LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LE SÉNAT.

LA GUERRE.

 

 

V. LA RÉPARTITION DES TROUPES.

Sous la Royauté, il n’y avait pas de répartition des troupes ; et, dans les premiers temps de la République eux-mêmes, le sénat n’a pu exercer d’influence sur cette répartition, puisqu’il y avait de droit deux généraux et qu’ils se partageaient aussi de droit les troupes en portions égales[1], que ce fussent celles de l’année précédente on des troupes nouvellement appelées sous les armes. La répartition des troupes ne devint une question politique que par la multiplication de ceux qui avaient l’imperium en même temps et par la possibilité ou plutôt la nécessité de la fixation de portions inégales. La force des troupes n’était pas réglée légalement pour les commandements spéciaux permanents, quoique certaines règles de fait se fussent vite établies pour chaque province[2], et il n’y avait même aucune espèce de règle générale pour les commandements auxiliaires si nombreux au VIe siècle. Il fallait donc un centre quelconque où fussent pesées, dans leur ensemble, les diverses considérations en cause ; or ce centre ne pouvait être que le sénat. On ne peut pas prouver directement, mais il ressort avec nécessité des circonstances que l’influence directrice, exercée dès l’époque ancienne parle sénat sur l’activité militaire des consuls, se transforma, depuis l’époque des guerres d’outremer, en ce haut gouvernement sénatorial des armées qui a subsisté jusqu’à la fin de la République. La distribution annuelle des troupes et des vaisseaux entre les différents commandements entraînait naturellement le pouvoir de statuer sur le maintien au service ou la libération[3] des corps de troupes sous les armes et sur la levée de corps nouveaux, opérations dont la détermination du total des légions et des autres forces au service pendant l’année apparaît comme le résultat final[4]. La composition de l’armée est complétée par le partage des compétences entre les questeurs, auquel le sénat procède chaque année, et par les décisions relatives aux légats que le sénat place, à l’époque récente, auprès des gouverneurs[5]. Les consuls passaient, dans ces règlements avant les préteurs[6], et ils avaient fréquemment le choix parmi les armées en campagne[7]. Le consul pouvant dans sa relation exposer la situation et faire connaître son avis, mais les propositions soumises au vote émanant de l’assemblée, le pouvoir exécutif en matière militaire a, dans la mesure où il se ramène à la fixation du chiffre des forces à employer dans une campagne et à la répartition topographique de ces forces, appartenu au sénat depuis le commencement des guerres avec Carthage jusqu’à l’établissement du Principat. Mais, sous ce dernier, ce n’est qu’exceptionnellement que le sénat a reçu des communications sur la position des troupes[8].

 

 

 



[1] On rencontre sans doute de faibles différences entre les armées con4ulaires ; ainsi le consul destiné à l’Espagne reçut, pour l’an 536, une flotte plus faible que celui qui était chargé de passer en Sicile et en Afrique (Tite-Live, 21, 17, 7) ; de mémé, en 583, les deux consuls affectés à la Macédoine et à l’Italie reçurent bien chacun deux légions, mais celles du premier étaient de 6.000 hommes, celles du second de 5.200, et le premier reçut également 16.000 fantassins et 800 cavaliers alliés tandis que le second n’en reçut que 12.000 et 600.

[2] Les provinces prétoriennes du VIe siècle ont toutes une garnison permanente et reçoivent régulièrement des troupes d’année en année ; si la Sicile n’en reçut pas, en 580, dans une période de tranquillité (Tite-Live, 41, 21, 3), ce tut par une exception. Les provinces : inermes ne se sont constituées que plus tard. Les commandements extraordinaires sont naturellement tous pourvus de troupes ou de navires.

[3] Le sénat ne pouvait pas inviter le général e licencier ses troupes pendant la durée de ses pouvoirs ; mais il pouvait l’inviter à les licencier au moment de sa retraite ou inviter son successeur à en recevoir la remise pour les licencier, sans que d’ailleurs cette invitation fût toujours exécutée.

[4] Les annales donnent assez souvent, évidemment comme conclusion du plan d’opérations arrêté par le sénat, le chiffre des légions en activité dans l’année (le plus souvent en faisant abstraction de l’Espagne). Tite-Live, 31, 8, 11 : Sex legionibus Romanis eo anno usura res publica erat. 34, 43, 9 : Ut dimissis quos senatus censuerat exercitibus octo omnino Romanæ legiones essent, et bien d’autres textes.

[5] V. tome IV, la théorie de la Questure, sur la détermination des provinces questoriennes, et celle des Légats du sénat, sur les envoyés auxiliaires permanents.

[6] Tite-Live, 40, 36, 5.

[7] Tite-Live, 27, 22, 2. c. 35, 11-13. c. 38, 8, etc. Willems, 2, 621.

[8] Les délibérations de Tibère avec le sénat de legionum et auxiliorum discriptione (v. tome V, la section des Affaires étrangères, sur l’administration militaire), se rapportent probablement à l’Afrique, qui était alors la seule province sénatoriale munie d’une garnison permanente.