Nous donnons ici non
pas la traduction entière, mais un extrait aussi fidèle que possible du Mémoire
publié par M. Mommsen dans les Comptes-rendus de la Société historique
de Breslau, en 1857. Nous avions cité souvent ce travail célèbre dans nos
notes, et nous déférons à l’invitation de beaucoup de nos lecteurs, en le
joignant en Appendice au présent volume. Mais, qu’on ne se fasse point
illusion : pour ceux qui voudront en contrôler plus à fond toutes les
données, toutes les conclusions, il est absolument nécessaire de recourir à
l’original, aux développements détaillés dans lesquels est entré l’auteur, et
à l’appareil de notes érudites et de citations dé textes placées en preuve au
bas de chacune des pages.
I — Ce que c’est que la
Province, sous la République
1. — Le sens du mot
Province (provincia) chez les Romains n’a pas été,
ce semble, suffisamment éclairci. Et pourtant, il y a là un détail dont il
faut tenir compte dans l’étude des derniers jours de la République. Aussi,
pour aider à l’intelligence des questions qui font l’objet de ce travail,
nous nous attacherons d’abord à fixer la notion même de ce mot provincia.
Chacun le sait, le commandement suprême à Rome, l’imperium,
n’est point, au début, circonscrit dans la ligne d’une compétence définie.
Tant que le Roi est seul à la tête de l’État, seul aussi il est maître et
seigneur nécessaire dans les choses de la guerre et de la justice ; et
lorsque deux ou plusieurs magistrats, collègues entre eux, succèdent à ses
pouvoirs, rien n’est changé dans leurs attributions souveraines. Chacun des
consuls, chacun des tribuns consulaires a égale qualité pour procéder à tous
les actes de justice ou de guerre du ressort de l’imperium. Mais,
comme en même temps, les Romains ne voulaient point d’une administration à
proprement parler collective, au sens actuel[1], ils crurent
sortir d’embarras en transférant, dans les cas exceptionnels,
l’administration toute entière à un seul, l’autre collègue se suspendant, de
lui-même et momentanément, dans ses pouvoirs. Ainsi arrivait-il, par exemple,
quand les consuls étaient tous les deux en face de la même armée ennemie. De
là, à diviser le commandement par jours alternes, il n’y avait qu’un pas[2]. Mais ce moyen
terme d’une abdication temporaire n’eût été qu’impéritie et danger : on en
vint promptement et forcément au fait du partage habituel des affaires entre
collègues. Comment ? Suivant quelles règles ? D’abord, le bon plaisir des
magistrats en décida ; puis bientôt l’autorité grandissante du Sénat s’imposa
aux consuls, soit qu’il y eût répartition expresse des affaires durant
l’année de charge, soit qu’on fît parler le sort... De là, pour exprimer la
compétence annuelle ainsi déterminée, le mot vincia
ou provincia[3].
Le mot provincia,
synonyme de commandement, ne s’applique qu’à l’imperium du
magistrat suprême : il ne désigne que la compétence impératoriale, ce
qu’il serait facile de démontrer par des exemples tirés du langage usuel. Les
consuls et les préteurs ont bien d’autres affaires à régler que n’en
comprennent les provinces. consulaires et prétoriennes ; et la présidence si
importante du Sénat, pour ne citer qu’elle, ne rentre pas dans la province.
Pourquoi ? Parce que la présidence du Sénat ne se rattache en rien à l’imperium,
et qu’il suffit pour l’avoir, d’être promu à la dignité consulaire[4] : la province au
contraire n’a trait qu’à la puissance militaire et judiciaire, aux actes qui
découlent essentiellement de l’imperium[5]. Aussi jamais ne
verrez-vous donner le nom de province aux attributions réparties entre
les autres magistrats. Les édiles se distribuent les actes de leur fonction,
absolument comme font les consuls et préteurs : leur compétence est réglée
par le sort ou la convention[6] ; jamais on ne
l’appellera la province de l’édile. Mais, dit-on, les questeurs ont eu
aussi leur province officielle[7]. L’exception
n’est qu’apparente : le questeur n’étant autre que l’auxiliaire du consul ou
du préteur, la province qui lui échoit n’est point à lui, à vrai dire ; elle
dépend du commandement du magistrat suprême dont il est le subordonné. C’est
en ce sens qu’il faut entendre l’expression parfois rencontrée de Province
prétorienne ou consulaire du questeur...[8]
2. — La division
des attributions consulaires s’est donc pratiquée dès le début même du
consulat. En droit positif, les lois liciniennes (387 [367 av. J.-C.]) l’ont pour la
première fois prescrite et régularisée. Ces lois, on le sait, des trois
magistrats suprêmes annuels, en ont mis deux (les consuls) à la tête de l’armée,
réservant l’autre (le
préteur) pour l’administration de la justice. Et c’est à l’heure même
où cesse l’indivisibilité théorique de l’imperium, que celui-ci reçoit
son expression complète et sa formule nécessaire. Que si les deux consuls ne
se mêlaient point, dans la réalité, de l’administration de la justice dans
Rome ; que si leur imperium, sous ce rapport, n’existait plus qu’en
principe et à l’état latent, du moins se maintenait-il encore avec son nom et
son appareil extérieur[9]. Le tiers magistrat
était plus spécialement préposé à la justice dans la capitale, et par suite
ne pouvait s’absenter durant plus de dix jours : mais lui aussi, il possédait
la plénitude de l’imperium, et le commandement militaire lui
appartenait même plus complètement, si l’on peut dire, que là juridiction
civile n’appartenait au consul : pour le préteur enfin, l’exercice. du
généralat n’était que suspendu, et il suffisait d’un sénatus-consulte pour le
remettre en action[10] ......
La doctrine nouvelle de la compétence spéciale
entraîna le partage effectif de l’Imperium. En 511 [243 av. J.-C.],
la présidence des juridictions civiles se divise : il y a désormais un
préteur urbain, et un préteur forain (peregrinus) : puis,
l’extension de la domination romaine sur l’île de Sicile, en 527 [-227], et
bientôt après sur les autres régions conquises au-delà des mers, achève la
révolution commencée. Il n’était plus possible à l’administration centrale de
pourvoir aux exigences de la justice et de l’état militaire clans ces
contrées lointaines. Il fallut abandonner le système des attributions,
concentrées dans la personne du consul, pour les choses de l’administration
pure, et pour le commandement à l’armée, et dans la personne des préteurs ou
de leurs subalternes, pour ce qui regarde la justice. Dans chaque territoire
transmaritime, il fallut établir un consul auxiliaire, tout à la fois chef
militaire, grand juge, et administrateur dans sa circonscription, comme
l’avait été le consul des anciens temps, inférieur à celui-ci par le rang et
le titre, mais l’égal du préteur. A dater de ce jour, et jusqu’au siècle de
Sylla, l’imperium se divisa légalement en une foule d’attributions
spéciales et permanentes, sans compter les missions extraordinaires, fort
nombreuses aussi. Tels étaient : 1° la juridiction dans la cité ; 2° celle
dite foraine ; 3° et les commandements successivement créés à demeure, de 327
à 562 [-227/-192],
en Sicile, en Sardaigne, dans les deux Espagnes, en Macédoine, en Asie, en
Afrique, dans la
Narbonnaise et en Cilicie : 4° il y faut ajouter enfin
le commandement militaire du continent italique auquel se rattachèrent les
régions cisalpine et illyrienne. — Restaient certains autres offices de la
magistrature suprême, non compris théoriquement dans la notion de la compétence
impératoriale, comme la présidence du Sénat, par exemple, ou auxquels dans la
pratique elle n’avait jamais été étendue, comme la présidence des élections
et des comices centuriaux ......
