Avec la loi Gabinia les rôles étaient changés parmi les
partis. L’élu de la démocratie ayant le pouvoir de l’épée, sa faction ou le
groupe qui passait pour tel, avait aussi la toute-puissance dans Rome. La
noblesse se tenait encore compacte, comme par le passé et de la machine des
comices, il ne sortait que des consuls, désignés
dès les langes de l’enfance, selon l’expression des
démocrates : les maîtres de Rome eux-mêmes, n’auraient su ni commander
aux votes, ni briser l’influence des anciennes familles. Mais juste à l’heure
où s’est consommée l’exclusion presque entière des hommes nouveaux, voici que le consulat à son tour pâlit
devant l’astre croissant du pouvoir militaire extraordinaire. L’aristocratie
sentit la blessure, alors même qu’elle ne se l’avouait pas, et elle
désespéra. de son salut. A côté de Quintus Catulus qui, restant à son poste
ingrat et luttant avec une honorable constance, demeura jusqu’à la mort (694 [60 av. J.-C.])
le champion d’une cause vaincue, on ne rencontre plus dans les rangs nobles
un seul optimate, qui mette quelque courage et quelque fermeté au service des
intérêts aristocratiques. On vit alors les hommes les plus habiles et les
plus célèbres du parti, Quintus Metellus Pius et Lucius Lucullus, abdiquer
réellement, et, dès qu’ils le purent faire avec décence, se retirer dans
leurs villas, oubliant le Forum et A continuer le combat contre un ennemi à terre, l’honneur
eût été mince désormais. Pourtant, les démocrates, on s’y attend bien, n’en
continuèrent pas moins leurs attaques. Comme on voit les valets d’armée se
jeter sur un camp pris d’assaut, la meute populaire se précipita sur les
débris de la noblesse ; et, tout au moins à la surface, l’agitation
politique soulevait les flots bouillonnants du torrent. La multitude suivit
ses chefs, d’autant plus volontiers, qu’ils la tenaient en belle humeur.
Gaius César, entre autres, déploya le faste d’un prodigue dans ses jeux (689 [65 av. J.-C.]),
où brillait partout l’argent massif. Les cages des bêtes féroces étaient
aussi d’argent. Les largesses princières de l’édile dépassèrent toute mesure,
d’autant plus fastueuses que César ne les faisait que sur emprunt. La
noblesse est assaillie de mille côtés à la fois. Les abus du régime
aristocratique y fournissant ample matière, magistrats, avocats libéraux ou
de couleur libérale, Gaius Cornélius, Aulus Gabinius, Marcus Cicéron,
continuent à dévoiler systématiquement les vices criants et honteux du régime
oligarchique, et proposent les lois qui achèvent sa défaite. Il est décrété
qu’à l’avenir, le Sénat recevra les ambassadeurs étrangers à jours déterminés[1], voulant par là,
mettre un terme à l’usage des remises abusives; d’audience. L’action en
justice est déclarée non recevable pour les prêts faits dans Rome à ces mêmes
ambassadeurs, moyen violent et unique de couper court aux corruptions passées
à Mordre du jour dans le Sénat (687 [-67])[2]. Une autre loi
restreint les droits du Sénat en matière de dispenses légales (687)[3]. Un Romain de
haut rang avait-il des affaires privées qui l’appelaient dans les provinces,
il ne s’y rendait le plus souvent, que revêtu par le Sénat d’un caractère
public[4]. Un tel privilège
était un mal; on y voulut parer (694 [-60]). On aggrava aussi les peines encourues par
l’achat des voix et l’intrigue électorale (687, 694 [-67/-60])[5] : à cet
égard, les excès dépassaient toute mesure, surtout de la part des anciens
sénateurs, qui rayés jadis des listes, tentaient par leur réélection aux
fonctions publiques, de se faire rouvrir lés portes de Ce ne fut pas tout : on voulut compléter l’œuvre de la
restauration démocratique, et réaliser les grands principes des Gracques,
dans chacune des parties de la constitution. Sylla, on s’en souvient, avait
aboli la loi de Gnœus Domitius sur l’élection sacerdotale : un plébiscite du
tribun Titus Labienus la rétablit (694 [63 av. J.-C.])[7]. On parlait
souvent de l’annone : faisant voir combien on restait loin encore du bon
temps des lois frumentaires semproniennes ; oubliant à dessein les temps
changés, les finances publiques obérées, le nombre immensément accru des
citoyens romains, toutes circonstances qui rendaient impossible le retour pur
et simple à l’ancienne institution. En même temps, on entretenait l’agitation
dans le pays d’entre le Pô et les Alpes, lequel voulait être mis sur le même
pied que le reste de l’Italie. Déjà en 686 [-68], Gaius César y avait fait un
voyage, s’arrêtant de ville en ville ; en 689 [-65], Marcus Crassus, alors
censeur, avait voulu inscrire en bloc tous les Transpadans sur les listes
civiques : l’opposition de son collègue l’avait seule, arrêté, et sous
les censeurs qui lui succédèrent, la même tentative se répéta. De même
qu’autrefois les Gracchus et les Flaccus s’étaient faits les patrons des
Latins, de même aujourd’hui les chefs de la démocratie prennent en main
l’intérêt de Par contre, ces derniers ne voulurent en aucune façon
élever la voix en faveur des affranchis, et solliciter pour eux l’égalité
politique. Le tribun Gaius Manilius[9], ayant, dans une
assemblée du peuple peu nombreuse ( Autre symptôme caractéristique. La démocratie voulut aussi revenir à l’ancienne juridiction des comices en matière criminelle [judicia publica]. Sans la supprimer absolument, Sylla l’avait en fait remplacée par les commissions du meurtre et de la haute trahison ; et nul ne pouvait sérieusement penser au rétablissement d’un système de procédure suranné, condamné d’ailleurs par ses propres vices pratiques longtemps avant le dictateur. Pourtant la souveraineté du peuple réclamant, tout au moins en principe, la consécration de l’autorité des citoyens dans le jugement des causes criminelles, le tribun Titus Labienus imagina d’accuser, en 691 [63 av. J.-C.], un vieillard, qui trente-huit ans auparavant, avait tué ou passait pour avoir tué le tribun Lucius Saturninus. Il le traduisit devant cette haute justice à qui, selon la légende, le roi Tullus avait autrefois déféré le jeune Horace, meurtrier de sa sœur. L’accusé était un certain Rabirius. Il n’avait point porté le coup de la mort à Saturninus : mais il avait colporté sa tête autour des tables des aristocrates : en outre ses cruautés sanglantes et ses chasses aux hommes lui avaient fait une notoriété honteuse parmi les grands propriétaires d’Apulie. Ni son accusateur, ni ceux plus sages qui se tenaient derrière lui, n’avaient intérêt à ce que le misérable expirât sur la croix[11]. Aussi laissa-t-on, sans trop s’élever là-contre, le Sénat apporter en la forme un adoucissement au titre de l’accusation : puis bientôt, les comices assemblés pour le jugement ayant été congédiés sous un prétexte quelconque, le procès lui-même tomba. Du moins on avait affirmé et soutenu le double palladium de la liberté romaine, l’appel au peuple et l’inviolabilité du tribunat ; et la démocratie remettait, pour ainsi dire, à neuf ses franchises judiciaires. La réaction démocratique, dans toutes les questions où
étaient en jeu les personnes, se déchaîna plus passionnément encore, dès
qu’elle y trouvait jour et matière. Elle n’osa pas, la prudence l’en
empêchait, solliciter ou appuyer là restitution à leurs anciens propriétaires
des biens confisqués par Sylla : c’eût été là faire la guerre à ses
propres alliés, entrer en lutte avec les intérêts matériels : or une telle
lutte, la simple politique de tendance est rarement de force à l’engager. Et
puis, en revenant sur les biens confisqués, on ramenait à l’ordre du jour la
question du rappel des émigrés, alors hautement inopportune. En revanche on
fit de grands efforts pour rendre leurs droits politiques aux enfants des
proscrits (691 [63
av. J.-C.]). En même temps, les principaux d’entre les sénatoriaux
se voyaient incessamment poursuivis et atteints dans leurs personnes. Gaius
Memmius, en 688 [-66],
fit à Marcus Lucullus[12] un procès
d’opinion. Trois ans durant, on fit attendre aux portes de la ville, son
frère, l’illustre, avant de lui accorder les honneurs du triomphe (688-691 [-66/-63]).
