L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

La révolution

Chapitre III — La Révolution et Gaius Gracchus.

 

 

Tiberius Gracchus était mort ; mais ses deux oeuvres, le nécessaire partage des terres et la révolution survécurent à leur auteur. En face des classes rurales expirantes, le Sénat n’avait pas reculé devant le meurtre : le crime commis, il n’osa pas en profiter et abolir la loi agraire Sempronia ; on peut même dire qu’après l’explosion de fureur insensée du parti réactionnaire, cette loi s’était trouvée confirmée ; bien plus qu’elle n’était ébranlée. La fraction de l’aristocratie, favorable aux réformes, et qui donnait tout haut son assentiment aux assignations domaniales, avait pour chefs Quintus Metellus, censeur de l’année (623 [131 av. J.-C.]), et Publius Scævola : elle fit alliance avec Scipion Émilien et ses amis, lesquels n’étaient point non plus hostiles aux réformes ; et prenant ainsi la haute main dans le Sénat, elle fit passer un sénatus-consulte enjoignant aux répartiteurs d’avoir à commencer leur travail. Comme aux termes de la Sempronia, ils devaient être annuellement élus par le peuple, l’élection eut lieu très probablement. Mais les exigences de leur fonction appelaient naturellement les votes sur les mêmes personnages ; aussi il n’y eut de changement dans les candidats qu’au. cas de vacance par décès. C’est ainsi que Tiberius Gracchus est remplacé par Publius Crassus Mucianus, beau-père de Gaius son frère : Mucianus ayant péri à l’armée, et Appius étant mort, le partage est confié au jeune Gaius assisté de deus des- meneurs les plus actifs du parti du mouvement, Marcus Fulvius Flaccus et Gaius Papirius Carbo. Leur nom seul atteste assez que les opérations de retrait et de partage du domaine occupé furent menées avec zèle et vigueur : nous en avons d’ailleurs la preuve certaine. Déjà, le consul de l’an 622 [132 av. J.-C.], Publius Popillius, celui-là même qui présida les assises criminelles ouvertes contre les partisans de Tiberius Gracchus; prend soin de consigner le fait sur un monument public : Le premier, dit-il, il a expulsé les bergers nomades des domaines, et installé des laboureurs à leur place ! [1] La tradition nous enseigne que les partages se firent sur toute la surface de l’Italie ; et que partout, dans les cités, le nombre des parcelles alla croissant. Tel était en effet le but de la Sempronia : elle visait moins à fonder de nouveaux centres, qu’à relever la classe rurale en renforçant les centres anciens. Nous pouvons aussi juger de la grandeur des opérations et de, leur effet immense par les méthodes ou les indications nombreuses auxquelles se réfèrent les arpenteurs [agrimensores] romains, et qu’ils font remonter à l’époque des Gracques c’est au tribunal agraire et aux assignations de la Sempronia qu’il conviendrait de rattacher, par exemple, l’invention et la pratiqué d’un système de plantation de bornes, à la fois commode et sûr pour l’avenir. Mais le langage le plus éloquent est celui des listes civiques. Le cens, publié en 623 [131 av. J.-C.], commencé dès, 622 [-132], n’avait plus donné que trois cent dix-neuf mille citoyens en état de porter les armes. Six années plus tard (629 [-125]), au lieu de la chute croissante du chiffre, on voit celui-ci remonter à trois cent quatre-vingt-quinze mille, avec un boni de soixante-seize mille citoyens romains, par le seul et bienfaisant effet du travail des répartiteurs. La proportion en plus était-elle la même en ce qui touche les allotissements italiques ? Qu’on en doute, si l’on veut : à tout le moins le résultat était grand et grandement utile. Il y eut d’ailleurs bien des intérêts anciens et respectables froissés : on ne le saurait nier. Les répartiteurs étaient des hommes de parti ardents et décidés : ils statuaient dans leur propre cause, marchant, sans regarder derrière eux, et tumultueusement, en quelque sorte. Des affiches publiques invitaient à parler quiconque avait à fournir des renseignements utiles pour la reprise et l’extension des limites du domaine. La commission remontait inflexible jusqu’aux plus vieux livres terriers, faisant rentrer toutes les occupations, anciennes ou nouvelles ; souvent même confisquant la propriété privée, à défaut par le détenteur de l’avoir suffisamment établie et prouvée. En vain l’on se plaignit tout haut, et souvent, à bon droit, le Sénat laissa faire : il était trop manifeste que si l’on voulait aller jusqu’au bout de la question agraire, il ne fallait tenir aucun compte des obstacles, et trancher dans le vif. Pourtant les violences légales avaient leurs limites. Le domaine italique n’était pas dans la main des seuls citoyens romains : en vertu de divers plébiscites et sénatus-consultes, plusieurs cités alliées avaient reçu de vastes lots en jouissance exclusive : d’autres lots aussi étaient détenus avec ou sans autorisation par des citoyens du droit latin. Un jour, les répartiteurs entamèrent ces possessions. Nul doute que l’exercice du retrait, au regard d’individus non citoyens, et simples occupants, ne fût de tout point chose conforme à la lettre de la loi ; et il en était de même des domaines assignés aux cités italiques par une décision sénatoriale ou en vertu des traités publics. Jamais l’État n’avait entendu renoncer à la propriété : accordées aux cités ou aux particuliers, les concessions étaient essentiellement révocables. Il n’en importait pas moins de fermer la bouche aux villes alliées eu sujettes, récriminant contre Rome, l’accusant de la violation prétendue des pactes conclus. Il n’était point possible de faire la sourde oreille, et de, rejeter leurs plaintes, comme celles des simples citoyens romains lésés par la mesure. Les villes n’avaient pas plus de droit qu’eux à réclamer, peut-être. Mais tandis que pour eux, sujets de l’État, il n’y avait que l’intérêt privé qui fût sacrifié, il n’en était point de même en ce qui touche les Latins possessionnés. Appuis nécessaires de la puissance militaire de Rome ; froissés trop souvent déjà, dans leur condition juridique et matérielle, par des passe-droits injustes ; désaffectionnés de Rome enfin, les Latins allaient-ils être frappés d’un nouveau et plus sensible coup ? Allait-on les rendre décidément hostiles ? Le parti du juste-milieu était maître de la situation. Comme au lendemain de la catastrophe de Gracchus, il avait fait alliance avec les partisans de ce dernier, et soutenu la réforme contre l’oligarchie: de même aujourd’hui, s’unissant avec les oligarques, lui seul, il pouvait mettre un frein à la réforme. Les Latins se tournèrent vers l’homme éminent du parti, Scipion Émilien, le suppliant de venir en aide à leur cause : Scipion leur donna son appui. Par son influence, fut voté le plébiscite de 625[2] [129 av. J.-C.], lequel enleva aux commissaires répartiteurs tout le contentieux agraire et renvoya à la décision des consuls, juges nés de ces questions à défaut de loi qui en ordonnât autrement, les procès relatifs à la détermination du domaine public et de la propriété privée. C’était du même coup, et sous: une forme plus douce, arrêter toutes les opérations des commissaires. Le consul Tuditanus, nullement favorable à la réforme, d’ailleurs, mais peu soucieux de toucher à ces matières brûlantes, saisit l’occasion qui s’offrait de s’en aller à l’armée d’Illyrie, et laissa là le partage. La commission resta debout ; mais la juridiction régulière domaniale ayant cessé de fonctionner, elle demeura aussi forcément inactive. Les réformistes étaient furieux. Les Publius Mucius, les Quintus Metellus eux-mêmes désapprouvaient Scipion et sa malencontreuse intervention. Mais un simple blâme ne suffisait pas : à d’autres et plus de grandes colères. Le héros de Numance avait annoncé pour Scipion Émilien, le lendemain une motion concernant les Latins : le lendemain matin, il fut trouvé mort dans son lit. Il était mort, cela n’est pas douteux, victime d’un assassinat politique, à l’âge de cinquante-six ans, dans toute sa santé et dans sa force. La veille, il avait parlé en public, et s’était retiré plutôt que de coutume dans sa chambre à coucher, pour préparer sa harangue du jour suivant. Quelque temps avant, il avait fait hautement allusion aux projets dirigés contre sa vie. Jamais on n’a su quelle a été la main criminelle, qui s’arma pour frapper, durant la nuit, le premier général et le plus grand homme d’État de son siècle. Il siérait mal à l’histoire de répéter les rumeurs qui circulèrent alors par la ville ; et ce serait curiosité d’enfant que de vouloir démêler la vérité au milieu des accidents confus du moment. Que l’auteur du crime ait appartenu à la faction des Gracques, le fait m’est que trop évident : le meurtre de Scipion était la réponse des démocrates au drame sanglant exécuté par l’aristocratie devant le temple de la Fidélité. La justice ne fit rien. La faction populaire, redoutant, non sans raison, pour ses chefs, coupables ou non coupables, pour Gaius Gracchus, pour Flaccus, pour Carbon, les dangers d’un procès en règle, s’opposa de tout son pouvoir à l’ouverture de l’information ; et de son côté, l’aristocratie, qui perdait en Scipion un adversaire autant qu’un allié; laissa volontiers tomber l’affaire. La foule et les modérés assistaient terrifiés aux événements; et nul parmi. eux ne l’était plus que Quintus Metellus, qui, ayant blâmé d’abord l’intervention anti-réformiste de Scipion, se séparait plein d’horreur de ses alliés politiques de la veille, et ordonnait à ses quatre fils de porter jusqu’au bûcher la bière du: grand homme. On expédia rapidement les funérailles. Le cadavre du dernier des rejetons du vainqueur de Zama fut porté, la tête voilée, par les rues de la ville nul ne put contempler encore une fois son visage; et avec les linceuls qui couvraient le héros, la flamme des obsèques anéantit les traces de l’attentat. Il s’est rencontré dans Rome bon nombre d’hommes d’un plus brillant génie que Scipion Émilien : nul ne l’a égalé par la pureté morale, par l’absence complète de tout égoïsme politique, et par l’amour vrai de la patrie : nul peut-être n’a eu de plus tragiques destinées. Avec la pleine conscience de ses vœux meilleurs pour la chose publique et de ses facultés éminentes, condamné à voir se consommer sous ses yeux la ruine de son pays : entraîné fatalement à combattre plus tard et à paralyser les remèdes essayés pour le sauver, tout en pressentant clairement que les choses n’en allaient que plus mal, il lui fallut un jour approuver l’attentat de Nasica, et en même temps soutenir contré le meurtrier l’entreprise de la victime. Néanmoins, il put se dire qu’il n’avait point inutilement vécu. A lui, autant du moins qu’à l’auteur de la Sempronia, le peuple romain avait dû la création de quatre-vingt mille assignations nouvelles ; et ce fut lui de même qui coupa court au partage du domaine, alors que la mesure avait produit tout son effet utile. Sans doute, dans l’opinion de plusieurs non, moins bien intentionnés, l’heure n’avait point sonné encore d’en finir avec la loi agraire; mais les faits témoignent en faveur de l’opportunité du moment et de la sagesse de Scipion. Gaius Gracchus lui-même ne remit pas la main sérieusement aux travaux inachevés, et laissa là impartagées les possessions qu’atteignait encore la législation de son frère. La mise en action et plus tard la suspension de la loi avaient été conquises, l’une sur l’aristocratie, l’autre sur le parti réformiste : cette dernière mesure coûta la vie à son auteur. Les destins avaient conduit Scipion sur bien des champs de bataille : ils l’avaient ramené sain et sauf après avoir vaincu pour la patrie : ils le firent périr sous les coups d’un assassin ; mais, mourant obscurément, au fond de sa maison, il mourut pour Rome encore; comme s’il était tombé devant les murs de Carthage !

