LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LES CENSURES IMPÉRIALES.

Nous avons déjà expliqué au sujet de la censure que, même sous le Principat, la puissance censorienne subsista d’abord à côté de ce dernier comme magistrature distincte[1] et que les empereurs du for siècle l’ont revêtue tantôt dans la forme ancienne de la puissance consulaire la plus complète, tantôt positivement dans celle de la censure, mais qu’ensuite, après que Domitien eut revêtu la puissance censorienne à vie, la censure fut écartée à sa chute en même temps qu’on transporta au prince les fonctions censoriennes encore pratiques et indispensables, ce qui revient à dire qu’on mélangea,.quant au fond, les fonctions censoriennes aux fonctions impériales.

Nous avons également déjà exposé précédemment ce qu’il y a de plus essentiel à savoir sur le fonctionnement des divers pouvoirs censoriens sous l’Empire et il suffira ici d’un court rappel d’ensemble.

1. Le census populi n’a jamais été fait par le prince en qualité de prince et il a disparu avec la censure. Le droit de l’empereur de faire le cens provincial diffère par sa nature du droit des censeurs ; les censeurs ne l’ont jamais possédé et il n’est pas atteint par la disparition de la censure. — Le droit d’accorder et de retirer la qualité de citoyen que n’avaient pas les censeurs de la République a pu difficilement appartenir à ceux de l’Empire. Les concessions de la cité faites par les empereurs ne se rencontrent pas d’une manière précise avec leurs censures, et si Claude est représenté comme ayant enlevé la cité en qualité de censeur, il n’y a peut-être là qu’une mention inexacte des déchéances qui pouvaient déjà être anciennement prononcées par les censeurs.

2. Auguste a déjà lié le census equitum au principat, en ce sens que l’examen de l’aptitude des cavaliers et l’exclusion de ceux qui étaient impropres, c’est-à-dire la concession et le retrait du cheval équestre, restèrent bien aux censeurs après l’établissement du principat, mais furent faits à côté de cela annuellement par le prince.

3. Relativement à la liste du sénat, Auguste a revendiqué de la même façon pour le principat l’examen annuel de l’aptitude des sénateurs et la radiation des incapables. Le droit de nommer des sénateurs perdu par la censure dans la dernière période de la République lui a été rendu lors de la constitution du principat et a été acquis au principat seulement après la disparition de la censure.

4. En ce qui concerne le règlement des intérêts pécuniaires du peuple, certains des éléments essentiels qui étaient compris dans ce pouvoir des censeurs, l’entretien des édifices publics de Rome, des aqueducs de Rome, du cours du Tibre, des grandes routes italiques, ont été associés au principat peu d’années après sa création. Les autres pouvoirs du même genre du censeur, en particulier le droit de faire des constructions, sont tombés avec la censure ; les constructions des empereurs se fondent sur leurs droits de généraux et non sur leurs droits censoriens[2].

5. Le patriciat ne peut, sinon d’après le droit, au moins d’après l’usage de la République, être concédé à quelqu’un. Cependant la théorie aristocratique, selon laquelle les comices populaires, qui comprennent même les citoyens n’appartenant pas aux gentes, ne peuvent conférer le droit de gentilité, a dû, dès le temps de la République, s’incliner une fois devant la théorie de la souveraineté absolue du peuple et le grand pontife et les curies ont été invités par les centuries ou les tribus à rendre le patriciat à un patricien qui avait perdu son droit de cité et son patriciat. En partant de cette analogie, César se fit autoriser par une loi spéciale[3] à créer des patriciens, probablement en sa qualité de grand pontife et sans doute aussi en observant la forme de la loi curiate. La loi Sænia, rendue en novembre ou décembre 724, accorda le même droit au second César sans qu’il fut grand pontife et avant la constitution du principat[4]. Elle semble avoir lié la création extraordinaire de patriciens avec le cens auquel il était alors en train de procéder. Le droit de créer des patriciens paraît être ainsi devenu un attribut de la censure, d’une façon analogue à celle dont le choix des sénateurs avait été, sous la République, associé à la censure ; car, il est établi que, tant l’empereur Claude[5] qu’après lui, Vespasien et Titus[6] ont fait leurs créations de patriciens en qualité de censeurs. Après la disparition de la censure, le droit de nommer des patriciens a, tout comme celui de nommer des sénateurs, passé au prince[7]. — Si, à côté de cela, le sénat a conféré le patriciat aux plébéiens qui arrivaient au principat, en premier lieu, semble-t-il, à Vespasien, on ne peut voir là qu’un exercice du pouvoir législatif du sénat.