Quintus Rex et Quintus Metellus, le conquérant de Le jour se levait enfin où l’on pouvait de nouveau prononcer haut les noms des héros et des martyrs de la cause, et fêter leur mémoire. Les démocrates n’y manquèrent point. Nous venons de dire comment Saturninus avait été réhabilité par le procès fait à son prétendu, meurtrier. Le souvenir de Marius était bien autrement retentissant, et faisait battre les coeurs : or, il se trouvait que ce même homme, qui naguère avait sauvé l’Italie envahie par le flot des barbares du Nard, avait aussi pour neveu le chef actuel du parti. La foule éclata en transports, quand, en 686 [68 av. J.-C.], César, malgré la défense de l’édit, montra un jour en plein Forum, aux funérailles de la veuve de Marius, les traits vénérés du vainqueur de Verceil. Un matin, trais ans après (689 [-65]), on revit appendus au Capitole, étincelants d’or et de marbre, et à la place même où Marius les avait dressés, les trophées que Sylla avait fait abattre : aussitôt les vétérans, les invalides des guerres d’Afrique et cimbrique d’accourir, de se presser, les larmes aux yeux, autour de l’image du chef aimé : ce fut pour les masses un jour d’allégresse, et le Sénat n’osa pas renverser ces insignes proscrits, qu’une main hardie osait relever, au mépris des lois[15]. Néanmoins, toute cette agitation, ces querellés, et tout ce bruit, n’avaient qu’une mince importance, à les juger en homme d’état. L’oligarchie était bien vaincue, et la démocratie tenait le gouvernail. L’ennemi gisant à terre, tous, jusqu’aux derniers des plus petits, se précipitaient et donnaient leur coup de pied : les démocrates reprenaient possession de leur terrain, et relevaient leurs autels et leurs dogmes : les doctrinaires du parti n’avaient point de cesse qu’ils n’eussent rétabli de toutes pièces les privilèges populaires, et poussaient leur principe jusqu’au ridicule, comme les ultra-légitimistes ne manquent jamais de le faire. Tout cela va de soi, et peu importe, d’ailleurs. Mais de cette agitation sans but, que pouvait-il sortir ? Elle trahissait manifestement l’embarras des meneurs, cherchant en vain où se prendre, alors qu’en face d’eux ils n’avaient plus que des questions ou vidées, ou purement secondaires. Dans la lutte contre l’aristocratie, la démocratie l’avait emporté : toutefois elle n’avait point vaincu seule ; et elle avait à passer encore par l’épreuve du feu. Un compte lui restait à régler, non avec son ennemi, mais bien avec son allié plus puissant, avec l’homme qui lui avait procuré la victoire, avec celui qui tenait d’elle, alors qu’elle n’avait pas osé le lui refuser, un pouvoir politique et militaire, jusque-là sans précédents. A ce moment, le général, préposé aux affaires de l’Orient et des mers, était occupé à faire ou défaire les rois ; nul, si ce n’est lui, ne pouvait dire, combien de temps il demeurerait loin de Rome, à quelle heure il déclarerait finies les guerres par lui entamées. Comme tout le reste, l’époque de son retour, et aussi la décision dernière, reposaient clans ses mains. Pendant ce temps les partis attendaient, immobiles. Quant aux optimates, ils ne redoutaient point trop son retour : ils avaient tout à gagner, c!t rien à perdre, à la rupture visiblement prochaine de Pompée et de la démocratie. Les démocrates, eux, veillaient anxieux, et voulant parer à l’explosion imminente, ils disposaient leurs contre-mines durant le temps que l’absence du proconsul leur laissait encore. Ils s’abouchèrent avec Crassus ; à celui-ci, pour combattre un rival haï et envié, nul autre moyen ne restait ouvert qu’une nouvelle et plus étroite alliance avec eux. Déjà, lors de là première coalition, César et Crassus, comme étant les moins forts, s’étaient tenus ensemble : aujourd’hui leur intérêt commun et un commun danger accroissent leur intimité : l’homme le plus opulent et l’homme le plus endetté de Rome scellent alors un pacte étroit. Tout en affectant d’appeler Pompée la tête et l’orgueil de leur parti, et de n’avoir plus de traits à lancer que contre les aristocrates, ils arment en silence contre l’absent. Aux yeux de l’historien, leurs efforts pour échapper à la dictature militaire dont ils sentent la menace, sont autrement significatifs que l’agitation bruyante menée contre la noblesse, masque habile dont ils couvrent leurs desseins. Ils se remuaient, il est vrai, comme derrière un nuage, et les traditions et les sources ne s’éclairent à ce moment que par de rares échappées : à jeter les ténèbres sur les événements, l’ère postérieure aussi bien que les temps présents avait ses bonnes raisons. Dans l’ensemble, les tendances, la marche des faits, le but, tout est manifeste. Au pouvoir militaire on ne pouvait faire efficacement échec que par une seconde dictature militaire. Les démocrates voulurent donc, à l’instar de Marius et de Cinna, s’emparer des rênes du .gouvernement; ils voulurent donner à l’un de leurs chefs, soli la conquête de I’Égypte, soit la régence de l’Espagne, soit tout autre commandement ordinaire ou extraordinaire, et dans ce général nouveau’ et dans son armée, opposer un fort contrepoids à Pompée et à son armée. Mais pour en arriver là, il leur fallait une révolution, en apparence dirigée contre le gouvernement nominal, en réalité contre Pompée, contre le monarque désigné[16] : cette révolution, tous y travaillèrent avec ardeur, et du jour où furent votées les lois Gabinia et Manilia, jusqu’à celui du retour de Pompée (688-692 [66-62 av. J.-C.]), la conspiration fut en permanence dans Rome. La capitale était en proie à la fièvre : la colère sourde des gens d’argent, les paiements arrêtés, les nombreuses banqueroutes, tous ces avant-coureurs de l’orage annonçaient la voie nouvelle où s’engageaient les partis. Le complot démocratique, allant chercher Pompée par dessus la tête du Sénat, amenait forcément la réconciliation du Sénat et de Pompée. Mais lorsqu’ils voulaient à la dictature pompéienne opposer celle de l’un de leurs favoris, les démocrates, à le prendre au vrai, se jetaient à leur tour dans les bras du pouvoir militaire ; pour chasser le démon, ils appelaient Béelzébub[17] : les principes, dans leurs mains, n’étaient plus qu’une question de personnes. A cette révolution ainsi préparée par les meneurs du parti, et au renversement du régime actuel il y avait un préliminaire nécessaire, l’insurrection des conjurés faisant explosion dans Rome. Or, chose triste à dire, la matière inflammable était partout entassée, sur les hauteurs et dans les bas fonds sociaux. Inutile de revenir ici sur le tableau du prolétariat libre ou servile. Déjà, s’était fait entendre cette grave parole, que seul, le pauvre peut représenter le pauvre ! Déjà se faisait jour la maxime que la foule pauvre peut aussi bien que la riche oligarchie se constituer en. puissance indépendante, et cessant