L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Depuis l’expulsion des rois jusqu’à la réunion des états italiques

Chapitre VI — Guerre de l’indépendance italienne.

 

 

Pendant que les Romains guerroyaient sur le Liris et le Vulturne, le sud-est de la Péninsule était, le théâtre d’autres combat. La riche cité marchande de Tarente serrée de plus près tous les jours par les bandes, Messapiennes et Lucaniennes, ne s’en fiait plus, et avec raison, à l’épée de ses citoyens. Elle se tourna, d’argent à la main, du côté des aventuriers de la mère patrie. Le roi de Sparte, Archidamos, vint au secours de ses compatriotes, suivi d’une troupe nombreuse ; mais le jour même où Philippe de Macédoine remportait en Grèce la victoire de Chéronée, il succombait sous les coups des Lucaniens (416 [338 av. J-C.]), juste punition aux yeux des Hellènes pieux, du pillage des sanctuaires de Delphes, auquel, dix-neuf ans plus tôt, il avait pris part. Un plus puissant chef de guerre le remplace. Alexandre le Molosse, frère d’Olympie, mère d’Alexandre le Grand, réunit aux soldats qu’il a amenés les contingents, des villes Grecques, ceux de Tarente et de Métaponte, ceux des Pœdicules (cantonnés autour de Rubi, aujourd’hui Ruvo), qui se voyaient, comme les Grecs, menacés par l’invasion Sabellique, et enfin les bannis Lucaniens eux-mêmes, dont la multitude accourue sous ses étendards attestait par là la gravité des troubles intérieurs agitant la confédération des cités de Lucanie. Il se vit bientôt plus fort que l’ennemi. Consentia (Cosenza), le chef-lieu, à ce qu’il semble, de la ligue Sabellienne de la Grande-Grèce, tombe en son pouvoir. En vain les Samnites marchent au secours des Lucaniens ; Alexandre bat l’armée coalisée devant Pœstum : il écrase les Dauniens sous Sipontum [Manfredonia], les Messapiens dans la péninsule sud orientale, et, devenu maître du pays d’une mer jusqu’à l’autre, il se dispose, aidé de ses alliés, à aller chercher les Samnites jusque chez eux. Les Tarentins étaient loin de s’attendre à de tels succès : ils en prennent effroi, et bientôt ils tournent leurs armes contre ce condottiere dont ils avaient loué les services, mais qui maintenant aspire à conquérir dan l’ouest un empire Hellénique, semblable à celui que son neveu est en train de fonder en Orient. Au début, le Molosse l’emporte ; il arrache Héraclée [Policoro] aux Tarentins, restaure Thurium et appelle tous les Gréco-Italiques à s’unir à lui contre Tarente, en même temps qu’il négocie la paix entre eux et les Sabelliens. Ses visées étaient trop hautes ! Il ne trouve qu’un faible appui chez les Grecs dégénérés ou découragés : en changeant de parti, comme l’y obligeaient les circonstances, il s’aliène, quoiqu’il fasse, ses adhérents de Lucanie, et un émigré Lucanien le tue près de Pandosie (422 [332 av. J.-C.])[1]. Après lui, les choses redeviennent ce qu’elles étaient avant. Les villes Grecques, de nouveau désunies, isolées, se tirent d’affairé comme elles peuvent, par des traités, par des tributs, ou en recourant encore à des auxiliaires venus du dehors. C’est ainsi, par exemple, que vers 430 [-324], Crotone repousse les Bruttiens avec l’aide de Syracuse. Les peuples Samnites reconquièrent la suprématie ; et débarrassés de toute inquiétude du côté des Grecs, ils tournent enfin leurs regards du côté de la Campanie et du Latium.

Durant ce court intervalle, une profonde révolution s’y était accomplie. La ligue Latine brisée et détruite ; les Volsques abattus dans leur dernier effort de résistance ; la région Campanienne, la plus belle et la plus riche de la péninsule, occupée sans conteste par les Romains qui s’y étaient fortifiés ; la seconde ville de l’Italie tombée dans la clientèle de Rome ; la République agrandie pendant les luttes des Grecs et des Samnites, et devenue trop puissante pour qu’aucun autre peuple Italique puisse à lui seul désormais ébranler son empire ; ses armées enfin menaçant l’Italie d’une conquête totale : tel est le tableau qui s’offre aux regards. Avant que leurs fers ne fussent rivés, peut-être qu’un effort commun et suprême, en soulevant toutes ensemble ces nations contre des conquérants plus forts que chacune d’elles, les aurait sauvées encore : mais, pour cet effort, il eût fallu la netteté des vues, le courage, le désintéressement : il eût fallu la coalition indissoluble d’une multitude de peuplades et de cités jusque-là hostiles ou étrangères les unes aux autres ! Où trouver tant de vertus et tant d’union ? Et quand enfin elles se rencontreront, ne sera-t-il pas trop tard ?

Après la ruine de la puissance Etrusque et l’affaiblissement des républiques Grecques, Rome n’a plus qu’un adversaire puissant en face d’elle, la ligue Samnite. Celle-ci est en même temps la plus rapprochée de sa frontière, et la plus directement exposée à ses coups. Au premier rang, désormais, dans les longs combats à soutenir pour la liberté et la nationalité des peuples Italiques, les Samnites auront aussi à supporter les plus lourdes chargés de la guerre. Ils pouvaient compter sur le secours des autres peuplades Sabelliques, Vestins, Frentans, Marrucins, et sur celui de tous ces petits clans rustiques, qui, tout en vivant enfermés dans leurs âpres montagnes, ne se montraient point sourds, pourtant, à l’appel du patriotisme, alors qu’un peuple frère les sollicitait de prendre les armes pour la défense de leurs communs intérêts. Les Samnites auraient pu trouver des auxiliaires plus utiles encore chez les Grecs de la Campanie et de la Grande-Grèce, chez les Tarentins, surtout, et enfin chez les nations puissantes du Brutium et de la Lucanie ; mais Tarente, dominée par une démagogie insouciante et lâche, s’était jetée à l’aventure dans le labyrinthe des affaires siciliennes ; mais la confédération Lucanienne était sur tous les points en proie des discordes continuelles ;et les haines profondes et séculaires des Hellènes de l’Italie du sud contre ces mêmes Lucaniens, leurs oppresseurs, ne laissaient guère, espérer que les Tarentins se joindraient jamais à eux pour faire tête aux armées Romaines. Des Marses, plus voisins de Rome, et qui avaient vécu de tout temps avec elle sur le pied de paix, on ne pouvait au plus attendre que la neutralité, ou qu’une molle assistance. Enfin, les Apuliens, ces anciens et opiniâtres ennemis des Sabelliens, étaient pour la République des alliés naturels. Sans doute, si la fortune des Samnites leur donnait d’abord le succès, on pouvait se promettre que les Étrusques, quelque éloignés qu’ils fussent, prendraient leur fait et cause. Le Latium, les Volsques, les Herniques se soulèveraient aussi, sans doute. Quoi qu’il en soit, le peuple Samnite, ces Ætoliens de l’Italie, chez qui seul demeurait intact et vivace le sentiment de la nationalité, n’avait plus guère à compter que sur son courage. Il ne fallait rien moins dans cette lutte gigantesque et inégale, que ses efforts opiniâtres et invincibles, pour donner à penser aux autres peuples ; pour faire naître en eux une noble honte, et les pousser à réunir aussi leurs forces. Un seul jour de victoire, et, tout autour de Rome, s’allumerait peut-être l’incendie de la révolte et de la guerre ! L’histoire doit son témoignage au peuple généreux qui comprit son devoir, et voulut l’accomplir.

