LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE PREMIER. — LA MAGISTRATURE.

MAGISTRATURE ET POUVOIRS DE MAGISTRATS.

 

 

LA COLLÉGIALITÉ.

Toutes les assemblées des Romains, qu’elles eussent le droit d’ordonner ou seulement celui d’être consultées, les comices, le sénat, les collèges de prêtres, étaient régies par le principe de la majorité. Au contraire, ta puissance publique avait été primitivement organisée, chez eux, d’après le principe opposé, d’après celui de la monarchie. C’est ce principe dans sa forme la plus simple, l’attribution de chaque fonction à un magistrat ou à un préposé unique, qui domine exclusivement l’organisation primitive dé l’État romain, aussi bien pour les affaires intérieures que pour la guerre, pour son système de jury[1] comme pour ses magistratures proprement dites. Relativement à ces dernières, c’est surtout la royauté, cette expression superlative du système unitaire, ayant sa représentation dans l’a préfecture de la ville, qui est restée vivante dans la mémoire de la postérité. Mais même parmi les magistratures inférieures, celles que l’on trouve organisées en collège n’ont, selon toute apparence, reçu cette disposition que, depuis la fondation de la République[2] ; il est vraisemblable que l’autorité publique primitive était monarchiquement ordonnée quant à tous ses organes et que la collégialité lui était étrangère.

Mais cependant les origines de la collégialité remontent à la période royale. Elle est issue de l’amalgame en un État unique des trois cités des Titiens, des Ramnes et des Luceres, que nous aurons à exposer en étudiant les curies (VI, 1). L’unité de l’État trouve son expression dans le roi unique, et, comme il est le seul dépositaire indépendant de la puissance publique, il faut appeler la constitution tri-unitaire une constitution monarchique. Mais les sacerdoces et les grades d’officiers sont organisés de telle sorte que l’augure, le chef des cavaliers et celui des fantassins de chacune des trois cités continuent à fournir à la cité tri-unitaire les services qu’ils rendaient antérieurement chacun à sa cité propre. La place d’augur publicus populi Romani et toutes les autres sont occupées par des titulaires multiples, et c’est là le sens primitif du mot conlega, coauteur d’une règle, cotitulaire d’autorité[3].

Après la chute de la royauté, ce qui existait déjà pour les sacerdoces et les grades d’officiers fut étendu à la magistrature, la République, non pas comme là pour donner par la collégialité une expression à la distinction des cités primitives, mais pour limiter par son application, en fait encore plus qu’en droit, le principe monarchique. Toutes les magistratures de l’État furent constituées de façon que chacune eût simultanément plusieurs titulaires. On ne voit jamais citer de loi générale qui ait posé cette règle. Mais, quand on étudie sous le rapport de leur organisation en collège les diverses magistratures civiles et militaires, on est forcé d’admirer la puissante logique avec laquelle l’État romain a donné cette base à son système aussi bien que la rigueur et la persévérance avec lesquelles il a maintenu ce principe. Cependant nous indiquerons dès ici une limitation à laquelle il a été soumis de tout temps. Chaque magistrature est bien conférée à plusieurs personnes. Mais soit qu’un incident de l’élection, soit que la disparition de l’un des élus avant le commencement de ses fonctions ou pendant leur exercice empêche le collège d’être au complet, cette lacune n’empêche pas les magistrats qui restent de pouvoir agir ; la constitution ne les oblige même pas directement à la combler. La continuation de l’exercice de la magistrature lorsque le collège n’était pas au complet avait assurément quelque chose d’incorrect, en particulier lorsque la magistrature qui était organisée en collège se trouvait par là transformée de fait en gouvernement d’un seul[4] ; le magistrat qui avait qualité pour compléter le collège était par là même considéré comme ayant le devoir de le paire. Mais le point de savoir quand il provoquerait ce complément[5] et même, suivant les circonstances, s’il le provoquerait était laissé à sa discrétion. Lorsque le terme de la magistrature était sur le point d’expirer[6], ou lorsqu’il s’élevait des objections politiques ou religieuses[7], il arriva plus d’une fois qu’on ne comblât pas le vide. En face de l’abus possible de droit, il n’y avait pas d’autre remède constitutionnel que la déposition du magistrat[8]. A l’époque récente, on a même fait parfois l’élection pour une seule place[9], ce qui avait évidemment pour effet de réduire le principe de la collégialité au rôle de vaine fiction.

Le principe de la collégialité, tel qu’on l’appliquait à Rome, ne se distingue pas moins nettement de celui de la majorité que de celui de la monarchie. Une assemblée statuant à la majorité n’est pas, dans le système romain, un collège[10] ; dans un collège chaque membre doit avoir à lui seul la capacité complète d’agir. Les magistrats réunis au nombre de deux ou plusieurs forment une unité[11],  et, par suite, leurs noms figurent en général dans l’ancienne langue comme se complétant, sans être joints par une conjonction[12]. Mais aucun d’eux n’est, pour donner un ordre, tenu de consulter auparavant son ou ses collègues. Tout décret de magistrat est pleinement valable même s’il n’est rendu que par un seul magistrat[13]. Si par conséquent, de deux collègues, l’un est incapable d’agir, ou absent, ou tout simplement n’est pas disposé à s’occuper de l’affaire en question, l’ordre de l’autre a la même valeur que celui du magistrat de l’époque monarchique ; aussi était-il de bonne logique que, comme on vient de voir, la magistrature ne fut jamais réduite à l’inaction parce qu’elle n’était pas au complet, même lorsque sur deux membres il en manquait un Dans un certain sens, le magistrat resta donc, même après l’admission de ce principe, aussi puissant qu’à l’époque monarchique. Mais au moins il y avait désormais possibilité que, de deux ou plusieurs magistrats, l’un contrecarrât l’autre. Dans la monarchie, la puissance supérieure aurait pu, tout au plus, arrêter l’exercice de la puissance inférieure ; l’organisation républicaine rend possible que l’exercice d’une puissance soit arrêté même par une puissance égale, ainsi que nous aurons à l’exposer plus loin dans la partie de l’intercession.

La collégialité, telle qu’elle vient d’être définie, suppose que les obligations dont sont tenus les citoyens existent pareillement et en totalité par rapport à chaque membre du collège. Pour les obligations qui résultent de la constitution, cela ne peut faire doute. Quant aux obligations individuelles résultant des actes confirmatoires qui suivent l’entrée en fonctions et qui seront étudiés à son sujet, de la loi curiate et du serinent des soldats, elles peuvent certainement altérer l’égalité existant entre collègues ; il peut arriver que les citoyens ou les soldats aient soit promis, soit juré fidélité à l’un des collègues et pas à l’autre. Mais, même en ce cas, il n’y a pas véritable inégalité de droit entre les collègues, parce que ni l’un ni l’autre de ces actes ne créent des devoirs qui existent avant eux, parce qu’ils ne font que les renforcer moralement ; par suite, le magistrat pour lequel ces actes n’ont pas été accomplis n’en a pas moins qualité pour exiger des citoyens et des soldats l’obéissance constitutionnelle.

La monarchie implique le nombre un ; la majorité trouve son expression la plus simple dans le nombre trois ; de même le nombre deux est l’expression la plus naturelle du système de la collégialité. Et de fait c’est ce chiffre qui a été adopté soit de tout temps, soit du moins à l’origine, pour les magistratures régulières du peuple et de la plèbe, pour les consuls, les questeurs, les tribuns du peuple, les édiles curules et plébéiens, les censeurs, et aussi pour les magistratures non permanentes les plus anciennes, ainsi que le prouvent les duoviri perduellionis et ædi dedicandæ. Il régit également le centurionat et le tribunat militaire au moins en ce sens que, sur les six tribuns, il y en a toujours deux qui exercent le commandement. La même loi s’applique même aux plus anciens ambassadeurs, aux fétiaux[14]. D’un autre côté, le nombre six se rencontre pour les tribuns militaires, puis le nombre dix pour le collège des tribuns du peuple réorganisé, pour ceux des decemviri legibus scribendis et litibus judicandis, qui, selon toute vraisemblance, sont tous à peu près contemporains, comme à plusieurs reprises pour les commissions de partage des terres[15]. Quant au nombre trois, il n’y a pas de magistrature à laquelle il serve de base qui remonte au delà du cinquième siècle de la ville, et on ne trouve aucune indication sérieuse de son emploi à l’époque plus ancienne[16]. Le plus ancien collège de trois membres présentant un caractère permanent que l’on puisse indiquer est, là magistrature consulaire et prétorienne de 387 ne pouvant être désignée avec certitude comme un collège unique, celui des tresviri capitales institués vers 466. Plus tard, ce nombre prédomine[17], spécialement dans les magistratures extraordinaires pour le partage de terres, la fondation de colonies et des buts analogues, aussi bien que dans les commissions et les légations du sénat, tandis que l’on ne rencontre pour ainsi dire pas de collèges de deux membres d’origine récente[18]. En dehors des nombres deux, dix et trois, il n’y en a pas qui ressorte d’une manière spéciale dans la magistrature romaine[19]. — Peut-être est-ce seulement par un phénomène du développement postérieur que, dans les cas où nous venons de trouver la collégialité, chaque magistrat est bien désigné comme collega relativement à ceux qui se trouvent avec lui dans ce rapport, mais que le terme collegium n’est pas employé dans le cas où il n’y a que deux collègues et demeure réservé à celui où il y en a au moins trois[20]. D’un autre côté, il est bien vrai que l’élection, telle qu’elle est établie à l’époque récente de la République, suffit, quant aux préteurs et aux questeurs, pour justifier l’idée de collegium ; mais la division des pouvoirs y écarte en général les conséquences de la collégialité, et, par suite, on ne parle de collegium prætorum et de collegium quæstorum que dans les cas exceptionnels où il est question des préteurs ou des questeurs en soi, abstraction faite de leurs attributions spéciales[21]. L’expression collegium en est ainsi arrivée à n’être d’un usage courant, parmi toutes les magistratures, que pour les tribuns du peuple[22].

Occupons-nous maintenant d’étudier tant le fonctionnement que les .limitations de la collégialité, d’abord dans les affaires urbaines, puis dans les affaires militaires.

La collégialité Toutes les magistratures urbaines de l’État romain, et les magistratures plébéiennes se modèlent sur elles sous ce rapport, sont organisées d’après le principe de la collégialité. Ce principe s’applique en particulier aux consuls pour les fonctions qu’ils exercent à Rome, aux censeurs, aux édiles curules et aux questeurs urbains : c’est un point remarquable, en ce qui concerne ces derniers, que le principe est maintenu, dans le domaine des fonctions spéciales dont il est ordinairement exclu, pour les quatre postes les plus anciens de questeurs, avant tout pour les questeurs de la ville, mais aussi dans une certaine mesure pour les questeurs militaires. Il s’applique encore aux tribuns et aux édiles de la plèbe. Nous retrouverons en son temps la même loi jusque pour les apparitores, en particulier pour les plus importants d’entre eux, pour les scribes des questeurs. Mais les magistratures extraordinaires elles-mêmes, pourvu qu’elles soient urbaines, sont soumises à la règle. Il suffit de citer les magistratures établies pour des consécrations de temples, des constructions de, murailles, des remises de dettes et d’autres destinations analogues. En laissant de côté l’administration de la justice, pour laquelle, comme nous le montrerons plus tard, la collégialité fut de bonne heure écartée, il est difficile de trouver, dans les annales de la République, jusqu’au milieu du septième siècle, des exemples de fonctions publiques confiées à une seule personne dans la sphère de l’administration urbaine. Les décisions qui confièrent la surveillance des approvisionnements de grains à M. Scaurus, en 650, puis, en 697, à Pompée[23], la reconstruction du Capitole incendié, en 671, à Sulla, puis, après sa mort, à Catulus[24], sont les premiers pas dans une voie nouvelle qui conduisit au rétablissement de la monarchie.

