L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Depuis Rome fondée jusqu’à la suppression des rois

Chapitre VII — Suprématie de Rome dans le Latium.

 

 

Braves et passionnés comme ils l'étaient, les peuples de la race italique ne manquèrent pas d'entrer fréquemment en lutte, soit entre eux, soit avec leurs voisins. Puis, le pays devenant plus riche, et la civilisation progressant tous les jours, les querelles firent place à de véritables guerres ; le pillage se changea en conquêtes ; et bientôt naquirent de plus puissants États. Mais de ces temps de rixes et de courses pillardes, où du moins se trempent les caractères ou le génie d'un peuple se développe et s'affermit, comme le courage de l'enfant dans les jeux et les agitations du jeune âge, nul Homère italien n'est venu retracer l'épopée. La tradition ne nous fournit, non plus rien d'exact et de complet sur les progrès des diverses peuplades latines, sur leur puissance et leurs rapports respectifs. Tout au plus la critique, peut-elle suivre de loin, les accroissements de Rome, en force et en territoire. Nous avons esquissé ailleurs les limites primitives de la cité romaine unie. Du côté de la terre, elles n'allaient guère, qu'à deux lieues du chef-lieu ; du côté de la mer, elles s'étendaient jusqu'aux bouches du Tibre (Ostia), à un peu plus de six lieues du Palatin. Des peuplades grandes et petites, dit Strabon dans sa description de la Rome antique, environnaient la ville nouvelle ; plusieurs d'entre elles résidaient dans des bourgs indépendants, et n'obéissaient à aucun lien de race. C'est aux dépens de ces voisins d'un même sang qu'eurent lieu les premières extensions du territoire.

Vers le Tibre supérieur, et entre le Tibre et l'Arno, Rome était comme étouffée par une ceinture de cités latines, par Antemnœ, Crustumerium, Ficulnéa, Medullia, Cœnina, Corniculum, Camérie, Collatie. Elles ont tout d'abord payé de leur indépendance ce voisinage incommode pour les Romains. Une seule, dans cette région, semble avoir gardé quelque temps sa liberté : c'est Nomentum, grâce peut-être à un traité spécial d'alliance. La possession de Fidènes, tête de pont sur la rive gauche du fleuve, fut disputée dans de longues guerres entre les Latins et les Étrusques, ou si l'on veut, entre les Romains et les Véiens. Les succès furent souvent changeants. Le combat fut également long et indécis avec Gabies, dont le territoire allait de l'Arno au mont Albain. Plusieurs siècles après, vêtement de Gabies (cinctu Gabino)[1] voulait dire encore vêtement de guerre : et territoire de Gabies était synonyme de territoire ennemi[2]. Ces agrandissements portèrent le pays romain à quelque chose comme huit lieues carrées environ. Mais il est une ville dont la chute et la conquête ont laissé, dans la légende tout au moins, un retentissement plus vivace que ces quelques exploits oubliés. Vers ces temps aussi, Albe, l'antique métropole du Latium, succomba sous les coups de Rome, et fut totalement détruite. Comment s'entama la lutte : comment elle se décida, nous l'ignorons. Le combat des trois jumeaux romains contre les trois jumeaux albains ne nous semble que la personnification naïve d'une guerre à outrance entre deux cités également puissantes et apparentées ; et dont l'une, Rome, était la ville aux trois tribus que nous connaissons. Au fond tout ce que nous savons de la chute d'Albe, c'est le fait pur et simple de cette chute[3]. — A cette époque, et pendant que Rome ajoutait à son territoire les campagnes de l'Anio et du mont Albain, d'autres villes latines s'arrondissaient de même, et fondaient des États d'une certaine importance.- Les conjectures sont ici tout à fait vraisemblables ; nous citerons particulièrement Tibur et Prœneste. Celle-ci domina plus tard sur huit localités qui l'avoisinaient.

