Depuis que Pyrrhus étant vaincu, la dernière guerre de
l’indépendance italique avait pris fin; depuis près de deux siècles, par
conséquent, le principat romain dominait dans la péninsule, sans qu’il eût
jamais été ébranlé sur sa base, au milieu même des plus périlleuses
conjonctures. En vain la lignée héroïque des Barcides, en vain les successeurs
du grand Alexandre, et des Achéménides avaient tenté de soulever les
Italiotes et de les pousser encore une fois à la lutte contre la cité plus
forte qu’eux tous : les Italiotes soumis s’étaient montrés à côté des légions
sur les champs de bataille du Guadalquivir et de Ainsi, pendant que d’un simple lien de suzeraineté, les alliés, au jour actuel, étaient tombés dans l’assujettissement le plus écrasant, toutes perspectives leur manquaient de l’amélioration de leur condition légale. Quand elle eût achevé de soumettre l’Italie, Rome avait fermé complètement la cité : elle n’en concède plus comme autrefois les droits à des villes entières : et quant aux individus, elle ne les leur confère que très rarement. Les anciennes villes latines avaient eu le droit de libre intercourse, au moyen duquel leurs habitants, en émigrant dans Rome, y vivaient du moins à l’état de citoyens passifs. Ce privilège avait déjà subi plus d’une atteinte. On va faire un pas de plus. Les agitations causées par les projets réformistes, tendant à l’extension du droit de cité à toute l’Italie, fournissent un commode prétexte ; et en 628 et 632 [126-122 av. J.-C.], on s’en prend au droit d’immigration lui-même. Aux termes exprès d’un plébiscite et d’un sénatus-consulte, tous les non citoyens résidant à Rome en sont expulsés : mesure illibérale, odieuse, s’il en est, et funeste pour les multiples intérêts qu’elle blesse. En résumé, les Italiques, autrefois, étaient pour les Romains, soit des frères tenus en tutelle, protégés plutôt que dominés, et non condamnés à une perpétuelle minorité ; soit ailleurs, des sujets doucement gouvernés, et ayant encore quelque espoir d’un affranchissement futur : aujourd’hui, le même niveau de sujétion et de désespoir pèse sur leurs têtes : tous, les verges et la hache des maîtres les menacent; à peine si quelques-uns, plus favorisés dans le commun esclavage, peuvent s’aventurer sur les traces de leurs dominateurs dans l’exploitation des malheureux provinciaux. La nature des choses veut en cas pareil, que, née du sentiment de l’unité nationale et du souvenir des grands dangers surmontés en commun, la cohésion des peuples ne se relâche qu’à la longue et sans bruit, jusqu’au jour où l’abîme s’ouvre : alors seulement se montre à tous les yeux l’appareil de contrainte et de haine : les maîtres sont là ; d’un côté, avec la force pour tout droit ; et de l’autre sont les sujets dont la crainte seule règle l’obéissance. Avant la révolte et le sac de Frégelles, en 629 [125 av. J.-C.], le caractère nouveau de la domination romaine ne s’était point encore officiellement manifesté ; et de même, les ferments qui s’agitaient au sein des Italiques n’avaient rien de révolutionnaire. D’un vœu silencieux pour l’obtention de l’égalité civique, ceux-ci étaient passés à la demande formulée à voix haute, mais pour se voir d’autant plus énergiquement repoussés, qu’ils s’étaient montrés plus pressants. Ayant appris bientôt qu’il ne fallait pas compter sur la concession volontaire du droit revendiqué, ils durent songer plus d’une fois à l’enlever de haute lutte : mais telle était alors la puissance de Rome, que traduire en acte la pensée d’insurrection était chose à peu près impossible. Il ne nous est pas donné d’exprimer en nombres exacts le rapport entre les citoyens et les non citoyens dans l’Italie. Nous pouvons pourtant admettre que le chiffre des premiers n’était pas de beaucoup inférieur à celui des fédérés italiques. Nous évaluerions ceux-ci à cinq cent mille tout au moins, si ce n’est plus vraisemblablement encore à six cent mille, contre quatre cent mille citoyens en état de porter les armes[4]. Tant que les citoyens romains restèrent unis, tant qu’au dehors nul ennemi ne se présenta qui valut la peine d’être nommé, disséminée qu’elle était dans une multitude de villes et de pagi, rattachée d’ailleurs à la capitale par mille liens publics et privés, la population fédérale italique ne pouvait arriver à une entente et une action communes. Avec un tant soit peu de prudence Rome comprimait facilement et sûrement les peuplades sujettes, si rétives et mécontentes qu’elles se montrassent, soit à l’aide de la masse compacte de ses citoyens, soit grâce aux ressources énormes qu’elle se procurait dans les provinces. Ailleurs enfin, elle tenait en bride, les unes par les autres, les cités dites alliées. Les Italiques restèrent donc calmes, jusqu’au jour où la
révolution ébranla Rome elle-même. Mais à peine elle éclate qu’on les voit
entrer dans le flux et le reflux des partis, demandant aux uns ou aux autres
l’égalité civique qui leur tient à cœur. Ils font cause commune d’abord avec
les démocrates, puis avec le parti sénatorial. Successivement repoussés de
l’un et de l’autre côté, il leur a fallu reconnaître que si les hommes les
meilleurs dans les deux factions s’inclinaient devant leur bon droit et la
justice de leurs requêtes, ces mêmes hommes, qu’ils fussent aristocrates ou
qu’ils fussent populaires, n’ont pas été assez forts pour leur ouvrir aussi
l’oreille de leur armée. Ils ont vu les hommes d’État les mieux doués, les
plus énergiques et les plus célèbres, abandonnés soudain par tous leurs
adhérents et précipités à terre, du moment qu’ils se sont faits les avocats
de la cause italienne. Durant les trente années de vicissitudes par où
avaient passé la révolution et la restauration, combien d’administrations
avaient paru et disparu, combien de fois le programme avait changé, sans que
l’égoïsme à courte vue cessât de siéger au gouvernail ! Les plus récents
événements n’avaient-ils pas mis au grand jour toute la vanité des illusions
de l’Italie, lorsqu’elle avait compté sur Rome pour la satisfaction de ses
aspirations ? Quand les voeux des Italiques avaient marché de pair avec
ceux de la faction révolutionnaire ; quand, avec celle-ci, ils s’étaient
brisés contre l’inintelligence des masses, on avait pu croire encore que
l’oligarchie, hostile aux promoteurs, ne l’était pas aux motions ; et
qu’il y avait quelque chance encore de voir le Sénat, plus habile et plus
éclairé, faire accueil à des mesures parfaitement compatibles avec son
système, salutaires après tout pour l’État. Mais dans les années qui venaient
de s’écouler, le Sénat avait régné sans nul obstacle ; et le jour le plus
triste s’était fait aussi sur les tendances. dé l’oligarchie. Au lieu des
adoucissements espérés, une loi consulaire, promulguée en 659 [95 av. J.-C.],
avait défendu expressément à tout non citoyen de se donner pour tel, menaçant
les contrevenants d’une poursuite et d’une peine sévères [lex Licinia Mucia de civibus redigundis]. On rejetait
par là des rangs des Romains dans la masse des Italiques un grand nombre
d’hommes considérables, ayant un intérêt capital à l’égalité civique. Et pour
ce qui est de la loi elle-même, inattaquable dans sa rigueur juridique autant
qu’insensée politiquement parlant, on la peut mettre sur la même ligne que
l’acte fameux du parlement anglais, d’où est sortie la séparation de
l’Amérique du nord d’avec la mère patrie. Comme lui, elle fut la cause
immédiate de la guerre civile. Le plus fâcheux, c’est que ses auteurs ne
sortaient pas du parti des optimates pétrifiés et rebelles au progrès : ils
n’étaient autres que Quintus Scævola, Scævola, prudent et respecté
entre tous, excellent jurisconsulte par vocation, comme fut George Grenville,
mais homme d’État de hasard : avec son attachement honorable et dommageable
tout ensemble à la lettre de la loi, il avait plus que personne contribué à
