Depuis Rome fondée jusqu’à la suppression des rois
Le père et la mère, les fils et les filles, le domaine
agricole et l'habitation de la famille, les serviteurs et le mobilier
domestique, tels sont partout, hormis là où la polygamie fait disparaître la
mère, les éléments naturels et essentiels de l'unité ménagère. La diversité
qui se remarque entre les peuples doués du génie de la civilisation tient,
avant toute chose, au développement de ces institutions ; les uns y apportant
un sens plus profond, des moeurs et des lois plus tranchées que ne le font
les autres. Nul peuple n'a égalé les Romains dans la rigueur inexorable de
leurs institutions du droit naturel. La famille, composée de l'homme libre, que la mort de son
père a fait maître de ses droits ; de son épouse, que le prêtre lui a unie
dans la communauté du feu et de l'eau, par le rite sacré du gâteau au sel (confarreatio) ; de ses fils ; des fils de ses fils
avec leurs femmes légitimes ; de ses filles non mariées, et des filles de ses
fils, avec tout le bien que chacun d'eux possède : telle est l'unité domestique,
base de l'ordre social, à Rome. Les enfants de la fille en sont exclus, bien
entendu, dès qu'elle est passée, par le mariage, dans la maison d'un autre
homme ; ou quand, procréés en dehors du légitime mariage, ils n'appartiennent
à aucune famille. Une maison, des enfants, voilà, pour le citoyen romain, le
but et l'essence de la vie. La mort n'est point un mal, puisqu'elle est
nécessaire ; mais que la maison ou la descendance périsse, voilà un vrai
malheur. On l'empêchera à tout prix, dès les premiers temps, en donnant à
l'homme sans enfants le moyen d'en aller solennellement chercher dans le sein
d'une famille étrangère, et de les faire siens en présence du peuple. La
famille romaine, ainsi constituée, portait en elle-même, grâce à cette
subordination morale puissante de tous ses membres, les germes d'une
civilisation féconde dans l'avenir. Un homme seul peut en être le chef : la
femme, sans doute, petit aussi bien que lui acquérir et posséder la terre et
l'argent : la fille a dans l'héritage une part égale à celle de son frère ;
la mère hérite aussi sur le même pied que les enfants. Mais cette femme ne
cesse jamais d'appartenir à la maison : elle n'appartient point à la cité ;
et, dans sa maison, elle a toujours un maître, le père, quand elle est la fille
; le mari, quand elle est l'épouse[1] ; son plus proche
agnat mâle, quand elle n'a plus son père et qu'elle n'est point mariée. Eux
seuls, et non le prince, ont droit de justice sur elle. Mais, sous le toit conjugal, loin d'être asservie, elle
est maîtresse. Suivant l'usage romain, écraser le grain sous la meule, vaquer
aux travaux de la cuisine, constituent la tâche imposée à la domesticité ;
ici, la mère de famille exerce une haute surveillance ; puis elle tient le
fuseau, qui, pour elle, est comme la charrue dans les mains du mari[2]. Les devoirs moraux des parents envers leurs enfants
étaient profondément gravés dans le coeur du Romain. C'était un crime à leurs
yeux que de négliger un fils, que de le gâter, que de dissiper le bien
patrimonial à son préjudice. D'un autre côté, le père dirige et conduit la
famille (pater familias) selon la loi de sa
volonté suprême. En face de lui, tout ce qui vit dans la maison est
absolument sans aucun droit : le boeuf comme l'esclave, la femme comme
l'enfant. La vierge, devenue épouse par le libre choix de l'époux, a cessé
d'être libre ; l'enfant qu'elle lui donne, et qu'il s'agit d'élever, n'aura
pas davantage son libre arbitre. Et qu'on ne suppose pas que cette loi ait eu
sa source dans l’absence de tout souci pour la famille : les Romains
croyaient fermement, au contraire, que fonder sa maison et procréer des
enfants, constitue une nécessité, un devoir social. Nous ne rencontrons
peut-être à Rome qu'un seul et unique exemple de l’immixtion du pouvoir
public. Dans les choses de la famille et il fut en même temps un acte
d’assistance. Nous voulons parler des secours fournis au père ayant trois
jumeaux. L'exposition des nouveau-nés donnait lieu à une loi caractéristique
: interdite par rapport au fils, sauf au cas de difformité, elle était
également défendue pour la première fille. Sauf ces restrictions, quelque
blâmable en soi, quelque dommageable pour la société que fût un pareil acte,
le père avait le droit de le consommer ; il était et devait rester maître
absolu chez lui. Il tenait les siens assujettis à la règle d'une discipline
sévère ; il avait le droit et le devoir d'exercer la justice parmi eux; il
prononçait même, s'il le jugeait à propos, la peine capitale. — Le fils,
devenu adulte, fonde-t-il un ménage distinct, ou, pour parler comme les
Romains, a-t-il reçu de son père un troupeau (peculium)
en propre ? Peu importe ; dans la rigueur du droit, tout ce qu'il gagne par
lui même ou par les siens, qu'il le doive à son travail ou aux libéralités
d'autrui, qu'il le gagne dans sa maison ou sous le toit paternel, appartient
avant tout au père de famille. Tant que celui-ci est vivant, nul de ses
subordonnés ne peut être propriétaire de ce qu'il possède ; nul ne peut
aliéner, ou hériter, sans son assentiment. Sous ce rapport, la femme et
l'enfant sont sur la même ligne que l'esclave, à qui souvent il est permis
aussi de tenir un ménage ; et d'aliéner même son pécule. Bien plus, comme il
transfère souvent la propriété de son esclave à un tiers, le père peut en
agir de même à l'égard de son fils : l'acheteur est-il un étranger, le fils
devient son esclave; le fils est-il cédé à un Romain, comme il est Romain
lui-même, et ne peut être asservi à un concitoyen, il tient seulement lieu
d'esclave à son acquéreur. On le voit donc, la puissance paternelle et
conjugale du père de famille est absolue. La loi ne la limite point. La
religion parfois a pu maudire ses excès : de même que le droit d'exposition a
été restreint, de même le père est excommunié quand il vend sa femme ou son fils
marié. Enfin,la loi voulut encore que, dans l'exercice de son pouvoir de
justice domestique, le père et surtout le mari ne pussent prononcer sur le
sort des enfants et de la femme, sans avoir auparavant convoqué leurs
proches, et au second cas, les proches aussi de la femme. Toutefois leur
puissance n'était point pour cela amoindrie. Aux dieux seuls, et non à la
justice humaine, appartenait l'exécution de la sentence d'excommunication
qu'ils auraient pu encourir ; et les agnats, appelés par lui au .jugement
domestique, ne faisaient que donner leur avis ; ils ne jugeaient pas. De même
qu'elle est immense et irresponsable devant les hommes, de même la puissance
du père de famille est immuable et inattaquable tant qu'il n'a pas cessé de
vivre. Dans le droit grec, dans le droit germanique, dès que le fils est
adulte, dès que sa force physique lui a donné l'indépendance, la loi lui
donne aussi la liberté. Chez les Romains, au contraire, ni l'âge du père, ni
les infirmités mentales, ni même sa volonté, expresse, ne peuvent affranchir
sa famille. La fille seule sort de sa dépendance, quand elle passe par les
justes noces sous la main de son mari ; elle quitte alors la famille et les
pénates paternels, pour entrer, dans la famille de celui-ci, sous la
protection de ses dieux domestiques ; elle lui devient assujettie comme
auparavant elle l'était à son père. La loi permet plus facilement
l'affranchissement, de l'esclave que celui du fils. De bonne heure, celui-là
a été libéré, au moyen des formalités les plus simples. L'émancipation de
celui-ci, au contraire, n'a pu avoir lieu que plus tard, et par toutes sortes
de voies détournées. Le père a-t-il vendu à la fois son fils et son esclave, et
