LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LA PUISSANCE TRIBUNICIENNE.

Quoique l’imperium, la puissance proconsulaire constitua par elle-même le principat, ce dernier ne peut cependant y être exclusivement enfermé. Ce pouvoir exclusivement militaire, auquel Rome et l’Italie ‘étaient soustraites au moins en théorie, justifiait bien d’une manière satisfaisante la condition du nouveau maître du point de vue de la force, mais non de celui du droit. Il fallait, pour le dernier résultat, le principat étant conçu dans les formes de l’ancienne constitution, que l’imperium fût lié à titre stable à une de ses magistratures supérieures.

Auguste se servit d’abord dans ce but du consulat. Jusqu’à quel point César avait-il déjà eu l’idée de rattacher son pouvoir à cette magistrature, c’est une question qu’on ne peut résoudre[1]. Son héritier n’a pas seulement livré sa bataille définitive à Antoine, en qualité de consul (à partir du 1er janvier 723)[2] ; il a gardé la puissance consulaire après la victoire et lorsqu’il a constitué le principat, il l’a appuyé sur le consulat en même temps que sur la puissance proconsulaire[3]. Mais s’il songea alors à rattacher le principat à titre durable au consulat, c’est un plan qu’il a bientôt abandonné.

Nous ne pouvons, par suite de la courte durée du système, savoir que peu de choses sur les attributions qu’Auguste avait liées au consulat lors de sa constitution du principat, ni sur les modalités de ce consulat. Indubitablement, le consulat du principat commençant n’a pas été modelé absolument sur le type de la République la plus récente, mais pour partie sur le type originaire : ainsi, par exemple, il admet sans restriction l’itération et même la continuation, sans d’ailleurs supprimer l’égalité entre collègues qu’Auguste appliqua rigoureusement, surtout par rapport à Agrippa. Il faut laisser incertain le point de savoir si Auguste réunit au consulat la puissance censorienne qui en était séparée depuis des siècles et voulut ainsi baser son pouvoir civil sur la réunion des deux plus hautes magistratures[4]. On ne peut déterminer avec sûreté les raisons qui ont poussé peu d’années après le souverain à modifier, sous le rapport extramilitaire, les bases juridiques de son autorité. Des difficultés administratives peuvent y avoir contribué[5] ; mais il est probable qu’Auguste a trouvé certains principes inconciliables avec le principat, les principes de l’annalité et de la collégialité, et en particulier le dernier, trop étroitement liés au consulat pour qu’il pût se servir utilement de celui-ci. Le fait est qu’au milieu de l’an 731, probablement le dernier jour de juin, il résigna le consulat et déclara, en même temps, ne vouloir plus l’occuper régulièrement[6], et il persista dans cette décision quand, l’année suivante, la même magistrature lui fut offerte à vie[7]. A partir de là, il l’a bien encore revêtu parfois, mais seulement comme l’eut fait un citoyen quelconque et sans le traiter ni en fait ni en droit comme une portion essentielle de son autorité souveraine ; et les gouvernants postérieurs l’ont imité en cela[8]. Il a repris depuis la puissance consulaire et même la puissance consulaire primitive, comprenant les attributions censoriennes, toutes les fois qu’il a procédé au cens. L’empereur Claude s’est de même fait conférer la puissance consulaire pour donner des jeux extraordinaires. Cela n’empêche pas qu’aucun empereur n’a exercé la puissance consulaire comme une portion générale et fixe du principat[9].

