L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Appendices

Les droits des praticiens et plébéiens dans les assemblées civiques.

 

 

Les droits politiques divers appartenant aux deux ordres, durant les siècles historiques, tiennent à la fois, par leurs racines, et au droit public et au droit privé. Ceux de la seconde espèce reposent sur la constitution de la gens, et les plébéiens n’en jouissent que d’une façon nécessairement restreinte; quant aux autres, qu’il s’agisse de l’accès aux fonctions publiques, administratives, sacerdotales (V. Patriciens et plébéiens, § 2), ou de la participation aux assemblées publiques et délibérantes, la seule qualité de patricien ou de plébéien est la condition légale des aptitudes.

Nous ne voulons traiter spécialement ici que des droits appartenant aux deux ordres dans les assemblées publiques et délibérantes, et par suite :

I. Rappeler en peu de mots quels étaient les droits des deux ordres dans les comices par centuries, par curies et par tribus ;

II. Démontrer qu’il n’y a pas eu d’assemblées séparées du patriciat sous la république ;

III. Faire connaître les assemblées séparées de la plèbe dans les curies et les tribus ;

IV. Dire quel fut le sénat patricien sous la République ;

V. Et quel fut le sénat plébéio-patricien plus tard constitué ;

VI. Puis, après avoir passé en revue les documents les plus certains, se rapportant à l’époque historique, rétrograder vers les époques antéhistoriques, et rechercher, en dehors ou à l’aide de la légende, mais en remontant du connu à l’inconnu, quelles ont pu être les institutions originaires. D’ordinaire on suit la voie contraire on prend pour point de départ les temps légendaires; on les arrange, on les façonne suivant des hypothèses qui n’ont ni logique ni méthode certaine. Delà, de graves erreurs. Ainsi, il est bien vrai que le patriciat des temps ultérieurs se compose de tous les citoyens de la Cité primitive; mais de là aux conséquences qu’on a déduites du fait, pour les époques où les patriciens ne constituaient plus qu’une simple noblesse, il y a une énorme distance.

Il ne faut pas moins dans une telle étude qu’un esprit de rigueur et de méthode inexorable, si l’on veut se préserver des fautes dans lesquelles est tombée l’ancienne critique historique.

 

Section I — Comices patricio-plébéiens sous la République

§ I. Comices par centuries.

La réforme de Servius, en instituant les centuries, et dans ces centuries les classes ordonnées selon le cens et la fortune des censitaires; cette réforme ne fit aucune distinction entre les patriciens et les plébéiens. Ayant en vue surtout l’organisation militaire, elle supprima sous ce rapport toutes différences entre les ordres, et les fondit dans l’armée d’abord, puis dans les assemblées du peuple. Cependant l’opinion commune veut que, par dérogation à ce système d’égalité, sur les 18 centuries de chevaliers établies par la constitution de Servius, il y an ait eu 6, celles formées des trois anciennes tribus romuliennes des Titiens, des Ramniens et des Lucères, qui auraient été exclusivement réservées aux patriciens. De ce que ces centuries, dans l’origine, se composaient des trois doubles divisions de cavalerie fournies par chacune des trois tribus primitives, alors qu’être citoyen, c’était aussi être patricien, il s’ensuit simplement que ces 6 centuries avaient rang d’ancienneté sur les 12 autres ; mais en aucune façon qu’elles soient restées fermées aux plébéiens, lorsque la réforme Servienne les eut tous fait entrer dans la milice, sur le pied de l’égalité avec les patriciens originaires. Leurs noms anciens demeurant à ces centuries, les choses, il faut le dire, avaient bien changé. Le système de Servius ne comportait aucune dérogation à son principe, cela nous paraît indubitable. En effet :

a). Les 12 centuries de chevaliers (equitum ceuturiœ) proprement dites étaient plus considérées même que les 6 autres appelées, comme on sait, les sex suffraqia. Ainsi le disent Cicéron (de Rep. 2, 22, 39) et Tite-Live (4, 43 et 43, 16). Comment se rendre compte de ce fait, s’il était vrai que les six suffrages aient été réservés aux seuls patriciens ?

b). Au dire de Cicéron, Tite Live, et Denys d’Halicarnasse, les 18 centuries de chevaliers ont été prises dans tout le corps des citoyens, et classées uniquement selon la fortune (deinde equitum magno numero ex omni populi summa separato, Cicéron, de Rep. 2, 22, 39). Servius n’a donc pas voulu faire autre chose que répartir plus équitablement les charges et les droits, sans rien changer au service équestre et au vote (Tite-Live, 4, 42 ; 1, 43, 10 : gradus facti). Si les plébéiens n’avaient pu entrer dans les six suffrages ; si vraiment les patriciens avaient plus tard conquis à leur égard un monopole exclusif les annalistes n’eussent pas manqué de signaler un événement de cette importance.

c). Quand Cicéron et Tite-Live parlent de la chute du patriciat[1], ils ne disent pas un mot des six suffrages. Si les six suffrages avaient jamais appartenu au patriciat, ces écrivains n’auraient pas omis de constater qu’ils étaient emportés aussi dans la ruine commune.

d). On connaît la légende relative à l’Augure Attus Navius (Tite-Live, 4, 35 ; Florus, 4, 5), qui s’opposait au changement du nom des trois centuries équestres romuliennes (Titiens, Ramniens et Lucères), sans d’ailleurs empêcher le remaniement, de leurs cadres et de leur nombre, alors doublé. Le Roi qui innovait ainsi, aurait accordé, pour la forme, aux préjugés aristocratiques et religieux la survivance du titre, au moment même où il changeait tout le système.

e). Sur la création des centuries de chevaliers, avec les six suffrages ou centuries adjectices, nous possédons deux versions. — Suivant l’une, et la plus communément acceptée, ce serait Tarquin l’Ancien qui, doublant les 3 centuries de Romulus, aurait ainsi institué les six suffrages (Cicéron, de Rep., 2, 20, 36. prioribus equitum portibus secundis additis MDCCC fecit equites, numerumque duplicovit). Servius aurait conservé cette formation (Tite-Live, 1, 43), et il aurait en outre organisé les 12 autres centuries. Suivant un autre récit (Festus, v° sex) c’est le contraire qui aurait eu lieu : les six suffrages auraient été ajoutés aux 12 centuries jadis créées par l’Ancien Tarquin[2]. Mais Festus se tromperait évidemment, s’il était vrai que les six suffrages n’eussent été composés que de patriciens. Pour les archéologues de Rome comme pour ceux de nos jours, il demeure constant que les institutions patriciennes ont toujours été les premières en date. — L’une des deux traditions exclut l’autre.

Donc le système de fusion des deux ordres institués par Servius, dans les comices par centuries, ne comporte aucune exception. Les centuries équestres, comme les autres, étaient toutes accessibles aux plébéiens et aux patriciens à la fois.

§ 2. Comices par curies.

Les curies constituent la plus ancienne classification des citoyens. Elles avaient une double importance, tant au point de vue de l’exercice des droits politiques, que du culte, en ce qui touche, par exemple, la fête générale des Fornacales (Fornacalia[3]).

Examinons-les sommairement sous ces deux rapports seulement..

Durant les siècles historiques, les curies, ont été composées de plébéiens et de patriciens indistinctement : cela n’est pas douteux. D’assez bonne heure même nous y voyons les premiers arriver aux dignités sacerdotales : en 545 [209 av. J.-C.], un plébéien est fait grand curion (Tite-Live, 27.8) ; mais on peut à bon droit inférer que, longtemps avant déjà, le collège des simples curions s’était ouvert aux plébéiens.

On a soutenu que les 30 curies avaient été postérieurement portées à 35, et identifiées par là aux 35 tribus[4] ; mais les témoignages que l’on invoque à l’appui de cette opinion sont d’une date récente, et formellement contredits par les auteurs contemporains. Les curies furent nécessairement moins nombreuses que les tribus; et il y avait beaucoup d’individus qui, tout en appartenant à l’une des 35 tribus, ne savaient cependant pas dans quelle curie ils avaient à se ranger. On les appelait les sots (stulti) ils avaient leur fête à la fin de celle des Fornacales (feria stultorum)[5].

Maintenant, si l’on concède que les curies, pour tout ce qui tenait aux choses sacrées (sacra), s’ouvraient aussi aux plébéiens, l’opinion commune veut par contre que le droit de vote y ait toujours appartenu par privilège aux patriciens. Que si vous cherchez des preuves de cette opinion, vous serez fort étonné de n’en rencontrer aucune ; tandis que des preuves contraires il y a foule. Citons-en quelques-unes.

1° — On peut concevoir que les Plébéiens aient pu participer aux fêtes de la curie sans avoir le vote; mais comment, dans ce cas, y auraient-ils été éligibles aux fonctions sacerdotales ? Celui qui a l’éligibilité aux honneurs (jus honorum), n’a-t-il pas nécessairement aussi le droit moindre de l’électorat (jus suffragii) ?

2° — Au dire des annalistes, plébéiens et patriciens, dès les temps de Romulus, se réunissent et votent ensemble dans les assemblées des 30 curies[6]. Plus tard vient la constitution Servienne, qui ne donne pas le vote à qui ne l’avait pas, mais qui seulement en change l’ordre. Et s’il en fut ainsi sous les rois, il en fut de même sous la république. Jamais les comices par curies n’ont été purement patriciens.

3° — Si les patriciens y avaient seuls voté, Cicéron et Tite-Live, lorsqu’ils énumèrent les conséquences de la chute du patriciat, n’eussent pas manqué de le dire, et de constater que cette révolution aurait rendu désormais impossible toute décision curiote. Au lieu de cela. ils se taisent.

4° — L’assemblée des curies s’appelle toujours le peuple (populus), ou la réunion des citoyens, tant plébéiens que patriciens. Jamais le mot populus ne se dit des réunions exclusivement patriciennes[7].

5° — Dans l’ancien temps, dit Cicéron, le peuple votait deux fois pour l’élection des magistratures (majores de singulis magistratibus bis vos sententiam ferre voluerunt : de leg. agr., 11, 26). Le premier vote constituait l’élection, à proprement parler, le second conférait l’Imperium. Cicéron ne tiendrait pas un tel langage, si le vote d’investiture avait appartenu à la noblesse, le peuple n’ayant de voix qu’à l’élection.

6° — En droit, il suffisait de trente licteurs pour représenter les curies, et voter la lex de Imperio. Or, une telle compétence ne leur advenait qu’à raison de leur droit de vote dans les curies ; et ils étaient plébéiens.

7° — Il va de soi que pour tester et adroger devant les curies, il fallait y avoir entrée : de là tout d’abord, et par voie de conséquence, sont naturellement exclus ceux qui sont incapables de ces actes du droit civil privé, les non citoyens, les femmes, les enfants. Mais les plébéiens ont ici les mêmes droits que les patriciens. Quand on voit le Testament militaire se faire devant les centuries à la fois plébéiennes et patriciennes, comment peut-on songer à revendiquer un privilège, pour ceux-ci, dans la confection du Testament civil ? En matière d’Adrogation, parmi les quelques exemples que nous pourrions citer, nous en rencontrerions précisément, où l’adrogeant a été plébéien (dans l’adrogation de Clodius, par exemple).

Nous pourrions, s’il en était besoin, multiplier encore les preuves. Nous ferions voir dans certains cas, la plèbe se réunissant seule et votant dans les curies, et les listes du sénat patricien et plébéien dressées par curies.