Les partages agraires arrêtés, la révolution n’en continue pas moins sa marche. Déjà, du vivant de Scipion, la faction démocratique, ayant ses chefs tout trouvés dans les triumvirs répartiteurs, ne s’était point fait faute d’engager plus d’une escarmouche contre le pouvoir. Déjà Carbon, l’un des grands orateurs du moment, appelé au tribunat en 623 [131 av. J.-C.], avait donné maille à partir au Sénat : il avait définitivement introduit la votation secrète dans les comices partout où l’ancien vote se maintenait encore, et poussant l’audace jusqu’à reprendre la motion de Tiberius, demandant que les tribuns du peuple fussent admis à se porter candidats pour l’année qui suivrait leur sortie de charge, il avait voulu supprimer par la voie légale l’écueil où son prédécesseur était venu échouer. La résistance de Scipion déjoua ses plans ; quelques années plus tard, après la mort de Scipion, sans doute, la motion passa. Le parti, avant tout, voulait ressusciter la commission de partage, depuis si longtemps inactive : parmi les meneurs, il n’était question de rien moins, pour lever les obstacles venant des alliés italiques, que de leur conférer le droit de cité en masse ; et l’agitation se fit principalement dans ce sens. Afin d’y mettre ordre, le tribun du peuple Marcus Junius Pennus (628 [-126]), obéissant à l’instigation du Sénat, proposa d’expulser tous les non citoyens de la capitale : en vain les démocrates résistèrent avec Gaius Gracchus à leur tête ; en vain les cités latines entrèrent en fermentation, l’odieuse motion fut votée. L’année d’après (629 [125 av. J.-C.]), Marcus Fulvius Flaccus, consul, y répondit par une rogation contraire : il voulait que tout habitant d’une ville alliée pût obtenir la cité romaine sur demande portée devant les comices. -Mais Flaccus resta presque seul de son opinion : Carbon à ce moment avait changé de camp, et se posait en aristocrate zélé ; et quant à Gaius Gracchus, alors questeur de Sardaigne, il était absent. Le Sénat l’emporta donc facilement sur le consul, et le peuple lui-même se montra peu disposé à communiquer ses privilèges à d’autres et plus nombreux élus. Flaccus dut quitter Rome, pour aller prendre le commandement de l’armée dans le pays celte. Devançant par ses conquêtes dans la Transalpine les grands projets de la démocratie, il échappait du même coup à l’embarrassante mission d’aller combattre les alliés soulevés par lui. A cette même heure, en effet, la cité, de Frégelles entrait en révolte. Située sur la frontière du Latium et de la Campanie, au principal passage du Liris, dans une vaste et fertile contrée, elle était peut-être la seconde ville de l’Italie, et dans les transactions avec Rome, elle portait habituellement la parole pour les colonies latines. En apprenant le rejet de la rogation de Flaccus, le peuple y courut aux armes. Depuis cent cinquante ans, Rome n’avait pas eu de levée de boucliers sérieuse à combattre en Italie, si ce n’est quand l’ennemi du dehors y avait apporté la guerre. Elle réussit cette fois, à étouffer l’incendie, avant qu’il n’eût gagné les autres cités alliées. Le préteur Lucius Opimius se rendit maître de la place, non par la victoire sur le champ de bataille, mais par la trahison du Frégellan Quintus Numitorius Pullus. Frégelles perdit ses franchises locales : ses murailles furent rasées : comme Capoue, elle devint un humble bourg. La colonie de Fabrateria est établie sur une portion de son territoire (630 [-124]) : le reste avec la cité déchue est distribué aux villes avoisinantes. Cette justice prompte et terrible contient les alliés. Les procès de haute trahison se suivent et contre les Frégellans sur place, et à Rome contre: les chefs du parti populaire : la faction aristocratique s’était empressée de traiter ceux-ci en complices des révoltés.

Sur ces entrefaites, Gaius Gracchus reparut dans la capitale. Ses ennemis le redoutant, avaient tenté de le retenir en Sardaigne : ils avaient à dessein omis de lui expédier les congés usuels. Mais lui, sans hésiter, était revenu. A son tour, ils le traduisent en justice, et l’accusent d’avoir trempé dans l’affaire de Frégelles (629-630 [125-124 av. J.-C.]). Acquitté par le peuple, il relève le gant, se porte candidat au tribunat, et est élu, pour l’an 631 [-123], dans des comices que signale l’affluence, extraordinaire des votants. La guerre était dénoncée. Le parti démocratique, toujours pauvre en capacités et en chefs, avait pour ainsi dire chômé pendant neuf ans : mais aujourd’hui la trêve a pris fin : un homme s’est mis à la tête des réformistes, plus loyal que Carbon, plus habile que Flaccus, ayant enfin tout ce qu’il faut pour entraîner et pour commander !

Gaius Gracchus (601-633 [-153/-121]), plus jeune de neuf ans que son frère, n’avait avec lui que bien peu de ressemblance. Comme Tiberius, il fuyait les joies et les habitudes grossières : comme lui, d’ailleurs, cultivé d’esprit et brave soldat. Il s’était distingué devant Numance, sous les ordres de son beau-frère, et plus tard en Sardaigne. Mais par le talent, le caractère et surtout l’ardeur, il dépassait de beaucoup la taille du premier des Gracques. A la sûreté de sa marche, à la netteté de ses vues, au milieu même des embarras les plus divers et parmi tant d’efforts déployés pour assurer le vote et l’exécution des lois nombreuses dont il se fit plus tard le promoteur, on ne peut méconnaître dans le jeune tribun l’homme d’État de premier ordre. De même, au dévouement entier et fidèle. jusqu’à la mort de ses plus proches amis, on jugera quelles facultés aimantes enrichissaient cette noble nature. Durant neuf ans, il avait puisé à l’école de la douleur et des humiliations subies l’énergie de la volonté et de faction : la flamme de sa haine, comprimée, mais non amoindrie au fond de sa poitrine, allait pouvoir enfin se déchaîner contre le parti coupable à ses yeux des maux de la patrie et du meurtre de son frère. La passion terrible qui s’agitait en lui en avait fait le premier des orateurs que Rome ait jamais entendus : sans cette passion et ses égarements, nous aurions à le compter sans doute parmi les plus grands politiques de son siècle. Que si nous jetons les yeux sur les rares débris de ses plus fameuses harangues, nous y retrouverons la trace d’une puissante et irrésistible parole[3] : nous comprenons encore comment à l’entendre ou seulement à le lire, on se sentait emporté par l’ouragan de son discours. Toutefois, si grand orateur qu’il fût, la colère le dominait souvent, et alors le flot se troublait ou s’aheurtait, au plus fort de son éloquence. Image fidèle de sa carrière politique et de ses souffrances ! Chez lui, plus rien de la veine sentimentale de Tiberius, de cette débonnaireté à vue courte et peu claire, recourant aux supplications et aux larmes pour ramener un adversaire politique. Entrant au contraire et sans broncher dans la voie de la révolution, il marche droit à son but et à sa vengeance ! Comme toi, lui écrit sa mère, j’estime que rien n’est plus beau et plus grand [que la vengeance] à la condition, toutefois, que la République en sorte saine et sauve ! S’il n’en est point ainsi, que nos ennemis vivent et vivent longtemps et partout ; qu’ils restent ce qu’ils sont, plutôt que de faire crouler et périr la patrie[4]. Cornélie savait son fils par cœur. Il professait la maxime toute contraire. Il voulait se venger de ce misérable gouvernement, se venger à tout prix, dût Rome sombrer, et lui-même avec Rome ! Se sentant voué au même destin précoce que son frère, il ne fit que se hâter davantage, pareil à l’homme mortellement blessé qui se précipite sur l’ennemi. La mère des Gracques pensait plus noblement, qui en doute ? Mais la postérité, éprise du fils, de cette nature italienne si profondément passionnée et brûlante, a mieux aimé le plaindre que le blâmer. Elle n’a point eu tort en cela.

