Depuis plus d’un siècle la rivalité des Carthaginois et
des Syracusains appelait sur la belle terre de Sicile les ravages de la
guerre. Chacun des belligérants combattait et par les armes, et par la
propagande politique. Carthage avait noué des intrigues avec l’opposition
aristocratique et républicaine dans Syracuse; les dynastes syracusains
s’entendaient avec le parti national dans les villes grecques tributaires de
Carthage. Chacun des adversaires avait son armée de mercenaires ; Agathocle
et Timoléon, pour mener leurs guerres, louaient des soldats, aussi
bien que, les généraux phéniciens. Et comme des deux côtés on luttait par les
mêmes moyens, des deux côtés aussi la lutte fut entachée de manquements à
l’honneur et de perfidies sans exemple jusque-là dans l’histoire de
l’Occident. A la paix de 440 [314 av. J.-C.], Carthage s’était contentée du tiers de l’île
à l’ouest d’Himère et d’Héraclée Minoa : elle avait
formellement reconnu l’hégémonie de Syracuse sur toutes les cités de l’est.
Pyrrhus chassé de Sicile et d’Italie (479 [-275]), la plus grande moitié de l’île et
l’importante place d’Agrigente étaient restées dans les mains des
Carthaginois : les Syracusains ne possédaient plus que Tauromenium
[Taormine] et la pointe du sud-est. Une bande de soudards étrangers
s’était cantonnée dans Messine, la seconde ville de la côte orientale, et s’y
maintenait indépendante à la fois de Syracuse et de Carthage. Ces
aventuriers, maîtres de Messine, étaient originaires de Il n’en devait pas être ainsi. Un jeune capitaine syracusain, Hiéron, fils de Hiéroclès, tenant à la famille de Gélon par son origine, se rattachant à Pyrrhus, par ses alliances, et par ses brillants faits d’armes à l’école de ce dernier, attirait alors les regards de ses concitoyens et ceux des soldats. Acclamé par ceux-ci, à ce moment en lutte avec la cité, il se met à leur tête (479-480 [275-274 av. J.-C.]). Bientôt la sagesse de ses mesures, la noblesse et la modération de son attitude lui gagnent le coeur des Syracusains, voués si souvent à l’ignoble despotisme des tyrans et des autres Gréco-Siciliotes. Il se débarrasse, à l’aide d’une perfidie il est vrai, des bandes indisciplinées de ses mercenaires; rétablit les milices citoyennes; et, simple général d’abord, puis roi bientôt, à la tête d’une armée nouvelle de troupes nationales et de soldats récemment engagés et plus maniables, il tente de relever l’empire grec de ses ruines. — On était en paix avec Carthage, qui avait aidé à chasser Pyrrhus. Les plus proches ennemis de Syracuse étaient ces Mamertins, les compatriotes des mercenaires abhorrés et détruits la veille, les meurtriers de leurs hôtes grecs, les envahisseurs du territoire de Syracuse, les oppresseurs ou les incendiaires d’une multitude de petites cités helléniques. Hiéron fait alliance avec les Romains, qui, à cette même heure, envoyaient leurs légions contre les Campaniens de Rhégium, alliés, de leur côté, compatriotes et complices des Mamertins : puis il marche sur Messine. Il remporte une première et grande victoire : est proclamé roi des Siciliotes (484 [-270]), et refoule les Mamertins dans leur ville où durant quelques années il les tient rigoureusement assiégés. Ceux-ci, réduits à la dernière extrémité, se voient dans l’impossibilité de tenir plus longtemps. Se rendre à condition, ils n’y peuvent songer : la hache du bourreau a fait tomber à Rome déjà les têtes des Campaniens de Rhégium : le supplice les attendrait non moins sûrement à Syracuse. Une seule issue leur reste : ils se donneront soit aux Romains, soit aux Carthaginois, trop heureux d’acheter ainsi, au prix de quelques scrupules oubliés bien vite, une position d’une aussi grande importance. Mais entre les Phéniciens et es maîtres de l’Italie, à qui valait-il mieux s’adresser ? La question méritait considération. Après avoir hésité longtemps, la majorité des Campaniens-Mamertins se décida en faveur de Rome et voulut lui remettre immédiatement la clef des mers de Sicile. Ce fut une heure solennelle et décisive dans l’histoire,
que celle où les députés des Mamertins furent reçus dans le Sénat romain. Nul
n’aurait su prévoir quels événements gigantesques allaient se dérouler au
lendemain du passage de cet étroit bras de mer qui sépare l’Italie de Restait à savoir comment l’intervention des Romains serait
accueillie par les deux puissances siciliennes intéressées dans l’affaire,
et, jusque-là, à l’état d’alliance avec eux, nominalement tout au moins.
Quand Rome les somma d’avoir à s’abstenir de toute hostilité contre ses
nouveaux confédérés de Messine, Hiéron, assurément (de même que les Samnites et
les Lucaniens l’avaient fait autrefois, après Capoue et Thurium
occupées de semblable manière), Hiéron aurait eu juste motif de
répondre par une déclaration de guerre. Mais faire la guerre tout seul aux
Romains, c’eût été folie. Le roi était trop modéré, trop sage politique pour
ne pas se soumettre à un mal nécessaire, si Carthage persistait dans sa
neutralité. Or, cette neutralité ne sembla point au premier abord impossible.