Maintenant, à quelle époque remonte l’entrée des plébéiens dans les assemblées curiates ? Nul témoignage historique n’a fixé cette date. On voit bien que dés l’année 261 [493 av. J.-C.] la plèbe peut toute seules e réunir et émettre un vote qui sera régulier : d’où l’on peut conclure que les comices composés de patriciens et de plébéiens étaient plus anciens. La tradition les fait même remonter jusqu’à l’époque de la fondation de Rome. Ils seraient alors antérieurs aux comices par centuries. Sans aller jusqu’à admettre les dires des annalistes qui, suivant cette tradition sans la contrôler, reportent l’institution curiate jusqu’au règne de Romulus, il suffit de constater que dans les temps anciens, le peuple [populus] tout entier a été distribué et a voté dans les curies.

Donc, et pour conclure, ni dans les curies, ni dans les centuries, les patriciens ou les plébéiens n’ont jamais eu de vote exclusif: dans les unes comme dans les autres leurs droits étaient les mêmes, sauf les différences dans les catégories et dans l’ordre des votants.

§ 3. Comices par tribus.

Dans l’organisation Servienne, les tribus ne constituent pas à l’origine un mode de classement du peuple, mais, simplement un mode de distribution du territoire romain. Point de doute que la tribu n’ait été d’abord attachée au sol : elle s’acquérait et se perdait à chaque mutation de résidence du possesseur foncier. Mais cette régie s’est bientôt modifiée et elle tomba en désuétude, à mesure que le peuple romain, admettant dans son sein des êtres italiques par lui vaincues, leur laissait une sorte d’existence municipale qui, plus tard, elle aussi, prit fin. A un moment fort important de cette crise, les droits civiques tinrent à la patrie d’origine (origo) et non au domicile réel, la tribu restant alors rattachée à la première. Quand Tusculum, par exemple, fut reçue dans la tribu Papiria, tous les Tusculans acquirent par là, pour eux et leurs descendants, le droit de voter dans cette même tribu, qu’ils y eussent, dans sa circonscription territoriale ou ailleurs, leur établissement. Pour qu’un changement intervienne alors, il faut aussi un changement dans la patrie d’origine. Des vétérans sont-ils conduits (deductio) dans une autre ville, par exemple, l’origine et la tribu sont à la fois transférées[8]. Mais les autres changements d’État n’affectent en rien cette dernière ; ni l’Incolat porté ailleurs avec admission aux honneurs municipaux, ni l’adoption elle-même. Quant à la répartition dans les tribus des citoyens originaires de Rome, de tous les patriciens, par conséquent, et aussi d’un grand nombre de très anciennes familles plébéiennes, les documents nous font défaut. La règle n’a pu être ici, celle appliquée plus tard aux Tusculans de la tribu Papiria, aux Arpinates de la tribu Cornelia. Très probablement la tribu n’a été pour eux qu’un statut personnel et héréditaire, indépendant de la propriété foncière, bien qu’au début chaque citoyen ait été une fois pour toutes classé à raison de la situation de son fonds de terre à cette époque. Que si plus tard l’origine et la tribu n’étaient pas déterminées, la tribu Fabia recevait le citoyen romain égaré.

Relativement aux personnes, il faut tenir que tout d’abord, plébéiens ou patriciens, tous les possesseurs fonciers, sont également entrés dans les tribus. En vain l’on a voulu placer le patriciat en dehors d’elles, jusqu’au temps des Decemvirs et des XII Tables, tout au moins : c’est là une assertion sans fondement, et qui trouve entre autres son démenti péremptoire  dans ce fait, que toutes les tribus rustiques de la première création postérieure à Servius ont porté des noms patriciens.

Dans les tribus, pas plus que dans les curies et les centuries, il n’était fait de distinction entre les deux ordres. Seulement, comme les possesseurs fonciers seuls y entraient ; comme les citoyens non possesseurs n’en firent pas partie d’abord, il n’y eut pas non plus de comice par tribus à cette époque ancienne. L’assemblée du peuple veut en effet la réunion de tout le peuple votant : très facile dans les curies et les centuries, cette réunion était impossible, on le voit, dans les tribus. Pour la première fois, en 442 et 450 [312, 304 av. J.-C.], les censeurs Appius Clodius et Q. Fabius fondirent les non possesseurs dans les quatre tribus urbaines : à dater de ce moment, il n’y a plus de citoyen qui ne soit classé dans sa tribu ; comme dans sa curie, comme dans sa centurie ; et l’ère véritable des comitia tributa commence.

Mais avant, quelle était la portée légale des décisions des tribus ? Il semblerait qu’elles n’eussent pu valoir comme lois publiques, à l’égal des lois curiates et centuriates. Et pourtant il est certain que dès avant le classement complémentaire des citoyens non possesseurs, les décisions des tribus ont en force légale.

Non qu’elles aient été admises à titre de plébiscites. C’est là une erreur énorme si pourtant généralement répandue. Le plébiscite n’était pas toujours voté dans les tribus, nous le verrons plus loin (sect. III); et la nomenclature juridique des Romains met d’ailleurs leurs décisions sur la même ligne que les lois curiates et centuriates. Toujours; à leur occasion, on voit, cités les mots populus, comitia, lex ; jamais les dénominations spéciales au plébiscite : plebs, concilium, scitum. Il ne saurait être ici, en effet, question de la plèbe seule (concilium plebis), des plébéiens se réunissant sous la présidence d’un patricien, après que celui-ci a pris les auspices[9]. Le plébiscite n’a pas besoin d’être confirmé par le sénat, comme la loi (lex publica populi romani). Cette, confirmation est requise au contraire pour les décisions d’une certaine importance, votées dans les tribus. Las patriciens ont longtemps contesté que les plébiscites fussent obligatoires pour eux ; ils n’étaient pas revêtus, disaient-ils, de la sanction patricienne (patrum auctoritas[10]); ils n’élevèrent jamais cette objection contre les décisions des tribus. Dans trois circonstances enfin nous leur voyons donner la confirmation Sénatoriale : lors de l’élection des premiers édiles curules, en 387 [367 av. J.-C.][11] ; lors du vote d’une loi d’impôt, en 397 [-357][12] ; et enfin lors de l’élection du premier grand curion (curio maximus) plébéien, en 545 [-209][13].

Il est donc vrai de dire que la décision votée par les tribus, sous la présidence d’un patriciat, a valu aussitôt à l’égal d’un vote de tout le peuple, patriciens et plébéiens compris.

Reste à se demander comment et dans quelles circonstances les tribus étaient ainsi consultées. Les faits vont répondre et faire connaître la pratique suivie.

Vers 307 [447 av. J.-C.], on le sait, la nomination directe des questeurs fut enlevée aux consuls, et le peuple eut à les désigner désormais sur les propositions qui lui étaient faites. La rogation en ce cas fut portée, non devant les centuries, m’ais devant les tribus. Après 387 [367 av. J.-C.], on procéda de même au regard des édiles curules[14], des magistrats et officiers de second ordre, et, enfin de quelques-uns des tribuns militaires, quand les magistrats suprêmes ne les avaient pas directement nommés.

Pour ce qui est des lois émanées des comices par tribus, nous n’en rencontrons qu’à une époque relativement récente. On ne saurait réputer telle la sentence arbitrale rendue en 308 [-446] entre Aricie et Ardée, et supposer que les consuls avaient saisi les tribus du litige. Cette sentence ne touchait en rien au droit des citoyens romains ; elle est simplement qualifiée du nom d’avis ou de consultation (concilium populi : Tite-Live, 3, 74). Il faut bien descendre jusqu’à la loi d’impôt précitée de 397 [-357]. — Les comices par tribus sont fréquemment convoqués comme pouvoir légiférant après la préture instituée (388 [-366]) ; et la raison en est évidente. En dehors des cas de grand criminel, le préteur n’avait pas qualité pour convoquer les centuries ; il lui fallait bien en référer aux tribus. Nous ne saurions décider d’ailleurs si le droit de rogation au peuple, en matière de législation, a été donné à la préture au moment même de sa création, ou seulement à une époque postérieure. La plus ancienne loi connue votée par les tribus, est celle de 422 [-332], qui conféra la cité aux Acerrans, sur la proposition du prêteur L. Papirius[15].

Mais aux termes de la loi des XII Tables, les grands crimes demeurèrent réservés au maximus comitiotus, c’est-à-dire aux comices centuriates, où se réunissait le peuple tout entier : propriétaires fonciers et non propriétaires. On ne cite pas au effet d’exemple d’un procès capital porté devant les tribus. Elles ne furent jamais saisies que des condamnations pécuniaires, prononcées par un magistrat patricien, par l’édile curule surtout, ou le grand pontife, et comportant l’appel au peuple à raison de leur taux[16].

C’est donc à juste titre que Cicéron, par opposition aux grands comices centuriates, appelle ceux par tribus comitia leviora[17] ; en matière d’élection, de procès, de législation, ils ne sont saisis que des affaires d’une moindre importance ; les auspices pris devant eux sont des auspicia minora ; et des magistrats mineurs les convoquent[18]. Leur compétence est d’ailleurs régie par la pratique bien plutôt qu’aux termes d’une loi expresse, sauf en un cas ou deux.

Ainsi, encore limités vers 307 [-447] à l’élection de quelques magistrats, juges d’appel plus tard dans les causes du petit criminel, puis enfin devenus pouvoir légiférant au moment de l’institution de la préture ou peu après la préture instituée, les comices par tribus, plébéiens et patriciens compris, acquièrent une grande importance au plus tard vers l’an 422 [-332]. Mais, dira-t-on, s’il est vrai que jusque vers le milieu du Ve siècle, les comices par tribus ne représentaient pas la totalité des citoyens, il a fallu de toute nécessité que la constitution vint expressément leur donner le pouvoir législatif, et rendit les lois votées par eux obligatoires dans toute la cité. Je reconnais que ce texte manque. Pour les simples plébiscites la loi Hortensia, de 467 [387 av. J.-C.] est formelle, et pour la première fois elle leur confère la force légale. D’où vient cependant que Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, racontent que, dès 305 [-449], les consuls L. Valerius et M. Horatius avaient fait décréter une loi déclarant le peuple tenu de tout ce qui est ordonné dans les tribus (ut quod tributim plebs jussisset, populum teneri[19]) ? D’où vient que le même Tite-Live rapporte qu’en 415 [-339][20], le dictateur Q. Publius fit la motion que tous les citoyens eussent à obéir aux plébiscites (ut plebiscita omnes quirites tenerent) ? N’y a-t-il pas là une erreur dans les      termes, et les deux lois en question n’ont-elles pas trait plutôt aux décisions du peuple (populus) prises dans les comices par tribus ? Toute contradiction cesserait à ce compte[21]. Remarquez, d’ailleurs, que les dates ici concordent: les deux lois se placent en 305 et 415 [449, 339 av. J.-C.], alors que l’élection pour la questure est donnée aux tribus, comme nous l’avons vu, en 307 [-447], et que les rogations par le préteur, créées en 388 [-366], deviennent de pratique ordinaire vers 422 [-332].