de subir la tyrannie, jouer au tyran à son. tour. Ces dangereuses opinions trouvaient écho jusque parmi la jeunesse des hautes- classes. Les raffinés de la mode, en même temps qu’ils dissipaient leurs fortunes, avaient tué en eux-mêmes les forces du corps et de l’esprit. Sous ce monde élégant, à la chevelure parfumée, portant barbe et manchettes taillées au dernier goût, adonné à la danse, à la cithare, et vidant les coupes du matin jusqu’au soir, s’entrouvrait un effrayant abîme de corruption morale et sociale, de désespoir bien ou mal dissimulé, de projets, enfants du délire ou de l’étourderie. Là, tout haut, on soupirait après le retour des temps de Cinna, de l’ère des proscriptions, des confiscations, de la radiation des dettes : là, se trouvaient des hommes, dont plusieurs de noble extraction et de facultés peu communes, qui n’attendaient qu’un signal pour tomber en brigands sur la société civile, et regagner, par le pillage, les richesses dévorées par la débauche. Jamais chef ne manque à voleurs qui se mettent en bande : ceux-ci eurent aussitôt leurs capitaines. Un ex-préteur, Lucius Catilina, un questeur, Gnæus Pison, se distinguaient entre tous par leur haute naissance et leur condition. Derrière eux, ils avaient brisé les ponts : pleins de talents autant qu’effrontément dépravés, ils dominaient leurs complices. Catilina surtout, fut l’un des plus scélérats dans ce siècle fécond en scélératesses. Ses tours de jeunesse appartiennent aux greffes criminels, plutôt qu’à l’histoire : tout son extérieur, sa face blême, son œil égaré, sa démarche moitié paresseuse et moitié hâtive, trahissaient un sinistre passé. Il possédait à un haut degré les qualités du chef de bande : sachant jouir et sachant se priver ; ayant le courage, la connaissance des hommes, l’énergie du crime, et maniant en maître l’épouvantable enseignement du vice, qui pousse les faibles à leur chute, et après la chute au forfait. Avec de tels éléments, c’était chose facile à des hommes, ayant l’argent et l’influence, que d’ourdir un complot contre l’ordre de choses actuel. Catilina, Pison et leurs pareils se prêtaient volontiers à toute combinaison qui leur offrait en perspective les proscriptions et l’annulation des dettes. Catilina, d’ailleurs, haïssait l’aristocratie qui l’avait écarté du consulat, comme corrompu et dangereux. Affidé de Sylla, jadis il avait à la tête de ses Gaulois, donné la chasse aux proscrits: il avait de ses mains tué un vieillard, son propre beau-frère : aujourd’hui, passant dans l’autre camp, il est tout prêt à y rendre de semblables services. Un pacte secret est conclu. Les conjurés y entrent au nombre de plus de quatre cents ; ils ont de nombreux affiliés dans, toutes les régions, dans toutes les villes d’Italie. Il va de soi, d’ailleurs, qu’en écrivant sur le drapeau de l’insurrection le mot de leur programme, la suppression des dettes, ils verront accourir en foule les recrues fournies par une jeunesse totalement dépravée. En décembre 688 [66 av. J.-C.], ainsi le disent les récits du temps,
les chefs du complot crurent saisir l’occasion d’éclater. Les deux consuls
élus pour 689 [-65],
Cornélius Sylla, et Publius Autronius Pætus venaient d’être
convaincus en justice du crime de corruption électorale ; et aux termes
de la loi, ils avaient encouru la déchéance de leur expectative. Ils entrent
tous deux dans la conspiration. Les conjurés décidèrent que ces hommes, de
gré ou de force, monteraient sur les sièges consulaires : ce qui, pour les
démocrates, revenait à s’emparer du pouvoir suprême. Ils devaient donc, le 1er
janvier 689 [-65],
jour où les nouveaux consuls inaugureraient leur magistrature, assaillir en
armes Tel est le récit traditionnel venu jusqu’à nous. Il reproduit, cela est clair, la version qui circulait parmi les hommes du gouvernement. Est-il vrai, et mérite-t-il créance jusque dans les moindres détails ? C’est ce que, dans l’absence de moyen de contrôle, nous ne pouvons absolument décider. Sur la question capitale de la participation de César et de Crassus au complot, le témoignage accusateur de leurs adversaires politiques n’est point, sans doute, une preuve suffisante. On ne peut nier pourtant que dans leurs actes ostensibles, à ce même moment, on ne rencontre une frappante et exacte concordance avec les menées secrètes que les aristocrates leur imputent. Est-ce que déjà, Crassus n’agissait pas en révolutionnaire, quand, censeur dans cette année, il tentait d’inscrire les Transpadans sur les listes civiques ? Que penser de lui quand on le voyait dans son même office, s’apprêter à porter et Chypre et l’Égypte sur les registres du domaine du peuple romain[18] ? Et César, vers le même temps (689 ou 690 [65-64 av. J. C.]), n’était-ce point à son instigation que plusieurs tribuns allèrent demander au peuple de l’envoyer en Égypte pour y remettre sur le trône le roi Ptolémée, chassé par les Alexandrins ? Ces manœuvres ont un air de parenté non méconnaissable avec les accusations du parti noble. Je n’affirme rien comme chose certaine : mais je tiens pour vraisemblable que Crassus et César s’étaient concertés ; qu’ils voulaient, pendant l’absence de Pompée, s’emparer de la dictature militaire ; qu’à cette dictature démocratique l’Égypte devait servir de piédestal ; que l’insurrection avortée de 689 [-65] devait procurer la réalisation de ces projets ; et qu’enfin Catilina et Pison n’étaient point autre chose que des instruments dans la main de Crassus et de César[19]. Le complot s’arrêta pour un temps. Les élections pour 690 [64 av. J.-C.]
se firent, sans que Crassus ni César renouvelassent leur tentative de
mainmise sur le consulat : disons-le pourtant,leur abstention tint sans
doute, en partie, à la candidature de Lucius César, parent du chef des
démocrates, homme faible et se mouvant au gré de ce dernier. Sur ces
entrefaites, les bulletins venus d’Orient précipitaient les choses. Déjà
Pompée avait tout réorganisé en Asie-Mineure et en Arménie. Les stratèges de
la démocratie avaient eu beau démontrer qu’on ne pourrait considérer la
guerre du Pont comme finie, que quand Mithridate serait captif ; qu’il
fallait dès lors lui donner la chasse autour de la mer Noire ; et se
bien garder, surtout, d’aller au loin, s’engager en Syrie : Pompée,
sourd à tous les commérages, avait quitté l’Arménie dès le printemps de 690 [-64], et
était descendu vers les terres syriennes. Choisissant l’Égypte pour son
quartier général, la démocratie n’avait plus de temps à perdre : rien de plus
facile à Pompée que d’arriver sur le Nil avant César. La conspiration de 688 [-66], debout
tout entière, au lendemain des mesures plus que mollement prises pour la
réprimer, se remit à l’œuvre, aux élections consulaires pour l’an 691 [-63]. Les
rôles étaient sans doute les mêmes, et le plan n’avait en rien été changé.