Nous regrettons moins de ne pas savoir l'histoire des guerres, que le caractère et les conséquences juridiques des premières conquêtes faites par Rome dans le pays latin. Très certainement, elle a poursuivi le système d'incorporations, d'où déjà était sortie la fusion de la triple cité. Mais actuellement, les peuplades contraintes par la voie des armes à entrer dans l'État romain, à titre de quartiers ou cantons romains, ne gardent plus une sorte d'indépendance relative, comme l'avaient fait les trois premières tribus ; elles sont totalement absorbées, et nulle trace n'est restée d'elles. Partout où s'étendait la puissance d'une cité latine, elle n'admettait jamais, dans ces temps reculés, l’existence d’un autre centre que le chef-lieu. Encore moins formait-elle au dehors des établissements indépendants et pareils à ceux des Phéniciens ou des Grecs ; lesquels envoyaient dans leurs colonies des émigrants, aujourd'hui leurs clients, demain leurs rivaux. Voyez, par exemple, comment Rome en agit avec Ostie. Il ne fut jamais question. d'empêcher (on ne l'aurait pu en effet) la création d'une ville en ce lieu. Mais Rome se garda bien de lui accorder l'indépendance politique : les colons qui s'y établirent n'eurent pas de droits civiques locaux : ils conservèrent seulement avec ses privilèges ordinaires le titre de citoyens romains, qu'ils avaient eu déjà avant d'émigrer[4]. Le même principe servit à fixer le sort des cantons plus faibles soumis au plus fort en vertu de la loi de la guerre, ou d'une reddition volontaire. Leurs forteresses furent détruites ; leur territoire fut ajouté au territoire du vainqueur et les habitants s'en allèrent avec leurs dieux chercher une nouvelle patrie dans sa ville capitale. Loin de nous pourtant de dire qu'il y ait eu toujours une transportation en masse comme cela se pratiquait en Orient lors de la fondation des villes. Nous faisons nos justes réserves, au contraire. Mais qu'était ce alors que les villes latines ? De simples réduits fortifiés, servant au marché hebdomadaire des gens des campagnes. Rome n'eut qu'à transférer ce marché et l'assemblée dans un autre chef-lieu. Les temples furent souvent conservés dans leur antique place. Après leur destruction même, Albe et Cœnina eurent encore une sorte d'existence religieuse. Que si la position militaire étant trop forte, il était absolument nécessaire de transplanter toute la population ailleurs, Rome ne pouvait oublier, d'un autre côté, les intérêts de l'agriculture ; et elle se contenta souvent de répartir les habitants dans les bourgs ouverts de leur ancien territoire. Quoi qu'il en soit, les vaincus furent souvent, tous ou pour la plupart, transportés dans la ville romaine, et contraints à se fixer. Les légendes latines le disent en maintes occasions : et, ce qui le prouve mieux que la légende, c'est la loi romaine elle-même, d'après laquelle celui-là seul pouvait pousser en avant le Pomœrium (mur de ville), qui avait d'abord agrandi le territoire romain[5]. Naturellement, qu'ils fussent ou non conduits à Rome, les vaincus tombèrent en clientèle[6] : quelques-uns d'entre eux, des familles entières même, furent admis au droit de cité, autrement dit, au patriciat. Sous les empereurs, on citait encore des familles Albaines, ainsi introduites dans Rome, avec droit de cité, après la ruine de leur patrie ; les Jules, les Serviliens, les Quinctiliens, les Clœliens, les Géganiens, les Curiaces, les Métiliens. Ces familles perpétuaient les souvenirs de leur origine, en entretenant des sanctuaires sur l'ancien territoire d'Albe : c'est ainsi que la chapelle des Jules à Bovilles redevint illustre à l'établissement de l'empire.

La centralisation ainsi opérée par la fusion de plusieurs petites cités dans une cité plus grande, n’était rien moins que le résultat d'une pensée appartenant en propre aux Romains. Les peuples latins et sabelliques ne sont pas les seuls chez lesquels l'histoire montre la lutte entre le particularisme des cantons et le mouvement vers l'unité nationale : la civilisation des Hellènes offre le même phénomène. Ainsi que pour Rome dans le Latium, la concentration des tribus en un seul État fit la fortune d'Athènes dans l'Attique. Le sage Thalès indiqua cette réunion aux peuples de l'Ionie, comme l'unique moyen de sauver leur nationalité. Mais Rome poursuivit l'idée de l'unité avec une persistance, une logique et un bonheur qu'on ne retrouve nulle part en Ionie ; et de même qu'en Grèce le rang éminent occupé par Athènes était dû à une centralisation précoce, de même Rome dut aussi sa grandeur à l'application plus complète et plus énergique encore d'un système politique semblable.

Les premières conquêtes de Rome dans le Latium eurent pour résultat immédiat l'agrandissement de la cité et de son territoire : mais la conquête d'Albe entraîna de plus des conséquences immenses. Si la tradition fait grand bruit de cet exploit des Romains, ce n'est point à cause de la puissance ou de la richesse fort problématiques de la ville vaincue. Mais, celle-ci, métropole de la confédération latine, avait la préséance sur les trente villes alliées. Sa destruction consommée, la fédération ne tomba point pour cela : pas plus que n'était tombée la ligue bœotienne après la chute de Thèbes[7]. Seulement, chose en tous points conforme au droit des gens d'alors, et au régime privé des guerres entre les peuplés latins, Rome soutint qu'elle avait succédé aux privilèges d'Albe, et revendiqua la présidence de la ligue. Sa prétention fut-elle admise de plein droit ? Y eut-il lutte, au contraire, soit avant, soit après cette revendication ? On l'ignore. Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'hégémonie de Rome fut à peu de temps de là généralement acceptée, sauf en deux où trois localités, qui comme Labicum et surtout Gabies, réussirent quelque temps à s'y soustraire. A cette époque, déjà, la mer faisait Rome puissante en face de la région intérieure : véritable ville, elle l'emportait sur les bourgades d'alentour : cité fortement unie, elle était prépondérante au milieu d'une fédération de petites villes. C'était enfin par elle, et avec elle seule, que les Latins pouvaient défendre leurs côtes contre les Carthaginois, les Hellènes et les Étrusques ; repousser de leurs frontières leurs voisins remuants des contrées Sabelliques, et s'agrandir même en les refoulant. J'admets que la destruction d'Albe n'a pas plus agrandi le territoire romain que ne l'a fait la conquête d'Antemnœ ou de Collatie : j'admets, si l'on veut, que, bien avant la prise d'Albe, Rome était déjà la cité la plus puissante parmi les cités du Latium : encore n'est-ce qu'à dater de là qu'elle a eu la présidence dans les grandes cités latines ; et que, par suite, elle a conquis l'hégémonie de toute la confédération. Il importe de faire connaître le plus exactement possible cet événement décisif dans son histoire.

