La géométrie soumet le monde à l’homme; l’écriture perpétue ses connaissances acquises, autrement périssables comme lui: toutes deux lui donnent ce que lui refusait la nature, la puissance et la durée. L’historien d’un peuple a aussi le droit et le devoir de porter de ce côté ses recherches. Toute mesure suppose la notion de l’unité de temps,
d’espace et de poids, et celle du tout divisible dans ses parties; de là les
nombres et leur système. En ce qui touche le temps, la nature fournit une
indication première dans les révolutions solaire et lunaire; dans le jour et
dans le mois : la mesure de l’espace trouve son type dans le pied humain,
plus commode à employer que le bras: enfin, quand l’homme, étendant le bras,
balance (librare) l’objet qu’il tient en main, il en estime aussitôt
le poids (libra). La division du tout en parties égales a son type
dans les cinq doigts de la main ou dans les dix doigts des deux mains,
origine du système décimal. Ces éléments de la mesure et des nombres n’ont
pas simplement précédé la séparation des races grecques et latines ; ils
se perdent dans la profonde nuit des siècles. La langue dit la première
combien est ancienne la mesure du temps basée sur le cours de la lune. C’est
aussi à l’époque au moins antérieure à la séparation des races que remonte ce
mode de calculer les jours placés entre les phases lunaires, en comptant, non
pas ceux qui viennent de s’écouler, par rapport à ceux qui vont venir, mais,
au contraire, ceux qui vont venir, par rapport à ceux passés. Le système
décimal appartient en propre aux Indo-Germains. Son antiquité et son origine
sont attestées par la concordance de toutes les langues dérivées, depuis le
nombre un jusqu’au nombre cent inclusivement. En Italie, les plus anciens
calculs appartiennent à ce même système. Rappelons sommairement le nombre
décimal des témoins et des cautions, des envoyés, des magistrats ; la
valeur relative du bœuf et des dix brebis, le partage du pagus en
décuries, partage qui persiste dans tous les détails ; les bornages, la
dîme rurale dans les sacrifices, la décimation, et enfin le prénom Decimus,
si fréquemment porté. Les chiffres ne sont pas moins remarquables et se
référent au même ancien système, soit pour la numération, soit pour
l’écriture. De signes conventionnels, il n’en existait point encore, quand
les Grecs et les Italiens tirèrent chacun de leur côté. En revanche, les
trois chiffres les plus anciens et les plus indispensables, I, V ou Λ, X
(1, 5, 40), imitations visibles de l’extension de l’index, de la main à demi
fermée ou du croisement des deux mains, n’ont été empruntés ni aux Grecs ni
aux Phéniciens ; mais ils sont communs aux Romains, aux peuples
sabelliques et aux Étrusques. Ils démontrent l’existence d’une écriture
nationale, encore à ses débuts, et témoignent aussi de l’activité de ce
commerce italique intérieur qui aurait précédé l’intercourse maritime. Quel
peuple italique les a inventés ; quel autre ne les a reçus que
d’emprunt ? Nous ne le saurions dire. Il n’existe plus guère de vestiges
de ce système décimal primitif : on peut pourtant citer le vorsus[1], mesure
superficiaire sabellique de Toutefois, quand elles ne se sont pas rattachées aux
estimations helléniques, et quand elles ont précédé les relations entre Grecs
et Italiens, les mesures prédominantes se rapportent à la division du tout (as) en douze unités (unciœ).
