L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Appendices

La gens patricienne des Claudius.

 

 

La famille ou Gens Claudia, l’une des plus hautes familles, l’une de celles qui donnaient ses princes au Sénat (principes senatus) a joué dans Rome un très grand rôle pendant environ cinq cents ans.

D’ordinaire on voit en elle l’incarnation du patriciat : ses chefs passent pour les champions de la noblesse et du parti conservateur, à l’encontre des plébéiens et des démocrates ; et les historiens anciens, chez qui nous puisons, se rangent à cette opinion. Parmi les sources datant de l’ère républicaine, on ne trouve rien pourtant qui la confirme, sauf peut-être un mot forgé par Cicéron, qui, parlant des Appius et des Lentulus, indique a l’Appiété et la Lentulité (Appietas, Lentulitas) comme la quintessence de la morgue nobiliaire[1] : mais c’est dans Tite-Live que nous rencontrons pour la première fois l’expression de l’opinion depuis adoptée. Il désigne les Claudiens comme la famille superbe et cruelle à l’excès envers la plèbe ! [2] A-t-il besoin de mettre en scène un ultra, dans toute la première décade, aussitôt il fait apparaître un Claudius. En 259 [495 av. J.-C.], à côté du doux Servilius, le premier consul du nom d’Appius est dépeint comme un homme violent (vehementis ingenii vir[3]) : ce n’est pas sa faute, si à la sécession sur le Mont-Sacré on n’a pas recours au moyen extrême des armes. En 283 [-471], le second consul du nom d’Appius Claudius combat à outrance la loi Publicia, sur l’élection des tribuns du peuple, malgré les efforts de son collègue Quinctius dans le sens de la modération[4]. — C. Claudius, troisième consul claudien, en 294 [-460], met par pure malice obstacle à la loi sur la rédaction d’un code civil, loi que son collègue Valerius, avant de mourir glorieusement, a voulu assurer au peuple[5] ; et, bien qu’en lui attribuant après tout un caractère moins absolu et moins odieux, qu’à son frère, le fameux décemvir, l’historien le met au premier rang parmi les plus ardents du parti noble (engagé plus tard dans la querelle relative au connubium[6]). En 330 [-424], le fils du décemvir est tribun militaire, et quoiqu’il ne marque par aucun acte qui mérite mention spéciale, on le signale en passant comme l’ennemi des tribuns et du peuple[7]. Vient ensuite le petit-fils, tribun militaire en 351 [-403], et peut-être aussi consul en 405 [-349], lequel joue le même rôle en plusieurs circonstances, et lors des motions relatives aux lois Liciniæ Sextiæ, parle longuement en faveur du gouvernement aristocratique[8]. Enfin, à l’occasion de la censure d’Appius Cæcus, l’annaliste récapitule toute la série des torts et des injures reprochés aux Claudiens[9].

Tite-Live n’est point le seul à porter ce jugement. Denys d’Halicarnasse ne traite pas mieux les Claudiens, et par les mêmes causes : ce serait fatiguer le lecteur de répétitions inutiles que de reproduire ici les faits et les discours qu’il relate.

Au temps de Tibère, les écrivains contemporains, Valère Maxime et Velleius Paterculus se gardent, pour bonne raison, de toute invective contre les Claudiens, auxquels tient l’empereur ; mais bientôt Tacite prend la parole et caractérise l’orgueil invétéré de cette famille (vetus atque insita Claudiæ familiæ superbia[10]), et Suétone, renchérit sur lui[11]. A l’entendre, tous les Claudiens patriciens, sauf le tribun du peuple P. Clodius, ont été des conservateurs ardents (optimates) : ils ont défendu contre la plèbe, avec un zèle opiniâtre, les privilèges et la puissance du patriciat.

A mon sens, ce concert des annalistes et biographes ne prouve rien. Dans les jugements qu’ils portent sur les hommes et les choses de l’ère républicaine, tous les écrivains postérieurs prennent pour chef de file Tite-Live, ce merveilleux écrivain, qui, placé sur la limite des temps anciens et nouveaux, reçoit encore comme le souffle du passé, s’inspire du génie de la République, sans pouvoir écrire, l’histoire républicaine, et tout imbu, d’un autre côté, de la culture délicate et raffinée du siècle d’Auguste, va chercher dans le fumier des annalistes plats et rudes du vieux temps les éléments qu’il accommode et transforme dans sa composition d’une latinité savante et splendide. De là ce livre, qu’il faut lire aujourd’hui comme il y a tantôt deux mille ans. Mais à aller chercher dans Tite-Live l’histoire politique dans le sens vrai du mot, l’histoire comme Polybe a voulu l’écrire, il y a erreur grande. Ses Annales ne sont pas plus l’histoire que ne l’ont été celles du vieux Fabius Pictor. Certes on y trouve les faits et leur enchaînement[12] ; mais sa méthode n’a rien d’historique ; elle ne va pas des causes aux résultats et des faits générateurs aux conséquences. Tite-Live est poète avant tout : il lui faut un récit épique, qui marche sans encombre avec des personnages jouant un rôle voulu, protagonistes complets des partis divers. Pour donner la réplique aux Valerius, ces chefs des conservateurs libéraux, il avait besoin d’un prototype de la caste superbe des nobles ultras ; alors, et en cela il a eu Denys d’Halicarnasse pour imitateur, soit qu’il ait puisé dans quelque annaliste plus ancien, soit qu’il fit son choix lui-même, il a mis la main sur les Claudiens. Nous ne manquons pas de preuves pour faire la révision du procès : c’est dans Tite-Live lui-même, trop honnête homme pour dissimuler les faits positifs qui contredisent sa sentence, que nous irons presque toutes les chercher. Quant à Denys, plus savant ou plus conséquent dans sa critique, il a purement et simplement supprimé tous les détails qui pourraient nuire à sa thèse.

