au parti Sur les côtes d’Italie et de Sicile, les flottes pompéiennes, détachées après les affaires de Dyrrachium, avaient manœuvré, non sans de nouveaux et considérables succès, contre les ports de Brindes, de Messine et de Vibo [sur le golfe de Sainte-Eufémie] : à Messine, toute une escadre en armement pour le compte de César avait été, livrée aux flammes. Mais bientôt les navires les meilleurs, venus en grande partie d’Asie-Mineure et de Syrie, sont rappelés par les villes maritimes au lendemain de Pharsale, et l’expédition s’arrête court. En Asie-Mineure et en Syrie, il n’y avait plus de soldats ni de l’une ni de l’autre faction, sauf sur le Bosphore, où, nous l’avons vu, Pharnace était sous les armes, et, sous prétexte de travailler pour César, avait occupé divers territoires appartenant à l’ennemi. — En Égypte, il restait encore une division assez forte, formée des troupes jadis laissées par Gabinius, soldats italiques, irréguliers, coureurs et anciens brigands syriens et ciliciens. Mais il allait de soi, et le fait se confirma bientôt par le rappel officiel des vaisseaux royaux, que la cour d’Alexandrie ne se souciait en aucune façon de rester dans le parti des vaincus, ou de mettre ses soldats à leur service. Dans l’ouest, leurs affaires avaient un peu meilleur
aspect. En Espagne, les sympathies pompéiennes demeuraient puissantes, et
dans l’armée et au sein des populations, tellement. que les Césariens durent
renoncer à la descente qu’ils avaient projetée de Ainsi la coalition avait perdu l’Orient tout entier en
perdant la journée de Pharsale : mais il lui restait des chances en Espagne, et
en Afrique elle était sûre de pouvoir encore honorablement tenir. A demander
contre les révolutionnaires, contre des concitoyens, l’assistance du Numide,
d’un roi si longtemps le sujet de A tous ces points de vue, il faut blâmer, et blâmer sévèrement, cette pensée funeste d’aller, pour la guerre entre les Romains, demander le concours d’un voisin, d’un prince indépendant, et de l’appeler à l’aide de la contre-révolution. Les lois et la conscience sont plus sévères pour le transfuge que pour le pirate : la bande de brigands victorieuse revient plus aisément à la république libre et bien ordonnée que la tourbe d’émigrants marchant à la suite de l’ennemi du pays. D’ailleurs il semblait peu probable que les vaincus pussent jamais faire entrer la restauration par une telle porte. Il n’était qu’un seul empire, celui des Parthes, sur lequel ils auraient pu tenter de s’appuyer : encore était-il douteux que les Parthes voulussent prendre leur fait et cause : il y avait moins d’apparence encore à ce qu’ils se souciassent de le faire à l’encontre de César. Mais les temps n’étaient point encore venus des conspirations républicaines. Pendant que s’en allaient éperdus, et comme à la dérive du
Destin, les débris de la faction vaincue, pendant en Égypte. que ceux qui
voulaient encore combattre n’en trouvaient plus ni le lieu ni les moyens,
César, toujours rapide dans la décision et l’action, quittait tout pour se
lancer à la poursuite de Pompée, le seul de ses adversaires qu’il tînt pour
un capitaine. Le faire prisonnier, c’eût été peut-être, et d’un seul coup,
paralyser la moitié, et la moitié la plus redoutable du parti. Il franchit
l’Hellespont avec quelques troupes : en route, avec sa frêle embarcation, il
tombe au milieu d’une flotte pompéienne à destination de la Mer Noire[136] ; mais la
nouvelle de la victoire de Pharsale l’a frappée de stupeur : il la capture
tout entière ; puis, dès qu’il a pris en hâte les dispositions nécessaires,
il se précipite vers l’Orient, à la poursuite du fugitif. Ce dernier, échappé
des champs de Pharsale, avait touché à Lesbos, pour y prendre sa femme et
Sextus, son second fils, gagné Après la mort de Ptolémée l’Aulète (mai 703 [51 av. J.-C.]), les enfants de celui-ci, Cléopâtre, sa fille, âgée de 16 ans, et son fils Ptolémée Dionysos, âgé de 10 ans ; rois ensemble et époux de par la volonté paternelle, étaient montés sur le trône d’Alexandrie : mais. bientôt le frère, ou plutôt Pothin, le tuteur du frère, avait expulsé la sœur ; et celle-ci, réfugiée en Syrie, s’y préparait à rentrer les armes à la main dans ses états héréditaires. A cette heure, Ptolémée et Pothin étaient à Péluse avec toute l’armée égyptienne, gardant la frontière de l’Est. Pompée vint jeter l’ancre devant le promontoire Casius[138], demandant au roi permission de descendre à terre. A la cour, on connaissait depuis longtemps la catastrophe de Pharsale, et l’on voulait d’abord répondre par un refus ; mais Théodotos, majordome du roi, fit observer que Pompée, ayant de nombreuses intelligences dans l’armée, ne manquerait pas d’y pratiquer la révolte. N’était-il pas plus sûr et plus avantageux, au regard de César, de saisir l’occasion de se défaire du fugitif ? De telles et si puissantes raisons ne pouvaient manquer leur effet sur des politiques appartenant au monde grec d’alors. Aussitôt, le chef des troupes royales, Achillas, monte sur un canot avec quelques anciens soldats de Pompée ; il l’accoste, l’invite à se rendre auprès du roi, et, comme l’on est sur les bas-fonds de la côte, à passer sur son bord. A peine Pompée y a mis le pied, qu’un tribun militaire, Lucius Septimius, le frappe par derrière, sous les yeux de sa femme et de son fils, qui, debout sur le pont de leur navire, assistent au meurtre, sans pouvoir rien ni pour sauver la victime ni pour la venger (28 septembre 706 [-48]). Treize ans avant, à pareil jour, Pompée, vainqueur de Mithridate, avait mené son triomphe dans la capitale romaine ; et voici que l’homme paré depuis trente années du titre de Grand, voici que l’ancien maître de Rome vient finir misérablement sur les lagunes désertes d’un promontoire inhospitalier, assassiné par un de ses vétérans. Général de capacité moyenne, médiocre du côté dé l’esprit et du cœur, le sort, démon perfide, l’avait accablé de ses constantes faveurs durant trente ans. Missions faciles autant que brillantes, lauriers plantés par d’autres et recueillis par lui seul, tout lui avait été donné, tout jusqu’au pouvoir suprême, mis en réalité sous sa main, et cela pour n’arriver qu’à fournir le plus éclatant exemple de fausse grandeur qu’ait connu l’histoire ! Parmi tous les rôles lamentables, quel rôle plus triste que celui de paraître et n’être pas ! Telle est la loi des monarchies ! A peine si, une fois en mille ans, il se lève au sein d’un peuple un homme, voulant qu’on l’appelle roi et sachant régner ! Vice fatal, inéluctable du trône ! Or, s’il est vrai de dire que nul plus que Pompée, peut-être, n’a offert ce contraste marqué entre l’apparence vaine et la réalité, il ne saurait, non plus échapper à la réflexion, quand elle s’arrête sûr cet homme, que c’est lui qui ouvre, à vrai dire, la série des monarques de Rome. Cependant César, toujours à la piste du vaincu, entrait dans la rade d’Alexandrie. Le crime était consommé déjà. Il se détourna, sous le coup d’une émotion profonde, quand l’assassin, montant à son bord, lui présenta la tête de ce Pompée, naguère son gendre, et durant si longtemps son associé dans le pouvoir, de ce Pompée enfin qu’il venait prendre vivant en Égypte. Quelle conduite il eût tenue à son égard, le poignard d’un assassin ne permet pas de le dire : mais, à supposer que les sentiments d’humanité, innés dans sa grande âme, n’y auraient pas gardé leur place à côté de l’ambition, et ne lui commandaient pas d’épargner les jours d’un ancien ami, son propre intérêt ne lui aurait-il pas conseillé de le réduire à l’impuissance autrement que par l’épée du bourreau[139]. Vingt ans durant, Pompée avait été le maître incontesté de Rome : quand elle a poussé d’aussi profondes racines, la souveraineté ne meurt point avec le souverain. Après Pompée, les Pompéiens restaient debout, encore compacts, ayant deux chefs à leur tête, Gnæus et Sextus, à la place de leur père incapable et usé, jeunes tous les deux, tous les deux actifs, le second même armé d’un réel talent. A la monarchie héréditaire de fondation nouvelle s’attachait l’excroissance parasite des prétendants héréditaires. A ce changement des rôles il était douteux qu’il y eût gain ; il y avait perte plutôt pour César[140]. Cependant, celui-ci n’avait plus rien à faire en Égypte. Romains et gens du pays, tous s’attendaient à le voir remettre à la voile, courir vers la province d’Afrique, qui restait à abattre, puis entamer aussitôt l’œuvre immense de réorganisation que lui léguait sa victoire. Mais lui, fidèle à sa propre tradition, et, en quelque point qu’il se trouve du gigantesque empire de Rome, voulant vider sans délai et de sa personne toutes les questions pendantes, convaincu d’ailleurs qu’aucune résistance n’est à prévoir, ni de la part de la garnison romaine, ni de la part de la cour égyptienne, et pressé par le besoin d’argent, il débarque à Alexandrie, avec les deux légions qui l’accompagnent, lesquelles ne comptent plus que 3200 hommes et 800 cavaliers gaulois et germains. Il prend quartier dans la citadelle royale : il ordonne le versement des sommes qui lui sont nécessaires, et se met à régler l’affaire de la succession au trône égyptien, sans prêter l’oreille à d’impertinents conseils. A entendre Pothin, en effet, absorbé qu’il est par tant de grands intérêts, César ne saurait les négliger pour des misères. En ce qui touche les peuples d’Égypte, il se montre équitable en même temps qu’indulgent. Ils ont prêté secours à Pompée : quoi de plus juste. que de leur imposer une contribution de guerre ? Mais le pays est épuisé. César lui fait grâce et, donnant quittance de l’arriéré dû sur le traité de l’an 693 [59 av. J.-C.], dont moitié seulement a été payée, il ne réclame que 10.000 deniers (3.000,000 thaler =11.250.000 fr.[141]). Au frère et à la sœur qui se disputent le trône, il ordonne de cesser les hostilités ; il leur impose son arbitrage et les mande devant lui pour recevoir sa sentence après la cause entendue. Ils obéirent. Déjà le jeune roi était là, dans sa forteresse : Cléopâtre arriva sans tarder. César, tenant la main au testament de l’Aulète, adjugea la couronne aux deux époux, frère et sœur : il fit plus, et annulant de son propre mouvement l’annexion, naguère consommée, du royaume de Chypre, il le donna aux deux enfants peinés du roi défunt, Arsinoé et Ptolémée le Jeune, à titre de secundo-géniture. Cependant une tempête se formait sans bruit. Alexandrie, non moins que Rome, était une des capitales du monde, à peine inférieure à la ville italienne par le nombre de ses habitants, mais la devançant de beaucoup par le mouvement commercial, le génie industriel, le progrès scientifique et des arts. Au sein du peuple, le sentiment national était vivace, s’emportant à de mobiles ardeurs, à défaut d’esprit politique, et suscitant à toute heure, comme chez les Parisiens de nos jours, les furieuses révoltes de la rue. Qu’on se figure la colère de ce peuple, à la vue d’un général romain tranchant du potentat dans le palais des Lagides et jugeant les rois du haut de son prétoire ! Mécontents qu’ils étaient de cette sommation péremptoire relative à l’ancienne dette égyptienne et de cette intervention du Romain dans un litige où le gain de la sentence, assuré d’avance à Cléopâtre, lui fut en effet adjugé, Pothin et son royal pupille envoyèrent à la monnaie, avec force ostentation, les trésors des temples et la vaisselle d’or du palais, pour les fondre. La pieuse superstition des Égyptiens s’en blessa. La magnificence de la cour alexandrine était fameuse dans le monde. Le peuple s’en parait comme d’une richesse à lui. A la vue des sanctuaires dépouillés et de la vaisselle de bois placée désormais sur la table royale, il entra en fureur. Et l’armée d’occupation elle-même, à demi dénationalisée par son long séjour en Égypte, par les nombreux mariages entre les soldats romains et les filles du pays, comptant dans ses rangs un grand nombre de vétérans de Pompée et de transfuges italiens, anciens criminels ou anciens esclaves, cette armée murmurait contre César, dont les ordres avaient entravé son action à la frontière de, Syrie ; elle murmurait contre une poignée d’orgueilleux légionnaires. Déjà la foule attroupée quand César prenait terre, quand les haches romaines entraient dans le palais des rois : déjà les meurtres nombreux consommés sur les légionnaires dans les rues de la ville, lui indiquaient assez en quel péril extrême il allait se trouver, noyé qu’il était avec sa petite armée au milieu de ces masses irritées. Les vents du nord régnaient alors : se rembarquer devenait chose difficile, et le signal donné de monter sur les vaisseaux eût dégénéré vite en signal d’insurrection. Partir, d’ailleurs, sans mettre à fin son entreprise, n’était point dans les habitudes de César. Aussitôt il appelle des renforts d’Asie, gardant jusqu’à leur arrivée les apparences de la plus entière sécurité. Jamais on n’avait mené au camp plus joyeuse vie que durant ce séjour dans Alexandrie, et quand la belle et artificieuse reine, gracieuse envers tous, prodiguait les séductions à l’adresse de son juge, César, à son tour, affectait l’oubli de ses hauts faits pour ne plus songer qu’à ses victoires galantes[142]. Prologue joyeux à la veille d’un sombre drame ! Tout à coup, amené par Achillas, et, ce qui fut vérifié plus tard, mandé par l’ordre secret du roi et de son tuteur, le corps romain d’occupation entre dans Alexandrie. Dès qu’ils apprennent qu’il n’est venu que pour attaquer César, tous les Alexandrins font avec lui cause commune. Mais César, avec cette présence d’esprit qui absout presque sa témérité, rassemble tout son monde épars sans perdre un seul moment, met la main sur le petit roi et ses ministres, se barricade dans le château et dans le théâtre voisin, et, comme il ne peut mettre en sûreté la flotte égyptienne stationnée dans le grand port au devant de ce théâtre, il la brûle et envoyé des embarcations pour occuper l’île de Pharos et la tour du fanal qui commande la rade[143]. Du moins, il a conquis un poste restreint, mais sur, de défense, où lui arriveront facilement et les vivres et les renforts. En même temps, il donne ordre à ses lieutenants en Asie-Mineure de lui expédier au plus vite des vaisseaux et des soldats. Les peuples sujets plus voisins, Syriens et Nabatéens, Crétois et Rhodiens, sont mis de même en réquisition. Pendant ce temps, l’insurrection s’était étendue sans obstacle sur toute l’Égypte. Les révoltés obéissaient à la princesse Arsinoé et à l’eunuque Ganymède, son confident. Ils étaient maîtres de la plus grande partie de la ville. On se battit dans les rues. César ne put ni se dégager ni même gagner jusqu’aux eaux douces du Maréotis, derrière la place, où il eût voulu s’abreuver et lancer ses fourrageurs. Les Alexandrins, d’autre part, ne surent ni vaincre les assiégés, ni les détruire par la soif : bien qu’ils eussent jeté l’eau de la mer dans les canaux du Nil qui alimentaient le quartier du Romain, celui-ci, par une chance