Les vieilles corporations sacerdotales, les Saliens et les Arvales comptent
douze membres ; il y a une Dodécapole en Étrurie. Le nombre douze
revient sans cesse dans les mesures romaines de poids et de longueur, où la
livre (libra) et le pied (pes) se divisent en douze fractions
égales,. Quant à l’unité de la mesure des surfaces, elle est composite,
tenant à la fois du système décimal et de celui duodécimal ; l’actus
(l’acte géodésique) a Mais un jour le trafiquant grec s’étant frayé la voie
jusque vers les côtes ouest de l’Italie, les mesures de longueur, celles de
poids, celles des corps liquides ou solides, celles, enfin, sans qui le
commerce ne serait pas possible, se trouvèrent plus ou moins affectées par ce
nouveau contact international. Les mesures de surface seules ne furent pas
changées. Le pied romain, plus tard un peu plus court que le pied grec[3], était alors ou
égal ou tenu pour tel. Outre sa division latine en 12 douzièmes, il fut,
comme le type grec, partagé en 4 palmes (palmus et Il en a été de même pour le calendrier romain, et pour celui des peuples italiques en généraI. National au début, il a bientôt subi l’influence grecque dans ses perfectionnements ultérieurs. Ce qui frappe tout d’abord les yeux de l’homme dans la division de sa vie, c’est le coucher et le lever alternatifs du soleil ; c’est le retour de la nouvelle et de la pleine lune. Aussi, durant des siècles, le temps se mesure-t-il par les jours et par les mois, déterminés non point en calculant d’avance leur révolution mais, à l’aide des simples observations personnelles. Le lever et le coucher du soleil ont été, jusque dans les temps plus récents, annoncés dans Rome par un crieur public ; et sans doute aussi dans les temps plus anciens le prêtre y proclamait, à chacune des phases de la lune, le nombre des jours à courir jusqu’au prochain quartier. Enfin, dans tout le Latium, et probablement chez les Sabelliens, comme chez les Étrusques, ainsi que nous en avons fait précédemment la remarque, et comme on vient de le voir, les jours se comptaient, non par le nombre de ceux écoulés depuis la dernière phase, mais par le nombre de ceux à courir jusqu’à la phase suivante. Après les jours venaient les semaines, variant entre 7 et 8 jours (d’une durée moyenne de 7 jours 3/8) ; après les semaines venaient les mois, également lunaires. La durée moyenne du mois synodique étant de 29 jours 12 heures 44 minutes, les mois lunaires étaient tantôt de 29, tantôt de 30 jours. Pendant quelque temps les Italiens n’ont pas connu de fraction du temps moindre que le jour, plus grande que le mois. Puis on divisa le jour et la nuit, chacun en 4 parties ; on s’habitua à calculer par heures. Mais, chose remarquable, chez ces diverses races d’origine commune, le commencement du jour ne se place pas au même instant : chez les Romains, il s’ouvre à minuit, à midi chez les Sabelliens et les Étrusques. Le calendrier annuel n’existe pas encore, du moins quand les Grecs et les Italiens se séparent, et à en juger par les dénominations toutes différentes qui, chez les uns et les autres, servent à désigner l’année et les saisons. Quant aux Italiens, il semble même qu’avant les migrations helléniques, et sans avoir su dresser encore un calendrier fixe, ils avaient adopté une unité de temps deux fois plus grande. Mais les Romains, en, simplifiant le calcul de leurs mois lunaires à l’aide du système décimal, avaient adopté la dénomination d’anneau (annus) pour désigner la révolution de dix mois ; et cette dénomination porte dès lors le cachet d’une haute antiquité. Quand plus tard, et toujours avant l’invasion de l’influence grecque, le système duodécimal prend faveur, comme il se rattache évidemment à l’observation de la marche du soleil, qui accomplit une seule révolution pendant que la lune accomplit 2 fois la sienne, le même rapport est tout naturellement pris pour mesure de l’unité de temps. Citons à l’appui une concordance et une preuve. Les noms