Depuis plusieurs années déjà, les entreprises quotidiennes des Romains sur le Liris avaient excité le ressentiment des Samnites : une dernière et plus grave infraction des traités, la fondation de Frégelles (426 [328 av. J.-C.]), vint combler la mesure. Les Grecs de Campanie fournirent l’occasion d’où sortit la guerre. Les deux villes jumelles de Palœpolis et de Neapolis, qui ne formaient qu’une cité sous le rapport politique, et qui paraissent avoir eu l’empire sur les îles du golfe, avaient seules, jusque-là, gardé, leur indépendance au milieu des possessions Romaines. Les Tarentins et les Samnites apprirent que Rome méditait de les asservir. Ils prirent les devants ; et, tandis que les Tarentins, trop nonchalants, sinon trop loin placés, tardaient à se mettre en marche, ils jetèrent tout à coup une forte garnison dans les murs de Palœpolis. Aussitôt les Romains de déclarer la guerre aux Palœpolitains, ou plutôt aux Samnites sous leur nom (427 [-327]), et de mettre le siége devant la ville. Comme il traînait en longueur, les Grecs Campaniens se fatiguèrent et de leur commerce suspendu, et de la garnison étrangère qu’ils avaient accueillie d’abord. Les Romains, dont tous les efforts tendaient à détacher de la coalition les États de second et de troisième ordre, en leur donnant satisfaction par des traités séparés, les Romains, dis-je, s’empressèrent de profiter des dispositions favorables des Grecs : ils traitèrent avec eux, et leur offrirent les plus favorables conditions, l’égalité pleine et entière des droits [cives œquo jure], l’exemption du service des milices provinciales, l’alliance sur le pied des mêmes avantages réciproques, et la paix perpétuelle. Le traité fut conclu dans ces termes : les Palœpolitains s’étaient au préalable débarrassés par la ruse de leur garnison Samnite (428 [-326]). — Les villes au sud du Volturne, Nola, Nuceria, Herculaneum, Pompeii, tinrent quelque temps pour le Samnium : mais pouvaient-elles résister aux coups et aux machinations des Romains, qui, s’appuyant partout sur la faction des grands, faisaient jouer tous les ressorts de l’astuce et de l’intérêt, et mettaient en avant l’influence de Capoue, et son puissant exemple ? Toutes ces cités se déclarèrent donc bientôt, après la chute de Palœpolis, ou pour la neutralité, ou pour la République. Les succès de celle-ci furent plus grands encore en Lucanie. Là aussi, le peuple, par instinct, penchait pour les Samnites : mais pour s’allier avec eux, il eût fallu conclure la paix avec Tarente. Or, la plupart des chefs de la nation Lucanienne ne voulurent pas cesser dans l’est les courses pillardes qui les enrichissaient, et, grâce à eux, les Romains réussirent à contracter avec les Lucaniens une alliance d’autant plus avantageuse, qu’elle rejetait ceux-ci sur les bras des Tarentins, et qu’elle forçait les Samnites à soutenir seuls l’assaut des forces de Rome.

Abandonnés de tous, ils ne trouvaient plus d’auxiliaires que dans les cantons montagneux de l’est. Avec l’année 428, la guerre s’ouvrit au coeur même de leur pays. Les Romains occupèrent d’abord quelques places sur la frontière Campanienne, Rufrœ (entre Vénafre et Teanum) et Allifœ[2]. L’année suivante, les légions traversèrent le Samnium, combattant, pillant partout : elles s’enfoncèrent jusque dans le pays des Vestins ; et, entrant victorieuses en Apulie, elles y furent reçues bras ouverts. Les Samnites perdent courage ; ils rendent leurs prisonniers, et envoyent aux Romains le cadavre de Brutulus Papius, de l’homme qui, s’étant fait chez eux le chef du parti de la guerre, s’était tué pour échapper à la hache des bourreaux de la République. L’assemblée du peuple avait décidé qu’on implorerait la paix, et que son plus brave général serait livré à l’ennemi afin d’en obtenir des conditions moins rigoureuses. Toutes ces humiliations suppliantes n’ayant pas obtenu merci (432 [322 av. J.-C.]), il fallut bien s’armer de nouveau. Cette fois, conduits par un autre capitaine, Cavius Pontius, les Samnites ne demandèrent plus leur salut qu’à leur désespoir. L’armée Romaine, commandée par les deux consuls de l’année qui allait suivre (433 [-331]), Spurius Postumius et Titus Veturius, campait à ce moment non loin de Calatia (entre Caserte et Maddaloni). De nombreux captifs ayant attesté la nouvelle que les Samnites tenaient Lucérie[3] étroitement bloquée, et que cette place importante, clef de l’Apulie, était à la veille de succomber, on leva le camp précipitamment. Pour arriver à temps, il fallait à tout prix traverser la contrée ennemie, et passer là où plus tard passa la voie Appienne prolongée, pour mener de Capoue en Apulie par Bénévent. Cette route, touchant aux lieux aujourd’hui appelés Arpaja et Montesarchio[4], traversait alors des pâturages humides et des marécages cernés par des hauteurs boisées et escarpées. Un défilé étroit et profond se rencontre à l’entrée et à la sortie. Les Samnites y étaient postés, invisibles à l’ennemi. Les Romains entrent dans le vallon sans obstacle ; mais la sortie leur est fermée par des abattis et de nombreux soldats : ils reviennent sur leurs pas ; derrière eux, la route a été barrée de même, et toutes les montagnes se couronnent de cohortes Samnites. Ils comprennent, mais trop tard, qu’ils se sont laissés prendre à une ruse de guerre, et que les Samnites, au lieu de les attendre à Lucérie, leur ont tendu le plus redoutable des piéges dans les défilés de Caudium. Ils luttent d’abord, mais sans espoir et sans but : leur armée ne pouvant se développer pour ses manœuvres, était vaincue tout entière avant de combattre. Les généraux Romains demandèrent à capituler. A entendre les historiens-rhéteurs, et leurs conclusions inacceptables, le chef de l’armée Samnite n’aurait eu que le choix entre massacrer les troupes Romaines ou leur rendre la liberté. Certes, il eût été plus sage, au contraire, d’accepter les capitulations offertes ; de faire prisonnière, avec ses deux chefs, cette armée Romaine, qui réunissait sur le moment toutes les forces actives de la République : après quoi la Campanie et le Latium s’ouvraient aux Samnites ; les Volsques, les Herniques, et la plupart des Latins, dans l’état des choses, leur tendaient les bras, et Rome se voyait menacée jusque dans son existence. Au lieu de cela, au lieu d’imposer aux Romains une capitulation militaire, Gavius Pontius s’imagina qu’il mettrait fin aux hostilités en accordant la paix la plus douce : soit qu’il éprouvât pour elle cet ardent désir auquel les confédérés avaient sacrifié Brutulus Papius, dans l’année précédente ; soit qu’il ne se sentit pas assez fort pour lutter contre la faction qui voulait la fin de la guerre, et paralysait dans ses mains la plus merveilleuse des victoires. Quel qu’ait été son motif, les conditions qu’il accorda furent des plus modérées. Rome promettrait de démanteler ses deux forteresses de Calès et de Frégelles, érigées en violation des traités ; et l’alliance sur le pied de l’égalité serait renouvelée avec le vainqueur. Les généraux romains acceptèrent ces propositions ; ils remirent, pour caution de leur exécution fidèle, six cents cavaliers choisis comme otages ; ils engagèrent enfin leur parole, et celle de tous leurs principaux officiers. Alors seulement les légions purent sortir des Fourches Caudines, intactes, mais déshonorées. Enivrés par leur triomphe, les Samnites contraignirent en outre les odieux ennemis de leur pays à déposer les armes et à passer humiliés sous le joug. — Mais le sénat, sans prendre souci du serment des officiers et du sort des otages, déclara le traité nul, et se contenta de livrer aux Samnites, comme personnellement responsables, tous ceux qui l’avaient accepté. Peu importe à l’impartiale histoire que, dans leur casuistique sacerdotale et avocassière ils aient ainsi voulu satisfaire à la lettre du droit public, ou qu’ils en aient ouvertement violé la règle : humainement et politiquement parlant, les Romains, à mon sens, n’encourent ici aucun blâme. Peu importe encore que la loi d’état positive ait ou non toléré qu’un général Romain fit quelquefois la paix, sans réserver la ratification du peuple ! Il ressort pleinement de l’esprit et de la pratique de la constitution Romaine, que toute, convention non purement militaire rentrait exclusivement dans les attributions de l’autorité civile, et qu’un chef d’armée allait au delà de ses pouvoirs, en signant la paix, sans en avoir reçu mandat exprès et du sénat et du peuple. En plaçant ainsi les généraux Romains entre le salut de leur armée et un excès de pouvoir, le chef Samnite avait donc commis une plus grande faute encore que les premiers eux-mêmes, lorsqu’ils optèrent pour cette dernière alternative : pour la repousser, il eût fallu un bien grand héroïsme ; et quant au sénat, il obéissait au droit et à la nécessité, en se refusant à sanctionner l’illégalité commise. Quel grand peuple abandonne tout ce qu’il possède, autrement que sous le coup de l’infortune la plus extrême ? Consentir par traité un abandon de territoire, est-ce autre chose que reconnaître l’impossibilité de la résistance ? Un tel contrat n’est nullement un engagement moral à son point de départ. Toute nation tient à honneur de déchirer avec l’épée les traités qui l’humilient ! Comment donc soutenir que l’honneur commandait aux Romains d’exécuter patiemment le pacte des Fourchés Caudines, pacte conclu par un général malheureux, sous la contrainte morale des circonstances ? L’affront n’était-il pas de la veille et brûlant ? Et Rome ne se sentait-elle pas, à cette heure même, puissante et intacte dans sa force ?