l'acquéreur les a-t-il affranchis tous les deux ? L'esclave est libre ; le
fils, lui, retombe sous la puissance paternelle. La puissance paternelle et
conjugale, fortement organisée comme elle l'était à Rome, avec tous ses
attributs et ses conséquences d'une inexorable logique, constituait un
véritable droit de propriété. Mais si la femme et l'enfant étaient, on le
voit, la chose du père ; s'ils étaient sous ce rapport traités comme
l'esclave et le bétail, sous d'autres rapports ils étaient loin de se
confondre avec le patrimoine : en fait et en droit, leur position était bien
tranchée. La puissance du père de famille ne s'exerce qu'à l'intérieur de la
maison ; elle est viagère, elle est une fonction personnelle en quelque
sorte. La femme, et l'enfant ne sont point là pour le seul bon plaisir du
père, comme la propriété pour le bon plaisir du propriétaire, comme le sujet
pour celui du prince, dans un royaume absolu. Ils sont aussi des choses
juridiques : mieux que cela, ils ont des droits actifs, ils sont des
personnes. Ces droits actifs, sans doute, ils ne les peuvent exercer, parce que
la famille est unie et a besoin d'un pouvoir unique qui la gouverne ; mais,
vienne la mort du chef, aussitôt les fils sont pères de famille à leur tour,
et ils ont dès lors sur leurs femmes, leurs enfants et leurs biens, la
puissance à laquelle ils étaient soumis tout à l'heure. Pour les esclaves, au
contraire, rien n'est changé ; ils restent esclaves comme devant. D'un autre côté, telle est la force d'unité de la famille
que la mort même de son chef n'en dénoue pas le faisceau. Ses descendants,
devenus libres, continuent, sous beaucoup de rapports, l'unité ancienne, pour
le règlement, par exemple, des droits de succession et autres, et surtout en
ce qui touche le sort de la veuve et des filles non mariées. Comme, dans les
idées des anciens Romains, la femme n'est pas capable d'avoir la puissance
sur autrui et sur elle-même, il faut bien que cette puissance, ou, pour
parler en termes moins rigoureux, tutelle (tutela)
soit donnée à la maison à laquelle la femme appartient. Dès lors elle est
exercée, à la place du père de famille défunt, par tous les hommes membres de
la famille, et plus proches agnats ; par les fils sur la mère ; par les
frères sur la sœur. Et ainsi la famille dure immuable, jusqu'à l'extinction
de la descendance masculine de son fondateur. Toutefois, après plusieurs
générations, le lien qui l'attache devait se desserrer : la preuve de
l'origine remontant à l'auteur commun devait aussi s'évanouir. Telles sont
les bases de la famille romaine, qui se distingue en famille proprement dite,
et en race ou gens ; dans l'une sont compris les agnats (adnati) ; dans l'autre, les gentils (gentiles). Les uns et les autres remontent à la
souche masculine commune ; mais, tandis que la famille ne contient que les
individus pouvant établir le degré de leur descendance, la gens comprend
aussi ceux qui, tout en se réclamant du même ancêtre commun, ne peuvent plus
énumérer, ni les aïeux intermédiaires, ni leur degré par rapport à lui. Les
Romains exprimaient clairement ces distinctions, quand ils disaient : Marcus, fils de Marcus, petit-fils de Marcus, etc.
Les Marciens, voilà la famille ; elle se continue tant que les ascendants
peuvent être individuellement désignés par le nom commun ; elle finit et se
complète par la race ou gens, qui remonte, elle aussi, à l'antique aïeul,
dont tous les descendants ont hérité de même du nom d'enfants de Marcus. Ainsi concentrée autour de son chef, lorsque celui-ci est
vivant, ou formée du faisceau des diverses maisons issues de la maison du
commun aïeul, la famille ou la gens s'étend, encore sur d'autres personnes.
Nous n’y voulons pas compter les hôtes (hosplites),
parce que, membres d'une autre communauté, ils ne s'arrêtent pas sous le toit
où ils ont reçu accueil. Nous n'y comptons pas les esclaves, parce qu'ils
font partie du patrimoine, et ne sont pas, en réalité, des membres de la
famille. Mais nous devons y adjoindre la clientèle (clientes,
les clients, de cluere), c'est-à-dire tous ceux qui, n'ayant pas un
droit de cité ne jouissent à Rome que d'une liberté tempérée par le
protectorat d'un citoyen père de famille. Les clients sont : ou des
transfuges venus de l'étranger, et reçus par le Romain qui leur prête
assistance ; ou d'anciens serviteurs, en faveur desquels le maître a abdiqué
ses droits, en leur concédant la liberté matérielle. La situation légale du
client n'avait rien qui ressemblât à celle de l'hôte ou à celle de l'esclave
: il n'est point un ingénu (ingenuus) libre,
bien qu'à défaut de la pleine liberté, il pût jouir des franchises que lui
laissait l'usage et la. bonne foi du chef de maison. Il fait partie de la
domesticité comme l'esclave, et il obéit à la volonté du patron (patronus, dérivé de la même racine que patricius). Celui-ci, enfin peut mettre la main sur
sa fortune ; le replacer même, en certains cas, en état d'esclavage ; exercer
sur lui le droit de vie et de mort. Si, enfin, il n'est pas, à l'égal de
l'esclave, assujetti à toutes les rigueurs de la loi domestique, ce n'est que
par une simple tolérance de fait qu'il reçoit cet adoucissement à s'on sort.
Enfin, le patron qui doit à tous les siens, esclaves ou clients, sa
sollicitude de père, représente et protége, d'une façon toute spéciale, les
intérêts de ces derniers. Leur liberté de fait se rapproche peu à peu de la
liberté de droit, au bout d'un certain nombre de générations : quand
l'affranchissant et l'affranchi sont morts, il y aurait impiété criante, chez
les successeurs du premier; à vouloir exercer les droits du patron sur les
descendants du second. Aussi, voit-on peu à peu se relâcher le lien qui
rattache à la maison les hommes libres et dépendants tout à la fois : ils
forment une classe intermédiaire, mais nettement tranchée, entre les
serviteurs esclaves et les gentiles
ou cognats, égaux en droits au
nouveau père de famille. Au fond et dans la forme, la famille romaine est la base
de l'État romain. La société s'y compose de l'assemblage des anciennes
associations familiales, Romiliens, Voltiniens, Fabiens, etc., qui se sont à
la longue, ici comme partout ailleurs, fondues en une grande communauté. Le
territoire romain se compose de leurs domaines réunis ; tout membre d'une de
ces familles est citoyen de Rome. Tout mariage contracté suivant les formes
voulues, dans le cercle de la cité, est un juste mariage ; les enfants qui en
proviennent seront également des citoyens. Aussi, les citoyens, de Rome
s'appellent-ils emphatiquement pères, patriciens, ou enfants de pères (patres, patricii) :
eux seuls ont un père, selon le sens rigoureux du droit politique : eux seuls
sont pères ou peuvent l'être. Les gentes, avec toutes les familles qu'elles
embrassent, sont incorporées en bloc dans l'État. Dans leur constitution
intérieure, les maisons et les familles restent ce qu'elles étaient
auparavant ; mais au regard de la cité, leur loi n'est plus la même sous la
main du père chez celui-ci, le fils de famille, au dehors, se place à coté de
lui ; il a ses droits et ses devoirs politiques. De même, et par la force des
choses, la condition des individus, sous le protectorat d'un patricien, s'est
aussi altérée : les clients et les affranchis sont admis dans la cité à cause
de leur patron ; et, tout en restant dans la dépendance de la famille à
laquelle ils tiennent, ils ne sont point totalement exclus de la
participation aux cérémonies du culte, aux fêtes populaires ; sans qu'ils
puissent prétendre encore, cela va de soi, aux droits civils et civiques, et
sans qu'ils aient à supporter les charges acquittées par les seuls citoyens.