des mois n’ont pu entrer en usage, que quand le mois est apparu comme la
douzième partie de l’année solaire. Eh bien ! ces noms, ceux de mars
et de mai plus spécialement, ne sont point adoptés à la fois par les
Italiens et par les Grecs ; mais tous les Italiens les pratiquent en
commun. Établir un calendrier usuel en harmonie avec les mouvements lunaire
et solaire : résoudre ainsi un problème sous certains rapports insoluble
presque à l’égal de la quadrature du cercle, et, que de longs siècles de
travaux ont pu seuls mener à terme, c’est là peut-être un travail devant
lequel le génie italien n’avait pas reculé, même dans les temps
ante-helléniques : mais s’il a été tenté, toutes les traces de cette
entreprise nationale ont absolument disparu. Le plus ancien calendrier qui
nous soit parvenu, et qui ait été pratiqué à Rome et dans quelques cités latines
(de l’Étrurie et des pays Sabelliques nous ne savons rien), repose très
certainement sur les bases du système grec primitif : il s’efforce de
suivre les phases de la lune et le cours des saisons ; il admet une
révolution lunaire de vingt-neuf jours et demi, une révolution solaire de
douze mois et demi, ou de trois cent soixante-huit jours trois quarts, les
mois pleins de trente jours alternant régulièrement avec les mois imparfaits
de vingt-neuf; et l’année de douze mois avec celle de treize. Il se met enfin
tant bien que mal d’accord avec le mouvement vrai du ciel, en ajoutant ou en
supprimant arbitrairement un certain nombre de jours. Je ne nie pas que cette
ordonnance de l’année grecque ait bien pu entrer sans changement dans les
usages des peuples latins : toutefois I’année romaine, dans la forme la plus
ancienne qui nous soit connue, sans présenter de grandes différences dans les
résultats de son cycle, et dans les alternances de la révolution des douze
mois et des treize mois, s’éloigne cependant de son modèle, soit par les
dénominations des mois eux-mêmes, soit par la quantité des jours que chacun
d’eux renferme. Elle commence avec le printemps : son premier mois, le
seul qui porte un nom de divinité, s’appelle du nom de Mars (Martius) ;
les trois mois qui suivent sont ceux des bourgeons qui s’entrouvrent (aprilis,
avril), de la croissance (majus, mai), et de la
floraison (junius, juin). Du cinquième au dixième, le numéro
d’ordre est la désignation acceptée [quinctilis, (juillet), sextilis
(août), september, october, november, december] ;
le onzième est le mois de l’ouverture des travaux agricoles (januarius,
janvier). Après le repos de la mi-hiver, enfin, le douzième ou dernier
mois de l’année commune est celui des purifications (februarius, février[5]). Dans les années
intercalaires périodiques, un treizième mois sans nom s’ajoute à la fin de la
période annuelle ; il vient donc après février ; il est un mois de travail et aussi il reçoit parfois
l’épithète de mercedonius, consacré à la paye[6]. De même qui
donne aux mois des noms purement latins et traditionnels, le calendrier
romain leur assigne aussi une durée qui lui est propre. Le cycle grec compte
quatre années, composées de six mois de trente jours, et de six mois de
vingt-neuf jours, avec addition, tous les deux ans, d’un mois intercalaire,
dont la durée alterne entre trente et vingt-neuf jours (354 + 384 + 354 + 383
= 1.475 jours au total pour le cycle de quatre ans). Chez les Romains au
contraire, la période se compose de quatre années, où l’on trouve quatre mois
de trente et un jours (les 1er, 3e, 5e et 8e) ; sept mois de vingt neuf;
un mois de février de vingt-huit jours, dans les trois premières
années ; un mois de février de vingt-neuf jours dans la quatrième, et
enfin un mois intercalaire de vingt-sept jours tous les deux ans (355 + 383 +
355 + 382 = 1.475 jours aussi, pour les quatre ans). Le calendrier d’
ailleurs avait, comme son aîné, pour point de départ, la division originaire