allumer la guerre entre le Sénat et Avec lui était descendu au tombeau, pour les Italiques, le
dernier rêve d’une concession bénévole. Le chef énergique du parti
conservateur n’ayant pu, dans les plus favorables circonstances, amener les
siens à l’octroyer, force était dé renoncer à tout essai de pacte par la voie
amiable. Il ne restait aux Italiques que le choix entre la résignation
patiente, ou l’insurrection qui, cinquante-cinq ans avant, avait été étouffée
sous les ruines de Frégelles, au moment où elle levait la tête,
l’insurrection éclatant cette fois avec ensemble, si faire se pouvait. En cas
de succès, on héritait de Rome après l’avoir abattue, ou tout au moins on lui
arrachait l’égalité tant souhaitée. Mais c’était là, vraiment, le parti pris
du désespoir : en l’état, le soulèvement des diverses cités contre Le premier sang avait coulé ; et l’Italie se
partageait en deux camps. Certes, il s’en fallait de beaucoup, nous l’avons
dit, pour que la levée de boucliers fût générale dans toute l’Italie fédérée
: encore l’insurrection dépassait-elle aussi de beaucoup les espérances de
ses promoteurs ; et les insurgés, sans trop de folle jactance, pouvaient
croire qu’ils arracheraient à Quoi qu’il en soit, l’explosion de la révolte, et la
terreur inaugurée par les actes de la commission de haute trahison avaient
ramené, en apparence, l’unité et la force dans Pendant que Quoi qu’il en soit, peu de mois après la mort de Drusus, et
pendant l’hiver de 663 à 664 [91-90 av. J.-C.], la lutte commença entre le Taureau
sabellique, pour parler comme l’un des insurgés, et Pour les uns et les autres, la conduite de la guerre avait
ses difficultés sérieuses. Le champ de l’insurrection immensément
étendu : les nombreuses places, tenant pour Rome, éparpillées sur ce
même territoire : les Italiques, d’une part, obligés à de longs siéges qui
disséminaient leurs forces, en même temps qu’ils avaient à défendre de vastes
frontières : les Romains, d’une autre part, ayant à combattre en maints
lieux à la fois une révolte Partout allumée sans un foyer central : tel est
le caractère des opérations qui vont s’ouvrir. Sous ce rapport, le pays
insurgé se divisait en deux régions : au nord, dans la contrée qui, allant du
Picenum et des Abruzzes à la frontière septentrionale de Dans une telle guerre, c’était à ceux-ci que revenait partout l’offensive : ils ne la prirent nulle part avec assez d’énergie. Un fait nous frappe : les Romains, ne concentrant pas leurs troupes, ne purent se jeter en force sur l’ennemi et l’écraser sous le nombre : les insurgés à leur tour ne purent pas faire une pointe sur le Latium, et se précipiter sur la capitale romaine. Mais nous ne savons que peu de chose des détails; et il y aurait témérité à dire qu’ils auraient été en situation d’agir autrement. La mollesse, du gouvernement de Rome a-t-elle contribué au manque d’ensemble dans les opérations ? Chez les insurgés, le même résultat fut-il dû à la faiblesse du lien fédéral entre les cités ? La guerre, ainsi menée, avait de part et d’autre ses victoires et ses défaites : elle se perpétuait sans bataille décisive. Elle présente le tableau d’une suite de combats entre armées luttant simultanément, aujourd’hui combinant leurs mouvements, et demain isolées : tableau singulièrement confus, et que les traditions aux trois quarts détruites ne permettent pas d’esquisser avec ordre. Les premiers coups furent portés, comme bien on pense, sur
celles des forteresses, fidèles à Rome et situées en pays ennemi, qui avaient
aussitôt fermé leurs portes, et recueilli toutes les richesses rapportées de
la campagne. Silo se jeta d’abord sur la citadelle qui contenait le pays
Marse, la forte ville d’Albe[10], pendant que Mutilus
marchait contre la ville latine d’Æsernia, au cœur du Samnium. Ils se
heurtèrent contre une résistance désespérée. Pareilles attaques se
déchaînèrent sans doute aussi dans le nord, contre Firmum [Fermo] Hatria,
Pinna [Civita
di Penna] ; et dans le sud, contre Lucérie, Bénévent, Nola et
Pæstum : le tout, avant que les Romains ne se fussent montrés sur la
frontière du pays, ou lorsque à peine ils y arrivaient. L’armée de César,
s’étant rassemblée, au printemps de 664 [90 av. J.-C.], dans la région campanienne,
qui tenait presque tout entière pour Rome, y jeta des garnisons et dans
Capoue dont la conservation importait aux finances de Les opérations, à la même heure, avaient aussi commencé dans l’Italie du milieu. Là, l’insurrection, maîtresse des Abruzzes et de la contrée du lac Fucin, se montrait armée et dangereuse jusque dans le voisinage immédiat de Rome. Une division détachée, sous les ordres de Gnœus Pompeius Strabo, avait été envoyée dans le Picenum, où, s’appuyant sur Firmum et Falerio [aujourd’hui Falerone], elle menaçait Asculum. D’un autre côté, le gros de l’armée romaine du nord, commandé par le consul Lupus, marchait vers la frontière des pays latin et marse, faisant face à l’ennemi posté à courte distance de Rome sur les voies Salaria et Valeria[12]. Le Tolenus (Turano), petite rivière qui coupe cette dernière entre Tibur et Alba, et se jette dans le Velino, non loin de Rieti, séparait les deux armées. Le consul Lupus, impatient d’en finir, dédaigna les conseils importuns de Marius, qui voulait que d’abord on formât par une petite guerre d’escarmouches toute cette jeune armée inhabile encore aux combats. Il avait détaché un corps de dix mille hommes sous Gaius Perpenna : ce corps fut complètement battu. Destituant alors Perpenna, il réunit les restes de sa division avec celle que conduisait Marius. Puis prenant, l’offensive en dépit de tous les avis, il jette sur le Tolenus deux ponts, à peu de distance l’un de l’autre, et le franchit avec toute son armée en deux colonnes, l’une sous ses ordres, l’autre sous ceux de Marius. Publius Scato l’attendait avec ses Marses, campé au lieu même où Marius allait passer la rivière. Mais avant que l’ennemi ne fut arrivé sur la rive droite, il ne laissa dans son camp que les postes nécessaires, se déroba et prit plus haut une position couverte, d’où, s’élançant tout d’un coup, il attaqua Lupus au moment où celui-ci effectuait son passage, et détruisit ou rejeta dans l’eau tous ses hommes (11 juin 664 [90 av. J.-C.]). Le consul périt avec huit mille des siens. Par compensation, si c’en était une, Marius s’apercevant enfin du départ de Scato, avait mis aussitôt le Tolenus derrière lui, et se jetant sur le camp marse l’avait occupé, non sans perte pour ses défenseurs. Le Tolenus franchi, une autre victoire remportée sur les Pœligniens par Servius Sulpicius, obligèrent les Marses à reculer leur ligne de défense ; et Marius, placé par le Sénat à la tête des troupes après la mort de Lupus, sut d’ailleurs les empêcher de pousser en avant. Mais voici que bientôt on lui donne pour collègue et pour égal Quintus Cœpion, non point tant parce qu’il a été heureux dans je ne sais quel combat que parce qu’à cause de son opposition violente contre Drusus, la veille, il s’est mis en faveur auprès de la chevalerie, maîtresse de la situation dans Rome. Cœpion se laisse prendre à une ruse de Silo, qui fait mine de vouloir lui livrer son armée et l’attire dans une embuscade, où les Marses unis aux Vestins le taillent en pièces, lui et son armée. Marius, de nouveau seul à commander, après la mort de Cœpion, se défend opiniâtrement, empêche l’ennemi de profiter de son succès ; puis, peu a peu pénètre au cœur du pays. Se refusant longtemps à tout combat décisif, il choisit enfin son heure, et triomphe de son fougueux adversaire. Le chef des Marrucins, Herius Asinius, reste sur le terrain. Peu après, Marius rejoint la division de l’armée du sud que commande Sylla, et les Marses sont une seconde fois défaits. Cette seconde bataille était, un vrai désastre et leur coûta six mille hommes : toutefois l’honneur de la journée fut