Nous avons esquissé les progrès de la constitution romaine durant les deux premiers siècles de la république. Revenons maintenant à l’histoire extérieure de Rome et de
l’Italie à dater du commencement de la même période. — Quand les Tarquins
furent chassés, la puissance Étrusque touchait à son apogée. Les Toscans
étaient décidément les maîtres dans toute l’étendue de la mer Tyrrhénienne,
eux et les Carthaginois, leurs intimes alliés. Pendant que Massalie avait à livrer de continuels
combats pour défendre son existence, tous les havres de Sur le continent leur puissance grandissait de même. Il était pour eux du plus haut intérêt de conquérir le pays Latin, qui. seul les séparait des villes Volsques tombées dans leur clientèle, et de leurs possessions Campaniennes. Jusqu’alors, Rome avait été le boulevard du Latium : elle avait maintenu avec succès sa frontière Tibérine. Mais vint le jour où la confédération Étrusque, profitant d’un instant de désordre et de faiblesse, à la suite de l’expulsion des Tarquins, reprit plus vivement l’offensive : son armée, conduite par le roi Larth Porséna, de Clusium, ne trouva plus devant elle la résistance accoutumée. Rome capitula, et échangeant contre la paix (en 247 [507 av. J.-C.]), ce semble, tout son territoire transtibérin dont s’emparèrent les cités Étrusques voisines, elle perdit aussi la domination exclusive du fleuve. Elle dut livrer au vainqueur toutes ses armes, et jurer de ne plus se servir du fer que pour la charrue. L’Italie semble à la veille d’être englobée tout entière dans l’empire Étrusque. La coalition Tusco-Carthaginoise mettait donc en péril l’indépendance des Italiotes et des Grecs : mais avertis par le danger commun, entraînés par le sentiment de leur parenté de race, ils s’allièrent étroitement, et le succès couronna leurs efforts. L’armée étrusque, ayant, après la chute de Rome, pénétré plus avant dans le Latium, fut arrêtée dans sa marche victorieuse devant les murs d’Aricie, grâce au secours des gens de Cymè (Cumes), accourus à temps pour la dégager (248 [506 av. J.-C.]). Nous ne savons pas comment se termina la guerre, ni si Rome avait déjà rompu la paix honteuse et ruineuse qu’elle venait de subir : un fait est certain, c’est que cette fois encore les Étrusques ne purent se maintenir sur la rive gauche du Tibre. Bientôt, la nation Hellénique eut à soutenir une lutte
immense et plus décisive encore contre les barbares de l’ouest et de l’est.
C’était le temps de la guerre des Perses. La condition des Tyriens n’était
pas indépendante en face du Grand Roi. Ils entraînèrent aussi Carthage dans
le sillon de la politique Persane. On
raconte même, non sans apparence de vérité, qu’un traité d’alliance aurait été conclu entre cette
ville et Xerxès ; et les Carthaginois auraient entraîné les Étrusques à leur
tour. Une attaque, combinée d’après un plan politique grandiose, jetait à la
fois les hordes de l’Asie sur La bataille de Salamine (274 [480
av. J.-C.]) sauva et vengea Carthage, battue et humiliée, l’empire maritime des
Étrusques, ses alliés, s’écroule. Déjà Anaxilas,
tyran de Rhegium et de Zanclé [Messine, plus tard], avait barré le détroit de Sicile à leurs
corsaires, en y plaçant sa flotte en permanence (vers 272 [-482]) ; et, à peu
de temps de là, les Cyméens, se joignant à Hiéron, détruisaient les escadres
Tyrrhéniennes à la hauteur de leur ville (280 [474 av. J.-C.]). Les Carthaginois avaient
tenté, mais en vain, de leur apporter du secours. Pindare, à son tour, a
chanté cette victoire dans sa première Pythienne
; et l’on possède un casque étrusque, envoyé par Hiéron à Olympie, avec l’inscription qui suit :
Hiaron, fils de Dinomène,
et les Syracusains, à Jupiter : dépouille Tyrrhénienne de Cymè. De
tels succès, remportés sur Carthage et les Étrusques, avaient placé Syracuse
à la tête des villes gréco-siciliennes. Au même temps, alors que Rome venait
de chasser ses rois (243 [-511]), tombait l’achéenne Sybaris, parmi les villes gréco-italiennes ; et la dorienne Tarente montait au premier rang, que
nul ne lui disputa. Plus tard, les Tarentins sont à leur tour écrasés par les
Japyges, dans une sanglante bataille (280 [-474])
; mais cet échec, le plus terrible qu’eussent jamais subi les Hellènes,
provoque chez eux, comme l’invasion des Perses dans Mais non contents de ces attaques dirigées contre les
