Dans l’antiquité les progrès de l’art et de la poésie romaine sont étroitement liés aux fêtes populaires. Les grands jeux ou jeux romains que nous avons vus sous les rois former, à l’imitation des Grecs, la solennité principale de la fête extraordinaire d’actions de grâces, s’accroissent encore durant la période actuelle, et par le nombre et par la durée des réjouissances. Ils devaient jadis commencer et finir le même jour ; mais, après l’heureuse issue des trois grandes réformes de 245, 260 et 387 [509, 494 et 367 av. J.-C.], ils sont allongés chaque fois d’un jour, en sorte qu’à la fin de l’époque où nous sommes, ils durent quatre jours pleins[1]. Une autre modification plus importante est celle ci : confiée désormais à la surveillance et aux soins des édiles curules (387 [-367]), qui viennent d’être expressément institués, la fête des grands jeux perd son caractère de solennité extraordinaire, elle n’est plus célébrée pour l’accomplissement d’un vœu émané du général d’armée ; et elle prend sa place dans le calendrier parmi les anniversaires réguliers. Mais, comme par le passé, elle se termine officiellement par le spectacle principal de la course des chars, laquelle n’a lieu qu’une seule fois. Pour les autres jours, le gouvernement laisse au peuple le soin de ses amusements, bien qu’il ne manque ni de musiciens, ni de danseurs, ni de sauteurs de corde, escamoteurs ou bouffons gratuits ou à louer. En 390 [364 av. J.-C.], une autre innovation est introduite, qui
concorde avec l’arrangement nouveau de la périodicité fixe et de
l’allongement de la fête. Durant ses trois premiers jours, un échafaud en
planches est dressé dans l’arène aux frais de l’État, et des représentations
scéniques y attirent la foule. Comme d’ailleurs il ne faut pas être entraîné
au delà d’une juste limite, il est ouvert, une fois pour toutes, un crédit de
200.000 as (311.300 thalers, ou 53.625 fr.) sur le trésor pour parfaire les
frais : ce crédit n’a pas été dépassé jusqu’au temps des guerres puniques. Le
surplus des dépenses est mis à la charge des édiles, chargés de l’emploi de
la somme. Tout porte à croire qu’ils n’ont eu que bien rarement encore à
contribuer de leurs propres deniers. Le théâtre ainsi inauguré, revêt
aussitôt la forme grecque : son nom seul l’atteste assez (scœna, σxηνή).
Ces tréteaux étaient plus spécialement affectés aux joueurs d’instruments et
aux bouffons de toutes espèces, aux flûtistes surtout, dont les plus renommés
et les meilleurs venaient de l’Étrurie. A dater de ce jour, Rome a sa scène
publique, désormais ouverte aux ouvres de ses poètes. Car les poètes sont déjà nombreux dans le Latium. Les
acteurs et chanteurs ambulants (grassatores[2],
spatiatores) allaient de ville en ville, et
de maison sen maisons, colportant leurs chansons (saturœ)
accompagnées de danses mimiques au son de la flûte. Le mètre n’était autre
que le mètre saturnien, seul alors connu.
Nulle action précise dans ces petits poèmes ; nul dialogue obligé :
on s’en peut faire une idée par les ballate et les tarantelle,
tantôt improvisées, tantôt débitées sur la même note, qui de nos jours encore
arrêtent les passants devant la porte des osterie
romaines. Les tréteaux de la fête reçurent aussi ces baladins ; et de
là, je le répète, sortit le théâtre. Ses débuts ne sont pas seulement
modestes, comme partout ; ils sont aussi tout d’abord l’objet d’une
rigoureuse censure. Voyez les XII Tables ; elles s’attaquent à ces
chansons mauvaises ou frivoles ; elles infligent des peines sévères à
quiconque débite des chants magiques ou même satiriques contre un citoyen, ou
va les réciter devant sa porte ; elles interdisent aussi les pleureuses
dans les funérailles[3]. Mais si les
restrictions légales demeurèrent sans effet, l’art encore enfant reçut une
blessure bien plus profonde sous le coup de la proscription morale, décrétée
contre tous ces métiers frivoles et mercenaires par l’austérité
inintelligente et dure des vieux Romains. La
profession de poète était jadis inconnue : c’est Caton qui parle
: Ils méritèrent le nom de fainéants ceux qui les
premiers s’y adonnèrent, ou allèrent chanter dans les banquets !
Danseurs, musiciens, chanteurs ambulants et à gages se virent donc atteints
d’une double tâche, et à raison de la nature de leurs exercices et aussi
parce que l’opinion publique tint en plus grand mépris, chaque jour, tous
ceux qui gagnaient leur vie en faisant payer leurs services. Jadis on était
plus indulgent ; on pardonnait à l’ardeur joyeuse de ces jeunes gens qui
se mêlaient aux mascarades à caractère usitées dans le pays latin ;
mais, monter sur le théâtre public pour de l’argent et sans masque, devint
chose vile : chanteur et poète, danseur de corde et arlequin, tous furent mis
impitoyablement sur la même ligne. Les censeurs les déclarèrent indignes de
servir dans la milice civique, et de voter dans l’assemblée du peuple. La
direction des représentations scéniques fut placée, chose remarquable, sous
la surveillance spéciale de la police urbaine ; et de plus, quiconque
exerçait la profession d’artiste dramatique se vit à la merci d’un arbitraire
sans recours de la part du magistrat. A la fin de la représentation, celui-ci
jugeait les acteurs : le vin coulait à flots pour les habiles, et le bâton
jouait sur les épaules de ceux déclarés mauvais. Enfin tous les officiers
publics de la cité, quels qu’ils fussent, avaient sur eux, en tout lieu et à
toute heure, le droit de châtiment corporel et d’arrestation. Quoi d’étonnant
dès lors, si la danse, la musique et la poésie, celles du moins qui se
produisent sur la scène, étaient tombées dans les mains des plus vils parmi
le peuple, et surtout dans les mains des étrangers. La poésie n’a encore
qu’un rôle infime : les étrangers n’ont pas intérêt à s’y adonner. On
peut sans difficulté reconnaître que, dès ces temps, la musique sacrée et
profane à Rome est devenue essentiellement étrusque, et que l’ancienne flûte
latine, si estimée jadis, a cédé le pas à d’autres instruments venus du
dehors. — De littérature poétique, il n’est évidemment pas question. Les jeux
des masques, les récits scéniques ne se font pas sur un texte rédigé à
l’avance ; l’acteur les improvise selon les besoins du moment. —
Quelques œuvres écrites ont-elles alors vu le jour ? Les temps
postérieurs n’ont rien cité qu’une sorte de catéchisme des œuvres et des
jours, qu’une sorte de programme de travaux donné par un paysan à son fils[4] et que les
poésies pythagoriciennes d’Appius Claudius, dont nous avons parlé, et qu’il
faut certainement considérer comme la première imitation latine de la poésie
de Les commencements de l’art historique, comme ceux du
théâtre, appartiennent à la période actuelle. Les événements contemporains
notables, et l’arrangement sur des bases tout de convention de la légende
anté-historique de Rome, font la matière de ces premiers travaux. Les
magistrats, faits contemporains prennent place dans les listes des
magistratures. La plus ancienne de toutes, celle que les antiquaires romains
ont eue sous les yeux, et qui nous est parvenue par leur intermédiaire,
provenait, là ce qu’il parait, des archives du temple de Jupiter Capitolin.