C’est à ce moment (489 [-265]),
que six ans après la tentative avortée de la flotte punique contre Tarente,
une ambassade partit de Rome, réclamant des explications à ce sujet. Le Sénat
jugea utile de ressusciter un grief, vrai au fond, mais depuis longtemps
oublié. Au milieu des préparatifs de la lutte, ce n’était point chose
superflue que d’avoir tout prêt dans l’arsenal diplomatique de Rome
l’appareil spécieux des casus belli ; on se ménageait ainsi le
rôle de la partie offensée, pour le moment où, selon l’usage constant de
Rome, elle aurait à lancer son manifeste de guerre. En réalité, le juge
impartial mettra sur la même ligne les entreprises sur Tarente et sur Messine
: les vues, le point de droit sont les mêmes : l’issue seule fut autre. Quant
à Carthage, elle ne voulait pas une rupture ouverte. Les envoyés de Rome
rapportèrent le désaveu de l’amiral carthaginois, coupable de la voie de fait
essayée sur Tarente : il leur avait été juré tous les faux serments,
ordinaires en pareil cas. Carthage même s’abstint de toutes les
récriminations dont elle eût eu pourtant sujet ; elle se garda de dénoncer le cas de guerre dans
l’invasion qui menaçait Le but immédiat de l’entreprise sur Messine était atteint. Garantis par leur double alliance avec Messine et Syracuse ; fortement établis sur toute la côte orientale, les Romains pouvaient désormais librement descendre en Sicile. Ils y trouvaient sans peine à faire vivre les légions ; chose auparavant des plus difficiles ; et la guerre, qui d’abord avait semblé téméraire, n’avait plus rien de ses incalculables dangers du début. Elle ne nécessitait pas de plus grands efforts que la lutte avec le Samnium et l’Étrurie. Les deux légions, envoyées l’année suivante (492 [-262]), se joignant aux Grecs-Siciliotes, suffirent pour refouler les Carthaginois dans leurs places fortes. Leur général, Hannibal, fils de Giscon, se jeta dans Agrigente avec le meilleur noyau de ses troupes ; et voulut défendre jusqu’à la dernière extrémité cette ville, la plus importante des possessions de Carthage à l’intérieur. Les Romains, ne pouvant l’emporter d’assaut, l’enveloppèrent de leurs lignes et d’un double camp, et la bloquèrent. Les assiégés, au nombre de cinquante mille, furent bientôt réduits au plus absolu dénuement. Alors l’amiral carthaginois Hannon accourut, et débarquant à Héraclée, coupa à son tour les vivres aux assiégeants. Des deux côtés les souffrances étaient grandes : on se décida à la bataille pour échapper aux incertitudes et aux maux de la situation. La cavalerie numide y montra sa supériorité sur la cavalerie romaine ; l’infanterie des Romains s’y montra de même supérieure à l’infanterie phénicienne, et décida la victoire, mais non sans des pertes énormes. Malheureusement l’armée assiégée, profitant de la fatigue des vainqueurs, parvint à s’enfuir de la ville et à se réfugier sur la flotte. Les résultats de la journée n’en furent pas moins très importants. Agrigente se rendit, mettant ainsi toute l’île dans la main de Rome, à l’exception des places maritimes, où Hamilcar, le successeur d’Hannon, se fortifia jusqu’aux dents, luttant, invincible, et contre la faim et contre les assauts de l’ennemi. — La guerre s’arrête d’elle-même : toutefois, les sorties fréquentes des Carthaginois et leurs descentes sur les côtes siciliennes ne laissent pas d’être fatigantes et coûteuses aux Romains. C’est maintenant, en réalité, que la république va
connaître toutes les difficultés de la guerre où elle s’est lancée. On raconte que les envoyés de Carthage, avant
les premières hostilités, avaient conseillé aux Romains de ne point en venir
à une rupture, ajoutant que si Carthage le voulait, nul d’entre eux ne
pourrait même aller se laver les mains dans la
mer ! Le mot est-il vrai ? Je ne sais : dans tous les
cas, la menace eût été sérieuse. Les flottes de Carthage étaient maîtresses
des mers : non contentes de maintenir dans l’obéissance les villes de la côte
sicilienne et de les approvisionner du nécessaire, elles faisaient mine
d’opérer un débarquement en Italie, où déjà, en 492 [262 av. J.-C.], une armée consulaire
avait dû rester l’arme au bras. Sans tenter une invasion en grand, de petites
bandes carthaginoises avaient çà et là parcouru les côtes, descendant à
terre, ravageant les possessions des alliés de la république, arrêtant, ce
qui était bien pire, les relations commerciales entre eux et la métropole.