Tiberius avait été au devant du peuple, sa réforme unique à la main. Mais Gaius se présentait avec une série de projets divers, formant en réalité toute une constitution nouvelle, ayant pour pierre angulaire et principal point d’appui la rééligibilité des tribuns à leur sortie de charge et pour l’année suivante, mesure, comme on sait, déjà passée en force de loi. Les chefs populaires pouvaient désormais conquérir une situation qui ne fût pas éphémère, et qui les protégeât par elle-même : mais il fallait encore s’assurer le pouvoir matériel; avoir à soi, par conséquent, la multitude habitant la capitale, et se l’attacher par le lien de l’intérêt. Qu’il ne fallût pas faire fond sur les, campagnards venant à Rome de temps à autre, on ne le savait que trop. Un premier moyen s’offrit, celui des distributions de grains. Souvent déjà, les blés de la dîme provinciale avaient été donnés au peuple à vil prix. Gracchus décida qu’à l’avenir tout citoyen, résidant à Rome et qui se ferait inscrire, aurait droit à une prestation mensuelle (5 modii, à ce que l’on croit : 5/6 du boisseau de Prusse = 8 litres environ), fournie par le magasin public, au taux de 6 as 1/3 le modius (2 gros ½ = 24 centimes), ou à moins de moitié du prix courant le plus bas. A cette fin, il fallut agrandir les greniers de la ville [horrea populi Rom.] et élever même les nouveaux greniers Semproniens[5]. Les distributions laissant en dehors tous ceux qui vivaient hors de Rome, elles étaient un appât pour eux, et les attiraient en masse. Par suite, les prolétaires, auparavant clans la main de l’aristocratie, passaient tous dans la clientèle des meneurs du parti réformiste : ils fournissaient une garde du corps aux nouveaux maîtres de la cité, et leur assuraient une invincible majorité dans les comices. Ce n’est pas tout. Pour dominer encore mieux ceux-ci, Gaius fit supprimer l’ordre de votation encore suivi dans les centuries. On sait que les cinq classes ayant la fortune y votaient, selon leur rang et l’une après l’autre, chacune dans sa circonscription : aujourd’hui, l’on décida qu’à l’avenir toutes les centuries voteraient, et cela dans l’ordre déterminé chaque fois par le sort. Une telle organisation s’appuyant sur le prolétariat urbain, avait pour objet principal de mettre la capitale, et avec elle tout l’empire, dans la main du nouveau chef de l’État : de lui donner un ascendant absolu sur les comices ; de lui fournir enfin le moyen de peser, même par la terreur, sur le Sénat et les magistrats. Mais il faut reconnaître que le législateur de la réforme travaillait en même temps avec une ardeur et une force efficaces à la guérison des maux sociaux. A vrai dire, on en avait fini avec la question du domaine italique. Comme la loi de Tiberius n’était point abrogée, non plus que la fonction des répartiteurs, la loi agraire votée sur la motion de Gaius n’avait rien pu édicter de neuf, si ce n’est qu’elle avait rendu à ceux-ci leur juridiction un instant perdue. On avait voulu seulement sauver le principe. Les partages agraires, repris pour la forme, ne marchaient que dans les plus minces proportions : tout le prouve, et surtout les listes du cens, qui donnent en 639 [115 av. J.-C.] le chiffre exact de l’année 629 [-125]. Évidemment si Gaius ne poussa pas plus loin l’exécution des lois agraires, c’est que les partages consommés avaient épuisé toutes les terres domaniales comprises dans les plans du premier Gracchus ; et quant à celles détenues par les Latins, il n’était possible de les, atteindre qu’en reprenant en même temps la question épineuse de l’extension du droit de cité. Par contre, Gaius alla bien au delà des dispositions législatives de la Sempronia. On le vit proposer la fondation de colonies en Italie, à Tarente, Capoue, et notamment à Capoue, condamnant au retrait agraire colonisée. les domaines affermés jadis par la République, et qui, sous Tiberius, avaient joui d’une immunité entière, il voulut aussi leur partage, non selon le mode auparavant pratiqué, lequel excluait la création de colonies nouvelles, mais au contraire au profit du système colonial. Évidemment les futures colonies, redevables à la révolution de leur existence, ne manqueraient pas de lui venir en aide. Cela fait, Gaius eut recours à des résolutions plus importantes encore et plus fécondes. Il imagina de pourvoir aux besoins des classes pauvres italiques en entamant le domaine transmaritime de l’État : sur le lieu où avait existé Carthage, il envoya six mille colons choisis, non pas seulement parmi les citoyens, romains, à ce qu’il semble, mais aussi parmi les alliés italiens ; et la nouvelle ville de Junonia fut reçue au droit de la cité romaine. C’était là une œuvre grande par elle-même : grande surtout, en ce qu’elle consacrait le principe de l’émigration au delà de la mer; en ce que Gaius ouvrait par là à toujours un canal de décharge au prolétariat de l’Italie. Mais si-la mesure était mieux qu’un remède provisoire, elle consacrait, d’autre part, l’abandon formel de la vieille maxime du droit politique de Rome : l’Italie cessait d’être la terre exclusivement dominante, et la province n’était plus la terre exclusivement dominée.

Toutes les dispositions prises jusque-là avaient trait directement à la grosse question des prolétaires à côté d’elles, il en fut résolu d’autres, répondant aux tendances générales du moment. À la rigueur traditionnelle des institutions de la cité, on voulut substituer des éléments plus humains, plus en rapport avec les idées avant cours. Et tout d’abord les adoucissements portèrent sur le système militaire. Selon le vieux droit public, la durée du service était ainsi réglée : nul citoyen ne pouvait être appelé à faire campagne avant sa seizième année révolue et après l’échéance de sa quarante-quatrième année. A la suite de l’occupation des Espagnes, le service ayant commencé à devenir permanent, une loi spéciale avait pour la première fois décidé que tout soldat obtiendrait son congé après six ans consécutifs de campagne, ce congé d’ailleurs non définitif et ne protégeant pas contre un appel ultérieur. Plus tard, au commencement du VIIe siècle, peut-être, il était passé en règle que vingt années de service à pied et dix années de service à cheval emportaient la pleine libération[6]. Gracchus renouvela et remit en vigueur la loi, tous les jours violemment enfreinte, qui interdisait l’appel du citoyen à l’armée avant sa dix-septième année commencée : ce fut lui aussi, à ce que l’on peut croire, qui détermina le nombre plus court des années de campagne dues par le soldat avant son exonération : enfin, il lui fit donner le vêtement gratuit, alors qu’auparavant la valeur en était déduite de la solde.

Au même moment se produisent, jusque dans la justice militaire, les effets de ces mêmes tendances maintes fois révélées dans la législation des Gracques : quand elle ne va pas jusqu’à supprimer la peine de mort, cette législation la ramène à une application moins fréquente. A l’avènement de la République, les magistrats avaient perdu le droit de condamnation d’un citoyen à la peine capitale, sans rogation expresse portée devant le peuple : mais la loi militaire faisait exception. Or, quelque temps après l’ère des Gracques, nous voyons la provocation introduite aussi dans les camps : le général ne prononce plus là peine capitale que contre les alliés et les sujets. Que conclure de là, sinon que la loi sur l’appel, due à Gaius Gracchus, a formulé ces innovations et restrictions ? Et même en’ ce qui touche le droit du peuple de statuer en matière capitale ou, si l’on veut, de confirmer la sentence, une limitation non moins importante, quoique indirecte, émane aussi de Gaius. Il retira au peuple la, connaissance des crimes capitaux les plus communs, l’empoisonnement, le meurtre : il en saisit les commissions judiciaires permanentes [quœstiones perpetuæ, quœst. rerum capitalium], dont l’action, comme celle de la justice populaire [judicia populi Rom.], n’est jamais arrêtée par l’intercession tribunicienne, dont les sentences ne subissent jamais l’appel, et pareilles aux décisions des antiques jurys civils, ne sauraient jamais être cassées par les comices. Devant la justice populaire, et notamment au cours des procès politiques, l’accusé, aux termes d’une pratique ancienne,- demeurait libre : il était maître .de se soustraire à la peine en abandonnant son privilège de citoyen romain : sauvant ainsi sa vie et sa, liberté, il mettait également sa fortune à couvert, sauf bien entendu l’action de ses créanciers, s’il en avait à un titre civil. Aux termes du droit cependant, la détention préventive et l’exécution de la peine étaient possibles et licites, et l’on peut en citer de notables exemples. En 612 [142 av. J.-C.], le préteur Lucius Hostilius Tubulus, accusé de crime capital, ne put recourir à l’exil volontaire : il fut arrêté et exécuté[7]. Les commissions de justice civile, par contre, ne pouvaient toucher à la vie ou à la liberté des citoyens : tout au plus, prononçaient-elles le bannissement. L’exil était, à vrai dire, une commutation gracieuse accordée au coupable atteint et convaincu ; dans la législation nouvelle, il s’élève à la hauteur d’une peine. Comme l’exil volontaire, il laisse le banni à la tête de ses biens, sauf les indemnités dues aux parties lésées, et les amendes dues au trésor.

