LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

CARACTÈRE VIAGER ET ÉPONYMIE.

L’annalité de la magistrature supérieure est de l’essence de la République : elle a vécu et elle est tombée avec elle. Le caractère viager du principat est de l’essence de la monarchie : il est né avec le principat et il a été maintenu sous lui sans exception.

Le véritable germe de la magistrature impériale, la puissance proconsulaire n’a jamais été soumise au principe de l’annalité[1], quoique ce principe ait été à la même époque appliqué au proconsulat ordinaire et qu’il n’y eut pas d’obstacle pratique direct à organiser le proconsulat impérial selon les mêmes règles en lui appliquant l’itération sans limite. L’annalité était trop solidement unie au caractère de la République pour être admise, ne fut-ce qu’en théorie, dans la nouvelle puissance proconsulaire qui écartait la République en pratique. Sa durée viagère a été exprimée par la façon de laquelle Auguste a pris le nom d’imperator. Il a pris comme nom propre et, par conséquent, à vie, et sans lui enlever l’idée de compétence qu’elle contenait, cette dénomination qui exprimait sans aucun doute directement la possession de l’imperium ; et lorsqu’il abdiqua, en 731, le consulat qu’il avait jusqu’alors occupé à titre permanent, la puissance proconsulaire lui fut expressément confirmée à vie et indépendamment du lieu où il se trouverait[2], il est, comme l’appellent des documents contemporains, imperator perpetuus[3], et tous ses successeurs ont en cela suivi son exemple. Car la réserve que fit Tibère, en prenant le pouvoir, du droit de se retirer plus tard[4] est sans importance juridique, puisque l’admissibilité de la démission se comprend en dehors de là d’elle-même. Il. n’a été fait non plus aucune tentative pour soumettre l’autorité impériale à un terme extinctif.

Quant au côté non militaire du pouvoir, Auguste choisit pour lui, verrons-nous, lors de la constitution du principat en 727, les formes du consulat et de la puissance tribunicienne, dont il abandonna, d’ailleurs, la première en 731 pour se borner à la seconde. D’annalité resta en vigueur pour le consulat ; mais Auguste, en revenant au système primitif de la République par l’admission illimitée de l’itération et de la continuation, s’y ménagea la possibilité d’une permanence de fait. Au contraire, la puissance tribunicienne a été, dès avant la constitution du principat, conférée à vie au futur souverain par une loi, et ce système n’a pas changé. Seulement lorsque Auguste résigna le consulat, l’annalité de la puissance tribunicienne fut combinée avec sa perpétuité en ce sens qu’à partir de là on a compté les années du calendrier de la puissance tribunicienne[5] et les empereurs postérieurs ont continué à faire, chacun pour lui, la même chose[6]. La raison en a sans doute été que le nouveau souverain avait besoin, à côté de la perpétuité du pouvoir, d’un moyen de compter le temps par les années de son règne et que, le procédé le plus indiqué lui faisant défaut par suite de sa renonciation au consulat[7], il en chercha l’équivalent dans l’application de l’annalité à la puissance tribunicienne. Cependant, nous avons déjà remarqué au sujet du consulat que, par corrélation avec le caractère hybride intermédiaire entre la République et la monarchie qui est le caractère du principat, la dénomination monarchique des années n’a pas prévalu[8] : la désignation républicaine des années par les consuls est restée exclusivement en vigueur[9] ; et c’était, d’ailleurs, elle qui correspondait le mieux aux besoins pratiques[10].

Il est difficile de déterminer la façon dont a été comptée l’année impériale tribunicienne[11]. Pour Auguste et ses successeurs immédiats, il est hors de doute qu’on n’a adopté ni l’ancienne année des tribuns commençant le 10 décembre[12] ni l’année du calendrier commençant le 1er janvier[13], et, par suite, il ne reste, pour commencer leur année tribunicienne, aucun autre jour que celui de leur arrivée au pouvoir. Pour Auguste, on regarde comme tel dans le calcul le jour auquel la puissance tribunicienne lui a été conférée comme annale[14]. Pour les empereurs suivants jusqu’à la fin du IIe siècle, on a considéré comme étant le premier jour de leur année, non pas celui où ils avaient reçu la puissance tribunicienne, mais le dies imperii[15], c’est-à-dire celui de l’acquisition de la puissance proconsulaire[16] ; si bien qu’il n’est pas rigoureusement exact de désigner l’année comme une année tribunicienne, à moins que, comme il n’est pas invraisemblable, la loi qui conférait la puissance tribunicienne l’ait conférée avec effet rétroactif à partir du dies imperii. Les indications d’années impériales tribuniciennes du Ier siècle s’accordent en général, d’une manière satisfaisante, avec ce système[17]. Il est seulement conforme à la nature du calcul des années tribuniciennes que, dans les cas où le successeur a déjà possédé la puissance tribunicienne avant son élévation au rang d’Auguste, la même unité subsiste et que l’on prenne par conséquent, pour point de départ du calcul même pendant son règne, le jour où il a acquis le poste de corégent[18]. S’il y a à la fois plusieurs possesseurs de la puissance tribunicienne, elle est conférée à son dernier acquéreur au jour du renouvellement annuel de celle établie précédemment, afin qu’on ne soit pas forcé d’admettre un commencement de l’année distinct pour chacun de ses possesseurs différents[19]. — Cela changea sous Nerva. L’ancien point de départ de l’année tribunicienne fixé au 10 décembre, a alors été étendu à la puissance tribunicienne de l’empereur pour laquelle on a décidé de considérer comme la première année du règne de chaque empereur le temps compris entre son arrivée au pouvoir et le 10 décembre suivant. La cause immédiate paraît en avoir été dans les circonstances politiques qui forcèrent à la fin de l’automne de l’an 97 l’empereur Nerva à ne pas attendre son jour d’entrée en fonctions (le 18 septembre) pour élever Trajan à la corégence. Afin de maintenir, malgré l’entrée au pouvoir immédiate de Trajan, l’identité du premier jour de l’année tribunicienne pour Nerva et pour lui, on abandonna l’année mobile changeant de point de départ avec chaque succession au trône et on la remplaça par l’année fixe[20] qui est, après quelques oscillations, bientôt arrivée à une prédominance exclusive[21]. Un témoignage de ce changement est la formule δημαρχικής έξουσίας qui apparaît depuis Trajan sur les monnaies provinciales de Syrie, des Cappadoces et de Chypre à la place de la dénomination έτους νέου ίεροΰ, constante pour l’année impériale, jusque et y compris Nerva[22]. La date du 10 décembre, comme début de l’année impériale récente, est établie par le témoignage de Dion au-dessus de tout doute au moins pour son époque[23], et c’est avec elle seule que s’accordent les dates de ce genre de Trajan[24], d’Hadrien[25] et des empereurs suivants[26], sauf cette réserve que, dans le désordre du IIIe siècle, il ne subsiste plus de règle, surtout dans les provinces, et que les dates fausses y deviennent communes avec la corruption de la langue[27]. Selon ce système, les commencements de l’année concordent nécessairement au cas de corégence ou de gouvernement en commun[28].