Elle contient les noms consulaires annuels, à dater de Marcus Horutius,
qui consacra ce temple le 13 septembre de l’année de sa charge ; elle
mentionne le vœu fait à l’occasion d’une épidémie sous les consuls Publius
Servilius et Lucius Æbutius (l’an 291 [463 av. J.-C.] de la ville, suivant la
computation usitée désormais), et aux termes duquel un clou devra être
fiché tous les cent ans dans la muraille du sanctuaire. Plus tard, c’est aux hommes instruits dans
la science des mesures et des écritures, c’est aux pontifes, que fut donnée
la mission de tenir à jour les listes des magistrats ; et, par suite,
d’inscrire les années, comme ils inscrivaient déjà les mois. Leurs livres
prennent alors le nom de fastes ; qui sert aussi plus
spécialement à désigner les jours judiciaires (dies fasti). L’institution des annales officielles a dû
suivre de près l’expulsion, de la royauté, car il fallut bien alors, pour
constater la série chronologique des actes publics, constater officiellement
aussi là succession des magistrats annuels. Mais les plus anciennes et les
premières de ces listes, si elles ont en effet existé, ont vraisemblablement
péri dans l’incendie des Gaulois, de 364 [-390]. La liste du collège des pontifes
s’est complétée, sans doute, en s’aidant des annales capitolines, et
en remontant aussi loin qu’elles-mêmes. Nous possédons une liste de consuls,
complétée après coup, pour les détails accessoires, et notamment pour les
faits généalogiques, à l’aide des généalogies privées de la noblesse, et
s’appuyant d’ailleurs, pour tout ce qui est essentiel, sur des documents
contemporains et dignes de foi ; mais elle n’indique qu’imparfaitement
et par à peu près les années selon le calendrier, parce que les chefs de la
cité n’entraient en charge ni au nouvel an, ni à un jour fixé une fois pour
toutes ; parce que les prises de possession avaient lieu tantôt à une
époque, tantôt à une autre ; et que souvent, enfin, les interrègnes
entre deux consulats se plaçaient tout à fait en dehors de l’échéance annale
des charges. Lors donc qu’on voulut faire le compte, des années du
calendrier, en prenant les listes officielles pour base, il fallut préciser
d’abord la date exacte de l’entrée en fonctions et de la sortie pour chaque
magistrature, les interrègnes y compris ; ce qui fut fait de très bonne
heure. Du reste, on fit concorder la série des magistrats annuels avec la
série par années du calendrier : on donna à chacune de ces années son couple
de magistrats, et quand il se présenta des lacunes, on les combla au moyen
d’années supplémentaires ; celles-ci, dans les Tables varoniennes plus
récentes, portent les chiffres suivants : 370 à 383, 421, 430, 445, Il était naturel de mentionner, à côté des noms des
magistrats, les événements les plus importants survenus durant leur charge.
De telles mentions furent faites et servirent, plus tard, à écrire la chronique
romaine, de même qu’au moyen âge les Tables paschales avec leurs
courtes notices, ont fourni de précieux éléments à l’histoire. Ces mentions
remontaient jusqu’à la plus ancienne série des Tables annuelles ; et
l’on y a retrouvé, par exemple, l’indication du partage en vingt et une
tribus, en l’an 259 [495
av. J.-C.], et celle de l’enlèvement du vieux figuier du Forum, en 260
[-494]. Un peu
plus tard, la chronique est régulièrement et officiellement écrite ; et
le livre annal (liber annalis) des
pontifes relate désormais tous les noms des magistrats et tous les faits
notables. Avant l’éclipse de soleil du 1er juin 351 [-403], qui,
peut-être, n’est autre que celle du 20 juin 354 [-400], on n’en trouve aucune autre
indiquée comme ayant été vue à Rome. Ce n’est guère non plus qu’au
commencement du Ve siècle de la ville, que les chiffres du cens peuvent être tenus
pour vrais. C’est aussi à partir de la seconde moitié du Ve siècle que sont
inscrits dans la chronique toutes les expiations publiques, tous les signes
merveilleux pour lesquels il est fait des sacrifices propitiatoires. Enfin,
dans la première moitié de ce siècle encore, suivant toute apparence, le
livre des annales a été organisé d’une façon régulière ; en même temps,
cela va de soi, les anciennes listes ont été révisées suivant les calculs
indiqués par nous tout à l’heure, en se conformant à l’ordre des années, et
en y ajoutant, au cas de, besoin, un certain nombre d’années complémentaires.