En ce qui touche les créances et les dettes, Gaius Gracchus n’innove point ; toutefois, à en croire des témoins très considérables, il aurait donné aux débiteurs l’espoir, d’une atténuation ou même d’une remise. Si le fait est vrai, il faudrait encore ranger une telle promesse parmi les conceptions radicales servant à payer le prix de sa popularité.

Tout en s’appuyant sur la foule, qui attendait ou recevait de lui l’amélioration de sa condition matérielle, Gracchus travaillait non moins énergiquement à la ruine de l’aristocratie. Bien convaincu de la fragilité du pouvoir de tout chef politique qui ne règne que parla populace, il mit aussi ses soins à semer la division dans l’aristocratie, à en entraîner une partie dans le sens de ses intérêts. Les éléments de désunion qu’il lui fallait, il Ies avait sous la main. Cette armée des riches, qui s’était levée comme un seul homme contre son frère, se composait en réalité de deux cohortes différentes, comparables sous certains rapports avec les deux aristocraties anglaises des lords et de la cité de Londres. Dans l’une se rangeait le groupe inabordable des familles sénatoriales, étrangères aux affaires de spéculation directe, et dont les immenses capitaux trouvaient emploi, soit dans la propriété foncière, soit dans les grandes associations, sous forme de parts secrètes. Les spéculateurs de profession formaient au contraire le second groupe : c’étaient eux qui géraient les sociétés : leurs opérations de gros et leurs affaires de banque s’étendaient sur tout le territoire de l’empire et de l’hégémonie de Rome. Déjà, nous avons montré comment, au cours du vie siècle principalement, ils s’étaient peu à peu élevés jusqu’au niveau des sénatoriaux, et comment, en interdisant à ceux-ci de faire le commerce, le plébiscite Claudien, œuvre de Gaius Flaminius, le précurseur des Gracques, avait établi une démarcation légale entre eux et la classe commerçante et banquière. Mais aujourd’hui l’aristocratie de l’argent, sous son nom de chevalerie, a conquis déjà l’influence décisive dans les affaires politiques. La chevalerie n’avait été à l’origine que le corps des cavaliers de la milice civique. Son nom s’était d’abord étendu, du moins dans la langue usuelle, à tous ceux qui, possesseurs d’une fortune de 400.000 sesterces au minimum (= 87.694 fr.), devaient le service à cheval : par suite, il avait bientôt servi à désigner toute la haute société romaine, sénatoriale ou non. Mais, peu de temps avant Gaius, la loi ayant déclaré l’incompatibilité entre le service de la milice à cheval, et les sièges dans la curie : les sénateurs s’étaient trouvés séparés des cavaliers, et à dater de là, la chevalerie, prise en masse, avait constitué à côté du Sénat une véritable aristocratie d’argent; quoiqu’il convienne de dire, que les sénatoriaux non sénateurs, que les fils des grandes familles sénatoriales. continuèrent d’être enrôlés dans la cavalerie et d’en porter le nom, et qu’enfin les dix-huit centuries de la cavalerie civique, composées, comme on sait, par les censeurs, ne laissèrent pas de se recruter toujours parmi les jeunes membres de l’aristocratie de race.

Donc la chevalerie, ou si l’on veut, la classe du riche commerce, eut avec le Sénat gouvernant de fréquents et déplaisants, contacts. Il y avait antipathie naturelle entre la haute noblesse et des hommes dont l’argent faisait seul l’importance. Les sénateurs, les meilleurs d’entre eux surtout, se tenaient à l’écart des spéculations mercantiles, autant que les chevaliers, voués de préférence au culte des intérêts matériels, demeuraient étrangers aux questions politiques et aux querelles des coteries. Dans les provinces toutefois, de rudes collisions avaient surgi souvent entre les uns et les autres. Que si les provinciaux, en générai bien plus que les capitalistes de Rome, avaient à se plaindre de. la partialité des fonctionnaires romains, les sénateurs ne se montraient pas pour cela disposés le moins du monde à fermer. les yeux, autant que les financiers l’auraient voulu, sur les actes cupides et les excès par eux commis à l’encontre des populations sujettes. Bien qu’unies un instant en face de l’ennemi commun, en face de Tiberius Gracchus, un abîme de haine s’ouvrait entre ces deux aristocraties. Gaius, plus habile que son frère, sut l’élargir encore, et, leur alliance rompue, appeler à lui l’armée des hommes d’argent. Leur donna-t-il les insignes, par lesquels les chevaliers censitaires se distinguèrent ensuite de la foule, la bague d’or, au lieu de l’anneau usuel de fer ou de bronze [jus annuli aurei] ; la place distincte et meilleure aux jeux ? On ne le saurait affirmer : la chose n’est d’ailleurs point invraisemblable. Les insignes et privilèges dont il s’agit remontent bien à son. temps; et il était dans ses allures de conférer à la chevalerie grandissante les honneurs réservés jadis aux sénatoriaux. Il voulut, qui en doute ? imprimer à la chevalerie le caractère d’une aristocratie, également exclusive et privilégiée, et intermédiaire entre l’ordre noble et le commun peuple. Ces marques extérieures, si minces qu’elles fussent, et quand même beaucoup auraient dédaigné d’en faire usage, trouvaient d’ordinaire meilleur accueil que telle ou telle autre mesure plus importante. Toutefois, sans refuser les distinctions qu’on lui offre, le parti des intérêts matériels ne se donne jamais à ce prix seulement. Gracchus le savait sans doute: avec ce parti le plus haut enchérisseur l’emporte, mais à la condition que l’enchère soit grande et réelle. Gracchus lui offrit les taxes de l’Asie, et les jugements par jurés.

L’administration financière romaine, avec son système d’impôts indirects et de redevances domaniales [vectigalia] levés par des intermédiaires, était une source d’immenses profits pour la classe des capitalistes, au grand détriment des contribuables. Quant aux revenus directs, ils consistaient, on le sait, ou bien en des sommes fixes payées par les cités, ce qui se faisait dans la plupart des prétures sans qu’il y eût place alors pour l’intervention des financiers, ou bien, comme en Sicile et en Sardaigne, en une dîme foncière [decumœ], dont la perception s’affermait dans chaque localité. Or, les provinciaux riches, et très souvent les villes redevables de la dîme elles-mêmes, en prenaient la ferme dans leurs districts respectifs, et parvenaient ainsi à tenir à l’écart les publicains [publicani] et spéculateurs de la capitale si redoutés. Quand, six ans avant le tribunat de Gaius, la province d’Asie était tombée sous la domination romaine, le Sénat y avait établi le système des cotes fixes par villes. Gaius changea tout cela en vertu d’un plébiscite[8], et chargea de taxes directes et indirectes fort lourdes la nouvelle province, jusque-là exempte : il lui imposa notamment la dîme foncière, et décida que la recette de toute la province serait donnée à bail aux entrepreneurs de Rome, fermant du même coup la porte aux capitalistes locaux, et suscitant aussitôt la formation d’une société colossale pour la prisé à ferme des dîmes, des redevances de pâture [pascua, scripturæ] et des douanes [portoria] d’Asie[9]. Et chose qui attesterait davantage, s’il en était besoin, son ferme projet d’émancipation complète de l’aristocratie d’argent au regard du Sénat, il fit décider qu’à l’avenir le taux du fermage total ou partiel, ne serait plus, comme par le passé, arbitré par celui-ci, mais qu’il serait au contraire réglé suivant certaines dispositions légales. C’était ouvrir une mine d’or aux trafiquants : au sein de la nouvelle société de haute finance [corpus], il se forma un groupe puissant, une sorte de sénat commercial qui pesa bientôt sur le vrai Sénat dans Rome.

Au même moment, d’autres mesures conféraient aux financiers une influence publique et active sur l’administration de la justice. Nous avons dit plus haut, que la compétence du peuple en matière criminelle, déjà limitée à des cas peu nombreux, avait encore été réduite par Gaius. Presque tous les procès, civils ou pour crimes, se vidaient par devant un Juré spécial[10] ou par devant des commissions, tantôt permanentes [quæstiones perpetuæ], tantôt extraordinaires [extra ordinem][11]. Jusque-là juges ou commissions, tous avaient été pris dans le Sénat. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des matières purement civiles ou de celles déférées aux commissions perpétuelles et non perpétuelles. Gracchus transfère aux chevaliers les fonctions de la judicature : il compose les listes annuelles du jury [ordo judicum], puisées dans l’ordre des centuries chevalières, de tous les individus appelés au service monté, excluant non seulement tous les sénateurs,’ mais aussi, parla fixation d’une condition d’âge, tous les jeunes miliciens appartenant aux familles sénatoriales[12]. Il n’est point téméraire de croire que la désignation aux fonctions judiciaires portait de préférence sur les principaux partenaires[13] des grandes sociétés financières de la compagnie fermière des impôts d’Asie ou antres : plus que personne, ils avaient intérêt à avoir place dans les tribunaux. La concordance des listes des jurés d’une part, et des tableaux des publicains associés de l’autre fera aisément comprendre toute la puissance de l’anti-sénat organisé par Gracchus. Auparavant; il n’y avait eu que deux pouvoirs dans l’État, le Sénat, pouvoir gouvernant et administrant, le peuple, pouvoir légiférant. La justice se partageait entre eux. Mais voici venir l’aristocratie de la finance, classe aujourd’hui. exclusive et privilégiée, assise sur la base solide des intérêts matériels : elle entre dans l’État, se place auprès de l’exécutif, auprès de l’aristocratie dirigeante : elle contrôle et elle juge ! Les décisions des jurés ne pouvaient pas né pas être toujours l’expression pure. et simple des antipathies du commerce contre la noblesse; et devant le tribunal qui vérifiait ses comptes, le sénateur, ancien gouverneur provincial, n’avait plus ses pairs pour juges : son existence civile était mise à la merci des gros trafiquants et des banquiers. La querelle entre la, finance et la préture quittait la province et le terrain de l’administration locale, et se transportait à Rome sur le terrain des procès de concussion. Après avoir séparé en deux camps l’aristocratie des riches, Gaius fournissait, aux haines leur aliment de chaque jour et leur facile issue.

