Ces lettres sont curieuses pour ce qu’elles disent et surtout pour ce qu’elles ne disent pas. On y voit mises en jeu les précautions, les réticences et la duplicité orientales. D’un autre côté, comment se fait-il, apprenant si peu de chose au public, qu’on ait pris la peine de les graver sur pierre ? Elles ont été découvertes en 1859 par le voyageur et archéologue Mordtmann, dans le cimetière arménien de Sivri-Hissar, à trois lieues au nord de l’emplacement de l’ancienne Pessinunte. N’est-il pas dès lors probable qu’elles appartenaient aux archives sécrètes du sanctuaire local ? J’en donne la traduction faite sur les textes grecs publiés dans le Mémoire de Mordtmann (Comptes rendus des travaux et séances de l’institut de Munich (Sitzungsberitch, 1860, pp. 180 et s.) — Ces textes sont incomplets : la langue et l’orthographe sont des plus vicieuses, ce qui a joint à des réticences et à des allusions plus qu’obscures, en rend l’interprétation assez difficile. Je me suis aidé de la traduction allemande de Mordtmann. INSCRIPTION A : en deux fragments.1er fragment :Le roi Eumène à Attis, salut. Si tu es en bonne santé, moi de même, je vais bien. J’ai reçu la lettre dans laquelle tu me fais savoir ce que l’on a écrit contre ton frère Aorix. Tu as eu raison de semer largement la discorde. Il est juste que la déesse se tourne contre ceux qui ont offensé ses prêtres et son temple…… 2e fragment, probablement de la même lettre.…… Aussitôt que tu seras arrivé
sur les lieux, et que tu auras considéré soigneusement l’état des choses,
fais-moi savoir combien il te faut de soldats, et s’il te sera possible de te
débarrasser des Pessongiens. Écris-moi ce qu’il te faut ; et
comme il s’agit d’un lieu saint, on doit s’en emparer à tout prix. Adieu. ΔΔ[1]. ce 24e Gorpiœos (en septembre). INSCRIPTION B.1° — Attale à Attis, prêtre, salut. Si tu es en bonne santé, moi de
même, je vais bien. Ménodore, ton envoyé, m’a remis ta lettre détaillée et
amicale. De plus, il m’a entretenu de plusieurs choses dont il m’a dit que tu
l’as chargé. Confirmé que je suis dans son intention de servir mes intérêts
en toute circonstance, je lui ai de mon côté confié tout ce que j’ai cru être
nécessaire que tu saches, et je lui ai donné mission de te le communiquer. —
Adieu. 2° — Attale à Attis, prêtre, salut. Si tu es en bonne santé, moi de
même, je vais bien. Ménodore m’a remis ta lettre, où tu dis qu’ayant appris
l’arrivée de mon frère au camp, tu as sacrifié aux dieux pour notre salut…… INSCRIPTION C.Attale à Attis. Si tu es en bonne santé, ce que
je souhaite, tant mieux. Moi de même, je vais bien. A notre arrivée à
Pergame, j’ai réuni non seulement Athénée, Sosendros et Mènagène,
mais encore plusieurs autres de nos proches, et je leur ai confié ce dont
nous avions parlé, à Apamée. Après que j’ai eu ouvert mon avis, nous avons eu
une longue conférence. D’abord, tous ont abondé dans notre sentiment ;
mais Chlôros mit avec insistance en avant les intérêts des Romains, et
ne voulut absolument pas admettre que l’on puisse rien faire sans eux. Il eut
peu de monde de son côté ; mais depuis lors, de jour en jour, ils doutent
tous et se divisent. Cela nous touche beaucoup. Marcher sans eux (les Romains) semble comporter un grand danger. Ils y verraient une
injure, un amoindrissement de considération, un soupçon fâcheux, comme ils
ont fait à l’égard de mon frère : ils croiraient perdre un droit certain
(?). — Et je ne les convaincrai pas : ils croiront
aisément que nous avons voulu agiter tout cela en dehors d’eux. Et alors
(plaise au ciel qu’il n’en arrive ainsi !) nous perdrions leur secours,
et il nous faudrait de nouveau combattre sans avoir la faveur des dieux,
quand jusqu’à présent nous avons toujours agi, eux prévenus à l’avance. Aussi
suis-je d’avis d’expédier comme d’ordinaire nos légats à Rome ! …… INSCRIPTION D.(Très fruste : les lettres
qui commencent et finissent les lignes ont été brisées). …… Ayant ouvert ces lettres, par
prudence, je les ai renvoyées, car je vis que si je les avais expédiées
telles quelles, tu n’aurais pas pu les déchiffrer (?). Reçois-les maintenant, et envoie qui tu veux, ainsi que
tu l’as demandé, puisque nous savons que tout ce que tu fais, tu le fais dans
notre intérêt. Le porteur de ces lettres désirant conférer avec toi, fais-le
appeler dans tous les cas ; car il est convenable que tu entendes et
saches ce qu’il te veut dire : en même temps, et de ton chef, envoie
quelqu’un avec lui dans le Haut-Pays[2], pour recevoir ce qui est donné. Il importe qu’il se
tienne là, et nous communique les nouvelles qu’il recevra… Ne voit-on pas clairement planer sur tous ces malheureux rois clients de Rome l’ombre et les soupçons de la puissante République ? Tout en redoutant de la blesser, et d’attirer sa colère, ils s’agitent secrètement dans leurs velléités d’ambition conquérante ! (Note du Traducteur) |