Chose remarquable, la famille Claudia[13], pendant plusieurs siècles, a brillé à la tète du patriciat, et, pourtant il n’est pas de gens patricienne ayant donné à Rome un aussi petit nombre d’hommes de guerre. Des six triomphes ou des deux ovations que Suétone lui assigne, nous connaissons certainement le triomphe d’Appius Crassus sur les Picentins (486 [268 av. J.-C.]); ceux de Gaïus Néron sur Hasdrubal (547 [-207]) ; de Gaïus Pulcher sur les Istriens et les Ligures (577 [-177]) ; d’Appius Pulcher sur les Salasses (614 [-140]) : un Appius a eu une ovation sur les Celtibères (580 [-174]) ; la seconde revient peut-être au dictateur de 392 [-362]. Or on sait que sur dix triomphateurs à Rome, il n’y a pas un vrai général ; dans les triomphes des Claudiens, le seul qui vaille d’être nommé, c’est celui de Gaïus Néron vainqueur à Séna durant la seconde guerre punique ; et disons en passant que sous la République, la branche collatérale des Claudiens Nérons était peu illustre. Dans la lignée principale, pas un seul grand homme de guerre. Quelle différence avec les illustres Gentes des Fabiens, des Émiliens, des Cornéliens !

En revanche, il n’est point de famille noble de Rome qui dès les plus anciens temps se soit illustrée par autant de services rendus à la science et à la littérature. C’est au décemvir qu’appartient, on le sait, la part principale dans la rédaction de ce code des XII Tables, la plus ancienne loi écrite des Romains, habilement imitée des statuts de Solon, renfermant le plus ancien calendrier public promulgué à Rome, et qui eut sur la science et la littérature une immense et durable influence. — Quand la culture lettrée s’est répandue partout dans la cité, nous voyons toujours les Claudius en avant du progrès : témoin les personnages de ce nom dont l’édilité fait époque dans l’histoire du théâtre : témoin, au siècle de Cicéron, ces adeptes de la mystique grecque, cet Appius Claudius, consul en 700 [54 av. J.-C.] les Propylées par lui construits à Eleusis[14]. Les deux empereurs Claudiens, Tibère et Claude, sont connus pour leur dilettantisme archéologique et philologique.

Toujours le parti des nobles s’est plus servi du poing que de la tête : la démocratie au contraire, celle de Rome surtout, a préféré la place publique aux jeux du sabre : elle a aussi cherché de puissants leviers dans l’art et dans la science ! Or voilà les Claudius, cette famille superbe et cruelle à l’excès envers la plèbe, qui emploie les moyens à l’usage de la démocratie ! Comment concilier de telles pratiques avec l’orgueil du préjugé nobiliaire ?

Que les Claudiens ne soient venus à Rome que six ans après l’expulsion des rois : c’est là une assertion inexacte quant à la date, impossible et décidément contredite par la règle même du droit public de la Rome républicaine : alors le patriciat avait fermé ses rangs, et entre les deux versions citées par Suétone [Tibère, 1], il convient d’opter pour celle qui place l’immigration de la Gens Claudia, sabine d’origine, au temps de Romulus (in patricios cooptata), avec d’autant plus de raison que dès 259 [495 av. J.-C.], son nom se lit sur les tables consulaires, et que l’une des tribus rustiques anciennes le porte aussi[15]. De même que Attus Clausus, le Sabin Volesus Valerius, l’auteur des Valériens, remonterait au temps du premier roi. Par suite et selon une tradition dont les savants n’ont plus à tenir compte, les Claudiens seraient plus récents que les familles troyennes. Constatons seulement et leur antiquité, et leur origine (de Régille ou d’ailleurs, mais assurément de la Sabine). Chose étrange ! en même temps qu’ils faisaient sonner bien haut cette origine étrangère, ils se seraient constitués les champions de la noblesse indigène ! Autre circonstance singulière, seuls avec les Veturii, ils ont à côté d’eux une famille plébéienne du même nom, ancienne aussi, et qui leur est apparentée, car à la voir concourir avec le rameau noble pour les héritages et les droits de gentilité[16]. Tous ces faits n’auraient-ils pas dû plutôt les rapprocher de la plèbe ?