Ainsi, il avait ses armes prêtes, les prolétaires et les trafiquants : il se mit à l’œuvre sans tarder. Pour jeter à bas l’oligarchie gouvernante du Sénat, il fallait, nous l’avons montré, enlever à celui-ci par les réformes législatives les attributions essentielles de sa compétence ; il fallait aussi, à l’aide de mesures directes, personnelles et même transitoires, miner jusque. dans ses fondements la caste noble. Gaius le fait. La haute administration appartenait au Sénat : il la lui enlève, tantôt déférant aux comices les questions les plus graves, ce qui revenait à les trancher lui-même par les coups d’autorité de la puissance tribunicienne, tantôt diminuant les attributions sénatoriales jusque dans l’expédition des affaires courantes, tantôt enfin attirant toutes choses directement à lui. Les premières de ces mesures, nous les avons fait connaître tout à l’heure : le nouveau maître avait sur les caisses du trésor mainmise absolue, indépendante du Sénat, par ces distributions régulières de blé, qui grevaient les finances publiques d’une charge lourde et permanente : il disposait du domaine, envoyant des colonies décrétées non plus par sénatus-consultes, mais par plébiscites : il disposait enfin dé, l’administration provinciale, ayant renversé, encore par une loi populaire, le système de l’impôt établi par le Sénat en Asie, et l’ayant remplacé par les fermes données aux publicains de Rome. Sans enlever complètement au même corps l’une de ses plus importantes prérogatives dans le mouvement des affaires usuelles, le partage et la détermination des provinces consulaires, il annihile l’influence indirecte par ce moyen exercée, en faisant décider que le partage aura lieu dès avant l’élection consulaire. Enfin, dans son activité infatigable, il concentre dans ses mains les attributions les plus diverses, les plus compliquées : il surveille en personne les distributions de céréales, choisit les jurés, va installer les colons surplace, malgré sa fonction qui l’attache au sol de Rome; règlemente les routes, conclut les marchés relatifs aux travaux publics, conduit les délibérations dans la curie, dirige les élections pour le consulat : bref, il habitue le peuple à voir uni seul homme à la tête. de toutes choses. La vigueur et l’habileté de son gouvernement personnel refoulent dans l’ombre l’action molle et boiteuse du collège sénatorial.

Ses conquêtes sur la juridiction des sénateurs sont plus irrésistibles encore. Il les a dépouillés, nous l’avons vu, de leurs droits ordinaires de justice : mais ce n’est point assez pour lui, il leur ôte encore la juridiction qu’ils s’arrogent en matière de haute administration. Aux termes de la loi par lui renouvelée sur les appels[14], il interdit, sous les peines les plus sévères, l’établissement, par voie de sénatus-consulte, des commissions jugeant le fait de haute trahison. C’était une commission pareille qui, instituée après le meurtre de Tiberius, avait aussi sévi contre ses partisans. En somme, le Sénat avait perdu son droit de contrôle ; et il ne lui restait plus, en fait de pouvoirs administratifs, que ceux que le nouveau chef de l’État avait bien voulu lui laisser.

Cependant Gaius ne se tenait point pour satisfait : la constitution remaniée, il prit aussi l’aristocratie gouvernante corps à corps. Faisant la part à sa vengeance, on le voit donner effet rétroactif à la loi ci-dessus mentionnée, et poursuivre Publius Popillius, l’homme sur qui, depuis la mort récente de Nasica, les haines démagogiques s’étaient de préférence acharnées. Popillius est contraint à l’exil. Chose remarquable pourtant, la motion n’a passé dans les tribus qu’à dix-huit voix contre dix-sept, comme si, dans les questions où sont en jeu les personnes, l’aristocratie conservait encore son influence sur les masses. Aux termes d’une autre motion encore moins justifiable et dirigée cette fois contre Marcus Octavius, quiconque avait perdu ses fonctions en vertu d’un plébiscite était déclaré incapable d’occuper jamais un emploi public. Mais Gaius céda aux supplications de sa mère ; et retirant cet odieux projet, s’épargna l’ignominie de la violence ouverte faite au droit public par la légalisation d’une inconstitutionnalité notoire, et par un acte de basses représailles envers un honnête homme, qui jamais n’avait eu une parole amère pour Tiberius, ou qui ne lui avait tenu tête que pour obéir à la loi, à la lettre de son devoir, tel qu’il le savait comprendre. Une dernière mesure imaginée par le tribun dépassait la portée de toutes les autres : mesure, il est vrai, entourée de difficultés immenses et qui resta à l’état de projet. Gains voulut renforcer ou plutôt doubler le Sénat par la création de trois cents membres, choisis par les comices du peuple dans les rangs des chevaliers. Noyer le Sénat dans cette énorme fournée, c’était achever son asservissement, et le mettre dans l’entière dépendance du dominateur suprême.

Tel était l’ensemble de la constitution réformée de Gaius Gracchus. Durant les deux années de son tribunat (631 -632 [123-122 av. J.-C.]), il parvint à en établir les dispositions principales, sans rencontrer de résistance sérieuse, sans avoir à user de violence sur sa route. Au milieu des récits confus des chroniqueurs, il n’est plus possible de démêler dans quel ordre se suivirent les décrets et les actes; et l’histoire demeure sans réponse à plus d’une question sortie des entrailles mêmes du sujet. J’estime pourtant qu’aucun détail essentiel ne nous manque : nous avons la connaissance sûre et claire des choses ; et Gaius enfin nous apparaît dans toute la réalité de son caractère. Loin qu’il se laisse emporter comme son frère au courant d’événements plus forts que lui, il a son plan, grandiose et fortement conçu ; et il le réalise dans ses parties capitales au moyen d’une série de lois. Que la constitution Sempronienne n’ait été d’ailleurs en aucune façon ce que l’ont crue tant de braves gens dans les temps anciens et modernes, à savoir une reconstruction de la République sur des bases nouvelles et démocratiques : qu’elle ait été au contraire la destruction de la République : qu’en instituant la fonction suprême d’un tribunat constamment rééligible et à vie, disposant du pouvoir par la domination illimitée qu’il exerce sur les comices souverains seulement pour la forme, elle ait vraiment fondé la Tyrannie[15], ou, pour emprunter le langage, du XIXe siècle, la monarchie Napoléonienne absolue, anti-féodale, anti-théocratique, c’est là le fait qui saisit, dès qu’on ouvre les yeux pour voir. S’il est bien vrai que Gaius, comme l’attestent ses paroles et ses actes à tous les instants de sa vie, avait prémédité le renversement du régime sénatorial, quelle institution autre que la tyrannie restait encore possible dans l’État romain, avec une aristocratie abattue, avec son assemblée du peuple dont le temps était passé, le système parlementaire demeurant d’ailleurs inconnu ? A le nier, il eût fallu soit l’enthousiasme naïf du prédécesseur de Gaius, soit la rouerie politique des révolutionnaires des temps qui suivirent. Gaius fut un homme d’État dans tout le sens du mot ; et pour n’avoir point légué à la tradition la formule de son grand travail de reconstruction politique, quelque divers que soient les jugements sur son compté, il faut dire qu’il n’en a pas moins eu la conscience complète de ce qu’il a fait. Oui, c’est de propos délibéré qu’il s’est fait usurpateur ! Mais qui donc, sachant l’état vrai des choses, lui reprochera son entreprise monarchique ? La monarchie absolue est un grand mal, je le sais : mais elle est un mal moindre que l’oligarchie absolue : et l’histoire ne peut pas n’avoir que des reprochés pour l’homme qui, faisant son choix entre les deux régimes, a donné le moins funeste à son pays. Elle adoucira la sévérité de son langage quand cette homme s’appellera Gaius Gracchus, génie ardent et profond tout ensemble, nature puissante et si haute au-dessus. du niveau commun. Non que je méconnaisse dans son oeuvre législative l’influence -pernicieuse de deux courants contraires : l’un, qui poursuit le bien public, l’autre entaché des calculs de l’intérêt personnel, et même de l’esprit de vengeance. Cherchant avec ardeur le remède aux maux sociaux, au paupérisme débordant partout, Gaius n’en institua pas moins les distributions de blé, prime donnée à la fainéantise affamée de la multitude. Ce détestable moyen fit sortir comme de dessous terre, dans la capitale, l’innombrable prolétariat de la rue. Gaius eut des paroles amères pour la vénalité du Sénat : on le vit, impitoyable dans sa justice, traîner au grand jour les scandales des trafiquants usuriers, un Manius Aquillius, par exemple, et ses extorsions commises en Asie-Mineure[16] ; et c’est lui pourtant qui de ses mains, en échange du gouvernement concentré dans Rome impose aux sujets la charge de défrayer la nourriture quotidienne du peuple souverain. Il désapprouve hautement le pillage des provinces : dans l’occasion, il provoque de salutaires et sévères mesures ; il supprime les tribunaux sénatoriaux dont l’insuffisance est notoire, devant lesquels jadis Scipion Émilien a usé en vain son crédit à réclamer la punition des grands coupables : mais, en même temps, il donne la juridiction à la classe marchande, lui livre pieds et poings liés les malheureux provinciaux ; les écrase sous un despotisme plus cruel encore que celui de l’aristocratie, et introduit en Asie un mode de taxation, auprès duquel celui pratiqué en Sicile, à l’instar des Carthaginois, peut sembler un régime doux et humain : tout cela, parce qu’il a besoin des hommes de la financé ; parce qu’avec l’annone qu’il a instituée, avec les charges énormes qu’il a fait peser sur le trésor, il lui faut tous les jours trouver des ressources nouvelles et plus grandes. Assurément il voulait une administration forte, une justice bien ordonnée, de nombreuses et excellentes mesures l’attestent ; et cependant, son système administratif n’est autre chose qu’une série continuelle d’usurpations que la loi consacre pour la forme ; et quant à la justice, institution précieuse que dans un état régulier il convient de placer au-dessus des partis, ou tout au moins en dehors d’eux, on le voit de propos délibéré la jeter dans le flot révolutionnaire.