Mais, lorsque Auguste a constitué le principat, il n’était pas seulement en possession de la magistrature supérieure consulaire. L’assimilation légale aux tribuns du peuple avait déjà été prononcée à titre permanent au profit du dictateur César[10], qui, en conséquence, partageait leur siège[11] et était sacro-saint comme eux[12]. Les mêmes pouvoirs furent conférés, également à vie, pendant le triumvirat et dans l’intention expresse de les mettre à la place de ce dernier, en l’an 718, à son fils et héritier, et ils furent acceptés par lui[13]. Auguste ne conserva pas seulement cette puissance, lorsqu’il résigna le consulat[14], il lui étendit l’annalité qui ne lui était pas jusqu’alors appliquée, et, dans cette forme, la puissance tribunicienne est, en sa qualité de magistrature civile plus élevée et plus nécessairement associée au principat que toute autre, devenue et demeurée[15], spécialement au point de vue théorique, l’expression exacte et intégrale du pouvoir souverain, ainsi que l’attestent l’emploi que nous avons vu en être fait en manière de titre et la place qu’elle occupe dans la suite des titres impériaux. Elle était pour cela préférable sous plusieurs rapports au consulat, et, tout en se rattachant comme lui aux vieilles institutions républicaines, elle permettait une distinction nécessaire au principat. Le prince ne devient pas tribun du peuple[16], il revêt la puissance tribunicienne. Et, par là, s’efface d’elle-même la collégialité si gênante dans le consulat : les tribuns du peuple ne sont aucunement collegæ du possesseur de la puissance tribunicienne[17]. Les conditions d’éligibilité requises pour le tribunat et le système électoral resté en vigueur pour cette magistrature ne concernent légalement en rien la puissance tribunicienne, tandis qu’il en était autrement des consulats impériaux. La perpétuité était, avons-nous vu, attachée à cette situation dès l’époque de César, et elle était facile à combiner avec l’annalité. Enfin, le tribunat était l’antique palladium de cette démocratie, de laquelle le principat était né et qu’il ne reniait pas ; il était, en même temps qu’un pouvoir constitutionnel d’exception dégagé d’attributions spéciales essentielles, la plus haute, la plus sainte, la plus libre de toutes les magistratures, une magistrature placée sous une protection spéciale des dieux, dont le principat sut utiliser à son profit les accroissements dus à la démagogie républicaine, une magistrature pourvue d’un droit presque illimité de prohibition, à l’encontre de toutes les autres et d’un pouvoir de protéger tous les opprimés, également illimité et rendu excessivement efficace par son indétermination même. Déjà celui des Romains qui avait jeté l’idée du principat dans l’État, C. Gracchus, avait reconnu dans le tribunat son instrument approprié. Il avait échoué faute de commandement militaire. Auguste pouvait espérer arriver à ses fins, en associant la puissance tribunicienne à l’imperium exclusif. Et sa supposition s’est réalisée.

La puissance tribunicienne a été conférée de la même façon à Auguste[18], en 718, et ensuite à ses successeurs : à la suite de la décision du sénat, un magistrat, probablement un des consuls en fonctions[19], présentait la rogation, déterminant à la fois les pouvoirs et la personne du prince, aux comices, aux centuries, semble-t-il[20], et les comices votaient sur elle[21] ; en sorte que le sénat et le peuple concouraient l’un et l’autre à cet acte et qu’au début on observait le trinum nundinum entre le décret du sénat et la réunion des comices[22]. La forme était donc celle dans laquelle des magistrats extraordinaires ont été institués sous la République par une loi spéciale et par une élection populaire, avec une seule modification, qui n’avait pas été non plus inconnue à la République, qui, par exemple, a de tout temps constitué l’usage pour les duoviri ædi dedicandæ et qui a plus tard aussi été appliquée aux triumvirs rei publicæ constituendæ, avec cette modification que la question d’attributions et la question de personne étaient tranchées ensemble par une même loi et que la solution de la seconde question se trouvait par là mise en fait dans la main du magistrat qui faisait la proposition ou plutôt dans la main du sénat qui l’autorisait à la faire. Là encore, on discerne, pour cet important domaine, la tendance de la constitution d’Auguste à transporter le centre de gravité de l’État du Forum à la curie ; car, si en la forme la puissance tribunicienne était conférée par le peuple, le sénatus-consulte qui prescrivait la proposition de cette résolution était, en réalité, l’acte décisif[23].

Le transfert des élections des comices au sénat, opéré en l’an 14 après J.-C., ne changea rien quant aux comices impériaux, car ce transfert ne concernait que la nomination des magistrats ordinaires annaux ; il était étranger à celle des magistrats théoriquement extraordinaires, où la loi et l’élection se trouvaient rassemblées. Les comices législatifs ayant subsisté, il n’y a aucune raison de douter que les comices impériaux, auxquels il est encore fait allusion au moins jusqu’au temps des Flaviens, soient restés au peuple jusqu’à cette époque et même peut-être encore longtemps après : le concours du peuple n’y ayant jamais été effectif, il n’y avait aucune raison de changer quelque chose aux formalités. Seulement l’exigence du trinum nundinum a déjà été mise à l’écart par Vitellius et, vers la fin du IIIe siècle, la cérémonie du champ de Mars semble avoir immédiatement suivi celle de la curie.