Je veux que ces raisons générales ne soient pas une démonstration. Examinons donc le rôle joué dans Rome par les hommes les plus illustres de la famille. Parmi ceux de l’ancienne république, il en est deux qui se présentent aussitôt à nos souvenirs : l’Appius décemvir et l’Appius censeur. Des autres Claudiens de cette même époque, on ne sait guère que ce que l’on sait des rois d’Égypte, leurs noms et les années de leurs charges.

Ce sera d’eux principalement que nous parlerons, sauf à toucher en passant aux détails se référant aux autres et moins importants Claudiens.

La biographie d’Appius Claudius, consul en 283 [471 av. J.-C.], décemvir en 303-304 [-451/-450], à la retracer d’après les rares documents fournis par les annalistes de Rome, ne saurait en aucune façon mériter créance : elle a été embrouillée et défigurée à plaisir. Il est un écrivain qui le fait mourir en 284 [-470], alors qu’il fut décemvir 20 ans plus tard. Comment ajouter foi après cela aux discours qu’il lui fait prononcer dans le Sénat, sur le Forum et dans son fameux procès ? Mais les faits essentiels relatifs à la promulgation des XII Tables sont pour nous aussi certains que l’existence des XII Tables elles-mêmes, et il ne parait pas bien difficile de trouver un fond vrai et solide dans l’écheveau emmêlé de la fable. Il demeure manifeste, incontesté aujourd’hui, que la rédaction du code écrit a été une mesure dirigée contre les fonctionnaires aristocratiques ; et, par suite, contre la domination des nobles. Tenons de même pour constant que les seconds décemvirs n’ont pas été tous patriciens. S’il est resté en notre possession un document utile et véridique, ce sont assurément les fastes consulaires et des magistratures[17] ; or, en y jetant les yeux, et nous aidant de la connaissance que nous avons des gentes patriciennes, nous voyons que dans le second décemvirat, celui de 304 [-450] (le premier fut tout entier pris dans le patriciat), il y eut au moins trois plébéiens, au dire de Denys [10, 58], sinon cinq ou la moitié. De bons critiques ont voulu que ce second décemvirat ait différé du premier par la permanence, étant de sa fonction un véritable archontat puisé dans les deux ordres[18]. C’est là une erreur incontestable, à mon sens : l’un a suivi l’autre, ayant l’un comme l’autre mission de rédiger le code : les deux collèges décemviraux sont enfin inscrits dans les fastes sous le même titre : decemviri consulari imperio legibus scribundis. Nulle différence donc dans leurs attributions. Il faut aussi admettre l’aptitude des deux ordres à fournir les décemvirs ; il y a là une analogie frappante avec les tribuns militaires, consulari potestate. Comme ceux-ci, les décemvirs avaient la fonction suprême, sans les honneurs suprêmes (droit au triomphe, aux images des ancêtres). Et pourtant le premier décemvirat a été patricien ! Mais de même, et pendant de longues années, les patriciens seuls aussi entrèrent dans le collège des tribuns militaires, alors que, selon le droit, les plébéiens en avaient aussi l’accès. On voit par le langage de Tite-Live, lui-même, que la plèbe voulut d’abord une commission décemvirale mixte, mais que les patriciens l’emportèrent grâce à la concession qui leur fut faite, les principes sauvegardés d’ailleurs[19].

Étant démontré que la promulgation d’une loi écrite était un triomphe pour la plèbe et une défaite pour les nobles, et que la commission législative se pouvait prendre dans les deux ordres, n’y aura-t-il pas grave erreur à transformer ensuite le chef du décemvirat en un champion quand même de l’aristocratie nobiliaire ? Devant cette erreur Tite-Live n’a pas reculé : mais si l’on pouvait consulter les récits de ses prédécesseurs, gens plus naïfs, ignorant les préoccupations du bel esprit littéraire, et se laissant aller à toutes les impressions des faits, on y verrait ceux-ci présentés sous un tout autre jour. Je n’en veux pour témoin que Tite-Live lui-même. Son récit du triumvirat s’ouvre par une assertion singulière dans sa bouche. Appius céderait à l’empire de nouvelles idées : le noble orgueilleux et violent se serait changé en Ochlocrate (plebicola) [3, 33]. Puis, entouré des chefs de la multitude, les Duilius et les Icilius, voilà qu’il se présente sur la place publique ; il affecte les airs et le langage d’un démagogue ; il enlève ainsi sa réélection pour l’année suivante, et l’élection des hommes sans valeur, qu’il veut avoir pour collègues [3, 36]. Puis l’historien d’en rester sur ce jugement, ce qui ne l’empêche pas, un peu plus loin, de nous montrer le décemvir marchant à la tête d’une bande de jeunes patriciens, lesquels, protégés par-lui, se livrent à toutes sortes d’excès [3, 37]. La feinte conversion du décemvir aux idées démocratiques à la fin de 303 [451 av. J.-C.], est bien la manifestation de ses opinions vraies, de celles que lui prêtaient en réalité les vieux chroniqueurs ; de celles que les historiens de l’ère nouvelle ne veulent pas lui laisser garder.