davantage attribué au jeune officier : si Marius avait engagé l’action et vaincu, Sylla, coupant la retraite à l’ennemi, lui avait tué plus de monde. Pendant que la guerre sévit avec violence et des succès divers autour du lac Fucin, le corps du Picenum, sous les ordres de Strabon, a eu aussi ses combats heureux et malheureux. Les chefs insurgés, Gaius Judacilius d’Asculum, Publius Vettius Scato et Titus Lafrenius, avec leurs forces combinées, avaient attaqué les Romains. Ceux-ci, battus, s’étaient retirés dans Firmum, où Lafrenius assiégeait Strabon. Pendant ce temps, Judacilius, poussant en Apulie, gagnait à l’insurrection Canusium, Vénusie et les autres villes du pays tenant encore pour Rome. Mais après sa victoire sur les Pœligniens, Servius Sulpicius voyant le terrain déblayé devant lui s’enfonce à son tour dans le Picenum, et marche au secours de Strabon. Celui-ci, par un retour offensif, prend Lafrenius en tête, pendant que Sulpicius l’attaque en queue : le camp ennemi est incendié : Lafrenius tombe, et le reste de ses soldats se débande et court se réfugier dans Asculum. La situation s’est du tout au tout modifiée dans le Picenum : avant, les Romains assiégés se tenaient dans Firmum ; à leur tour, aujourd’hui, les Italiques sont enfermés dans Asculum : la guerre encore une fois se change en un investissement. Enfin, et dans le cours de la même année, comme si n’eut
point été assez des luttes engagées avec des fortunes si diverses dans
l’Italie du sud et dans l’Italie du milieu, un troisième incendie s’était allumé
dans la région du nord. Excitées par la vue des dangers que courait Ainsi prit fin la première et dure année de la révolte,
laissant derrière elle, dans la politique et dans les choses de la guerre, de
sombres souvenirs et de redoutables perspectives. Les deux armées romaines,
celle envoyée contre les Marses et celle de Campanie, affaiblies par de
sanglants désastres, se montraient découragées, l’armée du nord, réduite à
n’opérer qu’en vue de couvrir la métropole ; le corps du sud, aux
environs de Naples, sérieusement menacé dans ses communications, puisque les
insurgés pouvaient sans peine s’élancer de la région marse ou samnite, et se
cantonner en force entre Rome et Dans Si larges que semblent les concessions faites, alors qu’on
se reporte au système exclusif et fermé pendant cent cinquante ans de la cité
Rome, encore n’en faut-il point conclure que Ainsi fortifiés par les concessions octroyées à ceux dont
la foi n’était que chancelante, les Romains rentrèrent courageusement dans la
lutte contre les nationalités révoltées. Portant la hache dans leurs propres
institutions politiques, ils avaient fait la part du feu, pour l’empêcher de
s’étendre ; et à dater de ce jour, en effet, la conflagration n’envahit
pas de territoires nouveaux. Un instant allumée en Étrurie et en Ombrie, elle
s’éteignit presque aussitôt, et d’une façon surprenante, bien moins sous le
poids des armes romaines que par l’effet de la loi Julia. Dans les anciennes
colonies du droit latin, dans la région si peuplée du Pô, La seconde campagne (665 [89 av. J.-C.]) s’ouvrit pendant l’hiver même par un mouvement hardi des insurgés. On les vit tout à-coup, renouvelant les grandes tentatives de la guerre épique du Samnium, lancer un corps de quinze mille Marses dans l’Italie du nord, au secours de l’insurrection fermentant alors en Étrurie. Mais Strabon, dont ils avaient à traverser la province, leur barra la route, et les battit complètement : bien peu revinrent dans leur patrie. Puis, la saison permettant aux Romains de reprendre l’offensive, Caton, à son, tour, entra chez les Marses, et s’enfonça jusqu’au cœur du pays, après une série de combats heureux. Mais il veut enlever d’assaut le camp ennemi, aux alentours du lac Fucin. Là, il trouve la mort, et Strabon demeure seul chargé de la conduite des opérations militaires dans la moyenne Italie. Il se partage dès lors entre le siège d’Asculum, qu’il continue, et l’œuvre de la réduction des pays marses, sabelliques et apuliens. Le chef insurgé Judacilius accourt avec ses Picentins devant sa ville natale qu’il veut à tout prix dégager, et fond sur l’assiégeant, que la garnison d’Asculum vient aussi attaquer jusque dans ses lignes. En ce jour soixante-quinze mille Romains combattirent,dit-on, contre soixante mille Italiques. La victoire resta aux premiers. Judacilius, toutefois, avait pu se jeter dans la place avec une partie de l’armée de secours. Le siège recommença, aussitôt, siège long et difficile : la place était forte, et les habitants se défendirent en gens désespérés, qui se souvenaient de l’explosion sanglante du début de la guerre[14]. Quand, après plusieurs mois d’une vaillante lutte, Judacilius vit que l’heure de la capitulation allait sonner, il fit périr dans les tourments tous les habitants suspects de pencher pour les Romains, puis il se donna à lui-même la mort. Les portes de la ville s’ouvrirent, et aussitôt aux massacres exécutés par le fer des Italiques succédèrent les supplices ordonnés par les généraux de Rome : tous les officiers, tous les citoyens notables périrent : le reste, réduit à mendier, fut expulsé, tout le butin, tous les biens demeurant confisqués au profit de l’État. Pendant le siège d’Asculum et après sa chute, de nombreux corps avaient sillonné les pays voisins, les forçant l’un après l’autre à se soumettre. Les Marrucins firent la paix : ils avaient été écrasés à Teate (Chieti) par Servius Sulpicius. En Apulie, le préteur Gaius Cosconius alla prendre Salapia [Salpi, l’ancien port d’Arpi] et Cannes, et assiéger Canusium. Une bande samnite, que conduisait Marius Egnatius, avait marché au secours des Apuliens trop peu belliqueux : elle refoula les Romains d’abord, mais défaite par le préteur au passage de l’Aufidus (Ofanto), elle perdit son général avec beaucoup d’hommes et dut se réfugier dans les murs de Canusium. Les Romains poussèrent de nouveau en avant : on les vit à Vénusie, à Rubi [Ruvo] : ils restaient, maîtres de toute l’Apulie. Leur domination se rétablissait en même temps dans la contrée du lac Fucin et du mont Majella, véritable centre de l’insurrection. Les Marses se soumirent à Quintus Metellus Pius et à Gaius Cinna, légats de Strabon : l’année suivante Strabon en personne reçut la soumission des Vestins et des Pœligniens (666 [88 av. J.-C.]). La capitale de la révolte, Italia, redevint comme ci-devant le modeste bourg pœlignien de Corfinium : les restes du Sénat italique s’étaient sauvés chez les Samnites. De son côté, l’armée du sud, sous les ordres de Lucius
Sylla, avait aussi pris l’offensive, et envahi La roue de la fortune avait complètement tourné. Autant au
début de la campagne de 665 [85 av. J.-C.], l’insurrection était puissante,
triomphante et en progrès, autant à la fin on la voit partout abaissée et
défaite sans espoir de retour. L’Italie du nord pacifiée ; l’Italie
moyenne rentrée dans la main de Rome le long des rivages des deux mers ;
les Abruzzes presque en entier soumises ; l’Apulie reconquise jusqu’à
Vénusie ; A ce moment pourtant, survint une complication grave. Les
affaires s’étant embrouillées en Orient, Rome était dans la nécessité de
déclarer la guerre à Mithridate, roi du Pont : il fallait, pour l’année
suivante (666 [88
av. J.-C.]), envoyer en Asie-Mineure et un consul et une armée
consulaire. Si la guerre eût éclaté un an plus tôt, quel immense danger n’eût
pas couru La campagne de 666 [-88], la troisième de la guerre,
commençait sous les plus favorables auspices. Strabon écrasa du premier coup
la dernière tentative de résistance des Abruzzes. En Apulie, Quintus
Metellus Pius, successeur de Cosconius et fils du Numidique, comme
celui-ci fortement attaché aux principes conservateurs et digne de lui par
ses talents militaires, mit fin à la lutte en s’emparant de Venusia, où il fit trois mille prisonniers.