inattendue, ayant fait creuser des puits dans le sable du rivage, y trouva encore de l’eau potable[144]. Le voyant inexpugnable du côté de terre, les assiégeants songèrent à détruire sa flottille et à le couper du côté de la mer, d’où lui venaient ses vivres. L’île du Phare et le môle qui la reliait à la terre ferme partageaient le port en deux moitiés, à l’est et à l’ouest, ces deux moitiés communiquant entre elles par deux arches percées en travers de la digue. César était maître de l’île et du port de l’est, tandis que les Alexandrins occupaient celui de l’ouest et le môle : mais ses vaisseaux, l’ennemi n’ayant plus de flotte, entraient et sortaient librement[145]. Les Alexandrins, après avoir sans succès tenté d’envoyer des brûlots du port de l’ouest dans le bassin oriental, rassemblèrent les débris de leur arsenal, et, mettant une petite escadre en mer, ils voulurent attaquer les navires de César au moment où ceux-ci se montrèrent, traînant à la remorque des transports et une légion amenée de l’Asie-Mineure[146]. Mais ils avaient affaire aux marins excellents de Rhodes, qui les battirent. A peu de temps de là, ils s’emparent de l’île du Phare et réussissent à barrer aux grands navires l’entrée du goulet étroit et rocheux du port oriental[147]. La flotte césarienne, à son tour, dut stationner en pleine rade : les communications des assiégés avec la mer ne tenaient plus qu’à un fil. Attaqués tous les jours par les forces maritimes croissantes de l’ennemi, leurs vaisseaux ne pouvaient ni refuser le combat, quoique inégal, le port intérieur leur étant fermé depuis la prise de file, ni tirer au large, abandonnant la rade, ils eussent livré César à l’investissement complet du côté de la mer. En vain les intrépides légionnaires, aidés par les habiles marins de Rhodes, l’emportent dans cent combats quotidiens, les Alexandrins s’acharnent, infatigables, et renouvellent ou augmentent leur armement. Il faut que César se batte quand il leur plait de l’attaquer : vienne une seule défaite, il sera aussitôt complètement investi. Sa perte est presque certaine, à moins de reconquérir file à tout prix. Une double attaque, avec les bateaux du côté du port, avec les navires du côté de la mer, la lui rendit en effet, et avec elle toute la partie inférieure du môle. Par son ordre, ses soldats s’arrêtèrent au second pont : là il voulut fermer le passage par un mur avec escarpe tournée vers la ville. Mais voici qu’au plus fort du combat, sur les travaux mêmes, les Romains ayant abandonné le point où le môle joignait l’île, un corps égyptien y aborda soudain, assaillit à dos les légionnaires et les marins, les mit en désordre et les jeta en masse à la mer. Beaucoup furent repêchés par la flotte ; le plus grand nombre périt. La journée coûta 400 soldats et plus de 400 hommes de mer. Partageant le sort des siens, César s’était de sa personne réfugié sur son vaisseau ; qui coula à fond sous le poids des fuyards, et le général n’échappa qu’en gagnant. une autre embarcation à la nage[148]. Quoi qu’il en soit, et malgré les pertes subies, on avait reconquis l’île et le môle, jusqu’au premier pont du côté de la terre ferme : la partie était sauvée. Enfin s’annoncèrent les secours tant attendus. Mithridate de Pergame, habile capitaine, élevé à l’école de Mithridate Eupator dont il se vantait d’être le fils naturel, arrivait de Syrie par la route de terre, avec une armée faite de toutes pièces : Ityréens du prince du Liban, Bédouins de Jamblique, fils de Sampsikérame, Juifs conduits par le ministre Antipater, enfin, et pour le plus grand nombre, contingents des principicules et des cités de Cilicie et de Syrie. Mithridate se montre devant Péluse et l’occupe heureusement le jour même : puis, voulant éviter les contrées coupées et difficiles du Delta, il remonte au-dessus du point de partage des eaux du Nil par la route de Memphis, où ses troupes rencontreront des auxiliaires dévoués parmi les Juifs établis dans la contrée. De leur côté, mettant à leur tête leur petit roi Ptolémée, que César leur avait rendu un jour, dans l’espoir, de s’en faire un instrument de conciliation, les Égyptiens avaient aussi remonté le Nil avec une armée et se montraient en face de Mithridate, sur la rive droite du fleuve. Ils l’atteignirent au-dessous de Memphis, au lieu dit le Camp Juif (Vicus Judœorum), entre Onion et Héliopolis (Matarieh). Mais ils avaient affaire à un ennemi expert dans la stratégie et la castramétation romaines : le combat tourna contre eux, et Mithridate, traversant le fleuve, entra dans Memphis. Au même instant César, averti de l’approche de son allié, embarquait, une partie de son monde, gagnait la pointe du lac Maréotique, à l’ouest d’Alexandrie, et le contournant, puis arrivant au fleuve, marchait à la rencontre de l’armée de secours du Haut-Nil. La jonction se fit sans que l’ennemi tentait rien pour l’empêcher. César alors entra dans le Delta, où le roi s’était retiré, dispersa du premier choc son avant-garde, malgré l’obstacle d’un profond canal qui la couvrait, puis aussitôt donna l’assaut à son camp. Ce camp était au pied d’une hauteur entre le Nil, dont une étroite chaussée le séparait, et des marais presque infranchissables. Les légionnaires attaquent de front et de flanc le long de la chaussée, pendant qu’une division tourne la hauteur et la couronne à l’improviste. La victoire est complète : le camp est pris ; tout ce qui ne périt pas par l’épée se noie dans le Nil, en cherchant à gagner la flotte royale. Là aussi meurt le jeune roi : fuyant sur un canot chargé de monde, il disparaît dans les eaux de son fleuve natal. Aussitôt le combat fini, César, à la-tête de sa cavalerie, revient droit sur Alexandrie, qu’il prend à revers, par le côté même où les Égyptiens étaient maîtres de la place. La population le reçoit en habits de deuil, à genoux, apportant ses idoles et implorant la paix. Quant aux siens, le voyant revenir en vainqueur par une autre route, ils l’accueillent avec un indicible enthousiasme. Il tenait dans ses mains le sort de la cité qui avait osé contrecarrer les desseins du maître du monde, et l’avait mis lui-même à deux doigts de sa perte : mais, toujours habile politique et toujours oublieux des injures, il traite les Alexandrins comme il a fait des Massaliotes. Il leur montre leur cité ravagée par la guerre, leurs riches magasins à blé, leur bibliothèque, la merveille du monde, et tous les autres grands édifices détruits lors de l’incendie de la flotte ; il leur enjoint de ne songer dorénavant qu’aux arts de la paix et qu’à panser aujourd’hui les blessures qu’ils se sont faites. Aux Juifs établis dans la ville il n’octroyé que les droits et franchises dont jouissent déjà les Grecs, et au lieu de cette armée romaine d’occupation nominalement mise dans la main du roi égyptien naguère, il installe dans la capitale une garnison véritable, formée de deux des légions qui campaient en Égypte, et d’un troisième corps appelé de Syrie : cette armée aura son chef indépendant, qu’il se réserve de nommer. Il choisit pour ce poste de confiance l’homme à qui son humble extraction ne permet pas les abus, Rufio, bon soldat, simple fils d’affranchi. Cléopâtre régnera, sous le protectorat de Rome, avec son autre jeune frère Ptolémée. Quant à la princesse Arsinoé, comme elle pourrait être un prétexte à l’insurrection chez les Orientaux, amoureux de la dynastie, indifférents pour le monarque, elle sera conduite en Italie. Chypre enfin est annexée à la province de Cilicie [B. Alex., 1-23]. Si mince qu’elle fût en elle-même, et de si loin qu’elle se rattachât aux événements généraux de l’histoire[149] alors concentrée dans le monde et l’empire romains, l’insurrection. d’Alexandrie avait eu son influence non douteuse, arrêtant dans sa course l’homme qui était tout en toutes choses, et sans qui rien ne pouvait ni se préparer ni se dénouer. D’octobre 706 à mars 707 [48-47 av. J.-C.], force fut à César de laisser là tous ses projets pour combattre la populace d’une seule ville, à l’aide de quelques Juifs ou Bédouins[150]. Déjà se faisaient sentir les effets du gouvernement personnel. On était en monarchie : et le monarque n’étant nulle part, un épouvantable désordre régnait en tous pays. A l’égal des Pompéiens, les Césariens manquaient à ce moment d’un guide suprême : partout les choses étaient abandonnées au hasard ou au talent de quelque officier subalterne. César, en quittant l’Asie-Mineure, n’y comptait plus
d’ennemi derrière lui. Son lieutenant, l’énergique Gnœus Domitius Calvinus[151], avait ordre de
reprendre à Pharnace ce que celui-ci avait sans mandat enlevé aux alliés de
Pompée. Despote entêté et présomptueux comme son père, Pharnace refusait la
restitution de l’Arménie. Il fallut marcher contre lui. Des trois légions formées
des captifs de Pharsale que César lui avait données, Calvinus déjà en avait
expédié deux en Égypte : il combla rapidement ses vides avec une légion levée
parmi les Romains domiciliés dans le Pont, avec deux autres encore, exercées
à la romaine, que lui prêta Dejotarus. Il prit le chemin de Mais, pendant le séjour de César en Égypte, de graves événements s’étaient aussi passés en Illyrie. Depuis, plusieurs siècles, la côte dalmate était un point malade dans et sur terre. l’empire. On se souvient, que les habitants, au cours même du proconsulat de César, s’étaient montrés ouvertement hostiles. A l’intérieur, depuis la campagne de Thessalie, on ne rencontrait que débris de Pompéiens encore en armes. D’abord Quintus Cornificius, avec les légions venues d’Italie, avait tenu tout le monde en bride, habitants du pays et réfugiés, et, dans cette rude et difficile région, il avait su pourvoir à l’entretien de ses troupes. Et quand l’énergique Marcus Octavius, le vainqueur de Curicta, s’était montré dans les eaux dalmatiques avec une escadre de navires pompéiens, pour y combattre les adhérents de César et sur mer et sur terre, le même Cornificius, s’aidant des vaisseaux et des ports des Jadestins (Zara), avait pu se maintenir, et même, dans plus d’un combat naval, remporter quelques avantages. Mais voici venir le nouveau lieutenant de César, Aulus Gabinius, rappelé d’exil. Il amenait en Illyrie (hiver de 706-707 [48-47 av. J.-C.]) 15 cohortes et 3.000 cavaliers par la voie de terre. Loin de s’en tenir à la méthode qui avait réussi à son prédécesseur, la guerre de détail et d’escarmouches ne suffit plus au hardi et actif général : malgré les rigueurs de la saison, il se lança dans la montagne avec toutes ses forces. Les temps mauvais, les approvisionnements difficiles, et l’énergique résistance des Dalmates éclaircirent bientôt ses cadres : il lui fallut battre en retraite. Assailli par l’ennemi, ignominieusement défait, il atteignit Salone à grande peine avec les restes d’une armée la veille puissante. Il mourut à peu de temps de là. Presque toutes les villes de la côte se soumirent à Octavius et à sa flotte ; et quant à celles qui tinrent encore pour César, Salone, Epidauros (Ragusa vecchia), investies du côté de la mer par les navires octaviens, serrées de près à terre par les Barbares, il semblait qu’elles dussent succomber, entraînant dans leur capitulation les débris des légions enfermées dans les murs de la première. A ce moment, Publius Vatinius commandait les dépôts de César à Brindes. Il ramasse, à défaut de navires de guerre, de simples bateaux ordinaires qu’il munit d’un éperon ; il y fait monter les soldats qui sortent des hôpitaux. Son énergie tire bon parti de cette escadre improvisée. Il livre le combat aux Octaviens, supérieurs à tous égards, sous le vent de l’île de Tauris (Torcula, entre Lesina et Curzola). Là, la bravoure du chef et des légionnaires supplée encore une fois à l’insuffisance de la flotte. Les Césariens remportent une éclatante victoire. Marcus Octavius abandonne les mers d’Illyrie et se dirige sur l’Afrique (printemps de 707 [-47]). Les Dalmates lutteront opiniâtrement durant deux ans encore, mais la lute ne sera plus qu’une guerre locale de montagnes. Quand César arrive d’Orient, déjà, grâce aux vigoureuses mesures prises par son lieutenant, tout danger a disparu [B. Alex., 42-47]. En Afrique, la situation était des plus compromises. On se
souvient que, dès le début de la guerre civile, le parti constitutionnel y
avait absolument pris le dessus. Depuis, ses forces n’avaient fait que
croître. Jusqu’à la bataille de Pharsale, le roi Juba avait, à lui seul
presque, gouverné les affaires et détruit Curion. Ses rapides cavaliers, ses
innombrables archers étaient le nerf de l’armée. Enfin, le lieutenant de
Pompée, Attius Varus, ne jouait auprès de lui qu’un rôle subalterne,
tellement qu’il avait dû lui livrer les soldats de Curion qui s’étaient
rendus à lui, et assister passif à leur exécution ou à leur envoi, dans
l’intérieur de Pendant ce temps, ni celui-ci ni aucun de ses lieutenants
n’ayant tenté quoi que ce soit en Afrique, la coalition s’y réorganise tout à
l’aise, politiquement et militairement. Et. d’abord il fallait pourvoir au
commandement en chef, vacant par la mort de Pompée. Le roi Juba n’eût point
été lâché de se continuer dans la position prépondérante qu’il avait eue sur
le continent jusqu’à la bataille de Pharsale. Est-ce qu’il était encore le
simple client de Rome ? N’était-il pas plutôt un allié sûr le pied d’égalité,
un protecteur même ? N’avait-il point osé frapper le denier romain d’argent,
à son nom et à ses insignes, poussant. ses prétentions jusque-là qu’il
voulait, revêtir seul la pourpre dans le camp, invitant les généraux italiens
à y déposer le paludamentum ? [B. Afr., 57]
Metellus Scipion réclamait aussi le commandement suprême : Pompée, en
Thessalie, ne l’avait-il pas tenu pour son collègue, plutôt il est vrai par
déférence envers son beau-père que par raison militaire ? Attius Varus le
réclamait à son tour. Il avait le gouvernement dé la province d’Afrique (gouvernement usurpé, il
est vrai) et c’était en Afrique qu’on allait faire la guerre. Enfin, à
consulter l’armée, on eût choisi le propréteur Marcus Caton. Et l’armée
avait. manifestement raison. Caton était le seul homme qui, pour une telle
mission, possédât le dévouement, l’énergie et l’autorité nécessaires. Il
n’était point homme de guerre, il est vrai. Mais ne valait-il pas mieux mille
fois avoir à la tête de l’armée un simple citoyen, non officier,
s’accommodant aux circonstances et laissant faire ses capitaines en
sous-ordre, qu’un général de talents non encore éprouvés, comme Varus, ou que
tel autre notoirement incapable, comme Metellus Scipion ? Quoi qu’il en soit,
Scipion fut nommé, et Caton entre tous influa sur le choix. Non qu’il
s’estimât inférieur à la tâche, ou que sa vanité lui fit trouver mieux son
compte à rester à l’écart qu’à prendre en main l’imperium non qu’il
aimât ou estimât Scipion. Loin de là, il y avait de l’hostilité entre eux.
Général malhabile aux yeux de tous, l’alliance de Pompée seule avait pu jeter
quelque reflet sur le consulaire. Une seule et unique pensée dirigea Caton.