Comme la première fois, les meneurs se tinrent en arrière. Les candidats
étaient Catilina lui-même, et Gaius Antonius[20], le plus jeune
fils d’Antonius l’orateur, et le frère de l’officier revenu si mal famé de
Crète. Sur Catilina on savait pouvoir compter. Quant à Antonius, syllanien
d’abord comme Catilina, comme lui traduit plus tard en justice par les
démocrates, et expulsé du Sénat, au demeurant homme sans énergie, sans
importance, n’ayant rien des qualités du commandement, perdu de dettes et
insolvable, il se fit volontiers l’humble serviteur du parti, moyennant qu’il
obtînt le consulat et tous les avantages inhérents à cette magistrature. Par
ces deux hommes, les chefs de la conjuration croyaient se rendre maîtres du
pouvoir, arrêter comme otages les enfants de Pompée demeurés dans la capitale
: ils armeraient ensuite contre le proconsul en Italie et dans les provinces.
Le propréteur Pison, à la première nouvelle du coup frappé à Rome, devait
lever en Espagne citérieure l’étendard de l’insurrection. Si l’on ne pouvait
communiquer par mer avec lui, Pompée fermant Mais ce fut dans les élections consulaires que le parti
déploya toutes ses forces. Crassus et César, prodiguant l’argent, argent à
eux ou d’emprunt, et mettant en mouvement, tous leurs amis, s’efforcèrent
d’enlever la nomination de Catilina et d’Antonius : les compagnons de
Catilina, attelés à sa candidature, firent de leur côté l’impossible pour
porter au gouvernail celui qui leur promettait toutes choses, les charges
publiques et les sacerdoces, les palais et les villas des aristocrates,
l’abolition des dettes, principalement, et qui ayant promis, tiendrait sa
arole, ils n’en doutaient pas. L’aristocratie était en grande détresse, ne
pouvant mettre la main sur des candidats à elle. Se porter, c’était jouer sa
tête. En d’autres temps, le péril eût attiré les citoyens. Aujourd’hui
l’ambition se taisait devant la crainte. Les nobles eurent recours aux
expédients des faibles : ils s’ingénièrent à combattre la brigue au moyen
d’une loi nouvelle contre la vénalité des votes. Leur loi échoua par
l’intercession d’un tribun. De guerre lasse; ils réunirent leurs voix sur un
citoyen qui, sans leur agréer, n’était pas du moins homme à faire le mal. Ce
candidat n’était autre que Marcus Tullius Cicéron, bien connu pour nager
entre deux eaux[22] ;
en coquetterie tantôt avec les démocrates et tantôt avec Pompée ;
faisant aussi les doux yeux et de loin à l’aristocratie mettant son talent
d’avocat au service de tout accusé important, sans distinction de parti bu de
personne (n’avait-il
pas eu un jour Catilina pour client ?) : au fond n’appartenant à
aucun parti, ou ce qui revient au même, fidèle au parti des intérêts
matériels, lequel avait la haute main dans les prétoires, et accordait faveur
à l’artisan de plaidoyer disert, à l’homme spirituel, et de bonne
compagnie ! Dans Rome et hors de Rome, ses nombreuses relations lui
donnaient des chances en face du candidat malheureux des démocrates : les
Pompéiens, et la noblesse, celle-ci d’assez mauvaise humeur, votaient pour
lui. Il fut élu à une grande majorité. Les deux candidats démocratiques
obtinrent un nombre presque égal de voix : Antonius, grâce à sa famille,
mieux posée, l’emporta de quelques unités seulement sur son concurrent.
L’événement tournait contre Catilina, et délivrait Rome de la menace d’un
second Cinna. Quelque temps avant, Pison, à l’instigation, du moins on le
disait, de Pompée, son ennemi politique et son ennemi personnel, avait été
massacré en Espagne, par son escorte d’indigènes[23]. Avec l’autre
consul Antonius tout seul, impossible de rien entreprendre. Avant même leur
entrée commune en charge, Cicéron sut rompre le faible lien qui rattachait
son collègue au complot; et renonçant en sa faveur à son droit de tirage au
sort des provinces consulaires, il le laissa, obéré qu’il était, prendre pour
lui le riche et productif gouvernement de Pendant ce temps les affaires marchaient en Orient, et
l’orage s’y amassait, menaçant pour la démocratie. La réorganisation de Telle était la tentative de Rullus. Elle manqua complètement son effet. La multitude trouvait plus commode de recevoir à l’ombre, sous les portiques de. Rome, l’an-, none mesurée dans les magasins publics, que de s’en aller labourer la terre à la sueur de son front : elle fit à la rogation un accueil des plus froids. Elle sentit aussitôt que jamais Pompée n’accepterait un plébiscite qui le léserait à tous égards ; et qu’il y avait péril, peut-être, à se donner à un parti à bout de voies, qui jouait son va-tout sur de telles offres. Dans ces conjonctures, le gouvernement fit tomber la motion sans trop de peine : Cicéron, le nouveau consul, saisit l’occasion et fit valoir son talent à enfoncer les portes ouvertes[24] : les autres tribuns n’eurent pas même à intervenir : l’auteur du projet le retira (1er janv. 691 [63 av. J.-C.]). Dans cette troisième campagne, la démocratie n’avait rien gagné qu’une leçon apprise à ses dépens : amour ou crainte, les masses tenaient toujours pour Pompée, et toute motion devait succomber sûrement, par cela seul qu’elle lui était reconnue hostile. Fatigué de ses candidatures stériles et de tant de complots avortés, Catilina résolut de brusquer les choses, et d’aller droit au but. Il prit au cours de l’été : toutes ses mesures pour commencer la guerre civile. Fæsulæ (Fiesole), forte place située au milieu de l’Étrurie, toute remplie d’hommes ruinés et de conspirateurs, et quinze ans avant, déjà, le foyer de la révolte de Lepidus, Fæsulæ sera de nouveau le quartier général insurrectionnel. On y envoie de grosses sommes d’argent, grâce surtout à l’assistance des nobles dames de Rome affiliées en nombre au complot : on y rassemble et des soldats et des armes : un ancien officier de Sylla, Gaius Manlius, brave et sourd à tout scrupule de conscience autant que le fut jamais soldat de fortune, y prend le commandement à titre provisoire. Sur d’autres points de la péninsule il est fait de semblables et non moins grands préparatifs. Les Transpadans surexcités semblent n’attendre pour éclater qu’un signal. Dans le Bruttium, sur la côte orientale de l’Italie, à Capoue, partout où sont agglomérés les troupeaux d’esclaves, il semble qu’une seconde rébellion va tout à coup se déchaîner, pareille à celle, de Spartacus. Dans Rome même, il se trame manifestement quelque chose : à voir l’arrogance provocante des débiteurs quand, assignés en justice, ils comparaissent devant le préteur urbain, on se rappelle en frémissant les scènes qui jadis ont précédé le meurtre d’Asellio. Une panique sans nom règne parmi les financiers : on juge nécessaire d’interdire de plus fort l’exportation de l’or et de l’argent et de faire bonne garde dans les principaux ports. Les conjurés s’étaient promis, venant les élections prochaines pour l’an 692 [62 av. J.-C.], où Catilina se présentait encore, de tuer sans plus de façon le consul directeur du vote et tout compétiteur incommode, et d’enlever enfin à tout prix la nomination de Catilina, dût-on faire entrer dans Rome, s’il le fallait, les bandés ramassées à Fæsulæ et ailleurs, et briser violemment les résistances. Cicéron avait des agents secrets, hommes et femmes, qui le tenaient heure par heure au courant
de tous les mouvements des conjurés. Au jour marqué pour l’élection (20 octobre), il les
dénonça en plein Sénat, en présence du même principal artisan de la
conspiration. Catilina ne s’abaissa point à nier : il répondit fièrement, que
si le vote du peuple tombait sur lui, au grand parti
sans tête dans Mais déjà la guerre civile avait éclaté. Le 27 octobre
Gaius Manlius avait levé ses aigles (il en montrait une du temps de Marius et de la guerre des Cimbres)
; appelant à lui l’armée insurrectionnelle, et convoquant les bandits de la
montagne et les hommes des champs. Dans ses proclamations, fidèle aux
traditions du parti populaire, il réclamait l’abolition de la dette
écrasante, et l’adoucissement de la procédure. Quand la créance dépassait la
fortune du débiteur, la loi n’entraînait-elle pas, comme par le passé, la
perte de la liberté ? Il semblait que la vile multitude, à Rome, se
donnant pour l’héritière légitime des anciens plébéiens, et se rangeant
tumultueusement en bataille sous les aigles glorieuses des guerres
cimbriques, voulut souiller à la fois et le présent et le passé de Enfin, du camp du Sénat partent des mesures décisives.