Dans le détail, la division des affaires entre les consuls
et les préteurs de l’année, se fit sous les yeux et sous l’autorité chaque
jour accrue du Sénat ...... Si le cumul des juridictions spéciales se pouvait
pratiquer encore et se pratiquait fréquemment, jamais en revanche on n’eut
permis celui de la justice et du commandement militaire[11]. Pareillement il
y eût eu danger à cumuler les deux commandements militaires ...... Enfin il
n’était point permis de laisser les juridictions spéciales non pourvues,
tandis qu’au contraire le commandement militaire pouvait rester vacant sur le
continent italique, en cas d’empêchement des magistrats. Quant aux affaires
et aux actes ne ressortissant pas des provinciæ,
il n’était pas besoin pour leur gestion qu’un des magistrats fût exprès
retenu à Rome : en cas d’urgence, le préteur urbain y procédait, ou
encore l’un des consuls revenait pour quelques jours en ville, et y mettait
la main.
3. — Les
commandements permanents transmaritimes furent un jour portés à quatre, et
les préteurs annuels à six, en conséquence de l’organisation des provinces
espagnoles (en 557
[-197]). La division des attributions devient alors chose tout à fait
normale. Aux six prêteurs échoient les compétences spéciales
auxquelles il a fallu nécessairement pourvoir, c’est-à-dire les deux
juridictions (urbaine
et foraine), et les quatre gouvernements d’au-delà des mers.
Quant aux consuls, ils demeurent attachés aux commandements de terre ferme ou
à l’administration de la capitale. Par ce moyen on en a un toujours sous la
-main pour les cas extraordinaires ; et quelques exceptions qu’il soit fait à
cette distribution des rôles, la règle subsiste en pleine vigueur jusqu’à la
mort de Caton. — Mais voici qu’au VIIe siècle la confusion s’introduit dans le système : les
proconsulats transmaritimes ont été portés de quatre à neuf ; et cependant on
a continué chaque année à n’instituer que l’ancien et même nombre de,
magistrats. Veut-on la preuve manifeste de leur insuffisance ? Voyez la
constitution que se donnèrent les insurgés italiques pendant la guerre
sociale : cette constitution, jetée d’ailleurs dans le moule de celle de
Rome, créait douze préteurs annuels, au lieu des six préteurs romains.
— Or l’insuffisance des magistrats engendrait une confusion grandement
nuisible aux intérêts mêmes de l’aristocratie dominante, et qui laissait
prise aux intrigues des partis et au jeu des coteries. Sylla, en réorganisant
l’administration, voulut apporter le remède au mal, comme je l’ai établi
ailleurs, il introduisit dans les magistratures la séparation systématique
entre les. départements civil italique, et militaire extra-italique. A dater
de lui, les charges d’ailleurs ayant deux ans de durée, le département
italique appartint à la première année, celle du consulat et de la préture ;
l’autre devint l’apanage de la seconde année, celle du proconsulat et de la
propréture. De là désormais un ordre double des compétences. Dans la première
année, les deux consuls président le Sénat et dirigent l’administration,
pendant que les huit préteurs se consacrent aux diverses branches de la
justice. Dans celle qui suit, les mêmes dix magistrats, devenus proconsuls et
propréteurs, sont chargés des divers commandements, auxquels vient s’ajouter
encore celui de terre ferme, par le fait de l’organisation de la Gaule cisalpine en un
district militaire spécial. Si bien que le nombre des commandements s’élève
actuellement à dix. A dater de ce jour le mot provinces (provinciæ) demeure justement attaché aux
gouvernements du second ordre ou de la seconde année ; les attributions des
magistrats de la première année, à l’exception de celles des deux préteurs
urbain et forain, ne constituant plus, à vrai dire, un département, une province
......
La province est en réalité l’apanage des dix
offices proconsulaires et pro prétoriaux. Et c’est en ce sens que Cicéron
définit les provinces sous le nom de domaines (prædia)
du peuple Romain[12], et qu’il
désigne la Sicile
comme la plus ancienne province de l’État[13].
Les choses restèrent ainsi : et sous l’empire même il ne
fut plus innové. Toutefois l’armée étant devenue permanente, les
gouvernements proconsulaires et pro prétoriaux furent aussi donnés à poste
fixe. Ils ne sont plus comme avant l’objet d’une attribution déterminée par
un sénatus-consulte spécial. Les gouvernements d’Asie et d’Afrique sont
désormais remis à des proconsuls, les autres gouvernements à des propréteurs.
De plus la plupart des provinces ayant cessé de dépendre du Sénat, par
extension de la loi Gabinia votée en faveur de Pompée, et leur administration
ressortissant pour le fond du droit de l’imperium extraordinaire du César,
elles restent en fait placées dans la main de ses lieutenants.
II — L’année de charge et l’année de commandement[14]
4. — On sait que
l’année romaine dans l’ancien temps commençait au ter mars. C’est en 601 [163 av. J.-C.],
que les magistrats suprêmes de la cité ont pour la première fois reporté leur
entrée en charge au 1er janvier, arrêtant ainsi le début de
l’année à la date aujourd’hui usitée depuis plus de 2000 ans[15]. De là, deux
innovations, dont la plus notable, à première vue, le report au 1er
janvier de l’entrée en charge, fixée au 15 mars, 80 ans avant, n’était
cependant pas la plus grave. L’autre modification a une toute autre portée,
en ce que désormais on abandonné le principe de la séparation de l’année
civile et de l’année de magistrature. Jusqu’en 600 [-154], l’année officielle des
hauts magistrats, consuls, préteurs, édiles curules, et plus tard aussi des
édiles plébéiens, allait du 15 mars au 14 mars, celle des tribuns du peuple
courait du 10 décembre au 9 décembre[16], sans toucher
d’ailleurs à l’année civile, du 1er mars à la fin de février. Mais
à partir de 601 [153
av. J.-C.], la nouvelle année officielle des magistrats curules,
du 1er janvier à la fin de décembre, va constituer aussi l’année
civile usuelle. Nous voyons, par des indications précises[17], qu’il en est
ainsi dès le VIIe
siècle de Rome ; et dès lors, on ne peut placer ce changement à une date
postérieure, par exemple à celle de la réforme du calendrier par César.