Disons à la décharge de Gaius que ces contradictions tenaient à sa situation bien plus qu’à sa personne. Au seuil de toute tyrannie s’ouvre un dilemme fatal, moralement et politiquement : le même homme doit agir à la fois, si j’ose le dire, et comme un chef de bandits, et comme le premier citoyen du pays : ce dilemme, il a coûté, cher à Périclès, à César, à Napoléon ! Gains eut aussi le tort de ne point céder seulement à la nécessité : il marcha, emporté par une passion funeste : il obéit à la vengeance qui, prévoyant sa ruine, lance la torche sur la maison de l’ennemi. Il a donné leur vrai nom à ses lois organiques de la justice, à des institutions créées pour diviser l’aristocratie : Autant de poignards, s’écriait-il, jetés sur la place publique, pour que les citoyens (les plus considérables s’entend) les relevassent et se débarrassassent entre eux ! Il fut un incendiaire. Si tant est qu’elle a été l’œuvre d’un homme, je ne veux pas soutenir que Gaius Gracchus tout seul ait fait la révolution de cent ans, qui date de lui. Mais encore une fois il fut bien le fondateur de ce prolétariat hideux de la capitale romaine, qui, flatté. d’en haut et soudoyé, gangrené jusqu’à la moelle par la concentration des multitudes opérée à l’appel des annones, ayant d’ailleurs conscience de sa force, se montra tantôt niais, tantôt pervers dans ses exigences ; et qui, grimaçant tous les jours la souveraineté populaire, a pendant cinq siècles pesé comme une montagne sur la société romaine, jusqu’à ce que vint l’heure où il s’abîma avec elle. Et néanmoins, s’il fut le plus grand des criminels politiques, Gaius fut aussi le régénérateur de sa patrie. Quand viendra la monarchie romaine, vous n’y trouverez pas une pensée, un organe, qui ne remonte à lui. C’est de lui que procède la maxime que le territoire des cités conquises échoit au domaine particulier de l’état conquérant : maxime ayant sa racine dans le droit traditionnel de la guerre chez les anciens peuples, mais demeurée jusque-là étrangère à la pratique du droit public. Elle servit d’abord à revendiquer pour l’État la faculté d’assujettir ces territoires à l’impôt, comme lé fit Gains pour l’Asie, ou de les soumettre à la colonisation comme il le fit en Afrique : elle devint plus tard l’une des règles fondamentales de l’empire. C’est de lui que procède la tactique à l’usage des démagogues se faisant chefs de l’État, qui s’appuient sur les intérêts matériels pour renverser l’aristocratie gouvernante, et qui, substituant une administration sévère et régulière à une administration vicieuse, légitiment après coup par là l’inconstitutionnalité de leurs réformes. Gaius a le premier inauguré l’égalité des provinces et de Rome, égalité que la monarchie seule devait nécessairement et complètement asseoir : en voulant rebâtir Carthage que sa rivalité avec l’Italie avait perdue, en ouvrant. les provinces à l’émigration italienne, il attacha le premier anneau de la longue et bienfaisante chaîne du développement social ultérieur. Chez cet homme étrange, véritable constellation politique, le bon droit et les fautes, le bonheur et le malheur se mêlent, si bien que l’histoire à qui il sied de juger, l’histoire s’arrête, et ne prononce pas la sentence.

Gracchus avait édifié les principales parties de sa constitution nouvelle ; il mit la main à une entreprise non moins difficile. La question des alliés italiens était toujours pendante. Ce qu’en pensaient les meneurs de la démocratie, ils l’avaient montré jusqu’à l’évidence. Ils auraient voulu I’extension la plus grande possible du droit de cité romaine, non point seulement pour arriver au partage des domaines occupés par les Latins, mais aussi et avant tout, dans le but de fortifier leur clientèle avec la masse énorme des citoyens nouveaux, de mettre les comices entièrement dans leur puissance, par l’extension correspondante du corps électif, et enfin de niveler toutes les différences entre les ordres, différences sans nulle signification désormais, la constitution républicaine gisant à terre. Mais à cela faire, ils entraient en conflit avec leur propre parti, avec la multitude elle-même, d’ordinaire prête à dire oui sur toutes les questions, qu’elle les eut comprises ou non. Par la raison fort simple que la cité romaine était pour eux un titre, donnant droit directement ou indirectement à des parts de bénéfices très palpables, très importants, ils ne se sentaient point enclins à voir augmenter le nombre des actionnaires. Le rejet de la loi Fulvia en 629 [125 av. J.-C.], la révolte de Frégelles venue à la suite, attestaient assez et l’obstination intéressée de la faction dominant dans les comices, et les impatientes exigences des alliés. Toutefois, son second tribunat tirant vers sa fin (632 [-122]), et pour obéir aux engagements vraisemblablement pris envers ces derniers, Gracchus se jeta dans une nouvelle entreprise. Appuyé par Marcus Flaccus, qui, malgré sa qualité d’ancien consul, s’était aussi fait nommer pour la deuxième fois tribun du peuple pour pousser à l’admission de la loi jadis proposée par lui sans succès, il reporte à l’ordre du jour des comices. La collation du droit de cité aux Latins, et la collation du droit latin à tous les autres fédérés italiques. Mais il vient se heurter contre l’opposition réunie du Sénat et de la multitude. Veut-on savoir ce qu’était leur coalition, et quelles étaient leurs armes ? Qu’on écoute les brèves et nettes paroles du consul Gaius Fannius, combattant la motion dans le Forum. Le hasard nous en a conservé un fragment. Ainsi, vous croyez, s’écriait l’optimate, que quand vous aurez donné la cité aux Latins, vous serez ce que vous êtes en ce moment devant moi ; que vous trouverez votre place encore dans les comices, dans les jeux, dans les amusements publics ? Ne voyez-vous pas, plutôt, que ces gens rempliront tout ? Au Ve siècle, le peuple, qui dans un seul jour fit citoyens tous les Sabins, n’eût pas manqué de siffler et conspuer l’orateur : au vide les raisons du consul lui semblent excellentes : il croirait payer .trop cher, à ce prix, les assignations offertes par Gracchus sur le domaine latin. Le Sénat ayant réussi à expulser tous les non citoyens de la ville au grand jour du vote, il était facile de prévoir le sort réservé à la motion. Un collègue du tribun, Livius Drusus, déclara tout d’abord son intercession : et le peuple accueillit son veto de telle façon que Gaius n’osa plus ni pousser plus loin les choses, ni traiter Drusus comme son frère avait fait Marcus Octavius, en 620 [134 av. J.-C.].