Quand les anciens jurisconsultes disent que l’empereur reçoit le pouvoir par une loi, et quand ils font directement dériver de cette résolution populaire le droit qui lui appartient, et en conséquence dès le principe, de rendre des ordonnances obligatoires entre toutes[24], la lex dont ils parlent, ne peut être que celle qui lui confère la puissance tribunicienne. Car, nous l’avons déjà remarqué, cet acte, en lequel se réunissent la détermination des attributions et la désignation de la personne, est au moins autant une loi qu’une élection. En outre, si la force légale des ordonnances impériales est formulée parfaitement à sa place dans la disposition qui détermine les attributions attachées à la puissance tribunicienne, il n’y a en sens inverse, parmi tous les autres actes juridiques dont l’ensemble constitue l’intronisation du prince, aucun acte auquel on puisse faire jouer un rôle quelconque à ce point de vue ; en particulier, nous avons déjà expliqué que le pouvoir proconsulaire n’est pas conféré au prince avec le concours du peuple, donc ne lui est pas conféré lege[25].

La fin du document par lequel le principat a été conféré à Vespasien en l’an 69/70 après J.-C. nous a été conservée et ce titre confirme parfaitement tout ce qui a été exposé jusqu’ici. Il se désigne lui-même expressément comme une loi[26] et il se termine par la formule de sanction propre aux lois ; seulement la rédaction du corps du texte n’est pas la rédaction impérative ordinaire des lois, mais la rédaction consultative des sénatus-consultes[27]. Ce détail s’accorde parfaitement avec le fait que les attributions que devait avoir l’empereur désigné ou reconnu par le sénat étaient déterminées par une résolution du sénat et que cette proposition du sénat était ensuite soumise aux comices pour être adoptée ou rejetée par eux ; au premier cas, la résolution des comices s’incorporait textuellement le projet du sénat. Le titre peut aisément, dans son début qui nous manque, avoir commencé par la puissance tribunicienne ; la partie qui nous en a été conservée se compose d’une série de clauses particulières qui accordent au nouveau prince certains pouvoirs, en général en se référant à ceux accordés à son prédécesseur ou à ses prédécesseurs[28]. En partant de là, la puissance du prince peut être définie, en négligeant l’imperium, comme une puissance tribunicienne réglée et élargie par des clauses spéciales, qui a pris un caractère, traditionnel par l’application à chaque nouveau prince du schéma déjà arrêté pour ses prédécesseurs, sans pourtant que la modification du schéma fût exclue par là.

Il faut donc distinguer dans les attributions tribuniciennes du prince celles qui sont directement contenues dans la puissance tribunicienne elle-même et celles qui dérivent des clauses spéciales plus ou moins hétérogènes ajoutées à la loi d’investiture.

En ce qui concerne les attributions tribuniciennes directes, nous pouvons renvoyer au chapitre du Tribunat du peuple. C’est en vertu de ces attributions que le prince prend place sur le banc des tribuns du peuple[29] et qu’il a le droit d’intercession, que les empereurs du Ier siècle ont plus d’âne fois exercé en particulier contre les sénatus-consultes[30]. En outre et surtout le prince possède, en vertu de cette puissance, la coercition tribunicienne, qu’il possède avec toute l’étendue que les théories démocratiques récentes donnèrent à la protection des pouvoirs sacro-saints et de la personne sacro-sainte des tribuns[31]. Les empereurs ont aussi revendiqué les droits illimités de réprimer les abus de toute espèce[32] et de protéger les opprimés[33] propres à la puissance tribunicienne. Nous ne pouvons cependant relever des actes de gouvernement qui se fondent expressément sur ces derniers pouvoirs, et si un pareil rapport peut être admis avec vraisemblance pour certains actes isolés[34], il vaudra pourtant mieux ne pas séparer ceux-là du tableau général des attributions impériales.