Si le principe de la collégialité devait être pleinement et rigoureusement appliqué, il est clair que celui de la compétence ne pourrait trouver à ses côtés aucune application dans les rapports des collègues. Pour peu que l’on répartit d’après certaines catégories entre les collègues les opérations incombant d’une façon générale à la magistrature, que l’on assignât par exemple à l’un des consuls la juridiction administrative et à l’autre la juridiction civile, la collégialité, dans la sens qui vient d’être indiqué, se trouverait, pour une bonne part[25], sans objet. En fait, dans la constitution républicaine primitive, en particulier dans le domaine où elle trouve son expression la plus pure, dans l’administration exclusivement urbaine, on applique rigoureusement la règle que, pour tout acte officiel à accomplir à Rome, il doit y avoir, et y avoir toujours ; deux magistrats également compétents, chacun de son côté, pour le tout. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir en fait, même par la voie du sort, une division des fonctions entre les consuls, mais il n’y avait là qu’un simple arrangement privé entre les collègues, arrangement qui ne liait juridiquement ni les tiers ni eux-mêmes ; ainsi celui qui s’était de cette façon dessaisi de la juridiction n’en pouvait pas moins instituer valablement un juré pour chaque procès qui surgissait. — Il résulte encore de là que les collègues ne pouvaient pas davantage s’attribuer, l’un les affaires urbaines et l’autre les affaires du dehors ; car alors il n’y aurait encore eu qu’un seul fonctionnaire ayant qualité pour s’occuper de chacune. Il est naturellement arrivé bien des fois que l’un des consuls se trouvât à Rome, tandis que l’autre était en campagne ; mais cela a toujours été à titre d’exception : il n’y a pas d’expression technique pour désigner la division des fonctions qui en résultait[26], et jamais une situation dace genre n’a été établie d’une façon durable par un acte public rendu à cet effet[27]. Dans l’ordre régulier des choses, les consuls, et en général tous les magistrats ordinaires qui avaient des fonctions à remplir tant à Rome que hors de la ville, commençaient par terminer en commun ce qu’ils avaient à faire à Rome pour quitter ensuite Rome en commun. En réalité, le but pratique pour lequel on avait établi les consules, particulièrement la possibilité de faire intervenir l’auxilium collegæ, ne pouvait être atteint qu’à condition qu’ils agissent en règle l’un à côté de l’autre.

Cependant l’application du système de la collégialité se heurtait à de grandes difficultés dans un régime politique qui, comme le régime romain, reposait absolument sur l’unité de l’imperium. La plupart des actes officiels, tous à l’origine peut-on dire, sont organisés de telle sorte qu’ils ne peuvent être accomplis que par un seul magistrat à la fois ; l’établissement de la collégialité rendait donc nécessaires des dispositions générales relatives à un cas qui devait se produire fréquemment et même à proprement parler régulièrement, au cas où plusieurs collègues étaient aptes et disposés à accomplir un acte officiel, et par suite, puisqu’il ne pouvait être accompli que par l’un d’eux, se trouvaient en conflit ; Ces dispositions se ramènent à trois catégories : détermination de la prééminence par roulement périodique ; détermination de la prééminence par le sort ; accomplissement de l’acte en commun.

1. La constitution républicaine primitive a pour principe que, lorsque des magistrats égaux en rang et également compétents se trouvent en présence, ils accomplissent les actes de leurs fonctions qui s’y prêtent, tour à tour, pendant des périodes déterminées. Parmi les attributions des magistrats supérieurs, on soumet avant tout à ce principe la juridiction civile[28], pour laquelle les Romains ont toujours considéré comme une impossibilité l’action commune de plusieurs collègues, et où le dare, dicere, addicere est toujours émané d’un seul magistrat. Il en est de même de la convocation du sénat[29] et certainement de plusieurs autres attributions, en particulier de celles qui s’étendent avec une certaine régularité à toute la durée des fonctions[30]. Pour les magistrats supérieurs, cette manière de procéder trouve son expression dans le roulement des licteurs et des faisceaux qui appartiennent toujours exclusivement au magistrat en exercice[31]. Mais des règles analogues doivent avoir existé pour les magistrats inférieurs ; par exemple, il est certain que les questeurs n’exerçaient pas, à l’origine, la juridiction criminelle par voie d’action commune, que, dans chaque procès, la citation, l’arrestation et la prononciation de la peine n’émanaient que d’un seul magistrat[32], et le plus naturel semble encore ici d’admettre un roulement. Le roulement peut également avoir fonctionné, comme tempérament nécessaire au principe de la collégialité, pour l’administration de l’ærarium, pour la juridiction des édiles, et ailleurs encore.

Quant aux délais, tout ce que nous savons avec précision, c’est que le roulement se faisait tous les cinq jours[33] pour les interrois, s’il est permis de les considérer comme formant un collège de dix membres, et au contraire tous les mois pour les consuls et probablement pour les tribuns consulaires[34]. En ce qui concerne les décemvirs, Varron semble avoir considéré comme constituant la période d’alternance la semaine de huit jours pour un couple, d’entre eux ou la moitié de cette semaine pour chacun[35], et peut-être cette semaine a-t-elle été prise à l’origine pour base générale du roulement[36]. Quant aux magistrats inférieurs de la capitale, nous n’avons sur eux aucun renseignement à ce point de vue.

Dans la langue technique, le magistrat qui est en exercice est appelé major ; et celui qui n’est pas en exercice minor[37]. — Celui qui n’est pas pour le moment en exercice[38], garde d’abord, pendant ce temps, le droit d’intercession, en vue duquel la collégialité a véritablement été instituée. Mais, même en dehors de cela, ses droits ne sont pas suspendus d’une façon absolue, ils ne le sont qu’entant que se produit la concurrence du collègue ; si celui-ci est mort, ou malade, ou seulement garde une attitude passive, le collègue, qui n’était pas appelé en premier lieu à agir, agit valablement.

A l’époque récente, le roulement a pour ainsi dire disparu chez les magistrats supérieurs. Dans la juridiction civile, où il s’exerçait sans doute de toute antiquité le plus catégoriquement, il perdit son application lorsque, en 387, la création de la préture retira ces matières du domaine de la collégialité. Pour la convocation du sénat, on montrera plus loin que l’usage s’introduisit d’y procéder en commun. En réalité, nous ne pouvons signaler, à l’époque historique, aucune application de cette antique institution. Son signe matériel lui-même, l’alternance des faisceaux, a disparu, semble-t-il, assez tôt et l’usage s’est par suite introduit que chacun des hauts magistrats fit porter devant lui, pendant toute la durée de ses fonctions, les faisceaux qui lui revenaient[39]. Cependant César, lors de son consulat de 695, revint, au moins quant à cette formalité, à l’ancien roulement : lorsque ce n’était pas lui qui administrait le consulat, il faisait marcher les licteurs derrière lui au lieu de devant, pour que l’on vit qu’ils n’étaient pas en fonctions[40], et, probablement à la suite de cela, le roulement mensuel des faisceaux entre les consuls fut rétabli à l’époque d’Auguste[41]. On ne sait si des conséquences de fond se rattachaient, à cette époque, à la possession des faisceaux.

Enfin le point de savoir par lequel des collègues le roulement commencerait aurait dû, dans la rigueur du droit, être tranché par le sort. Cependant il n’y a aucun exemple certain que le tirage au sort ait été pratiquement employé[42] ; l’usage était qu’en règle le consul le plus jeune laissât son aîné passer le premier[43], à moins que, pour des raisons spéciales, ce ne fut au contraire celui-ci qui s’effaçât[44]. La législation d’Auguste a encore étendu à cette matière les privilèges attachés au mariage et à la paternité. D’ailleurs celui qui était légalement appelé en premier lieu gardait la faculté de laisser, s’il le voulait, son collègue passer avant lui.

2. Le roulement ne suffisait néanmoins pas dans tous les cas. La question du savoir par qui il devait commencer réclamait déjà d’autres dispositions dont il vient d’être parlé. Mais, même en dehors de cela, il y avait des cas dans lesquels le roulement n’aurait pu être employé sans injustice : il en était particulièrement ainsi pour les actes officiels qui n’étaient accomplis qu’une fois en tout par les magistrats composant le collège et pour ceux qui avaient un caractère extraordinaire, par dessus tout s’il s’attachait à leur accomplissement une influence spéciale ou un honneur important. Dans ces cas, qui d’ailleurs se rencontraient surtout pour les hauts magistrats, on laissait le roulement de côté, et le sort décidait, avec cette réserve pourtant qu’il était permis aux magistrats d’écarter le tirage au sort en s’entendant entre eux (inter se parare ou comparare)[45]. Il était en particulier procédé de cette façon pour les nominations de magistrats, aussi bien pour les nominations dépendant des consuls[46], par exemple celles de consuls[47], de censeurs[48], de dictateurs[49], que pour celles dépendant des tribuns et organisées à l’image des premières[50]. Nous trouvons la même procédure en usage pour l’accomplissement de solennités religieuses, ainsi des suovetaurilia ou du lustrum qui terminait les opérations du cens[51], de la consécration d’un temple[52] ; ensuite pour certaines opérations politiques d’une importance particulière, par exemple pour la fixation définitive de la liste des sénateurs[53]. Nous ne sommes pas en mesure de décider avec certitude si l’on observait aussi cette procédure pour déposer un projet de loi, pour convoquer ou licencier des levées de troupes, pour introduire un procès criminel et pour faire différents autres actes, ou si ce n’était pas plutôt là roulement des faisceaux qui décidait.

3. L’action en commun est sans doute le procédé qui permet à la collégialité d’arriver à son expression la plus pure et la plus parfaite. Mais est-il logiquement et pratiquement admissible dans ce système de la collégialité romaine où la toute-puissance de la magistrature se reproduit tout entière dans chaque membre d’un collège ? Rigoureusement il ne l’est pas[54] ; on ne commettra pas d’erreur en tenant toute coopération de ce genre pour absolument étrangère aux plus anciennes institutions romaines. Il est tout à fait caractéristique que, lorsque plus tard cette coopération pénétra dans le reste des rogationes, on persista à n’admettre qu’un seul rogator pour les rogations électorales[55] ; car il n’est pas douteux que e’est précisément la procédure des élections qui, par suite de sa continuité forcée, a conservé le plus purement et le plus longtemps l’organisation primitive. Mais des raisons diverses ont amené à introduire la coopération des collègues dans le système constitutionnel de Rome et même à lui donner une étendue importante. On ne peut dire si la désuétude du roulement a joué le rôle de cause ou d’effet ; ce qui est certain, c’est que la préoccupation, — théorique si l’on veut, — d’arriver à l’application la plus parfaite possible de la collégialité réclamait essentiellement cette institution à proprement parler abusive. Son établissement a cependant dû être avant tout favorisé par l’influence de l’intercession entre collègues, qui probablement n’était guère limitée à l’époque ancienne. La possibilité de cette intercession devait conduire chaque collègue qui projetait un acte important, qui en particulier voulait faire une proposition au peuple ou au sénat, à soumettre d’abord son projet à ses collègues et à obtenir, s’il était possible, leur adhésion. Or, l’adhésion et la coopération en arrivent nécessairement à se confondre. Dans la procédure d’accusation, la subscriptio de l’accusation s’est transformée en véritable accusation ; c’est absolument de la même façon que le collègue qui approuvait et appuyait la rogatio ou la relatio de son collègue est devenu un collègue faisant avec lui cette rogatio ou cette relatio. Nous ne savons pas à partir de quelle époque et jusqu’à quel point cela s’est produit ; mais il est de fait que la coopération des collègues est devenue la règle soit pour les actes d’administration les plus importants, en particulier, pour le dilectus, soit pour toutes les relationes devant le sénat[56] et les rogationes devant le peuple[57], à l’exception cependant des rogationes électorales, en somme pour tous les actes que les magistrats avaient à accomplir dans la capitale depuis la disparition du roulement, sauf pour ceux peu nombreux, qui, d’après une coutume ancienne et précise, ne pouvaient être faits que par une seule personne et que l’on soumettait à la sortitio.

Nous avons déterminé la sphère et les modes d’application de la collégialité dans l’administration de l’intérieur de la ville. Il nous reste à indiquer les limites dans lesquelles elle en est exclue par les institutions romaines. C’est ce qui se produit dans les cas suivants :

1. En tant que les matières religieuses sont soumises à la puissance du magistrat, cette puissance est, même sous la République, exercée monarchiquement par l’héritier de cette partie de l’ancienne puissance royale, par le grand pontife.

2. L’interregnum, institution empruntée à l’époque royale, n’est pas, quant à l’exercice de la puissance, soumis au principe de la collégialité, bien qu’il s’y rattache sous d’autres rapports. L’interroi gouverne seul tant qu’il gouverne, tout comme le roi.

3. La collégialité ne s’applique pas à la puissance déléguée : celui des deux consuls qui quitte la ville le dernier y nomme un représentant unique en qualité de præfectus urbi. C’est encore là une institution empruntée par la République à la Royauté et qui d’ailleurs a disparu de bonne heure, l’établissement de la prédire avant mis fin pratiquement à l’existence de l’ancienne préfecture de la ville.

4. La dictature, qui, comme il sera montré en son lieu, était un élément essentiel de la constitution républicaine primitive, procurait la possibilité de rétablir passagèrement la monarchie, en particulier en cas de danger militaire. La maîtrise de la cavalerie a été, en sa qualité d’accessoire de la dictature, organisée de la même façon. Cependant la dictature peut être conciliée dans la forme avec le principe de la collégialité, en ce que le dictateur au moins peut être regardé comme collega major des consuls, et que par suite ce retour à la monarchie peut être considéré comme l’établissement d’un imperium majus entre des collègues. .Assurément la collégialité inégale, si elle aboutit en dernière instance à une seule tête, n’est rigoureusement pas autre chose que la monarchie. Mais c’est là le motif pour lequel la dictature a toujours été regardée comme une institution incompatible avec le caractère de là République et a fini par être écartée[58].