Les années de gouvernement des empereurs n’ont pas été comptées d’une manière officielle dans l’ensemble de l’empire, et il n’en est pas différemment dans l’usage courant dans la moitié latine de l’empire[29]. Lorsqu’on rencontre par exception le chiffre d’une année de règne, il ne faut peut-être penser ni à une année comptée du jour de l’arrivée au pouvoir ni à l’année tribunicienne du 10 décembre, mais à l’année du calendrier du 1er janvier, sauf le point incertain de savoir si l’année incomplète où les fonctions ont commencé est tout entière laissée de côté ou, au contraire, comptée comme complète[30]. Cependant il y a des pays qui font exception, ce sont les anciens pays royaux d’Orient, en particulier la Syrie et l’Égypte. On y était depuis longtemps habitué à dater par les années de règne et Auguste y a conservé l’ancien système. En Syrie, où l’on avait déjà commencé, sous le dictateur César, à compter les années à partir de sa victoire de Pharsale[31], les années de règne d’Auguste furent comptées à partir de sa victoire d’Actium[32], en se rattachant à l’année usitée dans le pays qui commençait à l’équinoxe d’automne ou, d’après la nouvelle ère bientôt introduite, au 1er octobre. L’exemple d’Auguste fut suivi par ses successeurs jusqu’à Nerva, probablement en comptant comme première année de règne le temps qui s’étendait de l’arrivée au pouvoir jusqu’au 1er octobre suivant[33]. Mais nous avons déjà remarqué qu’en Syrie et dans les pays soumis à l’influence de la Syrie, cette année impériale du 1er octobre disparut à partir de Néron et que l’on donna désormais pour base au calcul des années de règne l’année tribunicienne partant du 10 décembre.

Les années impériales ont été comptées d’une manière semblable en Égypte sous la domination romaine. Le premier souverain romain du pays, qui avait fixé le commencement de son pouvoir en Syrie à la bataille d’Actium, le plaça en Égypte à la prise d’Alexandrie le 1er août 724 = 30 avant J. C. et à la mort, survenue bientôt après, de la dernière reine indigène[34], et, au point de vue du calendrier, tout comme il fit probablement en Syrie, au nouvel an égyptien presque concomitant placé au 1er Thoth = 29 août[35] : de telle sorte qu’en Égypte on comptait la première année du règne d’Auguste comme s’étendant du 29 août 724 au 29 août 725. L’année mobile au nouvel an constamment déplacé, qui avait été jusqu’alors officiellement en usage en Égypte, fut écartée sous son règne par l’établissement d’une intercalation semblable à celle du calendrier Julien ; mais on conserva pour le surplus l’ancien mode de dater par les années de règne, si bien que l’on comptait comme la première année du règne de chaque empereur l’espace de temps s’étendant de son arrivée au pouvoir aux 29/30 août suivant[36]. L’année impériale tribunicienne n’ayant pas été introduite en Égypte, ce mode de calcul s’y est maintenu durant tout l’Empire.

 

 

 



[1] L’itération est inapplicable au proconsulat impérial. Le calcul des années de proconsulat impériales au lieu des années tribuniciennes sur les bornes milliaires espagnoles de Decius (C. I. L. II, 4809 et à ce sujet mes observations p. 742) est une exception exclusivement locale. Les inscriptions que l’on cite d’ordinaire en dehors de là comme preuves de l’itération du proconsulat, Gruter, 494, 1 (= C. I. L. II, 4655). 192, 4 (= C. I. L. VI, 8124). 264, 6 (= C. I. L. III, 5981). Reines, 3, 31 (= C. I. L. X, 7274). Mur. 253, 6 (= C. I. L. II, 4691). C. I. L. II, 4506, sont toutes interpolées ou de lecture incertaine.

[2] Selon Dion, 53, 32, le sénat décida, en 731, qu'Auguste serait tribun à vie, il lui accorda de mettre à chaque séance en délibération n'importe quel sujet il voudrait, lors même qu'il ne serait pas consul, et d'avoir, une fois pour toutes et à jamais, le pouvoir proconsulaire. La discordance qu’il y a entre cette allégation et la prise pour dix ans de l’administration proconsulaire d’un certain nombre de provinces en 727, prouve que cette dernière doit être séparée juridiquement de l’imperium général. A la vérité, cela n’a pas jusqu’à présent été fait suffisamment, même par moi, et la faute en est jusqu’à un certain point à Dion, qui rattache à l’acquisition des provinces spécialement impériales la προστασία τών κοινών (56, 28 ; cf. 54, 12) et l’αύτοκράτωρ ήγεμονία (54, 12 ; cf. 55, 6. 12), en fait avec raison, mais non pas au sens du droit public. Cf. la section des provinces impériales.