La puissance tribunicienne du prince se distingue de celle des tribuns ordinaires en ce qu’elle ne subit ni limitation de temps, ni limitation de lieu, ni limitation résultant de l’intercession. Le prince ne reçoit pas sa puissance tribunicienne pour un an ; il la reçoit dès le début et nécessairement à vie. Il ne l’exerce pas seulement dans la ville, mais jusqu’à la première borne milliaire[35] et d’après la conséquence logique tirée de là, sur toute la surface de l’empire[36], probablement même dans les lieux où il n’est pas présent. Tandis qu’enfin chaque tribun doit, partout où s’applique l’intercession, déférer à l’intercession de son collègue, l’opposition des autres tribuns est sans force à l’encontre du possesseur de la puissance tribunicienne[37].

Quant aux droits distincts adjoints à la puissance tribunicienne du prince par des clauses spéciales de la loi d’investiture, la partie finale de la loi d’investiture de Vespasien qui nous a été conservée nous en donne une claire image. A l’exception de la puissance proconsulaire ; de l’imperium militaire, dont l’acquisition précède celle de la puissance tribunicienne et dont la concession n’émane pas du peuple, tous les droits qui devaient être attachés d’un coup au principat et qui avaient besoin d’être légalisés définitivement par un vote du peuple ont figuré peut-être dans la première loi d’investiture rendue pour Auguste en 718 et sûrement dans toutes celles qui ont suivi. Mais nous ne ferions qu’égarer le lecteur en énumérant ici ces pouvoirs comme des fractions de la puissance tribunicienne. En outre, le domaine des droits pour lesquels il fallait un vote du peuple exprès[38] et celui des droits qui avaient un autre fondement juridique ne peuvent être séparés avec certitude que dans la mesure où nous sommes renseignés par la loi d’investiture de Vespasien. Il vaudra donc mieux passer maintenant à l’exposition des droits du prince et revenir à leur fondement législatif général à propos des points particuliers.

 

 

 



[1] Dans un titre souvent cité de César, celui-ci désigne, non pas sa puissance du moment, mais d’une manière générale sa puissance future par les mots dictator consul prove consule. En conséquence, on ne peut écarter la supposition selon laquelle Auguste, en repoussant la dictature et en se faisant consul et proconsul, a eu ce modèle devant les yeux ; à la vérité, il n’a pas exercé ces deux pouvoirs alternativement comme ils figurent dans le titre, mais cumulativement. Cependant nous ne pouvons dire quelle place restait au proconsulat, à côté de la dictature, et cette première information ne s’accorde pas avec la façon dont César a par ailleurs traité le consulat. Le consulat lui a, nous dit-on, été donné en 706, pour les cinq prochaines années (Dion, 42, 20), en 708 pour les dix prochaines (Dion, 43, 45. Appien, B. c. 2, 106). Mais si ces décisions ont été prises, César les a rejetées. En fait, il a été consul en 706 (toute l’année), en 708 (toute l’année), en 708 (de janvier à septembre) et en 710 (jusqu’à sa mort) ; il avait l’intention de résigner la magistrature à son départ de Rome et il ne se laissa pas élire pour 711 et 712. Autant que nous pouvons apprécier les choses, César a traité le consulat à peu près de la m@me façon que fit le principat romain depuis 731 : sa monarchie avait besoin de consulaires et le consulat, en sa qualité de situation officielle la plus élevée, accessible à la fois au monarque et aux particuliers, était principalement destinée à faire de ceux qui y arrivaient des sortes de pairs de l’empire.

[2] A la vérité, Suétone, Aug. 26, signale seulement comme annaux les consulats d’Auguste numérotés de VI à X, c’est-à-dire ceux de 726-730. Mais Dion le contredit, 51, 21, en représentant Auguste comme occupant le consulat pendant la totalité des trois ans qui vont de 723 à 725. La preuve que c’est exact pour l’an 725 résulte des fastes de Venusia (C. I. L. I, p. 471 = ed. 2, p. 266). Mais même pour les deux années précédentes les consuls entrés en fonctions d’après le témoignage des mêmes fastes toujours isolément le 1er mai et le 1er octobre 723, et le 1er juillet et le 13 septembre et le 1er novembre 724, ont nécessairement tous occupé la seconde place, non seulement parce que Dion l’exige, mais, avant tout, parce qu’Auguste aurait malaisément laissé le consulat sortir de ses mains dans ces années, décisives.

