LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

NOMINATION EN GÉNÉRAL.

La nomination de l’empereur[1] est avec celle des magistrats de la République dans le même rapport que les titres du premier avec ceux des seconds. Afin de pourvoir le nouveau prince de la plénitude des pouvoirs impériaux, il fallait, puisque la puissance impériale se ramène, en la forme, à la réunion de la puissance proconsulaire et de la puissance tribunicienne, deux actes distincts de collation qui ne peuvent être appréciés convenablement qu’en eux-mêmes et qui le seront dans les sections à eux consacrées[2]. Quant à la relation des deux actes, au sens rigoureux la nomination de l’empereur se confond avec l’acquisition de la puissance proconsulaire et la prise concomitante du nom d’Auguste ; mais il faut néanmoins toujours un acte spécial pour l’acquisition de la puissance tribunicienne. Il en faut également un pour les accessoires qui ne sont pas incorporés dans la puissance impériale, mais qui y sont liés plus ou moins, fixement. Nous avons déjà traité de l’acquisition du titre de pater patriæ. Nous nous occuperons de l’acquisition du grand pontificat et des autres sacerdoces ainsi que de l’acquisition du consulat le premier jour, de l’an du nouveau règne, au sujet des sacerdoces impériaux et des consulats impériaux.

Il n’y a pas de condition d’éligibilité en forme pour la nomination de l’empereur. Non seulement les prescriptions en vigueur pour les magistrats ordinaires de la République ne s’appliquent pas aux magistratures extraordinaires, ni par conséquent au principat qui en est une[3] ; mais il n’y a pour l’élection à l’Empire aucune cause d’incapacité ; car chaque élection, ainsi que nous verrons au sujet de la puissance proconsulaire, est considérée comme un acte de la volonté souveraine du peuple. Ni l’enfance ni le sexe féminin n’excluent même légalement du principat. Des enfants ont fréquemment porté au IIIe siècle le titre d’Augustes ; et même en dehors de ce que l’ambitieuse petite-fille de Tibère, Livilla, se fit assurer, par son amant Séjan, la participation au pouvoir impérial[4] et que l’empereur Caligula désigna sa sœur Drusilla comme son héritière même dans le Principat[5], certaines des femmes gratifiées du titre d’Augusta paraissent devoir être considérées comme véritablement associées au principat[6]. En fait, le gouvernement en forme des femmes parait avoir été empêché, à Rome, plutôt par les circonstances politiques que par l’empêchement légal tiré du sexe.

La possession du siège sénatorial ou du patriciat a encore moins pu être érigée en condition légale d’accès à la dignité impériale. Les privilèges de la noblesse qui étaient fortement ancrés à Rome ont sans doute pu faire sentir encore leur influence en face du principat. Les empereurs antérieurs à Vespasien ont probablement tous appartenu de naissance au patriciat[7] et lorsque, dans la personne de Vespasien, un plébéien monta pour la première fois sur le trône, le patriciat parut si nécessairement lié au principat[8] que le sénat le conféra à titre extraordinaire à lui et à tous les plébéiens qui arriveraient par la suite au trône[9]. Le premier empereur de l’ordre équestre qui soit arrivé au principat est M. Opellius Macrinus, qui succéda, en l’an 217, au prince de haute noblesse Caracalla[10] ; et certainement, il y a un lien entre sa basse extraction et la fiction légale par laquelle il rattacha lui et son fils à la famille des Sévères et des Antonins.

 

 

 



[1] La multiplicité des actes d’installation de l’empereur est relevée par Dion, 53, 18. La multiplicité est indiquée dans des termes analogues dans les récits de nominations concrètes, où d’ailleurs la relation est en général faite du point de vue du sénat et où ses résolutions sont citées de préférence. Dion, 59, 3. Cf. 60, 1. 63, 29. 79, 2. Cf. 60, 1. 63, 29. Hérodien, 5, 2. Tacite, Hist. 1, 47 (cf. Dion, 64, 8). 2, 55. 4, 3. Vita Marci, 6. Vita Veri, 4. Vita Pertinacis, 5. Vita Juliani, 3. Vita Macrini, 7. Vita Alex. 1. c. 2. c. 8. Vita Maximi et Balbini, 8. Vita Probi, 12. Les textes sont rassemblés ici pour donner une vue d’ensemble de la tradition telle qu’elle se présente à nous relativement à cet acte important. Dans un examen attentif, la multiplicité trompeuse, à laquelle feraient croire ces documents venus en partie de sources très troubles, se ramène au commandement d’une part, et, d’autre part, à la puissance tribunicienne avec les nombreuses clauses complémentaires auxquelles se rattachent les accessoires théoriquement étrangers au principat (grand pontificat, etc.).