Dans le Samnium, Silo avait d’abord reconquis Bovianum : mais il perdit
bientôt une bataille qu’il avait voulu livrer au général romain Mamercus
Æmilius ; et, ce qui était pour A Rome, en effet, régnait une fermentation des plus redoutables. L’attaque de Drusus contre la juridiction des chevaliers, sa chute précipitée sous l’effort de leur parti, et enfin la série de procès ouverte par la loi Varia, cette arme à deux tranchants, ainsi qu’on l’a vu plus haut, avaient semé les plus amères rancunes entre l’aristocratie et ce que j’appelle la bourgeoisie, entre les modérés et les ultras. L’événement ayant donné tout à fait raison au parti qui penchait vers un accommodement amiable, on s’était vu forcé, ou à peu près, d’accorder aux fédérés ces mêmes droits que les modérés avaient proposé de leur reconnaître de bonne grâce : mais la concession faite, comme les refus qui l’avaient précédée, avait gardé en la forme ce caractère étroit et jaloux que nous savons. Au lieu de placer toutes les cités italiques sous l’empire d’une égale loi, on n’avait fait que donner à l’inégalité même une expression différente. Sans doute on avait reçu un grand nombre de ces villes dans l’association civique de Rome, mais en attachant une note d’infériorité au titre conféré, mais en plaçant les nouveaux citoyens par rapport aux anciens dans une situation pareille à celle des affranchis vis-à-vis des ingénus. A donner le droit latin seulement aux villes d’entre le Pô et les Alpes, on excitait, loin de les apaiser, leurs convoitises. Enfin, dans une considérable partie de l’Italie, et non la pire tant s’en faut, toutes les localités reconquises au lendemain de la révolte se voyaient non seulement exclues, mais leurs anciens traités avec Rome étant tombés par le fait de leur forfaiture, Rome ne leur avait point rendu d’autres chartes écrites : elles ne gardaient que ce qui leur était laissé par grâce et sous clause de bon plaisir[16]. Se voir écarter ainsi du vote politique était chose d’autant plus blessante qu’on savait de reste combien, dans l’état actuel des comices, ce vote était sans valeur aux yeux de tout homme impartial, quoi de plus ridicule que cette sollicitude affectée pour la pureté immaculée du corps électoral ? Donc, toutes ces restrictions comportaient un péril : elles offraient au premier démagogue venu un moyen tout prêt pour ses ambitions, soit qu’il voulût faire droit aux réclamations plus ou moins justes des citoyens nouveaux, soit qu’il voulût admettre à la cité les Italiques tenus en dehors. Enfin, les demi concessions faites et les droits si jalousement accordés semblaient encore un don insuffisant aux personnages clairvoyants de l’aristocratie, tout aussi bien qu’aux nouveaux venus ou aux exclus eux-mêmes. Ils déploraient surtout l’absence douloureuse de tous les hommes éminents, envoyés en exil et à la misère par la commission de haute trahison de la loi Varia, et dont il était difficile d’obtenir le rappel, condamnés qu’ils étaient, non par la justice populaire, mais par sentence du jury. Faire casser par un second plébiscite judiciaire le plébiscite antérieur n’eût embarrassé personne : mais faire casser un verdict par le peuple eût été d’un funeste exemple aux yeux de tout bon aristocrate. En somme, ni les ultras, ni les Modérés ne se montraient satisfaits de l’issue de la crise sociale. Mais nul ne sentait son cœur soulevé par la colère autant que le vieux Marius. Il s’était jeté au plus épais de la guerre avec toutes sortes d’espoirs revivifiés : il en était revenu contre son gré, avec la conscience des nouveaux services rendus et des nouvelles injures subies, avec la conviction amère que, loin d’être redoutable encore à l’ennemi il avait baissé dans son estime : l’esprit de vengeance, ce ver rongeur qui se nourrit de son propre poison, le mordait au sein. Si incapable ou inutile qu’il se fût montré naguère, il en était de lui comme des intrus et des exclus : son nom demeuré populaire en faisait un redoutable instrument dans la main d’un démagogue. A ces éléments dangereux de convulsion politique venait se joindre la décadence croissante des mœurs, de l’honneur et de la discipline militaires. Les germes mauvais, apportés dans la légion par les prolétaires incorporés, s’étaient développés avec une rapidité effrayante pendant les guerres démoralisatrices de l’insurrection, où il avait fallu lever tous les hommes valides sans distinction, où la propagande démagogique s’était faite tout à l’aise sous la tente du soldat aussi bien que dans les murs de Rome. Bientôt les conséquences se firent voir dans le relâchement du lien de la hiérarchie militaire. Pendant le siége de Pompéi, le commandant du corps d’investissement, détaché de l’armée de Sylla, Aulus Postumius Albinus, consulaire, avait été assommé à coups de pierres et de bâtons par ses propres soldats, qui se crurent un instant trahis et livrés à l’ennemi. Et Sylla, le général en chef, n’avait rien pu contre eux, si ce n’est les exhorter à cacher le souvenir de leur crime derrière leur prouesse en face de l’ennemi. Les principaux, coupables étaient les soldats de la flotte, la pire espèce de soldats, comme on sait. Bientôt leur exemple fut suivi par une division de légionnaires, tirée surtout des rangs de la populace de Rome. Se soulevant à la voix de Gaius Titius, triste héros du Forum, elle s’attaqua à Caton, l’un des consuls, qui, par un heureux hasard, échappa cette fois à la mort. Titius fut arrêté, mais non puni. A peu de temps de là, Caton périt dans un combat ; et, à tort ou à raison, je ne le sais, on soupçonna ses propres officiers, et parmi eux Gaius Marius le jeune, de l’avoir assassiné. Comme si ce n’était point assez de la crise politique et
militaire, une autre se déclare, et plus terrible encore, dans les choses de
l’économie publique. La guerre sociale et les troubles de l’Asie l’ont fait
naître : ses premières victimes seront les capitalistes. Incapables de
suffire à l’intérêt de leurs dettes, et poursuivis impitoyablement par leurs
créanciers, les débiteurs s’étaient présentés devant la juridiction
compétente, réclamant du préteur urbain, Asellio, tantôt terme et
délai pour pouvoir vendre leurs propriétés, tantôt même l’application des
anciennes lois oubliées sur les usures, et, conformément à une règle
de tradition immémoriale, la condamnation du créancier au quadruple de
l’intérêt illégalement extorqué[17]. Asellio
semblait disposé à faire céder les pratiques du droit existant à la rigueur
de sa lettre : il reçut les demandes, et procéda en la forme
accoutumée ; sur quoi, les porteurs de créances, irrités, se
rassemblèrent dans le Forum, et conduits par le tribun du peuple Lucius
Cassius, se jetèrent sur le préteur, en train d’accomplir un sacrifice et
portant le vêtement religieux, et le tuèrent devant le temple de On était en 666 [88 av. J.-C.]. Le tribun Publius Sulpicius Rufus proposa au peuple : de déclarer déchu de son titre tout sénateur qui aurait une dette supérieure à 2.000 deniers (600 thaler = 2.250 fr.) ; de rouvrir les portes de la patrie aux citoyens condamnés par le verdict de jurés qui n’avaient point été libres ; et enfin de distribuer les nouveaux citoyens dans toutes les tribus, en même temps que les affranchis y auraient également partout droit de vote. Motions étranges sous certains rapports, tout au moins dans la bouche d’un tel homme ! Publius Sulpicius Rufus (né en 630 [-124]) était redevable de son importance politique, bien moins à son extraction nobiliaire, à ses hautes relations et à sa richesse patrimoniale, qu’à son talent oratoire, par où il surpassait tous ses contemporains : sa voix éclatante, son geste animé, parfois tirant vers l’action théâtrale, le flot ample et plein de sa parole, entraînaient l’auditeur, même non convaincu[18]. Par ses origines il tenait au parti sénatorial : son premier acte politique (659 [95 av. J.