Que ces attaques se prolongeassent, et bientôt Cœré, Ostie, Naples, Tarente,
Syracuse se voyaient ruinées de fond en comble. Pendant ce temps, les
contributions de guerre et les plus riches prises compensaient et au delà,
pour les Carthaginois, la perte des tributs qu’ils prélevaient jadis sur Les débuts ne furent point heureux. Leur amiral, le consul Cnæus Cornélius Scipion, ayant pris la mer avec les dix-sept premiers navires achevés (494 [-260]), mit le cap sur Messine, et eut en route la velléité de s’emparer de Lipara par un coup de main. Mais tout à coup une division de la flotte carthaginoise, stationnée à Panorme, vint l’enfermer dans le port de l’île, où il avait jeté l’ancre, et le fit prisonnier sans coup férir avec son escadre. Ce contretemps n’empêcha pas l’armée principale de s’embarquer sur les autres navires, quand ils furent prêts, et de faire aussi voile vers Messine. Le long de la côte d’Italie, elle rencontra à son tour une escadre carthaginoise envoyée en reconnaissance, et plus faible qu’elle. Après lui avoir infligé des pertes qui contrebalançaient le premier échec subi par les Romains, elle entra victorieuse dans Messine, où le second consul Caius Dilius prit le commandement au lieu et place de son collègue captif. La flotte carthaginoise sortit de Panorme, commandée, par Hannibal, son amiral, et s’en vint heurter les Romains au nord-ouest de la ville, à la hauteur du promontoire de Mylæ [Milazzo]. Ce fut vraiment dans ce jour que la marine de Rome eut à faire ses premières et sérieuses preuves. A la vue de ces navires mauvais voiliers et lourds, l’ennemi croit avoir devant lui une proie facile, et se précipite en désordre sur les Romains : mais ceux-ci abattent leurs ponts volants, dont l’effet est décisif. Les galères carthaginoises sont accrochées et prises à l’abordage au moment même où elles arrivent séparées les unes des autres : qu’elles se présentent par l’avant ou par les flancs, le dangereux engin tombe sur elles. A la fin du combat, cinquante vaisseaux environ, la moitié de la flotte carthaginoise, étaient coulés ou pris ; et parmi ceux-ci la galère amirale elle-même, jadis bâtie par Pyrrhus. Le résultat de la victoire était grand : plus grande encore fut l’impression qu’elle produisit ; Rome devenait tout à coup une puissance maritime : elle allait sans doute apportée sur ce champ nouveau toutes ses ressources, toute son énergie, et mener promptement à fin cette guerre qui menaçait de ne jamais finir, ou de ruiner de fond en comble tout le commerce de l’Italie ! Deux routes conduisaient au but. On pouvait attaquer
Carthage dans les îles italiennes, et assaillir l’un après l’autre ses
établissements des côtes de Sicile et de Sardaigne. Une telle entreprise
n’avait rien que de praticable à l’aide d’opérations bien combinées et par
terre et par mer. Ce premier résultat atteint, la paix se concluait moyennant
l’abandon des îles par les Carthaginois : que si la diplomatie échouait, ou
si ce n’était pas assez de leur imposer un tel sacrifice, on avait alors
l’option de porter la guerre en Afrique. On pouvait encore négliger les îles,
et se jeter de suite et directement sur l’Afrique avec toute l’armée, non
point en téméraires et en aventuriers comme Agathocle, qui brûla ses
vaisseaux, et mit tout son enjeu sur une victoire à remporter contre des gens
désespérés ; mais en prenant soin, au contraire, d’assurer et de couvrir
les communications de l’armée d’invasion avec l’Italie. En cas pareil, ou
l’ennemi terrassé serait trop heureux de subir une paix raisonnable, ou, si
l’on aimait mieux pousser jusqu’aux extrémités dernières, il était condamné à
un complet assujettissement. Quoi qu’il en soit, et bien qu’il eût été mis un terme au
pillage et à l’incendie des villes maritimes italiennes, leur commerce n’en
était pas moins ruiné ; après comme avant la construction de la flotte.
Fatigué de ces tentatives saris résultats, impatient de finir la guerre, le
Sénat change enfin de plan de campagne. L’attaque de l’Afrique est résolue.