L'hégémonie de Rome fut établie sur le pied d'une alliance conférant des droits égaux aux parties contractantes. D'un côté était Rome, de l'autre, la fédération latine. La paix fut déclarée perpétuelle dans tout le territoire ; et l'alliance, aussi perpétuelle, fut offensive et défensive tout à la fois : Il y aura paix entre les Romains et les cités des Latins, disait le traité, si longtemps que dureront le ciel et la terre les fédérés ne se feront point la guerre entre eux ; ils n'appelleront point l'ennemi dans le pays et ne lui livreront point passage ; si l'ennemi les attaque, ils seront secourus par tous ; le gain de la guerre faite en commun sera partagé entre tous. Égalité complète dans les relations de la vie et du commerce, dans la jouissance du crédit, dans le droit d'hérédité : langues et moeurs pareilles : rapports multiples et quotidiens entre les villes alliées : tout créait la communauté des intérêts, resserrait l'alliance et produisait aussitôt l'effet obtenu de nos jours par la suppression des barrières douanières. Chaque cité pourtant conserva son droit propre : entre le droit latin et celui des Romains, il n'y eut pas identité nécessaire et préconçue, du moins jusqu'au temps de la guerre sociale. Citons un exemple : les fiançailles consommées engendraient une action, qui fut maintenue chez les Latins, alors que depuis longtemps elle avait disparu à Rome. Mais le génie de la loi latine était simple et populaire ; il tendait à fonder partout l'égalité : et bientôt, dans le régime du droit privé, il amena, pour le fond et pour la forme, l’identité même des institutions. Les dispositions relatives à la perte ou à l'acquisition de la liberté civile, attestent d'une façon remarquable l'égalité du droit entre les Latins. L'on sait qu'en vertu d'un antique et vénérable précepte, nul citoyen ne pouvait devenir esclave, ou perdre la cité, là où il avait vécu libre : que si cependant il avait encouru, à titre de peine, et la privation de sa liberté, et par suite, celle de ses droits civiques, il était obligé de quitter l'État, et devenait esclave chez l'étranger. Cette règle fut en vigueur dans toutes les villes de ligue : nul citoyen de l'une d'elles ne pouvait tomber en esclavage dans l'étendue du territoire fédéral. A cette même règle se réfèrent et la disposition des XII Tables, d'après laquelle le créancier, qui veut vendre son débiteur insolvable, est tenu de le conduire de l'autre côté du Tibre[8], c'est-à-dire hors du territoire allié : et l'article du second traité entre Rome et Carthage, suivant lequel tout captif appartenant aux fédérés romains, redevient libre dés qu'il touche à un port appartenant à Rome. Nous avons vu que, très probablement, l'égalité juridique, établie dans la confédération, avait eut aussi pour résultat la communauté des mariages : et que tout citoyen d'une ville latine contractait de justes noces en épousant une femme, citoyenne d'une autre ville aussi latine. Il ne pouvait espérer de droits politiques que dans sa cité seule, cela est clair : mais, dans l'ordre au droit civil privé, il avait là faculté de s'établir en tout lieu du Latium. Pour emprunter le langage moderne, côté du droit civil spécial à chaque cité, et aux termes du droit fédéral commun à tous les membres de l'alliance, la complète liberté du domicile existait au profit de tous. Rome, plus que toute autre, ville, tira avantage de ces institutions. Capitale de la confédération des États latins, seule elle offrait les ressources d'une ville relativement grande, au commerce, à l'esprit de lucre et au besoin des jouissances matérielles. On ne sera pas étonné en voyant le nombre de ses habitants s'accroître démesurément vite, à dater du jour où le pays latin va vivre avec elle sur le pied d’une paix perpétuelle.