 

 

 



[1] Celui qui veut comprendre la construction juridique du principat doit, avant tout, remarquer le traitement auquel ont été soumis, sous le Principat, les droits contenus dans les attributions censoriennes. Une partie essentielle de ces droits, qui sont absolument des droits de magistrats supérieurs et non des droits militaires, n’ont jamais été unis au principat, ont vécu avec la censure et sont morts avec elle. Une autre portion non moins essentielle a été liée au principat longtemps après sa constitution et seulement après la suppression de la censure à la fin du Ier siècle. Lors de la constitution du principat elle-même, Auguste n’a probablement revendiqué pour lui, parmi les attributions censoriennes, que le census equitum, si son caractère annuel remonte réellement à l’an 727. Si l’on se rappelle que la forme primitive du principat d’Auguste est, en faisant abstraction du commandement militaire, la puissance consulaire (et probablement la puissance consulaire ordinaire, ne comprenant pas les attributions des censeurs), l’ancienne opposition républicaine des deux magistratures supérieures, du consulat et de la censure, trouve là son expression complète. Le principat d’Auguste n’est donc pas une puissance illimitée, mais une magistrature mesurée dans les formes républicaines et, à l’origine, la combinaison du consulat, du tribunat du peuple et du proconsulat. Si, comme il est possible, Auguste a, en 727, revêtu le consulat dans son étendue primitive, englobant les attributions des censeurs ; il a assurément, durant les premières années, combiné sur sa tête le consulat, la censure, le tribunat du peuple et le proconsulat. Mais, en tout cas, il s’est, à partir de 731, borné à la combinaison du tribunat et du proconsulat.

[2] Les constructions nouvelles impériales ne sont pas payées par les deniers publics, mais sur la caisse privée dé l’empereur, exactement de la même façon dont les imperatores de la République font des constructions avec leurs manubiæ.

[3] La loi Cassia, selon Tacite, Ann. 11, 25. La chose même est racontée par Suétone, Cæsar, 41, et Dion, 43, 47.

[4] Mon. Ancyr. 2, 1. Tacite, Ann., 11, 25. Dion, 52, 42. L’adlection de l’an 721 dont parle Dion, 49, 43, est apocryphe, ai-je montré sur le Mon. Anc., loc. cit. Bergk, sur ce texte, a, il est vrai, contredit ma solution, mais sans invoquer d’autre argument que de pures fantaisies sur les fétiaux.

[5] Cela résulte non seulement de ce que Tacite raconte l’adlection en l’an 48 et qu’il la rapporte expressément à la censure de l’empereur (11, 25 : Lætaque hæc in rem publicam munia multo gaudio censoris inibantur), mais aussi de l’inscription C. I. L. XIV, 3607 : Ab eo (Ti. Claudio) censore inter patricios [relatus]. Un autre patricien créé par Claude, C. I. L. III, 6074. Un troisième est le père de l’empereur Othon (Suétone, Othon, 1). De ce que son collègue Vitellius n’est jamais nommé à côté de lui, en ne peut guère conclure qu’il n’ait pas procédé à l’adlection, ni encore bien moins qu’il n’ait pas eu le droit d’y procéder.

[6] Vita Marci, 1 : Adscitus in patricios a principibus Vespasiano et Tito censoribus. D’autres patriciens créés par Vespasien sont nommés par Tacite, Agricola, 9 et par les inscriptions Orelli, 173. Henzen, 5447 = C. I. L. IX, 2458. Victor, Cæsaribus, 7, 9, semble confondre les adlections au sénat et parmi les patriciens.

[7] Le premier empereur qui ait certainement créé des patriciens sans être censeur est Trajan (C. I. L. IX, 1123). Pour l’époque postérieure les témoignages existent en quantité (par exemple, Vita Commodi, 6, et nombreuses inscriptions).