Mais le grand pontife a beau inscrire exactement les courses de guerre et les
colonisations, les pestes et les temps de cherté, les éclipses et autres
prodiges, les décès des prêtres et des hommes considérables, les nouvelles
lois, les résultats du cens ; il a beau placer son livre dans sa demeure
officielle, pour y perpétuer les souvenirs du passé, et les tenir à la
disposition des citoyens, ce n’est point là encore l’histoire ; tant
s’en faut. A la fin de notre période, les énonciations des annales, en ce qui
touche les faits contemporains, étaient très insuffisantes, et laissaient le
plus ample champ à l’arbitraire des annalistes futurs. On en trouve la preuve
frappante quand on compare la mention qui y est faite de la campagne de 456 [298 av. J.-C.] avec
le texte de l’inscription tumulaire du consul L. Scipion Barbatus.
Impossible, pour les historiens postérieurs, de tirer des notes frustes du
livre officiel un récit clair, lisible et suivi ; impossible pour nous, quand
bien même nous le posséderions encore dans sa forme primitive[6], d’y puiser les
matériaux d’un travail régulier et complet sur les événements de cette
époque. Au reste, ce n’était point à Rome seulement que se tenait le livre
annal. Chaque ville latine, comme elle a ses pontifes, a aussi son registré
officiel : on le sait par quelques débris venus jusqu’à nous de ceux d’Ardée,
d’Amérie, d’Interamne sur le Nar (auj. Terni[7]). Leur perte est
chose regrettable : elles eussent fourni vraisemblablement, recueillies et
comparées ensemble, un trésor de faits pareils à ces chroniques conventuelles
où la critique moderne va chercher avec succès le tableau historique du moyen
âge. Malheureusement, on a mieux aimé à Rome compléter les lacunes de
l’histoire en donnant droit d’asile aux brillants mensonges des Grecs, ou à
ceux imaginés à l’instar de En dehors de ces maigres documents, rédigés d’une main peu sûre quoique officielle, on ne rencontre, durant la période actuelle, aucun travail réel d’histoire directe, enregistrant et les dates précises et les faits. De chroniques privées, nulle trace ; seulement, dans quelques maisons considérables, l’usage s’était établi de dresser des tables de famille, dont l’importance était grande au point de vue du droit : l’arbre généalogique y était peint sur les murs du vestibule. Assurément on y faisait mention des charges remplies ; et les listes, ainsi dressées, constituaient un sérieux point d’appui pour les traditions de famille ; un peu plus tard, il y fût joint des indications biographiques. Quant aux oraisons commémoratives [laudes], toujours prononcées aux funérailles des nobles morts, le plus souvent par un de ses proches, elles ne renfermaient pas seulement l’énumération de ses vertus et de ses dignités ; elles rappelaient aussi les exploits et les vertus des ancêtres ; et elles se transmirent de bonne heure de familles en familles par la tradition des souvenirs. Source précieuse de renseignements qui autrement, se seraient perdus, elles ont souvent aussi prêté matière aux falsifications et aux interversions de faits les plus audacieuses. En même temps que l’histoire commence à être écrite à
Rome, commence aussi pour les temps anté-historiques le travail des arrangements
et des récits mensongers. Leur source est la même que partout ailleurs.
Certains noms, certains faits, les rois Numa Pompilius, Ancus Marcius, Tullus
Hostilius, la délaité des Romains par le roi Tarquin, puis l’expulsion des
rois Tarquins par le peuple, s’étaient vraisemblablement perpétués dans la
bouche de tous, en conservant, dans l’ensemble, le cachet de la vérité. Les
traditions des races nobles, la chronique Fabienne, par exemple, avaient
empêché d’autres faits de tomber dans l’oubli. Ailleurs, les institutions
primitives, celles juridiques notamment, avaient revêtu les formes du symbole
ou de l’histoire : témoin, la consécration de Rome, rattachée à la légende du
meurtre de Remus ; la suppression de la vendetta du sang après le meurtre de
Tatius ; les nécessités de la défense de la ville et les ordonnances
relatives au pont de bois, concordant avec l’aventure d’Horatius Coclès[8] ; l’origine
de l’appel au peuple, et l’exercice du droit de grâce racontés dans le beau
récit des Horaces et des Curiaces ; témoin encore, l’affranchissement,
et la collation du droit civique aux affranchis, dans l’affaire de la
conjuration des Tarquins révélée par l’esclave Vindex ! Il en
faut dire autant de la légende de la fondation de Rome, à l’aide de laquelle
Rome se rattache au Latium, et à l’ancienne métropole latine d’Albe. D’autres
faits encore : les surnoms, par exemple, portés par les grands
citoyens ; devinrent l’objet de commentaires historiques. C’est ainsi
que Publius Valerius, le serviteur du peuple (poplicola),
donna matière à une multitude d’anecdotes. Le figuier sacré du Forum,
d’autres lieux et d’autres particularités de la ville eurent, à leur tour,
leurs chroniques pieuses nées en foule sur ce même sol où, mille ans plus
tard, germeront les légendes des Merveilles de la ville (Mirabilia urbis[9]). En même temps
on s’efforce de relier entre eux tous les contes, toutes les
traditions ; de dresser la liste complète des sept rois, d’arrêter les
dates de leurs règnes ; et, calculant par générations communes, de leur
assigner une durée totale de 240 ans[10]. On commence
même à inscrire ces calculs dans les relations officielles. Bientôt les
traits principaux du récit, sa chronologie toute vicieuse se fixent, se
précisent d’une manière immuable ; et cela, même avant l’ère littéraire
des Romains. Quand, en 358 [396 av. J.-C.], la louve d’airain, allaitant les deux jumeaux
Romulus et Remus, est fondue et érigée près du figuier sacré ; déjà les
Romains, vainqueurs des Latins et des Samnites, professent, sur les origines