Les cités latines ne restèrent pas seulement indépendantes et souveraines dans les choses qui tenaient à leur constitution et à leur administration particulières, ou qui n'avaient plus trait aux devoirs fédéraux : de plus, et réunies en un corps de trente cités, elles conservèrent d'abord leur autonomie réelle en face de Rome. Quand l'histoire affirme que vis-à-vis d'elles, Albe avait exercé une prépondérance plus grande que celle accordée ensuite à Rome, et qu'après la chute de la première, elles maintinrent leur indépendance extérieure, l'histoire dit vrai, peut-être. Albe était essentiellement ville fédérale : Rome, au contraire, formait un État séparé, placé à côté de la confédération bien plus qu'au dedans d'elle. Il en fut ici, sans doute, comme de la souveraineté des États de la Confédération du Rhin : souveraineté indépendante selon la lettre de la loi, tandis que les États de l'ancien empire d'Allemagne relevaient d'un commun suzerain. En fait, la prééminence de la cité d'Albe ne fut guère qu'un titre honorifique, semblable à celui de l'empereur allemand ; le protectorat de Rome, au contraire, emporta une véritable domination, comme il en a été plus tard du protectorat de Napoléon vis-à-vis des États Rhénans. Albe avait la présidence dans le conseil fédéral : Rome laisse les représentants des cités latines délibérer entre eux, sous la présidence d'officiers qu'elles ont choisis ; elle se contente de la préséance d’honneur dans les fêtes fédérales ; elle érige un second sanctuaire fédéral dans ses murs mêmes, le Temple de Diane, sur l'Aventin ; et dorénavant la religion a ses doubles solennités consacrées à l'alliance on sacrifie à Rome, pour Rome et le Latium ; on sacrifie en pays latin, pour le Latium et pour Rome. Celle-ci, d'ailleurs, avait pris l'important engagement de ne point former d'alliance séparée avec une autre cité latine : stipulation qui témoigne clairement des inquiétudes suscitées chez les fédérés par la puissance et l'influence agrandies de leur voisine. Si telle était la position de Rome, en dehors et à côté plutôt qu'au dedans de la confédération latine, il en devait sortir une préoccupation constante du maintien de l'égalité entre les deux parties contractantes. Or, cette préoccupation se manifeste aussitôt dans les combinaisons adoptées en cas de guerre. L'armée confédérée, ainsi que le démontre irrésistiblement le mode ultérieur de son recrutement, est formée de deux contingents, l'un romain et l'autre latin, de force égale. Le commandement supérieur alterne entre Rome et le Latium ; dans l'année où il appartient à Rome, le contingent latin vient jusqu'aux portes de la ville et réclame pour chef le général choisi par les Romains, après toutefois, que les augures romains, délégués par le conseil général latin, ont consulté le vol des oiseaux, et se soit assurés que ce choix a reçu l’assentiment des dieux. Tout le gain fait à la guerre est aussi partagé, terres et butin, en deux parts égales, entre Romains et Latins. L'égalité des droits et des devoirs fédéraux est donc maintenue partout avec une extrême jalousie ; et nous croyons volontiers que dans les premiers temps aussi Rome n'a pas eu le pouvoir de représenter seule la ligue auprès de l'étranger. Les traités n'interdisent ni à Rome ni aux Latins d'entamer au dehors, et pour leur compte, une guerre offensive. Mais, quand la ligue tout entière a pris les armes, soit en vertu d'une décision du conseil fédéral, soit pour repousser une attaque de l'ennemi, ce conseil a évidemment à délibérer sur la conduite et la mise à fin de la guerre. Tel était l'état de droit au début ; mais je soupçonne que, dès l'époque où nous sommes, Rome avait conquis la prééminence réelle au sein de la ligue : entre une cité forte et unie et une confédération de cités qui se lient par un traité durable d'alliance, la prépondérance appartient bientôt à la première.

Albe est tombée, et Rome, maîtresse d'une région considérable, devient la puissance dirigeante au sein de la ligue latine. Nul doute qu'elle n'augmentera tous les jours son territoire médiat et immédiat. Ici, le détail des faits nous échappe. La possession de Fidènes est l'objet de luttes quotidiennes avec les Étrusques, avec les Véiens surtout. Mais, en dépit des Romains, cet avant-poste de l'ennemi, planté sur la rive latine du Tibre, à un peu plus de deux lieues seulement de leurs murs, demeure entre ses mains : ils ne réussissent point encore à arracher aux Véiens cette base offensive si menaçante. Ailleurs ils sont plus heureux, et la possession du Janicule et des deux rives du Tibre à son embouchure, leur demeure incontestée. Vis-à-vis des Sabins et des Èques, Rome est également la plus forte dès le temps des rois, elle entre en relations qui se resserreront, chaque jour davantage, avec le peuple plus éloigné des Herniques. Aidés de ceux-ci et des Latins confédérés, elle enferme et contient des deux côtés ses turbulents voisins de l'Est. Mais à cette même époque, le champ de bataille le plus habituel est la frontière sud du Latium, pays des Rutules et surtout celui des Volsques. C'est de ce côté que le territoire latin, s'est étendu le plus tôt : c'est là que nous rencontrons pour la première fois des colonies, dites latines, des cités fondées à la fois par Rome et les Latins en pays étranger, et appartenant à la confédération, tout en gardant leur autonomie. Les plus anciennes de ces colonies paraissent remonter au temps des rois. Quant aux limites de la terre romaine, à cette même heure, on ne peut les déterminer. Les annales contemporaines des rois parlent assez et trop souvent des luttes de Rome avec ses voisins Latins, et Volsques ; mais elles sont presque toujours muettes sur le point qui nous occupe ; ou encore, leurs rares indications, sauf peut-être celle relative à la reddition de Suessa, dans la plaine Pontine, n'ont pas une valeur historique sérieuse. Assurément Rome, sous les rois, n'a pas seulement vu poser les fondements politiques de la cité ; elle a vu aussi s'ébaucher sa puissance au dehors. Quand s'ouvre l'ère républicaine, elle est déjà bien moins placée dans la ligue latine, qu'elle ne s'élève à côté et au-dessus d'elle. D'où il faut conclure que déjà elle a conquis à sa souveraineté extérieure un domaine assez vaste. Des événements, des succès brillants se sont réalisés, dont le bruit s'est évanoui, mais dont l'éclat persiste et, se projetant sur les rois, sur les Tarquins entre tous, ressemble à ces feux du soir, au milieu desquels se perdent les lignes de l'horizon.