[3] Dans une inscription de l’île de Gaules (C. I. L. X, 7501), qui a été écrite dans les premières années de Tibère, Auguste est appelé deux fois imp(erator) perpe(tuus), à l’encontre du système des titres officiels, mais exactement au fond. Florus, in fine, désigne également la constitution du principat par Auguste par les mots : Dictus imperator perpetuus et pater patriæ.

[4] Il le déclara en prenant le pouvoir (Suétone, Tibère, 24, rapporte ses paroles), mais il n’y eut pas de terme fixé. Dion relève par opposition à Auguste l’acquisition faite désormais à vie du gouvernement par Tibère et les empereurs postérieurs ; mais cette opposition vient d’une confusion.

[5] Les fastes du Capitole rapportent, l’une à côté de l’autre, à partir de l’an 734, la dénomination des années par les consuls et celle propre au Principat. Cette modification est introduite par les mots : [Auqustus postquam consu]latu se abdicavit, tr[ib(unicia) pot(estas) annua facta est] ; car c’est sans doute à peu prés ainsi qu’il faut compléter le texte. Les additions n’ont pas été faites en ajoutant les changements d’années tribuniciennes à la suite des changements de consuls, montre en particulier clairement l’an 742. Les dates impériales et consulaires suivent leur cours indépendant et, selon toute apparence, en indiquant la première d’après le chiffre tribunicien en cours le 1er janvier ; car sans cela il ne pourrait pas y avoir eu, pour l’an 732 [tribu]nicia potes(tate) sans complément. Il est surprenant qu’en l’an 732 ce soit l’année consulaire et que, depuis l’an 742 (car, par suite de la consistance du fragment complet qui suit, l’empereur ne peut pas avoir été là au-dessous des consuls et la restitution doit être modifiée dans ce sens), ce soit l’année tribunicienne qui soit la première ; les années intermédiaires manquent. — Les fastes de Préneste (C. I. L. I, p. 474, ed. 2, p. 72 = C. I. L. XIV, n. 2963) sont disposés de la même manière pour les années 758-760 qui seules y sont conservées : ainsi, par exemple, pour l’an 759, on trouve rapportées d’abord l’année impériale en cours depuis le 1er juillet 758, puis les consuls. — Les autres fastes conservés n’indiquent pas les années impériales.

[6] Dion, 53, 17.

[7] On n’a jamais daté par l’empereur dans les provinces impériales d’après le système de l’éponymie qui appartenait au proconsul dans les provinces du sénat ; la puissance proconsulaire de l’empereur n’est aucunement apte à une pareille éponymie locale.

[8] Quand le jeune Drusus fut élevé à la corégence en l’an 22, on proposa au Sénat, ut publicis privatisque monumentis ad memoriam temporum non consulum nomina præscriberentur, sed eorum, qui tribuniciam potestatem gererent (Tacite, Ann. 3, 57).

[9] Il est caractéristique qu’Auguste lui-même dans son exposé de son gouvernement, date habituellement par les consuls et ne date, par la puissance tribunicienne qu’une fois à côté de la date consulaire (3, 15) et une fois exclusivement (3, 12, rapproché de 1, 29) ; il l’est aussi que les fastes du Capitole donnent les unes à côté des autres, en laissant le choix, les dénominations consulaires et tribuniciennes des années. En dehors de ces exemples insuffisants, je ne connais aucun témoignage de l’emploi des années tribuniciennes pour les dates. Elles figurent exclusivement dans le titre officiel de l’empereur. Auguste paraît avoir songé à une dénomination monarchique des années ; mais il n’a pas réalisé cette idée et ses successeurs ne l’ont pas reprise.

[10] Tant que son commencement a été mobile, c’est-à-dire jusqu’à l’an 100 après J.-C. environ, l’année impériale a été, comme l’ancienne année consulaire, dépourvue du premier élément nécessaire pour un calcul pratique des années, à savoir d’une unité de compte uniforme. Cet élément a existé dans l’année impériale postérieure ; mais il fallait, afin de conserver l’uniformité de cette unité, compter ensemble la dernière année impériale de l’ancien empereur et la première de l’empereur suivant, et un nouvel obstacle résultait de ce que l’année impériale ne commençait pas à la date depuis longtemps enracinée du 1er janvier.

[11] Le travail le plus récent sur ce sujet, celui de Stobbe, Die Tribunenjahre der rœmischen Kaiser (Philologus, 32, 1873, pp. 1-91), a le mérite de reprendre pour la première fois d’une manière complète une question difficile qui n’avait pas été traitée dans son ensemble depuis les recherches justement célèbres de Eckhel, D. n. 8, 391-449 et d’y avoir embrassé les nouveaux documents venus au jour depuis Eckhel. Mais les résultats en sont faux. L’auteur part de l’hypothèse que certains événements survenus après l’acquisition de la puissance tribunicienne, en particulier la création d’un corégent, équivalent à l’expiration d’une année tribunicienne résultant du calendrier et auraient entraîné un changement du point de départ de ces années. Il abandonne par là complètement le principe du calcul par années, cependant souligné par Dion, car alors l’unité ne serait même plus égale durant le règne d’un même empereur. L’hypothèse se montre aussi peu satisfaisante dans son application que dans son principe, car, d’une part, les nominations de Césars sont très fréquemment négligées et, d’autre part, l’hypothèse ne résout qu’en apparence ou ne résout pas du tout une quantité de problèmes. Par exemple, la nomination de Trajan comme César en septembre 97 est suivie d’une itération de la puissance tribunicienne au milieu de janvier 98, et une itération extraordinaire d’Hadrien, en février 129, est indiquée comme e un problème absolu a tandis que l’élévation de L. Ælius au rang de César, en l’an 157, laisse les chiffres tribuniciens intacts.