possessions des Étrusques dans la mer orientale, et les relations qu’ils y
avaient bouées, Denys alla les chercher au coeur même de leur territoire : il
prit d’assaut et pilla Pyrgi, le port de Caeré (369 [-385]). Pyrgi ne s’est jamais
relevée de ce désastre. Après la mort du tyran, Syracuse, en proie à des
guerres intestines, laissa le champ libre aux Carthaginois. Leur flotte
reparut dans la mer Tyrrhénienne, et y reprit une supériorité constamment
maintenue, sauf pendant quelques courtes interruptions. La domination
carthaginoise pesa d’ailleurs aussi lourdement sur les Étrusques que sur les
Grecs, à ce point qu’en 444 [-310] Agathocle de
Syracuse ayant pris les armes contre Carthage, dix-huit galères Toscanes
vinrent à son secours. Les Étrusques avaient à craindre l’invasion de On ne s’expliquerait pas la rapide décadence de leur
empire nautique, si, à l’heure même où les Grecs de Sicile les combattaient avec leurs flottes, ils
n’avaient eu aussi à lutter sur terre contre des ennemis non moins pressants.
À une date contemporaine des journées de Salamine, d’Himère et de Cymè, il y
eut guerre entré les Romains et les gens de Véies, guerre sanglante et qui ne
dura pas moins de quatre années (274-280 [-483 -474]). Plusieurs fois les Romains
essuyèrent de cruelles défaites. Un souvenir douloureux s’attache à la
catastrophe des Fabiens (277 [-477]), qui,
s’étant condamnés à l’exil volontaire pour mettre fin à une crise intérieure,
avaient entrepris la défense de la frontière Étrurienne, et qui périrent
jusqu’au dernier homme en état déposer les armes, sur les bords de Les Samnites firent comme les Latins : ils attaquèrent
aussi les Étrusques. A la suite de la bataille de Cymè, les établissements de
Campanie avaient perdu. leurs communications avec la mère patrie, et, livrés
à eux-mêmes, ils n’étaient plus en état de résister aux incursions des
Sabelliens de la montagne. En 330, Capoue, la colonie principale, succombe :
sa population toscane est détruite ou chassée par les Samnites. Les Grecs
Campaniens, isolés, affaiblis eux-mêmes, ont aussi beaucoup à souffrir de
cette invasion : Cymè, est conquise en 334 [-420]. Toutefois, ils se maintiennent à Néapolis (Naples) avec l’aide des
Syracusains probablement, pendant qu’au contraire le nom Toscan disparaît de
l’histoire dans Le peuple des Celtes, Galates ou Gaulois, était frère des Italiens, des Germains et des Grecs ; mais, sorti du sein d’une même mère, il en avait reçu une tout autre nature. Avec des qualités nombreuses, fortes, et plus brillantes même, il lui manquait la profondeur du sens moral et le caractère politique, indispensables avant tout pour l’avancement des sociétés humaines dans la voie du bon et du grand. Au dire de Cicéron, le Gaulois indépendant se fût cru déshonoré, s’il eût mis la main à la charrue. Il préférait la vie pastorale à l’agriculture : il nourrissait des bandes de porcs au milieu des plaines fertiles arrosées par le Pô, vivant de la chair de ses troupeaux, passent au milieu d’eux et la nuit et le jour, dans. les forêts de chênes. Il n’avait point, comme les Italiens et les Germains, l’affection de la terre qui lui appartenait en propre : il aimait mieux habiter les villes et les bourgs ; aussi semble-t-il que chez lui les villes et les bourgs aient pris de l’extension plutôt que chez les Italiens. La constitution civile des Gaulois était imparfaite : leur unité nationale n’avait point de lien qui la resserrât, chose qui s’observe, au reste, chez tous les peuples à leur début bien plus, dans leurs cités, on ne rencontrait ni concorde, ni gouvernement régulier, ni sentiments civiques, ni esprit de suite ou tendances logiques. L’ordre leur répugnait, hormis dans les choses de la guerre : là, du moins, les rigueurs de la discipline imposent à tous un joug qui leur épargne d’avoir à se maîtriser eux-mêmes. Les caractères saillants de la race celtique, selon leur historien Amédée Thierry, sont une bravoure personnelle que rien n’égale chez les peuples anciens; un esprit franc, impétueux, ouvert à toutes les impressions, éminemment intelligent : mais, à côté de cela, une mobilité extrême, point de constance ; une répugnance marquée aux idées de discipline et d’ordre..., beaucoup d’ostentation ; enfin, une