5. Dans la justice civile, l’unus judex constitue la règle pour le système de jury romain. Ensuite, pour la phase de la procédure qui se passe devant le magistrat, la création de la préture par les lois Liciniennes a foncièrement ramené l’ancien principe monarchique, et on l’a observé dans toutes les créations postérieures de fonctionnaires de cet ordre, tant pour le préteur pérégrin et les prætores quæstionum que pour les simples quæsitores, si bien que, dans ce domaine, abstraction faite de quelques fonctionnaires de fondation plus ancienne, on ne rencontre absolument aucune magistrature organisée en collège[59]. Cependant on a encore là maintenu le principe de la collégialité : d’abord, dans la forme, en ce que l’on a rapproché le plus possible le préteur des consuls pour les titres officiels, les insignes, l’époque d’entrée en fonctions, etc., et qu’on l’a nettement désigné comme leur collègue[60] ; puis, quant au fonds, en ce qu’on les a, pour le droit de Veto, organisés en collège, car, bien qu"il n’y ait jamais qu’un magistrat de compétent pour chaque acte de juridiction prétorienne, le droit d’anéantir cet acte par intercession appartient aux consuls et aux autres préteurs[61].

6. La loi municipale de César fait, pour l’entretien des rues de la capitale, une division par quartiers entre les quatre édiles, et il est possible que cette division soit aussi ancienne que l’édilité patricio-plébéienne, qui est elle-même contemporaine de la préture et de son organisation monarchique[62].

Enfin, il y a peut-être encore eu, dans des cas particuliers, quelques autres dérogations modernes à l’ancien système qui excluait de l’administration de la ville toute existence ouverte de compétence spéciale.

Mais, si nous considérons l’ensemble des cas qui viennent d’être réunis, nous arrivons à la conclusion que le principe de la collégialité n’a pas comporté d’exception dans l’administration régulière de la ville, pendant les premiers siècles de la République ; celles qui viennent d’être citées sont ou des innovations, ou des débris laissés par la royauté.

L’administration qui s’exerce hors de la ville doit être étudiée à part. Il y a un effet très important de la collégialité qui lui est toujours resté étranger ; c’est l’intercession, qui, verrons-nous plus bas, est essentiellement une institution urbaine. Il tombe sous le sens que les Romains n’ont pu admettre dans leur constitution un moyen de paralyser l’action devant l’ennemi ou, si l’on préfère, de contraindre à la dictature, tel qu’aurait été l’admission, à la guerre, de l’intercession entre collègues. Mais l’on se tromperait en concluant de là que la collégialité soit constamment exclue de ce domaine. D’abord les fonctionnaires extraordinaires qui ont à accomplir hors de Rome des fonctions qui ne sont pas proprement militaires, en particulier ceux qui sont chargés de partages de terres et de fondations de colonies, sont absolument organisés en collèges la loi Appulcia, de l’an 654, qui autorisa le consul. Marius à fonder un certain nombre de colonies, est, dans cette matière, la première brèche à une règle, qui jusqu’alors n’avait probablement jamais été violée. Mais, dans l’administration militaire elle-même, s’il est bien vrai que la notion de collégialité a été plus tard tantôt obscurcie, tantôt franchement mise de côté, elle prévaut cependant dans les institutions qui paraissent remonter aux origines de la République.

Dans les grades inférieurs, il y a pas d’autre conception possible pour les six tribuns qui commandent tour à tour et deux par deux la légion[63], ni pour les deux centurions mis à la tête des manipules[64] ; c’est seulement sous César que la collégialité a été exclue, pour la légion, par l’établissement des légats, et à peu près au même temps qu’elle l’a été, pour la petite unité tactique, par la substitution de la centurie ou du demi-manipule au manipule.

Mais la même règle était primitivement en vigueur pour le commandement en chef. Quelque étrange que cela puisse être pour nos habitudes d’esprit, le fait est pourtant que la commandement en commun des deux plus hauts magistrats a été, pour les Romains, le régime normal, et cela non seulement à l’époque primitive[65], mais jusqu’à la dictature de Sulla. Il ne faut pas oublier, il est vrai, que la dictature servait de correctif et que, dans le régime le plus ancien, chacun des consuls pouvait à tout moment la faire entrer en vigueur, sans qu’il eût pour cela besoin de l’autorisation du sénat et sans que son collègue pût s’y opposer.

L’application du système de la collégialité se heurtait naturellement, pour les fonctions exercées hors de la capitale, et principalement pour les fonctions militaires, aux mêmes obstacles qui ont été indiqués plus haut pour celles exercées dans la capitale. Mais les expédients employés sont essentiellement différents.

La règle du roulement était ici aussi admissible que pour l’administration urbaine ; il y a également été employé, mais en chef pas de la même façon. Entre deux magistrats du premier rang ayant des droits égaux et commandant l’un à côté de l’autre, le commandement en chef alternait en campagne, et les faisceaux qui en étaient les insignes alternaient sans doute aussi primitivement, non pas, comme à la ville, de mois en mois ou de semaine en semaine, mais de jour en jour[66]. Le motif est probablement que, en face de la durée le plus ordinairement très courte des guerres les plus anciennes, l’autre procédé de roulement aurait été fréquemment illusoire. En dehors de cela, il n’est pas douteux que l’entente entre collègues, qui, à la ville, servait seulement à fixer qui débuterait, n’ait eu ici toute liberté, et qu’il n’ait dépendu des intéressés on d’établir d’autres périodes de roulement, ou d’écarter absolument le roulement en subordonnant l’un des collègues à l’autre[67]. Les Romains n’ont naturellement jamais méconnu que ce roulement ne fat, dans sa forme strictement légale, en dehors de toute entente qui le tempérât, un pis aller extrême très peu recommandable en pratique. — L’âge ou le sort peut avoir déterminé lequel commencerait ; nous n’avons sur ce point aucun renseignement. — Il a déjà été question de l’inadmissibilité, pour le commandement en chef de l’armée, des principes du droit civil sur le pouvoir d’intercéder qui appartient au collègue qui n’est pas en fonctions contre le collègue en fonctions ; le roulement produit par conséquent ici pour le magistrat en fonctions les effets de l’imperium majus.

Au contraire, le tirage au sort, dans la forme où il était usité pour l’administration urbaine, n’était ici praticable que dans des cas peu nombreux. Dans l’administration urbaine, il était, facile de distinguer les actes ordinaires et extraordinaires, de faire décider le sort pour les seconds et le roulement pour les premiers ; et il est possible que cette procédure ait été suivie pour certains actes de l’administration du dehors ; par exemple, le tirage au sort a pu se faire, pour condere une colonie, entre les fonctionnaires chargés de la fondation de cette colonie, comme entre les censeurs pour condere lustrum. Mais cette distinction des opérations ordinaires et extraordinaires ne peut, on le conçoit, s’appliquer au commandement militaire ; et en fait nous ne voyons pas que la pratique ait existé de tirer au sort la direction de n’importe quelle action militaire.

Enfin l’action en commun, telle qu’on l’admettait, en vertu d’une sorte de fiction, dans l’administration urbaine, est, autant que nous sachions, restée étrangère aux choses militaires ; il n’y a pas du moins d’institution militaire que l’on puisse mettre à côté de l’usage de faire en commun une rogatio ou bien une relatio[68].

En résumé, parmi les expédients à l’aide desquels on concilie dans la vie civile le droit légal de chaque collègue d’exercer son action dans toute la sphère des fonctions du collège avec les nécessités pratiques, il n’y en a aucun qui soit ici véritablement applicable. La conséquence a été qu’un procédé dont l’application pratique n’a certainement point été rare dans la ville, mais qui n’y a jamais acquis une importance théorique, l’entente des collègues pour la répartition des fonctions, ou, peut-on dire encore la substitution pratique des compétences distinctes des collègues à leur coopération indivise domine toute l’organisation militaire romaine. La répartition des fonctions en cercles distincts s’impose dans cette matière avec une nécessité presque absolue, aussi bien relativement aux troupes que relativement aux territoires d’opérations.

La levée du peuple formait primitivement une seule masse qui ne comportait pas de division en corps d’armée opérant les uns à côté des autres, et, tant qu’il en fut ainsi, il ne put pas être question de véritable partage des troupes entre les deux généraux en chef qui commandaient l’un à côté de l’autre. Mais, aussi loin que nous remontions, le service était de deux sortes : de la cavalerie à pied ou à cheval, et la division de commandement que cela impliquait doit avoir révélé sa nécessité, précisément à l’époque primitive, avant que, par la décomposition de l’armée unique, on fût arrivé à cet éparpillement de la cavalerie en petits pelotons qui caractérise si bien l’organisation militaire postérieure de Rome. La preuve qu’en réalité la cavalerie avait, à l’époque la plus ancienne, un chef distinct, c’est le régime militaire que nous trouvons dans la Dictature : un général en chef, sous les ordres immédiats duquel sont les fantassins, et au second rang un commandant de la cavalerie. Il est probable qu’une organisation analogue a existé dans l’armée consulaire : le consul, qui, d’après le tirage au sort ou l’arrangement amiable, n’avait pas pour le moment le commandement en chef, doit avoir été régulièrement à la tête de la cavalerie ; si bien que la division des fonctions est, en matière militaire, probablement aussi ancienne que le Consulat lui-même. — Lorsque ensuite, dès une époque très précoce, la legio unique se décomposa en plusieurs légions, comme cela peut avoir été essentiellement provoqué par l’existence l’un à côté de l’autre de deux chefs égaux en droit, il devint possible de la diviser entre plusieurs généraux ; et c’est ainsi que se constitua le système qui existe à l’époque historique, système d’après lequel les consuls nomment chacun de son côté, la moitié des officiers et, dès le moment de la levée, partagent les troupes — généralement quatre légions — en deux armées égales (exercitus), en règle de deux légions[69] ; de sorte que chacun, réserve faite de a question dernière du commandement en chef, est considéré comme général de son armée ou, si l’on aime mieux, de son corps d’armée.

La division des fonctions d’après les champs d’opérations fut encore plus riche en conséquences. A la vérité il ne pouvait non plus qu’à peine en être question dans les conditions modestes et restreintes les plus anciennes : on combattait, même lorsqu’on le faisait contre plusieurs peuples voisins, toujours sur le même champ d’opérations. Mais peu à peu le terrain s’étendit devant les Romains qui s’avançaient à la fois de plusieurs cotés, et il n’est pas invraisemblable que la considération des guerres multiples, simultanées et jusqu’à un certain point militairement indépendantes, ait été, pour quelque chose dans l’établissement de la constitution consulaire. Si les Volsques au sud et les Èques à l’est pénétraient en même temps sur le territoire, la moitié de la levée avait à marcher et à vaincre sous la direction d’un général à l’est, et l’autre moitié sous la direction d’un autre au sud ; et ce sont là les vinciæ ou provinciæ primitives, les compétences spéciales appartenant hors de, la ville aux magistrats du premier rang[70].

La répartition des troupes comme du territoire entre des magistrats qui avaient constitutionnellement qualité pour commander chacun toute l’armée, d’un côté de la frontière comme de l’autre, ne pouvait résulter que d’une entente volontaire. Cependant, en ce qui concerne le partage de l’armée, elle était, depuis la disparition de la formation en phalange, si bien dominée, dans son organisation, par le principe de la division par moitié, que cette division semblait pour ainsi dire militairement exigée, d’une part, et que, d’autre part, il suffisait d’un simple tirage au sort pour constituer deux corps de force et d’organisation absolument identiques ; aussi ne restait-il pratiquement guère de place pour les arrangements individuels[71]. Si, par conséquent, le consul n’était peut-être pas, à la rigueur, contraint à se soumettre au tirage au sort et à réaliser le partage qui aboutissait immédiatement à une limitation forcée de sa compétence, la nature même des choses a pourtant bientôt fait ici du tirage au sort une pratique constante (note 69). — Mais il en est tout différemment du partage des champs d’opérations. Là il fallait résoudre la question à la fois politique et militaire de savoir s’il était à propos de partager les troupes en deux armées, et la question pouvait être résolue par la négative. Mais, fut-elle résolue affirmativement, comme c’était assurément la règle, il fallait une nouvelle entente sur la façon de mettre la chose en pratique. Lorsqu’on était d’accord sur tout cela, il était possible de faire trancher la question de personnes par le sort, et, en fait, à moins qu’on ne pût arriver à une nouvelle entente sur ce dernier point[72], le sort l’a tranchée fréquemment[73] ; tout comme, lorsque les deux consuls opéraient en commun, le sort a pu être consulté sur les positions qu’ils occuperaient chacun dans la bataille[74]. Lorsque, par le sort ou autrement, les consuls étaient arrivés à un accord précis sur le partage de leurs compétences, chacun contractait naturellement l’engagement de ne pas empiéter sur celle de son collègue. Cependant il y avait là plutôt un devoir de conscience et d’honneur qu’une véritable obligation en forme ; en droit, chacun des consuls continue à être compétent pour commander l’armée partout, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire appartenant à Rome[75]. Aussi, lorsque les circonstances le requéraient, en particulier lorsque des raisons militaires nécessitaient un secours extraordinaire, l’un des consuls ne se faisait pas scrupule de pénétrer dans le département de son collègue[76] ; et, même en l’absence de pareils motifs, on pouvait bien blâmer l’empiètement, mais on ne pouvait pas qualifier l’acte d’illégal.