[12] Si l’on calculait la puissance tribunicienne d’Auguste d’après cette année, en prenant donc, comme première année tribunicienne, le temps qui va du 1er juillet au 9 décembre 731, sa tr. p. XIIX irait du 10 décembre 747 au 10 décembre 748 en contradiction avec le monument d’Ancyre (3, 15, tr. pot. XIIX à côté de cos. XII, donc en 749) et la tr. p. XXVII serait en cours le 2 avril de l’an 4 après tandis que le décret de Pise rendu en l’honneur de C. Cæsar indique pour ce jour la tr. p. XXVI. Les diplômes de Claude du 11 décembre 52 et de Galba du 22 décembre 68 devraient indiquer, le premier, la tr. p. XIII et, le second, la tr. p. II, tandis qu’ils nomment la douzième et la première. Il existe une quantité d’autres preuves.

[13] Si Auguste avait pris le 1er janvier 732 la tr. p. II, la tr. p. XIIX se placerait en 748, la tr. p. XXVI en l’an 3 après J.-C. Il serait superflu d’accumuler d’autres preuves.

[14] La date n’est pas au-dessus de tout doute ; il est certain qu’Auguste adopta Tibère le 26 juin de l’an 4 après J.-C. (calendrier d’Amiternum, C. I. L. I, p. 395 = ed. 2, p. 243 ; Velleius, 2, 103, ou son copiste indique le 27 juin) et lui conféra, en même temps, la puissance tribunicienne ; il ne l’est pas moins que les années tribuniciennes d’Auguste et de Tibère suivent un cours absolument parallèle et que, par conséquent, Auguste conféra la puissance tribunicienne à Tibère le jour du calendrier où il l’avait reçue. D’un autre côté, les fastes capitolins associent l’introduction de la puissance tribunicienne annale à l’abandon par Auguste du consulat permanent qu’il avait occupé jusqu’en l’an 731. Ce dernier a eu lieu certainement, verrons-nous, entre le 14 juin et le 15 juillet, et, selon toute vraisemblance, par l’entrée en fonctions des consuls subrogés le 1er juillet ; car Auguste parait avoir depuis lors mis en pratique le consulat semestriel. Or, la simultanéité de l’adoption et de la collation de la corégence n’impliquant pas exactement une identité de jour, il, faut probablement placer la première au 26 juin et la seconde au 1er juillet. Cette conclusion me semble plus simple que l’explication essayée par O. Hirschfeld (Wiener Studien, 1884, p. 97 et ss.) de la première date comme point de départ du règne d’Auguste à raison des motifs religieux.

[15] Nous traiterons de l’importance et du nom de ce jour au sujet de la puissance proconsulaire.

[16] C’est hors de doute pour Vespasien. Son dies principatus est le 1er juillet 69 (Suétone, Vesp. 6), tandis que la puissance tribunicienne ne lui a été conférée qu’après la mort de Vitellius le 20 décembre 69 par le sénat et quelque temps après par le peuple (Suétone, Vesp. 12). Le diplôme du 2 décembre 76 (C. I. L. III, p. 853), avec tr. p. VIII et non VII, montre qu’il calculait sa puissance tribunicienne du 1er juillet 69 et non de janvier 70. Borghesi, Opp., 6, 1-21 fournit d’autres preuves. Il y a en conséquence de grandes vraisemblances pour qu’à partir de Caligula, même lorsque la transmission du trône avait lieu régulièrement, la puissance tribunicienne ne fut comptée ni du jour du décret du sénat y relatif (qui se confondit, du reste, de très bonne heure, avec celui relatif à l’imperium) ni de celui de la renuntiatio aux comices, mais toujours du dies imperii ainsi, par exemple, le commencement de l’année tribunicienne est, pour Néron, le 13 octobre et non le 4 décembre, pour Domitien le 13 septembre et non le 30.

[17] Il n’y a à faire de difficultés véritables que les dates de Néron (réunies chez Stobbe, loc. cit., p. 26) desquelles Henzen a traité, Hermes, 2, 49 et ss. Elles sont, en comptant les années de son arrivée au pouvoir le 13 octobre 54 — ainsi que Sénèque, Ludus, init. : ... A. d. III idus Oct. anno nove initio sæculi felicissimi, suffit à l’exiger — toutes dans l’ordre jusque et y compris l’an 59. Et elles le seraient également si, au lieu de partir de l’arrivée au pouvoir, on le faisait, avec Stobbe, p. 23, des comices tribuniciens du 4 déc. 54 ; car les documents peu nombreux que nous possédons s’accordent également avec les deux commencements de l’année. On trouve, en conséquence, le 3 janvier 59 daté par tr. p. V imp. VI cos. III des. IIII (actes des Arvales ; et les monnaies de Cohen, n. 29. 30 = 213. 214, combinent encore la tr. p. VI = 13 octobre 59 au 13 octobre 60 avec cos. IIII = 1er janvier 60. Mais les actes des Arvales de l’an 60 donnent à deux reprises, sous les dates du 1er et du 3 janvier, le titre tr. pot. VII imp. VII cos. IV et un diplôme militaire du 2 juillet, qui appartient, selon les plus grandes vraisemblances, à la même année (C. I. L. III, p. 845), est probablement d’accord avec eux. Les dates venant de l’époque postérieure de Néron ne rendent aucun service ; car aucune d’entre elles n’est fixée chronologiquement d’une manière indépendante et elles sont toutes conciliables avec une des supputations comme avec l’autre. En fait il est donc établi que Néron reçoit le 1er janvier 60 tant la tr. p. VI que la tr. p. VII. L’explication tentée par moi, Hermes, 2, 58 et ss., tombe en présence de la connaissance plus précise des comices tribuniciens que nous devons aux fragments des actes des Arvales nouvellement découverts, et elle a été repoussée avec raison par Henzen (Bullet., 1869, p. 99) et par Stobbe (loc. cit., p. 24). Mais il est aussi impossible de s’associer à Stobbe pour attribuer le diplôme à une autre année et pour considérer les actes des Arvales comme le produit d’une erreur. La raison, est au contraire, encore ici, certainement dans un changement de système. Si, comme plus tard Nerva, César a prescrit, dans le cours de l’an 60, de compter sa puissance tribunicienne d’après les années tribuniciennes véritables, donc de compter la période s’étendant du 15 octobre au 9 décembre 54 comme tr. p. I., la tr. p. VII s’étend du 10 décembre 59 au 10 décembre 60, et on peut avoir procédé en partant de là lorsqu’on rédigea, au commencement de l’an 61, les procès-verbaux des Arvales pour l’an 60.