de leur ville, des croyances populaires identiques à celles que Tite Live
adoptera plus tard. Dès 465 [-289], le Sicilien Callias, fait mention des Aborigènes
: imagination naïve et premier essai de la critique historique chez les races
latines. Les chroniques veulent raconter toujours les temps antérieurs à
l’histoire, et, si, elles ne remontent pas jusqu’à la création du ciel et de
la terre, du moins elles s’efforcent d’aller jusqu’à celle des sociétés. Il
est un fait certain, c’est que les tables des pontifes portaient inscrite
l’année de la fondation de Rome. Et tout nous porte à croire que, quand, vers
la première moitié du Ve siècle [vers 300 av. J.-C.], le collège des pontifes, ne se
contentant plus des simples listes des magistrats, voulut écrire un véritable
et plus utile annuaire, il plaça tout d’abord en tête l’histoire, inconnue
jusque-là, des rois de Rome, et celle de leur chute. Puis, comme il reportait
la fondation de Rattacher l’Italie à Les fables helléniques, relatives à l’Italie, sont donc
venues de Sicile. Ont-elles déjà trouvé faveur dans Pendant que chez les Grecs, l’Histoire ou la légende que l’on appelait de ce nom, reconstruisait à sa manière les origines de l’Italie, elle laissait absolument de côté le récit des faits contemporains. Un tel oubli porte avec soi la condamnation dans l’art historique de ces temps. A la même époque, et au cours de leur décadence, les écrivains helléniques nous ont infligé les plus sensibles pertes. C’est à peine si Théopompe de Chios (il s’arrête en 418 [-336]) mentionne en passant la prise de Rome par les Gaulois. Aristote, Clitarque, Théophraste, Héraclide du Pont, mort vers 450 [-304], disent deux mots à peine de certains faits intéressant les Romains. Vient enfin Hiéronyme de Cardie, l’historiographe de Pyrrhus. Il écrit aussi la chronique de ses guerres italiennes ; et par lui, pour la première fois, l’art grec ouvre enfin la série de ses monuments relatifs à l’histoire romaine proprement dite. La jurisprudence a été fondée sur une base impérissable par la codification du Droit civil, en 303 et 304 [-451 et -450]. Le:code en question est bien connu sous le nom de lois des XII Tables. Il est en même temps la plus ancienne œuvre écrite en latin qui puisse s’appeler un livre. Dans le fond, les lois Royales elles-mêmes, comme on les appelait, ne sont pas d’une date beaucoup plus récente. Elles ne consistaient guère, d’ailleurs, qu’en une série de prescriptions le plus souvent relatives aux rites, fondées sur la coutume, et vraisemblablement portées à la connaissance de tous, sous forme de soi-disant ordonnances des rois, par le collège des Pontifes ; lesquels, s’ils n’avaient pas le pouvoir de légiférer, avaient du moins celui de déclarer les lois. Je suppose que, dès les premiers temps de notre période, les sénatus-consultes les plus importants, sinon les plébiscites, ont été régulièrement conservés par l’écriture : nous savons que, dans les premières luttes civiles entre les classes, on s’en disputait aussi la garde. En même temps qu’augmentait le nombre des textes, la science du droit voyait aussi ses fondements se poser et s’affermir. Les magistrats, nouveaux chaque année, les juges jurés, pris dans le sein du peuple, avaient besoin de l’avis d’hommes spéciaux (auctores), sachant la procédure et les précédents, et pouvant, à défaut de précédents fournir les motifs solides de la décision juridique. Les Pontifes, consultés sans cesse pour l’indication des jours fastes ou judiciaires, pour les actes du droit sacré, pour toutes les difficultés relatives au culte des Dieux, se mirent à donner aussi des consultations sur les points de droit. Ce fut donc au milieu d’eux que se forma la tradition, longtemps prédominante dans la loi privée des Romains, d’un système des formules pour toutes les actions à porter régulièrement en justice. Vers 450 [304 av. J.-C.], Appius Claudius, ou son greffier Gnœus Flavius, publia, avec le Calendrier des jours fastes, le plus ancien recueil des Actions. Mais ce premier essai, d’un art qui n’avait pas encore conscience de lui-même, demeura longtemps isolé et incomplet. Déjà, d’ailleurs, les connaissances et la profession du légiste étaient une puissante recommandation auprès du peuple ; elles ouvraient la voie vers les hautes dignités. Que si, pourtant, l’on raconte que le premier Pontife plébéien, Publius Sempronius Sophus (consul en 450) et que le premier Grand Pontife, également plébéien, Tiberius Coruncanius (consul en 474 [-280]), durent leurs succès surtout à leur science juridique, c’est là plutôt une conjecture émise par les écrivains des temps postérieurs, qu’un exemple formellement attesté par la tradition. La genèse des langues latines et italiotes se place, on le sait, avant la période actuelle. Quand s’ouvre celle-ci, le latin est déjà constitué, dans ses éléments essentiels. On s’en convainc facilement en lisant les fragments qui nous restent des XII Tables ; fragments dont l’idiome nous est arrivé, sans doute, modernisé par la tradition orale ; mais où l’on trouve cependant un certain nombre de mots archaïques et de rudes liaisons ; où l’on remarque, par exemple, l’abandon du sujet indéfini. D’ailleurs, nulle difficulté d’interprétation, comme il s’en rencontre dans le chant des Arvales. La langue ressemble bien plus à celle de Caton qu’à celle des anciennes litanies. Si, au commencement du VIIe siècle, les Romains avaient peine à comprendre les écrits du Ve, cela provenait, sans doute, de ce que la critique philologique n’existait pas encore, non plus que l’étude des anciens monuments. Par contre, au moment où commence la rédaction et l’interprétation des lois écrites, la langue des affaires se fixe et se développe : elle a ses formules et ses inflexions déterminées ; elle énumère sans fin les détails de sa casuistique ; et ses périodes à perte d’haleine, ne le cédant en rien à la phraséologie des Anglais modernes en ce genre, se recommande aux initiés par la subtilité précise de ses définitions ; tandis que, pour le commun public, selon la nature ou l’humeur de chacun, elle est un objet de respect, d’impatience ou de colère. Enfin, nous assistons aussi au début de la philologie