La convention des Fourches Caudines n’amena donc pas le calme et le repos qu’avaient follement rêvés les amis de la paix parmi les Samnites. Il n’en sortit que la guerre, et puis encore la guerre, avec ses rigueurs accrues de part et d’autre par le dépit de l’occasion manquée en échange de cette parole solennellement donnée, puis violée, de l’honneur militaire humilié, et des compagnons d’armes livrés à la merci de l’ennemi. Cependant les officiers Romains remis en otage furent rendus par les Samnites, trop généreux pour se venger sur ces infortunés : ils n’auraient pas voulu non plus concéder aux Romains que le traité n’eût obligé que ceux-là seuls qui l’avaient fait, et non la République tout entière. Ils se montrèrent donc magnanimes envers ceux sur qui le droit de la guerre leur avait donné droit de vie et de mort ; et, reprenant les armes, ils marchèrent de nouveau au combat. Ils occupent Lucérie, surprennent Frégelles, et l’emportent d’assaut (434 [-320]) avant que les Romains n’aient refait leur armée dissoute : les Satricans passent dans leurs rangs, montrant par là quels avantages eussent été assurés aux Italiques si on avait su agir à l’heure opportune. Mais Rome, un instant paralysée, reprend bientôt sa puissance : pleine de honte et de haine, elle rassemble tout ce qu’elle a d’hommes et de ressources ; et à la tête de son armée renouvelée elle met son soldat le plus éprouvé, et, son meilleur général, Lucius Papirius Cursor. Une moitié des troupes passe par la Sabine, et s’avance vers Lucérie en longeant le littoral de l’Adriatique. Une autre division s’y rend par le Samnium même, refoulant les Samnites devant-elle après plusieurs combats heureux. Les deux divisions se réunissent devant les murs de Lucérie, dont elles pressent le siège avec ardeur ; car c’est là que sont enfermés les chevaliers captifs. Les Apuliens, les gens d’Arpi[5], notamment prêtent aux Romains un appui des plus utiles et leur assurent les vivres. Les Samnites sont battus en s’efforçant de dégager la place qui se rend (435 [-319]). Papirius a la joie d’un double succès ; il délivre dés camarades que l’armée Romaine  estimait perdus, et venge le désastre de Caudium, en faisant passer sous le joug à son tour la garnison Samnite de la ville prise. Dans les années suivantes (435-437 [319-317 av. J.-C.]), la guerre s’étend sur les pays voisins du Samnium plutôt que sur le Samnium lui-même[6]. C’est ainsi que d’abord les Romains châtient les auxiliaires de leurs ennemis dans les contrées des Apuliens et des Frentans ; et qu’ils concluent de nouveaux traités d’alliance avec les gens de Teanum et de Canusium[7]. En même temps ils rétablissent leur domination dans Satricum [en Latium] rudement punie de sa détection. Puis ils se dirigent du côté de la Campanie, où ils enlèvent, Saticula (probablement S. Agata de’ Goti), sur la frontière qui touche aux Samnites (438 [316 av. J.-C.]). A ce moment, il semble que les chances de la guerre vont encore se tourner contre eux. Tandis que les Samnites entraînent les habitants de Nucérie (438), et bientôt après ceux de Nola, dans leur parti, les Soraniens sur le haut Liris chassent leur garnison Romaine (439 [-315]); les Ausones se préparent à la révolte et menacent la place importante de Calès ; la faction anti-Romaine agite même Capoue. Une armée Samnite profite du moment ; elle entre en Campanie, et vient s’établir devant la capitale espérant par sa présence donner la prépondérance au parti national (440 [-314]). Mais Rome ne s’endort pas ; Sora est attaquée ; l’armée qui vient la secourir est battue et la place retombe dans les mains des Romains (440). Les Ausones expient cruellement leur révolte avant que l’incendie n’ait gagné au loin : un dictateur spécial, nommé dans Capoue, y instruit le procès politique contre les chefs de la faction Samnite, qui, pour échapper à la hache du bourreau romain, se hâtent de se donner la mort (440). Enfin, les Samnites, après une défaite essuyée devant Capoue, sont contraints d’évacuer la Campanie ; les Romains les suivent de près, franchissent les crêtes du Matèse et prennent leurs quartiers d’hiver (440) devant les murs mêmes de Bovianum [Bojano], la principale ville du Samnium[8]. Nola avait été abandonnée à son sort. Les Romains, en politiques prudents, l’enlèvent à tout jamais à leurs ennemis, en l’admettant à l’alliance sur le pied le plus favorable, aux conditions accordées jadis  aux Napolitains (441 [-313]). Depuis le désastre des Fourches Caudines, Frégelles appartenait au parti samnite dont elle était la plus forte citadelle sur le haut Liris. Elle est reprise après huit ans d’indépendance (441). Deux cents de ses citoyens, les plus notables parmi les hommes hostiles, sont emmenés à Rome, et leur tête roule sur le Forum : exemple terrible pour tous les patriotes qui rêvent encore la liberté de leur pays.