Il en est de même, et a plus forte raison, des clients de la cité tout
entière — Ainsi donc l’État, comme la maison, renferme deux éléments
distincts : les ingénus, s'appartenant à eux mêmes, et ceux qui appartiennent
à autrui : les citoyens, et les habitants ayant simplement l’incolat. Comme l'État repose sur l'élément de la famille ; de même,
dans l'ensemble et dans les détails, il en a adopté les formes. La nature a
donné pour chef à la famille, le père dont elle procède, et sans lequel elle
prendrait fin. Mais dans la communauté politique qui ne doit pas périr il
n'existe point de chef selon la loi de la nature. L'association romaine,
entre toutes, s'est formée par le concours de paysans, tous libres, tous
égaux, sans noblesse instituée de droit divin. Il lui fallait quelqu'un
pourtant qui la dirigeât (rex), qui lui
dictât ses ordres (dictator), un maître du
peuple enfin (magister populi) ; et elle l'a
choisi dans son sein pour être, à l’intérieur, le chef de la grande famille
politique. Longtemps plus tard, on verra encore auprès de la demeure, ou dans
la demeure même de ce chef, le foyer sacré de la cité toujours allumé, les
magasins clos de l'État, La royauté, à Rome, telle que les moeurs et la
constitution l’avaient faite, diffère essentiellement de la souveraineté chez
les modernes : de même qu'on ne trouve chez ceux-ci rien qui ressemble à la
famille et à la cité romaines. A cette puissance absolue que nous venons de dépeindre, la
coutume et les moeurs opposèrent pourtant une barrière sérieuse. Comme fait
le père de famille chez lui, le roi, en vertu d'une règle reconnue, ne prend
pas de décision dans les circonstances graves, sans s’éclairer du conseil
d'autres citoyens. Le conseil de famille est un pouvoir modérateur pour le
père et l'époux : le conseil des amis, dûment convoqué, influe par son avis
sur le parti qui sera adopté par le magistrat suprême. C'est là un principe
constitutionnel en pleine vigueur sous la royauté, comme sous les régimes
venus après-elle. L'assemblée des amis, du Roi rouage désormais important
dans l'ordre politique, ne fait pas pourtant obstacle légal au pouvoir
illimité dont le représentant l'interroge en certaines graves occurrences.
Elle n'a point à intervenir dans les choses touchant à la justice ou au
commandement de l'armée. Elle est un conseil politique : le Conseil des
anciens, le Sénat (Senatus). Mais le roi ne
choisit pas les amis, les affidés qui le composent : corps politique institué
pour durer toujours, le Sénat, dès les premiers temps, a le caractère d'une
véritable assemblée représentative. Les gentes romaines, quand elles nous
apparaissent dans les documents d'une histoire bien moins ancienne que le
temps des rois, n'ont plus leur chef à leur tête : nul père de famille ne
représente au-dessus d'elles ce patriarche ; souche commune de chaque groupe
de familles, de qui tous les gentiles mâles descendent ou croient être descendus.
Mais à l'époque où nous sommes, lorsque l'État se formait de la réunion de
toutes les gentes, il n'en était point ainsi : chacune d'elles avait son chef
dans l'Assemblée des anciens. Aussi voit-on plus tard les sénateurs se
regarder encore comme les représentants de ces anciennes unités familiales,
dont l'agrégation avait constitué la cité. Voilà ce qui explique pourquoi,
une fois entré dans le Sénat, le sénateur y demeurait à vie, non par l'effet
de la loi, mais par la force même dès choses. Voilà ce qui explique pourquoi
les sénateurs étaient en nombre fixe : pourquoi celui des gentes restait
invariable dans la cité ; et pourquoi, enfin, lors de la fusion en une seule,
des trois cités primitives, chacune ayant ses gentes en nombre déterminé, il
devint à la fois nécessaire et légal d'augmenter proportionnellement aussi le
nombre des siéges des sénateurs. Du reste, dans la conception première du
Sénat, celui -ci n'était que la représentation des gentes, il n’en fut point
ainsi dans la réalité, et cela même sans violer la loi. Le roi était
pleinement maître du choix des sénateurs, et il dépendait de lui de le porter
même sur des individus non citoyens. Nous ne soutenons d'ailleurs pas qu'il
l'ait fait quelquefois : seulement on ne soutiendra pas contre nous qu'il ne
l'a pas pu faire. Tant que l'individualité des gentes a survécu, il a sans
doute été de règle, qu'en cas de mort d'un sénateur, le roi appelât à sa
place un homme d'âge et d'expérience appartenant à la même association de
famille ; mais tous ces éléments jadis distincts se confondant chaque jour
davantage, et l'unité du peuple s'étendant de plus en plus, l'élection des
membres du conseil a fini par dépendre souverainement du libre arbitre du
chef de la cité. Seulement il aurait commis un excès de pouvoir, s’il n'avait
pas pourvu à la vacance. — La durée viagère de la fonction, et son origine
basée sur les éléments fondamentaux de la cité elle-même, conférèrent
d’ailleurs au Sénat une importance grande, et qu'il n'aurait jamais acquise,
s'il n'avait dû sa convocation qu'à un simple appel venant de la royauté. En
la forme, il est vrai, le droit des sénateurs n'est que le droit de conseil,
quand ils en sont requis. Le roi les convoque et les interroge, lorsqu'il lui
plaît; nul n'a à ouvrir un avis, si cet avis n'est pas demandé ; et le Sénat
n'a pas à se réunir lorsqu'il n'est pas convoqué. Le sénatus-consulte, à
l'origine, n’est rien moins qu'une ordonnance ; et si le roi n'en tient pas
compte, il n'existe pas pour le corps dont il émane de moyen légal de faire
descendre son autorité dans le domaine des
faits. Je vous ai choisis, dit le roi aux
sénateurs, non pour être conduit, mais pour être
obéi par vous. D'un autre côté, il y aurait abus criant à ne pas
consulter le Sénat dans toute circonstance grave ; soit pour l’établissement
d'une corvée, ou d'un impôt extraordinaire ; soit pour le partage ou l'emploi
d'un territoire conquis sur l'ennemi ; soit, enfin, au cas où le peuple
lui-même est nécessairement appelé à voter, qu'il s'agisse d'admettre des non
citoyens au droit de cité, ou d'entreprendre une guerre offensive. Le
territoire de Rome a-t-il été endommagé par l'incursion d’un voisin, et la
réparation du tort est-elle refusée, aussitôt le Fécial appelle les dieux à
témoin de l'injure, et il termine son invocation par ces mots : C'est au Conseil des anciens qu'il convient maintenant de
veiller à notre bon droit. Là-dessus le roi, après avoir pris l'avis
du Conseil, fait rapport de l'affaire au peuple : si le peuple et le Sénat
sont d'accord (il faut cette condition), la guerre est juste, et elle aura
certainement pour elle la faveur des Dieux. Mais le Sénat n'a pas affaire
dans la conduite de l'armée, non plus que dans l'administration de la
justice. Que si, dans ce dernier cas, le roi, siégeant sur son tribunal,
s'adjoint des assesseurs à titre consultatif, ou s'il les délègue à titre de
commissaires assermentés pour décider le procès, les uns et les autres, même
pris dans le sein du Sénat, ne sont désignés jamais que d'après son libre
choix : le Sénat en corps n’est point appelé à concourir à l’oeuvre de la
justice. Jamais enfin, même sous la république, on en voit la cause, le Sénat
n'a exercé une juridiction quelconque. Selon la loi d'une antique coutume, les citoyens se
divisent et se répartissent entre eux comme il suit. Dix maisons forment une
gens ou famille (lato sensu) ; dix gentes ou
cent maisons forment une curie (curia : de curare, cœrare, xοίρανος) ; dix curies, ou cent
gentes, ou mille maisons, constituent la cité. Chaque maison fournit
un fantassin (d'où mil.es, le millième, le milicien) : de même chaque gens fournit son cavalier (equ.es) et un conseiller pour le Sénat. Quand les
trois cités se fusionnent ; quand chacune d'elles n'est plus qu'une partie
(une tribu, tribus) de la cité totale (tota.