Au printemps de 498 [256
av. J.-C.], une flotte de trois cent trente navires part pour les
côtes libyques : elle a pris des troupes de débarquement, à l’embouchure de
l’Himère [Fiume Salso] sur le rivage sud de Les Romains, au lieu d’aborder sur le rivage occidental de la presqu’île placée au-devant de la rade, allèrent en Afrique prendre terre à l’est, clans la baie de Clupéa [ou Aspis, auj. Aklib]. Là se trouvait, abritée contre tous les vents, une forteresse maritime excellente, et adossée à une colline s’élevant en dos d’âne au-dessus de la plaine. Ils débarquèrent sans nul obstacle, s’établirent sur la hauteur, organisèrent leur campement naval avec ses retranchements (castra navalia [V. Rich. Dict. v° Castrum]), et entamèrent les opérations à terre. Déjà leurs soldats parcourent et ravagent le pays, ils ramassent vingt mille esclaves qui sont envoyés à Rome. Ainsi cette entreprise hardie était couronnée par un succès inouï du premier coup : sans grands sacrifices, on touchait au but. Telle était la confiance des Romains, que le Sénat crut pouvoir faire revenir en Italie la majeure partie de la flotte et la moitié de l’armée. Marcus Regulus resta seul en Afrique avec quarante navires, quinze mille hommes d’infanterie et cinq cents chevaux. Et cette témérité sembla justifiée d’abord. Les Carthaginois découragés n’osaient plus tenir la plaine : ils se firent battre une première fois dans un défilé boisé où leur cavalerie et leurs éléphants ne pouvaient agir. Les villes se rendaient en masse ; les Numides révoltés inondaient les campagnes. Regulus, espérant mettre au printemps le siége devant Carthage, alla prendre ses quartiers d’hivers à Tunès (Tunis), presque sous ses murs Les Carthaginois avaient perdu courage : ils demandèrent
la paix. Mais le consul leur fit les conditions les plus dures. Abandon de La terrible nouvelle arriva bientôt à Rome. Tout d’abord on courut au secours de la petite garnison de Clupéa. Une flotte de trois cent cinquante voiles mit à la mer, remporta une belle victoire en vue du cap Herméen[8], laquelle ne coûta pas moins de cent quatorze navires aux Carthaginois, et arriva devant la ville, à temps encore pour sauver les malheureux débris de l’armée de Regulus. Envoyée avant la bataille, elle eût pu changer la défaite en triomphe, et mettre fin d’un coup aux guerres entre Rome et Carthage. Mais les Romains avaient perdu la tête : après un combat heureux sous Clupéa, ils embarquent leur monde et s’en retournent en Italie, abandonnant à la légère une place importante, facile à défendre, et qui leur ouvrait un pied en Afrique. Faute plus grande encore, ils livrent sans défense tous leurs alliés du continent à la vengeance des Carthaginois. Pour ceux-ci l’occasion était trop belle ! Ils s’en saisissent afin de remplir leur trésor vidé, et font durement sentira leurs sujets les conséquences de l’infidélité commise. Ils les chargent d’une contribution de guerre de 1.000 talents d’argent (1.700.000 thalers [ou 6.975.000 fr.]) et de 20.000 boeufs. Dans toutes les tribus qui ont passé aux Romains, les cheiks sont attachés à la. croix. Trois mille, dit-on, périrent : cette cruelle et odieuse punition ne sera pas pour peu de chose dans l’explosion de la grande révolte qui mettra l’Afrique en feu quelques années plus tard ! — Comme si la fortune, après avoir comblé les Romains, eût voulu aujourd’hui se montrer constamment hostile, leur flotte, au retour, perdit les trois quarts de ses vaisseaux et, de son monde dans une terrible tempête. Il n’en rentra que quatre-vingts au port (juillet 499 [255 av. J.-C.]). Les capitaines de bord avaient pronostiqué le danger, mais les amiraux improvisés à la veille de l’expédition n’en avaient pas moins ordonné le départ. Ces prodigieux succès permirent aux Carthaginois de
reprendre aussitôt l’offensive en Sicile. Hasdrubal, fils d’Hannon,
descend à Lilybée avec une puissante armée, laquelle munie d’éléphants en
nombre inusité (on en
comptait cent quarante), semblait de force à tenir la campagne contre
les Romains. Les dernières luttes avaient donné la preuve qu’avec l’aide de
ces animaux de combat et d’une bonne cavalerie, il serait possible de
suppléer à la faiblesse du soldat de pied. — Les Romains, de leur côté,
reprirent leurs opérations dans l’île. La destruction de l’armée d’Afrique,
l’évacuation volontaire de Clupéa, nous font voir que dans le Sénat
l’influence était revenue à ceux qui, ne voulant pas d’une expédition en
Libye, insistaient au contraire pour la conquête de Elle eut immédiatement de considérables résultats. Lilybée cessa d’être sérieusement bloquée du côté de la mer. Les restes de la flotte, battus à Drepana, allèrent bien y reprendre leur poste, mais il leur fut impossible désormais de fermer l’entrée du port ; et s’ils n’avaient eu l’appui de l’armée de terre, l’escadre carthaginoise les eût pris,ou détruits. Ainsi la folle et coupable imprudence d’un officier inexpérimenté avait anéanti en un moment tous les avantages conquis au prix de tant d’efforts, après un si long siège, et tant de sang répandu. Les Romains possédaient encore quelques vaisseaux malheureusement, ce qu’avait épargné le désastre dû à la témérité d’un des consuls, l’inintelligence de l’autre acheva de le perdre. Le second consul, Lucius Junius Pullus, avait mission d’embarquer à