L’Apulie et la Campanie étaient aux Romains. Pour assurer à tout jamais sa conquête et sa domination, la République y érigea des citadelles nombreuses (de 440 à 442 [314-312 av. J.C.]) : à Lucérie d’Apulie, facilement attaquable dans sa position isolée, une demi légion fut établie à titre de garnison permanente : les îles Pontiœ (Ponza) occupées commandèrent le golfe ; Saticula[9], sur la frontière des deux contrées, devint un poste avancé contre les Samnites ; enfin, sur la route de Rome à Capoue, Intéramne (prés du Monte-Cassino) et Suessa Aurunca (Sessa) couvrirent les communications. Des garnisons suffisantes entrèrent aussi dans Calatia[10], Sora, et d’autres places d’égale importance. En 442, le censeur Appius Claudius construisit la grande voie militaire de Rome à Capone, passant avec sa chaussée et ses digues au travers les Marais-Pontins. La Campanie est désormais rivée à Rome, dont les vastes projets se manifestent et se complètent ; elle ne veut rien moins que la soumission de l’Italie tout entière ; et elle va l’enserrer chaque année, davantage dans l’immense réseau de ses forteresses et de ses routes militaires. Déjà les Samnites sont enveloppés des deux côtés : déjà e Rome à Lucérie une ligne coupe l’Italie du Nord et la sépare de l’Italie du Sud. De même autrefois les citadelles de Norba et de Cora avaient séparé les Volsques et les Èques. De même qu’alors Rome s’était appuyée sur les Herniques ; aujourd’hui elle s’appuie sur Arpi. Il fallut bien que les Italiques ouvrissent les yeux : c’en était fait de leur liberté si les Samnites succombaient. L’heure avait sonné de réunir toutes leurs forces, et de marcher au secours des héroïques montagnards qui, depuis quinze ans, soutenaient tout seuls le poids d’une guerre inégale.

Les Tarentins étaient les alliés nés des Samnites et leurs proches voisins ; mais ce fut un malheur pour le Samnium et pour l’Italie, dans cette crise de leur indépendance, qu’à l’heure où la décision à prendre dans le temps présent allait encore décider de l’avenir, les Athéniens de la Grande Grèce eussent le sort du pays dans leurs mains. Tarente à l’origine avait reçu une constitution Dorienne et toute aristocratique ; mais une démocratie sans limites avait bientôt transformé ses institutions. Dans cette ville peuplée de marins, de pêcheurs et de fabricants, régnait une activité incroyable : dans l’ordre moral et matériel ses habitants, plus riches que distingués, avaient rejeté bien loin les travaux sérieux de la vie pour les agitations d’une existence ingénieuse et brillante, mais tournant au jour le jour dans un même cercle ; continuellement suspendue entre les plus grandes audaces de l’esprit d’entreprise et les élans du génie, et la légèreté la plus déplorable ou l’extravagance puérile. Il n’est point hors de propos de rappeler que, dans ces conjonctures suprêmes, où il y allait de vivre ou de mourir pour des nations si richement douées et d’une si ancienne renommée, Platon, venu soixante ans avant (365 [389 av. J.-C.]) à Tarente, avait vu toute la ville plongée dans l’ivresse et la débauche, au milieu des fêtes Dionysiaques ; c’est-lui qui le raconte. Rappelons aussi qu’au temps même de la grande guerre du Samnium, Tarente s’occupait à inaugurer la tragi-comédie (ou  hilaro-tragédie). La mollesse des mœurs, l’effémination poétique chez les élégants et les lettrés allaient de pair dans la cité Tarentine avec la politique inconstante, arrogante et myope des démagogues : ceux-ci s’affairant là où ils n’avaient rien à voir, et se tenant à l’écart là où les plus graves intérêts leur auraient commandé d’accourir. Après la journée de Caudium, quand les Romains et les Samnites se retrouvèrent en présence au fond de l’Apulie, n’avaient-ils pas envoyé aux deux armées une ambassade leur enjoignant de garder la paix (434 [-320]) ? Une pareille intervention diplomatique dans la lutte où se jouait le sort de l’Italie n’eut été raisonnable qu’autant qu’à dater de ce jour Tarente aurait eu la ferme pensée de sortir enfin de son inaction. Certes, d’assez puissants motifs l’y poussaient, à quelques dangers, à quelques sacrifices qu’elle s’exposât en prenant part à la guerre ! La puissance de l’État Tarentin sous le gouvernement démagogique ne s’était accrue que sur mer. Une flotte militaire considérable, s’appuyant sur une nombreuse flotte commerciale, avait fait de Tarente la première des cités maritimes de la Grande-Grèce ; mais, pendant ce temps, l’armée de terre, dont l’importance était devenue capitale, avait été absolument négligée, et ne comptait plus que quelques soldats mercenaires. Dans cet état de choses, il y avait réellement difficulté grande à se jeter dans la querelle des Romains et des Samnites ; pour ne rien dire des hostilités tout au moins gênantes des Lucaniens, hostilités attisées avec soin par la politique Romaine. Une volonté forte et tenace pouvait seule triompher de tous ces obstacles. Les deux puissances belligérantes, en recevant l’intimation des députés Tarentins, la regardèrent comme sérieuse. Les Samnites affaiblis se déclarèrent tout prêts à y obtempérer ; les Romains y répondirent en donnant le signal du combat. L’honneur et la prudence, après leur démarche orgueilleuse, commandaient aux Tarentins d’ouvrir aussitôt la guerre contre la République ; mais l’honneur et la prudence n’étaient rien moins que le fait de leur gouvernement : les chefs de la cité avaient joué en enfants avec le feu. La guerre ne fut point dénoncée ; au lieu de cela, les Tarentins allèrent en Sicile soutenir le parti oligarchique contre Agathocle de Syracuse, jadis à leur service, puis tombé en disgrâce et congédié. Imitant l’exemple de Sparte, ils envoyèrent sur les cités de l’île une flotte dont ils auraient pu tirer bon parti dans les eaux de Campanie (440 [314 av. J.-C.]).

Les peuples de l’Italie du sud et du milieu se comportèrent avec une énergie plus grande. La création d’une citadelle à Lucérie les avait profondément ébranlés. Les Étrusques, avec qui la trêve de 403 avait pris fin depuis quelques années, furent les premiers à se mettre en mouvement. La place frontière de Sutrium, appartenant aux Romains, soutint un siège de deux années ; et, il y eut sous ses murs des affaires très chaudes, où les Romains, le plus souvent, ne furent pas les vainqueurs. Mais, en 444 [-310], le consul Quintus Fabius Rullianus, excellent capitaine formé dans les guerres du Samnium, non content de rétablir la suprématie de ses armes dans l’Étrurie romaine, poussa hardiment dans l’Étrurie propre, demeurée quasi-inconnue jusqu’alors, à cause de la différence des langues et de la rareté des communications. La marche des Romains au travers de la forêt Ciminienne, où les soldats de la République mettaient le pied pour la première fois, et le pillage d’une contrée riche et si longtemps épargnée par la guerre, généralisa le soulèvement des Étrusques. Le gouvernement Romain blâmait fort l’entreprise follement audacieuse de Rullianus ; il lui avait, mais trop tard, défendu de franchir la frontière : quand il vit les Étrusques prendre les armes en masse, il réunit à son tour des légions nouvelles, et les envoya en toute hâte au secours du consul. Mais celui-ci, faisant face au danger, remportait à la même heure la victoire décisive et opportune du lac Vadimont[11] ; victoire si longtemps célèbre dans les souvenirs populaires; et, terminant une aventure téméraire par un exploit fameux, il dompta d’un seul coup la résistance des Étrusques. Ceux-ci n’avaient rien de commun avec les Samnites, qui depuis dix-huit ans soutenaient une lutte saris espoir. Après un premier désastre, trois des principales villes de l’Étrurie, Pérouse, Cortone et Arretium firent leur paix séparée pour trois cents mois (444 [-310]). L’année suivante les Romains ayant encore une fois battu les autres Étrusques sous Pérouse, les gens de Tarquinies conclurent également une trêve de quatre cents mois (446 [-308]) : là dessus, le reste des cités belligérantes se retira du champ de bataille, et les armes furent partout déposées.