en dialecte ombrien et osque), les nombres primitifs se multiplient à raison
du nombre des sociétés politiques ainsi réunies. Cette division fut purement
personnelle d'abord : elle s'appliqua ensuite au territoire même, lorsque
celui-ci fut aussi partagé. On ne peut douter qu'il n'ait eu, en effet, ses
délimitations par tribus et curies, alors que, parmi les rares noms curiaux
qui soient parvenus jusqu'à nous, nous rencontrons à la fois des noms de
gentes (Faucia, par exemple) et des noms purement
locaux (Veliensis, par exemple). Il existe
aussi une ancienne mesure agraire qui correspond exactement à la curie de
cent maisons : la centurie (centuria), dont
la contenance est de cent héritages de deux arpents (jugera)[7]. Nous avons déjà
dit un mot de ces circonscriptions agricoles primitives combinées avec la
communauté des terres de la famille : à cette époque la centurie a été,
paraît-il, la plus petite unité de domaine et de mesure. Les cités latines, les cités romaines plus tard, créées
sous l'influence ou l'initiative de Rome reproduiront toujours l'uniforme
simplicité des divisions de la métropole. Elles auront aussi leur conseil de
cent anciens (centumviri, centumvirs), dont chacun sera à la tête de dix
maisons (decurio)[8]. Dans Cette organisation toute primitive n'a point été inventée
à Rome. Elle est bien certainement d'origine purement latine, et remonte
peut-être jusque bien au delà de l'époque de la séparation des races. La
tradition mérite confiance, lorsqu'on la voit; celle qui a une histoire à
conter pour chacune des autres divisions de la cité, faire cependant remonter
les curies à la fondation de Rome. Leur institution n'est point seulement en
parfaite concordance avec l'organisation primitive : elle constitue aussi une
partie essentielle du droit municipal des Latins et de ce système archaïque,
retrouvé de nos jours, sur le modèle duquel toutes les cités latines étaient
établies. Mais il serait difficile d'aller plus loin et de porter un
jugement sûr touchant le but et la valeur pratique d'une telle organisation.
Les curies ont été évidemment son noyau. Quant aux autres divisions ou
tribus, elles n’ont pas la même valeur, à titre d’éléments constitutifs :
leur avènement, comme leur nombre, est chose contingente et de hasard : et
elles ne font, quand elles existent, que perpétuer la mémoire d'une époque où
elles ont constitué un tout[9]. La tradition ne
dit pas qu'elles aient jamais obtenu une prééminence quelconque, ni qu'elles
aient eu leur lieu spécial d'assemblée. Dans l'intérêt même de l’unité
sociale qu'elles ont constituée par leur réunion, un tel privilège n'a pas
dû, cela se comprend, leur être donné ni laissé. À la guerre, l'infanterie
avait autant de doubles chefs qu'il y avait de tribus ; mais chaque couple
des tribuns militaires, loin de ne commander qu'au contingent des siens,
commandait seul ou avec tous ses collègues en corps, à l'armée tout entière.
Comme les tribus, les gentes et les familles à leur tour, ont plus
d'importance, dans la symétrie de la cité que dans l'ordre même des faits. La
nature n'a pas assigné de délimitations fixes à une maison, à une race. La
puissance qui légifère peut entamer ou modifier le cercle qui les enferme ;
elle peut couper en plusieurs branches une race déjà nombreuse ; elle en peut
faire deux ou plusieurs gentes, plus petites : elle peut augmenter ou
diminuer de même une famille simple. — Quoi qu'il en soit, la parenté du sang
est restée à Rome le lien tout puissant des races et bien plus encore des
familles ; et quelle qu'ait été sur elles l'action de la cité, elle n'a
jamais détruit leur caractère essentiel et leur loi d'affinité. Que Si, dans
l'origine, les maisons et les races ont été de même en nombre préfixe dans
les villes Latines, ce qui semble probable, là aussi le hasard des événements
humains a dû bientôt détruire la symétrie première. Les mille maisons et les
cent gentes des dix curies ne sont un nombre normal qu'aux premiers débuts ;
et à supposer que l'histoire nous les montre telles d'abord, elles
constituent une division plus théorique que réelle[10], dont le peu
d'importance pratique est suffisamment démontré par le fait même qu'elle ne
s'est jamais, quant au nombre, pleinement réalisée. Ni la tradition, ni les
vraisemblances n'indiquent que chaque maison a toujours fourni son fantassin,
et chaque gens, son cavalier et son sénateur. Les 3.000 fantassins, les 300
cavaliers étaient bien requis, et devaient être fournis par les unes et les
autres, en bloc mais la répartition s'en fit de bonne heure, on n'en peut
douter, selon les circonstances du moment. Le nombre normal, et typique fut
uniquement maintenu, grâce à cet esprit de logique inflexible et géométrique
qui caractérise les Latins. Disons le donc une dernière fois, la curie est le
seul organe resté réellement debout dans tout cet antique mécanisme : elle
est décuple dans la cité, ou, s'il y a plusieurs tribus dans celle-ci, elle
est décuple dans chaque tribu. Elle est la véritable unité d'association ;
elle est un corps constitué, dont tous les membres se réunissent au moins
pour les fêtes communes : elle a son curateur (curio),
et son prêtre spécial (flamen curialis, le flamme curial). Le recrutement, les
taxes se lèvent par curies : c'est par curies que les citoyens se rassemblent
et émettent leurs votes. Et pourtant elles n'ont point été créées en vue du
vote, autrement leur classification se fût faite, à coup sûr, par nombres
impairs. Si tranchée que fût la séparation entre les citoyens et
les non citoyens, chez les premiers par contre, l'égalité devant la loi
régnait pleine et entière. Nul peuple peut être n'a, poussé aussi loin que
les Romains, la rigueur des deux principes. Cherche-t-on une marque nouvelle
et éclatante de l'exclusivité du droit de cité, on la trouvera dans
l'institution toute primitive des citoyens honoraires, institution destinée
pourtant à concilier les deux extrêmes. Lorsqu'un étranger était admis, par
le vote du peuple, dans le sein de la cité[11], il avait la
faculté d’abandonner son droit de citoyen dans sa patrie, auquel cas il
entrait avec tous les droits actifs dans la cité romaine, ou de joindre
seulement la cité qui lui était conférée à celle dont il était déjà pourvu
ailleurs. L'honorariat est un ancien usage pratiqué de même et de tout temps
en Grèce, où l'on a vu, jusque fort tard, le même homme citoyen de plusieurs
villes. Mais le sentiment national était trop puissant, trop exclusif dans le
Latium, pour qu'une telle latitude y fût laissée au membre d'une autre cité.