5. — Mais est-il
vrai que l’ancienne année officielle ait été complètement abolie par le
nouvel usage ? Le renouvellement du feu et des lauriers, dans le temple de
Vesta[18], l’enlèvement
des boucliers sacrés appendus aux murailles de l’ancien palais des rois, la
première danse des armes des Saliens[19], toutes ces
solennités du 1er mars et d’autres réminiscences religieuses se
référant à l’ancien nouvel an du mois de mars, n’impliquent en aucune façon
son maintien à un titre quelconque. — On a soutenu aussi que le 1er
mars est resté le terme usuel, le point de départ des baux à loyer et à ferme
annuels, mais on l’a soutenu sans preuves[20]. — Ce qui est
certain, c’est que jusque sous les empereurs, l’année militaire commençait
encore au 1er mars : j’en ai ailleurs fourni la preuve, tirée de
l’inscription d’un bronze aujourd’hui conservé au musée Britannique[21]. On y lit que 16
soldats des cohortes des vigiles de Rome, le premier entré au service le 31 mai 199 (de l’ère chrétienne),
le dernier le 13
février 200, (milites facti) élèvent
un autel au génie protecteur de leur centurie, reconnaissants qu’ils
sont d’avoir été portés le 1er mars 203 sur la liste des ayants-part
aux distributions publiques de blé (frumento publico
incisi), c’est-à-dire, inscrits au rôle des citoyens
romains. Nous trouvons d’ailleurs l’explication du fait dans un
sénatus-consulte, cité par Ulpien[22], aux termes
duquel le soldat du droit latin reçoit la cité après trois ans de
service dans les vigiles. Or les trois ans des 16 soldats ci-dessus prenant
fin au 1er mars 203, on voit par là que sans se préoccuper de ce
que l’année de l’entrée au service n’est pas complète, on la fait en tout
état courir du 1er mars 200. — Donc l’année militaire va du 1er
mars à la fin de février, et notre opinion se confirme encore par ce fait,
que lorsqu’il est fait mention d’un groupe de soldats entrés au service
ensemble ou plutôt dans la même année militaire, leur temps se place à cheval
sur deux années consulaires[23].
... Naturellement, le jour effectif de l’incorporation du
soldat et celui de son congé ne tombaient pas obligatoirement au 1er
mars. Le magistrat, qui levait la troupe, fixait le jour de l’entrée, et
quant au licenciement (missio), le soldat ou mieux le vétéran
n’avait point sa liberté ipso jure, il
n’y acquérait qu’un titre. Son serment ne lui permettait de quitter les
aigles qu’avec l’autorisation du général[24]. — Quoi qu’il en
soit, et tout compte fait, c’est au 1er mars que se place le terme
ordinaire initial et final du service militaire. Quand, dans les temps
anciens, l’armée n’était formée que de la levée des citoyens, tous les ans
renvoyés dans leurs foyers, les soldats n’étaient appelés qu’à l’ouverture de
la belle saison,.... et il ne faut pas douter qu’en mettant leur nouvel an au
ter mars, les Romains n’avaient fait qu’adopter l’époque habituelle de la
campagne militaire. Le congé, alors, concordait avec la fin de l’expédition.
Mais une fois venue l’ère des armées permanentes, les congés se délivrèrent
du 4 au 7 janvier à Rome[25], et si l’on tient
compte de l’éloignement des camps et des cantonnements, on constate que le
soldat n’était guère libéré qu’en mars, un peu avant et un peu après le
premier jour de ce même mois.
6. — La plus
petite unité de temps dans l’ancien service militaire était le semestre,
allant du 1er mars à la fin d’août, et du 1er septembre
à la fin de février, ainsi qu’on le sait maintenant par l’échéance des termes
du paiement de la solde (stipendium semestre)[26] : dans
l’organisation nouvelle, l’unité est l’année (stip. annuum),
du 1er mars à la fin de février. Dans les inscriptions votives ou
tumulaires, tandis qu’on trouve l’âge toujours exactement relaté, années,
mois et jours, le temps de service n’est mentionné le plus souvent que par
les années de solde (stipendia, æra) ... Quand le soldat ne
servait que par intervalles, on ne pouvait compter chaque passage dans la
légion, si court qu’il fût, comme année de service : mais celui-ci étant
devenu permanent et de durée, on admit, pour l’année d’entrée et de sortie,
la série même la plus courte des jours militants ... Dans la théorie et dans
la pratique la règle militaire se comportait comme la règle du droit public
et civil, et ne comptait pas de momento ad
momentum. Elle tenait compte de l’unité entière, par cela
seul que la fraction était acquise... De même que l’enfant né une
heure avant minuit, et
décédé une heure avant la minuit
suivante, a vécu deux jours (dies cœptus pro completo)
; de même que dans la computation juridique, les 365 jours de l’année sont
tenus pour révolus, le premier et le dernier jour n’auraient-ils été qu’à
peine entamés : de même, et par analogie, le milicien appelé le 1er
février, ou le 1er août, et congédié le 1er avril ou le
1er octobre suivants, a servi ses deux semestres, et son temps de
20 ans de service est complet, non à la fin, mais au commencement de la
vingtième année ; il ne lui reste qu’à attendre la mission du chef. — Tout
cela dit bien entendu, sauf les exceptions, que ce n’est point ici le lieu
d’énumérer[27]...
7. — A Rome, entre
le régime de la guerre et celui des procédures judiciaires, il y a affinité ;
mieux que cela, identité. Ils sont dominés par un seul et même principe
politique, celui de l’imperium. Les mêmes règles de droit, les mêmes
formes président à la guerre contre Gabies et au procès d’Aulus Agerius
contre Mimerius Negidius : les mêmes pouvoirs opèrent dans la personne
du préteur, au dehors quand il commande et fait droit contre l’ennemi, au
dedans quand il juge ...... Mettons donc en relief la vraie nature de l’imperium,
et prouvons l’identité des deux années militaire et judiciaire.
On sait bien ce qu’est l’annus litium[28]. Mais quel était
son point de départ ? Ici, les sources se taisent. Dans les Manuels de
l’école, on fait partir du même jour et l’année judiciaire et l’année civile.
Loin que le fait soit démontré, il est impossible. Comme il y a plusieurs
préteurs, le partage de leurs compétences, ainsi que pour les consuls
antérieurement à la loi de G. Gracchus, s’effectua toujours après leur entrée
en charge[29].
Si l’année judiciaire eût commencé le 1er janvier, les plaids
n’eussent pu aussitôt s’ouvrir (lites inchoare), chose
pourtant nécessaire : il eût fallu attendre la répartition des juridictions.
La chose eût été vite faite dans les temps anciens, alors que le magistrat
s’en réglait soit à l’amiable avec ses collègues, soit par la voix du sort.
Mais vint le jour où le Sénat se saisit de cette attribution si féconde pour
son pouvoir. Le partage des provinces subit des longueurs. Maintenant, si
l’on ouvre l’année judiciaire au 1er mars, plus de difficulté : on
a les mois de janvier et février pour le règlement des juridictions[30]. Ajoutons ceci
que hors de Rome, il n’y a d’autre magistrat que l’officier général, d’autre
justice que la justice militaire : or, ici, forcément l’une et l’autre années
concordaient. Combien d’inconvénients dans, la doctrine et dans la pratique,
si l’annus litium n’eût point été le
même et dans la ville, et hors de ses murs ? — On démontrerait pareillement
qu’après le 1er septembre, les procès ne s’ouvraient plus, parce
que, d’un côté, le même juge les devait vider devant qui ils avaient
commencé, parce que de l’autre, les jurés perdaient leurs pouvoirs, quand le
juge qui les avait nommés se retirait[31]. Or le 1er
novembre tombe juste 6 mois après 1er mars, et par là, ramène à
l’année ouverte ce dernier jour.
Ainsi donc, la réforme légale de 601 [153 av. J.-C.]
(supra n° 4)
fut des plus importantes. L’année de charge des magistrats curules, ou ce qui
est même chose, l’année civile commence désormais le ter janvier : mais l’imperium
resté fixé à l’ancienne date initiale du 1er mars, et comme il
n’était point permis de prendre la loi curiate (de imperio)
avant cette époque[32], c’est elle
encore qui continuera d’être le point de départ de l’année militaire et de
l’année judiciaire. D’où cette conséquence en fait que la magistrature
ouverte le 1er janvier durera 14 mois, conséquence dont ne
s’étonneront pas ceux qui savent que les magistratures ne se suivaient plus
immédiatement, mais qu’un intervalle de deux ans séparait l’édilité de la
préture, la préture du consulat......