–C.]) avait été une accusation publique portée contre ce Norbanus si odieux aux amis du pouvoir. Parmi les conservateurs, il avait appartenu à la faction de Crassus et de Drusus. Pourquoi s’était-il décidé à briguer le tribunat du peuple en 666 [-88], abdiquant du même coup sa noblesses patricienne ? Je ne saurais le dire. Mais de ce qu’avec tout le parti modéré, il eut contre lui les conservateurs, qui le qualifiaient de révolutionnaire, il faut se garder de conclure qu’il l’ait été en effet, ou qu’il ait rêvé le renversement de la constitution à l’instar de Gaius Gracchus. Toutefois, comme il était le seul parmi les personnages notables du parti de Crassus et de Drusus qui eût vu passer sur sa tête l’ouragan des procès sortis de la loi Varia, il se crut sans nul doute appelé à achever de ses mains l’œuvre de Drusus, à mettre fin à l’infériorité civique des citoyens nouveaux ; et pour cela faire, il eut besoin de revêtir l’office de tribun. J’ajoute qu’au cours de ses fonctions, plus d’un de ses actes manifesta des tendances essentiellement contraires à la démagogie. On le vit un jour, interposant son veto, empêcher qu’un de ses collègues n’emportât par un plébiscite la cassation des verdicts prononcés aux termes de la loi Varia. Un autre jour, quand au sortir de l’édilité, Gaius Cæsar voulut sauter par-dessus la préture et obtenir le consulat pour l’année 667 [-87], évidemment en vue du généralat de l’armée d’Asie, il rencontra dans Sulpicius le plus décidé et le plus énergique de ses contradicteurs. Ainsi toujours fidèle à la ligne de conduite de Drusus, Sulpicius veut avant tout, chez lui, comme chez les antres, le respect de la constitution. Malheureusement, pas plus qu’il n’a été donné à Drusus, il ne lui sera donné d’unir des éléments absolument inconciliables, et de faire aboutir, en les conduisant par les strictes voies du droit, ses projets de réforme, pour si sages qu’ils soient : ils répugnent trop à l’immense majorité des anciens citoyens ; et jamais ceux-ci ne les accepteraient de leur plein gré. Sulpicius se brouilla avec la puissante famille des Jules, à laquelle appartenait Lucius Cœsar, l’un des plus influents sénateurs, et le frère de Gaius : il se brouilla avec la coterie aristocratique qui se mouvait dans leurs eaux. Et les rancunes personnelles nées de cette rupture ne contribuèrent pas peu, il faut croire, à pousser l’irascible tribun au delà de son but primitif. Quoi qu’il en soit, les motions sulpiciennes, par leur
nature, ne donnaient point un démenti absolu à ses antécédents personnels, ou
à la situation qu’il avait jusque-là occupée au milieu des partis. Établir
l’égalité entre les citoyens nouveaux et les anciens, c’était simplement
reprendre en partie l’une des propositions de Drusus en faveur des Italiques,
et, comme Drusus aussi, ne faire qu’obéir aux prescriptions d’une sage
politique. Le rappel des personnages condamnés par les verdicts du jury de
Varius portait, il est vrai, atteinte à l’inviolabilité des sentences,
inviolabilité dont Sulpicius lui-même s’était fait naguère le champion, mais
il profitait aux soldats de son parti, principalement, et aux conservateurs
modérés : on conçoit facilement, dès lors, ce changement de conduite chez le
fougueux meneur. Entré la veille sur la scène politique, il avait combattu
vivement la mesure : puis bientôt exaspéré par la résistance de ses
adversaires à tous ses projets, il s’en faisait lui-même le promoteur. Quant
à la mesure d’exclusion contre les sénateurs endettés, elle avait sa raison
d’être dans la situation profondément ébranlée des fortunes au sein des
principales familles, situation percée à jour durant la crise financière, en
dépit des apparences et de l’éclat extérieur. Pour douloureux que fût le
sacrifice, il y allait de l’intérêt bien entendu de l’aristocratie, de voir
sortir de Ses motions n’en furent pas moins combattues à outrance par la majorité du Sénat. Pour gagner du temps, celui-ci poussa les consuls, Lucius Cornelius Sylla et Quintus Pompeius Rufus, tous deux adversaires déterminés de la démocratie, à célébrer des solennités religieuses extraordinaires, durant lesquelles les comices ne pouvaient être réunis. Sulpicius, en réponse, suscita une violente émeute où, entre autres victimes, périt le jeune Quintus Pompée, fils d’un des consuls et gendre de l’autre. Les consuls eux-mêmes y coururent de grands dangers ; et l’on raconte que Sylla dut chercher asile dans la maison de Marius. Il fallut céder à la force. Sylla se résigna à contremander les fêtes ; et les motions Sulpiciennes passèrent sans plus d’obstacles. Pourtant leur sort n’était point encore assuré. Si dans la capitale, l’aristocratie avait eu le dessous, et cela pour la première fois, depuis l’ère de la révolution, il y avait en Italie une autre puissance avec laquelle on avait désormais à compter : je veux parler des deux armées nombreuses et victorieuses de Strabon, le proconsul, et du consul Sylla. Les dispositions de Strabon étaient douteuses : mais pour Sylla, quoique dans le premier moment il eût cédé à la violence ouverte, il vivait en entente complète avec la majorité sénatoriale, et de plus, après les féries décommandées, il avait aussitôt quitté Rome pour rejoindre son armée en Campanie. Inaugurer la terreur avec l’épée des légions, dans une capitale sans défense, n’était pas plus difficile que d’épouvanter un consul désarmé, en le menaçant des gourdins de l’émeute ; et Sulpicius supposait que son adversaire, aujourd’hui qu’il en avait le pouvoir, répondrait à la force par la force, et reviendrait à Rome à la tête de ses légionnaires pour y jeter à bas les conservateurs démagogues avec toutes leurs lois. Peut-être se trompait-il ! Sylla était plus désireux d’aller guerroyer contre Mithridate, qu’il n’avait de dégoût et de haine contre les tumultes de la rue dans Rome. Indifférent d’origine à toutes ces querelles, dans son incroyable nonchalance politique, il ne songeait, point très vraisemblablement au coup d’État que Sulpicius croyait avoir déjà suspendu sur sa tête. Si on eût laissé faire Sylla, Nola, qu’il assiégeait alors, une fois prise, il eût aussitôt embarqué ses troupes et cinglé vers l’Asie. Toutefois, Sulpicius, voulant prévenir le péril, conçut l’idée de lui enlever son commandement. A cette fin, il s’aboucha avec Marius toujours, dont le nom populaire semblait justifier auprès de la foule la motion tendant à lui conférer le généralat en Asie. De plus, grâce à ses talents et à son illustration militaire, il pouvait, en cas de rupture avec Sylla, devenir un solide appui. Non que le tribun se fit illusion, soit sur le danger d’une mesure qui plaçait l’armée de Campanie dans la main d’un homme altéré de vengeance et d’honneurs, soit sur l’énorme illégalité d’un commandement en chef conféré par plébiscite à un citoyen non fonctionnaire. Mais l’incapacité politique notoire de son héros lui laissait l’assurance que celui-ci ne voudrait pas se porter à quelque grave attentat contre la constitution. Et puis tel était le péril de la situation, si les prévisions de Sulpicius allaient au-devant des projets réels de Sylla, qu’il ne lui était plus permis de s’arrêter à de semblables objections. Quant au vieux capitaine en disponibilité, il se faisait de grand cœur le condottiere de quiconque employait ses services : depuis longues années, il ambitionnait au fond de son cœur le commandement en chef d’une expédition en Asie. Qui sait aussi s’il n’y trouverait pas l’occasion tant souhaitée de régler ses comptes avec la majorité du Sénat ? Donc, par un plébiscite rendu sur la motion de Sulpicius, Gaius Marius reçoit le commandement suprême et extraordinaire, ou suivant la formule, avec puissance proconsulaire, de l’armée de Campanie : il dirigera en chef l’expédition contre Mithridate. Deux tribuns du peuple partent pour le camp, sous Nola, pour reprendre à Sylla ses légions. Les envoyés s’adressaient mal. S’il était un homme à qui
dût revenir le commandement militaire en Asie, c’était bien Sylla. Peu
d’années avant, il avait guerroyé sur ce théâtre aven de grands succès : plus
que nul autre, il avait contribué à abattre la dernière et dangereuse révolte
des Italiques : consul en fonctions dans l’année même de la rupture avec
Mithridate, le commandement d’Asie lui avait été assigné en la forme
accoutumée, du plein consentement de Pompeius, son collègue, son ami et le