Dans son entêtement formaliste, et dût Cependant, aux côtés du nouveau général on revoyait le sénat des Trois-Cents, qui ouvrait ses séances à Utique, et complétait ses rangs éclaircis en s’adjoignant les chevaliers les plus notables et les plus riches. Grâce au zèle de Caton, principalement, les armements étaient poussés aussi vivement que possible. Affranchis, Libyens, tous les hommes valides étaient enrôlés dans les légions : il ne resta bientôt plus de bras à l’agriculture, et les champs demeurèrent en friche. Les résultats obtenus ne, laissèrent pas que d’être considérables. L’armée comptait maintenant quatorze légions de grosse infanterie, dont deux anciennement formées par Varus ; huit autres avaient rempli leurs cadres avec les réfugiés pompéiens, avec des recrues levées dans la province : enfin, Juba avait quatre légions armées à la romaine. La grosse cavalerie, composée des Celto-Germains amenés par Labienus ; et de gens de toute provenance, comptait 1600 hommes, non compris les cavaliers royaux armés à la romaine. Quant aux troupes légères, tillés se composaient d’une innombrable multitude de Numides, montés sans mors ni bride, armés de simples javelots,. d’un corps de sagittaires à chevâl1 et d’un vaste essaim d’archers à pied. Enfin, Juba menait avec lui 120 éléphants. Puis venait la flotte de Varus et de Marcus Octavius, qui comptait 55 voiles. L’argent manquait : on y pourvut à peu près par une contribution volontaire que s’imposa le sénat : moyen d’autant plus fructueux que les plus riches capitalistes d’Afrique avaient été faits sénateurs. Les munitions de toutes sortes et les vivres étaient emmagasinés en quantités énormes dans les forteresses susceptibles d’une bonne défense, en même temps qu’on les tenait loin de tous les lieux ouverts. L’absence de César, l’état mauvais des esprits dans ses légions, l’Espagne et l’Italie en fermentation ; tout donnait motif d’espérer ; et, comptant sur une victoire prochaine, on oubliait la défaite de Pharsale. Nulle part autant qu’en Afrique le temps perdu sous Alexandrie ne se faisait payer cher. Si César y fût accouru au lendemain de la mort de Pompée, il y eût trouvé une. armée affaiblie, désorganisée, éperdue ; aujourd’hui elle était debout, ressuscitée par l’énergie de Caton, aussi nombreuse que dans les champs de Thessalie, conduite par des chefs de renom et munie de son général régulièrement constitué[158]. Il semblait qu’une mauvaise étoile influât désastreusement
sur les affaires de César en Afrique. Avant de s’embarquer pour l’Égypte, il
avait ordonné tant en Espagne qu’en Italie les mesures et les préparatifs
commandés par les besoins de la guerre qui renaissait au-delà de Des événements plus graves encore surgirent dans l’Italie
du sud, où César avait concentré les troupes qu’il voulait emmener en
Afrique. Là se trouvèrent réunies en grande partie les vieilles légions qui,
dans les Gaules, l’Espagne et L’émeute militaire des vétérans n’en eut pas moins ses
conséquences fâcheuses, en retardant considérablement l’ouverture des
opérations de la campagne en Afrique. Quand César arriva à Lilybée, où devait
s’embarquer l’armée, les dix légions désignées pour l’expédition n’y étaient
point, à beaucoup près, au complet ; et les soldats les meilleurs avaient
encore les plus longues étapes à faire. Il ne se trouvait là réunies que six
légions à peine, dont cinq de formation nouvelle, avec les navires de ligne
et les transports nécessaires. César mit aussitôt à la mer (le 25 décembre 707 [47
av. J.-C.], selon le calendrier ancien ; le 8 octobre, environ, selon le
calendrier julien). La flotte ennemie, redoutant les tempêtes, alors
régnantes, de l’équinoxe, avait atterri au rivage dans Enfin, ses derniers renforts le rejoignirent. Aussitôt il s’élance sur Thapsus, par une marche de flanc. Nous avons vu que Scipion y avait mis une forte garnison, première et énorme faute et qui livrait à l’adversaire un point d’attaque commode ! Il en fit bientôt une seconde et non moins désastreuse, en courant au secours de la place, en allant offrir à César la bataille si longtemps souhaitée, si sagement refusée, et cela sur un terrain où l’infanterie légionnaire allait retrouver son décisif avantage. Donc un jour on vit se développer le long du rivage, en face du camp césarien, les armées de Scipion et de Juba, les deux premières lignes prêtes à en venir aux mains ; la troisième occupée elle-même à planter le camp. A la même heure, la garnison de Thapsus préparait une sortie. Pour repousser celle-ci, il suffit des gardes du retranchement de César. Quant à ses légionnaires, rien n’échappait à leur coup d’œil expérimenté. Ils constatèrent aussitôt chez l’ennemi l’incertitude des mouvements, l’ordonnance mal unie de ses divisions ; et pendant qu’il travaille encore à son agger, sans attendre le signal de leur général, ils forcent un trompette à sonner l’attaque ; et se précipitent sur toute la ligne, César galopant à leur tête, après qu’il a vu son monde s’ébranler. L’aile droite, emportée en avant des autres corps, jette l’épouvante, à coups de balles de fronde et de traits, parmi les éléphants de Juba (ce fut là la dernière grande bataille où on les ait employés). Les énormes bêtes reculent sur le corps d’armée. Les cohortes placées à l’avant des Pompéiens sont hachées, leur aile gauche se disperse, et toute leur ligne se renverse et se débande. La défaite se change en un immense désastre, d’autant que le nouveau camp des vaincus n’était point encore achevé et que l’ancien était trop loin. César les enlève l’un après l’autre ; presque sans résistance. Le gros de l’armée battue jeta ses armes et demanda quartier : mais les soldats de César n’étaient plus ces soldats qui, jadis, aux alentours d’Ilerda, avaient su se refuser au combat avant l’heure, ou qui à Pharsale traitaient honorablement un ennemi sans défense. La longue habitude des guerres civiles, les colères mal apaisées de la révolte récente, engendrèrent de terribles conséquences à Thapsus. Que si l’hydre contre laquelle luttaient les Césariens se redressait chaque jour avec des forces nouvelles ; que si l’armée de César avait dît se lancer d’Italie en Espagne, d’Espagne en Macédoine, de Macédoine en Afrique ; si le repos tant souhaité n’arrivait jamais, la faute, aux yeux du soldat et non sans, quelque raison, la faute n’en était-elle point dans la mansuétude intempestive du général ? Le soldat s’était promis de réparer le tort de son chef : il se montra sourd aux prières de ses concitoyens désarmés, sourd aux ordres de César et de ses capitaines. Cinquante mille cadavres gisaient dans les champs de Thapsus, et parmi eux bon nombre d’officiers césariens (leurs propres hommes les avaient tués parce qu’on les savait hostiles en secret à la monarchie nouvelle). Ainsi le soldat achète son repos. L’armée victorieuse ne comptait pas plus de 50 morts[167]. Après la catastrophe de Thapsus, la guerre d’Afrique était finie, de même qu’un an et demi avant, la guerre avait pris fin en Orient au lendemain de Pharsale. Caton, en sa qualité de commandant d’Utique, y convoqua le sénat, y exposa l’état des moyens de défense, et laissa à l’assemblée à décider s’il convenait de se soumettre, ou si l’on aimait mieux lutter jusqu’au dernier homme, conjurant ses amis de voter et d’agir, non pas chacun pour soi, mais tous pour chacun. Plusieurs inclinaient vers le parti le plus hardi : on ouvrit l’avis d’une manumission d’office de tous les esclaves, mais Caton y voyait une atteinte illégale à la propriété privée. On proposa alors un appel patriotique aux maîtres. Mais un acte de vigoureux désintéressement n’était point du goût des grands. trafiquants d’Afrique, qui faisaient la majorité dans ce concile : on décida la capitulation. A ce moment entraient dans la ville Faustus Sylla[168], le fils du régent, et Lucius Afranius. Ils ramenaient une forte division de cavalerie des champs de Thapsus. Caton alors de faire une nouvelle tentative ; mais, comme ils voulaient, pour tenir dans la place, qu’on commençât par massacrer tous les habitants inutiles à sa défense, il s’y refusa net, aimant mieux, sans coup férir, laisser tomber au pouvoir de la monarchie l’asile suprême des républicains, que de déshonorer par un meurtre en masse les derniers jours de la république. Moitié par l’ascendant de son autorité, moitié par le sacrifice généreux de sa fortune personnelle, il arrête les fureurs d’une soldatesque déchaînée déjà contre les malheureux habitants d’Utique ; à ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas s’en remettre à la clémence de César, il procure les moyens de fuir ; à ceux qui restent il procure les moyens d’une capitulation, la moins désastreuse qui soit possible : puis, quand il s’est assuré qu’il ne peut plus être utile, il se tient pour déchargé de son office, il se retire dans son cubiculum, et se perce le sein de son épée[169]. Des autres chefs qui restaient, bien peu s’échappèrent. Les cavaliers qui avaient fui du champ de bataille allèrent donner dans les bandes de Sittius, qui les tua ou fit captifs : Afranius et Faustus Sylla furent livrés à César, et, comme il n’ordonnait point leur exécution immédiate, les vétérans s’insurgèrent et les taillèrent en pièces. Metellus Scipion, le général en chef, tomba de même ; avec la flotte de la faction vaincue, au pouvoir des croiseurs de Sittius, et se jeta sur son épée au moment où on mettait la main sur lui. Juba, que l’événement n’avait point trouvé non préparé, s’était promis, le cas échéant, de mourir en roi. Il avait fait dresser un bûcher immense sur la place de sa ville de Zama : il y voulait anéantir lui, ses trésors et tous les habitants. Mais ceux-ci n’entendaient point servir, aux dépens de leur vie, à la décoration des funérailles du Sardanapale africain ; et quand, échappé du massacre, il se montra devant la ville en compagnie de Marcus Petreius, il en trouva la porte close. A ces natures dépravées par l’excès des jouissances sensuelles et de l’orgueil, il faut, même à l’heure de la mort, les fêtes et l’orgie. Juba, avec son compagnon, se rendit à l’une de ses villas. On lui servit un riche banquet : puis, après et pour en finir, il arrangea un duel entre lui et Petreius. Le vainqueur de Catilina périt de sa main, et force lui fut alors de se faire tuer par un esclave[170]. Quelques notables pourtant avaient eu la vie sauve.
Labienus et Sextus Pompée rejoignirent Gaïus, le frère aîné de celui-ci, en
Espagne. Comme autrefois Sertorius Avait fait, ils allaient chercher dans les
mers et les montagnes de Cependant César, sans rencontrer désormais de résistance,
mettait ordre à toutes choses en Afrique. Ainsi que Curion l’avait proposé
naguère, le royaume de Massinissa cesse d’exister. La région de l’Est, ou le
pays de Sétif, est réuni au royaume de Ainsi, après quatre ans de durée, la lutte entre Pompée et les républicains, d’une part, et César de l’autre, se termine par la complète victoire du dictateur. Non, certes, que la monarchie n’ait été fondée que sur les champs de bataille de Pharsale et de Thapsus. Elle date de l’heure où Pompée et César coalisés ont établi leur commune suprématie, renversant de fond en comble l’ancienne constitution aristocratique. Mais les baptêmes sanglants du 9 août 706 et du 6 avril 708 [48-46 av. J.-C.] avaient mis fin à ce gouvernement à deux, contraire à d’essence même de la monarchie, et le monarque nouveau y puisait la consécration et la reconnaissance formelle de son pouvoir. On verra bien encore surgir des insurrections de prétendants ou des conjurations républicaines appelant de nouvelles secousses ; on verra la révolution peut-être, ou même la restauration : mais c’en est fait à jamais de l’antique et libre république et de sa vie non interrompue durant cinq cents ans : dans toute l’étendue du vaste empire de Rome, la monarchie s’assoit désormais sur la légitimité du fait accompli. Le combat pour la constitution a cessé. C’est Marcus Caton qui le proclame quand, à Utique, il se perce de son épée. Depuis longues années le premier dans la mêlée parmi les défenseurs de la république légale, il a persévéré même alors qu’il n’a plus l’espoir de vaincre. Aujourd’hui, combattre n’était même plus possible : la république, fondée par Marcus Brutus, était morte, morte sans retour : que restait-il à faire aux républicains ici-bas ? Le trésor enlevé, les hommes de garde avaient leur congé : comment les blâmer s’ils rentraient dans leurs foyers ? Dans la mort de Caton il y eut plus grande noblesse et plus haute intelligence que dans tout le reste de sa vie. Caton n’était rien moins qu’un grand homme : mais, si court de vue, si maladroit, si ennuyeux et stérile que fût le personnage, avec toute l’emphase de ses fausses phrases qui en firent, dans son siècle et dans tous les temps, le type idéal du républicanisme vide et le héros favori de ceux qui spéculent sur le mot de république, encore était-il le seul à représenter dignement, courageusement le système déchu, à l’heure de l’agonie ! Et, comme devant la vérité sincère, le mensonge le plus habile tombe ; comme, enfin, dans la nature humaine toute grandeur et toute beauté gît, non dans la prudence, mais dans l’honneur, il convient de dire que Caton a rempli dans l’histoire un plus grand et plus beau rôle que nombre d’hommes infiniment supérieurs à lui par, les dons de l’esprit. Caton était un fou, je le veux : mais sa folie rehausse le sens profond et tragique de sa mort. C’est parce qu’il est fou, que Don Quichotte est une figure tragique. Quelle émouvante péripétie ! Sur ce théâtre du monde, ancien, où passèrent et agirent tant de sages, tant de grands hommes, fallait-il donc qu’un maniaque vint dire l’épilogue ? Mais Caton n’est point mort en vain. Protestation frappante et terrible de la république contre la monarchie, le dernier républicain sortait de scène quand arrivait le nouveau roi : devant sa protestation se déchiraient comme toiles d’araignée toutes les soi-disant institutions modérées dont César enveloppait son trône : devant elle se mettait à nu le mensonge hypocrite de ce schiboleth de la réconciliation des partis ; de cette prétendue égide protectrice de la souveraineté césarienne. La guerre impitoyable que le spectre de, la république légitime a menée pendant des siècles contre la monarchie impériale, de Cassius et Brutus à Thraséas et à Tacite, et plus loin encore ; la guerre des complots et des belles-lettres, ne sont autres que le legs de Caton mourant à son ennemi. C’est de Caton que les opposants républicains tiendront leur attitude de gens de haute caste, leur rhétorique transcendante, leur austérité ambitieuse, leurs opinions sans espoir et fidèlement nourries jusqu’à la mort. A peine il n’est plus, que celui qui, de son vivant, ne fut pour eux le plus souvent qu’un jouet et qu’une cause de dépit, ils le transfigurent et l’honorent en saint. Mais de tous les hommages qu’il reçut, le plus grand sans doute fut l’hommage involontaire de César. Tandis que pour tous les autres, pompéiens et républicains, César n’avait qu’indulgence dédaigneuse, pour Caton il fit exception ; il le poursuivit jusqu’au tombeau de cette vigoureuse haine que les politiques d’action ressentent d’ordinaire contre leurs adversaires dans le champ de l’idée, adversaires dangereux autant qu’impossibles à atteindre[174]. |
[1] [Labienus a été mentionné plusieurs fois déjà. Il avait eu en Gaule le titre de propréteur (B. G., 1, 21). Il avait d’ordinaire les commandements les plus importants, quand César s’absentait entre deux campagnes (B. G. 5, 24, 54). — Dans l’hiver de 700 [54 av. J.-C.], il défait les Trévires et tue Indutiomar (B. G., 5, 24, 53-58, etc.). Dans la campagne contre Vercingétorix, il prend Lutèce, revient à Agedincum, bat Camulogène et Comm l’Atrébate (Bell. G., 7, 57-82. - 8, 23, 24, 25, 45, 52). En 703 [-51], il commande chez les Trévires. Nous le suivrons avec notre texte parmi toutes les péripéties de la guerre civile, à Cingulum, à Dyrrachium, à Pharsale, en Afrique : il périt enfin à Munda. — Du jour où Labienus a quitté César, sa vie militaire n’est plus marquée que par des échecs.]
[2] Un centurion de la 10e (alias 14e) légion de César, est un jour fait prisonnier. Mené devant le général républicain, il lui déclare qu’avec dix de ses hommes, il se fait fort de tenir contre la meilleure des cohortes ennemies (500 hommes. César, Bell. Afric., 45). Aussi Napoléon dira-t-il que les armées anciennes se battant à l’arme blanche, avaient besoin d’être composées d’hommes plus exercés ; c’étaient autant de combats singuliers... Ce que ce centurion avançait était vrai : un soldat moderne qui tiendrait le même langage ne serait qu’un fanfaron ! (Précis des Guerres de J. César, ch. XI, observation 5). — Que si l’on veut savoir quel esprit militaire animait l’armée de César, qu’on lise les relations, annexées à ses mémoires de la guerre d’Afrique et de la seconde guerre d’Espagne, l’une qui paraît avoir pour auteur un officier en second ordre, l’autre qui n’est qu’un journal de camp, dressé par un subalterne (Bell. Afric. et Bell. Hispaniense).
[3] [Appien, B. C., 2, 30. — Plutarque, César, 29, et Pompée, 57 — Alieno esse animo in milites neque iis passe persuaderi, uti eum defendant aut sequantur saltem (B. G., 1, 6.) — V. aussi Cicéron, ad fam., 16, 12.]
[4] [Tite-Live, Epit. 110. — Florus, 4, 2, 33. – Lucain, 4, 462 et s.]
[5] [Voleur de grand chemin ! — Tyran ! — Il sera un Pisistrate, un Phalaris ! (Cicéron, ad Att., 7, 18. 8, 11, 12, etc., etc.]
[6] [Ce roi est cité B. G., 1. 53. et Bell. civ., 1. 18. Il envoya à César quelque chose comme 300 hommes à cheval.]
[7] [Suétone, César, 71. — Juba était venu combattre à Rome les prétentions d’un prince vassal, Masintha, qui refusait le tribut à Hiempsal. César avait défendu Masintha, et dans un accès de colère, avait tiré Juba par la barbe (in altereatione barbare invaserit), puis il avait caché le Numide chez lui, et l’avait emmené en Espagne.]
[8] [Nihil prorsus aliud curant (municipales, rusticani), nisi agros, nisi villulas, nisi nummulos suos. (ad Att., 8, 13). — v. aussi ibid., 9, 12 ; et ad fam., 9, b : viri boni usuras prescribunt !]
[9] [Insidiose retentœ : c’est Cicéron lui-même qui en convient (ad Att., 7, 13).]
[10] C’est le chiffre qu’il fixait lui-même (César, Bell. civ., 16), et ce qui vient en confirmer l’exactitude, c’est qu’après avoir perdu en Italie 60 cohortes, ou 30.000 hommes, il lui sera possible encore de s’en aller en Grèce avec 25.000.
[11] [Plutarque, Pompée, 57 et 60.]