[18] Lors de la mort d’Auguste, le 19 août 14, la tr. p. XVI était en cours pour Tibère depuis le 1er juillet. Si l’on admettait que l’année du règne eût été dorénavant prise pour base et que, par conséquent, on eût compté l’année s’étendant du 19 août 14 au 19 août 15 comme tr. p. XVII (ou en tout cas encore l’espace s’étendant du 1er juillet 14 au 19 août 15 comme tr. p. XVI), on trouverait pour le jour de sa mort le 16 mars 37, tr. p. XXXIX (ou selon la seconde méthode tr. p. XXXVII), tandis qu’il est mort notoirement tr. p. XXXVIII. — Pour Titus, le jour où il devient corégent, le 1er juillet, est si rapproché du jour de la mort de Vespasien, le 24 juin, que les documents s’accordent tous avec les deux supputations. La monnaie (Borghesi, Opp. 6, 12), qui l’appellerait Aug. et lui attribuerait la tr. p. VIII n’est pas suffisamment attestée.

[19] Il est hors de doute qu’Auguste et Vespasien conférèrent la puissance tribunicienne, le premier à Tibère et le second à Titus, au commencement de leur propre année tribunicienne ou en en partant et qu’en conséquence les années tribuniciennes de l’empereur et du corégent avaient là le même point de départ (Borghesi, Opp. 6, 10) ; il en est probablement de même pour Agrippa et Drusus. Le prince se trouvait là en situation de choisir le jour librement.

[20] Nous avons de nombreux documents de l’an 97 (Nerva cos. III) avec la première tr. p. de Nerva (Eckhel, 6, 406. C. I. L. II, 956. III, 3100. IX ; 5963. X, p. 4099), qui, puisqu’il monta sur le trône le 18 septembre 96, excluent le commencement de l’année le 10 décembre et appartiennent à l’ancien système selon lequel sa tr. p. II commence le 18 septembre 97. D’autre part, une inscription de Dalmatie, de lecture absolument certaine (Eph. ep. II, 339, n. 5231), de la même année a la tr. p. III, qui exige le nouveau calcul selon lequel la tr. p. commence le 10 décembre 97 et les vingt derniers jours de l’an 97 sont à la fois cos. III et tr. p. III. Par concordance, de nombreuses inscriptions (C. I. L. VI, 953, à la vérité de lecture incertaine ; C. I. L. X, 6824. 6826), de l’an 98 (Nerva cos. IIII), dans le premier mois duquel mourut Nerva présentent également la tr. p. III. A la vérité Pick fait remarquer avec raison que dans l’inscription de Dalmatie, Germanicus manque à tort, et que les deux inscriptions C. I. L. X, 6824. 6826, sont des bornes milliaires d’une route commencée par Nerva et finie par Trajan. Il est probable que le changement a été seulement réalisé par Trajan. Mais ce n’est pas sans de bonnes raisons qu’il est rattaché à Nerva pour lequel seul existe le motif politique indiqué au texte.

[21] Le diplôme de Trajan avec tr. p. III (C. I. L. III, p. 863) du 14 août 99 (où Trajan est encore appelé cos. II et celui avec tr. p. VII (C. I. L. III, p. 864) du 19 janvier 103 (fixé par les consuls) ne s’accordent qu’avec le nouveau système qui compte comme la première année de son règne le temps qui s’étend d’octobre au 9 décembre 97 ; et les autres dates s’accordent communément avec cela, ainsi la tr. p. XXI de Trajan à sa mort le 11 août 117, qui serait selon l’ancien système dans sa tr. p. XX. Cependant il existe, en négligeant des inscriptions de tradition incertaine et des inscriptions provinciales, quelques exceptions mieux établies. Le diplôme de Trajan C. I. L. III, p. 862, du 20 février 98 devrait lui attribuer, d’après la date fixe du nouvel an, la tr. p. II ; or il n’y a pas de chiffre et par conséquent on a le choix entre une omission irrégulière et l’application de l’ancien système selon lequel la première tr. p. de Trajan courait, en dehors de celle de Nerva, d’octobre 97 à septembre 98. L’inscription de la ville de Rome du 29 décembre 100 (C. I. L. VI, 451) avec tr. p. IIII est d’accord avec l’ancien système, tandis que le nouveau exige tr. p. V. — La doctrine proposée par Borghesi, Opp. 5, 20, et consistant à compter comme la première année de Trajan la période de sa corégence, d’octobre 97 à janvier 98 et prendre ensuite comme point de départ de son année tribunicienne le jour de la mort de Nerva, le 27/28 janvier, n’est pas d’accord avec le diplôme cité plus haut, du 19 janvier 103, qui se placerait alors dans sa tr. p. VI.