père de son gendre. C’était chose grave après cela, que de lui retirer le
généralat par un vote du peuple souverain, pour le donner à son vieux rival
dans la guerre et dans la politique, à celui dont personne ne pouvait dire à
quels excès, à quelles violences on ne le verrait pas se porter. Svlla
n’était ni assez débonnaire pour se résigner à obéir, ni assez dépendant pour
y être obligé. L’armée, telle que l’avaient faite les réformes militaires de
Marius et la discipliné de son chef actuel, sévère au point de vue des armes,
relâchée au point de vue des mœurs, n’était plus guère qu’une bande de
soldats de fortune se donnant tout entière à son général, et demeurant
absolument indifférente aux choses de la politique. Et pour ce qui était de
Sylla lui-même, froid et blasé autant qu’esprit lucide, il ne voyait dans le
peuple de Rome qu’une vile multitude, dans le héros d’Aix qu’un roué
politique en pleine déconfiture, dans la légalité qu’un mot vide, dans Rome
qu’une ville dégarnie, aux murailles croulantes, plus aisée mille fois à
emporter que Nola. Et comme il voyait, il s’est hâté d’agir. Il rassemble ses
soldats, soit six légions, ou trente-cinq mille hommes environ ; il leur
dénonce le message reçu de Rome, en ayant soin de bien leur dire que le
nouveau général désigné, loin de les emmener en Asie Mineure, ne manquera pas
d’y conduire d’autres troupes. Les officiers supérieurs, citoyens avant
d’être hommes d’épée, se refusent à le suivre, sauf pourtant un seul : mais
les soldats, à qui l’expérience passée promet en Asie et une guerre facile,
et un butin immense, se soulèvent tumultueux, mettent en pièces en un instant
les deux tribuns venus de la capitale, et s’écrient dans tous les rangs que
Sylla peut les conduire à Rome. Aussitôt il lève son camp, et se faisant
joindre en route par l’autre consul, son collègue, qui pense comme lui, en
quelques marches, et sans prendre garde aux envoyés que Rome lui dépêche avec
l’ordre de s’arrêter, il arrive sous les murs de la ville. On voit soudain
ses colonnes s’établir au pont du Tibre, aux portes Colline et Esquiline,
puis avec deux légions en bon ordre et les aigles en avant, franchir les
murailles sacrées, en arrière desquelles la loi a interdit la guerre. Bien
des discordes, bien des luttes funestes s’étaient débattues et vidées dans
leur enceinte : jamais pourtant armée romaine n’en avait violé la paix
consacrée : aujourd’hui le crime sans hésitation se consomme pour une
misérable question de commandement militaire en Orient. Une fois dans Rome,
les légions gagnèrent la hauteur de l’Esquilin : là, incommodées par les
pierres et les traits lancés des toits, elles allaient fléchir, quand Sylla
prend en main une torche enflammée, et fait mine de jeter sur les maisons
l’incendie et la ruine. Les soldats arrivent enfin sur la place Esquiline (non loin de Santa Maria
Maggiore), où les attendaient quelques troupes ramassées à la hâte
par Marius et Sulpicius. Les premières colonnes qui débouchent sont refoulées
par la masse de leurs adversaires. Mais bientôt les portes de la ville
livrent passage à leurs renforts : une division de Syllaniens descendue
par Pour la première fois l’armée intervenait dans les
dissensions civiles. Il était démontré jusqu’à pleine évidence, qu’au point
où en étaient les difficultés politiques, la force ouverte et directe les
pouvait seule trancher désormais; et qu’en outre la violence armée de bâtons
ne peut tenir contre la force militaire. Le premier aussi, le parti
conservateur avait tiré l’épée : dès ce jour il était condamné à en porter la
peine édictée plus tard par la profonde et juste sentence de l’Évangile. En
attendant, il avait la victoire, et pouvait tout à son aise écrire son
triomphe dans la formule des lois. Il allait de soi que les lois Sulpiciennes
tombaient annulées comme de plein droit. Leur auteur et ses principaux
partisans avaient fui : le Sénat les déclara, au nombre de douze,
ennemis de la patrie, et appréhendables au corps pour être livrés au
supplice. En vertu de ce sénatus-consulte, Publius Sulpicius fut arrêté et
tué près de Laurentum : sa tête envoyée à Sylla fut, par son ordre,
exposée en plein Forum, sur cette même tribune où peu de temps avant
retentissait sa jeune et forte éloquence. On suivit la piste des autres ;
et le vieux Marius se sauvait, ayant les meurtriers sur ses talons. Le grand
général avait terni par une longue série de fautes, sans nul doute, le
souvenir de maintes journées glorieuses : mais quand on sut en danger la vie
du sauveur de Pendant ce temps il se mettait à l’œuvre, et pour parer aux maux présents, comme pour empêcher les révolutions à venir, il concevait toute une série de lois nouvelles. Au regard des débiteurs obérés, il ne fit rien d’ailleurs que de confirmer et remettre en vigueur les règlements sur le maximum de l’intérêt[19]. En outre, il institua un certain nombre de colonies. Les combats et les procès criminels, durant la guerre sociale, avaient éclairci les rangs du Sénat. Sylla le renforça par l’adjonction de trois cents membres, choisis naturellement sous l’inspiration de l’intérêt aristocratique. Il introduisit aussi des changements essentiels dans le système du vote et dans l’initiative légiférante. La réforme de 513 [241 av. J.-C.] et le régime des comices centuriates, qui conféraient le même nombre de voix à chacune des cinq classes censitaires, ne lui parurent pas devoir être maintenus, et il revint à la vieille ordonnance de Servius qui, assignant à la première classe tous les citoyens riches à 100.000 sesterces (7.600 thaler = 28.500 fr.) et au-dessus, accaparaient à eux seuls presque la moitié des voix. De plus, Sylla exigea pour les grandes charges du consulat, de la préture et de la censure, un cens électoral qui de fait excluait du vote actif tous ceux qui n’avaient point une certaine richesse. Enfin il restreignit l’initiative des tribuns en matière législative toute motion désormais dut être immédiatement portée devant le Sénat, lequel avait à l’approuver, avant que le peuple n’en pût connaître. Ces mesures, réaction manifeste contre la tentative révolutionnaire de Sulpicius, avaient pour auteur le même homme qui s’était donné pour l’épée et le bouclier du parti constitutionnel : elles portaient d’ailleurs leur cachet tout particulier. Sylla avait osé, sans décret du peuple, sans verdict des jurés, prononcer la peine capitale contre douze personnages éminents, comptant parmi eux des magistrats en exercice et le plus fameux général de son temps : affichant publiquement son acte de proscription, il osait enfreindre la vieille et sainte loi de l’appel au peuple, et se riait du blâme sévère des personnages les plus décidés du parti conservateur, comme Quintus Scævola, par exemple. Il osait bouleverser l’ordre du vote pratiqué depuis un siècle et demi, et rétablir un cens électoral tombé en désuétude et condamné depuis un temps immémorial. Il osait enlever le pouvoir légiférant à ses deux antiques organes, la magistrature et les comices, pour en investir ceux qui n’avaient jamais eu légalement d’autre droit que le droit consultatif et sur requête. Jamais peut-être, autant qu’on le vit faire à ce réformateur sorti des rangs du parti conservatif, jamais démocrate n’avait ainsi changé la justice en œuvre de tyrannie, ébranlant, remaniant la constitution avec une audace inconcevable, et jusque dans les racines. Que si pourtant au lieu de s’attacher à la forme, on va au fond des choses, on arrive à porter un tout autre jugement. Les révolutions ne prennent pas fin, à Rome encore moins qu’ailleurs, sans exiger un certain nombre de victimes expiatoires, appelées, selon des formes plus ou moins empruntées aux formes judiciaires, à payer la peine du crime de leur défaite. Qu’on se rappelle les excès de la faction victorieuse, et les procès, et les persécutions qui s’ouvrirent au lendemain de la chute de Gaius Gracchus, ou de celle de Saturninus ! Ne semble-t-il pas qu’on devrait presque louer chez le vainqueur du Forum de l’Esquilin la franchise et la modération relative de ses actes ? Il prit sans tant de façon