[12] [Tota Italia dilectus habentur, arma imperantur, etc. B. civ., 1, 6.]
[13] [B. G., 1, 14. — C’est Lentulus qui avait imaginé de s’emparer des gladiateurs peuplant le jeu (ludo) de César. — Quand on les licencia, ne sachant qu’en faire, et craignant du désordre, Pompée les distribua chez les chefs de famille campaniens (B. G., ibid. – Cicéron, ad Att., 7, 14).]
[14] [Pecunia a municipiis exiguntur, e fanis tolluntur, omnia divina humanaque jura permiscentur. B. civ., 1, 6.]
[15] Le
sénatus-consulte avait été rendu le 7 janvier : dès le 18, on savait à Rome, et
cela depuis plusieurs jours, que César avait franchi le Rubicon (Cicéron, ad Atticus, 7, 10, 9, 10) : il fallait au
moins trois jours à un courrier pour venir de Ravenne. Il convient dès lors de
fixer le départ de César au 12 janvier, date qui répond au
[16] [L’un des correspondants de Cicéron (ad fam., 13, 53-57), et son propréteur en Asie quand celui-ci était proconsul en Cilicie. — Après la mort de César, il quittera Sextus Pompée et passera à Antoine.]
[17] [Pompée quitte
Rome, première et grande faute stratégique et politique. C’est Rome qu’il fallait garder, c’est là
qu’il eût dû concentrer toutes ses forces. Au commencement des guerres civiles,
il faut tenir toutes les troupes réunies, parce qu’elles s’électrisent et
prennent confiance dans la force du parti : elles s’y attachent et s’y maintiennent
fidèles ! (Précis des G. de J.
César, ch. XI, 3e observation). — Aux yeux des Romains, Pompée
désertait. Il a
beau dire qu’il fait comme Thémistocle, que
[18] [César était plus clément et plus habile. Il pardonnait à ses prisonniers et tolérait la neutralité. - B. civ., 1, 63. — Suétone, César, 75. — Sur la panique à Rome, v. Dion Cassius, 12, 7, 8. – Lucain, 1, 475 et 486 et sq. : lire surtout Cicéron, ad Att., 7, 10-12. La procession de fugitifs couvrait la voie Appienne jusqu’à Capoue.]
[19] [Lentulus, à entendre César, n’aurait même pas pris le temps de fermer l’œrarium sanctius, contenant le fond de réserve, où se versait la vicésime prélevée sur la valeur des affranchissements (Tite-Live, 27,10), et auquel on ne touchait qu’à la dernière extrémité.]
[20] [B. civ., 1. 8-11 — cf. avec Cicéron, ad Att., 7, 14 ; 7,17 ; et ad fam., 16, 12. Les porteurs de paroles de César étaient les propres émissaires de Pompée : 1° L. Cœsar, le jeune (adolescens), fils d’un César lieutenant du Proconsul des Gaules ; homme de peu de portée et dont Cicéron se moque. Il combattit pour Pompée durant la guerre civile, fut gracié par César, puis alla peu après se faire tuer en Afrique : 2° le préteur urbain L. Roscius, ancien lieutenant de César dans les Gaules.]
[21] [B. civ., 1, 15. — Il ne faut pas le confondre avec le chef de cavalerie, qui servit dans les Gaules, et que Hirtius loue comme un homme de courage et de prudence (singularis et animi et prudentiœ. B. G., 8. 28). Le lieutenant de Pompée, qui commandait à Auximum au début de la guerre civile, était un prétorien, qui resta toujours fidèle au parti pompéien. — Après que Pompée aura abandonné l’Italie, il s’en ira en Afrique, s’y emparera du commandement (B. civ., 1, 31), se fera battre par Curion, brûlera quelques vaisseaux à César devant Hadrumète, et après Thapsus gagnera l’Espagne, où il retrouvera Gn. Pompée le fils. Il perdra la bataille navale de Cartéia, et ira mourir sur le champ de Munda (B. civ., 2, 23-34. – Hirtius, Bell. Afr., 62-63. - Dion Cassius, 41 ; 41, 42. 42, 57. 43 ; 30, 31. – Appien, B. civ., 2, 44, 46, 105).]
[22] [Appelé souvent à tort Gaius Lucceius Hirrus. — Tribun du peuple en 701 [53 av. J.-C.], ancien compétiteur de Cicéron pour l’augurat, de Cœlius pour l’édilité, souvent bafoué par eux dans la correspondance familière. Ils l’appellent le bègue (hillus. - ad fam., 2, 10). — C’est lui que Pompée enverra solliciter le secours du roi des Parthes ; et avant Pharsale, quand on se partage, dans le camp pompéien, les dignités et les honneurs, il se nomme préteur, pour son compte. César lui pardonnera.]
[23] [On ne le connaît guère que par la mention que César fait de lui à plusieurs reprises (B. civ., 1, 15, 22 ; 34, 38 ; 2, 10-11). — Il était l’un des ingénieurs de Pompée (prœfectus fabrum). César le relâchera après la prise de Corfinium. Il retournera aussitôt à Pompée, qui l’enverra en Espagne. Prisonnier une seconde fois, une seconde fois pardonné, et chargé de nouvelles paroles de paix, il accourt en Grèce, et annonce aux Pompéiens la prochaine arrivée de César en Grèce. — V. Cicéron, ad Q. frat., 3, 6, § 7. - ad Atticus, 7, 24. 8, 1, 2, 11, 15.]
[24] [On en trouve les
ruines non loin de la petite ville de Popoli
et de l’église de San Pelino, dans la
vallée de
[25] [V. B. civ., 1, 15-23 ]
[26] [Nous connaissons
par Cicéron la correspondance officielle de Pompée avec Domitius (Cicéron, ad Atticus, 8, 12). Il lui dit qu’avec sa petite
armée, éparpillée encore, il ne peut lutter contre César (nos disjecta manu
pares adversariis esse non possumus). Il faut venir à moi sans délai, sous
peine d’être coupé : tout au moins, laisse partir Vibullius avec les cohortes
du Picenum et de Camerinum... César, en ce moment, a plus d’hommes que nous :
bientôt, nous en aurons plus que lui... Je n’ai encore que 14 cohortes à
Lucérie... Viens donc, viens au plus vite avec tout ton monde. — Je ne puis aller à
toi : je ne me fie pas à mes légions (quod non magnopere his legionibus
confido). Je doute trop de leurs bonnes dispositions pour engager toute la
fortune de
[27] [V. les détails fort intéressants donnés par César, B. civ., 15-23. Il ne s’est arrêté que sept jours devant la place (ibid., 23). Rien de plus admirable que sa vigilance à côté de sa foudroyante rapidité. Il pardonne à tous, à Lentulus, à Domitius, qui s’est fait donner du poison par son médecin, et qui, heureusement, n’a pris qu’un narcotique (Plutarque, César, 34), à Vibullius, à tous. Il rend à Domitius 6.000.000 sesterces, qu’il avait déposés dans les caisses de la ville, et que les duumvirs corfiniens venaient de livrer.]
[28] [Aujourd’hui Sulmona, dans le val du Cizio. Patrie d’Ovide. Domitius y avait posté 7 cohortes. César, averti du bon vouloir des habitants, y dépêcha Marc-Antoine avec 5 cohortes. A la vue des aigles, Sulmoniens et soldats sortent en foule, remettent la place, et le soir du même jour, Antoine revient devant Corfinium (B. civ., 1, 18).]
[29] [César doutait que
Pompée abandonnât sitôt Brindes et l’Italie. A cheval sur l’extrémité de
[30] [Cicécon, ad Att., 8, 9 : hoc τέρας horribili
vigilantia, celeritate, diligentia est. Plane quid futurum sit nescio.
- Et ailleurs : Volare
dicitur (ad Att., 10, 9).
— L’abandon de l’Italie a été vivement reproché à Pompée, et par les
contemporains et par les modernes. Cicéron ne voit plus chez lui que
pusillanimité (μιxροψυχίαν
: ad Att., 8, 11. - 9, 11). César
s’étonne que maître de la mer, maître d’une ville très forte, et attendant ses
légions d’Espagne, il lui ait livré le pays (Plutarque, Pompée, 68). Enfin Napoléon Ier le condamne non moins sévèrement (Précis : ch. IX, observation 3). — Et il
ajoute : Si les
trente cohortes de Domitius eussent été campées devant Rome avec les deux
premières légions de Pompée ; si les légions d’Espagne, celles d’Afrique,
d’Egypte, de Grèce, se fussent portées, par un mouvement combiné, sur l’Italie,
par mer, il eût réuni avant César une plus grande armée que celui-ci.
— D’autres, au contraire, louèrent la résolution de Pompée comme un coup de
maître, et ne virent dans le départ pour
[31] [On aurait de même redouté les proscriptions si Pompée eût été vainqueur. Leur langage est cruel, à dit Cicéron, parlant de Lentulus, de Scipion et autres, à ce point que je m’épouvanterais de leur victoire. (In oratione ita crudeles ut ipsam victoriam horrerem) ! Ailleurs, il dit de même : Tanta erat illis crudelitas ut non nominatim, sed generatim proscriptio esset informata (ad fam., 7, 3, 4, 14. — Ad Att. 8, 11. - 11 6.]
[32] [Quinius Hortensius Hortalus, le fils du grand orateur (qui mourut dans la retraite vers 704 [50 av. J.-C.]). Il avait mené une vie dissipée : chassé par son père, il courut le monde : Cicéron le trouva à Laodicée, dans la compagnie de gladiateurs et de gens de basse profession (ad Att., 10, 18, 6, 3). Hortensius avait songé à l’exhéréder (Val. Max., 5, 9, 2). — Il courut à César au début de la guerre civile, et c’est lui qui alla saisir Ariminum, passant le premier le Rubicon (Suétone, César, 31. – Plutarque, César, 32). A peu de temps de là, il rendit de bons offices à Cicéron et à sa famille (ad Att., 10, 12, 16, 17, 18). Il commanda ensuite une escadre. — Après la mort de César, il revient au parti républicain, commande en Macédoine, est proscrit, fait tuer G. Antonius, frère de Marcus, et après Philippes, où il est fait prisonnier, est exécuté sur le tombeau de sa victime.]
[33] [Allusion à Antoine, que César laissera en Italie, en qualité de propréteur, et qui, au grand scandale de Cicéron, parcourra les villes, ayant la mime Cythéris dans sa litière ouverte, sa femme dans une autre, et suivi de sept autres litières encore, remplies de ses amies et amis (ad Att., 10, 10).]
[34] [B. civ., 1, 23. — V. aussi Appien, 2, 38. — Cependant le fait a été d’abord contesté. Cicéron, ad Att., 8, 14.]
[35] [On ne connaît bien César que quand on lit dans la correspondance de Cicéron, et la lettre qu’il écrivit à celui-ci (ad Att., 9, 16), et celle qu’il adresse à Oppius et Balbus, ses familiers (ad Att., 9, 7, c). Il sait gré à Cicéron d’avoir bien auguré de lui : rien n’est plus loin de lui que la cruauté... Peu lui importe que ceux qu’il a mis en liberté [à Corfinium], s’en retournent à l’ennemi : il aime mieux, avant tout, rester semblable à lui-même (nihil enim malo, quam et me mei similem esse, et illos sui) ! — Et à Balbus : J’agis d’autant plus volontiers selon votre conseil, que je ne fais, d’ailleurs, que ce que j’ai résolu de moi-même, en me montrant le plus doux possible, et en travaillant à me réconcilier avec Pompée. Ici je cite textuellement d’admirables paroles : Temptenus hoc modo, si possumus omnium voluntates recuperare et diuturna victoria uti : quoniam reliqui crudelitate odium effuagere non potuerunt, neque victoriam diutius tenere prœter unum L. Sullam, quem imitaturus non sum. Hœc nova sit ratio vincendi ut misericordia et liberalitate nos muniomus. (Essayons par là de ramener à nous, s’il est possible, les volontés de tous, et usons ainsi de notre victoire d’aujourd’hui : les autres, se montrant à cruels, n’ont pu éviter la haine, et consolider la victoire, sauf un seul, L. Sylla, que je n’imiterai point. Telle est, pour vaincre, ma recette nouvelle : le pardon et la bienveillance me seront un rempart). Et il continue sur ce ton, en racontant comment il renvoie avec la vie sauve, Gn. Magius, le second ingénieur de Pompée qu’il ait fait prisonnier. — Balbus et Oppius, qui écrivent à César, à qui César répond, et dont Cicéron communique ici les dépêches, étaient des hommes importants.
L. Cornelius Balbus
major, Espagnol, né à Gadès, avait rendu des services à
G. Oppius mena à Rome la même vie d’affaires que Balbus, aussi dans l’intérêt de César, et de concert avec l’Espagnol naturalisé. Au temps d’Aulu-Gelle, il existait encore toute une correspondance entre lui et César. On sait l’anecdote racontée par Plutarque (César, 17) et Suétone (César, 71). Un jour, durant un orage, le Triumvir fit entrer son ami, malade et délicat, dans une petite hutte, et coucha en plein air. — Après la mort de César, Oppius se rangea aussi du côté d’Octave. Niebuhr et quelques autres lui attribuent la rédaction du livre de Bello africano, dans les Commentaires. Il écrivit, d’ailleurs, une série de biographies sur les principaux hommes politiques de son siècle.]
[36] [Ainsi, après le Rubicon franchi, il négocie avec Pompée, par l’intermédiaire de L. César et du préteur Roscius (B. c., 1, 7-11) : devant Brindes il emploie Numerius Magius Cremona (1, 24, 26) : à Rome il veut que le Sénat envoie des députés à Pompée (1, 32) : en Illyrie, plus lard, il renouvelle ses tentatives par la bouche de L. Vibullius Rufus : sur l’Apsos, par la bouche de P. Vatinius (3, 10, 19) : et enfin par celle de Scipion, beau-père de Pompée (3, 51-58). — Et l’historien Velleius en fait la remarque ; nil relictum a Cœsare, quod servandœ pacis causa tentari posset : nihil receptum a Pompeianis... Il faut lire tout le passage (2. 49).]
[37] [Voyez les angoisses de conscience de Cicéron, si longtemps indécis, et demandant conseil à ses amis, dans toutes ses lettres d’alors.]
[38] [B. civ., 1, 32-33. Ces tribuns étaient Antoine et Cassius : César ne pouvait faire la convocation, étant proconsul. De même l’assemblée eut lieu hors des portes.]
[39] [Pompée quittant
Rome avait préposé Cicéron à la garde des côtes campaniennes (ad fam., 16, 11. - ad Att., 7, 7). A Formies, où il va d’abord, celui-ci voit
Lentulus, le consul, et se répand en plaintes, en gémissements sur la
situation. Il ne sait s’il doit persister dans le parti de Pompée, dont la
cause, mal conduite, lui semble désespérée. — A Minturnes, il s’entretient avec
Lucius Cœsar, porteur de paroles pour l’Imperator. — Puis, quand il apprend, en
Campanie, que Pompée a battu en retraite sur Brindes, ses incertitudes
redoublent. Il ne veut pas se donner à César, qui cherche à le gagner par mille
moyens : il hésite à suivre au-delà des mers le déplorable général de
Le 27 mars, César est à Sinuessa. Nouvelle lettre à Cicéron ; nouvelles instances rassurantes (ad Att., 9, 16). Cicéron ne va pas au rendez-vous : César alors va le trouver chez lui, à Formies (28 mars). Ici le grand orateur retrouve quelque fermeté, et la dignité du caractère. — Il ne lui sied pas de s’employer pour la paix, en obéissant aux intentions de César, à l’encontre de la volonté du Sénat. Je ne veux point être là : ou je tiendrais ce langage, et je dirais bien d’autres choses encore que je ne puis taire, ou il me faut ne pas y aller ! (ad Att., 9, 18). On se sépare là-dessus, et en froid. Mais Cicéron est content de lui-même (At ego me amavi, quod mihi jam pridem usu non venit). Je l’ai offensé ; raison de plus pour agir prudemment !
A quelque temps de là César lui écrit encore de Rome :
il lui pardonne son abstention, mais pendant ce temps, soit affection pour
Pompée, soit plutôt affection pour
[40] [Adjuvat etiam Piso, quod ab urbe, discedit, et condemnat generum suum (ad fam., 14, 14).]
[41] [Consul en 703 [51 av. J.-C.] avec M. Claudius Marcellus. Servius Sulpicius Lemonia Rufus fut l’ami de Cicéron, qui le vante comme un orateur et un jurisconsulte réputé (Brutus, 41). Il fut l’un des accusateurs de Muréna ; consul élu pour 691 [-63]. — C’est lui qui, interroi en 702 [-52], avait nommé Pompée consul sans collègue. — Plus tard, après Pharsale, César le fit proconsul en Achaïe (ad fam., d, 3). Il mourut (711 [-43]) au camp d’Antoine, sous Modane, où le Sénat l’avait envoyé en mission.]