[22] Eckhel, 4, 448. Selon les remarques exactes de Pick, dans la Zeitschrift de Sallet, 14, 344, c’est d’après cette année tribunicienne qui doivent, en dehors de l’Égypte, être déterminées les dates de règnes qui se trouvent nommés sur les monnaies et les inscriptions de l’Orient, par exemple celles des monnaies de Cappadoce (Eckhel, 3, 189) et les années de gouvernement de Marc-Aurèle, sur les inscriptions d’Avidius Cassius, 9 (janvier - 9 décembre 169, puisque Verus manque : Waddington, n. 2231. 2438), 10 (10 décembre 169/170 : Waddington, n. 2334) et 11 (10 décembre 170/171 : Waddington, n. 2212).

[23] Eckhel, loc. cit., a justement reconnu que le commencement de l’année impériale a été à l’origine mobile et est devenu plus tard fixe. Mais il plaçait la démarcation sous Antonin le Pieux en l’an 154 (p. 414. 447) : Borghesi a montré pour Hadrien (sur Henzen, 5459) et moi pour Trajan (Hermes, 3, 126 et ss. = tr. fr. 100 et ss.) qu’il faut aussi admettre pour eux le commencement fixe de l’année. Mais on a jusqu’à présent constamment considéré comme tel le jour de l’an du 1er janvier, qui conduit au reste dans la plupart des cas à la même date. Les principales difficultés disparaissent en lui substituant le jour indiqué par Dion, verra-t-on dans les notes qui suivent.

[24] La monnaie de Trajan qui porte la Fortune assise avec la légende tr. p. VII (à côté de la tr. p. VI beaucoup plus fréquente) imp. IIII cos. IIII des. V (Cohen, 354 = 174) et qui est la véritable pierre d’achoppement dans la chronologie de Trajan, a été rejetée par moi, loc. cit. p. 128 = tr. fr. p. 102, parce qu’elle est inconciliable avec le premier jour de l’an fixé au 1er janvier. Mais une empreinte, qui m’en a depuis été communiquée par Waddington, m’a montré qu’elle est inattaquable sous les rapports de l’authenticité et de la lecture, et, en partant du nouvel an placé au 10 décembre, elle peut s’accorder avec la période qui va du 10 décembre 102 au 31, puisque Trajan est entré dans un cinquième consulat le 1er janvier 103. Il en est de même des tetradrachmes d’Antioche avec Trajan δημ. έξ. ις' à côté d’ύπ. ε' et ύπ. ς' (Eckhel, 5, 451) ; l’empereur a été cos V du 10 décembre 111 au 31, et cos. VI à partir du 1er janvier 112.

[25] Borghesi a déjà rappelé, loc. cit., qu’il n’y a aucun fond à faire sur le diplôme mal transmis du 18 février 129 (C. I. L., III, p. 875) et il est inconcevable que Stobbe, p. 37, ait voulu de nouveau se fonder là-dessus pour renverser la chronologie parfaitement claire de cet empereur. L’inscription avec tr. p. II cos. III (C. I. L. VI, 968), également inconciliable avec le commencement de l’année placé au 10 décembre, est pareillement appuyée d’une façon tout à fait insuffisante. L’absence du chiffre d’itération pour la tr. p. quoiqu’il soit joint à cos. est la règle sur les monnaies d’Hadrien et n’est pas non plus absolument sans exemple sur ses inscriptions (Orelli, 342 = Inscr. Helvet. 331) ; on n’est donc pas forcé de placer les titres sur lesquels il y a tr. p. à côté de cos. II (Cohen, n. 98. 349. 635. 636. 954 = 91. 92. 191. 914. 1026 ; Henzen, 5330 = C. I. L. VIII, 1479) nécessairement dans sa première année tribunicienne. — On a aussi découvert dernièrement un document dans lequel est exprimée la différence de commencement de l’année tribunicienne et de l’année consulaire : c’est une inscription de Tibur (C. I. L. XIV, 4235), datée du 19 ou du 29 décembre 135, qui lui attribue la [tr. pot. X]X commentant le 10 décembre de la même année.

[26] Il y a des monnaies de Marc-Aurèle de sa tr. pot. XV, les unes avec cos. des. III (Cohen, n. 267, add. n. 31. 38 = 771, 772), les autres avec cos. III, qui se placent donc les premières entre le 10 et le 31 décembre 160, les secondes entre le 1er janvier et le 9 décembre 161. — La chronologie difficile de Commode est aussi dans l’ordre pour les points essentiels, si on place sa tr. p. I entre le 27 novembre et le 9 décembre 176, sa tr. p. XVII du 10 décembre 191 au 10 décembre 192, et sa dernière tr. p. la XVIII, du 10 au 31 décembre 192. La monnaie avec tr. p. IIII imp. II cos. (Cohen, add. n. 16 = 224) qui, suivant Eckhel, devrait se placer en 119 et, par conséquent, porter cos. Il peut, d’après cela, avoir été frappée à la fin de 178 ; et il reste par suite, pour la tr. p. XVIII qui est pleinement attestée, l’espace qui manque dans le système de Eckhel. Sans doute Commode paraît, soit d’après son biographe, c. 12, soit d’après les monnaies, avoir été fait seulement imperator le 27 novembre 176 et n’avoir reçu la puissance tribunicienne que dans le cours de l’année 177. C’est pourquoi on fixa d’abord, comme terme extinctif à sa tr. p. I, le 9 décembre 171, système auquel appartiennent les monnaies peu, nombreuses avec tr. p., cos. (Eckhel, 6, 106 ; Cohen, n. 238. 239). Mais très peu de temps après on fixa le dies imperii au 27 novembre 176 et, par conséquent, le terme extinctif de la tr. p. I au 9 décembre 176, auquel il resta dorénavant. Stobbe, p. 43 est arrivé par une argumentation incisive à des résultats analogues.