désunion perpétuelle, fruit de l’excessive vanité[2]. Le vieux Caton les avait aussi dépeints en deux mots : les Gaulois recherchent deux choses avec ardeur : la guerre et le beau langage[3]. Bons soldats, mauvais citoyens, est-il étonnant qu’ils aient ébranlé tant d’États, et n’en aient point fondé un seul ? On les voit à toute heure prêts à émigrer, ou, pour mieux dire, à entrer en campagne, préférant à la terre les richesses mobilières, et l’or avant tout ; faisant du métier des armes un pillage organisé, ou une industrie mercenaire ; tellement habiles à les manier d’ailleurs, que l’historien romain Salluste leur donne le pas sur les Romains. Ils ont été vraiment les lansquenets de l’ancien temps, si les images et les descriptions d’alors sont fidèles. Grands de corps, sans beaucoup de muscles ; les cheveux ramenés en touffes au sommet de la tête, les moustaches longues et épaisses, à la différence des Grecs et des Romains qui portent les cheveux courts et se rasent là lèvre supérieure ; affublés de vêtements bariolés et chamarrés de broderies ; les rejetant souvent loin d’eux pour combattre ; avec leur large collier d’or, sans casque, sans armes de jet, se couvrant de leur vaste bouclier, ils se précipitent en brandissant leur longue épée mal trempée, leur poignard ou leur lance tout brillants d’ornements dorés, car ils ne sont pas sans quelque adresse dans le travail des métaux. Ils ont la passion de la renommée : ils font parade de leurs blessures qu’ils élargissent souvent après coup. Ils combattent à pied d’ordinaire ; mais ils ont aussi quelques escadrons à cheval, où chaque guerrier libre a deux valets également montés qui le suivent ; enfin, comme chez les Libyens et les Hellènes des temps primitifs, on voit aussi chez eus de bonne heure des chars armés. Leurs expéditions rappellent fréquemment celles de la chevalerie du moyen âge ; ils pratiquent le combat singulier que ne connaissent ni les Grecs ni les Romains. Ce n’est point seulement en temps de guerre qu’ils provoquent l’ennemi, en l’insultant du geste et de la parole ; en temps de paix aussi, ils revêtent leur éclatante armure et se livrent des combats à mort. Il n’est point rare que la lutte se termine par un copieux banquet. Telle était leur vie, vie de soldat, tumultueuse et vagabonde sous leurs propres étendards ou sous ceux de l’étranger : allant de l’Irlande ou de l’Espagne jusque dans l’Asie Mineure, et y promenant la guerre et les héroïques exploits : mais rien ne sort de tant d’entreprises : leurs effets disparaissent comme la neige du printemps : en nul lieu de la terre ils ne fondent d’État, de civilisation qui leur soit propre. Tel est le portrait que nous ont légué les anciens ; quant
aux origines gauloises, nous en sommes réduits aux conjectures. Issus de la
souche commune des rameaux hellénique, italique et germain[4] les Celtes
vinrent en Europe du fond de cet Orient, patrie commune des nations
occidentales ils poussèrent, il y a bien des siècles, jusqu’à l’Océan, et, se
fixant dans la contrée qui est aujourd’hui Il y avait, comme un concert entre ces divers peuples,
Syracusains, Latins, Samnites et Gaulois surtout, pour se jeter à l’envi sur
les Étrusques. Attaqués par tous les côtés, leur puissance, si rapidement
agrandie aux dépens du Latium et de A cette même heure les deux peuples qui les menaçaient à
la fois se prirent à leur tour de querelle : la fortune de Rome se vit tout à
coup arrêtée dans son nouvel et rapide essor, et faillit être renversée sous
les coups des Barbares. Rien dans le cours naturel des événements ne donnait
à prévoir un tel danger les Romains seuls l’appelèrent sur leur tête à force,
d’orgueil et d’imprudence. Les hordes gauloises avaient passé le fleuve après
la prise de Melpum, et se répandaient avec une furie irrésistible dans toute
l’Italie septentrionale, occupant les plaines ouvertes de la rive cispadane
et les rivages de l’Adriatique : delà, franchissant l’Apennin, elles
descendirent dans l’Étrurie propre. Quelques années plus tard (363 [-391]), elles
étaient au cœur du pays, et une armée de Sénons
assiégeait Clusium (Chiusi, sur la limite des États de
l’Église et de Les Gaulois sont souvent revenus dans le Latium. En 387 [-367], Camille les
bat non loin d’Albe ; ce fût là la dernière victoire du vieux guerrier,