[42] [Il y prit (selon
Orose, 6, 15),
[43] [Cf. le discours de Lentulus, B. c., 1, 1 : et le discours de César, B. c., 1, 32.]
[44] [César convient qu’il perdit trois jours à entendre les protestations des uns, les excuses des autres (triduum disputationibus excusationibusque extrahitur) ; puis, que la querelle avec Metellus lui prit quelques jours encore (1, 33) — Il aurait quitté Rome fort mécontent. Il sait, dit Cicéron, que l’affaire du trésor a froissé le peuple (se apud ipsam plebem offendisse de œrario) : il voulait le réunir une fois encore : il ne l’osa pas, et partit vivement troublé. C’est Curion qui, visitant Cicéron à sa villa de Cume, lui fait ce récit (ad Att., 90, 4, § 3). N’est-il pas exagéré ? Drumann suppose que le peuple ne regretta qu’une chose, l’argent qui lui était promis, mais non encore distribué (Drum., III. p. 446).]
[45] [C’est bien du fameux polygraphe, Marcus Terentius Varro, du plus savant des Romains qu’il s’agit ici. Varron, était né en 638 [116 av. J.-C.]. Sous le rapport littéraire, il en sera amplement question plus loin (ch. XII). Mais sa carrière politique n’avait point été insignifiante : il avait eu un commandement naval dans la guerre contre Mithridate (Pline, H. n., 3, 11, 7, 30. Appien, Mithridate, 95, et Varron, de re rust., 2, prœf.). Lieutenant de Pompée en Espagne, on le verra lui rester fidèle, passer en Grèce, et assister au désastre de Pharsale. Reçu à pardon par César, il ne s’occupe plus que de ses travaux d’homme de lettres et de bibliothécaire (Cicéron, ad fam., 9, 6). — Un jour il est proscrit : plus heureux que Cicéron, il échappe aux assassins, et gagne la protection d’Octave. Il meurt, à 89 ans, en 726.]
[46] [Marcus Petreius, bon et énergique soldat, qui gagna tous ses grades à la pointe de l’épée (v. Salluste, Catilina, 59, 60. – Cicéron, pro Sest., 5). — Après le désastre d’Ilerda, il ira rejoindre Pompée : puis, après celui de Pharsale, ira combattre en Afrique. Enfin, après Thapsus, il se réfugiera avec Juba dans une villa du roi numide, où tous deux se donneront la mort.]
[47] [Les critiques
militaires varient sur la route prise par l’avant-garde de César. Les uns
(Guischardt, mémoires militaires, I, 28), pensent que Fabius, le lieutenant de
César, suivit tout simplement la route du Col
de Pertuis, la route du trophée de Pompée, par Ruscino, Illiberis, Fircaria (Figueras), Girona, et Barcino (Barcelone), puis de là gagnant Tarragone, quitta la côte, et tira
sur Ilerda, par l’embranchement de la voie de l’ouest. — Mais ce trajet était
bien long, alors qu’il s’agissait d’une lutte de vitesse (adhibita celeritate. B. civ., 1,
37), Gœler (Guerre civ., p. 25)
estime au contraire que les Césariens partis de Narbonne ont remonté la vallée
du Tet, et franchissant le col de Puycerda, sont immédiatement
descendus dans la vallée de
[48] [Le modius romain (6 fois moindre) valait 50 deniers (César, B. c., I, 52), environ 41 francs.]
[49] [B. C., I, 53. — On alla en foule à la maison d’Afranius, pour complimenter les siens : d’autres se décidaient enfin pour Pompée, et accouraient à lui, voulant lui porter les premiers la nouvelle de la défaite de César.]
[50] [Sur tous les détails qui précédent : B civ., 1, 48-54]
[51] [Carabus : parva scapha ex vimine facta, quœ contexta erudo crudo genus navigii prœbet (Isidore, orig., I, 19. - B. c., I, 54. - Luc., 4, 130 et s.). — Les Bretons appelaient ces embarcations des coricle ou coracles.]
[52] [César, dans cette
campagne d’Ilerda, a, comme d’habitude, ordonné à ses soldas des travaux
gigantesques. Déjà, durant la première partie du siège, et pendant la guerre
d’escarmouches qui a précédé le débordement de
[53] [B. c., 1, 59-89. César a consacré toute
la fin du premier livre de ses Commentaires au récit de la campagne d’Ilerda.
Nous y renvoyons pour les détails. En partant pour l’Espagne, il avait dit qu’il allait y
combattre une armée sans général, pour revenir combattre un général sans armée
(ire se ad
exercitum sine duce, et inde reversurum ad ducem sine exercitu
(Suétone, César, 84). — Par la
rapidité, et l’ascendant
de ses manœuvres, il enlève à l’ennemi la ligne des Pyrénées, et
profitant de sa faute, il s’attache à le tourner devant Ilerda, lui barre le
passage de l’Èbre, et réduit une armée égale en force à la sienne. -
(V. Précis des guerres de César, ch.
X). — La campagne de Lérida a été étudiée par tous les écrivains militaires,
par le colonel C. Gottlieb Guischardt
(Quintus Icilius), l’historiographe
savant à la suite du Grand Frédéric, dans les Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains (
Quant au lieu où se fit la capitulation, il ne peut
être Mequinenza, comme le dit
Napoléon (Précis. l. c.) : Mequinenza
est sur la rive droite de
[54] [Santiponce, non loin de Séville, sur la rive droite du Guadalquivir.]
[55] [B. c., 1, 38 ; 2, 17-22. Varron se comporta en homme de faible cœur. — Au début, son langage, son attitude affectent une modération grande envers César. Il ne fait aucun mouvement défensif (B. c., 2, 16). Mais, quand il voit César en échec devant Ilerda, il se décide (se quoque ad motus fortunaœ movere cœpit) ; ramasse des armes, des vaisseaux, des munitions, dépouille les temples au profit de la caisse militaire, et parle haut contre César (I, 18). — Toute cette effervescence tombe quand la fortune a tourné (16-21). Epouvanté (perterritus), il se rend à merci ; et livre ses munitions et sa flotte, ne demandant que le pardon.]
[56] [Déjà nous avons
dit qu’il ne faut pas confondre D. Brutus Albinus avec M. Junius Brutus,
le favori de César et l’un des chefs de la conspiration des Ides de Mars. Decimus Brutus
Albinus, le héros de la guerre des Vénètes et du siège de
Marseille, fils du Brutus, consul en 617 [77 av. J.-C.], reçut de César, après
Marseille prise, le commandement de
[57] [12 vaisseaux longs, mis en chantier à Arles (B. c., 1, 36).]
[58] [Population des montagnes au nord de Marseille, B. c., 1, 34.]
[59] [Ramassés dans les îles et sur la côte de Toscane. - B. c., 1, 36, 56.]
[60] [B. c., 34-37 ; 56-59. Brutus eut recours au moyen qui avait servi a Duilius contre les Carthaginois (à Mylæ), et à lui-même contre les Vénètes. Ses hommes abordaient les vaisseaux de Domitius à l’aide de grappins et de mains de fer ; puis, combattant comme sur terre, ils reprenaient aussitôt leur avantage.]
[61] [Lucius ou Quintus Nasidius, lieutenant naval de Pompée. De Marseille, il ira en Afrique avec ses vaisseaux ; puis d’Afrique en Espagne. En 719 [35 av. J. C.], on le retrouve auprès de Sextus Pompée : enfin, il se rangera du côté d’Antoine, et se fera battre à Patræ, par Agrippa, à la veille d’Actium.]
[62] [B. c., 2, 3-7. Lire le détail intéressant du combat naval ; qui se livra en vue de terre.]
[63] [Magis eos pro nomine et vetustate quam pro meritis in se civitatis conservans. B. c., 2, 22.]
[64] [César donne, pour ainsi dire, le bulletin du siège de Marseille (B. c., I, 34-36 ; 2 1-16, et 22). Les détails précis sur lesquels il s’étend, sont, pour la topographie et l’histoire, d’un haut intérêt, en même temps qu’on y voit en action tous les moyens et engins à l’usage des Grecs et des Romains, pour l’investissement et la défense des places. Mamurra y fut le principal, ingénieur de César.
La situation de Marseille était encore, au temps de César, ce qu’elle avait été à l’origine : la ville s’élevait sur une presqu’île, baignée de trois côtés par la mer : du quatrième côté, un mur avec tours, au-dessus d’un vallon profond, la séparait de la terre ferme. Le port de Lacydon, ainsi il s’appelait, était au sud (B. c., 2, 1) :
......... cujus urbis hic situs :
Pro fonte litus prœjacet : tenuis via
Patet inter undas : latera gurges alluit :
Stagnum ambit urbem, et unda lambit oppidum
Laremque fusa : civitas pœne insula est...
(Fest. Avien. ora maritima, 94).
Aujourd’hui le port ancien n’existe plus, et le port
actuel (le Vieux-Port) est tourné
vers le couchant (Walkenaer, Geogr. anc.
des Gaules, I, p. 25 et note 2). La cathédrale (N.-D. de
[65] [M. Aurelius Cotta (B. c., 1, 5, 28), avait été consul en 689 [66 av. J.-C.]. Après la conjuration de Catilina, il avait le premier, dans le Sénat, proposé une supplicatio, en l’honneur de Cicéron : puis, le premier encore, avait proposé son rappel d’exil. — Il paraît au cours de la guerre civile être revenu à César. Cicéron vante souvent son talent et sa prudence.]
[66] [Q. Valerius Orca. Il n’est connu que par trois lettres de Cicéron (ad fam., 13, 6, 4, 5), et par la mention que fait de lui César. Il avait été préteur en 696 [58 av. J.-C.] : puis avait administré la province d’Afrique : durant la guerre civile, César l’a pour lieutenant (B. c., 1, 30-31), et, en 708 [-46], le fait commissaire répartiteur des terres à donner à ses soldats. C’est alors que Cicéron lui écrit dans l’intérêt des Volaterrans.]
[67] [Les Caralitains le chassèrent en apprenant que Valérius arrivait (B. c., 1, 30).]
[68] [Gaius Caninius Rebilus, de la gens plébéienne Caninia, fut lieutenant de César dans les Gaules (B. G., 7, 83, 90 ; 8, 24). Devant Brindes, il alla porter à Scribonius Libo, son ami, et lieutenant de Pompée, des propositions de paix (B. c., I, 26). César, comme le dit notre texte, l’avait placé prés de Curion, parce qu’on le savait magnum habere usum in re militari (B. c., 2, 34). — En Afrique, il échappera au désastre où Curion périt (ibid., 2, 24), prendra part, plus tard, à la campagne de Thapsus (Bell. Afric., 86, 93), puis passera en Espagne. Consul suffectus, pour quelques heures, à la fin de 705 [-49], en remplacement de Q. Fabius Maximus, décédé la veille des Calendes de Janvier. De là les plaisanteries de Cicéron : Ce consul-là n’a point fait de mal ! Il fut d’une admirable vigilance, et n’a point dormi durant tout son office ! C’est à en pleurer, à force d’en rire ! (Cicéron, ad fam., 7, 30. – Plutarque, César, 58).]
[69] [B. c., 1, 30. — Sa conduite n’en fut pas moins sévèrement jugée (ad Att., 10, 16) : Si tenuisset, omnes boni ad eum se contulissent... O... turpem Calonem !]
[70] [Le commandant désigné par le Sénat pour la province d’Afrique, était Lucius Ælius Tubero, ami et compagnon d’études de Cicéron (B. C., 1, 30). Mais, le propréteur, C. Considius Longus, auquel il succédait, était parti sans l’attendre, laissant toutes choses aux mains de Q. Ligarius, son lieutenant. Sur ces entrefaites, arrive Altius Varus, abandonné par ses soldats à Auximum : ils s’entendent entre eux et empêchent le débarquement de Tubéron, qui s’en va rejoindre Pompée en Grèce : César lui pardonnera. — Quant à Q. Ligarius, il combat sous Varus, et reste en Afrique jusqu’après Thapsus. Plus tard, accusé devant César par le fils de Tubéron, il est défendu par Cicéron (pro Ligar.). Cette fois encore, César pardonne, et Ligarius, un jour, se rangera parmi ses assassins. Il périra proscrit.]
[71] [A Anquilaria, entre les promontoires de Mercure (cap Bon), et d’Apollon (cap Zibeh). Lucius Cœsar, le jeune, lieutenant de Pompée, l’attendait à la hauteur de Clypea : mais il prit terre, et gagna Hadrumette où Considius Longus, revenu en Afrique, s’était posté avec une légion (B. C., 2, 23).]
[72] [Castra Corneliana (Tite-Live, 29, 35 - et César, B. c., 2, 24) : les deux descriptions sont conformes.]
[73] [Voir le récit du combat où Varus, fuyant, faillit être tué par un simple soldat (B. c., 2, 35-36).]
[74] [Les deux légions qu’il y a laissées et le reste de sa cavalerie (B. c., 2, 35.37).]
[75] [César dit LX éléphants, B. civ., 2. 40.]
[76] [B. c., 2, 38-44. — Comparez le récit d’Appien, 2, 44 et s. et celui de Dion Cassius, 41, 41. — Ces historiens sont sévères pour Curion, dont César, au contraire, voudrait excuser la témérité folle. La mort de Curion a inspiré à Lucain de beaux vers (Pharsale, 4. 799 et sq.) :
Quid nunc rosira tibi prosunt turbata, forumque ?...
Puis, son invective tourne aussi bientôt à l’éloge et aux regrets :
Digna damus, juvenis, merito prœconia vitœ !
Haud alium tanto civem tulit indole Roma......]
[77] [V. ses discours à ses officiers en conseil de guerre, et à ses soldats (B. civ., 2, 31, 32). Sans doute, c’est César qui les met dans sa bouche ; mais César n’écrit que sur le rapport des témoins auriculaires.]
[78] [Santa Maria di Siponto, à un kilomètre au sud de Manfredonia.]
[79] [Le gendre de Cicéron, aussi dépravé que Curion, sans racheter, comme lui, ses fautes par l’éclat du talent. P. Cornelius Dolabella, de la gens patricienne Cornelia, fort jeune encore est membre du collège des quindecemvirs (sacris faciundis : 703 [51 av. J.-C.]) : il accuse App. Claudius (consul en 700 [-54]), pour crime de majesté et de brigue.
Lui-même, Cicéron l’avait défendu avant son départ pour
Après Pharsale, Dolabella reviendra à Rome, où, toujours
perdu de dettes, il passe aux plébéiens, comme avait fait Clodius, en se
faisant adopter par Gnœus Lentulus. Tribun du peuple en 706 [-48], il propose
la radiation totale des dettes, pendant que César est retenu dans Alexandrie
(v. infra, ch. XI). De là des tumultes sanglants. — César l’emmène ensuite en
Afrique et en Espagne. Il lui avait promis le consulat pour l’an 710 [-44] ; à
sa mort, Dolabella, faisant cause commune avec les meurtriers, prend les
insignes consulaires. Il n’a encore que 25 ans, et n’a point passé par les
charges antérieures. Il renverse l’autel de César et la colonne qui lui est
dédiée sur le Forum : il précipite de la roche Tarpéienne ou fait clouer sur la
croix les fanatiques venus pour sacrifier au dieu assassiné la veille ; et ces
férocités républicaines lui valent l’éloge du parti. Bientôt, il se fait donner
Tullia avait divorcé, alors qu’elle était enceinte.