[27] Par exemple, les inscriptions africaines de la tr. p. VIIII de Sévère (C. I. L. VIII, p. 1043) = 10 décembre 200/201 l’associent le plus souvent correctement avec cos. II (194-201), mais aussi parfois avec cos. III (202) ; une autre inscription africaine (C. I. L. VIII, 6306) donne à Sévère son titre correct pour l’an 205, mais à Caracalla la tr. p. VIIII cos. III au lieu de tr. p. VIII cos II. Il y a de Caracalla différentes monnaies (Eckhel, 7, 204) avec tr. p. IIII (10 décembre 200/201), cos. (202). Les nombreuses inscriptions de cet empereur de 212 (10 décembre 211/212, tr. p. XV ; jusqu’au 31 décembre 212, cos. III, des. IIII) et 213 (10 décembre 212/213, tr. p. XVI ; depuis le 1er janvier 213, cos. IIII) sont particulièrement corrompues ; nous trouvons sur une pierre de Pannonie (C. I. L. III, 4452) tr. p. XVI, cos. III des. IIII, sur une inscription indiquant les consuls de 213 (C. I. L. X, 7228) tr. p. XVII, cos, IIII ; sur une monnaie (Eckhel, 8, 425) tr. p. XVI, cos. III ; sur une autre (loc. cit.) et sur de nombreuses inscriptions de diverses contrées (C. I. L. II, 1671. III, 314. VIII, 4196. 4197), tr. p. XV, cos. IIII. Cela va toujours ainsi dans une progression constante ; celui qui connaît les dates d’Aurélien sait ce que c’est que la confusion. Si l’on peut conclure quelque chose de ces monuments, c’est tout au plus que l’on s’épargnait fréquemment alors l’addition de des. à cos. Il ne faut pas oublier en quelle quantité nous possédons les inscriptions et les monnaies de ces années, parmi lesquelles l’immense majorité et, en particulier, les documents de la meilleure qualité se conforment en somme au système.

[28] La quinzième année tribunicienne de Marc-Aurèle et la première de son frère Verus ont sans doute un commencement différent, la première partant du 10 décembre 160 et la seconde seulement de la mort d’Antonin le Pieux le 7 mars 161 ; mais elles finissent toutes deux le 9 décembre 161.

[29] La durée du règne des divers empereurs est ordinairement comptée par années, mois et jours, et ensuite fréquemment ramenée à un chiffre rond. Ainsi, par exemple, Tibère règne vingt-deux ans sept mois et sept jours d’après Dion, 58, 28, et la chronique de la ville (qui porte 28 jours par une faute d’écriture) et il meurt selon Suétone, Tibère, 73, dans la vingt-troisième année de son règne, ou, suivant une formule moins exacte (Philon, Leg. 21. 37. Tacite, Dial. 17), il règne vingt-trois ans. Mais celui qui comptait ainsi, ne comptait pas du tout pour cela comme la première année du règne de Tibère celle s’étendant du 19 août 14 au 19 août 15.

[30] Tacite indiqué l’an 23 comme la neuvième de Tibère, Ann., 4, 1, (C. Asinio C. Antistio cos. nonus Tiberio annus erat) où il parait s’agir de l’année du calendrier romain et le calcul être fait en partant du 1er janvier 15. L’inscription de Marseille (C. I. L. XII, 406) avec annus V Ti. Cæs[aris] Aug. pourrait aussi faire allusion à l’an 19 du calendrier, si cette inscription n’a pas été faite par un Syrien ou même transportée à Marseille, de Beyrouth, par exemple.

[31] Le commencement de l’ère césarienne dans l’automne de 705 est établi par les monnaies d’Othon datées d’après cette ère (Eckhel, 3, 282 ; aussi dans le cabinet de Berlin) ; c’est-à-dire que l’année syrienne allant du 1er octobre 705 au 1er octobre 706, dans laquelle la bataille de Pharsale eut lieu le 9 août, est la première de l’ère césarienne. Les dates postérieures de cette ère se conforment à cette donnée.

[32] Sur une inscription de Byblos (Renan, Phénicie, p. 241) cette année est appelée έτος (nombre) νίκης Καίσαρος Σεβαστοΰ Άκιακής, sur les monnaies d’Antioche (Eckhel, 3, 272) έτος νίκης, sur une autre inscription de Byblos (Renan, loc. cit., p. 224), έτος (nombre) τής ήγεμονίας Καίσαρος Σεβαστοΰ. L’année commençait en automne, nous enseignent en particulier les monnaies d’Antioche de l’an 29 de ce calcul (Eckhel, loc. cit.). Il est difficile qu’elle le fit au jour même de la bataille d’Actium (2 septembre) ; elle le faisait plutôt à l’ancien commencement de l’année syrienne placé à l’équinoxe d’automne et fixé, en vertu de la réforme du calendrier de César, au 1er octobre (Ideler, Chronol., 1, 430 et ss.). — Ce mode de calcul figure dans nos manuels, sous le nom d’ère d’Actium, à tort en ce que c’est plutôt le calcul des années de règne d’Auguste fait à partir de l’année marquée par cette victoire. A 1a vérité, on l’a encore continué quelques années après la mort d’Auguste ; les chiffres les plus élevés qu’on rencontre sont ceux du légat Silanus, mentionnant à Antioche l’an 45 (1er octobre 14/15) et à Séleucie l’an 47 (1er octobre 16/17) (communication de Imhoof ; Pick, dans la Zeitschrift f. Numismatik de Sallet, 14, 311), donc s’étendant jusqu’au commencement du règne de Tibère. Mais ce mode de supputation n’est pas trouvé ultérieurement ; et de même qu’on ne peut déduire en Égypte une ère d’Auguste de chiffres semblables, la prétendue ère d’Actium n’est rien autre chose que le mode syrien de supputation des années d’Auguste.