Syracuse les vivres et munitions destinés à l’armée de siège, et de longer la côte du sud, convoyant les transports avec la deuxième flotte, qui comptait cent vingt navires de guerre. Mais au lieu de tenir tous ses vaisseaux réunis, il commit la faute de dépêcher les premiers transports en avant, sans protection aucune, se réservant de suivre un peu plus tard avec les autres. Carthalo, amiral en second des Carthaginois, commandait alors les cent voiles choisies qui bloquaient les Romains dans le havre de Lilybée. Il apprend ce qui se passe, et aussitôt, se portant au sud, il se jette entre les deux divisions de la flotte de Pullus, et les contraint à se réfugier dans les deux rades de Géla et de Camarine. L’ennemi les vient attaquer sur ces plages inhospitalières : il est vaillamment repoussé, grâce aussi aux engins de guerre partout établis depuis quelque temps déjà le long des côtes. Mais se réunir et continuer sa route, c’était ce à quoi il ne fallait plus songer, et Carthalo put s’en remettre aux éléments du soin d’achever son ouvrage. Aux premiers gros temps, les deux escadres ramassées dans ces mauvais parages sont entièrement détruites, pendant que le Carthaginois, manoeuvrant en haute mer, échappe sans peine ni dommage à la tempête. Les Romains avaient d’ailleurs pu sauver en grande partie les équipages et les cargaisons (505 [249 av. J.-C.]). Le Sénat ne savait plus que faire. Déjà la guerre sévissait depuis seize ans, et l’on semblait plus loin du but qu’à la première année des hostilités. On avait perdu quatre grandes flottes, dont trois ayant une armée romaine à bord. Une quatrième armée, toute de troupes d’élite, avait péri en Libye, sans compter d’autres et innombrables sacrifices qu’avaient coûté tous les petits combats sur mer, les batailles livrées en Sicile, l’attaque ou la défense des places et des positions, et enfin les maladies ! Il s’était fait une énorme dépense de vies humaines, tellement que les rôles civiques, de 502 à 507 [-252 à -247], avaient décru de quarante mille têtes ou d’un sixième ; sans compter les pertes énormes des alliés, sur lesquels portait tout le poids de la guerre maritime, et qui, au moins autant que les Romains, avaient à défrayer la guerre de terre. Des dépenses d’argent, impossible de s’en faire une idée ; elles étaient énormes, soit qu’il s’agit directement de combler les vides de la flotte et du matériel, soit qu’on eût égard aux souffrances du commerce. Le pire mal était qu’on avait épuisé tous les moyens sans pouvoir épuiser la guerre. On avait pratiqué une descente en Afrique avec une armée toute neuve, animée par ses premières victoires ; et l’entreprise avait échoué. En Sicile, on avait tenté l’attaque successive des villes : les places moindres étaient tombées, mais les deux puissantes citadelles de Lilybée et de Drepana restaient debout. Que faire désormais ? Le découragement prit le dessus. Les pères conscrits désespéraient de la guerre ; ils laissèrent aller les choses : non qu’ils ne sussent fort bien qu’une guerre se traînant sans but et sans terme serait cent fois plus désastreuse pour l’Italie que de nouveaux et opiniâtres efforts, lui dussent-ils demander et son dernier homme et son dernier écu. Ils n’osèrent avoir foi ni dans le peuple ni dans la fortune, et à tant de sacrifices dépensés en vain, ajouter encore des sacrifices immenses ! La flotte est condamnée : on ne fera plus que la guerre de corsaires, on donnera les navires de l’État aux capitaines qui voudront les monter pour leur compte, et aller en course. Quant aux opérations sur terre, elles ne continueront que de nom, puisque aussi bien l’on ne peut faire autrement. Mais on se maintiendra dans les places conquises ; on s’y défendra en cas d’attaque. Tout modeste que fût ce plan, il nécessitait, à défaut de la flotte, une armée nombreuse et de grands frais. Certes, l’heure avait sonné ou jamais, pour Carthage, d’achever l’humiliation de sa puissante rivale. A Carthage aussi l’épuisement se faisait sentir, qui peut en douter ? Néanmoins, de la façon dont y allaient les choses, ses finances n’étaient point encore à bout. Rien n’empêchait qu’on reprit vigoureusement l’offensive : la guerre, après tout, ne coûtait que de l’argent. Mais ceux qui gouvernaient la cité phénicienne n’avaient point l’énergie guerrière ; retombant dans la lâcheté et la faiblesse, dès qu’ils n’étaient plus poussés par l’aiguillon d’un gain sûr ou de la nécessité la plus extrême. Trop heureux de n’avoir plus la flotte de Rome sur les bras, ils laissèrent aussi la leur se dissoudre ; ils firent comme les Romains et la petite guerre sur terre et sur mer commença de part et d’autre dans l’île et autour de l’île. Ainsi se passèrent six années d’une lutte sans événements (506-511 [248-243 av. J.