du mois en quatre semaines de sept et de huit jours, le premier quart tombant
régulièrement sur le 7e dans les mois de trente et un jours ;
sur le 5e dans ceux de vingt-neuf : la pleine lune tombant le 15, dans
les premiers, et le 13 dans les seconds. De cette sorte, la deuxième et la
quatrième semaine du mois étaient de huit jours, la troisième de neuf, sauf
dans le mois de février de vingt-huit jours, où elle n’en comptait plus que
huit, et dans le mois intercalaire de vingt-sept jours, où elle n’en comptait
que sept. La première semaine était de six jours dans les mois de trente et
un jours ; elle n’en comptait que quatre dans tous les autres. Les trois
dernières semaines étaient, on le voit, semblables quant à la durée, il
n’était plus besoin que d’annoncer chaque fois à l’avance la durée variable
de la première semaine : d’où le premier jour de celle-ci prit le nom de
jour de l’annonce, ou calendes (kalendæ[7]). Le jour qui
commençait la seconde et la quatrième semaine, de huit jours toutes deux,
était appelé le neuvième, ou les nones (nonœ, noundinœ[8], conformément à
l’usage suivi à Rome, de compter dans le délai le jour où le délai expire[9]) ; tandis
que le premier jour de la troisième semaine avait gardé l’ancien nom des Ides
(jour séparatif[10]). Telle était la
curieuse ordonnance du calendrier nouveau des Romains. Elle eut sans doute
pour raison déterminante la foi dans la puissance salutaire des nombres
impairs. Tout en prenant, pour base, en général, l’antique forme de l’année
grecque, on voit clairement, qu’elle s’en écarte dans les détails, et qu’elle
subit l’influence décisive des doctrines de Pythagore, toutes puissantes
alors en Italie, et tout imprégnées, comme on le sait, du mysticisme des
nombres. En conséquence, s’il garde la trace d’un effort manifeste pour se
mettre en harmonie avec les révolutions solaire et lunaire à la fois, ce
calendrier ne tombe jamais d’accord en réalité avec le cours de la lune,
comme le faisait son devancier chez les Grecs, du moins dans l’ensemble. Et
quant aux saisons ou temps solaires annuels, il ne lui était possible de les suivre,
qu’en procédant à l’instar du calendrier grec primitif, et en se surchargeant
de nombreuses intercalations arbitraires : encore la concordance
demeure-t-elle toujours très imparfaite. Les Romains ne pouvaient guère
manier leur calendrier d’une façon plus intelligente qu’ils ne l’avaient
conçu. Conserver obstinément l’ordonnance des mois, ou, ce qui est la même
chose, le calcul par année décamensuelle, c’était reconnaître tacitement,
mais de façon explicite, l’irrégularité et l’insuffisance de l’ancienne année
solaire romaine. Le calendrier de Rome semble avoir été, en général, suivi
par les Latins, dans les parties essentielles de son système. Alors qu’en
tous pays, on voit varier et la date du commencement de l’année et les noms
des mois ; de simples divergences dans les numéros d’ordre, et dans les
désignations n’empêchent pas l’existence d’une base et d’une ordonnance
commune. De même aussi, dans chacun de leurs calendriers spéciaux, sans,
cesser d’avoir les yeux sur les mouvements de la lune, les Latins ont pu
facilement accepter des mois d’une durée arbitraire, ou mis en rapport avec
leurs fêtes anniversaires. Tel fut le calendrier d’Albe, par exemple, ou les
mois variaient entre seize et trente-six jours. Il est probable aussi que Quand les Romains voulurent mesurer de plus longues
périodes d’années, ils purent assurément compter par le règne. de leurs
rois ; je doute pourtant que ce mode spécial à l’Orient ait été dès