[33] Eckhel, 4, 418. Pick, dans la Zeitschr. f. Numismat. de Sallet, 14, 308 et ss. 331 et ss. Depuis Galba les monnaies font ordinairement précéder l’année impériale des mots έτους νέου ίεροΰ ; mais les années impériales sont probablement, après comme avant, les années correspondantes du calendrier provincial syrien. Assurément, il y a une monnaie de Néron, sur laquelle Pick, op. cit., 14, 312, a attiré l’attention, qui ne s’accorde pas avec cette doctrine. Néron étant arrivé au pouvoir le 13 octobre 54 et étant mort le 8 juin 68, ses années syriennes vont de l’an 1 de Néron = an 163 de César = 13 octobre 54 — 30 septembre 55 à l’an 14 de Néron = an 116 de César = 1er octobre 67, — 8 juin 68 ; et les monnaies ordinairement datées d’après ses années et celles de César sont d’accord avec cela. Mais une monnaie isolée qui indique l’an 10 = 111 fait exception. Pour la faire rentrer dans l’ordre, il faudrait admettre pour Néron un point de départ de son année syrienne antérieur au 1er octobre 54 ; mais on ne peut le discerner. L’ère d’Actium fournirait une telle année, si elle partait du 2 septembre ; mais, puisqu’elle fut abandonnée à la mort d’Auguste, ce commencement de l’année problématique en lui-même n’a pu avoir été pris pour base pour l’année de règne de Néron. Il doit y avoir eu là une erreur de frappe.

[34] La double date de ses monnaies et des inscriptions des années 718 à 124 a été expliquée d’une manière satisfaisante par Wescher (Bull. dell’ inst. 1866, p. 199 et ss.) et Krall (Wiener Studien, 5, 313 et ss.). La supposition du premier selon laquelle la seizième année de Cléopâtre aurait été en même temps comptée comme la première de Marc Antoine, est en contradiction avec la suscription des monnaies βασιλίσσης Κλεοπάτρας έτους κα' τοΰ καί ς', qui exige au contraire pour Cléopâtre deux commencements de règne, et avec l’allégation expresse du compétent Porphyre (chez Eusèbe, éd. Schœne, p. 170), selon laquelle la seconde supputation se rapporte au commencement du règne de Cléopâtre dans quelques parties de la Syrie. Antoine n’a jamais compté pour lui d’années royales égyptiennes.

[35] Les assertions de Censorinus (21) et des chronologues grecs Ptolémée et Théon mettent cette donnée hors de doute (Ideler, 1, 153 et ss.) ; les premières années d’Auguste ont, à la vérité, encore été comptées d’après l’ancien système dépourvu d’intercalation, et l’année intercalaire n’a été introduite en Égypte qu’en 128 (v. ma Chronol., p. 266 et ss.). Si d’après Dion, 51, 19, le sénat décida que le jour de la prise d'Alexandrie serait répute jour heureux et servirait désormais de point de départ pour la supputation des années de l'empire romain, l’an 724/723 est sans doute la première année des έτη έπό Αύγούστου égyptiennes, comme les appelaient les fastes de Théon. Mais le jour où commençait l’année égyptienne n’a pas alors changé et c’est une erreur de Dion de relier ce mode de calcul au jour de la prise de la ville.

[36] Les dates égyptiennes que nous possédons du temps du règne d’Auguste ont donné lieu à quelques incertitudes. Sur les inscriptions du temps d’Auguste trouvées en Égypte, le chiffre d’années le plus bas est jusqu’à présent l’an 14 (Letronne, Inscr. de l’Égypte, 2, p. 139. 141 = C. I. Gr. n. 4933. 4935, avec les additions ; l’inscription de l’obélisque d’Alexandrie, Eph. ep., IV, p. 26, appartient d’après la lecture aujourd’hui certaine, Eph. ep. V, p. 2, à sa dix-huitième année et non à la huitième) et la date la plus élevée (Letronne, loc. cit., p. 423 = C. I. Gr. 4716 d, vol. III, p. 1191) est Phamenoth (février-mars) 43. Sur les monnaies alexandrines d’Auguste, la chiffre le plus bas de lecture certaine est 20 (Sallet, Daten der alexandrinischen Kaisermuenzen, p. 14), les plus élevés 44, sur un exemplaire unique qui se trouve au musée de Berlin (d’après une communication de Sallet), et 46, sur deux empreintes qui ne sont jusqu’à présent connues chacune que par un exemplaire. — D’après le calcul officiel, Auguste mourut dans la quarante-troisième année presque accomplie de son règne et l’Alexandrin Philon ledit également, Leg. ad Gaium, 22. Cependant, sa mort n’étant sans doute pas connue en Égypte le jour où il serait entré dans sa quarante-quatrième année la monnaie avec 44 pourrait s’accorder avec ce calcul. Au contraire, cet expédient est inapplicable aux monnaies portant le chiffre 46. Il n’est plus nécessaire de s’attarder sur les autres tentatives de conciliation depuis que Krall (Wiener Studien, 5, 314 et ss.) a trouvé la solution simple tirée de ce que Tibère, au commencement de son règne, duquel il ne semble pas y avoir de monnaies de lui, a nécessairement continué à compter par les années de son père, comme a fait plus tard Commode. L’analogie de la frappe d’Antioche vient encore confirmer cette doctrine.