[3] Tacite, Ann. 1, 2. La même combinaison s’était déjà présentée en 702 pour Pompée, puisqu il avait reçu, par la loi Trebonia, le proconsulat des deux Espagnes pour les années 700 à 704 et qu’il revêtit ensuite le consulat pour 702. Cependant, il me parait plutôt y avoir là une coïncidence accidentelle qu’une imitation voulue.

[4] Le cens accompli en 726 par Auguste, soit en qualité de consul d’après le système primitif, soit en vertu de son pouvoir constituant, se place avant l’établissement du principat et ne prouve pas que le consulat, tel qu’il l’a occupé de 727 à 731, comprît les attributions censoriennes. Cf. le chapitre des Censures impériales.

[5] Si Auguste avait conservé le consulat à titre durable, il lui aurait fallu tout au moins fixer pour la seconde place un délai très bref, afin de pouvoir attribuer les charges réservées aux consulaires.

[6] Dion, 53, 32, sur l’an 731. De fait, le calendrier des fêtes latines, C. I. L. I, p. 472 (2- éd. p. 58) = VI, 2014, relève, entre le 14 juin et le 15 juillet 731, la célébration des Latinæ, en présence de l’empereur avec l’addition... [imp. Ca]esar co(n)s(ul) abdicavit.

[7] Mon. Ancyr. Gr. 3, 9. Nous avons remarqué dans le commentaire, p. 27, qu’il faut entendre cela de la collation du consulat en même temps comme magistrature annale et à vie, de telle sorte que le prince aurait été, une fois pour toutes, désigné pour toutes les années qu’il aurait à vivre ; en outre, que l’on laissa ensuite, pendant quelques années, une des places du consul inoccupée dans l’espérance qu’Auguste se laisserait déterminer à revenir sur sa décision.

[8] Il sera traité plus loin à titre spécial de ces consulats impériaux, qu’on doit regarder seulement comme des accessoires accidentels de la puissance impériale.

[9] Dion, 54, 10, sous l’an 735, dit, à la vérité, le contraire. Mais, sans aucun doute, il a inexactement compris une décision autorisant Auguste au port des insignes consulaires. Le silence du monument d’Ancyre et de toutes les autres sources ne laisse aucun doute sur le fait qu’Auguste et ses successeurs n’ont jamais réclamé la puissance consulaire comme telle ; les exceptions relatives à la censure et aux jeux ne font que confirmer la règle.

[10] Dion, 42, 20, désigne tout à fait correctement cet acte comme étant, en un certain sens, la collation de la puissance tribunicienne à vie.

[11] Dion, 42, 20. 44, 4.

[12] Tite-Live, 116. Appien, B. c. 2, 106. 138. 144. Dion, 44, 5. 49. 50.

[13] Auguste, Mon. Ancyr. 2, 21 (où les compléments sont rendus certains par la traduction) : Et sacrosan[ctus ut essem... et ut q]uoa[d] viverem, tribunicia potestas mihi [esset, lege sanctum est]. Appien, B. c. 5, 132, sur l’an 718. Orose, 6, 18. Dion, 49, 15. Tacite, Ann. 1, 2, ne pense pas non plus au système mis à la place du consulat en 731, mais au système antérieur qui allait avec lui.

[14] Tacite indique clairement que la puissance tribunicienne n’a pas été établie seulement à la place du tribunat, Ann. 1, 2 : Posito triumviri nomine consulem se ferens et ad tuendam plebem tribunicio jure contentum ; s’il avait pensé là à l’acte de 731 et non à celui de 718, il aurait mis forcément deinde ou mox à la place de et. La collation de la puissance tribunicienne en l’an 731, que l’on admet aujourd’hui communément et que l’on a aussi introduite dans les fastes du Capitole par une restitution fausse, n’est attestée par aucune autorité ancienne, à l’exception de Dion, 53, 32, où l’annalité de la puissance introduite en cette année est confondue avec la puissance elle-même. Le même auteur a même connaissance, 51, 19, d’une troisième collation faite en 724, où il confond peut-être l’extension de la puissance tribunicienne au territoire extra urbain avec sa concession.