9. — Revenons à la
question de la durée des gouvernements provinciaux, sujet principal de toute
cette étude ; et distinguons d’abord entre le temps de la résidence, et la
durée et l’échéance de l’imperium. L’ancienne constitution n’avait
rien réglé quant au temps de résidence. Juridiquement, le chef suprême de la
province la pouvait quitter quand il voulait, sauf à se faire suppléer par un
lieutenant (legatus pro. magistratu) : il n’était
pas davantage obligé de quitter la place à l’expiration de son temps de
charge, si son successeur tardait à venir. Plus tard, quand vint l’agonie de la République, la loi Pompéia (702 [52 av. J.-C.]), et les sénatus-consultes
à la suite, firent un devoir aux proconsuls et propréteurs de séjourner un an
dans leur province, à compter du jour où ils y étaient arrivés, puis de la
remettre à leur successeur, ou à son défaut, à un lieutenant[33], et de s’en
revenir à Rome
Quant à l’imperium, il en est tout autrement, on le
peut prévoir par ce qui a été ci-dessus exposé. Le magistrat de la province
est soldat comme le dernier de ses soldats (commilitones),
et son année d’imperium, ainsi que l’année du service militaire, court
du 1er mars de l’année de charge jusqu’à la fin de février
suivant. Ici viennent se rattacher quelques autres règles de droit public. Et
d’abord, notons que l’échéance finale de la magistrature suprême n’en arrête
pas de plein droit l’exercice : comme par un souvenir immortel de la
perpétuité qui est de l’essence même de son office, cette date ne vaut qu’à
titre d’invitation solennelle à résigner le pouvoir. Ajoutons que la loi
n’était absolue qu’au regard des charges civiles. Les consuls sortaient à
l’expiration de leur année officielle, qu’il y eût ou n’y eût pas d’autres
consuls désignés ; auquel dernier cas, s’ouvrait un interrègne. Dans l’imperium
militaire, il n’en allait point ainsi ; et même à son échéance, le magistrat
était tenu de se continuer en fonctions, jusqu’à l’arrivée de son successeur[34]... En d’autres
termes, le général, pas plus que le soldat, ne peut se donner son congé, pas
plus que le père ne peut se défaire de la puissance paternelle (potestas), sauf à la transmettre à un successeur : pas
plus que le fils ne peut rejeter sa qualité (filius familias)
ou se soustraire à l’hérédité nécessaire (necessarios heres :
suus heres). — Nous touchons ici au principe même de la
prorogation de l’imperium. On conçoit cette différence entre les
magistratures civiles et l’imperium. Légalement, on ne peut pas plus
étendre l’un que les autres : mais la nécessité a innové, en tant que le
général a le devoir d’attendre qui le remplace...... L’année du chef de
province, comme l’année du service militaire, ne se calcule donc point selon
sa limite légale : elle se calcule par la durée effective du commandement. De
là l’explication de bien des faits, autrement contradictoires, inexplicables[35].
10. — L’imperium
civil dans Rome, l’imperium militaire hors du pomœrium se sont mutuellement exclus, durant
toute la république, depuis Tarquin le Superbe jusqu’au 3e
consulat de Pompée[36]. Aussi le
magistrat, quand il va prendre le commandement, sort-il de Rome revêtu du paludamentum (paludatus exit)
; et c’est de ce jour que l’imperium militaire commence pour lui.
Après la réforme de 601 [153
av. J.-C.], nous l’avons vu, il n’entre pas en commandement avant
le 1er mars, mais le plus tôt possible après cette date. Durant
les 10 derniers mois de l’année, il régit l’Imperium en qualité de
consul ou préteur : puis, durant les deux mois qui suivent (janvier et février),
en qualité de proconsul ou propréteur... Mais vient Sylla, qui en dispose
autrement[37].
— Inutile de récapituler les exemples qui prouvent la règle actuelle, selon
laquelle préteur et consul, en tant que préteur et consul, n’ont point l’imperium
: je rappellerai seulement le serment de Pompée, quand, consul en 684 [-70], il
jure : se in nullam provinciam ex eo magistratu
iturum ; ou bien, le reproche que César adresse aux consuls et au
Sénat au début de la guerre civile[38]. Non qu’on ne
puisse citer des exceptions : on en rencontre en assez grand nombre. Mais les
circonstances les expliquent[39] : alors le
Sénat intervenait et donnait les dispenses ...... Le consul qui en tant que
consul, aurait pris de lui-même le commandement militaire au dehors, aurait
violé la constitution. — Comment Sylla formula-t-il son innovation ?
Vraisemblablement il ne fut point défendu au magistrat de Rome de s’absenter
pendant son année officielle ; il y eût eu à ce rigorisme trop
d’inconvénients : seulement il lui fut interdit de sortir en revêtant le paludamentum ......
La conséquence pratique de ces mesures fut la séparation
complète de l’imperium civil et de l’imperium militaire ; la
conversion de ce dernier, jadis fondé sur l’élection populaire, en une sorte
de prorogation de pouvoirs, sans auspices ; et enfin, la continuation de la
fonction active non plus seulement jusqu’à la fin du 14e mois,
mais pendant deux ans au moins. Mieux ordonné qu’avant sans doute, l’office
du magistrat n’est plus troublé, paralysé par les devoirs du capitaine, et
vice versa : en même temps, magistrat et capitaine sont ramenés sous la main
toute puissante du Sénat. Un changement peu considérable dans la Constitution fait
toucher à un grand résultat. L’oligarchie triomphe !... Malheureusement le
triomphe n’est que d’un jour : déjà le, glaive est prêt qui coupera et
détruira -tout ce réseau de savantes formalités.
11. — Reste une
dernière et double question. Quelle était la position du chef de province,
consul ou proconsul, préteur ou propréteur, dans le temps intermédiaire entre
l’acquisition légale de l’imperium militaire, et l’entrée de fait dans
le commandement ? Qu’advenait-il de cet imperium, dans lequel il se
continuait après l’échéance de ses pouvoirs ?
En ce qui touche le temps intermédiaire, on sait qu’en
tout temps, du jour où il a passé la frontière constitutionnelle de l’imperium,
le magistrat peut prendre le titre et les insignes du général en chef, et
sans nul doute aussi en remplir les fonctions. La province qui lui a été
attribuée ne le lie qu’en fait, non en droit, on l’a établi plus haut ; et si
en route, il lève des troupes[40], s’il juge un
cas criminel, s’il livre une bataille, il peut avoir agi à tort, il n’a point
agi illégalement[41]. Sa fonction
provinciale ne commence point à la limite de sa province, elle commence le
jour, où il a pris les insignes et quitté Rome.