Étant donnés les rapports que nous avons déterminés, il était naturel que le Sénat intervint dans le règlement de l’activité des consuls hors de la ville. D’une part, il était, dans cette entente, si difficile entre collègues, l’arbitre et l’intermédiaire naturel ; d’autre part, même lorsque les consuls s’étaient entendus, leur accommodement devait recevoir de la communication au sénat et de l’approbation de celui-ci, sinon une force juridique plus grande, au moins les garanties qui résultaient de la publicité et de la sanction officielle du corps consultatif le plus élevé. Cependant il ne faut pas s’exagérer cette intervention du sénat, et en particulier, il faut se garder de transporter sans réserves dans la période antérieure les institutions du VIIe siècle. Jusqu’à la loi Sempronia de 631, qui prescrivit la détermination annuelle des provinces consulaires par le sénat[77], le sénat n’a pu s’appuyer que sur l’usage pour prétendre limiter, par des déterminations de compétence ; le principe reconnu de toute antiquité qu’en dehors de Rome le commandement appartient aux consuls d’une manière absolue, d’un côté de la frontière comme de l’autre. Certainement le caractère général du commandement qui appartient aux consuls fut restreint par les lois qui, à partir de 537, organisèrent à titre permanent des commandements spéciaux d’outre-mer, des provinciæ dans le sens postérieur du mot, placées sous l’autorité de présidents spéciaux coordonnés d’une manière générale aux consuls. L’envoi d’un consul dans une de ces provinces légalement prétoriennes était une dérogation à l’ordre constitutionnel, et ; bien qu’il ne fût aucunement rare, qu’il constituât même la règle en présence d’un péril militaire sérieux, — on a ainsi envoyé, d’abord, en 536, le consul Ti. Sempronius en Sicile[78], puis, en 559, M. Caton et, pendant la guerre de Viriathes et des Numantins, de 609 à 620, toute une série de consuls en Espagne, de même, en 577, Ti. Gracchus et, en 591, 628, 639, d’autres consuls en Sardaigne, enfin, C. Caton, en 640, et plusieurs de ses plus proches successeurs, en Macédoine, — chaque envoi de cette nature supposé pourtant un examen spécial de la situation et ne peut, sinon d’après une prescription légale, du moins d’après l’usage, avoir lieu que sur l’ordre du sénat[79]. Il en est de même dès le VIe siècle des guerres à faire au delà des mers[80], même alors qu’elles peuvent avoir lieu sans que le général intervienne dans l’administration d’aucune des provinces d’outre-mer[81]. Par suite, au moins depuis la guerre d’Hannibal, si la guerre au delà des mers rentre bien dans les attributions des consuls, ils ne peuvent prendre aucun commandement de ce genre, même une fois la guerre commencée, sans que le sénat déclare y consentir. Mais, en respectant ces limitations, les consuls ont sur le continent italien, y compris les pays du nord qui en font alors politiquement partie jusqu’à la ligne des Alpes, Ligurie, Gaule, Istrie, et Illyrie, le droit de faire la guerre sans décision du sénat ; de sorte que, lorsque le sénat attribue l’Italie comme provincia commune aux deux consuls[82], cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas lieu de les employer à des services extraordinaires[83] et que l’on suit le régime normal du commandement en chef en’ commun dans un domaine d’opération commun[84]. Le droit qui appartient au sénat dans ce large domaine, c’est de faire des propositions aux consuls[85], c’est-à-dire de leur confier des missions[86], par exemple celle de diriger une guerre, de construire un chemin, de réprimer des troubles politiques, etc. Il est évident que ces missions politiques, surtout quand il y en avait deux relatives à deux choses différentes ou quand, comme ce fut plus tard l’usage, on en formait deux groupes d’opérations, devaient régulièrement servir de base aux règlements de compétence entre les consuls, que les sphères d’attributions se trouvaient fréquemment être déjà déterminées par là, et que le sort ou l’arrangement amiable n’avaient plus à trancher que la question de personnes. Encore le sénat intervenait-il parfois dans le règlement de cette dernière, en invitant les consuls à laisser de côté la voie du sort (extra sortem, extra ordinem), pour s’entendre entre eux conformément aux propositions du sénat[87], ou même pour s’en remettre à son arbitrage[88] ; cependant cela n’est arrivé que rarement, et un consul n’était nullement astreint, même par l’usage, à s’incliner devant une pareille invitation. Les premières instructions devinrent au contraire d’assez bonne heure d’usage permanent. A la vérité elles ne liaient pas absolument les consuls ; sur la demande de son collègue[89], ou après l’accomplissement de la mission qui lui avait été confiée[90], ou même sans cela, dans des circonstances particulièrement pressantes[91], le magistrat pouvait s’en écarter. Mais naturellement il agissait alors sous sa responsabilité, et il y en a eu fréquemment qui ont, en pareil cas, été vivement blâmés[92]. — Enfin, il résulte de tout cela que l’exercice en commun du commandement en chef a subsisté en principe en Italie jusqu’au VIIe siècle, et que jusque-là le partage en compétences séparées (provinciæ) n’y a pas pris de caractère véritablement formel, ni même n’y a existé d’une façon régulière[93]. En réalité, la collégialité n’a ici disparu dans la forme et au fond que lorsque la réforme de Sulla enleva d’une façon générale aux consuls la faculté d’exercer en cette qualité le commandement militaire hors de la ville[94] ; le commandement proconsulaire, qui prend la même place dans l’Italie du Nord, exclut dès son origine la collégialité.

Si, conformément à la situation qu’il occupe en face des consuls,  le sénat préside indirectement à la répartition sans y intervenir directement, l’assemblée du peuple ne pouvait, dans l’esprit de la constitution romaine, s’immiscer dans un acte compris dans les pouvoirs des magistrats ; or la répartition des provinces tout comme le commandement devant l’ennemi était un acte compris dans ces pouvoirs. Le commandement n’a été conféré individuellement, avec exclusion de la collégialité, qu’une seule fois avant la Révolution : c’est la tentative du même genre faite par le premier Scipion, en 549, ayant échoué devant l’opposition des tribuns[95], — en 607, au profit du second Africain[96]. Par la suite, les comices ont, à plusieurs reprises[97], abusé de leur souveraineté pour faire de telles nominations.

Ce qui est vrai de l’activité des consuls hors de la ville, l’est également de celle des questeurs qui leur sont adjoints. A l’action d’un couple de consuls correspond celle d’un couple de questeurs, et la provincia assignée à un consul l’est pareillement à son questeur. Les deux questeurs spécialement affectés, depuis l’an 333, au service de campagne sont aussi bien subordonnés à l’un et l’autre consuls que ceux de la capitale, et rien n’empêche d’admettre que les choses soient restées dans cet état tant que le commandement en commun resta la règle pour les consuls eux-mêmes.

Le principe de la collégialité a donc dominé jusque vers la fin de la République dans l’administration civile et militaire romaine, proprement dite. En revanche, il n’a jamais été appliqué à aucun des magistrats dont le siège était placé hors de Rome. Déjà les plus anciens d’entre eux, les quatre questeurs italiques créés en l’an de Rome 487, puis, quand les Romains se furent établis au delà des mers, tous les magistrats provinciaux, préteurs et questeurs[98], exercèrent leurs fonctions conformément au principe monarchique. Cela s’explique en partie par l’observation que les plus importants d’entre eux, les préteurs provinciaux avaient pour fonction principale la juridiction civile et qu’à l’époque où ils furent institués, la collégialité n’existait plus depuis longtemps pour cette fonction ; mais cette explication n’est pas suffisante, et, en particulier, elle ne s’applique pas à la plus ancienne des magistratures en question, à la questure italique. 

La véritable cause du changement de principe est dans la résidence même des magistrats. Il était rationnellement et pratiquement logique que le magistrat qui avait sa résidence dans la ville de Rome, fût compétent pour toute la ville, — c’est-à-dire pour tout l’État, et qu’en revanche la résidence officielle hors de la ville impliquât nécessairement l’existence d’un certain ressort, la limitation de la compétence du magistrat en question à un cercle fixe plus étroit. C’est ainsi que s’établit, à côté de la plus ancienne délimitation de la compétence des magistrats, qui reposait sur l’accord des collègues et qui par suite n’était ni invariable ni strictement obligatoire, la délimitation nouvelle reposant sur les lois d’institution et par conséquent fixe et rigoureusement formelle ; c’est ainsi, peut-on dire, que la province prétorienne surgit à côté de la province consulaire. Naturellement la dernière idée, qui est la plus récente, s’est développée en se rattachant à la première, à la plus ancienne. Pourtant elles sont toutes deux essentiellement différentes, et elles ont coexisté, l’une à côté de l’autre, jusqu’à ce que Sulla fonda les provinces proconsulaires et proprétoriennes, où les compétences sont absolument fixes et qui sont constituées sur le modèle des anciennes provinces prétoriennes.

Cependant, si la collégialité a de tout temps été exclue, quant au fond, de la sphère des magistratures qui ont leur siège hors de Rome, elle y a pourtant été encore maintenue au moins de nom. C’est visiblement la frayeur de rompre avec ce principe, que l’on identifiait avec la république, qui a conduit à donner à tous les magistrats établis hors de Rome les titres qui existaient déjà dans la capitale et à créer ainsi en quelque sorte une collégialité fictive. C’est pour cela que les magistrats administratifs auxiliaires d’Italie, ceux de Sicile et des autres pays d’outre-mer s’appellent questeurs, que ceux mis à la tête des circonscriptions judiciaires d’outre-mer s’appellent préteurs. De plus, on ne fit pas nommer divisément par le peuple, selon leurs départements respectifs, les préteurs et les questeurs de la capitale et de l’extérieur. On lui fit seulement nommer des préteurs et des questeurs, entre lesquels les départements respectifs étaient ensuite fixés par le sort. Un des motifs pratiques décisifs qui firent établir cette procédure peut avoir été que la collégialité diminuait essentiellement la dangereuse influence des comices sur les questions de personnes et le stimulant ainsi donné à la brigue illicite : les citoyens ne nommaient pas le général et nommaient deux magistrats dont l’un devenait le général ; et l’on conçoit que cette barrière ait d’abord été soigneusement respectée par rapport aux commandements exercés hors de la ville. Un autre motif peut avoir été la facilité plus grande de changer les départements, qui résultait, pour le sénat, de ce qu’ils étaient attribués par le sort et non parles comices ; car il eût été difficile d’envoyer ailleurs un gouverneur de Sicile nommé par les comices, et il y avait moins d’obstacles à modifier, selon les circonstances, les départements légalement attribués aux hommes que le peuple avait nommés simplement préteurs. Mais le respect de la collégialité a certainement aussi contribué à faire constituer dans cette forme, en soi très surprenante, les magistratures de l’extérieur de la capitale.

Au reste, le tirage au sort de ces différentes espèces de magistrats, appelés en réalité à occuper des postes de nature différente, ne ressemble aucunement à celui qui était usité pour résoudre les conflits entre magistrats de la même espèce. Le premier est prescrit par la loi ; le second est volontaire. Le premier exclut l’arrangement amiable ; le second s’efface devant lui ou l’a pour fondement. Pour la même raison, la situation du préteur hors de sa provincia et celle du consul hors de la sienne sont entièrement différentes ; ce que le consul fait dans de pareil-les circonstances est juridiquement valable ; bien qu’il puisse encourir de ce chef un blâme ou une responsabilité ; ce que le préteur fait dans le même cas est en dehors de ses attributions légales et par conséquent nul. Il n’y a guère de conséquences légales proprement dites à tirer de cette collégialité de nom. On comprend que tous les magistrats qui portent le nom de préteurs ont pleinement et également les honneurs et les droits attachés à ce titre. Ainsi, par exemple, le préteur de Sicile a le droit de convoquer le sénat, bien qu’il puisse malaisément se trouver en état de l’exercer. Mais c’est une conséquence de la magistrature et non de la collégialité. Le droit d’intercession subsiste certainement dans l’intérieur de la ville, même pour une collégialité de ce genre : le préteur pérégrin peut, par exemple, intercéder par rapport au préteur urbain, et en ce sens cette collégialité elle-même a une portée pratique. Mais l’intercession est en principe inconnue à l’extérieur de la ville, et, dans le domaine des provinces fixes, il n’y a pas de concours de puissances. Il est visible que, dans ce domaine, on a en général traité la collégialité comme une simple forme.