six fois revêtu du tribunat consulaire, cinq fois dictateur, quatre fois
triomphateur sur la plate-forme du Capitole. En 393 [-361], le dictateur Titus Quinctius Pennus campe en face d’eux au pont de
l’Anio, à moins d’une lieue de la ville ; mais le torrent s’écoule vers Les Étrusques avaient profité de l’invasion des Gaulois
pour investir Véies ; mais ils le firent sans succès, n’ayant pu réunir des forces
suffisantes. Les Celtes avaient à peine cessé d’être en vue que le Latium se
retourne avec une énergie nouvelle contre Dans l’Italie du nord la paix se fait peu à peu ; un
état de choses durable commence, et les peuples, jadis tourmentés par tant
d’orages, s’établissent clans des frontières définitives. Les invasions par
les passages des Alpes ont cessé, soit à cause de la défense désespérée que
leur opposent les Étrusques, resserrés sur un territoire amoindri, et les
Romains devenus plus puissants au lendemain de leur désastre ; soit par
l’effet de révolutions inconnues de l’autre côté de la chaîne Alpestre. Entre
celle-ci et l’Apennin, jusqu’aux Abruzzes, les Gaulois sont désormais la nation
prédominante ; ils occupent les terres et les riches prairies de la
plaine : toutefois, leur occupation reste superficielle. De même que
leurs institutions politiques sont sans cohésion, de même leur domination ne
plonge pas de racines profondes dans le sol, et leur possession n’est rien
moins qu’exclusive. Quelle était alors la condition des régions des Alpes ?
Comment s’y opéra le mélange des émigrants, celtiques avec les races
Étrusques ou autres qui les y avaient précédés ? Nous ne le saurions
exactement dire. Jusque dans les temps postérieurs, il ne nous est parvenu
que des renseignements fort peu, certains sur la nationalité des peuples de
ces contrées. Un fait est indubitable : c’est que les Étrusques, ou, pour les
appeler du nom qu’ils prenaient, les Raetiens,
se maintiennent dans les Grisons et
le Tyrol ; et les Ombriens, dans
les vallées de l’Apennin. Au nord-est des bouches du Pô sont les Vénètes, qui appartiennent à une autre
langue, et, dans les montagnes de l’ouest, restent cantonnées les peuplades Ligures qui, s’étendant jusqu’à Pise et Arezzo, séparent les campagnes Gauloises de l’Étrurie. Au centre
de ces régions diverses, les Gaulois, en effet, se sont définitivement fixés,
les Insubres et les Cénomans dans la plaine, au nord du
fleuve ; les Boïens, au sud ; et le
long de la côte adriatique, d’Ariminum (Rimini)
à Ancône, sur le « territoire gaulois » proprement dit (ager Gallicus), les Sénons ; sans compter quelques autres tribus encore. Dans
cette région même, il a dû subsister aussi un certain nombre d’établissements
Étrusques, de même qu’en Asie, Éphèse, et Milet s’étaient maintenues au
milieu de l’empire Perse. Jusque sous l’Empire, Mantoue, dans son île, et grâce au lac qui l’enveloppe, restera
étrusque. On en peut dire autant, peut-être, d’Hatria, clans le delta du Pô, s’il faut en croire les nombreux
vases trouvés dans les fouilles. Enfin, le document de géographie côtière
connu sous le nom de Scylax (418 [336 av. J.-C.]) en
mentionnant Hatria et Spina, leur donne la qualification de
terres Étrusques. Tenant compte de tous ces faits, on comprend aussitôt
comment les corsaires Toscans ont rendu plus sûre la navigation du golfe
jusque fort avant dans le Ve siècle ; comment Denys de Syracuse a été
conduit à vouloir couvrir ces mêmes rivages de colonies comment, enfin,
Athènes elle-même, ainsi que, nous l’enseigne un document récent, avait
décidé qu’elle y enserrait aussi des colons, dans le but de protéger sa
marine et son commerce contre les coups de main des pirates Tyrrhéniens (429 [-325]). Mais,
quelque nombreux, quelque importants qu’ils aient pu être, les établissements
de la côte orientale n’étaient déjà plus que les débris, les vestiges isolés
d’un empire désormais disparu, et si les individus y trouvèrent encore
matière à succès, dans le négoce en temps de paix, ou dans les bénéfices de
la guerre, la nation Étrusque n’en tire pas profit pour elle-même. Sous un
autre rapport, il convient de reconnaître que, chez les Toscans à demi
indépendants de l’Adriatique, il existait le germe d’une culture, dont nous
retrouvons plus tard les résultats chez les Gaulois et les nations Alpestres.