Pendant ces événements, la guerre avait continué dans le Samnium. La campagne de 443 [-311] se borna, comme les précédentes, à l’investissement et à la prise de quelques places ; mais, l’année d’après, les choses prirent une allure plus vive. La position critique de Rullianus au fond de l’Étrurie, les rumeurs circulant partout de la défaite et de la destruction de l’armée Romaine du Nord, avaient poussé les Samnites à un effort suprême : ils vainquirent et blessèrent grièvement le consul Gaius Marcius Rutilus. Mais la défaite des Étrusques vint brusquement les faire tomber du haut de leurs illusions et de leurs espérances. Lucius Papirius Cursor envahit de nouveau leur pays à la tète des légions, et resta vainqueur dans une grande et décisive affaire (445 [-309]), où les confédérés avaient mis en jeu leurs dernières ressources. Ils y perdirent l’élite de leur armée, les casaques multicolores avec leurs boucliers dorés, les casaques blanches avec leurs boucliers argentés, dont les brillantes armures allèrent orner les boutiques du Forum, dans les jours de solennités publiques. Plus la lutte sévissait, plus les Samnites combattaient en gens désespérés. En 446 [-308], au moment où les Étrusques déposaient les armes, la dernière ville de Campanie qui tint encore pour le Samnium, Nucérie, attaquée par mer et par terre, se rendit aux Romains à d’équitables conditions. Les Samnites retrouvent bien quelques alliés, les Ombriens dans le Nord, les Marses, les Pœligniens dans l’Italie du milieu : de chez les Herniques même, il leur vient quelques volontaires. Tous ces secours eussent pesé peut-être dans la balance, si les Étrusques se fussent encore tenus debout ; mais, actuellement, ils ne pouvaient qu’accroître la victoire de l’ennemi commun, sans la rendre plus difficile. Les Ombriens faisant mine de marcher sur Rome, Rullianus, avec l’armée du Samnium, va leur barrer la route sur le haut Tibre ; les Samnites, trop affaiblis, ne peuvent l’arrêter, et cette simple démonstration suffit pour que les Ombriens se dispersent. La guerre redescend alors dans l’Italie centrale. Les Pœligniens sont vaincus, puis les Marses ; et, dès ce moment, si les autres peuples Sabelliques restent, de nom, hostiles à Rome, il n’y a plus, en réalité, parmi eux, que les Samnites, qui luttent encore. Mais voici que tout à coup un secours inattendu arrive à ces derniers du coté même du Tibre. La confédération des Herniques, prise à partie par Rome, à l’occasion des volontaires que celle-ci a capturés sur les champs de bataille, lui déclare la guerre (448 [306 av. J.-C.]), bien plus par désespoir que par sage calcul. Quelques-unes des cités de la ligue, et non les moins importantes, se tiennent en dehors ; mais Anagnia (Anagni), de beaucoup la plus puissante, met ses troupes en campagne. Cette subite levée d’armes était un danger pour l’armée du Samnium qui, tout occupée du siège des places dans le pays Sabellique, se voyait ainsi prise à dos par un ennemi nouveau. La chance des combats semble revenir aux Samnites : Sora et Calatia tombent dans leurs mains. Mais, tout à coup, les Anagniens sont battus par les troupes expédiées en hâte de Rome même : les légions du Samnium sont débarrassées sur leurs derrières, et tout est perdu encore une fois. Il ne reste plus aux Samnites qu’à implorer la paix, mais en vain ; on ne pouvait encore s’entendre. La campagne de 449 [-305] amène la fin du drame. Les deux armées consulaires poussent en avant : l’une conduite par Tiberius Minucius, et, après sa mort, par Marcus Fulvius, part de Campanie, et franchit les cols des montagnes : l’autre, sous Lucius Postumius, part du littoral de l’Adriatique et remonte le Tifernus (Biferno) : elles se réunissent devant la capitale du pays, Bovianum : livrent une dernière bataille, font prisonnier le général Samnite Statius Gellius, et enlèvent la ville. La chute de la principale place d’armes marque le terme de cette guerre de vingt-deux années. Les Samnites retirent leurs garnisons de Sora et d’Arpinum [Arpino, Terre de Labour], et envoient à Rome des ambassadeurs qui demandent encore une fois la paix : leur exemple est suivi par tous les Sabelliens, Marses, Marrucins, Pœligniens, Frentans, Vestins, Picentins. Rome leur fait des conditions tolérables : quelquefois, comme aux Pœligniens, elle leur impose le sacrifice d’une portion peu considérable, il est vrai, de leur territoire. L’alliance est renouvelée entre elle et les États Sabelliques (450 [304 av. J.-C.]).

Vers le même temps, à ce qu’il semble, et à la suite de la paix conclue avec les Samnites, Tarente fit aussi la sienne. Les deux États ne s’étaient point directement combattus : les Tarentins avaient plutôt assisté en spectateurs, du commencement jusqu’à la fin, à la longue lutte de Rome et du Samnium ; seulement, ligués avec les Sallentins contre les alliés des Romains, ils avaient eu journellement affaire aux bandes Lucaniennes. Dans les dernières années de la guerre Samnite, une fois, ils avaient fait mine d’y prendre sérieusement un rôle. Pressés d’une part, du côté de la Lucanie, où il leur fallait repousser des incursions sans cesse renouvelées : pressentant bien, bon gré mal gré, de l’autre part, que la chute du Samnium était une menace pour leur propre indépendance, ils s’étaient décidés, en dépit de l’expérience malheureuse déjà faite, et des souvenirs laissés par Alexandre le Molosse, à appeler encore un condottiere à leur secours. Le prince Spartiate Cléonyme passe la mer sur leur invitation, avec cinq mille mercenaires, et réunit à sa petite bande une troupe d’égale force levée en Italie, le contingent des Messapiens des petites cités grecques, et surtout la milice de Tarente, comptant vingt-deux mille soldats. A la tète de cette armée déjà considérable, il oblige les Lucaniens à faire la paix avec Tarente, à établir chez eux un gouvernement, plus ami du Samnium ; mais, en même temps, il leur abandonne Métaponte[12]. Les Samnites avaient encore les armes à la main : rien n’empêchait le Spartiate de marcher à leur secours, et de jeter dans la balance, en faveur de la liberté des peuples et des villes Italiques, tout le poids de ses armes, de ses talents militaires, et de ses nombreux soldats. Mais Tarente ne fit pas, alors, ce que Rome à sa place n’eût pas manqué de faire : Cléonyme n’était d’ailleurs ni un Alexandre ni un Pyrrhus. Loin d’entamer aussitôt une guerre difficile, où il y avait plus de coups à recevoir que de butin à gagner, il prend en main, je le répète, la cause des Lucaniens, contre la cité de Métaponte ; puis il s’oublie au sein des plaisirs, parlant tous les jours d’aller combattre Agathocle de Syracuse, et délivrer les villes grecques de Sicile. A ce moment, les Samnites concluaient la paix. Quand les Romains, dégagés de ce côté, portèrent plus attentivement leurs regards vers le sud-est de la Péninsule ; quand, en 447 [307 av. J.-C.], par exemple, une de leurs armées s’en alla ravager le territoire des Sallentins, ou plutôt pousser jusque chez eux une reconnaissance significative, le condottiere Spartiate embarqua ses soldats, et se jeta sur l’île de Corcyre, merveilleusement placée pour en faire un nid de pirates, tant à l’encontre de la Grèce que de l’Italie. Ainsi délaissés par le chef militaire qu’ils s’étaient donnés, privés en même temps de leurs alliés dans l’Italie centrale, que pouvaient faire les Tarentins ? Ils ne leur resta plus, à eux et aux Italiques ligués avec eux, Lucaniens et Sallentins, qu’à entrer en arrangement avec Rome. Ils obtinrent, parait-il, des conditions passables. A peu de temps de là (451 [-303]), Cléonyme revient, et assiége Uria[13], sur le territoire Sallentin : les habitants le repoussent, assistés par les cohortes Romaines.