Pendant que la famille latine s'avance vers l'unité sous l'impulsion de Rome, et qu'elle agrandit son domaine à l'est et au sud, la ville elle-même, grâce aux faveurs de la fortune, et à l'énergie de ses habitants, cesse d'être une simple place de commerce ou un bourg agricole, pour devenir le centre imposant des campagnes voisines. Il y a un étroit rapport entre la refonte des institutions militaires, la réforme politique dont elle recèle le germe, et que nous nommons la constitution de Servius Tullius, et la transformation complète du régime intérieur de la cité. Dans l'ordre matériel, l'affluence de ressources nouvelles, les ambitions surexcitées, l'horizon politique agrandi, n'amènent pas des changements moins considérables. Déjà l'annexion de la cité Quirinale était consommée, quand la réforme de Servius fut entreprise : mais lorsque celle-ci eut concentré la force armée de l'État dans les cadres d'une unité vivace et puissante, il ne suffit plus bientôt à la population de rester enfermée dans les enceintes des collines couvertes de maisons et d’édifices, ou d'occuper aussi, peut-être, l'île du Tibre, qui en commandait le cours, avec la hauteur placée sur la rive opposée. Il fallait à la capitale du Latium un autre système de défense mieux approprié et continu : le mur de Servius fut construit. La nouvelle enceinte partait du fleuve, au-dessous de l'Aventin, qu'elle enfermait. Tout récemment, en 1855, on y a retrouvé, en deux endroits, sur la pente occidentale, en allant vers le Tibre, et sur celle opposée, du côté de l'Orient, les restes gigantesques de l'antique fortification. Des pans de murs hauts comme ceux d'Alatri et de Ferentino, formés de blocs quadrangulaires, irréguliers, taillés dans le tuf, ont tout à coup revu le jour : témoins, au temps jadis, d'énergies populaires impérissables comme les rochers qu'elles avaient entassés, et plus impérissables qu'eux encore dans les immenses résultats qu'elles enfantèrent. Après l'Aventin, le mur contournait le Cœlius, l'Esquilin tout entier, le Viminal et le Quirinal. Là, un remblai énorme, et qui étonne encore aujourd'hui le regard., réparait les inconvénients de la dépression naturelle du terrain et allait se rattacher à l'escarpement du Capitole, dont le mur de ville empruntait l'enceinte puis, celui-ci allait retomber dans le Tibre au-dessus de l'île. L'île, le pont de bois, et le Janicule, ne faisaient point partie de la ville, à proprement parler : le Janicule en était comme l'ouvrage avancé et fortifié. Jusqu'alors le Palatin avait porté la citadelle : actuellement il est livré aux constructions privées, et l'on érige la forteresse nouvelle du Capitole (arx, capitolium)[9] sur la hauteur d'en face, la colline Tarpéienne, facile à défendre à raison de son isolement même et de sa minime étendue. Le capitole avait sa citerne d'eau vive soigneusement disposée (le Tullianum)[10] ; il renfermait le trésor (œrarium) ; la prison publique et l'ancien lieu d'assemblée des citoyens (ares capitolina), sur lequel se fit, durant longtemps encore, l'annonce régulière des phases de la lune. Il avait été- défendu dans l'origine de construire là des édifices privés de quelque durée[11]. L'intervalle entre les deux sommets, le sanctuaire du Dieu mauvais (Vediovis) ou, comme il a été appelé plus tard sous l'influence des idées helléniques, l'asyle (asylum), était caché par un bois, et avait pour destination sans doute de recevoir les paysans et leur bétail, quand l'inondation ou la guerre les chassaient de la plaine. Ainsi, de fait et de nom, le Capitole était l'acropole romaine. Son château isolé pouvait tenir encore, même après la ville prise. Il avait sa porte tournée vers le point où fut plus tard placé le marché (forum boarium)[12]. L'Aventin paraît avoir été également fortifié, quoique avec moins de soin : on n'y bâtissait pas non plus à demeure. C’est enfin en vue de pourvoir encore à des intérêts purement municipaux; à la répartition des eaux des aqueducs, par exemple, que les habitants de Rome se partagèrent alors, en habitants de la ville proprement dite, ou montagnards (montani), et en confréries dites des districts du Capitole et de l’Aventin[13]. — Ainsi l'enceinte servienne enveloppait tout à la fois les villes Palatine et Quirinale, et les deux citadelles fédérales construites sur les autres collines[14]. Le Palatin, l'ancienne Rome était désormais environné d'une ceinture d'autres hauteurs ; au pied desquelles s'appuyait la nouvelle muraille avec ses deux châteaux au milieu.