[2] Nous aurons à expliquer dans la section de la Corégence que ces actes de collation sont nécessaires, même lorsque le nouveau prince a déjà reçu sous le prince précédent la puissance proconsulaire et la puissance tribunicienne ; l’étendue de ces puissances est différente selon qu’elles ont été concédées à l’Auguste ou à son cogouvernant.

[3] La concession immédiate de la puissance proconsulaire faite à Néron en l’an 51, tandis qu’il était en même temps désigné comme consul seulement pour sa vingtième année, est caractéristique en ce qu’elle montre que la première puissance (Tacite, Ann. 12, 41) ne tombe pas sous l’empire de la loi de l’annalité.

[4] Tacite, Ann. 4, 3. Car c’est ainsi qu’il faut écrire à l’espérance d’un mariage, qui lui donnait la perspective de la participation au pouvoir, et au meurtre de son mari, d’après le texte parallèle, 14, 11, au lieu du texte incompréhensible, consortium qui nous a été transmis.

[5] Suétone, Gaius, 24.

[6] La première Augusta, Livie, après avoir reçu ce nom par le testament de son mari, apparaît ώς καί αύταρχοΰσα (Dion, 56, 47. 57, 12), partes sibi æquas potentiæ vindicans (Suétone, Tib. 50), dominationis socia (Tacite, Ann. 4, 57) ; elle aurait, sans question possible, joué positivement le rôle d’une cogouvernante sous un souverain plus faible. — La seconde Augusta, Antonia, la grand’mère de l’empereur Caligula, a sans aucun doute porté ce nom seulement à titre honorifique. — On reproche à la troisième, à la seconde Agrippine, la sœur de la Livilla de tout à l’heure, ses efforts pour arriver à une association au pouvoir en forme (Tacite, Ann. 14, 11 ; cf. Suétone, Nero, 9). Nous montrerons particulièrement au sujet du jus imaginum, qu’Agrippine s’est positivement comportée en co-détentrice du pouvoir dans les derniers temps de Claude et les premiers mois du règne de son fils ; mais elle fut bientôt chassée de cette position (Tacite : Postquam frustra habita sit. Cf. la section du gouvernement en commun). — Mamœa a sans doute été dans une situation semblable ; un signe en est que la septième cohorte des vigiles est, dans une inscription de sa caserne, appelée par un soldat, Mam(iana) Seberi(ana) Alexa(n)dria(na) (C. I. L. VI, 3008). — Il en est encore plus nettement de même pour Zénobie qui, selon toute apparence, a été reconnue pendant un certain temps comme co-gouvernante par Claude et Aurélien (A. v. Ballet, Die Fuersten von Palmyra, p. 51 ; Waddington, sur le n. 2611). — A l’époque byzantine, le serment des magistrats s’adresse aussi à l’impératrice (la formule du serment, Nov. Just. 8, dans l’appendice) et elle est nommée comme corégnante dans les actes officiels (C. I. L. VIII, p. 1058).

[7] Galba est le dernier empereur de vieille noblesse républicaine (cf. Hermes, 3, 65) ; mais Othon (Suétone, Oth. 1) et probablement aussi Vitellius appartenaient aux patriciens de la création de Claude. Nerva était aussi patricien avant son élévation au trône (Henzen, 5135).

[8] On peut avoir été influencé par l’observation que le princeps senatus était patricien selon l’usage de la République (Rœm. Forsch. 1, 92).

[9] Selon Dion, 53, 17, les empereurs ne peuvent pas être tribuns du peuple ; le patriciat est donc regardé comme nécessairement lié à la qualité d’empereur. L’élévation au patriciat est rapportée pour Julianus (Vita, 3) et Macrinus (Vita, 7 ; Dion, 78, 17, le rapporte non pas du père, mais du fils).

[10] Macrin se justifie devant le sénat d’avoir eu la hardiesse d’occuper ce poste bien que seulement έκ τής ίππάδος τάξεως : Τί ύμάς ώνησεν ή Κομμόδου εύγένεια ή Άντωνίνου ή πατρώα διαδοχή (Hérodien, 5, 1 ; de même Vita Macrini, 7). Il ne néglige pas d’invoquer le demi précédent de Pertinax qui était d’origine équestre, mais d’ailleurs arrivé au sénat longtemps avant son élévation au trône. Le biographe (Vita Max. et Balb. 5), traite même d’inconstitutionnel (quod non licebat) la concession du pouvoir par le sénat à un homme novæ familiæ.