-C.]), années sans gloire aussi et les plus obscures du siècle, pour les Romains comme pour les Carthaginois. Enfin un homme se leva, qui pensait et voulait agir autrement que ses nationaux d’Afrique. Un jeune général de talent. Hamilcar, dit Barak ou Barcas (c’est-à-dire l’Éclair), vint en 507 [-247] prendre le commandement de Sicile. Comme toujours, les Carthaginois manquaient d’une infanterie solide et exercée ; et leur gouvernement, bien qu’il eût pu sans cloute en réunir une, ou qu’en tous cas il aurait dû s’efforcer de le faire, assistait inactif à des désastres répétés, ou, de temps à autre, envoyait ses généraux à la croix. Hamilcar ne demanda d’aide qu’à lui-même ; il savait ses soldats par cœur. Carthage leur était tout aussi indifférente que Rome ! Demander aux magistrats de sa république des conscrits phéniciens ou libyens, c’eût été peine perdue. Mais avec les troupes qui lui restaient, il ne lui était pas défendu, de sauver sa patrie, pourvu qu’il n’en coûtât rien à celle-ci. Il se connaissait lui-même, et il connaissait les hommes. Que ses mercenaires ne songeassent pas à Carthage, il le voulait bien ; mais un vrai général tient lieu de patrie à ses soldats, et le jeune capitaine était digne de s’attacher les siens. Il les habitue d’abord, dans les escarmouches de tous les jours sous les murs de Lilybée et de Drepana, à regarder les légionnaires en face : puis il se retranche sur le mont Eirctè (monte Pellegrino, près de Palerme), qui commande le pays comme une citadelle naturelle : il fait venir leurs femmes et leurs enfants qui s’y cantonnent auprès d’eux ; et, de là, il rayonne, battant la campagne en tous sens, pendant que ses corsaires ravagent les côtes italiennes jusqu’à Cumes. L’abondance est dans son camp, sans que la métropole ait à défrayer l’armée : donnant tous les jours la main à Drepana par la voie de mer, il menace bientôt d’un coup de main Panorme, placée à deux pas de lui. Les Romains essayent en vain de le chasser de son aire après de longs combats ils ne peuvent même l’empêcher d’aller se loger aussi au-dessus d’Eryx. Là, la montagne portait à mi-côte la ville de ce nom ; un temple, dédié à Vénus Aphrodite, couronnait le sommet. Hamilcar enlève la ville, et assiége le temple, pendant que les Romains se tiennent dans la plaine et le bloquent à son tour. Ils avaient, posté dans le temple, en enfants perdus, une troupe de Gaulois, transfuges de l’armée carthaginoise ; horde de pillards, s’il en fut, qui mirent à sac le lieu confié à leur garde, commirent tous les excès et se défendirent avec le courage du désespoir. Mais Hamilcar s’opiniâtre ; il maintient sa position dans Eryx, et pendant ce temps se ravitaille journellement à l’aide de la flotte et de la garnison de Drepana. La guerre prend une tournure de plus en plus mauvaise pour les Romains. La république y épuise ses ressources en argent ; ses soldats et ses généraux y perdent leur renommée. Il n’était que trop certain que nul capitaine de Rome ne pouvait lutter désormais contre Hamilcar, dont les soldats se mesuraient maintenant sans crainte avec les légionnaires. Pendant ce temps, les corsaires redoublaient d’audace le long des côtes de l’Italie : déjà il avait fallu envoyer un préteur à l’encontre d’une bande ennemie descendue à terre. Si on avait laissé aller ainsi les choses, au bout de peu d’années, Hamilcar, venant de Sicile et porté sur sa flotte, était homme à tenter l’entreprise fameuse que son fils un jour exécutera par la route de terre. Et pourtant le Sénat reste dans l’inaction : le parti des
gens de petit courage y est toujours le plus fort. Enfin, là aussi il se
trouva des hommes prévoyants et magnanimes qui se résolurent à sauve l’État
sans l’assistance de l’État, et de mettre fin à cette ruineuse guerre.
Quelques courses heureuses en mer avaient relevé le moral du peuple :
l’énergie et l’espoir se réveillaient : une escadre rapidement formée avait
brûlé Hippone sur la côte d’Afrique, et remporté une victoire en vue
de Panorme. Des souscriptions volontaires sont recueillies, comme autrefois
l’on avait fait à Athènes, mais dans de moindres proportions : une vraie
flotte de guerre est lancée aux frais des patriotes riches de Rome ;
elle a pour noyau les anciens navires corsaires et les équipages rompus à la
mer qui les montent. Les soins les plus minutieux ont présidé à sa
construction ; jamais même on n’a autant fait pour la marine de l’État. Les
annales de l’histoire n’offrent pas d’exemple d’un pareil enthousiasme !
Oui, l’on, vit alors quelques citoyens coalisés donner à leur patrie, épuisée
par vingt-trois années de rude guerre, une flotte magnifique de deux cents
voiles, avec ses soixante mille matelots. L’honneur de la conduire en Sicile
était réservé au consul Gaius Lutatius Catulus. Il n’y trouva plus
d’adversaires. Les deux ou trois navires carthaginois qu’Hamilcar avait à sa
disposition pour la course disparurent. Les Romains occupèrent presque sans
résistance les ports de Lilybée et de Drepana, dont le siége fut
vigoureusement repris, et par terre et par mer. Carthage se voyait devancée
et surprise : ses deux forteresses mal approvisionnées couraient le plus
grand péril. Elle arme aussitôt : mais quelque hâte qu’elle fasse, l’année
s’achève sans qu’elle ait pu envoyer ses vaisseaux dans les eaux
siciliennes ; et quand enfin, au printemps de l’an 513 [241 av. J.-C.],
ceux-ci se montrent en vue de Drepana, les Romains ont devant eux une flotte
de transport plutôt qu’une flotte de combat. Les Carthaginois avaient pensé
pouvoir débarquer sans obstacles, décharger toutes leurs munitions et prendre
à bord les troupes nécessaires pour la lutte ; mais leur ennemi leur
barre le passage, et comme ils veulent, depuis l’île (Sainte
Maritima), gagner Drepana, ils sont forcés d’accepter la bataille sous la
petite île d’Ægusa (Favignana). On était au 10 mars 513.