Lent et minutieux comme toujours, et cachant sous l’apparente des projets à
vastes conceptions ou à lointaines perspectives l’ineptie qui s’attarde à
l’heure forcée de la crise et de l’action, Lentulus avait noué des
intelligences avec les députés de la cité gauloise des Allobroges, alors de
séjour à Rome : il s’efforçait d’engager dans le complot ces représentants,
endettés eux-mêmes par dessus la tête, d’une nation désorganisée : il était
allé, comme ils quittaient la ville, jusqu’à leur adjoindre des affidés et
leur donner des lettres pour ceux du dehors. Les Allobroges partent ;
mais dans la nuit du 2 au 3 décembre, ils sont arrêtés non loin des portes ;
on saisit leurs lettres et papiers. On vit alors que les envoyés gaulois
s’étaient faits les espions de Dans toute république régulière, quand a pris fin la crise
politique, il n’y a plus rien à faire que pour l’armée et les tribunaux. Mais
tel était le désarroi du gouvernement dans Rome, qu’il ne se sentait pas de
force à tenir sous les verrous deux ou trois hommes de la noblesse. Déjà
s’agitaient les esclaves, les affranchis de Lentulus et de ses complices,
détenus comme lui : tout se préparait, disait-on, pour les arracher par la
violence des maisons privées où ils étaient gardés à vue[29]. Pendant les
agitations anarchiques des dernières années, il avait surgi dans la ville de
véritables entrepreneurs à forfait du désordre et de l’émeute : Catilina
averti de ce qui se passait, était aux portes, et pouvait à toute heure, avec
ses bandes, tenter un coup d’audace. Ce qu’il y avait de, vrai dans ces
rumeurs, impossible de le dire s mais on était fondé à tout craindre, alors
surtout que, conformément à la loi constitutionnelle, les consuls n’avaient
sous la main ni troupes ni police suffisamment respectable. Rome, en réalité,
appartenait à la première bande qui voudrait se ruer sur elle. On disait tout
haut que, pour empêcher les tentatives en faveur des prisonniers, il
convenait de les mettre à mort sans forme de procès. Mais à cela faire, on
violait là loi. Aux termes du vieux droit sacro-saint de l’appel au peuple,
pour porter contre un citoyen là sentence capitale, il fallait l’assemblée
des citoyens : nul magistrat ne pouvait les suppléer en cet office ; et
depuis l’établissement des tribunaux de jury, les jugements publics étant
tombés en désuétude, on n’avait plus entendu prononcer la peine de mort.
Cicéron aurait donc mieux aimé résister aux redoutables suggestions de
l’opinion. Quelque sceptique qu’il fût sur le point du droit, en tant qu’avocat,
il n’ignorait point quel profit s’attache au renom de libéralisme, et tant de
sang à répandre n’était point pour lé convier à l’éternelle rupture avec la
démocratie. Mais son entourage, et jusqu’à sa femme (celle-ci appartenant au beau monde[30]), le pressaient de
couronner par un acte hardi les services qu’il venait de rendre à la patrie.
Le consul, alors, ayant grand souci de ne point sembler lâche (c’est le propre des
pusillanimes !), au fond, tremblant devant la tâche redoutable
qu’il assumait, convoque le Sénat ; dans sa perplexité, il lui laisse à
décider de la vie ou de la mort des quatre prisonniers[31]. Conduite
inconséquente, vraiment ! Bien moins encore que le magistrat suprême, le
Sénat avait les pouvoirs légaux de juridiction, et la responsabilité légale
de l’acte n’en remontait pas moins tout entière au consul : mais, depuis
quand la lâcheté connaît-elle la logique ? César mit tout en œuvre pour
sauver les coupables ; et son discours, plein de menaces déguisées et
d’allusions à l’inévitable et prochaine vengeance de la démocratie, laissa
dans les esprits une impression profonde. Déjà tous les consulaires et la
grande majorité avaient opiné pour l’exécution immédiate ; et pourtant
voilà que la plupart, et Cicéron avec eux, semblent revenir à l’emploi des
formes de la loi. Mais Caton était là, Caton, étroit d’esprit, hargneux, et
flairant la complicité chez quiconque soutenait un avis plus doux : il montra
à ses collègues l’émeute prête à délivrer les captifs : il jeta sur ces âmes
effrayées, hésitantes, une frayeur plus grande, et enfin arracha la
résolution meurtrière à la majorité entraînée. L’exécution du
sénatus-consulte appartenait à celui qui l’avait mis en délibération. Dès le
soir du 5 décembre, à une heure avancée, les coupables sont extraits des
maisons où on les garde : ils traversent le Forum encore encombré par la
foule, et sont déposés dans la prison, où jadis on enfermait les criminels
condamnés à mourir. C’était une sombre voûte, enfouie à douze pieds sous
terre, au pied du Capitole, jadis simple puisard de fontaine[32]. Le consul en
personne y conduisit Lentulus, les préteurs y menèrent les autres, tous sous
bonne escorte : nul ne tenta de les délivrer, nul ne savait ce qu’on allait
faire d’eux. Étaient-ils mis simplement en lieu plus sûr ? Ou
marchaient-ils au supplice ? A la porte de la prison ils sont livrés aux
Triumvirs ayant charge des exécutions capitales[33], et descendus
dans l’oubliette, ils sont immédiatement étranglés, à la lueur des torches.