Que le commandement expirât autrefois avec la remise de
service, à l’arrivée du successeur, inutile d’en fournir la preuve ; et
celui-là seul obtenait le triomphe, qui revenait victorieux à la tète de
l’armée, n’ayant pas, conséquemment de successeur[42]. Il n’en fut
plus de même, à dater de l’érection des provinces permanentes. Le triomphe ne
pouvait se refuser au général qui ayant pris le commandement en temps de
guerre, avait remis à son successeur une province pacifiée. Or pour
triompher, il fallait que le commandement se continuât jusqu’à l’arrivée du
chef. et des soldats sous les murs de Rome[43] : il fut donc
laissé au premier une sorte d’imperium ; et comme d’autre part, ce
n’était qu’après son arrivée dans la ville que le triomphe était donné ou
refusé, il s’ensuivait aussi qu’il dépendait de lui de mettre fin. à ce reste
de pouvoirs qui s’attachait encore à sa personne. La main de Sylla vint
encore régulariser cette situation : il fit passer dans le droit ce qui
n’était que dans la pratique. Désormais le proconsul et le propréteur gardent
le commandement suprême jusqu’à leur retour.... Sans doute il n’est plus
question ici d’un commandement effectif : il n’y a plus qu’un nudum imperium, si l’on peut dire. Le magistrat
porte encore les insignes, mais il n’exerce plus la juridiction que pour la
forme : seulement il peut être remis en activité par un sénatus-consulte[44], de même qu’en
droit civil, la nue-propriété reprend sa pleine énergie par la consolidation.
III — Le procès entre César et le Sénat
12. — Les
recherches qui précèdent sur l’échéance légale des hautes magistratures ne
semblent pas, au premier abord, être de plus de conséquence que toute autre
question relative au droit public ou privé des Romains... Qu’on se garde,
pourtant, de s’en tenir à cette conclusion. La question de droit qui nous
occupe a été comme un point solsticial dans l’histoire du monde : le procès
alors débattu a entraîné la chute de la République romaine. De même que la cause, en
soi indifférente, de la mort des grands hommes, excite l’intérêt ému et
curieux de la postérité, de même à notre étude, si le succès la couronne,
devra s’attacher un autre mérite que celui de la lumière faite sur un
problème quelconque de l’histoire. A elle en effet il appartiendra de dire
enfin à quel jour prenait fin le proconsulat de César dans les deux Gaules.
13. — Ce jour,
l’opinion commune le place à la fin de décembre 705 [49 av. J.-C.], et il n’est
pas en effet de date historique mieux établie. C’est sur elle que César se
fondait pour rester proconsul jusqu’à son entrée en charge dans son second
consulat : or c’était pour 706 [-48], qu’il comptait bien être désigné consul. Sylla
avait naguère aboli les prohibitions absolues de l’an 603 [-151],
contre les réélections consulaires ; mais en même temps, il avait remis en
vigueur la loi de 412 [-342],
qui exigeait l’intervalle de 10 ans entre chaque réélection. Or César, consul
en 695 [-59],
ne pouvait pas rentrer dans le consulat avant l’an 706 [-48],
laissant en dehors (comme
il convient évidemment[45]) les deux années
d’investiture des deux consulats. dont il s’agit. De dispense légale (dispensatio) il ne peut être ici question : nulle
part on n’en trouve trace, ce qui tranche tout déjà, dans un débat qui nous
est connu jusque dans les moindres détails. Bien plus, César lui-même prend
soin de dire qu’il ne l’a ni obtenue, ni même demandée ; qu’il a au contraire
attendu l’époque légale de son investiture, se contentant des droits qui
appartenaient à tout citoyen[46] : c’en serait
assez déjà pour la preuve ; d’autres circonstances viennent la corroborer. En
704 [-50]
nous voyons César parcourir les cités romaines de sa province, pour s’assurer
leurs votes[47]
; or l’on sait par une foule d’exemples que les tournées de candidature (canvassing) avaient lieu dans l’année antérieure à
l’élection, et conséquemment dans l’avant-dernière année avant l’entrée en
charge. Cœlius n’écrit-il pas, dès août 703 [-51], que sur cette affaire
si vivement débattue dans le Sénat du rappel de César, on n’en finira jamais,
et que très probablement on tournera deux ans
durant dans le même cercle de motions et d’intercessions sans
issue[48] ? Certes le mot
de Cœlius n’a de sens, qu’autant que l’état de droit demeurera ce qu’il est
au moment où il parle et qu’autant que César restera proconsul jusqu’à la fin
de 705 [-49]
pour entrer en charge consulaire le 1er janvier 706 [-48]. Si
César eût été obligé d’aller à Rome de sa personne avant son élection,
abandonnant ainsi, et pour tout le temps intermédiaire son commandement
proconsulaire, incompatible avec le séjour dans la ville, il aurait, ainsi
qu’il le dit ; perdu l’imperium pendant tout un semestre[49], ce qui suppose
bien qu’il serait sorti du proconsulat au dernier jour de décembre 705 [-49],
l’élection consulaire se faisant en juillet. En face de témoignages si
positifs, acceptés de tous et incontestables, on souffre vraiment à voir un
auteur estimable[50] essayer une
démonstration impossible, et soutenir que César a brigué le consulat. Pour
l’année 705 [-49]
et non pour 706 [-48],
et qu’il a échoué. Pour quiconque étudie l’histoire de cette époque,
accessible à tous, comme le sont nos journaux quotidiens, pour qui sait la
colère des Césariens, lors de l’échec du lieutenant de César, Servius
Galba, aux élections pour 705[51] [-49], leurs plaintes
quand ils voient élire les hommes hostiles à leur parti, il sera fort
difficile, je suppose, d’admettre que César ait aussi été candidat pour cette
même année ou qu’il ait eu seulement la pensée de se porter ; ou que quand il
parle des prochains comices à l’occasion du privilège qu’il revendique, il
faille entendre par ces mêmes mots les comices de l’année passée[52] ......
14. — Selon une
autre opinion, qui a trouvé ses défenseurs dans Peter[53] et dans Hoffmann[54], César arrivait
à fin de charge le 1er mars 705 [49 av. J.-C.]. Je le concède, cela
est certain. La loi Vatinia, votée sous le consulat de César, en 695 [-59], lui
avait conféré la province Cisalpine pour les cinq années suivantes : puis, en
exécution des articles convenus à Lucques, et sur la motion de Pompée et
Crassus il avait été prorogé pour cinq autres années dans cette même province
et dans celle de la
Transalpine, qu’il ne tenait jusque-là que d’un
sénatus-consulte[55]. Mais dès avant
ce second plébiscite, dès la fin de mai 698 [-56], le Sénat avait délibéré,
conformément à la loi de G. Gracchus, sur les provinces à décerner aux
magistrats à élire dans les prochains comices, c’est-à-dire aux consuls qui.
seraient en charge en 699 [-55], et aux gouverneurs provinciaux pour l’an 700 [-54] ; et entre
autres propositions hostiles à César, déjà, l’on avait fait celle d’attribuer
la Cisalpine
à l’un des futurs proconsuls à partir du 1er mars 700. Ce fut
alors que Cicéron faisant amende honorable pour ses accès d’éphémère
indépendance, et devenu l’avocat soumis des triumvirs, de César surtout,
répondit que si la motion n’allait pas à l’encontre de la loi Vatinia, elle n’en était pas moins
inconstitutionnelle, la collation des provinces se rattachant immédiatement
et nécessairement au consulat ou à la préture : autant revenait à dire qu’aux
termes de la Vatinia l’échéance, tombait
au 1er mars 700 [-54], qu’elle tombait au 1er mars 705 [-49], aux
termes du plébiscite Pompéien-Licinien[56]. Ce n’est pas
tout, Hirtius[57]
au cours de son récit des événements de l’an 703 [-51], fait la remarque qu’à la
connaissance de tous les Gaulois le proconsulat de César, n’avait plus qu’un
été devant lui : d’où la conséquence qu’il devait prendre fin avant la
campagne de 705 [-49].