 

Section II — Il n’y a pas eu d’assemblées séparées du patriciat sous la République

Suivant une opinion fort répandue, et que j’ai soutenue longtemps moi-même[22], à dater du jour où il y eut des patriciens et des plébéiens dans la cité romaine, et où le patriciat forma un ordre distinct dans l’assemblée des citoyens, cet ordre aurait aussi, dans certaines circonstances autorisées par la constitution, tenu des assemblées séparées. J’avoue qu’aujourd’hui je me range à l’avis contraire, et cela par les plus sérieuses raisons. L’ordre noble ayant ses réunions exclusives, c’eût été là, il en faut convenir, une institution allant droit à l’encontre d’un système politique basé précisément sur la fusion des patriciens et des plébéiens. Mais, dit-on, la plèbe a bien eu ses assemblées ? Rien n’est plus vrai; seulement l’anomalie s’explique par les événements politiques, et tient à des circonstances bien connues : elle est le produit d’une révolution toute démocratique. Pour qu’il en arrivât de même à l’égard du patriciat, il eût fallu une cause non moins péremptoire. Or, la noblesse n’avait pas de révolution ni de conquêtes à faire; elle avait plutôt des défaites à subir. Au temps des luttes des ordres, les institutions publiques lui donnaient la suprématie. D’autre part, je ne rencontre nulle trace manifeste d’un droit de réunion séparée. Tout fait défaut à ces prétendues assemblées nobles, et la forme, et le nom, et la compétence. — Ni dans les curies, ni dans les tribus, les patriciens ne sont seuls convoqués, alors que la chose eut été certainement possible; et nous ne voyons point quel magistrat ou quasi magistrat aurait jamais ou convoqué ou présidé une pareille assemblée. — Quel nom lui donner ? La langue n’en a pas. Le mot pères (patres) s’applique au sénat patricien, nous le verrons plus loin (sect. IV). Le mot peuple (populus) désigna tout d’abord, étymologiquement[23] et en fait, l’ensemble des levées patricio-plébéiennes, ou les centuries de Servius ; puis bientôt il signifia l’ensemble de tous les citoyens des deux ordres, la plèbe comprise[24] ; enfin et dans le langage usuel et moins rigoureux on entendit, par le mot populus, les simples citoyens non nobles, souvent même par opposition aux nobles : ce dernier sens se retrouve chez tous les modernes[25]. Mais populus, n’a jamais été synonyme de patriciens. C’est Niebuhr qui a inventé, pour le besoin de sa thèse, une signification exceptionnelle que rien, absolument rien ne justifie : les textes cités par lui ne le disent point, et sont incomplets ou mal compris. On a cité Tite-Live, par exemple, surtout dans les cas où il se sert de l’expression concilium populi. Voilà bien, a-t-on dit, l’assemblée patricienne ! Erreur ! Le conseil du peuple, c’est tantôt l’assemblée populaire qui se réunit pour tout autre chose que pour voter et prendre une décision : tantôt le mot s’applique, dans les auteurs, à l’assemblée d’un peuple étranger, tantôt enfin à un conciliabule révolutionnaire. Enfin le concilium c’est toute assemblée qui ne saurait porter le nom spécial de comices[26]. Je me résume : ordinairement le mot populus comprend le corps entier des citoyens, plébéiens et patriciens réunis ; quelquefois aussi, et rarement, il désigne les plébéiens tout seuls ; mais à moins de n’avoir plus de signification propre, il ne peut pas encore et dans d’autres cas, désigner aussi les seuls patriciens.

D’ailleurs, quel eut été le rôle d’une assemblée purement patricienne ? On ne trouve pas sa place dans le mécanisme constitutionnel de Rome. Bien plus, si l’on avise une circonstance où elle aurait pu ou dû intervenir, jamais on ne l’y voit en action ! Nous savons que nul n’a jamais acquis le patriciat sous l’ère républicaine, sauf par voie d’adoption. Or, la procédure dans ce cas unique se suit devant les patriciens et les plébéiens réunis : encore ici le peuple vote-t-il plutôt sur une question d’état civil et civique, que sur une question d’anoblissement. L’anoblissement n’eût pu être conféré que par les nobles eux-mêmes, ce qui n’a jamais eu lieu. — Enfin quand César, à la fin de la république, anoblit certaines familles pour remplir les vides faits dans les cadres du patriciat, il procède par une loi (loi Cassia, de 740 [44 av. J.-C.]) qu’il fait voter dans l’assemblée du peuple? La motion n’eût-elle pas été portée devant l’assemblée patricienne, si cette assemblée eût eu sa place et sa compétence sous la république[27] ?

Rien de plus logique et plus conforme à l’histoire que cette conclusion négative. Sous les Rois, le patriciat constitue seul le corps de la cité ; c’est par les Rois seuls que les droits civiques ou le patriciat, c’est tout un, sont conférés aux non citoyens. Plus tard le patriciat n’est plus que l’ordre noble à côté des autres citoyens, et la noblesse n’est plus conférée à personne, parce que, d’une part, l’anoblissement suppose le consentement des nobles, et que d’une autre part, l’ordre noble n’est pas constitué de manière à émettre exclusivement son vote. Organisation éminemment vicieuse, et qui empêchait tout mélange, tout rapprochement entre les patriciens, et les plébéiens, mais qui fit l’affaire de tous ! Elle était une satisfaction pour l’orgueil des uns, elle ôtait aux autres la crainte de voir leurs chefs passer en transfuges dans les rangs de leurs adversaires ! Dès qu’il s’agit de castes et de privilèges, chacun perd la vue claire de son intérêt selon la justice et la vérité.

 

Section III — Assemblées séparées de la plèbe dans les comices et les tribus.

Le plébiscite, à l’origine, est la décision prise par la plèbe, pour la plèbe seule, en assemblée spéciale. Voici les principaux caractères qui le distinguent :

1° — Le président de l’assemblée qui le vote est un plébéien d’ordinaire, l’un des deux fonctionnaires ayant charge plébéienne ; tribun du peuple ou édile du peuple[28].

2° — Les plébéiens seuls prennent part au vote.

3° — Le plébiscite n’est point une loi populaire (lex populi) ; il n’est fait que pour la plèbe : l’assemblée n’est réunie qu’en conseil (concilium), et non dans les comices[29] : sa décision n’est qu’un avis (scitum)

4° — La loi a besoin de deux formalités, l’une préalable, les auspices, l’autre complémentaire, la confirmation par le sénat. Il n’en est point de même en matière de plébiscite.

5° — Enfin, celui-ci n’est pas obligatoire dans toute la cité; il ne lie que les seuls plébéiens[30].

Tel est l’état du droit ancien, sous la république. — Ces caractères sont, on le voit, d’une nature plutôt négative les plébiscites ressemblent sous tous les rapports à des décisions émanant de corporations séparées, au sein de la cité. État de fait, la plèbe n’est autre à l’origine qu’une grande et libre corporation (sodalitium), ayant son autonomie propre dans l’État, et usant de tous les droits reconnus aux associations par la loi publique ancienne et par la loi des XII Tables[31]. A ce titre elle s’est tout d’abord désigné des chefs, et a pris des arrêtés obligeant tous ses membres. Elle se soumet même à une quasi juridiction criminelle à l’intérieur, non pas en tant que peuple (populus), mais en vertu de son droit de légitime défense, en vertu du serment que tout plébéien a prêté, pour lui et pour tous ses descendants, de frapper l’ennemi qui fait courir des dangers à la corporation, ou attente à ses chefs. Il y a là, à vrai dire, une sorte de loi de Lynch organisée.

Que si l’on recherche les formes selon lesquelles la plèbe se constitue, délibère et vote, ou constate, qu’elle suit en cela le modèle des délibérations du peuple. Toutes les associations, tous les collèges, quels qu’ils soient, font la même chose à Rome. Le conseil plébéien (concilium plebis) se réunit à l’instar des comices populaires (comitia populi). Il suit pour les convocations le jour du calendrier patricien. L’intérêt est le même, et quand la justice, chôme, quand il y a fête publique, il ne peut pas plus y avoir conseil qu’il n’y a comices. La promulgation des motions se fait trois neuvaines (trinundinum) à l’avance, aussi bien dans l’assemblée plébéienne que dans les curies, les centuries et les tribus.

C’est par la voie révolutionnaire, lors de la sécession sur le mont Sacré, que la plèbe s’est pour la première fois organisée en assemblée distincte (260 [494 av. J.-C.]). Elle était à ce moment distribuée en centuries, puisque alors elle portait les armes ; puisqu’en se nommant ses chefs, elle leur donna des noms d’officiers légionnaires, et que ses résolutions furent votées en la forme militaire, homme par homme (concilium plebis centuriatum). Il n’en eût pu être autrement d’ailleurs : les curies n’existaient plus en dehors du pomœrium : elles étaient purement civiles ; et quant aux tribus, ce n’est que plus tard qu’elles entrèrent en scène avec des attributions politiques certaines et considérables.

Il fallait bien pourtant donner aussi à la plèbe son organisation civile : elle l’obtint définitive de la loi Publilia de 283 [-471]; dès ayant, nous voyons ses chefs nommés dans les curies. De même que plus tard on la convoquera seule dans les tribus; de même on la convoque à cet effet, par curies, mais alors à l’exclusion des patriciens qu’elles renferment. La tradition, je le sais, fait nommer les tribuns du peuple dans les comices plébéio-patriciens ; mais la tradition est évidemment dans l’erreur[32]. Les annalistes ont confondu les comices purement plébéiens d’alors avec les comices curiates ordinaires.  Quel était le mode du vote ? Nul document ne nous l’enseigne : mais la raison indique assez qu’on a suivi là, pour les rogations de toute espèce, résolutions ou jugements, la même formalité qu’en matière d’élection: la plèbe votait distribuée par curies.

Mais voici qu’en 283 [-471], sur la motion du tribun Volero Publilius, la plèbe décide que ses élections et tous ses autres votes se feront à l’avenir dans les tribus : moyen efficace, dit Tite-Live, d’enlever aux patriciens l’influence qu’ils exerçaient encore au moyen de leur clientèle[33]. En effet, comme nous l’avons vu, les tribus à l’origine ne renferment que les possesseurs et les résidents fonciers : elles excluent la foule des plébéiens sans domaine, toute cette masse mouvante d’affranchis et de gens non indépendants, dédaigneusement appelée la multitude foraine ou la plèbe urbaine (turba forensis, plebs urbana)

Une autre différence est encore à signaler dans le nouveau mode de vote. A cette époque, la curie se détermine suivant la gens ; mais la tribu est attachée au lieu de la situation du domicile foncier. Tandis que dans les curies les clients des grandes maisons votaient en masse, dans les tribus le vote est émis par les paysans d’une agglomération de bourgs et de villages. Aussi avec la loi Publilia, les vieux annalistes le disent fort bien, la lutte des ordres devient intense ; les coups suivent les coups ; la législation décemvirale, la communauté des mariages, les fonctions publiques, l’aptitude aux pouvoirs consulaires sous un autre nom, le consulat lui-même, sont arrachés successivement à la noblesse. L’opposition plébéienne avait ses racines dans la classe moyenne des possessionnés : dés qu’on en écarte les citoyens sans résidence foncière, celle-ci se montre puissamment organisée et conquiert irrésistiblement sa place.