Appius n’était autre chose qu’un patricien démagogue, se faisant en fin de compte le tyran des patriciens comme des plébéiens. Quant à ce qu’il peut y avoir de vrai et d’acceptable pour l’histoire dans les circonstances de sa chute ; quant au procès de Virginie, par exemple (le meurtre de Siccius me semblant une addition des temps postérieurs[20]) j’estime qu’on entreprendrait une tâche difficile à vouloir en démêler l’imbroglio : peu importe après tout ! On voit aisément à quoi tend ce récit, déjà mentionné par Diodore, qui lui-même l’avait puisé dans Fabius. L’inique sentence prononcée, non dans l’intérêt de l’ordre noble mais dans l’intérêt personnel du juge, l’entrée en scène, à point nommé, d’un client officieux et complaisant[21], l’ignoble luxure en face de laquelle la jeune vierge ne trouve son salut que dans la mort : tout cela, n’est-ce pas l’appareil bien connu de la tyrannie citez les anciens ? Et Tite-Live, tout le premier, relève à plus d’une reprise contre les seconds décemvirs l’accusation formelle d’une usurpation semblable[22]. Ce n’est pas non plus sans intention que les Iciliens, bien connus pour leurs opinions démagogiques, figurent au premier plan dans les scènes de la seconde élection et dans celles de la catastrophe finale. Les vieilles annales patriciennes voulaient faire la leçon à tous, et tournant au profit de la caste noble la victoire populaire qu’elles dissimulaient mal, elles montraient l’issue funeste pour le peuple, de l’élévation de ses chefs ; les démagogues se changeant en tyrans ; l’honnête plébéien qui les a fait asseoir sur le siége de juge, subissait leurs sentences odieuses et cruelles ; la multitude, quand ses yeux s’ouvrent enfin, tournant ses armes contre ces mêmes hommes qu’elle a portés au faite du pouvoir, et se retournant vers les vieux soutiens de l’aristocratie, les Valerius, les Horatius, qui vont lui rendre les bienfaits de l’ancienne constitution, et lui donner ce qu’elle demande depuis le commencement de la lutte, ce que les démagogues usurpateurs ont à dessein oublié, le code des lois écrites. Que tout cela soit l’histoire, non ! Pourtant j’aime encore mieux la thèse des vieilles annales que le roman d’apparat (επιδειξις) éloquemment raconté par Tite-Live[23].

Sur Appius Claudius Cœcus, censeur en 442 [312 av. J.-C.], consul en 447 et 458 [-307/-296], les sources sont plus véridiques et plus abondantes : déjà Niebuhr a bien jugé cet homme illustre[24]. Je ne saurais moi-même rien changer d’essentiel dans le portrait que j’en ai rapidement esquissé ailleurs, sauf pourtant les retouches rendues nécessaires par l’examen plus approfondi auquel je me suis livré [livre II]. Non, Appius Cœcus n’est point le représentant des idées conservatives : il est un révolutionnaire décidé au contraire, les formes sauvegardées, et la constitution même lui servant de moyen.

Quant à sa biographie, je dirai, et en passant tout d’abord, que rien n’est moins démontré que sa cécité. Il y a là une équivoque peut-être, et que son surnom explique. Depuis longtemps la critique a fait justice de l’historiette suivant laquelle il aurait été frappé de cécité par Hercule pour crime de lèse divinité commis au cours de sa censure (442 [-312]) : comment admettre le fait, alors qu’on le voit deux fois consul, après la punition divine ? Diodore, à son tour [20, 36], corrigeant l’absurdité de la fable, par une autre version non moins inadmissible, raconte que,  redoutant la haine du Sénat, il aurait feint d’avoir perdu la vue, et vécu en homme privé. Les fastes capitolins contredisent l’opinion aujourd’hui reçue de la cécité d’Appius, arrivée dans son âge avancé. Dès l’an 442, en effet, on l’y trouve inscrit comme il suit : Ap. Claudivs C. f. A.P. n. Cœcus. Les rédacteurs paraissent avoir vu dans l’appellation de Cœcus un surnom simple et antérieur à la censure. Quand le surnom est d’une date contemporaine à la fonction, ils ont soin de l’indiquer : ainsi l’ont-ils notamment pour le collègue d’Appius : C. Plautius C. f. C. n., qui in hoc honore Venox appellatus est. Encore une fois, que tel soit le sens du cognonem Cœcus, que les rédacteurs se soient trompés, ou qu’ils aient voulu, eux aussi, rectifier les anciennes annales, la question reste assurément douteuse.