Déjà, sans doute, les bandes des envahisseurs abandonnent d’elles-mêmes,
comme Scylax le dit encore, les pratiques de la guerre, et s’assoient
tranquillement dans les fertiles plaines du Pô. Quoi qu’il en soit, les
premiers rudiments de l’industrie et des arts, ainsi que l’alphabet et
l’écriture, sont un legs de l’Étrurie aux Celtes de Lombardie, aux peuples
des Alpes, à ceux de Après la perte de leurs possessions de Campanie et de leurs territoires au nord de l’Apennin, ou au sud de la forêt Ciminienne, les Étrusques vivent resserrés dans d’étroites frontières : pour eux, les temps ne sont plus de la puissance et de l’ambition conquérante. La nationalité Étrusque subit au dedans le contrecoup de sa déchéance au dehors ; et les germes de dissolution que depuis longtemps elle recèle se développent au grand jour. Il faut lire, dans les auteurs grecs contemporains, le récit des fantaisies inouïes, excessives, du luxe toscan. Les poètes de l’Italie du sud, durant le Ve siècle de Rome, célèbrent les vins de Tyrrhénie, et les historiens, Timée, Théopompe, dépeignent à l’envi les habitudes efféminées des Étrusques, la recherche de leur table et ce dévergondage de moeurs qui ne le cède en rien aux excès de la luxure byzantine. L’authenticité des détails manque à leurs récits, sans nul doute. Il en ressort du moins, en toute certitude, que ce fut de l’Étrurie que vinrent à Rome les horribles spectacles des combats de gladiateurs, cette lèpre de la cité impériale et de la société antique dans ses derniers âges. On ne saurait douter dés lors de l’état de décadence profonde des Toscans à l’époque où nous touchons. Leur condition politique en porte imprimé le cachet non méconnaissable. Si pauvres que soient les sources, en ce qui les concerne, nous voyons clairement chez eux prédominer des tendances aristocratiques, absolument comme à Rome, mais plus absolues, plus funestes encore, s’il est possible. La royauté est abolie dans toutes leurs villes, à peu près vers le temps de la prise de Véies : elle fait place au régime d’une sorte de patriciat qui, le relâchement du lien fédéral y aidant, va grandissant partout sans presque rencontrer d’obstacles. Il ne sait pas, sauf en de trop rares circonstances, réunir toutes les cités dans l’intérêt de la commune défense. Volsinies possède bien encore une hégémonie nominale ; mais qu’il y a loin de là à la force puissante et concentrée de Rome à la tête des Latins ! En Étrurie aussi, les citoyens appartenant aux anciens ordres luttent pour leurs privilèges, pour la possession exclusive des charges publiques et la jouissance à eux seuls des produits communaux ; mais tandis qu’à Rome les succès et les victoires au dehors permettent de donner, aux dépens de l’ennemi, quelque satisfaction aux exigences du prolétariat souffrant, ouvrent toute une vaste carrière aux ambitions, et sauvent ainsi la république ; en Étrurie, quand la monarchie est renversée, quand surtout le monopole théocratique des nobles se brise, l’abîme reste ouvert et il dévore toutes choses, institutions politiques, morales et économiques. D’immenses richesses, la propriété foncière presque tout entière s’étaient accumulées dans les mains d’un petit nombre de nobles, et, à côté d’eux, les masses végétaient misérables. Des révolutions sociales éclatèrent, qui doublaient le mal, au lieu de le guérir, et l’impuissance du pouvoir central fut telle, qu’à un jour donné, dans Arretium (453 [-301]), dans Volsinies par exemple (488 [-266]), l’aristocratie, accablée par la plèbe furieuse, se vit forcée d’appeler à son secours la vieille ennemie du pays. Rome vint : elle rétablit l’ordre ; mais elle mit fin du même coup au dernier reste de l’indépendance nationale. La puissance du peuple Étrusque avait été frappée à mort dans les fatales journées de Melpum et de Véies. Plus tard, s’il tente encore d’entrer en révolte contre son nouveau maître, il ne le fera plus jamais que sur les incitations venues du dehors ; et lorsqu’un autre peuple, celui des vaillants Samnites, lui apportera son aide avec l’espoir de la délivrance. |