[15] Tacite, Ann. 3, 56. Cf. Ann. 1, 2. Velleius, 2, 99. Vita Taciti, 1. La collation de la puissance tribunicienne secondaire est désignée par les mots summæ rei admovere (Tacite, Ann. 3, 56).

[16] Dion, 53, 32.

[17] Sont seuls collegæ de l’empereur dans la puissance tribunicienne les personnages associés au pouvoir, ainsi pour Auguste, Agrippa et Tibère, Mon. Ancyr. Gr. 3, 21 ; Suétone, Aug. 27 ; Tib. 6 ; Vita Pii, 4 ; Vita Marci, c. 27.

[18] Auguste lui-même invoque la loi ; les auteurs ne citent que le sénatus-consulte.

[19] Les comitia tribunicim potestatis ne peuvent être conçus sans un magistrat qui les préside ; mais on ne trouve nulle part un indice sur celui qui les a présidés. La présidence ne peut en avoir appartenu à l’empereur, tant que la logique du droit public a encore joué un rôle ; elle ne peut avoir appartenu qu’aux consuls ou aux tribuns du peuple. La proposition, du sénatus-consulte préalable, faite par les consuls (Tacite, Ann. 1, 13) est un argument en leur faveur. Naturellement, il est sans importance pour les premiers temps du principat, que la proclamation de l’empereur Tacite soit faite par le préfet de la ville (Vita Taciti, 3 et 7).

[20] On ne peut reconnaître dans les témoignages qui nous ont été transmis, s’il s’agit des comices centuriates ou des comices tributes ; les uns et les autres se tenaient déjà au champ de Mars, dans la période récente de la République. L’empereur n’étant pas créé tribun, mais recevant simplement la puissance tribunicienne, les centuries sont compétentes, et il n’est pas vraisemblable qu’on ait employé pour un pareil acte les comitia leviora.

[21] Cette procédure jusqu’à présent tout à fait obscure a été heureusement éclairée par les fragments nouvellement découverts des actes des Arvales (Henzen, Arval. p. 65). Les comitia tribuniciæ potestatis (c’est l’expression employée là pour Othon et Vitellius, et aussi en l’an 57 pour Néron, où seulement le mot comitia a disparu ; comitia tribunicia, pour Domitien ; simplement tribunicia potestas pour Néron en l’an 58) de l’empereur régnant apparaissent, au Ier siècle, parmi les fêtes commémoratives célébrées annuellement par le collège et nous pouvons en déterminer les dates précises pour quatre empereurs. Néron fut reconnu par le sénat le 13 octobre 54 ; il reçut la puissance tribunicienne (d’après les actes des Arvales des années 57 et 58) le 4 décembre suivant. Pour Othon, auquel le sénat conféra la puissance tribunicienne le 15 janvier 69 (Tacite, Hist. 1, 41), les comices tribuniciens eurent lieu le 28 février ; pour Vitellius, reconnu par le sénat le 19 avril de la même année, ils eurent lieu le 30 avril ; pour Domitien, qui fut probablement reconnu par le sénat le jour qui suivit la mort de Titus, c’est-à-dire le 14 septembre (Henzen, op. cit., p. 64), ils eurent lieu le 30 septembre. On a encore suivi cette procédure dans ses termes essentiels pour l’élévation au trône de Tacite.

[22] L’intervalle s’élève, en y comprenant les deux jours extrêmes, à cinquante-trois jours pour Néron, à quarante-cinq pour Othon, et au contraire, à dix-sept pour Domitien et seulement à douze pour Vitellius. En ce sens, on pouvait aussi dire de Vespasien qu’il ne s’était pas hâté de revêtir la puissance tribunicienne (tel parait le sens du passage corrompu de Suétone, Vesp. 12) ; il ne peut s’agir là de ce qu’il fut reconnu par le sénat seulement longtemps après s’être fait proclamer empereur ; car cela n’a rien à faire avec son indifférence pour les titres officiels.

[23] C’est pourquoi, lorsque les historiens parlent de la concession de la puissance tribunicienne, ils ne font allusion qu’au sénat ; ainsi Tacite relativement à Othon (loc. cit.). On comparera le chapitre de la Corégence sur la concession de la puissance tribunicienne secondaire et sur le point de savoir si le droit de cooptation appartenait au prince.