cette époque adopté par L’écriture phonétique est plus jeune que la science des mesures. Les Italiens pas plus que les Grecs n’ont en une écriture nationale ; quoique pourtant en ce qui concerne les premiers, on en pourrait trouver le germe dans leurs signes numériques, et dans les sorts ou tailles de bois enfilées, dont ils usèrent primitivement en dehors de toute tradition ou influence hellénique. Un seul et unique alphabet, transmis de race à race, et de peuple à peuple, a suffi et suffit encore à défrayer tout le groupe des civilisations araméenne, indienne et gréco-romaine, ce qui prouve combien a été difficile I’individualisation première des sons, au milieu des combinaisons infinies de l’histoire. Création puissante du génie humain, ce même alphabet a été l’œuvre commune des Araméens et des Indo-Européens. Dans la famille des langues sémitiques, où les voyelles ne jouent qu’un rôle secondaire, et n’apparaissent jamais au commencement des mots, l’individualisation des consonnes devient par cela même plus aisée ; aussi est-ce là qu’a été inventé le premier alphabet, sans voyelles, il est vrai. Puis sont venus les Indiens et les Grecs qui, apportant chacun les inventions bien diverses de leur génie, ont remanié sur le canevas de l’écriture araméenne certaines consonnes que le commerce leur avait fait connaître, et ont complété l’alphabet, en y ajoutant les voyelles ou en complétant les syllabes. Euripide précise bien leur oeuvre lorsqu’il fait dire à Palamède : J’ai porté remède à l’oublieux passé, quand je plaçai dans les mots les syllabes muettes ou résonnantes, et quand j’inventai pour les mortels la science de l’écriture. L’alphabet araméen-hellènique fut ensuite importé en Italie ; et cela à une date fort reculée ; mais avant, il avait reçu en Grèce des perfectionnements notables par l’addition des trois lettres nouvelles ξ, φ, χ ; et par les changements apportés aux signes γ, ι, λ (p. 185, note 1). Nous avons déjà dit ailleurs que deux alphabets grecs ont à vrai dire pénétré en Italie, l’un avec le double s (le sigma, ς, et le san, sch), le k simple, et l’ancienne forme P (r), fut suivi en Étrurie ; l’autre avec l’s simple, le double k (le kappa, et le koppa, q), et la forme plus récente r, prédomina chez les Latins. L’écriture étrusque primitive n’est pas disposée en ligne ; elle décrit des contours et serpente : une autre plus nouvelle va de droite à gauche en lignes parallèles inégales. L’écriture latine, au contraire, si loin que l’on remonte dans l’étude des monuments, suit la même disposition, mais en lignes égales marchant arbitrairement, d’abord, de droite à gauche, ou de gauche à droite, puis bientôt de gauche à droite seulement ; chez les Romains ; chez les Étrusques, au contraire, allant en sens inverse. — D’où est venu l’alphabet étrusque ? Ce n’est certainement ni de Corcyre, ni de Corinthe, ni de chez les Doriens Siciliotes. L’opinion la plus probable le rattache à l’ancienne Attique, où le koppa (q) semble avoir été abandonné plus tôt que partout ailleurs en Grèce. Mais on ne sait pas bien non plus si c’est par Cœré ou par Spina qu’il s’est répandu chez les Toscans, quoique toutes les vraisemblances parleraient davantage en faveur de Cœré, la dernière venue parmi les anciens entrepôts du commerce et de la civilisation. L’alphabet latin, au contraire, est une importation
manifeste des Grecs de Cymé et de L’acquisition du précieux trésor de l’écriture fit une impression profonde sur les peuples italiques qui venaient de la recevoir ; ils pressentaient une force latente dans ces petits signes obscurs. En veut-on la preuve ? L’un des plus remarquables vases extraits des caveaux bâtis à Cœré avant l’invention du plein cintre, porte dessiné sur ses parois l’antique alphabet grec, tel qu’il fut, dès l’origine, apporté en Étrurie ; puis, à côté de lui, un syllabaire toscan, auquel il a servi de type, avec certaines adjonctions analogues à celles de Palamède[12]. Ce vase est sans doute une relique sacrée, perpétuant le souvenir de l’introduction de l’écriture phonétique et de son acclimatation en Étrurie. Une fois naturalisé sur le sol italien, l’alphabet y
accomplit des progrès non moins importants, pour ne pas dire plus importants