L’issue ne resta pas un seul instant douteuse. La flotte romaine, bien bâtie,
bien armée, obéissait à un amiral habile, le préteur Publius Valérius
Falto (une
blessure reçue devant Drepana tenant Catulus enchaîné à terre). Au
premier choc, elle enfonça les navires carthaginois, lourdement chargés et
mal armés au contraire. Cinquante sont coulés à fond ; soixante-dix sont
capturés et emmenés par le vainqueur dans le port de Lilybée. Le grand et
généreux effort des patriotes de Rome avait porté ses fruits : il donna à Les Carthaginois, après avoir crucifié leur malheureux
amiral, ce qui ne remédiait à rien, envoyèrent au commandant de l’armée de
Sicile, plein pouvoir pour traiter. Hamilcar avait assisté au naufrage de ses
héroïques travaux de sept années. Magnanime jusqu’au bout, il ne déserta ni
l’honneur de ses soldats, ni la cause de son pays, ni ses propres desseins.
Les Romains, maîtres de la mer, La fin de la guerre étant chose désirable pour les
Carthaginois, ils se trouvèrent satisfaits, j’imagine, de l’obtenir à ces
conditions. Quant au général romain, il attacha naturellement un grand prix à
rapporter une paix victorieuse dans sa patrie ! Soit qu’il se souvint de
Regulus, et qu’il craignit les retours subits de la fortune des armes, soit
que cet élan patriotique auquel il avait dû sa victoire ne put se commander
ou se renouveler avec la même énergie, soit enfin qu’il cédât à l’ascendant
personnel d’Hamilcar, Catulus, on le voit, ne se montra pas par trop
rigoureux. Mais à Rome, le peuple accueillit mal la paix projetée, et excité
dans le Forum par les patriotes, par ceux sans doute qui avaient donné une
flotte à l’État, il refusa d’abord la ratification qui lui était déférée.
D’où venaient les répugnances ? nous ne saurions le dire. Nous ignorons
de même si les opposants ne voulaient pas tout simplement arracher encore de
nouvelles concessions à l’ennemi, ou si, à la pensée qu’autrefois Regulus
avait osé exiger de Carthage le renoncement à son indépendance, ils ne se
sentaient pas comme aiguillonnés : peut être, en ce cas, soutenaient-ils
qu’il fallait poursuivre la guerre jusqu’au but final, et qu’il s’agissait
moins de conclure la paix que d’imposer une soumission complète à l’ennemi.
Que si le refus de la ratification n’était qu’un calcul en vue d’obtenir
d’autres et plus amples avantages, ce calcul était probablement maladroit. En
présence de l’abandon de Pour conclure, le traité fut soumis à une commission
chargée de se rendre en Sicile, et de décider sur place. Cette commission
confirma les préliminaires dans les points essentiels ; mais elle éleva
les frais de la guerre à payer par Carthage, à la somme de 3.200 talents
(5.500.000 thalers [20.625.000
fr.]). Outre l’abandon de Arrêtons-nous un instant encore sur ces grands combats qui
portèrent la frontière romaine au delà de la ceinture marine de la péninsule.
La première guerre punique a été l’une des plus longues et des plus
difficiles que Rome ait jamais menées : les soldats qui assistèrent à la
dernière et décisive bataille n’étaient point nés encore, pour la plupart,
quand avait commencé la lutte. Disons le de suite, malgré les événements
grandioses, héroïques qui s’y rencontrent, il n’en est point que les Romains,
militairement et politiquement parlant, aient dirigée aussi mal et aussi peu
sûrement. Et il n’en pouvait arriver autrement. Cette guerre se place dans un
temps de crise : l’ancienne politique purement italienne ne peut plus
suffire ; la politique du grand empire futur n’est point encore trouvée.
Pour les besoins de la première, le Sénat romain, le système militaire de
Rome étaient excellemment combinés. Les guerres alors étaient de simples
guerres continentales. Assise au centre de la péninsule, la métropole servait
de base dernière et de pivot à toutes les opérations qui s’appuyaient
d’ailleurs sur le réseau des forteresses intérieures. On faisait de la tactique
sur place plutôt que de la grande stratégie : avant tout, on se battait, sans
trop combiner les marches et les mouvements qui n’avaient qu’une importance
secondaire : la guerre des sièges était dans l’enfance : à peine si une fois
ou deux, déjà, et encore en passant, on avait pris la mer et fait la guerre
navale. Qu’on n’oublie pas que jusque-là tout s’était décidé dans la mêlée à
l’arme blanche, qu’une assemblée de sénateurs avait pu diriger suffisamment
les opérations, et que le magistrat de la cité avait qualité suffisante pour
être le général de l’armée. Mais voici que tout est changé soudain. Le champ
de bataille s’étend à perte de vue, il est transporté jusque dans un autre
continent et par delà les mers : tout flot qui déferle sur la plage est
un chemin que l’ennemi peut prendre ; et, de tous les havres de la côte,
on peut un jour apprendre qu’il marche sur Rome. Toutes ces places maritimes,