Ce succès était grand pour le Sénat : il y puisa du courage, et tentant un dernier effort pour jeter à bas le démagogue jusqu’alors invincible, il l’attaqua avec ses propres armes. La force de Gracchus était dans la faction des marchands et dans la populace, dans celle-ci surtout, armée réelle des partis, alors que nul ne disposait des milices légionnaires. Enlever aux financiers ou à la populace les droits conquis d’hier, c’est ce à quoi le Sénat ne pouvait évidemment songer : à la moindre tentative contre les lois nouvelles de l’annone ou de l’organisation judiciaire, les rues se seraient soulevées : violence brutale ou attaque moins grossière en la forme, l’émeute eût balayé tous ces sénateurs sans défense. Mais il était manifeste, aussi, que leur mutuel avantage tenait seul rapprochés et Gracchus et les commerçants et les prolétaires. Pour les commerçants, les intérêts matériels satisfaits ; pour les prolétaires, l’annone assurée, c’était assez : peu leur importait d’ailleurs de recevoir des mains de Gaius ou d’un autre ! Pour le moment, tout au moins, les institutions créées par le tribun étaient inébranlables, sauf une seule, son pouvoir personnel. La fragilité de son pouvoir tenait à un vice radical, aucune promesse de fidélité n’y attachant l’armée au capitaine. Dans la constitution nouvelle, tous les organes étaient susceptibles de vie, mais il y manquait le lien moral entre celui qui commande et ceux qui obéissent, élément capital sans lequel l’État ne se tient debout que sur des pieds d’argile ! Le rejet de la loi du droit de cité conféré aux Latins avait dessillé tous les yeux : il était trop clair, que la foule, en votant avec Gracchus, n’avait jamais voté que pour elle-même. L’aristocratie ne laissa pas tomber la leçon : elle alla offrir le combat sur son terrain à lui, au promoteur des annones et des assignations. Loin de ne faire que donner à la foule des largesses égaies aux largesses de Gracchus, distributions de blé ou autres, elle voulut, cela est tout simple, le dépasser encore dans cette voie; Un jour, à la demande du Sénat, on vit le tribun Marcus Livius Drusus proposer à ces hommes pour qui étaient créées les assignations des Gracques, de déclarer les lots. francs et libres de toute taxe à l’avenir, de les constituer en toute propriété libre et transmissible : puis bientôt, au lieu des colonies transmaritimes, de pourvoir aux besoins du prolétariat par la fondation de douze colonies italiques, de trois mille hommes chacune, le peuple désignant les fonctionnaires préposés à leur conduite. Drusus enfin, laissant de côté la commission de famille imaginée par les Gracques, renonçait pour son compte à participer en rien aux honneurs de la mise à exécution. C’étaient les Latins, il faut le dire, qui allaient faire les frais de ce nouveau projet ; car, dans toute l’Italie, il n’existait plus ailleurs que chez eux de terres domaniales occupées et de quelque étendue. Drusus avait imaginé d’autres innovations encore, et parmi elles, pour dédommager, sans doute, les Latins de leurs sacrifices, il était. dit qu’à l’avenir le soldat latin ne pourrait plus être bâtonné sur l’ordre de l’officier romain, mais seulement sur l’ordre de son officier national. Le plan de l’aristocratie n’était rien moins qu’habile. Œuvre brutale d’une concurrence ambitieuse, cette belle alliance entre la noblesse et la populace ne se resserrait visiblement qu’à la condition de fouler les Latins sous le poids accru tous les jours d’une tyrannie exercée en commun ! Et puis la question se posait d’elle-même : où donc trouver sur la péninsule les occupations domaniales nécessaires à l’établissement de douze cités nouvelles privilégiées et populeuses? Les domaines italiques-y suffiraient-ils, alors que déjà tous ou presque tous on les avait distribués ? Y suffiraient-ils, même en confisquant les terres concédées séculairement aux Latins ? Et quant à Drusus, s’en venir déclarer, comme il le fit, qu’il ne mettrait pas la main à l’exécution de sa loi, n’était-ce pas maladresse signe, ou même presque insigne folie ? Mais à stupide gibier il suffit du plus grossier engin. De plus, circonstance malheureuse et qui décida tout, peut-être, alors que son influence personnelle était le noeud de la question, Gracchus à cette même heure installait en Afrique sa colonie de Carthage son factotum dans la capitale, Marcus Flaccus, ne sut être que violent et malhabile, et travaillait en quelque sorte pour ses adversaires. Le peuple ratifia les lois Liciennes avec le même empressement que les lois Semproniennes autrefois : donnant comme d’habitude à son bienfaiteur nouveau l’avantage que le bienfaiteur ancien n’avait plus la possibilité des moyens modérés. La candidature de Gracchus à un troisième tribunat, pour l’an 633 [121 av. J.-C.], échoua, non sans de graves irrégularités commises, dit-on, par les tribuns qui dirigeaient l’élection, et qu’il avait naguère offensés. Sa défaite électorale était la ruine de son pouvoir. Un second coup lui fut porté par la nomination des consuls, pris tous les deux dans les rangs des ennemis de la démocratie : l’un d’eux était ce Lucius Opimius, le préteur de 629 [-125], signalé par la prise de Frégelles. Le Sénat avait désormais à sa tête l’un des chefs les plus ardents et les moins dangereux du parti ultra noble : il avait le ferme dessein d’attaquer son dangereux adversaire à la première occasion. Cette occasion se produisit bientôt.

Le 10 décembre 632 [-122], Gracchus sortait de charge : le 1er janvier 633 [-121], Opimius entrait dans son consulat. Le combat s’engagea, comme de juste, à l’occasion de la plus utile et de la plus impopulaire des mesures de l’ex-tribun, la reconstruction de Carthage. A la colonisation transmaritime on n’avait opposé d’abord que l’arme indirecte de la colonisation italique, plus attrayante pour l’émigrant. Mais voici que des rumeurs circulent : on se raconte que les hyènes d’Afrique ont déterré et renversé les pierres bornes posées la veille sur le territoire de la nouvelle Carthage ; et les prêtres romains d’attester aussitôt que ces prodiges et ces signes sont un avertissement manifeste : les Dieux défendent la reconstruction de la ville maudite! Le Sénat à son tour de se déclarer obligé en conscience à proposer une loi qui prohibe la colonie de Junonia. A ce moment même Gracchus, avec une commission composée de ses partisans, s’occupait à choisir les futurs colons. Le jour du vote, il se montra au Capitole, où l’assemblée du peuple était convoquée, voulant faire rejeter la motion, grâce à l’appui de tous les siens. Il eût désiré éviter la violence ; pour ne pas donner à ses adversaires le prétexte qu’ils cherchaient : mais il n’avait pu empêcher qu’un grand nombre de ses amis, se rappelant la fin de Tiberius, et trop au courant des projets des aristocrates, ne vinssent en armes sur le lieu. Dans l’état de surexcitation des esprits ; il fallait s’attendre à quelque voie ‘de fait. Le consul L. Opimius ayant brûlé la victime accoutumée sur l’autel de Jupiter Capitolin, tout à coup, l’un de ses appariteurs, tenant dans ses mains les entrailles sacrées, ordonne aux mauvais citoyens d’évacuer le temple : il semble vouloir mettre la main sur Gaius : un des fanatiques de ce dernier tire son épée, et abat le malheureux. Un tumulte affreux s’élève. En vain Gracchus s’efforce de se faire entendre : en vain il repousse toute responsabilité dans le meurtre sacrilège : il ne fait, en élevant la voix, que fournir un prétexte de plus à l’accusation. Quand il a parlé, il a, sans s’en apercevoir au milieu du bruit, coupé la parole à un tribun qui parlait lui-même au peuple : or un décret oublié, du temps des querelles des ordres (la loi Icilia), statue les peines les plus sévères contre l’interrupteur. Le consul Opimius prit ses mesures ; il fallait écraser à main armée une révolte qui n’allait à rien moins qu’à renverser la constitution républicaine (ainsi les aristocrates qualifiaient-ils les événements de la journée !). Il passa la nuit tout entière dans le temple de Castor, sur le Forum. Au jour levant, les archers crétois occupèrent le Capitole : la Curie et le Forum se remplirent des partisans du gouvernement, sénateurs, chevaliers appartenant à la fraction conservative, tous armés, selon l’ordre du consul, tous accompagnés chacun de deux esclaves armés. Nul ne manquait à l’appel : on vit venir, portant bouclier et épée, jusqu’au vieil et vénérable Quintus Metellus, ami bien connu pourtant des réformes. Decimus Brutus, officier habile et éprouvé dans les guerres d’Espagne, se mit à leur tête : le Sénat, pendant ce temps, se réunissait dans la curie. On avait placé devant les portes la civière où gisait étendu le licteur tué la veille : les sénateurs, dans leur émotion, vinrent en masse contempler le cadavre, puis se retirèrent pour délibérer. Quant aux chefs de la démocratie, ils avaient quitté le Capitole et s’étaient rendus dans leurs maisons. Durant la nuit M. Flaccus, de son côté, avait voulu organiser la guerre des rues, mais Gaius était demeuré inactif et dédaignant de lutter contre la destinée. Sur le matin, quand ils eurent connaissance des préparatifs accumulés au Capitole et sur le Forum, les démocrates montèrent à l’Aventin, cette antique citadelle du peuple dans les luttes entre plébéiens et patriciens. Gracchus y était silencieux, non armé : mais Flaccus avait appelé les esclaves aux armes. En même temps qu’il se retranchait dans le temple de Diane, il envoyait son jeune frère Quintus porter des paroles d’accommodement dans le camp ennemi. Quintus revint, annonçant que les aristocrates exigeaient la soumission à merci, et apportant à Gracchus et à Flaccus une assignation à comparaître devant le Sénat, sous inculpation de lèse-majesté tribunicienne. Gracchus voulait obéir : Flaccus l’en empêcha, revenant à la charge auprès du Sénat, et sollicitant encore un compromis. Tentative à la fois puérile et lâche en face de tels adversaires ! Quand, au lieu des deux accusés, on vit revenir le jeune Quintus, le consul déclara que leur contumace était un commencement d’insurrection ouverte : il fit arrêter leur porteur de paroles, et donna le signal de l’attaque de l’Aventin. Il faisait en même temps crier par les rues, que quiconque apporterait la tête de Flaccus ou de Gracchus, en recevrait le poids en or des caisses de l’État ; et que l’impunité était assurée à tous ceux qui descendraient de l’Aventin avant le combat commencé. Aussitôt la foule de se disperser ; et les nobles, appuyés par les archers crétois et les esclaves, de monter bravement à l’assaut de la colline qui n’est presque plus défendue. Ils tuent tout ce qu’ils rencontrent, quelque deux cent cinquante malheureux, gens du commun pour la plupart. Flaccus, fuyant avec son fils aîné, s’était caché. Bientôt découvert dans sa retraite, il est mis à mort. Gracchus, dès le début de la lutte, s’était retiré dans le temple de Minerve. Il allait se percer de son épée, quand son ami Publius Lentulus se jeta dans ses bras, le suppliât de se conserver pour de meilleurs jours. Il se laissa entraîner, et se dirigea vers le Tibre pour le franchir ; mais en descendant de la colline, il se heurta et se foula le pied. Alors deux de ses compagnons, pour lui donner du temps, s’arrêtèrent, Marcus Pomponius à la Porta Trigemina sous l’Aventin, Publius Lœtorius, sur le pont où la légende contait que jadis Horatius Coclès avait tenu en échec l’armée entière des Etrusques. Il fallut leur passer sur le corps. Gracchus, assisté d’Euporus son esclave, avait pu, grâce à eux, gagner la rive droite du fleuve. On trouva leurs deux cadavres dans le bois sacré de Furrina[17]. L’esclave avait-il d’abord frappé son maître : puis s’était-il tué lui-même ? Tout porte à le croire. Les têtes des deux chefs de la révolution furent apportées au consul, ainsi qu’il était ordonné. Celui qui remettait la tête de Gracchus, Lucius Septumuleius, était un homme de condition : il reçut et au-delà la récompense promise : les meurtriers de Flaccus, au contraire, étaient gens de rien on les renvoya les mains vides. Leurs cadavres furent jetés dans le fleuve. Leurs maisons furent livrées à la foule qui les pilla. Puis commença ‘le procès contre les nombreux partisans de Gaius : trois mille auraient été pendus en prison, le jeune Quintus Flaccus entre autres, âgé de dix-huit ans à peine, qui n’avait point pris part à la lutte, et dont la jeunesse et l’amabilité excitèrent le regret universel. Sur da place au-dessous du Capitole s’élevaient les autels, consacrés par Camille à la Concorde après la paix intérieure, rétablie, et par d’autres illustres Romains dans des circonstances analogues : tous ces sanctuaires sont démolis, le Sénat l’ordonnant ; et L. Opimius bâtit sur leurs ruines un plus vaste et magnifique temple, avec sa cella en l’honneur de la même déesse, et payé des deniers des traîtres tués ou condamnés. On avait confisqué jusqu’aux dois de leurs femmes. Rome était dans le vrai des choses, détruisant les symboles de l’antique concorde, et inaugurant l’ère nouvelle sur les cadavres des trois petits-fils du vainqueur de Zama, Tiberius Gracchus, Scipion Émilien, et Gaius Gracchus (celui-ci le plus jeune et le plus fort), dévorés tous les trois par le monstre révolutionnaire. Le nom des Gracques était déclaré maudit : à Cornélie même; les habits de deuil furent interdits. Mais en dépit des prohibitions officielles, le dévouement passionné des masses envers les deux frères et surtout envers Gaius, se fit jour après leur mort : elles entourèrent d’un culte touchant et religieux leur mémoire, ainsi que les lieux où ils étaient tombés.