que le fait même de son arrivée. On voit par là s’éclairer d’un rayon de
lumière le commerce intérieur de Tandis que les Étrusques propageaient leur alphabet au
nord, à l’est et au sud de En résumé, l’histoire de l’écriture en Italie confirme le fait de la prédominance de l’influence grecque chez les peuples de l’Ouest, tandis qu’au contraire elle ne s’exerça ni puissamment, ni directement chez les peuples sabelliques. Ceux-ci reçurent leur alphabet des Étrusques et non des Romains ; ils le reçurent, tout l’indique, avant d’avoir franchi les crêtes de l’Apennin. Sabins et Samnites, en quittant leur patrie première, l’emportèrent avec eux. D’un autre côté, cette même histoire conduit à une conclusion qui renverse aussitôt toutes les opinions fausses, tant préconisées plus tard dans Rome même, qui voyaient tout un monde dans le fatras mystique de l’antiquité étrusque, et qui, reprises et complaisamment célébrées par la critique moderne, veulent absolument placer en Étrurie, le germe et à la fois le noyau de la civilisation romaine. S’il en avait été ainsi, on en trouverait quelque part la trace, sans doute. Loin de là, le germe de l’écriture latine est grec, purement grec de plus, elle est restée, nationale et exclusive dans ses progrès, à ce point, que jamais elle ne s’est appropriée la lettre ƒ, à laquelle les Étrusques tenaient tant. Quand il y a emprunt, pour les signes de la numération, par exemple, l’emprunt est fait par les Étrusques, qui tout au moins ont demandé le chiffre 50 aux Romains. Enfin, chose bien remarquable, en même temps qu’il se propage et se développe parmi toutes les races italiques, l’alphabet grec va se corrompant. Par exemple, les lettres médianes disparaissent dans les idiomes étrusques : chez les Ombriens, le γ, le d se perdent ; le d seul chez les Samnites, le γ chez les Romains, sont aussi délaissés ; et les Romains encore sont fortement en train de confondre le d et l’r. L’o et l’u se confondent de bonne heure en Étrurie ; et déjà, dans le Latium, le même accident se prépare. Pour les sifflantes, les choses se passent à l’inverse. Pendant que les Étrusques s’obstinent à garder le z, l’s, et le sch (le san) ; que les Ombriens, tout en rejetant l’s imaginent deux sifflantes nouvelles, les Samnites et les Falisques se contentent comme les Grecs de l’s et de l’r ; les Romains, de l’s tout seul. Certes, les importateurs de l’alphabet en Italie, gens instruits et parlant les deux langues, avaient l’oreille sensible aux plus délicates finesses des sons ; mais, le jour étant venu où l’écriture italienne pût cesser de copier servilement son modèle hellénique, elle élida peu à peu les médianes et les brèves, et elle altéra résolument les sifflantes et les voyelles, toutes élisions ou altérations essentiellement contraires au génie de la langue grecque. En même temps disparurent bon nombre de formes de flexion ou de dérivation. C’était là de la barbarie, dira-t-on ! soit ; encore n’y faut-il voir que la corruption fatale où tombent incessamment toutes les langues, quand la littérature et la grammaire rationnelle n’y mettent point obstacle. Seulement, quand partout ailleurs le phénomène passe sans laisser de traces, ici l’écriture l’a conservé. Les Étrusques, plus qu’aucun autre peuple italique, ont subi les atteintes du barbarisme : preuve nouvelle, après tant de preuves, de leur génie rebelle à la civilisation. Que si, d’un autre côté, la dégénérescence de l’idiome écrit se fait encore profondément sentir chez les Ombriens, puis devient moins forte chez les romains, et surtout chez les Sabelliens du Sud, la cause en est facile à indiquer, peut-être. Les Ombriens sont en communications journalières avec les Étrusques les autres peuples sont davantage au contact avec les Hellènes. |
[1] Vorsum dicunt 400 pedes quoquoversum quadratum (Varr., de re rust., 1, 10, 1) — Quod Græci plethron appellant, Osci et Umbri vorsum. (Frontin : de limit. p. 30).