Plan de Rome emprunté à Lucien J. Heldé.

Tous ces travaux seraient restés incomplets si le sol de la ville, protégé à si grands frais contre les incursions de l'ennemi, n'avait pas été, en outre, défendu contre l'invasion des eaux. Celles-ci remplissaient la vallée entre le Palatin et le Capitole, où la traversée se faisait en bateau (le Vélabre) : elles formaient un marais aussi dans les dépressions placées entre le Capitole et la Vélie, entre le Palatin et l'Aventin. Mentionnons ici les fameux égouts souterrains, construits en énormes blocs carrés, que les Romains ont plus tard admirés comme l'oeuvre étonnante de leurs rois[15]. Nous les croyons d'une époque plus récente : le travertin y est employé ; et nous savons par maints récits que c'est surtout sous la République qu'il en a été fait usage. Il se peut fort bien que l’égout soit du temps des rois, mais encore a-t-il été bâti à une date plus récente que le mur de Servius et que le Capitole. Des travaux intelligents avaient aussi asséché et rendu libres les vastes terrains, les places publiques dont avait besoin la nouvelle ville. L'assemblée des citoyens, qui naguère se réunissait sur la place, Capitoline[16], dans la citadelle, fut ramenée sur le terrain aplani qui descendait de celle-ci vers la ville (les comices, comicium), et se prolongeait entre le Palatin et les Carines du côté de la Vélie. Là, tout près, et sur les murs mêmes de la citadelle qui dominaient les comices, les membres du sénat, les hôtes de la ville occupaient une place d'honneur, assistant comme du haut d’une tribune, aux fêtes et aux assemblées du peuple. Tout près de là, encore, fut construite une maison du conseil, la curia Hostilia, rappelant, par son nom, le nom de celui qui l'avait bâtie. L'estrade pour les juges (tribunal), celle du haut de laquelle les orateurs parlaient aux citoyens (les rostres, rostra, plus tard) furent dressées sur la place même, qui, en se prolongeant vers la Vélie, devint le Marché neuf (forum Romanum). A l'ouest, sous le Palatin, s'élevait la maison publique, demeure officielle des rois d'abord (Regia), renfermant et le foyer sacré de la cité, et la rotonde du temple de Vesta. Plus loin, au sud, s'élevait un second bâtiment, aussi de forme ronde, le trésor de la cité, ou le temple des Pénates, debout encore, et qui sert aujourd'hui de vestibule à l'église des SS. Cosma e Damiano. La pensée qui présida à l'organisation de la ville neuve, si différente de l'ancienne association des habitants primitifs cantonnés sur les sept monts, fut donc une pensée essentiellement unitaire. A côté et au-dessus des foyers sacrés des trente curies que la Rome palatine s'était contentée de réunir sous un même toit, la ville servienne, par une institution caractéristique de la fusion et de l'unité opérées, avait construit un foyer central et commun[17]. Aux deux côtés longs du Forum, étaient les boutiques des marchands et les étalages dés bouchers. Entre l'Aventin et le Palatin avait été réservé un vaste emplacement pour les courses : là, fut le Cirque. Sur tous les sommets se voyaient des temples et des sanctuaires : sur l’Aventin, notamment, s'élevait le temple fédéral de Diane, et sur la hauteur du Capitole, le temple dominant au loin, de Diovis, père des Romains (pater Diovis, Diespiter), auteur de la grandeur de son peuple, et qui, de même que Rome levait la tête au-dessus des nations environnants, triomphait, lui aussi, au-dessus de leurs dieux vaincus. — Les noms des hommes qui présidèrent à ces constructions grandioses se sont perdus dans la nuit des temps, comme aussi les noms des généraux qui commandaient les armées romaines aux jours de leurs premières et plus anciennes victoires. La légende a voulu les rattacher successivement aux divers rois : la Maison du conseil, ou Curie à Tullus Hostilius ; le Janicule et le pont de bois à Ancus Marcius ; le grand égout, le cirque, le temple de Jupiter à Tarquin l'Ancien ; le temple de Diane, la nouvelle enceinte, à Servius Tullius. Il peut y avoir là beaucoup de choses vraies : la nouvelle enceinte et le nouveau système militaire, si importants pour la défense des murailles de la ville, appartiennent sans doute à un même temps et à une même main. Mais il serait téméraire de demander à la tradition au delà de ce qu'elle peut donner : qu'on se contente de voir Rome se refondre et se renouveler au moment même où sa puissance s’étend dans le Latium, et où sa milice civique vient d'être réorganisée. Une seule et même grande pensée a bien dirigé tous ces changements ; mais ils n'ont été ni l'oeuvre d'un seul homme, ni l'oeuvre d'un seul siècle. Notons un autre fait considérable : l'influence hellénique a visiblement marqué tous ces travaux de son empreinte. Il n'est pas possible d’en douter un seul instant ; alors cependant qu'on ne saurait dire ni comment, ni jusqu'où, elle s'était fait jour au sein de la cité romaine. Déjà nous l'avons vue se manifester dans le système militaire de Servius ; nous la verrons plus loin inspirer jusqu'aux détails des jeux du cirque. Le palais du roi avec le foyer de la cité n'est autre que le Prytanée des Grecs ; le temple de Vesta, avec sa rotonde tournée à l'est, et que les augures n'ont jamais consacrée, n'offre rien d'italique dans l'ordonnance sacramentelle de sa construction : ici, les rites grecs ont été certainement suivis. Enfin, suivant une antique et vraisemblable tradition, la ligue romano-latine se serait modelée sur la ligue ionienne de l'Asie-Mineure ; et le nouveau temple fédéral de l'Aventin n'aurait été qu'une imitation de l'Artemisium d'Éphèse.