S’illustra-t-il dans les travaux de la guerre ? Dictateur une fois, deux fois consul, deux fois préteur, il fit campagne contre les Samnites, et les Etrusques : il vécut en un siècle où Rome s’acquit un glorieux renom par ses armes, et pourtant il n’eut jamais le triomphe. Il construisit, il est vrai, un temple à Bellone : l’homme est toujours plus zélé pour la divinité dont il n’est pas le favori. Le nom d’Appius Cœcus brille surtout dans les annales civiles, témoin le mot fameux du vieillard qui s’étant laissé oublier depuis tant d’années, rentre un jour dans le Sénat, détruit d’un mot l’effet des belles paroles des premiers diplomates grecs qui soient encore venus à Rome, ranime à l’heure décisive le courage des Romains, et leur rend du même coup la force ! Discours à tout jamais vivant dans la mémoire des hommes : Cicéron, en le lisant, l’admirait encore et le proclamait authentique. — Parlerai-je de ses Sentences (Sententiœ, II, pp. 290, 296), que Panætius aimait à lire[25], apophthegmes poétiques (carmen), que Cicéron comparait aux Paroles dorées de Pythagore[26] ? Rappellerai-je que c’est à lui qu’on doit le changement de l’s en r, entre deux voyelles[27], et la suppression du z [28] ?

Dans la politique, même activité que dans la littérature, même génie novateur. Il marche pleinement sur les traces de son ancêtre le décemvir ; il fait dresser par Cn. Flavius, son greffier, s’il ne le dresse pas lui-même, un Formulaire d’actions, complétant ainsi le service rendu aux simples citoyens par la publication des XII Tables, leur montrant la voie à suivre en matière de procédure civile ; les enlevant à l’arbitraire du magistrat, et aux conseils souvent intéressés des jurisconsultes officiels[29]. Comme les fastes ou calendriers judiciaires faisaient partie des XII Tables, de même ils étaient expliqués dans la pratique civile.

Appius touche aussi au Droit sacré. Un jour il enlève aux Potitiens le culte public d’Hercule, sur le Forum boarium ; pour le donner aux esclaves de la cité. Un autre jour, il chasse la confrérie des joueurs de flûte du temple de Jupiter.

La réforme la plus grave à laquelle il ait mis la main est sans contredit la conversion du cens foncier en un cens en argent, pour l’aptitude au droit de cité. Le censeur qui vint après lui, le grand Q. Fabius, apporta, il est vrai, certaines restrictions à la mesure, mais il en resta assez debout pour affecter notablement les comices par tribus et centuriates, et pour signaler la censure d’Appius comme la plus énergiquement réformatrice qui se soit produite sous la République. De simples fils d’affranchis appelés au Sénat : des individus mal notés ou de mauvaises mœurs laissés sur les listes sénatoriales et équestres : un Cn. Flavius, aussi fils d’affranchi, ce greffier dont le nom a été prononcé plus haut, élu à une charge curule, avec l’appui d’Appius : les réserves du trésor public, sans qu’un sénatus-consulte eut autorisé d’abord la dépense, employées à des constructions grandioses, et, chose inouïe jusqu’alors, appelées du nom de leur fondateur (l’eau Appienne et la voie Appienne) : la censure continuée au delà du terme légal de dix-huit mois : voilà certes des actes qui sont un démenti donné au prétendu génie conservateur de la famille Claudia, et qui attestent au contraire l’ardeur démagogique la plus décidée ! Appius Cœcus me rappelle Clisthènes et Périclès, bien plus que je ne vois en lui l’homme d’État aristocratique de Rome ! Un tel caractère, s’écrie justement Niebuhr, n’étonnerait personne chez les Grecs : chez les Romains, il est une étrange anomalie !

Je n’ai fait que mentionner en passant les actes les plus connus de Cœcus ; je ne m’étendrai pas sur eux : écoutons seulement le jugement de Diodore[30] : Appius Claudius, ayant, dit-il, dans son collègue Lucius Plautius, un subordonné docile, bouleversa bon nombre d’antiques coutumes. Allant au-devant des désirs populaires, il ne fit nul cas du Sénat. Et Suétone en dit autant, quand il attribue à un Claudius (Drusus) l’intention de s’emparer de l’Italie par ses clientèles, quand il parle d’une statue, portant le diadème, érigée au Forum d’Appius[31].

Nous croyons avoir restitué cette grande figure de Cœcus dans la sincérité, la force et l’harmonie de son caractère. Disons d’ailleurs que nous n’avons entendu parler ici que du censeur. Plus tard, dans ses deux consulats, on ne retrouve plus en lui le révolutionnaire d’autrefois. Il faut bien qu’il ait un jour enrayé sur la pente où il s’était lancé d’abord, sans quoi il aurait fini ou comme les Gracques ou comme César.