les choses pour ce qu’elles étaient, et dans la guerre ne vit que la guerre : il mit hors la loi les ennemis qu’il avait vaincus, et réduisant le plus possible le nombre des victimes, il ne laissa pas la rage de son parti se déchaîner contre les humbles. Dans l’organisation politique intérieure, il agit de même. En ce qui touche le pouvoir légiférant, objet et matière de ses innovations les plus graves et en apparence les plus profondes, il ne fit pas autre chose que de réconcilier la lettre de la constitution avec son esprit. Quoi de plus irrationnel dès l’origine que ce système législatif où tout magistrat, consul, préteur ou tribun avait droit de porter sa motion, quelle qu’elle fit, devant le peuple, et de la faire voter ? Avec l’abaissement croissant des comices, le vice organique n’avait fait que s’accroître : il n’était tolérable que parce qu’en fait le Sénat avait revendiqué le droit de consultation préalable, et qu’il avait su, par son intercession politique ou religieuse, arrêter toute proposition directement déférée à l’assemblée populaire. Mais la révolution ayant passé par dessus les digues, les conséquences d’un régime absurde s’étaient développées bientôt, et renverser l’État était devenu chose possible à tout mauvais sujet de la rue. Quoi de plus naturel, de plus nécessaire, en de telles circonstances, quoi de plus conservateur dans le vrai sens du mot, que de formuler en termes exprès, et de consacrer dans la loi les attributions sénatoriales déjà autorisées par les faits ? J’en dirai tout autant du renouvellement du cens électoral. Le cens avait été la base de l’ancienne constitution ; or, si la réforme de 513 [241 av. J.-C.] avait amoindri la prérogative des plus riches, elle s’était gardée de laisser en matière d’élections aucune influence aux censitaires au-dessous de 4.000 sesterces (840 thaler – 3.130 fr.). Mais depuis lors, une immense révolution financière s’était faite, et qui eût par elle-même justifié une élévation nominale du cens minimum. Aujourd’hui, c’est encore pour rester fidèle à son esprit que la timocratie nouvelle change la lettre de la constitution, et qu’en même temps elle fait appel aux moyens les moins rigoureux qu’il soit possible, pour prévenir le marchandage des votes et toutes les hontes venant à la suite. Parlerons-nous des mesures de Sylla au regard des endettés de la colonisation qu’il reprend en sous-œuvre ? Là encore on trouve la preuve que s’il ne descendait pas la pente des idées ardentes de Sulpicius, il voulait cependant les réformes matérielles, comme les avaient voulues Drusus et les autres aristocrates plus clairvoyants. N’oublions pas d’ailleurs que ces réformes, il les entreprenait de son plein gré, et après la victoire. Enfin si l’on veut constater aussi qu’il laisse debout les assises principales de l’édifice constitutionnel des Gracques ; qu’il ne touche ni à la juridiction équestre, ni aux distributions de blé, on arrivera à porter sur l’ensemble de la législation de 666 [88 av. J.-C.] ce jugement équitable et vrai : qu’elle maintint dans toutes ses parties essentielles les institutions en vigueur depuis le jour où étaient tombés les Gracques ; que se contentant de modifier selon le vœu des temps certaines traditions légales qui portaient danger à l’ordre établi, elle s’efforça au même instant de remédier aux maux sociaux dans la mesure du possible, et sans plonger le couteau jusqu’au plus profond de la plaie. Elle dénote un énergique mépris pour le formalisme constitutionnel, s’alliant au vif sentiment du maintien des lois actuelles dans leur plus intime essence elle dénote des vues claires et pénétrantes, et des desseins louables après tout. Mais elle trahit aussi des convictions trop faciles et trop superficielles. Il fallait, certes, une grande bonne volonté, pour croire qu’en se contentant de fixer le maximum de l’intérêt, on subviendrait aux embarras du débiteur obéré ; et qu’à l’encontre des démagogues futurs, le droit consultatif préalable du Sénat opposerait une barrière plus forte que ne l’avaient été jusqu’ici le droit d’intercession et l’intervention religieuse. Bientôt en effet de nouveaux nuages se montrèrent à
l’horizon du ciel pur des conservateurs. Les affaires d’Asie revêtaient un
aspect chaque jour plus menaçant. Déjà, par le seul fait du retard de
l’embarquement de l’armée, retard dû à la révolution Sulpicienne, l’État
avait subi un énorme préjudice. Il fallait à tout prix, et sur l’heure, faire
partir les légions. Sylla avait cru qu’il laisserait derrière lui des
garanties solides en cas de tempête nouvelle se déchaînant contre
l’oligarchie. Il comptait sur les consuls que l’institution électorale
remaniée allait donner à Rome ; il comptait sur l’armée restant en
Italie, et occupée alors à détruire les derniers débris de l’insurrection
sociale. Mais voici que les comices consulaires se montrent défavorables aux
candidats qu’il a présentés : et qu’à côté de Gnœus Octavius,
personnage appartenant décidément aux optimates, ils nomment Lucius
Cornelius Cinna, l’un des plus ardents meneurs de l’opposition. Le parti
capitaliste avait probablement mis la main au vote, et se vengeait du nouveau
législateur de l’intérêt. Sylla subit ce choix incommode : il se dit enchanté
d’avoir vu le peuple user des libertés électorales que la constitution lui
assure : il ne demande qu’une chose aux deux consuls, c’est de jurer qu’ils
la garderont fidèlement. Quant aux armées, celle de Campanie partant presque
tout entière pour l’Asie, celle du nord allait être maîtresse de la
situation. Sylla en fit donner, par un plébiscite exprès, le généralat à son
fidèle collègue Quintus Rufus. Le commandant actuel, Gnæus Strabon,
fut rappelé avec toutes sortes d’égards. Il appartenait au parti des
chevaliers, et son attitude purement passive durant les troubles suscités par
Sulpicius l’avait rendu grandement suspect à l’aristocratie. Rufus se rendit
à son poste et prit le commandement à la place de Strabon ; mais à peu de
temps de là il périt dans une émeute militaire, et Strabon se remit à la tête
de l’armée, qu’il venait de quitter à peine. On l’accusait hautement d’avoir
été l’instigateur du crime : rien d’étonnant en tout cas à ce qu’on le
crût homme à le commettre, lui qui en recueillait le profit, et ne punissait
les assassins que par quelques paroles de blâme. Pour Sylla, la perte de
Rufus et la réinstallation de Strabon ne laissaient point que de créer un
nouveau et sérieux péril. Néanmoins il ne voulut pas rappeler ce dernier.
Bientôt son consulat à lui-même prit fin. Cinna, son successeur, le pressait
de partir pour l’Asie, et au même moment un des tribuns du peuple nommés de
la veille osait le citer en justice. Il devenait manifeste, même pour les
moins clairvoyants, qu’un nouvel orage se formait contre lui, contre les siens ;
et que ses ennemis ne souhaitaient rien tant que son éloignement. Que
faire ? Fallait-il en venir à la rupture avec Cinna, aussi peut-être
avec Strabon, et marcher droit sur Rome ? Fallait-il au contraire
laisser là les affaires d’Italie, quoi qu’il en pût pour advenir, et se
diriger vers le continent asiatique ? Patriotisme ou indifférence (on ne le saurait décider),
il choisit ce dernier parti ; et confiant le corps laissé dans le
Samnium à Quintus Metellus Pius, militaire solide et expérimenté, qui
prit à sa place l’imperium proconsulaire dans la basse Italie,
laissant d’autre part la continuation du siége de Nola au propréteur Appius
Claudius, il s’embarqua avec ses légions pour |
[1] [La littérature française s’est enrichie il y a quelques années d’un excellent travail historique sur ce sujet, par M. Mérimée (Essai sur la guerre sociale, Paris, 1841 et 1853). Cette remarquable et instructive étude, comprenant toute la période qui va des Gracques à la mort de Sylla, porte ce cachet de précision et de réalité que l’honorable académicien sait imprimer à tous ses écrits. On verra, par la comparaison, qu’il est presque toujours d’accord, et dans l’exposé des faits et dans ses conclusions, avec le récit de M. Mommsen]
[2] [Voir ce récit dans Aulu-Gell., X, 3]
[3] [Aulu-Gell., ibidem.]