rationnelle, appliquée aux idiomes indigènes. D’abord, comme nous l’avons vu plus
haut (Livre 1),
les dialectes latins et sabelliques menaçaient de tomber dans la
barbarie : élision des désinences, assourdissement des voyelles et des
consonnes délicates, il se fait là un travail pareil à celui dont les idiomes
romans ont subi les effets, au Ve et au VIe siècle de l’ère moderne. Mais
bientôt une réaction s’opère : chez les Osques, les lettres d
et r ; chez les Latins, le g et le k,
un instant confondus, se séparent de nouveau, et reprennent leurs signes
distincts. L’o et l’u, qui n’ont point eu jadis
leurs caractères séparés dans l’osque, et qui, bien distincts d’abord dans le
latin, avaient aussi paru devoir se confondre, reprennent tous deux leur type
propre. L’i osque se dédouble en deux signes et deux
sons ; enfin l’écriture se conforme à la prononciation, autant du moins
qu’il est possible ; par exemple, chez les romains l’s fait
constamment place à l’r. Certains indices chronologiques
reportent ces remaniements au Ve siècle. Ainsi, vers l’an 300 [454 av. J.-C.], on
ne trouve pas encore le g latin ; vers 500 [-254], on le
rencontre. Le premier consul de La jurisprudence et la grammaire commençant à fleurir ; l’instruction élémentaire, qui remontait déjà à l’époque précédente, dut en recevoir une certaine impulsion. Le livre d’Homère, le plus ancien des livres grecs, le Code des XII Tables, le plus ancien écrit romain, ont été, chacun dans leur patrie respective, la base de l’enseignement. Les enfants de Rome eurent à apprendre par cœur, c’était là leur principale étude, le manuel de droit civil et politique condensé dans les XII Tables. Outre les maîtres de lettres latines (litteratores), il y avait aussi à Rome, depuis que la langue grecque était devenue l’indispensable auxiliaire du commerçant, de l’homme d’État, des professeurs de langue grecque (grammatici[16]), tantôt esclaves ou intendants du chef de maison, tantôt instituteurs privés, qui enseignaient la lecture et l’écriture grecques, soit chez eux, soit au domicile de l’élève. Le bâton avait son rôle dans l’éducation, comme à l’armée, comme dans la police, nous n’avons pas besoin de le dire[17]. L’éducation n’avait d’ailleurs, pas encore franchi les degrés élémentaires ; et nulle distinction sociale ne séparait le Romain instruit du Romain resté ignorant. Les Romains n’ont jamais marqué dans les sciences exactes et dans les arts mécaniques : en ce qui touche notre époque, la preuve en ressort d’un fait unique qui s’y rapporte sûrement ; je veux parler de la rectification du calendrier essayée par les Décemvirs. Abandonnant celui jusqu’alors en usage, et calculé sur l’antique période triétérique, que l’on sait si imparfaite ; ils cherchèrent à le remplacer par la période attique de huit ans (ỏxταετηρíς), qui garde le mois lunaire de vingt-neuf jours et demi ; donne à l’année solaire trois cent soixante-cinq jours et demi, au lieu de trois cent soixante-huit jours trois quarts ; et qui assignant immuablement à l’année commune une durée de trois cent soixante-quatre jours, au lieu de leur ajouter, ainsi qu’on l’avait fait jusqu’alors, cinquante-neuf jours tous les quatre ans, en ajoute tous les huit ans quatre-vingt-dix. Partant de ces bases, les réformateurs actuels, tout en conservant les autres dispositions en vigueur dans les années intercalaires du cycle quadriennal, projetèrent d’abord de raccourcir de sept jours, non pas les mois intercalaires eux-mêmes, mais bien les deux mois de février ; et de leur assigner non plus vingt-neuf et vingt-huit jours, mais vingt-deux et vingt-et-un jours seulement. Puis, ignorants qu’ils étaient des sciences mathématiques, inspirés d’ailleurs par des scrupules pieux, et ayant égard plus que de raison à la fête du Dieu Terme, qui précisément tombe dans ces mêmes jours de février, ils embrouillèrent tout en essayant de tout réformer, et donnèrent aux deux mois en question vingt-quatre et vingt-trois jours, portant ainsi l’année solaire romaine à trois cent soixante-six jours et un quart. De là dans le calendrier nouveau un désordre considérable auquel il fallut promptement porter remède. Les mois devenant par trop inégaux, il n’était plus possible de compter par mois du calendrier, ou par périodes déca-mensuelles. Quand donc il fut besoin de préciser les dates, on calcula par périodes de dix mois de l’année solaire de trois cent soixante-cinq jours, ou par les dix mois, comme on les appelait, de trois cent quatre jours. En outre, les paysans italiens pratiquèrent spécialement, et cela, de bonne heure, le calendrier rural d’Eudoxus, basé sur l’année solaire égyptienne de trois cent soixante-cinq jours et un quart (Eudoxus florissait en 386 [368 av J.-C.])[18]. Dans les arts du dessin et de la construction, arts
étroitement liés aux sciences mécaniques, les oeuvres des Italiques donnent
une meilleure idée de leur savoir-faire. Non que leurs travaux se
recommandent par une originalité vraie, loin de là, ils portent tous
l’empreinte de cet esprit d’imitation, qui caractérise les créations
plastiques de l’Italie. Mais si, à ce point de vue, l’intérêt artistique leur
fit défaut, une haute valeur historique demeura du moins attachée à tous ces
remarquables témoins de relations internationales appartenant à une époque
oubliée et jadis actives, et à tous ces curieux produits de l’industrie des
divers peules italiques, pour qui, à l’exception de Rome victorieuse,
l’histoire avait déjà irrémissiblement pris fin. Rien de nouveau à dire sur