[24] Gaius, 1, 5. Alexandre, Cod. Just. 6, 23, 3. Ulpien, Digeste, 1, 4, 1. Ce texte est textuellement reproduit dans les Institutes de Justinien, 1, 2, 6 (dans la paraphrase desquelles Théophile dit : Νόμου ρεγίου τοΰτο κυρώσαντος) ; et c’est également en visant ces textes que la constitution de promulgation des pandectes porte (Cod. Just. 1, 17, 1, 7) : Lege antiqua, quæ regia nuncupabatur, omne jus omnisque potestas populi Romani in imperatoriam translata sunt potestatem. Mais la désignation de la lex par le nom de regia est choquante au point de vue de la langue et du fond : à celui de la langue, parce que les adjectifs relatifs à des magistratures ne désignent pas, d’après l’usage général (sinon exclusif) attesté même en cette matière (pareillement Tite-Live, 34, 6. 7. Digeste, 1, 8, 2), la loi relative au magistrat qui est nommé, mais celle présentée ou rendue par lui ; à celui du fond, parce que, avant Dioclétien, la désignation de ce qui concerne l’empereur du nom de regius est seulement du langage vulgaire. En conséquence, la qualification de regia donnée à la loi qui institue l’empereur est étonnante, non pas dans la bouche de Justinien, mais dans celle d’Ulpien, et il est fort possible qu’elle n’ait été intercalée dans son langage que par une interpolation byzantine. Cependant, le nom royal étant donné sans scrupule en grec aux empereurs romains, depuis le temps de Trajan, en particulier chez les Asiatiques et les Égyptiens, il se peut aussi que cette expression n’ait pas été interpolée dans le texte d’Ulpien par la tradition des écoles de droit orientales et qu’Ulpien ait parlé là plutôt en Syrien qu’en Romain. Il est possible que l’ancienne lex curiata, qui était, à l’époque royale, un lex regia et qui, si, à la vérité, elle ne donnait pas l’imperium, le confirmait tout au moins, ait exercé une influence sur ce langage ; mais, si cela a été, il ne faut voir là qu’une confusion byzantine.

[25] On ne peut objecter en sens contraire qu’un jurisconsulte du milieu du second siècle fait conférer l’imperium par la loi ; à cette époque le langage désignait depuis longtemps par ce nom la puissance impériale et non pas la puissance militaire de l’empereur.

[26] Ligne 30 : Utique quæ ante liant legem rogatam acta gesta decreta imperata ab imperatore Cæsare Vespasiano Aug. jussu[ve] mandatuve ejus a quoque sunt, ea perinde justa rataque sint ac si populi plebisve jussu acta essent. Dans la sanction tout acte accompli hujusce legis ergo est déclaré bon et valable. — A l’encontre de l’observation faite par Hirschfeld, Untersuch, p. 290, selon laquelle un pareil document n’aurait probablement été rédigé ni pour les prédécesseurs de Vespasien, ni pour ses successeurs, car le pouvoir leur revenait déjà en fait, avec l’adhésion du peuple et du sénat, par hérédité ou (?) par adoption, il faut rappeler qu’il n’y a pas eu notoirement d’hérédité du principat, ainsi qu’Hirschfeld lui-même le reconnaît, en exigeant l’adhésion du sénat et du peuple. Mais par-dessus tout on ne peut découvrir comment une pareille adhésion pourrait se manifester autrement que par une résolution du peuple. Je ne comprends pas non plus la distinction que fait ensuite Hirschfeld entre la collation du principat n et-la « délimitation des attributions qui y sont attachées ; il est contre le sens de conférer d’abord la magistrature et ensuite les pouvoirs qui en résultent. Enfin, on ne voit pas ce qu’il faudrait, dans ce système, entendre par la lex, que les jurisconsultes exigent absolument pour tous les princes et qui ne peut donc pas avoir été une particularité propre à Vespasien.

[27] La sanctio seule est rédigée à l’impératif : Si quis... fecit fecerit... id ei ne fraudi esto. Au contraire le corps de la loi est formulé dans une série de paragraphes commençant par uti.... liceat etc. comme c’est l’usage dans les sénatus-consultes. La formule peut avoir été quelque chose comme : Imp. Vespasianus tribunicia potestate esto uti divus Augustus fuit et ratum esto quod senatui placuit, uti ei liceat.