 

 

 



[1] C’est ce qui se révèle, avec une netteté singulière, dans l’unus judex de la justice civile, bien qu’au reste on trouve, dés une époque précoce, ex-primé à côté de lui, dans la procédure per recuperatores, ce principe de majorité qui fut ensuite développé dans la procédure devant les centumvirs et dans celle des quæstiones.

[2] D’après des probabilités qui seront indiquées dans les parties qui leur sont relatives, les questeurs et leurs proches parents, les duo viri perduellionis, ne peuvent, avec leur nombre deux, que malaisément remonter à l’époque royale.

[3] Le mot est dérivé, par une formation très archaïque, de lex, établissement, règle, et par conséquent commandement, mise en ordre.

[4] Cela ressort surtout des blâmes adressés à la censure quinquennale d’Appius ; ils ne se rapportent pas tant à ce qu’il avait dépassé les termes réguliers qu’à ce qu’il avait agi seul après la retraite de son collègue (Tite Live, 9, 29, 8. c. 34, 16 : Solus gerant ; hoc quidem jam regno simile esi. Frontin, De aqu. 5). Il ne pouvait recevoir de collègues par suffection, puisque la suffection est exclue pour la censure.

[5] Ainsi le consul Poplicola retarda les élections complémentaires jusqu’à ce qu’il eût fait passer ses lois (Plutarque, Popl. 12).

[6] Denys, 5, 57, sur l’an 254. Les élections consulaires complémentaires n’eurent pas lieu après la mort de Paullus en 538, après celle de Marcellus en 546, après celle de Q. Petillius en 578, ni bien d’autres fois entera. Uns élection comme celle de C. Caninius Rebilus au consulat pour les dernières heures do709 et les élections analogues qui eurent lieu par la suite (Tacite, Hist. 3, 37 ; Dion, 48,32) ne constituait pas l’observation, mais la caricature de la constitution républicaine, et, sous ce point de vue, Néron a eu saison de ne pas se démettre du consulat dans un cas pareil (Suétone, Ner. 15).

[7] En présence de l’ambitus qui se produisit, en 570, pour une place de préteur rendue vacante par un décès, le sénat finit par interdire d’une façon générale toute élection nouvelle (Tite-Live, 39, 39 : Satis prætorum esse). Lorsque, en 686, L. Metellus, l’un des consuls, mourut dès le début de l’année et que le successeur qui lui fut élu mourut également avant d’entrer en fonctions, on ne procéda pas à une seconde élection complémentaire et l’autre consul Q. Marcius administra seul le consulat (Dion, 36, 6).

[8] Lorsque, après la mort du consul Cinna, en 670, Carbo s’abstint dis procéder à l’élection complémentaire, les tribuns le menacèrent de déposition (Appien, B. c. 1, 78), et en effet il convoqua le peuple pour l’élection, mais il sut l’empêcher d’aboutir, et il géra seul le consulat, ainsi que le remarquent les Fastes eux-mêmes (Fastes capitolins ; Tite-Live, 83 ; Velleius, 2. 24 ; Appien, loc. cit.).

[9] C’est ainsi que Pompée fut nommé, pour 702, et César pour 709, consul sine conlega. Cf. tome III, la partie du Consulat.

[10] Le sénat romain n’est pas aux yeux des Romains un collège ; car le sénateur isolé n’a pas d’existence légale. Il arrive souvent, dans les magistratures et les sacerdoces qui ont plusieurs titulaires, que plusieurs membres se réunissent pour une déclaration on un acte commun, et, en particulier, pour les consultations données par les collèges sacerdotaux, il peut y avoir alors une décision prise à la majorité. Mais, en langage correct, on ne parle pas d’un acte du collège des tribuns, c’est l’un d’eux qui agit de conlegarum sententia : en outre, et c’est la chose décisive, un augure ou un tribun peut agir même quand il est seul.

[11] Ulpien, Digeste 50, 4, 25 : Magistratus municipales cum unum magistratum administrent, etiam unius hominis vicem sustinent, et hoc plerumgue lege municipali (c’est-à-dire par le statut municipal les concernant) eis datur ; verum et si non sit datum, dummodo non denegalum, moribus competit.

[12] Les dates du temps de la République, telles que les présentent par exemple les tessères de gladiateurs et les figlines de Veleia, traitent constamment les noms des consuls selon le type des termes usus fructus, usus auctoritas, actio empli venditi. La conjonction apparaît seulement depuis que l’ancienne désignation par le prénom et le nom gentilice est supplantée par le cognomen.

[13] La corréalité civile, la relation des duo rei credendi ou debendi sur la tête de chacun desquels une seule et même obligation repose activement ou passivement pour le tout, présente l’analogie la plus parfaite avec cette collégialité du droit publie, et cille n’a pas moins cessé d’exister dans notre droit civil actuel que l’autre dans notre droit public.

[14] Quand le nombre des fétiaux est indiqué, ils sont deux (Tite-Live, i, 84, 6. 9, 3, 4). Pour les legati postérieurs, on trouve encore au début le chiffre quatre et seulement plus tard le chiffre trois (cf. tome IV, la partie qui les concerne). J’émets à dessein d’étudier,  au point de vue des chiffres les sacerdoces comme tels, attendu que l’idée maîtresse dont il s’agit ici, celle de la collégialité fondant l’intercession, ne s’y applique pas. Le chiffre prédominant y est. à l’origine, comme on voudra, le chiffre un ou le chiffre trois, ce dernier provenant de l’ancien caractère tri-unitaire de la cité (VI, 4).

[15] Cf. tome IV, la partie qui les concerne. On peut encore citer ici les décuries des interreges.

[16] Les trois tribuns militaires, qui paraissent avoir été à la tête de la plus ancienne légion, doivent probablement, ainsi qu’il a été remarqué, être rattachés à la cité tri-unitaire ; en outre le chiffre trois a probablement été, dès l’établissement de la République, remplacé ici parle chiffre six. Il n’y a pas à s’occuper du chiffre trois, dont il est question à propos des tribuns militaires consulari potestate, puisque ce n’est pas leur chiffre intégral, mais seulement un minimum. — Il en est des trois décurions de la turma comme des trois anciens tribuns de la légion ; sans nul doute, ils ne commandaient primitivement chacun que dix hommes. — On pourrait plutôt citer ici les præfecti socium, si, comme il me semble exact (cf. Handbuch, 5, 399), chaque ala était commandée par trois préfets. — Nos annales nous citent certainement des tresviri agro dande ou coloniæ deducendæ dès les années 287 (Tite-Live, 3, 1), 312 (Tite-Live, 4, 11, 5), 358 (Tite-Live, 5, 24, 1), 371 (Tite-Live, 6, 21, 4), et fréquemment par la suite (cf. tome II, la partie qui leur est relative) ; mais, au moins pour les deux premiers cas, elles ne méritent aucune créance.

[17] Peut-être faut-il l’attribuer aux superstitions religieuses des Romaine postérieurs, qui considéraient les chiffres impairs comme partant bonheur (Rœm. Chronol. p. 15). Mais l’influence déterminante peut aussi avoir tenu à ce qu’un dissentiment est plus facile à résoudre entre trois personnes qu’entre deux.

[18] Les seules exceptions sont les IIviri viis extra urbem purgandis, et encore est-il possible qu’ils aient existé de toute antiquité et soient seulement passés par la suite parmi les magistrats élus par la peuple ; les IIviri navales, institués en 443, dont la relation avec les consuls a déterminé le nombre (comp. cette partie) ; et les duumvirs nommés en 711 pour les élections consulaires visiblement en conformité avec le nombre des consuls, (v. tome IV, la théorie des Magistrats électoraux auxiliaires).

[19] Le nombre quatre a de bonne heure pris la place du nombre deux pour le collège des tribuns en peuple, et on le rencontre pour deux des collèges en sous-ordre du vigintisexvirat (IIIIviri viis in urbe purgandis et IIIIviri Capuam Cumas), dont le dernier au moins ne peut être ancien. Le nombre cinq se rencontre quelquefois pour les magistratures chargées du partage des terres, (v. tome IV, cette théorie), et d’autres missions extraordinaires (Tite-Live, 7, 21-5. 25, 7, 5. 39, 14, 10).

[20] Collegium prætorum est employé par Cicéron, De off. 3, 20, 80, pour un cas où les tribuns du peuple invitent ce collège à délibérer avec eux sur des désordres monétaires ; collegium quæstorum par Suétone (Claud. 14), à propos des jeux de gladiateurs qui rentrent dans les attributions normales des questeurs. — Dans Tite-Live, 23, 10, 1, collegium pratorum est une fausse lecture.

[21] Digeste 50, 16, 85. Quand le mot collegium désigne moins l’ensemble des membres du collège que le rapport de l’un des collègues avec les autres, on l’applique sans hésitation aux consuls et aux censeurs (Tite-Live, 10, 22, 3 : Nihil concordi collegio firmius. 10, 13, 13. c. 24, 6. c. 26, 2 ; Tacite, Ann. 3, 31. Hist. 1. 52) ; mais il ne serait pas correct de dire collegium consulum, censorum, asdilium curulium, tandis qu’on dit collegium tribunorum mil. cos. pot. (Tite-Live, 4, 11, 9). Il est vrai que Pline, H. n. 7, 12, 54, parle du collegium Lentuli et Metelli consulum ; cf. Manilius, 2, 161, et en général Mercklin. Coopt. p. 182.

[22] Tite-Live, 4, 26, 9. c. 53, 7. 42, 32, 7. Cicéron, Verr. 2, 41, 100. De domo, 18, 47. Val. Max. 6, 3, 4. Suétone, Cæs. 23. 18, etc. Cependant les tribuns ne paraissent pas avoir employé dans leurs décrets la formule de Tite-Live, 4, 53, 7, ex collegii sententia ; d’après l’inscription rapportée C. I. L. I, 593, le premier décrète de conl(egarum) sententia, et les noms des autres suivent.

[23] Cf. tome IV, la partie des Magistrats auxiliaires pour les subsistances. L. Minucius Augarinus, le præfectus annonæ de l’an 315, vraisemblablement inventé par Macer (Tite-Live, 4, 12, 8. c. 13, 7. Denys, 12, 1), parait être également un produit de cette tendance (Hermes, 5, 267 et ss. = Rœm. Forsch, 2. 214 et ss.).

[24] Cf. tome 1V, la partie des Magistrats auxiliaires chargés de constructions.

[25] Le droit d’intercession reste assurément, en droit, en dehors des limitations de la compétence ; mais, en fait, il était aussi paralysé.

[26] Le commandement militaire ainsi attribué n’est pas une provincia, car provincia, qui signifie a compétence e, ne peut être dit d’un commandement qui n’est pas divisé ; et il n’y a pas davantage d’expression correspondante pour désigner la situation du consul qui reste à Rome, car le fait qu’il y ait ainsi un consul domi et un consul militiæ n’est pas une institution, mais une anomalie.

[27] La division de l’administration de la capitale et du commandement, qui se présente dans Tite-Live, 3, 41, 10. 4, 45, 8, pour les décemvirs et les tribuns militaires sera expliquée dans la théorie de la Représentation. Au contraire, il est de règle, selon les annales, pour les consuls, depuis les origines jusqu’aux temps pleinement historiques, qu’ils prennent tous deux simultanément le commandement en campagne, soit en commun, soit avec des attributions séparées, et cela même alors que les circonstances extérieures n’y provoquent aucunement, lorsqu’il serait même beaucoup plus à propos de laisser un consul à Rome. A la vérité, on rencontre des exceptions, non seulement d’apparentes, comme sont les cas où l’un des consuls se met en campagne tandis que l’autre reste ad urbem, pas in urbe (ainsi en 289, Tite-Live, 3, 2, combiné avec Denys, 9, 61 ; en 295, Tite-Live, 3, 22 ; en 412, Tite-Live, 7, 38, 8), mais de véritables. Ainsi il faut, dans Denys, 5. 35, que le consul Poplicola entre seul en campagne en 247, pour que la deddicatio du temple du Capitole, qui était rattachée au nom de P. Horatius, puisse être faite par lui seul. De même, en 259, le consul populaire P. Servilius marche contre l’ennemi, pendant que Tite-Live, 2, 24, ne nomme pas son collègue Ap. Claudius et que Denys cite même (6, 24), à ce propos, τόν έν τή πόλει μένοντα τών ύπάτων, comme à la tête de l’administration judiciaire. En 261, Tite-Live, 2, 33, représente l’un des consuls comme faisant campagne, tandis que l’autre, Sp. Cassius, reste à la ville pour conclure un traité ; Denys dit ici, 6, 91 : Τών ύπάτων δικκληρωσαμένιον περί τής έξουσίας, ώς έστιν αύτοΐς έθος, Σπόριος μέν Κάσσιος, δς έλαχε τήν τών κατά τήν πόλιν έπιμέλειαν, ύπέμεινε μέρς τής κατειλεγμένης δυνάμεως τό άρκοΰν λαβών, ce d’après quoi l’on devrait supposer que la consul est ad urbem, si toutefois Denys s’est bien rendu compte des choses. En 290 encore, l’un des consuls part seul, tandis que l’autre est assez singulièrement représenté par un proconsul (Tite-Live, 3, 4). Appius Claudius reste également comme consul à Rome, en 447, ut urbanis artibus opes augeret, tandis que son collègue part en campagne contre les Sallentins (Tite-Live, 9, 42). Mais tous ces récits, dans lesquels un consul reste à l’intérieur de la ville tandis que l’autre part seul en campagne, ne sont pas seulement d’une grande rareté relative ; ils sont, dans leur ensemble, très suspects, et, en partie, peut-on prouver, les produits de l’imagination des annalistes les plus récents ; ils n’ébranlent pas la règle. Il est naturellement arrivé souvent, en passant et par suite de circonstances spéciales, que l’un des consuls fut à Rome et l’autre en campagne ; par exemple si, des deux consuls en campagne, l’un revenait à Rome pour les élections. Mais la tradition digne de foi ne fournit pas un exemple que l’administration de la capitale et celle dit dehors aient fait l’objet soit de comparatio, soit de sortitio.