qui avaient tant de fois repoussé l’assaut des meilleurs tacticiens de Quoi qu’il en soit, la marine romaine dans son organisation grandiose encore, mais mal conçue et insuffisante, n’en a pas moins été l’œuvre la plus originale de l’époque. Elle avait fait Rome victorieuse à la première heure : elle lui valut le succès final. — Il était d’autres vices bien plus difficiles à réparer : j’entends parler de ceux qui, tenant à la constitution politique, auraient nécessité sa réforme. En butte aux vicissitudes des partis, le Sénat avait passé avec eux d’un plan de guerre à un autre, et commis les incroyables fautes de l’évacuation de Clupéa, ou des amoindrissements fréquents de la flotte. Tel général, dans l’année de sa charge, avait commencé l’investissement des places siciliennes, que son successeur laissait là pour aller ravager les côtes d’Afrique ou livrer une bataille en mer ; tous les ans enfin le commandement suprême changeait de mains. Mais comment faire cesser le mal sans soulever aussitôt dans la cité des questions bien autrement difficiles que la création de la flotte ? Les réformes n’étaient d’ailleurs rien moins qu’aisément réalisables en face des exigences de la guerre. Quoi qu’il en soit, nul ne se montra à la hauteur de la stratégie nouvelle, ni le Sénat, ni les généraux. L’entreprise de Regulus est la preuve de l’erreur étrange, partagée par tous. Ils avaient la foi la plus aveuglé dans la supériorité de leur tactique de combat. Quel général s’est jamais vu d’abord plus comblé par la fortune ? Dès l’an 498 [256 av. J.-C.], il occupait les positions où Scipion ne reviendra que cinquante ans plus tard, et il n’avait pas devant lui, comme Scipion, Annibal et son armée, vieillis dans les batailles. Mais le Sénat croyant les Romains invincibles dans le combat corps à corps, s’était empressé de rappeler la moitié des troupes. Le général, abusé comme le Sénat, demeure dans son immobilité désastreuse. Inférieur à l’ennemi sur le terrain de la stratégie, il accepte la bataille là où elle lui est offerte, et il trouve aussi son maître sur le champ de la tactique proprement dite : catastrophe d’autant plus étonnante que Regulus était un habile et solide capitaine ! La rude guerre à la façon des paysans avait suffi pour la conquête de l’Étrurie et du Samnium : elle amena le désastre de Tunis. Jadis et selon les besoins des temps, tout citoyen avait pu faire un général, aujourd’hui la règle n’était plus de mise ; il fallait, dans le nouveau système des généraux formés à l’école de la guerre, et ayant le coup d’oeil militaire; le simple magistrat civil né suffisait plus à la tâche. Autre et pire mesure encore : le commandement de la flotte était dans les attributions du commandant de l’armée, et par suite, le premier consul venu se croyait apte à la fois au généralat et à la conduite des opérations navales. Les mésaventures les plus graves que Rome ait essuyées durant la première guerre punique ne vinrent ni du fait des tempêtes, ni du fait des Carthaginois ; elles ont eu pour cause unique l’impéritie présomptueuse des consuls improvisés amiraux. Quoi qu’il en soit, |
[1] Les Mamertins obtinrent tous les droits de Italiens ; ils furent astreints à fournir des vaisseaux de guerre (Cicéron, in Verr., V, 19, 50). On voit par les médailles qui nous restent qu’ils n’eurent pas le droit battre monnaie d’argent.
[2] Echetla, à l’ouest de Syracuse, dans l’intérieur, et sur la chaîne des monts Héréens.
[3] Alœsa, sur la côte nord, à moitié route entre Messine et Panormus. — Centoripœ, à l’est de Catane, et sur la route allant de cette ville à Agrigente.
[4] Ηενσήρης, penteris, mot grec synonyme du latin quinqueremis.
[5] V. Corp. Insc. Rom., p. 18, n° 32. — V. Tite-Live, ep., 17. — Zonaras, 8, 11. — Florus, I, 18, etc.
[6] Je crois exagérés les récits selon lesquels Carthage n’aurait dû son salut qu’à Xanthippe et à ses talents militaires. Les officiers carthaginois n’avaient pas besoin sans doute qu’il vint leur apprendre que la cavalerie légère des Africains s’employait en rase campagne avec tout avantage, et bien mieux que dans les pays de montagnes et de forêts. Polybe lui-même ne s’est pas assez tenu en méfiance contre ces traditions erronées, écho des récits vantards des corps de gardes grecs. — Quant à soutenir qu’après la victoire les Carthaginois auraient mis Xanthippe à mort, c’est là une invention pure : il s’en retourna librement, entrant même, à ce qu’il parait, au service de l’Égypte.
[7] On ne sait, rien sûrement de la fin de Regulus. Son envoi à Rome que les uns placent en 503, les autres en 513, n’est nullement un fait démontré. Dans les temps postérieurs, alors que les vicissitudes de la fortune romaine servaient de thème dans les écoles, Regulus est devenu le type du héros malheureux, comme Fabricius celui du héros pauvre : leur nom défraye une foule de contes et d’inventions obligées. Paillettes et clinquant maladroitement jetés sur le costume simple et sévère de l’histoire !
[8] Qu’on croit le même que le Pulchrum Promoratorium, au Cap Bon.
[9] Cefalu ; Santa-Maria in Tindaro, non loin de Milazzo.
[10] Que les Carthaginois aient également promis de ne point envoyer de vaisseaux de guerre dans les parages appartenant à la confédération romaine, à Syracuse, par conséquent, peut-être même à Messine (Zonas., 8, 17), c’est ce qui parait très vraisemblable : toutefois, le texte du traité ne le dit pas (Polybe, 31.27).