 

 

 



[1] Tite Live, V, 46 ; VIII, 9.

[2] Les antiques évocations et dévotions contre Gabies et Fidènes sont aussi à noter (Macrobe, Saturnales, 3, 9). A vrai dire, on ne trouve trace nulle part, et il nous semble hautement improbable, qu'il ait été jamais dressé contre ces villes une formule [carmen] pareille à celles qui se réfèrent à Véies, Carthage ou Frégelles. Très probablement, les deux villes tant haïes ont été mentionnées après coup dans quelque vieille formule, ou les antiquaires romains auront ensuite cru découvrir un document historique.

[3] Mais je ne vois nul motif de douter, avec tel grave critique moderne, du fait même de la destruction d'Albe. Assurément, le récit des historiens n'offre qu'un tissu d'invraisemblances et d'impossibilités ; il en est toujours ainsi des faits historiques enveloppés dans la légende. Quelle fut l'attitude du Latium pendant la lutte ? Question oiseuse et sans intérêt certain. Ne l'avons-nous pas fait voir ailleurs ? La fédération latine n'interdisait pas, ce semble, la guerre individuelle entre deux fédérés. Soutiendra-t-on que la transportation à Rome d'un certain nombre de familles albaines serait en contradiction avec la destruction de la ville d'Albe par les Romains ? Mais d'abord, pourquoi n'y aurait-il pas en là, comme à Capone plus tard, un parti favorable à Rome ? La question est tranchée, suivant moi, par cette circonstance, que Rome s'est toujours dite l'héritière d’Albe dans les choses de la religion et de la politique : une telle prétention ne saurait se concilier avec l'introduction de quelques familles albaines seulement dans la cité : elle n'a pu se fonder et ne s'est fondée, en effet, que sur une véritable conquête.

[4] C'est sur ces bases que se forma le système des colonies maritimes et civiles (colonia civium Romanorum). Séparées de fait de la métropole, ces colonies demeuraient légalement et politiquement dans sa dépendance : elles n'avaient point de volonté à elles, et elles se fondaient dans la capitale, comme le pécule du fils se fond dans le patrimoine du père. Elles étaient d'ailleurs affranchies du service militaire, mais à titre de garnisons permanentes.

[5] Pomœrium (pone murum) espace consacré en dedans et en dehors du mur d'enceinte, et sur lequel il était interdit de bâtir. — Il y avait là une véritable zone de servitude militaire et religieuse. — V. Aulu-Gelle, 13, 14.

[6] De là est venue sans nul doute la disposition qu'on lit dans la loi des Douze Tables : Nex (i mencipiique) forti sanatique idem jus esto : suivant laquelle, dans les relations du droit privé, la loi est la même (mot à mot) pour l'homme fort et pour l'homme guéri. Il ne pouvait s'agir ici des alliés latins, dont l'état légal était régi par des traités d'alliance : les XII Tables d'ailleurs ne règlent que le droit romain proprement dit : les Senates sont donc évidemment les Latini prisci cives romani anciens Latins (devenus citoyens romains), ceux que les Romains avaient amenés des pagi latins, et dont ils avaient ainsi fait des plébéiens.

[7] Il paraît même que la cité de Bovilles a été formée d'une fraction de l'ancien territoire albain, et qu'elle est entrée dans la ligue des villes latines autonomes, à la place d'Albe. L'origine est attestée par les cérémonies religieuses de la gens Julia, et par les inscriptions où on lit : Albani Longani Bovillenses (Orelli-Henzen, 119, 2252, 6019) : l'autonomie est attestée par Denys d'Halicarnasse, 5, 61 ; et par Cicéron, pro Planc., 9, 23.

[8] Aulu-Gelle, Noct. att., XX, 1.

[9] Ces deux noms, attribués plus tard, le Capitolium, à la partie qui regarde le fleuve, l'Arx, à celle tournée vers le Quirinal, sont comme άχρα et χορυφή des Grecs, des appellations purement générales : chaque villes latine avait son capitole. Le vrai nom local de la colline de la citadelle est le mont Tarpéien (mons Tarpeius).