[1] Hécatée († après 257 [-497]) et Hérodote (270 [-484] ; † après 345 [-409]) ne donnent ce nom qu’au delta du Pô, et à la mer voisine (0. Müller, Etrusker, I, p. 140 : Geograghi Grœci minor., ed. C. Müller, I, p. 23). C’est dans Seylax que pour la première fois nous le rencontrons appliqué à tout le golfe (vers 418 [-336]).
[2] Am. Thierry, Hist. des Gaulois, Introd., t. I, p. XII, de la 3e édition.
[3] Pleraque Gallia duas res industriosissime persequitur : rem militarem et argule loqui (Cato, Orig., L. II, fr. 2, Jordan).
[4] Des philologues experts ont récemment soutenu que les Celtes et les Italiques sont plus rapprochés entre eux que les Italiques et les Hellènes. En d’autres termes, à les entendre, le rameau, projeté par le grand arbre indo-germanique dont sont sortis toutes les races de l’Europe méridionale et occidentale, se serait divisé d’abord en Hellènes et en Italo-Celtes, puis, ensuite, aurait formé, en se séparant encore, les Italiques et les Celtes. Cette opinion semble géographiquement admissible, et les faits historiques n’y contredisent peut-être pas la civilisation dite gréco-italique aurait été, dans ce cas, une civilisation gréco-cello-ilatiote. Mais comment affirmer ce fait ? Nous ne possédons aucune donnée précise sur la condition originaire des Celtes. Les recherches linguistiques n’en sont elles-mêmes qu’à leurs premiers débuts, et il y aurait témérité à reporter dans l’histoire de ces peuples primitifs des conclusions toutes conjecturales encore.
[5] V. Tit. Liv. 5,-34
; Justin, 24, 4. César y fait aussi allusion : Bell. gall., 6, 24. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que la
fondation de Massalie soit le moins
du monde contemporaine à l’expédition de Bellovèse.
Celle-ci (vers 600 av. J.-C.) se placerait vers le milieu du second siècle de
Rome. La légende primitive et indigène
ne connaît pas les dates; et le rapprochement en question a été inventé par les
chronologistes des temps postérieurs. Il se peut qu’il y ait eu, dès les
premiers temps, quelques incursions, quelques migrations même ; mais les
conquêtes véritables des Celtes, en Italie, n’ont pu s’accomplir avant la
décadence de l’empire Étrusque, ou avant la seconde moitié du IIIe siècle, vers
400 av. J.-C. — De même, ainsi que le démontrent ingénieusement Wickham et Cramer, Bellovèse, pas
plus qu’Hannibal, n’est passé en
Italie par les Alpes Cottiennes (Mont Genèvre), et le territoire des Taurini [Turin], mais bien par les Alpes
Grées (Petit Saint-Bernard) et le
pays des Salasses [Vallée de
[6] Auj. Melzo ?
[7] Capène, auj. Civitella, entre le Tibre et Véies. — Faléries, auj. Civita-Caslellana. — Tarquinies, auj. Corneto, au nord de Civita-Vecchia.
[8] Auj. Bolsena.
[9] Nous donnons ici la date usuelle, 390 av. J.-C. — Dans la réalité, la prise de Rome correspond à la première année de la 99e olympiade, soit à l’an 388 av. J.-C. Cette différence tient à la computation vicieuse du calendrier Romain.
[10] Sutri, entre les lacs de Vico et de Bracciano : Nepi est non loin de là.