Là, si le nouvel élu n'abandonnait pas son droit actif dans sa patrie,
l'honorariat qui venait de lui être conféré n'avait plus qu'un caractère
purement nominal : il équivalait simplement aux franchises d'une hospitalité
amicale, à un droit à la protection romaine, telle qu'elle avait été de tout
temps concédée à des étrangers. Ainsi fermée du côté du dehors, la cité
plaçait sur la même ligne tous les membres qui lui appartenaient, nous venons
de le dire. On sait que les différences existant à l'intérieur de la famille,
quoique souvent elles persistassent encore au dehors, devaient pleinement
s'effacer au regard des droits de citoyen ; que tel fils, regardé dans la
maison comme sien, par son père, pouvait être appelé à lui commander dans
l'ordre politique. Il n'y avait point de classes ni de privilèges parmi les
citoyens. Si, les Titiens passaient avant les Ramniens, et ces deux tribus
avant celle des Lucères, cette préséance ne nuisait en rien à leur égalité
civile. Appelée à se battre, en combat singulier surtout, à pied
autant qu'à cheval, et en avant de la ligne de l'infanterie, la cavalerie
d'alors constituait une troupe d'élite ou de réserve, plutôt qu'une arme
spéciale : composée de citoyens plus riches, mieux armés, mieux exercés que
les fantassins, elle était plus brillante que ceux-ci. Mais le fait ne
changeait rien au droit : il suffisait d'être patricien pour pouvoir entrer
dans ses rangs. Seule, la répartition des citoyens dans les curies créait
entre eux des différences, sans créer jamais une infériorité
constitutionnelle, et leur égalité se traduisait jusque dans les apparences
extérieures. Le chef suprême de la cité se distinguait par son costume : le
sénateur se distinguait aussi du simple citoyen ; l'homme adulte et propre à
la guerre, de l'adolescent. Sauf ces exceptions, tous, riches et pauvres,
hommes nobles ou hommes de naissance obscure, revêtaient le même et simple
vêtement de laine blanche, la toge (toga).
Assurément on peut faire remonter jusqu'aux traditions indo-germaniques les
pratiques de cette égalité civile; mais nul peuple ne l'a mieux comprise et
poussée plus loin que le peuple latin : elle est le caractère propre et
fécond de son organisation politique ; et elle remet en mémoire ce fait si
remarquable qu'à l'époque de leur arrivée dans les campagnes italiques, les
immigrants latins n'y ont pas rencontré devant eux une race antérieurement
établie, inférieure à leur civilisation, et qu'ils auraient dû s'assujettir.
De là, une grave conséquence. Ils n'ont fondé chez eux, ni les castes à la
façon des hindous, ni une noblesse à la façon des Spartiates, des Thessaliens
et des Hellènes en général ; ni enfin ces conditions distinctes entre les
personnes instituées chez les peuples germaniques à la suite de la conquête. Il va de soi que l'administration de l'État s'appuie sur
les citoyens. La plus importante des prestations dues par eux, est le service
militaire, puisque les citoyens seuls ont le droit et le devoir de porter les
armes. Le peuple et l'armée sont un, à vrai dire (populus,
se rapprochant de populari, ravager ; de popa,
le sacrificateur qui frappe la victime).
Dans les anciennes litanies romaines, le peuple est la milice armée de la
lance (poplus, pilumnus),
pour qui est invoquée la protection de Mars : le roi enfin, quand il parle
aux citoyens, les appelle du nom de porte lances (quirites)[12]. Nous avons vu
déjà comment était formée l'armée d'attaque, la levée ou légion (legio). Dans
la cité romaine tripartite, elle se composait des trois centuries (centuriœ) de cavaliers (celeres,
les rapides, ou flexuntes, les caracoleurs)
sous le commandement de leurs trois chefs (tribuni
celerum)[13],
et des divisions de mille fantassins chacune, commandées par leurs trois
tribuns militaires (tribuni militum). Il y faut
ajouter un certain nombre d'hommes armés à la légère, et combattant hors rang,
des archers, principalement[14]. Le général,
dans la règle, était le roi : et, comme il lui avait été ajouté un chef
spécial pour la cavalerie (magister equitum),
il se mettait lui-même à la tête de l'infanterie, qui, à Rome, comme ailleurs
d'ordinaire, fut tout d'abord le noyau principal de la force armée. Mais le service militaire ne constituait pas la seule
charge imposée aux citoyens. Ils avaient aussi à entendre les propositions du
roi en temps de paix et de guerre ; ils supportaient des corvées, pour la
culture des domaines royaux, pour la construction des édifices publics ; et,
notamment la corvée relative à l'édification des murs de la ville était
tellement lourde que le nom de ceux-ci est demeuré synonyme de prestations (mœnia)[15] : quant aux
impôts directs, il n'en existait pas plus qu'il n'y avait de budget direct
des dépenses. Ils n'étaient point nécessaires pour défrayer les charges
publiques, l'État n'ayant à payer ni l'armée, ni les corvées, ni les services
publics, en général. Que si parfois une indemnité pouvait être accordée, le
contribuable la recevait, soit du quartier qui profitait de la prestation,
soit du citoyen qui ne pouvait ou ne voulait pas, y satisfaire. Les victimes
destinées aux sacrifices étaient achetées au moyen d'une taxe sur les procès.
Quiconque succombait en justice réglée remettait à l'État, à titre d'amende,
du bétail d'une valeur proportionnelle à l’objet du litige (sacramentum). Les citoyens n'avaient ni présents,
ni liste civile régulière à fournir au roi. Quant aux incolœ non citoyens (œrarii),
ils lui payaient une rente de protectorat. Il recevait aussi le produit des
douanes maritimes, celui des domaines publics, notamment la taxe payée pour
les bestiaux conduits sur le pâturage commun (scriptura)
; et la part de fruits (vectigalia) versés à
titre de fermages par les admodiateurs des terres de l'État. Enfin, dans les
cas urgents, il était frappé sur les citoyens une contribution (tributum), ayant le caractère d'un emprunt forcé,
et remboursable en des temps plus favorables. Celle-ci était-elle imposée à
la fois sur tous les habitants, citoyens ou non, ou sur les citoyens seuls,
c'est ce que nous ne pouvons dire ; probablement, ces derniers, y étaient
seuls tenus. Le roi gouvernait les finances, et le domaine de l'État ne
se confondait point avec son domaine privé, lequel dut être considérable, à
en juger par les documents que nous possédons sur l'étendue des propriétés
foncières appartenant à la famille royale des derniers Tarquins. Les terres conquises par les armes entraient de droit dans
le domaine, public. Le roi était-il tenu par des règles, ou par la coutume,
dans l'administration de la fortune de la cité. Nous ne saurions ni l'affirmer,
ni retracer ces règles ; mais, les temps postérieurs nous apprennent, qu'à
cet égard, le peuple ne fût jamais appelé à voter ; tandis qu'il parait, au
contraire, avoir été d'usage de prendre l'avis du Sénat, tant sur la question
du tribut à imposer que sur le partage des terres conquises. En échange des services et des prestations dont ils sont
redevables, les Romains participent au gouvernement de l'État. Tous les
citoyens, à l'exception des femmes et des enfants trop faibles pour le
service militaire ; tous les quirites, en un mot (tel est le titre qui leur
est alors donné) se réunissent au lieu de l'assemblée publique, et sur
l'invitation du roi, soit pour y recevoir ses, communications (conventio, contio),
soit pour répondre, dans leurs votes par curies, aux motions qu' 'il leur