Le consul, debout près de la porte, avait attendu la fin du sinistre
drame : bientôt il repasse par le Forum, jetant de sa voix claire et
bien connue, à la foule muette et anxieuse, ces simples mots : Ils ont vécu ! [Vixerunt]
Jusque dans le milieu de la nuit le peuple circula par les rues, acclamant
Cicéron, envers qui il se croyait redevable du salut de ses maisons et de ses
biens. Le Sénat ordonna des actions de grâce publiques ; et les
principaux de la noblesse, Caton, Quintus Catulus, saluèrent du nom de Père de la patrie, donné pour la première fois
à un citoyen, l’auteur de la sentence exécutée dans le Tullianum. Quoi qu’ils
fissent, c’était là un acte cruel, d’autant plus cruel que tout le peuple
l’estimait grand et méritoire. Jamais gouvernement ne se montra plus
au-dessous de sa mission que La conspiration dans la ville écrasée avant d’avoir pu
éclater, restait à étouffer l’insurrection d’Étrurie. Catilina y avait trouvé
réunis 2.000 hommes environ : mais les recrues lui arrivant en foule, sa
bande s’était vite à peu prés quintuplée: déjà il avait deux légions
quasi-complètes, mais dont le quart, seulement était suffisamment armé. Il se
jeta dans la montagne, évitant un choc avec les troupes d’Antonius : il
aimait mieux achever l’organisation de sa petite armée, et attendre
l’explosion de la révolte dans Rome. Il apprend sur ces entrefaites l’issue
contraire des événements : aussitôt ses hommes de se débander : les moins
compromis rentrent chez eux en foule. Le reste, gens plus déterminés ou
poussés par le désespoir, tente de franchir les passes de d’Apennin et de
fuir en Gaule ; mais quand ils arrivent au pied des montagnes, non loin de Pistoria
(Pistoie),
ils se trouvent comme pris entre deux feux. Devant eux, se tient posté le
corps de Quintus Metellus, venu de Ravenne et d’Ariminum, et qui défend le
versant du nord : derrière eux sont les légions d’Antonius, que ses officiers
ont enfin décidé à marcher et à faire campagne au cœur de l’hiver. La
bataille s’engage entre les soldats de La conspiration anarchique, à Rome et en Italie, avait été
noyée dans les flots de sang : il n’en restait trace que dans les procès
criminels, qui décimèrent à Rome et dans les villes étrusques, les affiliés
de la faction détruite, et dans les bandes grossies des brigands. En 694 [60 av. J.-C.],
par exemple, il fallut la force militaire pour écraser aux environs de
Thurium une troupe formée des débris des hordes de Spartacus et de l’armée de
Catilina. Mais il importe de le constater : le coup porté aux anarchistes,
qui complotaient l’incendie de la ville, ou combattaient à Pistoria, n’avait
pas atteint qu’eux seuls : le parti démocratique était aussi frappé. Ce
parti, comme il avait eu la main dans les machinations de 688 [-66],
trempait encore dans celles de la veille : le fait, pour n’être pas
juridiquement prouvé, en ce qui concerne César et Crassus notamment, n’en est
pas moins certain aux yeux de l’histoire. De ce que Catulus, et les
principaux des Sénatoriens avaient traité César de complice ; de ce que
César au Sénat avait parlé et voté contre l’assassinat judiciaire prémédité
par l’oligarchie, il ne ressort nullement de là que sa complicité fût
manifeste. Chicane de parti n’est point preuve. D’autres circonstances
néanmoins viennent peser sur la balance. Des témoignages explicites,
incontestables, montrent César et Crassus au premier rang parmi les fauteurs
de la candidature consulaire de Catilina. Quand César, en 690 [-64], fit traduire
les agents de Sylla devant son tribunal, il les condamna tous, acquittant le
seul Catilina, le plus coupable et le plus infâme. Le 3 décembre, quand
Cicéron déroulait ses révélations et les noms des conjurés devant le Sénat,
il ne fit pas mention de ces deux mêmes personnages ; et pourtant il est sûr
que les dénonciateurs, outre ceux qui furent soumis à l’interrogatoire,
avaient aussi parlé de nombreux innocents,
que le consul jugea à propos de rayer de sa liste. Et plus tard, au bout de
quelques années, quand il n’avait plus les mêmes raisons de taire la vérité,
il n’hésita pas à ranger César parmi les conjurés. De même n’y avait-il point
une accusation indirecte, mais claire, à donner à garder à César et à
Crassus, en leur qualité de sénateurs, deux des quatre conjurés arrêtés ce
même jour (3
décembre), les moins dangereux, il est vrai, Statilius et Gabinius.
Les laissant échapper, ils se trahissaient aussitôt devant l’opinion publique
: les retenant prisonniers, ils se séparaient de leurs complices, et se
compromettaient aux yeux de la faction. Un incident qui se passa dans le
Sénat fait voir l’embarras de leur situation. Lentulus venait d’être arrêté
avec ses consorts. Un agent de la conspiration, envoyé à Catilina [Tarquinius]
et enlevé sur la route, était amené devant le Sénat, où, sous promesse de
l’impunité, il fit un aveu circonstancié. Quand il en arriva à la partie la
plus délicate de la confession, déjà il nommait Crassus, comme étant celui
dont il tenait sa mission aussitôt les sénateurs de l’interrompre, et sur la
proposition de Cicéron, d’anéantir toute la déposition sans vouloir pousser
plus loin l’enquête : puis, malgré l’amnistie donnée, de mettre le messager
en prison, jusqu’à ce qu’il se rétractât, jusqu’à ce qu’il eût déclaré qui l’avait
incité à une telle imposture. On savait tout, cela est clair. Témoin ce
Sicinius qui, invité à s’attaquer à Crassus, ne se soucia pas de prendre le taureau par les cornes !
[34] La majorité des
sénateurs et Cicéron le premier, ne voulaient pas que les révélations
allassent au-delà d’une certaine limite. Au dehors, on n’y mettait point tant
de façons : les jeunes gens, appelés aux armes contre les incendiaires
en voulaient à César plus qu’à nul autre. Le 5 décembre, à sa sortie du
Sénat, ils l’entourèrent, la pointe de leurs épées contre sa poitrine, et peu
s’en fallut qu’il ne perdit alors la vie, en ce même lieu où seize ans après
il tombera sous les coups d’autres meurtriers : à partir de ce jour il ne
reparut plus à Depuis tantôt cinq ans, Pompée restait dans l’est, à la
tête des armées et des flottes : depuis cinq ans la démocratie conspirait
dans Rome pour le renverser, son insuccès était fait pour la décourager.
Après d’indicibles efforts, elle n’avait rien gagné : loin de là, elle avait
immensément perdu, moralement et matériellement. Déjà la coalition de 683 [71 av. J.-C.]
avait eu ses déboires pour les démocrates de pur sang, encore bien qu’en
cette occurrence la démocratie n’avait dû pactiser qu’avec deux des
principaux de l’autre parti, et leur eût imposé d’ailleurs son programme.
