LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LE SÉNAT.

LE PATRIMOINE DE L’ÉTAT.

 

 

II. IMPOSITION DU PEUPLE.

La cité a un patrimoine comme les particuliers ; mais elle a de plus le droit d’imposer ses citoyens, pour lequel il n’y a pas d’analogue en droit privé. II n’est pas besoin de dire que l’établissement d’un nouvel impôt et la suppression d’un impôt existant rentrent dans la compétence du pouvoir souverain, et cela est reconnu en fait, en particulier par la loi consulaire de 397, établissant l’impôt sur les affranchissements, par la loi Voconia, de 585 de Rome, et par la loi d’Auguste,-de l’an 6 après J. C., qui limitèrent toutes deux dans une forme ou l’autre le droit successoral des citoyens au profit de l’État[1]. Le sénat ne participe à l’introduction des impôts, que par la délibération préalable habituelle de la loi.

La perception des impôts fixes légalement établis rentre dans le pouvoir exécutif. Mais les plus anciennes institutions romaines ne connaissent pas de pareils impôts et même postérieurement ils n’ont joué qu’un rôle secondaire dans les finances de Rome. L’impôt civique proprement dit, qui est, à l’époque la plus ancienne, le seul, le tributus[2], n’est pas plus permanent que le dilectus, et ce qui a été dit de ce dernier s’applique également à lui, sous cette réserve qu’en présent e de la disparition de fait de l’impôt civique survenue dès l’an 587, la conscription a dans l’évolution politique et en, particulier pour le rôle du sénat beaucoup plus d°importance que le tributus.

Comme la conscription, l’impôt rentre dans les prévisions constitutionnelles, et par conséquent les comices ne peuvent voter sur le point de savoir si les citoyens doivent être imposés ou comment ils doivent l’être. Pendant toute la période se prolongeant fort avant dans les temps historiques, où le poids de l’impôt a lourdement pesé sur les citoyens[3], on ne peut pas plus relever un témoignage relatif à une loi qui l’ait réglé qu’on ne peut en présenter de relatif à une loi sur la conscription.

Si donc la demande de l’impôt rentre dans la compétence des magistrats supérieurs[4], ils ont probablement pris de tout temps l’avis du sénat à ce sujet, et ils ont, à l’époque récente, lorsque cet avis fut devenu obligatoire, été autorisés par lui à décréter la perception. L’équité et les nécessités intimes sont dans ce sens. Quand l’État a besoin d’argent, il doit le prendre d’abord sur sa fortune ; c’est seulement si les fonds qu’il a à sa disposition ne suffisent pas à satisfaire ses besoins, que la levée de l’impôt intervient à titre complémentaire. Conformément à son caractère supplétoire, l’impôt est regardé comme un emprunt forcé et la cité rend aux citoyens la contribution qu’elle en a reçue, il est vrai, à une date laissée à sa propre détermination[5].

Par suite, la promulgation d’une demande d’impôt présente, à un plus haut degré que la conscription, le caractère d’une mesure extraordinaire. Le souci de tenir les citoyens dispos pour le combat a pu donner une certaine permanence à la seconde ; on n’a recours à la première que lorsque les dépenses dépassent les recettes ordinaires. Nous ne pouvons décider si cela se produisait régulièrement ou exceptionnellement ; le rapport normal des recettes et des dépenses du peuple romain ne nous est pas connu. Cependant la permanence de fait de l’impôt n’est aucunement vraisemblable, notamment à l’époque la plus ancienne où une grande partie des charges publiques était supportée au moyen de corvées[6].

A la vérité, notre tradition ne dit pas plus expressément pour la levée de l’impôt que pour celle des troupes que les consuls aient besoin afin d’y procéder de l’adhésion du sénat. Mais, lorsque Polybe dit que toutes les recettes de l’État sont sous la puissance du sénat[7], il ne peut guère avoir exclu l’impôt. Si, dans ses mentions isolées[8], il n’est question du sénat que lorsqu’il s’agit de l’accroître[9] ou de le modifier[10], tout ce que cela prouve, c’est que les annales ne relèvent pas aussi constamment l’imposition ordinaire que la conscription ordinaire. La restitution de cet emprunt a certainement été aussi toujours discutée préalablement dans le sénat et approuvée par lui.

 

 

 



[1] Handb., 5, 267 = tr. fr. 10, p. 335. L’impôt sur les ventes aux enchères qu’Auguste introduisit après les guerres civiles et qu’il éleva également en l’an 6 après J.-C. tire peut-être son origine du pouvoir constituant d Auguste ; mais il est plus vraisemblable que c’est par un pur hasard que les lois qui lui étaient relatives ne sont pas mentionnées.

[2] L’opinion de Willems, 2, 330. 333, selon laquelle le tributus aurait été supprimé lors de la fondation de la République et rétabli seulement en 348, lors de l’introduction de la solde, est aussi contraire à la raison qu’aux sources. Lin régime politique qui serait réduit pour ses dépenses à ses domaines et au butin, sans pouvoir imposer les membres de l’État, implique une contradiction absolue ainsi qu’un cens auquel ne correspondrait pas d’imposition des citoyens. Tite-Live dit, dans te texte invoqué en faveur de la suppression, 2, 9, exactement le contraire, a savoir que sous la République, la plebs, c’est-à-dire les pauvres sont exempts et que les divites seuls paient l’impôt, en pensant a l’impôt de capitation égal pour tous, qui, dans la doctrine des anciens, aurait existé sous les rois. Il est parfaitement exact que, selon Plutarque, Popl. 12, les orbi et les orbæ sont exempts du tribut ; mais cela prouve précisément que les citoyens le payaient ; c’est un point incertain de savoir comment il faut comprendre l’allégation du même auteur, selon laquelle Camille aurait soumis les orphelins un tribut ; mais il est pleinement inconcevable qu’on doive en déduire que le tributus ait sans doute été rétabli par Camille.

[3] Tite-Live, 23, 31, 1. c. 48, 7. 26, 35, 5. 33, 42, 4.

[4] V. tome II, la théorie du Consulat, sur le droit de disposer du trésor de l’État.

[5] Denys, 5, 47.

[6] Il est déjà question d’adjudication en l’an 376 pour la réfection d’une partie des murs de la ville (Tite-Live, 6, 32, 1).

[7] D’après Polybe, 6, 13, le sénat a l’Ærarium sous sa puissance. Il est à la vérité, pour les recettes, question en première ligne des contributions des sujets, dont la fixation dépendait essentiellement de lui.

[8] Si, dans Tite-Live, 6, 31, 4, les tribuns empêchent le dilectus, donc condiciones impositæ patribus, ne quis quoad debellatum esset tributum daret aut jus de pecunia credita diceret, ce n’est pas le droit de décider du sénat qui est suspendu, mais bien le pouvoir exécutif appartenant aux magistrats en matière de perception d’impôt et d’administration de la justice.

[9] Tite-Live, 23, 31, 1.

[10] La fourniture d’esclaves pour la flotte prescrite par les consuls dans les années 510 (Tite-Live, 24, 11) et 514 (Tite-Live, 26, 33) n’est pas une imposition, mais elle a sans doute été réglée d’une manière analogue. Cf. encore Tite-Live, 29, 15, 9.