adresse après convocation (calare, com-itia calata) formelle, faite trois semaines à
l'avance (in trinum noundinum). Régulièrement
ces assemblées avaient lieu deux fois l'an, le 24 mars et le 24 mai : sans
préjudice de toutes autres, quand le roi les croyait opportunes. Mais le
citoyen ainsi appelé n'avait qu'à entendre, et non à parler : il
n'interrogeait pas, il répondait seulement. Dans l'assemblée, nul ne prend la
parole que le roi, ou celui à qui le roi la donne ; quant aux citoyens, ils
répondent, je le répète, à la motion qui leur est faite par un oui ou un non,
sans discuter, sans motiver leur avis, sans y mettre de conditions, sans
établir de distinctions sur la question. Et pourtant, en fin de compte, comme
chez les Germains, comme chez l'ancien peuple indo-germanique, probablement,
le peuple est ici le représentant et le dépositaire suprême de la
souveraineté politique : souveraineté à l'état de repos dans le cours
ordinaire des choses, ou qui ne se manifeste, si l'on veut, que par la loi
d'obéissance envers le chef du pouvoir, à laquelle le peuple s'est
volontairement obligé. Aussi le roi, à son entrée en charge, et lorsqu'il est
procédé à son inauguration par les prêtres, en face du peuple, assemblé en
curies, lui demande-t-il formellement s'il entend lui rester fidèle et
soumis, et le reconnaître en sa qualité, comme il est d'usage, lui, et ses
serviteurs, questeurs (quœstores), et
licteurs (lictores). A cette question il
était toujours affirmativement répondu : de même que l’hommage au souverain
n'est jamais refusé dans les monarchies héréditaires. Par suite, le peuple,
tout souverain qu'il était, n'avait plus, en temps ordinaire, à s'occuper des
affaires publiques. Tant et si longtemps que le pouvoir se contente d'administrer
en appliquant le droit actuel, son administration est indépendante : les lois
règnent, et non le législateur. Mais s'il s'agit, au contraire, de changer
l'état du droit, ou s'il devient seulement nécessaire d'en discéder pour un
cas donné, le peuple romain reprend aussitôt le pouvoir constituant. Le roi
est-il mort sans avoir nommé son successeur ; le droit de commander (imperium) est suspendu : l'invocation de la
protection des dieux pour la cité orpheline appartient au peuple, jusqu'à ce
qu'un nouveau chef ait été trouvé, et c'est le peuple aussi qui désigne
spontanément le premier interroi. Toutefois, son intervention n'est
qu’exceptionnelle ; la nécessité seule la justifie ; et l'élection du
magistrat temporaire, par une assemblée que le souverain n'a pu convoquer,
n'est pas tenue pour pleinement valable. La souveraineté publique veut donc,
pour être régulièrement exercée, l'action commune de la cité, et du roi ou de
l'interroi. Et comme les rapports de gouvernant à gouvernés ont été établis,
à titre de véritable contrat, par une demande et une réponse verbale
échangées entre eux, il s'ensuit pareillement que tout acte de souveraineté,
émané du peuple a besoin, pour être légal et parfait, d'une rogation (rogatia, question)
à lui adressée par le roi, par le roi seul, que son délégué ne saurait ici
remplacer ; et d'un vote favorable de la majorité des curies : celles-ci
demeurant aussi maîtresses de l'émettre contraire. Ainsi, la loi, à Rome,
n'est point, comme on le croit souvent, l'ordre émané du roi et transmis par
lui au peuple ; elle est de plus un contrat solennellement conclu par une
proposition faite, et par un consentement donné entre deux pouvoirs
constituants[16].
Ce préliminaire d'une entente légale est indispensable toutes les fois que le
droit ordinaire doit être abandonné. Suivant la règle commune, tout citoyen
est absolument maître de laisser sa propriété à qui il le veut, à la seule
condition d'une tradition immédiate : si la propriété lui est demeurée de son
vivant, elle ne peut à sa mort passer dans les mains des tiers, à moins que
le peuple n’ait autorisé une telle dérogation à la loi. Cette autorisation,
elle est donnée soit par les curies assemblées, soit par les citoyens se
disposant au combat. Telle fut l'origine et la forme des testaments[17]. Dans le droit
usuel, l'homme libre ne peut ni perdre ni abandonner le bien inaliénable de
sa liberté : par suite, le citoyen qui n'est soumis à nul autre[18], ne peut
s'adjuger à un tiers en qualité de fils ; mais le peuple peut également autoriser
cette aliénation véritable. C'est là l'adrogation
ancienne[19].
Dans le droit usuel, la naissance seule donne la cité, que rien ne peut faire
perdre : mais le peuple peut aussi conférer le patriciat : il en autorise de
même l'abandon ; et ces autorisations n'ont évidemment pu avoir lieu dans
l'origine que par le vote des curies. Dans le droit commun, l'auteur d'un
crime capital, après que le roi, ou son délégué, a prononcé la peine légale,
doit être inexorablement mis à mort ; car le roi, qui a le pouvoir de juger,
n'a pas celui de faire grâce ; mais le condamné peut encore l'obtenir du
peuple, si ce moyen de recours lui est accordé par le roi. C'est là la
première forme de l'appel (provocatio). Il
n'est jamais permis au coupable qui nie, mais seulement à celui qui avoue, et
fait valoir des' motifs d'atténuation[20]. Dans le droit
commun, le contrat éternel conclu avec, un État voisin ne peut être brisé, si
ce n'est de l'autorité du peuple, et pour cause d'injure subie. Aussi, avant
de commencer la guerre offensive, les citoyens, sont appelés à statuer. Il
n'en est pas de même, en cas de guerre défensive : ici, la rupture provient
du fait du voisin. Le concours du peuple n'est pas non plus requis pour la
conclusion de la pais. Mais la rogation au cas de guerre offensive n’était
point portée devant les curies ce semble : c'est l'armée qui prononçait. —
Quand enfin le roi veut innover, introduire une modification dans le texte
même de la loi, il est obligé, plus que jamais, d'interroger le peuple. Le
pouvoir législatif est donc au fond dans la main de celui-ci. Dans toutes les
circonstances que nous avons énumérées, le roi ne fait rien régulièrement qu’avec
le concours des citoyens : l'homme déclaré patricien par lui seul ne serait
pas plus citoyen que devant ; et l'acte royal, pour entraîner quelques
conséquences de fait, n'en aurait point de légales. Telles étaient les prérogatives de l'assemblée populaire :
toutes restreintes et enchaînées qu'elles fussent, elles firent d'abord du
peuple un des pouvoirs constituants de l'État. Et ses droits et son action,
comme aussi ceux du Sénat, se mouvaient, en définitive, dans une complète
indépendance en face de la royauté. Résumons tous les faits. La souveraineté reposait dans le
peuple ; mais il ne pouvait agir seul, qu'en cas de nécessité : il agissait
concurremment avec le magistrat suprême, quand il y avait à discéder de la
loi. Le pouvoir royal, pour parler comme Salluste, était à la fois illimité
et circonscrit par les lois (imperium legitimum)
: illimité en ce sens, que les ordres du roi justes ou injustes, étaient
aussitôt exécutés : circonscrit, en ce que, s’il était contraire à la coutume
et non approuvé dans ce cas, par le vrai souverain, le peuple, son ordre ne
pouvait engendrer d'effets légaux durables. La constitution primitive de Rome
a donc été une monarchie constitutionnelle en sens inverse. Tandis que dans
la monarchie constitutionnelle ordinaire, le roi revêt et représente la
plénitude des pouvoirs de l'État, et que lui seul, par exemple, a le droit de
grâce ; tandis que la direction politique y appartient aux représentants de