La plèbe, en votant dans les tribus, suit la même formalité que celle pratiquée dans les curies. De même que dans les curies, elle est distribuée en un certain nombre de circonscriptions électives, qui seront successivement portées de 21 à 53, et dont l’ensemble composera le concilium tributum. Nul doute que la loi Publilia n’ait d’abord eu affaire aux quatre tribus du temps des lois et aux seize tribus portant les noms des seize gentes patriciennes primitives ; et quant à la vingt-et-unième, la tribu Crustuminienne, dont le nom rappelle la sécession de Crustumère, ou pour mieux dire, la promotion de la plèbe à l’état de corps politique, tout porte à croire qu’elle a dû sa création à la loi Publilia même, et qu’elle a eu pour objet d’assurer l’imparité du nombre, toujours nécessaire en matière de suffrages. — Du reste, le vote dans chaque tribu a lieu par tête, et à égalité de valeur pour chaque vote.

De même que parmi les curies, le sort décide de la priorité de l’appel au vote, de même les tribus y suivent le rang que le sort, leur désigne. Les centuries se convoquent militairement et hors du pomœrium, selon la loi de leur organisation ; les tribus, au contraire, comme les curies, se rassemblent civilement sur le Forum ou au Capitole : leur réunion serait nulle se tenant hors des murs. Tout cela, sauf exception dans les premiers temps des tribus[34]. Plus tard les comices civils, par curies ou par tribus, peuple tout entier ou plèbe seule, seront toujours convoqués au Forum. C’est là qu’est le local consacré, le comitium : c’est là, entre le Forum et le Comitium proprement dit, que les tribuns du peuple se tiennent debout sur la tribune aux harangues !

Ainsi les tribus plébéiennes se modèlent de tous points sur les curies : preuve nouvelle de ce fait, que les plébéiens eurent aussi leurs entrées dans ces dernières (sect. I, § 2).

Nous venons de dire le mode ancien des plébiscites : alors entre la plèbe et le peuple (plebs, populus), il y avait une grande différence, et en fait et en droit. Plus tard, les situations, quoique toujours les mêmes, seront moins tranchées. — En résumé :

1° — Les plébiscites ont toujours été votés sous la direction d’un magistrat plébéien. Une fois, cependant, il en advint autrement au rétablissement du tribunal, après le renversement des décemvirs, l’élection fut présidée par le grand pontife (patricien).

2° — De droit, les patriciens ont été exclus de l’assemblée que convoquaient les tribuns ou les édiles plébéiens. Les écrivains qui traitent du droit public de Rome, même sous les empereurs, l’ont reconnu[35].

3° — La terminologie ancienne ne change pas ; mais le plébiscite ayant acquis aussi force de loi, à côté de la loi du peuple, on citera désormais celle de la plèbe, en les plaçant sur la même ligne (ad populum plebemve ferre : comitia conciliumve habere[36]). Le plébiscite ne s’appellera jamais lex populi ; mais il sera tenu à la loi (lex plebive scitum).

4° — La loi du peuple romain a pour préalable nécessaire les auspices. Il n’en est pas de même du plébiscite Denys d’Halicarnasse l’atteste[37]. Il en est surtout ainsi pour les élections ; et Tite-Live le proclame : plebeius magistratus nullus auspicato creatur[38]. Reconnaissons pourtant que les signes célestes survenus et constatés durant l’assemblée exercèrent aussi une influence considérable sur les résolutions de la plèbe. Par exemple, le tribun la dissoudra, s’il s’élève un orage pendant le vote. Ainsi encore, en 462 [-292], les tribuns ; en 552 [-202], les édiles plébéiens résigneront leurs fonctions comme ayant été nul nommés (vitio creati). Les augures eux-mêmes peuvent d’office suspendre les délibérations plébéiennes ou leur laisser libre cours, mais c’est d’ordinaire le magistrat, directeur des délibérations, qui les arrête à la vue du pronostic ou du prodige (obnuntiatio[39]). En 600 [-154], le plébiscite d’Ælius et Fufius décide qu’à l’avenir la dénonciation faite par un magistrat, égal en pouvoirs au magistrat directeur, sera pour celui-ci obligatoire, et forcera à reporter la convocation à un autre jour. Moyen facile de dissoudre le concilium plebis, et dont il a été fait un fréquent usage au VIIe siècle, tant par les tribuns que contre eux[40] !

5° — La confirmation sénatoriale (patrum auctoritas) n’a non plus jamais été requise en matière de plébiscite : nous reviendrons sur ce  point, dans la section qui suit.

6° — le dictateur Q. Hortensius (entre 465 et 468 [-289, -286]) qui fit Voter la loi centuriate, aux termes de laquelle les plébiscites devinrent obligatoires pour tous les citoyens[41]. Il fut en rien dérogé, d’ailleurs, à la compétence des diverses assemblées : les élections continuèrent d’appartenir aux comices qui en avaient été précédemment investis : les curies gardèrent leurs attributions dans les matières intéressant les gentes : les procès capitaux furent toujours déférés aux centuries ; mais peu à peu, pourtant, la compétence plébéienne s’agrandit et se généralisa, sauf les cas particulièrement réservés. D’un autre côté, devenant l’égal de la loi, le plébiscite n’a pas juridiquement besoin de l’assentiment préalable que le sénat doit donner à la loi. C’est là un principe, que la tradition et que de nombreuses preuves confirment; mais en fait, le sénat est souvent consulté à l’avance, même par les tribuns. Ils y voient un moyen d’éviter ou une intercession ou une dénonciation qui autrement pourrait venir mettre obstacle à leur motion, avant même qu’elle ne se produise, ainsi qu’il arrivera à Tib. Gracchus et à tant d’autres. Enfin, et en 666 [88 av. J.-C.], Sylla astreint les tribuns à demander toujours l’assentiment sénatorial, avant de porter leur motion dans les tribus[42], et un plébiscite de 683 [-71] commence par ces mots : de senatus sententia[43]. Révolution toute aristocratique et qui ne pouvait durer ! L’année suivante (684 [-70]), Pompée rétablit les tribuns dans leurs anciens droits.

Mais quelle a été la force  légale du plébiscite avant la loi Hortensia, c’est-à-dire avant 465 [-269] ? Question ardue, la plus ardue même de toutes celles que nous avons à résoudre ici. D’une part, la plèbe, cela est certain, en sa qualité d’association distincte, était constitutionnellement en droit de prendre des résolutions la concernant. — a) Elle usait de ce droit tout d’abord pour l’élection de ses chefs. — b) Elle en usait dans toutes les matières d’intérêt plébéien exclusif : ainsi en fut-il du plébiscite de 260 [-494], d’où procède l’institution et l’inviolabilité des chefs plébéiens; du plébiscite Icilien qui donne garantie et protection à ses assemblées et défend de les interrompre ; du plébiscite Publilien qui retire le droit de vote dans les tribus aux plébéiens non résidents fonciers; et de toutes autres résolutions se rattachant à l’institution même de l’association plébéienne[44]. — c) J’en dirai autant de la quasi-juridiction criminelle des tribus. Il est arrivé même que la plèbe a porté sentence contre un non plébéien[45] ; mais c’était là une usurpation manifeste, une mesure extraordinaire et défensive. Le gouvernement dut l’accepter. A dater de 263 [491 av. J.-C.], et du premier procès de ce genre, celui de Coriolan, les tribuns et édiles plébéiens n’ont plus voulu demander l’assentiment du sénat préalable à la mise en accusation. — d) Bientôt la plèbe ne se renferme plus, dans les cas qui précèdent, et dés avant la loi Hortensia qui la consacre en droit, elle étend sa compétence à une foule d’affaires d’intérêt général. Citons les plébiscites Térentilien de 292 [-462], Canuléien de 309 [-445], Licinien et Sextien de 387 [-367], Ogulnien de 454 [-300]. Ils ont conquis aussitôt force de loi générale, et combattus quelquefois, ils ont toujours triomphé. Quoiqu’il en soit, même à cette époque, et jusqu’en 465 [-280], les plébiscites, sauf exception, ne constituaient pas un lien de droit, pour les patriciens. La loi Hortensia est partout représentée par les anciens auteurs comme une innovation capitale. Avant elle, ce n’est point dans la formalité que résident les obstacles mis à profit par les adversaires de la plèbe, c’est le vote même qu’ils empêchent, et cela pendant des années entières; en sorte qu’il dépendait en réalité du sénat de faire que le plébiscite fut ou non obligatoire à l’égal de la loi. Quelquefois les patriciens[46], de guerre lasse, laissent les plébéiens voter la résolution; mais une telle concession n’implique ni l’abandon de leur propre droit, ni la concession d’un autre droit à la plèbe. Donc, et en dépit de toutes les assertions contraires, assertions qu’il est facile de réfuter, ce n’est qu’après 465 [-289] que la plèbe, pour voter le plébiscite ayant force de loi générale, n’aura plus besoin de l’attache préalable du sénat. — Mais ce préliminaire lui-même, à quelle époque remontait-il ? ici nous en sommes réduits à des conjectures. Serait-ce la loi Valeria Hortensia, de 305 [-449], qui la première aurait validé les plébiscites pourvus à l’avance de l’autorisation sénatoriale ? Ne faut-il pas remonter plutôt jusqu’au plébiscite Térentilien, de 292 [-462], qui semble déjà supposer l’existence de la condition ? Remarquons cette autre disposition de la loi Valeria Hortensia, qui ordonne la remise des sénatus-consultes aux édiles plébéiens, et leur dépôt dans le temple de Cérès, formalité tombée en désuétude dans la dernière période de l’ère républicaine[47] ? Quand la force légale du plébiscite dépend de l’autorisation préalable, l’intérêt est grand pour la plèbe d’empêcher la soustraction ou la falsification des sénatus-consultes qui donnent la vie a ses résolutions ; mais à dater de la loi Hortensia, de même que, l’autorisation sénatoriale n’est plus requise en droit, de même les édiles n’ont plus de dépôt à effectuer. — Quoiqu’il en soit, l’époque où cette autorisation entre en usage en matière de plébiscite, demeure fort incertaine. Les données chronologiques précises nous manquent, et les annales sont muettes. Tout porte à croire qu’il conviendrait de s’arrêter à la loi Publilia de 283 [-491]. La tradition n’en sait pas plus long que les annales ; elle semble même admettre, avec celles-ci, sans doute, que l’autorisation préalable ait été tout d’abord une formalité substantielle de l’ancien plébiscite. On aurait ainsi voulu le mettre absolument sur le même pied que la loi curiate générale et ordinaire.

 

Section IV — Le sénat patricien sous la République

Si le patriciat n’a jamais a eu d’assemblées générales exclusives, comme nous l’avons dit plus haut (sect. II), il n’est pas moins incontestable que, tant qu’a duré la république, il y a au des réunions où, seuls, les patriciens entraient en un certain nombre : 1° pour nommer les interrois ; 2° pour autoriser les lois générales du peuple romain. Ces réunions, qui ne sont plus qu’une formalité extérieure dans les derniers temps républicains, remontent aux origines mêmes de la constitution. S’il est vrai de dire qu’à en retracer les règles au temps de Cicéron, où elles avaient perdu leur importance, il n’y a pas grand profit pour l’intelligence des institutions politiques des époques historiques ; du moins, ouvre-t-on par là quelques aperçus utiles sur le droit public des époques lointaines où ces institutions ont pris naissance, et ont vécu et fleuri. On y gagnera surtout de constater exactement quels ont été les privilèges originaires des patriciens, quelle a été la constitution même du patriciat.