ce sujet mais ce que nous avons dit et démontré ailleurs (Livre I) se
confirme ici d’une façon plus complète et plus saisissante. Dans toutes les contrées de Comme l’architecture, et mieux qu’elle encore, s’il est
possible, les arts du dessin et de la statuaire, pour n’avoir pas été dans la
réalité fécondés et fertilisés par Que si nous leur comparons les Italiques proprement dits,
ils nous semblent d’abord bien pauvres en face de cette richesse artistique
de l’Étrurie. Mais d’un examen plus attentif il ressort promptement que les
peuples sabelliques et latins étaient, infiniment mieux doués que leurs
voisins du nord. Commençons par le dire, dans les régions sabelliques pures, dans
En ce qui touche les Latins, il n’est pas moins sûr, quoiqu’on sache moins généralement le fait, que si les Étrusques les devançaient beaucoup par la richesse et la profusion de leurs objets d’art, ils ne l’emportaient sur eux ni par le sentiment, ni par l’habileté de main. La taille des pierres précieuses, savamment pratiquée dans la luxueuse Étrurie, était, il est vrai, inconnue à Rome ; et les ouvriers latins n’exportaient pas comme leurs voisins des pièces d’orfèvrerie et des terres cuites. Les temples latins n’étaient pas non plus surchargés de reliefs de bronze ou d’argile ; les tombeaux du Latium n’étaient pas remplis d’ornements d’or ; enfin, l’on n’y voyait pas les murailles resplendir de peintures variées. Il n’importe : dans l’ensemble, l’avantage ne demeure pas aux Étrusques. La figure du Janus, aux yeux dès Latins véritable image de la divinité, peut-être, n’est rien moins qu’une invention maladroite : l’art étrusque n’a pas produit d’œuvre aussi originale. Le temple ancien de Cérès témoignait des travaux d’artistes grecs de renom, venus à Rome ; le sculpteur Damophile qui, avec Gorgasus, l’orna de terres cuites peintes, est le même sans doute que Démophile d’Himère, qui fut le maître de Zeuxis (vers 300 [454 av. J.-C.]). Rien de plus instructif et de plus intéressant que les divers monuments d’art qui, parvenus jusqu’à nous, ou mentionnés, dans les sources, nous permettent encore aujourd’hui de comparer et d’asseoir notre jugement. Des monuments de pierre du Latium, il ne reste guère qu’un sarcophage de style dorique, appartenant à la fin de la période présente, et connu sous le nom de sarcophage du consul romain Lucius Scipion ; la simplicité noble de ses lignes ferait honte à toutes les oeuvres étrusques du même genre. Dans les tombeaux toscans on a rencontré bon nombre de beaux bronzes d’un style archaïque sévère, des casques, des lampes et autres objets analogues ; mais nul d’entre eux ne saurait être comparé à la louve de bronze, faite du produit des amendes criminelles, et placée (l’an 458 [296 av. J- C.]) près du figuier ruminal, sur le Forum[20] ; ce morceau d’art fait encore le plus bel ornement du Capitole moderne ! Les fondeurs latins ne reculaient pas plus que leurs voisins devant de grandes dépenses c’est ainsi que Spurius Carvilius (consul en 461 [-293]), avec les armures prises sur les Samnites, fit couler pour le Capitole une statue colossale de Jupiter, aux pieds de laquelle se voyait debout la statue du vainqueur, celle ci fondue avec les rognures tombées sous le burin du ciseleur. On apercevait le colosse depuis le mont Albain. Parmi les monnaies coulées en bronze, les plus belles appartiennent certainement au Latium méridional ; les monnaies romaines et ombriennes sont médiocres ; celles étrusques sont presque sans effigie, et souvent même tout à fait barbares. Les peintures murales que Gaius Fabius fit faire dans le Temple du Salut, consacré au Capitole, en l’an 452 [-302], enlevaient encore, et pour le dessin et pour la couleur, tous les éloges des artistes grecs si habiles du siècle d’Auguste ; enfin, les critiques enthousiastes de l’ère impériale admirent sans réserve et prisent comme des chefs-d’œuvre les fresques de Cœré, et surtout les fresques romaines, celles de Lanuvium ou celles d’Ardée. Le dessin au trait sur métal servait en Étrurie à l’ornement des miroirs à main ; dans le Latium il était davantage employé pour les cistes ou cassettes de toilette. Il est toujours assez rare chez les Latins, sauf à Préneste, où on le voit en faveur. Les miroirs toscans, comme les cassettes prénestines, offrent aussi de précieux spécimens : toutefois, ici encore la palme appartient aux travaux de ce dernier genre, à la ciste sortie, sans doute dans ces temps, de l’atelier d’un maître prénestin. L’antiquité tout entière ne nous a pas légué d’œuvres graphiques d’un caractère plus parfait et plus beau, d’un art plus pur et plus sérieux à la fois que ceux qui donnent tant de prix à la ciste ficoronienne[21]. Le caractère général des œuvres d’art étrusques consiste dans le luxe barbare, excessif, de la matière et du style, joint à la pénurie absolue de sentiment. Là où le maître grec se contente d’une rapide esquisse, son disciple toscan appesantit une attention studieuse, pénible et qui sent l’écolier : à la place de la matière légère, et des proportions modestes adoptées par les Grecs, l’Étrusque affecté là grandeur démesurée : il lui faut pour son travail, un objet précieux ou un sujet simplement bizarre. Il ne sait pas imiter sans exagérer : chez lui la sévérité devient dureté, l’agrément mollesse ; la terreur devient horrible ; la volupté se change en luxure ; et l’on y constate cette décadence croissante à mesure que va s’affaiblissant l’impression première venue des Hellènes, et que l’art toscan se voit réduit à ses propres forces. Ce qui nous frappé encore, c’est la persistance des formes et du style traditionnel. Faut-il expliquer ce phénomène par ce fait qu’au commencement, les relations amicales s’étant établies entre les Étrusques et les Grecs, ceux-ci auraient d’abord