 

 

 



[1] [Eidemque primus fecei ut de agro poplico aratoribus cederent paastores... V. l’inscription de Polla dans le Val di Diana (Principauté citérieure) ; M. Mommsen la commente, Corp. insc., n° 551, p. 154 : Il y eut là un forum Popillii, dont l’inscription raconte l’établissement]

[2] A cet événement se rapporte son discours contra legem judiciariam Tib. Gracchi, laquelle n’était pas le moins du monde, comme on l’a soutenu, une loi organique de procédure criminelle, mais bien un supplément à la rogation agraire : ut tribuni judicarent, qua publicus alter, qua privatus esset. (Tite-Live, ep. 58)

[3] Citons seulement cette phrase d’une harangue où il annonce au peuple les lois qu’il veut proposer : Si vellem apud vos verba facere et a vobis postulare, cum genere summo orlus essem, et eum fratrem propter vos amisissem, nec quisquum de P. Africani et Tiberii Gracchi familia nisi ego et puer restaremus, ut pateremini hoc tempore me quiescere, ne a stirpe genus nostrum interiret, et uti cliqua propago generis nostri reliqua esset : haud scio an lubentibus a vobis impetrassem (Scholiast. Ambrosianus ad Cicer. orat. pro Sulla, 9, p. 365, éd. Orelli).

[Si je voulais vous parler de moi, et vous dire que je suis de la plus illustre origine, que j’ai perdu mon frère pour l’amour de vous, qu’il ne reste plus personne, si ce n’est moi et un enfant, de la maison de l’Africain et de Tiberius Gracchus ! Si je voulais vous demander de me laisser en repos aujourd’hui, pour que notre famille ne périsse pas tout entière, pour qu’il en surgisse encore quelque rejeton, j’imagine que peut-être je l’obtiendrais de votre bon vouloir !]

[4] [Déjà, nous avons fait allusion à cette lettre dans la note 10 : Dices, pulchrum esse inimicos ulcisci. Id neque majus, neque pulchrius cuiquam, atque esse mihi videlur ; sed si liecat respublica salva ea persequi. Sed quatenus id fieri non potest, multo tempore, multisque partibus inimici nostri, non peribunt ; arque uti nunc sunt, erunt potius, quam respublica profligetur atque pereat. (Corn. Nep., fragm., p. 305, éd. Lemaire.)]

[5] [V. Dict. de Smith, v° horreum. — On voyait encore les ruines des greniers Semproniens au XVIe siècle, entre l’Aventin et le Monte-Testaceo]

[6] C’est ainsi qu’il convient de concilier, j’imagine, le dire d’Appien (Hist., p. 78), suivant lequel le soldat qui a six ans de service peut solliciter son congé, avec les indications plus connues et fournies par Polybe (6, 19) : Marquardt [Alterth. (Antiquités rom., 3, 2, 286, note 1580] les apprécie comme il convient. On ne peut préciser exactement la date des deux innovations : la première est vraisemblablement antérieure à l’an 603 [151 av. J.-C.] (Nitzsch, Gracch. (les Gracques) p. 23) ; la seconde était certainement en vigueur dès le temps de Polybe. Que Gracchus soit l’auteur d’une réduction du temps de service légal, c’est ce qui semble ressortir d’un passage d’Asconius, in Cornel., p. 68. — cf. Plutarque, Tib. Gracch., 16. — Dion, fragm., 7, Bekk.

[7] [Juge criminel en matière d’assassinat, Hostilius s’était laissé corrompre ouvertement (aperte cepit pecunias ob rem judicandam). P. Scævola, tribun du peuple, l’accusa. Le consul Gn. Cœpion reçut du peuple l’ordre d’instruire. Hostilius s’exila d’abord (nec respondere ausus : erat enim res aperta) : mais à son retour, poursuivi de nouveau, il s’empoisonna dans sa prison (ne in carcere necaretur venenum bibit). — V. Ascon., in Scaur., p. 23, Orell. — Cie., de fin, 2, 16. — Rein, Criminalrecht der Rœm (Droit crim. des Rom.), p. 405, 602]

[8] C’est bien lui, et non Tiberius, qui fut l’auteur de la loi en question : on le sait aujourd’hui, de source certaine, par un passage de Fronton dans ses Lettres à Verus [sur la IIe Verrine, ch. IV] : — cf. Gracch. dans Aulu-Gell., 11, 10. — Cicer., de rep., 3, 21 ; et in. Verr., 3, 6, 12. — Velleius Pat., 2, 6. [Sur ce point, M. Mommsen, se trouve en dissentiment avec les historiens antérieurs (V. par ex. Duruy, Hist. des Romains, t. II, p. 134), qui soutiennent que Gaius vint en aide à la province d’Asie, et qu’au lieu de la livrer aux publicains de Rome, il lui permit de prendre à ferme son propre impôt]

[9] [V. à ce propos, Dict. de Smith, Vis Vectigalia, publicani, etc.]

[10] [Le judex ou recuperator donné aux parties par le magistrat saisi de la cause]

[11] [V. Dict. de Smith, Vis judex, prœtor. — Originairement les judicia populi ou publica ne comprenaient que les cas d’adultère, de stupre (stuprum), de parricide (paricidium), de meurtre dolo malo, de faux, de violence publique ou privée, de péculat, de concussion (peculatus, repetundœ), et de brigue déloyale (ambitus). On à vu que les commissions permanentes avaient été plus tard établies pour le jugement de certains crimes déterminés. Les commissions extraordinaires, nommées pour une cause et un cas spécial, cessaient de siéger, la cause une fois jugée]

[12] [Nous possédons encore presque dans son entier la nouvelle ordonnance, nécessitée par la réforme du personnel de judicature, et spéciale au crime de concussion. Elle est connue sous le nom de lex Servilia, ou mieux Acilia Repetundarum. On en trouvera le texte et le commentaire au Corp. insc. lat., n° 198]

[13] [Je me sers de ce mot anglais à dessein les parts ou actions des sociétaires ayant à Rome aussi le nom de partes]

[14] Identique, à ce qu’il semble, avec sa loi ne quis judicio circumveniatur.

[15] [Dans le sens grec de royauté absolue]

[16] Nous possédons encore un long fragment d’une harangue de Gaius sur la grosse affaire de la possession de la Phrygie. Au lendemain de l’incorporation du royaume d’Attale, cette contrée, offerte à l’enchère par Manius Aquillius aux rois de Bithynie et de Pont, avait été adjugée à ce dernier. Gaius, à ce propos, fait observer qu’on ne rend plus gratuitement ses services à la chose publique, et il ajoute qu’en ce qui touche le loi en discussion (l’abandon de la Phrygie à Mithridate) les sénateurs se divisent en trois catégories : ceux qui votent pour la loi, ceux qui la rejettent et ceux qui demeurent muets. Les premiers sont vendus à Mithridate, les seconds au roi Nicomède. Mais les troisièmes, plus habiles, reçoivent de toutes mains et trompent tout le monde. [Aulu-Gell., 11, 10.]

[17] [Déesse des Mânes, rangée parmi les Numina mala. — V. Preller, Myth., hoc v°, VIIe sect., p. 458]