[28] Les pouvoirs sont ordinairement attribués à Vespasien à l’exemple d’Auguste, de Tibère et de Claude, celui d’étendre le Pomerium exclusivement à l’exemple de Claude. Il résulte de là que, comme il est au reste établi d’autre part, ce droit n’a pas été compris dans les attributions d’Auguste et de Tibère.

[29] César avait déjà reçu la concession de ce siège. — Nous avons remarqué, tome II, que le prince avait en même temps droit au siège curule.

[30] Dion, 53, 17. Des exemples certains sont donnés par Tacite, Ann. 1, 13. 3, 70. 14, 48 et Dion, 60, 4. Suétone, Tib. 33 : Constitutiones senatus quasdam rescidit se rapporte sans doute aussi à cela. C’est souvent un point douteux de savoir s’il s’agit d’un simple avertissement ou d’une intercession en forme.

[31] Dion, 60, 4 (cf. 53, 17). Dans le serment général prêté à l’avènement de Caligula (C. I. L. II, 172), il est dit : Si quis periculum ei salutiq. ejus infect in feretque, armis bello internecivo leva mariq. persequi non desinam, quoad pœnas si persolverit. Suétone, Tib. 11, rapporte comme le seul cas dans lequel Tibère à Rhodes exercuisse jus tribuniciæ potestatis visus sit, qu’un mot injurieux ayant été dit contre lui dans une discussion savante, il se rendit chez lui, revint avec ses appariteurs et cita et incarcéra le coupable. C’est en considération de la même idée que le contemporain d’Auguste, Denys, 11, 6, représente les décemvirs legibus scribundis, comme menaçant un sénateur insoumis de le précipiter de la roche Tarpéienne en vertu de leur puissance tribunicienne. — Au reste, César reçut déjà le caractère sacro-saint.

[32] C’est en considération de cela qu’Auguste aura déclaré, en repoussant la cura legum et morum, que sa puissance tribunicienne lui suffisait. Il ne peut guère être là fait allusion à l’une des clauses spéciales qui ont renforcé cette puissance.

[33] Le récit de Tacite (Ann., 1, 6), selon lequel Auguste garde la puissance tribunicienne parce qu’elle suffit ad tuendam plebem, se rattache sûrement à des explications de ce genre données par Auguste lui-même relativement à sa puissance tribunicienne.

[34] Quand, par exemple, Tibère qui respecte rigoureusement la lettre de la lui dépose un magistrat (Suétone, Tib. 25), il y a probablement là un acte tribunicien de l’espèce indiquée au tome Ier, Droit de prohibition, etc., n° 2 ; car le prince n’aurait pas le droit de le faire en vertu de ses autres attributions. Les expulsions de Rome, prononcées fréquemment par les empereurs à titre de mesure de police (par exemple, Suétone, Tib. 36), doivent également avoir eu pour modèle les édits tribuniciens similaires.

[35] Dion, 51, 19.

[36] Nous avons expliqué, que l’extension de l’intercession tribunicienne à la première borne milliaire impliquait la soumission théorique du territoire militiæ à la puissance tribunicienne impériale. La preuve qu’on en a déjà tiré cette conséquence sous Auguste est dans l’arrestation opérée par Tibère à Rhodes en vertu de sa puissance tribunicienne (Suétone, Tib. 11).

[37] Cela n’est dit nulle part ; mais c’est une règle qui ne peut avoir fait défaut. Quand le prince intercédait en vertu de sa puissance tribunicienne, l’opposition de ses collègues était par elle-même sans effet ; mais lorsqu’il agissait par voie de coercition et qu’elle eut été en elle-même admissible, la puissance tribunicienne de l’empereur a nécessairement été érigée en major par une clause spéciale. La puissance tribunicienne du corégent doit de même avoir été tenue pour major en face des tribuns du peuple et pour minor en face du prince.

[38] Ainsi la propriété fiduciaire qu’à l’empereur sur le sol des provinces impériales n’est probablement pas venue de sa puissance proconsulaire, mais a été légalisée par une clause spéciale de la loi d’investiture.