Nous avons insisté sur la simple esquisse qui précède, parce qu’elle est aussi de celles qui nous font voir au vrai l’état des moeurs privées et politiques, à Rome, en ces temps funestes. — On trouvera dans la correspondance de Cicéron nombre de lettres concernant Dolabella, ou même adressées à lui. Les sentiments les plus opposés s’y font successivement jour. — Tantôt, dans une missive à Terentia (Cal. février 704 [-50]. - ad fam., 14, 14), le beau-père se flatte que si César livre Rome au pillage, Dolabella, du moins, pourra leur être utile (sin homo amens diripiendam urbem daturus est, vereor ut D. ipse satis nabis prodesse possit. - V. aussi ad Att., 7, 13 ; ad fam., 14, 18). — Ailleurs, il lui peine de le savoir auprès de César (ad fam., 16, 12) ; puis bientôt, Dolabella est un jeune homme excellent, qui lui est cher (ad fam., 11, 16) ! — Puis, il lui donne des leçons d’éloquence (en 707 [-47] - ad fam., 9, 16 ; 7, 33). Mais voici que Tullia divorce, et Cicéron voudrait bien faire rentrer la dot (ad fam., 6, 28), que Dolabella se gardera de rendre jamais : quand sa fille est morte, des suites de ses couches (février 708 [-46]) Cicéron lui écrit une lettre triste, affectueuse, et curieuse en ce sens qu’elle atteste que malgré le divorce, les bonnes relations n’ont pas cessé entre eux. D’ailleurs, Dolabella s’emploie alors et lutte même pour son ex-beau-père (prœlia te mea causa sustinere - ad Dolab. - ad fam., 11, 11). Et puis, plus tard, quels éloges, quand Dolabella massacre les Césariens ! Ô mon admirable Dolabella ! ...... spectacle grandiose ! ...... la roche Tarpéienne ! ...... la croix ! ...... Cette colonne jetée à bas ! ...... quel héroïsme ! etc. (ad Att., 14, 15). Quelle vaillance ! Je ne cesse de l’exhorter, de le louer (ibid., 14, 16). — Je suis content de ta gloire ! (Cicéron, Dolab. suo, ad fam., 9, 14). Et il continue ainsi (ad Att., 14, 19 ; 18, 21) : On le porterait aux nues, si seulement il payait quelque terme sur la dot ! Mais bientôt, comme je l’ai dit, tout change : le héros n’est plus qu’un scélérat (ad fam., 12, 15), chose hélas ! trop vraie, et lorsqu’on apprend qu’il s’est enfermé dans Laodicée, on espère, bien qu’il y trouvera la peine de ses crimes (ibi spero celeriter eum pœnas daturum. Lentulus à Cicéron, ad fam., 12, 14, et Cicéron à Cassius, 12, 8 ; 12, 10). — Que de faiblesse, que d’inconsistance de caractère et d’opinions chez ce grand et bon citoyen !]
[80] [Marcus Licinius Crassus Dives. On ne sait que peu de chose de lui, si ce n’est qu’à cause de sa ressemblance avec le sénateur Axius, on soupçonna sa mère Tertulla de n’avoir point gardé la fidélité conjugale (Suétone d’ailleurs (César, 50), rapporte qu’elle avait aussi cédé à César). Il avait été questeur en Gaule, après le départ de son frère Publius, le lieutenant de Crassus le père dans la guerre parthique (B. G., 5, 24, 46-47 ; 6, 6). Par Publius, il s’était lié avec Cicéron. On ne sait pas la suite de sa vie.]
[81] [G. Antonius, le second fils de M. Antonius, surnommé par dérision Creticus. Il avait été questeur de Minucius Thermus, propréteur en Asie (703 [51 av. J.-C.]). — Capturé à Curicta, comme on le va voir, il resta prisonnier au camp de Pompée : la bataille de Pharsale le délivra. — A l’époque de la mort de César, il est pontife, puis préteur urbain (710 [-44]), alors que son frère aîné, Marcus, est consul, et que son plus jeune frère, Lucius, a le tribunat. — Il reçoit la province de Macédoine. Mais déjà Brutus l’y a précédé avec des forces supérieures : il est battu par Cicéron le Jeune, et se réfugie dans Apollonie, où il est pris. A quelque temps de là, Brutus le fait tuer (712 [-42]), à l’instigation d’Hortensius le fils, et pour venger l’assassinat de Cicéron le consulaire.]
[82] [M. Octavius, de la gens plébéienne des Octaviens, édile en 704 [50 av. J.-C.] avec M. Cœlius (Cicéron, ad fam., 3, 4 - ad Att., 5, 21 ; 6, 1). Quand éclate la guerre civile, fidèle aux traditions aristocratiques de sa famille, il se range du côté de Pompée. — Après Pharsale, il revient en Illyrie avec sa flotte, défait Gabinius : puis, battu lui-même par Vatinius et Cornificius, il va en Afrique (B. Alex., 42-46). Après Thapsus, il a encore sous ses ordres deux légions, et prétend au commandement. — Enfin on le revoit à Actium, où, lieutenant d’Antoine, il commande au centre (Plutarque, Cato min., 65, et Antoine, 65).]
[83] [Lucius Scribonius Libo, d’une famille plébéienne, fut tribun du peuple en 698 [56 av. J.-C.] : dès cette époque, il appuie Pompée qui veut l’expédition d’Égypte. — Au début de la guerre civile, il a le commandement de l’Étrurie. Il rejoint Pompée en Campanie, et le suit à Brindes. Là, César, par l’intermédiaire de Caninius Rebilus, ami de Libo, transmet à celui-ci de nouvelles paroles d’accommodement auxquelles Pompée coupe court. Les consuls sont partis : on ne peut entrer en pourparlers sans eux ! (B. c., 1, 26. – Cicéron, ad Att., 1, 12 ; 8, 11). Libo sert ensuite sur la flotte comme lieutenant de Bibulus, l’amiral de Pompée : puis, à la mort de Bibulus, il lui succède. Chargé de bloquer Antoine dans Brindes, il le laisse échapper, avec le second corps, qui va rejoindre César en Épire (B. c., 3, 15-24). — Jusqu’à la mort du dictateur, on n’entend plus parler de lui. Mais, en 710 [-44], nous le retrouvons en Espagne avec Sextus Pompée, son gendre (ad Att., 16, 4). Un peu plus tard, Octave, par le conseil habile de Mécène, épouse Seribonia, sa sœur, déjà deux fois veuve. Ce mariage amène la réconciliation des Triumvirs, à laquelle Libo contribue (715 [-39]). Enfin, en 720 [-34], Libo est consul avec M. Antoine : et son nom, depuis lors, tombe dans l’oubli de l’histoire.]
[84] [Lucius Minucius Basilus prit le nom de son oncle maternel, qui l’avait adopté : son nom d’origine était Marcus Satrius. Il servit en Gaule, en 700 et 702 [54-52 av. J.-C.] (B. G., 6. 29-30 ; 7, 92), où il demeura, sans doute, jusqu’à la guerre civile. César lui donna alors un commandement naval (Florus, 4., 2 ; Lucain, 416). Comme Brutus et tant d’autres lieutenants, il leva le poignard sur le dictateur, ce dont Cicéron le loue (ad fam., 6, 15). Il fut bientôt tué lui-même par un esclave.]
[85] [Appien, B. c., 2, 47. – Florus, 4, 2. – Orose, 6, 15. - Dion Cassius, 41, 40, et Lucain, 4, 402-581. Tout cet épisode manque dans les Commentaires. Selon les critiques allemands, il était raconté à la fin du livre 2, B. civ., qui tourne court, et est de moitié moins long que les deux autres. Le chap. 9 du livre 3 est également incomplet ; mais au chap. 10, dans les paroles qu’il charge Vibullius Rufus, son prisonnier pour la seconde fois, de porter à Pompée, César fait mention de l’affaire de l’île Curicta (militumque deditione ad Curiclam). Ailleurs (B. c., 3, 67), il dit que G. Antonius avait été trahi par Tit. Pulio, un de ses officiers. (V. sur lui B. G., 44). — Enfin (3, 4) César énumère, parmi les forces de Pompée, les soldats d’Antoine faits prisonniers (Antonianos milites admiscuerat). — C’est au cours de la campagne malheureuse d’Illyrie que se place le trait d’héroïsme des recrues d’Opitergium.]
[86] [Aux termes exprès
du droit l’assemblée légitime du conseil de Rome
de même que
[87] [M. Mommsen dit par antithèse l’hypertonie en pleine fleur. Nous n’avons pu traduire mot à mot.]
[88] [C’est le mot de Labienus, rompant les conférences sur l’Apsos, entre Vatinius et Varron. B. c., 3, 19... nam nobis nisi Cœsaris capite relato pax esse nulla potest.]
[89] [B. c., 3, 83. – Cicéron, ad Att., 11, 6. – Suétone, Néron, 2). — Et toutes ces propositions follement cruelles émanaient d’hommes qui se disputaient par tous les moyens les simulacres des honneurs républicains. A Domitius, il fallait le pontificat, et il avait pour rivaux Lentulus et Scipion, le beau-père de Pompée. Il appelait Cicéron, son ancien ami, un lâche, mais celui-ci redoutait la victoire des Pompéiens plus que celle de César : Je ne me repens pas de m’être tenu à l’écart de l’armée : toutes ces cruautés, toutes ces alliances avec les nations barbares, la proscription préparée, non contre tels et tels, mais en masse ! J’ajoute, que tous l’avaient décidé, vos biens étaient la proie de leur victoire : je dis vos biens, etc. (ad Att., 11, 6).]
[90] [Acutius Rufus, un inconnu (B. c., 3, 83. – Plutarque, Pompée, 67 ; César, 41).]
[91] [Le texte dit teints en laine (in der Wolle gefœrbten).]
[92] [Plutarque, Pompée, 65, et Cato min., 53.]
[93] [César, B. civ.,
3, 82. - Dion Cassius 12, 55. — Pompée avait dépêché à Orodès Lucilius
Hirrus, demandant l’alliance et des secours : et celui-ci ne voulant pas
consentir à l’abandon de
[94] [Échappé de Rome,
où, une première fois, Pompée l’avait conduit prisonnier (691 [63 av. J.-C.]),
Aristobule était rentré en Judée. Là, Gabinius l’avait assiégé et pris (697
[-67]) dans Machœrus de Pérée (au nord de
[95] [Presque tous ces détails sont fournis par César (B. c., 3, 3-5 ; Appien, B. c., 2, 70, Velleius, 2, 51, et d’autres le complètent). Déjà, M. Mommsen a dit l’ascendant tout puissant de Pompée parmi les Orientaux : pour n’être point tout à fait injuste envers lui, il faut reconnaître que son mouvement d’Italie en Grèce avait eu lieu sous l’inspiration d’un double motif politique et militaire. Politiquement, Pompée, champion apparent des constitutionnels, ne travaillait en réalité que pour lui-même. La cause républicaine lui était indifférente : il voulait être un Sylla, mais pour régner (mirandum in modum Gnœus poster Sullani regni similitudinem concupivit (ad Att., 8, 3). - Sullaturit ejus animus et proscripturit diu (ad Att., 9,.10). Il ne dissimulait guère sa pensée. De là, son stationnement en Macédoine. Il y appelait les forces de l’Orient, et ne songeait à repasser en Italie que quand, ayant terrassé César, il pourrait rentrer dans Rome en maître et monarque absolu. — Militairement, les soldats des Orientaux et leurs flottes lui appartenaient à lui seul, et au besoin, il comptait les pouvoir tourner aussi bien contre ses amis que contre son adversaire (V. sur ce point, les très-justes observations de Merivale : hist. of the Rom. under the Empire (hist. des Rom. sous l’empire) 2, p. 159 et s.). — Quant aux dynastes auxiliaires, nous n’avons que quelques mots à en dire.
Dejotarus
nous est bien connu. — Tétrarque en Galatie, il avait aidé Pompée contre
Mithridate, ainsi qu’il a été raconté. Il avait de même offert ses services à
Cicéron, lorsque celui-ci, proconsul en Cilicie (703 [51 av. J.-C.]),
manœuvrait contre les Parthes, menaçant
Sadala ou Sadales, fils de Catys, roi thracique. César lui pardonna après Pharsale. Il succède à son père et meurt, léguant son royaume à Rome (702 [-42]).
Rhascypolis
ou Rhaskyporos, chef de clan sur la côte nord de
Ariobarzane avait amené les 500 cavaliers du contingent de Cappadoce. Il était le petit-fils du roi Ariobarzane Philoromœus, qui lutta contre Mithridate : il portait lui-même les surnoms d’Eusébès et Philoromœus (Cicéron, ad fam., 15, 2). Il devait de fortes sommes à Pompée et à M. Brutus (ad Att., 6, 1-3). César lui pardonna et le protégea contre Pharnace (B. Alex., 34 et s). Cassius le fit tuer, parce qu’il complotait (702 [-42]) contre lui en Asie (Dion Cass. 46, 33. – Appien, B. civ., 4, 63).
Antiochus Ier, roi de Commagène. En 716 [-38], Antoine tentera de le renverser pour s’emparer de ses trésors, mais n’ayant pu prendre Samosate, sa capitale, il fera sa paix avec lui (Plutarque, Antoine, 34 ; Dion Cass., 49, 20-22). On ne sait rien de plus de lui.
De l’arménien Taxile, on ne connaît que la mention (Appien, 2, 7.1), du secours qu’il amène à Pompée. Il en faut dire autant de Mégabatès. César ne les nomme même pas.]
[96] [Tarcondimotos, roi de Cilicie (ainsi l’écrivent les médailles), le Tarcondarius Castor de César (B. civ., 3, 4), le Tarcondimatus de Cicéron (ad Att., 15, 1), le Castor Saôcondarios de Strabon (12, 568), gendre de Dejotarus (v, la note qui précède). César lui pardonna. Tué en 723 [31 av. J.-C.], dans un combat naval contre Agrippa.]
[97] [Ad Att., 9, 10 ; Lucain, 7, 526.]
[98] [Lucain, 3, 284, et passim. — Domitius Ahenobarbus l’appelait Agamemnon et Roi des rois (Plutarque, Pompée, 67 ; Appien, B. c., 2, 67.]
[99] [Verria, sur les pentes est de l’Olympe (Leake, Northern Greece, 3, p. 291).]
[100] [Suétone (César,
69) affirme qu’il n’y eut jamais de sédition parmi les troupes de César au
cours de la guerre des Gaules, mais qu’au contraire plusieurs mutineries se
manifestèrent au cours de la guerre civile : à Plaisance, César aurait licencié
ignominieusement
.........Discedite
castris.
Tradite
nostra viris, ignavi, signa, Quirites !
— V. aussi Dion Cass., 42, 63) ?]
[101] [Il semble qu’il eût mieux fait de les diriger (ses légions)
par l’Illyrie et
[102] [On y avait cru
pourtant : on lui prêtait un grand dessein à
[103] Le
[104] [César dit terrain Germiniorum (B. c., 3, 6). On croit généralement à une leçon fautive des manuscrits. Non loin-de là était la localité appelée Chimœra, dont le nom s’est conservé jusqu’à ce jour.]
[105] [César fit de nouveau plusieurs tentatives de paix. - B. c., 3, 10-11, 19.]
[106] [Plutarque, César, 38. - Dion Cass., 41, 46. – Appien, B. c., 2, 57. – Lucain, 5, 500-677. – Florus, 4, 3. — Après avoir avec peine franchi la barre de l’Apsos, voyant le nautonier épuisé de fatigue, et effrayé par les vagues et la tempête - Que crains-tu, lui aurait-il dit : tu portes César et sa fortune ! — Je crois à la tentative téméraire : je ne crois pas au mot. Il sent son rhéteur. Bon gré malgré, il fallut bientôt revenir à la côte.]
[107] [Pompée y avait mis un de ses officiers, Otacilius Crassus, lequel massacra même 220 recrues, amenées par un des navires d’Antoine, qui fit côte. — Les gens de Lissos se prononcèrent aussitôt pour Antoine, et Crassus dut fuir. - B. c., 3, 26-29.]
[108] [Les Grecs du pays firent savoir à Antoine que Pompée l’attendait au passage. Antoine s’arrêta et attendit César (B. c., l. cit.]
[109] B. c., 3, 30. — V. Gœler (die Kœmpfe. v. Dyrr. u. Pharsalus. Batailles de Dyrr. et Pharsale), p. 12, 106.
[110] [La viande ne venait qu’en ordre tout secondaire dans l’alimentation du soldat romain, César le dit plusieurs fois (pecora, quod secundum poterat inopiœ esse subsidium (B. c., 1, 48, devant Ilerda) : pecore... extremam famem sustentarent (B. Gall., 7, 17 : devant Avaricum). — V. aussi Tacite, Annal., 14, 24). Devant Dyrrachium, le soldat s’estimait heureux, quand au lieu d’orge ou de légumes, il avait de la viande à manger (pecus vero... magna in honore habebant. B. civ., 3, 47). Il se nourrissait même alors d’une racine trouvée dans les travaux, la chara (*), triturée avec du lait, en forme de pain (ibid., 48). L’énergie et la dure sobriété du soldat de César étonna Pompée, qui s’écria, en voyant ce pain d’herbe « qu’il avait affaire à des bêtes sauvages, Suétone (César, 68). Et ce même soldat, à son tour, faisait vœu, on l’a vu, de se nourrir de l’écorce des arbres, plutôt que de laisser Pompée s’échapper (B. c., 3, 49).