A. L’interrègne (interregnum)

Sur l’institution de l’Interroi, il existe deux versions chez les anciens annalistes. Les uns se rattachent à la chronique fabuleuse ou conventionnelle de Rome. A les entendre, l’interrègne s’est produit pour la première fois à la mort de Romulus ; et ils racontent en grand détail comment alors il y fut pourvu. Les autres, se renfermant dans les faits certains des temps historiques, disent comment la nature des choses a amené les interrègnes, et se contentent d’énumérer pour les temps plus anciens les noms d’interrois dont l’intercalation est nécessaire, à raison des variations de l’année officielle des magistratures d’une part, et de la continuité de la chronologie, d’autre part.

Suivant Tite Live, Denys d’Halicarnasse et Plutarque, le sénat (exclusivement patricien) se réunit à la mort de Romulus, et se partage en dix décuries, figurant le nombre primitif des cent pères (centum patres). Dans chaque décurie, le sort désigne alors un décemvir ; et les dix décemvirs gouvernent (singulis in singulas, decurias creatis qui summœ rerum prœessent) à tour de rôle, se repassant tous les jours et les faisceaux et le pouvoir, dans l’ordre aussi réglé par le sort (decem imperitabant, unus cum insignibus et lictoribus erat ; quinque dierum spatio finiebatur imperium[48]). — L’interrègne devait durer cinquante jours. Au-delà de ce terme, un nouveau collège de décemvirs était tiré au sort, et ainsi de suite jusqu’à épuisement du sénat (per omnes in orbem ibat, centum pro uno domino foatos). C’était donc le sénat, à vrai dire, qui régnait durant la vacance.

Cette, version de Tite-Live et des autres écrivains à la suite repose évidemment sur d’anciennes données parfaitement concordantes ; mais elle est en contradiction avec les faits. D’une part, comment concilier l’interrègne d’une année assigné par Tite-Live, quand on voit les décemvirs institués pour cinquante jours seulement, mais pouvant se perpétuer pendant cinq cents ? Et puis, s’il est dit dans la légende que Romulus avait appelé cent pères au conseil, n’y est-il pas dit aussi qu’après l’entrée des Sabins dans Rome, leur nombre avait été porté à deux cents ; et qu’enfin Tarquin l’Ancien fit du chiffre trois cents le chiffre normal du sénat ? Il y aurait donc eu au moins deux cents sénateurs à la mort de Romulus.

Il ne faut voir, dans la chronique, que l’exposé tant bien que mal conçu des institutions politiques dans leur forme ancienne, sans trop se préoccuper des faits légendaires : à ce compte l’interrègne appartient assurément à l’ancienne constitution patricienne.

Quant à la version postérieure et historique, elle assigne la constatation de l’interrègne et la nomination du chef de l’État, dans cette circonstance, au sénat, suivant les écrivains grecques[49] ; suivant les Latins[50] aux pères (patres), ou même aux patriciens (patricii)[51]. Il est clair, en effet, que comme l’interroi est toujours un patricien, les plébéiens n’ont jamais à prendre part à sa nomination. Sous ce rapport la relation historique est conforme à la donnée légendaire. Mais de là aussi il faut conclure non seulement à l’existence du sénat exclusivement et nécessairement patricien, ce qui est un point d’ailleurs acquis, mais aussi à l’installation de l’interrègne par les sénateurs patriciens ou par le patriciat. Ici commence la divergence. Suivant la légende, le Sénat nomme l’interroi, et le prend dans son sein : selon la version historique, il est institué par le patriciat tout entier. Certainement le mot pères, dans la langue usuelle, a signifié tantôt le sénat, tantôt les patriciens ; mais à l’origine, il n’a eu ni l’une ni l’autre de ces deux acceptions. Il a désigné très strictement le sénat patricien ; excluant à la fois et les patriciens non sénateurs et les sénateurs plébéiens. Les patres sont les cent conseillers choisis par Romulus ; les patricii ne sont que leurs enfants et descendants non sénateurs ; et quand les sénateurs plébéiens leur sont adjoints, la langue juridique les appelle tous du nom de patres [et] conscripti[52]. La racine des deux mots patres et patricii était la même, la signification différant, on le voit, beaucoup. Par suite, nous devons tenir aussi pour constant que ce sont les pères sénateurs seuls (le sénat patricien) qui ont pourvu d’abord aux interrègnes ; Cicéron l’indique formellement : lorsqu’il n’y aura plus ni consuls, ni magistrature, dit-il, les pères prendront les auspices, et tireront de leur sein celui qui, les comices convoqués en due forme, fera élire les nouveaux consuls[53]. — Nous n’insistons pas sur les raisons tirées d’ailleurs des faits et des vraisemblances, et qui viennent confirmer notre interprétation. Remarquons enfin que chez les historiens grecs de Rome, le mot πατριχιος est synonyme de sénateur.

Donc le sénat patricien a eu la nomination de l’interroi. Après la république fondée, les sénateurs patriciens étant de jour en jour moins nombreux en face des plébéiens conscripti, leurs décuries s’amoindrirent de même ; et, tout en subsistant encore, l’institution patricienne exclusive perdit elle-même dans le sénat son ancienne importance. Il n’y avait pas de magistrat spécial pour convoquer séparément les sénateurs patriciens ; et l’on vit bientôt les tribuns du peuple exercer par le droit d’intercession une influence décisive en cas d’interrègne. Le plébiscite Licinien-Sextien leur avait conféré le droit de provoquer le sénatus-consulte de interregno. Leur motion à ce sujet devenant la règle désormais ils conquirent par là le droit de casser la décision sénatoriale, et de mettre obstacle à l’interrègne. Le sénat patricien ne revendiqua plus son ancien droit de façon à le faire triompher ; et l’on, voit, dans les derniers temps de l’ère républicaine, en 702 [52 av. J.-C.], le tribunat s’opposer au dernier interrègne tant et si longtemps, qu’il n’y a pas d’interrois nommés, et que l’intercession elle-même prend un jour finn, de guerre lasse.

B. De la confirmation des lois.

Il un est ici de même qu’en matière d’interrègne. La plus ancienne loi (lex popali rom.) n’appartient pas au règne de Romulus (on sait qu’il donna ses lois toutes faites au peuple[54]) ; mais, elle est rendue précisément pour l’institution du second roi. On raconte que le peuple ayant alors élu son successeur, les pères auraient confirmé l’élection. De là le droit qu’ils exercent par la suite.

Ici encore par le mot pères, il faut entendre le sénat patricien. Les anciens auteurs mettent sur la même ligne, à raison de l’analogie et à raison des faits, et l’interrègne et l’autorisation ou ratification légale (auctoritas patrum)[55]. Plus tard, patrum auctoritas sera même pris quelquefois dans le sens de sénatus-consulte.

L’autorisation sénatoriale patricienne est requise pour toutes les lois votées en assemblée du peuple, dans les comices curiates ou centuriates, et aussi dans les assemblées des tribus plébéiennes, présidées par un patricien[56], en matière d’élection, comme de législation proprement dite. — Elle n’est pas nécessaire quand le peuple n’est convoqué qu’à titre de témoin pour l’inauguration du roi des sacrifices et dit flamine majeur, par exemple, ou pour promettre son obéissance, et reconnaître l’Imperium du magistrat suprême. Il on est de même de la faction du testament dans les curies, à moins qu’elles n’aient un vote à émettre, comme en matière d’adrogation. Elle n’a pas non plus à intervenir lors de la désignation du dictateur par les consuls.

Quelle était la portée de cette autorisation sénatoriale ? Le sénat patricien pouvait-il la refuser ou la donner suivant son bon plaisir ? Certains le croient, et en cela ils se trompent. C’eût été mettre le droit d’annulation du vote populaire dans la main du sénat. On cite bien cinq exemples de résistance ou de refus : en 305 [-449], à l’occasion des lois Valeriœ-Holraciœ ; en 388 [-366], lors de l’élection du premier consul plébéien ; en 397 [-357], à propos d’une loi votée au camp ; en 450 [-304], alors que le magistrat directeur de l’assemblée avait rayé un plébéien porté sur la liste de candidature ; et enfin, en 545 [-209], lors de l’élection du premier curion plébéien[57]. — Mais qu’on se donne la peine d’examiner de près les questions alors en litige, on verra qu’elles touchaient toutes à des points essentiels du droit public ; aussi est-il vrai de dire que si la faculté de l’autorisation avait pour corollaire la faculté du refus, il n’était permis au sénat d’en faire usage qu’au seul cas d’inconstitutionnalité, comme quand, par exemple, pour l’élection d’un plébéien, il y avait incompatibilité entre sa fonction et sa condition plébéienne, au point de vue du droit des auspices.

En 415 [-339], la loi Publilia est rendue ; et, dans la seconde moitié du Ve siècle, la loi Mœnia, relative non pas seulement aux votes législatifs populaires, mais aussi aux élections, dispose que l’autorisation sera préalable[58] ; nouvelle atteinte portée aux droits sénatoriaux.

Au résumé, le droit, d’autorisation est exercé comme celui des augures, qui eux aussi donnent ou refusent l’auctoritas en cas de violation des formes religieuses[59] ; et même, on voit le patriciat, quand il a été vaincu sur le terrain purement politique, s’efforcer jusque dans les derniers temps républicains de reconquérir son influence perdue, au moyen des pratiques augurales. Quand la noblesse patricio-plébéienne a remplacé le patriciat pur, le collège des augures est aussi ouvert (vers le milieu du Ve siècle) aux nobles plébéiens et le droit, de cassation est transféré, tout aussitôt à ce collège : il n’appartient plus qu’en sous-ordre au sénat patricio-plébéien.

En quelle forme était-il procédé à l’autorisation ? Tout indique qu’on suivait les voies ordinaires des délibérations : l’autorisation constituait, d’ailleurs la plus ancienne et la plus importante des attributions sénatoriales. Le magistrat patricien qui portait la motion devant le peuple, demandait ensuite la ratification du vote. Après les lois liciniennes, la même requête dut être portée par le magistrat, alors plébéien, que la réforme avait investi de fonctions jadis exclusivement patriciennes. — Avons-nous besoin de rappeler aussi que si, dans l’origine l’auctoritas était vraiment une ratification postérieure de la loi votée par les comices[60], elle se transforme plus tard en une simple autorisation préalable et éventuelle[61] ? Le mot auctoritas [d’augere] exprimait aussi l’a ratification complémentaire. Elle avait toujours, lieu par acte séparé.

Un dernier mot encore, on a souvent soutenu que l’auctoritas et que la loi curiata de imperio ont été une seule et même chose. Il est vrai que, pour en arriver là, on fait du mot patres le synonyme de patriciat, et qu’enfin on confond le patriciat avec les curies. Niebuhr s’est fait l’avocat de cette thèse inadmissible[62]. Déjà combattue et réfutée par Huschke[63], par Rubino[64] et par d’autres excellents critiques, elle a trouvé accueil dans bon nombre d’écrits sur le droit public de Rome. Nous ne reviendrons pas sur tout ce que nous avons dit plus haut (sect. I, § 2). Nous croyons avoir établi que les curies étaient ouvertes à tous les citoyens de l’un et de l’autre ordre ; nous avons démontré tout à l’heure que le mot patres ne désigne que le Sénat patricien. Mais, dit-on, comment expliquer le passage du de Rep. de Cicéron, où à la place de l’élection du second roi, ratifiée suivant la forme décrite par Tite-Live, le grand orateur dit que cette élection fût confirmée par une loi curiate de imperio ? Je n’y vois, quant à moi, nulle difficulté. Cicéron cumule deux ordres de faits législatifs dans le passage en question ; le peuple élit d’abord Numa, avec l’autorisation du sénat (Nunam regem patribus auctotibus sibi ipse populus adscivit). Mais Numa, quand il arrive à Rome, ne se contente pas de sa nomination complète et parfaite aux yeux de la loi : il fait encore voter une loi curiate qui lui confère surabondamment l’imperium (qui ut huc venit quamquam populus curiatis eum comitiis regem esse jusserat, tamen ipse de suo imperio curiatam legem tulit). Ce serait étrangement confondre les mots, le droit et l’histoire, que d’identifier la loi (lex) qui émane de tout le peuple, et l’auctoritas qui ne procède que d’une partie du peuple, du sénat patricien tout seul.