[28] Le paradigme de ce principe est le tableau de Tite-Live de l’administration de la justice civile des bons décemvirs, 3, 33, 3 : Decumo die jus populo singuli reddebant : eo die penes, præfectum juris fasces duodecim erant, collegis novera singuli accensi apparibant, et des mauvais, c. 36. 3 : Cum ita priores decemviri servassent, ut unus fasces haberet et hoc insigne regium in orbem suam cujusque vicem per omises iret, subito omnes cum duodenis fascibus prodiere. Tite-Live n’entend donc pas, comme ses termes pourraient également le faire croire, que les faisceaux aient passé à un autre décemvir tous les dix jours, mais bien tous les jours. Le témoignage de Zonaras, 7, 18, (probablement tiré de Tite-Live) est dans le même sens. Quand Denys, 10, 57, représente les décemvirs comme s’occupant tous chaque jour des affaires publiques et privées, cela ne peut s’entendre que de la présence de ceux qui ne sont pas en exercice, par exemple en vue d’intercedere. Les consuls doivent aussi avoir été, à l’origine, l’un après l’autre, præfectus juris, bien que cela ne nous soit pas attesté.

[29] Ce droit est attribué par Denys, 10, 57, au décemvir en exercice. Tite-Live, 9, 8, 1, attribue de même la direction des débats du sénat au consul penes quem fasces erant, et Denys, 6, 57, fait ouvrir la première séance du sénat de chaque année par l’aîné des consuls, c’est-à-dire par celui qui avait le premier les faisceaux.

[30] Par conséquent, lorsque Tite-Live, 8, 2, 13, attribue la nomination du dictateur an consul qui a les faisceaux, cette indication est moins probable que celle qui fait le sort trancher la question. C’est encore avec moins de raison que Denys, 9, 43, motive la retraite du consul Appius Claudius sorti contre l’ennemi sur ce que ήν δ' ή τοΰ μηνός έκείνου ήγεμονία τώ Κοιντίω προσήκουσα, ώστε άναγκαΐον ήν τόν έτερον τών ύπάτων μηδέν άκοντος έκείνου ποιεϊν. Cela s’applique à tous deux, en vertu de l’intercession, ou cela ne s’applique à aucun.

[31] Cicéron, De re p. 2, 31, 55 (d’où Val. Max. 4. 1, 1) : (Poplicola) Bibi collegam Sp. Lucretium subrogavit suosque ad eum, quod erat major natu, lictores transire jussit instituitque primum, ut singulis consulibus alternis mensibus lictores præirent, ne plura insignia essent imperi in libero populo quam in regno fuissent. De même, Tite-Live, 2, 1, et Denys, 5, 2, sauf que, dans Tite-Live, le changement des faisceaux ne commence pas, comme d’après le récit de Cicéron, à la mort de Brutus, mais dès le début du consulat. Denys fait au premier couple de consuls avoir tous deux les verges, mais procéder au roulement pour la hache, en y mêlant à tort la loi Valeria qui exclut la hache de l’intérieur de la ville. Tite-Live atteste également le roulement des faisceaux pour les décemvirs, et son témoignage est confirmé par Denys, 10, 57.

[32] Varron, 6, 90 ; Cicéron, De re p. 2, 35, 60. Cf. Hermes, 5, 241 = Rœm. Forsch. 2, 175. Mais la coopération entre collègues a pénétré de bonne heure dans la procédure criminelle, par suite de l’intervention de la rogatio dans cette procédure, et elle y a obscurci l’unité primitive de la judicatio.

[33] Cf. à ce sujet, tome II, la section de l’interregnum, dans la théorie de la Représentation.

[34] Pour les consuls, voir note 29 : quant aux tribuns militaires, la tradition ne dit rien ; mais, puisque les nombres de ce collège, — trois, quatre, six, — sont tous des fractions de douze, un roulement mensuel est encore à admettre ici. Le treizième mois supplémentaire y est compté comme faisant partie de février.

[35] Varron, Rerum human. l. XX (dans Nonius, v. Nundinæ, p. 145) : Decemviri cum fuissent, arbitrari binos nundinum divisum habuisse. Cela ne peut vouloir dire qu’une chose ; c’est que, d’après l’opinion de Varron, — il semble ne l’admettre lui-même que comme nue conjecture, — le roulement avait pour période la semaine de huit jours ; le nundinum pour deux décemvirs, et sa moitié pour chacun des deux, — disposition qu’on peut mettre en parallèle avec le terme de l’interrègne, fixé à cinquante jours pour la décurie et à cinq jours pour chaque sénateur. Denys parait avoir eu cette solution sous les yeux, en représentant les décuries comme exerçant leurs fonctions είς συγκείμενόν τινα ήμερών άριθμόν. Elle est confirmée par le fait que, lorsque plus tard le consulat annal fut partagé entre plusieurs couples de consuls, on appela la période accordée à chaque couple nundinum ou nundinium (v. tome III, la théorie du Consulat). Cette façon de parler peut facilement s’être rattachée à l’ancien délai du roulement. Le roulement journalier admis par Tite-Live a dû être constitué par les annalistes à l’image du roulement du commandement supérieur consulaire, parce que le changement mensuel ne pouvait s’appliquer au décemvirat ; mais il est incorrect, au moins en ce qui concerne la juridiction, puisqu’il y a beaucoup de jours impropres à l’administration de la justice.

[36] Au moins on ne voit pas comment Varron aurait pu arriver au nundinum pour les décemvirs et comment le mot aurait pu prendre le sens moderne indiqué tout à l’heure, si ce n’avait pas été primitivement le délai général du roulement.

[37] Festus, p. 161 : Majorem consulem L. Cæsar putat dici vel cum, penes quem fasces sint, rel eum qui prior factus est. Il est vraisemblable d’après l’analogie de prætor maximus, de prætor major, que la qualification indique une préséance officielle et que par suite la première explication seule est exacte. L’opinion de Becker, dans la première édition, d’après laquelle il faudrait entendre par là le consul le plus âgé, n’a pour elle ni de témoignages ni d’analogies. On s’explique en outre, en partant de la première explication de L. Cæsar, que l’expression consul major soit plus tard tombée en désuétude, puisque précisément l’alternance des faisceaux a plus tard disparu ; au contraire on ne se l’expliquerait pas en partant des autres interprétations.

[38] C’est ce que fait encore ressortir nettement le récit paradigmatique de Tite-Live, 3, 34, 8. c. 35, 6.

[39] D’après Tite-Live, 3, 36, les premiers décemvirs portèrent les faisceaux alternativement, et les seconds les portèrent concurremment. On peut se demander s’il entend dire par là que l’usage postérieur se soit introduit à ce moment. Les 24 licteurs des deux consuls cités, 2, 55, 3, ne contrediraient au reste pas cette interprétation ; car il ne s’agit pas de savoir si chaque consul a ses licteurs à lui, mais s’il les fait marcher devant lui dans leur qualité officielle. — Quant aux interrois, celui qui était en exercice a toujours seul fait porter les faisceaux devant lui.

[40] Suétone, Cæs. 20 : Antiquum rettulit morem, ut quo mense fasces non haberet, accensus ante eum iret, lictotes pone sequerentur. Tite-Live indique de même l’accensus pour les premiers décemvirs ; ce n’est pas, comme le licteur, un appariteur public permanent, mais en un certain sens un serviteur privé du consul, régulièrement un de ses affranchis. Cf. la partie de la Suite des magistrats.

[41] Aulu-Gelle, 2, 15, 4 et ss. : Capite VII legis Juliæ (de l’an 736) priori es consulibus fasces sumendi potestas fit, non qui plures annos natus est, sed qui plures liberos quam collega aut in sua potestate habet aut bello amisit. Sed si par ttrique numerus liberorum est, maritus aut qui in numero maritorum est præfectur. Sed si ambo et mariti et patres tolidem liberorum sunt, tum ille pristinus honor instauratur et qui major natu est prior fasces sumit... Solitos tamen audio qui lege poliores essent, fasces priori mensis collegis concedere aut longe ætate prioribus aut nobilioribus multo aut secundum consulatum ineuntibus. Comp. Fr. Vatic. §§ 197 à 199.

[42] On pourrait cependant y rattacher le texte de Varron, 6, 37, d’après lequel le censeur que le sort a désigné pour faire le lustrum a par là même la présidence, au moins dans la première contio tenue par les censeurs (post tum conventionem habeto qui lustrum conditurus est), et d’après lequel en réalité le tirage au sort s’applique donc, aussi à cette présidence. Il ne nous est pas dit si cette présidence est attribuée une fois pour toutes au censeur désigné par le sort ou si elle ne lui appartient que pour un certain délai ; mais pourtant la seconde hypothèse est de beaucoup la plus vraisemblable et, si on l’adopte, cet acte est parfaitement analogue au fasces sumere des consuls.

[43] Les anciens annalistes qui ne font commencer le roulement des faisceaux qu’entre Poplicola et Sp. Lucretius, après la mort de Brutus font le premier céder le pas au second, comme au plus âgé. Cicéron. De re p. 2 ; 31, 55 : Suosgue ad eum, quod erat major natu, lictores transire jussit. Val. Max. 4, 1, 1. Plutarque, Popl. 12. L’histoire est visiblement paradigmatique, d’autant plus que nous n’avons aucun renseignement sur le consulat de Sp. Lucretius, si ce n’est qu’il mourut à un âge avancé peu de jours après son entrée en fonctions (cf. encore Tite-Live, 2, 8, 4). Il a été intercalé dans la liste (cf. ma Chronologie p. 199) pour servir d’exemple à cette régie de droit public, et il n’y a pas été intercalé d’une manière heureuse ; car il ne peut être question de l’avantage attaché à l’âge qu’entre deux consuls qui entrent en fonctions en même temps. L’attribution des faisceaux en premier lieu à l’aîné des consuls est prouvée, en dehors d’Aulu-Gelle, par les récits de Denys, 6, 57, où le πρεσβύτερος τών ύπάτων préside la première séance du sénat de l’année 261, et de Tite-Live, 9, 8, où le consul de 431, penes quem fasces sunt et qui préside la première séance du sénat, C. Publilius Philo cos. III. est, d’après la remarque ingénieuse de Becker, indubitablement plus âgé que son collègue L. Papirius cos. II. — Quand deux censeurs sont en fonctions l’un à côté de l’autre sur le tribunal, c’est le plus âgé qui prend la parole (Plutarque, Pomp. 22).

[44] Tite-Live, 2, 4, 8 : Brutus prior concedente conlega fasces habuit. Comp. aussi la fin du passage d’Aulu-Gelle (note 41).

[45] Parare se trouve dans Cassius Hemina (dans Diomedes, éd. Keil, p. 384 : Præfecerunt equaliter imperio Remum et Romulum ita ut de regno pararent, — les Mss. portent : parentinter se) ; dans la lex Julia municipalis, ligne 24 (æd. cur. æd. pl... inter se paranto aut sortiunto) ; dans le texte mutilé de Festus, p. 234, et dans Cicéron. Ad fam. 1, 9, 25. Dans Salluste, Jug. 43, paraverant n’est qu’une conjecture mise à la place du texte qui nous a été transmis : Inter se partiverant. Dans Tite-Live, il y a toujours comparare.

[46] Les décemvirs leg. scr. procèdent de même, d’après Tite-Live, 3, 35, 7 : Comitiorum illi (Ap. Claudio) habendorum, quando minimisa natu sit, manus consensu injungunt : art hæc erat, ne semet ipse creare posset.