Rome avait vaincu ; elle usa pleinement de sa victoire. Si les Samnites, les Tarentins, et les peuples plus éloignés du Latium se virent traités avec une modération remarquable, il n’en faut pas faire honneur à la générosité de la République : la générosité lui était inconnue ; elle n’agissait ainsi que par prudence et sage calcul. Rien ne pressait du côté de l’Italie du sud, et la reconnaissance formelle de la suprématie de Rome n’y était point d’une nécessité immédiate. Il fallait tout d’abord achever et consolider la conquête du centre. Déjà, durant les dernières guerres, les voies militaires et les forteresses construites en Campanie et en Apulie y avaient préparé l’établissement définitif de la puissance Romaine. Il importait de couper les Italiques du nord et ceux du sud ; d’en faire deux groupes militairement divisés, et n’ayant plus de contact immédiat. Ici se manifestent, dès les premiers actes, les grandes vues, l’esprit de suite et l’énergie de la politique Romaine. Tout d’abord, Rome saisit l’occasion tant souhaitée de dissoudre la confédération des Herniques, et d’anéantir avec elle le dernier débris resté debout des ligues rivales dans la région du Tibre. Anagnia et les autres moindres cités Herniques qui avaient joué un rôle dans la dernière levée de boucliers des Samnites, sont naturellement plus maltraitées que les villes Latines coupables, un siècle avant, du même crime. Elles perdent leur autonomie, et se voient imposer le droit de cité passive [civitas sine suffragio] : une partie de leur territoire sur le haut Trerus (Sacco), puis une autre encore sur le bas Anio reçoivent en même temps deux nouvelles tribus de citoyens (455 [299 av. J.-C.]). Par malheur, les trois villes les plus importantes après Anagnia, Aletrium [Alatri], Verulœ [?] et Ferentinum [Ferentino] n’avaient pas suivi son exemple ; et comme elles se refusaient avec une affectation de courtoisie marquée à accepter volontairement la cité romaine restreinte ; comme tout prétexte manquait pour les y contraindre, il fallut bien les laisser libres, en leur accordant le commerce [commercium], et le droit d’alliance par mariage [connubium] avec Rome. Grâce à elles, l’ombre de la confédération Hernique se maintint encore. Dans la partie du pays Volsque autrefois possédée par les Samnites, les Romains n’eurent point les mêmes ménagements à garder. Là, Arpinum fut déclarée sujette ; Frusino [Frosinone] perdit un tiers de son territoire ; et, sur le haut Liris, non loin de Frégelles, la ville Volsque de Sora, déjà occupée par les milices Romaines, fut transformée en forteresse latine permanente, avec garnison d’une légion de quatre mille hommes. Le pays Volsque, assujetti complètement, marche à pas rapides dans la voie de l’assimilation avec Rome. Dans la région qui sépare le Samnium de l’Étrurie, deux routes militaires furent créées, avec les forteresses nécessaires pour en assurer la possession. Celle du nord, qui devint plus tard la voie Flaminienne, couvrait la ligne du Tibre ; elle menait par la ville alliée d’Ocriculum [Otricoli] à Narnia [Narni], nom donné par les Romains à la vieille citadelle Ombrienne de Nequinum, lorsqu’ils y amenèrent une colonie militaire (455 [-299]). Celle du sud, qui devint la voie Valérienne, se dirigeait vers le lac Fucin [Celano] par Carsioli[14] et Alba, également colonisées (451-453 [-303/-301]). Ces deux places importantes, Alba surtout, qui était la clef du pays Marse, reçurent une garnison de six mille hommes. Les petits peuples, au milieu desquels se fondaient tous ces établissements ; les Ombriens, qui défendirent opiniâtrement Nequinum ; les Æques, qui se ruèrent sur Alba ; les Marses, qui assaillirent Carsioli, firent de vains efforts pour empêcher les progrès de Rome : comme deux verrous de fer, les deux forteresses fermèrent, sans empêchement désormais, les communications entre l’Étrurie et le Samnium. Déjà nous avons fait mention des grandes voies et des fortifications, levées ailleurs pour contenir l’Apulie, et surtout pour assurer la possession de la Campanie. Par elles, le Samnium se voyait à l’ouest et à l’est enveloppé dans un réseau de postes militaires. Quant à l’Étrurie, rien ne caractérise mieux sa faiblesse relative que la négligence manifeste des Romains à son égard : ils ne jugent point nécessaire en effet de pousser une chaussée, et de construire des places fortes au milieu de la forêt Ciminienne. De ce côté, la forteresse frontière de Sutrium [Sutri] restait le dernier point de la ligne militaire ; et Rome se contenta de faire entretenir à l’état de voie praticable pour les troupes la route qui mène de là à Arretium[15].

Les Samnites étaient trop braves pour ne pas comprendre qu’une telle paix était plus funeste que la plus funeste des guerres : de la pensé, ils passèrent aussitôt à l’action. À la même heure, les Celtes de l’Italie du nord recommencèrent à s’agiter, après leur long repos. Dans ces régions aussi, quelques peuplades Étrusques n’avaient point déposé les armes, et de courtes trêves faisaient alternativement place à des luttes sanglantes, mais sans résultats. Toute l’Italie centrale était en fermentation ; et une partie du pays se soulevait ouvertement ; alors que les Romains n’avaient encore ni achevé leurs citadelles, ni complètement fermé les passages entre le Samnium et l’Étrurie. Peut-être n’était-il point trop tard, encore pour sauver la liberté ! Mais il fallait saisir l’heure ; les difficultés de la lutte croissaient, et sous la pression de la paix subie, les forces de l’assaillant allaient diminuant tous les jours. Cinq années s’étaient écoulées à peine. les blessures infligées aux rudes paysans du Samnium, par une guerre de vingt-deux ans, saignaient encore. Dès l’an 456 [298 av. J.-C.] pourtant, la ligue Samnite recommença la lutte. Dans les derniers combats, Rome avait été servie à souhait par ses relations d’amitié avec les Lucaniens, dont, les incursions sur le territoire de Tarente écartaient celle-ci du théâtre de la guerre. Mettant à profit les enseignements de la veille, les Samnites se jetèrent d’abord avec toutes leurs forces sur la Lucanie ; y poussèrent leurs partisans au gouvernail des affaires, et conclurent avec eux un traité d’alliance. Naturellement, les Romains, à la nouvelle de ces événements, déclarent la guerre : le Samnium s’y était attendu. Tel était l’entraînement des esprits que les chefs Samnites firent savoir aux envoyés Romains, qu’ils ne pouvaient garantir l’inviolabilité de leurs personnes, s’ils mettaient le pied sur le territoire d’au delà de la frontière.