[4] Ces chiffres sont tirés des cens de 639 [115 av. J.-C.] et 684 [-70] : dans la première de ces années, on compta trois cent quatre-vingt-quatorze mille trois cent trente-six citoyens propres au service militaire : dans la seconde, neuf cent dix mille (suivant Phlégon, fragm. 12, éd. Müller : Clinton [fasti Rom.] et ses copistes reportent à tort ce dernier nombre au cens de 668 [-86] Tite-Live, ep. 98, selon la vraie leçon, compte neuf cent mille têtes). Les seuls chiffres connus, entre ces deux termes extrêmes, ceux du cens de 668, qui s’élèvent à quatre cent soixante-trois mille têtes, ne tombent aussi bas que parce qu’on est alors en pleine crise révolutionnaire. Il n’est point présumable que la population de l’Italie ait augmenté de 639 à 684 : les allotissements de terres de Sylla ont tout au plus comblé les lacunes amenées par la guerre ; et l’excédant constaté de plus de cinq cent mille hommes valides- peut en toute sûreté, se rattacher à l’admission des alliés dans la cité, laquelle s’était accomplie dans l’intervalle. D’une autre part, il est possible et même vraisemblable que, dans ces années néfastes, la population italique ait plutôt décru dans son chiffre total ; et si l’on estime le déficit à cent mille hommes valides, ce qui n’a rien d’exagéré, on trouve qu’à l’époque de la guerre sociale il y avait en Italie, comme nous le disons dans le texte, un citoyen pour deux non citoyens.
[5] Nous avons encore
la formule de ce prétendu serment (Diodore, fragm.
Vatic., p. 128) : la voici : Par Jupiter Capitolin, par
[6] Nous trouvons dans les sources d’ailleurs si rares sur les événements qui nous occupent, la confirmation précise du fait. Citons surtout Diodore [fragm., Dindorff, éd. Didot, p. 538] et Strabon, 5, 4, 2. Celui-ci dit même expressément que le peuple élisait directement les magistrats. On a soutenu, mais sans le prouver, que le Sénat d’Italia était autrement composé que le Sénat romain, et que ses attributions différaient. Naturellement, dés leur première réunion délibérante, les insurgés ont dû songer à donner une représentation égale aux diverses cités de leur ligue : mais je ne lis nulle part que les sénateurs auraient été les députés de ces cités. De même, la mission donnée au Sénat de rédiger la constitution n’exclut pas le moins du monde l’attribution de la promulgation appartenant aux magistrats, et celle de la ratification, à l’assemblée du peuple.
[7] Les plombs de fronde, retrouvés à Ascoli, sont aussi la preuve que les Gaulois servaient en grand nombre dans l’armée de Strabon.
[8] Il nous est resté
un sénatus-consulte romain du
(*) [Memnon, l’historien d’Héraclée (IIe siècle ap. J.-C.), dont Photius, dans sa Bibliothèque, a sauvé quelques fragments. — V. au Corpus insc. lat. le S. C. de Asclepiade, Polystrato, Menisco, p. 113 et suiv. Nous l’avons plusieurs fois cité en note à l’appendice à propos du droit d’hospitalité]
[9] C’est le chiffre d’Appien : et il n’est point exagéré. Parmi les plombs de fronde d’Ascoli, il en est qui portent le nom de la vingtième légion.
[10] [Alba Fucentia ou Marsorum, aujourd’hui encore Alba, au nord du lac Fucin. Elle avait été assignée pour résidence à Persée]
[11] [Venafro, sur le Volturno, près S. Germano]
[12] [La première
allant au nord-est par
[13] La loi Julia [de civitate] date certainement des derniers mois de 664 [90 av. J.-C.], car César, pendant la belle saison, avait tenu la campagne : la loi Plautia [judiciaria], vraisemblablement et suivant la règle qui assignait aux motions des tribuns l’époque immédiate de leur entrée en fonctions, est du mois de décembre 664 ou du mois de janvier 665 [-89].
[14] Depuis, on a trouvé souvent autour d’Ascoli et dans les contrées avoisinantes des balles ou plombs de fronde [glandes]. Elles portent souvent le nom de la légion à laquelle appartenaient les frondeurs. Elles portent aussi tantôt des imprécations contre les esclaves transfuges [servi fugitivi peristis] (ces balles sont romaines) : tantôt des devises, celles-ci, par exemple : frappe les Picentins [feri Pic.] ou frappe Pompée [feri Pomp.] (les unes sont italiques : les autres sont romaines. [V. le Corpus insc. lat., p. 189, à la section glandes Asculanœ, où M. Mommsen en donne la nombreuse série avec commentaires]
[15] A cette époque doivent appartenir les deniers, fort rares dans les collections, qui portent en langue osque les mots Safinim et G. Mutil. : car tant que dura le système fédéral d’Italia, nul peuple particulier ne pouvait s’arroger l’attribut de la souveraineté, et battre monnaie en son propre nom.
[16] Dediticiis omnibus
[ci]vita[s] data, dit Licinianus, à l’année 667 [87 av. J.-C.] : qui polliciti
mult[a] milia militum vix XV… …cohortes miserunt : On retrouve
énoncé ici et d’une façon plus précise sous un certain rapport, le fait
mentionné d’ailleurs par l’abréviateur de Tite-Live (epit. 80) : Italicis populis a
Senatu civitas data est. Selon le droit public de Rome, les déditices
sont les étrangers, hommes libres (Gaius, 1, 13-15, 25. — Ulp., 20, 14 ; 22, 2)
devenus sujets romains, sans avoir le fœdus ou traité d’alliance. Ils ont la jouissance
de la vie, de la liberté, de la propriété : ils peuvent même se constituer en
communautés avec leurs règlements propres. Quant aux άπόλίδες,
nullius certœ
civilatis cives (Ulp., 20, 14. — cf. Dig., 48, 19, 17, 1), ils ne
sont que des affranchis,
assimilés aux déditices
par une fiction légale (ii qui dediticiorum numero sunt ; appelés aussi
tout simplement déditices,
par abus d’expression : mais le cas est rare chez les bons auteurs : Gaius, 1,
12. — Ulp., 1, 14. — Paul., 4, 12, 6), absolument comme les liberti Latini
Juniani, qui se placent auprès d’eux. Toutefois, ni les Latins, ni
les déditices
ne sont privés de la faculté de sa former en cité. Mais au regard de
[17] [Cato, de re rustic. init.]
[18] [C’est Cicéron qui le dit : Fuit enim Sulpicius vel maxime omnium, quos quidem ego audiverim, grandis, et ut ita dicom, tragicus orator : vox quum magna, tum suavis et splendida : gestus et motus corporis ita venustus, ut tamen ad forum, non ad scœnan institutus videretur : incitata et volubilis nec ea redundans tamen, nec circumfluens oratio. (Brut., 55)]
[19] On ne voit pas bien ce qu’à cet égard disposa la loi unciaire [unciaria ou du denier douze) des consuls Sylla et Rufus (666 [88 av. J.-C.]) : il vaut mieux croire au renouvellement pur et simple de la loi de 397 [-357], fixant le taux maximum de l’intérêt légal au 9/12 du capital pour l’année de dix mois, soit le 10 pour 100 pour l’année de douze mois.