[2] Au commencement, l’actus,
comme son doublement, que l’on rencontre bien plus souvent, le jugerum
(de jugum, joug) ; comme le morgen (matinée ou journal
des Germains), sont bien plutôt des mesures de travail que des mesures de
surface. Le jugerum, désigne le travail de la journée ; l’actus,
celui de la moitié du jour. On sait que les Italiens partageaient exactement la
journée du laboureur par le repos du
[3] Le pied romain n’atteint qu’aux 24/25 du pied grec.
[4] Vinaigrier, et plus tard, mesure de capacité, ¼ de l’hermine.
[5] Februrarius mensis dictus, quod tum, id est, extremo mense anni, populus februaretur, it est lustraretur et purgaretur. — Fest., p. 85, Müller. — Februa Romani dixere piamina patres. Ovide, Fast., 2, 19.
[6] Mercedonios (dies) dixerunt a mercede solvenda. — Fest. P. 124, éd. Mull. — V. Gruter, Vet. Kelend. Roman. 133.
[7] Primi dies nominati calendœ, ab eo quod his diebus calantur ejus mensis nonœ, a pontificibus, quentimanœ an septimanœ sint futurœ. — Varr. l. L. 6, 4, 59.
[8] Elles tombaient donc le neuvième jour avant les Ides. (Varr., l. L. 6, 4, § 28, O).
[9] De là l’adage de droit : Dies termini computatur in termino.
[10] De l’Iduo, vieux, mot : dividere ?
[11] Le cens se faisait tous les cinq ans. Il était accompagné des lustrations et des sacrifices (lustrum), après lesquels les censeurs résignaient leurs fonctions. — V. Freund, Dict. lat., v° Lustrum, et surtout Smith, Dict. of Greek and Roman antiquities (London, 1856), v° Census, Lustrario, Lustrum.
[12] Inventeur, dit-on, des Θ, Σ, Φ, Χ, et même des Υ et Δ.
[13] On y trouve à la fois C. (Gaius) et GN (Gnaeus) ; mais le K reste dans Kœso. Naturellement cette remarque ne s’applique pas aux abréviations de date plus moderne : le γ n’y est plus représenté par le C, mais par un G (GAL., Galeria) ; le χ est régulièrement indiqué par un C (C. centum, COS. consul, COL. collina) ; et devant l’A très-souvent par un K (KAR, karmentalia ; MERK., merkatus).
[14] Ou période Sothiaque, ainsi appelée parce qu’elle commençait et finissait avec le Lever héliaque de Sothis, l’étoile de Sirius ou du chien. Elle durait 1460 ans.
[15] Si le raisonnement est exact, les poésies homériques (et je n’entends pas parler ici, cela va de soi, de la rédaction définitive que nous avons dans les mains), les poésies homériques, dis-je, remontent à une date bien antérieure à celle qu’Hérodote assigne à l’époque où florissait Homère (100 ans avant Rome). Il est certain, en effet, que si l’introduction de l’alphabet grec en Italie se place au début des premières relations commerciales entre les Italiens et Ies Grecs, elle a été aussi tout à fait postérieure aux temps homériques.
[16] De même, le vieux mot saxon writan (reissen, déchirer, tracer, en allem.) a plus tard signifié écrire. [Il se retrouve dans le mot to write des Anglais].
[17] V. v° moneta, au Dict. de Freund, et Preller, Myh., p. 232 — Atque eliam scriptum a multis est, quum terrœ motus factus esset, ut sue plena procuratio ficret, vocem ad œde Junosis ex arce extitisse, quocirca Junonem illam appelatam monetam. Cicéron, Divin., 1, 45, 101.