[47] Tite-Live, 35, 20, 2 : Consulibus ambobus Italia provincia decreta est, ita ut inter se compararent sortirenturve, uter comitiis ejus anni præesset. 35, 6, 1 : Litteræ allatæ sunt... Q. Minuci... comitia suæ sortis esse. 39, 6, 1 : (Comitiis consularibus) quia M. Æmilius cujus sortis ea cura erat, occurrere non potuit, C. Flaminius Romam venit. 40, 17, 8 : Ita inter se consules compararunt, ut Cn. Bæbius ad comitia irel. 39, 33, 5. 41, 6, 1. En droit, la présidence de l’élection n’était fixée que par l’édit prescrivant le vote, celui qui le rendait présidait l’élection. Même en fait, à l’époque ancienne, on ne fixait qu’immédiatement avant le vote quel serait celui qui le présiderait. Mais les difficultés que cela produisit pendant la guerre d’Hannibal amenèrent (Tite-Live, 22, 33, 9, 25 ; 41, 8. 27, 4), plus tard, lorsque les deux consuls quittaient Rome pendant leur année de fonctions, à déterminer habituellement avant leur départ, à l’amiable ou par la voie du sort, lequel aurait à revenir pour les élections ; ce qui, du reste, pouvait postérieurement être modifié par la voie d’une entente entre les collègues. Le sénat n’influait pas directement sur cette détermination ; mais, outre qu’il pouvait naturellement inviter les consuls à faire la comparatio dans un sens ou dans l’autre, la fixation des provinces entraînait fréquemment en réalité celle de la présidence des élections ; en particulier, lorsque l’un des consuls est préposé aux choses d’Italie et l’autre à celles d’outre mer, c’est en règle au premier qu’appartient la présidence des élections (Tite-Live, 27, 4. 35, 20).

[48] Tite-Live, 24, 10, 2 : Decretum... ut consoles sortirentur compararenive inter se, uter censoribus creandis comitia haberet. La présidence du scrutin a sans doute été réglée de la même façon pour les élections de préteurs, d’édiles et de questeurs, sur lesquelles nous n’avons pas de renseignements.

[49] La comparatio se rencontre dans Tite-Live, 4, 21 : Dictatorem dici... placet. — Verginius dum collegam consuleret moratus permitiente eo nocte dictatorem dixit ; les deux dans le même, 4, 26 : Sors, ut diciatorem diceret (nam ne id quidem inter collegas convenerat), T. Quinctio evenit. — C’est inexactement qu’il est dit, dans Tite-Live, 9, 7, 12. 13 : Consules dixerunt. Tite-Live affirme, dans un passage suspect encore sous plusieurs autres rapports, 8, 12, 13, que le dictateur est nommé par le consul qui a les faisceaux ; cette assertion est en désaccord aussi bien avec les solutions pratiques qu’on a vues plus haut qu’avec le principe de l’universalité de la collégialité.

[50] Tite-Live, 3, 64, 4. Dans Appien, B. c. 1, 14, le tribun désigné par le sort se désiste en faveur de l’un de ses collègues ; mais les autres collègues protestent, évidemment avec raison, et demandent un nouveau tirage au sort.

[51] Les censeurs font immédiatement après leur entrée en fonctions le tirage au sort pour la lustrum (censores inter se sortiuntor uter lustrum faciat, porte le formulaire donné par Varron, De l. L. 6, 87 ; cum venerint, censores inter se sortiant, dans le même, au fragment des Ant. hum. l. XX, rapporté dans Nonius, p. 471). Tite-Live, 38, 36, 10 : M. Claudius Marcellus censor sorte superato T. Quinctio lustrum condidit. La censeur par lequel le lustrum a été accompli est encore fréquemment indiqué à d’autres endroits (Tite-Live, 29, 37. 35, 9. 42, 10), et ce n’est que par une impropriété d’expression que l’accomplissement en est attribué à tous deux (Tite-Live, 27, 36, 6. 40, 46, 8).

[52] L’accomplissement de la dedicatio par un seul magistrat est déjà impliqué par la formule connue de dedicatio telle que la prononce par exemple le duumvir de Salone (Orelli, 21190 = C. I. L. III, 1933) : Hanc tibi aram, Juppiter optime maxime, do dico dedicoque, uti sis volens propitius mihi collegisque meis. Le tirage au sort est attesté, dans un récit paradigmatique, par Tite-Live, 2, 8 : Valerius Horatiusque consoles sortiti, uter dedicaret (ædem Jovis in Capilotio) : Horatio sorte evenit. Le conflit des consuls, Tite-Live, 2, 27, pour savoir uter dedicaret Mercurii sedem, et les discussions à ce sujet au sénat et devant le peuple sont donc encore sous ce rapport une maladroite invention (cf. Hermes 5, 230 = Rœm. Forsch. 2, 157) ; dans de pareils cas, ce n’était pas aux autorités terrestres, mais aux dieux qu’en appelaient les Romains.

[53] Les deux censeurs procédaient en commun à l’établissement de la liste des sénateurs, en ce sens que la suppression d’un nom qui se trouvait sur la liste actuelle ou l’addition d’un nom qui ne s’y trouvait pas, pouvait, d’après les règles que nous étudierons eu leur temps sur la coopération des collègues, être empêchée par chacun des censeurs. Mais, s’il y avait un dissentiment sur la place ou mettre un nom dans la liste, il ne pouvait être tranché que par l’un, et c’est à cela qu’il est fait allusion quand, dans un débat sur la nomination du princeps senatus, l’un des censeurs argumente de ce que la volonté des Dieux, révélée par le sort, lui a remis le droit de prononcer (Semproni lectio erat... cui dii sortem legendi dedissent, et jus liberum eosdem dedisse deos, Tite-Live, 27, 11).

[54] Que l’on réfléchisse seulement à la nécessité avec laquelle le formulaire de convocation des comices par centuries (Varron, 6, 88) réclame l’intervention d’un seul consul, ou au sens prévis de la formule : Quod consules verba fecerunt.

[55] Pourtant la participation de l’autre collègue se rencontre même en cette matière. Ainsi c’est bien le consul C. Claudius qui préside, en 294, les comices électoraux ; mais son collègue et lui rendent en commun un édit ne quis C. Quinctium consulem faceret : si quis fecisset, se id suffragium non observaturos (Tite-Live, 3, 21, 8).

[56] Appien dit même pour César et Bibulus, B. c. 2, 11 : Ούδ' έξήν τώ έτέρω τών ύπάτων συναγαγεϊν αύτήν (τήν βουλήν). Mais cependant c’est une erreur ; car les séances ne furent pas du tout complètement suspendues lorsque Bibulus refusa de convoquer le sénat (Drumann, 3, 262). Il y a en outre assez d’exemples où un sénatus-consulte a été rendu sous la présidence d’un seul consul ; ainsi celui sur Asclépiade de l’an 676 et ceux cités par Cicéron, Ad fam. 8, 8.

[57] Sur la dénomination de la loi tirée d’un ou plusieurs de ses rogatores, voir le tome VI, 1.

[58] V. les détails, tome III, dans la théorie de la Dictature.

[59] Les compétences des quatre præfecti Capuam Cumas étaient sans doute divisées territorialement. Les trois quæstiores de la loi Manilla (Salluste, Jug. 40) peuvent avoir été organisés de façon que chaque tribunal ne fût présidé que par l’un d’eux. Il ne reste donc, comme autorités judiciaires organisées en collèges, que les édiles curules, qui datent de la fin du quatrième siècle de Rome, et les Xviri litibus judicandis, qui sont encore plus anciens, mais qui probablement siégeaient in judicio et non pas in jure.

[60] Cf. tome III, la partie de la Préture.

[61] Cf. la théorie de l’Intercession.

[62] Cf. tome IV, la théorie de l’Édilité.

[63] Polybe, 6, 31. Malheureusement on ne sait rien de plus sur la situation dans laquelle se trouvaient les deux tribuns en fonctions, soit entre eux, soit par rapport aux quatre autres. Car le passage de Tite-Live, 40, 41, 8, dans lequel un tribun licencie sa légion mensibus suis, n’est pas clair, et, de plus, la lecture n’en est pas certaine. Vraisemblablement c’est celle proposée par Madvig qui est exacte, quant aux points essentiels, et ce que l’on doit entendre, c’est que toute l’armée était intérimairement soumise à A. Postumius et que le tribun M. Fulvius était sous ses ordres. D’après la leçon de Welssenborn, de deux commandants coordonnés l’an viendrait s’opposer aux congés accordés par l’autre, ce qui ne se conçoit pas bien. Mais le texte ne résout pas la question de savoir pourquoi, des deux tribuns qui, d’après Polybe, devraient avoir commandé la légion, un seul est indiqué ; et cependant il parait considérer le droit d’accorder des congés comme appartenant légalement au tribun et non pas comme lui ayant été accordé seulement par quelque concession extraordinaire du commandant en chef. Le mieux est d’admettre que les deux tribuns qui commandaient étaient sur le pied d’égalité, et que par suite ils pouvaient, chacun de son côté, faire tous les actes rentrant dans les attributions des tribuns. On s’explique ainsi qu’il ne soit pas question du second tribun et que son supérieur intervienne pour arrêter le licenciement.

[64] Le manipule légionnaire de 120 (pour les triarii, de 60) hommes est aux yeux des Romains de la République, la plus petite unité tactique : Manipules, dit Varron, 5, 88, exercitus minimas manus, quæ unum sequuntur signum. La distinction des deux centurions en prior et posterior et l’indication que le manipule comprend deux centuries ne sont pas un empêchement, d’autant plus que rien n’indique que la posterior obéisse au prior. Comp. Handbuch, 5, 345.

[65] C’est pour donner un exemple de ce principe qu’est fait le récit de la bataille de la forêt d’Arsia où succombe l’un dés consuls, M. Brutus, tandis que l’autre, P. Valerius, remporte la victoire et triomphe (Tite-Live, 8, 6. Denys, 5, 14). Mais même postérieurement il est de règle que les deux consuls commandent l’un à côté de l’autre, et il faut des motifs spéciaux pour entraîner un partage du commandement.

[66] En 418, deux tribuns militaires cos. pot. sont astreints par leurs officiers à convenir ut alternis diebus summam imperii haberent (Tite-Live, 4, 46) ; ce dont l’on ne conclura pas que, plus anciennement, il ait régné un autre système que le roulement jour par jour. Il est encore mentionné pour la bataille de Cannés par Polybe. 3, 110, 4, Tite-Live, 22, 41 : Paulus consul, cujus eo die (nam alternis imperitabant) imperium erat, et Silius, 9, 17 : Sors alterni juris, quo castra reguntur. A la bataille de Sena, en 547, M. Livius fut, en dehors d’autres raisons, considéré comme étant le véritable vainqueur, surtout quoniam eo die quo pugnatum foret ejus forte auspicium fuisset (Tite-Live, 28, 9, 10).

[67] Tite-Live, 3, 70 : In exercitu Romano cum duo consules essent potestate pari, quod saluberrimum in administratione magnarum rerum est, summa imperii concedente Agrippa penes collegum erat. Comp. Diodore, p. 627 : Ό πρεσβύτερος τών ύπάτων Μανίλιος εΐπεν.

[68] La simple action en commun de deux généraux en chef légalement égaux, qui est assurément assez fréquente, ne pourrait pas dire invoquée déjà par ce motif que les troupes y sont au moins toujours divisées.

[69] Tite-Live, 22, 27, 16 : Obtinvit, ut legiones, sicut consulibus mos esset, inter se dividerent : prima et quarta Minucio, secunda et tertia Fabio evenerunt : item equitea pari numero sociumque et Latini nominis auxilia diviserunt. 42, 32, 5 : Legiones inde sortiti sunt (consules), et il décrit ensuite les opérations du recrutement, qui, par conséquent, était précédé par le tirage au sort. Cf. Polybe, 6, 28, 3. On faisait le tirage d’abord pour la première et la seconde légion, puis pour la troisième et la quatrième ; car on ne rencontre jamais les unes et les autres accouplées. Cf. F. Gessier, de legionum Homanarum apud Livium numeris, Berlin, 1866.

[70] Festus, Ep. p. 226 : Provinciæ appellantur, quod populos Romanus eas provicit, id est ante vicit. Le même, Ep. p. 379 : Vinciam dicebant continentem, ce qui contient du reste une opposition mal comprise vis-à-vis de provincia dans le sens postérieur de département administratif d’outre-mer. L’étymologie conduit également à admettre que vincia et provincia doivent avoir été primitivement dans le même rapport que gradior et progredior. La marche en avant, dans deux directions différentes, des deux armées, qui, en cas de succès, se trouvent toujours plus loin l’une de l’autre, est l’idée qui est au rond de l’expression : c’est de là que vient l’addition de la préposition pro ; c’est de là qu’il vient aussi qu’il ne peut pas y avoir une provincia, mais seulement deux ou plusieurs. Comp. ma dissertation Cæsar und der Senat, p. 3 = Hist. Rom. 7, 376, où j’ai plus amplement justifié l’étymologie, pleinement certaine à mon sens, tirée de vincere.