 

Section V — Le Sénat patricio-plébéien sous la République

Au dire des annalistes, la fonction du Sénat ou Conseil des Anciens (Senatus) est double. En cas de vacance il exerce la puissance royale, il rejette ou confirme les résolutions du peuple. — En second lieu, il a qualité et devoir, pour donner au roi l’avis que celui-ci lui demande. Quand le roi ou les chefs de l’État gouvernent, le vicariat du Sénat repose, et sa mission se concentre dans les deux offices de la ratification des lois, et du conseil (auctoritas, concilium)[65]. Après les rois, sous la république, les deux attributions se divisent encore la ratification légale appartient aux seuls patriciens sénateurs (patres), le droit de conseil à tout le sénat, ancien et nouveau (pères et conscripti). Le plébéien qui n’a pas la capacité pour occuper les grandes charges, n’a pas non plus celle de ratifier les lois votées ; en revanche, il peut très bien donner, un avis, que le magistrat suprême, après tout, est libre de suivre ou de rejeter.

Nous serions entraînés au delà de notre cadre, si nous voulions pousser ces détails plus loin, et montrer comment le droit de confirmation ou ratification sénatoriale des patriciens ayant dégénéré en formalité pure, le droit de conseil du sénat patricio-plébéien, au contraire, à peu à peu gagné en importance, et conquis enfin aux conseillers le pouvoir souverain dans la république.

Nous ne voulons faire ici qu’énumérer les privilèges appartenant au sénat mixte.

Rappelons rapidement que le sénat, purement patricien sous les rois, et reçu l’adjonction de nombreux plébéiens à la fondation de la république. Par voie de conséquence, si pendant la monarchie la dignité sénatoriale et le patriciat ne faisaient qu’un, il n’en sera plus de même désormais. L’admission au sénat ne change plus l’état du citoyen élu ; s’il est patricien, il se place parmi les sénateurs patriciens ; s’il est plébéien, il reste tel.

Mais quelle différence y avait-il entre les patriciens et les plébéiens dans le sein du sénat ? Ici la question devient complexe ; et nous nous la poserons d’abord, en ce qui touche a) l’admission même dans le Sénat : b) puis en ce qui touche les droits dont les sénateurs étaient investis.

a) Admission au Sénat. — Le même mode de procéder parait avoir été suivi à l’égard des citoyens des deux ordres. Dans les temps plus récents, et surtout aux termes du plébiscite Ovinien, de peu d’années postérieur, ce semble, aux lois licitiennes, les censeurs portent sur les listes, d’abord les sénateurs de la liste ancienne, puis les citoyens ayant, depuis sa confection, occupé une charge curule, à moins que de sérieux motifs ne les fassent exclure, et auquel cas ces motifs doivent être énoncés. Que s’il reste ensuite des places vacantes pour arriver au chiffre de trois cent, les censeurs ont la pleine liberté du choix. Avec le temps, les charges inférieures, jusqu’à la questure inclusivement, conférèrent l’aptitude à la dignité sénatoriale. On voit par tout cela que la noblesse n’a plus le monopole des candidatures nobles ou plébéiens, peu importe les censeurs élisent les candidats à raison de leur tut rite ou des services tendus[66].

Avant le plébiscite Ovinien, s’il faut en croire la tradition, c’était aux consuls que compétait le droit d’élire qui il leur semblait bon. Nulle part nous ne voyons qu’il ait été exclusivement réservé de places aux patriciens ils n’ont même pas eu la majorité au lendemain de l’appel des conscripti : dès cette époque, on en compte 136 seulement, contre 164 plébéiens. Seulement les 136 patriciens représentent encore les antiques gentes nobles auxquelles ils appartiennent, même quand ils sont nouveaux élus : les plébéiens, au contraire, ne se rattachent à rien, et dépendent entièrement du pouvoir arbitraire d’élection laissé au consul.

b) Droits des sénateurs patriciens. - En ce qui touche les privilèges assurés aux sénateurs patriciens, les documents ne nous manquent pas, quoiqu’ils aient été jusqu’ici bien peu mis à profit.

Tout d’abord, les plébéiens n’ont pas le titre de pères appartenant exclusivement à ceux-ci : ils ne sont qu’inscrits à titre de sénateurs complémentaires (conscripti ou adlecti)[67].

Le costume extérieur distingue les sénateurs entre eux, en ce que ceux qui sont patriciens portent le soulier ou la bottine rouge (calceus patricius), nouée par des cordons noirs, que retient la lunule ou croissant d’ivoire[68]. Il est probable aussi que, longtemps encore après l’admission des plébéiens, les sénateurs de l’ordre noble ont porté seuls la tunique laticlave ou à large bande de pourpre, tandis que leurs collègues sortis de la plèbe portaient celle dite augusticlave [à bande étroite, comme les chevaliers[69]].

Ainsi le titre et le costume diffèrent. Pourquoi ? Si ce n’est qu’à raison de leur origine inférieure, les conscripti n’ont pas à prendre part aux actes sénatoriaux, quand il s’agit de commander et d’autoriser. — La même où il s’agit de délibérer seulement ils se placent aussi au second rang. Les premiers qui donnent leur avis sont les anciens magistrats, ou les magistrats désignés, dans l’ordre même de leurs fonctions : quant à ceux qui fi ont point occupé de charge, ou ne sont pas fonctionnaires désignés, quant aux pédaires (senatores pedarii) comme on les appelle[70], ils n’opinent point. Seulement au moment du vote, ils prennent part à la division. Quant aux magistrats en exercice, ils assistent à la séance sans y voter. Ces règles sont fort anciennes, quoique non contemporaines de la fondation de la République et encore moins des Rois ; elles sont restées toujours en vigueur. D’ailleurs et en suivant l’ordre ci-dessus, les patres sont appelés au vote avant les conscripti. Témoin le prince du sénat (princeps senatus) qui toujours est un patricien[71], et même doit appartenir à l’une des plus anciennes gentes patriciennes[72]. De même sous les empereurs, dans les sénats des municipes, les patrons de la ville seront appelés selon leur rang dans leur classe, soit sénatoriale (clarissimi viri), soit équestre[73].

Pour nous résumer, et remontant aux premiers temps de la République, voici les règles qui furent, ce nous semble, alors suivies.

A. Le Sénat était partagé en curies (curiatim) conformément à sa première origine, et en maintenant les droits de priorité de rang appartenant aux dix curies ramniennes sur les vingt curies des Titiens et des Lucères[74]. D’ailleurs les curies ne furent plus représentées en nombre égal, puisque l’appel au sénat dépendait du choix du roi ; puis, plus tard de celui des censeurs.

B. La liste du sénat comprenait tous ses membres, les patriciens placés en tête, les plébéiens nommés après eux. Le mot conscripti l’indique assez.

C. Tous les patriciens sénateurs avaient droit d’avis motivé et de discussion à l’origine. Il n’en est pas de même des plébéiens ; et plus tard, ils ne l’ont obtenu que pour ceux ayant occupé les charges curules. On comprend que le sénat étant purement patricien sous les Rois, tous ses membres y aient eu la parole. Quant aux conscripti ou pedarii (ce qui est même chose) ils’ ne furent appelés, on vient de le voir, qu’à titre, de complément, et quoique choisis primitivement parmi les chevaliers, ils ne furent pas d’abord regardés comme des sénateurs, à dire le vrai[75]. — Maintenant et parmi les patriciens, rien de plus facile à concevoir que l’ordre de vote adopté sous la République. Les consulaires parlent d’abord que si un non sénateur arrive à une charge curule, il est provisoirement aussi investi du droit de discussion et du vote. Il tient de la qualité de patricien une aptitude innée[76], que ne possède pas le plébéien. Celui-ci écoute et ne parle pas ; puis il se range du côté de ceux dont il partage l’opinion. Mais surviennent les réformes : des magistrats sont créés ayant la puissance consulaire, sans porter les noms de consul. Décemvirs ou Tribuns militaires, incontestablement, ils réclament et obtiennent le vote[77]. Le mutisme des plébéiens a duré jusqu’en 388 [-366], c’est-à-dire pendant un siècle et demi à dater de leur entrée dans le sénat. Puis les lois liciniennes et autres leur ayant successivement ouvert le consulat et les charges curules, les plébéiens consulaires ont enfin la parole, et votent avec les consulaires patriciens. C’est ce résultat qui est un jour consacré légalement, par le plébiscite Ovinien.

Enfin, et quant au patricien non revêtu, de charges curules, si dans l’ancien temps, il est certain, comme nous l’avons dit, qu’il a été appelé au vote, il parait certain aussi que, dans les siècles postérieurs, il a été peu à peu repoussé sous ce rapport dans la classe des pédaires.

Tels ont été les privilèges des sénateurs patriciens : tel l’ordre du vote, au commencement, puis à la fin de la République.

 

Section VI — Les citoyens et le Sénat dans les temps antéhistoriques

Laissons de côté maintenant la constitution républicaine historique, et les institutions successivement réformées ou modifiées qui s’y rattachent ; et remontons aux époques primitives et légendaires.

Nous avons devant nous, comme toujours, des patriciens et des plébéiens, composant les assemblées générales populaires. En dehors d’autres réunions sans caractère ni droits politiques (contio, conventio), ces assemblées constituent les comices (comitia calata), où les citoyens assistent comme témoins de certains actes publics ou privés, où ils viennent promettre fidélité au magistrat, et où ils délibèrent et votent. Là sont consacrés les rois et les trois hauts pontifes[78] ; là sont proclamées les dernières volontés du père de famille, et la nomination des nouveaux sénateurs. — La promesse de foi et hommage y est prêtée au regard de tous les magistrats, grands et mineurs, à l’exception de l’interroi. Du reste, l’hommage n’est point légalement indispensable ; il n’est qu’une utile confirmation des pouvoirs conférés au magistrat[79]. — Enfin le peuple se réunit pour délibérer et voter, soit en matière d’élection, soit qu’il s’agisse d’une cause criminelle sur appel (provocatio), soit encore qu’une loi ait été proposée.