la nation et aux administrateurs responsables devant ceux-ci ; à Rome, le
peuple avait le rôle du roi en Angleterre. Le droit de grâce, prérogative de
la couronne anglaise, était une de ses prérogatives. La direction politique,
au contraire, y appartenait tout entière au représentant de la cité. Que si
nous recherchons les rapports existant entre l'État et les citoyens, nous
voyons qu'ils s'éloignent tout autant du système d'un protectorat sans lien,
sans concentration, que de la notion moderne d'une toute puissance
absorbante. Sans doute, il n'y avait à Rome de restrictions possibles ni pour
la puissance publique, ni pour le pouvoir royal ; mais, s'il est vrai que la
notion du droit est par elle-même une barrière juridique, elle devient aussi
bientôt une barrière politique. Le peuple touchait aux personnes en votant
les charges publiques, et la punition des délits et des crimes ; mais une loi
spéciale, punissant ou menaçant un citoyen d'une peine non existante au
moment du fait par lui commis, une telle loi, bien qu'il en ait été décrété
plus d'une en la forme, aurait semblé aux Romains et leur assemblée toujours
une iniquité et un acte arbitraire. La cité avait encore bien moins à
s'immiscer dans les droits de propriété et dans ceux de la famille, qui
coïncident avec les premiers plutôt qu'ils n'en dépendent. Jamais, comme dans
la cité de Lycurgue, la famille romaine n'a été absorbée par l'État agrandi à
ses dépens. Selon un des principes les plus certains et les plus remarquables
de la constitution romaine primitive, l'État peut mettre un citoyen dans les
chaînes et le faire exécuter ; il ne peut lui ôter ni son fils ni son champ,
ni même le frapper d'un impôt. Nul peuple, dans le cercle de ses droits
politiques, n'a été aussi puissant que le peuple romain ; chez nul peuple
pourtant, les citoyens, pourvu qu'ils vécussent sans commettre de délits,
n'ont vécu dans une aussi complète indépendance les uns par rapport aux
autres ou encore par rapport à l'État. Ainsi se gouvernait la cité romaine, cité libre où le
peuple savait obéir à son magistrat ; résister nettement à l'esprit de
vertige sacerdotal ; pratiquer l'égalité complète devant la loi et entre tous
; marquer enfin tous ses actes à l’empreinte de sa nationalité propre :
pendant que, d'un autre côté, comme la suite de notre récit le fera bien
voir, il ouvrait avec générosité et intelligence la porte au commerce avec
l'étranger. Une telle constitution n'est ni une création ni un emprunt : elle
est née, elle a grandi dans le peuple, avec lui. Qu'elle plonge ses racines
jusque dans les institutions primitives italiques, gréco-italiques,
indo-germaniques, nul n'en doute ; mais quelle chaîne immense, infinie, de
changements et de progrès politiques entre les institutions qu'Homère nous
révèle, ou que Tacite a décrites dans sa Germanie, et les anciennes lois de
la cité romaine ! Le vote par acclamation des Hellènes, les boucliers frappés
à grand bruit par les Germains assemblés sont aussi, certes, la manifestation
d'un pouvoir souverain : mais qu'il y a loin de ces modes primitifs à la
compétence savamment ordonnée déjà, et au vote précis et régulier de
l'assemblée des curies romaines Peut-être que la royauté, de même qu'elle
avait emprunté son manteau de pourpre et son bâton d’ivoire aux Grecs (et
non, comme on l'a dit, aux Étrusques), a pris aussi à l'étranger ses douze
licteurs et l'appareil extérieur de sa dignité. Quoi qu'il en soit, et en
quelque lieu que se place leur origine, les institutions politiques de Rome
ne se sont, en réalité, formées que dans le Latium et à Rome même les
emprunts faits au dehors ont été sans importance ; et ce qui le prouve, c'est
que la nomenclature tout entière de ces institutions est décidément latine. La constitution romaine, telle que nous l'avons esquissée, portait dans ses flancs la pensée fondamentale et éternelle de l'État romain. Les formes ont changé souvent ; n'importe ! Au milieu de tous leurs changements, tant que Rome subsistera, le magistrat aura l'imperium illimité ; le Conseil des anciens ou le Sénat sera la plus haute autorité consultative ; et toujours, dans les cas d'exception, il sera besoin de solliciter la sanction du souverain, ou du peuple. |
[1] Et il n'en est point ainsi seulement au cas où le mariage a été consommé suivant l'ancien rite (matrimonium confarreotione), quand il a eu lieu dans fa forme purement civile (matrimonium consensu). Dans le mariage consensuel le mari acquérait de même un droit de propriété sur sa femme ; aussi, ce mariage a-t-il emprunté tout d'abord les principes et les pratiques des modes d’acquérir ordinaires, l'achat et la tradition formelle (coemptio) ou la prescription (usus). Quand il y avait eu consentement simple, sans l'acquisition de la puissance conjugale ; au cas, par exemple, où le temps voulu pour .prescrire n'était point encore atteint, la femme n'était point épouse (uxor) ; elle était seulement tenue pour telle (pro uxore), absolument comme au cas de la causœ probatio, sous une loi postérieure (loi Ælia Sentia, v. Gaius, I, 29-66). Uxor tantummodo habebatur, dit Cicéron (Top., 3, 14) ; et cette règle s'est maintenue jusqu'aux temps brillants de la jurisprudence.
[2] Citons une
inscription funéraire, appartenant sans doute à une date plus récente, mais qui
mérite peut-être de figurer ici. C'est la pierre tombale qui parle :
PASSANT : BREF EST MON DISCOURS. ARRETE-TOI, ET LIS
CETTE PIERRE RECOUVRE UNE BELLE FEMME ;
SES PARENTS L’AVAIENT APPELEE CLAUDIA ;
ELLE AIMA SON MARI DE SON SEUL AMOUR ;
ELLE ENGENDRA DEUX FILS ; ELLE EN A LAISSE UN VIVANT ;
ELLE A ENFOUI L’AUTRE DANS LE SEIN DE
ELLE FUT AIMABLE EN SES DISCOURS, ET NOBLE DANS SA DEMARCHE
;
ELLE GARDA SA MAISON, ET FILA. — J’AI FINI ! PASSE !
D'autres et fréquentes inscriptions énumèrent d'une façon curieuse le talent de filer la laine parmi les vertus morales de la femme. (Orelli, 4639 : optima et pulcherrima, LANIFICIA pia pudica frugi casta domiseda. — Ibid., 4861: Modestia probitate pudicitia obsequio LANIFICIO diligentia fide par similisque ceteris probeis femina fuit).
[3] [De Penus, approvisionnement ; place d'ordinaire dans le Tablinum, dans l’intérieur de la maison d'où le mot Penetralia, qui a la même étymologie (V. Rich, Dic. des Antiq., Vis Penates, Dumus, Tablinum ; et Preller (Vesta et les Pénates), p. 536.]
[4] On ne s'attend pas sans doute à nous voir apporter ici des témoignages directs sur les conditions et les formalité constitutionnelles relatives à l’élection du roi. Mais comme le dictateur romain a été nommé absolument de la même manière ; comme l’élection du consul ne diffère de l’autre qu’en ce que le peuple avait un droit de désignation préalable et obligatoire, manifestement et incontestablement né d’une révolution postérieure, tandis que la nomination proprement dite avait continué d’appartenir exclusivement au consul sortant de charge ou à l’interroi ; comme enfin la dictature et le consulat ne sont autre chose au fond que la royauté continuée, notre opinion nous semble pleinement démontrée. L’élection par les curies serait sans doute régulière, des documents dignes de foi nous l'enseignent mais elle n’est pas le moins du monde nécessaire, au point de vue de la loi ; ce que la légende raconte de la nomination de Servius Tullius en est la preuve. D’ordinaire elle fut abandonnée au peuple (contione advocata), et la désignation par acclamation fut regardée plus tard comme une élection véritable.