[71] Des deux co-dictateurs de 637, l’un offrit à l’autre de choisir entre le roulement du commandement en chef et le partage des troupes (Polybe, 3, 103). Ici le partage ne va pas aussi bien de soi que pour les consuls qui partent ensemble en campagne, attendu que l’un des généraux a primitivement commandé toute l’armée et que son subordonné lui a ensuite été adjoint.

[72] Tite-Live, 23, 33, 12 : Sicilia Scipioni extra sortem concedente collega, quia sacroruen cura pontificem maximum in Italia retinebat. Comp. 42, 32.

[73] Cet acte, le fait de comparare sortiriæ provincias (Tite-Live, 30, 1, 2. 32, 3. 1. 37, 1, 7. 42, 31, 1. 43, 12, 1. 44, 17, 5), suppose par conséquent que la détermination des compétences a déjà été faits. Nos annales le regardent comme aussi ancien que le consulat lui-même ; (cf. par ex. Tite-Live, 2, 40, 14, pour l’an 267 : Sicinio Volsci, Aquilio Hernici provincia evenit ; 16, 24, 10 : Omnes ante se consules sortitos provincias esse), et certainement avec raison, en ce sens que la possibilité d’un partage de ce genre se produisit avec le consulat et dut être prévue lors de sa création.

[74] Tite-Live, 41, 18.

[75] Cicéron, Ad Att. 8, 15, 3 : Neminem esse fere, qui non jus habeat transeundi, nam aut cum imperio sunt ut Pompeius..... ipsi consules, quebus more majorum connessum est vei omnes avire provincias, aut legati sunt eorum. Il n’y a pas d’endroit où il soit dit aussi nettement que là, que le consul était constitutionnellement autorisé à aller où il voulait en qualité de général, que par conséquent la provincia consulaire, c’est-à-dire la provincia primitive, ne liait pas légalement le général, tandis que la provincia prétorienne plus récente le faisait assurément.

[76] Ainsi, en 270, le consul Kœso Fabius, qui était en campagne contre les Èques, vint au secours de son collègue pressé par les Véiens (Tite-Live, 2, 48), et les anciennes annales rédigent constamment leurs récits dans ce sens, sans signaler les empiètements comme des anomalies.

[77] Cicéron, De domo, 9, 2.1 : Provincias consulares... C. Gracchus... non modo non abstulit a senatu, sed etiant, ut necesse esset quotannis constitui per senatum lege sanxit. Le même, Pro Balbo, 27, 61.

[78] Tite-Live, 21, 17, 6. c. 49.6. Les missions des consuls Marcellus, en 540, et Lævinus, en 544, ont pour objet direct le territoire de Syracuse, encore indépendant à cette époque, et par suite sont étrangères à la question.

[79] Nous ne connaissons pas d’une manière précise le fondement juridique de ce système : nous ne savons pas ce qui fut réglé, lors de la fondation des préteurs provinciales, c’est-à-dire d’abord des gouvernements de Sicile et de Sardaigne en 527, quant à la possibilité de l’envoi accidentel d’on consul dans ces circonscriptions. Il est difficile que les droits des préteurs aient été constitués de façon à subordonner l’envoi d’un consul à une résolution du peuple ; mais pourtant il est certain qu’il n’a jamais dépendu de la fantaisie d’un consul de se rendre dans l’une des provinces prétoriennes et d’y dépouiller ainsi le préteur de son commandement en chef. Au reste il sera démontré, tome III, dans la partie du Consulat, que, lorsque le consul était ainsi envoyé dans une province prétorienne, la province n’était pas pour cela distraite du tirage au sort entre les préteurs, et qu’en règle le consul et le préteur agissaient alors l’un à côté de l’autre. [Ajoutez Tite-Live, 31, 43, 3 : Potuisse (senatum) finire senatus consulto, ne per prætorem, sed per consulem (res) gereretur. Cela est dit au sujet d’une guerre à diriger dans le nord de l’Italie, mais c’est sans aucun doute également vrai pour les cas où des consuls sont envoyés en Espagne, en Sardaigne, en Sicile.]

[80] La guerre de Macédoine est réputée une guerre d’outre-mer, quoique les côtes d’Illyrie, comme les territoires de la Ligurie et de la Gaule jusqu’aux Alpes, soient comprises dans le territoire italique d’opérations des consuls. La guerre faite au delà des Alpes est du reste soumise au même régime que les guerres d’outre-mer.

[81] Les dispositions prises en 557 pendant la guerre de Philippe, sont instructives sous ce rapport (Tite-Live, 22, 28). On s’occupe des provinces. Prius de præstoribus transacta res, quæ transigi sorte poterat ; car c’étaient là des compétences fixes, légalement arrêtées une fois pour toutes, qui pouvaient être simplement tirées au sort entre les intéressés. Ensuite les consuls veulent tirer au sort l’Italie et la Macédoine ; mais les tribuns s’y opposent et demandent une prolongation du commandement pour le proconsul qui se trouve en Macédoine. Les deus partis s’en remettent au sénat et celui-ci se prononce en faveur des tribuns, proroge le commandement au profit du proconsul et attribue l’Italie pour département aux deux consuls. On voit par là que les deux consuls peuvent faire entre eux le tirage au sort sans avoir consulté le sénat, que par conséquent la fixation des provinces consulaires par le sénat n’est aucunement obligatoire en la forme ; on voit de plus que les consuls, s’ils avaient voulu s’en tenir à l’Italie, n’auraient pas été forcés de consulter le sénat, mais que la conduite d’une guerre d’outre-mer sans l’assentiment du sénat paraissait contraire à l’esprit de la constitution et était empêchée par l’intervention corrective des tribuns.

[82] A l’époque ancienne, le sénat ne prenait sans doute en ce cas aucune décision, et il n’y avait pas alors de provincial au sens technique ; ce n’est que depuis qu’il y a eu des compétences spéciales prétoriennes que l’on a pu aussi parler par opposition d’Italia provincia.

[83] C’est pour cela que Tite-Live, dit, 39, 38, 1 : Consulibus Ligures, quia bellum nusquam alibi erat, decreti. De même, 40. 1, 1.

[84] Les discussions de 357, qui viennent d’être citées, montrent nettement que la formule connue : Patres consulibus ambobus Italiam provinciam decreverunt (Tite-Live, 27, 22, 2. 32, 28, 9. 33, 25, 10. 34, 43, 3. 35, 20, 2, et ailleurs encore) comporte l’exercice en commun du commandement en chef. Après que le commandement en Italie a été confié en commun aux deux nouveaux consuls, ils font la guerre aux Gaulois cisalpins, sinon, comme ceux-ci le supposent, confunctis legionibus (Tite-Live, 32, 30, 3), au moins en combinant leurs opérations (communi animo consilioque, Tite-Live, 33, 22, 3). En 558, les deux consuls combattent avec la même compétence, sur le même champ de bataille, véritablement junctis exercitibus (Tite-Live, 33, 37, 3).

[85] C’est ce que signifie la formule technique nominare provincias (Tite-Live, 21, 17, 1. 27, 36, 10. 28, 38, 12. 44, 17, 9, incorrectement employée dans ce dernier passage pour des consuls et des préteurs, alors que nominare n’est pas exact pour ces derniers) ; l’expression decernere, qui est plus usuelle, n’est pas tout à fait exacte.

[86] C’est ce que montre encore, avec une netteté particulière, la résolution de 557 : après avoir attribué l’Italie pour sphère d’opérations aux deux consuls, on les charge de plus ut bellum cum Gallis Cisalpinis, qui defecissent a populo Romano, gererent (Tite-Live, 32, 28, 9), voici sans doute comment on procédait généralement en pareil cas : l’Italie était d’abord reconnue comme étant la sphère d’attribution des consuls pour l’année, soit par une décision expresse dû sénat, soit implicitement par cela seul qu’on ne prenait aucune décision sur les provinces des consuls, puis on faisait suivre des règlements spéciaux comme ceux indiqués par Tite-Live, 34, 55, 5 : Cornelio Gallia, Minucio figures evenerunt. C’est pour cela que les qualifications varient : ainsi, d’après Tite-Live, 42, 32, 4, c’est l’Italie que le sort a attribuée au consul C. Cassius, et, d’après 43, 1, 4, c’est la Gaule. Ce droit du sénat de confier des missions aux consuls apparaît, dans nos annales, à partir du début du consulat, longtemps avant qu’il soit question d’Italia provincia.

[87] Tite-Live, 8, 16, 5 : Petitum a consulibus, ut extra sortem Corvi ea provincia esset. Ce n’est sans doute que par abréviation que l’on dit fréquemment que le sénat a attribué une province extra ordinem (Tite-Live, 3, 2, 2. 6, 22, 6. 7, 23, 2. 10, 24, 10. 18. 38, 53, 8), ou que ce genre d’arbitrage est représenté comme excluant tant le tirage au sort que l’accord de volontés (Tite-Live, 6, 30, 3 : Volsci provincia sine sorte, sane comparatione, extra ordinem data) ; dans la forme, l’accès à une telle prière rentre dans la comparatio, et, dans le fond, il l’exclut.

[88] Tite-Live, 37, 1, 7 : Lælius... cum senatus aut sortem aut comparare inter se provincias consoles jussisset, elegantius facturos dixit, si judicio patrum quam si sorti, eam rem permisissent. Le même acte est désigné par Tite-Live, 28, 45, 2, par l’expression stare eo quod (patres) censuissent.

[89] Tite-Live, 10, 18.

[90] Tite-Live, 10, 37, 1, rapproché de c. 32, 1. Il est vrai qu’ici il y a un blâme exprimé, quod injussu senatus ex Samnio in Etruriam transisset. En revanche, il est reproché, dans Tite-Live, 36, 39, au consul de n’être pas entré sur le territoire des Ligures, après avoir fini la guerre contre les Boïens dont il avait été chargé.

[91] Tite-Live, 27, 43, 6 : Claudius non id tempus esse rei publicæ ratus, quo consillis ordinariis provinciæ suæ quisque finibus per exercitus suos cum hoste destinato ab senatu bellum gereret : audendum aliquid. Le résultat fut la victoire de Sena. Un cas analogue est indiqué par Tite-Live, 23, 41, 11.

[92] Tite-Live, 43, 1, lorsque le consul auquel a été attribuée l’Italie passe sur le territoire de la Macédoine échue à son collègue : Senatus indignari tantum consulem ausum, ut suam provinciam relinqueret, in alienam transiret. Lorsque Scipion, auquel est échue la Sicile, attaque Locre, on propose dans le sénat de le rappeler (Tite-Live, 29, 19, 6, rapproché de c. 7). V. des événements analogues dans Tite-Live, 28, 11, rapproché de c. 42, 21. 41, 7, 7.

[93] C’est ainsi que dans les années 567, 569 à 574, la Ligurie est assignée aux deux consuls comme provincia commune (Tite-Live, 38, 42, 13. 39, 32, 1. c. 38, 1. c. 45, 3. 40, 1, 1. c. 18, 3. c. 35, S. c. 44, 3).

[94] Il est encore question de ce système, et spécialement de la provincia Italia en 642 et 643 (Salluste, Jug. 27. 43), par conséquent après Gracchus.) Mais, depuis Sulla, il n’y a plus de commandement régulier en Italie. Si, par la suite, des consuls dirigent les opérations militaires Pendant leur année d’exercice, comme, en 680. Lucullus et Cotta contre Mithridate, il faut le rattacher à des dispositions extraordinaires. La règle n’est, pour l’époque de Cicéron, sujette à aucun doute. C’est par conséquent le temps antérieur à Sulla qui est indiqué comme le temps passé dams les mots rapportée par Aulu-Gelle, 10, 15, 4 : Rarenter flamen Dialis consul creator est, cum bella consulibus mandabantur ; ces mots ne peuvent donc pas être de Fabius Pictor, qui est plus ancien ; mais ils peuvent, comme d’autres passages de cet ensemble, avoir été pris dans Masurius Sabinus.

[95] Tite-Live, 28, 45, où la formule c. 40, 4, est au moins trompeuse. La proposition d’un préteur ambitieux, selon laquelle le peuple aurait chargé de la guerre avec les Rhodiens l’un des magistrats de l’année, échoua pareillement en 586 (Tite-Live, 45, 21, 2).

[96] Appien, Lib. 112. Val. Max. 8, 15, 4. Tite-Live, Ep. 51.

[97] Les provinces des consuls de 666 ont dû être déterminées par une loi (Appien, 1, 63) ; de même celles des consuls de 687 (Salluste, Hist., éd. Dietsch, fr. 5, 10). Les dispositions prises en faveur de César comme consul de 695 et en faveur des consuls de 696 Pison et Gabinius sont connues.

[98] Les deux questeurs de Sicile ont aussi des compétences locales distinctes.