La guerre éclate donc de nouveau (456 [298 av. J.-C.]). Les légions Romaines vont combattre en Étrurie ; et, en même temps, une seconde et principale armée traverse le Samnium, réduit les Lucaniens à solliciter la paix et à envoyer à Rome des otages. L’année suivante, les deux consuls se réunissent contre le Samnium. Rullianus est vainqueur à Tifernum[16] : son fidèle compagnon d’armes Publius Decius Mus l’est également à Maleventum : les Romains campent cinq mois durant en pays ennemi. Cette concentration de leurs forces était due à la lâcheté des Étrusques, dont plusieurs cités entraient en arrangements particuliers avec la République. Les Samnites, qui n’avaient plus chance de victoire que dans la coalition de toute l’Italie, firent les plus énergiques efforts pour empêcher une paix séparée entre Rome et les Étrusques : une telle paix était pour eux une immense péril. Gellius Egnatius, leur général, alla jusqu’à offrir de passer en Étrurie, à la tête d’une armée de secours. Ce fut alors seulement que le conseil fédéral Étrusque se décida enfin pour la coalition, et appela les populations aux armes. Le Samnium, de son côté, ne marchanda ni les efforts ni les sacrifices. Il mit trois armées en campagne ; l’une resta pour défendre le pays ; l’autre fut dirigée sur la Campanie ; la troisième et la plus forte, marcha sur l’Étrurie, où elle entra sans coup férir (458 [-296]), conduite en effet par Egnatius, et en traversant les contrées Marse et Ombrienne, dont les habitants étaient d’intelligence avec les Samnites. Les Romains, de leur côté, s’emparèrent de quelques places fortes dans le Samnium, et renversèrent le parti Samnite en Lucanie : mais ils n’avaient point su empêcher les mouvements du corps d’Egnatius. Quand arriva à Rome la nouvelle que l’ennemi avait su déjouer les obstacles énormes amoncelés sur sa route, et qui séparaient les régions du nord de l’Italie du sud ; quand l’on apprit que l’arrivée des Samnites dans l’Étrurie y donnait le signal d’une levée de bouliers presque générale ; que toutes les cités y travaillaient avec ardeur à mettre leurs milices sur le pied de guerre, et appelaient à leur solde les bandes Gauloises, la République eut aussi recours aux moyens les plus extrêmes. Les affranchis, les hommes mariés, furent enrôlés en cohortes. De part et d’autre, tous sentaient que l’heure suprême avait sonné. L’année 458 se passa en préparatifs, en marches et en contre marches. En 459 [-295], les Romains mirent à la tête de l’armée d’Étrurie leurs deux meilleurs généraux, Publius Decius Abus, et le vieux Q. Fabius Rullianus. Renforcée de toutes les troupes qui n’étaient point indispensables au corps de Campanie : comptant au moins soixante mille soldats, dont plus d’un tiers citoyens romains actifs, cette armée s’appuyait encore sur une double réserve, l’une cantonnée près de Faléries, l’autre campée sous les murs même de Rome. Les Italiens s’étaient donné rendez-vous dans l’Ombrie, là où convergent les routes venant des pays Gaulois, Étrusques et Sabelliques. Les consuls remontèrent donc vers ce point avec le gros de leurs forces, en suivant l’une et l’autre rive du Tibre. En même temps, la première réserve faisait une diversion vers l’Étrurie, dans le but de forcer les bataillons Étrusques à quitter le théâtre de la lutte, pour courir au secours de leur patrie menacée. Le premier combat eut une issue fâcheuse pour les Romains, dont l’avant-garde fut battue dans la contrée de Chiusi par les coalisés Gaulois et Samnites. Mais le mouvement de leurs réserves n’en eut pas moins un complet succès. Moins dévoués à l’intérêt commun que les Samnites, qui marchaient sur les cendres de leurs villes ruinées pour arriver sur le champ de bataille, à peine eurent-ils appris l’incursion des Romains sur leur territoire, que le plus grand nombre des auxiliaires Toscans abandonnèrent leurs alliés ; et ceux-ci se trouvèrent considérablement amoindris au jour décisif. La bataille fut livrée au pied du contrefort oriental de l’Apennin, non loin de Sentinum [Sassoferrato, en Ombrie]. La journée fut chaude. A l’aile droite des Romains, où Rullianus avec ses deux légions avait affaire aux Samnites, la lutte resta longtemps indécise. A l’aile gauche, commandée par Publius Decius, les chars de guerre Gaulois jetèrent le désordre parmi la cavalerie Romaine ; déjà les légions commençaient à faiblir. C’est alors que le consul appela le prêtre Marcus Livius, lui ordonna de vouer aux dieux infernaux et la tête du général de la République et l’armée ennemie ; puis, se jetant au plus épais des bandes Gauloises, il alla y chercher et trouver la mort. Cet acte d’héroïque désespoir eut sa récompense. En voyant tomber un chef qu’ils aimaient, les légionnaires, qui déjà lâchaient pied, revinrent à la charge ; et les plus braves s’élancèrent dans les rangs ennemis pour venger le consul ou mourir avec lui. Au même instant accourait à leur secours le consulaire Lucius Scipion, détaché par Rullianus. Les turmes de l’excellente cavalerie Campanienne prennent Ies Gaulois à dos et en flanc, et décident la journée : les Gaulois s’enfuient, et, après eux, les Samnites cèdent aussi la place. Leur chef, Egnatius, était tombé devant la porte de son camp. Les cadavres de neuf mille Romains gisaient sur le champ de bataille : mais quelque sanglante que fût la victoire, elle n’était point trop chèrement achetée. L’armée unie se dissout ; la coalition tombe ; l’Ombrie demeure aux mains de Rome ; les Gaulois s’en retournent chez eux ; et les restes de l’armée samnite repassant par les Abruzzes, regagnent aussi leur pays.

Pendant la campagne d’Étrurie, les Samnites s’étaient aussi répandus dans les plaines de Campanie. La guerre avec l’Étrurie terminée dans le nord, les Romains, les réoccupent sans résistance. L’année suivante (460 [294 av. J.-C.]), l’Étrurie demande la paix : Volsinies, Pérouse, Arretium et toutes les autres villes entrées dans la ligue déposent les armes, et se lient par une trêve de quatre cents mois. Il en fut autrement chez les Samnites, qui s’apprêtèrent à une lutte suprême et sans espoir, avec l’indomptable courage d’hommes libres faisant bonté à la fortune quand ils ne peuvent pas la vaincre. Dès cette même année (460), les deux armées consulaires pénétreront dans le Samnium, où elles rencontrèrent partout la résistance la plus acharnée. Marcus Acilius subit même un échec à Luceria ; les Samnites se jetèrent encore une fois sur la Campanie, et ravagèrent les terres de la colonie romaine d’Intéramne [Teramo], sur le Liris. En 461 [-293], Lucius Papirius Cursor, le fils du héros des premières guerres Samnites, et Spurius Carvilius livrent une grande bataille à Aguilonia [la Cedonia]. L’élite de l’armée du Samnium, les seize mille casaques blanches, s’étaient engagées sous serment à mourir ou à vaincre. Mais l’inexorable fatalité ne tient compte ni des serments, ni des prières du plus généreux désespoir. Les Romains eurent encore le dessus, et emportèrent d’assaut les réduits où les Samnites s’étaient retranchés, eux et leurs biens. Après ce dernier désastre, et pendant des années encore, on vit ces braves lutter avec un courage sans pareil. Cachés dans leurs montagnes et dans leurs citadelles, ils remportèrent souvent des avantages partiels sur un ennemi démesurément plus fort ; un jour même (462 [-292]), il fallut envoyer contre leurs bandes le vieil et héroïque Rullianus ; une autre fois, la dernière, le Samnite Gavius Pontius, le fils peut-être du vainqueur des Fourches Caudines, battit complètement les Romains ; et ceux-ci s’en vengèrent lâchement, en le faisant mettre à mort au fond d’un cachot, après qu’ils l’eurent fait prisonnier (463 [-291]).