[5] Ou Jupiter romain. Dii Jovis, (v. Preller, h. v°.).
[6] Les boiteux et les paralytiques étaient exclus des fonctions suprêmes (Dionysos, 5, 25). Mais il fallait être citoyen romain pour pouvoir être nommé roi ou consul. Est-il besoin de constater un fait aussi incontestable, aussi nécessaire ? Que deviennent après cela les fables, selon lesquelles Rome serait allée un jour chercher son roi à Cures (Numa Pompilius) ?
[7] [V. Hultsch, Gr. unde Rœm. Metrologie, Berlin, 1862. Bina jugera, quœ a Romulo primum divisa heredem sequebantur, heredium appellerunt, hœc postea a centum centuria dicta, etc. (Varro, de re rust., I, 40.) Le jugère équivalait à hect. 0,252 ; l'heredium à 2 jugères, ou 0,504 ; la centurie à 100 heredia, ou 200 jugères, ou hect.. 50,377.]
[8] A Rome, les décuries, ou centuries ont rapidement disparu : mais on retrouve un souvenir remarquable de leur existence, et même leur influence encore persistante dans l'un des actes solennels de la vie, celui que nous considérons, avec raison, comme le plus ancien de tous ceux dont la tradition nous ait fait connaître les formalités légales : le mariage par confarréation. Les dix témoins qui y assistent représentent la décurie ; de même que plus tard, dans la constitution aux trente curies, nous rencontrerons leurs trente licteurs.
[9] Le nom de parties, tribus, l'indique assez par lui même. La partie, les juristes le savent, a été un tout, ou le sera dans l'avenir : mais dans le présent, elle n'a pas d'existence propre, réelle.
[10] En Esclavonie, où le régime patriarcal s'est maintenu jusqu'à nos jours, toute la famille, comptant souvent de cinquante à cent têtes, habite le même toit, sous les ordres d'un chef (goszpod'ar) que tous les membres ont élu à vie. Ce père de famille administre le patrimoine commun, lequel consiste surtout en bétail ; l’excédant des produits est distribué entre les diverses lignes. Les bénéfices particuliers dus à l'industrie et au commerce restent à ceux qui les font. D'ailleurs, on peut quitter la maison : un homme en sort, par exemple pour aller se marier dans une autre communauté (Czaplovies, Slavonien, I, 106, 179). L'organisation de l'Esclavonie semble avoir beaucoup de rapports avec les antiques institutions domestiques de Rome : la, maison constitue une sorte de commune ; et, l'on comprend très bien l'association d'un nombre déterminé de ces maisons. L'ancienne adrogation trouve aussi sa place dans ce système.
[11] L'expression la plus ancienne, pour designer ce vote, est patronum cooptari ; laquelle, les mots patronus et patricius étant synonymes et s'appliquant au droit complet du citoyen, veut dire la même chose que les expressions in patres, in patricios cooptari (Tite-Live, IV, 4. Suétone, Tibère, 1) ; ou que celle plus récente in patricios adlegi.
[12] Tel est le sens primitif des mots quiris, quiritis, ou quirinus ; de cuiris ou curis, lance, et ire. Il est le même, que celui des mots samnie, samnitis et sabinus, que les anciens eux mêmes rattachent au σαύνιον (lance) des Grecs. De même, les Romains ont fait les mots arquites, milites, pedites, equites, velites, pour designer les archers, les mille soldats (des dix curies), les fantassins, les cavaliers, ceux enfin, qui combattaient sans armure et vêtus d'une simple tunique. On remarquera seulement que dans ces derniers exemples, l'ī long primitivement, est devenu bref, ĭ, comme cela a eu lieu dans dederitis, hominis et une foule d'autres mots. Juno quiritis, Mars quirinus, Janus quirinus sont des divinités armées de la lance ; et le mot quiris appliqué aux hommes signifie le guerrier, c'est-à-dire le citoyen. L'usage a été conforme au sens grammatical. Dés que la localité était désignée, le mot quirites cessait d'être employé : (urbs Roma, populus, civis, ager Romanus). Quiris, en effet, indique aussi peu la localité de Rome que les mots civis ou miles. Les deux mots civis et quiris ne sont jamais accolés ensemble : quoique usités dans des circonstances différentes, ils ont absolument le même sens légal. Il y eut des exceptions, pourtant. Lors de l’annonce solennelle des funérailles d'un citoyen romain, on disait : Ce guerrier est mort. (Ollus quiris leto datus). En procédure, la partie lésée portait de même sa plainte (quiritare) devant les citoyens ; le roi appelait de ce nom le peuple assemblé ; et, quand il siégeait en jugement, il statuait d'après la loi quiritaire (ex jure quiritium ; ex jure civili, dira-t-on plus tard : (populus Romanus, Quirites, deviendront donc promptement synonymes, et serviront à désigner le peuple et les citoyens, séparément, ou en masse. Dans une formule antique, on trouve le peuple romain (populus romanus) opposé aux anciens Latins (prisci Latini) ; et les Quirites mis en regard des homines prisci Latini (Tite-Live I, 32, Becker, Handb. (manuel), II, 20 et s.). Ailleurs on dira : populus Romanus Quiritium comme on dira aussi : colonia colonorum, municipium municipum. En présence de tous ces documents, n'est-ce pas méconnaître et la langue et l'histoire que de persister encore à croire qu'il y ait jamais eu en face de la cité romaine une autre Rome quiritaire qui, à un jour donné, se serait incorporée dans celle-ci, l'étouffant en quelque sorte, et ne laissant plus survivre son nom que dans les rites sacrés et les pratiques juridiques.
[13] Dans le détail
qu'il nous donne des huit institutions sacrées de Numa, Denys d'Halicarnasse
(II, 64), après avoir cité les curions et les flamines, nomme un troisième lieu
les conducteurs de la cavalerie (οί
ήγεμόνες τών
Κελερίων). Le calendrier
Prénestin indique pour le 19 mars une fête célébrée au comitium,
[adstantibus pon]tificibus et trib(unis)
celer(um). Valerius Antias (v.
Dionysos, II, 13 et cf. 3, 4) met à la tête de l'ancienne cavalerie romaine, un
chef, celer, et trois centurions. On raconte aussi qu'après l'expulsion, des
Tarquins, Brutus aurait été tribun des céléres
(tribunus celerum, Tit. Liv. I, 59) ; et même,
selon Denys d'Halicarnasse (IV, 71), ce serait en vertu de cette charge qu'il
aurait provoqué le bannissement des rois. Enfin, Pomponius (Digeste, de origine juris, etc., liv. II, § 15,
19) et Lydus (de magist., I, 14, 37),
qui le suit en partie, identifient le tribunus celerum
avec le Celer de Valerius, le magister equitum
(maître de la cavalerie) du dictateur sous
[14] C'est ces troupes que se rapportent les mots évidemment anciens de velites et arquites ; elles appartinrent aussi à la légion, dans son état d'organisation plus récente.
[15] [Mœnia ou munia, murs. Mœnia prœter œdificia significant etiam et munia, id est, officium, dit Festus, p. 151.]
[16]
[17] [Le premier est le testament calatis comitiis : le second est le testament fait in procinctu (V. Gaius, Instit. coment, II, § 101 et s.).]
[18] [Dit sui Juris.]
[19] [V. Gaius, I, § 98 ; il en décrit la forme, et les rogations adressées à l'adoptant, et l'adopté, et au peuple qui sanctionne le contrat.]
[20] [V. L'appel d'Horace, Tite-Live, I, 20.]