répandu chez les premiers les semences de l’art ; puisque, plus tard, les hostilités ayant succédé à la paix, l’Étrurie aurait fermé ses portes à ses maîtres, avant d’avoir pu franchir sous leur conduite les étapes progressives de son éducation artistique ? N’y a-t-il pas plutôt lieu de croire que la nation étrusque s’est arrêtée dans la voie qui s’ouvrait, par l’effet même de son immobilité intellectuelle ? Toujours est-il que l’art chez elle est resté ce qu’il était au jour où le secret lui en avait été transmis. On vit alors, chose bizarre, cet enfant mal venu de la civilisation grecque, passer aux yeux de tous pour l’initiateur et le père de celle-ci. Dès que les Toscans ne se sont plus contentés de conserver immuable le style de l’art rudimentaire importé dans leur pays, ils n’ont plus été que de pauvres ouvriers dans les branches nouvelles, la statuaire en pierre, ou la fonte des monnaies de bronze, par exemple : nouvelle preuve de la stérilité rapide de leur génie ! Le même enseignement ressort des peintures, des vases, extraits en quantités innombrables des caveaux funéraires des âges plus récents. Si l’industrie des poteries avait été contemporaine de la ciselure au trait sur les métaux, ou de la fabrication des terres cuites coloriées, ils eussent aussi appris à les produire en grand, et à les faire relativement belles ; mais quand celles-ci devinrent un luxe à la mode, les Étrusques laissés à eux-mêmes manquèrent tous leurs essais d’imitation. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les quelques vases que nous possédions, portant des inscriptions dans leur langue. Aussi bientôt, au lieu de les fabriquer chez eux, ils allèrent les acheter au dehors. Pour être tout à fait dans le vrai, nous devons néanmoins
distinguer entre l’Etrurie du nord et celle du sud. Les différences y sont en
effet remarquables dans les choses de l’art. C’est dans le sud, et notamment
dans les régions de Cœré, Tarquinies et Vulci, que l’on
retrouve ces pompeuses décorations des temples, ces peintures murales, ces
joyaux d’or, et ces poteries coloriées. Dans le nord, plus rien, ou presque
rien. On ne connaît pas un seul caveau décoré de peintures au-delà de Chuisi.
Les villes étrusques du sud, Véies, Cœré, Tarquinies passaient, selon la
tradition romaine, pour les berceaux et les capitales de l’art toscan ; tout
au nord au contraire, Volaterra, la cité ayant le plus vaste
territoire, demeure aussi la plus étrangère à l’art. Dans Tournons encore nos regards vers le Latium : là non
plus, ne se montre pas un monde artistique nouveau. Il faudra des siècles de
progrès pour tirer du principe du plein-cintre une architecture ignorée des
Grecs, et pour mettre la statuaire et la peinture en harmonie avec les
créations architecturales. Donc l’art
latin n’est point original, il est médiocre souvent ; mais sentir
vivement les beautés de l’art étranger, les choisir avec tact et savoir se
les approprier, c’est déjà faire oeuvre méritoire. Une fois sortis de la
barbarie, les Latins n’y retomberont pas aisément ; et leurs bons
ouvrages iront décidément de pair avec ceux des Grecs. Dans les premiers
temps, ils s’asservissent, je le reconnais, aux modèles que leur transmettent
leurs aînés et voisins, les étrusques (Livre I). Varron a pu affirmer avec
raison, que, jusqu’à la venue des artistes grecs chargés de la décoration du
sanctuaire de Cérès, les temples romains n’avaient jamais reçu d’autres
statues que les statues d’argile toscanes.
Mais, en somme, l’art grec seul a exercé une influence immédiate et décisive
sur les artistes latins ; les oeuvres même que nous venons de citer, les
monnaies latines et romaines le démontrent. Pendant que la gravure au trait,
chez les Étrusques, se restreint à l’ornementation des miroirs, dans le
Latium, on n’en use que pour celle des cassettes à toilette[22]. Les arts
importés dans les deux pays suivent aussitôt des voies tout autres. En même
temps, Rome n’est point encore la ville privilégiée des arts : les as et les
deniers romains sont de beaucoup surpassés, et pour la finesse et pour
l’élégance, du travail, par les monnaies latines de bronze et d’argent. De
même les oeuvres les plus considérables de la peinture appartiennent à
Préneste, à Lanuvium, à Ardée. Nous avons dépeint ailleurs le génie réaliste
et particulièrement sobre de |
[1] Les détails qu’on lit sur les fêtes latines, dans Denys d’Halicarnasse (6, 95. Cf. Niebuhr, 2, 40), et surtout dans Plutarque (ce dernier, il est vrai, se fondant sur un autre passage du même Denys, Camill., 42), doivent vraisemblablement plutôt s’appliquer aux jeux romains. Entre autres motifs de décider, je renvoie à Tite-Live (6, 42), qui en fait pleine foi. (Cf. Ritschl, parerg. 1, p. 313). Denys, persistant, comme il lui arrive souvent, dans une de ces erreurs dont il est coutumier, a interprété tout de travers la dénomination de Ludi Maximi. Une autre tradition, d’ailleurs, rattache l’origine de la grande fête, non pas, suivant l’opinion commune, à la défaite des Latins commandés par le premier Tarquin, mais à leur défaite sur les bords du lac Régille (Cicéron, de Div., 1 26, 53. Dionys., 7, 71). Les indications, fort importantes d’ailleurs, relatées par ce même auteur à l’endroit que nous venons de citer, ne peuvent, en réalité, s’appliquer qu’aux grandes fêtes annuelles et non à une fête votive accidentelle. Ce qui le prouve, c’est qu’il y est question de son retour périodique et d’un chiffre de frais correspondant exactement avec celui qu’on trouve énoncé dans le pseudo-Asconius (n. 142, édit. d’Orelli).
[2] Poeticœ artis honos non erat… si qui in e are studebat,… grassotor vocabatur. — Cat. dans A. Goll. Noct. attic. 11, 2 7.
[3] Qui malum carmen incantasset — malum venenum (VIIIe Tables). — Mulieres genas ne radunto. Neve lessum funeris ergo habento (Xe Table).