Disons un mot encore à l’occasion de ces fausses couleurs jetées sur les Claudiens par Tite-Live et les écrivains qui l’ont suivi. Je n’objecte rien contre l’histoire des boucliers, avec images des aïeux et liste des honneurs curules, appendus dans le temple de Bellone[32]. L’orgueil nobiliaire se concilie très bien avec le rôle de Périclès ; et César, en pleine carrière démagogique, s’est vanté de descendre de Vénus. Mais pourquoi, s’attaquant sans cesse aux Claudius, à ces haïsseurs prédestinés de la plèbe, pourquoi passer sous silence les mesures visiblement démocratiques dont ils furent les promoteurs ? Pourquoi ne faire que mentionner sans lui donner l’importance qu’elle comporte, et cela encore à l’occasion de la censure de Fabius qui en restreignit les effets, l’inscription des habitants non fonciers sur les listes civiques[33] ? Chose non moins remarquable, lors de la motion relative à la loi Ogulnia de 454 [300 av. J.-C.], qui enlève aux patriciens leur dernier privilège, le droit de fournir seuls le personnel des grands sacerdoces, c’est encore Appius Cœcus qui lutte en tête du parti ; c’est encore en lui que s’incarne, au dire de l’historien, la morgue jalouse de la noblesse, tandis qu’à Decius Mus sont réservés les honneurs du plus équitable libéralisme[34]. Un peu plus tard, aux élections consulaires de 458 [-296], le même Appius nous est encore représenté comme s’acharnant (incubuit) à faire nommer second consul, à côté de lui, Q. Fabius Rullianus, malgré la loi formelle. Ses efforts échouent par la modération seule de ce dernier [10, 15]. Pareille anecdote se lit dans le Brutus[35] : là, Appius Cœcus, étant interroi et présidant aux élections, veut empêcher le vote du peuple de se porter sur le plébéien M. Curius et raye son nom de la liste des candidats. Cette voie de fait est vengée par une nouvelle défaite du patriciat. Comment tenir ces deux incidents pour croyables ? Comment supposer la tentative ou la pensée d’une restauration au profit des patriciens, chassés successivement de toutes leurs positions et partageant le consulat avec les plébéiens, aux termes d’une loi que nul n’avait eu le temps d’oublier ? En vérité, c’est mal choisir son personnage que de prendre pour le bouc émissaire de l’aristocratie le censeur de 442 [312 av. J.-C.], l’irréconciliable ennemi des conservateurs, et de lui faire inconstitutionnellement patronner, en 458 [-296], la candidature de Fabius Rullianus, son successeur dans la censure et le redresseur de ses innovations. Faudrait-il donc croire ici à quelque conversion subite ; providentielle et de celles qui font époque ?

Rapprochons toutes ces inconséquences des singulières contradictions dont fourmille aussi l’histoire du décemvir, de son procès et de son suicide en 283 [-471] (son nom que nous retrouvons vingt ans après sur les listes capitolines, semble accuser de mensonge le récit d’ordinaire accepté) : rapprochons ensemble tous ces grands discours mis dans la bouche des Claudiens consulaires et sénateurs, donnés pour les ennemis acharnés du peuple : jetons un dernier coup d’œil sur cette longue et fastidieuse série d’aventures, imaginées après coup pour en faire un acte d’accusation contre toute la famille. Qu’en conclure, sinon qu’il y a là un échafaudage prodigieux de contrevérités, et qu’il est nécessaire de se tenir en garde contre l’opinion reçue, œuvre de rancune et de parti ?