L’assemblée est civile ou militaire : civile, elle a lieu dans les comices curiates (des 30 curies) ; militaire, dans les comices centuriates (des 193 centuries), tous les citoyens de tous ordres y étant d’ailleurs convoqués. Aux curies appartiennent plus spécialement les affaires où le peuple este en témoignage, et les actes de foi et hommage (lex curiata de imperio). Quant aux actes législatifs, les curies n’en connaissent que dans certains cas, lorsqu’un citoyen va entrer en vertu d’une loi dans une autre gens, par adrogation par exemple, ou lors qu’ayant perdu la gens ou la cité, elles vont lui être restituées. Les curies n’ont enfin rien à voir aux élections des magistrats, et à l’institution des tribunaux populaires. Ces dernières attributions appartiennent au contraire aux centuries, lesquelles à leur tour, restant d’ordinaire étrangères aux actes de formalité pure, sont cependant aussi convoquées pour l’ouverture et la clôture solennelle du cens, et pour la consécration des prêtres des divinités guerrières, Mars et Quirinus. Devant elles aussi, en face de l’ennemi, le soldat citoyen peut faire son testament [testamentum in procinctu].

Dans les curies, quand elles témoignent, ou quand elles prennent une résolution : dans les centuries, quand il y a inauguration, la présidence revient de droit au Grand, Pontife : il a ses licteurs curiaux. — Que si les curies sont réunies pour la foi et hommage, le consul les préside, lui, ou le magistrat mis en son lieu et place. Dictateur ou interroi, il en est de même pour les centuries, sauf au cas unique de consécration sacerdotale dont nous avons parlé ci-dessus.

De tout cela, il résulte, ce qui a été constaté souvent, qu’après avoir été les plus importants d’abord, les comices par curies se sont peu à peu éclipsés, et que les comices centuriates au contraire ont conquis le premier rang. Le militaire l’a emporté sur le civil, base première et plus ancienne de la cité, cependant. Les curies ne conservent que les attributions tenant essentiellement à l’organisation primitive, la promesse d’obéissance au magistrat civil, notamment. Elles gardent les actes tenant à l’organisation de la gens et de la famille, les testaments, l’adrogation, parce que les centuries n’ont rien à voir dans ce qui touche à la gens et à la famille. C’est là tout ce qui leur reste d’une compétence infiniment plus étendue au début. Les centuries, qui votent naturellement la déclaration de guerre, et qui assistent au testament militaire, enlèvent peu à peu aux curies les élections, les appels, et les lois. Aussi la tradition, conforme en cela au fait vrai, fait les unes postérieures aux autres : elle attribue les curies à Romulus, les centuries à Servius. Les curies sont démocratiques, les centuries tiennent visiblement de la timocratie. Les premiers citoyens sont tous patriciens, en ce sens que leurs droits sont égaux, et que, par suite, une sorte de démocratie pure les régit. Plus tard, il s’est formé une plèbe citoyenne : vis-à-vis d’elle, leur condition devient aristocratique ; la lutte s’engage et le régime patricio-plébéien se fonde. Dans les centuries, si le privilège aristocratique ne domine, plus absolument du moins l’avantage y reste à la richesse.

Le Conseil des anciens ou sénat est également une institution primitive. Quand il admet des plébéiens dans son sein, il ne les admet qu’à titre de conseil (concilium). Le pouvoir ratifiant, l’autorité reste aux sénateurs patriciens. Le sénat se complète en cas de vacance par les nominations laissées au choix des hauts magistrats ; mais leurs attributions ne sont pas sans contrepoids. De même qu’à l’origine la Cité se compose d’un certain nombre de familles ou gentes, dont les chefs ou pères ont entrée au sénat, dont les membres enfants et descendants, sont patriciens, et dont la clientèle constitue la plèbe[80], de même la cité grandit en conservant son cadre. De nouvelles gentes sont reçues à côté des anciennes : leurs chefs entrent d’emblée dans le sénat et leurs clients tombent dans la plèbe, tandis que leurs membres se glissent dans l’ordre noble. Ainsi en est-il des Albains, sous Tullus ; ainsi en est-il de la famille Claudia plus particulièrement[81]. Les gentes ont donc un droit de représentation sénatoriale, dont jusqu’à un certain point, les magistrats électeurs tiennent compte. Et leurs représentants sont désignés sous le nom  de patres majorum ou minorum gentium, suivant le rang des familles auxquelles ils appartiennent. Nous produirions facilement d’autres preuves s’il en était besoin. Donc au regard des gentes, comme au regard du roi, l’ancien sénat patricien diffère essentiellement du sénat mixte postérieur. Tandis que celui-ci n’est plus en rapport avec l’antique organisation des familles, et que le choix du magistrat électeur y fait loi, le sénat primitif est au contraire l’expression vraie du système des gentes : le roi, qui élit les nouveaux sénateurs, voit son choix circonscrit dans les familles patriciennes et il ne peut leur donner à chacune qu’une place. Quant aux plébéiens, privés de tous les droits de cité d’abord, ils ne les acquièrent que plus tard, et par une autre voie, que les familles reçues au patriciat. Les chefs de celles-ci sont admis à leur tête, et avec elles au titre de citoyens ; les plébéiens au contraire, n’ont pas la gens. Ils sont ou non libres ou affranchis et clients ; ils se rattachent par les liens de la servitude ou de la subordination aux familles patriciennes ; et quand ils obtiennent la cité, elle ne leur est pas concédée en masse, comme aux Albains, comme à la gens Claudia. Appelés à l’assemblée du peuple, au sénat même, ils sont dans ce dernier cas l’objet d’un choix purement individuel sans relation avec leur famille ; et ils ne prennent point part active aux débats. — Mais, refoulés ainsi dans une condition inférieure, ils savent bientôt mettre à profit les principes et les droits de leur libre association : ils se constituent en plèbe fortement organisée en État dans l’Etat, et conquièrent enfin l’égalité civile et politique après deux siècles de combats acharnés.

Ce n’est pas tout. Le sénat patricio-plébéien sous la République, commence par n’avoir, en quelque sorte que voix consultative : le sénat primitif a, lui, voix consultative et délibérative tout ensemble. Il participe à la puissance légiférante, en ce sens qu’il autorise ou rejette les résolutions qui lui sont rapportées. Nous nous sommes déjà expliqués là-dessus. Il constitue une véritable cour de cassation législative. Il est un collège organisé pour maintenir la constitutionnalité en cette matière, et sa ratification est substantiellement requise à l’égal de l’assentiment préalable du roi. Le collège des interrois est pris dans son sein ; chaque sénateur a donc en lui le principe de la fonction suprême et l’aptitude à cette fonction : de là, ses insignes. Le roi porte la toge toute de pourpre, ou à bandes de pourpre ; de même la toge du premier magistrat de la République est laticlave ; le sénateur porte également la tunique laticlave en dessous. La chaussure royale est une bottine haute, le mulleus : la magistrat républicain porte la solea[82], et le sénateur le calceus patricius ; qui tous les trois, de hauteur différente, sont toujours de couleur rouge, tandis que la chaussure du vulgaire est noire.

Oublions maintenant pour un instant le sénat patricio-plébéien des temps républicains légendaires, et celui dont la création remonte à la fondation de la république même : plaçons-nous au sein de la cité primitive, alors que règne la constitution des gentes ; alors que celui-là seul est citoyen, qui est membre d’une gens. Que trouvons-nous ? Une société politique ayant son chef à vie, son roi à sa tête ; son assemblée du peuple ; et pour troisième pouvoir, son Conseil des anciens, modérateur à la fois du pouvoir royal et du pouvoir populaire. Les gentes furent de véritables et libres corporations, à l’origine ; et, leurs droits se perpétuant jusque dans les temps historiques, on les vit se réunir encore, tantôt pour statuer sur l’exposition des enfants, tantôt pour donner un nom à tel de leurs membres, ou pour toute autre cause. Qui oserait soutenir qu’à cette antique époque, qui n’est plus pour nous que ténèbres, ce ne sont pas les gentes aussi qui ont envoyé au sénat les pères chargés d’y représenter chacun d’elles dans le conseil du roi ? — Quoiqu’il en soit, ces temps d’indépendance absolue n’ont pas duré, si jamais ils ont existé ; et le roi bientôt a eu l’élection du sénateur pris dans la gens. Mais à l’heure où la République fut fondée, il demeura au fond des traditions ou des institutions sénatoriales un élément patriarcal et aristocratique assez puissant pour résister deux cents ans à l’assaut des plébéiens !

Cet élément aristocratique, ni les autres historiens et hommes d’État qui ont jugé la constitution romaine, ni moi-même, dans mes autres récits, nous n’en avions tenu compte, peut-être ; aussi ai-je cru faire chose utile en le remettant aujourd’hui en pleine lumière.

 

 

 



[1] Cicéron, de Domo, 14, 38 — Tite-Live, 6, 41.

[2] Sex suffragia appellantur quœ sunt adjecta ei numero centuriarum, quas Priscus Tarquinius constituit.

[3] Fête des fours, fondée, dit-on, par Numa, en l’honneur de la déesse Fornax. Elle se célébrait en février, dans toutes les curies à un jour variable indiqué par le curio maximus, et sous sa direction. (V. Preller, Mythol. p. 405, et Smith, Dict. hoc v°) — Ovide, Fest. 2, 526 etc.

[4] Sic : S. August. Comment. 121 Psalm., § 7. — Paul. Diaconus : v° centumviralia p. 54 : cum essent Romœ XXXV tribus, quœ et curiœ sunt dictœ  et v° curie, p. 49 :  Romulus populum distribuit (in curias) numero XXX, quibus postea additœ sunt quinque, ita ut in sua quisque curia sacra publica faceret feriasque observaret.

[5] Ovide, Fest, 2, 511 et Sq.

Stultaqe pars populi quœ sit sua curia nescit,

Sed facit extrema sacre relata die.

[6] Il suffit de citer ici comme autorités : Cicéron, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse : suivant les deux premiers (Cicéron, de Rep. 2, 8, 14, 12, 23. — Tite-Live, 1, 8), cent hommes notables choisis dans la masse du peuple formèrent le Sénat, et constituèrent le patriciat par leur descendance. N’est-ce point là la noblesse héréditaire.

[7] V. Cicéron, pro Planco, 3,8, comparé avec de Domo, 14, 38 : les comitia populi du premier passage ne sont autres que les comitia centuriala et curiata du second : et le peuple qui vote dans les curies est le même que celui qui vote dans les centuries. — Les sacra pro curiis ne sont autres que les sacra publica (Fest. v° publica sacra, p. 245 ; v° curiœ : p. 49) — L’adrogation devant les curies s’appelle toujours adoptio per populum (v. aussi Tacite : Ann., 42, -41, et Aul. Gell., 15, 27).

[8] V. Orelli-Henzen, 3685. Un soldat appartenant à la tribu Voltinienne, étant transféré, par Vespasien, de Philippes en Macédoine à Reate (Rieti), y entre dans la tribu Quirina. — Grotefend : imp. Rom. trib. descriptio, p. 45.

[9] Varro, de re rust. 3, 2, 2. — Cicéron, ad famil., 7, 30, 1.

[10] Gaius, I, 3, patricii dicebant se plebiscitis non teneri, quia sine auctaritate eorum facta essent.

[11] Tite-Live, 6, 42.

[12] Tite-Live, 7, 16.

[13] Tite-Live, 27, 8.

[14] Aul. Gell. 7 (6) 9.... eumque pro tribu œdilem curulem renuntiaverunt.

[15] Tite-Live, 8, 17.

[16] Voir des appels de ce genre dans Tite-Live, 37, 51, 40, 42. — Cicéron, Philippiques, 11, 8, 48. — Fest. v° Saturno, p. 343.

[17] Pro Planco, 3, 7.

[18] Aul. Gell. 13, 15.