[10] Vidée plus tard et transformée en oubliette ; d'où l'expression in Tullianum dimitere (Salluste, Catilina, 55). Cette prison existe encore : c'est le S. Pietro in carcere. — V. le dessin v° Tullianum, au Dict. des Antiquités romaines, de Rich.

[11] La loi ne quis patricius in arce aut capilotio habitaret ne prohibant que les maisons de pierre, véritables forteresses elles-mêmes dans les premiers temps. Elle ne proscrivait pas les constructions usuelles légères et d'une démolition facile. (Becker, Cap., p. 386.)

[12] C’est par là en effet, que la rue sacrée gravissait la colline Capitoline et l’on retrouve la courbe qu'elle décrivait avant de joindre la porte dans le mouvement qu'elle fait à gauche, à côté de l'arc de Sévère. La porte elle-même a été recouverte par les vastes superstructions élevées plus tard sur le Clivus. Quant à celle appelée Janualis, Saturnia, Aperta, qui était placée du côté le plus escarpé, et devait demeurer ouverte tant que Rome serait en guerre, elle n'a jamais été qu'une construction symbolique et religieuse, ne servant ni à l'entrée ni à la sortie.

[13] On connaît trois de ces confréries : 1° celle des Capitolins (Capitolini, Cicéron, epist. ad Quinct. fr 2, 5), avec ses maîtres (magister, Henzen, 6010, 6011), et ses jeux annuels (Tit. Liv. V, 50. — Preller, Myth., p. 202) ; 2° celle des Mercuriales (mercuriales — Tit. Liv. II, 27. Cicéron, l. c. — Preller, p. 597), avec ses maîtres, également : c'était la confrérie de la vallée du Cirque, où se voyait le temple de Mercure ; 3° enfin celle du Bourg de l'Aventin (pagani Aventinenses) toujours avec ses maîtres (Henzen, 6010). Ce n'est point certainement par l’effet du hasard que ces trois corporations, les seules de ce genre qui aient existé dans Rome, ont appartenu précisément aux deux collines, laissées en dehors de la Rome aux quatre quartiers, et enfermées plus tard dans l'enceinte de Servius, le Capitolin et l’Aventin. Il en est de même des noms de montani et pagani usités à cette époque pour désigner tous les habitants de Rome (V. outre le passage connu de Cicéron, de domo sua, 28, 74, la loi spéciale sur les aqueducs dont Festus fait mention au mont Sifus. p. 340 : [mon]tani pagani ve si[fis aquam dividunto]). Les montagnards, ou les habitants primitifs des trois quartiers Palatins, sont ici désignés a priori comme formant les habitants de toute la ville aux quatre quartiers ; et les pagani (les hommes du bourg) sont évidemment les habitants des nouveaux districts du Capitole et de l'Aventin en dehors des anciennes tribus.

[14] Mais la Rome de Servius Tullius ne se regardait pas comme étant la ville aux sept monts. Cette désignation ne s'applique, dans ces temps, qu'à l'ancienne et plus petite cité Palatine. A l'époque de la décadence, quand la fête du Septimontum, conservée jusque sous les empereurs, et célébrée même alors avec une continuité et une affluence remarquables, commença d'être considérée à tort comme la fête générale de la ville, l'ignorance des lettrés suivit l'erreur commune ; on chercha et l'on crut retrouver les sept collines dans l'enceinte de la Rome impériale. Déjà même Cicéron, dans une lettre assez énigmatique, en langue grecque, qu'il adresse à Atticus (Ep. ad Attic. 6,5), déjà Plutarque (9. R. 69.) aussi, donnent matière à cette méprise ; mais le plus ancien monument qui énumère tout au long les sept collines de la Rome impériale (montes) est la Description de Rome écrite au temps de Constantin. Elle nomme le Palatin, l’Aventin, le Cœlius, l'Esquilin, le Tarpéien, le Vatican et le Janicule, négligeant le Quirinal et le Viminal, qui ne sont que des collines (colles) évidemment, et ajoutant aux anciens sites (montes) les deux hauteurs de la rive droite. Une autre liste, plus embrouillée encore, nous a été donnée plus tard par Servius (ad Æneid., 6, 783) et par Lydus (de mens., p. 118, éd. Becker). Quant aux sept collines de la ville moderne, qui sont : le Palatin, l'Aventin, le Cœlius, l’Esquilin, le Viminal, le Quirinal et le Capitole, nul ancien n'en a jamais donné l'énumération.

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[15] La cloaca maxima.

[16] Area Capitolina.

[17] La situation des deux temples, aussi bien que le témoignage formel de Denys d'Halicarnasse (2, 65), suivant qui le temple de Vesta était en dehors de la Roma quadrata, démontrent que ces constructions n'ont rien de commun avec la ville Palatine ; mais qu'elles se rapportent plutôt au remaniement de Servius, à la seconde Rome. Nous ne nous arrêterons pas aux récits postérieurs qui rattachent la Regia et le temple de Vesta à Numa. Le motif de cette fable est trop manifeste pour mériter qu'on s'y arrête.