Aujourd’hui elle a fait alliance avec une bande d’assassins et de
banqueroutiers, presque tous transfuges du camp aristocratique ; et il
lui a fallu, ne fût-ce que pour un temps, accepter leur plan d’opérations, avec
le terrorisme des tristes jours de Cinna. Aussitôt elle s’aliène le parti des
intérêts matériels, cet élément si important de la coalition de 683 [-71] :
celui-ci, éperdu, se jette dans les bras des optimates et de tous ceux qui
voudront ou pourront le défendre contre l’anarchie. La multitude des rues, si
peu hostile qu’elle se montre à l’émeute, trouve incommode cependant qu’on
lui brûle les maisons sur la tête : elle se montre tiède. Circonstance
remarquable, dans cette même année (691 [-63]), on avait pleinement rétabli, par
sénatus-consulte et sur la motion de Caton, les distributions frumentaires
semproniennes. L’alliance des chefs des démocrates avec l’anarchie avait
comme enfoncé le coin entre eux et la masse des citoyens de Rome, et
l’oligarchie, non sans un succès momentané, tenta d’élargir le schisme, et
d’attirer le peuple à sa cause. Enfin Pompée allait revenir à demi averti, à
demi irrité par toutes ces machinations : après tout ce qui s’était passé,
après que les démocrates avaient, à vrai dire, brisé eux-mêmes les liens qui
les rattachaient à lui, ils ne pouvaient plus vraiment lui demander (demande juste peut-être,
en 684 [-70]), de ne pas frapper de son épée cette même
puissance qu’il avait portée en haut, elle, à son tour, le poussant au pinacle.
Ainsi s’était déshonorée et affaiblie la cause démocratique : percée
impitoyablement à jour, sans direction, sans énergie, elle succombait sous le
ridicule. N’est-il besoin que d’infliger l’humiliation au régime oligarchique
à demi mort, ou de s’agiter en maintes frivoles menées, pour une telle tâche,
elle est grande et forte. Elle tombe à terre, à son tour, dès qu’elle veut
saisir l’objet politique de ses convoitises. Avec Pompée, ses rapports
n’étaient que pitoyable fausseté : tout en accumulant louanges et hommages,
elle ourdit contre lui intrigue sur intrigue, qui l’une après l’autre crèvent
et s’évanouissent comme bulles de savon. Le capitaine général des terres et
des mers de l’Orient, loin de se mettre en défense, semble ne rien apercevoir
de toutes ces manœuvres ; et ses victoires sur les démocrates rappellent
Hercule écrasant les Pygmées, sans s’en douter. Un jour, ils tentèrent
d’allumer l’incendie des guerres civiles, et ne le purent : si la faction
anarchique avait déployé plus de vigueur, la démocratie pure, sans doute,
aurait pris ses bandes à gage : mais elle n’aurait su ni les conduire, ni les
sauver, ni mourir avec elles. Et ainsi, la vieille oligarchie, ce corps à
demi-mort, ravitaillé soudain par les masses venues de l’autre camp, se rencontrant
bientôt avec Pompée sur le terrain d’un intérêt manifestement commun, avait
repris des forces, repoussé la tentative révolutionnaire et remporté sa
dernière victoire. Durant ce temps. Mithridate était mort : l’organisation de
l’Asie-Mineure et de |
[1] [Loi Gabinia, de Senatu legatis (quotidie) dando (Cicéron, ad Quint. fratr. II, 13). Ces audiences étaient fixées du 1er février au 1er mars, sauf exception pour les jours de comices (Lex Pupia : Cicéron, eod. loc. V. aussi ad fam. 1, 4).]
[2] [C’est encore une loi Gabinia qui refusa l’action quand l’intérêt annuel dépassait 12%. G. Cornelius, alors tribun, avait aussi proposé d’interdire tous les prêts, quels qu’ils fussent. — V. dans Cicéron, (ad Attic., V, 21, VI, 1, 2) l’historiette du prêt fait par Scuptius et Brutus aux Salaminiens.]
[3] [Loi Cornelia : ut nemo legibus solveretur. Elle voulait que deux cents sénateurs au moins eussent voté la dispense. — Cornélius, accusé après son tribunat pour avoir lu sa rogation lui-même, malgré l’intercession de Globulus, son collègue, fut défendu par Cicéron. Il reste quelques fragments du plaidoyer pro Cornel., fameux dans l’antiquité et que Quintilien loue en termes magnifiques (Inst. orat. 81 3)]
[4] [C’est ce qu’on appelait la legatio libera. Le citoyen muni de ce privilège était défrayé par la province comme un ambassadeur. et rien ne fixait la durée de son voyage. Cicéron, durant son consulat, fit limiter à un an la legatio libera : mais bientôt César la prolongea jusqu’à cinq (Cicéron, de legib. III, 8 ; de leg. agr. 1, 3 ; pro Flac. 34 ; Philipp. 1, 2 ; ad Attic., XV, 11. — V. aussi Ascon, in Cicéron, pro Cornel.).]
[5] [Loi Acilia Calpurnia (687 [67 av. J.-C.]) et loi Tullia (691 [-63]) de ambitu, celle-ci votée sous le consulat de Cicéron : la première prononçait l’amende, l’exclusion du Sénat et l’incapacité des fonctions publiques : la seconde y ajouta l’exil pendant dix ans. Elle fut suivie en 699 [-55] par la loi Licinia, de sodalitiis. tendant aussi à la répression de l’incurable délit (V. Dion Cass. XXXV1, 21. — Cicéron, pro Muren., c. 123 ; pro Planc., 18. — Dict. de Smith, v° Ambitus).]
[6] [Loi Cornelia : ut prœtores ex edictis suis perpetuis jus dicerent. On sait que l’édit du préteur, cette viva vox juris civilis, avait pour objet adjuvandi vel supplendi vel corrigendi juris civilis gratia propter utilitatem publicam (Digeste, 1, tit. 1, $ 7). Or il arrivait souvent que, corruption ou autre prévarication, le préteur se permettait de juger autrement que selon son édit, qu’il aurait dû suivre dans tous les cas (perpetuum) (V. Ascon, in Cicéron, pro Corn. — Dion Cass., XXXVI, 23).]
[7] [Ce Labienus, tribun pendant l’année du consulat de Cicéron, fut l’accusateur de Rabirius (Cicéron, pro Rab.) ; il s’illustra plus tard comme lieutenant de César dans les Gaules.]
[8] [Il s’agit ici de G. Calpurnius Pison, l’aristocrate,
l’adversaire de la loi Gabinia et de
Pompée. On sait qu’il fut accusé de déprédations commises au préjudice des
Allobroges, pendant son proconsulat dans
[9] [C’est le tribun de la loi Manilia, votée en faveur de Pompée.]
[10] [Il s’agit ici de la loi Papia, de peregrinis. Son auteur, C. Papius, tribun du peuple, n’avait fait que renouveler les dispositions de la loi de M. Junius Pennus (628 [126 av. J.-C.]).]
[11] [L’arbor infelix était le supplice de la perduellio. — Sur le procès de Rabirius, voir le plaidoyer de Cicéron, qui le défendit avec Hortensius, et le récit de Dion Cass., XXXVII, 26-28. — V. aussi Drumann, III, p. 963 et s., et enfin Mérimée, Études sur l’hist. rom., II, p. 99 et suiv. — Rabirius eût été condamné si le préteur Metellus Celer n’eût tout à coup enlevé le drapeau qui flottait au haut du Janicule. Les comices furent aussitôt dissous.]