[19] Tite-Live, 3, 55-67 — Denys. 11, 45.

[20] Tite-Live, 8, 12.

[21] Ici M. Mommsen établit que jamais dans la langue du droit public on n’a dit à Rome lex tributa, comme on disait lex curiata, centuriata ; que l’expression technique était quod tributim populus jussit ; et que Tite-Live et Denys, qui n’étaient grands jurisconsultes ni l’un ni l’autre, ont parfaitement pu, n’y regardant pas de près, substituer le mot plebs au mot populus. La confusion était sans importance dans la pratique, à dater du jour, où les plébiscites devenaient aussi loi obligatoire pour tous.

[22] M. Mommsen, dans son Histoire romaine, y défend encore l’opinion qu’il vient aujourd’hui combattre. De même qu’alors nous ne partagions pas son avis, tout en la respectant, de même nous nous rangeons aujourd’hui avec lui parmi ceux qui pensent que les patriciens n’ont jamais eu d’assemblée séparée, sous le gouvernement républicain. La sect. II, dont nous donnons ici le résumé, importante à tous égards, le devient surtout à titre de rectification.

[23] Popa : populari, t. I, chap. V

[24] Plebs a populo eo distat quod populi appellatione universi cives significantur, connumeratis etiam patriciis ; plebis autem appellatione sine patriciis celeri cives significantur.  Gaius, I, 3. — On trouve dans Aul. Gell. (10, 20) une définition pareille, empruntée au jurisconsulte Capiton.

[25] Chez nous les expressions homme du peuple, être du peuple, par exemple, ont cette signification bien connue.

[26] M. Mommsen cite et discute ici les sources dans une longue note p. 170 et suiv. des Rœm. Forsch. à laquelle nous nous contentons de renvoyer le lecteur plus curieux.

[27] Dion Cassius, 43, 47. 45, 2. 56, 22. — Suétone, Cœsar, 41. — Tacite, Annales, 11, 25.

[28] Festus, p. 293. Scita plebei appellantur ea, quæ plebs suo suffragio, sine patribus, jussit, plebio magistratu rogante — Aul. Gell. 15, 29 : Tribuni neque advocant patricios neque ad eos ferre ulla de re possunt. — [On pourrait citer d’autres textes, encore].

[29] A. Gell., ibid. : is qui non universum populum, sed partem aliquam adesse jubet, non comitia, sed concilium edicere debet.

[30] A. Gell., loc. cit. : quibus rogationibus antea patricii non tenebantur.

[31] Dig., 47, 22,4. Gaius, libro IV, ad legem XII Tabul. : (sodalibus) potestatem facit lex, pactionem quam velint sibi ferre, dum ne quid ex lege publica corrumpant.

[32] V. Zonaras, 7, 17, p. 63, éd. de Bonn. — Cicéron, pro Cornel., dans Asconius, p. 76.

[33] Liv. 2, 56 : Haud parva res sub titulo prima specie minime atroci ferebatur, sed quœ patriciis omnem potestatem per clientum suffrogia creandi quos vellent tribunos auferret.

[34] M. Mommsen cite effectivement quelques réunions tenues sur l’Aventin, dans le pré flaminien, et au champ de Mars. Une fois même les tribus votant au camp sous Sutrium (en 397 [-357]). Tite-Live, 7, 16. — Mais c’est là précisément l’occasion d’une prohibition formelle pour l’avenir, et d’un retour à la règle. — Jusqu’au temps des Gracques, c’est au Capitole qu’a lieu l’élection des chefs du peuple.

[35] Lœlius Felix, cité par A. Gell. (15, 27).

[36] Cicéron, ep. ad famil. 8, 8, 5.

[37] 9, 41. 10, 4. 9, 49

[38] 6, 41, 5. — 7, 6, 11. — V. encore A. Gell. 13, 12. — Lorsqu’au matin du jour où il mourut, Tib. Gracchus consulta les auspices (auspicia pullaria) il ne le fit qu’à titre privé (privata). — Plutarque, Tib. Gracch., 17 — Valere Maxime, 1, 4, 2.

[39] Cum populo, cum plebe, agendi jus aut dare aut non dare. Cicéron, de Leg., 2, 12, 31. — An quia tribunus plebis sinistrum fulmen nuntiabat. Cicéron, Philippiques, 5, 3, 7. — Tite-Live, 1, 36.

[40] Cicéron, cum sen. gr. eg. 5, 11 : in Vatin. 8, 20 : Philippiques, 5, 3, 7. — Tite-Live 1, 36.

[41] Eo jure quod plebs statuisset omnes Quirites tenerentur. Aul. Gell., 15 , 27. — Pline, Hist. nat., 16, 10, 37. Gaius, 1, 3 … lex Hortensia lata est, qua cautum est, ut plebi scita universum populum tenerent. Itaque eo modo legibus exœquata sunt. — Pompon, Dig. 1, 2, 2, 8.

[42] Appien, a, b, I, 50.

[43] Corp. Insc. Lat., 1, p. 114.

[44] Notre auteur, explique ici ou combat certaines indications puisées dans Den. d’Hal. (10, 4. - 9, 49 - 6, 90), et d’où il semblerait résulter qu’il y aurait eu alors vote et autorisation préalable du Sénat. Nous nous contentons de renvoyer à sa dissertation, p. 209, n. 63.

[45] Aussi l’accusé éleva-t-il une exception d’incompétence : plebis, non patrum tribunos esse. (Tite-Live, 2, 35).

[46] Tite-Live, 4, 6. Victi tandem patres ut de connubio concessere. - 3, 31. — 6, 42, 9.

[47] Tite-Live, 3, 55.

[48] Tite-Live, 1.17. — Denys d’Halic. 2, 57. - Plutarque, Numa, 2 et 7. — V. aussi Cicéron, de Repub., 2, 12, et Appien, b. c., 1, 98.

[49] Denys d’Halicarnasse, 8, 90. – 9, 14, 11, 20.62. — Appien, b. c., 98.

[50] Tite-Live, 1, 32 et 22, 34. — Pseudo Cicéron, ad Brutus, 5, 4. — Cicéron, de leg., 3, 3, 9.

[51] Tite-Live : Mortuo Tullo res ad patres redierat. 1, 32 — Interreges proditi sunt a patribus. 22, 34. — patricios coire ad prodendum interregem. (Notez l’expression prodere, qui semble spéciale à la nomination de l’interroi.)

[52] V. Servius, ad Æneid., 1, 426 : patres a plebe in consilium senatus separatos tradunt, ac conscriptos qui a S. Tullio a plebe electi sunt.

[53] De leg. 3, 3, 9. Quando consules magistratus [ve] nec erunt… auspicia patrum sunto, ollique ex se produnto, qui comitiatu creare consules rite possit. [Ce texte est tronqué, et sujet à plusieurs variantes, mais qui ne touchent pas à la phrase, à partir du mot auspicia].

[54] (Romulus) vocata et concilium multitudine, quœ coalescere in populi unius corpus nulla re prœterqnam legibus polerat, jura dedit. Tite-Live, 1, 8; —Dionys. 2, 9.

[55] Tite-Live, 1, 17. — [Tout ce chapitre est curieux à lire : notez surtout ce passage : hodieque in legibus magistralibiuque rogandis usurpatur idem jus.]

[56] Cicéron, de Domo, 14, 38. — Tite-Live, 6, 41.

[57] Tite-Live, 3, 59, 5. - 6, 42, 10 - 7, 16. — Cicéron, Brutus, 14, 55. — Tite-Live, 27, 8.

[58] Tite-Live, 8, 12. – 1, 1 7. La loi Mœnia est postérieure à 462 [292 av. J.-C.] : v. Cicéron, Brutus, 14, 55.

[59] Cicéron, de Rep. 2, 32, 56 – de Leg., 2, 12, 31. Maximum in republica est augurum, quoniam auctorirati conjunctum.

[60] Ce qu’expriment bien les termes usuels ferre ad populum, referre ad senatum.

[61] In incertum comitiorum eventum patres auctores fiunt. Tite-Live, 1, 17. Ce qui fait qu’elle devient, le plus souvent, une simple formalité : vis ademta. V. Tite-Live, 1, 32, la formule de déclaration de guerre, où la ratification sénatoriale est aussi mentionnée.

[62] 1, 373.

[63] Servius Tullius, p. 403 et suiv.

[64] P. 381.

[65] Cicéron, de Rep. 2, 8, 14 : Romulus patrum auctoritate concilioque regnavit.

[66] Tite-Live, 23, 33.

[67] Festus, p. 254 : quii conscripti vocati sunt in curiam, quo tempore regibus ad urbe expulsis, P. Valerius Cos. Propter inopiam patrum ex plebe adlegi in numerum senatorum C et LX et IIII, ut expleret numerum senatorum CCC… — V. aussi Tite-Live, 2, 1.

[68] Rich. Dict. des Antiq. Rom. Vis calceus, lunas et lunula. — La lunule est l’episfærion des Grecs. — Dans une dissertation en note (N° 7) M. Mommsen compare divers textes et établit la conclusion qu’on vient de lire, en se fondant notamment sur Zonaras, 7, 9, - sur le Scholiaste de Juvénal, 7, 192, - sur Isidore, Orig., 19, 34,4, - et surtout sur l’Éloge de Marius, Corp. Insc. Latin, 1, p. 290.

[69] V. Rich. Dict. V° Tunica.

[70] Gell. 3, 18. — Festus : v° pedarium, p. 210. — Cicéron, Ad Attic., 1, 19, 9. – 20, 4. — Denys d’Halicarnasse, 7, 47. — Tite-Live,  3, 40.

[71] Cicéron, de Rep., 2, 20, 35.

[72] Les Émiliens, Claudiens, Cornéliens, Fabiens et Manliens ont donné des princes au sénat : les Papiriens, gens minor, ne l’ont pas fait.

[73] Orelli, 37, 21.

[74] Festus, p.246, Ed. Muller. — Denys d’Halicarnasse, 2, 12 — et Lydus, 1, 16. — Le roi avait élu un sénateur ; chacune des trois tribus, trois sénateurs : chacune des 30 curies, trois aussi : au total 100.

[75] Tite-Live, 2, 1. — Festus, V° allecti, p. 7 ; - V° conscripti, p. 41

[76] Tite-Live, 27, 8. Datum id cum toga prœtexta et sella curuli et flaminio esse. Voilà le flamine qui à son tour, et comme patricien, revendique le droit de vote au sénat.

[77] Tite-Live, 5, 20, 4.

[78] Gell., 15, 17.

[79] Legem curiatam consuli ferri opus esse, necesse non esse, dira plus tard Cicéron, ad. Famil., 1 9, 25.

[80] Tite-Live, 1, 8. (Romulus) centum create senatores, etc. — Junge, Cicéron, de Rep., 2, 8, 14. 12, 23. 2, 9, 16. Habuit plebem in clientelam principum descriptam.

[81] Tite-Live, 2, 16. Attius Clausus… magna clientium comitalus manu Romam transfugit ; has civitas data… Appius inter patres lectus… Junge, Tite-Live, 1, 30 : principes Albanorum in patres, etc. — [V. sur la gens Claudia, la dissertation spéciale de M. Mommsen, aux Rœm. Forschungen, 1, p. 286 et sqq].

[82] La solea est nommée dans la loi de Bantia. C. Inscr. Lat. 1, p. 45 et 47.