[4] Il en reste un court fragment : Après sec automne et printemps mouillé, Canaille, belle récolte en blé. — [Hiberno pulvere, verno luto, grandia farra, Camille, metes] — Nous ne savons pas sur quoi se fondaient ceux qui regardaient ce poème comme le plus ancien poème romain. (Macrin, Saturn., 5, 20 — Fest. ep. , v. Flaminius, p. 93. — M. Serv. sur Virg. Georg. 4, 101 — Pline, 17, 2, 14).
[5] Il n’y a que les premières années de la liste qui prêtent au soupçon, et auraient pu être ajoutées dans les temps ultérieurs, pour faire un chiffre rond de 120 années, à partir, de l’expulsion des rois jusqu’à l’incendie gaulois. [V. au Corp.. Insc. Latin., de Mommsen, les Fasti consulares, p. 445 à 456, et aussi les Commentarii ad fastos anni Juliani, p. 351 et 39.]
[6] Suivant les
annales, Scipion commanda en Étrurie; son collègue, dans le Samnium. Durant
cette même année,
[7] M. Mommsen a donné et commenté les fragments qui nous restent de ces annales et fastes des villes de l’Intérieur au Corp. Insc. Lat.
[8] V. Pline l’ancien (Hist. nat. 36, 15, 100). Il fait toucher du doigt le sens exact de la tradition.
[9] Histoire et description légendaire de Rome, imprimée plusieurs fois, à dater du XVe siècle et bien connue de tous les antiquaires. Elle porte aussi le nom de Graphia aureœ urbis Romœ. — V. Ozanam, Docum. inédits, p. 160.
[10] On comptait, ce semble, 3 générations pour un siècle, ce qui donnait 233 ans 1/3 de durée, soit 240 en nombres ronds, à la royauté. De même on avait fixé à 120 ans l’intervalle compris entre l’expulsion des rois et l’incendie de la ville. Ces chiffres s’expliquent facilement : nous avons dit ailleurs comment, par exemple, pour les mesures de surface, on avait été conduit à en accepter d’analogues.
[11] Il faut également
attribuer, à Stésichore, et à cette identification imaginée par lui des
indigènes de l’Italie et de
[12] Suivant le récit de Callias, une femme venue d’Ilion à Rome aurait épousé Latinus, roi des Aborigènes, et lui aurait donné trois fils, Romos, Romylos et Telegonos. Ce dernier, qui, sans nul doute, figure flans cette fable à titre de fondateur de Tusculum et de Prœneste, appartient évidemment à l’Odyssée.
[13] Peut-être
faudrait-il emprunter au titre de
[14] Le sacrifice du cheval (Equus bellator) avait lieu le 15 octobre. V. Preller, Mythol., p. 299.
[15] Dans les deux inscriptions tumulaires de Lucius Scipion, consul pour 466 [288 av. J.-C.], et d’un autre consul du même nom de l’année 495 [-259], les m et les d font régulièrement défaut dans les terminaisons des flexions : pourtant on y lit une fois Luciom et Gnaivod ; on voit l’un auprès de l’autre, au nominatif tous les deux, Cornelio et Filios ; cosol, cesor, à côté de consol, censor, œdiles, dedet, ploirume (pour plurimi) hec (nomin. sing.), à côté d’œdilis, cepit, quei, hic. La lettre r (le Rhota) prédomine déjà : on lit duonoro (pour bonorum), ploirume, à la différence des chants des Saliens, qui disent fœdesum, plusima. Les débris épigraphiques qui nous restent ne remontent pas en général au delà de l’époque de l’r (rhotacisme). A peine si l’on peut citer quelques traces d’inscriptions plus anciennes. Dans les temps postérieurs, on trouve encore, honos, labos, à coté de honor, labor ; et de même, parmi les surnoms féminins, on rencontre Maio (maios, maior), et Mino, dans les inscriptions Prénestines récemment découvertes.
[16] Il y a entre le litterator et le grammaticus, la même différence que chez nous, entre le maître d’école et le professeur proprement dit. Dans l’usage du parler ancien, le grammaticus était le professeur de grec, jamais celui de la langue natale. Litteratus est plus moderne ; il ne se dit jamais du maître d’école, et signifie un homme lettré.
[17] Plaute nous montre un coin de la vie romaine quand il dit la bonne vieille manière d’élever les enfants [Bacchid, III, 3, 27 et s] : Revenu à la maison, tu te plaçais auprès du maître sur ton escabeau ; et, en courte tunique, tu lisais ; et si tu manquais d’une seule syllabe, il en cuisait à ton dos, vergeté sous les coups à l’égal d’un manteau de nourrice !
[18] Eudoxus, astrologue grec, disciple de Platon.
[19] Le temple, circulaire
n’est point une imitation de la maison primitive, comme on l’a cru longtemps :
celle-ci, au contraire, a été d’abord carrée. — La théologie romaine rapportait
la rotonde à l’image symbolique du globe terrestre, ou à celle de la sphère du
monde, enveloppant le soleil placé au centre (Fest., v° rutundam, p. 282. — Plutarque, Numa,
11, — Ovide, Fast. 6, 267 et s.). Au
fond, la rotonde dérive tout simplement de ce principe que la forme ronde a
toujours paru la plus sûre et la plus commode, dès qu’il s’agit de construire
un local clos, un magasin, etc. C’est ainsi qu’étaient bâtis les Trésors des Grecs, aussi bien que
[20] C’est au pied de ce figuier que les deux jumeaux Romulus et Remus avaient été déposés par les eaux du Tibre, et qu’ils furent recueillis et allaités par une louve. — Rumes ou Rumœ, vieux mot voulant dire mamelles : d’ou le nom de Ruminal. — Varron, de re rust., II, 4, 15. — Pline, Hist. nat., 15, 18, 20.
[21] Novius Plotius n’a peut-être fondu que les pieds et le groupe du couvercle ; la ciste elle-même proviendrait alors d’un artiste antérieur, mais prénestin lui-même, car ce petit meuble n’était guère en usage alors qu’à Préneste.
[22] Les cistœ mysticæ, déjà citées, supra.
[23] L’un des plus anciens annalistes de Rome, et qui fut aussi un bon peintre.