[12] [Il avait été questeur sous Sylla, et c’était pour des actes illégaux et de couleur ultra-aristocratique, commis en cette qualité ; qu’il se vit un jour recherché. Il fut acquitté.]
[13] [V. Hist. de César, I, p. 317.]
[14] [Catilina fut absous. — V. Hist. de César, I, p. 303.]
[15] [V. Hist. de César, I, p. 301.]
[16] Quiconque embrasse et étudie la situation politique du moment, n’aura pas besoin de preuves spéciales et directes pour se convaincre que le but final des machinations démocratiques de 688 [66 av. J.-C.] et des années suivantes n’était point tant le renversement du Sénat que celui de Pompée. Ces preuves d’ailleurs ne manqueront pas. Les lois Gabinia-Manilia avaient porté un coup mortel à la démocratie, Salluste l’atteste (Catilina, 89) : il est aussi attesté que la conspiration de 688-689 [-66/-65], et que la rogation de Servilius n’en voulaient qu’à Pompée (Catilina, 19 ; Valère Maxime, 6, 2, 4 ; Cicéron, de leg. agr. 2, 17, 46). Enfin, le rôle de Crassus dans la conjuration montre assez que c’était à ce dernier qu’on s’attaquait.
[17] [Allusion au verset 27, XII, Évangile de St Mathieu : Et si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? (Lem. de Sacy.)]
[18] Plutarque, Crassus, 13 ; Cicéron, de leg. agr., 2, 17,
[19] [L’auteur de l’Hist. de César cherche à disculper son héros (I, p. 304). Sa tâche est difficile. Elle le deviendra davantage encore après l’explosion de la conspiration.]
[20] [Surnommé Hybrida : homo serviferus, dit Pline (Hist. nat. 8, 53)]
[21] Les Ambrans (Ambrani, Suétone, César, 9) ne sont point les Ambrons de Ligurie (Plutarque, Marius, 19) : peut-être y a-t-il là une leçon corrompue, et s’agit-il des Arvernes.
[22] Nul ne le montra mieux et plus naïvement que son propre frère Quinius (de petitione consul. 1, 5, 13, 51, 53, de l’an 690 [64 av. J.-C.]). En veut-on une preuve de plus ? Qu’on lise sans parti pris le second discours contre la loi agraire de Rullus : on y verra, non sans y prendre intérêt, comment le premier consul qu’aient eu les démocrates [consul popularis] sait mener son cher public par le nez de façon vraiment réjouissante, et lui enseigne la vraie démocratie ! [V. le début de ce discours, 1-5 et passim.]
[M. Mommsen est sévère pour Cicéron dès qu’il le rencontre sur la scène politique. Cette sévérité choquera souvent les admirateurs du prince de l’éloquence latine, du philosophe honnête et du grand moraliste qui a écrit le traité des Devoirs. Pourtant, en politique, on ne peut nier que Cicéron n’ait eu ni ligne de conduite ni constance : la vanité, la faiblesse l’ont égaré bien des fois. Ballotté de Pompée à César, du camp du peuple à celui de l’aristocratie, il a des puérilités d’ambition qui irritent ; il se prosterne devant telle idole qu’il a insultée la veille. Il n’importe Cicéron était patriote sincère et est mort pour la liberté. Sa fin absout et grandit sa vie.]
[23] Voici son inscription tumulaire, jadis retrouvée à Rome : Cn. Calpurnius Piso quœstor pro pr. ex S. c provinciam Hispanium citeriorem obtinuit. [C. I. Lat. de Mommsen, n° 598, p. 174]
[24] [Nous avons, en tout ou en partie, trois des quatre discours prononcés par Cicéron, le premier devant le Sénat, les trois autres devant le peuple. Le second surtout est un chef d’œuvre d’art. Peut-être M. Mommsen va-t-il un peu loin. La porte à enfoncer n’était point toute ouverte : on le voit bien aux ménagements de l’orateur pour les Gracques (de leg. agr. 2, 5) dès qu’il n’a plus affaire au Sénat, mais au peuple.]
[25] [M. Mommsen suit ici le récit fait par Cicéron lui-même. Salluste prête à Catilina une attitude plus humble d’abord (Catilina, 31).]
[26] [Darent operam consules ne quid detrimenti respublica caperet. Salluste, Catilina, 29.]
[27] [Il s’agit ici du fameux Quousque tandem et de la première Catilinaire. — Dans la seconde, prononcée le lendemain au Forum, devant le peuple, Cicéron raconte ce qui s’est passé, et revient sur une foule de détails curieux.]
[28] [Ce jour-là fut prononcée devant le peuple la troisième Catilinaire, où Cicéron rend compte des découvertes faites, et des mesures prises dans ta séance du Sénat.]
[29] [In custodia libera.]
[30] [Terentia.]
[31] [Son allocution au Sénat forme la quatrième Catilinaire. — On lira dans Salluste le discours de César, remanié peut-être, mais dont le fond semble conforme aux paroles réellement prononcées, discours admirable d’adresse et d’éloquence. Le complice secret des conjurés avait pour lui la loi constitutionnelle (Voyez aussi : Vie de César, I, p. 324).]
[32] [Le Tullianum, bâti ou restauré par Servius Tullius. — Voyez aussi Dict. de Smith, v° Tullianum, appelé aussi la prison Mamertine.]
[33] [Triumvirs capitales. Voyez Dict. de Smith.]
[34] [Il s’agit ici du Sicinius, dont parle Plutarque (Crassus, 7). Il a du foin à la corne (habet fœnum in cornu), aurait-il dit.]
[35] Je fais ici allusion au Catilina de Salluste, écrit par un césarien de profession, et publié en 708 [46 av. J.-C.], soit pendant la régence de César, soit plutôt pendant le triumvirat de ses héritiers. Ce livre est tout un plaidoyer politique. L’auteur y parle à l’honneur du parti démocratique, devenu déjà le fondement de la monarchie romaine : il s’évertue à laver la mémoire de César d’une noire flétrissure, et à montrer blanc comme neige l’oncle du triumvir Marc-Antoine (cf., par exemple, Salluste, 59, avec Dion Cassius, 37, 39). De même dans Jugurtha, Salluste avait voulu mettre à nu les misères du régime oligarchique et célébrer Gaius Marius, le coryphée de la démocratie. De ce qu’en écrivain habile il a su dissimuler ses tendances apologétiques ou accusatrices, il ne s’ensuit nullement que ses livres, pour être admirables, ne soient pas des livres de parti. — [Nous renvoyons aux auteurs originaux, à Salluste, à Cicéron, à Suétone et à Plutarque (Vies de César, Cicéron, Crassus et Caton le Jeune). On lira de même et utilement le Catilina, de M. Mérimée (Paris, 1853) plus sévère pour César que l’empereur Napoléon III. Dans la vie de César (I, pp. 320-340) la conspiration n’est plus pour ainsi dire que politique : la guerre à la société, incendies, meurtres projetés, tout cela est mis en question ou très atténué, et la participation de César est niée. C’est là aller trop loin en faveur de son héros. J’y relève aussi plus d’une pensée, plus d’une maxime qui fait songer aux événements de notre propre et moderne histoire (pp. 335, 339, 359, etc.) En revanche, le rôle de Cicéron, faible et inconsistant, me paraît justement apprécié.]
[36] [Plutarque, César, 7. — Vie de César, I, pp. 317-319.]