Cicéron, dans une lettre confidentielle à Atticus, tonne contre la tyrannie
qui menace, et écrivant ce qu’il aurait dû dire devant le Sénat, reproche à
César sa prétention à la candidature consulaire après l’échéance de sa sortie
de charge[58].
Enfin Suétone déclare qu’un plébiscite lui a permis la candidature, quoique
absent, et après l’échéance de son impertum[59]. L’élection dont
il s’agit tombait au 1er juillet 705 [-49], rien de plus exact, si l’imperium
de César prenait fin le 1er mars précédent ; mais rien de plus
inexact si l’échéance ne venait qu’à la fin de décembre. Que n’a-t-on pas
tenté pour concilier ces divergences inconciliables ? Les deux dates sont
également attestées. Et l’on pardonnera facilement à qui n’aura pas su
résoudre le problème.
15. — Pour nous,
nous croyons en avoir d’avance donné la clef. La Vatinia
confère à César l’imperium pour les cinq années qui la suivent, mais
dont l’échéance ne tombe ni au jour correspondant au vote de cette même loi,
comme le veut Peter, ni à un jour arbitrairement déterminé, comme le veut
Hoffmann : puisqu’il s’agit ici d’une loi de
imperio, ces années sont des années impériales ordinaires, et qui
commencent au 1er mars, selon l’antique tradition. La loi Vatinia
a-t-elle été votée avant ou après le 1er mars 695 [59 av. J.-C.] ?
On ne le sait pas, et cela est indifférent. Les cinq années couraient du 1er
mars 695 au dernier février 700 [-54]. Le plébiscite dérogeant en ce point à la loi Cornelia, qui astreignait le consul à rester
dans Rome, César sans doute était parti déjà pour l’armée.... Mais il n’entra
en charge de proconsul qu’au 1er janvier 696 [-58], et de
fait même il ne prit le commandement suprême qu’en avril. Il faut donc, pour
calculer la durée légale de son gouvernement provincial, prendre pour point
de départ cette date du 1er janvier 696 : dès lors, sortant de
charge le dernier jour de février 700, César aurait accompli légalement ses
cinq années, puisque l’année commencée, dans la tradition constitutionnelle,
devait être réputée pour entière ...... Ajoutez les cinq autres années de la
prorogation, et l’on arrive au terme du 1er mars 705 [-49], mais, en
fait, le proconsulat ne prenait point fin à cette date. César se trouvait
alors dans la position commune à tout proconsul ou propréteur entré le 1er
janvier dans sa charge annuelle allant jusqu’au 1er mars. Le Sénat
pouvait bien disposer de la province, mais il ne la pouvait décerner ni à un
consul ni à un préteur de 704 [-50], sans donner ouverture ou reproche formel
d’inconstitutionnalité soulevé par Cicéron, en 698 [-58], en pareille
circonstance : le magistrat nommé au lieu d’entrer en charge dans l’onzième
mois de l’année impériale, ne l’aurait fait qu’après. Tout au plus le Sénat
aurait-il pu prendre les gouverneurs des Gaules parmi les magistrats de l’an
705 [-49]
; mais ceux-ci à leur tour, en tenant compte du délai du voyage, ne pouvaient
plus entrer dans leur charge provinciale avant le 1er janvier 706 [-48]. Et le
langage de Tite-Live se comprend fort bien, quand employant une expression,
sinon rigoureuse et juridique, du moins suffisamment exacte, selon
l’histoire, il décide que César, malgré l’échéance légale de l’imperium
provincial au 1er mars 705 [-49], était en droit, grâce à la
loi votée pour lui, de se continuer dans les gouvernements des deux Gaules
jusqu’à son entrée en charge consulaire[60].
16. — Nous avons
exposé dans son principe et dans son étendue le droit de César à ses
gouvernements des Gaules. Nous allons suivre le débat, jusqu’au point où tous
les arguments épuisés, les glaives sortiront du fourreau.
Tant que le proconsulat de César avait sa base dans la loi
Pompeia Licinia, l’attaquer était
impossible : le Sénat demeurait dans son impuissance ; Pompée était lié, lui,
le promoteur de la loi ; et enfin le droit était trop clair, pour qu’on pût
songer à envoyer un successeur au redoutable proconsul[61].
Dès l’origine, ses ennemis n’arrêtèrent leurs visées que
sur les dix derniers mois de son temps de charge : et, chose qui démontre les
intelligences nouées dans Rome par les Gaulois, ceux-ci croyaient ne plus
l’avoir devant eux, après l’été de 704 [50 av. J.-C.]. Qu’en l’absence d’un
plébiscite exceptionnel, il appartint au Sénat de décerner les provinces, de
désigner et rappeler les gouverneurs, c’était là une de ces règles du droit
constitutionnel, sur laquelle tous étaient d’accord, juristes politiques et
hommes d’état : mais à dater du 1er mars 705 [-49], César
n’était plus qu’un proconsul ordinaire ; il devenait le subordonné du Sénat[62], et au lieu de
ne tenir l’imperium que de la force de son propre droit, il n’était
plus qu’un administrateur de l’office en attendant l’arrivée de son
successeur. Là était le point faible, et c’est là que se porta l’ennemi. Le
premier et le plus rude coup fut dirigé contre le principe même de la
continuité de son imperium consulaire et proconsulaire. Les Catoniens
prirent les devants : Pompée les suivit, d’autant que nommé consul sauts
collègue pour 702 [-52],
à la suite des désordres miloniens, il croyait avoir la haute main sur toutes
choses, et n’avoir plus besoin de César. Par décret du Sénat de l’an 701 [-53], décret
que le peuple confirme en 702 [-52], sur la motion de Pompée, il est statué qu’à
l’avenir les provinces ne seront plus immédiatement données aux consuls et
préteurs sortants, qu’elles ne leur appartiendront qu’après cinq années
écoulées, et que l’imperium, dans lequel ils n’avaient eu avant qu’à se
continuer en leur qualité de proconsuls et de propréteurs, leur sera
renouvelé par plébiscites spéciaux[63]. Mais quand
expirèrent les cinq ans, lorsque arriva le tour des magistrats sortis en 702 [-52], Pompée
n’était plus, et l’édifice de l’oligarchie avait croulé. Auguste reprendra un
jour le sénatus-consulte[64], sans d’ailleurs
le faire mieux exécuter. — Comment furent réglées les provinces dans l’interim
qui suivit sa promulgation ? On ne le saura jamais bien : les désignations
sénatoriales furent confuses et contradictoires à l’égal d’ailleurs de tout
le travail de la coalition pompéienne aristocratique[65]. Mais le point
principal reste certain. Si César avait pour successeur un magistrat sortant
de charge, sa succession ne pouvait s’ouvrir avant le 1er janvier
706 [-48],
puisqu’au 1er janvier 705 [-49] la vacance provinciale n’était point encore
ouverte. Que si au contraire, il était remplacé par un magistrat sorti depuis
cinq années, qu’importe que celui-ci eût passé dans la vie privée cinq ans
pleins ou non (deux
mois en moins ou deux mois en plus), et que le plébiscite de
renouvellement de l’imperium fût voté le 1er janvier ou le
1er mars ? Assurément, si ce n’était point là l’unique objet de
l’organisation nouvelle[66], c’était du
moins son unique et essentiel objet politique. César se sentit profondément
blessé : on le voit à l’amertume de son langage, lorsque, sans nommer jamais
la loi qui l’atteint, il insiste sur ses conséquences[67]. La rupture de
l’alliance entre les deux dominateurs de Rome s’accusait pour la première