(*) Les uns y voient la crambe tartarica (chou marin de Russie) ; d’autres le carum carvi, de Linné : enfin selon Pline (H. nat., 19, 8, 144), il s’agirait ici du laiteron, ou lampsane commune, que le soldat chantait dans les poésies de camp.]
[111] [Tous les
écrivains militaires ont blâmé l’entreprise de César devant les lignes de Pompée,
sous Dyrrachium. Laissons parler le plus illustre. Les
manœuvres de César à Dyrrachium sont extrêmement téméraires : aussi en fut-il
puni. Comment pouvait-il espérer se maintenir avec avantage le long d’une ligne
de contrevallation de 6 lieues, entourant une armée qui avait l’avantage d’être
maîtresse de la mer, et d’occuper une position centrale ? Après des travaux
immenses, il échoua, fut battu, perdit l’élite de ses troupes, et fut contraint
de quitter le champ de bataille. Mais (Pompée) eût dû tirer un plus grand
avantage du combat de Dyrrachium ; ce jour-là il eût pu faire triompher
[112] [Suétone, César,
68. Cette cohorte appartenait à la 6e légion. — Il y a ici une lacune
dans les Commentaires (B. c., 3,
Ce Sylla était le propre neveu du dictateur. Compromis (Salluste, Catilina, 17) dans la conspiration de Catilina, il fut accusé, défendu par Hortensius et par Cicéron (dont nous avons le plaidoyer), puis acquitté. Ce même Sylla commandera l’aile droite de César à Pharsale. — La confiance de son chef atteste ses talents militaires. Il mourut en 709 [45 av. J.-C.], en Italie, au cours d’un voyage. Cicéron, qui jadis, lui avait emprunté de l’argent (A. Gell., noct. Att. 12, 12), puis s’était brouillé avec lui à propos de Clodius (ad Att., 4, 3), affirme que le peuple s’est réjoui de sa mort : qu’il ait été assassiné par les brigands, ou qu’il ait fini par une indigestion, peu importe ! (ad fam., 9, 10. 15, 17).
On peut lire avec fruit, dans Gœler, les recherches topographiques auxquelles il s’est livré sur le terrain aux alentours de Dyrrachium.]
[113] [B. c., 3, 50-61 — Deux frères, deux Allobroges, Raucil et Egus, que César avait comblés de bienfaits, créés sénateurs dans leur cité, et enrichis, le trompaient, soit en détournant la solde de leurs cavaliers, soit en se la faisant payer sur de faux rôles pour plus de monde qu’ils n’en avaient. César les réprimande en secret, et les veut ménager, car ils sont braves et influents. Mais ils s’irritent, et passent traîtreusement à Pompée avec un certain nombre d’hommes et de chevaux. Pompée les promène dans tout son camp. Ils sont les premiers transfuges qu’il ait à montrer, tandis que tous les jours, les défections sont nombreuses dans ses divers corps d’armée. Les deux Gaulois savaient les points faibles ou inachevés des immenses retranchements de César, et ils donnèrent à Pompée des renseignements dont celui-ci profita aussitôt.]
[114] [Tous les détails de l’attaque sont relatés par César (B. c., 63-64). Il n’avait pas achevé encore sa jonction retranchée entre ses deux légions, quand tout à coup 60 cohortes pompéiennes se jettent sur la circonvallation intérieure ; en même temps la flotte débarque au sud une autre division d’infanterie légère, et un troisième corps aborde entre les deux retranchements. César n’avait sur ce point que deux cohortes ; et l’officier qui y commandait, Lentulus Marcellinus, questeur, était malade (l’histoire ne sait rien de lui). Surpris, il accourt avec quelques cohortes qui luttent héroïquement et sauvent leur aigle : mais il va succomber, quand Antoine arrive avec douze autres cohortes. César lui-même se montre ; Pompée s’arrête. Mais il est resté maître de l’extrémité des lignes ennemies, du côté du rivage : il peut sortir et rentrer sans obstacle, et envoyer ses hommes aux vivres et aux fourrages. C’est alors que César se retire et se fortifie dans son camp (B. c., 65).]
[115] [Quelques jours s’étaient passés, les deux adversaires se tenant en observation dans leurs camps nouveaux. Mais César crut voir une légion ennemie lancée sans appui derrière un bois, à laquelle s’appuyait un petit camp jadis occupé par la 9e légion. Au départ de celle-ci, Pompée s’y était établi à son tour, en l’enveloppant d’un retranchement plus vaste, et en le reliant au torrent voisin par un fossé perpendiculaire. Toute l’affaire se passe au milieu de ces retranchements, de campagne. César se jette sur les Pompéiens avec 33 cohortes, les refoule, arrache la herse du grand camp, et leur tue du monde. Mais son aile droite égarée a couru le long du fossé jusqu’au fleuve. Ici la chance tourne. Pompée arrive avec cinq légions, écrase les deux ailes éloignées l’une de l’autre, et met les Césariens en fuite. César confesse une perte de 960 soldats, sans compter les cavaliers, de 32 officiers, et de 32 insignes militaires (Selon Orose (6, 15), sa perte aurait été de 4.000 hommes). Lui-même, il avait failli périr de la main d’un des fuyards, qu’il voulait arrêter — Pompée fut appelé Imperator par ses soldats. Mais César déclara qu’il ne savait pas vaincre (Suétone, César, 38). — V. pour les détails B. c., 66-72. – Plutarque, César, 30. – Appien, B. c., 2, 62.]
[116] [Gnæus Domitius Calvinus, était entré en Macédoine avec deux légions, la 11e et la 12e, et 500 cavaliers.]
[117] [On a vu que Pompée attendait de Syrie deux légions. Metellus Scipion, son beau-père, nommé proconsul de cette province, immédiatement avant l’explosion de la guerre civile, était chargé de les amener en Macédoine (B. c., 1, 6 ; 3, 4). Il avait exigé des publicains les dîmes arriérées de deux années, prélevé par emprunt forcé la dîme de l’année suivante : frappé des taxes toutes nouvelles, capitation, impôts sur les colonnes et les portes, impôts en nature, en blé, en armes, etc., à ce point que la misère, la dette et les usures avaient partout grandi dans ces malheureux pays. Il menaçait de piller le temple d’Éphèse (selon César, qui peut-être exagère), quand l’ordre lui vint de passer immédiatement en Macédoine, César ayant débarqué en Épire. Il quitta, aussitôt Pergame, où il avait distribué ses troupes en cantonnements d’hiver, et se mit en route (B. c., 3, 31-33).]
[118] [Lucius Cassius Longinus, frère du lieutenant de Crassus qui assassinera César, et cousin de Quintus Cassius. Il avait en 700 [54 av. J.-C.], de concert avec Laterensis, accuse de brigue Gn. Plancius, concurrent heureux de Laterensis à l’édilité. Cicéron défendit Plancius, et son plaidoyer nous reste. — En 702 [-52], c’est encore L. Cassius qui accuse Saufeius, autre client de Cicéron. A la guerre civile, pendant que son frère passe à Pompée, dont il sera l’un des amiraux, Lucius se range du parti de César. — Plus tard il suivra la fortune d’Octave. Après la bataille de Philippes, Antoine lui pardonne, et l’histoire ne le nomme plus.]
[119] [Gaius Calvisius Sabinus, questeur en 694 [60 av. J.-C.], tribun du peuple en 699 [-55]. Lieutenant de César en Étolie, il soumet toute la province, entre dans Calydon et Naupacte (Lépante). En 709 [-45], César l’envoie en Afrique, où Antoine voudra le maintenir. Consul en 715 [-39], il commande une flotte pour Octave, est battu devant Cumes. Agrippa vient le remplacer. Il reste d’ailleurs fidèle à son parti.]
[120] [Ces marches et contremarches sont décrites par César (B. c., 3, 34-36.]
[121] [César ne ménage pas d’ailleurs l’expression qui caractérise sa défaite (C. a superioribus consiliis depulsus). Il réunit ses soldats, relève leur courage, en punit quelques uns et part pour Apollonie. Il faut lire la description de la marche savante par laquelle il échappe à Pompée (B. c., 73-79).]
[122] [Selon Appien, B. C., 2, 65, Afranius aurait proposé en
conseil de tenir bloqué avec la flotte César à moitié détruit déjà et errant :
pendant ce temps l’armée de terre ira sans délai reprendre l’Italie vide de
soldats, et où l’opinion est bien disposée, puis l’Italie,
[123] [Pompée n’était plus qu’à quatre heures de Domitius Calvinus, quand celui-ci fut averti par les confidences ou les paroles de jactance de ces mêmes Allobroges qui avaient trahi César, et s’étaient rencontrés avec ses éclaireurs. Il se rejette aussitôt sur sa gauche, et vient retrouver César à Æginion (Stagus) sur la frontière d’Athamanie (B. c., 3, 79).]
[124] [César, B. c., 3, 78. — César remontant l’Aoüs,
franchit
[125] [Q. Cornificius,
fils d’un des juges de Verrès, s’était fiancé à la fille d’Aurelia Orestilla, la veuve dissolue de Catilina (Cicéron, ad fam., 8, 1). — Il paraît, du reste,
être demeuré en Illyrie, où il avait le titre de propréteur. Il y rend des
services signalés après Pharsale, et pendant que César lutte emprisonné dans
Alexandrie (Bell. Alex., 412, et s.).
L’année suivante, on le rencontre à Rome, honoré de l’Augurat. Cicéron lui
écrit souvent (ad fam., 12, 17-30).
Plus tard César l’envoie en Syrie. A la mort de César, il gouverne la province
de
[126] [Gomphi avait joué un rôle dans les
campagnes de Flaminius, et depuis. Elle commandait les passages de
[127] [La division navale de Cassius, formée des vaisseaux syriens, phéniciens et ciliciens. Elle brûla les escadres de César, à Messine, et à Vibo, d’où Cassius fut ensuite chassé, en perdant quelques galères. Il disparut à la nouvelle du désastre de Pharsale. B. c., 3, 101.]
[128] C’est chose difficile que de déterminer exactement le champ de bataille. Appien (2, 75) est précis : il le place entre Néo-Pharsalos et l’Énipée. Des deux seuls cours d’eau de quelque importance que l’on rencontre sur les lieux, et qui assurément représentent l’Apidanos et l’Énipée des anciens (le Sofadhitiko et le Fersaliti), l’un sort des monts de Thaumacœ (Dhomoco) et des hauteurs Dolopiennes, l’autre descend de l’Othrys, et coule devant Fersala. Or, comme Strabon (9, p. 432) enseigne aussi que l’Énipée vient de l’Othrys, il en faut conclure à bon droit avec Leake (Northern Greece, 4, 320), que le Fersaliti est bien l’Énipée. Par contre, Gœler est dans l’erreur quand il prend le Fersaliti pour l’Apidanos. Toutes les indications fournies par les Anciens concordent d’ailleurs en faveur de notre opinion. Seulement il faut tenir avec Leake que la rivière formée par les deux eaux après leur confluent, et qui de là va tomber dans le Pénée, gardait chez les Anciens le nom d’Apidanos, comme aujourd’hui elle porte celui du Sofadhitiko, dénomination naturelle après tout, car le Fersaliti est souvent à sec, le Sofadhitiko ne tarit jamais (Leake, 4, 321). C’est donc entre Fersala et le Fersaliti, qu’était située Palœo-Pharsalos, d’où la bataille a tiré son nom. Donc encore, elle s’est livrée sur la rive gauche, les Pompéiens appuyant leur droite au Fersaliti, et ayant leur front tourné vers Pharsale (César, B. c., 3, 83. - Frontin, Stratagèmes, 2, 3, 22). Mais leur camp n’a pas pu être là. Il s’étendait au pied des Cynocéphales, sur la rive droite, barrant à César le chemin de Scotussa, et gardant évidemment leur ligne de retraite sur Larisse par les hauteurs : s’ils avaient campé, comme le veut Leake (4, 482), à l’est de Pharsale, et sur la rive gauche de l’Énipée, jamais ils n’auraient pu, après le combat, tirer au nord, ayant à franchir ce cours d’eau, aux berges profondes, coupées à pie (Leake, 4, 469). Au lieu de regagner Larisse, Pompée eût dû fuir vers Lamia. Il est donc vraisemblable que les Pompéiens avaient planté leur camp sur la rive droite du Fersaliti, et qu’ils le passèrent avant la bataille et après, pour rentrer dans leur camp ; puis, qu’ils remontèrent les pentes voisines de Crannon et de Scotussa, lesquelles vont se rattacher par leurs crêtes aux hauteurs des Cynocéphales. A cela rien d’impossible. L’Énipée n’est qu’un ruisseau étroit et lent, où en novembre Leake trouva deux pieds d’eau et souvent à sec dans la saison chaude (Leake, 4, 448, et 4, 472. - Cf. Lucain, 6, 373 [nunquamque celer nisi mixtus Enipeus]) ; or, on était au cœur de l’été, quand se donna la bataille. Avant d’en venir aux mains, les deux armées étaient à 30 stades l’une de l’autre (Appien, B. c., 2, 65 : ¾ de mille allem. = une lieue et demie) : les Pompéiens avaient pu tout à l’aise faire leurs préparatifs, jeter des ponts, et assurer leurs communications avec le camp. A la vérité, si la bataille avait fini par une déroute, ils n’eussent pu effectuer leur retraite le long du torrent et pardessus ses berges : et c’était là, je n’en doute point, l’une des raisons pour lesquelles Pompée ne voulut point d’abord se battre. Aussi son aile gauche, placée plus loin de la ligne de retraite, s’est-elle le plus ressentie de ce désavantage des lieux. Pour le centre et l’aile droite, ils se retirèrent sans trop de hâte, et purent fort bien franchir le Fersaliti, dans les conditions données. Que si César et ses copistes n’ont point parlé de ce passage du torrent, c’est qu’en le faisant, ils eussent trop mis en lumière cette folle ardeur de combattre, qui, tout le prouve, poussait les Pompéiens en avant, et aussi les ressources mêmes qu’ils se ménageaient pour la retraite.
[Nous ne voulons ajouter que peu de mots à cette longue note de M. Mommsen. Nous ferons remarquer seulement que M. Leake et M. Merivale (2, p. 284) ne diffèrent d’avec lui qu’en ce qu’ils placent le camp de Pompée, comme celui de César, sur la rive gauche de l’Énipée, tandis que M. Mommsen le place au nord, sur la rive droite : quant au champ de bataille lui-même, ils sont tous les trois d’accord. — Les positions de Palœo et Néo-Pharsale, dans l’opinion commune, étaient sur la rive gauche, et la bataille eut lieu près de la première localité (Orose, 6. 95. - B. Alex., 48). D’autre part, il est certain que la droite de Pompée s’appuyait à l’Énipée (B. c., 3, 88, et surtout Frontin, 2, 3, 22. – Appien, B. c., 2, 75). Dans l’hypothèse de M. Mommsen et de Leake, les troupes de Pompée, ayant leur droite appuyée à la rive gauche, regardaient le nord-ouest : César au contraire, aurait eu son armée tournée vers le sud-est. — Mais un troisième système s’est produit, celui de Gœler, qui fait couler l’Apidanos entre Palœo et Néo-Pharsale (l. cit., pp. 73, 136 et s.). Selon lui, le terrain de la bataille était sur la rive droite (au nord) de l’Apidan ; Pompée regardant le sud et appuyant sa droite au torrent. — Qui a tort ? Qui a raison ? César, observe Napoléon (Précis, c. XII, Observation 3), ne dit jamais quelle était la force de son armée, ni le lieu ou il se bat : ses batailles n’ont pas de nom. — Je me sentirais porté à abonder dans l’opinion de M. Mommsen. Il y a là un champ d’études intéressant à recommander aux jeunes hellénistes de l’École d’Athènes.]
[129] [Quintus Fufius Calenus, d’une branche de la
gens Fufia, originaire de Calés en Étrurie. Il s’était employé pour Clodius
dans l’affaire des mystères de la bonne déesse : tribun du peuple en 693 [61
av. J.-C.] : moteur de la loi Fufia, de religione,
qui renvoyait le procès devant les juges ordinaires (ad Att., 1, 14). Préteur en 695 [-59], où il fait passer une autre
loi judiciaire, aux termes de laquelle les juges (sénateurs, chevaliers,
tribuns du trésor), voteront séparément désormais. Il soutient Clodius contre
Milon. L’année d’après il sert dans les Gaules. Puis, durant la guerre civile,
il coopère puissamment avec Antoine au transport des troupes, de Brindes en
Épire (B. c., 1, 87 ; 3, 8, 14, 26).