Rien ne bougeait plus en Italie. Une tentative des Falisques (461 [-293]) mérite à peine le nom de guerre. Les Samnites avaient encore les yeux tournés du côté de Tarente, qui seule eût pu les assister ; mais, comme toujours, elle se tint à l’écart, et toujours par les mêmes causes. A l’intérieur, un gouvernement déplorable : au dehors, les Lucaniens, chez qui la faction romaine avait repris le dessus (dès 456 [298 av. J.-C.]) ; ajoutez à cela la juste inquiétude inspirée par Agathocle de Syracuse, alors parvenu à l’apogée de sa puissance, et qui commençait à diriger ses vues vers l’Italie. Vers 455 [-299], il occupe Corcyre, d’où Cléonyme avait été chassé par Démétrius Poliorcète, et il menace Tarente par les deux mers Adriatique et Ionienne. A la vérité il cède bientôt cette île (456) à Pyrrhus, roi d’Épire (V.  ch. VII), et fait ainsi cesser pour partie les craintes qu’il avait excitées : mais les Tarentins n’en continuent pas moins de se mêler aux affaires Corcyréennes. En 464 [-290], ils aident Pyrrhus à défendre sa nouvelle acquisition contre une seconde entreprise de Démétrius ; d’ailleurs les visées politiques d’Agathocle à l’égard de l’Italie du Sud leur sont toujours un motif de souci. Quand celui-ci meurt enfin (465 [-289]), l’heure favorable est passée. Épuisé par une guerre de trente-sept années, le Samnium, quelques mois avant (464), a conclu la paix avec le consul Manius Curius Dentatus : l’alliance avec Rome a été formellement renouvelée. Cette fois, comme lors du traité de 450 [-304], Rome n’écrase pas ce noble peuple sous le poids de conditions trop dures où honteuses ; elle ne lui demande même pas de sacrifices de territoire. Il convenait à la prudence Romaine de persister dans la voie jusque-là suivie. Avant d’en venir à la conquête et à l’absorption de la région intérieure, Rome veut placer sous sa domination, immédiate et définitive toute la région Campanienne et le littoral de l’Adriatique. La première était depuis longtemps soumise : mais la République à la vue longue, et elle juge nécessaire, pour assurer les succès de sa politique, de fonder encore sur la côte Campanienne les deux forteresses maritimes de Minturnes et de Sinuessa (450 [304 av. J.-C.])[17]. Les colons qu’elle y conduit, suivant la règle usitée pour toutes les colonies côtières, sont dotés du droit de cité pleine. Dans l’Italie centrale la domination Romaine s’étend et s’assoit d’une façon encore plus énergique. Après une courte et impuissante résistance, tous les peuples Sabins sont faits sujets de la République (464 [290 av. J.-C.]), et, dans les Abruzzes, non loin de la côte, la forte place d’Hatria est fondée (465). Mais de tous les établissements nouveaux le plus important est sans contredit celui de Venusia [Venosa] (463), où Rome envoie le nombre inusité de vingt mille colons. Construite à la rencontre des frontières du Samnium, de l’Apulie et de la Lucanie, sur la route qui relie le Samnium à Tarente, la nouvelle citadelle occupe une position extrêmement forte : elle est destinée à contenir les peuples avoisinants, et surtout elle intercepte les passages entre les deux plus puissants ennemis de Rome dans l’Italie du sud. Nul doute qu’à la même époque la chaussée du sud, conduite déjà jusqu’à Capoue par Appius Claudius, n’ait été aussi prolongée jusqu’à Venouse. Ainsi, quand finit la guerre Samnite, le territoire romain touche au nord la forêt Ciminienne, à l’est les Abruzzes, Capoue au sud, et deux postes avancés, Lucérie et Venouse, placés sur la ligne de communication des peuples hostiles à la République, du côté de l’orient et du midi, achèvent leur isolement dans toutes les directions. Rome n’est plus seulement la première des puissances de la Péninsule, elle en est désormais la puissance dominante. Le cinquième siècle de la ville [255 av. J.-C.] s’achève. À cette heure solennelle, les nations que la faveur des dieux et leurs plus hautes aptitudes ont poussées chacune à la tête de toute la contrée environnante, vont se rapprocher et se toucher dans les conseils et dans la guerre ; et de même qu’à Olympie, les vainqueurs dans les premières joutes doivent se livrer un second et plus sérieux combat ; de même dans la vaste arène où sont en jeu les destinées du monde, Carthage, la Macédoine et Rome entrent en lice. Une immense lutte se prépare ; elle sera décisive et suprême.

 

 

 



[1] À l’embouchure du Laüs. — Il n’est point superflu de rappeler ici, que tout ce que nous savons d’Archidamos et d’Alexandre le Molosse, nous a été conservé par les annales grecques, dont il n’est possible d’établir que par à peu près le synchronisme avec les annales romaines pour l’époque actuelle. Si dans l’ensemble les rapprochements sont certains entre les événements survenus dans l’Italie de l’ouest, et dans l’Italie du sud-est, on fera bien pourtant de ne point à les pousser jusque dans les détails.

[2] Rufrœ, auj. Lacosta Rufaria, selon Reich. — Allifœ, sur la rive gauche du Volturne.

[3] Luceria Apulorum, auj. Lucera, dans la Capitanate.

[4] L’emplacement de Caudium est certainement clans le voisinage d’Arpaja. Aussi l’indication donnée dans le texte est-elle approximativement exacte ; mais le défilé lui-même, où se trouve-t-il ? Est-ce dans la vallée située entre Arpaja et Montesarchio, ou dans celle qui va d’Arienzo à Arpaja ? C’est ce qui peut prêter matière au doute. Un soulèvement volcanique semble avoir exhaussé cette dernière de 100 palmes au moins ; et l’état actuel des lieux ne peut plus être pris en considération. J’ai suivi l’opinion commune, sans d’ailleurs m’en faire le garant.

[5] L’ancienne Argos Hippium ou Argypira, non loin de Foggia auj.

[6] Il me semble, en effet, fort improbable qu’en 436-437 [317-316 av. J.-C.], il y ait eu une trêve formellement conclue entre les deux peuples belligérants.

[7] Canusium, auj. Canosa, en Apulie.

[8] Le Matèse (2.200m d’altitude environ) sépare la Terre de Labour de la province de Sannio ou Molise. Bojano est au pied oriental de la montagne, sur le Biferno.

[9] Non Loin de Caserta Vecchia, selon Mannert : Savignano, selon Reich.

[10] Calatia, Cajazzo, sur le Volturno.

[11] Lac de Bassano (?), dans les environs de Viterbe, comme l’ancienne forêt Ciminienne.

[12] Torre di Mare, à l’embouchure de Bradano.

[13] Oria dans le centre de la presqu’île, à la hauteur de Brindes.

[14] Civita-Carentia, non loin d’Arcoli.

[15] Les opérations de la campagne de 537 [217 av. J.-C.], et mieux encore, la construction de la chaussée d’Arretium à Bononia [Bologne] en 567 [-187], démontrent que dès avant cette époque celle-ci existait déjà entre Rome et Arretium. Seulement elle n’était point encore grande voie militaire, à en juger par le nom qui lui fut donné ultérieurement (voie Cassienne). Ce n’est que vers 583 [-171] qu’elle a pu être érigée en voie consulaire (via consularis) ; car entre Spurius Cassius, consul en 259, 261 et 268 [502, 493, 486 av. J.-C.], à qui l’on ne saurait songer à attribuer sa construction, et Gaius Cassius Longinus, consul en 583 [-171], les fastes consulaires de Rome ne font mention d’aucun autre Cassius.

[16] Tifernum Samniticum, au N.-E. de Bovianum, sur le Tifernus (Biferno). — Maleventum, plus tard Bénévent.

[17] Trajetto, et Rocca di Mondragone.