Dans tout cela quel est le coupable ? Les premiers annalistes de Rome, Fabius Pictor entre autres, ne sont pour rien dans ces mensonges, nous l’avons dit. Tite-Live ne les a pas inventés. L’homme et son livre sont honnêtes, et jamais le grand écrivain ne se fût prêté à falsifier sciemment les faits et les documents : d’ailleurs, quel intérêt l’y aurait poussé ? Quand il composa sa première Décade, de la famille principale des Claudiens il ne restait plus d’homme considérable qui fut vivant (sauf le fils dégénéré et abâtardi de P. Clodius). La branche collatérale des Nérons était alors obscure : Tibère, le futur empereur, sortait à peine de l’enfance. Denys, qui parle comme Tite-Live et suit la même voie, s’étend sur une multitude de détails dont Tite-Live ne dit rien : ce n’est donc pas lui qu’il copie. Nous voyons par le Brutus (XIV, 55, cité supra), que dès le temps de Cicéron l’histoire avait été faussée, au regard des Claudiens ; toutefois leur orgueil fatal n’était point encore passé en quelque sorte en proverbe : autrement quelle riche mine à inventions pour le grand orateur ? Or la Milonienne est muette au regard des ancêtres de Clodius. S’il est un homme dans ce temps en qui je serais tenté de voir l’auteur des accusations dictées contre les Claudiens par l’injustice du parti démocratique, c’est assurément Licinius Macer. Contemporain de Cicéron, bien qu’un peu plus âgé que lui (tribun du peuple en 631 [123 av. J.-C.], mort en 688 [-66]), démocrate notoire, auteur d’Annales mal écrites et assez peu lues, il a été néanmoins pour Denys et Tite-Live une des sources principales, le fait est démontré. Condamné pour concussion et exactions, se donnant la mort pour échapper à la peine, il n’a pas seulement volé, il a été impudent faussaire. Comme au temps de Sylla, et après Sylla, les Claudiens sont restés fidèles au parti oligarchique, il se peut faire que Macer et les hommes de sa faction les aient eus en haine. Gaïus Claudius, consul en 662 [92 av. J.-C.], avait dans le Sénat une autorité immense[36] ; l’un des chefs du Sénat, il attire sur sa tête les rancunes des démocrates. Qu’on écarte ou que l’on accepte un jour nos soupçons contre Macer, peu importe, c’est à quelqu’un des annalistes de cette époque qu’il faut reporter l’accusation que je formule.

Un dernier mot sur les Claudiens des temps historiques. Ils n’ont point suivi à outrance ce que l’on appelle à tord la politique de leur famille. Au VIe et au VIIe siècle de Rome, les représentants de la Gens Claudia sont des hommes fort ordinaires, appartenant pour la plupart à la faction oligarchique, sans se mettre en évidence ni en bien ni en mal, et nous ne savons guère d’eux que leurs noms. Quelques-uns, tout en restant dans le camp conservateur, trahissent parfois des opinions d’opposition ou des tendances modérées et équitables envers le parti populaire. On connaît l’anecdote de P. Pulcher, consul pendant la première guerre punique, qui se bat à Drepana malgré l’auspice funeste des poulets sacrés, et qui, faisant affront au Sénat, nomme dictateur Glicia, son appariteur (viator), imitant par là son grand aïeul Cœcus, et l’appel au Sénat du greffier Flavius.

Censeur en 585 [169 av. J.-C.], C. Pulcher empêche son collègue Tiberius Gracchus de dépouiller les affranchis de leur droit de vote, par simple décision censoriale : car, ajoute-t-il, il faut pour cela une loi du peuple[37] ! Opinion sage et juridique, mais qui n’a rien d’aristocratique, assurément ! L’un des consuls de 611 [-143], Appius Claudius, est l’un des principaux fauteurs des Gracques : l’un des deux frères était son gendre, et il figure sur la liste des commissaires répartiteurs aux termes de la loi agraire.

Enfin, citerons-nous le tribun P. Clodius, de trop fameuse mémoire ? Il n’est pas, lui non plus, un conservateur bien édifiant !

Laissons de côté le roman de la politique et de l’orgueil de famille des Claudiens, et tenons-nous en aux faits. Les Claudiens, loin d’être toujours ces patriciens entêtés et immobiles dans leurs préjugés de caste, se sont montrés souvent les précurseurs des Gracques et de César. Alliés à la famille des Jules, ils étaient comme elle destinés à l’empire ; enfin, même sur le trône nous les voyons se séparer souvent des prétendues traditions de leur famille. Tibère et Claude, à un certain moment, ne voulaient pas être empereurs, et l’on rencontre dans leur vie bon nombre d’incidents qui rappellent leurs ancêtres démocrates.

 

 

 



[1] Ad Famil., 3, 7, 5.

[2] Tite-Live, 2, 56 : Familia superbissima ac crudelissima in plebem romanan.

[3] 2, 23 et 29.

[4] Tite-Live, 2, 56.

[5] Ibid., 3, 19.

[6] Ibid., 4, 6.

[7] Ibid., 4, 36.

[8] Ibid., 4, 48 ; 5, 2-6, 20 ; 6, 40, 41. — Cf. 7, 6.

[9] Ibid., 9, 33, 34. Est… illius Appi progenies, etc. [Lire tout le discours mis dans la bouche du tribun P. Sempronius.]

[10] Tacite, Ann., 1, 4.

[11] Tibère, 2.

[12] [Un certain pragmatisme, dit Mommsen. On sait que les Allemands désignent ainsi l’histoire qui présente le récit des faits, — par opposition à la méthode philosophique.]

[13] Patricia gens Claudia duodetriginta consulatus, diclaturas quinque, censuras septem, triumphos sex, duas ovationes adepta est. (Suétone, Tibère, 1). — Nous trouvons, en effet, 22 consuls Claudiens sous la république, 4 dictateurs, 6 censeurs, sans compter 4 triomphes et une ovation.