César, durant l’investissement de Dyrrachium, l’avait envoyé pour appuyer
Lucius Cassius Longinus et Calvisius Sabinus en Etolie, et, pour soulever
l’Achaïe. Il s’était emparé de Delphes, de Thèbes, d’Orchomène : mais les
Pompéiens lui avaient fermé l’isthme de Corinthe (B. c., 3, 55). - Il fut consul en 701 [-47] : passa à Antoine pour
qui il combattit durant la guerre de Pérouse, et mourut dans
[130] [Plutarque, Pompée, 66. — Favonius craignait, si l’on tardait, de ne point aller, durant l’été, manger des figues à Tusculum (Plutarque, Pompée, 67).]
[131] Ici se place le conseil célèbre donné par César à ses soldats, de frapper les cavaliers ennemis au visage [faciem feri]. L’infanterie marchant, ce jour, irrégulièrement à l’attaque de la cavalerie, ne pouvait se servir utilement de l’épée : elle dut garder le pilum au lieu de le jeter, et s’en servir comme d’une pique, portant en haut la pointe pour mieux se défendre (Plutarque, Pompée, 69, 91. ; César, 45. – Appien, 2, 76, 78. – Florus, 4, 2. – Orose, 6, 15. - Cf. Frontin qui est dans l’erreur, 4, 7, 32). L’ordre donné par César a dérivé en anecdote. Les cavaliers de Pompée auraient tourné bride, de peur de balafres reçues au visage ; et ils se seraient enfuis, tenant la main devant les yeux (Plutarque). A cela pas un mot de vrai. L’historiette ne serait piquante qu’autant que la cavalerie pompéienne aurait été composée, pour le plus grand nombre, vraiment, de tous ces jeunes nobles et beaux danseurs venus de Rome. Mais il n’en était rien. Peut-être que l’ordre du jour très simple et très militaire de César aura fourni le canevas à des plaisanteries de camp, et par suite, à un récit absurde.
[132] [V. le récit de la bataille B. c., 3, 85-100. Nous n’insistons pas sur les détails, qui se lisent partout, et nous renvoyons notamment le lecteur au Précis de l’Empereur Napoléon Ier, Ch. XI, Campagne de Thessalie, n° III, et observations 5 et 6. Caton, on l’a vu, n’y figurait pas. On n’avait nulle confiance, dans ses talents militaires, qui étaient médiocres, il le faut confesser. On redoutait surtout l’austérité de ses principes politiques. — Cicéron n’avait pas non plus suivi l’armée des Pompéiens en Thessalie : il fallait là des bras forts, et l’on n’y avait que faire de sa parole et de son autorité dans les conseils (ad fam., 4, 7). Il était souffrant d’ailleurs, et resta en arrière auprès de Caton (Plutarque, Cicéron, 39. - ad Att., 11. 4), puis s’en revint à Brindes, en passant aussi par Corcyre. - V. infra.]
[133] [V. le Faust de Gœthe. —
Depuis bien longtemps je piétine : que les
autres sont loin a déjà ! Chez moi, point de repos ; et pourtant, je n’arrive
point à encore !
Ces allusions au grand poème de Gœthe, si étranges qu’elles sonnent à nos oreilles, au milieu d’une sévère page d’histoire romaine, sont chose acceptée en Allemagne.]
[134] [Caton voulait que Cicéron prît le commandement. Cicéron s’y refusa, croyant la lutte désormais impossible : aussitôt Pompée le jeune et ses amis l’appellent traître et, tirant l’épée, l’auraient tué sur le lieu si Caton ne se fût mis entre eux (Plutarque, Cicéron, 39 ; Cato min., 55. – Cicéron, pro Dejot. 10. — Dans la vie de Caton, Plutarque adoucit les détails de la scène).]
[135] [Publius Rutilius Rufus, tribun du peuple en 698 [56 av. J.-C.], avait aussitôt proposé le rappel des lois agraires de César. Préteur en 705 [-49], il stationnait à Terracine avec 3 cohortes qui, on l’a vu, passèrent à César à l’approche de ses cavaliers (B. civ., 1. 24). Il retourne à Rome, puis bientôt passe en Grèce où Pompée le charge de la défense de l’Achaïe contre les lieutenants césariens, Cassius Longinus, Calvinus Sabinus et Fufius Calenus (Bell. civ., 3, 55).]
[136] [Commandée par G. Cassius : Suétone, César, 63. – Appien, bell. civ., 2, 88. – Dion, 43, 6.]
[137] [Dion ne croit pas à l’humiliant projet que tous les autres historiens ont prêté à Pompée (Dion, 13, 2).]
[138] [El Kalieh, ou El Kas, à l’est de Péluse ; au sud du lac Sirbonis (Sebaket-Bardoïl).]
[139] [On a vu que César mentionne sèchement la mort de Pompée (B. civ., 3, 1041). Mais cf. Plutarque, Pompée, 80. – César, 48 ; Lucain, 9, 109 ; et Val. Max, 5, 1, 10.]
[140] [Pour tout ce récit, et le commencement de la guerre d’Alexandrie, voir César, Bell. civ., 3, 102-104.]
[141] [Plutarque, César, 48]
[142] [Plutarque (César, 49) raconte qu’elle se fit porter à son insu dans sa chambre, et se donna bientôt à lui. — V. Lucain, 10, 74.
Sanguine Thessalicæ cladis perfusus adulter
Admisit Venerem curis et miscuit armis...
— Voir sur la beauté de Cléopâtre, ce qu’en dit Plutarque, Antoine, 27. - cf. Dion, 43, 53.]
[143] [C’est dans cette
première bataille des rues qu’aurait brûlé
[144] [Pareil fait s’est renouvelé au siège d’Alexandrie, en 1801. — Les Anglais assiégeants coupèrent le canal d’eau douce : la garnison française y suppléa par l’eau des puits.]
[145] [V. la description topographique d’Alexandrie, par Bonamy, Mémoires de l’Acad. des inscr. et belles-lettres, t. 9. — V. Dict. géogr. de Smith, v° Alexandria, et plan, p. 96.]
[146] [La bataille navale eut lieu à la pointe de Chersonèse, à 6 ou 7 lieues, vers le couchant, d’Alexandrie.]
[147] L’enlèvement de l’île était raconté sans doute dans le fragment détruit du Commentaire sur la guerre d’Alexandrie (bell. Alex., 12), là même où était aussi décrit un second combat naval, où périt écrasée la flotte égyptienne déjà repoussée à Chersonèse. On vient en effet de voir que César, dès le début de la guerre, avait occupé le Phare (B. civ., 3, 112 ; bell. Alex., 8). Le Môle au contraire avait toujours été occupé par l’ennemi, puisque César ne communiquait avec l’île que par eau.
[148] [Dion, 43, 40 ; Suétone, César, 64 ; et César, bell. Alex., 21.]
[149] [Sine partibus bellum. Florus, 4. 2.]
[150] [Antipater l’Iduméen avait fourni à Mithridate un renfort de 3.000 Juifs, auxquels s’étaient jointes des bandes d’Arabes de Syrie et du Liban. – Josèphe, Ann. Jud., 14, 8).]
[151] [Celui qui a figuré dans la campagne de Macédoine.]
[152] [C’est cette campagne étonnamment rapide que César aurait racontée en trois mots fameux : veni, vidi, vici. Plutarque, César, 50. – Suétone, César, 37.]
[153] La traversée de
Caton et de Gnæus Pompée, de Corcyre à Cyrène, et leur marche pénible au
travers de
[154] [Bell. Afr., 74. Juba en fit massacrer tous les habitants, la livra au pillage, et la détruisit.]
[155] [Plutarque, Cato min., 57. - Dion, 43, 57.]
[156] [Plutarque, Cicéron, 39. — C’est alors que Sextus
Pompée, furieux de la lâcheté de Cicéron, l’avait voulu faire mettre à mort,
l’intervention de Caton le sauva, et il s’alla cacher en Italie, sans suivre
les Pompéiens, ni en Afrique, ni ailleurs. Il demeura à Brindes, attendant le
bon plaisir du vainqueur, vacillant dans ses résolutions, gêné par le manque
d’argent, en correspondance avec Antoine et Dolabella. Enfin César rentre en
Italie : Cicéron le voit, en est bien reçu, et s’en va à sa villa de Tusculum,
puis de là à Rome (ad Att., 11,
[157] [Plutarque, Cato min., 57. — Appien, b. civ., 2, 87. — Dion, 13, 57.]
[158] [Aussi le parti aristocratique et constitutionnel était-il plein d’espoir, et relevait la tête, et à. Rome, et en Italie. Les nouvelles d’Afrique sont tout différentes de ce que tu me l’écrivais ; on y est très ferme, très préparé. En outre l’Espagne, l’Italie sont mal disposées pour lui : ses légions n’ont ni la même vigueur, ni le même bon vouloir : à la ville, ses affaires sont perdues ! Ainsi s’exprime Cicéron dans une lettre de février 707 [49 av. J.-C.] (ad Att., 11, 10).]
[159] La géographie
politique de l’Afrique du nord-ouest, en ces temps, est fort confuse. Après la
guerre de Jugurtha, Bocchus, roi de Mauritanie, avait possédé, ce semble, tout
le territoire depuis la mer de l’Ouest, jusqu’au havre de Soldae (Maroc et Algérie, - Saldae : Bougie). Non qu’il n’y ait eu
à côté des rois mauritaniens quelques princes, indépendants ou vassaux,
appartenant à d’autres maisons, et régnant sur de minces territoires, ceux de
Tingis (Tanger) par ex., qu’on a rencontrés déjà (Plutarque, Sertor, 91, et
qu’il convient d’identifier sans doute avec les Leptasta de Salluste (Hist., 31, éd. Kritz), et les
Mastanesosus de Cicéron (in Vatin.,
5, 12). Jadis Syphax avait pareillement régné sur maint prince vassal (Appien, Pun., 10) ; et au temps même où nous
sommes, Cirta, dans
[160] [Sur cet épisode espagnol, avant-coureur de la grande lutte qui finira à Munda : Bell. Alex., 48-64. – Dion, 44. 15,.16 et s. — Cassius quittant l’Espagne avec les trésors mal acquis, alla s’échouer et périr aux bouches de l’Èbre. Bell. Alex., 64.]
[161] [Legio XII ad quant primum Sulla venit, lapidibus egisse hominem dicitur. Cicéron, ad Att., 11, 21.]
[162] [La révolte avait commencé pendant que César était en Orient encore. — César avait envoyé à Antoine, son lieutenant à Rome, ordre de réduire les mutins par la menace ou les promesses, mais les efforts d’Antoine et de ses officiers avaient été vains : ils avaient chassé Salluste (l’historien), et tué deux prétoriens sénateurs, Cosconius et Galba (Dion, 13, 52. - Appien, b. civ., 2, 92). Enfin César rentra dans Rome (septembre 707 [47 av. J.-C.], et mit un terme à la sédition.]
[163] [Déjà à Plaisance, en 706 [48 av. J.-C.], César avait eu recours aux mêmes moyens d’autorité. Suétone, César, 59, 60. Appien, b. c., 2, 92-94. Selon Lucain, 5, 237 et s., c’est lors de la révolte de la 9e légion, à Plaisance, que César aurait dit le mot fameux : Quirites ! mais Suétone et Appien semblent mieux informés. Quoi qu’il en soit, César garda longtemps rancune à ses soldats, et au cours même des opérations de la campagne, il leur rappelait encore leur faute, en même temps qu’il punissait plusieurs de leurs officiers (Bell. Afr., 64).]
[164] [Zowamour, à l’entrée du golfe de Tunis.]
[165] [Est in Africa consuetudo incolarum ut in agris et in omnibus fere villis sub terra specus condendi frumenti gratis clam habeant. Bell. Afr., 65, 67, 73. Il en est encore de même aujourd’hui.]
[166] [On peut lire dans le Journal de Bell. Afr. les longs et assez peu intéressants détails de cette guerre d’escarmouches et de batailles non décisives (Bell. Afr., 19-79). Elle avait d’ailleurs sa grande importance, en permettant à César d’attendre ses légions, arrivant une à une, de se maintenir sur la côte sans danger d’être enveloppé ou affamé, et enfin de façonner ses recrues. — Sous ce dernier rapport, il faut lire le chap. 71 : Cœsar... copias suas non ut imperator exercitum veteranum..., sed ut lanista tirones gladiatores condocefacere, etc. — Il fait venir d’Italie jusqu’à des éléphants pour enseigner l’art de les combattre : ibid., 72.]
[167] [Bell. Afr., 79-87. L’auteur du Journal fait remarquer avec beaucoup de soin (85) les efforts faits en vain par César pour empêcher l’effusion du sang, à la fin de la bataille.]
[168] [Faustus Corn. Sylla, fils du dictateur par sa quatrième femme Metella, né en 666 [88 av. J.-C.]. A la mort de son père, il eut Lucullus pour tuteur. Cicéron, préteur, le protégea contre les revendications des partis. Il accompagna Pompée en Asie, escalada le premier la muraille du temple à Jérusalem (691 [-63]). Il fut successivement questeur et augure, épousa une fille de Pompée, et fit à sa suite la campagne de Macédoine. Après Pharsale, il était venu en Afrique.]
[169] [Il faut lire dans Plutarque (Cato Min., 58 et 59. - cf. Dion, 44, 10-11. – Appien, Bell. civ., 2, 98-99), et dans le journal de Bell. Afr., 88) le récit de cette mort tragique. Elle a une incontestable grandeur. Cet homme qui, désespérant de sa patrie, met ordre à ses affaires, publiques et privées, prend soin de faire embarquer tous ceux pour les jours desquels il peut craindre ; puis qui se met tranquillement au bain, soupe, disserte avec son philosophe sur la liberté du sage ; se couche, et, enfin, se tue après avoir lu le traité de Platon sur l’Immortalité de l’âme, cet homme, dis-je, meurt en vrai stoïque. — Il ne fut pas un génie, sans doute ; et M. Mommsen le lui reproche aigrement ; mais il fut un grand et noble caractère. Cicéron ne pouvait mieux faire que louer une telle mort (Tusculanes, 1, 30 ; De off., 1, 31. — cf. Senec., ep. 24, 67, 71, 95. - S. Augustin lui oppose et lui préfère celle de Regulus, qu’il trouve plus sublime. Cela est juste. La fin de Regulus n’est pas un suicide. (Aug., de Civit. Dei, 1, 24.)]
[170] [Bell. Afr., 91-96. — Appien, B. civ., 2. 100.]
[171] [Le nom d’Arabion ne se rencontre qu’ici dans l’histoire : Dion, 48, 22. – Appien, Bell. civ., 54, 83.]
[172] Les inscriptions locales offrent des traces nombreuses de cette colonisation. Sans cesse on y lit les noms des Sittiens : dans la petite localité de Milev, autrefois romaine, on rencontre même l’appellation de Colonia sarnensis (Renier, Inscript., 1254, 2323, 2324), dérivée évidemment du nom du dieu du Sarnus, le fleuve de Nucérie (patrie de Sittius) (Suétone, Rhetor., 4).
[173] [Avec Crispus Sallustius (l’historien) pour proconsul, pour le malheur de cette même province. Salluste la pilla impudemment et y couronna sa renommée de malhonnête homme. - Bell. Afr., 97. Dion (43, 9) dit qu’il fut placé là soi-disant pour commander, en réalité pour voler !]
[174] [César eût-il fait mourir Caton, s’il l’eût vu tomber dans ses mains ? Cela n’est pas à croire. En arrivant à Utique et en apprenant sa mort, il s’écria que le stoïcien lui avait dérobé le bonheur de pardonner à son plus noble et plus obstiné ennemi ! Il frappa d’ailleurs de fortes amendes sur les villes qui lui avaient résisté, Thapsus, Hadrumette, Leptis, Thysdra, etc. (Bell. Afr., 97), et sur les compagnies de marchands, et vendit à l’encan le butin fait sur Juba dans Zama.
A coté des sources antiques, le journal de Bell. Afr., et les documents historiques fournis par Appien, B. civ., 2 ; par Dion Cassius, 43, et par Plutarque (César et Cato min.), sans compter les détails que l’on peut glaner dans Suétone (César), dans les lettres de Cicéron, dans Velleius, Florus, et ailleurs encore, le lecteur curieux des choses de la guerre d’Afrique pourra consulter avec intérêt : 1° l’étude spéciale que Guischardt a consacrée à cet épisode important des guerres de César (Mémoires milit. sur les Grecs et les Romains, t. 2, Berlin, 1774) ; - 2° le Précis de Napoléon Ier, déjà plusieurs fois cité par nous.]