fois. Mais à ce moment les flammes de la guerre de l’indépendance couvraient la Gaule : Vercingétorix
marchait à la tête de l’insurrection. César pouvait-il faire autre chose que
de la diplomatie ? Il avait les mains liées : provisoirement, il se contente
de négocier, et de manœuvrer dans Rome. A réclamer simplement le retrait de
la loi pompéienne, il ne fallait point espérer de succès. Mais quand nous
voyons le consul de 704 [-50],
L. Paullus, manifester la velléité de succéder immédiatement à la préture de
Cicéron, revenu de Cilicie, au commencement d’août[68], ne
reconnaissons-nous point là aussitôt la main du rival de Pompée, d’autant que
ce Paullus est l’un de ses instruments payés. Entrer dans sa province
aussitôt son consulat (ex consulatu) selon l’ancien mode, c’eût
été par le fait violer la loi de 702 [-52], et l’annuler. La marche rapide des événements
empêcha seule Paullus de mener à fin un projet fort bien conçu. En attendant,
César semble avoir demandé à Pompée deux choses, une dispense légale de
présence personnelle à Rome avant l’élection consulaire..., et le cumul du
consulat avec le proconsulat, pour l’an 706[69] [-48], cumul
dont Pompée jouissait précisément alors (702 [-52]). Pour la seconde de ces
demandes, injustifiable en droit, et que la politique eût seule autorisée, il
intervint un refus absolu : quant à la première, elle avait cela de
plausible, qu’aux conférences de Lucques, il avait été entendu ou prévu sans
doute[70] que César
garderait sa province jusqu’au commencement de son second consulat ; et
Pompée, en permettant aux tribuns de porter devant les comices une loi
d’exécution des articles convenus, semblait y avoir d’avance acquiescé. Mais
on sait ce que c’est qu’un acquiescement donné par Pompée... Au lendemain de
la rogation faite dans l’intérêt de César, il fait rendre une loi qui
réglemente à nouveau toutes les candidatures : cette loi exige de plus fort
la présence personnelle des candidats à leur inscription sur les listes :
d’exception pour César, il n’est pas dit un mot ; et quand celui-ci se
plaint, Pompée fait insérer après coup la clause exceptionnelle dans la loi
déjà promulguée. Aux yeux de tout juriste le privilège antérieur de César
était aboli par la loi postérieure, et la clause insérée était nulle. En
sorte que César ne pouvait plus, absent, être compté comme candidat. Pompée
d’ailleurs, qu’il en fût ce qu’on voudra, Pompée, suarum
legum auctor idem ac subversor[71], selon le mot de
Tacite, se flattait d’avoir retiré d’une main ce qu’il avait donné de
l’autre. Peu importait à César son assiduité ou son absence en tant que
candidat, ce qu’il voulait c’était garder la province gauloise pendant sa candidature....
Mais si ses adversaires réussissaient à lui envoyer un successeur au 1er
mars 705 [-49],
ou seulement avant le 1er janvier 706 [-48], tout en laissant subsister la
rogation tribunicienne, ils arrivaient assurément à leurs fins : ils
concédaient à César sa désignation consulaire ; et en même temps ils
mettaient une coupure entre son proconsulat et sa magistrature nouvelle. Ne
fût-ce que pour un instant, ils n’avaient plus devant eux qu’un simple
citoyen, hors de charge. Vraiment Pompée était bien le fils de ce P. Strabon,
faux joueur au milieu des partis, celui qu’au jour de ses funérailles la
foule arracha de dessus sa bière et traîna par les rues : il était de cette
triste école, superficielle en toutes choses, qui n’a de profondeur que dans
la duplicité, pour qui tout l’art de l’homme d’État n’est qu’artifice et
chicane, et qui met la haute politique à faire métier d’escamoteur !
17. — Ainsi la
rupture était imminente. Mais pour donner à comprendre le récit qui va suivre
j’ai à revenir sur la procédure sénatoriale en matière de répartition des
provinces consulaires, et prétoriennes. Pour les premières, on le sait de
source certaine ; le Sénat décrétait dans l’année avant l’entrée en charge
des consuls, et avant leur désignation du mois de juillet ; pour les
prétoriennes, avant le ter mars de l’année de charge des préteurs : en
d’autres termes, la répartition avait lieu, pour les premières, dix-huit mois
au plus tard, pour les secondes, dix mois au plus tard avant l’entrée en fonctions
des magistrats provinciaux. Sans que ce fût une nécessité, il était d’usage
d’ailleurs, de procéder en une seule. fois, si bien que chaque année, en
janvier ou février, le Sénat[72] décrétait
d’ensemble la répartition de toutes les provinces ...... Suivant le cours
ordinaire des choses, par exemple, et faisant abstraction de la loi Pompéia, c’est en janvier ou février 703 [51 av. J.-C.],
qu’il eût dû distribuer les provinces consulaires pour 705 [-49], et les
prétoriennes pour 704 [-50]
: d’où cette conséquence, que le magistrat remplacé par un propréteur sortait
de charge un an avant celui que remplaçait un proconsul[73]. Le gouverneur
lésé par le sénatus-consulte avait bien un moyen constitutionnel de recours,
l’intercession tribunicienne, qui transformait le vote du Sénat en une simple
autorisation (senatus auctoritas) sans valeur légale,
ou qui, tout au moins, en la dirigeant contre la loi curiate (lex curiata de imperio) ou le plébiscite proposé pour
son renouvellement, mettait en question la prise même de l’imperium. A
la vérité la loi curiate n’étant plus qu’une pure formalité, l’intercession
en ce cas n’était guère efficace[74] ; et quant à
intercéder contre le sénatus-consulte, la loi ne le permettait pas, dès qu’il
s’agissait des provinces consulaires[75]. Enfin si elle
était recevable au regard des provinces prétoriennes, le Sénat l’arrêtait,
soit par des protestations énergiques, soit par les moyens d’exception usuels
en cas pareil, et que nous n’avons point à exposer ici[76].
18. — La guerre
diplomatique commença en 703 [51 av. J.-C.] à l’occasion de la répartition des
provinces, des provinces consulaires pour 705 [-49], et de celles prétoriennes
pour 704 [-50]
: on ne délibéra d’abord que sur les premières[77]. Ici, comme
toujours, les Catoniens allaient de l’avant, entraînant Pompée, bon gré,
malgré à leur suite. Le consul M. Marcellus proposa de donner les deux
gouvernements des Gaules aux consulaires appelés à remplacer les consuls de
704 [-50]
aux termes de la loi de Pompée et du sénatus-consulte rendu pour son
exécution : par là, manifestement, ils entraient en charge proconsulaire, non
le 1er janvier, mais le 1er mars. On observait ainsi la
loi Pompeia-Licinia, et comme les
nouveaux magistrats ne passaient pas du consulat (ex consule)
au proconsulat, on n’avait point à craindre les objections faites en 698 [-56], contre
une motion toute semblable. En droit, il eût fallu que la question fût vidée
avant le 1er mars 703 [-51] ; et le débat aurait dû s’ouvrir aussitôt
l’entrée en charge de Marcellus. Mais soit crainte chez les sénateurs, aimant
mieux reculer qu’avancer, soit indécision chez Pompée, la délibération fut
reportée au dernier jour de septembre. Dans le parti de César on soutenait
que la motion était prématurée, et Pompée avouait que le Sénat n’avait point
qualité pour voter avant le 1er mars 704 [-50], sur les provinces des
deux Gaules[78].