[14] [Cicéron en parle à deux reprises à Atticus : Audio Appium πρόπυλον Eleusine facere (6, 4, 26, et 6, 6, 2). — Ils avaient été élevés à la fois par Appius, pendant son commandement en Cilicie, et par Q. Marcius Rex, fils de sa sœur, le même à qui Cicéron adresse sa lettre ad fam., 13, 52. — M. F. Lenormand, de regrettable mémoire, a retrouvé l’épistyle de ces propylées dans les ruines d’Éleusis, en 1860 ; l’inscription fruste, mais facile à compléter, qui s’y lit, est donnée par M. Mommsen au Corp. insc. lat., n° 619, p. 481, avec commentaire.]

[15] Les Claudii Marcelli, qui figurent dès 423 [331 av. J.-C.] sur les fastes consulaires, et les Claudii Cœninœ, qu’on y voit aussi en 469 et 481 [-285/-273]. = A coté des Veturii patriciens, il y a les V. Cicurini, consuls et tribuns militaires (255-387 [-499/-367]).

[16] Cicéron, de Orat., 1, 29, 76.

[17] V. au Corp. insc. lat. — [M. Mommsen en a donné le texte, avec commentaires.]

[18] Niebuhr, 2, 364. — Schwegler, Rœm. Gesch. (Hist. rom.), 3, 10.

[19] Tite-Live, 3, 9, 5 ; 3, 32 : Placet creari decemvirosadmiscerentur ne plebi, controversia aliquandiu fuit ; postremo concessum patribus, modo ne lex Icilia de Aventino aliœque sacratœ leges abrogarentur. — [V. aussi 3, 31 : Ut illi communiter legum latores, et ex plebe, et ex patribus, qui utrisque utilia ferrent, quœque œquandœ libertatis essent, sinerent creari.]

[20] Tite-Live, 3, 43.

[21] M. Claudius, 3, 44.

[22] 3, 36 : Decena regiem species erat. — 39 : Id vero regnum haud dubie videri. — 39 : Decem Tarquinios. L’empereur Claude, dans son discours de Lyon (V. la Table de bronze du musée de Lyon), parle aussi du decemvirale regnum.

[23] A entendre Diodore (12, 23-26), les deux dernières tables auraient été publiées par les consuls Valerius et Horatius ; mais leur publication est attribuée aux seconds décemvirs par les vieux annalistes, chez qui Cicéron puisait quand il écrivit le de Republica. Tite-Live, Denys, et tous ceux à la suite, font de même. Je n’ai guère plus de confiance, a priori dans une version que dans l’autre, mais je tiens pourtant pour plus probable que les deux dernières tables, comme le calendrier, ont été promulguées par les décemvirs.

[24] Hist. rom., 3, 344.

[25] Panætius, philosophe stoïcien, ami de Scipion.

[26] Tuscul., 4, 2. — [Voici quelques-unes de ces sentences : Amicus si es, obliviscere miserias (Qui voit un ami, oublie ses maux !) — Fabrum esse quemque fortunœ ! (Chacun est l’artisan de sa fortune !) — Priscianus, 8, 4. — Salluste, de Ordin. republ., 2, 1. — V., aussi Fest., v° Stuprum.]

[27] L. 2, § 36, D., de Orig. juris (Pomponius).

[28] Martian. Capella, 1, 3, § 261. [Z idcirco App. Claudius detestatur, quod dentes mortui dum exprimitur imitatur. Plaisante raison, donnée sans doute aux questionneurs curieux !]

[29] L.2, § 36, D., de Orig. juris, II, p. 310.

[30] 20, 36. Il faut lire le paragraphe de l’auteur grec, qui passe en revue toute la vie de Cœcus.

[31] Tibère, 2. [Il y a là une erreur ou un nom mal écrit. Jamais un Drusus n’a appartenu aux Claudiens, et tous les critiques le remarquent. M. Mommsen propose la restitution du texte suivante : Cœcus rursus (au lieu de Drusus) statua etc. — Il est certain, en effet, que le Forum Appii (auj. Foro Appio, entre Treponti et Terracine, non loin de Sezza) eut aussi pour fondateur le constructeur de la voie Appienne. Lui seul pouvait songer à créer un marché sur ce point de la route qui a éternisé son nom. Lui seul a dû nourrir les pensées ambitieuses dont parle Suétone. Et Valère Maxime lui applique aussi le plurimas clientelas (8, 13, 15) de Suétone.]

[32] Pline, Hist. nat., 35, 3, 12. — Corp. insc. lat., I, p. 287 (Éloge d’Ap. Claudius Cœcus).

[33] Tite-Live, 10, 7.

[34] Ibid., 10, 7 et suiv.

[35] Cicéron, Brutus, 14, 55.

[36] Cicéron, Pro Planco, 91, 51. — Brutus, 45, 166.

[37] Tite-Live, 45, 15.