La motion était prématurée ; pourquoi ? Distribuer les provinces consulaires
pour 705 [-49]
n’avait rien que de régulier. On n’avait que faire ici de ce vieil argument
que l’imperium du proconsul futur aurait dit partir du 1er
janvier, et qu’on le faisait partir du 1er mars, alors qu’il ne
s’agissait que de l’entrée en charge, et non de la collation du titre ; alors
que d’ailleurs l’empêchement existait au 1er mars 704 [-50], tout
aussi bien qu’à la fin de septembre 703 [-51]. Il semble, en effet, que la
loi Pompéia-Licinia elle-même, selon
ce qu’indique Hirtius[79], avait nettement
interdit, au Sénat la collation des gouvernements des deux Gaules avant le
commencement de la dixième et dernière année de l’imperium de César, à
savoir le 1er mars 704 [-50]. En conséquence, l’affaire fut renvoyée à
l’époque où la prohibition cessait. La décision, qui ne fut prise qu’après
s’être bien convaincu que Pompée voulait forcer César à se démettre de sa
fonction avant le dernier jour de décembre, et non pas seulement avant le
dernier jour de février suivant (705 [-49]), cette décision en somme nuisait au
proconsul[80].
Loin qu’on donnât d’autres provinces aux consulaires appelés pour 705, on
remettait purement et simplement à quelques mois plus tard à statuer sur
leurs commandements, et cela avec visée expresse des commandements des
Gaules. Que si en cela faisant on violait la loi Sempronia,
c’est ce à quoi l’on prit peu garde, dès que suivant le nouveau mode, on
substituait, dans l’élection, des consulaires aux consuls à désigner pour les
provinces. Les Césariens, en face d’un sénatus-consulte contre lequel
l’intercession n’était point recevable comme ayant trait aux gouvernements
consulaires, ne purent rien faire que protester. Vint le 1er mars
704 [-50].
A cette date ou bientôt après, la discussion ajournée l’année précédente
reparut à l’ordre du jour du Sénat, en même temps qu’arrivait celle sur les
provinces prétoriennes, pour la même année 705 [-49]. Le procès de César, en tant
que procès, était perdu. Il pouvait reprocher à ses adversaires, dans le
litige pendant, de s’être faits législateurs plutôt que juges et d’avoir miné
la loi sous ses pieds : les moyens juridiques de défense, bons pour
l’assemblée partiale du forum lui faisaient maintenant défaut. Mais jusqu’où
irait-on dans l’attaque ? La coalition ici ne s’entendait pas. Laissant de
côté la minime fraction des purs Césariens dans le Sénat, tous du moins
étaient d’avis que si César persistait à briguer le consulat pour 706 [-48], il
fallait ne pas lui laisser son commandement au-delà du 13 novembre 705 [-49] au plus
tard. C’était le placer dans l’alternative, ou de rester proconsul jusqu’à la
fin de 705, renonçant du même coup à sa candidature consulaire, ou d’être
reçu candidat aux comices (quoique absent en sa qualité de proconsul), mais avec
l’obligation de déposer son commandement une fois consul désigné, ou tout au
moins deux mois avant son entrée en charge[81]. Mais le gros
des timides, Cicéron et consorts, qui auraient mieux aimé ne pas agir, et
n’agissaient que le moins possible, trouvèrent que c’était aller assez loin,
et firent valoir, non sans motif, que la loi avait autorisé César à se présenter
en personne, qu’on ne lui avait retiré ce privilège qu’à l’aide d’indignes
subterfuges, et que si la loi avait un sens, elle avait voulu autoriser non
pas seulement l’absence du candidat pendant les comices, mais aussi son
absence, l’imperium lui demeurant[82]. Aux Catoniens,
il eût fallu davantage : ils exigeaient que César quittât l’imperium
avant les comices. Alors que devenait son privilège de candidature
personnelle ? Quant à Pompée, comme d’ordinaire, on ne savait quelle était
son opinion, soit qu’il ne voulût pas la dire, soit plutôt qu’il ne la sût
pas bien lui-même. Il inclinait visiblement vers celle de Caton ; mais son
langage demeurait ambigu. César avait la partie difficile : seulement il
savait jusqu’où il voulait aller, et bien secondé dans Rome par ses hardis et
habiles affidés, Vibius Pansa, Curion, M. Antonius, il mena le jeu en maître
qui bat des écoliers.
Dans ces conjonctures le débat se rouvrit : il n’aboutit à
rien de sérieux. On aurait pu désigner les successeurs du proconsul, on n’en
fit rien. On aurait voulu empêcher une intercession incommode : dès l’année
précédente même, et dans la séance de septembre 703 [51 av. J.-C.], en prévision
du cas, on avait avisé aux mesures à prendre à l’encontre de ses auteurs[83]. L’intercession
vint, mais l’été de 704 [-50]
se passa sans résultat, et le parti des tièdes l’emporta par le nombre[84]. César met à
profit le défaut d’entente. de ses adversaires et la pusillanimité de la
majorité. En même temps qu’il se refuse aux exigences des Catoniens et qu’il
repousse l’alternative que la majorité lui ouvre, il offre sa démission
immédiate, à la condition que Pompée se démettra avec lui...
Le Sénat aussitôt de les inviter tous les deux à cet acte
désintéressé, Pompée refuse brutalement : c’est alors qu’au lieu d’un bon
sénatus-consulte, sur lequel ils avaient compté pour le nommer le général du
parti constitutionnel, les Catoniens se voient réduits, sur des rumeurs
notoirement fausses, à lui envoyer une maigre députation de la minorité, et à
lui conférer son nouveau titre le plus irrégulièrement, le plus
maladroitement du monde. C’était là ouvrir la porte à la guerre. Avant de
tirer l’épée, César s’adresse encore une fois au Sénat. Nous n’avons point
son ultimatum authentique.... il affirme dans ses commentaires être
allé jusqu’à l’extrême limite des concessions[85]... Mais nous
savons par les historiens du temps de l’empire, qu’il aurait renouvelé son
offre de démission conditionnelle, Pompée se démettant aussi... Il offrit
même l’abandon de l’imperium dans la Transalpine, le
licenciement de huit de ses dix légions, ne se réservant que la Cisalpine et l’Illyrie
avec une légion, ou la
Cisalpine seule avec deux légions ; enfin il consentait à
quitter même ce mince commandement au lendemain des comices après la designatio, et d’attendre, redevenu simple
citoyen, le jour de la prise de charge[86]. C’était aller
plus loin que n’avaient exigé naguère ses adversaires, quand ils réclamaient
purement sa démission pour le 13 novembre 705 [49 av. J.-C.]. L’histoire du monde
eût été autre, peut-être, si cette proposition avait trouvé accueil, mais
elle venait trop tard aux yeux de Pompée et des Catoniens. La République tombait de
son poids dans l’abîme. A peine si les dépêches de César purent être lues
dans la curie[87]
; il n’y eût ni discussion ni votes. Le Sénat se laisse arracher la
nomination de deux nouveaux proconsuls des Gaules, et ordonne à César de se
démettre de l’imperium, et de licencier son armée pour tel jour, fixé
évidemment avant celui des comices consulaires[88]. — Le débat est
clos, la guerre commence[89].
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